m1-analyse de donn es qualitatives-version 0,82

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Université Lumière Lyon 2 Master 1 en sciences de l’éducation et de la formation Analyse de données qualitatives Outils de production de données qualitatives et méthode d’analyse Support de cours Jean-Jacques Quintin MCF - Université Lumière Lyon 2 Avertissement : Ce document est susceptible de modification au cours de cette première année d’utilisation. Vous en serez avertis via la plateforme crea-tice.org État du présent document Version antérieure (de référence) Version 0.82 0.8 Date 26 septembre 2012 05 septembre 2012 État d’évolution du contenu Changement par rapport à la version de référence Pêche aux coquilles ! Suite à la relecture d’Annick, nouvelles coquilles corrigée Introduction Terminé - L’entretien Terminé, quelques évolutions sont cependant encore possibles en ce qui concerne la partie « Mener un entretien » - L’observation Terminé mais des exemples de grilles d’observation viendront peut-être compléter cette partie. - Le questionnaire A venir (version 0.9 normalement) - Bibliographie Les références sont encore, dans cette version, placées, par commodité, en notes bas de page, ce qui n’est pas conforme. Une version ultérieure permettra de corriger cette lacune. Annexes Dans ces annexes, nous vous présentons des compléments d’informations (exemple, illustration…). Ces annexes pourront s’enrichir progressivement. - Ce cours est strictement réservé à un usage privé dans le cadre de votre formation. Il est demandé de ne pas en diffuser son contenu, ni dans sa totalité, ni en partie. Merci de votre compréhension.

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Université Lumière Lyon 2

Master 1 en sciences de l’éducation et de la formation

Analyse de données qualitatives

Outils de production de données qualitatives et méthode d’analyse

Support de cours

Jean-Jacques Quintin

MCF - Université Lumière Lyon 2

Avertissement : Ce document est susceptible de modification au cours de cette première année d’utilisation. Vous en serez avertis via la plateforme crea-tice.org

État du présent document Version antérieure (de référence)

Version 0.82 0.8

Date 26 septembre 2012 05 septembre 2012

État d’évolution du contenu Changement par rapport à la version

de référence

Pêche aux coquilles ! Suite à la relecture d’Annick, nouvelles

coquilles corrigée

Introduction Terminé -

L’entretien Terminé, quelques évolutions sont cependant encore possibles en ce qui concerne la partie « Mener un entretien »

-

L’observation Terminé mais des exemples de grilles d’observation viendront peut-être compléter cette partie.

-

Le questionnaire A venir (version 0.9 normalement) -

Bibliographie

Les références sont encore, dans cette version, placées, par commodité, en notes bas de page, ce qui n’est pas conforme. Une version ultérieure permettra de corriger cette lacune.

Annexes

Dans ces annexes, nous vous présentons des compléments d’informations (exemple, illustration…). Ces annexes pourront s’enrichir progressivement.

-

Ce cours est strictement réservé à un usage privé dans le cadre de votre formation. Il est demandé de ne pas en diffuser son contenu, ni dans sa totalité, ni en partie. Merci de votre compréhension.

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Sommaire

Introduction .............................................................................................................................. 5 I. L’entretien ......................................................................................................................... 6

1. Mener un entretien ....................................................................................................... 6 � Mener un entretien, une question d’attitude ............................................................ 8 � Mener un entretien, une question de posture ......................................................... 12 � Mener un entretien, un savoir technique : la question des relances ...................... 13 � Remarques ............................................................................................................. 15 � Les conditions matérielles de la passation d’un entretien ..................................... 16 � Le cas particulier de l’entretien de groupe ............................................................ 16 � L’entretien biographique, le récit de vie................................................................ 17 o L’utilisation de l’entretien non directif dans le cadre du récit de vie ............. 18

o Illustration d’un récit de vie (transcription) ................................................... 19

2. Préparer l’entretien, le « guide d’entretien » .............................................................. 19 3. Analyser l’entretien : Cadre théorique ....................................................................... 22

� Tenir compte de la composante relationnelle : La face et le territoire .................. 22

o Ménager les faces ........................................................................................... 23 o Ménager les territoires .................................................................................... 24 o Les actes potentiellement menaçant ou « Face Threatening Acts »

(FTA) .............................................................................................................. 25 o Le travail de figuration ou « face-work » ....................................................... 26

o Une théorie du travail de figuration : la théorie de la « politesse » ................ 30

o Politesse positive et « liance » ........................................................................ 32 o Conséquences sur l’analyse d’un corpus verbal (entretien par

exemple) ......................................................................................................... 33 � Tenir compte des éléments extralinguistiques ....................................................... 34

o Sens sémantique, sens pragmatique et implicature ........................................ 34

o Le principe de coopération (interactionnelle) et les maximes conversationnelles de Grice ........................................................................... 37

o D’autres règles encore .................................................................................... 38 o L’intersubjectivité .......................................................................................... 39

� Le courant interactionniste de l’analyse du discours ............................................. 40

o Discours et analyse du discours ..................................................................... 40

o Le courant interactionniste ............................................................................. 40 4. Rendre compte ou analyser un entretien ? ................................................................. 43

� Le compte rendu d’entretien .................................................................................. 43 � Analyser un entretien : l’opération préalable de transcription .............................. 44 � Analyser un entretien : deux exemples de techniques d’analyse du contenu d’un

corpus verbal ......................................................................................................... 48 � L’analyse thématique qualitative ........................................................................... 49 o Exemple de mise en catégories thématiques (adapté d’un travail

d’étudiant de Master) ..................................................................................... 52

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o Exemple d’interprétation (adapté d’un travail d’étudiant de Master) ............ 53

� L’analyse de contenu catégorielle : exemple d’une technique quantitative d’analyse ................................................................................................................ 53 o Unité de codage et unité d’énumération ......................................................... 55

o Exemple de choix d’unité d’énumération et de codage ................................. 56

o Les catégories de codage ................................................................................ 57 o Qualité d’une analyse de contenu catégorielle : validité interne et

précision de la mesure .................................................................................... 60 o Qualité d’une analyse de contenu catégorielle : fidélité du système de

codage ............................................................................................................. 61 II. L’observation .................................................................................................................. 63

1. L’observation libre ..................................................................................................... 63 � Le journal de bord (ou journal de terrain) ............................................................. 65 � Les formes de relevés d’observation ..................................................................... 69 � Le compte rendu d’observation ............................................................................. 70 � Analyser les données d’une observation libre ....................................................... 71

2. L’observation dirigée ................................................................................................. 72 � L’observation dirigée, semi-structurée .................................................................. 73 � L’observation dirigée, structurée ........................................................................... 75 o Exemple 1 : La grille de Bales ....................................................................... 75

o Exemple 2 : La grille de Flanders .................................................................. 78

o Exemple 3 : Les sociogrammes ...................................................................... 81

� Choix d’un système de codage .............................................................................. 84 � Construction d’une grille d’observation ................................................................ 84

III. Le questionnaire (à suivre… sur crea-tice.org)............................................................... 85 � Annexe 1 : Observation - Les notes de terrain, le journal de terrain et le compte

rendu d’observation ............................................................................................... 86 � Annexe 2 : Analyse thématique (qualitative) ........................................................ 91

o b2) Interprétation possible de cette analyse thématique ................................. 98

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Index

A

Acte directeur et acte subordonné, 33 Adoucissement (FTA), 27 Analyse de contenu, 48 Analyse de contenu catégorielle, 55 Analyse du discours, 40 Analyse thématique (qualitative), 49

C

Carte de déambulation, 69 Catégorie de codage, 57 Chroniques d'activités, 69 Composante relationnelle, 34 Compte rendu d'observation, 70 Contexte, 34 Coopération (principe de), 37 Cotexte, 34

D

Discours (analyse du), 40

E

Entretien biographique (ou récit de vie), 17 Entretien directif, 7 Entretien non directif, 6 Entretien semi-directif, 7 Evitement (FTA), 27

F

Face, 22 Face Threatening Acts (FTA), 25 Face Threatening Acts (types), 25 Face-work (travail de figuration), 26 Fiches biographiques, 69 Fidélité, 61 Fidélité inter-codeurs, 61

G

Guide d'entretien, 19

I

Implicature, 36 Intersubjectivité, 39

J

Journal de terrain (ou journal de bord), 65

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K

Kappa (coefficient), 61

L

Lexique de terrain, 70 Liance, 32

M

Maximes conversationnelles, 37 Modèle et théorie, 72

O

Observation, 63 Observation dirigée, 72 Observation dirigée semi-structurée, 73 Observation dirigée structurée, 75 Observation libre, 63

P

Politesse (théorie de la), 29 Politesse négative, 30 Politesse positive, 30

Q

Qualité (d'une analyse de contenu catégorielle), 61

R

Récit de vie (ou entretien biographique), 17 Réparation (FTA), 28

S

Sens pragmatique, 35 Sens sémantique, 35

T

Territoire, 24 Théorie et modèle, 72 Théorie formelle, 71 Théorie substantive, 71 Transcription, 44 Travail de figuration (face-work), 26

U

Unité de codage et unité d'énumération, 55

V

Validité interne (analyse de contenu catégoriel), 60

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5

Introduction

Ce support de cours s’attache à présenter différentes techniques de production de données

qualitatives (entretien, observation et, dans une moindre mesure le questionnaire) et d’en

envisager leur analyse (analyse de contenu par exemple). Il se positionne dans le prolongement

du cours de Master 1 Forse qui aborde, quant à lui, l’approche de la recherche en sciences de

l’éducation et sa mise en œuvre sur le terrain1. Le texte qui suit se centre sur les aspects

techniques de recueil (ou « production ») de données sur le terrain d’étude et sur leur analyse.

Ce cours représente également un complément au cours de licence Forse2 dont la (re)lecture

nous semble un préalable indispensable. A cet égard, nous adopterons d’entrée la position de ses

auteurs en considérant que les techniques d’enquête sur le terrain présentées dans ces notes

constituent une sorte de boîte à outils dont l'usage et le degré de structuration dépendent des objectifs poursuivis et de la place du recueil des données dans le déroulement de la recherche. Ainsi, en début d’exploration, des entretiens non directifs ou des observations non standardisées peuvent permettre de construire une problématisation mais si ceux-ci interviennent dans une phase plus avancée de la recherche avec des hypothèses préétablies, la dimension ciblée et standardisée des outils peut être beaucoup plus importante (entretiens semi-directifs, grilles d’observation...) (Desmet et al., 2010, p. 79, nous soulignons).

1 Quintin, J.-J. (2012), Approches et démarches de la recherche en sciences de l’éducation, Cours, Master 1 en sciences de

l’éducation et de la formation, université Lyon 2 2 Desmet, H., Lescouarch, L. & Pourtois, J.-P. (2010). Méthodes qualitatives, Cours, Licence de sciences de l’éducation, Cned,

Université Lyon 2, Université de Rouen

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I. L’entretien

1. Mener un entretien3

L’enquête par entretien, d’usage apparemment facile, est une des méthodes de recueil de

données les plus largement utilisées en sciences sociales.

Blanchet et Gotman (2007) expliquent que l’entretien de type « semi directif » en

particulier est une des techniques de production de données qualitatives les plus fréquemment

utilisées. Il permet de centrer le discours des personnes interrogées autour de différents thèmes

définis au préalable par les enquêteurs et consignés dans un guide d’entretien. Il se distingue de

l’entretien non directif qui se déroule, quant à lui, très librement à partir d’une question initiale.

L’entretien peut permettre de préparer ou de compléter les résultats obtenus par un outil de

production de données quantitatives (e.g. questionnaire) en apportant une richesse et une

précision plus grandes dans les informations recueillies, grâce notamment à la puissance

évocatrice des citations et aux possibilités de relance et d’interaction dans la communication entre

le répondant et le chercheur.

Ainsi, l’entretien révèle souvent des représentations plus profondément inscrites dans

l’esprit des personnes interrogées et qui ne peuvent que rarement s’exprimer à travers un

questionnaire.

Le choix d’un type de conduite d’entretien doit être guidé par le type de recherche

engagée :

1. L'entretien non-directif : Expression libre de l'enquêté à partir d'un thème très général

proposé par l'enquêteur. L'enquêteur « suit » le fil discursif du sujet, note

éventuellement les points importants relevés à partir de ses propos et effectue des

« relances » (non intrusives, du type « Mm » ; « Je comprends », « Oui », « Je vois »),

sans nécessairement poser de nouvelles questions.

3 Partie issue originellement de Eneau et al. (2009) et totalement revue et enrichie. Eneau, J., Piperini, M.-C. & Simeone, A.

(2009). Cours Méthodologie de la recherche - Master 1 en sciences de l’éducation, Campus numérique Forse, Cned, Université Lyon 2, Université de Rouen

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2. L'entretien directif : Ce type d’entretien s'apparente sensiblement au questionnaire si ce

n'est que la modalité de passation se fait oralement, en situation de face à face, non par

écrit.

3. L'entretien semi-directif : Il porte sur un certain nombre de thèmes qui sont identifiés

dans un guide d’entretien préparé par l'enquêteur.

Les échanges verbaux qui s’engagent à l’occasion d’un entretien sont souvent enregistrés,

puis transcrits. Cette transcription est ensuite soumis à analyse : synthèse descriptive (ou

« compte rendu »), analyse thématique, analyse de contenu catégorielle… Dans les situations où

une analyse approfondie du discours n’est pas la préoccupation du chercheur engagé dans une

enquête à vocation exploratoire, l’entretien, peu directif (i.e. non directif ou semi directif) fait

souvent l’objet de prises de notes et d’une synthèse a posteriori, que nous intitulerons simplement

compte rendu.

Ainsi, les entretiens peu directifs conviennent mieux lorsque le but du chercheur est de

comprendre en profondeur des phénomènes complexes : les sujets livrent leurs conceptions ou

leur représentation de la réalité, leurs visions du monde, leurs systèmes de valeurs et de

croyances, le sens qu’ils attribuent aux objets et aux comportements. Ainsi, les entretiens non

directifs par exemple sont appropriés dans des études qui portent sur la motivation (ce qui pousse

à agir) ou sur l’identification des facteurs dont il s’agit de tenir compte lors de la mise en œuvre

d’une campagne de prévention.

En comparaison, les questionnaires à questions fermées sont destinées à relever des

fréquences de réponses et, ainsi, à établir des comparaisons entre différents profils de répondants,

à mettre au jour des relations entre certaines variables, à expliquer des déterminants de conduites,

à repérer le poids des facteurs sociaux…

L’entretien est suscité par le chercheur pour obtenir de l’information sur un thème, c’est

donc lui qui conduit l’entretien. Il devra utiliser un savoir-faire professionnel pour conduire, avec

doigté, attention et délicatesse les échanges, de manière à inviter le répondant à fournir, en toute

confiance, les informations pertinentes recherchées. L’entretien peut conduire le répondant à se

confier sur des sujets intimes ou confidentiels. A cet égard, le chercheur est tenu non seulement à

préserver l’anonymat du répondant mais également, dans des situations délicates, à garantir la

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plus stricte confidentialité des propos livrés quitte à ne pas utiliser certaines informations qui lui

auront été communiquées.

L’entretien ne correspond donc ni à une « simple » conversation se déroulant sans aucun

contrôle du déroulement de l’interaction, ni à un échange à l’occasion duquel les interactants,

chercheur et répondant, présentent des arguments destinés en définitive à convaincre l’autre, ni

encore à un interrogatoire policier ou à une confession.

� Mener un entretien, une question d’attitude

Rappel du cours de licence (Desmet et al, (2010), p. 90-91) : « Dans la conduite de

l’entretien, l’attitude de l’intervieweur doit permettre à la personne de sentir qu’il n’y a

pas de bonnes réponses ni de mauvaises et qu’il n’est pas question de le juger mais

d’écouter son point de vue sur la question comme une façon de percevoir la situation

problème ».

L’entretien, comme l’observation, constitue une intrusion dans la sphère personnelle des

« enquêtés », certes consentie par les intéressés, voire plus ou moins bien tolérée. Sous des dehors

polis et bienveillants, l’enquête peut exercer, selon l’ethnologue Alban Bensa, une violence à

l’encontre des personnes concernées, que le chercheur n’hésite pas à qualifier de considérable

(Bensa, 1992, p. 22)4. Outre la violence que l’entretien peut exercer sur l’image de soi, la « face »

et le « territoire » (voir ci-après) du répondant, ce dernier peut également prendre conscience que

le chercheur, sans être aucunement mandaté par l’interviewé, produira une image qui n’est pas

forcément « celle que ses porte-paroles souhaitent donner » (ibid.). Dans le même ordre d’idées,

l’entretien peut représenter un lieu que le répondant perçoit au contraire comme une « tribune »

susceptible de relayer des revendications précises. Dans ce cas, le chercheur doit prendre

conscience que l’ensemble des réponses peut être « construit » de manière à soutenir et à justifier

le discours tenu.

Par ailleurs, chacun des acteurs se forge immanquablement une « représentation » de

l’autre. Le répondant peut, par exemple, se demander ce que le chercheur pense de lui, à partir

des réponses qu’il formule. Cette prise de conscience peut le conduire à « habiller » ses réponses

à partir de ce qu’il imagine être les réponses attendues par le chercheur, les « bonnes réponses ».

4 Bensa, A. (1992). Anthropologie et citoyenneté, Journal des anthropologues, n°51-52, pp. 21-24

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C’est l’effet de la « désirabilité sociale » dont il s’agit de limiter l’ampleur autant que possible en

évitant en particulier des retours à caractère (par trop) évaluatif (« Oui, c’est vrai », « Je suis

d’accord », « Moi aussi » etc.) qui donneraient des indications sur une « pseudo » qualité des

réponses. Dans cette optique, sont également à éviter les attitudes d’aide et de soutien, la trop

grande démonstration d’empathie et, comme nous l’avons indiqué, les évaluations portées sur

l’adéquation des réponses fournies ainsi que toutes formes de jugement vis-à-vis du contenu ou

de la forme des réponses communiquées.

Il ne s’agit pas pour autant de rester froid et distant au risque d’amener le répondant à se

réfugier dans des propos convenus et peu révélateurs au vu des objectifs de l’entretien mais plutôt

de se montrer à la fois bienveillant et ouvert, rassurant si nécessaire (tous les propos tenus par le

répondant, de quelque nature que se soit sont les bienvenus) et, autant que possible, neutre.

Ainsi, la situation d’entretien déclenche une série d’interactions entre l’enquêteur et

l’enquêté à l’occasion desquelles émergent inévitablement une série de « jeux » à caractère

psycho-social que le chercheur doit pouvoir décrypter tout en menant l’entretien.

A titre d’exemple, voici quelques attitudes qu’il s’agira d’éviter :

• Une attitude d’aide et de soutien (support, consolation) qui s’apparente à une attitude

maternelle, paternelle voire paternaliste. Dans ce cas de figure, le chercheur peut être

tenté de rassurer ou de consoler l’autre. Cette attitude directive peut induire les états

suivants chez le répondant :

- Dépendance et acceptation soumise (tentative d’entraîner et d’alimenter la sympathie, la bienveillance, etc. du chercheur)

- Refus d’être pris en pitié (contre dépendance) - Attente du sujet vis-à-vis de l’enquêteur qui peut le détourner de ses propres

émotions, perceptions, représentations ou analyse.

• Une attitude qui porte un jugement sur les propos du répondant ou une évaluation

même légère qui consisterait à faire référence à des normes, des valeurs, ce qui se fait

ou ne se fait pas, sous la forme de conseils, de mise en garde, d’approbation ou de

désapprobation… Cette attitude directive qui peut induire :

- un sentiment d’inégalité (le sujet interrogé se sent inférieur) ; - une inhibition ; - un sentiment de culpabilité ; - une réaction de révolte ;

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- une tentative de dissimulation, engendrant, le cas échéant, de l’anxiété.

• Une attitude qui consiste à poser trop de questions précises et insistantes dans le but

d’en savoir (toujours) plus, de type « interrogatoire » (investigation)

• Elle risque de montrer que le répondant ne fait pas le tour de la question, qu’il ne

maîtrise pas son sujet. C’est une attitude directive qui peut induire le sentiment :

- d’être soumis à un interrogatoire ; - de voir envahie sa sphère privée ; - d’être en situation d’infériorité.

• Une attitude interprétative (explication – élucidation) trop marquée qui placerait

l’accent sur un aspect particulier jugé comme essentiel par l’enquêteur mais pas par le

répondant. Le chercheur risque de privilégier sa manière toute personnelle de

comprendre la question soulevée au dépend de la compréhension profonde « de

l’autre ».

• Dans une situation de reprise de la parole de l’autre (« réponse reflet ») destiné à

s’assurer de la bonne compréhension des propos du répondant et, par la même occasion

d’assurer une « relance », il y a naturellement un risque de déformation perçue par le

sujet. Si ce sentiment se développe par une présence trop nombreuse de déformation

perçue, le répondant peut en être étonné, voire irrité ou encore, à l’extrême, se sentir

exclu de l’échange (échange perçu comme stérile).

A l’inverse, une attitude qu’il est plutôt conseillé d’adopter consiste à reformuler, lors d’un

silence indiquant la fin temporaire de la réponse de l’interviewé, le contenu des propos du

répondant sans les déformer, d’une manière telle que le répondant puisse éventuellement les

rectifier, ou, généralement par un silence ou un acquiescement, les confirmer. Cette technique

donnera également au répondant une occasion opportune d’apporter des précisions sur ce qu’il

vient d’avancer ou de développer un pan complémentaire à son récent développement. On pourra

ainsi utiliser des « relances » qui commencent, par exemple, par :

- Si je vous comprends bien, vous dites que … - Ainsi, selon vous … - En d’autres termes, … - A votre avis, donc … (moins bon)

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La distance sociale entre protagonistes (proximité plus ou moins importante de classes

sociales, de niveaux d’instruction, de statuts ou d’âge) peut influencer le fond et la forme des

réponses communiquées. Dans une situation idéale, cette distance sociale entre le chercheur et le

répondant ne devrait pas être trop importante ou être minimisée par des propos qui sont adaptés à

la situation du répondant. Les situations dans lesquelles un pouvoir (d’intelligence, de

connaissance, de statut…) s’exerce ne sont pas propices à l’expression de soi.

A l’inverse, une grande proximité d’expérience, de statut professionnel en particulier peut

également exercer des effets non souhaités. En effet, outre le développement néfaste d’une

connivence entre les deux protagonistes qui mettrait à mal l’attitude de neutralité un peu distante

que l’enquêteur cherche à adopter, l’enquêté risque de ne plus ressentir la nécessité d’expliciter

l’ensemble des éléments parmi lesquels certains risquent de s’avérer pertinents au regard des

objectifs de la recherche (pourquoi faire l’effort de tout expliciter à quelqu’un qui « sait » déjà ?).

Peuvent ainsi s’installer implicites, sous-entendus, allusions, clins d’œil etc. qui ne seront pas

présents dans la transcription de l’entretien et qui ne seront pas aisément inférables lors de

l’analyse de la transcription5.

L’enquêté peut aussi produire une information déformée du fait de son désir, généralement

inconscient, de garantir une image sociale de soi qu’il estime souhaitable, de préserver son estime

de soi, de faire bonne figure ou de se montrer dans la norme sociale (cf. ci-après, la partie

consacrée à la face et au territoire). L’enquêté peut également attribuer aux autres des sentiments

et opinions qu’il n’ose pas endosser (« Les gens disent que » ou « J’ai un collègue qui » par

exemple). Ce « déplacement » mérite d’être pris en compte lors de l’entretien mais également

lors de son analyse.

En définitive, le chercheur engagé dans la conduite d’un entretien doit se montrer réceptif,

large d’esprit, ouvert, non intrusif, respectueux, bienveillant, tolérant, curieux, en même temps

que discret et neutre. Ces qualités ne sont pas innées. Elles demandent à la fois un travail

d’introspection régulier (un travail réflexif sur la manière dont on conduit un entretien, sur ses

5 A moins évidemment que le chercheur ait une très bonne mémoire, que l’analyse suive relativement rapidement la tenue de l’entretien ou que l’interviewer ait pris des notes durant l’entretien. Cette dernière solution ne nous paraît pas optimale car elle détourne le chercheur d’une attention qu’il devrait totalement consacrer au déroulement de l’entretien. D’une manière générale, nous conseillons d’écouter sans tarder l’enregistrement de l’entretien et de noter toutes les informations susceptibles de compléter judicieusement le sens des propos enregistrés, y compris les événements inattendus (interruption de l’entretien suite à un coup de téléphone, à l’irruption d’un tiers etc.) ou les attitudes non verbales. Ces informations complémentaires pourront, le cas échéant, diminuer le risque, lors de l’analyse, d’interpréter faussement ou incomplètement les propos retranscrits.

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réactions, sur ses attitudes, sur sa posture, sur la nature des questions et la manière dont on

pose…), une certaine maturité et… de l’expérience (!).

Enfin, il est important de souligner que le chercheur, ouvert à l’émergence de toutes

données, mêmes totalement imprévisibles, choquantes, déstabilisantes voire contradictoires, doit

pour cela prendre, lors de l’entretien en particulier, une distance franche avec son cadre de

référence théorique ou ses hypothèses ainsi qu’avec ses propres désirs d’entendre ce qu’on est

prêt à entendre, avec ses préjugés ou ses préconceptions.

Desmet et al, 2010, p. 91 : « la notion d’attitude « non directive » peut guider l’enquêteur. Cette expression a été valorisée par Carl Rogers (psychothérapeute américain) et désigne une attitude :

- fondée sur l'empathie : capacité à se mettre à la place de son interlocuteur, à comprendre son point de vue ;

- fondée sur la neutralisation de tout jugement vis-à-vis de la personne interviewée et sur le respect de la personne ;

- fondée sur la neutralisation de tout rapport de domination.

� Mener un entretien, une question de posture

La « posture » que vous adopterez est également importante. Le chercheur doit y réfléchir

et se positionner, en tant qu’interlocuteur et acteur de l’entretien, par rapport à différentes

postures possibles. Ainsi, il serait dommageable d’adopter l’une des postures suivantes :

• Je suis le chercheur « scientifique » qui « sait » et qui « interroge »

• Je suis un confident et ami

• Je suis un auditeur indifférent, relativement passif

La posture conseillée peut s’inspirer de celle qui est préconisée par Desmet et al (2010,

p. 91) dans le cours de licence, une posture marquée par une « neutralité bienveillante » car,

poursuivent les auteurs, « nous ne sommes pas dans le cadre d’une interview journalistique et le

but n’est pas de confronter son point de vue à celui de la personne mais de l’aider à formuler le

sien dans ses différentes dimensions ».

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� Mener un entretien, un savoir technique : la question des relances

Mener un entretien, en particulier un entretien semi-directif, demande, à l’instar d’une

conversation, de « relancer » son interlocuteur. Différentes possibilités s’offrent au chercheur à

cet égard :

• Reformuler les propos qui viennent d’être tenus (de manière impersonnelle) ;

• Résumer (faire le point et des synthèses partielles) et, à partir de là, susciter des

opinions, des impressions, des questions (à renvoyer en miroir).

En veillant à :

• se garder de toute orientation, déformation ou interprétation abusive ;

• utiliser des questions ouvertes et larges qui laissent l’interlocuteur libre de répondre ou

non, de développer sa réponse à son rythme, dans le sens où il le souhaite. A ce titre,

les questions-relances sont très souvent imaginées et produites par l’enquêteur au « fil

de l’eau », en fonction de l’évolution des échanges.

En évitant de poser :

• des questions fermées qui réduirait la richesse des réponses (le questionnaire est plus

approprié en pareille circonstance) et qui, en outre, pourrait donner l’impression d’être

soumis à un interrogatoire susceptible de provoquer une certaine frustration chez les

répondant, ainsi empêché d’exprimer pleinement son opinion ou sa version des faits (la

réalité se réduit rarement à une réponse succincte) ;

• des questions inductrices (qui conduisent à un type de réponses) ;

• des questions qui risquent de provoquer, en réponse, une auto-justification stérile (e.g.

« Qu’est-ce qui vous a empêché de… » ; « Pourquoi n’avez-vous pas… »). D’une part,

ce type de question est hors de propos dans un entretien de recherche et, d’autre part,

ces questions risquent de malmener le sujet (on le place en position basse, voire en

situation d’échec) et, ainsi, d’affecter le climat bienveillant et ouvert nécessaire au

dévoilement d’un soi authentique ;

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14

• des questions par trop intrusives qui pourraient également malmener l’interlocuteur et

le placer dans une situation, inconfortable, à l’occasion de laquelle le répondant devrait

développer une stratégie destinée à protéger sa sphère privée : évitement (silence

embarrassé, changement de sujet…) ou refus de répondre.

Pour rappel, voici une version adaptée et complétée (cf. Blanchet, 1989) du tableau proposé

dans le cours de licence, synthétisant les différentes possibilités de relance.

Type de relance Principe Visée

Résumé Acquiescement et reformulation des propos sous forme de résumé

Soutien

« Écho » ou « réitération référentielle » Reprise fidèle d’un propos

Reprise d'une phrase ou d'un mot-clé du lexique de l'interviewé

Approfondissement

« Reflet » ou « réitération modale » à « réitération interprétative » Reformulation interprétative d’un propos

Proposition d'interprétation de ce qui a été dit, proposition qui pourra être confirmée, approfondie ou infirmée par le répondant

Approfondissement

Tableau x : Techniques de relance (adapté de Desmet et al, 2010, p. 93)

Blanchet (1989, p. 372-373)6 présente, en guise d’illustration des catégories de relance,

l’exemple suivant :

Soit le discours suivant tenu par un interviewé (Ié) sur le thème des « mères porteuses » et

différentes interventions faites par l'interviewer (Ir) :

Ié : « Bon, je sais pas si une femme peut faire un enfant comme ça... puis bon, c'est, c'est,

moi je vois que ça pose beaucoup de problèmes psychologiques. Puis bon, la conception qu'est-ce

que c'est quoi de faire un enfant ? Alors puis le respect de la vie. »

(1) Relance de type « écho », encore appelé « réitérations référentielles »

6 Blanchet, A., (1989). Les relances de l’interviewer dans l’entretien de recherche : leurs effets sur la modalisation et la

déictisation du discours de l’interviewé, L’année psychologique, Vol. 89, n°3, pp. 367-391. Disponible en ligne : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/psy_0003-5033_1989_num_89_3_29351 [Consulté le 11 juillet 2012] doi : 10.3406/psy.1989.29351

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Ir : « Ça pose des problèmes psychologiques »

(2) Relance de type « reflet », encore appelé « réitération interprétative »)

Ir : « Vous pensez que ça pose des problèmes psychologiques »

(3) Relance de type « reflet », encore appelé ou « réitérations référentielles »

Ir : « Cette pratique remet les choses en cause »

(4) Interprétation

Ir : « Vous êtes réticente à l'égard de cette pratique »

(5) Interrogation référentielle

Ir : « Est-ce que cette pratique remet les choses en cause ? »

(6) Interrogation modale

Ir : « Est-ce que vous êtes réticente à l'égard de cette pratique ? »

� Remarques

Le rythme des questions n’est pas non plus sans effet. Ainsi, le « mitraillage » de questions

peut générer un blocage, donner l’impression au répondant d’être soumis à un interrogatoire et

produire en fin de compte les mêmes effets que l’usage de questions fermées (à l’instar d’un

entretien directif ou d’un questionnaire).

Lorsque le sujet interrogé vous pose une question, ne répondez pas trop vite à la question,

vous risqueriez d’adopter la position de « celui qui sait ». C’est aussi prendre le risque de ne pas

« entendre » le sens sous-jacent dont la question est porteuse. Il peut effet s’agir en définitive

d’une attente de réassurance, d’approbation, de soutien à une position avancée par le répondant.

Nombre de questions sont ainsi porteuses de demandes, d’attentes plus ou moins inconscientes

chez celui qui pose la question. Y répondre de manière inappropriée présente le risque

d’influencer la suite des échanges et, ainsi, de biaiser les réponses.

L’entretien est loin d’être aisé dans la mesure où un entretien bien mené exige une écoute

attentive, réceptive et bienveillante. La difficulté de l’écoute est due en particulier à la difficulté

de se décentrer, de lever ses résistances face à l’altérité (à la différence que représente l’autre),

d’accepter la remise en cause que le discours de l’autre provoque inévitablement dans ses propres

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valeurs, ses convictions, ses représentations, ses conceptions ou… ses attentes en termes de

recherche ! Ainsi, le souci légitime du chercheur de disposer d'informations exploitables à l'issue

de l'entretien (comprenez en résonnance avec sa problématique au sens large) doit l'amener à

anticiper les risques incontournables liés aux biais de l'interaction subjective (cf. supra) qu'il va

engager avec l'interviewé.

� Les conditions matérielles de la passation d’un entretien

Le chercheur veillera à assurer des conditions et des modalités qui conviennent à un

échange optimal. Un local accueillant, intime et protégé des perturbations extérieures est souvent

préférable à un lieu exposé et froid. La disposition des chaises doit également être réfléchie de

manière à mettre le répondant à l’aise et assurer un échange qui se déroule en toute confiance tout

en évitant une proximité trop importante.

� Le cas particulier de l’entretien de groupe

La technique de l’entretien peut également s’appliquer à un groupe de personnes.

L’entretien de groupe (ou « focus group ») est un entretien collectif centré sur un sujet déterminé

par le chercheur. Sa conduite est plus délicate que celle d’un entretien individuel. Ainsi, en plus

des multiples contraintes et difficultés qui se présentent au chercheur dans la conduite d’un

entretien individuel, l’enquêteur devra assurer la « gestion » du groupe, par exemple pour garantir

un espace de parole suffisant à chacun des participants.

Pour permettre à chacun de s’exprimer, il est d’usage de réunir un petit nombre de

personnes (deux à cinq environ) qui partagent (ou non) une expérience ou une vision commune

du phénomène étudié. Il est recommandé de veiller à préserver une certaine homogénéité de

statut, de niveau hiérarchique entre les participants si l’on désire favoriser un échange libre et non

contraint des propos de chacun.

Le discours produit dans un groupe est une parole collective. Il ne représente nullement la

somme des propos produits par chacun et ne peut, à ce titre, être comparé strictement aux

réponses fournies à l’occasion d’un entretien individuel. La présence émulatrice ou, au contraire,

inhibitrice, la confrontation aux idées et à la personnalité des « autres » déterminent directement

les propos de celui qui intervient. Le discours produit est un objet qui devra être analysé et

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interprété comme tel, à savoir comme un objet collectif (le sujet devient le

« groupe d’individus », non pas « les » individus).

L’entretien de groupe peut se révéler particulièrement utile lors d’une enquête

exploratoire de manière à faire émerger des pistes de recherche qui seront explorées plus

systématiquement lors d’une phase ultérieure.

A l’inverse, un entretien de groupe peut également intervenir à l’issue d’une première

phase de la recherche afin de préciser, affiner ou tester des tendances qui auraient été dégagées à

partir d’entretiens individuels ou de questionnaires. Dans le même ordre d’idées, l’entretien de

groupe peut également intervenir pour éclairer l’analyse d’une enquête, les participants étant

invités à réagir aux résultats que le chercheur aurait dégagés d’une enquête préalable.

� L’entretien biographique, le récit de vie

Le récit de vie a pour but d’aborder les thèmes de la recherche par le biais de séquences

temporelles de la vie narrées par l’individu. Selon Bertaux (2010, p.35)7, « il y a du récit de vie

dès lors qu’un sujet raconte à quelqu’un d’autre, chercheur ou pas, un épisode quelconque de son

expérience vécue ». Le genre du discours produit par le sujet est donc essentiellement narratif. En

effet, ce type d’entretien ne vise pas à produire un discours qui tend à défendre une position, à

justifier un choix ou une conduite (genre argumentatif) mais à « raconter » un épisode vécu

(genre narratif).

Par la confrontation de différents récits de vie d’une même situation sociale qui traduisent

chacune « une » expérience directe et singulière, le chercheur tente de dépasser la singularité de

chaque récit pour construire une représentation collective de certaines composantes sociales de la

situation vécue.

Le récit de vie amène ainsi le sujet à porter un regard rétrospectif et subjectif sur un épisode

ou des épisodes, plus ou moins éloignés, de sa vie. Cette construction a posteriori présentée sous

la forme narrative d’une histoire conduit l’auteur du récit à aménager les événements de telle

façon à lui assurer la cohérence nécessaire à sa bonne compréhension, de même qu’à lisser,

masquer ou maquiller les épisodes dont, consciemment ou non, il ne veut pas « entendre parler ».

Cet aspect particulier au récit de vie amène des auteurs comme Bertaux (1976, cité par Bertaux,

7 Bertaux, D. (2010). Le récit de vie, 3ème édition, Paris : Armand Colin

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2010) ou Bourdieu (1986) à parler de « biographie idéologique » pour le premier, ou d’« illusion

biographique » pour le second. Ces deux propositions soulignent à la fois le caractère subjectif

(i.e. propre au sujet) du récit de vie et le travail de mise en cohérence (de construction narrative)

réalisé par le sujet se racontant au dépend souvent de la « réalité objective ».

o L’utilisation de l’entretien non directif dans le cadre du récit de vie

Rappel du cours de licence Forse (Desmet et al, 2010, p. 86) :

Le récit de vie est une forme d’entretien se caractérisant par une exploration rétrospective de la personne sur elle-même d’un aspect particulier de sa vie en relation aux autres aspects de sa vie (professionnelle, familiale etc.). Les récits de vie se situent dans une approche biographique et sont très utilisés aujourd'hui dans la recherche en sciences sociales et dans la recherche en éducation. Leur usage s’est développé dans la lignée des recherches de type ethnographique (particulièrement dans les années 1920 sous l'influence de l'école de Chicago pour l'étude des milieux marginaux et de la pauvreté)

Leur principe de base est de partir de l’individu et de son discours, donc de sa subjectivité. Ce n’est pas une simple technique de recherche mais bel et bien une approche complète et globale. Ils peuvent constituer un mode de réponse aux questionnements identitaires induits par les mutations sociales et en ce sens sont de plus en plus fréquemment utilisés car ils permettent d’accéder à la dimension existentielle et sociale de l'expérience individuelle et produisent des connaissances sur un groupe social à travers l'expérience d'un de ses membres.

La démarche de mise en œuvre est plus ou moins standardisée : plusieurs séquences espacées dans le temps, d'une durée qui dépend des contraintes de chacun sont souvent nécessaires. Cet espacement constitue également un temps de maturation et la durée globale de l’addition des entretiens peut avoisiner la dizaine d’heures.

L’entretien ne se limite pas à quelques aspects de la vie de l’individu mais vise à comprendre sa trajectoire, les différentes dimensions de la construction de sa vie expliquant sa situation actuelle.

Afin de permettre à la personne de revenir sur les différents aspects de sa vie, le dispositif de recherche nécessite un protocole assez lourd avec une multiplication de séquences d’entretien. Par ailleurs, cette technique engage particulièrement l’interviewé et nécessite chez l’intervieweur une grande sensibilité et une pratique importante de l’entretien clinique.

Par contre, ce dispositif permet de bien saisir le sens que les acteurs donnent à leurs pratiques dans différents contextes et de mettre en évidence les articulations entre histoire personnelle et histoire sociale, déterminants sociologiques et psychologiques.

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Exemple de question posée par le chercheur : « Je souhaiterais que vous me parliez de votre parcours scolaire et de ce que cela a représenté pour vous »

o Illustration d’un récit de vie (transcription)

Extrait de Balazs, G. (1993). La réhabilitation. In P. Bourdieu (coord.) La misère du monde. Paris : Éditions du Seuil, p. 196

- Vous êtes arrivés les premiers ici, c’est pour ça, vous vous connaissez mieux. - M. Hocine : Oui, les premiers. Il y avait une bonne ambiance, (...) « tu as un

problème, je suis là », vous voyez ? - Tout le monde se rendait des services aussi ? - M. Hocine : Voilà. Tout le monde se rendait des services. Et puis après, je sais

pas ce qui est arrive, bon ; ça a commencé à partir, les Français, on mettait des Arabes, c’est-a-dire de race, de ma race, et attendez, on va revenir sur ça, pour les ghettos, parce que ce n’est pas nous, les ghettos ; c’est pas nous qu’on a crée les ghettos. C’est le gouvernement premièrement, la préfecture, la société qui nous loge, et la mairie, j’ai discuté avec le maire [communiste], ce n’est pas lui, ca ne vient pas de lui, ça vient de la société.

- Les Français ont commencé à partir plus tard ? - M. Hocine : A partir, oui, à partir. Il y a des immigrés, Arabes qui ont préféré

acheter et je ne sais pas, franchement, si j’avais su... parce que écoutez, on peut pas prévoir l’avenir, si je prévois l’avenir, que demain je vais mourir, à quoi ça sert de batailler ou de travailler ou de faire ceci, ou... non. Non, moi j’ai dit « je vais passer encore cinq ans ici, et je vais repartir chez moi ». Autrement j’aurais dû acheter comme les autres.

- Ils ont acheté ? Ceux qui sont partis, c`était pour acheter des pavillons, des appartements. ..

- M. Hocine : Pour acheter des villas. Des villas. Et ça a commencé à partir, à partir, taf ! On remplace par des compatriotes, par des Asiatiques, après des Vietnamiens. Ca commence déjà à... à pourrir. Ce n’est plus la même, ce n’est plus la même.

- Il n’y avait plus le même esprit entre vous, la même solidarité ? - …

2. Préparer l’entretien, le « guide d’entretien »

Comme le précise Desmet et al (2010, p. 91), « la bonne préparation de la rencontre est une

des conditions importantes de la réussite de l’entretien ». Le guide permet avant tout de préparer

l’entretien. Voici un exemple de guide d’entretien semi-directif – préparé par des étudiants de

Master 1 en sciences de l’éducation – destiné à recueillir des informations en relation à la

pratique d’évaluation en classe auprès d’enseignants de CM1.

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Exemple de grille d'entretien semi-directif « Influence des modalités d'évaluation sur la construction du sentiment d'auto-efficacité des

élèves en rédaction, en classe de CM1 »

Renseignements généraux sur le

répondant

Ces informations, de nature administrative, seront recueillies en dehors de l’entretien de manière à ne pas altérer le climat relationnel. - nom, prénom - âge - ancienneté - formation(s) récente(s) sur l'évaluation ou autre sujet - expériences complémentaires - type de classe et de groupe scolaire (ZEP, élèves favorisés)

Contexte Grille d'entretien auprès de deux enseignants en CM1, dont les élèves ont renseigné un questionnaire sur leur sentiment d'auto-efficacité en rédaction.

Objectifs

Les questions suivantes visent à recueillir les éléments qui, après analyse, permettront de mieux comprendre l'effet éventuel des pratiques évaluatives sur le sentiment d'auto-efficacité des élèves en rédaction.

Informations transmises, par

l’enquêteur, avant le début de l'entretien

- présentation du cadre institutionnel de l'étude - présentation générale du sujet d'étude, sans précisions sur le cadre

théorique, la question de recherche ou l'hypothèse adoptés - rappel du respect de l’anonymat - demande d'autorisation d'enregistrement après explications sur le

traitement des données

Thématiques abordées et

prolongement possible

Pouvez-vous présenter rapidement la manière dont se déroule le travail en rédaction dans votre classe ?

Comment se déroule l'évaluation du travail de vos élèves ?

Prolongement possible : Y a-t-il une forme d'évaluation avant le contrôle final de la séquence ?

D’après vous, comment les élèves vivent-ils ces moments de rédaction ? Quel regard portent-ils sur la rédaction, d’une manière générale ?

Prolongement possible : Sont-ils motivés ? Aiment-ils ? Sont-ils à l’aise ? Sont-ils « bons » en rédaction ?

D’après vous, comment peut-on aider les élèves à se sentir performants en rédaction ?

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Prolongement possible : Pensez-vous que la manière d'évaluer le travail des élèves influence leur motivation en rédaction ?

Tableau x : Exemple d’un guide d’entretien semi-directif adapté de Auzas, B. & Rosso, S. (2011). Sentiment d'auto-efficacité et pratiques évaluatives en rédaction, Travail collaboratif, Lyon : FORSE, pp. 41

! L’exemple présenté ci-avant correspond à un entretien semi-directif. Dans un

entretien non directif (ou « libre »), le chercheur peut se dispenser de la rédaction

d’un guide aussi détaillé et structuré. Par contre, il peut s’avérer utile de disposer,

au moment de l’entretien libre, des informations déjà en sa possession ce qui

permettra, le cas échéant, d’alimenter les échanges à partir des données issues

d’autres sources (documents internes par exemples) ou recueillies auprès d’autres

informateurs. C’est, en effet, souvent par la confrontation des informations

progressivement construites que le chercheur avance dans la compréhension de son

terrain. A l’inverse, dans un entretien directif, le guide devra gagner encore en

précision dans la mesure où cette technique amène à poser des questions très

précises, semblables à celles que l’on pourrait concevoir dans un questionnaire. En

somme, le guide est d’autant plus élaboré, structuré et détaillé que l’entretien est de

type structuré et que, de manière relativement liée, le chercheur est « avancé » dans

sa connaissance du terrain, et dans sa recherche.

Voici quelques éléments à garder à l’esprit lors de la préparation et la conduite d’un

entretien :

• Présentez-vous, vous et votre but de recherche.

• Faites connaissance, gagnez la confiance, établissez un climat favorable (ne démarrez

pas trop vite pas des questions abruptes).

• Dans un entretien non ou semi directif, suivez de grands axes, de grands points à

aborder (un « fil » directeur) et évitez dans la mesure du possible le jeu des questions-

réponses.

• Les questions devraient être précisément posées mais cependant ouvertes au dialogue,

à l’échange (dans tous les sens du terme).

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• Ne lisez pas votre guide, il vous sert avant tout à préparer l’entretien. Mémorisez plutôt

les questions. Le cas échéant, utilisez ce guide comme aide-mémoire.

• Même si l’entretien n’est pas enregistré, ne prenez que des notes jugées importantes.

Cette façon de faire vous permettra de porter toute votre attention au déroulement de

l’entretien. Si l’entretien n’est pas enregistré, cette position exigera que vous

complétiez vos notes rapidement après l’entretien.

3. Analyser l’entretien : Cadre théorique

� Tenir compte de la composante relationnelle : La face et le territoire

L’entretien est une interaction sociale qui met en scène au moins deux individus et qui

présente la particularité, tout comme l’interview journalistique, de placer l’un des acteurs, le

« répondant », sous la lumière crue des projecteurs (avec un risque, mal vécu, de « mise à nu »).

L’image (ou la « face », voir ci-après) que ce dernier tient à préserver, pour soi et pour les autres,

est pleinement exposée – et donc potentiellement menacée – lors d’une telle séance de questions-

réponses.

Cette partie est destinée à vous sensibiliser à l’importance de la composante relationnelle

du discours qui se développera durant l’entretien mais également à mieux vous outiller en vue de

l’analyse de la transcription (votre « corpus » d’analyse). Elle vous aidera à distinguer la

composante relationnelle présente dans tout échange social, de la composante informationnelle8

(le « contenu ») d’une intervention verbal. Comme votre objectif d’analyse portera le plus

souvent sur le sens des interventions, vous accorderez souvent une attention première au contenu

auquel vous attacherez un sens (travail d’interprétation), à la lumière : 1) du cotexte (ce qui a été

dit avant et après le noyau de sens, 2) du contexte (référence à la situation, aux autres acteurs, à

l’institution… que vous apprendrez à connaître et qui complète le sens du propos de l’interviewé,

voir plus loin, l’anecdote de la flotte américaine) et 3) la manière dont ce contenu est véhiculé (la

composante relationnelle). Tous ces éléments sont nécessaires à l’attribution d’un sens à

l’élément analysé, élément que l’on nommera « noyau de sens ». L’affection d’un sens à ce

noyau constitue le travail d’interprétation.

8 On inclura, dans cette composante informationnelle, les composantes affective et émotionnelle

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o Ménager les faces

Erving Goffman, dans le chapitre « Perdre la face ou faire bonne figure, analyse des

éléments rituels inhérents aux interactions sociales » de son célèbre ouvrage sur les rites

d’interaction (1967/1974)9 définit la « face » comme « la valeur sociale positive qu’une personne

revendique effectivement à travers la ligne d’actions que les autres supposent qu’elle a adoptée

au cours d’un contact particulier (Goffman, 1967/1974, p. 9).

Autrement dit, la face est l’image du moi rendue aux autres selon les codes culturels en

vigueur lors de l’interaction : i) telle qu’on la construite pour l’autre, ii) telle que l’autre

l’interprète, iii) telle que ce dernier nous la renvoie et, enfin iv) telle qu’on interprète cette

dernière image. La face désigne donc également l’interprétation de l’image (de soi) qui nous est

renvoyé par l’autre et qui fait écho à celle que l’on possède (de soi) et/ou que l’on désire

transmettre à son interlocuteur.

Lors d’un contact interpersonnel, chacun d’entre nous est ainsi mû par cette énergie –

d’intensité fortement variable selon le type de relation et de situation – qui consiste à la fois à

« faire bonne figure » (cf. l’expression « Perdre la face » vs « Sauver la face ») et à préserver –

voire à améliorer – l’image qui nous est rendue par les autres et, ainsi, à consolider – ou à

améliorer – l’image que l’on a de soi.

L’entretien ne fait pas exception à cette règle générale. Bien au contraire, à l’inverse d’une

situation interactive informelle (relation amicale, familiale, amoureuse) à l’occasion de laquelle

les participants en confiance peuvent, dans un cas favorable, se dispenser d’une dépense

cognitive importante, il est très fréquent que l’entretien, même sous des dehors cordiaux, entraîne

les acteurs à dépenser une énergie non négligeable de façon à ménager les faces en présence.

Par ailleurs, l’attachement fort que l’on porte à sa face et les risques subséquents de « se

trahir » ou d’être « démasqué » expliquent, en partie, selon Goffman (1967/1974, p. 10) la raison

pour laquelle les contacts avec les autres constituent un véritable engagement de la part de

chacune des parties en présence. La rencontre particulière que représente un entretien demande à

ce titre un réel engagement du « répondant » et une prise de risque non négligeable.

9 Goffman, E. (1967/1974). Les rites d’interaction, Paris : Les Éditions de Minuit

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24

Si l’image de soi renvoyée par l’autre est consistante avec celle que l’on possède ou que

l’on veut communiquer – voire si cette image miroir est plus favorable que la représentation que

l’on en a – nous avons tendance à poursuivre l’échange sans autre forme de procès (« tout se

passe bien »). Si, par contre, nous ne parvenons pas à nous présenter, verbalement par exemple,

sous des atours adéquats, nous pouvons nous sentir diminué et en état de faiblesse. Dans une telle

situation et dans la mesure où les personnes en présence tiennent à « réparer » le dommage ainsi

causé (ce qui fait l’objet d’un contrat de coopération interactionnelle implicite), différents

mécanismes interactionnels pourront être adoptés, non seulement par celui qui se sent perdre la

face mais également par celui qui s’en sent responsable ou, du moins, qui se sent impliqué dans

cette œuvre réparatrice.

En définitive, lors d’une rencontre « chacun tend à se conduire de façon à garder aussi bien

sa propre face que celles des autres participants » (Goffman, 1937/1974, p. 14), ce qui conduit à

proposer un principe social que les interlocuteurs sont sensés adopter lorsqu’ils désirent conduire

un échange harmonieux : « Ménagez-vous les uns les autres » (Goffman, 1974, cité par Kerbrat-

Orecchioni, 2001, p. 73).

o Ménager les territoires

Il en est ainsi autant pour la « face » des interlocuteurs dont on vient de souligner

l’importance mais également pour leur « territoire », concept proposé par Goffman également et

développé par la suite par Brown & Levinson (1987)10 ainsi que par Kerbrat-Orecchioni (1992,

2001).

» La notion de « territoire » (Goffman, 1967/1974, relayé par Kerbrat-Orecchioni, 2001)

englobe le territoire corporel ou spatial (ma bulle, ma place, mon chez moi…), le

territoire temporel (le contrôle de mon temps de loisir, de travail…, mon temps de

parole…), les biens personnels qu’ils soient matériels (mon bureau, mon pote, ma

voiture, mon mec…), cognitifs ou affectifs (mes secrets, mes pensées, mes

sentiments…). A ces formes de territoires, nous pouvons inclure la place à laquelle

l’interlocuteur se sent en légitimité de prétendre ainsi que les prérogatives que l’individu

estime dues eu égard à son rang (famille, grade hiérarchique…) ou à son statut social.

10 Brown, P. & Levinson, P. (1987). Politeness. Some universal in langage use, Cambridge : CUP.

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o Les actes potentiellement menaçant ou « Face Threatening Acts » (FTA)

Or, écrit Kerbrat- Orecchioni dans « Les actes de langage dans le discours » (2001, p.72)11,

ce désir de face et de territoire est souvent mis à mal lors des contacts sociaux car la plupart des

actes, verbaux généralement mais aussi quelques fois non verbaux, sont très souvent

potentiellement menaçants pour la face d’un des interactants. A ce titre, les auteurs parlent

d’actes potentiellement menaçants (pour la face et le territoire ou, en anglais, FTA pour « Face

Threatening Act », au sens général, le terme « face » englobe la face et le territoire).

Brown et Levinson, 1987, cités par Kerbrat Orrechoni (1992)12, proposent de classer les

FTA comme suit :

1. Les actes menaçant son propre « territoire » : offre, promesse…

2. Les actes menaçant sa propre « face » : aveu, excuse, autocritique…

3. Les actes menaçant le territoire de l’autre : l’interruption (couper la parole, intervenir

physiquement ou verbalement lorsque l’autre est occupé…), l’intrusion (entrer dans

l’intimité, dans un bureau…), les questions indiscrètes (notons que, d’une manière

générale, toutes les questions sont potentiellement menaçantes soit pour le territoire

soit pour la face), les demandes (ou « requêtes ») pouvant éventuellement limiter la

liberté d’action et, enfin, tous les actes directifs, c'est-à-dire les interdictions, les

suggestions, les conseils etc.

4. Les actes menaçant la face de l’autre : relativiser ou mettre en doute la vraisemblance,

la pertinence, la force... des propos tenus, voire critiquer, réfuter, nier ces propos et,

derrière ces actes, négliger, diminuer, rabaisser… directement l’autre. Font également

partie de cette catégorie, cela va sans dire, les insultes ou les moqueries.

Ainsi, par exemple :

i) la requête menace le « territoire » de l’autre en cela qu’elle s’immisce dans sa sphère

personnelle (on intervient dans la libre gestion de son temps, de ses activités etc.)

11 Kerbrat-Orecchioni, C. (2001), Les actes de langage dans le discours, Théories et fonctionnement, Paris : Armand Colin 12 Kerbrat-Orecchioni, C. (1992). Les interactions verbales (Vol. II). Paris: A. Colin.

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- en l’acceptant, le « demandé » devient « promettant » et se contraint à répondre adéquatement à la demande, ce qui constitue une menace pour sa face avec le risque de ne pas se montrer « à la hauteur » des attentes du demandeur ;

- en la refusant, le « demandé » prend la responsabilité de menacer directement la face du demandeur. Lors de la formulation de la requête, celle-ci représente donc un acte qui menace la face du requérant.

ii) la critique menace bien entendu directement la face du critiqué ;

iii) la promesse menace son propre territoire dès lors que l’on empiète sur sa sphère

personnelle par des actes qui nous engagent, en tant que « promettant », à l’avenir ;

iv) l’ aveu menace sa propre face (on admet, on dévoile une faiblesse, une faille de sa

face).

o Le travail de figuration ou « face-work »

L’interaction demande ainsi un véritable travail de « figuration » (face-work) qui entend

ménager l’ensemble des participants. Ce travail énonciatif fait intervenir un nombre

potentiellement important de stratégies destinées à assurer l’harmonie de l’interaction. Le

chercheur doit en être conscient lors de l’entretien d’abord mais également durant l’analyse à

laquelle il procèdera par la suite.

» Par figuration (face-work) j’entends désigner tout ce qu’entreprend une personne pour

que ses actions ne fassent perdre la face à personne (y compris elle-même) (Goffman,

1967/1974, p. 15)

Lorsque les interactants ont la volonté de soigner les échanges dans un souci de coopération

interactionnelle, ce qui n’est évidemment pas toujours le cas, les participants disposent de

différents moyens, soit d’éviter l’acte potentiellement menaçant FTA, soit de l’adoucir, soit de le

réparer après-coup si la menace s’est effectivement réalisée.

Suite aux propositions de Goffman (1967/1974), de Brown & Levinson (1987) et de

Kerbrat-Orecchioni (1992, 2001) qui ont chacun travaillé sur la description et l’analyse de ces

stratégies fortement ritualisées, il semble possible d’en dégager différents types : l’évitement pur

et simple de l’acte potentiellement menaçant, l’adoucissement de la menace potentiellement

contenue dans l’acte et, dans le cas d’une menace effectivement réalisée, la tentative de

réparation de l’« offense » commise.

Page 28: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

27

L’ évitement du FTA

Mesure radicale s’il en est, mais néanmoins courante, l’évitement revient à contrer la

menace par l’omission de l’acte (par exemple « en faisant comme si de rien n’était » pour éviter

de réagir par un propos qui risquerait de « faire déraper » l’échange), ou par son abstention pure

et simple (le silence en réponse à une question ou à une « pique », une non demande qui revient à

abandonner ou à postposer une requête). On peut également tenter de changer de sujet ce qui

revient à s’abstenir d’alimenter un sujet devenu dangereux. Goffman identifie de nombreuses

stratégies de son côté, parmi lesquelles on relèvera un procédé que l’on pourrait qualifier

d’attentiste qui consiste à dissimuler « ses sentiments tant que l’on ne sait pas quelle ligne

d’actions les autres sont prêts à accepter » (Goffman, 1967/1974, p. 18) ; et un procédé que l’on

pourrait inclure dans les omissions au cours duquel « on laisse inexprimés les faits qui pourraient,

implicitement ou explicitement, contredire ou gêner les prétentions des autres » (ibid.). L’auteur

inclut également dans la catégorie des évitements l’humour car elle laisse la possibilité à la cible

de la plaisanterie « d’adopter la ligne du beau joueur qui sait relâcher pour un temps ses idéaux

d’honneur et de fierté » (op. cit. p. 19). Nous dirions également que cette habillage humoristique

permet de protéger l’auteur qui souhaitait critiquer son interlocuteur contre un éventuel retour de

flamme en se plaçant derrière une finalité exclusivement humoristique de son « trait » (Mais c’est

pour rire !! Tu n’as aucun humour !). Au niveau non verbal, relayons à titre purement illustratif la

situation que nous avons tous vécu : face à un comportement embarrassant pour son auteur il est

d’usage de l’ignorer, d’un commun accord. Goffman qualifie ce procédé d’« inattention

calculée » et cite l’exemple classique des gargouillis d’estomac que le responsable et son

entourage feignent d’ignorer ou de celui, non moins célèbre, de quelqu’un qui trébuche, se

redresse comme s’il ne s’était rien passé mais évoque aussi une anecdote plus cocasse : « Dans

les parades militaires, l’étiquette exige souvent que celui qui s’évanouit soit traité comme

inexistant » (op. cit., p. 20).

L’ adoucissement du FTA

Kerbrat-Orecchioni (2001, p. 75) se demande « pourquoi diable se donne-t-on la peine de

dire « Est-ce que tu pourrais fermer la fenêtre s’il te plaît ? » alors que « Ferme la fenêtre ! »

ferait tout aussi bien l’affaire, et à moindre frais ? » et l’auteure répond « C’est évidemment parce

que l’ordre semble coercitif lorsqu’il s’énonce d’une question ».

Page 29: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

28

Une demande, telle que celle présentée par l’auteure, peut être interprétée par celui qui est

interpellé de multiples façons, comme : un ordre, une supplique, une requête, une demande, une

proposition ou une suggestion, voire une offre. Nous savons que nous n’allons pas réagir de la

même manière selon le « contenu » de la demande (passer le sel ne nous engage pas autant

qu’une demande en mariage) mais également selon la « forme » que prendra la demande. Si elle

passe pour un ordre, cela peut la rendre hautement désagréable, et pour une supplique, paraître

déplacée, alors que si, comme dans la question, la demande nous offre une apparente liberté de

réponse, elle sera probablement mieux accueillie.

C’est le rôle des adoucisseurs d’atténuer la charge menaçante de l’acte (FTA). Il s’agit

souvent, comme dans l’exemple cité ci-avant, d’adoucir une requête.

Comme l’écrit joliment Kerbrat-Orecchioni (2002, p. 3)13 les adoucisseurs « que la langue

met généreusement à notre disposition, afin que nous puissions « polir » les arêtes sinon trop

acérées des FTAs que nous sommes amenés à commettre, les rendant ainsi moins blessants pour

les faces délicates de nos partenaires d’interaction ».

Parmi les adoucisseurs verbaux, l’auteur (2001) distinguent les préliminaires (Tu as un

moment ? Tu peux me rendre un service ? Je peux te dire un truc ?)14 ; les minimisateurs (Je

voulais simplement te dire que… ; Juste une question/une remarque… ; J’ai une petite question à

te poser…) ; les désarmeurs (Je sais que tu n’aimes pas qu’on te dérange mais…) ; les

amadoueurs (Sois gentil apporte-moi quelque chose à boire ; Toi qui prends si bien les notes,

peux-tu me passer les tiennes ; Donne-moi ton stylo, mon ange). On peut y inclure également les

formes conditionnelles et interrogatives sous lesquelles se présente fréquemment la requête qui

autrement apparaîtrait trop brusque, voire inconvenante. Il en va ainsi de la demande classique

« Tu pourrais me prêter ton stylo ? » au lieu de la forme épurée « Prête-moi ton stylo ».

La réparation du FTA

La réparation suit un FTA dont la menace est effectivement accomplie (dans le sens de

« réalisée »). Selon Goffman (1967/1974, p. 21-22), elle se produit généralement selon un

procédé rituel en plusieurs mouvements (ou « tours de parole »). L’exemple le plus simple est la

13 Kerbrat-Orecchioni, C. (2002). Politesse en deçà des Pyrénées, impolitesse au-delà : retour sur la question de l’universalité de

la (théorie de la) politesse, Marges Linguistiques. Disponible en ligne : www.marges-linguistiques.com [Consulté le 18 mars 2006]

14 Tous les exemples sont inspirés à partir de ceux fournis par l’auteure

Page 30: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

29

menace accomplie sur le territoire de l’autre en le bousculant par inadvertance (menace actualisée

sur le territoire spatial et corporel). S’en suit classiquement une offre de réparation (Excusez-moi,

je suis désolé) et une acceptation de l’offre (Ce n’est rien).

Nous présentons, à titre d’illustration, la manière dont Goffman modélise le déroulement

ritualisé d’un échange réparateur en quatre temps. Nous émettons cependant quelques réserves

quant à la capacité de ce modèle de s’appliquer à l’ensemble des situations sociales rencontrées.

Nous pensons en effet que des échanges réparateurs se déroulent bien souvent en trois temps,

comme dans l’exemple précédent (incident, offre de réparation et acceptation). Cette petite

restriction avancée, le modèle de Goffman constitue une illustration intéressante des procédés

énonciatifs, parfois « cognitivement » coûteux, qui sont entrepris pour réparer l’« offense »

perçue par les interactants.

Pour Goffman, l’échange réparateur suit quatre phases.

1) La sommation. L’un des interactants signale, d’une manière ou d’une autre, la « faute »

commise (tu es en retard ; tu trouves donc que je suis trop direct ; Ah bon ?, voire fréquemment

un indice non verbal marquant la surprise, l’étonnement, l’embarras… ou dans l’exemple du

bousculement, le fait lui-même accompagné d’un temps d’arrêt et éventuellement d’un échange

de regard) et les interlocuteurs s’accordent implicitement à la réparer.

2) L’offre de réparation qui conduit l’offenseur à proposer une solution de réparation (rien

de personnel tu sais ; je suis un peu tendu pour l’instant ; c’est juste de l’humour… ou dans notre

exemple, un simple excusez-moi, je suis désolé). Cette phase peut faire l’objet de plusieurs tours

de parole au cours desquels les participants peuvent s’échanger des précisions, des justifications.

3) L’acceptation de l’offre de réparation (bon d’accord ; allez passons ; je vois ce que tu

veux dire etc. Dans notre exemple précédent « Ce n’est rien »).

4) Le remerciement, mouvement final selon Goffman, conduit l’offenseur acquitté à

manifester sa gratitude (absent dans notre exemple, au niveau verbal du moins).

Page 31: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

30

o Une théorie du travail de figuration : la théorie de la « politesse »

Brown & Levinson (1987) qualifient ces stratégies ritualisées de « politesse négative » dans

la mesure où elles sont utilisées pour éviter, adoucir ou réparer un acte qui peut avoir des effets

négatifs pour le déroulement harmonieux de l’échange.

A côté de cette « politesse négative » (actes en relation avec les FTA), Kerbrat-Orecchioni

(1992, 2001) propose d’envisager des actes qui ne constituent pas une menace mais au contraire

ont, pour les faces et les territoires, un effet positif. L’auteure regroupe ces actes sous le terme de

« politesse positive » (ou « anti-FTA »). Ainsi, l’offre d’un présent a pour effet de soigner le

territoire du bénéficiaire (augmentation, enrichissement ou valorisation du territoire) et les

louanges et compliments agissent positivement sur la face (valorisation de la face). Cette

politesse positive vise également à soigner la relation, à garantir l’harmonie de l’échange. Elle

participe de ce fait, tout comme la politesse négative, à répondre au contrat tacite qui lie les

interactants d’un échange qui se veut harmonieux : ménageons-nous autant que possible.

» Notons à l’instar de Kerbrat-Orecchioni, qu’un acte peut entraîner plusieurs effets et

l’auteure de citer l’exemple d’un don. « pour le donateur, il lèse son territoire mais

valorise sa face ; pour le destinataire, il constitue un anti-FTA pour son territoire mais

un FTA pour sa face (dette, être l’obligé de) » (ibid.).

L’exemple ci-dessus illustre le travail d’analyse linguistique qu’un chercheur en sciences

du langage réaliserait à l’occasion d’une recherche qui porterait, par exemple, sur les stratégies

énonciatives ritualisées de politesse (le travail de figuration) dans une situation de transaction

commerciale. Il est destiné à mieux vous faire comprendre, en les illustrant, les concepts qui vous

ont été présentés mais nullement à vous indiquer la manière dont un chercheur en sciences de

l’éducation analyse un tel corpus. En effet, alors que l’intérêt du chercheur porte ici sur les

mécanismes énonciatifs (le fonctionnement du langage en situation) mobilisés par les

interlocuteurs, les analyses que vous mènerez sur vos corpus d’entretien porteront la plupart du

temps sur le contenu des propos tenus, autrement dit sur le sens des messages communiqués.

Page 32: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

31

Interaction Commentaire

1. B madame bonjour ?

- marque de politesse positive (madame bonjour)

- requête indirecte marquée par le point d’interrogation

2. Cl je voudrais un pain aux céréales [s'il vous plait

- adoucisseur de la requête (conditionnel) - suivi d’une marque de politesse positive qui contribue, elle aussi, à adoucir la demande

3. B [oui

Note : le signe « [ » de la transcription indique que la boulangère et la cliente interviennent en même temps sur les segments « s’il vous plaît » et « oui »

4. Cl et une baguette à l’ancienne

5. B

et une baguette (5 sec) (bruit de sac en papier et de caisse enregistreuse) treize soixante-dix s'il vous plait (.) merci (5 sec) vous voulez me donner d’la monnaie?

- 2 marques de politesse positive (s’il vous plait et merci). Elles adoucissent la requête

- Requête de monnaie adoucie par la forme interrogative

6. Cl heu:: vingt centimes c’est tout c'que j'ai

- le « heu :: » marque un embarras convenu (~ je suis désolée) et veut atténuer l’impossibilité de rencontrer la requête (soin apporté à la face de la boulangère)

- Début d’un échange réparateur (la cliente signale qu’elle ne peut répondre à la requête)

- Note le signe « :: » indique un allongement de la voyelle eu (~ Heueueu…). Cette marque est importante ici

7. B heu non ça va pas m’arranger merci (sourire)

- Le « heu » et le sourire sont des marques qui peuvent être considérées comme une première acceptation de l’offre de réparation

8. Cl excusez-moi

- Réitère l’offre de réparation, qui, dans le cas présent, met en jeu sa propre face (je ne suis pas apte à…) et la conduit à adopter une position basse

9. B

oh mais c’est rien j'vais me débrouiller alors sur deux cents francs ça fait cent quatre-vingt-six trente (5 sec) cent cinquante soixante soixante-dix hum quatre-vingt-cinq quatre-vingt-six vingt et trente voilà on y arrive

- Acceptation de l’offre de réparation de la cliente (cf. ci-avant, « excusez-moi » de ne pas pouvoir répondre à votre demande) par de nombreuses marques : « c’est rien », renforcé par « oh mais » et par « j’vais me débrouiller » et, en final, par « voilà on y arrive ».

10. Cl je vous r’mercie - Rituel de clôture de l’échange fortement

Page 33: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

32

11. B c’est moi:: (5 sec) merci madame bon week-end au r'voir

soutenu par un échange de remerciement

12. Cl merci au r'voir Tableau x : Illustration et analyse linguistique d’un échange « de politesse » fortement ritualisé

o Politesse positive et « liance »

Dans ce travail de soin apporté à la qualité de la relation, citons pour terminer les travaux

que nous avons menés avec Monica Masperi sur ce que nous avons intitulé la « liance » de la

relation, à savoir « les stratégies énonciatives ciblées sur la relation, mises en œuvre afin de

soigner la qualité des liens entre les interlocuteurs » (Quintin & Masperi, 2011, § 21)15 présentée

en contraste avec la notion d’alliance convoquée dans un apprentissage de type collaboratif,

alliance entendue comme l’ensemble des « procédures énonciatives de type collaboratif, qui ne

visent pas, quant à elles, directement la qualité de la relation (la chaleur, l'intimité, les

émotions…), mais à établir et à conforter le contrat d'association - l'alliance - entre les co-actants

en vue de la réalisation du travail commun » (ibid.).

Les marques de liance se composent selon nous « d'énoncés dit "hypocoristiques", à savoir

manifestement affectueux (étymologiquement "caressants"). Ces énoncés hypocoristiques

« révèlent l'effort énonciatif consenti par le locuteur pour soigner la qualité de sa relation à

l'autre » (op. cit., § 40). On y retrouve, dans le corpus étudié, des appellatifs « diminutifs du

prénom » (Tony, Babette…) et les « actes expressifs centrés sur l’expression des ressentis, états

d’âmes et attitudes de l’émetteur » (op. cit., § 42-43) (je vous embrasse, coucou les filles, super

cool, bien vu, suis content, très chouette, yeahh, ne t’inquiète pas etc.).

Le concept de liance peut, nous semble-t-il, être clairement mis en relation avec la notion

de politesse positive proposée par Kerbrat-Orecchioni, dans la mesure où son rôle est d’assurer

l’harmonie des échanges par des actes de paroles à caractère positif (dont l’effet apparent revient

à soigner l’autre, en l’absence de toute menace).

15 Quintin, J.-J., Masperi, M. (2010). Reliance, liance et alliance : opérationnalité des concepts dans l'analyse du climat socio-

relationnel de groupes restreints d'apprentissage en ligne, Apprentissage des Langues et Systèmes d’Information et de Communication (ALSIC), Vol. 13, disponible en ligne : http://alsic.revues.org/index1702.html [Consulté le 11 mai 2011]

Page 34: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

33

o Conséquences sur l’analyse d’un corpus verbal (entretien par exemple)

Les éléments que nous venons de présenter dans cette partie doivent attirer l’attention sur

l’importance du travail cognitif réalisé par les interactants pour garantir le bon déroulement d’un

échange social. Ces éléments ont trait à la composante relationnelle présente dans tout contact

social. Prendre en compte ces mécanismes de régulation doit permettre 1) lors de la conduite

d’un entretien, de mieux percevoir la dynamique d’échange qui s’y produit et 2) lors de l’analyse

des données issues de l’entrevue, de mieux distinguer les éléments qui révèlent le « contenu » (le

sens manifeste du noyau analysé), de ceux qui relèvent de la gestion relationnelle (ou

interactionnelle).

Ainsi, dans une analyse de contenu16, il se révèle bien utile de distinguer, comme le propose

de Nuchèze (2001)17, l’acte directeur, porteur du sens nodal de l’énoncé qui est analysé, de l’acte

subordonné (ou « préparatoire ») qui peut l’accompagner et dans lequel nous retrouvons souvent

des éléments qui ont trait à la gestion de l’interaction (et donc, par là, de la relation). On trouve

dans l’acte subordonné, nombre d’adoucisseurs (qui « adoucissent », réduisent, la menace

potentielle de l’acte, le FTA, cf. ci-avant).

Acte directeur et acte subordonné (extrait de Quintin, 2008, p. 147)18

Comme le précise de Nuchèze (2001), l’acte directeur représente le constituant central de la communication qui ne peut être supprimé sous peine d’en affecter fondamentalement le sens.

L’ acte subordonné, quant à lui, dont la présence est facultative, permet de préparer l’acte directeur.

L’auteure prend l’exemple suivant pour illustrer ces deux notions : « excuse-moi / j’ai oublié mon stylo / tu peux me prêter le tien ». de Nuchèze (2001 : 29) commente son exemple en précisant que l’« on distingue l’excuse et la mention de l’oubli, qui constituent les actes subordonnés d’excuse et de justification de l’acte directeur : celui-ci est une requête réalisée par une question » (Quintin, 2008, nous soulignons)

16 Le but général d’une analyse de contenu consiste à saisir le « sens » d’un matériel de recherche (cf. ci-après) 17 de Nuchèze, V. (2001). Théories pragmatiques et analyse d'interactions en situation didactique, cours de master sciences du

langage spécialité Fle. Poitiers: Cned & Université Stendhal - Grenoble 3. 18 Quintin, J.-J. (2008). Accompagnement tutoral d’une formation collective via Internet - Analyse des effets de cinq modalités

d’intervention tutorale sur l'apprentissage en groupes restreints. Thèse de doctorat, Université de Mons-Hainaut & Université Stendhal Grenoble 3, Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education & Laboratoire LIDILEM, Mons. Disponible en ligne : http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00349013/fr [Consulté le 11 mai 2011]

Page 35: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

34

Dans cet exemple, le sens de l’énoncé présenté est une requête adressée par X, en vue

d’obtenir, en prêt, le stylo de Y, l’interlocuteur (sens contenu dans l’acte directeur). Rarement

cependant l’acte directeur peut être interprété isolément. Ainsi, il convient de poursuivre

l’analyse du noyau de sens par la prise en compte complémentaire :

1. De la manière dont la requête a été formulée. Il s’agit donc de la composante

relationnelle de la requête (ici les adoucisseurs utilisés) qui « habille » le contenu (la

requête) et dont l’analyse permettra de mieux comprendre la suite des échanges.

2. Du cotexte, c'est-à-dire des éléments textuels qui précèdent et suivent le noyau analysé

(ce qui a été dit avant et ensuite). Son analyse pourra d’une part, éclairer la raison

d’être de la requête ainsi que la manière dont elle a été formulée et, d’autre part,

découvrir les effets que cette requête a entraînés. C’est l’effet dit « perlocutoire » de

l’acte qui a été formulé, la requête (A-t-elle été rencontrée favorablement ou a-t-elle été

écartée ? Pourquoi ? De quelle manière ? Quel impact a cet enchaînement « requête-

réponse » sur la suite de l’échange ? etc.).

2. Du contexte (extralinguistique) dont on a connaissance (la situation dans laquelle se

trouvent les interlocuteurs, le cadre, leur passé partagé ou non etc.). En l’absence d’une

connaissance suffisante du contexte, le chercheur risque, soit tout simplement de ne pas

pouvoir comprendre le propos analysé, soit de le mésinterpréter (voir l’anecdote

humoristique ci-après, « Déroute déroutante »).

� Tenir compte des éléments extralinguistiques

o Sens sémantique, sens pragmatique et implicature

Pour comprendre un énoncé, nous avons besoin non seulement du code (« ce qui est dit » et

compris en se reposant à la fois sur le sens individuel des mots et sur le sens qu’ils prennent par

leur organisation syntaxique) mais d’autres types de connaissances.

Grice (1957), l’un des pères de la pragmatique, propose d’approcher le sens d’un énoncé en

se penchant, de manière privilégiée, sur les intentions de l’auteur de l’énoncé (speaker’s

meaning, qu’il intitule le « sens pragmatique ») et non pas seulement sur le sens que le code

linguistique (les mots organisés syntaxiquement) révèle (« sens sémantique »). Ainsi, un individu

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35

a souvent l’intention d’exprimer autre chose que ce qui est dit (sémantiquement) dans son propos.

Dans l’énoncé « Y-a-t’il un docteur dans la maison ? », le sens sémantique indique simplement

que la personne pose une question qui, si on en reste à ce niveau d’interprétation, appelle une

réponse positive ou négative (oui-non). Il est cependant probable, d’après l’expérience que nous

partageons communément autour de ce type de situation, que le locuteur ne cherche pas à

satisfaire sa curiosité, à enrichir ses connaissances encyclopédiques (sens pragmatique

« hypothétique »). Il est plutôt vraisemblable que l’individu en question cherche un médecin,

peut-être pour secourir une personne en détresse (sens pragmatique plausible). Seuls le contexte

(y compris l’expérience que nous partageons dans la communauté de locuteurs, ce qui s’est passé

juste avant etc.) et/ou le cotexte (ce qui a été dit juste avant) permettront de confirmer le sens

pragmatique attribué dans cet exemple.

Dans cet autre exemple, proposé, quant à lui, par Moeschler & Reboul (2006, p. 120)19

A : Voulez-vous du café ?

B : Le café m’empêche de dormir.

Par l’analyse qui nous est livrée, les auteurs montrent clairement que seule l’information

linguistique contenue dans le second énoncé (son sens sémantique) ne nous permet pas de

comprendre le sens pragmatique de la réponse :

L’énoncé produit par B, Le café m’empêche de dormir, est une réponse à l’offre faite par A. Le problème que pose cet exemple à la théorie codique de la communication linguistique, c’est que le décodage de cet énoncé ne permet pas à lui tout seul de déterminer si B veut ou ne veut pas de café. Pourtant, cet énoncé n’est pas une réponse inappropriée : selon le contexte où il est produit et selon, par exemple, que A sait que B a une longue route à faire ou que, à l’inverse, il doit se coucher tôt parce qu’il se lève à l’aube le lendemain matin, l’énoncé sera (respectivement) une réponse positive ou une réponse négative. Qui plus est, le fait que B souhaite ou ne souhaite pas rester éveillé ne peut en aucun cas être considéré comme une connaissance linguistique (op. cit., p. 120).

Dans l’analyse de contenu, le sens sémantique seul nous importe peu. Ce qui nous intéresse

c’est surtout le sens pragmatique, le sens que l’auteur veut communiquer (speaker’s meaning),

autrement dit, ses « intentions » énonciatives.

19 Moeschler, J. & Reboul, A. (2006). Compréhension, pragmatique et argumentation, in Sabah G. (éd.), Compréhension et

langues et interaction, Paris, Hermès, chapitre 4, 117-146. Disponible en ligne : http://l2c2.isc.cnrs.fr/publications/files/Moeschler_Reboul.pdf [Consulté le 22 août 2012]

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36

Puisque le sens recherché (à savoir le sens pragmatique) de l’énoncé n’est pas toujours

directement et complètement accessible à partir du code linguistique, il nous faut rechercher ce

sens à partir d’autres informations que celles contenues dans le code linguistique que nous

partageons avec l’auteur de l’énoncé. Grice utilise le terme d’implicature pour qualifier

l’opération qui est réalisée pour attribuer le sens (pragmatique) recherché « au delà » du sens que

le code linguistique peut directement nous fournir.

Noveck (2005, chapitre 14, § 1) 20 définit l’implicature en ces termes :

Grice used the term implicature to describe the pragmatic inference linking word meanings to speaker’s meanings21

Nous l’avons déjà précisé, le sens prêté par l’auteur de l’énoncé (son intention

communicative) peut s’analyser, de manière complémentaire, par la prise en compte

d’informations se trouvant ailleurs, dans le « texte » (le cotexte) ou dans le contexte. De plus,

nous partageons également, au sein d’une communauté sociale, des connaissances, des principes

ou des règles, que nous suivons généralement lors de la production de nos énoncés et de

l’interprétation de ceux des autres.

Nous avons déjà présenté ci-avant la théorie qui tend à rendre compte des règles qui

régissent le travail de figuration qui transparait dans les échanges sociaux (théorie de la

politesse). Cette connaissance est sensée être connue et être partagée par les participants d’une

interaction. Dans les lignes qui suivent, nous allons aborder le principe de coopération énoncé par

Grice et les maximes conversationnelles qui en découlent. Dans un échange « classique »,

l’ensemble de ces maximes conversationnelles guide la manière dont se déroule l’enchaînement

de nos interventions (i.e. nos échanges). Dans la mesure où ces règles sont, la plupart du temps,

partagées socialement, nous sommes censés les respecter à la fois pour « correctement »

interpréter l’intention du partenaire de nos échanges et pour, de notre côté, « honnêtement »

produire nos énoncés.

20 Noveck, I. A. (2005). Pragmatic inferences related to logical terms. In I. A. Noveck & D. Sperber (Eds.), Experimental

Pragmatics. Houndmills, Basingstoke, Hampshire: Palgrave MacMillan 21 Notre adaptation, en français : « Grice utilise le terme implicature pour rendre compte de l’inférence pragmatique qui permet

de relier le sens (sémantique) des mots (sens sémantique) à l’intention de l’auteur (sens pragmatique) ».

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o Le principe de coopération (interactionnelle) et les maximes conversationnelles de Grice

Grice (1975, p. 45)22 part de la réflexion suivante : nos échanges verbaux, quand ils sont

rationnels du moins, ne sont pas constitués d’une succession d’énoncés sans relation, les

participants s’accordant plus moins pour poursuivre un but conversationnel commun. Que ce but

émerge immédiatement (par une question par exemple) ou plus tard, qu’il persiste sous sa forme

initiale ou qu’il évolue, qu’il soit précis ou vague (échange « à bâtons rompus »), qu’il soit

identiquement interprété ou non, les intervenants poursuivent néanmoins, dans leur dialogue, une

direction mutuellement acceptée. Ce principe, intitulé « principe de coopération », conduit les

participants à intervenir, comme aux échecs, selon des règles de mouvements de conversation.

Grice énonce ce principe général comme suit : « Apportez votre contribution tel que requis au

moment de l’échange, en fonction du but reconnu ou de la direction de l'échange dans lequel

vous êtes engagé » (op. cit., p. 45).

Grice propose ensuite une série de maximes conversationnelles autour desquelles s’articule

ce principe général de coopération. C’est à partir de ces maximes, acceptées comme postulats,

que le locuteur devra s’appuyer pour inférer le sens pragmatique des énoncés de ses partenaires,

leur intention interactionnelle (implicature).

Ces maximes conversationnelles sont au nombre de quatre :

• Au niveau de la quantité : N’en dites ni trop, ni trop peu ;

• Au niveau de la qualité : Ne dites pas ce que vous pensez être faux ou ce que vous

savez manquer d’évidence ;

• Au niveau de la relation : Soyez pertinent ;

• Au niveau de la modalité : Soyez clair (évitez les énoncés ambigus ou confus).

Pour éclairer l’utilisation possible de ces maximes conversationnelles dans l’interprétation

d’un énoncé, prenons appui sur l’exemple éclairant que nous fournit Véronique Traverso (2004,

pp. 12-13) dans son ouvrage « L’analyse des conversations » :

22 H. Paul Grice, P. H., (1975). Logic and Conversation, Syntax and Semantics, Vol. 3, Speech Acts, ed. by Peter Cole and Jerry

L. Morgan New York: Academic Press 1975, 41–58; here 45–47]

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un professeur recommande son étudiant qui est candidat pour un poste de chercheur dans un laboratoire de biologie en vantant sa ponctualité et sa belle écriture. Comment l’employeur potentiel en déduit-il que le professeur lui déconseille d’embaucher l’étudiant ?

c’est en se référant à la maxime de quantité que l’employeur rejette le candidat, comprenant que s’il présentait d’autres qualités, elles auraient été mentionnées.

La théorie de la « politesse », qui rend compte du travail de figuration que nous avons

développé antérieurement, est parfaitement en ligne avec le principe de coopération, et ses

maximes dérivées, avancés par Grice (1970). Plus encore, pour certains auteurs, la « politesse »

est une forme particulière de coopération, en ce sens qu’en l’absence de volonté de s’engager

dans un échange coopératif, la « politesse » et le travail de figuration qu’elle traduit (préservation

des faces et des territoires de chacun) n’a pas lieu d’être.

La prise en compte des éléments, majoritairement extralinguistiques, que nous venons de

présenter constitue un modèle puissant permettant d’expliquer ce qui ne pourrait l’être si l’on ne

tenait compte que d’une logique « informationnelle ». En effet, une bonne partie du matériel

verbal (ou non verbal d’ailleurs) est dénué de toute valeur strictement informationnelle.

o D’autres règles encore

A titre d’informations, nous livrons quelques règles complémentaires, suggérées par

Kerbrat-Orecchioni et dont la violation peut également affecter le déroulement de l’échange.

• Au niveau linguistique : évitez les erreurs liées à l’usage du code linguistique

• Au niveau logique : évitez les erreurs manifestes de logique

• Au niveau des répliques : un sujet abordé attend une suite, une question doit être

poursuivie par une « vraie » réponse (qui reste dans le sujet et qui répond à l’attente)

• Au niveau des tours de paroles : un trop long silence car « ils risquent de trahir que l’on

a rien en commun, ou que l’on est incapable de trouver quoi se dire » (Goffman, E.,

Les rites d’interaction, Paris, Minuit, 1974 : 35) (p. 252)

Page 40: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

39

o L’intersubjectivité

Pour assurer l’une des fonctions principales de la communication, l’échange entre les

participants doit permettre de transmettre les informations qu’ils ont l’intention de partager. A cet

égard, l’intersubjectivité recouvre deux acceptions :

• Comme nous l’avons vu, l’indispensable partage de connaissances communes qui

permet aux interlocuteurs de se comprendre (maîtrise suffisante de la langue adoptée,

connaissance et partage effective des règles sociales et interactionnelles, dont la

politesse et le principe de coopération, et enfin, une représentation suffisamment

partagées du monde, ou du moins, des sujets discutés).

• Ainsi que l’élaboration progressive d’une compréhension partagée des sujets traités

qui, au cours de l’échange, s’élabore normalement entre les acteurs (cf. le principe de

coopération de Grice).

Voici, en final et pour illustrer ce qui peut se produire lorsque ce partage n’est pas

suffisant, une anecdote à caractère humoristique que nous pourrions intituler « Déroute…

déroutante » (Exemple emprunté à Moeschler & Reboul, 2006, pages 120 et 121, disponible en

ligne : http://l2c2.isc.cnrs.fr/publications/files/Moeschler_Reboul.pdf)23. Comme vous pourrez

vous en rendre compte, nous pouvons dire, à l’instar des auteurs, que « le malentendu naît du fait

qu’une information cruciale à la compréhension de la situation n’est pas partagée, elle manque à

l’un des protagonistes ».

Déroute déroutante

Américains : Veuillez vous dérouter de 15 degrés nord pour éviter une collision. A vous. Canadiens : Veuillez plutôt vous dérouter de 15 degrés sud pour éviter une collision. A vous. Américains : Ici le capitaine d’un navire des forces navales américaines. Je répète : veuillez modifier

votre course. A vous. Canadiens : Non, veuillez vous dérouter je vous prie. Américains : Ici le porte-avions USS Lincoln, le deuxième navire en importance de la flotte navale des

Etats-Unis d’Amérique. Nous sommes accompagnés par trois destroyers et un nombre important de navires d’escorte. Je vous demande de vous dévier de votre route de 15 degrés nord ou des mesures contraignantes vont être prises pour assurer la sécurité de notre navire. A vous.

Canadiens : Ici, c’est un phare

23 Moeschler, J. & Reboul, A. (2006). Compréhension, pragmatique et argumentation, in Sabah G. (éd.), Compréhension et

langues et interaction, Paris, Hermès, chapitre 4, 117-146

Page 41: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

40

� Le courant interactionniste de l’analyse du discours

Cette partie, très théorique, vous est communiquée à titre d’information.

o Discours et analyse du discours

Comme le définit Maingueneau (1998), l’analyse du discours (ci-après notée AD) « …est

l'analyse de l'articulation du texte et du lieu social dans lequel il est produit. Le texte seul relève

de la linguistique textuelle ; le lieu social, lui, de disciplines comme la sociologie ou l'ethnologie.

Mais l'analyse de discours en étudiant le mode d'énonciation, se situe elle à leur charnière »

(ibid. : 2). Elle « … a pour ambition d'étudier toute production verbale, d'analyser tous les

énoncés en situation, par opposition à l'étude de la langue hors contexte » (ibid. : 1). Adam

(1999 cité par de Nuchèze & Colletta, 2002) représente les relations que le « texte » entretient

avec le « discours » sous la forme de la double équation : discours = texte + conditions de

production et texte = discours - conditions de production (ibid. : 53). Le discours est ainsi perçu

comme une « structure transphrastique, orientée, active et interactive » (Maingueneau, 1998, p.

1).

L’analyse du discours se singularise comme nous l’avons précisé par son objet d’étude soit

le « langage au-delà de la phrase » (ibid. : 14) ainsi que par l’approche du discours dans son

contexte énonciatif (Charaudeau & Maingueneau, 2002). Différents courants la traversent parmi

lesquelles, on peut relever l’ethnographie de la communication (Gumperz et Hymes), l’analyse

conversationnelle d’inspiration ethnométhodologiste (Garfinkel), l’Ecole française (Pêcheux), les

courants pragmatiques, les théories de l’énonciation, la linguistique textuelle et, enfin le courant

interactionniste.

o Le courant interactionniste

Une approche d’analyse du discours dialogal (échange entre plusieurs locuteurs, le

chercheur et le répondant au cours d’un entretien par exemple) qui nous semble pertinente

Page 42: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

41

s’appuie sur les démarches et sur les concepts proposés par le courant interactionniste24

francophone de l’analyse du discours (Ecole de Genève et de Lyon principalement).

» Détour historique

Cette approche a été initiée aux Etats-Unis par Sacks et ses collaborateurs dans le champ

de la micro-sociologie interactionniste (ethnographie de la communication,

ethnométhodologie). A partir des années 80, elle sera adaptée en France (cf. les travaux

de Cosnier et Kerbrat-Orecchioni notamment) et en Suisse (école de Genève, Roulet et

ses collaborateurs). Cette analyse conversationnelle francophone intègre les notions

fondamentales empruntées aux conversationnalistes américains mais y apporte deux

changements de perspectives : i) d’essentiellement monologale, elle se tourne vers une

approche plus dialogale des faits discursifs et ii) d’une approche d’une perception

structurale et immanente du discours, elle adopte une démarche de type communicatif

(Ghiglione & al., 1995).

Le postulat proposé, entre autres, par l’approche interactionniste est d’envisager la parole

comme une activité sociale, le langage verbal étant fait par essence pour être adressé. Ce qui

implique pour Kerbrat-Orecchioni (1990 : 14) que : « dès la phase d’encodage, antérieurement à

toute réponse ou simple réaction émanant du destinataire, celui-ci se trouve déjà inscrit dans le

discours de l’émetteur, explicitement parfois […] , implicitement toujours » (ibid. : 14).

Autrement dit, « Parler, c’est anticiper le calcul interprétatif de l’interlocuteur » (Flahaut, 1978,

cité par Kerbrat-Orecchioni, op. cit.) et la linguiste lyonnaise de citer Montaigne : « la parole est

moitié à celuy qui parle, moitié à celuy qui l’écoute ».

Même monologal, un énoncé est virtuellement dialogal, l’absence du « tu » n’empêchant

pas celui-ci d’exercer un contrôle permanent sur le discours du « je » (ibid. : 14). Les phases

d’émission et de réception sont ainsi envisagées « …en relation de détermination mutuelle : la

réception est bien évidemment commandée par l’émission […] mais aussi l’émission est

commandée par la réception, ou ce qu’en suppose du moins l’émetteur » (ibid. : 25).

Le sens attribué à un énoncé est dès lors le résultat d’une co-construction entre l’émetteur et

le récepteur25. Ceci amène l’auteure à formuler le principe fondamental de l’approche

24 Les termes « approche interactionniste », « approche interactionnelle » ou « linguistique interactive » sont

utilisés de manière équivalente dans ce texte.

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42

interactionniste : « Tout discours est une construction collective ». Corollairement, le discours est

également envisagé comme une « réalisation interactive » en ce sens qu’il s’élabore par un jeu

d’influences mutuelles. Pour ce courant en effet, tout processus communicatif implique, entre le

codeur et le décodeur, une détermination réciproque, l’analyse ayant pour but de cerner la

manière dont les intervenants agissent les uns sur les autres au travers de l’utilisation qu’ils font

de la langue. Pour mener cette tâche à bien, il s’agit selon l’auteure d’envisager les relations qui

s’établissent non plus entre les unités textuelles uniquement mais entre les interactants

eux-mêmes, « en tant qu’elles sont constituées dialectiquement par les données contextuelles, et

par l’ensemble des éléments observables tout au long de l’échange conversationnel. »

(Kerbrat-Orecchioni, 1989 : 18, cité par Develotte, 2006). D’où la convocation jugée nécessaire

par la linguiste de théories extérieures à l’approche interactionniste :

La linguistique interactive a surtout à se donner les moyens d’enrichir les descriptions qu’elle propose. Pour ce faire elle doit faire feu de tout bois, et se bricoler des systèmes descriptifs qui empruntent sans vergogne aux disciplines connexes (psychologie et sociologie interactionniste, ethnographie des communications, ethnométhodologie, etc.). (Kerbrat-Orecchioni, 1989 : 21, cité par Develotte, 2006)

Ce cadrage théorique dessine les principes conducteurs qu’il s’agit de suivre lorsque le

chercheur s’engage dans l’analyse d’un contenu qui se fonde sur l’analyse du discours. Nous

citerons en particulier le fait que :

• l’analyse des énoncés est approchée en tenant compte des éléments contextuels dont le

chercheur a connaissance (cadre institutionnel, nature de la tâche, contraintes

temporelles, statut des interactants), le contexte étant défini de manière générale

comme l’environnement extralinguistique qui « entoure » l’énoncé produit par le

locuteur (Lund, 2003) ;

• l’interprétation d’un énoncé se réalise en relation avec le cotexte, soit l’environnement

linguistique immédiat de l’énoncé (de Nuchèze & Colletta, 2002) ;

25 Colletta (1995 : 60) observe à juste titre que « même si d’un point de vue théorique l’énonciateur ne peut

être considéré comme l’auteur unique de son discours, il demeure que, sur le plan empirique, c’est bien moi et non un autre qui est à l’origine de mon discours, et c’est bien à moi et non à un autre qu’on en attribuera la responsabilité. Les concepts de co-énonciateur, de co-énonciation ou de co-construction, très en vogue actuellement, ne doivent pas conduire à s’imaginer que tout est commun entre les interactants : de même qu’il n’y a pas continuité mais contiguïté de l’expérience, il n’y a pas d’action commune, mais action conjointe, et “si parler à” implique “parler avec”, comme l’explique Jacques, cela ne signifie pas “parler comme”. »

Page 44: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

43

• l’appel à des théories et des outils issus de courants connexes à l’analyse du discours

lorsque ceux-ci permet d’appuyer la démarche d’analyse (e.g. théorie des faces de

Goffman).

4. Rendre compte ou analyser un entretien ?

A l’issue d’un entretien, le chercheur possède des traces qui peuvent se présenter sous la

forme de notes et/ou d’un enregistrement. Dans une dynamique itérative (aller-retour entre la

« collecte » des données et leur interprétation), caractéristique de la démarche holistico-inductive

(approche qualitative), il convient d’exploiter ces traces au plus vite ou, du moins, sans attendre

d’être submergé par une trop grande quantité d’informations issues d’autres entretiens. De plus,

une démarche itérative se justifie dès lors que l’exploitation des informations rassemblées à

l’occasion d’un entretien – par exemple car ceci est également valable pour les observations ou

toutes autres techniques de production de données – permet de préparer le suivant.

Selon la phase de la recherche dans laquelle on se situe, l’exploitation26 des informations

prend des formes différentes.

Si le chercheur est impliqué dans une phase exploratoire au cours de laquelle il vise

essentiellement à comprendre « son » terrain à partir d’entretiens – souvent peu directifs – il

conviendra qu’il procède plutôt à une synthèse des échanges (ou compte rendu) qui se sont tenus

et non à une analyse systématique et fine du contenu de ceux-ci.

A l’inverse, si le chercheur se trouve dans une phase plus avancée, au cours de laquelle il

produit des données relatives à des phénomènes clairement identifiés, susceptibles d’alimenter

une question de recherche clairement posée, il conviendra qu’il procède plutôt à une analyse

d’une transcription fidèle de l’entretien.

� Le compte rendu d’entretien

Dans une phase d’exploration, le chercheur s’engage dans le terrain dans le but de mieux le

comprendre et de préciser à la fois son questionnement initial et la manière dont il va procéder

pour y « répondre » (le protocole de recherche ou, d’une manière générale, la méthodologie de la

26 « Exploitation » n’est peut-être pas des plus heureux, mais, en l’absence de terme plus adéquat, il sera utilisé pour désigner à

la fois l’opération qui vise à rendre compte des échanges (synthèse interprétative) et l’opération qui consiste à analyser la transcription d’un entretien.

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44

recherche). Cette première étape de l’enquête de terrain est préalable à celle qui permettra

d’analyser plus finement et systématiquement un phénomène qui aura été mieux précisé suite à

l’enquête exploratoire. A l’occasion de ces premiers contacts avec le terrain, le chercheur

rassemble et interprète des informations diverses issues de sources multiples : entretien,

observation, contact informel, documents écrits etc., fournis par les « informateurs » locaux

(responsables, acteurs de terrain…).

Dans cette situation, l’entretien se déroule souvent de manière peu directive et fait l’objet

d’une synthèse factuelle (ou compte rendu d’entretien) réalisée à partir des notes prises sur le vif

et des compléments de notes apportés, de mémoire, rapidement après l’échange.

Un compte rendu d’entretien est introduit par un texte qui présente :

• les objectifs de l’entretien ;

• le contexte dans lequel il s’est déroulé (lieu, moment et durée de l’entrevue) ;

• les modalités de l’entretien (entretien individuel ou en groupe, en face à face ou par

téléphone, etc.) ;

• le ou les répondants (avec anonymisation des noms).

� Analyser un entretien : l’opération préalable de transcription

Lorsque l’échange qui s’est déroulé durant la séance d’entretien est destiné à être analysé

de manière rigoureuse et fine, l’opération qui suit consiste à transcrire la totalité de

l’enregistrement de l’entretien ou, à défaut, des extraits jugés significatifs au vu des objectifs de

la recherche. Dans ce dernier cas, il s’agira néanmoins de veiller à transcrire tous les échanges

qui traitent du sujet étudié. Cette solution permet évidemment d’économiser un temps de

transcription et d’analyse non négligeable mais présente également quelques risques en cela i)

qu’elle implique de sélectionner et donc de distinguer ce qui est jugé pertinent de ce qui ne l’est

pas et ii) qu’elle peut affecter la cohérence et la signification des propos par l’omission de partie

chargée de sens contextuel (cf. cotexte). Voici quelques recommandations :

• Avant de sélectionner les extraits pertinents pour votre travail, écoutez l’enregistrement

complet afin de vous en imprégner.

Page 46: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

45

• En tout état de cause, vous veillerez à sélectionner l’ensemble du matériel oral qui

traite du sujet que vous étudiez.

• Vous pouvez laisser de côté les apartés (propos hors sujet, digressions) ainsi que les

échanges produits au moment de l’introduction (présentation mutuelles, présentation de

votre statut, de la recherche) et de la clôture de l’entretien.

• Les extraits sélectionnés, mis bout à bout, doivent être porteur d’une signification

globale et cohérente, avoir un sens. On doit parvenir à comprendre l’enchaînement des

propos qui ont été tenus.

Dans un travail de recherche, il est d’usage de livrer les données sur lesquelles ont porté

vos analyses. Ce souci de transparence est nécessaire afin de permettre une vérification ou une

contre analyse réalisée à partir de vos données. L’ensemble de la transcription devra ainsi être

annexé à votre rapport de recherche, entretien par entretien. Cette transcription sera précédée

d’un rappel des objectifs de l’entretien ainsi que d’une courte présentation du contexte dans

lequel il s’est déroulé :

• description du lieu et du moment de l’entretien et de ses modalités (entretien

individuel, en groupe, en face à face, entretien téléphonique…) ;

• présentation du ou des répondants, avec anonymisation des noms ;

• durée totale de l’entretien ;

• notes éventuelles sur les événements.

Le principe d’une transcription consiste à reproduire aussi fidèlement que possible les

propos des interlocuteurs. On transcrit donc ce qui est dit, sans interprétation aucune. Il est

également important que la transcription soit lisible et compréhensible afin d’en faciliter

l’analyse ultérieure. Ainsi, dans la mesure du possible, c'est-à-dire dans la mesure où la forme de

la transcription respecte le contenu des propos tenus, la transcription respectera les conventions

de la langue (française). Ceci vise à garantir la lisibilité de la transcription ainsi qu’à faciliter

l’analyse éventuelle du corpus par des logiciels spécialisés (NVivo, Tropes…).

Page 47: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

46

Toutefois :

a. Une certaine liberté vis-à-vis des conventions de la langue est cependant souvent

indispensable pour respecter le contenu de ce qui « est dit ». Ainsi, les nombreux

régulateurs (Ben , Mmm , Heu) qui ponctuent le langage oral seront transcrits en

essayant de faire correspondre les règles de conversion phonographique (« Ben » plutôt

que « Bien » ; « Mm » ou « Mmm » plutôt que « Hum » par exemple). A cet égard, la

transcription d’un échange oral vise à rendre compte des productions orales.

b. Les termes empruntés à une autre langue seront transcrits dans la langue en question

(« Mon frère travaille comme lawyer »). Dans le cas de dialecte ou de termes

argotiques pour lesquels on ne dispose pas ou on ne connaît pas les règles de

transcription écrite normalisée, la transcription orthographique suivra la règle énoncée

dans le point précédent (cf. conversion phonographique, point a).

c. Si le répondant élève la voix pour accentuer un mot ou groupe de mots particulier, on

pourra l’indiquer par l’utilisation de majuscules (« Mais NON, ce n’est pas ça que je

veux dire »).

d. Les mots ou passage inaudible sont également indiqués (« (mot inaudible) » ou

« (passage inaudible) »).

e. Distinguez ce qui relève des propos du répondant (par exemple, en texte normal) des

vôtres (par exemple en italiques).

Corollaires :

1. Aucun mot n’est omis

- … y compris ce qu’on appelle en linguistique les « régulateurs verbaux », qui dénotent le plus souvent une « relance » opérée par le chercheur. Par exemple, Mmm, Oui, Oui ?, D’accord, Je vois, Je comprends ;

- … y compris les fréquents Heu, Mmm, Ben.

2. Les pauses et silences sont également indiqués. Vous choisirez entre les signes

suivants : pour les pauses courtes : « / » ou « (pause) » ; pause plus longues : « // » ou

« (pause longue) »)

3. Les répétitions de mots sont également transcrites (soit par une répétition du mot, soit

par un signe indiquant le nombre de répétitions (exemple « ce n’est pas (2x) ça »)

Page 48: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

47

4. Lorsque des commentaires, des remarques sont ajoutés par le transcripteur pour noter

par exemple un changement d’attitude, un événement (comme une personne qui entre

dans la pièce) etc., il est recommandé de placer ces indications entre crochets ou entre

parenthèses (voir plus loin, exemple « (M ponctue ses propos en agitant les mains) »)

5. L’ensemble de ces éléments d’informations se placent dans les propos du locuteur.

Exemple : « Ce que je veux dire (pause), c’est que les objectifs que je vise concernent,

Heu, enfin elles concernent les activités de mes élèves (d’accord) mais je ne sais pas

bien, enfin (pause), si ces objectifs sont les mêmes que ceux programmes (oui,

d’accord) ». Le texte en italique correspond donc aux régulateurs verbaux du

chercheur.

Les informations para-verbales peuvent se révéler, dans certaines situations et dans

certaines recherches, importantes. Les informations jugées pertinentes qui relèvent du para-verbal

(changement dans le volume ou la vitesse de l’élocution, dans le rythme, apparition d’un silence,

d’une hésitation…) sont indiquées dans la transcription entre crochets ([…]) ou entre parenthèses.

Le cas échéant, vous indiquerez dans la transcription même, les événements qui sont

survenus durant l’entretien et qui sont susceptibles d’avoir affecté les propos du répondant (bruit,

irruption d’une tierce personne…).

Plutôt que cette transcription-ci Adoptez cette forme de transcription-là

Olivia : Oh ! le hamster ? Olivia : Oh ! Le hamster ?

Sélalé : Hein !! Eh elle sait même pas c’ que c’est qu’un hamster !!!

Sélalé: Hein ? Hé, elle ne sait même pas ce que c’est qu’un hamster

Lévy : C’est une bête hé ! Lévy : C’est une bête, hé ! (ricane)

Sélalé : C’est un p’ tit truc : ça ressemble un peu à une souris !!

Sélalé : C’est un petit truc. Ca ressemble un peu à une souris (ton empathique)

Olivia : (très sûre d’elle) Mais NON ! un HAMSTER ! Pas un animal !

Olivia : Mais NON, un HAMSTER, pas un animal ! (articule)

Lévy : Un hamster c’est un animal. Lévy : Un hamster C’EST un animal

Sélalé : Ben oui c’est un p’tit animal qui ressemble un peu à une souris…

Sélalé : Ben oui, c’est un petit animal qui ressemble un peu à une souris (pause)

Page 49: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

48

Olivia : (rires moqueurs) C’est un animal ? un hamster ! …Eh r’ garde (parle au magnétophone, en articulant bien) Un hamster est un animal ! (rires moqueurs) … (puis se rangeant brutalement à l’avis des autres) Ouais, j’en ai un chez moi.

Olivia : C’est un animal ? (rires, ton moqueur) Un hamster ? Eh, regarde (parle en articulant bien) Un hamster est un animal ! (rires) Oui, j’en ai un chez moi (ton affirmatif)

� Analyser un entretien : deux exemples de techniques d’analyse du contenu d’un corpus verbal

Le terme générique d’analyse de contenu (noté AC) fait référence à un vaste ensemble de

méthodes d’étude de documents, principalement textuels, destinées à révéler les formes, les

objectifs ou le sens qui y est contenu. D’une manière générale, Mucchielli (1994) considère que

l’AC procède à l’examen objectif, exhaustif, méthodique et, si possible, quantitatif, d’un matériel

soit verbal – information ou texte (vocabulaire, syntaxe, style, thèmes…) – soit non verbal

(images, affiches, gestes, attitudes, mimiques, voix…), en vue d’en classer et d’en interpréter les

éléments constitutifs.

Dans un sens plus retreint, qui s’applique à l’analyse du contenu d’un entretien ou de

réponses ouvertes fournies à un questionnaire par exemple, l’analyse de contenu désignera une

technique dont le but est d’interpréter et de synthétiser le sens manifeste d’un matériel verbal (le

discours oral, habituellement transcrit ou la réponse écrite fournie à une question) en vue

d’explorer un questionnement ou des pistes de recherche (approche qualitative, démarche

holistico-inductive) ou de répondre à une question de recherche opérationnelle inscrite dans un

plan de recherche établi a priori, voire d’éprouver une hypothèse (approche quantitative,

démarche hypothético-déductive). Une analyse de contenu peut être de nature strictement

qualitative ou procéder à une transformation numérique (souvent une comptabilisation de noyaux

de sens répartis dans différentes catégories ou thèmes) pour devenir une technique quantitative.

Dans le premier cas, le chercheur interprète le sens du discours en travaillant le matériel verbal

sans énumération quelconque.

Chacune des deux techniques d’analyse de contenu présentées ci-dessous (analyse

thématique et analyse de contenu catégorielle) peut théoriquement s’appliquer dans une version

qualitative ou quantitative. Par soucis de clarté cependant et par commodité pour le chercheur

novice, nous proposons d’envisager l’analyse thématique dans une version qualitative. Dans une

pareille situation, le chercheur infère/interprète les résultats issus de l’analyse thématique à partir

Page 50: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

49

d’un travail de classification des noyaux de sens (souvent des extraits de propos tenus par les

répondants répartis ensuite dans des « thèmes ») sans procéder à l’énumération des extraits

répartis dans les thèmes.

Alors qu’une technique d’analyse quantitative fonde l’interprétation des résultats à partir

d’un résumé chiffré (moyenne, écart-type…, statistique descriptive) ou des traitements

statistiques souvent basés sur des différences de fréquences ou de moyennes (statistique

inférentielle), une technique d’analyse qualitative fondera son interprétation sur une

interprétation… qualitative, soit en « restant au niveau du discours ».

Les deux techniques partagent un certains nombre de points communs :

1. Elles se destinent à interpréter le sens d’un discours

2. Elles procèdent par identification de noyau de sens (extrait du corpus analysé) et par

leur répartition dans des thèmes (analyse thématique) ou dans des catégories (analyse

de contenu catégorielle).

Elles se distinguent fondamentalement à ce niveau :

• L’analyse de contenu catégorielle « épuise » le texte (tous les noyaux de sens sont

répartis dans les catégories). Ce n’est pas le but d’une analyse thématique (le chercheur

isole les extraits en rapport avec ses questions de recherche sans nécessairement tous

les réunir dans sa grille d’analyse).

� L’analyse thématique qualitative

Cette technique est particulièrement utile pour confronter les propos de plusieurs

répondants en regard des thèmes de la recherche. Le principe est relativement simple quoique sa

réalisation effective se révèle bien plus délicate qu’il n’y apparaît de prime abord. Il s’agit de

classer (et de confronter) les propos de chacun des répondants en regard des thèmes et sous-

thèmes, élaborés eux-mêmes en relation au questionnement qui mobilise le chercheur dans son

étude. La pratique en revanche s’avère bien souvent complexe, le choix des extraits et leur

classement dans une rubrique thématique étant une opération délicate.

Dans ce type d’analyse transversale (analyse de plusieurs entretiens - ou de réponses

ouvertes à un questionnaire, en parallèle), on tente de confronter les réponses des sujets

Page 51: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

50

interrogés par rapport aux « thèmes » dégagés. Ces thèmes sont en rapport direct avec les

questions que l’on se pose dans la recherche. Les rubriques thématiques sont donc en partie

issues de l’analyse de ou des questions de recherche. Toutefois, ces catégories sont également

enrichies ou précisées à partir de l’analyse des réponses des interviewés.

» Remarque : l’ensemble du matériel analysé – les propos des répondants aux entretiens,

l’ensemble des réponses ouvertes à un questionnaire, les comptes-rendus d’observations

etc. – constitue ce qu’on appelle le « corpus » d’analyse.

Ainsi, dans une approche qualitative en particulier, il est fréquent que, à la suite des

réponses apportées par les interviewés, des thèmes apparaissent différemment, ou élargissent et

précisent la manière dont on avait envisagé l’analyse de la question de recherche. Une approche

qualitative de la recherche (holistico-inductive) est totalement en phase avec cette manière de

procéder (démarche itérative ou circulaire)

La technique consiste à élaborer une grille, composée de différentes rubriques thématiques,

dans lesquelles sont répartis les extraits des répondants. Il est conseillé d’éviter d’y copier des

extraits trop courts mais d’y inclure, dans la mesure du possible, les éléments qui sont

nécessaires à la (bonne) compréhension/interprétation de l’extrait, dans toutes ses nuances. En

effet, le danger d’une telle technique de condensation de l’information est de couper cette

information du « cotexte » qui lui donne pleinement son sens, ce qui risque de vous amener à lui

donner un autre sens que celui que votre interlocuteur voulait réellement exprimer

(« mésinterprétation »). Aussi, est-il important de ne pas se contenter de classer

« mécaniquement » des « morceaux » d’entretien (ou de réponses au questionnaire) mais de

veiller à toujours bien comprendre les nuances immanquables des réponses qui sont apportées ;

ces nuances apparaissant souvent à travers l’ensemble de l’entretien. En somme, isoler une

portion de réponse présente le danger de se méprendre sur le sens pragmatique de cette réponse.

Pratiquement, le chercheur part du corpus (démarche inductive) en procédant selon

différentes étapes qui peuvent se présenter comme suit :

1. Exploration du corpus. Il s’agit de s’imprégner et de comprendre les propos du ou des

répondant(s), sans a priori. On parle aussi de « lecture flottante ». Quelques notes

prises durant cette étape permettront de garder une trace des idées spontanées du

Page 52: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

51

chercheur lors de cette première découverte libre du matériel verbal. Elles pourront

utilement alimenter le travail d’identification des thèmes (cf. étape 2).

2. Identification des différents thèmes. Ces thèmes peuvent recouvrir des points de vue,

des concepts ou des idées qui doivent permettre le classement et l’organisation

ultérieurs des noyaux de sens contenu dans le discours. Cette étape pourra se

poursuivre à l’occasion de l’étape d’identification et de classification des noyaux de

sens/extraits. Cette étape aboutit à une grille thématique se présentant par exemple sous

la forme d’un tableau.

Exemple de grille thématique destiné à confronter les propos de différents répondants

(entretien, le même principe s’applique aux réponses ouvertes d’un questionnaire)

Thème n°1 Extrait d’entretien Commentaire -

remarques - annotation

Répondant 1 « extrait 1 »

« extrait 2 »

Répondant 2 « extrait 3 »

« extrait 4 »

Répondant 3 « extrait 5 »

« extrait 6 »

etc. etc.

Thème n°2 Extrait d’entretien Commentaire -

remarques - annotation

Répondant 1 « extrait 1 »

« extrait 2 »

Répondant 2 « extrait 3 »

« extrait 4 »

Répondant 3 « extrait 5 »

« extrait 6 »

etc. etc.

3. Identification et classification des noyaux de sens (extraits du corpus) dans la grille

thématique.

Pour faciliter l’analyse ultérieure du résultat final, vous pouvez, avec prudence :

- supprimer les régulateurs verbaux (Ben, Heu, Enfin…) des extraits (mais les laisser dans le corpus complet, annexé dans votre rapport de recherche) ;

Page 53: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

52

- supprimer les éléments qui n’apportent rien en termes de contenu, qui sont perturbateurs et dont la suppression n’affecte pas le contenu, le sens des propos (même remarque que ci-avant) ;

- reformuler, avec prudence, les propos des interlocuteurs pour en faciliter. En aucun cas évidemment, il s’agit de modifier le sens des énoncés (idem).

o Exemple de mise en catégories thématiques (adapté d’un travail d’étudiant de Master27)

Thème 7 : Intérêt pour le dispositif « Comecole »

Répondant Extrait

R (la maman)

Ben moi, ce qui m’a plu c’était en fait la globalité…du dispositif mis en place à la fois Comecole, l’APAD avec du coup l’opportunité que son propre enseignant vienne euh à la maison et qu’il accepte, qui est en plus du dispositif Comecole et qu’on se sente pas tout seul. Qu’on se sente pas tout seul à la maison qui est un lien où les enfants par exemple on fait le rallye de lecture.

C (la fille)

Ça m’a plu parce que je me suis dit que j’allais enfin voir mes copines et mes copains, voir comment elle était mon école parce que je m’en rappelais plus très bien, mon maître et tout ça.

D (l’enseignant)

Ben d’une part de laisser l’enfant en contact avec nous, d’utiliser l’image quoi pas souvent que le son. Mais voilà qu’il y est vraiment une présence. Puis après utiliser le système internet, je trouvais que c’était assez bien. […] se familiariser avec mais c’est surtout de garder contact avec elle, essayer de lui donner, de lui proposer différentes possibilités pour qu’elle garde un contact avec la classe pendant sa maladie quoi.

C’était surtout pour…tout simplement pour rendre service à C quoi. Garder un lien avec l’école, entre elle et l’école et ses copains. Si on avait pu le faire comme il le faut…ben on aurait pu faire profiter de certaines séquences qu’on aurait pu faire en classe. C’était essentiellement ça en fait. C’était le…le…voilà pas la couper de la classe, de l’école. Donc c’est pour ça qu’on a essayé de lui parler assez souvent par les ordinateurs de l’école. Moi je lui donnai des cours en plus donc c’est vrai que je pouvais faire le lien. Il n’y avait pas que la classe. Mais c’était surtout vis-à-vis d’elle enfaite, l’enfant quoi.

27 Dalu, O. (2012). Les TICE dans le cadre de l’école à l’hôpital, TER, Master 1 en sciences de l’éducation et de la formation,

Université Lyon 2, p.27

Page 54: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

53

o Exemple d’interprétation (adapté d’un travail d’étudiant de Master 28)

Ce dispositif a séduit les trois personnes interviewées. D’une part, Mme R parce que le dispositif permettait à sa fille de garder son enseignant d’origine mais également de garder contact avec son école. D’autre part, C qui a pu utiliser cet outil pour garder un lien et éviter l’isolement. Et en dernier, Mr D qui avance avoir été intéressé par l’ensemble de l’outil surtout le fait de garder un lien avec C.

On constate, que le côté social du dispositif prime sur les apprentissages qui passent en second lieu. En effet, à cause de la connexion réseau qui a fait défaut, cet outil a été utilisé qu’à moitié. C'est-à-dire que chacune de ces personnes ont utilisé la vidéocommunication pour garder un lien social plutôt que pour les apprentissages. Par rapport, à ces problèmes les cours n’ont pas pu se faire correctement. Pour le côté pédagogique, les enseignements étaient plus réalisés en collaboration avec le SAPAD.

Avec l’outil, l’enseignant pouvait réaliser des choses simples mais surtout des activités orales avec C. Les cours se faisaient de manière magistrale avec C. La webcam ne permettait pas de lire le tableau. »

Mis à part cela, le dispositif Comecole, permet de construire un réseau autour de l’enfant et de sa famille. Effectivement, grâce aux personnes qui l’utilisent. Une chaîne se construit et permet de lutter contre l’isolement, l’exclusion qu’entraine une maladie.

� L’analyse de contenu catégorielle : exemple d’une technique quantitative d’analyse

Une technique qui suit les principes d’une analyse de contenu dite « catégorielle » vise,

selon Bardin (2011, p.41), « à prendre en considération la totalité d’un “texte” pour le passer à la

moulinette de la classification et du dénombrement par fréquence de présence (ou l’absence)

d’items de sens ».

En référence aux travaux de Berelson (1952, cité par Krippendorff, 1980), Mucchielli

(1994), Krippendorff (1980), Bardin (2001), Riffe et al. (1998 cités par Rourke & al., 2001) et

Neuendorf (2002), cette analyse sera définie plus précisément comme une technique de prise

d’informations quantitative, systématique, intersubjective, exhaustive et réplicable, opérée à

partir de l’interprétation d’un discours dans le but de répondre aux questions de recherche.

28 Dalu, O. (2012). Les TICE dans le cadre de l’école à l’hôpital, TER, Master 1 en sciences de l’éducation et de la formation,

Université Lyon 2, p.28-29

Page 55: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

54

L’analyse de contenu catégorielle se caractérise ainsi comme étant :

• quantitative : la méthode consiste à attribuer des valeurs numériques aux segments

issus du découpage du corpus, et ce conformément à des règles de codage valides

(Riffe & al., op. cit.).

• systématique : des règles de codage explicites sont appliquées de manière identique

quels que soient les segments du corpus analysés (Krippendorff, op.cit.).

• intersubjective : nous avons opté pour le terme d’intersubjectivité qui indique qu’à

défaut d’être objective, une interprétation doit néanmoins pouvoir faire l’objet d’un

consensus au sein d’une communauté de chercheurs. En effet, comme le souligne

Krippendorff (1980), aucune recherche n’est totalement objective, en cela qu’elle ne

peut complètement éviter le jugement. Dans notre analyse, ce jugement est présent lors

de l’opération d’interprétation du segment à coder. Ainsi avons-nous préféré le

qualificatif d’intersubjective plutôt que celui d’objective fréquemment utilisé dans la

littérature (e.g. Bardin, 2001 ; Mucchelli, 1994).

• exhaustive : l’information obtenue au terme de l’analyse doit pouvoir rendre compte de

l’importance quantitative des phénomènes recherchés dans le corpus. La méthode part

ainsi du postulat que la fréquence d’un « symbole, d’une idée ou d’un sujet se

produisant dans un ensemble de messages peut être interprétée comme une mesure de

son importance, de l’attention accordée ou de son emphase » (Krippendorff, 1980 : 40,

notre traduction). Pour révéler cette importance avec justesse, l’analyse réalisée doit

également couvrir la totalité du corpus (Bardin, 2001 ; Neuendorf, 2002). Cette

exhaustivité constitue l’une des caractéristiques de l’analyse de contenu qualifiée de

catégorielle.

• réplicable : la méthode d’analyse doit pouvoir être reconduite auprès d’un nouveau

corpus de manière à en tester la validité interne, la validité externe, la fidélité ainsi que

d’éprouver les résultats obtenus (Krippendorff, 1980).

En outre, la définition que nous adoptons précise que la méthode se fonde sur

l’interprétation du contenu manifeste d’un discours textuel. Ceci distingue la technique appliquée

de celles adoptées par d’autres démarches qui, quoique qualifiées également « de contenu »,

Page 56: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

55

portent sur la forme du matériel symbolique (e.g. style, mise en page, intonation de la voix) plutôt

que sur son contenu sémantique « substantiel » (Neuendorf, 2002). Par ailleurs, nous avons

privilégié l’interprétation manifeste29 du contenu portant sur des éléments physiquement présents

dans le corpus plutôt que sur des « concepts non observés qui ne peuvent pas être observés

directement mais qui sont représentés ou mesurés par un ou plusieurs indice(s) » (Neuendorf,

2002, p.23, notre traduction).

o Unité de codage et unité d’énumération

Procéder à une analyse de contenu catégorielle revient à segmenter le texte en noyaux de

sens et à les répartir dans des catégories de codage (Bardin, 2001 ; De Wever & al., 2006).

! Soulignons que dans une AC, la fréquence d’apparition d’une catégorie de

noyaux de sens est considérée comme une mesure de son importance dans le

discours (Krippendorff, 1980).

Comme le notent De Wever et al. (2006), le choix de l’unité de codage est une étape

essentielle de ce processus dans la mesure où elle détermine la granularité de l’analyse et, par là,

oriente l’interprétation du contenu de la communication. Une controverse existe cependant quant

au choix à opérer entre des unités qui reposent sur des critères formels (mot, phrase, paragraphe,

message...) et celles qui se fondent sur le sens (unité de sens ou thématique). Les premières

permettraient une segmentation fiable du texte (Ghiglione & al., 1995)30 alors que les secondes

offriraient l’avantage de la flexibilité, les unités pouvant être de taille variable et le sens pouvant

être véhiculé par différentes formes d’énonciation (Rourke & al., 2001). En définitive, selon

Rourke et al. (2001), l’idéal serait de combiner les avantages de la stabilité de segmentation de

l’une et de la flexibilité de l’autre.

Ainsi, il apparaît qu'un système hybride associant à la fois l'unité formelle que constitue le

paragraphe comme base d'énumération (ou de comptage) et l’unité de sens comme unité de

codage s'avérait une solution adaptée à l’analyse de notre corpus.

29 Cependant, comme le souligne Neuendorf, un contenu n’est jamais totalement manifeste ou totalement

latent. Il se présente plutôt selon un continuum (i.e. « très manifeste » à « très latent »). 30 Les auteurs adoptent comme unité de codage la proposition, entendue au sens grammatical du terme.

Page 57: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

56

o Exemple de choix d’unité d’énumération et de codage

Dans l’analyse des messages déposés par les étudiants dans un forum, le choix du

paragraphe comme unité d’énumération repose sur le présupposé que l’action de « passer à la

ligne » marque l’intention de l’auteur de distinguer les idées importantes qu’il veut

communiquer. Dans cette situation d’étude, le paragraphe ne pouvait cependant pas être retenu

comme unité de codage. En effet, une telle unité risquait de sous-représenter les catégories de

codage relevant de noyaux sémantiques actualisés par des unités syntaxiques plus courtes que le

paragraphe (Rourke & al., 2001). Dans certaines circonstances, ces éléments, noyés dans le

paragraphe, n’auraient pas été comptabilisés. Nous pensons en particulier à ceux relatifs à

l’humour, à la valorisation de l’autre ou aux encouragements qui peuvent être transmis au moyen

d’un ou de quelques mots seulement (« Bravo », « Bon courage »). Une unité de type sémantique

nous a semblé nettement plus appropriée pour coder des noyaux de sens qui, à l’observation,

dénotent une grande variabilité d’énonciation. Nous avons retenu l’acte de parole plutôt que

l’ unité de sens proposée par certains auteurs comme Henri (1992) pour les raisons qu’exposent

Howell-Richardson et Mellar (1996, p.51) :

Henri's proposal for a unit addresses some of the problems of arbitrariness caused by taking the message as the unit of analysis but fails to avoid the danger of inconsistency in identifying the ill-defined 'unit of meaning'. Since Henri's explanation of the unit is not grounded in any particular theoretical framework nor are the criteria made otherwise explicit it is difficult to see how the method could be reliably used by other researchers.

Nous rejoignons en effet ces auteurs lorsqu’ils déplorent à la fois l’absence de critère précis

permettant d’identifier de manière fiable un noyau de sens à partir de ce référent de segmentation

et le manque de base théorique sur laquelle repose la notion d’unité de sens. A l’instar de

plusieurs chercheurs, nous proposons donc de contourner ces limites en choisissant l’acte de

parole comme unité d’analyse (Howell-Richardson & Mellar, 1996 ; Cecez-Kecmanovic &

Webb, 2000 ; Treleaven, 2003 ; Paulus, 2005 ; Nastri & al., 2006 ; Weinberger & Fisher, 2006).

L’identification des noyaux de sens/actes de parole peut utilement se fonder sur le repérage

de l’acte directeur et des actes subordonnés (Roulet & al., 1985), l’ensemble formant le segment

textuel à coder (l’acte de parole).

Page 58: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

57

Comme le précise de Nuchèze (2001), l’acte directeur représente le constituant central de

la communication qui ne peut être supprimé sous peine d’en affecter fondamentalement le sens.

L’ acte subordonné, quant à lui, dont la présence est facultative, permet de préparer l’acte

directeur.

L’auteure prend l’exemple suivant pour illustrer ces deux notions : « excuse-moi / j’ai

oublié mon stylo / tu peux me prêter le tien ». de Nuchèze (2001 : 29) commente son exemple en

précisant que l’on « distingue l’excuse et la mention de l’oubli, qui constituent les actes

subordonnés d’excuse et de justification de l’acte directeur : celui-ci est une requête réalisée par

une question ».

o Les catégories de codage

« Coder » un segment du texte revient à l’affecter dans l’une des catégories de la grille

d’analyse. Il s’agit donc de choisir avec le plus grand soin les catégories qui composeront la grille

de codage car, dans une analyse de contenu catégorielle quantitative, c’est à partir de la somme

des occurrences des différentes catégories que reposera l’interprétation finale. Des catégories mal

posées fragilisent dès le départ la validité des résultats. A cet égard, rappelons que l’ensemble des

catégories doivent rendre compte, avec un degré de précision approprié (ni trop précis, ni trop

général), du phénomène étudié.

Il faut également décrire précisément chacune des catégories de manière à faciliter

l’affectation du segment textuel analysé dans l’une ou l’autre de ces catégories. La précision et la

clarté participe également : 1) à garantir la constance dans le codage (validité et, indirectement,

fidélité) et 2) à permettre à un autre chercheur de coder à son tour dans le but de vérifier la qualité

du système élaboré (fidélité inter-codeur).

En guise d’exemple, voici l’ensemble des catégories d’une grille de codage utilisée pour

analyser la nature des interventions des tuteurs dans une formation à distance via Internet

(Quintin, 2008). Notons que le nombre important de catégories (n = 37) se justifie ici par une

volonté de respecter le principe d’exhaustivité, le but de l’analyse étant de coder tout le texte,

chaque élément textuel devait ainsi pouvoir être affecté dans une catégorie. Certaines des

catégories sont donc secondaires au regard des visées de la recherche. Dans cet exemple de grille,

il s’agit des actes de langage utilisés pour introduire le développement d’une idée (e.g. « Voici

Page 59: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

58

mes commentaires par rapport au travail que vous m’avez transmis »), qui ont été répertoriés sous

l’intitulé « amorce ». Cette quantité s’explique également par la volonté de limiter la perte

d’information qui résulterait inévitablement d’un codage réalisé à partir d’un nombre de

catégories plus restreint. En somme, le parti de l’analyse de contenu catégorielle est de tout coder

même si certaines catégories ne sont pas directement en lien avec le phénomène étudié (cf. les

catégories grisées dans l’exemple ci-dessous).

Catégories principales Catégories secondaires

Cat

égo

rie

Domaine socio-affectif

Domaine pédagogique

Domaine organisationnel

Domaine technique

Rituel

Expression d’une émotion positive ou négative

Consignes, objectifs et critères d’évaluation

Coordination

Résoudre des problèmes d’ordre purement technique

Rituel d’ouverture

Sollicitation à participer

Contenu Délai

Communiquer des informations sur la procédure technico-ergonomique permettant d’exécuter une fonction logicielle

Rituel de clôture

Encouragement Méthode Planification temporelle des activités

Sentiment d’appartenance

Appréciation pédagogique

Agenda

Valorisation individuelle ou collective

Bilan pédagogique

Sollicitation organisationnelle

Gestion relationnelle

Sollicitation pédagogique

Appréciation

organisationnelle

Offre de soutien Rôle pédagogique Bilan organisationnel

Justification/excuse

Amorce pédagogique

Gestion des ressources matérielles

Digression Circulation de l’information

Humour Annonce d’une action dans le temps

Rôle socio Rôle

Page 60: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

59

affectif organisationnel

Amorce organisationnelle

Nous l’avons souligné, il est essentiel que chacune des catégories soient précisément

décrite de manière à pouvoir décider à quelle catégorie « appartient » un élément textuel.

Ainsi, l’une des catégories de la grille prise en exemple ci-dessus est décrite de cette

manière :

Sentiment d’appartenance

Les unités classées dans cette catégorie participent au développement présumé d’un

sentiment d’appartenance des étudiants à leur équipe.

• Le tuteur utilise des références identitaires communes ou évoque un vécu partagé (e.g .

« Je vois que vous avez des passions communes : les enfants et cet intérêt pour le

monde de l'enfance…»).

• Les interventions mettent à contribution la solidarité intra-équipe ou suscitent

l’entraide (Berge, 1995 ; Paulsen, 1995 ; Rossman, 1999 ; Vermont et Verloop, 1999)

(e.g. « N'hésitez donc pas à vous communiquer ce que vous trouvez si vous estimez

que ça peut intéresser tout le monde. C'est une chouette façon de s'entraider, qu'en

pensez-vous ? »).

• Le tuteur dévoile une part de lui-même, ce qui le rapprocherait des étudiants en tant

que membre effectif de l’équipe (Rossman, 1999 ; Garrison & al., 2000 ; Rourke &

al., 2001 ; Béziat, 2004). Cette notion se rapporte à celle de « self-disclosure » présente

dans le concept générique de présence sociale (Garrison & al., 2000) (e.g.

« Personnellement, comme je l'ai noté dans mon profil, j'adore assister à des spectacles

de danse, surtout la danse contemporaine mais j'aime aussi la danse classique. »).

• Le segment analysé fait référence à l’équipe dans laquelle le tuteur s’inclut. Le recours

au « nous » inclusif, soit un « nous » (nous, nos, nôtre, équipe…) représentant un « Je

+ Tu (singulier ou pluriel) » (Kamdem, 2006), est utilisé comme indicateur (Garrison

& al., 2000 ; Rourke & al., 2001) (e.g. « Allez y, nous essayerons de faire encore

mieux pour la phase 2 ! »).

Page 61: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

60

On peut s’en rendre compte, la mise au point d’une grille de codage peut prendre du temps.

Dans l’exemple de l’outil succinctement présenté en exemple, deux chercheurs ont ainsi travaillé

durant 6 mois pour élaborer le système de codage leur permettant, dans un second temps,

d’affecter l’ensemble des noyaux de sens dans les différentes catégories.

Dans cet exemple, la grille de codage complète se compose de cinq domaines subdivisés en

37 catégories. Quatre des cinq domaines correspondent aux fonctions tutorales identifiées à partir

des typologies recensées dans la littérature. Il s’agit des fonctions organisationnelle, pédagogique,

socio-affective et technique. Suite à l’exploration du corpus (phase de pré-analyse), un domaine

supplémentaire relatif aux rituels d’ouverture et de clôture s’est révélé nécessaire pour couvrir la

totalité des noyaux de sens du corpus (principe d’exhaustivité). La recherche portant sur l’effet

des modalités socio-affective, pédagogique et organisationnelle, ces trois domaines ont été

développées de manière plus détaillée.

Les catégories, ainsi que les règles de codage, ont été définies selon une démarche

semblable (i.e. revue de la littérature et pré-analyse du corpus). Le respect du principe

d’exhaustivité adopté pour cette analyse explique la présence d’un nombre important de

catégories (n = 37) dont certaines sont secondaires au regard des visées de la recherche. Il s’agit

par exemple des actes de langage utilisés pour introduire le développement d’une idée (e.g.

« Voici mes commentaires par rapport au travail que vous m’avez transmis »), que nous avons

répertoriés sous l’intitulé « amorce ». Cette quantité s’explique également par la volonté de

limiter la perte d’information qui résulterait inévitablement d’un codage réalisé à partir d’un

nombre de catégories plus restreint.

o Qualité d’une analyse de contenu catégorielle : validité interne et précision de la mesure

« Mesure-t-on réellement ce que l’on veut mesurer ? » (Neuendorf, 2002, p. 111, notre

traduction), telle est la question qui se pose lorsqu’on aborde la validité interne. Elle interroge

donc à la fois le plan général de la recherche et la manière dont les variables sont mesurées.

Dans une analyse de contenu, la validité de la mesure se traduit par la capacité des

catégories définies dans la grille de codage de rendre compte finement et correctement du

phénomène observé. Par ailleurs, un nombre important de catégories améliore souvent la

précision mais risque de complexifier le codage et ainsi de réduire la fidélité de la mesure. Un

Page 62: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

61

compromis doit donc être recherché de manière à trouver un nombre adéquat de catégories

permettant de répondre aux questions de recherche avec le degré de détail qui convient (d’Unrug,

1974). A cet égard, une phase d’exploration doit permettre d’ajuster les catégories aux

particularités du corpus analysé, ainsi que de préciser les règles de codage et de tester la

pertinence du choix de l’unité d’analyse (Bardin, 2001 ; Neuendorf (2002). La mise au point de la

grille d’analyse se réalise de ce fait selon une succession d’allers-retours entre le système de

codage et le corpus (Neuendorf, 2002 ; d’Unrug, 1974).

o Qualité d’une analyse de contenu catégorielle : fidélité du système de codage

La répartition des noyaux de sens dans les différentes catégories de la grille de codage

engendre inévitablement un travail d’interprétation de leur contenu, de leur sens. A ce titre, elle

nécessite une inférence qui peut affecter la qualité du système de codage (définition des

catégories et des régles de codage).

Cette qualité est contrôlée, en analyse de contenu catégorielle, par une mesure qualifiée de

fidélité inter-codeurs (Rourke & al. 2001 ; Neuendorf, 2002). D’une manière générale, la fidélité

est le degré selon lequel la mesure aboutit à des résultats identiques lorsqu’elle est répétée. Dans

une analyse réalisée par des intervenants humains, la fidélité d’une AC est estimée par la

proportion d’accord entre plusieurs codeurs indépendants. Les tests appliqués permettent de

vérifier la qualité de la définition des catégories et la fiabilité des règles de codage (Ghiglione &

al., 1995). Comme le note Neuendorf : « Sans l’estimation de la fidélité, les résultats de l’analyse

de contenu sont sans valeur » (op. cit., p. 141, notre traduction). Le coefficient Kappa de Cohen

(noté K) utilisé pour estimer la fidélité du système de codage, est un indice d’accord non dû au

hasard. Il est calculé par la formule suivante :

P(O) représente la proportion d’accord observé

P(A) est la proportion d’accord aléatoire

Les valeurs possibles se situent dans l’intervalle [-1,1], -1 indiquant un désaccord complet,

0 un accord dû au « hasard » et 1 un accord parfait. L’interprétation d’un K se situant entre ces

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62

deux bornes est sujette à discussion (Krippendorff, 1980 ; Grove & al., 1981 cités par Di

Eugenio, 2000 ; Rietveld & van Hout, 1993, cités par Di Eugenio, 2000). Comme le note Di

Eugenio (op. cit.), les seuils considérés pour conclure à un accord faible, modéré ou important,

varient de manière substantielle selon les échelles proposées, 0,68 par exemple étant interprété

selon les auteurs comme un accord qualifié de « substantiel », « acceptable » ou encore

« autorisant des conclusions temporaires » :

Various scale to assess Kappa’s significance have been proposed, the strictest one being Krippendorff’s (Krippendorff, 1980): this scale discounts any variable with K < .67, allows tentative conclusions when .67 < K < .8 K, and definite conclusions when K ≥ .8. There are other more forgiving scales, e.g. Rietveld and van Hout (1993) consider .41 < K < .60 as indicating moderate agreement, and .61 < K < .80 as indicating substantial agreement. The psychiatric community considers K >.6 or even K > .5 as acceptable (Grove & al., 1981) (Di Eugenio, 2000, p. 1).

Stemler (2001), quant à lui, propose de considérer qu’un K indique un bon accord entre les

codeurs à partir du seuil de 0,61.

Les différentes échelles proposées présentent néanmoins des éléments concordants sur

lesquels nous pouvons nous baser en vue d’adopter quelques règles. Celles-ci sont destinées à

nous aider, non seulement à interpréter la « valeur » des K (faible, modérée, etc.), mais surtout à

répondre à la question qui nous importe le plus, à savoir : « Faut-il revoir ou non le système de

codage mis au point ? ».

Au vu des seuils proposés par les différents auteurs, nous conseillons d’adopter une

position conservatrice et prudente, en considérant que : 1) en deçà de 0,61, le K révèle une

fidélité inter-codeurs qui implique la révision du système de codage ; 2) au-delà de ce seuil, et

plus précisément au-delà de 0,67 pour prendre la limite la plus « sévère » fixée par Krippendorff

(1980), la fidélité sera considérée comme suffisante.

Page 64: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

63

II. L’observation

» Vous trouverez dans le cours de licence (Desmet et al, 2010, pp. 95-110) un

développement complet de l’observation ainsi qu’une présentation de différentes

techniques d’observation que l’on peut mobiliser dans une recherche. Il est ainsi

conseillé de prendre connaissance de cette partie du cours en complément des

informations que vous trouverez dans les lignes qui suivent.

» Rappel (cf. cours de licence, p. 96) : « Au sens restreint, l’observation de pratiques est

en fait l'étude des comportements en situation. […] Cette technique est utilisée dans des

domaines de recherche très variés. Par exemple, l’ethnologie visant à comprendre le

fonctionnement de sociétés différentes l’utilise de façon très importante. De même, la

psychologie expérimentale a construit de nombreux protocoles d’observation notamment

dans le cadre de la compréhension des étapes du développement de l’enfant qui nous

intéressent en Sciences de l’Éducation. L'observation permet de recueillir des

informations en accédant directement à la tâche sans intermédiaire. Dans le cadre

professionnel, elle permet de collecter des informations à propos du profil d’action des

personnes, des caractéristiques d'un groupe, d'un contexte (cadre de travail, ambiance,

etc.), de l'utilisation des ressources ».

A l’instar de Desmet et al (2010), nous distinguerons différents types d’observation parmi

lesquels, nous retiendrons d’une part, l’observation informelle – à laquelle nous préférerons le

terme observation libre – destinée à appréhender les situations dans leur globalité (approche

« holistique ») et, d’autre part, l’observation structurée – que nous qualifierons pour notre part

d’observation dirigée – centrée sur des phénomènes préalablement sélectionnés par le chercheur,

phénomènes recensés généralement au moyen d’une « grille ».

1. L’observation libre

L’observation libre s’inscrit typiquement dans une démarche holistico-inductive propre à

l’approche qualitative de la recherche au cours de laquelle le chercheur, libre de préconception

théorique ou personnelle, « part » du terrain (« inductif »), qu’il étudie de manière « intensive »

(en profondeur), dans le but d’appréhender la globalité (« holistique ») et la complexité des

Page 65: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

64

phénomènes étudiés (cf. Approches et démarches de la recherche en sciences de l’éducation,

cours Master 1 Forse).

L’observation libre est une technique de production de données qui peut être utilisée à

l’occasion d’une première exploration du terrain (enquête exploratoire). Dans cette situation, elle

représente la phase initiale d’une recherche plus large, qu’elle soit « qualitative » (holistico-

inductive) ou « quantitative » (hypothético -déductive). Doté d’une compréhension avancée de

son terrain et d’une idée plus précise des phénomènes qu’il veut étudier, le chercheur pourra, à

l’issue de cette enquête exploratoire :

• Préciser son questionnement initial et la traduire en une question de recherche plus

précise et plus opérationnelle ;

• Élaborer des hypothèses de travail ou, du moins, dégager des pistes de recherche ;

• Définir les moyens qui seront déployés, à la suite de cette première phase, pour

apporter des éléments de réponse à la question de recherche (méthodologie, protocole

de recherche).

Ainsi, l’observation libre permet au chercheur, doté d’un questionnement relativement

large, alimentée par ses lectures, son expérience et ses intuitions, de s’immerger dans son terrain

d’étude et, après analyse des données recueillies, de préciser ses questions de recherches et

d’élaborer des outils – généralement plus structurés – qu’il utilisera durant une seconde phase de

la recherche (observation dirigée – semi structurée ou structurée, entretien semi directif,

questionnaire…).

Au cours d’une enquête exploratoire, l’observation libre devrait être complétée d’entretiens

auprès d’informateurs privilégiés et d’analyses de documents écrits de référence dans la mesure

où le but recherché est d’appréhender, de manière systémique, le ou les phénomènes étudiés dans

toute leur complexité sociale.

Dans une approche qualitative de la recherche, à caractère ethnographique par exemple,

l’observation libre est également utilisée comme outil principal de production de données. Elle

exige dans ce cas une immersion longue dans le terrain au cours de laquelle les phases de prises

d’informations et d’analyse vont se succéder de manière itérative afin de dégager

Page 66: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

65

progressivement des pistes de compréhension et, plus avant, une théorie substantive rendant

compte du ou des phénomène(s) étudié(s).

Voici, à titre illustratif et sous la forme de conseils pratiques communiqués aux coopérants

intervenant pour Médecins du monde, une liste de relevés d’observation susceptibles d’être pris

en compte sur le terrain (Bouchon, 2009, p. 25)31 :

• Faire le plan des lieux et éventuellement des cartes de déambulations (par exemple

l’itinéraire d’un malade lors de son parcours de soin) ;

• Chiffrer tout ce que l’on peut chiffrer (le temps, les flux, la durée des interventions…),

ex / combien de lits disponibles dans un hôpital ? combien de temps accordé ? quelle

durée d’attente pour une consultation ? combien d’heures de travail à effectuer ?

• Noter au fur et à mesure les informations que l’on obtient sur chaque personne (pour

pouvoir faire des portraits, des fiches biographiques) ;

• Noter le lexique populaire, la sémantique ;

• Noter des bribes de conversation, en les datant et en notant les circonstances dans

lesquelles on les a entendues (s’aider de son enregistreur) ;

• Décrire des interactions qui ont paru particulièrement significatives (qu’elles

impliquent un échange verbal ou non).

� Le journal de bord (ou journal de terrain)

Une caricature du chercheur [engagé dans une observation] de terrain pourrait le montrer avec un petit carnet à la main (Arbario & Fournier, 2011, p. 54)

Le support privilégié de l’observation libre est le journal de bord (ou « journal de terrain »)

dont la fonction est de rendre compte des faits saillants observés par le chercheur « en situation »,

de garder une trace des questions, interrogations, idées... du chercheur ainsi que des éléments

contextuels du cadre dans lequel s’effectuent les activités, verbales et non verbales, des acteurs

observés (e.g. plan du local, nombre de participants, indications temporelles etc.). A l’inverse de

l’observation dirigée (cf. infra), l’observation libre se caractérise par l’absence de catégorisation

31 Bouchon, M. (2009). Collecte de données. Méthodologies qualitatives, Paris : Médecins du monde. Disponible en ligne :

http://www.capcooperation.org/Documents/GuideCollecte_MDM.pdf [Consulté le 14 juillet 2012]

Page 67: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

66

préalable des comportements observés et, a posteriori, par l’absence de système strict de

codification.

Le journal de bord ne se limite généralement pas à rendre compte de ce que voit ou entend

l’observateur, mais relaie également les réflexions et les idées du chercheur qu’il note en regard

des « faits » observés. Ainsi, d’après Baribeau (2005, p. 108)32 :

Le journal de bord est constitué de traces écrites, laissées par un chercheur, dont le contenu concerne la narration d’événements (au sens très large; les événements peuvent concerner des idées, des émotions, des pensées, des décisions, des faits, des citations ou des extraits de lecture, des descriptions de choses vues ou de paroles entendues) contextualisés (le temps, les personnes, les lieux, l’argumentation) dont le but est de et ajoutons-y les buts compte tenu du survol que nous venons de faire : dont le but est de se souvenir des événements, d’établir un dialogue entre les données et le chercheur à la fois comme observateur et comme analyste, de se regarder soi-même comme un autre.

Le journal de terrain représente ainsi une véritable « mémoire » du travail qui s’effectue sur

le terrain. Dans cette optique, le chercheur y indique également les doutes qu’il éprouve, les

difficultés qu’il rencontre, les nouvelles pistes d’exploration qui s’ouvrent suite à un contact, les

idées qui viennent à la suite d’une observation ou après une lecture plus « réfléchie » d’un

ensemble d’événements consignés dans son journal. Le témoignage suivant illustre, à sa manière,

la multiplicité des fonctions assurées par cet outil de production de données ainsi que la diversité

des informations qui y sont consignées (Benelli, 2011, pp. 46-47)33 :

Le journal de terrain ou carnet de bord est mon favori parmi les supports susmentionnés. Il s’agit, dès le premier jour, de noter tout ce qu’on fait, observe, lit et écrit en lien avec la recherche, y compris les choses qui ne semblent pas forcément pertinentes sur le moment : les démarches entreprises pour approcher les gens et accéder au terrain, les difficultés rencontrées, les succès, les doutes, les erreurs, les gaffes, les échanges de mails, les conversations par téléphone, les démarches entreprises pour récolter des données, les références d’articles de journaux, etc. Cela inclut aussi de noter les noms des gens, leurs rattachements institutionnels, leur fonction, la raison pour laquelle elles sont contactées. Si tenir un journal de terrain demande une certaine discipline, son importance se révèle décisive au moment de l’écriture, puisque les notes prises fournissent une base importante pour la (re)construction du récit scientifique.

32 Baribeau, C. (2005), L’instrumentation dans la collecte des données. Le journal de bord du chercheur, Recherches

Qualitatives, Hors série, n°2. Disponible en ligne : http://www.recherche-qualitative.qc.ca/ISSN_revis/CBaribeau%20HS2-issn.pdf [Consulté le 14 juillet 2012]

33 Benelli, N. (2011). Rendre compte de la méthodologie dans une approche inductive : les défis d’une construction a posteriori, Recherches Qualitatives, Hors série, n°11. Disponible en ligne : http://www.recherche-qualitative.qc.ca/hors_serie_v11/RQ-HS11-benelli.pdf [Consulté le 14 juillet 2012]

Page 68: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

67

Les informations consignées dans le journal de terrain ne sont pas destinées à être utilisées

sous leur forme initiale (« brute ») dans le corps du rapport de recherche34. Elles représentent

plutôt le matériel brut (les « données qualitatives ») qui feront l’objet, à tout le moins d’une

réécriture (compte rendu d’observation) et d’une analyse approfondie (analyse des données). Les

deux exemples suivants illustrent deux formes de réécriture élaborée sur la base des « notes »

consignées dans un journal de bord. Ils témoignent d’un premier travail d’interprétation « très

près des données », à l’instar de ce qu’effectue un chercheur engagé dans la description d’un

tableau statistique (sa « lecture »).

Exemple 1

Description précise et fidèle (très près des faits observés) d’une situation d’interactions avec retranscription intégrale des échanges oraux.

Bouchon, 2009, pp. 26-27

Exemple 2

Description plus éloignée des faits observés. Des éléments contextuels sont indiqués par le chercheur afin de comprendre la situation étudiée (tension entre les protagonistes).

Bouchon, 2009, pp. 27-28

L’observateur, après avoir repéré préalablement une femme avec un enfant à l’entrée principale du complexe sanitaire, l’observe jusqu’à sa sortie en l’accompagnant dans son itinéraire. Il choisit de noter le déroulement de la consultation, qui dure moins de deux minutes :

Le soignant, complétant des colonnes sur un registre : « Au suivant ! »

La femme s’approche du bureau, pose un bout de carton (n° 14) sur le bureau et reste debout : « Bonjour » (de façon presque inaudible).

Le soignant, les yeux rivés sur son registre : « Comment t’appelles-tu ?»

La femme, essayant de faire taire son enfant qui recommence à gémir : « Fati ».

Le soignant, jetant un regard furtif à la femme et au bébé qu’elle tient dans ses bras : « Et ton enfant ? »

L’enquêteur prend en note des dialogues mais aussi une description de la situation, qui illustre des malentendus liés au genre et à l’âge.

S., environ 65 ans, réside dans le quartier.

Accompagné de son fils, il se rend au centre de santé le 5 août à 13 h 30. Le diagnostic de S. est qu’il souffre d’un paludisme. Il a froid, mal à la tête et a le vertige.

À leur arrivée, ils se dirigent directement dans la salle réservée aux soins infirmiers. « Il faut prendre votre ticket avant qu’on vous regarde », lui dit l’aide-infirmier.

Le fils se rend à la caisse, celle-ci est fermée et n’ouvrira ses portes qu’à 14 h 30. Le vieux est souffrant, il a de la fièvre. L’infirmier demande au fils d’aller acheter un thermomètre à la pharmacie (où il y a une permanence) puis de prendre la température de son père. Celle-ci est de 39,8°.

L’aide-infirmier leur demande alors d’attendre, car il y a une voie normale pour s’occuper des

34 Il est par contre recommandé de placer le contenu du journal de bord dans les annexes du rapport de recherche ou, à tout le

moins, l’ensemble des extraits du journal qui ont fait l’objet d’une analyse.

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La femme : « Dodo »

Le soignant, saisissant un bout de papier (un bulletin de vote) : « Qu’est-ce qu’il a ? »

La femme, regardant alternativement son bébé et le soignant : « Depuis deux jours, il ne cesse de pleurer; il refuse de téter ; il a de la fièvre aussi »

Le soignant, finissant d’écrire le premier bulletin, en saisit un second : «Tu vas payer des comprimés ; tiens, va là-bas si tu as de l’argent ; sinon va chercher de l’argent et viens payer ces produits ici, de l’autre côté. On t’expliquera comment les utiliser »

La femme prend les deux bulletins que le soignant lui tend et sort de la salle.

Le soignant, à un manœuvre qui passe sous sa fenêtre : « Tu as eu le journal du football ? »

Le manœuvre : « Non, la fille de Football National n’est pas encore arrivée »

Le soignant, tournant une page de son registre : « Au suivant ! »

A. S., Niamey, 1999

patients : il faut d’abord passer à la caisse mais celle-ci est fermée.

Le fils, excédé, se met à crier dans le hall et dans le couloir. « Comment un hôpital peut-il fermer sa caisse entre midi et deux ? Est-ce que quand la maladie arrive, elle prévient ? ». Suivent des injures adressées au personnel soignant.

Il faut noter qu’au niveau de la caisse, il n’y a pas de permanence, alors que c’est cette dernière qui constitue la porte d’accès à toute offre de soins au centre de santé.

Un autre problème est l’absence de distinction entre ce qui est une urgence et ce qui ne l’est pas.

Le fils installe finalement son père sur un banc. À 14 h, voyant l’état du patient, une aide-infirmière décide de faire une injection afin de faire baisser la fièvre. Mais c’est un refus net du malade : » Je ne veux pas qu’une femme me pique ; et puis elle est trop jeune. » La soignante a eu beau insister, le patient est resté ferme sur sa décision. C’est l’aide infirmier qui lui administrera la piqûre. À 15 h, le patient apprend que c’est une « femme docteur » qui va l’examiner.

En colère, il rentre chez lui, parce qu’il ne veut pas qu’une femme le touche.

A. S., Niamey, 1999

Tableau x : Exemples de comptes-rendus d’observation libre

L’exemple ci-après illustre, quant à lui, un relevé brut de comportements observés, établi

selon l’ordre de leur apparition (séquence temporelle). Ces « notes » sont prises dans le journal de

terrain. Tout comme les deux exemples précédents, ces informations n’ont pas encore fait l’objet,

ni d’une réécriture, ni d’une analyse, encore moins d’un travail d’interprétation. Elles constituent

à ce titre, un exemple de données qualitatives « brutes ».

Exemple 3

Prise de note dite « chronométrée ».

Relevé fidèle et description « neutre » des événements (ici les comportements observés) qui surviennent dans une situation d’observation (Bouchon, 2009, p. 30). Il s’agit bien d’une

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69

observation libre – tous les comportements, sans distinction, sont notés – que l’on pourrait qualifier, ici, de structurée – le relevé s’effectue selon un protocole relativement contraint.

Samedi 13 nov. 1999.

Niamey, centre de santé du district A.

8 h 30 : une matrone ouvre le bureau et se met à balayer.

8 h 33 : un agent de service arrive, salue la matrone, ôte sa veste qu’il suspend au porte-manteau.

8 h 37 : cet agent sort du bureau pour ne revenir que dix minutes plus tard.

9 h : il ramasse les carnets des neuf patients qui attendent dans le hall assis sur un banc, retourne dans la pièce et s’installe à un bureau…

9 h 40 : il ouvre la petite fenêtre et les patients s’y précipitent. Il dit aux patients de retourner, qu’il va appeler un à un.

9 h 51 : la matrone quitte le service et revient dix minutes plus tard.

10 h 29 : l’agent commence à appeler le premier patient.

etc.

A. S., Niamey, 1999

Tableau x : Exemples de notes chronométrées issues d’une observation libre

� Les formes de relevés d’observation

La description de la situation observée, élaborée à partir des notes prises sur le terrain,

constitue la forme la plus largement rencontrée lors d’une observation libre. Au delà de cette

forme descriptive, le relevé des informations issues de l’observation peuvent prendre d’autres

formes. A l’instar de Arbario & Fournier (2011, p. 52-54)35, citons les formes complémentaires

suivantes qui, dans la plupart des situations, permettront de compléter judicieusement les données

descriptives :

• les chroniques d’activités permettent de consigner, souvent de manière chronologique,

les tâches assurées par un acteur dans un contexte déterminé

• les cartes de déambulation utilisées pour tracer les déplacements des sujets dans un

espace délimité

• les fiches biographiques constituent un complément intéressant à la forme descriptive

de l’observation dans la mesure où elles permettent de regrouper les informations qui

35 Arbario, A.-M. & Fournier, P. (2011). L’observation directe, 3ème éditions, Paris : Armand Colin

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70

concernent les intervenants du terrain. Ces informations sont organisées dans les fiches

biographiques selon différentes rubriques.

• le lexique de terrain peut s’avérer utile lorsque le vocabulaire mobilisé lors des

interactions verbales relève d’un domaine spécialisé.

Par leur caractère structuré, ces formes complémentaires à la description sont semblables à

celles que prennent les informations produites à partir des outils qui sont utilisés lors d’une

observation dirigée. En réalité, ce qui distingue l’observation dirigée de l’observation libre ne

relève pas tant du support qui permet d’organiser les faits observés que le positionnement du

chercheur face au terrain : ouvert à un ensemble vaste et non prédéterminé des phénomènes dans

une observation libre, il tendra à être centré sur les comportements préalablement sélectionnés

dans une observation dirigée.

� Le compte rendu d’observation

Nous l’avons vu, les données se présentent, lors de l’observation sur le terrain, sous la

forme de notes consignées « sur le vif » sur différents types de supports écrits (carnet, journal,

fiches…). A ce stade, ces données brutes ne sont compréhensibles que par l’observateur et,

mémoire oblige, ne sont pleinement exploitables que durant une période limitée de temps. Il est

donc recommandé que le chercheur complète (de mémoire) et organise rapidement ces premières

données brutes sous la forme d’un compte rendu d’observation. Tout comme la transcription des

entretiens, le compte rendu doit être mis à la disposition du lecteur par sa mise en annexe au

rapport de recherche. De même, il intègrera les informations qui permettront au lecteur de situer

les événements relatés dans le contexte de l’observation. Selon leur pertinence, pourront être ainsi

indiquées : une description du lieu, une indication du moment et de la durée de l’observation, une

présentation des acteurs impliqués (avec anonymisation des noms), etc.

A la différence de la transcription (fidèle) des échanges d’un entretien, le compte rendu

d’observation constitue déjà le résultat d’une première analyse. Nous pouvons en effet considérer

que les données brutes sont les notes prises « au vol » et que la rédaction d’un compte rendu

discursif procède d’un travail d’organisation, de sélection voire d’ajout d’informations issues

d’autres sources. A ce titre, ce travail relève donc bien d’une première analyse de données brutes

et nécessite inévitablement une interprétation même si celle-ci s’effectue « au plus près des

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71

données ». Cette précaution, un peu théorique, étant prise, nous allons présenter, dans la partie

qui suit, quelques lignes directrices que le chercheur empruntera au cours de l’analyse plus

approfondie de son matériel d’observation (notes, comptes-rendus, voire informations issues

d’autres sources, comme des documents ou des entretiens).

� Analyser les données d’une observation libre

L’analyse consiste à comparer et à mettre en relation des faits dont l’observation a été

consignée dans différents comptes-rendus et dont le détail reste à disposition dans les notes

(journal, carnet, fiches…). Il s’agira, dans bien des cas, d’étendre l’analyse en y intégrant non

seulement les informations issues de l’observation libre mais également celles provenant des

autres démarches entreprises par le chercheur (entretien par exemple). Comme l’indique Arbario

& Fournier (2011, p. 64), il s’agit en somme de comparer les données du terrain entre elles, de

manière à assigner aux actions ou aux acteurs observés des caractéristiques (ou « attributs ») qui

conduisent progressivement à identifier celles qui permettent de regrouper, par similarité,

certaines des actions ou acteurs et celles qui, au contraire, autorisent l’analyste à en opposer

d’autres. Les caractéristiques qui permettent ce regroupement constituent l’axe sur lequel les

données sont analysées. De ce thème étudié apparaîtra, au fil du travail, des tendances, des

invariables, des similitudes ou des oppositions. Par la confrontation des résultats d’analyse du

thème en question avec ceux des autres thèmes de son étude, le chercheur vise à élaborer ou

participer à la construction d’une théorie substantive.

» Théorie substantive et théorie formelle selon Glaser & Straus (1967/2012)

Par théorie substantive, nous entendons la théorie élaborée pour un domaine d’enquête […] particulier […] comme les soins aux patients, les relations interraciales, la formation professionnelle, la délinquance ou les organismes de recherche (op.cit., p. 123, nous soulignons)36.

Par théorie formelle, nous entendons la théorie élaborée pour un domaine d’enquête […] formel ou conceptuel comme la stigmatisation, la déviance, les organisations formelles, la socialisation, la conformité au statut, l’autorité et le pouvoir, les systèmes de récompense ou la mobilité sociale (ibid.).

On peut considérer ces deux types de théorie comme des théories de « moyennes portées », se situant entre les « hypothèses de travail mineures » portant sur la vie

36 Glaser ; B., G. & Straus, A., A. (1967/2012). La découverte de la théorie ancrée - Stratégies pour la recherche qualitative,

Paris : Armand Colin

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72

quotidienne et les grandes théories qui « incluent tout » (Merton, 1949, cité par Glaser & Straus, 1967/2012, p. 123)

» Théorie ou modèle théorique

Selon Raîche et Noël-Gaudreault (2009), « un modèle est une représentation simplifiée d’un processus ou d’un système »37.

D’après Laveault (1997, p. 1)38, « une théorie est un ensemble de propositions servant à unifier de façon logique des concepts afin d’expliquer et d’interpréter certains aspects de la réalité dont on cherche à rendre compte »

En synthèse, les maîtres mots de l’analyse tournent autour de la comparaison et la mise en

relation des faits observés ainsi que la confrontation et le croisement de données issues de

plusieurs sources autour d’un thème commun.

2. L’observation dirigée

L’ observation dirigée se centre sur une sélection de comportements privilégiés au vu du

questionnement du chercheur, de ses questions de recherche, voire de ses hypothèses. Elle est

souvent – mais pas toujours – soutenue par une grille d’observation, préalablement confectionnée

par le chercheur. Cet outil de production de données peut intervenir dans une démarche

hypothético-déductive dans le cadre d’une approche quantitative de la recherche (vérification

d’une théorie) ou d’une démarche holistico-inductive appliquée dans une approche qualitative

(production d’une théorie). Dans la première situation, l’outil d’observation dirigée doit permettre

de produire des données susceptibles, après analyse et interprétation, de vérifier une théorie à

partir d’une mise à l’épreuve d’hypothèses ou de questions de recherche qui découlent

logiquement de la théorie : « le terrain vérifie ». Dans la seconde situation, le chercheur tend à

produire une théorie issue du ou des terrains investigués, à partir de faits observés. Nous dirons,

dans ce cas, que « le terrain produit ».

37 Raîche, G. & Noël-Gaudreault, M. (2009). La présentation d’un article de recherche de type théorique. Disponible en ligne :

http://www.rse.umontreal.ca/formalisation_recherche_theorique.pdf [Consulté le 18 juillet 2012]. 38 Laveault, D. (1997). Introduction à la recherche, Bloc 2c, EDU-5590, Cours. Disponible en ligne :

http://www.courseweb.uottawa.ca/EDU6690/Pdf/wbloc2c.PDF [Consulté le 18 juillet 2012]

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73

� L’observation dirigée, semi-structurée

Comme nous le verrons dans la section suivante, l’observation dirigée dite « semi-

structurée », se distingue de l’observation dirigée « structurée » par l’absence de codage

numérique des comportements, verbaux ou non verbaux, qui sont consignés dans la grille. Ainsi,

ce qui se retrouve dans la grille semi-structurée sont des éléments textuels (description de

comportements non verbaux, extrait d’interventions verbales, commentaire et annotations

apportées par l’observateur), soit des données qualitatives.

L’observateur utilise une grille semi-structurée pour y noter les événements au fur et à

mesure de leur apparition, selon une logique déterminée par la grille. Dans une démarche

holistico-inductive du moins, la mise au point d’une grille d’observation nécessite à la fois une

observation préalable de la situation étudiée (par une observation libre par exemple) et la mise à

l’épreuve d’un prototype de la grille avant son utilisation effective.

Dans la grille d’observation présentée en guise d’illustration dans le cours de licence

(Desmet et al, 2010, p. 99), les éléments indiqués rendent non seulement compte des

comportements observés (e.g. « Donne des éléments de savoir dans le contexte de correction par

questionnement ou affirmation » ; « Enseignante au fond de la classe sur un petit bureau » ou

« C’est quoi comme lettre là ? ») mais également des éléments qui caractérisent la situation

(pédagogique), selon une nomenclature adopté par le chercheur (Type de situation : Travail

individuel).

Page 75: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

74

Situation pédagogique Les élèves Interventions de l’enseignant(e)

Heure Activité Disposition Matériel

Type de situation

Contenu d’apprentissage

Relation entre

enfants

Rapport à la tâche

Relation à l’adulte

Médiations connaissances

… Médiations relationnelles

… Organisation de l’activité

Relation aux enfants

8h59 Dictée (travail individuel sur le texte)

Enfants à leur place. Enseignante au fond de la classe sur un petit bureau

Travail individuel

Orthographe - Pluriel. - Conjugaison - Mots invar. (« toujours »)

Pas de relation d’aide mutuelle

Les élèves travaillent dans le silence. Certains sont en attente, la plupart savent ce qu’ils vont faire. Quand ils ont terminé, vont prendre un livre de façon autonome et lire au fond de la classe.

Prennent plaisir aux félicitations de l’enseignante.

Donne des éléments de savoir dans le contexte de correction par questionnement ou affirmation. « C’est quoi comme lettre là ? » « Tu n’oublies pas les accents » « Toujours reprend toujours un S » …

Félicite beaucoup. Valorise. S’extasie sur les réussites des élèves

Corrige individuellement puis donne une tâche de différenciation individuelle « Tu me reprends la leçon a/à » Les élèves en difficulté viennent chacun à leur tour : 8 enfants en 10 min Fonctionnement préceptoral au sein de la classe « Là il y a quelques fautes, tu vas refaire juste ce bout là. Tu fais bien attention. »

Positive « C’est bien mais en fait ce n’est pas celui là. » Gère les erreurs par l’humour. Registre de complicité.

Tableau x : Exemple d’une grille d’observation dirigée, semi-structurée (adapté de Desmet, 2010, p. 99)

Page 76: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

75

� L’observation dirigée, structurée

L’observation dirigée est dite « structurée » lorsqu’elle est soutenue par une grille

d’observation dans laquelle un nombre délibérément restreint de comportements fait l’objet d’un

codage de nature numérique (dichotomique de type absent-présent ou fréquence d’apparition du

comportement). Ce codage détermine l’affectation d’un événement observé à l’une des catégories

de la grille.

L’analyse repose sur l’énumération des occurrences d’apparition des événements (i.e.

effectif) appartenant à telle ou telle catégorie en comparaison à d’autres. On compare de ce fait

des effectifs sur lesquels on pourra appliquer, le cas échéant, des tests statistiques tel le Chi-deux

(ou Chi-carré). Il s’agit d’une analyse de données quantitatives qui relève ainsi du cours de

Master 1 Forse sur l’analyse de données quantitatives.

Bien que nous sortions quelque peu du sujet de ce cours, nous poursuivrons, quoique plus

succinctement, la présentation de cette méthode de production de données dans la mesure où elle

se situe dans le prolongement direct de ce que vous avez découvert jusqu’ici en regard des

techniques d’observation.

L’observation dirigée, de nature structurée, produit des données qui sont principalement

utilisées aux fins de vérification d’une théorie (démarche hypothético-déductive) déjà avancée

dans la littérature ou d’une théorie – question ou hypothèse de recherche intégrée dans un

ensemble cohérent de propositions rendant compte d’un réel de référence – dégagée à l’issue

d’une démarche holistico-inductive.

o Exemple 1 : La grille de Bales

Voici, en guise d’illustration, l’une des plus célèbres grilles de codage mise au point par

Bales (1950) dans le but de cerner la dynamique de groupes lors de l’exécution d’une tâche

(Bales Interaction Process Analysis, IPA).

Page 77: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

76

Cette grille se compose de douze catégories destinées à recenser le type d’échange qui se

produit lors d’une interaction. Dans ce système de codage sont distingués les actes centrés sur la

tâche à réaliser des actes de nature socio-émotionnels, ces derniers étant répartis entre deux pôles

selon la portée psychologique présumée, positive ou négative.

Catégories centrées sur les relations interpersonnelles (socio-affectives)

Exemples

Communications à portée

psychologique positive

1 – Solidarité, sympathie, renforcement, aide Jokes, gives help, rewards others

2 – Détente, relâchement de tension Laughs, shows satisfaction

3 – Manifestation d’un accord Understands, concurs, complies, passively accepts

Catégories centrées sur la production d’une tâche (Résolution du problème)

Exemples

Tentatives de réponse

4 – Faire des suggestions Directs, proposes, controls

5 – Donner son opinion, analyse Evaluates, analyzes, expresses feelings or wishes

6 – Donner une orientation, clarifier, informations Orients, repeats, clarifies, confirms

Catégories centrées sur la production d’une tâche (Résolution du problème)

Exemples

Questions

7 – Demander des informations Requests orientation, repetition, confirmation, clarification

8 – Demander une opinion, une analyse Requests evaluation, analysis, expression of feeling or wishes

9 – Demander des suggestions Requests directions, proposals

Catégories centrées sur les relations interpersonnelles (socio-affectives)

Exemples

Communications à portée

psychologique négative

10 – Manifestation d’un désaccord Passively rejects, resorts to formality, withholds help

11 – Manifestation d’une gêne, tension Asks for help, withdraws

12 – Antagonisme, attaque relationnelle, animosité Deflates others, defends or asserts self

Tableau x : Grille comportementale de Bales (1950)39

Il s’agit pour l’auteur de parvenir à recenser la nature des actes, non leur contenu, selon

différentes catégories. Le sens de ce qui est dit et fait est donc perdu, l’intérêt se portant sur la

nature plus sociale de l’acte. L’acte est considéré ici comme une unité de communication

39 Disponible en ligne : http://www.definitions-de-psychologie.com/fr/definition/grille-de-bales.html [Consulté le 15 Juillet

2012]

Page 78: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

77

d’interaction minimale, verbale et/ou non verbale. Il représente un comportement – à valeur

communicative – suffisamment « complet » pour être interprété, dans son contexte (et cotexte

diraient les tenants de l’analyse du discours), par l’un des participants de la séance observée. En

règle générale, les éléments codés (les actes) sont souvent similaires, en longueur, aux phrases

d’un texte écrit. Mais il peut s’agir également d’un énoncé verbal relativement long (exposé des

consignes d’un travail ou réponse fournie par un élève) ou très court (un mot, « Pardon ? », un

régulateur, « Mm ») ou encore d’une expression corporelle, faciale par exemple.

Dans cette démarche de recensement, l’observateur, non participant, observe (écoute et

regarde) ce qui se dit et se passe, et « découpe » l’interaction en unités (actes) qu’il code selon la

nomenclature de Bales (chiffre de 1 à 12), de même qu’il note l’auteur et son (ou ses)

destinataire(s). L’enregistrement audio de la session permettra en outre d’associer au code l’acte

verbal.

Une séquence codée peut ainsi ressembler à ceci :

Auteur Destinataire Code Extrait ou note prise au vol

B Groupe 8 Bon, qui commence ?

F Groupe 4 On pourrait peut-être commencer par relire les consignes ?

A F 3 Oui, c’est une bonne idée

A l’inverse d’autres systèmes de codification, comme celui proposé par Flanders, le codage

n’est pas soumis à des contraintes temporelles (dans le système proposé par Flanders, les noyaux

de sens sont répertoriés toutes les trois secondes). En effet, le comportement40 qui fera l’objet

d’un codage est identifié dans le système de Bales à partir de sa nature. L’observateur

« découpe » ce qu’il voit et entend en actes, étant considéré qu’un acte est la plus petite unité

codable en référence à la grille. Autrement dit, le passage à une autre catégorie, et donc le

changement de code, marque le passage d’un acte à un autre.

» Exemple

Prenons l’échange ci-avant et modifions la dernière intervention (« Oui, c’est une bonne

idée ») en la complétant d’une question posée par le même auteur (A), comme, par

40 Comportement est toujours à comprendre au sens général de manifestation, qu’elle soit verbale ou non verbale.

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78

exemple, « Tu commences ? ». Cette question correspond à une nouvelle catégorie

(Faire des suggestions). Il s’agit donc d’un nouvel acte, muni d’un code différent du

précédent (4).

» Note : Des interventions longues et complexes font très souvent l’objet d’un découpage

en plusieurs unités codées (actes)

A partir de l’analyse d’une situation il est possible de dégager des scénarios préférentiels

d’interaction. Dans l’une des recherches menées par Bales (cité par Pavitt, cf. document chapitre

8), différents groupes sont invités à réaliser une tâche durant 40 minutes. Un observateur, placé

derrière une vitre sans tain, code les interactions. Au terme de la séance un questionnaire de

satisfaction est proposé à chacun des participants. Bales relève que les groupes les plus satisfaits

sont aussi ceux qui ont un nombre plus important d’actes positifs et un nombre moins élevé

d’actes négatifs que les groupes moins satisfaits. De plus, il semblerait que les groupes

« insatisfaits » passent plus de temps à poser des questions, en même temps qu’ils interviennent

plus longuement sur la compréhension de la tâche et moins sur la prise de connaissance de

chacun des participants. En général, les propositions de réponses sont suivies d’une marque

d’accord, comme dans la séquence suivante (de Pavitt, chap. 8) :

Bill : Maybe we need an outline (4, Faire des suggestions, acte centré sur la tâche) Ken : An outline is a good idea, Bill. I've worked in other groups who did that (3,

Manifestation d’un accord, Communications à portée psychologique positive)

Pavitt fait remarquer que ce scenario est conforme à l’un des principes de la théorie

proposée par Bales qui veut que les activités centrées sur la tâche sont généralement suivies d’une

tension que les participants tentent de réduire par des actes positifs.

o Exemple 2 : La grille de Flanders

L'un des systèmes d'observation des interactions verbales le plus largement utilisé dans

différents contextes éducatifs est le système d'analyse des interactions de Flanders (Flanders

Interaction Analysis Category, FIAC, 1970). Ainsi, la grille et la technique de codage proposées

par Flanders continuent d'inspirer des méthodes d'observation de classe jusqu'à nos jours (Allègre

& Dessus, 2003).

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79

Tableau x : Flanders Interaction Analysis Category (FIAC, 1960) extrait de Organisation des Nations Unies [ONU] (1973)41

41 Organisation des Nations Unies. (1973). L’analyse des interactions de Flanders, Centre de démonstration des méthodes,

matériels et techniques d’éducation

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80

La lecture de la grille proposée ci-dessus par Flanders permet de constater que le système

d’observation, d’une part recense les comportements verbaux et para-verbaux, à l’exclusion des

manifestations corporelles, et d’autre part se centre abondamment sur l’enseignant.

Une autre particularité du FIAC réside dans la segmentation des unités de comportements

qui feront l’objet d’un codage. Alors que dans le système proposé par Bales, l’identification des

éléments à coder est fonction de la nature des actes, le système de Flanders prévoit de coder un

comportement toutes les trois secondes. Ce découpage temporel strict offre des avantages

indéniables, mais aussi des inconvénients.

En termes de fidélité, ce type de segmentation offre une facilité accrue dans l’identification

des éléments à coder, ce qui tend à rendre le système plus stable (d’observation à observation,

d’observateur à observateur). Dans la mesure où cela correspond aux visées de la recherche, ce

système permet également une représentativité temporelle du phénomène analysé (le nombre de

comportements observés dans une catégorie est représentatif du temps que l’enseignant ou l’élève

consacre au type d’interventions pris en charge par cette catégorie). Enfin, coder toutes les trois

secondes aboutit à un recensement fin et très détaillé de la situation observée.

Ce système de segmentation rend bien entendu le codage assez ardu et exige un

entraînement, une très bonne préparation et une concentration continue du codeur durant la

séance observée. Dans cette situation, on voit mal le chercheur s’intéresser à tout ce qui se

produit, autour et en dehors des interventions verbales principales. Ce système ne permet donc

pas de rendre compte de tous les événements qui se produisent dans une situation normale de

classe. Aussi, ne convient-il pas à des situations dans lesquelles les phénomènes que l’on veut

observer se manifestent en même temps, à différents endroits de la classe. En somme, le FIAC se

révèle particulièrement adapté dans des situations pédagogiques dans lesquels l’enseignant joue

un rôle que l’on désire analyser essentiellement à partir du type et du nombre de ses interventions

verbales.

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81

o Exemple 3 : Les sociogrammes

Enfin, toujours en guise d’illustration, je vous livre très rapidement (je compléterai par la

suite si cela vous intéresse), un dernier exemple de système de codage – les sociogrammes – qui

présente la particularité de se détacher (plus nettement encore que le système de Bales) du

contenu des échanges pour s’intéresser, de manière très quantitative, aux échanges qui dénotent, à

l’origine, dans un contexte scolaire, les liens sociaux qui existent ou se tissent entre les acteurs.

Ce système de codage, proposé par Jacob Levy Moreno, est également très célèbre.

A l’origine, le système était prévu pour rendre compte des liens sociaux envisagés à partir

des affinités ou des rejets que chacun des élèves expriment pour l’un ou l’autre de ses

condisciples. Voici ce qu’en dit Mercklé (2012, Chapitre « La psychologie et les réseaux : les

apports de la sociométrie », § 1)42 dans un dossier très complet consacré aux réseaux sociaux :

le « test sociométrique » classiquement mis en œuvre consiste à demander à chaque membre d'un groupe donné de choisir parmi les autres membres du groupe, pour une action ou dans un cadre donné (appelé le « critère » du test), ceux qu'il voudrait avoir ou au contraire ne pas avoir comme compagnon (ou voisin en classe, ou coéquipier dans un jeu, ou collègue dans une équipe de travail...). Il s'agit donc, comme le dit très précisément J. L. Moreno, d'un « instrument qui étudie les structures sociales à la lumière des attractions et des répulsions qui se sont manifestées au sein d'un groupe » (Moreno, 1934, p. 53).

[suite, op.cit., § 3]

Moreno ne se contenta pas d'inventer une méthode originale de constitution d'un corpus de données «relationnelles», il élabora aussi un instrument permettant d'en représenter facilement les résultats : le «sociogramme» est à la fois une méthode de présentation et d'exploration des faits sociométriques, permettant de figurer la position qu'occupe chaque individu dans le groupe, et les relations de choix ou de rejet établies entre les individus. Concrètement, dans un sociogramme, les individus sont figurés par des points dans un plan, et les relations de choix ou de rejet par des flèches dirigées de celui qui choisit ou rejette vers celui qui est choisi ou rejeté. Appliqués aux groupes scolaires, les tests sociométriques moréniens et leurs représentations sous la forme de sociogrammes montrent ainsi la très faible mixité sexuelle des choix, qui produisait sur les sociogrammes correspondants une déconnexion presque totale du groupe des garçons et du groupe des filles (voir figure ci-dessous), et la tendance plus forte chez les filles que chez les garçons à multiplier les connexions et à les maintenir durablement.

42 Mercklé, P. (2012). Les réseaux : un nouveau concept, une vieille histoire, Dossier « Les réseaux sociaux ». Disponible en

ligne : http://ses.ens-lyon.fr/les-reseaux-un-nouveau-concept-une-vieille-histoire-144042.kjsp [Consulté le 5 Septembre 2012]

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82

Figure x : Exemple d’un sociogramme (Moreno, 1934, extrait de Mercklé, 2012)

On peut trouver d’autres applications méthodologiques, en s’intéressant, par exemple, aux

relations qui s’élaborent entre les auteurs d’une intervention verbale et leurs destinataires. Il

s’agit d’une autre manière d’approcher la dynamique d’un groupe.

Les figures ci-après illustrent un exemple fictif à l’occasion du quel un enseignant anime un

travail réalisé par un groupe restreint composé de cinq élèves. A partir d’un tableau à double

entrée, l’observateur note le nombre de fois qu’un participant s’adresse, au cours d’un échange, à

un autre.

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83

Figure x : Exemple de situation sociométrique

La dynamique interactive du groupe de travail peut ensuite être représentée au moyen d’un

sociogramme comme l’illustre la figure ci-après. On voit par exemple que l’enseignant centralise

les interactions ; qu’il s’adresse à la fois au groupe dans son ensemble (à cinq reprises) et,

personnellement, à chacun des élèves, du moins à trois d’entre eux ; que ces derniers interagissent

avec l’enseignant à l’inverse de deux des cinq élèves ; qu’un « sous » réseau semble exister entre

les élèves e3, e4 et e5 etc.

Figure x : Exemple de sociogramme

Page 85: M1-Analyse de donn es qualitatives-version 0,82

84

� Choix d’un système de codage

En fonction des nécessités et des objectifs de la recherche, il sera ou non possible

d’appliquer un système de codage qui existe déjà et qui a fait ses preuves, comme ceux proposés

par Bales ou par Flanders par exemple.

Dans une situation, favorable, où une grille existante convient aux intentions du chercheur,

il n’est pas rare cependant de devoir y apporter des adaptations, selon les particularités de la

recherche. D’une part, ces ajustements ne doivent pas être à ce point importants qu’ils remettent

en question la logique du système initial. D’autre part, toute adaptation (y compris la traduction)

d’un système de codage conduit à une mise à l’épreuve sur le terrain de l’observation.

Dans biens des cas, le chercheur devra construire ex-novo son propre système de codage.

En tout état de cause, un système de codage devra être utilisé, en situation réelle

d’observation, préalablement à l’observation effective, non seulement pour tester le système et y

apporter les ajustements requis mais également pour… s’entraîner au codage.

� Construction d’une grille d’observation

Nous vous proposons ci-après les étapes que nous recommandons de suivre dans

l’élaboration d’une grille d’observation structurée ainsi que dans la mise au point du système de

codage.

1. Observation libre

L’observation libre, menée dans une situation similaire à celle qui fera l’objet d’un codage,

permet de relever les comportements qu’il conviendra de recenser et dont le système de codage

tendra à rendre compte. Ces observations, souvent multiples, vont permettre d’élaborer

progressivement à la fois les catégories de la grille et les critères d’affectation des faits observés

dans les catégories, autrement dit, de définir les règles de codage.

2. Mise à l’épreuve du système de codage

La grille et les règles de codage doivent être testées, idéalement par des observateurs

différents, avant son utilisation effective dans la recherche. Cette mise à l’épreuve vise à s’assurer

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de la qualité du système de codage et, en particulier, à vérifier 1) que les catégories couvrent

effectivement tous les comportements pertinents, c'est-à-dire ceux qui relèvent du phénomène

étudié dans la recherche (critère d’exhaustivité), 2) que les règles de codage permettent

d’affecter, sans ambiguïté, un comportement à une catégorie (fidélité inter-codeurs, cf. le K de

Cohen par exemple) et 3) que le système de codage (catégories de la grille et règles de codage)

permettent effectivement de rendre compte du phénomène analysé (validité).

3. Codage effectif au moyen du système élaboré

III. Le questionnaire (à suivre… sur crea-tice.org)

J’ai privilégié en effet le développement des parties relatives à l’entretien et à l’observation

dans la mesure où ce sont les outils que vous utiliserez pour votre enquête de terrain. Certains

d’entre vous opterez peut-être pour l’outil questionnaire dans leur TER. Nous verrons à ce

moment-là (j’ai encore un peu de temps devant moi ;-).

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Annexes

86

� Annexe 1 : Observation - Les notes de terrain, le journal de terrain et le compte rendu d’observation

L’exemple ci-dessous, extrait du dossier « Collecte des données - Méthodologies

qualitatives », disponible sur le site des Médecins du Monde43, se présente sous la forme d’un

journal de terrain. A sa lecture, on se rend bien compte qu’il ne s’agit pas d’un « simple » relevé

de notes pris au vol (matériel brut, les « notes de terrain ») mais d’une description minutieuse, de

type ethnographique, complétée d’une analyse des données produites (cf. fin de l’extrait). Cet

exemple fournit ainsi une belle illustration de matériel élaboré sur la base de notes de terrain.

Extrait de journal de bord : un exemple de prise de notes pour une observation

(Bouchon, 2009, pp. 36-44)

Observation de l’équipe mobile de planification familiale à Z., le vendredi 11 avril, de 9 h à 13 h 45 (j.p. et F.D.)

Contexte

L’équipe mobile, composée d’une assistante sociale «communicatrice» (M., du CSI de H.) et d’une sage-femme (H., du CSI de K.), était arrivée la veille vers 16 h, avec un chauffeur et le jeune fils du chauffeur servant d’assistant (pesée, commissions…); elles avaient déjà consulté la veille pendant deux heures, et avaient commencé ce matin entre 7 et 8 h.

Ces équipes (il y en a 4) changent selon un système de rotation entre 8 sages-femmes, qui chacune font une semaine dans leur CSI, une semaine en équipe mobile, et six communicatrices (8 étaient prévues) qui font de même.

La consultation se déroule dans une des trois pièces de la case de santé, mise à la disposition de l’équipe mobile ; une autre pièce sert de « bureau-salle de consultation-vente de médicaments génériques » à l’agent de santé communautaire (ASC), qui fait fonction d’infirmier, et n’intervient pas dans les consultations de l’équipe mobile ; la troisième pièce devrait servir de salle d’accouchement (elle est équipée d’un lit gynécologique), mais elle n’a encore jamais servi. La case de santé, ouverte depuis quatre mois et financée par le programme spécial du président, se trouve très à l’écart du village (presque un kilomètre), sur une légère hauteur.

Elle est en dur, sans ventilation (sauf le fait de laisser portes et fenêtres ouvertes), avec une sorte de terrasse devant les pièces, et un banc en ciment devant la pièce de l’ASC. La cour est assez vaste, avec un hangar au milieu. Il n’y a pas d’eau sur place (on doit l’amener du forage du village).

La consultation, qui s’est interrompue à 13 h 15 pour une pause déjeuner, a repris à 13

43 Médecins du monde, Paris, France http://www.medecinsdumonde.org [Consulté le 14 juillet 2012]

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Annexes

87

h 45, quand nous sommes partis, et devait se poursuivre jusqu’à ce que toutes les femmes venues en consultation soient passées (les femmes se succèdent en fait tout le temps, sans qu’il y ait jamais eu de temps mort).

Avant d’entrer dans la salle de consultation, les femmes, qui sont presque toutes des mères allaitantes avec leur enfant (aucune adolescente, une seule femme seule), doivent faire peser leur enfant sous un hangar voisin, par le fils du chauffeur, qui note le poids sur le carnet de santé de l’enfant.

Elles attendent en fait devant la porte de la salle, parfois debout, ou assises sur la terrasse ou sur une marche, bien qu’il y ait un banc devant la porte de la salle de consultation de l’ASC (qui lui-même fait ses consultations normales beaucoup moins nombreuses, pendant ce temps).

Quand une femme sort, la sage-femme appelle la suivante, les femmes connaissent

leur ordre d’arrivée. J’ai moi-même observé 34 consultations,

mais je suis sorti pour 3 d’entre elles, lorsqu’un examen ou une piqûre allait être pratiqué (la sagefemme en ce cas demande en effet alors de fermer la porte, qui sinon reste ouverte ; par discrétion, et ne sachant pas si c’était pour un examen gynéco

ou pour une piqûre, je suis alors sorti chaque fois).

Les deux membres de l’équipe mobile ont sans doute pensé à une évaluation de notre part, et ont donc probablement modifié leur comportement habituel. Pendant toute la matinée, elles ne nous ont quasi jamais regardés, ni Fati ni moi, et encore moins parlé.

Je décrirai ici une séance « moyenne » ou typique, faite à partir de ces 3-4 séances, puis quelques variantes significatives.

Séance standard

« Bor fo ma kaa », dit la sage-femme (SF).

Une mère entre, avec son enfant (de 3 à 8 mois en général), tenant le carnet de santé de l’enfant à la main, qu’elle tend à l’assistante sociale (AS).

Les salutations par l’AS et la SF sont brèves, un peu mécaniques.

C’est l’AS qui « mène la barque ». Environ 35 ans, le débit de parole rapide et assuré, elle est en tenue normale (robe en pagne), assise de l’autre côté de la table qui fait face à la porte, et prend en général l’initiative des questions et des recommandations. La sage-femme, avec une blouse rose, est, elle, assise sur une chaise face à l’assistante sociale, à côté de la consultante, qui s’assied sur une sorte de tabouret en fer, plus bas que la chaise.

Pendant toute la matinée, j’ai cru que l’assistante sociale était la sage-femme, et que la sage-femme, beaucoup plus jeune (on lui donne une vingtaine d’années) et qui parle nettement moins, était son aide-soignante ou une stagiaire…

Comme beaucoup de carnets sont un peu défraîchis, et que la plupart ne sont pas « plastifiés », la sagefemme propose systématiquement de le « coller » (kole est le terme même qu’elle emploie en zarma) pour 100 francs, c’est-à-dire de le « plastifier »

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Annexes

88

avec un rouleau de scotch large, transparent, opération que pas mal de femmes acceptent de financer (la sage-femme leur explique que c’est le seul moyen pour que le carnet ne soit pas abîmé). La SF (et, une fois, l’AS, quand la SF était sortie) fait l’opération

en quatre minutes avec une grande dextérité, à l’aide d’une lame de rasoir qu’elle tient à peu près tout le temps à la main, et dont elle se sert parfois pour pianoter sur la table en fer quand elle s’ennuie ou pense à autre chose. Pendant ce temps, l’AS conseille en général la femme, soit sur les questions d’alimentation du bébé, soit sur l’espacement

des naissances.

Les femmes qui sont déjà venues à une consultation de l’équipe mobile ont une grande fiche verte à leur nom, que l’AS recherche (à partir du nom et du numéro du carnet) dans la liasse des fiches vertes du village. Celles qui ne sont jamais venues

doivent en acheter une (100 francs). Pour celles qui n’auraient pas de carnet de santé pour l’enfant (je ne sais si c’est le carnet banal délivré dans n’importe quel CSI, ou si c’est un carnet spécial, propre au projet, que toutes auraient donc déjà dû acheter lors d’une précédente consultation avec l’équipe mobile… en tout cas c’est un carnet vert),

elles doivent en acheter un, toujours à 100 francs, dès avant la pesée qui précède la consultation.

Les produits des ventes des fiches et des carnets sont mis dans des petits pots, alors que les produits de la «plastification» restent en vrac sur la table (sans doute c’est le «bénéfice» de l’AS et de la SF).

Si c’est le moment d’un rappel de vaccin, la SF procède à l’injection sur le bébé. C’est en général à ce moment qu’elle regarde le bébé, lui parle ou lui sourit (parfois aussi quand la femme entre, mais assez rarement). Parfois (4 fois sur 34) elle donne de la vitamine A par voie buccale, sur décision de l’AS (sans qu’on sache très bien pourquoi celle-ci décide tout à coup d’en donner à tel ou tel et pas aux autres…).

Si l’enfant a pris du poids (« a tonton »), l’AS le dit à la mère et l’encourage à continuer (« ni ma sobey »). Sinon, ou si l’enfant a environ 6 mois, l’AS commence un discours très au point, de quelques minutes, à peu près toujours identique, sur

la nécessité de donner un complément nutritionnel, en l’occurrence du « kooko amélioré », dont elle donne la recette, avec des phrases d’un débit très rapide, sur un ton qui n’appelle pas la réplique ou la question, sans revenir en arrière vérifier la compréhension, où il est question de comment faire bouillir, de couvrir les casseroles, de mettre 4 morceaux de sucre et 3 pincées de sel, d’ajouter du foie ou du poulet, etc. Parfois elle parlera (si les enfants sont plus grands) de compléments plus nutritifs (« dunguri »).

En fait, il y a quatre constantes répétitives des consultations, dont trois discursives :

– Les écritures diverses sur plusieurs fiches et carnets, qui prennent du temps ;

– La séquence verbale « proposition de plastification » ;

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Annexes

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– La séquence verbale « recette» ;

– La séquence verbale « fulanzamyan safari », le «médicament pour se reposer », autrement dit la planification familiale (PF).

Les propositions de PF sont assez systématiquement faites, souvent en demandant d’abord si la femme a déjà assisté à des séances de sensibilisation (« fulanzamyan fakaarey »).

L’argumentaire est centré essentiellement sur deux thèmes :

– L’argent : ce n’est pas cher, explique l’AS (parfois c’est la SF qui s’y met), 100 FCFA par mois pour la pilule (« fulanzamyan kini »), 500 FCFA par mois pour l’injection (« pikiri »); on explique aussi que pour la première fois il faudra acheter

un carnet spécial (100 FCFA) et une fiche (blanche celle-là, 100 FCFA) ; que les femmes donc se préparent pour épargner cette somme (« ni ma soola », ou « ni ma nooru ceeci ») ;

– Le « repos », « fulanzamyan » (puisque c’est le nom même donné en zarma à la PF) ;

l’utérus a besoin de repos, c’est comme un pagne java qu’il ne faut pas vite déchirer.

Autres arguments annexes parfois utilisés :

– Les gens du « projet » (« porze ») ont dépensé de l’argent pour les femmes, ils payent l’essence pour que la voiture vienne jusque dans le village, comment ne pas alors les écouter, vous pour qui ils font tout cela ? ;

– La prise de contraceptif ne bloque en rien de futures naissances quand on le désirera («man ti safari kan ga ganji hayyan, ni ga fulanzam de ») ;

– Il ne faut pas écouter les racontars des villageois (« koyra borey senni »), que chacun s’occupe de ce qui le regarde (« bor kul ma furo nga muraado ra ») ;

– Les « contraceptions populaires » (« koyra borey safari ») ne valent rien (« naane si no », « on ne peut s’y fier »), car ce sont des gens qui n’ont pas étudié (« i mana cow ») ;

– Le ton général est celui de l’exhortation un peu paternaliste, ponctuée de « hoo mee » renforçant l’évidence du propos, parfois culpabilisante ou condescendante. À une femme qui dit qu’elle a eu toutes ses grossesses espacées de trois ans, elle dit que si les «broussards » (« kawuya borey ») trouvent cela espacé, ce n’est rien pour les gens

de la ville qui peuvent espacer de même sept ans. Autres propos entendus : « Aujourd’hui seule une imbécile accouchera (sans espacement) » (« saama hinne no ga hay, sohon ») ;

– « Celui qui accouche chaque année n’est pas comme un être humain » (« bor kan ga hay jiri kulu a si hima borey, borey si hima »).

En revanche le concept zarma très connu de « nasuyan » (« naissances trop rapprochées »), avec ses connotations courantes (on se moque de celle qui retombe enceinte quand elle allaite) n’est presque jamais utilisé ; cependant l’AS en évoque

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Annexes

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parfois la conséquence bien connue de toutes : si on devient enceinte quand on allaite, on sèvre immédiatement le bébé, ce qui est très mauvais pour lui…

Variantes

1/ Parfois (3 fois en tout), l’AS se lance (effet de notre présence très probablement) dans une démonstration avec les accessoires pédagogiques de sa mallette : une sorte de plaque qui est censée représenter un demi-utérus en creux où elle place en relief un stérilet (qu’elle appelle « kawucu », « caoutchouc »), et un sexe masculin, pour expliquer le préservatif ; manifestement ceci ne provoque pas d’écho (et ce n’est pas fait pour cela), ce n’est qu’une séquence visiblement artificielle, sans dialogue, non suscitée par la dynamique d’une conversation.

2/ Quand une femme nouvelle est intéressée par la PF et a l’argent nécessaire, soit 300 FCFA pour le carnet, la fiche et la plaquette – c’est par la pilule que les « nouvelles » commencent – (5 au cours de la matinée), ou bien quand une femme vient pour renouveler (2, dont une piqûre), il y a prise de tension, questions sur les antécédents

médicaux (jaunisse, « mo sey » ; tuberculose, « kotto beeri »), parfois examen. D’autre part, la SF a « caché » la plaquette qu’elle venait de placer auprès d’une femme dans le carnet de santé de l’enfant.

Analyse de l’observation

Je pense que nous avons commis deux erreurs.

1/ Quand nous sommes arrivés, en pleine consultation le matin à 9 h, nous aurions dû

prendre plus de temps (entre deux consultations) pour expliquer qui nous étions et ce que nous étions venu faire ; pour éviter qu’on ne soit pris pour une équipe d’évaluation, nous aurions dû dire à l’équipe mobile que notre but était d’observer

les femmes consultantes.

2/ Pendant la matinée, F.D. n’aurait pas dû seulement observer la pesée à l’extérieur

(ce qu’elle a fait) et interviewer quelques femmes (ce qu’elle a aussi fait), mais elle aurait dû observer les femmes qui attendaient, écouter leurs conversations, voire s’y mêler.

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Annexes

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� Annexe 2 : Analyse thématique (qualitative)

L’exemple ci-dessous constitue un extrait (i.e. une seule catégorie/thème) inspiré d’un

mémoire de Master 1 en Sciences de l’éducation (Gibert, 2011).

Inspiré de Gibert, C. (2011). Curriculum par compétences et conception des séquences d’enseignement-

apprentissage à l’école primaire, mémoire Master 1 Forse, Université Lyon 2, Lyon

Catégorie : « Place des compétences dans la genèse d’une séquence d’enseignement-apprentissage »

Question du type : « Comment faites-vous pour construire une séquence d’enseignement ? Comment vous vous y prenez, comment vous faites ? »

Enseignante Extraits de l’entretien Remarques & annotations

ENS1

(enseignante surnuméraire,

sans classe attribuée)

» quand vous voulez construire une séquence d’enseignement,

comment vous vous y prenez, comment vous faites ?

Dans un premier temps, évidemment, la séquence est faite en relation avec les programmes. Euh ensuite, selon le niveau, je pense que vous avez vu que je n’ai pas de classe donc je suis ce qu’on appelle un professeur surnuméraire. Donc selon le niveau de classe je me réfère ensuite aux compétences soit premier palier ou deuxième palier et euh, surtout je me réfère aux évaluations donc soit les évaluations nationales, qui permettent d’avoir un fil conducteur, soit les évaluations des enseignants parce qu’il y a eu des évaluations des enseignants et donc, avec ces trois pôles, ça me permet de construire une séquence qui répondent à l’institution et qui répondent en même temps aux besoins des élèves

» Et à partir du socle commun, donc quand vous avez le socle

commun devant vous, comment vous faites en fait pour pouvoir

construire votre séquence ? Vous le traduisez de quelle manière

pour pouvoir le rendre enseignable ?

« Et bien en fait quand je regarde les //, si je me dis par exemple que je suis dans le cadre de la littérature hein, je vais prendre un exemple précis, donc dans le cadre de la littérature je vais regarder ce qui correspond à ça dans le socle autour de la compréhension des textes, de la connaissance des textes fondateurs et à partir de là je vais regarder ce qui est attendu par exemple pour des enfants de CE1, ce qui est attendu à la fin du palier et donc à ce moment-là je mets ça en relation avec ce que je sais moi de la littérature, ce que je sais de comment les enfants acquièrent la compréhension des textes et donc je construits ma préparation en fonction de ça

« Donc dans un premier temps, je me réfère au socle commun donc je vais chercher, euh donc dans la bonne rubrique, on est en

L’enseignante intervient ponctuellement dans différentes classes.

Pour construire sa séquence d’enseignement-apprentissage, elle tient compte de différents paramètres : le programme, aux compétences du premier ou second palier et surtout des résultats des évaluations.

Par après, par rapport à une situation précise, elle semble développer une démarche d’élaboration qui part du socle commun des compétences et confronte les « attendus » aux résultats des évaluations de manière à repérer les difficultés des élèves.

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Annexes

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maîtrise de la langue par exemple donc dans la bonne rubrique : compréhension des textes, donc là je vais rechercher ce qu'on demande aux enfants d'acquérir pour ce palier (hum hum).

Ensuite, si j'ai les évaluations, euh, je me réfère aux évaluations en me demandant, euh, généralement dans cette école, où sont les problèmes ? En fait, je regarde un petit peu où sont les problèmes constatés et donc ensuite, je prends les programmes (oui) et dans les programmes je regarde dans les repères, euh, dans les repères, euh, ce que les enfants doivent acquérir. Par exemple s’ils sont en CP, évidemment ils ne sont pas encore au niveau du palier donc plus précisément, au CP, qu'est-ce qu'ils doivent acquérir ? et donc à partir de là, je choisis les textes en fonction des difficultés de compréhension et je vais aller dans ces textes, lorsque je vais les proposer aux enfants, pointer, euh, euh, je sais pas si j'ai des difficultés de compréhension qui sont liées à l'implicite, je vais choisir un texte qui pose des problèmes d'implicite, si il y a des problèmes de compréhension qui sont liés au nombre de personnages, je vais choisir un texte dans lequel il y a beaucoup de personnages ou des personnages qui sont dénommés de manière différente et donc qui posent problème aux enfants et donc, euh, ensuite réaliser la séquence. En général, surtout en littérature, pour un texte il faut compter trois à quatre séances (oui) avec comme objectif à la fin que les enfants puissent, euh, individuellement, euh, rendre compte de ce texte (hum hum) et avoir retenu un certain nombre de mots donc, euh, parce que le vocabulaire globalement était toujours ma priorité

ENS2 » Est-ce que vous avez rencontré des difficultés justement pour

mettre en place ce type de préparation de séquence ?

Non

» Même l'appréhension des nouveaux programmes par

compétence ne vous a pas posé de soucis, justement de partir des

compétences et ensuite de mettre en place vos objectifs ?

«Non parce que ça reprend quand même toujours ce qu'on faisait avant, quoi. Ça met des idées au clair, ça met, euh // ça nous donne vraiment le but du chemin où l'on va, quoi (hum hum). »

« ça a pris un peu de temps cet été de mettre en place une programmation, etc., de se mettre les idées au clair. Mais à la fois, une fois que c'est fait, c'est fait pour l'année, on est tranquille après quoi, »

» Est-ce que vous avez rencontré des difficultés pour construire

vos situations d'apprentissage ? Toujours en lien avec les

compétences, est-ce que c'est difficile de raccrocher ces grandes

compétences aux situations que vous mettez en place ?

«Non. Non, non, je ne rencontre pas de difficultés. En général, j'ai des idées, j'ai envie de /, tout de suite je vois à peu près dans quelle ligne je veux aller. Par contre, c'est vrai quelques fois je les oublie les compétences, faut être clair que /»

Au premier abord l’enseignante affirme ne pas rencontrer de réelles difficultés à appliquer le nouveau programme centré sur les compétences… pour affirmer ensuite qu’elle reste très entrée sur les savoirs (« Oui, je suis encore dans la transmission du savoir ») même si pour les compétences transversales elle « essaie » de le faire (mais cela se pratique tout le temps, à tous moments)

S’en suit une autojustification sur les raisons qui l’amènent à ne pas intégrer (autant qu’il le faudrait) la démarche par compétences (« je suis pas certaine qu'on nous ait

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Annexes

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» D'accord. Donc vous restez vraiment plus sur la transmission du

savoir et puis la compétence si elle arrive, euh, vient se greffer

dessus.

« Voilà […] Oui, je suis encore dans la transmission du savoir »

« je suis pas certaine qu'on nous ait assez expliqué de choses par rapport à ces compétences pour nous changer vraiment fondamentalement dans notre manière d'enseigner » […] « Moi j'ai encore vraiment l'impression de faire les tranches de gâteau là, les uns après les autres quoi »

« Le souci, c'est qu'on aura peut-être encore un autre programme, comme ça change très souvent ! C'est pour cela aussi que quelque fois les instits se découragent, c'est que ça va rechanger on ne sait pas quand, bon là on n'en reparle pas encore mais malgré tout ça change régulièrement et les gens se disent mais à quoi ça sert de suivre ça si c'est pour changer dans cinq ans »

» Mais vous partez toujours d'objectifs de séquence ?

« Oui voilà, mais je ne suis pas très douée pour comprendre les grandes différences entre tous ces mots pédagogiques, compétences, objectifs, y a d'autres mots, des gros mots comme ça (rire) »

» Oui (rire)

« En sciences de l'éducation, vous devez être très fort la dedans mais moi j'ai beaucoup de mal avec tout ce langage pédagogique, j'ai besoin de choses très concrètes, donc voilà »

» Et, la place des savoirs justement par rapport aux compétences ?

Parce qu'avant on était vraiment sur des programmes basés sur la

transmission de savoirs, maintenant il y a ces compétences qui

sont venus se greffer là-dedans. Les savoirs vous en faites quoi

maintenant, est-ce qu'ils sont associés aux compétences ou est-ce

que vous restez sur une transmission de savoirs principalement ?

-Non, je pense que l'on a la transmission de savoirs mais on fait quand même très attention à toutes ces compétences transversales, quoi. On essaye quand même, je vois l'écriture par exemple. On est venu, les deux maîtresses, dans la classe l'autre jour pour donner la consigne, on est toutes les deux d'accord, on est sur la même longueur d'onde, faites des efforts en écriture là les enfants parce que ça partait un petit peu dans tous les sens. Donc voilà, on ne va pas faire que des leçons d'écriture toute bête, on écrit de belles majuscules sur le cahier mais on va dire à un moment donné en sciences ou en poésie, c'est l'occasion de copier une poésie de manière magnifique, ou voilà, donc cette compétence là on va la travailler dans toutes les matières c'est sûr,

» D'accord

« Donc, si ça aide, je trouve que c'est intéressant quand même de voir. Ça peut être pareil en expression orale, on peut le juger à

assez expliqué de choses par rapport à ces compétences pour nous changer vraiment fondamentalement dans notre manière d'enseigner » ;

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tout moment de la journée et essayer d'évaluer les enfants sur leur expression orale donc dans toutes les matières. Donc, heu, ça donne, heu, comment dire, euh // une ouverture d'esprit continuelle (oui d'accord) pour observer les enfants et voir où ils en sont »

ENS3 « Une fois que j'ai décliné mes compétences, je mets en regard des activités qui moi me semblent appropriées pour traiter de ces compétences… certaines activités nécessitent un, des outils particuliers »

« Il y a des pays où les méthodes sont imposées, nous non. On a des recommandations, voilà. Donc moi je me base sur… cette année j'ai utilisé comme outil la planète des alphas, la méthode de la planète des alphas, et une méthode de lecture qui s'appelle Ribambelle … Donc, en fonction de ce que je connais de cette méthode, je sais les activités qui vont correspondre à la maîtrise de ces compétences là »

« ensuite préparation pratique, donc une fois que j'ai mon cadre global et large, chaque semaine, je prépare ma semaine en fonction donc là des sous-objectifs, des petites choses qu'on va travailler, donc pareil en m'appuyant sur les outils, et en complétant ces outils parce qu'il se trouve que, euh, je pense moi que la planète des alphas qui était un très bon outil pour démarrer sur le code puisqu'au début du CP c'est quand même la syllabation, le phonologie, le code, c'est un très bon outil qu’il lui manquait toute la dimension compréhension, voilà. Donc j'ai ramené, en plus de ça, tout le travail sur la littérature de jeunesse donc lire, lecture offerte, travail de résumé … sur des lectures offertes et là ce n’est pas eux qui lisent, c'est-à-dire que c'est un travail de compréhension »

[s’en suit une longue description de la manière pratique dont l’enseignante applique sa méthode de lecture/compréhension avec ses élèves, cahier d’élève à l’appui]

» D’accord, et donc toujours par rapport à vos grandes compétences que vous mettez au début de la programmation ? C’est toujours en lien ?

« Hum, hum, voilà »

[Bel exemple d’effet probable de désirabilité sociale. Prendre de la distance interprétative par rapport à la réponse. Ici, importance de tous les éléments non verbaux ou para verbaux qui sont transcrits (ici « Hum, hum)]

» Et les méthodes Ribambelle, la planète des alphas, elles ont pris

A première vue, l’enseignante part des compétences

En seconde approche, il semblerait que l’outil utilisé pour développer ces compétences (manuel de lecture par exemple, le « support de lecture ») prime et qu’elle perd (ou qu’elle n’établit pas) le lien entre la « méthode » appliquée et les compétences développées.

Par la suite, elle se dit un peu perdue par rapport au vocabulaire utilisé dans les programmes, relatif aux compétences, objectifs et que « ça nous gonfle » au premier abord du moins.

(« Certaines sont déclinées sous forme de capacités, de connaissances, d'autres sont tellement généralistes qu'elles peuvent englober toute une année scolaire quoi, donc voilà. Donc c'est très très difficile, ça c'est vraiment difficile. Moi, ça me reste encore quelque chose de compliqué, euh, je sens bien, voilà, connaître les correspondances entre les lettres et les sons dans les graphies simples, ça je vois

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en compte le fait que maintenant il y ait ces compétences à faire

acquérir ?

« Non. Je ne suis pas non plus allée étudier au fin fond de leur livre du maître et là en plus pour Ribambelle, je n’utilise plus le livre du maître puisque je me le suis approprié et que je fais moi à ma sauce, donc ça me gêne pas. J’ai mon support lecture c’est tout ce qu’il me faut. Et leur fichier d'exercice, les enfants ne l'ont pas. Moi je fais des fiches d'exercice qui s'inspirent du fichier d'exercice mais c'est moi qui les fais donc moi j'y mets ce que je veux dedans. A mon avis, non, il faudrait reprendre le livre du maître de Ribambelle qui a refait une version plus récente et peut-être qu'ils en ont tenu compte mais je ne suis pas allée me plonger dedans. Et la planète des alphas c'est aussi un peu particulier, euh, non ils déclinent des compétences d'une manière différente de celles qui nous sont proposées, c'est à nous de faire les liens et de dire bah tiens ça c'est pour travailler ça (d'accord), c'est un peu, un peu compliqué,

» Donc vous préférez vraiment choisir les compétences afin que…

« Ouais moi je fonctionne comme ça. Je choisis d'abord les compétences, je sais qu'à la fin de la période c'est ça que je vais évaluer (d'accord). Après je mets en regard les activités qui pour moi vont les amener À maîtriser ou pas ces compétences. Après je bâti donc, ma semaine et après à certaines périodes on s'arrête, on fait des évaluations et on fait… »

» Qu'est-ce qui, euh, quand vous préparez votre programmation,

qu'est-ce qui paraît le plus essentiel dans ce que vous mettez en

place ?

« le plus essentiel pour moi c'est de bien, euh, cerner, parce que les compétences sont rédigées en caractère très généraliste, et de bien cerner..., c'est pour ça que je disais qu'elles reviennent plusieurs fois, parce que forcément maîtriser sa compréhension d'un récit ou d'un texte documentaire, c'est pas en une fois, une semaine, je l'ai fait, c'est bon, je coche, c'est fini (hum hum). Donc il faut y revenir, il faut les DÉCLINER de différentes façons, à mon avis c'est ça l'essentiel et trouver des activités en regard de ça parce que la pédagogie elle est LÀ, au nœud de quelle activité ?

» Est-ce que vous avez rencontré des difficultés lorsque vous avez

construit votre, euh, quand vous construisez vos programmations

?

« Oui, j'en rencontre toujours même maintenant j'en rencontre toujours avec encore une fois la lecture de ces compétences. Certaines sont déclinées sous forme de capacités, de connaissances, d'autres sont tellement généralistes qu'elles peuvent englober toute une année scolaire quoi, donc voilà. Donc c'est très très difficile, ça c'est vraiment difficile. Moi, ça me reste encore quelque chose de compliqué, euh, je sens bien, voilà, connaître les correspondances entre les lettres et les sons dans les graphies simples, ça je vois ça me parle, je sais ce que c'est, n'empêche que après, qu'est-ce que ça veut dire « connaître » ?

ça me parle, je sais ce que c'est, n'empêche que après, qu'est-ce que ça veut dire « connaître » ? […] C'est pour ça que ma première réaction envers les compétences, c'était mais ça ça nous gonfle.

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Alors y en a qui en connaissent deux, y en a qui en connaissent vingt-cinq, y en a, vous voyez ? (Oui, oui, tout à fait) Voilà, c'est ça qui est difficile. C'est pour ça que ma première réaction envers les compétences, c'était mais ça ça nous gonfle. Non, c'est très important. Enseignants, on ne peut pas partir comme ça en disant moi je fais ça. Non, on a d'abord le cadre institutionnel, on en sort pas. Et puis après il faut bien quand même qu'on ait des balises et puis qu'on sache ce qu'on fait. On ne peut pas faire tout ce qu'on veut. Je vous dis notre liberté nous elle est dans les activités mais les compétences on ne peut pas les négocier. Par contre, c'est difficile. Pour moi, ça m'est difficile encore D'accord.

» D'autant plus que les évaluations maintenant se font, euh, sur

des paliers de compétences

« Voilà, alors après y a ces fameuses évaluations parce que normalement, la déclinaison c'est ça, c'est que on choisit, puisqu'encore une fois nous on a le choix de les, de les, de les installer dans le temps, voilà. Moi je sais ce que je dois faire à la fin du CP mais par contre je m'y prends comme je veux. On me dit pas au mois de novembre, il faut avoir fait ça, au mois de janvier il faut avoir fait ça, c'est quand même relativement souple. Donc c'est à moi de la prévoir et puis après, y a un moment où il faut évaluer. Alors, ces évaluations, moi me posent d'énormes problèmes parce que je pense que, euh, l'évaluation c'est quelque chose de très subtil, de très fin, qui se veut très scientifique, parce que quand on fait par exemple, bah vous êtes bien placée pour le savoir, quand on est infirmière ou qu'on fait des études scientifiques, si on veut valider une com (compétence), une évaluation, il faut avoir fait varier qu'un seul facteur. Si on fait varier deux mille facteurs, on ne saura pas quel est celui qui a influencé. Bah nous on prend des gamins aujourd'hui, on les met devant un exercice et on va évaluer ce qu'ils savent faire. Voilà, aujourd'hui c'est un enfant, donc aujourd'hui il ne va pas savoir, il va plus se rappeler, il est fatigué, il en a marre, il n’a pas envie, ce n’est pas le moment et il va y avoir des compétences pas réussies. Et le lendemain, je ne dis pas les enfants qui sont en grande difficulté, ils sont toujours en grande difficulté MAIS on voit quand même des différences. Est-ce qu'ils sont aidés ? Pas aidés ? Est-ce qu'on est là pour valider la compétence ? Est-ce qu'on fait des évaluations dans le même cadre que d'habitude ? (hum hum) Moi les maths ils les font avec du matériel, ils ont le droit, ils ont leur sous-mains, ils ont du matériel et tout. Comment je valide leurs compétences ? Avec le matériel ? Sans le matériel ? C'est très très compliqué. Et en ce moment on se pose de, de beaucoup de questions, alors y a des compétences relativement faciles, est-ce que l'enfant sait compter jusqu'à 20, c'est-à-dire qu'il soit fatigué, malade, qu'il est mal aux pieds, si il sait compter jusqu'à 20, il sait compter jusqu'à 20, mais y en a d'autres qui sont beaucoup plus subtiles que ça et celles-là pour les évaluer, pfeu ! Et je ne suis pas sûre que quand on pointe acquis, non acquis, ou en cours d'acquisition, ça soit pareil si on les fait quinze jours après, quinze jours avant, d'une autre façon (d'accord). Ça c'est un sacré problème en ce moment et plus on nous demande

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d'évaluer d'une façon pointue, plus on a tendance à saucissonner les enfants. Forcément, on va évaluer cette chose là, puis cette chose là, puis cette chose là, moi je voudrais qu'on essaye d'inventer une évaluation plus globale du moment, à ce moment de l'année, cet enfant il est comment ? Il a fait quels progrès ? Il est parti d'où, il est arrivait où et comment ? Et c'est ça qui est difficile, alors j'ai pas la solution mais ça ça me pose, ça c'est une grosse difficulté. Et alors quand on y rajoute les compétences qui viennent de nous tomber dessus qui sont , en sécurité, l'APR, enfin vous avez vu toutes les attestations (hum hum), en anglais, en, ça devient de la folie douce quoi, c'est-à-dire que, moi encore au CP j'ai certaines compétences du socle commun à valider mais ma collègue à la fin du CE1, elle en a, euh, des pages et des pages [l’enseignante décrit une liste de compétences liées à la sécurité pendant 15 secondes], mais c'est de la folie, on sait pas comment on va pouvoir gérer ça. C'est vraiment, non ça pose problème

ENS4

(classe multiniveau)

» Alors, dans un premier temps, pourriez-vous me décrire ce que

vous faites concrètement pour construire une séquence

d'enseignement, celle que vous m'avez envoyé par exemple

« Alors concrètement, déjà je vais travailler par projet, général et interdisciplinaire, ensuite je vais me fixer sur une matière, je vais essayer de raccrocher les objectifs donc à la fois dans les programmes et dans le socle commun par rapport au projet des élèves »

« au préalable, avant de faire tout ce travail là, avant de commencer mon année, je me fais des programmations. Dans ma programmation par exemple […] de français, […] par exemple […] dans le « lire » j'ai lié toutes les compétences du socle commun que j’ai mis dans ma programmation avec […] les IO 2008 […] après quand je fais ma séquence, je n'ai plus qu'à me reporter à mon outil de travail personnel qui est déjà en lien avec le socle commun et BO […] et donc je regarde par rapport à ce que j'ai déjà travaillé, dans ma période 1, dans ma période 2, dans ma période 3, pour remonter ma séquence et construire mon projet. »

« […] en fait j'exerce dans une classe multiniveau »

» Voilà, comme on le demande avec les paliers de compétence

actuellement

« Voilà. Et d'autant plus que je travaille par cycle et non pas par […] niveau c'est-à-dire que si j'ai des élèves de CE2 qui savent déjà travailler la notion que je travaille, je vise pour eux la notion qu'il y a à acquérir en CM1. Et inversement, si par exemple j'ai des CM1 qui ont besoin de retravailler des notions qui devraient être acquises en CE2 et qui ne l'a pas été l'année précédente, je retravaille avec eux comme ça, je travaille en groupe de besoin en fait en fonction du coup de mon objectif général,

(J’adopte ce dispositif) Pour gérer la différenciation, l'hétérogénéité, le rythme des élèves et pour pouvoir vraiment

1) Classe multi niveaux

2) « Projet » (on ne sait pas exactement ce que l’enseignante entend par là) en relation avec des objectifs généraux (n’utilise pas le terme compétence), eux-mêmes en relation avec le programme

Il est intéressant de relever que le chercheur veut absolument ramener l’objectif général à la notion de compétence que l’enseignante n’utilise pas dans son vocabulaire

L’enseignante, confrontée à une situation particulière (multi niveaux) élabore une « manière de faire » spécifique qui lui permet de faire face aux difficultés, à l’hétérogénéité de sa classe. C’est ce qui semble primer sur toute autre considération.

Dans sa démarche de préparation, à un niveau relativement général, elle établit un lien entre ses objectifs généraux et ceux du programme.

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me laisser le temps d'être là pour les enfants qui ont des difficultés. Je dois gérer trois niveaux autrement je faisais ce qu'on appelle une pédagogie à tiroirs, c'est-à-dire que je m'occupais des CE2 pendant que les CM1/CM2 étaient en autonomie et ça ne me convenait pas du tout, parce qu'en fait je n'avais le temps pour les enfants en difficulté »

» Je vois que vous avez des objectifs spécifiques donc ceux-là aussi

vous les construisez vous-même à partir des programmes ou ils

sont écrits dans les, dans les programmes ?

« Non, c'est moi qui les construits par rapport à mon objectif général […] Alors ça sous-entend forcément un lien avec le BO puisqu'on va retrouver des objectifs, puisque dans le BO les objectifs généraux et spécifiques sont un peu tous mélangés donc du coup on va forcément retrouver des objectifs qui sont notés dans le BO »

» Et l'objectif spécifique, il est vraiment, enfin on va dire qu’il est vraiment coordonné à la compétence que vous souhaitez faire acquérir ?

« Normalement oui, à l'objectif général »

» A l'objectif général, d'accord. Et par exemple je vois, euh, pour la première année : « écrire sans erreur, sous la dictée, un texte d'au moins cinq lignes en mobilisant les connaissances acquises en vocabulaire, grammaire et orthographe » (hum hum), vous allez faire en sorte de faire plusieurs activités pour, pour pouvoir amener cette compétence ? Comment vous vous y prenez ?

A un niveau plus spécifique, il semblerait qu’elle s’en détache

o b2) Interprétation possible de cette analyse thématique

Il ressort des différents éléments de réponses relatifs à la place des compétences dans

l’élaboration des séquences d’enseignement-apprentissage que rares sont les répondants qui, au

quotidien, partent d’une analyse du socle commun. Seule l’enseignante « surnuméraire » (ENS1)

chargée d’intervenir ponctuellement dans différentes classes tient réellement compte du socle

commun des compétences (qu’elle croise avec d’autres informations comme les difficultés

estimées – à partir résultats des évaluations –des élèves en regard de la compétence à développer)

pour construire ses séquences. Dans les autres situations, les enseignantes interrogées tiennent

certes compte du socle de compétences mais de manière relativement ponctuelle et générale.

En tout état de cause, d’autres éléments priment sur les compétences : la situation de forte

hétérogénéité des élèves rencontrée dans la classe multi niveaux de l’enseignante 4 (ENS4) pour

laquelle la gestion des difficultés rencontrées par certains élèves est primordiale ; le suivi assuré

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par le manuel adopté par l’enseignante 2 (ENS3) prévaut sur les compétences consciemment

visés et enfin, une centration principale sur les « savoirs » pour l’enseignante 2 (ENS2).

Pour ces deux dernières enseignantes (ENS2 et ENS3), l’une des raisons de la place

secondaire occupée par les compétences décrites dans le socle commun semble tenir à la fois du

caractère trop général et peu opérationnel de la description des compétences et par une certaine

opacité du vocabulaire pédagogique utilisé.

Des éléments d’informations récoltés à l’occasion des entretiens menés auprès des quatre

enseignantes, il semblerait que le côté pratique et opérationnel des solutions adoptées « sur le

terrain » susceptibles de rencontrer les particularités de la situation de classe prime sur toutes

autres considérations.

Il y a une prescription institutionnelle à utiliser un nouveau référent sensé influer sur la

pédagogie appliquée en classe qui se traduit, au vu des propos tenus par les répondants, par un

souci, variable, d’en tenir compte. Cependant, si les enseignantes interrogées indiquent que, à un

moment ou à un autre, elles consultent le socle de compétences pour en tirer des enseignements

qui vont guider leurs choix pédagogiques, celui-ci n’occupe que rarement (1 cas sur 4, l’ENS1)

une place importante dans leur démarche d’enseignement-apprentissage.

En tout état de cause, il semblerait que c’est la méthode pédagogique, composées des

activités proposées aux élèves, qui prévaut. Dans la mesure du possible, mais cela ne semble pas

une condition incontournable, ces activités seront placés en relation avec les compétences

(« trouver des activités … parce que la pédagogie elle est LÀ, au nœud de quelle activité »

ENS3 ; « Donc, en fonction de ce que je connais de cette méthode, je sais les activités qui vont

correspondre à la maîtrise de ces compétences là » ; « je vais essayer de raccrocher les objectifs

donc à la fois dans les programmes et dans le socle commun par rapport au projet des élèves,

ENS 4).

La notion d’objectif de la séquence d’enseignement-apprentissage (le « micro-objectif »)

est probablement plus opérationnel, plus proche de la situation à laquelle l’enseignant est

confronté, plus clair, plus compréhensible et peut-être mieux compris que la « compétence » de

naturel plus générale et à visée plus « lointaine ». Cette notion d’objectif est d’ailleurs tellement

ancrée dans le vocabulaire d’une des répondantes (ENS4) que le chercheur a beau traduire le

terme d’objectif général par compétence (ce qui est d’ailleurs un peu étonnant, les deux notions

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étant strictement différentes), l’enseignant maintient, dans son discours, l’usage du premier des

deux termes. A cet égard, il est possible que la notion de compétence ne soit pas compris de la

même manière par les différents interlocuteurs et qu’une ambiguïté relative au vocabulaire que le

chercheur et le répondant utilise ne recouvre pas les mêmes acceptions. Il aurait été utile qu’une

question porte, à l’entame de l’entretien, sur cette notion centrale des échanges.