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Sous les pavés… Les chemins du plaisir Luc Chevallier

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Sous les pavés…Les chemins du plaisir

Luc Chevallier

28.74 658426

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 382 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 28.74----------------------------------------------------------------------------

Sous les pavés… Les chemins du plaisir

Luc Chevallier

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1 Lycéenne

J’ai bientôt quinze ans et ma vie est foutue. En cette rentrée de septembre 1960, j’ai un cafard noir. Je ne connais personne dans ce grand lycée privé de Valence. Il est situé non loin de l’esplanade du Champ de Mars et du Rhône, tout près aussi du lycée public. Quelques bonnes sœurs enseignent, mais il y a aussi des professeurs laïques. Mon prof de maths et celui de sciences naturelles sont même des hommes. Parmi plus de mille filles en chemise bleu pâle, gilet bleu marine et jupe plissée écossaise, je ne suis qu’une paire de tresses supplémentaire. Je me coule dans ce bain tiède et purificateur, je suis noyée dans la masse. Dans cet anonymat, peut-être pourrais-je refaire ma vie ? Comment peut-on oublier ?

A peine quelques semaines après la rentrée, des garçons en maraude viennent déjà draguer à la sortie des cours dans ce cheptel d’oies blanches et engagent la conversation avec celles qui tardent à rentrer chez elles. La directrice nous a pourtant mises en garde. Toute fille aperçue en train de flirter avec un garçon sera immédiatement convoquée, au deuxième avertissement les parents seront prévenus et au troisième, c’est l’exclusion temporaire.

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Au bout de quelques semaines, j’ai pourtant repéré un grand brun, l’air ténébreux, qui traîne aux alentours depuis quelques soirs. Il finit par m’aborder.

– Eh, Marie, je peux te raccompagner chez toi ? – Comment tu sais comment je m’appelle ? – Je me suis renseigné. – Et toi, c’est quoi ton prénom ? – Moi, c’est Jacques ! – Salut Jacques, allons plutôt au café, on ne doit pas

traîner là ! J’aimerais bien un diabolo menthe. – Je te l’offre si tu veux. T’as fais quoi aujourd’hui ? – J’ai eu sport, math, français et anglais. Qu’est-ce

qu’elle est rasoir la prof. – Moi, j’ai un vachement bon prof d’anglais. Il nous a

fait écouter un disque des Platters. Tu te rends compte, il amène son propre électrophone…

– Vous avez de la chance. Moi j’ai un prof de math qui est très mignon. Du coup, on est toutes amoureuses… On n’écoute rien. J’ai eu quatre à mon dernier devoir ! Il faut dire que j’aime pas les maths.

– Moi, c’est ma matière préférée, et toi qu’est-ce que tu aimes ?

– Les sciences nats et le français. – …

Je parle pendant des heures avec Jacques. Il a de grands yeux sombres et les cheveux légèrement longs dans le cou et sur les tempes. Ça lui donne un air canaille. Au bistrot, il y a un juke-box qui passe des rocks américains. Il y a même un antillais, Henri Salvador, qui chante « faut rigoler ». Son rire tonitruant est très contagieux ! Jacques m’apprend à jouer au flipper et à boire de la bière. La

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première me paraît si amère que j’ai envie de la recracher. Et puis, je prends goût au demi et à sa mousse, qui nous fait des moustaches de papis. Je tombe vite amoureuse, mais n’ose pas déclarer ma flamme à ce grand timide. On passe parfois des minutes entières à se regarder dans les yeux comme si notre vie en dépendait, mais j’ai ma fierté. Lui, semble terrorisé. Est-il possible qu’il soit amoureux d’une fille comme moi, si bêtement fleur bleue. Je me sens si moche, à la fois maigre et molle, les cheveux ternes et il est si beau.

Avec ma mère, j’ai des problèmes. – Tu rentres de plus en plus tard. Qu’est-ce que tu

fabriques en sortant du lycée ? – Je vais travailler chez une copine. – Comment elle s’appelle, on ne la voit jamais ! – Mais bien sûr. Tu comprends rien ou quoi. Je te dis

que je vais chez elle, pas ici ! – Je ne veux pas que tu rentres aussi tard. Tu dois

aussi m’aider à la cuisine. – Ah ça, c’est trop fort ! Les frangins n’ont jamais rien

fichu à la maison et moi parce que je suis une fille, je dois tout faire.

– Mais une femme doit savoir faire la cuisine. – Je ne suis pas encore bonne à marier, maman. – Oui, mais par contre tu ne t’es pas gênée pour faire

des horreurs à la pension. – J’ai pas fait exprès. – Mon Dieu ! Encore heureux. Je suis fatiguée que tu

me répondes tout le temps. Si ton pauvre père était encore là…

– Laisse Papa là où il est !

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On passe Noël en famille avec mes grands frères, Victor l’aîné avec sa femme Jacqueline et Isabelle leur petite fille, et Charles venu de Suresnes. Ma mère asticote Charles. Tant mieux, comme ça elle me laisse tranquille, pour une fois.

– Mon petit, tu as déjà trente ans. J’aimerais tant te voir marié. Tu ne veux tout de même pas que ta vieille mère meure avant de voir tes enfants.

– Mais Maman, je ne veux pas me marier. – Tu as bien une amoureuse. – Oh, Maman, ne reviens pas toujours sur ce sujet !

C’est pénible ! Le jour où je me marie c’est promis, je te fais signe.

– Tu te moques toujours de moi. Qu’est-ce que j’ai fait au ciel pour que mes enfants me traitent ainsi ?

Victor intervient : – Moi je me suis marié et je t’ai fait une jolie petite fille. – Mais oui, mon chéri, je ne voulais pas parler de toi. – Et voilà, comme d’habitude ! Il n’y en a que pour le

chouchou, rétorque Charles. – Mais ce n’est pas vrai ! Je vous aime tous ! Est-ce qu’on

peut essayer de partager la joie de Noël, tous ensemble ? Je glisse à Charles dans ma barbe : – Elle jette sa peau de banane et après elle veut que

tout le monde s’aime ! – Qu’est-ce que tu dis Marie ? – Rien, rien…

Noël n’est égayé que par Isabelle, qui, à bientôt deux ans, fait les quatre cents coups et mobilise toute l’énergie de Jacqueline et Victor.

Au début du printemps, Jacques se fait plus pressant.

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Il vient maintenant au moins trois ou quatre fois la semaine m’attendre à la sortie, quitte à sécher son dernier cours pour être à l’heure. Nous faisons de longues balades le long du Rhône qui roule des flots gris. En face, nous observons le coucher de soleil sur les montagnes de l’Ardèche. Il m’a enfin embrassée, sa langue est douce. Je n’imaginais pas qu’on puisse ressentir des émotions aussi intenses à se rouler des pelles, ses mains s’égarent un peu sous mes vêtements. Il pense sans doute avoir à faire à une vierge un peu effarouchée, quand moi, j’ai si honte de mon corps ! Le soir dans ma chambre, j’en pleure de rage.

Un jeudi après-midi où nous n’avons pas cours, c’est au cinéma qu’il ose s’aventurer à remonter sa main jusqu’à toucher mes poils à travers ma culotte. J’ai mis une jupe courte et ma mère m’a dit de m’habiller correctement pour sortir. On s’est encore fâchées. En attendant, je ne regrette pas mes choix vestimentaires…

Au hasard de nos promenades, main dans la main, nous avons trouvé dans une rue déserte, une maison abandonnée, barricadée par quelques planches. Un vieux matelas qui traîne dans une décharge et un drap que j’ai piqué dans l’armoire,… nous en faisons notre nid d’amour.

Couchés sur ce lit de fortune, Jacques s’aventure à me toucher les seins, il arrive à me dégrafer mon soutien-gorge sous ma chemisette et me caresse maladroitement. C’est si bon, je déboutonne son jeans et sens son sexe bien dur dans son slip. J’aime ce pouvoir que j’ai sur lui. On pourrait rester des heures à se papouiller.

Un autre jeudi je lui dis : – Jacques, ça fait cinq mois qu’on sort ensemble, tu

aimerais pas qu’on couche ensemble ?

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– Ce serait chouette, mais tu as pas peur de tomber enceinte ?

– On m’a parlé des capotes. Tu connais ? – Oui, mon grand frère qui est au service militaire

m’en a aussi parlé. Ils en ont facilement quand ils vont aux putes, paraît-il.

– Ben moi, je me vois pas aller dans une pharmacie demander « des préservatifs, s’il vous plaît. »

– Moi non plus ! – Pourtant, c’est les garçons qui doivent faire ça.

Le jeudi d’après il a deux capotes dans des petits emballages longs.

– Comment ça marche, tu as essayé ? – Oui, mais c’est pas fastoche. – Attends, je vais voir s’y j’arrive. – Mais non ! – Si je te dis ! Aussitôt dit, aussitôt fait. Je me jette sur lui et après

une courte bataille, il capitule. La victoire est totale. Je lui retire pantalon et caleçon et voit son pénis dressé. C’est la deuxième fois que je vois un sexe d’homme en érection. Il ne ressemble pas du tout à celui de Gérard. Moins long, mais beaucoup plus massif, il semble être une dent rocheuse, comme on en voit dans le Vercors, un Mont Aiguille… Les couilles sont aussi plus volumineuses, sombres et lisses, moins poilues.

Je déchire difficilement le bord du sachet et sors un drôle de petit chapeau de lutin, surmontant un anneau de caoutchouc bien enroulé. Ça sent un peu le pétrole des vieilles lampes de Tain-l’Hermitage. J’ai toujours bien aimé cette odeur, ça me rappelle mon enfance, il n’y a pas si

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longtemps. Je ne comprends pas à quoi sert le chapeau, ni comment dérouler ça.

– Attends, je te montre. – Mais non, laisse-moi essayer. Tu me prends pour

une gourde ? Je déroule toute la capote et essaye de l’enfiler sans y

arriver. – Tu vois, je te l’avais bien dit. C’est pas fastoche. Tu

l’as gâchée. Mon frère m’a expliqué qu’il faut la dérouler en l’enfilant.

– Je l’ai pas gâchée, regarde, on peut en faire un ballon !

Je me mets à souffler dedans et suis surprise de l’énorme ballon que ça fait. Jacques me l’arrache des mains et il s’envole vers le plafond écaillé, en faisant un épouvantable bruit de pet !

– Ha ha ha ! ça pète ! Mais c’est pour les géants ton truc. – T’es bête, maintenant je bande plus ! – Ça, ça peut s’arranger, dis-je, en lui posant la main

entre les jambes. Immédiatement, je sens le membre se dresser comme

sous l’effet d’un charmeur de serpent. Son gland est rose sombre, beaucoup moins violacé que celui de Gérard. Plus effilé aussi, comme si la montagne se terminait en pointe.

– Redonne-moi la capote, je crois que j’ai compris. – D’acc ! Mais vas-y mollo !

Son pénis est dru, d’un bloc, presque granitique au toucher. Un granit d’après-midi, qui a chauffé toute la journée au soleil, une pierre qui rassure. Je déroule la capote sans trop de problème et observe le résultat. Le petit chapeau surplombe la tige. Ça donne presqu’un côté

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comique à l’ensemble. Un skieur encapuchonné ! D’avoir tripoté son sexe a excité Jacques. Il veut

essayer tout de suite la capote. Mais même si je me sens très excitée, je ne suis plus si sûre de vouloir coucher avec lui. Toujours cette satanée honte de mon corps. J’ai peur qu’il ne me rejette en me voyant nue, que je le dégoûte, que je le perde définitivement.

Je le caresse doucement à travers la capote, depuis ses bourses bien gonflées, jusqu’au bout du capuchon. Il ne tarde pas à gicler et je comprends alors que le renflement de la capote sert à recueillir la semence.

Je recommence moi aussi à me caresser. Le soir dans mon lit, je m’invente des histoires où je suis la seule survivante d’un naufrage. Les autres rescapés, tous des hommes, se battent pour m’avoir. J’organise des combats à mort, où, reine capricieuse, je change les règles au fur et à mesure, pour qu’elles soient plus cruelles. Je récompense le vainqueur, en lui offrant mon corps. Je me prépare, en me roulant dans les ocres et les cendres, déesse tribale. J’enduis aussi le corps de mon amant d’une nuit, d’une marinade aux plantes odoriférantes et au miel et me délecte à le lécher à petits coups de langue. Quand je tombe sur les pointes de piment et de muscade, une puissante excitation se lève comme une vague. La mer se déchaîne et me laisse hagarde, seule sur le sable…

Mes histoires et mes plaisirs sont sans cesse nouveaux et n’ont de limites que celles de mon imagination, qui est sans bornes…

J’ai ainsi l’idée de proposer à Jacques une visite guidée de mon corps. Dans notre « no mans land » de vagabonds, où nous entrons en écartant deux planches, nous avons

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progressivement amélioré notre « home sweet home ». Ce jour là, j’apporte du yaourt, des oranges, de la cannelle et un clou de girofle, pris chez ma mère. Dans un bol qu’il a amené pour nos libations (il pique parfois une bouteille dans la cave de son père) je broie le tout, avec un caillou. Je lui bande les yeux, me mets nue et dessine avec mon doigt des figures cabalistiques sur mes seins, mes hanches et mes cuisses. Je mets même de cette mixture dans ma toison frisée. Puis, je lui demande de lécher partout le yaourt parfumé. J’ai évité mon ventre que je n’aime toujours pas. Il le fait avec beaucoup de sérieux, comme un rituel sacré. C’est un délice de sentir sa bouche et sa langue suivre les chemins compliqués sur ma peau sucrée et frissonnante qu’il électrise. Mais il fait presque tout foirer, tant sa langue pointue me met au supplice : ça chatouille ! Il s’attarde dans de sombres contrées, ouvre mes cuisses délicatement et maladroitement d’abord, darde sa langue entre mes poils odorants pour mieux laper le yaourt épicé. Ses yeux toujours bandés, je le guide vers la source en tortillant mes fesses, pour le mettre bien en face. C’est la première fois de ma vie qu’on m’embrasse là et c’est délicieux. Je tangue et chaloupe… Mes pensées vacillent, comment est-ce possible que ce soit aussi bon ? Je glisse ma main dans ses cheveux bruns et l’encourage à poursuivre, en lui imposant mon rythme de plus en plus fébrile. Je jouis dans sa bouche, tout en étant moi-même surprise par la puissante décharge qui me fait me cabrer comme une pouliche sauvage.

Jacques finit par me faire oublier presque complètement mes complexes. C’est mon premier vrai amant, tendre, passionné, imaginatif. Il me fait découvrir les trésors enfouis au plus secret de mon ventre. Je sens

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irradier chaque cellule de mon corps quand il me mène au plaisir.

La première fois, c’est un soir de printemps, où j’ai dit à maman que j’allais au cinéma avec une copine.

Nous nous rejoignons dans notre nid, où nous pénétrons à la lampe de poche et j’allume les bougies que j’ai amenées. Il se déshabille et la lumière jaune et changeante fait luire sa peau, lui donnant un aspect cuivré. Il est beau et sauvage.

Moralement, je suis prête à m’offrir en sacrifice, comme une esclave s’offre à son maître. Mais mon corps est rétif, fuyant sous ses caresses et je n’arrive pas à me laisser aller. Il le sent et me dit :

– Invente encore une histoire qui nous conduira à l’union sacrée des corps !

– D’accord, attends j’ai une idée. Tu es Héraclès, fils de Zeus, et je suis une des cinquante filles du roi Thespios, qui envoie chaque soir une fille différente, pour avoir des petits enfants du plus parfait des hommes.

– Je vais mettre ma chemise en toge et ma ceinture fermera l’accès de mon sexe. Tu devras le gagner en dansant pour moi.

– Je vais chanter en me déshabillant.

Allongé sur un coude, il me regarde me mettre nue devant lui, tout en chantant une mélopée, qui se veut être du grec ancien. En dansant, je me défais de mes habits, telle Salomé et sa danse des sept voiles. Il fait frais, j’ai la chair de poule. Mes seins sont dressés et pour la première fois depuis longtemps, je me sens belle sous la lumière des bougies, qui donne à la scène une beauté onirique et tremblante.

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Quand je suis nue, il me regarde danser encore un peu, me prends par une cheville et m’attire sur lui.

– Viens, j’ai mis une capote ! – Alors ne bouge pas et laisse moi faire. – Je suis ton esclave… – Mais non, idiot, tu es Héraclès et je dois te donner

du plaisir. Je prends avec une certaine appréhension son pénis

dans ma main. Je m’agenouille au dessus de lui et le fait lentement glisser entre mes cuisses. Ça coince un peu à l’entrée, j’ai soudain peur que ce ne soit trop gros. Je reprends en me cambrant un peu plus, ça rentre doucement jusqu’au fond et là, je m’arrête. Il est inquiet :

– Qu’est ce que tu fais, t’as pas mal ? – Non, non, t’inquiète pas ! En fait, c’est une révélation ! Ce sexe d’homme

m’épouse à merveille, comblant le moindre de mes creux. Nous sommes parfaitement imbriqués, comme des pièces d’un puzzle qui n’attendaient que de trouver leur place. Je reprends le mouvement, d’abord très doucement, puis de plus en plus vite. Je me sens monter à cru un étalon, ou peut-être est-ce le taureau de Minos ? Je suis fascinée par la précision d’orfèvre avec laquelle cela coulisse en moi. Mes chairs enserrent cette épée qui me transperce délicieusement. Quelle sensation de puissance, le temps n’existe plus. Je me dissous dans le Néant, mon ventre est rempli de spasmes délicieux, vagues de chaleur bouillonnantes. Suis-je une déesse de la mythologie ? Je ressens alors, pour la première fois de ma vie, un plaisir divin qui ébranle tout mon être. Je m’agrippe à Héraclès lui-même. Je féconde à jamais mon être d’une jouissance suprême… Je m’effondre enfin sur Jacques, hors d’haleine.

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J’ai oublié un instant jusqu’à mon nom. Jacques me regarde avec étonnement, il se dégage, comme si je le brûlais. Mais en fait, il est un peu gêné avec sa capote maintenant trop grande sur son sexe ramolli. Je ne me suis pas un instant demandé s’il avait eu du plaisir, mais quelle révélation !

Nous avons beaucoup d’autres fulgurances. Il entre dans mes histoires avec délectation et je les nourris de mes lectures. Pendant près d’un an, il me comble, chaque rencontre est nouvelle, étonnante ou amusante. J’ai trouvé l’amant parfait.

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2 Fin d’un amour

Mais un jour du printemps 1961, je suis alors en première littéraire et lui en terminale, j’ai un retard. Pourtant mes règles sont devenues régulières et nous utilisons des préservatifs à chaque fois. Je ne comprends pas et ne veux pas inquiéter Jacques. Malgré tout, je deviens plus nerveuse, plus fermée aussi. Nos jeux s’arrêtent. Jacques n’y est pour rien, mais je commence à l’engueuler, souvent pour des broutilles. Nous ne faisons plus l’amour du tout. J’ai peur !

– Tu as changée. Tu ne m’aimes plus ! – Mais si, je t’aime… – Tu ne m’embrasses plus comme avant. Qu’est-ce qui

se passe ? Tu as rencontré quelqu’un d’autre ? – Ah non ! Tu vas pas faire ton jaloux en plus ! – En plus de quoi ? – J’ai des problèmes. Tu peux pas comprendre. – Mais si ! Tu sais bien que tu peux tout me dire. – C’est pas une question de confiance. Je n’veux pas en

parler. Ça n’a rien à voir avec toi. Il vaut mieux qu’on ne se

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voit plus, pendant quelque temps. – J’en étais sûr, tu ne m’aimes plus !

Je ne le vois plus. Il doit être vexé. Moi, je suis encore plus seule avec mon secret. Je ne sais pas à qui en parler. Je suis désespérée.

Je ne veux en aucun cas garder cette grossesse, mais je ne sais pas comment avorter. C’est illégal et dangereux. Je sais que certaines filles l’ont fait parce qu’on en parle, mais comment les aborder. Je me lance :

– Salut ! Je m’appelle Marie, je suis en première. On s’est déjà vue dans la cour. Tu me remets ?

– Ouais, j’crois bien t’avoir croisée avec un brun assez mignon qui t’attendait à la sortie du bahut, c’est ça ?

– C’est ça, mais on s’est séparé ! Tout ça à cause d’un p’tit cadeau qu’il m’a laissé, tu vois le genre… J’ai besoin de ton aide. On peut se voir ?

– Si tu veux ! On peut se retrouver au bistrot à la sortie, mais j’ai pas beaucoup de temps.

– OK, d’accord, c’est vachement sympa. Ah, au fait, c’est quoi ton nom ?

– Gabrielle, comme l’ange, mais au féminin…

A cinq heures, j’attends donc Gabrielle à une table du bar, près du flipper pour que le bruit couvre notre conversation. Au moment où elle entre, le juke-box joue « Only You » des Platters et je pense à Jacques…

– Salut Gabrielle, c’est sympa d’être venue, tu bois quelque chose ?

– Une bière ! – Patron, deux bières ! – Au fait, qu’est-ce que tu voulais me dire. – C’est à propos de mon, heu… problème. On m’a dit

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que tu savais qui contacter, tu peux m’aider ? – Ben, on m’a parlé d’un médecin qui fait ça, mais en

secret. Tu sais que c’est puni par la loi, alors faut être vachement prudentes. Si tu veux, tu viens avec moi, jeudi prochain et je t’y emmène.

– C’est sans danger ? – L’avortement ? Bon, je vais pas te mentir, ça fait

vachement mal et tu risques de saigner beaucoup, et aussi une infection.

– Ça, je connais ! – Ah bon ? – Oui, enfin j’ai déjà eu des histoires, quoi… – On en a toutes ! Ecoute, là je peux pas rester. Alors à

jeudi devant le lycée à 14 h. – Merci beaucoup, à jeudi. Elle part en laissant sa bière à moitié pleine.

Le jeudi, elle est à l’heure au rendez-vous. Moi, je l’attends déjà depuis un quart d’heure, en me rongeant les ongles.

Le médecin a pignon sur rue. Une plaque indique « Dr X, omnipraticien, sans rendez-vous. »

Nous entrons dans une petite salle d’attente, où plusieurs autres femmes sont assises. Une est enceinte, avec un très gros ventre, les autres sont accompagnées d’enfants. Nous attendons près d’une heure notre tour.

– Bonjour mesdemoiselles, que puis-je pour vous ? Le médecin n’est plus très jeune, les cheveux poivre et

sel et des lunettes cerclées d’or. Il inspire confiance, vaguement souriant.

Gabrielle prend la parole : – Je suis déjà venue, vous savez, pour la chose…

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– Et c’est pour votre amie, c’est ça ? – Oui, elle pense être enceinte. Je ne dis toujours pas un mot et voudrais m’enfuir sur

le champ. – Nous allons voir ça. Déshabillez-vous derrière le

paravent. – … – Mais, vous avez déjà eu un bébé ! – Non, non ! C’est juste que j’ai beaucoup maigri. – Bon, ce n’est pas grave. Vous êtes enceinte de deux

mois au moins. – C’est encore possible ? Mon angoisse est palpable… – Oui, mais ça va vous coûter cher. Vous savez que je

risque ma carrière… – Oui, on m’a dit. Heureusement qu’il y a des

médecins comme vous. Dites moi comment ça va se passer ?

– Ici même. Je fais ça le samedi à midi. Je procède à un curetage après anesthésie du col de l’utérus. Cela peut saigner et parfois il y a des infections. Il arrive qu’en cas de problème, vous soyez obligée d’aller à l’hôpital. Surtout, si c’est le cas, vous leur dites que vous êtes en train de faire une fausse couche. Et pas un mot à vos parents !

– Oh, le plus important c’est que vous me l’enleviez !

Le samedi arrive. Je reviens avec Gabrielle chez le docteur X. Cette fois-ci il n’y a personne.

Je me déshabille, comme une vache qu’on mène à l’abattoir. Il écarte mon vagin avec un instrument en métal froid. Mon cœur bat la chamade. Quatre piqûres, puis une douleur atroce qui irradie jusque dans mon crâne. Je crie.

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– Mademoiselle, si vous ne vous tenez pas tranquille, je ne peux pas y arriver !

– Continuez, je vous en supplie, je ne vais plus bouger.

Le supplice dure de longues minutes. Cet homme en blouse blanche est un boucher, il fouaille mes chairs, me laboure sans état d’âme. Je sens couler entre mes jambes fixées par des sangles à des étriers, le sang purificateur. Je revois mon père mort et le cri que j’ai poussé alors. J’entends dans ma tête le son du saxophone ténor, quand il faisait ses gammes. Les envolées et les descentes en vague des notes de ma mémoire me permettent de me concentrer sur les contractions de mon ventre. La douleur est intenable, mais je serre les dents… Et c’est enfin fini !

Je sors essorée, après avoir vidé sur la table toutes mes économies depuis deux ans, mon argent de poche, donné par ma mère toutes les semaines et les cadeaux de mes frères pour Noël. Heureusement que je suis très économe. J’ai même du prendre le complément dans l’enveloppe où ma mère met le liquide qu’elle retire à la banque. J’espère qu’elle ne le remarquera pas.

Gabrielle me tient par le bras sur le trottoir. – Tu es toute pâle, tu es sûre que ça va ? – Oui, oui ! Je vais rentrer chez moi maintenant. – Prend de l’aspirine, ça soulage. – …

Je reprends dès le lundi ma place au lycée, mais je sanglote longuement tous les soirs, prostrée sur mon lit. Je suis entrée dans un vide existentiel, une sorte de tunnel sans fin.

Les mois suivants, je reste très affectée par la perte de Jacques et rentre directement chez moi, après les cours.

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Maman qui n’est pas habituée à me voir autant, essaye maladroitement de reprendre contact avec moi. Elle s’inquiète, car je maigris, je ne lui parle que par grognements, j’ai les yeux gonflés. Mes résultats scolaires sont en chute libre. J’ai perdu l’appétit et toute joie de vivre. Je vis pour la première fois un chagrin d’amour et c’est par ma faute. Je ne vais pas y survivre…

– Marie, pourquoi ne manges-tu pas ? – Pour la millième fois, maman, je n’ai pas faim. – Mais je t’ai fait ton plat préféré, gratin dauphinois et

rôti de porc aux herbes, et tu n’y touches même pas. – La viande me dégoûte ! – Mange au moins le gratin, tu dois prendre des forces

pour étudier. Le baccalauréat c’est dans un an.

Elle est incapable d’aborder de front une discussion plus personnelle. Et je lui en veux, même s’il est probable que je l’aurais envoyée bouler. Je ne veux dépendre de personne sur le plan affectif et surtout pas de ma mère !