livret pédagogique - biblio - hachette · hachette Éducation établi par isabelle de lisle,...

64
HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des esclaves Marivaux Livret pédagogique

Upload: trankhanh

Post on 11-Sep-2018

217 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

HACHETTEÉducation

établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes,

docteur ès lettres,professeur en lycée

L’Île desesclaves

MarivauxL i v r e t p é d a g o g i q u e

Page 2: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

Conception graphiqueCouverture et intérieur: Médiamax

Mise en pageAlinéa

IllustrationEvariste Gherardi jouant le personnage d’Arlequin,

lithographie d’Hippolyte Lecomte © Hachette Livre-Photothèque

Tous droits de traduction,de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.

© Hachette Livre,2003.43,quai de Grenelle 75905 PARIS Cedex 15.ISBN:2.01.168697.0

www.hachette-education.com

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes des articles L.122-4 et L.122-5, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que « les analyses et les courtes citations » dans un but d’exemple et d’illustration,«toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayantsdroit ou ayants cause,est illicite».Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit, sans l’autorisation de l’éditeur ou du Centrefrançais de l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris), constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

Page 3: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

AVA N T-P R O P O S 4

TA B L E D E S CO R P U S 6

RÉ P O N S E S AU X Q U E S T I O N S 10

Bi lan de première lec ture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

Scène 1

Lec ture analyt ique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Lec tures croisées et t ravaux d ’écr i ture . . . . . . . . . . . . . . . . 18

Scène 3

Lec ture analyt ique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

Lec tures croisées et t ravaux d ’écr i ture . . . . . . . . . . . . . . . . 28

Scène 6

Lec ture analyt ique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

Lec tures croisées et t ravaux d ’écr i ture . . . . . . . . . . . . . . . . 38

Scène 8

Lec ture analyt ique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43

Lec tures croisées et t ravaux d ’écr i ture . . . . . . . . . . . . . . . . 48

Scène 11

Lec ture analyt ique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54

Lec tures croisées et t ravaux d ’écr i ture . . . . . . . . . . . . . . . . 59

BI B L I O G R A P H I E CO M P L É M E N TA I R E 64

S O M M A I R E

Page 4: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettreen œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclai-rent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, depréparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficaced’un corpus de textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires,techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentationcontextualisée, de l’imitation…).

Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs.L’Île des esclaves, en l’occurrence, permet de travailler sur le grandmouvement littéraire du XVIIIe siècle : les Lumières. Comédie en unacte qui met en scène une utopie sociale, elle constitue une voie d’ac-cès pour une étude du théâtre et du dialogue argumentatif.

Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nou-velle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois :– motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation dutexte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à desnotes claires et quelques repères fondamentaux ;– vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer lesélèves aux travaux d’écriture.

Cette double perspective a présidé aux choix suivants :• Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page,afin d’en favoriser la pleine compréhension.• Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendrela lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductionspouvant donner lieu à une exploitation en classe.• Précédant et suivant le texte, des études synthétiques et destableaux donnent à l’élève les repères indispensables : biographie del’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genreset registres du texte…• Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné àfaciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages

4

A V A N T - P R O P O S

Page 5: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

5

de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (surfond blanc), il comprend :– Un bilan de première lecture qui peut-être proposé à la classeaprès un parcours cursif de l’œuvre. Il se compose de questionscourtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sensgénéral de l’œuvre.– Cinq à sept questionnaires guidés en accompagnement des extraitsles plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à ana-lyser le passage ; les notions indispensables sont rappelées et quelquespistes sont proposées afin de guider sa réflexion et de l’amener àconstruire sa propre lecture analytique du texte. On pourra procéderen classe à une correction du questionnaire, ou interroger les élèvespour construire avec eux l’analyse du texte.– Cinq à sept corpus de textes (accompagnés parfois d’un documenticonographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objetd’un questionnaire guidé ; ces corpus sont suivis d’un questionnaired’analyse et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînementà l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe dePremière, sur le «descriptif des lectures et activités » à titre de groupe-ment de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documentscomplémentaires.

Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vosélèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et laréflexion.

Page 6: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

6

T A B L E D E S C O R P U S

Composition du corpus

Texte A: Scène 1 de L’Île des esclaves de Marivaux (pp.27 à 31).Texte B: Extrait la scène 1 de l’acte I de Tartuffede Molière (p.37 à 39).Texte C: Extrait de la scène 1 de l’acte I du Mariage de Figaro de Beaumarchais (p.39-40).Texte D: Extrait de la lettre XXVIII des Lettres persanesde Montesquieu (p.40-41).

Texte A: Extrait de la scène 3 de L’Île des esclavesde Marivaux (pp.51 à 53).Texte B: Extrait de «De la mode» dans Les Caractèresde La Bruyère, (p.60).Texte C: Extrait de L’Éducation sentimentale de Flaubert(p.61).Texte D: Extrait de «L’Union libre» dans Clair de terred’André Breton (pp.61-62).Document E: Extrait de «Chardin et Rembrandt»dans Essais et articles de Proust (pp.62-63).Document F: L’Autoportrait au chevalet de Jean-Baptiste Chardin (p.63).Document G: Photographie d’un écolier (p.64).

Texte A: Extrait de la scène 6 de L’Île des esclavesde Marivaux (pp.74 à 76).Texte B: Extrait de la scène 5 de l’ acte V de L’Illusioncomique de Corneille (pp.83 à 85).Texte C: Extrait de la scène 1 de l’acte I de Amphitryonde Molière (pp.85-86).Texte D: Extrait de la scène 6 de l’ acte III du Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux (pp.86-87).

Corpus

Les enjeuxde l’exposition(p.37)

Le portrait:la plume et le pinceau(p.60)

Le théâtre dans le théâtre(p.83)

Page 7: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

7

Compléments aux travaux d’écrituredestinés aux séries technologiques

Question préliminaireComment les scènes présentées dans les documents A,B et C remplissent-elles la fonction informativecaractéristique d’une exposition?CommentaireVous commenterez la première scène de Tartuffeen montrant notamment comment cette expositionremplit sa fonction informative tout en surprenant le spectateur.

Question préliminaireQuels sont les portraits qui donnent une imageméliorative de la personne représentée? Quels sontceux qui en donnent une image plus critique? Vous justifierez précisément votre réponse.CommentaireVous ferez le commentaire du texte B en présentant le personnage d’Iphis mais aussi l’art du portrait et sa fonction critique.

Question préliminaireMontrez comment certains personnages,dans lesscènes du corpus, sont amenés à jouer un double rôle.CommentaireVous ferez le commentaire du texte C en montrantcomment le procédé du théâtre dans le théâtre a unefonction comique et critique.

Objet d’étudeet niveau

Le théâtre (Seconde, Première)

L’éloge et le blâme(Seconde)Convaincre, persuader,délibérer (Première)

Le théâtre (Seconde, Première)

Page 8: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

8

T A B L E D E S C O R P U S

Corpus

La déclarationd’amour(p.99)

Hiérarchie et servitude(p.118)

Composition du corpus

Texte A: Scène 8 de L’Île des esclaves de Marivaux(pp.91 à 93).Texte B: Extrait de la scène 5 de l’acte II de Phèdrede Racine (pp.99-100).Texte C: Extrait de l’incipit de La Nouvelle Héloïsede Rousseau, (pp.101-102).Texte D: Poèmes à Lou, section XXXIV,de GuillaumeApollinaire (pp.102-103).

Texte A: Scène 11 de L’Île des esclaves de Marivaux(pp.112-113).Texte B: «Le Loup et le Chien»,Livre I des Fablesde La Fontaine (pp.118-119).Texte C: Extrait de l’article «Autorité politique»,dans l’Encyclopédie de Diderot (pp.119-120).Texte D: Extrait du «Joujou du pauvre» dans Petits poèmes en prose de Baudelaire (p.121)

Page 9: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

9

Objet d’étudeet niveau

Étude des genres(Seconde)

Convaincre, persuader,délibérer (Première)

Compléments aux travaux d’écrituredestinés aux séries technologiques

Question préliminaireÀ quels genres et à quels registres appartiennent les différentes déclarations d’amour réunies dans le corpus?CommentaireVous ferez le commentaire du poème de GuillaumeApollinaire en montrant comment deux histoiresd’amour se croisent et se confondent.

Question préliminaireQuelles images de la hiérarchie sociale peut-on voirau travers des textes du corpus?CommentaireVous ferez le commentaire du texte D en étudiant les différentes oppositions qui structurent et donnentson sens au texte.

Page 10: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

B I L A N D E P R E M I È R E L E C T U R E (p.126)

a Les quatre naufragés viennent d’Athènes.

z Arlequin apprend d’Iphicrate qu’il se trouve sur l’île des esclaves au coursde la scène 1.

e Les deux objets qui garantissent l’autorité d’Iphicrate sont le gourdin etl’épée.

r Arlequin tient une bouteille.

t Iphicrate redoute d’être tué ou mis en esclavage.

y La pièce compte cinq personnages.

u Les personnages sont tous réunis dans les scènes 2 et 11.

i Le représentant de l’île se nomme Trivelin.

o Le séjour des naufragés est censé durer trois ans.

q Ce séjour ne dure qu’une seule journée.

s La finalité est thérapeutique.

d Cléanthis dresse un portrait de sa maîtresse Euphrosine.

f Les adjectifs appliqués à Euphrosine sont « vaine, minaudière et coquette ».

g Arlequin tente de séduire Cléanthis.Arlequin tente de séduire Euphrosine.

h Cléanthis tente de séduire Iphicrate.

j Arlequin a l’initiative du retour à l’ordre initial.

k Arlequin demande un bateau pour regagner Athènes.

l Trivelin prononce la dernière réplique de la scène.

10

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 11: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

S C È N E 1 (pp. 27 à 31)

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE (pp. 32 à 35)

a Lorsque le rideau se lève, le spectateur ne connaît de la pièce que sontitre ; ayant eu le loisir de s’interroger sur ce que ce dernier laissait augurer del’œuvre, il en a tiré – sans doute intuitivement – un certain nombre d’infor-mations :– l’espace est clos ; la géographie fictive est en parfaite adéquation avec l’espacescénique;– l’île n’est pas nommée ; sans doute ne figure-t-elle pas dans les atlas etappartient-elle à la fiction ; l’intrigue se déroulera donc dans un lieu qui sedémarque d’emblée de la réalité. Des questions viennent alors à l’esprit : est-ce pour mieux représenter la réalité en échappant à la censure, comme l’apratiqué par exemple La Fontaine en dessinant un royaume animal ? Ou biens’agit-il d’une utopie ?– le complément du nom contribue à définir l’île ; peu importe sa situationgéographique, peu importe ses paysages et ses ressources ; c’est sa spécificitésociale qui la caractérise. Si la préposition exprime une appartenance, lesesclaves sont propriétaires de l’île ; ils y règnent en maître. Comment peu-vent-ils alors garder leur nom d’esclaves ? D’emblée le titre soulève une ques-tion et la situation est ambiguë.

z Dès la didascalie initiale l’île nous apparaît comme un espace dangereux :« une mer et des rochers d’un côté ». Le spectateur, lorsque le rideau se lève,découvre l’hostilité du milieu naturel et associe au décor le risque de nau-frage. Cette impression est très vite confirmée : Iphicrate et Arlequin sont« seuls échappés du naufrage».Ayant échappé à la noyade (le premier danger), ilsne sont pas pour autant tirés d’affaire. La deuxième réplique d’Arlequinannonce une issue qui lui semble fatale : «Nous deviendrons […] morts de faim».Plus loin dans la scène un danger mortel se profile : « leur coutume [...] est de tuertous les maîtres qu’ils rencontrent ». Mais une autre possibilité existe : « ou de lesjeter dans l’esclavage» (l. 31-32). La conjonction de coordination «ou» place surle même plan les deux issues car, sans doute, pour Iphicrate, sont-elles iden-tiques. Perdre son statut de maître équivaut à perdre la vie ; Marivaux exprimeainsi l’importance de la hiérarchie sociale et l’enjeu de sa pièce. Le spectateursait que les personnages ne meurent pas dans les comédies ; le décor représentedonc davantage un risque social qu’une réelle menace de mort.

11

S c è n e 1

Page 12: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

Quoi qu’il en soit, l’intrigue s’inscrit dès le début dans un espace menaçant ;Iphicrate ne peut rester et il exprime à la fois son désespoir et son désir defuir : « si je ne me sauve, je suis perdu », « Avançons, je t’en prie »… Pourtant lascène est fermée : c’est une île. Le spectateur est alors amené à regarder l’autrecôté du décor : «quelques arbres et des maisons ». Il est donc possible de vivre surl’île des esclaves. Comment Iphicrate y parviendra-t-il ?

e Au lever de rideau, Iphicrate « s’avance tristement » accompagné d’Arlequin.Marivaux affiche de cette manière la dimension fictive de sa comédie. Eneffet, le spectateur se trouve d’emblée confronté à une énigme temporelle ;Iphicrate appartient à la Grèce antique alors que son esclave porte le nomdes valets du théâtre des Italiens. Le problème est vite résolu puisque lesexplications du maître (« des esclaves de la Grèce révoltés contre leurs maîtres »,l. 27) inscrivent l’intrigue dans l’Antiquité. Mais, dans un théâtre inspiré de lacommedia dell’arte, la temporalité fictive est primordiale ; d’ailleurs l’esclaveest un domestique (tous les esclaves n’occupaient pas cette fonction) et l’onretrouve ici le couple atemporel et archétypal du maître et de son valet.

r L’intrigue est tout d’abord située dans une temporalité élargie : elle sedéroule dans l’Antiquité et Iphicrate rappelle un événement qui s’est produitcent ans auparavant (« et qui depuis cent ans sont venus s’établir dans une île »,l. 28). Cet événement ancien est déterminant puisqu’il est à l’origine de l’in-version des rôles demandée par Trivelin. Le naufrage, comme la révolte desesclaves, constitue une sorte d’accident fondateur de l’intrigue ; bouleversantle cours prévu du voyage, il jette les personnages sur une île où tout estpossible. Ces deux ruptures, l’une ancienne et l’autre récente, vont rendrepossible la remise en cause de l’ordre établi. Dans la mesure où l’on a quittéla route maritime prévue et perdu son navire, on pénètre dans un espace fic-tif où le bouleversement est institutionnalisé.La révolte des esclaves qui est à l’origine de la « république » sur l’île ainsi quele naufrage se rejoignent pour définir un point zéro de la chronologie. Ilexiste dorénavant un avant et un après. «Méconnais-tu ton maître, et n’es-tu plusmon esclave ? » (l. 84-85) : le préfixe «mé» comme l’adverbe «plus » exprimentce basculement du temps déterminant dans les relations entre Iphicrate etArlequin.

t Dès le début de la scène, Iphicrate, refusant sans doute cette île et lesmenaces qu’elle représente, se raccroche désespérément à son univers fami-lier. Après avoir fait allusion à ses « camarades » qui ont vraisemblablement

12

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 13: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

péri, il envisage que certains puissent avoir survécu : « quelques-uns ont eu letemps de se jeter dans la chaloupe » (l. 12-13), « peut-être auront-ils eu le bonheurd’aborder en quelque endroit de l’île » (l. 14-15) ; mais toutes ces hypothèses sontnettement présentées comme peu probables puisque le « peut-être » est faiblecomparé au « il est vrai que les vagues l’ont enveloppée » (l. 13).Ces « camarades » hypothétiques ont une double fonction dans cette scèned’exposition. D’une part Marivaux annonce de cette manière l’arrivéed’Euphrosine et de Cléanthis car le spectateur, habitué à un théâtre danslequel hypothèse vaut souvent information, s’attend à découvrir d’autres sur-vivants. D’autre part, l’idée lancée par Iphicrate donne son élan à la premièrescène.Après un court passage au cours duquel Iphicrate se montre désespéré(« j’envie maintenant leur sort », l. 8) et Arlequin fataliste (« Nous deviendronsmaigres, étiques et puis morts de faim», l. 5-6), l’existence possible de survivantsest source de mouvement. Les deux personnages s’opposent, l’un insistantpour bouger (« Allons, hâtons-nous », l. 57) et l’autre choisissant l’immobilité(« J’ai les jambes si engourdies », l. 53).

y La didascalie initiale pose le couple maître-valet ; au lever du rideau lesdeux personnages s’avancent en direction des spectateurs, affichant la naturede leur relation. En effet la préposition « avec » introduit un Arlequin en situa-tion de complément circonstanciel d’accompagnement et c’est Iphicrate quiest le sujet du verbe, l’élément moteur. L’échange des apostrophes qui ouvrele dialogue confirme le jeu de scène en définissant les personnages par leurstatut.Arlequin désigne traditionnellement le valet de la comédie italienne ;le personnage se réduit à une fonction et n’a pas de nom propre, ce qui seraclairement exprimé au début de la scène 2 (« je n’ai que des sobriquets qu’il m’adonnés », l. 15-16). D’ailleurs le parallélisme des deux premières répliquesinvite à mettre sur le même plan « Arlequin » et « Mon patron ». On remar-quera tout de même qu’une variation d’intonation (signifiée par le pointd’interrogation, l. 1, présent chez Iphicrate) vient préciser la nature des rela-tions : l’un ordonne et l’autre ne fait que répondre.Dans la suite du dialogue, on peut relever différents indices :– sans doute les costumes désignent-ils clairement le rang social des personnages;– Iphicrate tutoie Arlequin alors que l’esclave vouvoie son maître ;– lorsque Iphicrate évoque les habitudes de l’île des esclaves, les conditionsdes deux personnages sont explicitement nommées : « ils tuent les maîtres, à labonne heure, je l’ai entendu dire aussi ; mais on dit qu’ils ne font rien aux esclavescomme moi » (l. 33-34) ;

13

S c è n e 1

Page 14: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

– le naufrage sur l’île des esclaves a rendu la situation d’Iphicrate difficile sibien qu’il éprouve le besoin de rappeler régulièrement son statut et celui deson compagnon : «Esclave insolent ! » (l. 81), «Méconnais-tu ton maître, et n’es-tuplus mon esclave ? » (l. 84-85).

u Le naufrage (voir question 4), en brisant le voyage d’Iphicrate, brise saquiétude sociale ; de même l’annonce de ce que représente l’île des esclavesbouleverse les relations maître-valet.Trivelin n’est pas encore venu exposer larègle du jeu mais déjà Arlequin s’affranchit de son maître.

i Tout au long de la scène, Iphicrate s’applique à exercer son autorité surson esclave. La scène s’ouvre sur une apostrophe injonctive et la modalitéimpérative est récurrente dans les répliques du maître : « Suis-moi » (l. 42),«Parle donc » (l. 46), «Avançons » (l. 54), «hâtons-nous » (l. 57)… Si Iphicrate estcelui qui inaugure le dialogue et celui qui ordonne, il est également, en tantque maître, celui qui détient les informations et celui qui fait preuve d’initia-tive. En effet, c’est lui qui connaît le passé (« cent ans », l. 28) et le présent(« leur coutume», l. 30) de l’île des esclaves, il en informe Arlequin ; c’est lui quia l’initiative du mouvement, on le voit lorsqu’il souhaite partir à la recherchedes éventuels survivants du naufrage.L’autorité d’Iphicrate sur son esclave s’exerce comme une contrainte puis-qu’elle est représentée par le gourdin. À la fin de la scène, cette autorité estsymbolisée par l’épée que brandit le maître. Mais « le gourdin est dans la cha-loupe » (l. 71) et l’épée inefficace ; dans la dernière réplique d’Iphicrate, l’auto-rité est devenue pure violence ; Iphicrate court en enchaînant exclamation,interrogation rhétorique et menace. On voit bien de cette manière la pro-gression de la scène.À partir des explications concernant l’île des esclaves, l’autorité d’Iphicrateest d’autant plus manifeste qu’elle ne débouche sur rien ; si le maître conti-nue à jouer son rôle, l’esclave s’est libéré et ne lui obéit plus. Iphicrate estlucide et regrette d’avoir informé son valet (« j’ai mal fait de lui dire où noussommes », l. 51) ; ayant compris le renversement de situation, il tente, avantd’en venir à l’épée, de déguiser son autorité en amitié. Il dissimule ses senti-ments (« retenant sa colère », l. 67), propose des compromis (« faisons seulementune demi-lieue », l. 57-58), fait sourire le masque de l’ami («mon cher Arlequin »,l. 68 ; «ne sais-tu pas que je t’aime», l. 72).On peut remarquer une autre évolution du personnage au cours de la scène.Désespéré et fataliste au début de la scène, il décide rapidement d’agir. Le

14

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 15: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

découragement initial joue sans doute un rôle comique, par contraste avec leton d’Arlequin ; il disparaît rapidement ; au début de sa quatrième réplique,Iphicrate adopte le mode impératif (« suis-moi », l. 22) et se montre nettementcomme un maître.

o Dans la première partie de la scène,Arlequin fait figure de valet discipliné ;ses paroles s’entendent comme un écho de celles de son maître : «Arlequin »/« Mon patron » ; « tous nos camarades ont péri » / « Hélas ! ils sont noyés dans lamer » ; « je suis d’avis que nous les cherchions »/«Cherchons. » Lorsque son maîtrelance une plainte en forme d’interrogation rhétorique, il prend la questionau pied de la lettre et donne une réponse claire et précise en bon esclave sou-mis : «Que deviendrons-nous dans cette île ? »/ «Nous deviendrons maigres, étiqueset puis morts de faim. »Présent comme une sorte de double de son maître,Arlequin s’inscrit dans latradition des valets de comédie. Et sans doute est-il bien davantage un valetde comédie qu’un esclave grec. On retrouve en lui toute l’insouciance et la désinvolture insolente d’un Scapin ou d’un Sganarelle (dans Le Médecinmalgré lui, Sganarelle ne se sépare pas de sa bouteille). Et sa soumission estmême suspecte ; elle rappelle celle de Sylvestre dans la première scène desFourberies de Scapin. En se tournant vers sa bouteille et en présentant froide-ment le sort qui attend les deux personnages, Arlequin se moque de l’an-goisse de son maître.Mais c’est dans la seconde partie de la scène que, approfondissant ou dépas-sant son rôle de valet de comédie, il s’affranchit de son maître en refusantd’exécuter ses ordres et en se montrant ouvertement insolent. Dès lorsqu’Arlequin a pris connaissance de la règle qui s’applique sur l’île où il a faitnaufrage, il change de ton. Le «Mon patron » de la deuxième réplique devientun « Mon cher patron » (l. 69) ironique qui démasque la prétendue amitiéd’Iphicrate (« mon cher Arlequin », l. 68). Le gérondif « en badinant » (l. 61) etl’apostrophe « Badin » (l. 61) lancée à Iphicrate donnent le ton de cetteseconde moitié de la scène.Alors que la situation est grave pour le maître etque sa voix devient suppliante (« Je t’en prie », l. 54),Arlequin adopte un tonléger ; la parole devient même souvent sifflement, rire (« je vous plains, par mafoi, mais je ne saurais m’empêcher d’en rire », l. 48-49) ou chanson. Cette distanceva jusqu’à l’humour noir : « s’ils sont morts, en voilà pour longtemps ; s’ils sont envie, cela se passera, et je m’en goberge » (l. 76-77). Le ton change lorsque lesrépliques brèves font place à une tirade dans laquelle on remarque dès la pre-mière phrase le tutoiement. Les explications sont crues : « tu vas trouver ici plus

15

S c è n e 1

Page 16: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

fort que toi » (l. 90-91), « on va te faire esclave à ton tour » (l. 91), «Quand tu aurassouffert » (l. 94). Le cas particulier d’Iphicrate est situé dans une généralitéexprimée par une tournure semi-proverbiale : « Tout en irait mieux dans lemonde, si ceux qui te ressemblent recevaient la même leçon que toi » (l. 95-96). Latirade s’achève sur l’expression « tes maîtres » (l. 98) qui marque clairement lerenversement.

q La maison bourgeoise est traditionnellement le cadre de la comédie. Letitre de la pièce de Marivaux, comme le décor qui apparaît au lever derideau, ne peut manquer de surprendre le spectateur. À une époque où l’onest attiré par les récits de voyage, l’exotisme est à la mode et ce n’est pas unhasard si Montesquieu évoque la Perse dans ses Lettres persanes parues en1721. Le contexte temporel de l’intrigue n’est pas sans rappeler la tragédie etle spectateur s’amuse de cette récupération comique de l’Antiquité.D’ailleurs, on peut lire le début de la scène comme une parodie des lamenta-tions tragiques.

s Les éléments d’exposition :– le couple maître-valet,– le naufrage,– l’existence de compagnons,– la particularité de l’île des esclaves.

Les éléments d’action :– Iphicrate présente à Arlequin la particularité de l’île des esclaves,– Arlequin s’affranchit de son maître,– Arlequin expose à son maître sa nouvelle condition sociale.

d Le premier décalage apparaît au lever de rideau. Iphicrate est un maître dela Grèce antique alors qu’Arlequin est un valet de la commedia dell’arte.Tout oppose les deux personnages : lorsque le maître se lamente au début dela scène, l’esclave affiche une résignation froide. Le monde d’Iphicrate estvaste : il évoque Athènes, le passé de son pays avec la révolte des esclaves, sescompagnons qu’il voudrait retrouver.Au contraire le monde d’Arlequin seréduit à un ici-maintenant que la bouteille symbolise. Il ne se soucie pas dumalheur de son maître (« je ne saurais m’empêcher d’en rire », l. 48-49) ni decelui de ses compagnons de voyage («pour ce qui est de nos gens, que le Ciel lesbénisse » l. 75). Iphicrate, après la révélation qu’il a faite à son valet, dissimuleses sentiments (« retenant sa colère », l. 67 ; «ne sais-tu pas que je t’aime ? » l. 72) ; ilutilise la parole comme un instrument de séduction et de manipulation.

16

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 17: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

Arlequin, lui, joue sur toutes les formes de langage (rire, sifflement, chanson)pour exprimer sans masque ce qu’il ressent.Ces décalages entre les deux personnages donnent son dynamisme à l’expo-sition et le dialogue peut sans peine être souligné par un jeu de scène aucours duquel Iphicrate essaie d’entraîner son esclave tandis que celui-cirefuse de bouger.

f La situation exposée est dramatique : les personnages ont fait naufrage ;leurs compagnons sont peut-être morts, Iphicrate risque de mourir tué parles dirigeants de l’île et Arlequin craint qu’ils ne meurent tous deux de faim.Le jeu des décalages entre les deux personnages et l’insouciance d’Arlequin,que le spectateur perçoit au travers du dialogue comme au travers des jeuxde scène autour de la bouteille, créent le registre comique. La situation dra-matique est traitée sur le mode de l’humour par Arlequin, ce qui contribue àséduire le spectateur.

g Une île absente des cartes de géographie et une époque depuis longtempsrévolue : le cadre spatio-temporel de la pièce s’écarte volontairement de laréalité vécue par les spectateurs. Si l’esclavage est une question que certainsphilosophes soulèvent en raison d’un commerce triangulaire florissant, lesesclaves dont parle Marivaux appartiennent à la Grèce antique et ressemblentdavantage à des domestiques.Tout semble donc gommer les angles gênants.En reprenant le valet conventionnel du théâtre italien, Marivaux souligne ladimension fictive de la pièce. Le spectacle est une parenthèse dans la journéedes spectateurs ; de même l’île, close comme une scène de théâtre, est uneescale dans le voyage d’Iphicrate. Mais l’escale est déterminante ; puisse laparenthèse l’être aussi. Le spectateur, rassuré par le cadre spatio-temporel, parle jeu des décalages qui dynamise un couple conventionnel et atténue unesituation présentée comme dramatique, accueille avec tranquillité la comédiede Marivaux.Mais l’exposition, rassurante et divertissante, pose de manière abrupte et pro-vocante le problème de la pièce. Le ton léger du dialogue fait place à la fin dela scène à une tirade menaçante d’Arlequin. L’esclave n’est qu’un valet decomédie, un pantin de théâtre programmé pour chanter en caressant sa bou-teille et en se moquant de son maître. On n’est donc pas obligé de s’inquiéterlorsqu’il dit : « tu vas trouver ici plus fort que toi » (l. 90-91) ; il parle « d’un airsérieux » (l. 86) et on est autorisé à penser que ce n’est qu’un air. Là résidel’ambiguïté intéressante de la pièce.Arlequin présente un résumé de l’action :

17

S c è n e 1

Page 18: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

il annonce les épreuves d’Iphicrate mais aussi le dénouement (« Quand tuauras souffert, tu seras plus raisonnable », l. 94). Grâce au jeu du théâtre, l’inver-sion des rôles apparaît comme bien plus qu’un simple renversement carnava-lesque. En utilisant les procédés de la comédie, Marivaux parvient, sansinquiéter outre mesure le spectateur, à poser le problème de la hiérarchiesociale et de la tyrannie des puissants.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (pp. 37 à 42)

Examen des textes

a Madame Pernelle s’adresse successivement aux différents personnages quila poursuivent en tentant de l’interrompre. Elle reproche à Dorine sonimpertinence et rappelle ainsi les caractéristiques des servantes de comédie.Les remarques destinées à Damis, le fils d’Orgon, sont tout aussi agressives etnégatives : «méchant garnement », « tourment ». Mariane se voit reprocher son artde dissimuler : « vous faites », « vous semblez», « sous chape ». Quant à Elmire, elleest «dépensière » et ne pratique pas les valeurs d’économie propres à la bour-geoisie ; comme M. Jourdain dans Le Bourgeois gentilhomme, elle est vêtue« ainsi qu’une princesse ». Cléante est présenté comme un intrus (« n’entrer pointchez nous ») qui se mêle de ce qui ne le regarde pas (« des maximes de vivre »).On voit apparaître dans ces différents reproches les principaux thèmes de lapièce et le caractère de Tartuffe.

z Le champ lexical de la famille est fortement représenté dans cette ouver-ture et l’on peut relever de nombreuses apostrophes qui définissent les per-sonnages par leur place au sein de la famille : « mon fils », « sa sœur », « mamère », «ma bru »… La famille est relativement réduite mais sans doute faut-ily inclure la domesticité représentée par Dorine. Ce réseau de vocabulaireparticipe à l’exposition ; il permet de situer les personnages les uns par rap-port aux autres et il installe sur scène une famille bourgeoise typique de lacomédie.

e La didascalie initiale précise que la scène a lieu dans une chambre et l’onapprend très vite par le dialogue qu’il s’agit de « la chambre du château la pluscommode, et qui tient le milieu des deux appartements ». Le comte Almaviva offrecette chambre à Figaro et à Suzanne qui vont se marier. Le décor exprimedonc le mariage des deux valets déjà annoncé par le titre. Mais la pièce necontient pas le lit attendu : «un grand fauteuil de malade est au milieu » et semble

18

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 19: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

le remplacer. L’absence du lit conjugal pose le nœud de la comédie : lemariage des deux valets est encore problématique.

r Le dynamisme de la scène repose en partie sur l’enchaînement desrépliques. La reprise lexicale est le principal procédé utilisé par Beaumar-chais : « je n’en veux point », « raison », « en deux pas », « en trois sauts », « zeste »,« crac ». De cette manière, les répliques semblent rebondir les unes sur lesautres, ce qui confère au dialogue toute sa souplesse.

t Le regard du Persan permet de donner une couleur mystérieuse authéâtre et lui enlever de la sorte son apparence et sa fonction attendues. Lemot « théâtre » n’est avancé qu’après de nombreuses précautions : « une espècede scène », « j’ai entendu appeler comédie », « qu’on nomme théâtre ». L’originalitéde la description repose sur le fait que Rica n’évoque que la salle : « de petitsréduits qu’on nomme loges », « à demi-corps », « en bas », « en haut ». Mais ilapplique à la salle le vocabulaire propre à la scène : « qui jouent ensemble desscènes muettes », « peintes sur les visages », « une troupe de gens debout »… Ce rap-prochement donne l’impression qu’au théâtre, c’est la salle qui se donne enspectacle.

Travaux d’écriture

Question préliminaireLes trois scènes d’exposition remplissent bien leur fonction informative :– le lieu, au travers des didascalies ou des répliques,– l’époque, au travers du décor et des costumes,– les personnages : leur statut social et leurs relations sont posés (maître /valet, liens familiaux, valet / servante),– le genre : les personnages des valets, les liens et les valeurs de la famillebourgeoise annoncent une comédie.Le texte de Montesquieu nous montre que les conditions de la représenta-tion sont difficiles et l’on comprend que la scène d’exposition ne devra pas secontenter d’informer, elle devra également séduire un spectateur parfois peuconcerné grâce à :– l’enchaînement des répliques,– les jeux de décalage entre les personnages,– les effets de surprise,– les jeux de scène.

19

S c è n e 1

Page 20: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

Commentaire

On pourra adopter le plan suivant :

1. L’originalité et le dynamisme de cette scène d’exposition

A. Une scène de poursuite«Vous marchez d’un tel pas qu’on a peine à vous suivre » ; répétition du « allons ».Dans cette course les personnages semblent éprouver des difficultés à parler ;seule Madame Pernelle parvient à tenir un discours suivi. Mais le calme s’ins-taure progressivement et les interventions des différents personnages s’allon-gent. Cette scène de poursuite rend dynamique ce qui serait autrement unmonologue statique de Madame Pernelle.

B. Le ton de la colère• Phrases exclamatives.• Lexique dépréciatif : « trop forte en gueule», «un sot», «un méchant garnement»…

C. Une exposition inversée• La pièce s’intitule Tartuffe : non seulement il est absent mais en plus il n’estpas présenté.• Le spectateur, habitué à ce que l’on critique le personnage éponyme (LeBourgeois gentilhomme, Le Malade imaginaire, Les Précieuses ridicules…), découvrede multiples critiques concernant les autres personnages.• Cette scène, qui rassemble beaucoup de personnages, ressemble à une scènede dénouement.• Tous ces indices font que le spectateur comprend bien que l’exposition estinversée. Face à des personnages calmes et respectueux, Madame Pernelle, encolère, devient peu crédible et l’on comprend que les griefs qu’elle formuledessinent le portrait du personnage éponyme.

2. Les éléments exposés

A. Le genre : une comédie• Une famille bourgeoise :– l’importance des liens familiaux : les personnages se définissent par leurposition dans une structure familiale élargie ;– le rôle de la servante (Dorine annonce sans doute Toinette) ;– le langage populaire (on remarque la place des tournures proverbiales, vers23 et 31) ;– les valeurs bourgeoises : la vérité, l’économie (vers 24, 29, 31) ; il n’est pasbon d’imiter les nobles (« ainsi qu’une princesse »). C’est ce qui est dénoncé

20

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 21: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

aussi dans Le Bourgeois gentilhomme comme dans « La grenouille qui se veutfaire aussi grosse que le bœuf » de La Fontaine.• Le comique qui repose principalement sur le jeu de scène et les hyperboles.• La critique sociale : Madame Pernelle dresse un portrait négatif de chacundes personnages.

B. Les personnages• Ils n’ont pas de nom.Tous se définissent par rapport à Madame Pernelle.• On remarque deux groupes :– Damis, Mariane, Elmire, Cléante et Dorine ;– Madame Pernelle, Orgon et Tartuffe qui semblent constituer, grâce à unjeu de substitution, un seul et même personnage : « si j’étais de mon fils sonépoux».L’opposition entre ces deux groupes contribue au dynamisme de la scène.

C. Les thèmes de la pièce• Le vocabulaire de la morale et de la religion : « j’ai prédit », «Mon Dieu», « jevous prierais », « vous prêchez», « bon exemple »…Le plus souvent ce vocabulaire est une forme vide de sens.• Le thème de l’intrus : il se rapporte à Dorine (vers 15), à Elmire (« leurdéfunte mère en usait beaucoup mieux») et surtout à Cléante (vers 36 à 38).• Le thème de la réalité et de l’apparence : les vers 19, 22, 23, 30, 31, 32 instal-lent sur scène le thème du déguisement et amorcent la critique de l’hypocri-sie qui est au cœur de la pièce.Le spectateur, dans cette exposition inversée, comprend que ces critiques serapportent en fait à Tartuffe.

Dissertation

On pourra adopter le plan suivant :

1. Le théâtre est un lieu social

A. Le théâtre : un lieu mondain• L’architecture du théâtre : les loges et le parterre.• Un lieu où l’on se montre et où l’on regarde : Les Lettres persanes, le débutde Cyrano de Bergerac.• Théâtre et politique : la cour de Versailles a son propre théâtre et certainsauteurs ont l’honneur de jouer devant le roi.• Les limites de cette fonction aujourd’hui : aller au théâtre est toujours unacte social mais de nombreux théâtres ont modifié l’architecture de la salle ;

21

S c è n e 1

Page 22: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

le théâtre s’est démocratisé (exemple : le théâtre d’Ariane Mnouckine àVincennes).

B. Un public au pluriel• Chaque représentation est unique et l’on observe une interaction entre lasalle et la scène (cf. la tirade de Lechy Elbernon dans L’Échange de Claudel).• Molière dans le célèbre monologue de L’Avare inclut un public (au pluriel)dans son texte.

2. Le théâtre : un lieu de distraction

A. Le spectacle• Le texte n’est qu’un support destiné à permettre la représentation.• Le théâtre est destiné à être entendu mais aussi vu : le décor, les costumes,les jeux de scène.

B. Se soustraire au réel par la fantaisie et par le rire• Le monde de la comédie est un monde à part : des personnages types, descoups de théâtre…• Les procédés comiques sont nombreux : situation, gestes, mots…

C. Se soustraire au réel en éprouvant des émotions• Accumulation d’événements dramatiques dans le drame : Lorenzaccio,Hernani…• La tragédie et la catastrophe finale ; les personnages de tragédie ne nous res-semblent pas ; la fonction cathartique définie par Aristote.

3. Le théâtre nous parle de nous

A. La tragédie met en scène nos valeurs et notre condition humaine• Nos valeurs : celle de l’honneur dans Le Cid, le refus de la compromissiondans Antigone d’Anouilh ou Électre de Giraudoux.• Notre condition humaine : la tragédie représente des hommes prisonniersde leur destin.

B. La comédie met en scène la société et ses travers• Représentation de la bourgeoisie chez Molière : l’importance des liensfamiliaux dans le Tartuffe.• La comédie est un instrument de critique (cf. Marivaux et Beaumarchaisdans les textes du corpus).

C. Le théâtre donne une image stylisée de notre société• Tout est exagéré, dans la comédie comme dans la tragédie, pour mieux sou-ligner la vérité de l’image donnée.

22

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 23: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

• Selon le genre : différentes formes d’intrigues et différents registres fonction-nent comme autant de miroirs de notre société.

Écriture d’inventionOn attend des élèves qu’ils prennent en compte la double exigence de lascène d’exposition : informer et séduire. Les personnages, le lieu, l’époquedevront être présentés. La scène sera dynamique et on valorisera la diversitédes procédés employés (répliques, jeux de scène…).L’inversion des statuts à l’intérieur de la famille doit être annoncée claire-ment et l’on s’attend à ce que les élèves amorcent dans cette scène uneréflexion sur les liens familiaux et la hiérarchie des générations.

23

S c è n e 1

Page 24: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

S C È N E 3 (pp. 51 à 53)

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (pp. 56 à 59)

a D’abord on remarque que si Cléanthis monopolise la parole dans ce pas-sage, c’est Trivelin qui est à l’origine de ce flot libéré : « Allons commençons »(l. 67). Les questions « Cela la regarde-t-il ? » (l. 76-77) ou « En quoi donc, parexemple, lui trouvez-vous les défauts dont nous parlons ? » (l. 84-85) servent à lan-cer les tirades de la servante. Le « ce n’est qu’un début » (l. 98) adressé àEuphrosine encourage également Cléanthis à poursuivre son portrait.Il donne également des ordres à Euphrosine : «Attendez donc » (l. 98), «profitezde cette peinture-là » (l. 127-128). Dominant à la fois la maîtresse et son esclave,Trivelin se place nettement en dehors de la hiérarchie sociale et se définitcomme un meneur de jeu.

z On peut relever : « je vous félicite » (l. 81), « c’est bon signe » (l. 82), «Elle déve-loppe assez bien cela » (l. 107), « elle me paraît fidèle » (l. 128). Ces verbes modali-sateurs expriment l’opinion de Trivelin quant à la scène qui se joue devantlui. Il apparaît donc comme un personnage détaché de l’action. Meneur dejeu, il conserve une distance qui lui permet de commenter la progression dudialogue. C’est cette distance qui explique d’ailleurs sa disparition dans lesscènes suivantes.

e Alors que Cléanthis et Euphrosine vivent dans le présent exclusivement, lapremière éprouvant la jubilation d’une parole enfin libérée, et la seconde ladouleur de se voir ainsi insultée,Trivelin domine le temps. Il connaît le passédes personnages et c’est lui qui propose une sorte de définition d’Euphrosineà Athènes : « Vaine, minaudière et coquette » (l. 75) et la peinture que faitCléanthis de sa maîtresse lui «paraît fidèle » (l. 128). Il comprend le présent etpénètre l’esprit même de la jeune femme : « vous sentez » (l. 82), « Courage,Madame » (l. 127). Et il a la connaissance du futur, qu’il s’agisse d’un futurproche (« ce n’est qu’un début », l. 98) ou de la suite de l’expérience (« j’enaugure bien pour l’avenir », l. 82-83).

r La première personne du singulier est peu présente dans les répliques deTrivelin et lorsqu’on la rencontre, c’est dans une proposition qui exprime unmouvement vers les autres : « je vais vous interroger » (l. 76), « je vous félicite »(l. 81), « elle me paraît fidèle » (l. 128).

24

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 25: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

Les modalités impérative et interrogative expriment également cette positionde Trivelin. Il ne parle pas de lui-même mais fait parler les autres, les écoute,analyse leur discours. Dans chacune des répliques de Trivelin, on peut releverdes marques de la présence du destinataire. Une phrase échappe à cette règlemais elle est précédée d’une didascalie qui indique que Trivelin est commetoujours tourné vers les autres : « à Euphrosine » (l. 59).Ainsi Trivelin est présent sur scène comme un meneur de jeu ; c’est lui quilance la machine de l’inversion et en contrôle le bon fonctionnement. On al’impression qu’il manipule les personnages comme des marionnettes, et encela, il représente peut-être Marivaux sur la scène.

t La méthode est double car elle s’applique à la fois à la maîtresse et à la ser-vante. Pour Cléanthis, il s’agit de la faire parler afin qu’elle se libère de la ran-cœur qu’elle a accumulée. Interdite de parole, comme on le comprend audébut de la scène (« taisez-vous, sotte », l. 21), elle acquiert enfin le droit des’exprimer. Et sa parole coule à flot, de manière désordonnée. Seul Trivelincontrôle ce torrent libérateur («Achevez, achevez», l. 132). On aurait envie deparler de psychanalyse avant la lettre.Pour Euphrosine, la scène a une autre fonction : elle joue le rôle d’un miroir.Et l’on peut relever dans le passage de nombreux indices de cette quête de lavérité : «Vaine, minaudière et coquette [...] Cela la regarde-t-il ? » (l. 75 à 77), « cettepeinture-là [...] me paraît fidèle » (l. 128). Il s’agit de justifier les propos tenus(«En quoi donc, par exemple, lui trouvez-vous les défauts dont nous parlons ? », l. 84-85) et de préciser l’analyse : « détaillons » (l. 84), « ce n’est qu’un début » (l. 98),«Elle développe assez bien cela » (l. 107).

y Dans la scène 2,Trivelin expose, à la fin d’une grande tirade, les vertus thé-rapeutiques de sa méthode : « Vous voilà en mauvais état, nous entreprenons devous guérir ; vous êtes moins nos esclaves que nos malades, et nous ne prenons que troisans pour vous rendre sains, c’est-à-dire humains, raisonnables et généreux pour toutevotre vie » (l. 88 à 92). Cette explication prolonge la tirade d’Arlequin à la finde la première scène : «Quand tu auras souffert, tu seras plus raisonnable » (l. 94).Il s’agit donc de donner la parole à Cléanthis mais il s’agit surtout de fairesouffrir Euphrosine afin de la corriger, ce qui explique que Trivelin se tourneautant vers la maîtresse que vers l’esclave. Dans la scène 3, il se montre parti-culièrement attentif à ses réactions («petit embarras que cela vous donne », l. 81 ;« vous sentez », l. 82) et la traite comme une malade qu’il s’agit de guérir :« c’est bon signe, et j’en augure bien pour l’avenir » (l. 82-83), «Courage, Madame,

25

S c è n e 3

Page 26: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

profitez de cette peinture-là » (l. 127-128). Dans la dernière expression relevée,on voit bien que c’est la connaissance qui conduit à la guérison. Le progrèsmoral est possible : il passe par la vérité.

u Au cours de son discours, Cléanthis indique explicitement sa conditionsociale : « nous autres esclaves » (l. 124). On voit bien qu’elle est au serviced’Euphrosine : « qu’on m’habille » (l. 101-102), « qu’on m’apporte un miroir »(l. 109).La manière de parler de Cléanthis trahit sa fonction. Sans compter la répéti-tion de «Madame» qui donne à entendre le langage domestique, on observel’emploi de la troisième personne : « elle regarde, elle est triste, elle est gaie » (l. 90-91). On a l’impression que Cléanthis n’ose s’adresser directement à sa maî-tresse, elle parle à Trivelin dont on a vu qu’il ne s’inscrit dans aucune hiérar-chie sociale et semble ignorer les réactions d’Euphrosine alors que le portraitlui est destiné.Habituée à obéir et souvent rabrouée, Cléanthis, en dépit de son explosionde paroles, manque de confiance en elle : « par où commencer, je n’en sais rien,je m’y perds » (l. 87-88) ; elle a besoin de Trivelin pour orienter son portrait :« je vous ai dit de m’interroger » (l. 87).Le langage de Cléanthis est constitué d’une succession brute de sentimentsexprimés par l’abondance des phrases exclamatives et des interjections ; lesimages se succèdent et l’on entend parler Euphrosine. Cléanthis se montreincapable d’analyser ce qui se passe ; elle donne à voir et à entendre les scènesauxquelles elle a assisté et c’est au spectateur de dégager la critique sous-jacente.

i Dans la première réplique qu’il prononce dans cet extrait,Trivelin résumeEuphrosine en trois adjectifs. Il présente d’elle un portait synthétique, unesorte de définition. Cléanthis, au contraire, développe et illustre ; elle racontesans chercher à identifier les comportements qu’elle évoque.Froide et réfléchie, la première réplique de Trivelin s’oppose au portraitvivant et passionné de Cléanthis.Trivelin cherche la vérité, l’objectivité.Cléanthis, elle, revit les scènes qui l’ont marquée afin de mieux s’en libérer.L’un est distant, l’autre est impliquée.

o On peut relever :– la longueur des répliques ;– l’énumération qui permet d’accumuler : « silence, discours, regards, tristesse, etjoie » (l. 91) ;

26

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 27: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

– la suppression des déterminants qui souligne le caractère brut des paroles ;– la répétition du présentatif qui favorise l’accumulation ;– la juxtaposition qui, ajoutée aux trois procédés qui précèdent, montre unesyntaxe rudimentaire ;– l’absence de synthèse : le « voilà ce que c’est, voilà par où je débute, rien que cela »(l. 95-96) s’avère vide ; Cléanthis ne peut que déverser des images sans lesanalyser.

q Les expressions « petit embarras » (l. 81), « vous sentez » (l. 82), « Courage,Madame » (l. 127) montrent que Trivelin est attentif aux réactions de sa« malade ». Elles commandent aussi le jeu de l’actrice qui doit laisser appa-raître le trouble du personnage qu’elle incarne et jouent, de ce fait, un rôlede didascalie.

s La souffrance d’Euphrosine se traduit par des répliques brèves. Elle setrouve dépossédée de la parole (au profit de sa servante) et même de sonidentité. En effet, juste après le passage délimité, elle s’écriera : « je ne sais oùj’en suis » (l. 129).L’interrogation rhétorique « N’en voilà-t-il pas assez, Monsieur ? » (l. 80)exprime également cette souffrance tout comme l’emploi systématique de latournure négative.

d Dans la première grande réplique de Cléanthis, on peut relever de nom-breux termes contradictoires pour caractériser Euphrosine : «Madame se tait,Madame parle » (l. 90), « elle est triste, elle est gaie » (l. 90-91), « tristesse et joie »(l. 91). Ces incohérences traduisent la mobilité du jeu d’Euphrosine et ren-dent bien compte de l’adjectif «minaudière » employé par Trivelin.Euphrosine a de multiples visages, mais « c’est tout un, il n’y a que la couleur dedifférente » (l. 91-92). « C’est vanité muette, contente ou fâchée ; c’est coquetteriebabillarde, jalouse ou curieuse » (l. 92-93) : dans les deux propositions construitessymétriquement, les trois adjectifs représentent les couleurs qui diffèrent tan-dis que les substantifs définissent l’«un» d’Euphrosine en reprenant la défini-tion de Trivelin.En peignant ainsi Euphrosine, Cléanthis soulève la question de la réalité et del’apparence.

f Cléanthis présente, dans deux répliques successives, deux situations oppo-sées. La locution adverbiale « au contraire » (l. 108) marque ici le renversement.À l’origine de chacune des deux scènes, deux événements anecdotiquesopposés : dans la première réplique, «Madame» a bien dormi ; dans la seconde

27

S c è n e 3

Page 28: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

elle a « mal reposé ». Si le point de départ est minime, les conséquences sontd’importance et la journée d’Euphrosine s’en trouve déterminée. Dans la première réplique, on relève un vocabulaire mélioratif se rapportant à l’apparence de la jeune femme (« belle […] du sémillant dans les yeux […]m’habille », l. 100 à 102) et une vie sociale intense (« verra du monde […] auxspectacles, aux promenades, aux assemblées », l. 102-103). Dans la deuxièmeréplique, « au contraire », on relève un vocabulaire péjoratif se rapportant auvisage («mal bâtie », l. 110 ; «des yeux battus, un teint fatigué », l. 111-112) et unrefus de la vie sociale. Il faut nuancer : ce refus premier est suivi d’un jeumondain de dissimulation. Lorsque Euphrosine dit « ce n’est point moi »(l. 122), on comprend que tout se réduit chez elle à l’apparence. Les procédésde l’hyperbole et de l’opposition qui sont employés dans ces deux répliquessoulignent la critique de Cléanthis – et de Marivaux – concernant la placeaccordée aux apparences.

g Cléanthis critique l’importance du paraître dans les relations sociales.Toutsemble affaire de mise en scène et c’est pour cette raison que, dans la deuxièmeréplique, Euphrosine choisit de recevoir dans l’ombre d’une chambre.Les relations mondaines ne sont que mensonges et artifices : « ce n’est pointmoi » (l. 122), « il y a huit jours que je n’ai fermé l’œil » (l. 120).L’amitié n’existe pas, elle n’est que rivalité ; en effet, lorsque la jeune femmese sait belle, elle voit du monde et va « aux assemblées » car « son visage peut semanifester » (l. 103-104) ; elle sera admirée ou jalousée. Mais lorsqu’elle a maldormi, elle redoute le regard des autres : « que va-t-on penser du visage deMadame ? On croira qu’elle enlaidit : donnera-t-elle ce plaisir-là à ses bonnes amies ? »(l. 116 à 118). Le procédé de l’antiphrase employé dans cette dernière expres-sion met en relief la vanité et la cruauté des relations mondaines.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (pp. 60 à 65)

Examen des textes

a La dernière proposition du texte constitue la pointe ; c’est l’élément verslequel s’oriente l’ensemble du portrait et c’est le trait d’esprit qui assure l’ef-ficacité critique du texte.La pointe est d’abord un effet de surprise. Ici, le pronom personnel « il » estrégulièrement repris et le lecteur est de ce fait étonné de voir le portraits’achever sur « le chapitre des femmes ». Mais ce trait final est préparé ; on peut

28

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 29: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

en effet relever tout un réseau de vocabulaire qui dessine la féminité du per-sonnage : « mode », « rougit », « douce », « pâte de senteur », « petite bouche »,«miroir », « délicate », « adoucissement », « embellir », «molle », « joli maintien », « durouge ». La pointe porte le coup de grâce : le comportement d’Iphis est si arti-ficiel qu’il en vient à perdre sa propre identité et l’on comprend que le soucide la mode, poussé à l’extrême, dénature.

z On peut relever : « éblouissement », « rubans roses qui palpitaient », « amoureuse-ment », « splendeur de sa peau brune », « séduction de sa taille », « finesse des doigtsque la lumière traversait ».À mesure que le portrait se précise, le vocabulaire devient de plus en pluspositif. De cette manière, Flaubert rend compte de la naissance du sentimentamoureux. Le portrait a une fonction narrative importante ; il fonde etexprime à la fois le coup de foudre.

e Le portrait de Madame Arnoux est peint du point de vue de Frédéric. Onpeut relever : « il ne distingua personne », « il la regarda », « il affectait d’observer »,« jamais il n’avait vu », « il considérait ».Ces expressions décident de la progression du tableau. Le premier alinéa dupassage, « ce fut une apparition », définissait déjà ce jeu du point de vue.Madame Arnoux apparaît à Frédéric et Flaubert la peint telle que son per-sonnage la découvre. Ce sont également les mouvements de Frédéric quimarquent les étapes du portrait : le « il se fut mis plus loin » ouvre un tableaud’ensemble tandis que « il se planta tout près de son ombrelle » permet un planrapproché (peau, taille, doigt).

r En reprenant la forme ancienne du blason,André Breton dresse le portraitd’une femme aimée (le vocabulaire mélioratif, l’adjectif possessif «ma »). Onpeut en effet relever le champ lexical du corps féminin : « chevelure », « taille »,« bouche », « dents », « langue », « cils »… Chaque élément est précisé grâce àl’usage systématique du complément de détermination : « de feu de bois »,« d’éclairs de chaleur », « de sablier », « de loutre », « de cocarde »…

t L’analyse de Marcel Proust souligne l’ambiguïté d’un autoportrait quiassocie finement la dérision et la rédemption par l’art. D’une part, Chardinporte sur lui-même un regard distant, critique même et Proust en rendcompte au travers du vocabulaire choisi : « cocasse », « vieux touriste anglais »,« abat-jour vigoureusement enfoncé », « sourire », « vieil original ». Mais les termeschoisis par Proust ne sont jamais négatifs, tout au plus amusés et affectueux ;c’est le sens que l’on peut donner à la reprise de l’adjectif « vieux». La phrase

29

S c è n e 3

Page 30: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

nominale « si artiste » introduit un jugement plus profond qui peut mêmealler jusqu’à contredire l’impression première (« plaisir aristocratique »). Onpeut relever un certain nombre de termes appartenant au vocabulaire del’art : « artiste », « indice de goût », « roses », « jaunes », « jaunie », « rosée », « bleu »,« sombre éclat », « charme doux », « la noble hiérarchie des couleurs précieuses »,« l’ordre des lois de la beauté ». L’analyse est de plus en plus explicite ; à la fin,Proust souligne l’ambiguïté riche du tableau en rapprochant le « vieux bour-geois », et la «noble hiérarchie ». L’emploi de la préposition «dans » et de l’adjec-tif « apparent » (« dans le désordre apparent ») montre bien la démarche de Proustet la progression du texte. On comprend dans cette étude, comme d’ailleursdans À la recherche du temps perdu, que l’art sauve de la médiocrité, opère unesorte de transmutation sur un réel ordinaire, voire dérisoire.

Travaux d’écriture

Question préliminaireEn lisant ou en regardant les différents documents réunis dans le corpus, oncomprend que le portrait remplit un rôle ; résultant du regard d’une per-sonne sur une autre, il est orienté par un projet plus ou moins explicite.Dans certains cas (textes A et C), le portrait doit être situé par rapport àl’œuvre. Cléanthis agit sur ordre de Trivelin et la peinture qu’elle fait a unefonction thérapeutique, elle doit amener Euphrosine à se regarder tellequ’elle est afin d’évoluer. Le portrait de Madame Arnoux se situe dans lecadre d’une scène de première rencontre et le lecteur découvre l’amour nais-sant de Frédéric. La technique du point de vue (focalisation interne)employée par Flaubert révèle à la fois le profil de Madame Arnoux et les sen-timents de celui qui la contemple.Le poème d’André Breton est aussi un éloge de la femme aimée. Le portraitpermet ici d’exprimer ses propres sentiments.On peut déceler dans les deux premiers textes une intention critique ; enpeignant sa maîtresse, Cléanthis tourne en dérision les précieux des salons etLa Bruyère n’a pas agi d’une manière bien différente en dressant le portraitd’Iphis.Le portrait rédigé par Proust fait ressortir l’objectif de l’autoportrait deChardin. La peinture du « vieux bourgeois » s’avère susceptible de procurer un« plaisir aristocratique ». Chardin porte sur lui-même un regard critique maisparvient, grâce à l’art, à accéder à un statut digne d’admiration. En se pei-gnant ainsi, Chardin parvient à exprimer les pouvoirs de la peinture. Et

30

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 31: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

Proust, de même, en décrivant l’autoportrait, est amené à formuler saconception de l’art.

Commentaire

On pourra adopter le plan suivant :

1. Iphis le mondain

A. Un personnage vide• Aucune référence à un intérêt intellectuel : le vocabulaire se rapporte uni-quement à l’apparence.• Aucun sens de la mesure : il « rougit » pour un rien.• Aucune spontanéité : « a soin de rire pour montrer ses dents ».• Personnage qui ne se définit que par la mode ; il disparaît lorsqu’il n’est pasà la mode.• Personnage influençable qui se définit par le regard des autres.

B. Le poids de l’apparence physique• Le champ lexical du physique est très présent.• Toutes les occupations d’Iphis sont tournées vers sa toilette : il « entretient sesmains », « se met du rouge » ou vers l’action de se montrer (« était venu à la messepour s’y montrer »).• Tout en lui est artificiel : « il met du rouge », « il s’est acquis »…

2. L’art de dresser le portrait d’Iphis

A. Un portrait théâtral• Le personnage est présenté en situation sans explications préliminaires : leprésent de narration et la syntaxe (absence de connecteurs logiques) souli-gnent le côté abrupt de la mise en scène.• Quelques indications de lieu («Église », «messe », « chambre ») jouent le rôlede didascalie.

B. Le jeu des points de vue• Un point de vue externe : champ lexical du physique et des vêtements,verbes de vision au présent.• Un point de vue omniscient : le lecteur apprend ce que pense Iphis (emploides verbes « croire », « vouloir », «oublier »).

3. Un portrait critique

A. L’absence d’identité du personnage• Réduit à un prénom.• Place de l’apparence.

31

S c è n e 3

Page 32: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

• Homme ou femme ? On peut relever un grand nombre d’indices de laféminisation du personnage malgré l’emploi du pronom « il » ; la pointe duportrait souligne l’ambiguïté.

B. Le mode de vie narcissique• L’importance de l’ostentation et le rôle du miroir.• L’emploi fréquent de la tournure pronominale exprime le caractère réfléchides actions.

C. La généralisation de la critique• Le personnage n’est pas vraiment individualisé (prénom, absence de pré-sentation au début).• La Bruyère joue sur les valeurs du présent : le présent d’actualisation visantà impliquer le lecteur est aussi un présent d’habitude et surtout un présent devérité générale.• La pointe finale atténue la critique et la rend acceptable pour le lecteur : ils’agit davantage de séduire et de s’amuser que de critiquer sérieusement.Mais le comique, dans ce portrait, fonctionne comme dans les comédies deMolière.

Dissertation

On pourra adopter le plan suivant :

1. La littérature emprunte aux autres arts

A. Littérature et peinture• La technique du portrait et de la description.• Des procédés communs :– le procédé du contraste,– le procédé de la mise en relief.

B. Littérature et architecture• La construction d’un roman :les effets de reprise, les symétries, la cohérence.• La construction d’une pièce de théâtre :– exposition et dénouement : des échos,– le jeu des doubles dans la comédie.

C. Littérature et musique• Les procédés de mise en relief et de composition appartiennent à la pein-ture, à l’architecture et à la musique.

32

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 33: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

• La poésie ne se distingue pas à l’origine de la chanson (chez les Grecs, auMoyen Âge).• Les poètes revendiquent cette parenté :Verlaine.

2. La littérature a ses propres spécificités

A. Le portrait• La littérature emploie des procédés qui lui sont propres : changements depoint de vue, portrait éclaté, dispersé dans une scène narrative, analyse psy-chologique explicative.• Le portrait est souvent suggestif. Des détails permettent au lecteur ou auspectateur d’ignorer le reste (exemple : L’Île des esclaves, Caractères).

B. La liberté du roman• Absence de limites du roman : pas de durée limitée, le nombre de person-nages n’est pas fixé, la longueur de l’œuvre n’est pas définie.• Tout est possible : l’analyse qui ralentit l’action (Proust), les décors imagi-naires les plus incroyables dans les œuvres fantastiques ou dans les œuvres descience-fiction.

C. Le langage• La littérature suggère plus qu’elle ne montre, d’où certaines déceptionslorsqu’un roman que l’on a aimé est mis en images.• La littérature tire sa force du langage et d’une utilisation originale de celangage : jeux sur les mots, les sonorités, les sens, les constructions…

3. La littérature cherche à émouvoir, comme les autres artsPlus que dans les procédés communs, c’est dans la finalité qu’il faut chercherle point commun entre les différents arts :

A. Communiquer• Véhiculer des idées (Candide de Voltaire, Guernica de Picasso…).• Susciter des réactions.

B. Procurer un certain plaisir• Le rire (comédie et caricature).• L’émotion.

Écriture d’inventionOn attend des élèves une présentation claire d’une fonction du portrait et onpénalisera fortement ceux qui n’ayant pu se décider auront mélangé plu-sieurs fonctions.

33

S c è n e 3

Page 34: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

Le portrait rédigé devra ensuite illustrer nettement la fonction choisie ; lesélèves auront compris qu’il faut choisir la fonction du portrait en tenantcompte de ce que l’on peut faire dans le cadre de la seconde partie du travaildemandé. On valorisera les copies qui auront varié les procédés dans l’écri-ture du portrait.

34

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 35: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

S C È N E 6 (pp. 74 à 77)

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (pp. 79 à 81)

a Les maîtres ont quitté l’avant-scène et perdu la maîtrise de la parole. Onavait déjà compris, en écoutant le flot des paroles libérées de Cléanthis dansla scène 3, que les domestiques étaient condamnés au silence. Ce passage leconfirme. En effet, Iphicrate ne prend la parole qu’une seule fois et cetteréplique, brève, exprime clairement sa nouvelle condition. « Peux-tu m’em-ployer à cela ! » (l. 30) : si l’ex-maître continue à tutoyer son ex-serviteur, le jeudes pronoms personnels (un « tu » sujet et un «m’» objet) indique la supério-rité active.Ajoutons qu’Iphicrate a perdu l’initiative ; il ne parle que lorsqueson ancien maître s’adresse à lui et son intervention fait suite à un ordredonné par Cléanthis (« vite des sièges », l. 28). Un peu plus loin dans le passage,on retrouve de façon plus explicite encore la même situation. Il est questiond’Iphicrate et d’Euphrosine mais ils ont cette fois-ci totalement perdu l’accèsau discours. Les voilà réduits à un déplacement et à des gestes exprimés par ladidascalie « Iphicrate et Euphrosine s’éloignent en faisant des gestes d’étonnement etde douleur » (l. 44-45). Personnages muets, condamnés au langage des gestes,ils ne font que se soumettre à l’injonction qui précède : «Qu’on se retire à dixpas » (l. 44). Bien entendu, ce silence des deux maîtres constitue, dans lapièce, un élément de critique sociale.

z Le champ lexical de la parole est fortement représenté. On peut relever :« en conversant » (l. 33), « entretien » (l. 34), plus loin « conversation » (l. 56-57),«dire » (l. 65), «Dites » (l. 66), «persuaderez» (l. 67), « convaincre » (l. 69) et enfinà nouveau «dire » (l. 72).Au travers de ce réseau dense, Cléanthis et Arlequin semblent se griser deleur nouvel accès à la parole. Les maîtres sont ceux qui parlent ; ils ne disentpas forcément quelque chose mais ils exercent un pouvoir grâce à cemonopole.

e Habitués à être tutoyés et à se tutoyer entre eux, Arlequin et Cléanthisadoptent ici le langage de leur nouveau rôle en recourant au vouvoiement.L’échange de nombreuses apostrophes («Madame», «Monsieur ») est un autreélément de cette affirmation sociale.Ajoutons le ton du dialogue : les deuxesclaves prennent le ton affecté de leurs maîtres et affichent la spécificitésociale de leur discours : « Il n’est plus question de familiarité domestique.Allons,

35

S c è n e 6

Page 36: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

procédons noblement » (l. 36-37). La juxtaposition de ces deux propositionsnous donne une image de la société dans laquelle la « familiarité domestique »(l. 37) se trouve éloignée et coupée du jeu des aristocrates. Car il s’agit plusd’un jeu que d’un véritable sens ; la noblesse n’est que dans la manière (unadverbe), on ne fait que «procéd[er] noblement » (l. 37).

r À la fin du passage on peut relever un certain nombre de verbes à l’impé-ratif qui font partie du discours galant et que nous laisserons de côté pournous intéresser au discours de Cléanthis en tant que metteur en scène.On relèvera ainsi des impératifs tels que « tenez» (l. 32) ou «promenons-nous »(l. 32). Le futur peut aussi être employé avec une valeur d’ordre : « vous ferezadroitement tomber l’entretien » (l. 33-34). De même le subjonctif sert de substi-tut à l’impératif à la troisième personne : «qu’ils s’éloignent seulement » (l. 43).On voit au travers de cette abondance de verbes injonctifs que Cléanthismène le dialogue comme une sorte de metteur en scène réglant ton et mou-vement des acteurs.

t D’abord Cléanthis pose le thème de la pièce, un peu comme un canevaspour la commedia dell’arte : « vous ferez adroitement tomber l’entretien sur le pen-chant que mes yeux vous ont inspiré pour moi » (l. 33-34). En rejetant la « familia-rité domestique » (l. 37) et en demandant à parler «noblement » (l. 37), elle fixe leniveau de langue de la scène. Il faudra même accentuer le registre soutenu :«n’épargnez ni compliments, ni révérences » (l. 37-38). Cléanthis règle égalementles déplacements : « promenons-nous de cette manière-là » (l. 32-33), « révérences »(l. 38), « qu’ils s’éloignent » (l. 43).Ayant fixé le thème, le niveau de langue etles déplacements, elle exerce un rôle critique en corrigeant Arlequin, commeon rectifie le jeu d’un acteur : « vous défigurez notre conversation » (l. 56-57),«Rayez ces applaudissements » (l. 59).

y Dès la première réplique du passage, Arlequin se montre soumis àCléanthis. S’il donne un ordre à Iphicrate, c’est pour satisfaire au désir del’ancienne esclave. Le « qu’on nous apporte des sièges » (l. 23-24) est suivi d’un« vite des sièges » (l. 28). De même, plus loin, le «Qu’on se retire à dix pas » (l. 44)est un écho du «qu’ils s’éloignent seulement » (l. 43) de Cléanthis. On remarqueégalement qu’il ne se permet aucun reproche et accepte même ceux qu’onlui fait tout en cherchant à atténuer la faute : « ce n’est rien, c’est que je m’ap-plaudis » (l. 58).

u On s’aperçoit très vite qu’Arlequin est beaucoup moins impliqué dans lascène que Cléanthis. En effet, lorsqu’il dit « la République le veut » (l. 31), il

36

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 37: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

semble se réfugier derrière une autorité qui lui échappe et refuser ainsi touteimplication personnelle dans la scène de galanterie. D’ailleurs, il ne parvientpas à prendre au sérieux la nouvelle situation alors que Cléanthis le pousse àbien jouer son rôle. Régulièrement, le vrai visage d’Arlequin apparaît der-rière le masque du mondain galant ; le rire spontané de l’esclave et du pitreitalien fait éclater le vernis du discours amoureux socialement codifié : «Oh,oh, oh, oh ! » (l. 55), «Ah, ah, ah» (l. 75). Les didascalies indiquent ces rupturesdans le jeu (« il saute de joie », l. 54 ; « riant à genoux », l. 75) alors que celle serapportant à Cléanthis («Continuant », l. 60) exprime au contraire son impli-cation dans le dialogue galant. Si, sans se départir d’un sérieux sans doute liéà sa nouvelle condition, Cléanthis alterne discours amoureux et indicationsde mise en scène,Arlequin, conscient du ridicule de la scène, alterne discoursamoureux et propos de spectateur : « je m’applaudis » (l. 58), « riant » (l. 75)… Il exprime ainsi sa distance vis-à-vis de la scène et souligne par-là le fonc-tionnement du théâtre dans le théâtre.

i Le champ lexical du plaisir galant est abondant dans le dialogue : « Unjour tendre » (l. 51), « vos grâces » (l. 54), « galant » (l. 61), « douceurs » (l. 62)…On note aussi la place du pluriel : « compliments » (l. 63), « douceurs » (l. 62),« flammes » (l. 69).Tout paraît multiplié et ces marques du pluriel donnentune impression de profusion ; elles relèvent également de l’hyperbole cari-caturale et l’on comprend que Marivaux critique cette préoccupationlégère et artificielle.

o Le discours amoureux des mondains est codifié. Hérité du code précieuxou du très ancien amour courtois, il progresse par un jeu de refus et d’invita-tion. Il s’agit de repousser l’avance tout en laissant à l’amant la possibilité depoursuivre le dialogue ; il s’agit aussi de l’inviter tout en lui faisant com-prendre qu’il ne faut pas espérer grand-chose dans l’immédiat.On observe à plusieurs reprises cette contradiction dynamique dans le dia-logue des deux esclaves qui imitent leurs maîtres. On peut relever :– « Je savais bien que mes grâces entreraient pour quelque chose ici » / « finissons, envoilà assez» (l. 60 à 63) ;– «dites »/«heureusement on n’en croira rien » (l. 66) ;– « ceci devient sérieux»/« laissez-moi » (l. 71) ;– « je ne veux point d’affaire »/« faut-il vous dire qu’on vous aime ? » (l. 72-73).La contradiction galante est de plus en plus resserrée à mesure que le dia-logue progresse.

37

S c è n e 6

Page 38: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

q On peut comprendre la réplique d’Arlequin de plusieurs manières.La société n’est qu’artifice et la hiérarchie inversée de l’île des esclaves n’a pasplus de sens que celle qui la fonde.Tout est affaire de code et de convention ;le dialogue n’a rien à voir avec la réalité des êtres et des sentiments. Aussipeut-on imaginer une autre configuration et proposer à la fin de la scène unamour croisé. La seconde proposition installe un comparatif de supériorité.La sagesse est du côté des valets ; c’est donc que la réalité est pire encore quel’image que nous en donnent les deux esclaves. Peut-être est-elle pire car lesvalets, eux, savent que ce n’est qu’un jeu alors que les maîtres ne se rendentmême plus compte de la vacuité de leur langage et de leurs amours.La réplique d’Arlequin exprime également le rôle de la comédie. La sagesseest du côté du théâtre. De même qu’Arlequin et Cléanthis tendent à Iphi-crate et à Euphrosine un miroir chargé de les corriger ; de même, Marivaux,reprenant le projet de Molière issu de la comedia dell’arte («Castigat ridendomores »), tend à ses spectateurs un miroir. En grossissant le réel, le théâtreprend ses distances et se montre ainsi plus sage, car plus lucide que la société.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (pp. 83 à 88)

Examen des textes

a La didascalie emploie des termes en rapport avec la technique du théâtreplutôt qu’avec l’intrigue. On peut relever une allusion au rideau (la « toile »)et la mention des « comédiens ». Le théâtre se montre nettement comme tel etles comédiens sont présentés comme des personnages tout à fait ordinaires.Tous rassemblés (comme il se doit à la fin d’une comédie), ils se livrent à uneoccupation bien concrète, celle de se partager la recette. Mais l’intrigue sepoursuit et on écoute le dialogue d’Alcandre et de Pridamant : la scène estpartagée en deux et Corneille présente le théâtre sous ses deux aspects, l’illu-sion et la réalité.

z Les phrases exclamatives et interrogatives dominent dans les répliques dePridamant. Elles expriment son étonnement : «Quelle étrange surprise ! » «Monfils comédien ! » Les questions relancent le dialogue et permettent d’introduireles explications d’Alcandre. On a presque envie de voir face à face un auteur(ou metteur en scène) et son spectateur.

e On distingue deux situations d’énonciation dans le texte C ; elles corres-pondent aux deux niveaux du théâtre dans le théâtre. Il s’agit tout d’abord

38

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 39: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

d’un monologue. Sosie (le locuteur), seul sur scène, s’adresse à lui-même ou,plus vraisemblablement, aux spectateurs. On peut relever les marques de lapremière personne : « je », « mon », « parlons »… À partir de la didascalie quiintroduit, sous la forme d’une lampe, un destinataire, la situation d’énoncia-tion change. Sosie se projette dans l’avenir et imagine une scène qu’il va êtreamené à jouer. On peut relever des marques du locuteur (« je », « mon »…)mais aussi des indices de la présence du destinataire : « madame », « votre »,« vous »… L’emploi des parenthèses et des italiques permet ici de distinguernettement les deux situations d’énonciation : entre parenthèses figurent lescommentaires de Sosie qui appartiennent à la première situation de commu-nication ; les italiques détachent les paroles supposées d’Alcmène dans le dia-logue projeté par Sosie.

r Ces deux scènes de Marivaux sont proches car elles présentent deux situa-tions identiques. Dans Le Jeu de l’amour et du hasard, comme dans L’Île desesclaves, Marivaux a procédé à un échange de rôles. Les valets sont devenusainsi des maîtres et, tout en conservant leur naïveté populaire, ils imitent lelangage galant de leurs maîtres. Dans les deux scènes on peut relever cemélange des langages. Et, dans les deux cas, la finalité est double, à la foiscomique et critique.

Travaux d’écriture

Question préliminaireDans les deux textes de Marivaux, le procédé de théâtre dans le théâtre fonc-tionne de la même manière. Amenés à devenir (ou à se déguiser en) desmaîtres, les valets se mettent à imiter le langage de la haute société. Le pro-cédé de théâtre dans le théâtre réside dans le fait qu’ils n’y parviennent pas etque le spectateur perçoit les deux rôles des comédiens en même temps. Lecomédien joue le rôle d’Arlequin qui, lui-même, joue celui de son maître ;mais le spectateur, dans le mélange des langages, reconnaît les deux statuts.Le texte de Molière présente une situation analogue. Sosie est, pour le spec-tateur, à la fois celui qui prononce son monologue d’exposition et celui quiparle à une Alcmène représentée par la lampe. Mais l’emboîtement des deuxniveaux de théâtre s’exprime au travers d’une diction différente. Dans letexte, ce sont les parenthèses et les italiques qui traduisent cette variation dutimbre et de l’intonation des paroles. À la différence des textes A et D, letexte C met en scène un personnage qui va tenir trois rôles : celui de Sosie

39

S c è n e 6

Page 40: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

devant les spectateurs, celui de Sosie devant Alcmène et celui d’Alcmèneelle-même. Dans Les Fourberies de Scapin, on assiste de même à une scène aucours de laquelle Scapin tient plusieurs rôles à la fois.Le texte B fonctionne de manière autre : des deux niveaux exposés, l’unexprime la réalité matérielle du théâtre et présente les comédiens sans leursmasques. Mais le titre est clair, il s’agit là encore d’une illusion puisque lescomédiens ne se partagent pas réellement la recette (la pièce n’est pas termi-née en réalité) mais jouent encore un rôle. On retrouve le même jeu del’illusion dans L’Impromptu de Versailles de Molière.

Commentaire

On pourra adopter le plan suivant :

1. Le théâtre dans le théâtre

A. Les différents statuts de Sosie• Un compagnon d’Amphitryon.• Un « oculaire témoin ».• Un messager.• Un valet de comédie (peu courageux, Sosie ne se trouvait pas face à « nosennemis »).

B. Sosie : homme de théâtre• Un metteur en scène : il pose le décor.• Un acteur :– les deux situations d’énonciation (voir question 3),– les deux rôles de Sosie (le messager et Alcmène).

2. Un message critique

A. La critique de l’HistoireSosie n’était pas présent et il peut donner des détails. Comment accordercrédit aux récits historiques en général ?

B. La critique du style précieux• Lexique de la préciosité.• Procédés de style appartenant au code précieux : périphrases, euphémismes.• La lampe comme parodie de la métaphore précieuse de la lumière.

C. Parodie de tragédie• Le rôle du messager dans la tragédie.• Le récit de bataille dans la tragédie.

40

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 41: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

• Ton solennel, style soutenu et emploi fréquent du rythme binaire.• Le registre épique.• La parodie est montrée par le fait que c’est un valet qui parle et qu’ils’adresse à une lampe.

3. Une scène d’exposition comique

A. Une fonction informative• Les personnages.• Le passé immédiat.

B. Une scène dynamique• Le monologue devient dialogue.• Le jeu des voix.• La place de l’objet (comme la tabatière dans Dom Juan).• La promotion du valet de comédie qui devient le messager de la tragédie.

Dissertation

On pourra adopter le plan suivant :

1. Le théâtre est un spectacle

A. Des contraintes matérielles• L’espace.• La durée.• Les difficultés de la représentation au XVIIe et au XVIIIe siècle.

B. Un théâtre que l’on voit• L’importance des costumes.• L’importance du décor.• La place des objets.

C. Un théâtre que l’on entend• La musique qui peut venir accompagner la représentation.• Les accents.• Le jeu des différentes voix.• Les bruits (coups de bâton, course…).

2. Une représentation de la réalité

A. Une représentation de la société• La tragédie et l’univers aristocratique au travers des costumes, du décor, dulangage.

41

S c è n e 6

Page 42: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

• La comédie et l’univers bourgeois et populaire (costumes, décor, langage).

B. Une représentation des tensions sociales• L’autorité des pères dans la comédie.• Les relations maîtres-valets.• Les exigences du pouvoir dans la tragédie (Bérénice de Racine).

C. Une représentation des préoccupations humaines• L’argent.• L’amour.• Le pouvoir.• Le destin.

3. L’illusion véhicule la vérité

A. Le théâtre permet la distance• Les artifices du théâtre (personnages types) nous aident à prendre du recul.• Le théâtre accorde une place à l’imaginaire (le décor de L’Île des esclaves,Dom Juan de Molière, Rhinocéros de Ionesco), ce qui nous aide à prendre nosdistances.

B. Le théâtre grossit et souligne• L’enchaînement catastrophique dans la tragédie souligne la force des valeurset le poids du destin.• La comédie met en relief les défauts et prend des risques : de nombreusespièces ont été interdites (Tartuffe, Le Mariage de Figaro).

Écriture d’inventionOn attend un monologue délibératif ; le verbe «hésite » suppose que s’affron-tent des arguments. Le monologue est intérieur et ne se situe donc pas dansun contexte théâtral. Les élèves devront imaginer une situation à propos delaquelle le débat mensonge/vérité puisse déboucher sur une réflexion nour-rie. On valorisera le contenu (la réflexion sur le mensonge) comme lesmarques de la délibération.

42

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 43: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

S C È N E 8 (pp. 91 à 93)

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE (pp. 94 à 97)

a On distingue nettement l’échange de répliques courtes qui caractérisela première partie de la scène de la tirade d’Euphrosine qui l’achève. Audébut, les répliques sont particulièrement brèves : les phrases simples sont trèsnombreuses (les quatre premières répliques par exemple) ; on peut relever desphrases nominales («Quel état ! », l. 13 ; «Vous ? », l. 17 ; «Voici le comble de moninfortune », l. 21) et des répliques réduites à un mot (« non », l. 8) ou à uneinterjection (« Ahi ! », l. 10).Alors qu’Euphrosine, à l’exception de sa tiradefinale, se limite à de brèves répliques, Arlequin prend de l’assurance et sondiscours galant s’étoffe progressivement. La seconde partie de la scènemarque une inversion des rapports : c’est Euphrosine qui prend la parole etArlequin ne peut que rester silencieux (« J’ai perdu la parole », l. 53-54).

z On peut relever le champ lexical du badinage amoureux au travers d’unvocabulaire se rapportant à l’amour : « les sentiments de mon âme» (l. 11-12), « jevous aime » (l. 15), « je suis bien tendre » (l. 24), « je deviendrais fou » (l. 26).Arlequin se lance dans des compliments qui appartiennent au langage de lagalanterie : «Vous êtes si belle » (l. 19), «un empereur ne vous vaut pas » (l. 31-32).Dans les paroles d’Euphrosine, c’est le champ lexical de la souffrance quidomine. Dans la réplique qui précède la tirade finale, le mot «malheur » (l. 39)apparaît ; il est l’écho de « l’infortune » dont il était déjà question plus haut(l. 21) et qui est reprise ensuite : une « infortunée » (l. 41). À la fin de la scène, lelexique de la douleur est fortement présent : « persécuter » (l. 42), « extrémité »(l. 42), «disgrâces » (l. 45), « esclavage » (l. 45), «douleur » (l. 45), « outrager » (l. 46),«désespoir » (l. 47), «misérable » (l. 50), « je souffre » (l. 52).À ce lexique, on pourra ajouter les procédés grammaticaux et stylistiques quiviennent souligner cette souffrance :– la construction restrictive : « je n’ai que » (l. 47),– la répétition de « sans »,– l’allusion à un passé heureux et au bonheur présent d’Arlequin qui met enrelief la souffrance par contraste.Dans la scène, le champ lexical de la souffrance succède à celui du badinageamoureux, ce qui exprime à la fois la progression du dialogue et l’absenced’entente possible entre les deux personnages. Cependant, le valet opportu-

43

S c è n e 8

Page 44: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

niste et l’aristocrate torturée vont se rejoindre d’une certaine manière sur leterrain de la sincérité.

e Le registre comique du jeu galant fait place à la fin de la scène au pathé-tique.Ainsi, les impératifs employés par Euphrosine n’ont pas la même valeurau début et à la fin. Le « Laissez-moi » (l. 3) et le « pensez ce qu’il vous plaira »(l. 6) qui marquent le refus du discours amoureux font place à de véritablessupplications : «Ne persécute point » (l. 41), «n’ajoute rien » (l. 52). Dans la tiradefinale, le ton est nettement pathétique, comme Euphrosine le dit elle-mêmelorsqu’elle en appelle à « la compassion de tout le monde » (l. 48).Les didascalies expriment également cette évolution. Dans la première partiede la scène,Arlequin rit (« riant », l. 2) et recherche le contact physique («parla manche » ; « lui regardant les mains », l. 22) alors qu’il se fige totalement aprèsla tirade d’Euphrosine : dans l’indication scénique qui achève la scène, troisindices additionnent leurs préfixes pour mieux souligner l’arrêt total d’unpersonnage jusque-là très mobile (« abattu », « abaissés », « immobile », l. 53).

r Dans la première partie de la scène, le langage est un instrument de jeu.Arlequin, imitant son maître, utilise les mots pour échafauder un discoursamoureux artificiel et conventionnel. On peut tout d’abord repérer un jeu deva-et-vient qui noue étroitement trois répliques. C’est ce qui se passe dans lestriplés suivants :1 ARLEQUIN – M’entendez-vous un peu?EUPHROSINE – Non.ARLEQUIN – C’est que je n’ai encore rien dit.2 ARLEQUIN – Je deviendrais fou tout à fait.EUPHROSINE – Tu ne l’es déjà que trop.ARLEQUIN – Je ne le serai jamais tant que vous en êtes digne.3 ARLEQUIN – Je ne le serai jamais tant que vous en êtes digne.EUPHROSINE – Je ne suis digne que de pitié, mon enfant.ARLEQUIN – Vous êtes digne de toutes les dignités imaginables.Dans ce troisième exemple, la répétition constitue un autre ressort du dyna-misme de la parole ludique d’Arlequin. On peut le constater dans la suite dela dernière réplique citée avec les reprises des mots « empereur », « moi »,« voit », « vaut ». À cela s’ajoutent les connecteurs logiques qui instaurent unesorte de raisonnement (voir question 11).

t Dans le discours d’Euphrosine, à la fin de la scène, le langage perd totale-ment sa fonction ludique pour devenir au contraire le fidèle véhicule des

44

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 45: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

sentiments du personnage. C’est une parole transparente qui exprime la souf-france et vise à la communiquer à Arlequin et au spectateur (« la compassion detout le monde », l. 48). Le présentatif « voilà » (l. 49), reprenant l’impératif « vois »(l. 42) et renouant par là même avec son étymologie, exprime cette transpa-rence du langage. Il s’agit non pas de surprendre par un jeu mais de montrerce qui est. D’ailleurs le verbe « être », dans son sens plein comme dans sa fonc-tion d’auxiliaire, est fréquemment employé dans la tirade : « je suis réduite »(l. 42-43), « je suis sans asile » (l. 46), « l’état où je suis » (l. 49), « tu es devenu libreet heureux» (l. 50).

y Dans la tirade finale, Euphrosine rappelle son passé en terme de rangsocial : le « rang que je tenais dans le monde » (l. 43-44), « ma naissance » (l. 44),«mon éducation » (l. 44). Cette supériorité sociale apparaît de manière impli-cite dès le début de la scène. En effet, si la jeune femme est réduite en escla-vage, elle n’en conserve pas moins sa manière de parler et n’hésite pas àrecourir aux impératifs puis au tutoiement (« tu ne l’es déjà que trop », l. 27). Sasurprise devant la déclaration d’Arlequin (« vous ? », l. 17) traduit égalementcette hiérarchie sociale qui perdure malgré la loi imposée par Trivelin.L’apostrophe «mon enfant » (l. 29) déplace dans le vocabulaire familial affectifle rapport social et place Euphrosine au-dessus d’Arlequin.

u Dans la scène 3, Cléanthis dresse un portrait particulièrement sévère de samaîtresse. «Vaine, minaudière, coquette », la jeune femme semble réduite à uneapparence. Les rapports mondains sont vivement critiqués et Euphrosine neparaît vivre et s’estimer que dans et pour le regard des autres. La scène 8donne une autre image d’Euphrosine. Peut-être s’agit-il d’atténuer un portraitun peu sévère (et dangereux ?) ; mais ce changement est aussi sans doute uneffet de la thérapie mise en place par Trivelin. Dans la tirade finale, on a vu laplace tenue par le champ lexical de la souffrance (question 2) et le glissementvers le pathétique (question 3). Mais la présentation méliorative d’Euphrosinene se limite pas à la tirade.Tout au long de la scène, Marivaux la présentecomme un être sensible. Elle ne repousse pas Arlequin de manière méprisanteet hautaine et ne se moque pas de sa faible maîtrise du langage galant.Aucontraire, elle lui témoigne une certaine affection, comme le suggèrent lesapostrophes qui ont pour fonction d’établir un contact : «Arlequin» est utilisédeux fois et «mon enfant » installe une relation de protection maternelle.Ainsi, dans cette scène, Euphrosine, tout en conservant sa supériorité sociale,a perdu les artifices mondains que lui reprochait Cléanthis. Lorsque Arlequin

45

S c è n e 8

Page 46: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

lance le discours galant, elle recherche au contraire la vérité. Son masque de« coquette » est tombé et il ne reste plus qu’une victime. Définie par son« rang », sa « naissance », son « éducation », elle mesure l’écart qui la sépared’Arlequin (« vous ? »). Elle est « sans défense » aucune : « tu peux la persécuterimpunément ». La jeune femme autoritaire et manipulatrice dépeinte parCléanthis est devenue une victime émouvante.

i Les références à la supériorité sociale d’Euphrosine sont rejetées dans lepassé par l’emploi de l’imparfait « tenais » (l. 43). C’est la souffrance qui estmise en avant : «mes disgrâces » (l. 45), «ma douleur » (l. 45)… Lorsque la jeunefemme fait appel à « la compassion de tout le monde » (l. 48), elle gomme toutedistinction de rang pour ne plus se référer qu’à une morale universelle. À lafin de la tirade, l’interrogation rhétorique « Tu es devenu libre et heureux, celadoit-il te rendre méchant ? » (l. 50-51) soulève le problème de la relation entrecondition sociale et comportement envers les autres.

o Euphrosine se place en dehors de toute hiérarchie sociale ; elle fait appelaux sentiments humains en dehors de toute convention sociale. Le « tout lemonde» (l. 48) est très significatif à ce sujet. Elle accepte sa nouvelle conditionmême si elle en souffre et ne jalouse pas le sort plus heureux d’Arlequin : enagissant de la sorte, elle refuse le débat de rangs et se situe sur le terrain dessentiments (« désespoir », l. 47 ; « douleur », l. 45 ; « t’attendrisse », l. 45 ; « compas-sion », l. 48…) et de la morale («méchant », l. 51 ; « fait de mal », l. 52 ; «n’ajouterien », l. 52).Ainsi Marivaux, par ce choix de l’éthique, dépasse l’affrontementdes conditions ; sans justifier ni remettre en cause les privilèges ou «disgrâces »dus à la naissance, il place au premier plan l’universalité des sentimentshumains. On voit dans cette scène 8 le sens du dénouement et de la pièce.

q Comme dans la scène 6,Arlequin entre dans le jeu galant en utilisant lelangage codifié de la séduction mondaine. On peut relever ainsi le champlexical de la galanterie : « donner son cœur » (l. 19), « mains ravissantes » (l. 22),« Reine » (l. 24), « un empereur ne vous vaut pas » (l. 31-32)… Ces deux der-nières références sont un écho stéréotypé de l’amour courtois. Arlequinreprend les termes qu’il a entendus et, à nouveau, Marivaux ridiculise ici lesartifices du discours amoureux.

s Arlequin, on vient de le voir, a adopté le langage amoureux des maîtresqu’il a eu l’occasion d’observer à Athènes. Il a recours également au langagedu pouvoir comme en témoignent les impératifs du début de la scène :« regardez-moi dans l’œil » (l. 4), « Ne mentez point » (l. 11). Comme dans la

46

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 47: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

scène 1 lorsque Iphicrate brandissait son épée, la supériorité sociale impliquel’autorité. C’est en ce sens que l’on peut comprendre la réplique d’Arlequin :« on vous a communiqué les sentiments de mon âme, rien n’est plus obligeant pourvous. », l. 11-12. On a l’impression de ne pas être très loin de la critique dudroit de cuissage dans le Mariage de Figaro de Beaumarchais.Arlequin imite également le discours argumentatif des maîtres. Lui qui, natu-rellement, est toute spontanéité se met à calculer. On peut relever l’emploid’une subordonnée hypothétique (« si vous aviez la charité d’être tendre aussi »,l. 25), et surtout une esquisse de syllogisme marquée par les connecteurs«mais » et, par deux fois, « et » («mais me voilà », l. 32 ; « et un empereur n’y estpas », l. 33 ; « et un rien qu’on voit », l. 33).

d Le discours conventionnel de la séduction est, comme dans la scène 6, àplusieurs reprises, brisé par les pirouettes qui traduisent la spontanéitéd’Arlequin. Les interjections sont nombreuses et Arlequin ne peut s’empê-cher de montrer que son discours galant n’est qu’artifice en demandant àEuphrosine « Qu’en dites-vous ? » (l. 34). Les didascalies indiquent égalementque les répliques d’Arlequin sont prolongées par des gestes qui révèlent uncorps libéré des contraintes sociales : « Il va tirer Euphrosine par la manche ».D’ailleurs, lorsqu’il s’agit de sentiments sincères,Arlequin avoue tout simple-ment ne pas maîtriser le code amoureux des aristocrates : « c’est que je vousaime, et que je ne sais comment vous le dire » (l. 15-16).

f On peut commenter cette réplique de plusieurs manières. D’abord, ellerévèle la spontanéité d’Arlequin qui n’hésite pas à reconnaître qu’il ne saitpas tenir un discours amoureux dans les règles de l’art galant. Mais il est sur-tout intéressant de souligner le lien entre l’existence d’un sentiment sincèreet la faillite du langage précieux. Dès lors que l’amour est réel, le « comment »échappe aux codes. On peut aussi bien comprendre la réplique dans l’autresens. Si le discours répond aux conventions, c’est que l’amour n’est qu’un jeude mots ; il n’est pas sincère. À travers cette réplique, Marivaux continue àdénoncer la vacuité du discours mondain et à revendiquer plus de sentimentet de sincérité dans les relations humaines.

g Arlequin apparaît dans cette scène comme un personnage double. D’uncôté, dans la tradition de son rôle, c’est une marionnette comique ; il semoque de son maître en singeant son discours et tout le fait rire. Même s’iléprouve de réels sentiments pour Euphrosine, il ne prend pas son nouveaurôle au sérieux et c’est d’ailleurs lui qui, avant Cléanthis, demandera à retrou-

47

S c è n e 8

Page 48: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

ver son habit d’esclave. Mais c’est aussi un personnage émouvant : « Je suis bientendre, mais vous ne voyez rien », dit-il à Euphrosine (l. 24-25). Et, un peu plusloin, il se montre très doux en se comparant à un mouton : « il ne s’en fait plusde cette pâte-là, je suis un mouton » (l. 37-38). On retrouve dans ce passage ladifférence que l’on avait pu remarquer avec l’attitude plus agressive et oppor-tuniste de Cléanthis.Alors qu’Arlequin est entré en scène avec l’intention deprofiter de sa nouvelle supériorité sociale (« rien n’est plus obligeant pour vous »,l. 12), il en vient à pleurer le malheur d’Euphrosine : «Hélas ! je me mettrais àgenoux devant lui » (l. 40). Le personnage d’Arlequin semble ainsi ambigu danscette scène qui fait de lui une sorte de clown attendrissant. Sans douteMarivaux donne-t-il ici à ce personnage stéréotypé de la commedia dell’arteun visage humain émouvant. Et l’équilibre entre pirouettes et émotion estune des caractéristiques du théâtre de Marivaux.

h Mais l’équilibre entre pirouettes et émotion est fragile ; Marivaux atteintdans cette scène les limites du personnage prédéfini qu’il a employé. À plu-sieurs reprises,Arlequin exprime son existence purement théâtrale. Il n’estqu’un pantin dans les mains d’un auteur et de son metteur en scène. C’estainsi que l’on peut comprendre la proposition « il ne s’en fait plus de cette pâte-là » (l. 37). C’est ainsi également que l’on peut lire la subordonnée hypothé-tique à laquelle nous avions fait allusion dans la question 11 : Arlequin nepeut envisager qu’au conditionnel un rôle qui n’est pas le sien. À la fin de lascène, Arlequin apparaît « immobile » comme un pantin privé de ses fils.Euphrosine a joué un rôle tragique et son discours pathétique ne peut appe-ler aucune réponse de la part d’Arlequin : il sortirait de son rôle.Aussi dit-illui-même de manière émouvante : « j’ai perdu la parole » (l. 53-54).

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (pp. 99 à 104)

Examen des textes

a Dans la tirade de Phèdre, l’aveu du sentiment amoureux ressemble à l’aveud’une faute :– l’amour est présenté comme une folie : « fol amour », « poison », « odieuxamour », «monstre »… ;– le vocabulaire de la culpabilité est fortement présent : « innocente »,«honteux», « venge-toi », «punis-moi », « expier son offense » ;– la progression de la tirade rend compte de cette conception de l’aveu : de larévélation (« j’aime», « je t’aime») au châtiment (« supplice », « ton épée »).

48

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 49: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

z On pourra adopter la classification suivante :– la place du locuteur : pronoms personnels (sujet et complément), adjectifspossessifs ;– la place du destinataire : pronoms personnels (sujet et complément), adjec-tifs possessifs, apostrophes ;– l’emploi de l’impératif ;– l’emploi des phrases interrogatives ;– la référence à la lettre elle-même : «ma lettre ».

e On soulignera la progression de la déclaration de l’implicite vers l’expli-cite :• L’implicite :– dire la fuite et le regret de la première rencontre pour dire l’amour ;– dire la souffrance ;– dire l’impossibilité du mariage (fin du troisième paragraphe) ;– demander d’être chassé.• L’explicite : champ lexical de l’amour (dernier paragraphe).

r L’étude des pronoms personnels de première et deuxième personnemontre que ces pronoms ne renvoient pas toujours à la même personne etque l’on peut distinguer deux niveaux d’énonciation.• « Je » désigne Apollinaire (vers 1) ; il s’adresse à Lou, la comtesse Louise deColigny : c’est l’énonciation de la lettre ; dans la dernière strophe, le « vous »désigne Lou, mais aussi le lecteur («Voulez-vous être aimé»).• Dans le récit : « Je » (vers 10) désigne la comtesse Alouette qui s’adresse aupoète.

Travaux d’écriture

Question préliminaireLa déclaration d’amour suppose une situation qui mette en présence, parl’oral ou par l’écrit, les deux personnages impliqués dans la relation amou-reuse. C’est ce qui se produit dans les différents textes du corpus. Dans lapièce de Marivaux,Arlequin s’adresse directement à Euphrosine et l’on peutrelever les marques habituelles de l’énonciation. Dans cet extrait, commedans les autres, la déclaration implique qu’un personnage parle (pour sedéclarer) et que l’autre l’écoute (avant d’accepter ou de refuser) : les parolesd’Arlequin sont plus développées que celles d’Euphrosine ; la tirade dePhèdre comme la lettre de Saint-Preux ne laissent pas vraiment place au des-

49

S c è n e 8

Page 50: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

tinataire ; le déclarant monopolise la parole. La particularité des textes deRousseau et d’Apollinaire est que ce destinataire est absent au moment del’écriture, ce qui laisse plus de liberté au locuteur (Saint-Preux imagine lesréactions de la jeune fille).Arlequin, lui, est obligé de tenir compte des réac-tions d’Euphrosine. Sur le plan de l’énonciation, le poème d’Apollinaire estoriginal puisqu’il joue sur un double niveau, celui de la lettre et celui durécit (voir question 4).La déclaration d’amour est effectuée sur des registres différents. Marivauxpropose une parodie du langage précieux tout en mélangeant le registrecomique et celui de l’émotion :Arlequin est touchant à la fin de la scène etEuphrosine nous fait penser à une héroïne tragique. Racine joue sur leregistre tragique car la déclaration d’amour est d’emblée posée commeinutile : l’amour est condamné. C’est la même impression finalement qui res-sort du poème d’Apollinaire. Le poète déclare son amour en en exprimant ledouble échec (« j’aime un autre amour », la guerre).

Commentaire

On pourra adopter le plan suivant :

1. Deux histoires d’amour

A. Les deux histoires• Quatre personnages.• Deux temporalités.• Deux genres littéraires : la lettre et le récit ; on repérera les marques del’épistolaire et du narratif.

B. L’amour au cœur du texteQu’il s’agisse de la lettre ou du récit, l’amour est le thème du poème :– champ lexical de l’amour et usage des possessifs à valeur affective,– deux conceptions de l’amour : le jeu et la passion,– l’amour et la souffrance.

2. Une seule histoire ?

A. Une impression de confusion• Le genre narratif et le genre épistolaire ne sont pas séparés par des marquesspécifiques.• Les thèmes de la guerre et de l’amour s’entrecroisent.• Le registre naïf du conte et la gravité du sujet (passion et guerre).

50

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 51: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

B.Apollinaire brouille les pistes• L’absence de ponctuation : le poème mélange tradition (le conte, l’alexan-drin, les strophes) et modernité.• La confusion des pronoms personnels (voir réponse à la question 4).

C. Les analogies entre les deux histoires• Du côté du décor.• Du côté des personnages.• Du côté de l’histoire et de son dénouement.

3. Un poème symbolique

A. L’expression de l’amour• Le récit concernant la comtesse et le poète raconte l’histoire d’Apollinaire :la fin (« il mourut ») semble annoncer le dernier vers (« les obus s’envoler »).• L’amour et la poésie : le vers 6 fait du poème un sanglot (parallélisme de laconstruction et construction du vers). Ce qui concerne le personnage-poètedu récit peut s’appliquer au poème lui-même car il unit lui aussi amour, poé-sie et musique.

B. Un poème sur la guerre• La première strophe et le dernier vers mêlent étroitement les thèmes de laguerre et de l’amour (étude du vocabulaire).• Une critique de la guerre : « leurs obus en monômes », « on ne sait pas pourquoi »,« les obus s’envoler ».• La critique de la guerre passe aussi par un registre pathétique qui entre-croise « espoir », vie (« palpitent ») et désespoir implicite ou mort (« gémir la forêtsans oiseaux», « crépuscule », « le petit jour si froid »).

Dissertation

On pourra adopter le plan suivant :

1. La littérature ne parle que d’amour

A. L’amour est un ressort de l’œuvre• La comédie et les intrigues de mariage.• Le roman, depuis le roman courtois (du Roman de la rose à Madame Bovaryou à L’Amant) : la quête amoureuse met en mouvement les personnages.

B. L’amour est la finalité de l’œuvre• La lettre : écrire pour dire son amour (Lettres portugaises, La Nouvelle Héloïse).• Le poème d’amour : de Ronsard aux Surréalistes.

51

S c è n e 8

Page 52: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

C. L’analyse du sentiment amoureux• Le développement de l’analyse psychologique au théâtre : Marivaux.• Le roman du XIXe siècle : les différentes facettes de l’amour et les diversvisages féminins dans Bel-Ami de Maupassant.• Autour du sentiment amoureux : la jalousie dans À la recherche du temps perdude Proust.• Le poème d’Apollinaire exprime la complexité du sentiment amoureux(différentes conceptions de l’amour, l’amour et la mort).

2. L’amour n’est pas l’unique sujet de la littérature

A. La multiplicité des thèmes abordés• La quête du rêve.• La représentation de la société et de ses valeurs.

B. L’amour lui-même est traité de manières très variées• Registre comique et registre tragique : L’Île des esclaves, Roméo et Juliette.• Différentes conceptions de l’amour : passion, fonction sociale, amour phy-sique dépourvu de sentiment.

C. Surtout la littérature a une finalité esthétiqueCe n’est pas l’amour qui compte mais ce qu’il devient dans la littérature, sonexpression : le poème d’Apollinaire, Madame Bovary, les poèmes de Ronsard.Ce qui demeure c’est le chant, plus que l’amour : « Quand vous serez bienvieille […] direz chantant mes vers » (Ronsard).

3. L’amour et le projet littéraire

A. L’amour comme thème de la comédieL’amour est envisagé dans sa dimension sociale et personnelle : ce thèmeconvient bien au genre de la comédie qui présente les relations de l’individuavec la société. Le père s’oppose au mariage de son fils ou de sa fille chezMolière ; Silvia s’oppose au projet de son père dans Le Jeu de l’amour et duhasard.

B. L’amour comme thème favori du roman• Le roman, lui aussi, raconte le trajet d’un individu dans la société qui leconditionne, voire le gêne. L’amour est un sentiment individuel qui trouve sareconnaissance dans l’acte social du mariage ; à ce titre, il est un thème favoridu roman.• Le roman se définit comme une quête et le sentiment amoureux en est une.• Le roman s’intéresse à l’individu et à ce qu’il ressent.

52

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 53: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

C. L’amour et la poésie• L’expression de soi : amour et poésie (le lyrisme).• La séduction : amour et poésie.

Écriture d’inventionOn attend :• Les marques de l’épistolaire.• Le registre soutenu reprenant le niveau de langue choisi par Rousseau.• La prise en compte de la lettre de Saint-Preux.• La prise en compte de ce que l’on peut deviner du caractère de Julie.• Une argumentation tournant autour de la question de l’amour possible ouinterdit.

53

S c è n e 8

Page 54: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

S C È N E 1 1 (pp. 112 à 113)

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE (pp. 114 à 117)

a Dès sa première réplique,Arlequin annonce aux spectateurs que la pièces’achève par un pléonasme qui ne manque pas d’attirer l’attention : « en finfinale » (l. 4). Mais on peut relever d’autres expressions qui viennent signalerqu’il s’agit du dénouement. Par exemple,Arlequin dit clairement qu’il pro-nonce sa dernière réplique : « mon dernier mot » (l. 13). Lorsqu’il explique àTrivelin « il ne nous faut plus qu’un bateau » (l. 5-6), la tournure restrictiveindique l’imminence de la fin. À plusieurs reprises, le dénouement est évoquécomme une absence de suite : « je n’ai que faire de vous en dire davantage» (l. 10-11), « je n’ai rien à ajouter » (l. 18), « je ne vous en dis pas davantage» (l. 22-23).Les personnages se taisent progressivement. Iphicrate et Euphrosine à quiTrivelin s’adresse et que Marivaux implique dans les didascalies (« la main desa maîtresse », l. 10 ; « la main de son maître », l. 12) ne prennent pas la parole.Cléanthis prononce une seule réplique qu’elle présente comme la dernière.Arlequin prononce deux répliques de longueur décroissante puis se tait.C’est Trivelin qui monopolise la parole pour conclure la pièce.

z Dans la scène 1, Marivaux nous a présenté le naufrage sur l’île comme unaccident source d’angoisses pour Iphicrate. Dans la scène 11, le problème estréglé.Arlequin désire même le retour et le demande à Trivelin : « il ne nousfaut plus qu’un bateau et un batelier pour nous en aller ; si vous nous les donnez, vousserez presque aussi honnêtes gens que nous » (l. 5 à 8). Dans sa tirade, le représen-tant de l’île répond. Le futur à valeur de certitude résout clairement le pro-blème posé au début de la pièce. Mais la question principale soulevée dansl’exposition concernait davantage les relations entre les personnages que l’in-trigue exotique du naufrage. De l’allusion au gourdin à la menace de l’épée,de l’immobilité paresseuse à l’insolence, maître et valet s’affrontaient. Et siIphicrate se lamentait de son sort,Arlequin affichait sa satisfaction. Cette ten-sion disparaît à la fin de la pièce : « la paix est conclue » (l. 4-5). Les didascaliesparallèles (« aussi », répétition du verbe « baiser ») viennent souligner cetteharmonie instaurée.La résolution des problèmes posés au début de la pièce et la fin des tensionsconstituent un des éléments du dénouement des comédies comme de touteœuvre bâtie sur une intrigue.

54

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 55: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

e La comédie, à la différence de la tragédie, se caractérise par un dénoue-ment heureux. Le « tout est bien qui finit bien » se montre hyperbolique et sefait généralement l’écho d’un coup de théâtre tout aussi invraisemblable. Lacomédie est le domaine de la fantaisie et la vraisemblance n’est pas toujoursnécessaire. Le dénouement de L’Île des esclaves s’inscrit dans cette tradition etles marques du mélioratif sont nombreuses : « vous vous embrassez » (l. 1-2),« admirables » (l. 3), « des rois et des reines » (l. 4, expression qui rapproche ledénouement de la comédie de celui des contes), « arrangé » (l. 5), « charmez »(l. 14), « embrassez-moi » (l. 14), « la joie » (l. 24), « les plaisirs » (l. 24). Les parolessont doublées de gestes qui expriment aussi une atmosphère heureuse (larépétition du verbe « baiser » et l’insistance sur le parallélisme des situation).Et la pièce s’achève sur un superlatif bien significatif : « le jour de votre vie leplus profitable » (l. 25-26).

r Les problèmes posés dans la scène d’exposition sont résolus (question 2) etle bonheur des personnages s’affiche de manière hyperbolique (question 3) :ces deux aspects appartiennent traditionnellement au dénouement descomédies. Remarquons également que tous les personnages se trouventrassemblés sur la scène.Après la scène 2 qui a proposé l’ensemble des prota-gonistes de la pièce, Marivaux nous a présenté différentes épreuves et dif-férentes combinaisons possibles. Dans la scène 10, les quatre naufragés sontréunis et Trivelin, le maître du jeu, revient conclure dans la scène finale. Il estd’usage dans la comédie de rassembler progressivement les personnages lorsdu dénouement.

t Après Molière et dans la tradition du scénario de la commedia dell’arte, letexte de Marivaux se présente bien comme le canevas d’un spectacle que lesacteurs vont broder lors de la représentation. Les didascalies esquissent desmouvements qui viennent doubler les paroles et le parallélisme des indica-tions appelle un jeu de scène. La dernière phrase injonctive de Trivelinannonce un divertissement. La pièce fait partie d’un spectacle qui compteaussi des danses et des chansons.

y Trivelin est un valet de la commedia dell’arte ; dans le monde à l’envers del’île des esclaves, il devient un personnage important et il se fait remarquerpar son rôle moteur comme par ses longues répliques. On le rencontre dansles scènes 2 à 5 et dans la scène 11. Dans la scène 2, il pose la règle du jeu, etdans la scène 11, il vient tirer la leçon de l’expérience. La scène de conclu-sion répond à la scène 2 et il est à noter que toutes deux s’achèvent par deux

55

S c è n e 1 1

Page 56: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

tirades de Trivelin, un discours programmatique et une leçon conclusive.Dans les scènes 3, 4 et 5,Trivelin met en place la thérapie des portraits et s’as-sure du bon respect de la règle de l’île. Il est absent des scènes 6 à 10 au coursdesquelles les quatre naufragés expérimentent par eux-mêmes les différentespossibilités de l’inversion. Livrés à eux-mêmes dans le cadre imposé, ils vonttirer de leur propre réflexion (et non de celle de Trivelin) les ressources deleur progrès moral.

u On peut relever plusieurs marques de la supériorité de Trivelin par rapportaux autres personnages :– l’emploi des apostrophes : «mes enfants » (l. 1), «mes chers enfants » (l. 14-15) ;l’emploi de l’adjectif possessif et le lien de paternité sont aussi des indices desupériorité ;– l’usage de la forme interrogative : « Que vois-je ? », l. 1 (la réponse d’Arle-quin fait que cette question ne fonctionne pas comme une simple interro-gation rhétorique), «Êtes-vous du même sentiment ? » (l. 9) ;– la modalité injonctive : qu’il s’adresse aux naufragés (« embrassez-moi », l. 14)ou à un collectif indéfini (« que les plaisirs succèdent aux chagrins », l. 24-25),Trivelin est toujours quelqu’un qui ordonne.

i Si Trivelin domine les quatre naufragés et les insulaires (cf. l’ordre donnédans la dernière phrase), il semble également maîtriser le cours des événe-ments et dominer le temps en ayant la connaissance :– du passé (« c’est là ce que j’attendais », l. 15 ; « vous avez été leurs maîtres, et vousen avez mal agi », l. 19-20) ;– du présent (« vous pleurez », l. 1 ; « vous vous embrassez », l. 2 ; « je vous voisattendris », l. 17-18 ; « ils vous pardonnent », l. 20) ;– du futur («Vous partirez dans deux jours », l. 23).L’injonction finale au subjonctif peut être remarquée ici également.Trivelin maîtrise aussi une temporalité hypothétique : « si cela n’était pas arrivé,nous aurions puni vos vengeances » (l. 15-16).

o Trivelin, lorsqu’il emploie la première personne du pluriel (« nous aurionspuni », l. 16), montre qu’il parle au nom des insulaires et qu’il incarne les loisde la république des esclaves. Ce représentant des valeurs communes auxhabitants a le droit de punir : «nous aurions puni », «nous avons puni » (l. 16). Ladernière phrase de la tirade fait de Trivelin un être de pouvoir ; une fois deplus, il représente la loi dans son aspect collectif (la troisième personne ano-nyme) et prescriptif.

56

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 57: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

q Trivelin, comme maître du jeu et représentant de l’île, est bien placé pourapporter la conclusion de la pièce et jouer ainsi le rôle de porte-parole deMarivaux. Dominant les autres personnages comme le cours du temps, iloccupe une place privilégiée, la même sans doute qu’Orgon et Mario dansLe Jeu de l’amour et du hasard. Dans la scène 11, les répliques de Trivelin sui-vent une double progression. La constatation initiale (« vous pleurez») lance laconclusion et l’on peut relever tout un vocabulaire qui va dans ce sens :« leçons » (l. 18), «mal agi » (l. 19-20), « pardonnent » (l. 20), « réflexions » (l. 21).De manière plus large,Trivelin passe d’une conclusion concernant la situa-tion particulière des naufragés à une morale universelle. C’est ce qu’exprimebien le glissement d’un présent de l’énonciation, ancré dans un instant défini,à un présent de vérité générale : «La différence des conditions n’est qu’une épreuveque les dieux font sur nous » (l. 21-22). Le verbe « être », le lexique abstrait, lesarticles définis renforcent la portée élargie de cette proposition.

s Dans la scène 9,Arlequin a repris son costume de valet et Cléanthis l’imitedans la scène 10, mettant fin de son plein gré à l’inversion ordonnée parTrivelin. On se retrouve dans une situation identique à celle de la scène 1.D’ailleurs, dans la scène 11, les didascalies emploient les mots « maître » et«maîtresse » pour désigner Iphicrate et Euphrosine à qui les deux valets expri-ment leur respect en leur embrassant les mains. Si Arlequin et Cléanthisprennent la parole dans cette scène finale alors que leurs maîtres se taisent, iln’en demeure pas moins que Trivelin adresse sa tirade conclusive à Iphicrateet à Euphrosine, signifiant de cette manière le retour à l’ordre initial.

d On peut remarquer tout d’abord que cette proposition se présente commeune définition et qu’elle porte toutes les marques de la généralisation (voirplus haut, question 10). La hiérarchie sociale apparaît comme incontestablepuisqu’elle est imposée par les dieux ; il n’est donc pas possible de la remettreen cause. D’ailleurs, les esclaves de l’île ne proposaient pas la suppression decette hiérarchie : en mettant en place une inversion, il instaurait une nouvellesociété compartimentée. Et que font Arlequin et Cléanthis lorsqu’ils ont lapossibilité d’être « libre[s] et heureux» ? Ils adoptent sans hésiter le comporte-ment de leurs anciens maîtres, montrant par leur jeu que la société ne peutexister sans hiérarchie.Mais il ne faut pas oublier la locution restrictive : la «différence des conditions »(l. 21) n’est rien d’autre qu’une épreuve. Il ne faudrait pas en tirer une quel-conque vanité car elle ne définit en aucun cas la valeur des êtres humains. Si

57

S c è n e 1 1

Page 58: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

cette différence est incontournable, elle n’est pas une fin en soi mais une«épreuve », c’est-à-dire une voie vers autre chose. Donc, si Marivaux revientà la situation initiale et montre des personnages satisfaits de l’ordre social, ilétablit pourtant une nuance d’importance en accordant à la hiérarchie socialeune place secondaire, la priorité étant donnée aux valeurs morales.

f La situation initiale est rétablie puisque Arlequin et Cléanthis ont reprisleur place de valet. Pourtant, dans cette fin euphorique, deux différences detaille ne doivent pas être oubliées. D’abord, Iphicrate ne retrouve pas sonépée et il n’est plus question du gourdin resté dans la chaloupe ; c’est quel’ordre social ne repose plus sur la force. En fait, l’ordre retrouvé est un ordrechoisi. C’est d’eux-mêmes, en toute liberté (« libre et heureux ») que les deuxvalets ont décidé de rendre à leurs maîtres leurs costumes. Dans la scène 9, ladidascalie est clair à ce sujet : « il déshabille son maître » et le silence d’Iphicrateet d’Euphrosine dans la scène 11 s’explique sans doute de cette manière. Cesont les valets qui ont l’initiative du retour à l’ordre initial. Et peut-on alorsparler d’esclavage s’il est le résultat d’un choix ? Dans la scène 10, lorsqueCléanthis s’étonnant de trouver Arlequin dans son ancien costume rappelleleur projet de profiter de leur nouvelle condition («Mais enfin, notre projet ? »),Arlequin ne répond pas en disant qu’il souhaite reprendre son rôle d’esclave.Son explication se situe par-delà la hiérarchie sociale et met au premier planla morale : « je veux être un homme de bien ». On aurait envie de dire que la pro-gression de la pièce est dialectique : elle part d’un certain ordre, le renversepuis, en le situant dans un certain contexte («une épreuve que les dieux font surnous », l. 22), le dépasse.

g Cette expression dans la bouche d’un Arlequin qui a décidé de reprendresa tenue d’esclave est pour le moins surprenante. Il faut bien comprendre queTrivelin, dans sa première réplique, s’adresse aux quatre personnages etqu’Arlequin prend la parole au nom de tous les naufragés, maîtres et valetsconfondus. Le «nous » collectif, alors même que l’on assiste à la restaurationde l’ordre initial, supprime les différences et montre que la trajectoire de lapièce est loin d’être circulaire. Une spirale plutôt. Et cette hiérarchie dépasséedébouche sur un nouvel ordre moral (« la paix », « la vertu ») dans lequel toutle monde a progressé : les valets, comme leurs maîtres, sont devenus des rois etdes reines.

h La leçon de la pièce est évidemment morale. Sans rejeter la hiérarchiesociale qui semble incontournable, Marivaux met en avant toutes les quali-

58

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 59: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

tés des cœurs qui ne sont pas fonction de la naissance. Si la « différence decondition n’est qu’une épreuve », c’est qu’elle nous vient de l’extérieur etqu’elle ne saurait de ce fait nous définir. Dans le nouvel ordre moral instaurépar Marivaux, le « nous » devient alors une vérité. Sans doute s’agit-il làd’une nouvelle utopie. Mais le propre des utopies n’est-il pas de transmettredes valeurs ?

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE

(pp. 118 à 122)

Examen des textes

a On pourra relever :– l’alternance du récit et du discours direct, la place importante accordée audialogue ;– l’emploi d’un présent de narration qui rend vivant le récit ;– la diversité des types de vers (alexandrins, décasyllabes, octosyllabes) quirend vivante la fable ;– la place des phrases interrogatives ;– la construction de l’intrigue et le « coup de théâtre » (« il vit le col du Chienpelé ») qui provoque un effet de surprise et qui déclenche le dénouementinattendu.

z Dans la fable «Le Loup et le Chien», la morale est implicite ; elle ne fait nil’objet d’une phrase introductive, ni celle d’un paragraphe conclusif. Le texteest, du premier au dernier vers, narratif. La fonction didactique est pourtantprimordiale : la morale se dégage du récit lui-même. Le lecteur est mis sur lavoie de la leçon par :– son habitude de lecteur de fables ;– les personnages sont choisis pour leur représentativité d’une situation plusque pour leur originalité propre (« un Loup», «un Dogue ») ;– la brièveté des répliques à la fin de la fable met en relief l’indignation duloup et la condition misérable du chien ;– la proposition finale (« et court encor ») souligne le choix du loup et prolongele récit ;– le présent de narration peut être envisagé comme un présent de véritégénérale.

59

S c è n e 1 1

Page 60: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

e Le texte de Diderot est un article de l’Encyclopédie. C’est un texte argu-mentatif plus qu’informatif et il prend la forme d’un essai. On peut releverdifférentes marques :– l’emploi de termes abstraits accompagnés d’articles définis généralisants(« la liberté » « l’autorité », « la violence »…) ;– les connecteurs logiques (« si », «mais », « en sorte que ») ;– l’emploi des deux points à plusieurs reprises.Il s’agit pour l’auteur de convaincre son lecteur en utilisant des argumentsmais aussi de le toucher en employant des procédés de style :– le rythme binaire introduit par les conjonctions « ou » à la fin du premierparagraphe ;– l’appel au lecteur : «qu’on examine bien ».

r Le poème de Baudelaire est bâti autour d’un réseau d’oppositions quiviennent se fondre dans l’expression finale «d’une égale blancheur » :– les deux enfants,– les deux jouets,– les deux territoires, le fermé et l’ouvert.On montrera le rôle symbolique de la grille dans le poème.

t Baudelaire nous donne à voir une scène précise, dans un décor symbo-lique soigneusement dessiné. Le processus de généralisation est, dans cepoème, au service de la fonction symbolique. La scène n’est située ni dansl’espace ni dans le temps et les enfants ne sont pas nommés.On pourra notamment étudier comment le choix des déterminants (indéfiniou défini généralisant) contribue à gommer tout caractère unique de la scèneafin de lui conférer une partie universelle et symbolique.

Travaux d’écriture

Question préliminaireLes textes du corpus sont très différents : une scène de théâtre, une fable, unarticle argumentatif, un poème en prose. Mais ils témoignent tous d’unevolonté de donner une image de la société : la société est compartimentée,hiérarchisée, et cette structure ne va pas toujours de soi.Diderot aborde cette question sous la forme de l’essai ; traitant de la questionde l’autorité, il soulève celle de la hiérarchie et du pouvoir exercé par cer-tains hommes sur les autres. Il oppose la « force » au « consentement » ou« contrat », conceptualisant ainsi ce que Marivaux exprime sous une forme

60

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 61: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

théâtrale. La « force » était représentée au début de la pièce par le gourdin etpar l’épée. Il n’en est plus question dans la scène 11 et la hiérarchie des« conditions » repose sur un « consentement » qui se nomme la «paix ».La Fontaine et Baudelaire mettent en présence deux personnages opposés,un loup et un chien chez l’un, un enfant riche et un enfant pauvre chezl’autre. Le poème de Baudelaire exprime par le contraste des personnages ladifférence des conditions dont parle Marivaux dans la scène 11. La grillesépare les deux enfants ; ce n’est qu’un artifice, une convention car les enfantsont le même sourire. Contrairement à ce qu’on pouvait attendre, c’est l’en-fant pauvre qui a la liberté et le prestige ; il est du côté de la « vie elle-même».Dans la fable de La fontaine, l’opposition entre les deux animaux exprimenon pas la hiérarchie sociale, mais la différence entre la liberté et la servitude.Le chien est un animal domestique, il vit en société et son collier est unemarque de la hiérarchie sociale.

Commentaire

On pourra adopter le plan suivant :

1. Un poème qui est fondé sur des oppositions (voir question 4)

A. Opposition entre deux décors

B. Opposition entre deux enfants

C. Opposition entre deux jouets

2. Supériorité de l’enfant pauvre

A. L’attitude des deux enfants

B. Les procédés de mise en valeur

3. Nature et société

A. Le dernier alinéa

B. Le choix de l’enfance

C. Une dimension générale et symbolique

Dissertation

On pourra adopter le plan suivant :

1. La littérature a une fonction sociale

A. Les écrivains parlent de la société• La comédie donne une image de son époque (exemple : L’Île des esclaves).

61

S c è n e 1 1

Page 62: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

• Diderot réfléchit sur la question de l’autorité parce que l’absolutisme estune des préoccupations de son temps.• Les romans naturalistes de Zola ou de Maupassant veulent donner uneimage de la société et de ses rouages.

B. Les écrivains sont souvent engagés dans leur siècle• Les auteurs des Lumières prennent parti :Voltaire et la censure, les nom-breux essais critiques et la fiction au service de l’argumentation (ex : Les Lettrespersanes de Montesquieu).• Les écrivains lors de la Seconde Guerre mondiale ou sous les dictatures.• Si la censure a existé ou existe, c’est bien que la littérature représente undanger : l’interdiction du Tartuffe ou du Mariage de Figaro, les autodafés nazis.

2. La littérature n’est pas la réalité

A. Les écrivains suggèrent un univers imaginaire• La place de l’imaginaire dans la littérature : les romans d’aventure et descience-fiction, la comédie avec ses personnages types et ses invraisem-blances, la poésie surréaliste…• Le lecteur cherche à s’évader et la littérature permet d’échapper au quoti-dien.

B. Ce que nous retenons des œuvres engagées n’est sans doute pas ce qui a motivé leurécriture• Nous aimons dans Les Provinciales de Pascal la finesse de l’écriture polémique.• Nous aimons chez Émile Zola la place du fantastique plus que la théorie del’hérédité.• Les œuvres des Lumières et de la Résistance nous plaisent parce qu’ellesabordent des sujets éternels (la question de la liberté et la valeur de l’homme)et parce qu’elles savent nous amuser ou nous émouvoir.

C. La littérature est une entreprise de séduction• La magie du théâtre.• La musique de la poésie (Verlaine,Apollinaire…).• Les images : les mises en scène de La Fontaine et de Baudelaire.

3. Les effets de la littérature

A. En nous touchant la littérature nous fait réagir• La comédie nous met face à nous-mêmes.• Voltaire sait manier l’ironie pour nous amener à réagir.

62

R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

Page 63: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

B. De manière plus générale, la littérature nous aide à prendre du recul et à voir notremonde avec un autre regardLa dimension esthétique est première et c’est elle qui peut nous transformer :la littérature ne fait pas évoluer la société ; la propagande ne traverse pas lessiècles. L’œuvre littéraire transforme son lecteur et c’est peut-être par ce biaisqu’elle conduit la société à progresser.

Écriture d’inventionLes élèves devront choisir deux personnages répondant aux contraintes dusujet : ils s’opposent et ont une valeur symbolique comme dans les textes quiservent de support au travail demandé.Ce sujet suppose que les élèves savent jouer avec l’implicite : le texte narratifest porteur d’une leçon.

63

S c è n e 1 1

Page 64: Livret pédagogique - BIBLIO - HACHETTE · HACHETTE Éducation établi par Isabelle de LISLE, agrégée de Lettres modernes, docteur ès lettres, professeur en lycée L’Île des

En plus des livres indiqués dans le « Bibliolycée » page 156, on pourra sereporter aux ouvrages suivants :

Michel Deguy, La Machine matrimoniale ou Marivaux, Éditions Gallimard,1981, collection «Tel ».

Frédéric Deloffre, Une préciosité nouvelle : Marivaux et le marivaudage. Étude delangue et de style, Éditions des Belles Lettres, 1955.

Maurice Descotes, Les Grands Rôles du théâtre de Marivaux, PUF, 1972.

Georges Poulet, «Marivaux» dans Études sur le temps humain, tome 2, ÉditionsPlon, 1952.

Jacques Le Marinel, « Deux “îles” de Marivaux :“L’Île des esclaves” et “LaColonie” » dans la revue L’École des Lettres II, 1990-1991, n° 3.

L’École des Lettres II, 1996-1997, n° 8 consacré à Marivaux ; articles réunis parFrançoise Rubellin.

Le Valet passé maître. Arlequin et Figaro, Ellipses, 1998, articles réunis parElisabeth Rallo.

Mikhaïl Bakhtine, L’Œuvre de François Rabelais et la culture populaire et sous laRenaissance, Gallimard, 1970, collection «Tel » (pour mieux comprendre leprincipe de l’inversion).

B I B L I O G R A P H I EC O M P L É M E N T A I R E