louis xiv. le roi de guerre en procès

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www.histoire.presse.fr L’historien, l’homme et l’arbre par Alain Corbin ACtuALité : luther et le mariage pour tous &:HIKLSE=WU[WUX:?a@d@s@q@a" M 01842 - 386 - F: 6,20 E Clemenceau, à gauche toute ! Quand Rome brûlait des livres louis xiv Le roi de guerre en procès MENSUEL DOM/S 7,20 € TOM/S 950 XPF TOM/A 1 600 XPF BEL 7,20 € LUX 7,20 € ALL 7,90 € ESP 7,20 € GR 7,20 € ITA 7,20€ MAY 8,70 € PORT. CONT 7,20 € CAN 10,50 $CAN CH 12 ,40 FS MAR 60 DH TUN 6,80 TND ISSN 01822411

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Il y a trois cents ans, en 1713, le traité d’Utrecht établissait une paix durable en Europe, mettant fin au dernier conflit de Louis XIV. Dans quelle mesure celui-ci chercha-t-il à étendre son emprise sur le continent ? A-t-il délibérément provoqué ruines et ravages sur le Rhin ? Au-delà de la légende noire, mise au point sur son rôle et sur la nature de ses armées. Avec Joël Cornette, Émilie Dosquet, Hervé Drévillon, Charles-Édouard Levillain

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Page 1: Louis XIV. Le roi de guerre en procès

www.histoire.presse.fr

L’historien, l’homme et l’arbre par Alain Corbin

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’sommaire

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’actualitéon en parle14 La vie de l’édition - Hommage - en tournage

portrait 16 roger Grenier, le doyen de la NrF Par Pierre Assouline

art 18 Le peintre, la danseuse, le nazi Par Emmanuelle Polack

19 internet : les sites du mois

livre 20 Cortés avançait masqué Par Bartolomé Bennassar

expositions 22 Napoléon, le retour Par Bruno Calvès

24 L’amant américain Par Irène Frain

25 agenda : les rencontres du mois

médias 26 Dans la baleine tout est bon ! Par Olivier Thomas

27 Frères musulmans

27 Colonitude Par Pap Ndiaye

société 28 Luther et le mariage pour tous Par Marianne Carbonnier-Burkard

30 on mange bien les chevaux Par Daniel Roche

cinéma 32 Le cèdre et la Lune Par Antoine de Baecque

33 transistor palace

bande dessinée 34 La madone des squatters Par Pascal Ory

’feuilletonavril 1913 86 tout là-bas sur le rhin Par Michel Winock

’GuiDela revue des revues88 « Clio » : la toge fait le romain

88 La sélection du mois

les livres90 « Le Mystère des rois de Jérusalem, 1099-1187 » d’Élisabeth Crouzet-Pavan Par Isabelle Heullant-Donat

91 La sélection du mois

le classique96 « souvenirs » d’alexis de tocqueville Par Michel Winock

’Carte BlancHe98 au nom du cœur Par Pierre Assouline

couverture : Portrait équestre de Louis XIV en 1668 par Charles Le Brun (Douai, musée de la Chartreuse ; RMN-GP/Agence Bulloz).

retrouvez page 36 les rencontres de l’histoire

abonnez-vous page 97Ce numéro comporte trois encarts jetés : catalogue de huit pages Sophie Dulac Productions (sélection d’abonnés Ile-de-France), L’Histoire (kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse).

www.histoire.presse.fr

DOSSIER SPÉCIAL?? PAGES

DOSSIER SPÉCIAL?? PAGES

L’historien, l’homme et l’arbre par Alain Corbin

ACTUALITÉ : LUTHER ET LE MARIAGE POUR TOUS

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LOUIS XIVLe roi de guerre en procès

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Clemenceau, à gauche toute !

Quand Rome brûlait des livres

’événement8 Pourquoi on a peur de l’arbre Entretien avec Alain Corbin L’arbre sidère. sa massivité, sa temporalité, sa beauté produisent de l’admiration, mais aussi parfois de l’inquiétude, voire de l’horreur. retour sur les racines de cette peur.

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www.histoire.presse.fr10 000 articles en archives.Des web dossiers pour préparer les concours.Chaque jour, une archive de L’Histoire pour comprendre l’actualité.

N°386-avriL 2013

Page 3: Louis XIV. Le roi de guerre en procès

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Les guerres de

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’recherche68 Noces rebelles au moyen age Par Carole Avignon Le mariage chrétien : une invention de l’église médiévale. Qui a eu une conséquence paradoxale : la multiplication des unions clandestines.

74 Clemenceau, à gauche toute ! Par Jean-Noël Jeanneney

pour les socialistes, Clemenceau, une fois au pouvoir, se serait transformé en cruel réactionnaire. Les questions sociales furent pourtant au centre de son programme.

80 Quand rome brûlait des livres Par Yann Rivière avec la diffusion des livres à rome est née la censure. elle s’attaqua à partir du règne d’auguste à tout délit relevant de lèse-majesté ou de diffamation.

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40 « J’ai trop aimé la guerre… » Par Joël Cornette

44 Le pré carré

46 Cartes : du conflit de frontière à la guerre mondiale 48 La révolution des armes à feu Entretien avec Hervé Drévillon51 Le fusil et la baïonnette

53 La mort de d’artagnan

56 enquête sur le sac du palatinat Par Émilie Dosquet

60 L’europe liguée contre Louis Xiv Par Charles-Édouard Levillain

62 L’ancêtre de Churchill

64 1713, les espoirs fous de la paix d’utrecht Par David onnekink

46 Chronologie

65 pour en savoir plus

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’événement la peur de l’arbre

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Pourquoi on a peur de l’arbre

Entretien avec Alain Corbin

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La Bible a fait de l’arbre, à travers la scène de la Chute, un être porteur de mal : le serpent était enroulé dans l’arbre de la connaissance, tel le reptile qui figure au centre de cette représentation de la Tentation de saint Antoine par Jan Mandyn (première moitié du xvie siècle).

La Douceur de l’ombre paraît chez Fayard en avril.

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L’ H i s t o i r e N ° 3 8 6 a v r i L 2 0 1 3 9

l’auteurProfesseur émérite de l’université Paris-I et de l’Institut universitaire de France, Alain Corbin est spécialiste du xixe siècle. Il a écrit de nombreux ouvrages sur l’histoire de la sensibilité : sur l’odorat, le paysage sonore, la sexualité, le désir. Il publie ce mois-ci la Douceur de l’ombre chez Fayard.

Dans son dernier livre, Alain Corbin s’intéresse à la sidération que produit l’arbre dans son face-à-face avec nous. Une rencontre où se mêlent attirance, admiration, mais aussi inquiétude, effroi. Nous avons voulu en savoir plus sur les sources de notre peur de l’arbre.

L’Histoire : Dans la Douceur de l’ombre, vous nous invitez à suivre depuis l’Antiquité gréco-romaine ceux qui « ont su voir l’arbre » (une expression de Charles Péguy). Qu’y a-t-il donc à « voir » dans l’arbre ?Alain Corbin : Énormément de choses ! Ce qui

m’intéressait avant tout, c’était non pas l’arbre so-cial, l’arbre de la liberté, l’arbre de la patrie, ni la botanique, ou la forêt, mais le face-à-face de l’indi-vidu et de l’arbre. L’arbre sidère : je veux dire que sa grandeur, sa temporalité, sa massivité ou encore sa beauté produisent un choc, mais aussi de l’at-tirance, de l’admiration, de l’inquiétude, parfois même de l’horreur. Bref le choc face à un autre. C’est pourquoi l’arbre revient plus souvent que l’animal sous la plume des poètes du xixe siècle.

il s’agit aussi d’une interrogation sur le temps, le temps du monde et le temps de soi. Je me suis

rendu compte, durant ce travail de recherche, que plusieurs grands

historiens ont été sidérés par l’arbre. Cela est bien connu de taine ou de Michelet, mais encore de

Lucien Febvre, qui, à la fin de sa vie, s’intéressait parti-culièrement aux arbres.

L’arbre peut vivre quatre mille ans, tandis que l’homme

atteint au mieux une centaine d’années ; il inspire donc une ré-

flexion sur le temps. Certains cherchent à son contact la ré-miniscence – notamment de

l’enfance – ou l’abolition du temps – puisque l’arbre est toujours là alors qu’on l’a connu dans l’enfance et qu’on est devenu vieux.

sans oublier, bien sûr, sa dimension éroti-

que, souvent soulignée. on pense ici au lien, dans la Genèse, entre l’Ève ten-tatrice, le serpent et l’arbre de la connaissance – et aux représentations voluptueu-ses d’Ève au milieu des ar-bres. Mais aussi à apollon couvrant de baisers et de caresses l’arbre en quoi s’est métamorphosée son aimée Daphné dont il sent palpiter

le cœur à travers l’écorce. ou encore à l’entrelacs de végétaux qui symbolise

l’union éternelle de tristan et iseut après leur mort.

L’H. : Finalement, l’arbre serait,

dans la nature, l’être vivant qui

nous ressemble le plus ?

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Apollon et Daphné par le Bernin (1622, galerie Borghèse, Rome).

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’actualité société

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L’occident moderne ne mange pas de cheval – sauf exception. Le scandale des

lasagnes au cheval met en lu-mière les tabous liés à l’hippopha-gie. L’interdit est ancien : si les Gaulois, les Celtes, les Germains consomment de la viande de che-val, la romanisation la fait dispa-raître, malgré quelques persistan-ces notamment en italie du Nord, où la tradition se maintient jusqu’à nos jours. L’anthropomorphisme joue un rôle important dans ce recul : le cheval catégorise le monde social. on sait le privilège qui s’attache aux cheva-liers. La mythologie des Centaures fait de lui un être à la frontière de l’animalité et de l’humanité.

La christianisation a aussi sa part de respon-sabilité dans ce recul mais l’archéologie et la re-lecture critique des textes apologétiques l’ont un peu minimisée. en effet, si l’encyclique du pape Grégoire en 732 dénonce l’hippophagie, il vise d’abord les sacrifices masqués, les rituels magiques, voire les banquets qui les accompagnent. ajoutons que le christianisme ne prône pas d’interdits ali-mentaires absolus mais des consignes de jeûne et d’abstinence à valeur morale, et que les poursuites traduisent plutôt un conformisme de bienséance. « Bien que la viande de cheval ne fût nullement in-

terdite, on n’avait pas coutume d’en manger », écrit justement l’anthro-pologue François sigaut (École des hautes études).

reste que, comme le rappelle voltaire dans son Commentaire sur le livre Des délits et des peines (1766), un pauvre gentilhomme du Jura, Claude Guillon, fut déca-pité en 1629 pour avoir consommé « cheval » et « veau en carême » – on le soupçonnait aussi d’être protes-tant –, mais il s’agissait surtout de

lutter contre les dangers de la pauvreté et du déclassement. La viande de cheval s’avère plus honteuse qu’impure, elle ap-paraît dans le Régime du Corpus hippo-cratique, tolérée sinon conseillée, mais est rare dans les livres de cuisine.

au milieu du xviiie siècle, un mouvement tend en europe à généraliser une consommation autre-fois cachée et réservée aux plus pauvres. Durant les sièges ou les grandes famines, militaires et ci-vils font du reste foin des interdictions sanitai-res. Les Mémoires des militaires, comme ceux de Coignet ou du responsable de la santé militaire de la Grande armée Dominique Jean Larrey, font du recours aux chevaux abattus une nécessité pour les troupes en campagne, d’une efficacité réelle contre la faim, les fatigues et les maladies comme le scorbut. Mais finalement, jusqu’au xixe siècle,

Une viande plus honteuse qu’impure ? L’affaire des lasagnes au cheval est l’occasion de réfléchir sur ce tabou.

on mange bien les chevaux

Ci-dessus, à gauche : une boucherie « hippophagique » du XIIe arron-dissement de Paris (rue du Rendez-Vous), en 1910. A droite : le centaure Chiron avec son disciple Achille (fresque provenant de la basilique d’Herculanum ; Musée archéologique de Naples).Au centre : Isidore Geoffroy Saint-Hilaire.

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Une viande cachée et

réservée aux pauvres

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Notes 1. Cf. M. agulhon, « Le sang des bêtes », Romantisme vol. ii n° 31, armand Collin, 1971. 2. Cf. D. Nourrisson, « Comment les Français se sont-ils mis à manger du cheval ? », De Pégase à Jappeloup. Cheval et société, Festival d’histoire de Montbrison, 1995. 3. Cf. o. assouly, Les Nourritures divines, arles, actes sud, 2002.

les chevaux se mangent par contrainte, et tout le monde n’en mange pas.

sous la restauration, le changement de goût rejoint le mouvement qui depuis les Lumières ban-nit la vue du sang, la brutalité de la rue et défend une hygiène nouvelle de la boucherie1. Le martyre du cheval est un lieu commun de la littérature ro-mantique, le charretier y incarne la brutalité en-vers l’animal noble, aimé, familier, utile et objet de la vénération sociale. si la nécessité impose le rôle des équarrisseurs, l’opinion les dénonce en tant que tueurs et non bouchers. Les écrivains, les hom-mes politiques réformateurs en font leur cible. Le thème de la foule tueuse de chevaux apparaît chez Michelet comme chez Lamartine.

La société protectrice des animaux créée en France, à l’exemple anglais, en 1846, agit pour adoucir la mort des chevaux. en 1850, la loi Grammont – du nom du député conservateur, gé-néral de cavalerie – qui veut inciter les Français à mieux traiter les animaux (et d’abord les chevaux) obtient, de façon surprenante, le soutien des so-cialistes et des libéraux. Michelet, Hugo, Larousse se font les défenseurs de ce nouvel humanisme qui nourrit les discussions sur l’hippophagie.

entre 1800 et 1913, plus de 50 ouvrages en débattent ! si les bouchers parisiens font pression pour réprimer la vente de viande de cheval, hygiénistes, médecins sociaux, vétérinaires, militaires – sans oublier les ténors de la pensée sociale comme le grand médecin Parent-Duchâtelet – défendent jusqu’au second empire l’utilité des produits carnés hippophagiques, peu gras et riches en fer2.

Dans les Lettres sur les substances alimentaires et particulièrement la viande de cheval, isidore Geoffroy saint-Hilaire rassemble tous les arguments mobi-lisables au plus haut niveau de la science, l’acadé-mie, le Muséum, la faculté des sciences, l’instruc-tion publique et les sociabilités savantes : « Il y a dans l’emploi de la viande de cheval une ressource im-portante pour la nourriture des classes laborieuses, la plus importante (quoiqu’elle ne suffise pas encore) à laquelle nous puissions recourir pour leur donner ce qui leur manque aujourd’hui par-dessus tout : l’ali-ment par excellence, la viande. » raisons scientifi-ques – le chimiste allemand Liebig, créateur de la marque qui porte son nom, a montré que sa viande contenait plus de créatinine que celle du bœuf – et philanthropiques autant que compassionnelles – aider les chevaux que maltraitent les équarris-seurs et surveiller l’abattage soumis aux contrôles sanitaires des autres viandes – s’accordent.

La première boucherie chevaline s’ouvre outre-rhin en 1846 ; en 1866 une autre est ouverte à Nancy, puis une autre encore à Paris, où l’on compte 69 boucheries hippophagiques en 1880. D’autres suivent dans tout le pays. en 1900, la consommation est évaluée à 2 kg en moyenne

par personne, celle de bœuf et de mouton étant dix fois supérieure. C’est une consommation ur-baine, des classes inférieures et moyennes plutôt que riches, comme le montre la carte parisienne des boucheries en 1906, le XXe arrondissement, le Xive, le Xiiie en rassemblent 36, 22 et 21, le Xvie n’en a que 3, le viie 7, et le viiie, 0. Un maximum semble être atteint vers 1913. Paris compte alors plus de 300 boucheries chevalines. La surveillance garantit la qualité.

La France a basculé à la fin du xixe siècle du royaume antique du pain primordial à la républi-que laïcisée de la viande. Mais le cheval, dans cette affaire, reste marginal. Les médecins recomman-dent la viande de cheval pour lutter contre la tu-berculose et l’asthénie : le sang frais, consommé à l’abattoir, est conseillé aux riches tuberculeuses parisiennes. Pendant le siège de Paris, en 1871, 65 000 chevaux sur plus de 100 000 ont été abat-tus et distribués.

Mais si les préjugés ont reculé, ils n’ont pas dis-paru. Dès 1911, l’hippophagie décline. La viande des chevaux reste au xxe siècle une nourriture marginale (elle représente 0,7 % de la consomma-tion carnée en 1996), malgré son faible coût (en moyenne un tiers de moins que celle du bœuf). encouragée par la science et l’économie, elle ne réussit pas à s’imposer. tout se passe comme si, dans la France des 3 500 000 chevaux, une fron-tière du refus s’était solidement installée.

Le commerce lui aussi en demeure séparé : il ne passe pas par les boucheries générales. et le boucher chevalin ne peut se permettre d’exposer la tête et les os des chevaux, comme le font ses confrères des veaux et des bœufs. Les conditions d’abattage et de vente de la filière chevaline, en ap-plication de l’ordonnance de police de 1866, sont très strictes, et l’interdiction faite aux boucheries hippophagiques de vendre les autres viandes, réi-térée en 1902, leur porte un coup rude. Les livres de cuisine, où il n’y a toujours guère place pour le cheval, reproduisent cette frontière culturelle.

L’hippophagie et l’affaire récente des lasagnes au cheval révèlent l’inconfort de la relation des hommes à leurs aliments : quand elle n’est pas clai-rement régulée par des interdits religieux, celle-ci est livrée à l’indécision et au brouillage du change-ment social3.

Daniel Roche Professeur au Collège de France

L’hippo-phagie atteint un pic en France en 1913

À savoir

interdit dans les cantines La méfiance à l’égard de la viande de cheval s’est accrue au xxe siècle à la suite d’épisodes de trichinellose et d’intoxications par des salmonelles. D’où la mise en place en France de dispositions réglementaires pour protéger les consommateurs : l’interdiction d’utiliser de la viande de cheval dans les restaurants de collectivités scolaires ou universitaires (circulaire interministérielle du 6 mars 1968) ou de faire avec des préparations de viandes hachées à l’avance (arrêté ministériel du 15 mai 1974).

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Page 8: Louis XIV. Le roi de guerre en procès

’DOSSIER louis xiv

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« J’ai trop aimé la guerre… »

Ces mots que Louis Xiv aurait prononcés sur son lit de mort sont peut-être apocryphes. ils n’en expriment pas moins le bellicisme qui

a marqué le règne du roi et son goût proclamé pour la guerre.

Par Joël Cornette

l’auteurProfesseur à l’université Paris-VIII-Vincennes- Saint-Denis et membre du comité de rédaction de l’Histoire, Joël Cornette a récemment dirigé (avec Jean-Louis Biget et Henry Rousso) une Histoire de France en treize volumes (Belin, 2009-2012). Son roi de guerre. essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle (Payot, 1993, rééd., 2010) est devenu un classique.

Chef militairele roi donne ses ordres pour attaquer quatre places fortes de Hollande. Une des peintures de Charles Le Brun au plafond de la galerie des Glaces (1680-1684) à Versailles.

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«Tâchez de conserver la paix avec vos voisins. J’ai trop aimé la guerre ; ne m’imitez pas en cela, non plus que dans les trop grandes dé-

penses que j’ai faites. Prenez conseil en toutes choses, et cherchez à connaître le meilleur pour le suivre tou-jours. Soulagez vos peuples le plus tôt que vous pour-rez, et faites ce que j’ai eu le malheur de ne pouvoir faire moi-même. » C’est ainsi que voltaire, dans son Siècle de Louis XIV, paru en 1751, rapporte les mots que le roi mourant aurait adressés à son arrière- petit-fils, le futur Louis Xv, le 26 août 1715.

Nous disposons de plusieurs versions de ces dernières paroles du souverain. si le vocabulaire diffère quelque peu, toutes ont pour point commun de faire état de sa repentance insistante concernant les actions belliqueuses qui ont ponctué son règne. Louis Xiv a bel et bien été hanté par la guerre. et jusqu’à son dernier souffle. il est vrai que le xviie a été un « siècle de fer » marqué, de part en part, par les exercices de Mars, et Louis Xiv fut un roi de guerre, non seulement par nécessité – à sa nais-sance, il a hérité du conflit mené contre l’espagne depuis 1635 –, mais aussi par éducation et par goût.

Au combAtLe roi n’avait pas encore 8 ans lorsque, au dé-

but du printemps de 1646, il fut placé par Mazarin pour la première fois au milieu de ses soldats à amiens, lieu ha-bituel, avec Compiègne, du ras-semblement de l’armée pour la campagne annuelle en temps de guerre. La guerre faisait alors partie de la formation des princes dans toute l’europe, et le jeune roi fut initié, dès son plus jeune âge, à l’apprentissage des combats (il aimait, à vrai dire, comme – presque – tous les en-fants du monde, jouer à la guerre, déguisé notam-ment en officier). Louis Xiv fut continûment pré-sent sur le théâtre des opérations militaires, depuis 1654, l’année de son sacre, jusqu’au dernier siège qu’il présida, à la sortie d’un hiver tardif, en 1692 à Namur, un long siège, mené dans des condi-tions particulièrement éprouvantes, dans le froid et les intempéries constantes : « le plus détestable campement qui fut jamais », écrit sourches, et « la plus douloureuse goutte qu’il eût encore ressentie », rapporte saint-simon, témoins des héroïques ins-pections de troupes par le roi, stoïque sur son che-val dans la boue, sous une pluie battante.

Louis Xiv suivait ici une tradition française – rien de comparable, par exemple, avec le mo-narque espagnol, roi caché dans son palais. il a toujours considéré sa présence sur le théâtre des combats à la fois comme une nécessité et une at-tente de sa noblesse, les bellatores, l’ordre des guerriers. C’est ce qu’il explique à son fils dans ses Mémoires : « Le soin particulier que je prenais des troupes qui servaient auprès de ma personne faisait que la plupart des jeunes gentilshommes

français souhaitaient passionnément d’y venir ap-prendre leur métier, et que même plusieurs officiers réformés avaient passion de rentrer dans un service où l’on était exposé si près de mes yeux. » Cette pré-sence renforçait également sa légitimité, d’autant plus que la défense du royaume était un des ser-ments prêtés lors de son sacre à reims : le roi a pour mission d’incarner la guerre juste, notam-ment contre les hérétiques, du dedans et du de-hors, et de protéger ses sujets contre toute menace ou agression extérieure.

L’année suivant le siège de Namur, au prin-temps de 1693, après quelques semaines de cam-pagne dans les Flandres, Louis Xiv décida, à la sur-prise générale, de rentrer à versailles et de ne plus jamais paraître sur les lieux des combats : l’effet de cette retraite, explique saint-simon dans ses Mémoires, fut « incroyable », jusque parmi les sol-dats, « et même parmi les peuples ». De son côté, Mme de Maintenon, dans une lettre datée du 12 juin, écrivait : « Pour moi, je suis ravie que l’in-

térêt de l’État le force à retour-ner à Versailles ; il se porte très bien, et se moque de ce que nous appelons fatigue. »

il faut voir dans cette décision le signe d’une transformation ma-jeure de la monarchie1. La raison principale du départ du roi de son armée, outre son âge (il a alors 54 ans) était, en effet, la nécessité

de sa présence permanente à la tête d’un État dont il assumait à présent la direction effective (en par-ticulier depuis la mort de Louvois en 1691).

DAns le secret De son cAbinetaprès 1693, alors que le souverain ne com-

mandait plus personnellement ses armées, il ne cessa pour autant de diriger la guerre depuis versailles, dans le secret de son cabinet, puissam-ment aidé par Chamlay (1650-1719), son prin-cipal conseiller militaire, mais aussi par vauban (1633-1707) pour les sièges. « Roi stratège » (Jean-Philippe Cénat), Louis Xiv fixait les plans d’opéra-tions lorsque l’armée se rassemblait au printemps, répartissait les moyens, ajustait les objectifs de ses armées en campagne et il n’eut de cesse d’entrete-nir une relation personnelle avec les hommes de guerre présents sur le terrain.

Pour mener à bien cette double direction de la guerre (à versailles la stratégie, sur le terrain des combats l’application tactique par les généraux), des courriers à cheval parcouraient sans cesse les routes pavées et les chemins de terre menant de versailles aux théâtres des combats, portant et

note 1. Pour replacer ce départ de Louis Xiv dans l’histoire longue de la présence royale à la guerre, voir J. Cornette, Le Roi de guerre. Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle, Payot, rééd., 2010. en particulier le chapitre 6.

Un roi continûment présent sur le théâtre des opérations militaires jusqu’au printemps 1693

expression

Guerre de cabinetl’expression est utilisée pour la première fois par saint-simon qui accuse louvois de cette nouvelle façon de diriger la guerre depuis Versailles, sans laisser d’initiative aux généraux sur le terrain. De fait, louis XiV entouré de ses principaux conseillers a dirigé de très près les campagnes militaires sur la frontière orientale – beaucoup moins en italie ou sur les mers.

Page 10: Louis XIV. Le roi de guerre en procès

’recherche mariages clandestins

L’ H i s t o i r e N ° 3 8 6 a v r i L 2 0 1 3 68

Depuis les Évangiles jusqu’à la fin du Moyen age, c’est

progressivement qu’ont été élaborés les cadres qui régissent le mariage chrétien. en la matière, les xiie et xiiie siècles constituent un jalon es-sentiel. Les premières grandes compilations doctrinales, comme le Décret de Gratien ou les Livres des sentences de Pierre Lombard, toutes deux rédigées au milieu du xiie siècle, suivies par leurs commentaires sco-lastiques, fournissent alors des outils intellec-tuels pour mieux penser le lien matrimonial et le sacrement qui lui est associé.

C’est à cette époque égale-ment que s’impose le contrôle de

l’institution par l’Église. L’heure est en effet à la montée en puissance d’une papauté réformatrice, attachée à promouvoir sa capacité à dire le droit de manière universelle. Des tribunaux ecclésiasti-ques (les officialités) se mettent en place, dont les juges sont seuls compétents pour trancher les liti-ges liés au sacrement de mariage et pour contrô-ler le respect des normes. au Moyen age, ils sont chargés de condamner et de régulariser les maria-ges clandestins.

La réflexion biblique concernant le mariage se concentre sur sa définition comme institution vou-lue par Dieu au paradis, confirmée après la Chute par la présence du Christ aux noces de Cana. Le Nouveau testament s’attache à imposer l’indisso-lubilité de ce mariage chrétien reconnu comme re-mède à la concupiscence. Le principe selon lequel

« l’homme quittera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et les deux ne feront qu’une seule chair » est repris dans l’Évangile de Matthieu (XiX, 5).

Le consentement fait La noceLe couple chrétien se doit donc d’être monogamique, indissoluble, fidèle.Contrairement aux pratiques reconnues dans les autres systèmes juridiques (hé-braïque, romain ou germanique), le ma-riage chrétien interdit la répudiation de l’épouse. Cependant, du droit romain, les clercs médiévaux reprennent le prin-cipe selon lequel le mariage est consen-suel. Mais, dans la pensée chrétienne, c’est l’échange libre des consentements de l’homme et de la femme se recevant mutuellement comme époux qui crée le lien matrimonial ; non – en théorie du moins – de ceux qui exercent l’auto-rité parentale.

surtout, le mariage chrétien se distingue fon-damentalement du contrat romain en ce qu’il est un sacrement. L’idée est énoncée chez saint Paul et théorisée par saint augustin (354-430). Le Père de l’Église précise que les trois « biens » rat-tachés au mariage sont la fides (l’engagement en-tre les conjoints qui doit préserver de la tentation de l’adultère), la proles (la finalité procréatrice de l’union sexuelle) et le sacramentum (qui induit l’in-dissolubilité du mariage).

au Moyen age, les clercs se demandent si ce sacrement confère la grâce aux époux. Les théolo-giens répondent par l’affirmative dès le xiiie siècle, les canonistes, au début du xve siècle. Mais, dès 1215, les pères conciliaires affirment au concile de Latran iv que les « gens mariés » peuvent faire leur salut au même titre que les « vierges » (les moines) et les « continents » (les prêtres).

Dès l’époque carolingienne, les clercs ont éga-lement mis un soin particulier à définir en creux

noces rebelles au moyen age

Le mariage chrétien est une invention de l’Église médiévale. Fondé avant tout sur le libre consentement, il a eu une conséquence

paradoxale : la multiplication des mariages clandestins.

Par Carole Avignon

Dr

L’auteurMaître de conférence en histoire du Moyen Age à l’université d’Angers, Carole Avignon vient de publier, avec Maïté Billoré et Isabelle Mathieu, La Justice dans la france médiévale, viiie-xve siècle (Armand Colin, 2012).

Décryptageil y a la norme, et puis il y a la pratique. en matière de mariages clandestins, quel était, au Moyen age, l’écart entre la première, établie par les théologiens, les législateurs, les prédicateurs, et la seconde ? Les archives des tribunaux ecclésiastiques (les officialités), en relevant les infractions et la manière dont elles ont été sanctionnées par les juges, permettent à l’historien de le mesurer. Carole avignon, pour sa thèse soutenue en 2008, a particulièrement travaillé sur les officialités de la France du Nord-ouest, entre le xiie et le xvie siècle.

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ce qui interdit le mariage. au nom de la lutte contre l’in-ceste, sont notamment défi-nis de stricts empêchements liés à un degré de parenté trop proche, entre « consanguins » (liés par le sang), mais aussi entre « affins » (liés civile-ment) ou entre parents « spi-rituels » (liés par le baptême). au xie siècle, les papes fixent au 7e degré de parenté l’exten-sion de cet interdit des maria-ges entre cousins ; il s’agit tout spécialement de contraindre les stratégies d’alliance de l’aristocratie. Mais, conscients des difficultés à faire respecter un interdit aussi ri-goureux, les pères conciliaires réduisent en 1215 au 4e degré de parenté l’interdiction de tout ma-riage. en contrepartie, on prévoit que tout projet d’union devra être rendu public pour que les prê-tres de paroisse puissent en contrôler la légalité. Mais les théologiens et les canonistes cherchent aussi à définir de manière positive ce qu’est le lien matrimonial : comment il se noue, dans quelle mesure il est pleinement indissoluble et les consé-quences de cette indissolubilité.

au milieu du xiie siècle, deux visions de la fa-çon dont se scelle un mariage indissoluble s’affron-tent encore. Les canonistes de Bologne (comme Gratien) considèrent que le mariage est pleine-

ment indissoluble dès lors que la relation charnelle est venue parfaire l’échange des consen-tements. Les théologiens pa-risiens (comme Hugues de saint-victor) considèrent, eux, que « seul le consente-ment fait le mariage » : l’union de la vierge et de Joseph ne fut pas consommée ; il s’agit de lui préserver son carac-tère sacramentel. C’est cette deuxième vision qui triom-phe et qu’imposent les papes de la fin du xiie siècle, notam-ment alexandre iii. seule la mort peut rompre le lien qui

unit un homme et une femme qui se sont reçus mu-tuellement comme mari et femme.

Des mariages clanDestins conDamnés mais valiDesLa force accordée à l’échange des consente-

ments a des conséquences considérables dans le quotidien des pratiques matrimoniales au Moyen age. Devient en effet, en théorie, valide tout ma-riage dont les contractants peuvent prouver qu’il a été scellé par l’échange de paroles signifiant qu’ils se sont pris comme époux. et même si ce mariage a été scellé sans respecter les solennités rituelles requises pour le rendre public et honorable ou sans la bénédiction d’un prêtre. Le mariage est

Une femme tend la main vers celle d’un homme qui tient un anneau : un geste peut-être pour marquer leur mariage clandestin ou leurs fiançailles (manuscrit italien conservé à Avranches). Le mariage chrétien a été théorisé à partir du ive siècle, par saint Augustin en particulier : en bas, représenté par Simone Martini sur une fresque du Palais public de Sienne, 1315.

Est valide tout mariage dont les contractants peuvent prouver qu’il a été scellé par l’échange de paroles signifiant qu’ils se sont pris comme époux

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notes 1. archives nationales Z1°-22 fol. 30v (1515), édité en annexe de la thèse de Léon pommeray L’Officialité archidiaconale de Paris au xve-xvie siècle, 1933. 2. L’abbaye de fécamp bénéficie d’une exemption qui soustrait son territoire et les paroissiens qui y vivent de la juridiction ordinaire de l’archevêque de rouen. 3. archives départementales de la seine-Maritime, officialité de rouen, G 250 (1425-1426), fol. 4v.