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HACHETTE Éducation établi par Éloïse LIÈVRE-MOLKHOU, attachée temporaire d’enseignement et de recherche à l’université de Nice-Sophia-Antipolis Le Barbier de Séville Beaumarchais Livret pédagogique

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HACHETTEÉducation

établi par Éloïse LIÈVRE-MOLKHOU, attachée temporaire d’enseignement et de recherche

à l’université de Nice-Sophia-Antipolis

Le Barbier de Séville

BeaumarchaisL i v r e t p é d a g o g i q u e

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Conception graphiqueCouverture et intérieur: Médiamax

Mise en pageAlinéa

IllustrationRosine par Émile Bayard,© Hachette Livre-Photothèque

Tous droits de traduction,de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.

© Hachette Livre,2003.43,quai de Grenelle,75905 PARIS Cedex 15.ISBN:2.01.168707.1

www.hachette-education.com

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes des articles L.122-4 et L.122-5, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que « les analyses et les courtes citations » dans un but d’exemple et d’illustration,«toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayantsdroit ou ayants cause,est illicite».Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit, sans l’autorisation de l’éditeur ou du Centrefrançais de l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris), constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

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AVA N T-P R O P O S 4

TA B L E D E S CO R P U S 6

RÉ P O N S E S AU X Q U E S T I O N S 10

Bi lan de première lec ture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

Ac te I , scène 2

Lec ture analyt ique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

Lec tures croisées et t ravaux d ’écr i ture . . . . . . . . . . . . . . . . 17

Ac te I I , scène 15

Lec ture analyt ique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24

Lec tures croisées et t ravaux d ’écr i ture . . . . . . . . . . . . . . . . 28

Ac te I I I , scène 4

Lec ture analyt ique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

Lec tures croisées et t ravaux d ’écr i ture . . . . . . . . . . . . . . . . 38

Ac te I I I , scène 11

Lec ture analyt ique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44

Lec tures croisées et t ravaux d ’écr i ture . . . . . . . . . . . . . . . . 48

Ac te IV, scène 6

Lec ture analyt ique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54

Lec tures croisées et t ravaux d ’écr i ture . . . . . . . . . . . . . . . . 57

BI B L I O G R A P H I E CO M P L É M E N TA I R E 64

S O M M A I R E

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Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettreen œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclai-rent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, depréparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficaced’un corpus de textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires,techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentationcontextualisée, de l’imitation…).

Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs.Le Barbier de Séville, en l’occurrence, permettra de travailler sur legrand mouvement littéraire du XVIIIe siècle : les Lumières, d’étudier legenre de la comédie, de refléchir aux procédés de l’argumentation,tout en s’exerçant à divers travaux d’écriture.

Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nou-velle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois :– motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation dutexte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à desnotes claires et quelques repères fondamentaux ;– vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer lesélèves aux travaux d’écriture.

Cette double perspective a présidé aux choix suivants :• Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page,afin d’en favoriser la pleine compréhension.• Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendrela lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductionspouvant donner lieu à une exploitation en classe.• Précédant et suivant le texte, des études synthétiques et destableaux donnent à l’élève les repères indispensables : biographie del’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genreset registres du texte…• Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné àfaciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages

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A V A N T - P R O P O S

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de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (surfond blanc), il comprend :– Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classeaprès un parcours cursif de l’œuvre. Il se compose de questionscourtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sensgénéral de l’œuvre.– Cinq à sept questionnaires guidés en accompagnement des extraitsles plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à ana-lyser le passage ; les notions indispensables sont rappelées et quelquespistes sont proposées afin de guider sa réflexion et de l’amener àconstruire sa propre lecture analytique du texte. On pourra procéderen classe à une correction du questionnaire, ou interroger les élèvespour construire avec eux l’analyse du texte.– Cinq à sept corpus de textes (accompagnés parfois d’un documenticonographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objetd’un questionnaire guidé ; ces corpus sont suivis d’un questionnaired’analyse et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînementà l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe dePremière, sur le «descriptif des lectures et activités » à titre de groupe-ments de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documentscomplémentaires.

Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vosélèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et laréflexion.

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T A B L E D E S C O R P U S

Corpus

« Malheureux gens de lettres »(p.73)

Prémices duféminisme(p.125)

La leçon demusique au XVIIIe siècle(p.148)

Composition du corpus

Texte A : Extrait de la scène 2 de l’acte I du Barbier deSéville de Beaumarchais (p.63, l.100,à p.67, l.179).Texte B : Extrait de l’Hymne de l’automne de Pierre deRonsard (pp.73-74).Texte C : Lettre XXIII des Lettres philosophiques deVoltaire (pp.74-75).Texte D : « L’Albatros »,poème extrait des Fleurs dumal de Charles Baudelaire (pp.75-76).

Texte A :Extrait de la scène 15 de l’acte II du Barbier deSéville de Beaumarchais (p.113, l.533,à p.115, l.589).Texte B :Extrait de La Colonie de Marivaux (pp.125-126).Texte C :Extrait de Consuelo de George Sand (pp.127-128).Texte D : Extrait de l’Essai sur la liberté considérée commeprincipe et fin de l’activité humaine de Marie d’Agoult (pp.128-129).

Texte A :Extrait de la scène 4 de l’acte III du Barbier deSéville de Beaumarchais (p.138, l.172,à p.141, l.268).Texte B : Extrait de la lettre XVIII des Liaisonsdangereuses de Choderlos de Laclos (pp.148-149).Texte C :Extrait de la Lettre modérée sur la chute et la critiquedu « Barbier de Séville » de Beaumarchais (pp.149-150).Texte D : Extrait de la Préface des « Observations sur notre instinct pour la musique et sur son principe » de Jean-Philippe Rameau (pp.150-151).Document E : Watteau,La Leçon de musique (p.152).Document F :Fragonard,La Leçon de musique (p.153).

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Objet(s) d’étudeet niveau

Persuader et délibérer(Première)

Persuader et délibérer(Première)

Un mouvement littéraire (Première)

Compléments aux travaux d’écrituredestinés aux séries technologiques

Question préliminaireQuels termes et expressions les textes convoquent-ilspour désigner les écrivains ou le poète dans les quatretextes ? Proposez un classement.

CommentaireVous étudierez les éléments qui font de ce poème un récitpittoresque,avant d’en montrer sa valeur symbolique.

Question préliminaireRelevez et commentez les procédés d’énonciationgénérique faisant des quatre textes des discours àl’objet plus général que chaque histoire particulièredans laquelle il s’insère.

CommentaireVous étudierez le texte comme un véritable discours enmettant en valeur le caractère général de sa thèse,sonobjet et ses revendications,ainsi que la rhétorique qu’ilmet en œuvre pour défendre les idées qu’il contient.

Question préliminaireIdentifiez et étudiez le champ lexical de l’émotion etdu sentiment dans les textes.

CommentaireVous vous intéresserez au style particulier de cette pagedes Liaisons dangereuses,dû à la personnalité de Cécilemais aussi à sa découverte de l’amour,puis vousétudierez l’utilisation que l’auteur fait du topos de laleçon de musique.

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T A B L E D E S C O R P U S

Corpus

Jeux de dupes(p.169)

Péripéties, coupsde théâtre,catastrophes(p.193)

Composition du corpus

Texte A : Scène 11 de l’acte III du Barbier de Séville deBeaumarchais (pp.161 à 164).Texte B : Extrait de la scène 2 de l’acte III desFourberies de Scapin de Molière (pp.169 à 171).Texte C : Extrait de la première partie de ManonLescaut de Prévost (pp.171-172).Texte D : Extrait de la scène 7 du premier tableau del’acte III d’Occupe-toi d’Amélie de Georges Feydeau (pp.172-173).

Texte A : Scène 6 de l’acte IV du Barbier de Séville deBeaumarchais (pp.186 à 189).Texte B : Extrait de la scène 6 du dernier acte deL’Illusion comique de Pierre Corneille (pp.193 à 195).Texte C : Extrait de la dernière scène d’Iphigénie deJean Racine (pp.195 à 197).Texte D : Extrait de la dernière scène de La guerre deTroie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux (pp.197 à 199).

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Objet(s) d’étudeet niveau

Un registre littéraire :le comique (Première)

Un genre littéraire :le théâtre (Première)

Compléments aux travaux d’écrituredestinés aux séries technologiques

Question préliminaireQuels sont les différents types de comiques présentsdans ces quatre scènes ?

CommentaireAprès avoir montré que cet extrait de romans’apparentait bien à une scène de comédie,vousétudierez les différentes formes d’ironies qui sous-tendent le jeu de dupes.

Question préliminaireQuelle importance ont les objets,qu’ils soient élémentsdu décor ou éléments des machines du théâtre,dans cescatastrophes ? En quoi cette remarque permet-elle dedistinguer le texte de Racine (texte C) ?

CommentaireVous direz dans un premier temps en quoi consiste la péripétie finale,puis vous montrerez qu’elle relèved’une relecture du mythe et de la tragédie elle-même,et vous étudierez le rôle des dieux,essentiels à l’universtragique.

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R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e ( p . 2 0 6 )

a Dans la Lettre modérée, Beaumarchais s’en prend essentiellement aux jour-nalistes qui ont fait tomber sa pièce.

z Le premier acte du Barbier se déroule « dans une rue de Séville ». La parti-cularité de cette rue est qu’elle n’offre à la vue que des fenêtres munies degrilles. L’action des actes suivants se situe de l’autre côté de l’une d’entreelles, dans l’appartement de Rosine, pièce qui jouxte sa chambre.

e Beaumarchais a réussi à respecter scrupuleusement l’unité de temps,puisque l’intrigue du Barbier s’inscrit exactement dans une journée. Dans lapremière scène, le Comte tire sa montre et constate : «Le jour est moins avancéque je ne croyais » (l. 1).Au début du dernier acte, le théâtre est obscur car ilfait nuit, et dans la scène 2, Rosine dit qu’« il est minuit sonné » (l. 62).

r Le premier personnage à paraître sur scène est le comte Almaviva, grandd’Espagne qui a quitté la Cour résidant à Madrid pour suivre à Séville unejeune fille dont il est tombé amoureux.

t Au début de la pièce, le Comte est déguisé en abbé pour pouvoir appro-cher Rosine sans éveiller les soupçons. Ensuite, s’il ne dévoile pas sa véritableidentité mais dit s’appeler Lindor, c’est parce qu’il veut être aimé pour lui-même et non pour son rang et sa fortune.

y Figaro est l’ancien valet du comte Almaviva, devenu apothicaire dans lesharas d’Andalousie, tout en étant poète et auteur dramatique, puis barbier àSéville. Il est le meneur d’intrigue de la comédie.

u Les rapports qu’entretiennent Figaro et le Comte ne sont pas ceux quel’on trouve traditionnellement entre un valet et son maître. En effet, Figaroest très libre envers le Comte, il n’hésite pas à lui tenir tête, à lui faire desréflexions. Son esprit et son intelligence de l’intrigue en font son égal.

i Bartholo est un vieux docteur, barbon tuteur de Rosine. Il est par-dessustout jaloux et colérique.

o Rosine est une jeune fille maligne et adroite qui n’hésite pas à tenir tête àson tuteur et à utiliser la ruse pour se défaire de son emprise.

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q Le Comte et Rosine communiquent par lettres (I, 3 ; II, 2 ; II, 14) et parchansons (I, 6 ; III, 4). Mais, dans la scène 3 de l’acte I, ces deux moyens sontliés puisque Rosine a laissé tomber un billet de sa jalousie en faisant croire àBartholo qu’il s’agissait de La Précaution inutile.

s Les deux valets de Bartholo sont l’Éveillé et la Jeunesse. Ces noms sontcomiques car ils disent le contraire de ce que sont les personnages : un jeunehomme «niais et endormi » et un très vieux domestique.

d Bazile est l’organiste maître de chant de Rosine mais aussi l’homme demain de Bartholo. C’est lui que celui-ci charge de trouver un notaire pourson mariage. Pour se défaire du Comte, il propose de le calomnier.

f Le second déguisement du Comte est celui d’un cavalier ivre.

g Rosine accuse Bartholo d’outrepasser les droits qu’il a sur elle en voulantlire les lettres qu’elle reçoit.

h Pour retenir Bartholo qui veut se rendre auprès de Bazile, le Comtedéguisé en bachelier est obligé de se faire passer pour un espion à la solde dudocteur, de lui transmettre des informations sur le comte Almaviva, c’est-à-dire sur lui-même, et de lui donner, pour preuve, la lettre qu’il a reçue deRosine.

j Figaro a pour mission de détourner l’attention de Bartholo afin que lesdeux amoureux puissent s’entretenir un moment. Il parvient à s’emparer dela clé qui ouvre la grille de la fenêtre de Rosine.

k À la scène 3 de l’acte IV, Rosine croit que Lindor l’a trompée parce queBartholo lui montre la lettre que le comte Almaviva, déguisé en bachelier, luia donnée. La jeune fille croit aussi alors que Lindor n’est qu’un intermédiairequi lui fait la cour pour le compte d’Almaviva.

l Une péripétie est un événement qui renverse la situation. À la scène 6, lasituation bascule une première fois lorsque le Comte dévoile son identité àRosine et une seconde fois lorsqu’ils se rendent compte que l’échelle quidevait assurer leur retraite a été enlevée par Bartholo que Rosine, se croyanttrompée par «Lindor », avait mis au courant.

m C’est le notaire qui dénoue l’intrigue en mariant le Comte et Rosine.

w Bartholo arrive avec un alcade et des alguazils, autrement dit la police,dans le but de faire arrêter le Comte et Figaro en flagrant délit de vol.

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B i l a n d e p r e m i è r e l e c t u r e

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A c t e I , s c è n e 2 ( p p . 6 0 à 6 7 )

◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 68 À 72)a Pour présenter ses personnages, Beaumarchais utilise le motif des retrou-vailles de deux individus qui ne se sont pas vus depuis longtemps. La présen-tation se fait alors en deux phases. Dans un premier temps (l. 59-67), les deuxpersonnages hésitent à se reconnaître et les interrogations qu’ils formulentchacun en aparté fournissent au spectateur une description physique som-maire mais efficace de l’autre. On append ainsi que le Comte est caractérisépar un « air altier et noble », tandis que Figaro a une allure « grotesque », c’est-à-dire grossière et qui peut prêter à rire. Ces renseignements, appelés aussididascalies internes, donnent non seulement des indices sur les caractères res-pectifs des deux personnages mais aussi sur les classes sociales auxquelles ilsappartiennent. Les premiers adjectifs connotent l’aristocratie, tandis que letroisième désigne le valet. Enfin, plus loin (l. 117 et 120), on apprend duComte que Figaro a été « mauvais sujet », « paresseux » et « dérangé ». Dans unsecond temps, la présentation repose sur l’interrogatoire auquel le Comtesoumet Figaro pour apprendre ce qu’il est devenu pendant toutes les annéesoù il l’a perdu de vue. Beaumarchais utilise là un procédé bien connu de ladramaturgie classique, à un détail près : l’inversion significative des rôles– habituellement, c’est le valet qui questionne le maître sur sa situation ; ici,c’est le contraire. Moins classique encore est le facteur qui préside à la ren-contre et qui est donc le moyen de l’exposition : le hasard. Les critiques deBeaumarchais ont condamné, au nom de la dramaturgie classique pourlaquelle tout doit obéir à la loi du nécessaire, cette rencontre fortuite.

z Comme le laisse deviner notamment la description de leurs allures, Figaroest l’ancien valet du comte Almaviva – ce que confirme le texte plus tard(l. 116-117). Cependant, leurs rapports ne sont plus exactement ceux d’unmaître et de son domestique. Bien que le Comte appelle Figaro « coquin »(l. 67) ou «maraud» (l. 69), surnoms traditionnels des valets de comédie, s’éta-blit entre eux une certaine égalité, voire un renversement de rapport, lorsquele critère n’est plus la naissance mais l’esprit. L’égalité, toute relative, estd’abord suggérée par la symétrie de leurs premières répliques (« J’ai vu cetabbé-là quelque part », « Cet homme ne m’est pas inconnu », « Cet air altier etnoble », « Cette tournure grotesque ») et par le fait que le Comte demande à Figaro de ne pas l’appeler « Monseigneur » mais « Lindor » : le déguisement

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R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

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abolit la distance. Elle est ensuite explicitée par une célèbre réplique deFigaro : «Aux vertus qu’on exige dans un domestique,Votre Excellence connaît-ellebeaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ? » (l. 121-123).

e L’apport d’informations est rendu vivant grâce au rythme endiablé surlequel s’enchaînent les répliques : celles-ci sont courtes, voire très courtes, etde volume relativement semblable. Le Comte n’a pas la patience d’attendreque Figaro fasse son récit, il le presse de ses questions. On peut particulière-ment remarquer les interruptions des lignes 91 et 99 signalées par les pointsde suspension : dans un cas, le Comte achève la phrase de Figaro ; dans l’autre,il demande à Figaro d’abréger. C’est ensuite à Figaro d’interrompre le Comte(l. 112 et 120), puis à nouveau au Comte, comme l’explicite la didascalie« l’arrêtant » (l. 126) et la ponctuation (l. 130, 139 et 142).

r Ce passage n’est pas uniquement consacré à la présentation des deux per-sonnages principaux, puisque leur conversation est interrompue à deuxreprises par le projet qui préoccupe le Comte. Une première fois (l. 78-83),celui-ci demande à Figaro de l’appeler Lindor et non Monseigneur ; unedeuxième fois, plus significative, le Comte s’interrompt parce qu’il a cru voirparaître Rosine à la jalousie ; enfin, c’est au tour de Figaro de suspendre lui-même son discours : « Que regardez-vous donc toujours de côté ? » AinsiBeaumarchais construit-il une exposition dynamique : l’action, déjà entaméedans la première scène avec l’attente du Comte, se poursuit en même tempsque les informations nécessaires à sa compréhension sont données au specta-teur. Nous pouvons également remarquer, à ce propos, que Beaumarchais,très attentif aux didascalies, inscrit dans les répliques de ses personnages desindications scéniques (animation du décor, positions des acteurs, etc.).

t Figaro critique les rapports traditionnels entre noblesse et domesticité,« grands » et « petits » essentiellement et à deux reprises. La réplique « Oui, jevous reconnais ; voilà les bontés familières dont vous m’avez toujours honoré » (l. 70-71) répond à l’injure dont l’a gratifié le Comte. Plus loin (l. 113-115), noustrouvons : «un Grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal » ; etenfin, la plus célèbre de ces répliques aux accents de revendications sociales :«Aux vertus qu’on exige dans un domestique,Votre Excellence connaît-elle beaucoupde maîtres qui fussent dignes d’être valets ? »

y La première de ces répliques est ironique, c’est une antiphrase. En effet, ellecontraste avec le contexte immédiat qui l’a suscitée ; les termes « bontés » et

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A c t e I , s c è n e 2

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« honoré » sont antiphrastiques, puisqu’une insulte (« maraud ») ne saurait êtreun bienfait : Figaro fait bien entendre le contraire de ce qu’il énonce. Les deuxautres répliques, elles, expriment la critique plus directement, en empruntantleur forme à la maxime. On reconnaît ainsi l’utilisation du présent de véritégénérale (« fait », « exige »), une personnalisation générique ou collective (lepronom de 2e personne du pluriel « nous », le pronom indéfini « on »), maisaussi une structure spécifique fondée sur l’opposition, l’inversion, l’évidenceou le paradoxe (faire le bien revient à ne pas faire le mal ; les maîtres ne sontpas dignes d’être valets – l’interrogation ayant valeur de négation).

u Le vice que critique Figaro est l’envie, mais il dénonce aussi l’instrumentde l’envie, la calomnie, comme l’indique le verbe desservir. C’est ici la premièreoccurrence de ce qui deviendra dans la suite de la pièce un ressort drama-tique. En effet, c’est par la calomnie que Bazile propose à Bartholo de sedéfaire du comte Almaviva dans la scène 8 de l’acte II, et c’est ce projet que lebarbon met à exécution dans la scène 3 du dernier acte, produisant ainsi unretournement de situation. Il est intéressant que Figaro introduise ce thème àtravers la citation d’un vers, car la calomnie dont il a fait l’objet auprès duministre reposait précisément sur le fait qu’il faisait lui-même des vers.

i Dans sa première tirade, Figaro dénonce le fait que l’homme de lettres auXVIIIe siècle n’a pas encore la considération qu’il mérite. La création littéraire,puisqu’elle est jugée « incompatible avec l’esprit des affaires », est dénigrée. SiLouis XIV et Colbert ont fait au siècle précédent un énorme travail d’institu-tionnalisation des pratiques artistiques, au nom de la gloire du monarque, sicertains écrivains ont commencé à obtenir revenus et protections, le statut del’homme de lettres est encore très fragile. Il doit lutter contre la censure, maisaussi, bien souvent, exercer un autre métier pour vivre.

o Dans sa deuxième tirade, Figaro fait part au Comte de son étonnement den’avoir pas remporté un grand succès au théâtre. Il s’était débrouillé pourréunir des spectateurs favorables à sa pièce ou même payés pour l’applaudir.Cette peinture satirique présente le succès ou l’échec des représentationsthéâtrales comme des phénomènes arrangés, par exemple lors des réunionsau café, et des luttes d’influence entre différentes factions, dont celle desennemis de la pièce, appelée cabale. Beaumarchais affirme donc de façon pro-vocatrice et polémique par la bouche de Figaro que la réussite d’une piècene tient pas au talent de l’auteur mais à sa personne sociale, à ses relations, àses amis.

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R É P O N S E S A U X Q U E S T I O N S

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q Les principaux procédés utilisés dans la satire de la troisième tirade sontune figure de pensée, la métaphore, et une figure de construction, l’énuméra-tion. En effet, pour critiquer les habitants de la république des Lettres, c’est-à-dire visant essentiellement les journalistes, Figaro, sous la plume deBeaumarchais, les désigne par des noms d’animaux péjoratifs : d’abord lesloups, rappelant la célèbre pensée « L’homme est un loup pour l’homme » ;ensuite les insectes, parasites qui se nourrissent du sang des auteurs.L’efficacité critique de ces métaphores est d’autant plus grande que Figaro selivre à une énumération de neuf substantifs composée d’une première sériede termes métaphoriques (l’hyperonyme « les insectes » suivi des hyponymes« les moustiques, les cousins »), et de leurs référents (« les critiques » puis « lesenvieux, les feuillistes, les censeurs »), le terme de «maringouins » faisant la transi-tion entre les deux séries, puisqu’il s’agit du nom de moustiques des maraistropicaux mais aussi d’un jeu de mots sur le nom de Marin, protagoniste del’affaire Goezmann (voir la biographie, p. 10).

s Le spectateur peut immédiatement savoir qu’il va assister à une comédie,dans la mesure où, dans le monologue du Comte comme dans la deuxièmescène, le texte signale la présence du ressort dramaturgique propre au genrecomique : le déguisement (« J’ai vu cet abbé-là quelque part. [...] Eh non, ce n’estpas un abbé »). Un peu plus loin, le nom de Lindor par lequel le Comtedemande à Figaro de l’appeler est un nouvel indice : c’est précisément unnom de comédie, qui introduit le dispositif, lui aussi typiquement comique,du théâtre dans le théâtre. Plus globalement, les costumes, le langage utilisépar les deux protagonistes, et surtout les jeux de scène (le Comte ne cesse dese tordre le cou pour regarder la jalousie pendant que Figaro lui parle) sontles signes évidents du genre comique.

d Les différents types de comiques présents dans cette scène sont doncessentiellement le comique de gestes (indiqué par les didascalies) et lecomique verbal (voir les exemples d’ironie, de calembours, d’humour dansl’étude du style de Figaro).

f Dans la deuxième partie de sa dernière tirade, Figaro fait le récit de sa viedepuis son départ de Madrid. Ce récit est aussi l’exposé de sa philosophie.Celle-ci est née d’une aversion pour la société, en particularité celle des Lettres(«dégoûté des autres»). Figaro prône la supériorité du travail d’artisan sur le désirde gloire en opposant « l’utile revenu du rasoir» aux «vains honneurs de la plume».La philosophie qu’il adopte pendant ses voyages peut être comparée à une

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forme de stoïcisme: quel que soit ce qu’il lui arrive, il reste «supérieur aux évé-nements», il «supporte» les malheurs et profite du bonheur, synonyme de bonnehumeur. Il choisit le rire et la gaieté face à l’adversité.

g Cette philosophie est explicitée par l’adverbe «philosophiquement » (l. 163-164), par la question du Comte à la suite de la tirade de Figaro (« Qui t’adonné une philosophie aussi gaie ? ») et, précédemment, par l’expression de« joyeuse colère » (l. 149) employée par le Comte. Elle est résumée par unecélèbre formule : « Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer. »La comédie apparaît alors comme un antidote au malheur. Les spectateurssont invités à profiter de cette occasion de rire et de se divertir.

h Figaro ne s’exprime pas comme on le fait habituellement dans une simpleconversation. En effet, ses répliques ne portent pas beaucoup de marquesd’oralité, elles sont au contraire très écrites. Cette caractéristique participe audispositif dramaturgique du théâtre dans le théâtre car, en prenant la parole,Figaro entre en quelque sorte en représentation. Pour dire les choses encoreplus clairement, il « fait son numéro ». De fait, l’ancien valet n’est pas seule-ment barbier, garçon apothicaire, poète, auteur dramatique, satiriste, il estaussi meneur d’une intrigue à laquelle il participe, c’est-à-dire metteur enscène (voir la « répétition » de la scène 4 de l’acte I) et acteur.

j Le style de la gaieté chez Figaro utilise d’abord l’ironie et en particulierl’antiphrase (l. 70-71 et 74), mais aussi une ironie plus subtile reposant surl’emphase (dans ses déclarations d’allégeance et d’obligation au Comte, qu’ilcontinue à appeler Monseigneur après que celui-ci lui a demandé de cesser,l. 77, 84-85, 151 et 169-171).On trouve ensuite des jeux de mots (l. 91 : «médecines de cheval » ; l. 108 : « autragique » ; l. 156 : «maringouins » ; l. 169 : « faisant la barbe à tout le monde »), desmétaphores (l. 98 : les «Puissances », etc.), des périphrases (l. 109 : « l’amour deslettres » ; l. 161 : « léger d’argent » ; etc.). On peut aussi remarquer la pratiqued’une esthétique du contraste, entre des formules respectueuses et une cer-taine insolence, entre du vocabulaire concret et du vocabulaire abstrait.Dans sa dernière tirade, on sera particulièrement sensible aux antithèses(l. 160 : «de moi », «des autres » ; l. 161-162 : «utile », « vains » ; l. 165 : « accueilli »,« emprisonné » ; etc.), aux rythmes ternaires et surtout binaires (l. 159-161)auxquels celles-ci participent, ainsi qu’à nouveau à un contraste, entre l’accu-mulation des groupes construits sur le principe de la symétrie et les parataxeset hypotaxes de la dernière phrase (l. 169-171).

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◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 73 À 77)

Examen des textes

a Le texte B place l’origine de la différence du poète dans son électiondivine. Il a en effet été choisi par Dieu et se trouve au centre d’une cérémo-nie dont le caractère magique est signalé par la répétition du chiffre «neuf » :une muse le lave pour le rendre immortel, puis lui insuffle le souffle divin.Ronsard met ici en récit la théorie de l’inspiration qui fait du poète un êtrehabité par un dieu qui lui transmet « la fureur » poétique.

z Les accumulations d’adjectifs et de substantifs ont pour valeur d’insistersur l’isolement du poète. L’énumération traduit linguistiquement l’excès et laviolence du jugement des mortels à l’égard du poète qui est caractérisé parson rapprochement avec d’autres êtres en contact avec le surnaturel (« LesSibylles, Devins,Augures et Prophètes »). On peut remarquer que l’effet de cesaccumulations est renforcé par une allitération en sifflantes et chuintantes(« Insensés, furieux, farouche, fantastique ») et en [m] (« Maussade, mal plaisant »)ou une assonance en [e] sur des mots courts (« hués, sifflés, moqués »).

e Voltaire appelle « gens de lettres » l’ensemble des personnes qui ont un lienavec le savoir et les arts.Ainsi il est question dans son texte de poètes (Pope),de dramaturges (Addison, Congreve, Crébillon, Louis Racine), d’auteurs deromans (Swift) et de scientifiques (Newton), mais aussi d’actrices.

r Plusieurs procédés sont utilisés par Voltaire pour comparer l’Angleterre àla France :– l’économie des paragraphes : les deux premiers paragraphes minimisentl’action de l’Angleterre par rapport à celle de la France, puis le troisièmeinverse ce rapport. C’est une forme de contradiction ou encore de paradoxe ;– l’opposition de l’institutionnalisation des arts au service de la propaganderoyale à la reconnaissance du mérite ;– la comparaison explicite (« comme en France », « imiter ») ;– le comparatif (« récompenses plus honorables ») ;– la tournure hypothétique («M.Addison en France eût été de quelque académie») ;– la conjonction de coordination «mais » (par exemple, l. 3 et 28) ;– l’ironie et la suggestion : lignes 14-18 pour l’ironie et tout le texte pour lasuggestion,Voltaire énonçant des propos pour en laisser deviner d’autres.Ainsi, derrière l’éloge de l’Angleterre ou de la politique culturelle deLouis XIV (§ 1 et 4), il faut lire la critique de la France des Lumières.

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t Baudelaire choisit l’albatros comme symbole du poète parce que :– c’est un oiseau qui vole bien mais qui se déplace difficilement sur la terreferme, comme le poète, à l’aise en poésie mais mal adapté à la vie sociale ;– c’est un oiseau blanc susceptible de rappeler la pureté du poète ;– c’est un oiseau marin : or Baudelaire a un rapport privilégié à la mer quisymbolise l’Infini, l’Éternité et constitue un reflet des aspirations du poète.Cf. «L’Homme et la Mer » : «Homme libre, toujours tu chériras la mer !/La mer estton miroir ; tu contemples ton âme/Dans le déroulement infini de sa lame,/Et tonesprit n’est pas un gouffre moins amer. »

Travaux d’écriture

Question préliminaireTrois textes sont caractérisés par une énonciation personnelle qui est ici lamarque de l’inscription du locuteur, sinon de l’auteur, dans son texte.Nous savons que Beaumarchais a nourri le personnage de Figaro de sapropre existence, mais les répliques de cette scène, et en particulier la tiradefinale, font sentir toute l’amertume de Beaumarchais à l’égard de la sociétéqui a tardé à reconnaître son talent. Sa philosophie de la gaieté et de l’insou-ciance, qui s’exprime stylistiquement par les énumérations, les symétries etles rythmes binaires, est née du souci et de « l’habitude du malheur ». C’estdans cette faille humaine du personnage que s’inscrit l’auteur.Dans l’extrait du poème de Ronsard, cette inscription est d’autant plus fla-grante et signifiante que le nom du poète apparaît explicitement dans lesparoles que lui adresse la muse, comme si le texte portait en lui-même lasignature de son auteur. Le « je » présent dans les premiers vers peut doncbien être identifié comme renvoyant à Ronsard et c’est son expérience per-sonnelle de la condition de poète, caractérisée par un très grand orgueil etune incessante volonté de se distinguer, qui est exprimée sous la forme d’unrécit mythologique.Voltaire est aussi présent dans son texte grâce à la 1re per-sonne du singulier. Celle-ci fait de son texte un témoignage vivant (« j’aivu ») mais lui permet aussi de faire ouvertement ou de suggérer la critique dela France (« J’avoue que c’est un de mes étonnements »). Il est très intéressant devoir que Voltaire oppose à la fin du texte le « je » au « vous », à l’indéfini « on»et à la 1re personne du pluriel « nous » : il distingue ainsi en lui le Français,honteux de son pays, et l’écrivain qui peut en faire la critique.Dans le texte D, la 1re personne du singulier n’apparaît pas, contrairement àbeaucoup d’autres poèmes des Fleurs du mal. Mais, dans le premier tercet, ce

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qui semble le récit d’une anecdote objective est émaillé de la modalité excla-mative qui traduit l’expression des sentiments du narrateur.

Commentaire

Introduction

«L’Albatros » est le deuxième poème des Fleurs du mal, au début, donc, de lapremière partie, «Spleen et Idéal». Cette place permet de le considérer commeune introduction à la poésie baudelairienne, introduction qui se fait par l’inter-médiaire de la figure du poète, comme dans le premier texte, «Bénédiction».Alors que dans celui-ci, long poème, ce sont les discours de sa mère, de safemme et de lui-même qui peignent le portrait du poète, «L’Albatros » est unsonnet fondé sur une comparaison opposant les quatrains et le premier tercetau second. Cette dualité mêlant récit anecdotique et pittoresque et symbolefait de ce poème une allégorie de la condition de l’artiste.

1. Du récit anecdotique au symbole

A. Une petite scène maritime• À la lecture des deux quatrains et à première vue, le poème semble rappor-ter une anecdote concernant le quotidien des marins. Ce statut narratif estsignalé par :– l’inscription temporelle de la scène grâce aux adverbes de temps « souvent »et « à peine », l’un indiquant la récurrence de la scène et l’autre la hiérarchisa-tion des actions décrite dans l’une et l’autre strophes : le premier quatrain estune présentation générale, le second saisit l’action dans son déroulement ;– l’utilisation du présent d’habitude (« prennent », « suivent »), du passé com-posé (« ont-ils déposés ») et du présent de narration (« agace », «mime») ;– le vocabulaire pittoresque (« hommes d’équipage », « brûle-gueule ») ;– les actions d’humiliation de l’oiseau par les marins, caractérisant ces dernierscomme des êtres cruels et grossiers. Le complément de but du premier vers« pour s’amuser » est significatif à cet égard. Cette cruauté et cette bêtise sontsoulignées par la caractérisation de l’oiseau qui apparaît comme un êtresociable, doux (« suivent », « indolents », « compagnons») et pur (« ailes blanches »).• Le caractère anecdotique de ces premières strophes peut être confirmé pardes indices biographiques. En effet, on suppose que Baudelaire a pu êtretémoin de la scène rapportée ici : par exemple, au cours du voyage qu’il com-mence sur le Paquebot-des-Mers-du-Sud et finit, pour rentrer plus tôt queprévu, sur un autre bateau, entre 1841 et 1842.

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B. La dimension symbolique de la scèneCependant ce récit pittoresque est émaillé d’éléments qui indiquent très clai-rement qu’il ne s’agit pas d’une simple anecdote. Ces éléments sont :– la désignation de l’oiseau qui n’est directe qu’une seule fois (v. 2) et se faitensuite par des périphrases personnifiantes : « compagnons de voyage », « rois del’azur », « voyageur ailé », « princes des nuées » (allusion à une périphrase tradi-tionnelle désignant le poète : Ronsard était appelé «Prince des poètes ») ;– l’opposition de l’oiseau aux marins (« hommes d’équipage ») qui sont indiffé-renciés alors que la singularité de l’oiseau apparaît. On notera l’utilisation desindéfinis « l’un » et « l’autre » qui contraste dans la 3e strophe avec l’adjectifdémonstratif « ce », à valeur laudative, ou l’article défini (« l’infirme ») ;– la caractérisation de l’oiseau par des adjectifs psychologiques et moraux quirenforcent la personnification : «maladroit », «honteux», « gauche », « veule » ;– la progression du poème également porteuse de symbole : il est d’abordquestion des albatros au pluriel, puis d’un seul. Ce passage prépare la compa-raison entre l’oiseau et le poète dans la dernière strophe ;– d’autres termes ou métaphores qui suggèrent la dimension allégorique del’anecdote : le terme de «navire » plus poétique que celui de «bateau » (mêmesi « navire » est plus intéressant d’un point de vue prosodique) et surtout lapériphrase des « gouffres amers » désignant la mer. On peut y ajouter « lesplanches », plus suggestif et elliptique que « le pont », les planches étant aussi lesplanches du théâtre, lieu où se produit le poète dramatique.

2. Le sens du symbole : le poète maudit

L’étude de ces métaphores, qui détournent la simple anecdote, et de la com-paraison finale du poète à l’oiseau, image traditionnelle de la poésie roman-tique (voir le pélican chez Musset dans la Nuit de mai), permet de saisir laconception baudelairienne du poète : le poète moderne est un être de souf-france exilé au sein d’un monde où « l’action n’est pas la sœur du rêve », un êtredont les aspirations infinies se heurtent à la matérialité de l’existence.

A. Le poète exilé• L’exil du poète est exprimé par l’opposition entre la capacité de l’oiseau àvoler et son incapacité à marcher sur la terre ferme. On relèvera les antithèsessuivantes :– « rois de l’azur » opposé à «maladroits et honteux» ;– «piteusement » opposé à « grandes » ;

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– inadéquation entre le comparant et le comparé aux vers 8-9 : les « avirons »sont des objets concrets, utilisés dans l’eau, alors que les « ailes », utilisées dansl’air, sont porteuses de la connotation de légèreté, d’immatérialité ;– « voyageur ailé » opposé à « gauche et veule », « beau» à « comique et laid » ;– l’oxymore « infirme qui volait ».• La dernière strophe explicite ce trait de la conception du poète, puisque yfigure l’adjectif « exilé » et les causes de cet exil : le poète est inadapté à lavie terrestre, à la vie en société avec d’autres hommes parce qu’il est diffé-rent d’eux. Ses aspirations sont incompatibles avec la matérialité de la viecourante. D’où l’opposition entre le ciel et la terre, la dimension verticaleet l’élévation caractéristique de l’oiseau (« ailes », « azur », « volait ») et ladimension horizontale du monde des marins (« glissant », « planches », « sur lesol »).• L’exil est source de souffrance. C’est cette souffrance que la modalité excla-mative de la 3e strophe tente d’exprimer et de transmettre au lecteur en sus-citant sa pitié. C’est aussi pourquoi les gouffres marins sont « amers ».• En revanche, l’harmonie caractérise la relation entre l’oiseau et son milieunaturel, le ciel. Elle est exprimée par les sonorités : allitération en chuintantes[s], [�] et [f] aux vers 2 à 4 et assonance en voyelles ouvertes ; rythme régulier(par exemple, au vers 3 : 3/3/3/3, mimant le vol calme de l’oiseau).

B. La grandeur du poèteLa supériorité du poète, en quête de l’Idéal, et en cela plus proche de lui queles autres hommes, s’exprime à la fois dans le récit allégorique et dans l’expli-citation de la comparaison :– La grandeur matérielle (« vastes » avec hypallage exprimant la fusion entrel’oiseau et son milieu ; « grandes ailes » ; « ailes de géant »)…–... est le symbole d’une grandeur de statut. Le poète ou son comparant, l’oi-seau, sont humiliés par le commun des hommes, ils occupent le dernier rangsur Terre, mais sont au-dessus de l’humanité du point de vue de leur élément,l’Infini (« rois », «princes », démonstratif laudatif « ce »). Dans cet élément, c’estlui qui se moque des hommes (« se rit des huées »).

ConclusionEn ouvrant son recueil sur la présentation, ici allégorique et pathétique, de saconception du poète, Baudelaire invite son lecteur à se mettre à sa place, àdevenir « [son] semblable, [son] frère » pour comprendre sa poésie.

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Dissertation

Le sujet invitait à s’interroger sur le problème suivant : le public et les auteursdes œuvres littéraires sont-ils toujours hostiles à la nouveauté ? et si oui,pourquoi ? ou bien savent-ils aussi l’apprécier et la rechercher ?On peut répondre à la question par une réflexion dialectique.

1. La nouveauté est souvent mal perçue

A. Le public préfère reconnaître que connaîtreCela flatte son goût et sa culture.Voir la domination du parti des Anciens auXVIIe siècle, qui défendait l’imitation des grands auteurs antiques contre lerenouvellement de la création.

B. La nouveauté peut faire peurElle constitue une perte des repères. La poésie contemporaine, par exemple,qui cherche toujours à découvrir de nouvelles formes, exclut souvent sonpublic par son hermétisme.

C. La nouveauté est rare et difficileCe rejet de la nouveauté ne s’observe pas seulement du côté de la réceptiondes œuvres mais aussi de celui de leur production. Il n’est pas facile d’inven-ter du nouveau.

2. La nouveauté est cependant incontournable

A. Comme les sciences, la littérature et les arts connaissent le progrèsC’est la thèse des Modernes à la fin du XVIIe siècle, et en particulier de leurchef de file, Perrault.

B. La nouveauté est excitante et intéressanteLe public aime dans la nouveauté la découverte et la surprise. C’est ce quiexplique le succès d’œuvres de fiction toujours plus fictionnelles (fantastique,science-fiction).

C. C’est la nouveauté qui fonde l’originalité de l’auteurC’est par la recherche du nouveau dans Les Fleurs du mal que Baudelaires’est distingué de ses influences à la fois classiques et romantiques : « [...] despoètes illustres s’étaient partagé depuis longtemps les provinces les plus fleuries dudomaine poétique. Il m’a paru plaisant, et d’autant plus agréable que la tâche étaitplus difficile, d’extraire la beauté du mal » (projet de préface pour la deuxièmeédition).

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3. L’écrivain a pour mission d’éclairer le « chemin nouveau»Un des termes les plus importants dans la citation est le verbe enseigner.L’écrivain ne doit pas rechercher la nouveauté pour la nouveauté mais pourla transmettre à ses lecteurs. Il doit donc faire en sorte que la nouveauté nesoit plus nouvelle.

A. La nouveauté de la forme ou des idées correspond simplement à une partie dumonde ou de la connaissance qui n’avait pas encore été révéléeLe drame bourgeois est né au XVIIIe siècle de la nécessité de représenter uneclasse sociale en plein développement, la bourgeoisie, et de la nécessité des’adresser à elle. Le Nouveau Roman, apparu à partir des années 1950, adopteune forme (objectivité, focalisation externe, absence de profondeur psycho-logique) qui correspond à la réalité de l’après-guerre.

B. L’écrivain est donc un explorateurC’est lui qui doit découvrir de nouveaux territoires de la vie humaine,comme Mme de Lafayette qui écrit, avec La Princesse de Clèves, le premierroman d’analyse qui ouvre une fenêtre sur la psychologie et les sentiments.

C. L’écrivain est aussi un pédagogueIl doit mettre ces connaissances nouvelles à la portée du public, abolir la peurliée à la nouveauté. C’est ce que fait Voltaire en combattant les préjugés aumoyen de contes divertissants ou en diffusant la science de Newton par l’in-termédiaire de la poésie (Épître à Madame du Châtelet).

Écriture d’invention• Un discours de défense, ou plaidoyer, est un discours argumenté. Étantdonné que c’est l’accusé qui assure ici sa propre défense, on peut parler deplaidoyer pro domo et attendre l’utilisation de la 1repersonne du singulier ainsique des procédés rhétoriques qui expriment l’engagement du locuteur(phrases exclamatives, interrogations rhétoriques, travail des rythmes, etc.).• Pour le contenu, quelques suggestions :– les « affaires » peuvent réclamer autant de passion que la littérature ;– la pratique de la littérature peut être très instructive pour les affaires, êtrel’occasion d’une ouverture d’esprit, d’une meilleure connaissance de sesadversaires, un délassement qui permet de restaurer l’énergie dont on abesoin pour les « affaires » ;– on peut exercer deux activités complémentaires en s’organisant bien, endivisant son temps de manière étanche entre les deux.

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◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 120 À 124)a Bartholo, conformément au type du vieux barbon, est caractérisé par sajalousie qui fait de lui un tuteur tyrannique. Cette jalousie apparaît toutd’abord dans la situation de la scène : Bartholo demande à voir la lettre que leComte déguisé a remise à Rosine lors de la scène précédente. Bartholo étaitprésent et l’on peut dire que sa vigilance à toute épreuve est un signe évidentde sa jalousie. Dans la scène 15, celle-ci est explicitée par une réplique deRosine (l. 547) et par le jeu de scène qui consiste pour Bartholo à aller fer-mer la porte afin que Rosine ne puisse pas s’enfuir.

z Lorsqu’on observe le système des pronoms et des appellatifs à l’œuvredans cette scène, il faut distinguer trois moments. Dans un premier temps(l. 512-537), Bartholo tutoie Rosine et lui donne de petits noms affectueux :«m’amour » (l. 517), «mon cœur » (l. 535). Ensuite, il passe au vouvoiement etne l’appelle plus que «Madame» (l. 579), puis «Rosine » (l. 586). Enfin, à partirde la ligne 607, il revient à des termes d’adresse affectueux : « mon enfant »(l. 607), «Ma chère Rosine » (l. 612), «mignonne » (l. 637).Ces noms et pronoms participent au ridicule du personnage dans la mesureoù ils sont inadéquats : Bartholo est un vieil homme que l’amour pour unefraîche adolescente qui ne l’aime pas rend risible, voire un peu pitoyable. Leplus significatif de ces noms est l’expression «mon enfant », qu’on peut consi-dérer ici comme une sorte de syllepse : au sens figuré, il exprime simplementl’affection ; mais il peut être entendu au sens propre, car Rosine a bien l’âged’être « l’enfant » de Bartholo et non sa femme.

e Au début de la scène, juste après le départ du Comte, Rosine exprime sesimpressions à son égard, soit qu’elle ne puisse retenir son enthousiasme, soitqu’elle veuille se jouer de Bartholo. Quoi qu’il en soit, on sent dans l’élogeque contient sa première réplique (l. 514-515 : « ce jeune soldat », avec l’adjectifdémonstratif laudatif ; « esprit » ; « éducation ») des accents de jeune fille amou-reuse. À la fin de la scène, Bartholo sorti, c’est un monologue (l. 644-653) quilui permet d’exprimer ses sentiments : on remarque la teneur affective de sondiscours dans les interjections «Ah ! » (l. 644 et 646), la modalité exclamative,les points de suspension, le passé composé (l. 645 et 649) qui traduit le regardrétrospectif de Rosine sur ce qui vient de se passer, et enfin le vocabulaireaffectif (l. 645 : « chagrin » ; l. 649 : « senti », « rougissais »).

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r La satire de la médecine apparaît dans le passage où Rosine feint d’êtreévanouie et elle est très étroitement liée à la dissimulation que pratiquent lesdeux personnages. En effet, non seulement Bartholo est incapable de serendre compte médicalement que Rosine joue la comédie (ce qui est unefaçon de se moquer de ses capacités de diagnostic), mais, en plus, il « soigne» la«malade» mécaniquement, occupé qu’il est à lire la fameuse lettre, en récitantdes formules toutes faites qui semblent vides de sens et sont surtout décon-nectées de la situation : «L’usage des odeurs… produit ces affections spasmodiques »(l. 598-599). La satire porte donc à la fois sur le docteur et sur le pédant.

t Le personnage de Rosine est un détournement de l’emploi d’ingénuedans la mesure où cet emploi est ici utilisé au second degré. En effet, Rosinen’est pas une ingénue, mais une jeune fille délurée et libertine qui joue àl’ingénue. Sa ruse pour éviter d’être prise en flagrant délit consiste à fairecroire à sa naïveté. C’est ce qui apparaît dans la première partie de l’échange.Rosine feint l’étourderie, gage d’une innocence naturelle (l. 520, 528 et530). Devant la résistance de Bartholo, elle est cependant obligée de changerde tactique et adopte alors le ton de la révolte (voir l’explicitation, l. 548).C’est un second détournement du type de l’ingénue, car l’ingénue tradition-nelle ne se rebelle pas et n’intervient pas dans la conduite de l’intrigue.

y Dans la troisième partie de la scène, celle de l’évanouissement, les répliquesde Rosine se dotent d’accents de tragédienne (l. 578-589). Elle troque le tonde la révolte et de la revendication caractérisé par de nombreuses interroga-tions pour celui de la plainte, de la lamentation, dont la modalité exclamativeest la principale expression. Mais on observe aussi l’utilisation de l’hyperbole àtravers un vocabulaire excessif (l. 578 : «On me tuera » ; l. 583 : «Malheureuse » ;l. 589 : « je meurs »). Le terme « fureur » est d’ailleurs directement emprunté à latragédie. On notera également la brièveté des phrases qui comptent six syl-labes et forment avec celles de Bartholo de quasi-alexandrins blancs, d’autantplus qu’on y trouve une rime et une allitération en sifflantes [f] et [�] :« J’étouffe de fureur !/Elle se trouve mal./Je m’affaiblis, je meurs. »

u Le champ lexical du mensonge est composé des termes suivants :«Dissimulons » (l. 513), « feint » (l. 521 et 580), «ne pas le montrer » (l. 538-539),« sans qu’elle en soit instruite » (l. 590-591), « en se tournant un peu » (l. 593),« finement » (l. 601), «Qu’elle ignore » (l. 603-604), « fait semblant » (l. 605). Leurrépartition entre les différents personnages est intéressante : sur neuf, unconcerne le Comte, deux Rosine et six Bartholo.

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i La stratégie de Rosine compte plusieurs phases. Elle consiste d’abord àjouer l’innocence, la distraction, puis à feindre la révolte pour éviter d’avoir àmontrer à Bartholo la lettre du Comte, et enfin, devant la résistance dututeur, à simuler un évanouissement, puisqu’elle a déjà substitué la lettre deson cousin à l’autre, dans le but de culpabiliser Bartholo. Rosine parvientparfaitement à ses fins ; elle semble sortir vainqueur sur tous les plans.

o Comme le montre la distribution des termes du champ lexical du men-songe, Rosine n’est pas la seule à mentir. Bartholo pratique lui aussi ladissimulation dans cette scène. Cependant, contrairement à Rosine, sonmensonge ne lui sert à rien, il se retourne même contre lui. On peut ainsidire que Bartholo est un « trompeur trompé » puisque, lorsqu’il trompeRosine en lisant la lettre dans son dos, il ne sait pas qu’elle l’a devancé enremplaçant le billet compromettant par une missive inoffensive.Tout au longde la pièce, Beaumarchais jouera ainsi à faire de Bartholo le responsable deson propre malheur (voir en particulier le début de l’acte III).

q Pour faire en sorte que les spectateurs ne soient pas eux-mêmes les vic-times des mensonges et des ruses à l’œuvre dans cette scène, Beaumarchaisutilise une forme particulière du langage théâtral, l’aparté : réplique régie parune convention en vertu de laquelle un propos, bien que dit à haute voix, estla représentation de la pensée muette d’un personnage, que les autres person-nages ne sont donc pas censés entendre. Il y a, dans la scène 15, sept apartéségalement répartis entre les deux personnages (quatre pour Bartholo, troispour Rosine). Ils permettent aux spectateurs de prendre connaissance de lastratégie adoptée par chacun (l. 514 et 533-534), puis de la mise en œuvredes plans (l. 569-571 : cet aparté est un peu particulier car Bartholo n’entendpas les propos de Rosine non par convention, mais parce qu’il s’est éloignépour aller fermer la porte ; l. 590-591 et 595-596), et enfin du résultat del’opération (l. 602-604 et 611).

s Beaumarchais joue avec ses spectateurs ou lecteurs en plaçant dans labouche de Bartholo une réplique qui fait allusion non à l’histoire représen-tée, mais à son art dramatique et aux critiques qu’il a pu essuyer. En lui fai-sant dire « Nous ne sommes pas ici en France, où l’on donne toujours raison auxfemmes », Beaumarchais utilise une forme d’ironie : l’énoncé laisse entendreclairement son contraire en le soulignant, à savoir que l’on est en France etque c’est de la France que le dramaturge se moque. Ce clin d’œil sur l’écri-ture de la pièce rompt un instant l’illusion théâtrale.

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d Dans la dernière réplique de Rosine – son monologue –, Beaumarchaisbrise à nouveau l’illusion en compliquant l’intrigue de façon superflue. Ildéfait tout ce que la scène vient de construire.Alors que Rosine a lutté pouréviter le drame, la lettre du Comte lui « recommande de tenir une querelle ouverteavec [s]on tuteur ». Tout est donc à recommencer ! Par cette phrase en appa-rence anodine, Beaumarchais invite ses spectateurs et lecteurs à jeter un œilsur la fabrique de la comédie dans l’atelier du dramaturge.

f Rosine a raison dans sa révolte, même si celle-ci n’est au départ qu’uneruse pour ne pas révéler son amour. Ses revendications et les argumentsqu’elle emploie pour dénoncer la tyrannie de son tuteur sont parfaitementlégitimes et justes. Comme dans un véritable plaidoyer, elle commence parrappeler les faits contre lesquels elle s’insurge, en évoquant la lettre de soncousin que Bartholo lui a remise « toute décachetée ». Le principal ressort deson attaque consiste à faire valoir l’égalité entre les deux parties : Bartholo nedoit pas en user avec elle comme il le fait, puisqu’elle ne se conduit pas malenvers lui. En revanche, l’argumentation de ce dernier est irrecevable, puis-qu’il se réclame «du droit […] du plus fort » (l. 576-577). Dans la réplique deslignes 557-558, Rosine fait entendre une critique du mariage qui fait de lafemme un être irresponsable sous la tutelle de son mari. C’est toute la condi-tion féminine de l’Ancien Régime que dénonce ici Rosine dans sa ruse.

g La scène est composée de cinq mouvements que l’on peut clairementidentifier à l’aide des variations de types de répliques. En effet, ce sont lesapartés de Rosine, ainsi que les déplacements de Bartholo qui rythment lascène et qui permettent le passage d’un mouvement à l’autre. On peut doncanalyser la progression de la manière suivante :– lignes 512-534 : Rosine joue les naïves ;– lignes 535-573 : Rosine se révolte (jusqu’au déplacement de Bartholo) ;– lignes 574-611 : la fausse évanouie et le trompeur trompé ;– lignes 612-643 : Bartholo culpabilise (jusqu’à la sortie de Bartholo) ;– lignes 644-653 : le monologue de Rosine.

h Le troisième mouvement, central, joue le rôle de pivot entre la premièrepartie de la scène et la seconde. Il est aussi un prisme inverseur. En effet, lasituation dans la seconde partie est le reflet inversé de celle de la première :dans celle-ci, Bartholo exige de voir la lettre et Rosine refuse de la lui mon-trer ; au contraire, après l’évanouissement feint et la trahison de Bartholo,c’est Rosine qui veut montrer la lettre et le tuteur qui ne veut plus la voir.

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Ce retournement de situation très net, semblable à celui d’un mécanisme, eten particulier la contradiction de Bartholo, a une forte portée comique.

j Les didascalies, conformément à la théorisation du drame par Diderot, sontbien plus nombreuses que dans la dramaturgie classique et plus longues etprécises. Elles contiennent des informations diverses : certaines, traditionnelles,portent sur les déplacements des personnages (l. 569, 574, 610, 630 et 643),d’autres sur leurs gestes et leurs positions (l. 572-573, 579-580, etc.). La plu-part sont indispensables à la construction de la scène : l’action passe par elles.Beaumarchais va jusqu’à noter les regards de ses personnages (l. 512, 601 et639). Il fait donc acte de metteur en scène et de directeur d’acteurs autantque d’auteur. Les didascalies sont très développées, très précises, très écrites,comme si parfois le texte théâtral tendait vers le genre romanesque ou que ledramaturge ne supportait pas d’être tenu à l’écart de l’énonciation.Enfin, ces didascalies participent au comique de la scène : les gestes qu’ellesrapportent sont comiques (Bartholo prenant le pouls de Rosine tout enlisant ; Rosine l’observant en cachette) et elles sont répétitives (comparerl. 592 et l. 600).

k Les objets qui interviennent ici sont, par ordre d’apparition sur scène, la« pochette » (l. 529), la porte (l. 568), les lettres (l. 570), le fauteuil (l. 580), leflacon (l. 610). Bien sûr, de tous ces objets, ce sont les lettres, ou générique-ment la lettre, les plus importantes. L’objet lettre a effectivement un rôlerécurrent et capital dans l’intrigue où il intervient sous des formes diverses :ce sont des papiers, ou billets qui servent au Comte et à Rosine pour com-muniquer (acte I, scène 3 ; acte II, scènes 2, 14 et 15), qui font avancer l’in-trigue (acte III, scène 2) et qui provoquent la péripétie fondamentale de lascène 3 de l’acte IV ; mais c’est aussi un écrit, «papier » ou «parchemin », que leComte déguisé en soldat ivre produit à Bartholo (scène 14).

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 125 À 130)

Examen des textes

a La qualité que les hommes ne reconnaissent pas aux femmes dans letexte B, et qui est aussi la valeur suprême du Siècle des lumières, est la raison.En effet,Arthénice rappelle que, pour les hommes, les femmes n’ont pas « lesens commun » ; c’est pourquoi elles-mêmes n’ont pas confiance en leurs« lumières ». Mme Sorbin, elle, affirme que la raison est fonction de l’âge

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(« l’âge de raison ») et non du sexe. Dans le vocabulaire masculin, la raison mas-culine semble s’opposer à la « sagesse » féminine, mais celle-ci n’a rien à voiravec une quelconque aptitude intellectuelle ou spirituelle : il s’agit d’être« sages » au sens de « vertueuses », c’est-à-dire aussi « obéissantes ». MaisArthénice retourne l’argument du manque de raison contre les hommes, endisant que la tyrannie masculine elle-même est déraisonnable.

z La critique du mariage de raison dans le texte C est surprenante car laliberté de la femme et l’expression de ses sentiments sont revendiquées aunom de Dieu. Par tradition, la morale chrétienne prône le respect de la vertu,de l’ordre moral et social – donc les mariages de convenances et d’argent –,et non l’épanouissement du désir féminin. C’est en cela que George Sand estanticonformiste.

e Le procédé rhétorique dominant dans le texte C est l’interrogation rhéto-rique. La modalité interrogative ne correspond pas à une véritable demanded’information et permet d’exprimer les idées avec plus de force que lamodalité assertive en interpellant directement le destinataire du discours.

r Dans les textes C et D, la femme est comparée à une esclave : celle del’homme.

t D’après le texte D, la société dans laquelle la femme est considérée commeinférieure à l’homme est une société hypocrite et déloyale. Elle se voile laface, trahit ses membres par lâcheté.

Travaux d’écriture

Question préliminaire

La dénonciation de la condition féminine s’appuie sur :– Le combat contre les préjugés au nom de la raison : l’oppression masculinerepose sur des préjugés et non sur la raison ou la nature (textes B et D). Lacondition féminine est telle parce qu’elle est devenue une habitude ; lesfemmes ont été conditionnées par les hommes et les lois qu’ils ont écrites(textes B et D ; voir les termes « arbitraire », « caprice »).– La revendication de l’égalité et des droits qui y sont associés, notamment ledroit à la liberté, le droit à disposer d’elle-même : la femme a les mêmes droitsque n’importe quel citoyen (texte A).Le droit de la femme à l’égalité (textes C et D) et à l’amour, le droit de choi-sir (textes A et C) sont des droits divins (texte C).

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Commentaire

Introduction

Au sein du récit, les dialogues entre les personnages sont l’occasion et lemoyen pour l’auteur d’exprimer des idées. Ici, la réplique de l’interlocuteurde Consuelo s’étire en tirade. Elle constitue un véritable discours de typeépidictique, blâmant le mariage de raison, et met en œuvre une rhétoriquetrès claire et très efficace.

1. Du conseil particulier à la thèse générale

Ce discours présente tout d’abord une tension entre sa place et sa fonctiondans le récit et la thèse qu’il défend. George Sand utilise en effet une conver-sation d’ordre privée pour exposer des idées politiques et sociales. Le textepeut donc en premier lieu être analysé comme le point de rencontre entreune énonciation intime et une pensée générale.

A. La situation d’énonciation : une conversation intime• Alors que le discours de l’interlocuteur de Consuelo, par sa longueur et saforme, sur laquelle on reviendra, ressemble à une véritable harangue publique,il ne s’adresse qu’à une seule personne. Cet interlocuteur place son discourssous le signe de la familiarité la plus étroite, celle des relations familiales oucelle de la religion, en se comparant à un « père » puis à un « confesseur ». Saparole serait donc de l’ordre de la confidence et du secret.• Son interlocutrice est désignée par le pronom de 2e personne du singulier,plus familier que le vous et qui marque la distance et la politesse.• Cette interlocutrice est également la destinataire du discours ; c’est à ellequ’il est adressé et c’est sur elle qu’il doit produire son effet ; c’est elle qu’ildoit convaincre. C’est pourquoi la personne de la jeune fille est inscrite dansle discours même : par l’utilisation des interrogations rhétoriques qui mimentle questionnement de Consuelo et l’obligent à épouser le raisonnementqu’on lui tient ; par l’utilisation des impératifs qui l’impliquent dans le dis-cours et la sollicitent (« sois donc certaine » ; « penses-y bien, Consuelo »). C’estaussi une façon de renvoyer la jeune fille à son choix et d’affirmer sa liberté.

B. Un discours à portée généraleMalgré son cadre d’énonciation et l’inscription en son sein d’un destinataireprécis et unique, ce discours a une portée générale qui apparaît dans :– des énoncés présentant une tournure générique proche de celle de la for-mule, voire de la maxime, faisant intervenir le présent de vérité générale,l’article défini à valeur générique, les indéfinis (« La passivité de l’esclavage a

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quelque chose qui ressemble à la froideur et à l’abrutissement de la prostitution » ; « levœu de virginité est anti-humain et antisocial »), ou encore le futur, des termesdésignant des entités génériques, l’adverbe « toujours » (« [...] ce qui distingueratoujours la compagne de l’homme de celle de la brute […] ») ;– un vocabulaire abstrait faisant tendre le discours vers la réflexion de typephilosophique plus que vers le conseil intime ;– un glissement final du destinataire avec l’apostrophe ambiguë « Non,femme ! » et le passage de la 2e personne du singulier à la 2e personne du pluriel de politesse ou collective.

2. La condamnation du mariage de raison

George Sand démontre dans ce discours que l’institution du mariage telleque la conçoit et l’utilise le XIXe siècle, c’est-à-dire réduite au mariage de rai-son préservant l’intérêt des familles et de la société, a en fait des consé-quences funestes sur cette société, et même sur l’humanité tout entière,comme sur le couple et les individus qui le composent.

A. Le mariage de raison : violation de la loi de DieuC’est de façon audacieuse et paradoxale, anticonformiste, que George Sandappuie sa condamnation du mariage de raison sur l’idée de Dieu. Son raison-nement à cet égard est composé des éléments suivants :– le mariage sans amour est comparé à l’esclavage à l’aide du champ lexicalde l’humiliation : « servage », « abrutissement », «prostitution », «dégradé » ;– l’égalité entre l’homme et la femme, la réciprocité de l’amour et du désir(les « instincts ») sont la « loi de l’humanité » dictée par Dieu ;– en vertu de cette « loi de l’humanité », le mariage de raison est un acte dedésobéissance envers les commandements divins et se solde donc par unepunition divine : la monstruosité de la descendance de l’homme et de lafemme ainsi unis (l. 18-24) ;– la femme a donc non pas le droit mais le devoir de se marier avec celuiqu’elle aime, le devoir et le «droit de choisir ».

B. Le mariage de raison : un avilissement réciproque des individusDans la deuxième partie du texte, George Sand développe un autre argu-ment contre le mariage de raison, qui ne concerne pas l’avenir de l’humanitémais les relations entre les individus. L’effacement de la femme et de sesvolontés (« t’annihiler ») au sein du couple est néfaste pour deux raisons :– il « dégrade » les deux individus concernés en ce qu’il fait du mariage uneimposture (voir le champ lexical du mensonge : « trompé », « abusé », « enivré »,

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« méprise », « piège »). La femme est ainsi moralement avilie parce qu’elle faitcroire à son mari qu’elle l’aime, le mari parce qu’il est aveuglé ;– la femme éprouve du ressentiment à l’égard de son mari qui, parce qu’il nela comprend pas, perd à ses yeux toute qualité, sa « grandeur », sa « délicatesse »pouvant servir de support à l’estime.

3. Une rhétorique de la foi et de l’audace

Ce blâme du mariage de raison s’appuie sur une rhétorique inspirée quimontre que son énonciateur – le « vieillard » est en réalité une femme – estimpliqué dans cette profession de foi subjective et audacieuse, tout commel’est sa créatrice George Sand, femme cachée derrière un nom masculin.

A. Une rhétorique de l’implicationL’implication de l’énonciateur dans son discours ne passe pas par la présencede la 1re personne du singulier, mais s’appuie sur d’autres procédés :– l’interrogation rhétorique revêtant une valeur exclamative ;– la modalité exclamative exprimant, comme l’interrogation rhétorique,l’indignation ;– la construction binaire des phrases, avec répétition de l’adverbe « là » et duprésentatif en système négatif « il n’y a pas » (l. 22-24) ; anaphore de « ne ledégraderais-tu pas », de l’adverbe « où», etc. ;– le rythme des phrases. Cadence majeure aux lignes 13-15, 18-22, etc. ;– la structure de certaines phrases simples, à l’allure d’énoncés de vérité : « Ilsportent le sceau de la désobéissance ».

B. Un discours oséLe discours du « vieillard » et la position de George Sand sont un discoursaudacieux pour l’époque, anticonformiste et, pour certains, sans doute blasphématoire. Cette audace passe par :– une radicalisation du lexique. George Sand choisit des mots et des expres-sions frappants : « abjurer », « prostitution », « abrutissement », « monstrueux »,« anti-humain», «haine », etc., mais aussi hyperboliques : « ils n’appartiennent pasentièrement à l’humanité » ;– les comparatifs et les superlatifs : «plus affreux et plus dégradants encore » ;– l’accumulation d’adjectifs ou de participes passés (voir l. 31-32).

Conclusion

Face à l’audace de la rhétorique mise en œuvre dans ce discours et des argu-ments qu’il développe, on peut faire l’hypothèse que le récit romanesque estun habile masque des idées féministes en germe.

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Dissertation

Ce sujet appelle un plan dialectique. Il ne faut pas remettre en cause l’utilitéde l’œuvre pour la société mais en examiner les modalités et l’efficacité.

1. Les moyens d’action des œuvres littéraires

Les œuvres littéraires peuvent contribuer à améliorer la société en jetant unregard critique sur elle. Cette critique peut passer par la connaissance, par ladénonciation, ou par l’engagement proprement dit.

A. La connaissance de la sociétéLa première étape d’une action est celle de la prise de conscience. C’est cetteprise de conscience des réalités du monde du travail minier, par exemple, quepermettent les descriptions et la narration de Germinal de Zola.

B. La dénonciationCertains genres littéraires ont pour mission explicite de corriger certains éléments de la société. C’est le cas de la comédie au XVIIe siècle. Molière caricature et dénonce le vice de la dévotion hypocrite dans Le Tartuffe, etc.

C. L’engagementL’écrivain peut enfin contribuer à l’amélioration de la société par son enga-gement proprement dit. C’est le cas de Zola prenant parti pour le capitaineDreyfus dans J’accuse, des écrivains surréalistes René Char, Robert Desnos,Louis Aragon pendant la Seconde Guerre mondiale, etc.

2. Les limites de l’action des œuvres littéraires

A. L’œuvre abandonnée par son auteurAlors que, dans le cadre de l’engagement, c’est la personne de l’auteur qui estconcernée, il n’est pas toujours là pour seconder ses œuvres dans leur mis-sion. Certaines œuvres peuvent être mal interprétées et manquer leur but.

B. Des valeurs contraires au progrèsCertaines œuvres véhiculent également des valeurs contraires à celles quicontribueraient à l’amélioration de la société. Par exemple, les valeurs deCéline dans Voyage au bout de la nuit ou celles de Goethe dans Les Souffrancesdu jeune Werther, qui amenèrent beaucoup de jeunes gens au suicide.

C. L’art pour l’artCertains écrivains, en particulier des poètes, refusent que la littérature ait uneutilité consciente et voulue. Les poètes parnassiens (Gautier, Leconte deLisle) et, dans une certaine mesure, Baudelaire pensent donc que l’art ne doitpas s’occuper de morale mais seulement de sa propre beauté plastique.

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3. Une littérature de progrès tout de même

Même lorsqu’elle n’a pas comme but avoué l’amélioration de la société, lalittérature peut être source de bonheur individuel et de progrès social.

A. La littérature comme moyen d’évasion• En permettant au lecteur d’échapper provisoirement à la vie quotidienne,l’œuvre littéraire lui rend cette dernière plus supportable.• Commenter ici un exemple de lecture personnelle, de plaisir de lecture.

B. La littérature comme connaissance de soiLa littérature peut permettre de se comprendre et de mieux vivre avec soi-même. Si elle n’améliore pas directement la société en cela, elle rend meilleurchacun de ses membres. Par exemple, Le Blé en herbe de Colette permet demieux comprendre les sentiments éprouvés lors d’un premier amour ;Antigone d’Anouilh offre un exemple de révolte contre l’autorité et pose,entre autres, la question du conflit de générations.

C. La littérature comme source de modèlesCertaines œuvres vont jusqu’à proposer des modèles de société sur lesquels lanôtre pourrait prendre exemple. C’est la tradition de l’utopie, née avecThomas More.

Conclusion

Les attaques que peuvent subir les écrivains (Molière condamné pour sonTartuffe, Diderot en prison, etc.) montrent que la littérature peut servir l’actionet même être action. Si elle était impuissante, on ne la craindrait pas.

Écriture d’invention• On attend des élèves qu’ils sachent tout d’abord présenter un dialogue(tirets, guillemets, etc.) et qu’ils respectent l’alternance des arguments et desréponses à ces arguments dans la progression de la discussion.• Quelques suggestions de contenu :– le mariage est un signe que l’on adresse à l’autre/l’amour n’a pas forcémentbesoin de ce signe ;– ce signe peut aussi être adressé à ceux qui nous entourent. C’est un acteindividuel mais aussi social/on se marie pour soi ;– le mariage présente aussi des commodités matérielles (rapprochement deconjoints, assurance contre la précarité)/ce ne sont pas de bonnes raisonspour se marier ;– à une époque où l’on vit en couple sans mariage, celui-ci perd de sa signi-fication/il apparaît comme un véritable choix et n’en a que plus de valeur.

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◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 143 À 147)

a Le sous-titre de la pièce a déjà fait une apparition dans la scène 3 du pre-mier acte. Rosine explique à Bartholo que le papier qu’elle tient sont lesparoles d’une chanson d’une « comédie nouvelle ». En fait, c’est un mensonge :le papier est un billet adressé au Comte, qu’elle fait passer pour une chansonafin de pouvoir la lâcher impunément dans la rue, d’envoyer Bartholo larécupérer et inviter, dans l’intervalle, le Comte à ramasser la feuille. C’estdonc La Précaution inutile qui permet une première fois aux deux amants decommuniquer. Beaumarchais soigne la continuité de sa pièce, puisque, dansla scène 4 de l’acte III, c’est ce même chant qu’Alonzo propose à Rosined’essayer. Cette fois, ce n’est plus par l’intermédiaire matériel du papier queles amoureux communiquent mais par celui des paroles et de la musique.

z Ce sous-titre illustre parfaitement la situation de la scène et de toute lapièce, puisque Bartholo y est trompé malgré toutes les dispositions qu’ilprend pour surveiller Rosine. Il tient à écouter le chant, mais, même s’il nes’était pas endormi, Rosine et le Comte auraient trompé sa vigilance en s’ex-primant et en communiquant à travers la chanson. L’intrigue va même plusloin que ce sous-titre : non seulement les précautions que prend Bartholosont inutiles mais elles sont également nuisibles. C’est Bartholo qui insisted’abord pour que Rosine prenne sa leçon avec Alonzo ; il est donc enquelque sorte responsable de ce qui lui arrive, artisan de ses propres mal-heurs. Loin de le protéger, ses précautions se retournent contre lui.

e On peut identifier au moins quatre péripéties – ce qui est beaucoup dansune scène relativement courte, si l’on tient compte de la présence d’une assezlongue partie chantée. Lignes 122 à 131, Rosine refuse de prendre sa leçonde musique, suivant les directives de son amant de « tenir une querelle ouverte »avec son tuteur. Puis elle se rend compte que le nouveau maître de musiquen’est autre que Lindor : c’est la première péripétie, qui, on le devine sansqu’elle l’exprime, la fait changer d’avis (l. 131 à 150). Parce qu’elle a caché sasurprise en faisant croire à une foulure, Bartholo décide qu’il n’y aura pas deleçon : nouveau retournement de situation, nouvelle péripétie (l. 151). Maisle Comte persuade le tuteur de ne pas contrarier sa pupille : la leçon auradonc lieu (l. 165). Enfin, pendant le chant, l’endormissement de Bartholo

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permet aux amoureux d’esquisser un geste de tendresse, qu’interrompt leréveil soudain du vieillard, le schéma pouvant, selon la didascalie, se renouve-ler plusieurs fois : ce sont autant de mini-péripéties. On remarque que, dans lapremière partie de la scène, ces revirements de situation sont très rapprochés :par ce rythme soutenu, Beaumarchais joue avec l’attente, voire la tension, desspectateurs et produit un comique particulier.

r Les péripéties de la deuxième partie de la scène sont signalées par la didas-calie et fondées sur des jeux de scène, des gestes des comédiens. Celles de lapremière partie utilisent également les didascalies mais aussi la modalitéexclamative exprimant la surprise (l. 131, 133-134 et 137) ou la prière(l. 159), ainsi que le champ lexical de l’opposition (l. 153, 168 : «Non » ; l. 154 :« j’ai eu tort » ; l. 161 : « m’empêchez » ; l. 163 : « Ne la contrariez pas » ; etc.).Chaque péripétie est signalée par le trouble de Rosine.

t Le Comte vient en aide à Rosine grâce à une interrogation dite « totale ».En effet, à la question « Le pied vous a tourné, madame ? », Rosine ne peutrépondre que par oui ou par non. Cela n’aurait pas été le cas s’il avait utiliséune interrogation « partielle » et demandé, comme Bartholo : « Qu’avez-vous ? » Le Comte suggère par là une réponse à Rosine, et ce d’autant plusqu’il n’utilise pas la forme inversée («Le pied vous a-t-il tourné ? ») caracté-ristique de la modalité interrogative, mais la forme de l’assertion. On peutaussi considérer que le Comte souffle une réplique à Rosine. Ainsi, tout sepasse comme si, un instant, il devenait l’auteur de la pièce, inventant pour lespersonnages les paroles qu’ils doivent prononcer.

y Le moyen dramaturgique d’expression du double jeu est l’aparté, mais unaparté particulier. En effet, celui-ci n’a pas pour but de cacher à Rosine cequ’il dit à Bartholo, puisque Rosine sait très bien qu’il sert ses intérêts, maisde faire croire à Bartholo qu’il est de son côté contre Rosine. Les apartés deslignes 163-164 ou 188 sont en fait des masques, ils font partie du déguise-ment et de la feinte. Le spectateur – leur destinataire implicite – ne leurdonne pas le même sens que Bartholo – destinataire apparent.

u Le commentaire que Rosine fait de l’air qu’elle va chanter peut recevoirdeux interprétations : l’une littérale, l’autre figurée. Littéralement,Rosine décritle thème de la chanson: «un tableau du printemps». Mais le printemps est aussiun symbole : c’est la saison de l’amour. Ce qui fait plaisir à Rosine, ce n’estdonc pas le thème printanier du chant mais l’expression de son amour et decelui du Comte.La suite du commentaire est plus claire encore.En évoquant la

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sortie de l’hiver, un cœur prisonnier, en le comparant à « un esclave enfermédepuis longtemps », Rosine parle, grâce aux figures de la métaphore et de lamétonymie, de sa propre situation. Le cœur captif, c’est elle ; « la liberté qui vientde lui être offerte», c’est l’amour de Lindor qui veut la soustraire à son tuteur.

i L’ariette est une mise en abyme de la pièce par son titre d’abord et par leprénom de Lindor qui y figure. Mais aussi par son contenu narratif. En effet,le deuxième couplet décrit métaphoriquement, et presque allégoriquement,la situation de Rosine. Bartholo devient une «mère » qui surveille sa fille, unebergère qui « va chantant » – ce que Rosine est en train de faire. Le chant estune « ruse ». La suite du couplet permet à Rosine d’exprimer sa peur d’êtredécouverte (« Mais chanter/Sauve-t-il du danger ? ») et le trouble adolescentqu’elle ressent face à son premier amour («Tout l’excite/Tout l’agite », etc.). Lafin du deuxième couplet rappelle la scène 2 de l’acte II dans laquelle Rosineavait « feint de se courroucer » en apprenant que le Comte était amoureuxd’elle ; le troisième couplet fait allusion à Bartholo (« jaloux»).

o Cette réplique du Comte a un double sens. Pour Bartholo, elle signifie :«Voyez-vous de quelle façon les idées romanesques de Rosine peuvent s’ap-pliquer à vous, servir vos projets de mariage. » Pour le Comte et les specta-teurs, l’application concerne l’amour de Rosine pour Lindor. En cela,Bartholo n’est que le destinataire apparent de cette réplique adressée essen-tiellement au spectateur et faux aparté, puisque Rosine pourrait très bienl’entendre, au double sens d’ouïr et de comprendre.

q Dans cette scène, Bartholo est ridiculisé. La tyrannie qu’il exerce surRosine est dénoncée, mais il éveille aussi attendrissement et pitié. Il s’inquiètelorsqu’il croit que Rosine s’est blessée, il va lui chercher un fauteuil, il ne veutpas qu’elle fasse d’effort. On peut penser, même si son attitude reste ambiguë,qu’il est de bonne foi lorsqu’il veut la ménager ou assister à la leçon. Enfin, lefait qu’il s’endorme le fait apparaître comme un simple vieillard inoffensif.Bartholo n’est peut-être pas si méchant que cela : il n’est peut-être qu’un vieilhomme qui court une dernière fois après sa jeunesse.

s Deux répliques peuvent, dans cette scène, relever de ce qu’on appelle, dansle cadre de la tragédie, « l’ironie tragique » et qui concerne des répliques parlesquelles un personnage fait allusion sans le savoir aux malheurs qui vonts’abattre sur lui.Ainsi, lorsque Bartholo dit de la musique : « Je t’assure que cesoir elle m’enchantera », les spectateurs ne l’entendent pas de la même manièreque lui. Pour eux, il s’agit d’une antiphrase : la musique ne l’enchantera pas,

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elle sera l’instrument de la ruse dont il sera la victime. De la même façon, laréponse «Parbleu ! », si affirmative, à la question équivoque du Comte (l. 188)est pour les spectateurs antiphrastique.

d La didascalie de la fin de l’ariette a pour particularité d’être très longue ettrès narrative. Elle décrit ce qui se passe pendant le chant, à la fois sur la scèneet du côté des musiciens, ou plus précisément elle raconte au présent de nar-ration, mais avec deux allusions au passé immédiat de la scène – au passécomposé et au plus-que-parfait (« s’est assoupi » et « avait endormi »). Cettedidascalie ne se tient pas au style des indications scéniques, la plupart dutemps matérielles et laconiques. Ici, Beaumarchais affine sa peinture en utili-sant un modalisateur et un article indéfini subtils : le Comte « se hasarde àprendre une main » et non « prend la main de Rosine ». Il ne se contente pasd’indiquer aux comédiens des mimiques pouvant exprimer les sentimentsdes personnages, il essaie de faire sentir leur évolution (l. 261-262). Ces nota-tions très précises peuvent ainsi faire penser aux romans du XVIIIe siècle, quiles premiers ont fait de la sensibilité une valeur littéraire.

f Bartholo explicite ce lien au roman et au romanesque par sa réplique deslignes 186-187. En effet, pour le barbon et son époque, l’amour est un senti-ment purement romanesque. Les comédies de Molière sont des comédies decaractère qui ont les vices des hommes pour sujet, alors que les bergères et lesintrigues champêtres qu’évoque Rosine sont issues du best-seller roma-nesque du tout début du XVIIe siècle, L’Astrée d’Honoré d’Urfé.

g Dans le premier couplet, on pourra reconnaître une assonance en [ɑ̃],voyelle nasalisée, ainsi que les sons vocaliques ouverts dans « plaine »,« ramène », « être », «pénètre », « feu », « fleurs » et « cœurs », qui symbolisent l’ouver-ture de ces derniers. Le deuxième couplet est dominé par des allitérations ensifflantes et chuintantes (« bergère », « chantant », « son », « ruse », « abuse », « chan-ter », «danger », etc.) qui expriment la ruse et la dissimulation.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 148 À 154)

Examen des textes

a C’est par l’alternance des phrases rapportant le trouble de Cécile deVolanges et de celles qui racontent la séance de chant que Laclos suggère larelation entre la musique et l’expression du sentiment amoureux naissant.

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z Dans la mesure où il attend le moment où les musiciens français « se rap-procheront de la nature » et ne soumettront plus la musique à des « lois absurdes »et où il assigne à la musique la mission de «peindre la passion », on peut penserque Beaumarchais se situe du côté des Bouffons.

e Nous pouvons dire que le texte de Rameau expose une conception clas-sique de la musique, d’abord en ce qu’il s’agit pour lui de juger (le verbe revientde façon très récurrente) la musique et non seulement de l’écouter et de la res-sentir. Il analyse également la musique en termes de «principes», d’«effet» et de« cause », qui sont des termes de la philosophie cartésienne. La raison est donc,pour Rameau, le principal fondement du plaisir musical et la composition estfaite de règles, tout comme le théâtre ou l’architecture classiques.

r La volonté de considérer la musique comme une science apparaît dansl’utilisation d’un vocabulaire cartésien mais surtout dans le dernier para-graphe, où Rameau explique que le principe de la musique est aussi celui de« toutes les sciences soumises au calcul » et la compare en particulier à la géométrie.

Travaux d’écriture

Question préliminaire

Les textes C et D se rencontrent non dans leur conception de la musique,mais dans la définition de son but. En effet, pour Beaumarchais, la musiquedoit «peindre la passion », et pour Rameau, elle doit « remuer les passions ». Pourles deux, la musique se nourrit d’émotions et les provoque. C’est ce qu’illus-trent les textes A et B en mettant en scène ou racontant comment deuxjeunes gens expriment leurs émois amoureux à travers la musique qui aug-mente alors leur trouble. Les tableaux de Watteau et de Fragonard sont, à leurtour, des représentations graphiques de cette interaction entre émotion etmusique. Dans le tableau de Fragonard, l’orientation des regards, la positiondes bras du maître de musique, ainsi que la composition circulaire donnéepar la disposition des corps suggèrent l’intimité de la leçon, tandis que lalumière, mettant en valeur la peau de l’élève, fait ressortir la sensualité. Dansle tableau de Watteau, le jeu de regard suggestif est déplacé à gauche et seull’homme y participe, comme s’il convoitait la jeune fille innocente. Onretrouve par ailleurs une lumière comparable à celle du tableau deFragonard, l’émoi amoureux étant également signifié par la présence desenfants, évoquant les amours antiques, au regard et au sourire espiègles.

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Commentaire

Introduction

Dans une lettre précédente, Cécile a raconté à son amie quel subterfuge avaittrouvé le chevalier Danceny pour lui exprimer son amour en cachette. Nepouvant plus supporter de le voir triste, elle va user du même procédé pourlui répondre. Notre attention, dans ce court récit, doit être attirée par lafaçon dont Laclos traduit stylistiquement le trouble de l’amour adolescent.

1. Le style de l’ingénue

Laclos prend soin de faire varier le style des lettres en fonction de leur auteur.Ici, plusieurs éléments caractérisent le style naïf de l’adolescente ingénue.

A. La personnalisation• La 1re personne, désignant Cécile, est très présente dans le texte.• Mais on remarque surtout que Cécile s’adresse à sa correspondante en uti-lisant la 2e personne du singulier (« figure-toi »). Elle entretient donc avec elleune relation de familiarité qui convient à leur âge.• Les deux autres personnages dont il est question dans ce récit sont Dancenyet Mme de Volanges. Le premier n’est désigné que par le pronom personnelobjet de 3e personne. Il est singulier qu’il ne soit pas nommé (même au débutde la lettre), comme si Cécile avait peur de se trahir en écrivant son nom.• Cécile parle de sa mère en écrivant « Maman » avec une majuscule témoi-gnant de son autorité. Cette désignation indique bien quelle est la relation dela mère à la fille : soumission et crainte de l’enfant envers l’adulte.

B. Le parler de l’adolescenceCécile ne maîtrise pas encore parfaitement la langue. C’est peut-être, de lapart de Laclos, une critique de l’éducation insuffisante donnée aux filles dansles couvents. Ces lacunes apparaissent dans les faits suivants :– la brièveté des phrases : Cécile préfère la phrase simple à la phrase com-plexe, la coordination (« mais », « et après », « et moi », etc.) à la subordination.Celle-ci est toutefois présente mais semble utilisée de façon maladroite, hési-tante, répétitive (par exemple, plusieurs subordonnées de conséquence). Entout cas, elle combine rarement coordination et subordination ;– la prédominance d’un rythme binaire, souligné par l’emploi de la virgule :« J’étais si troublée, que je n’osais le regarder. Il ne pouvait pas me parler, parce queMaman était là. Je me doutais bien qu’il serait fâché, quand il verrait que je ne luiavais pas écrit », etc. ;– une syntaxe alambiquée, voire incorrecte : « il avait un air, qu’on aurait dit

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qu’il était malade » ; « c’était d’un ton que j’en fus toute bouleversée » (il manque lepremier terme intensif de la subordination) ; « le cœur me battait » au lieu de«mon cœur battait » ;– un lexique limité et familier : abondance des verbes statifs avoir, être, faire.Vocabulaire enfantin et familier («Maman», « fâché », « bien pis », utilisation dudémonstratif « ça » dans « ça me faisait bien de la peine », etc.).

2. Le langage de l’amour

Cette façon d’écrire est due à l’âge de Cécile, mais aussi au trouble qu’elleressent face à l’amour.

A. Le style de l’amour• Un style de l’intensité : nombreux marqueurs de l’intensité, comme desadverbes renforçant les adjectifs (« si troublée », « si fort »), ou en système desubordination de conséquence ; l’adverbe « bien » ; les superlatifs (« bien pis »).• Un vocabulaire affectif : « troublée », « bouleversée », «peine », « j’avais bien peur ».• L’expression de la perte des moyens grâce à la négation des verbes pouvoir,savoir, oser : « je n’osais le regarder », « je ne savais quelle contenance faire », « sans savoirce que je faisais », « je ne savais pas », « je ne pourrais » ; grâce à la négation restric-tive : « tout ce que je pus faire » (= « je ne pus que»). Ce trouble se retrouve chezDanceny (« il ne me dit que ces deux mots ») et indique que l’expression del’amour ne peut se contenter du langage verbal.

B. Un langage extra-verbal• Le regard : « je ne le regardai qu’un petit moment. Il ne me regardai pas, lui », etc.• L’air : « contenance », « il avait un air ».• La voix : les difficultés que rencontre Cécile à chanter, à produire des sonsavec sa gorge sont l’indice que celle-ci est nouée. Ce devrait être un signepour Danceny, signe que Cécile tente de masquer à cause de la présence desa mère en choisissant un air qu’elle ne connaît pas. On remarquera l’ambi-guïté du pronom indéfini dans « on se serait aperçu de quelque chose ».

3. La leçon de musique : un intermédiaire

La leçon de musique est un moyen de communication pour les jeunesamants à plusieurs titres.

A. Les fonctions de la harpe• C’est matériellement que la leçon de musique sert aux jeunes gens à com-muniquer, par l’intermédiaire de l’instrument de musique. La harpe estd’abord une boîte aux lettres.

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• Le mot « harpe » devient alors une sorte de code secret : par exemple, dansles paroles de Danceny rapportées au discours indirect (« il me demanda si jevoulais qu’il allât chercher ma harpe » est une façon de demander à Cécile si ellea répondu à sa lettre).• La harpe peut enfin apparaître comme un substitut pour Danceny. Il luiprête l’attention qu’il voudrait accorder à Cécile : « Il se mit à accorder ma harpe. »Il s’occupe de l’instrument, ne pouvant s’accorder avec Cécile.• La leçon de musique, le chant sont aussi un moyen de communication del’amour, mais en négatif, puisque c’est l’impossibilité de chanter qui exprimece dernier. Laclos joue ici avec la tradition de cette scène.

B. La structure du texteL’alternance des parties du récit consacrées à la manipulation de la harpe, auchant, et des parties qui expriment les sentiments de l’énonciatrice peut êtreconsidérée comme la matérialisation textuelle du statut d’intermédiaire del’instrument et de la leçon de musique.

Conclusion

Laclos offre dans ce texte une variation sur le motif de la leçon de musique,en le prenant en quelque sorte à contre-emploi. La leçon de chant n’est plusl’occasion d’une mise en abyme mais exprime les sentiments des deuxjeunes gens par leur impossibilité de chanter correctement, submergés parleur amour naissant.

Dissertation

La citation invite à s’interroger sur la fonction de la musique, ainsi que surson fonctionnement. Quelle est son action et comment agit-elle ?

1. La musique est effectivement une affaire de sensibilité

A. La musique est expression d’émotionsLes chansons, par exemple, sont souvent composées sous le coup d’une émo-tion, d’un souvenir, pour commémorer l’une ou l’autre. Par exemple, lachanson de Renaud Mistral gagnant a été composée lors de l’enregistrementd’un album durant lequel le chanteur était éloigné de sa fille, éloignementqui lui avait donné une violente nostalgie de l’enfance.

B. La musique suscite les émotions• Elle s’adresse au cœur et à l’âme et transmet les sentiments.Ainsi, Julie deLespinasse écrivait dans sa correspondance en parlant de l’opéra de Gluck

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Orphée et Eurydice : « Elle a été si profonde, si sensible, si déchirante, si absorbante,qu’il m’était absolument impossible de parler de ce que je sentais ; j’éprouvais letrouble, le bonheur de la passion. »• L’expression musicale est d’ailleurs parfois plus efficace que le langage pro-prement dit, parce que ses instruments d’action touchent plus profondémentl’être humain : le musicien « rend les idées par des sentiments, les sentiments par desaccents ; les passions qu’il exprime, il les excite au fond des cœurs » (Rousseau, article«Génie » du Dictionnaire de la musique).

2. La musique est consolatrice

A. La musique est un partage des émotionsParce que la musique est produite indépendamment de son écoute, à la diffé-rence de la lecture, elle bannit toute solitude. Elle est forcément rencontreentre deux éléments, sinon deux personnes : la musique et celui qui l’écoute.Plus encore, elle permet de saisir la communauté des émotions humaines etde se consoler en se disant : « Je ne suis pas seul(e) à éprouver cela. »

B. La musique est oubli du réelLa musique peut avoir un effet de divertissement au sens pascalien du terme.Comme l’écrit Julie de Lespinasse, elle « entraîne ». Elle permet d’oublier lespréoccupations quotidiennes en isolant en quelque sorte l’auditeur du restedu monde. Elle le permet mais aussi l’exige. C’est ce que suggère Rameaudans le texte A : «Pour jouir pleinement des effets de la musique, il faut être dans unpur abandon de soi-même. »

3. Limites de cette conception

A. La musique est aussi le produit de la raison et s’adresse à elleRameau fonde cependant l’efficacité de la musique sur des critères de ratio-nalité. Elle ne touche que parce que le musicien maîtrise les règles complexesde l’harmonie. On peut ainsi ressentir un plaisir tout intellectuel, cérébral àl’écoute de certaines musiques : par exemple, les nouvelles musiques électro-niques. L’émotion musicale peut donc être celle de la découverte, de l’admi-ration face à une virtuosité que l’on analyse rationnellement.

B. La musique est aussi l’instrument de la gaietéJulie de Lespinasse et tous les partisans des Bouffons semblent réduire l’émo-tion musicale à la douleur, la tristesse, à son aspect sentimentale. C’est unevision partielle et partiale. En effet, la musique peut aussi être l’instrument dela fête, de la gaieté, comme le montre l’utilisation qu’en fait Beaumarchais

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dans Le Barbier de Séville ou Le Mariage de Figaro. La musique vient ici soute-nir le rythme et l’esprit des répliques du dramaturge.

Conclusion

Le sujet portait sur les effets de la musique sur l’individu et ses émotions. Onpeut aussi s’interroger sur l’action de la musique dans les rapports de l’indi-vidu à la société. Ne dit-on pas : «La musique adoucit les mœurs » ?

Écriture d’invention

• On attend des élèves qu’ils sachent identifier et mettre en œuvre les éléments caractéristiques de la chanson :– des vers, généralement courts (les alexandrins sont rares en chanson) ;– des strophes, unités à la fois prosodiques (rimes) et thématiques ;– un refrain.• Il faut qu’ils respectent la contrainte générique et formelle de l’exercice :– l’expression de sentiments grâce à un vocabulaire affectif ;– la mise en abyme (la chanson décrit la situation de son énonciation).

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◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 165 À 168)

a À l’entrée de Bazile, le Comte, Rosine et Figaro sont épouvantés et trèscontrariés car cette arrivée met en péril leur plan et risque de faire avorterleur projet. En effet, si Bazile parle et dit ne pas connaître Alonzo, Bartholodécouvrira l’imposture. Les réactions de ces personnages sont marquées dansle texte, au tout début de la scène, par trois répliques très courtes, de trois syl-labes chacune, caractérisées par la modalité exclamative. Les deux premièressont constituées de phrases nominales (le nom de Bazile et un juron) et ladernière d’une proposition minimale. Le terme qu’elle contient et quidésigne Bazile, le «Diable », hyperbolique, exprime aussi le désagrément desprotagonistes et la critique de l’Église.

z Figaro essaie d’abord de détourner l’attention en se plaignant de ce quel’arrivée de Bazile va encore reporter la taille de la barbe de Bartholo. C’estce qu’exprime sa deuxième réplique : « toujours des accrocs », c’est-à-dire desobstacles, et « deux heures pour une méchante barbe ». Il se sert donc du même

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prétexte que dans les scènes précédentes pour masquer les véritables inten-tions des trois complices. Mais, dans cette réplique, Figaro joint aussi le gesteà la parole. Pour signifier son impatience mais aussi, peut-on penser, pourcouvrir la voix de Bazile qui répète sur un ton interrogatif le nom du sei-gneur Alonzo, Figaro « frappe du pied ». Cette didascalie inscrit la réplique deFigaro dans le répertoire du comique de gestes.

e Un énoncé contient plusieurs sens ou valeurs. Il a d’abord le sens qu’ex-prime son contenu, indépendamment de la situation d’énonciation, puis ceuxque ce même contenu revêt dans une situation précise. La «valeur illocutoire »d’un énoncé est l’acte de parole (déclaration, promesse, interrogation, inter-diction, ordre, etc.) réalisé par tout énoncé. On appelle «valeur perlocutoire »d’un énoncé l’effet concret que son énonciation produit dans une situationdonnée. Les énoncés des répliques des interlocuteurs de Bazile ont tous pourbut de faire taire celui-ci. La plupart ont donc une valeur illocutoire d’ordre.Mais tous ont pour effet d’empêcher Bazile de parler ou d’être entendu, ilscouvrent sa voix et ses propos : c’est leur valeur perlocutoire.

r Cette entrée importune est en parfait accord avec le caractère et le rôledramaturgique de Bazile. Il n’est pas loin d’être le Diable personnifié, puis-qu’il relève du type du « traître », vénal et corruptible. C’est à lui que l’ondoit dans la pièce le célèbre éloge de la calomnie de la scène 8 de l’acte II :« Croyez qu’il n’y a pas de plate méchanceté, pas d’horreurs, pas de conte absurde,qu’on ne fasse adopter aux oisifs d’une grande ville, en s’y prenant bien [...]. Le malest fait, il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando de bouche en bouche il va lediable [...]. Qui diable y résisterait ? » Le terme dont se sert Figaro pour dési-gner l’importun fait donc écho à cette célèbre tirade. Son entrée s’accordeégalement à son rôle dramaturgique dans la mesure où il est l’adjuvant de Bartholo et l’opposant au projet du Comte. Mais le caractère vénal dupersonnage de Bazile inverse ce schéma à l’échelle de la pièce comme à l’échelle de cette scène : finalement Bazile devient l’instrument de laduperie du barbon.

t L’incompréhension de Bazile, qui fonde le quiproquo, repose sur le faitque le Comte, depuis le début de l’acte, l’a fait participer à son insu à sesmensonges. En effet, il a prétendu que Bazile était souffrant et qu’il venait leremplacer, pour pouvoir transmettre des informations à Bartholo sur lecomte Almaviva. Le faux Alonzo a donc pris un risque en faisant participer àson mensonge une personne susceptible d’infirmer ses dires.

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y et u La stupéfaction de Bazile est exprimée par l’utilisation des modali-tés interrogative et exclamative portant sur des reprises de l’énoncé précé-dent, les points de suspension, et surtout les didascalies qui explicitentl’étonnement. On observe d’ailleurs une progression marquée par ces didas-calies. L’étonnement de Bazile est d’abord simple (« étonné »), puis expriméau comparatif (« plus étonné »), puis relayé par une stupéfaction de plus enplus grande (« stupéfait », « effaré »). Celle-ci se change alors en colère crois-sante (« impatienté », « en colère ») avant de redevenir étonnement extrême,cette fois exprimé à l’aide d’un superlatif (« au dernier étonnement »). Cesdidascalies suggèrent des jeux de scène, des mimiques de la part du comé-dien. Sa stupéfaction relève en cela autant du comique de gestes que ducomique de situation.

i La réplique de Bazile qui donne la clé de la scène est : « Qui diable est-cequ’on trompe ici ? Tout le monde est dans le secret ! » Bazile a repéré l’anomalie quiréside dans le fait que tous les autres personnages parlent bas et l’exhortent àse taire et qu’il n’en reste plus un seul susceptible de ne pas devoir entendrece que disent les autres. Cette réplique attire donc notre attention sur le faitque l’enjeu de la scène est moins le quiproquo que la ruse à laquelleBartholo participe à son insu et dont il est la victime sans le savoir.

o Bartholo croit tromper Rosine et Figaro en préparant son mariage avecl’aide d’Alonzo. C’est pourquoi il parle bas et demande à Bazile de ne pasnier qu’Alonzo est son élève et de ne pas s’expliquer sur l’homme de loi. Ilveut éviter de mettre Rosine au courant. En faisant cela, il ne fait que jouerle jeu de ses ennemis : en empêchant Bazile de parler, il ne lui permet pas derévéler l’imposture du Comte. Les deux clans – Bartholo d’un côté, leComte, Figaro et Rosine de l’autre – ont le même but (que Bazile ne parlepas), mais pour des raisons radicalement différentes et qui en réalité les oppo-sent. Beaumarchais souligne la méprise de Bartholo en lui faisant répéter ceque disent les autres personnages qui sont en fait ses ennemis, en lui faisantfaire bloc avec eux, parler d’une seule voix avec eux.

q Dans cette scène comme dans la scène 4 de l’acte III, le Comte joue enquelque sorte un double jeu. Il doit empêcher Bazile de le trahir, mais il doitaussi faire en sorte que Bartholo ne s’aperçoive de rien. Il fait donc semblantd’aider Bartholo en le conseillant. Il lui souffle ce qu’il doit dire et en cela lemanipule. Le Comte se transforme donc ici en souffleur de théâtre, chargé derappeler leur texte aux comédiens qui l’ont oublié.

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s Cette scène peut enfin apparaître comme une nouvelle satire de la méde-cine, dans la mesure où la situation oblige Bartholo à diagnostiquer unegrippe chez un sujet parfaitement bien-portant. Cette satire est soulignée parle fait qu’il engage son honneur : «D’honneur, il sent la fièvre d’une lieue. » Ledocteur se moque sans le savoir de sa propre activité, il est sa propre victime.

d Ligne 512, le Comte appuie les propos de Bartholo et de Figaro : « Vousnous faites mourir de frayeur. » Cette réplique a pour référent explicite la mala-die que tous prêtent à Bazile pour le renvoyer chez lui et l’empêcher deparler. Mais, si on la rattache à la situation que perçoivent le Comte, Figaroet Rosine, la réplique prend un autre sens. Bazile ne les effraie pas parcequ’il est malade (puisqu’il ne l’est pas) mais parce qu’il menace, par sa pré-sence, le bonheur des amoureux. Elle relève donc d’une forme d’ironie : elleénonce une chose tout en en signifiant une autre.

f Le rythme soutenu de cette scène est produit par la brièveté des répliques.Certaines sont laconiques (l. 474-475, 480, 487, 510, etc.) et l’effet est ren-forcé par la modalité exclamative qui domine le dialogue. Les enchaînementsdes répliques sont aussi responsables du rythme trépidant. Pour empêcherBazile de parler, les autres personnages l’interrompent (l. 467, 469 et 474) etc’est souvent un rebondissement sur le dernier mot de la réplique qui per-met de passer à la suivante. Il n’y a donc aucune suspension, aucun silenceentre les répliques. Cette hâte est justifiée par la situation : Bazile étantgênant, les autres personnages essaient de s’en débarrasser.

g C’est l’incompréhension de Bazile qui est essentiellement à l’origine del’enchaînement mot à mot des répliques. Ce procédé donne lieu à uncomique verbal particulier : le comique de répétition, et culmine dansl’échange des lignes 493 à 500 : l’expression « l’homme de loi » revient à sixreprises à la fin de chacune des répliques. Outre sa portée comique, cetterépétition a une dimension musicale, comme si chaque voix d’un orchestrereprenait tour à tour une même mélodie.

h On peut observer que cette scène est composée de séries de répliquescaractérisées par le fait que tous les personnages prennent la parole l’un aprèsl’autre. On peut, par exemple, relever les séries suivantes :– Rosine, Bazile, le Comte, Bartholo (l. 474-479) ;– Bazile, Bartholo, le Comte, Rosine, Figaro (l. 486-490) ;– le Comte, Figaro, Bartholo, Rosine, Bazile, puis tous (l. 511-520) ;– enfin, Bazile, Bartholo, le Comte, Figaro, Rosine (l. 522-529).

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C’est dans la deuxième partie de la scène que cette répartition est la plus sys-tématique. Elle détermine l’organisation et la progression de la scène, quicomprend deux parties (l. 454-503 et l. 505 à la fin), la seconde étant compo-sée de deux séries de prises de parole. Dans la première, on observe des micro-structures faisant alterner des séries de prises de parole successives de tous lespersonnages et des moments de « dialogue » entre Bazile et Figaro (l. 462-468), Bazile et Bartholo (l. 478-485), le Comte et Bartholo (l. 501-504).

j À la fin de la scène, tous les personnages s’adressent à Bazile en mêmetemps. Dans ces deux répliques (l. 521 et l. 532), ces personnages formentdonc une sorte de chœur chantant à l’unisson. Cette particularité fait ressor-tir le caractère arbitraire du langage dramatique.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 169 À 175)

Examen des textes

a La situation mise en scène dans le texte B ne paraît pas vraiment vraisem-blable. On pourrait accepter que Géronte pense que Scapin est victime enmême temps que lui des coups de bâton qu’il reçoit, mais le valet lui faitcroire que ce qu’il sent n’est rien par rapport à ses propres souffrances. OrGéronte ressent très bien la douleur. La vraisemblance voudrait donc qu’ilsorte la tête hors du sac et découvre la supercherie bien avant. Seul le ridi-cule du vieillard compense cette entorse au vraisemblable.

z Le point commun entre Scapin et le comte Almaviva est ici qu’ils tiennenttous les deux, fictivement, deux rôles à la fois : Scapin est en même temps lebourreau et la victime (apparente) ; Almaviva est en même temps l’allié(apparent) de Bartholo et celui de ses ennemis. Dans les deux cas, cette ambi-valence se traduit par un double langage qui prend la forme, dans la scène deMolière, d’un dialogue au second degré.

e Le texte C, même s’il est un texte romanesque, a bien sa place dans notrecorpus de textes dramatiques dans la mesure où il constitue une véritablescène dans le roman, avec entrée et sortie des personnages, personnages types,etc. C’est une petite scène de comédie dans le roman.

r Le personnage du texte D, prénommé Étienne, est l’instigateur du piègetendu à l’autre personnage, son ami Marcel. Il prononce des phrases qui sontà la fois adressées à son interlocuteur direct et au spectateur et qui ont un

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sens différent pour l’un et l’autre. Par exemple, en évoquant « la bonne farce », ilne pense pas à celle que Marcel croit avoir jouée à son parrain mais à celleque lui-même a jouée à son ami. Feydeau joue également sur le décalageentre le ton et le sens des répliques d’Étienne. Celui-ci rit de la même façonque Marcel, lui fait scrupuleusement écho, mais ses raisons sont différentes :c’est la signification de l’opposition entre «Oh ! non ! » et «Oh ! si ! ». Le tonsimilaire des deux répliques masque provisoirement leur différence et rend ladécouverte de la supercherie plus drôle encore.

Travaux d’écriture

Question préliminaire

Pour que le jeu de dupes fonctionne, il faut que le personnage qui en est lavictime soit aveuglé par son désir, son but. La peur pousse Géronte à seconfier sans méfiance à Scapin. La volonté de garder Rosine pour lui et deprendre toutes les précautions contre le Comte conduit Bartholo à suivresans aucune prise de distance les conseils d’Alonzo. Des Grieux, lui, est aveu-glé par la passion qu’il éprouve pour Manon et ne voit pas l’évidence, àsavoir que l’autre frère prétendu de la jeune fille est sans doute, comme lui,un de ses amants. Enfin, Marcel ne se rend pas compte qu’il est tombé dansun piège, parce qu’il est trop occupé par le piège qu’il croit lui-même être entrain de tendre. Ces scènes de comédie apparaissent donc aussi comme desréflexions sur la confiance et une critique de l’emportement, de l’excès, del’absence de prise de distance et de modération.

Commentaire

Introduction

La rencontre du prétendu « frère » de Manon a permis au héros Des Grieuxde s’introduire dans les milieux du jeu et de s’enrichir un peu. Mais, aprèsavoir été volé par ses domestiques, il est obligé d’accepter de jouer le rôle du« petit frère » de Manon dans l’escroquerie du vieux G… M… Ce passageconstitue une véritable scène comique insérée dans le roman, mais qui est lacible du comique dans cette scène ? qui est ridicule ? de qui se moque-t-on?

1. Une scène de comédie

A. Les personnagesLes personnages mis en scène ici rencontrent les types de la comédie, etnotamment de celle de Beaumarchais Le Barbier de Séville. En effet, M. de

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G… M… est un vieillard attiré par les jeunes femmes telles que Manon,semblable en cela aux barbons de la tradition comique. Prévost se livrecependant à un jeu de détournement de cette référence, puisque Manon n’arien d’une ingénue et il n’y a pas explicitement de personnages d’amoureux.De plus, le texte suggère discrètement que M. de G… M… pourrait bienaimer également les jeunes garçons :– « Le vieil amant parut prendre plaisir à me voir » ;– il a un geste équivoque : « il me donna deux ou trois petits coups sur la joue » ;– il voit en lui un « joli garçon » ;– il le met en garde contre la débauche parisienne, trahissant peut-être par làsa propre pensée.

B. Une écriture dramatiqueAu théâtre, le texte est composé exclusivement de dialogues et divisé en acteset en scènes matérialisés par la typographie mais aussi par les entrées et lessorties de personnages. Prévost utilise ici ces procédés pour signaler le débutet la fin de la « scène » et la structurer. On observera :– la parole rapportée au discours direct, d’autant plus intéressant que ce pro-cédé est assez rare dans le roman (l. 4 et sq., l. 17-28) ;– le discours direct, relayé par du discours indirect (« en me disant que j’étais unjoli garçon ») ou narrativisé (« il m’ordonna de lui faire la révérence », etc.) qui met-tent en valeur les gestes des personnages, équivalents des jeux de scène. Demême, des caractérisations comme «d’un air niais » ont valeur de didascalies ;– les verbes de mouvement au début du texte : « vint me prendre par la main »,«me conduisant » indiquant le déplacement, voire l’entrée des personnages.

C. L’explicitation du spectacle et du comiqueLe texte explicite sa nature et son statut de scène comique par :– la position de Manon, à la fois actrice et spectatrice de la scène. Elle neprend pas part au dialogue mais, public idéal de la comédie, perçoit tout lecomique de la scène comme l’indique la phrase : «Manon, qui était badine, futsur le point, plusieurs fois, de tout gâter par des éclats de rire » ;– l’explicitation du comique par celle du rire. Dans un paragraphe précédantcet extrait, le narrateur rappelle les raisons de cette comédie. Les complicesdécident de faire passer Des Grieux pour le petit frère de Manon afin que levieux G… M… n’abuse pas trop d’elle et pour se «donner le plaisir d’une scèneagréable ». Les mots « plaisir » et « agréable » sont aussi significatifs que le mot« scène ». À la fin du passage, le narrateur parle d’une « ridicule scène » : là encore,

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on trouve à la fois la référence au théâtre et à la comédie classique dont lamission était de dénoncer et corriger les ridicules.

2. Deux dupes pour un seul piège

Les armes de la moquerie dont les deux personnages de M. de G… M… etDes Grieux sont les cibles inconscientes peuvent s’analyser en terme d’iro-nie : en effet, le sens des énoncés, qu’ils émanent du narrateur ou des person-nages, ne s’interprète pas de la même façon selon le point de vue adopté.

A. L’ironie de la situationOutre le fait que les complices jouent une comédie à M. de G… M…, cetteironie-ci s’exerce surtout sur Des Grieux qui croit jouer un rôle mais à quiManon et Lescaut font en fait jouer son propre rôle, celui d’un enfant naïfqui n’a aucune expérience de la vie :– il occupe de fait une position d’infériorité ;– les verbes indiquent clairement une manipulation physique, reflet de lamanipulation morale dont il est la cible : «prendre », « conduire », « ordonner » ;– les pronoms personnels qui le désignent sont souvent en position d’objet.

B. L’ironie des dialogues• Les répliques de Lescaut et même celles de Des Grieux sont porteuses d’undouble sens : celui que perçoivent le héros et M. de G… M… et celui quegoûtent les lecteurs.• Ironie contre G… M… : les répliques adressées à Des Grieux («Vous aurezl’honneur de voir ici souvent Monsieur » et « faites bien votre profit d’un si bonmodèle ») présentent une ironie qui a pour cible le vieux G… M… Sa pré-sence n’est pas un «honneur » mais une honte ; l’expression «un si bon modèle »est antiphrastique ; « votre profit » est une syllepse (à entendre en même tempsdans son sens propre et dans son sens figuré, concret et abstrait). Les répliquesde Des Grieux sont à double sens : c’est au sens propre que les «deux chairs »de Manon et du jeune homme « se touchent de bien propre », et ce n’est pas entant que frère, mais comme amant, qu’il aime. Enfin, M. de G… M… parti-cipe à la farce dont il est la victime en trouvant une ressemblance entreManon et Des Grieux, alors qu’ils n’ont aucun lien de parenté.• Ironie contre Des Grieux : un enfant « fort neuf » peut désigner un enfantqui fait ses premières sorties dans le monde mais aussi un enfant très naïf, etc’est ce qu’est Des Grieux faisant sans cesse confiance à Manon ; « les airs deParis » peuvent renvoyer aussi à la débauche et aux dangers qui y règnent ;«un peu d’usage le façonnera » peut aussi bien désigner l’usage du monde que la

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pratique de l’escroquerie. Globalement, on peut dire que le comique naît dufait que le portrait «de comédie » du «petit frère de Manon » n’est pas très éloignéde ce qu’est en réalité Des Grieux.

C. L’ironie du narrateurLe dispositif narratif du roman de Prévost est celui du roman-mémoires, à la1re personne : un individu raconte sa propre histoire et occupe donc à la foisla place du narrateur et celle du personnage. Ici, on peut percevoir une cer-taine moquerie du narrateur à l’égard de celui qu’il était :– dans des effets de symétrie : « deux ou trois petits coups » répond à « deux outrois révérences » ;– dans l’agencement de la scène : le texte comprend en effet deux moments,un de dialogue et un où Des Grieux prend la parole (discours narrativisé)pour « raconter à G… M… sa propre histoire ». Il s’agit donc d’une mise enabyme de la scène qui est en train de se dérouler. Mais le narrateur prend sesdistances à l’égard de son personnage en ce qu’il explicite ainsi le fait quec’est aussi son histoire à lui que Des Grieux met en abyme sans le savoir. Etlorsque le narrateur dit : « son amour-propre l’empêcha de s’y reconnaître », ceténoncé peut aussi bien s’appliquer à Des Grieux qu’au vieillard.

Conclusion

Dans une scène comique, il faut toujours se demander de qui l’on rit. Cen’est pas toujours de celui qu’on croit et, parfois, il arrive même qu’il s’agissedes lecteurs ou des spectateurs eux-mêmes.

Dissertation

Le sujet invite à discuter de la validité de la définition bergsonienne du qui-proquo. On pourra adopter le plan suivant :

1. Illustration du quiproquo comique et de son mécanisme

A. La rencontre de plusieurs histoires autonomesExemple du dernier acte du Mariage de Figaro, immense quiproquo danslequel chaque personnage a une attente qui ne correspond pas à la réalité : leComte croit avoir rendez-vous avec Suzanne et il trouve sa femme ; Figarocroit être trompé et ne l’est pas ; etc.

B. La part du spectateurLe quiproquo est un puissant ressort comique parce qu’il invite le spectateurà se faire complice de l’auteur au-dessus des personnages.

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2. L’ambiguïté n’est pas toujours comique

A. Le quiproquo au service d’un message sérieuxDans Le Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux, l’intrigue est fondée sur unquiproquo plein de sens : même s’il n’aboutit pas au renversement des classessociales, il sert à dénoncer l’inégalité d’une société qui fait plus de crédit à lanaissance qu’au mérite. On reste dans le domaine de la comédie, mais elle aune dimension sérieuse, voire cruelle, puisqu’on peut supposer que les valetssouffrent de leur illusion.

B. L’ironie tragiqueLa situation dont parle Bergson n’est pas toujours comique puisqu’elle peutfigurer dans une tragédie ou un drame. De nombreux personnages des tragé-dies de Racine prononcent des paroles porteuses de ce que l’on appelle ironietragique : le personnage dit quelque chose qui, pour le spectateur, a le sensopposé. Dans la pièce de Musset On ne badine pas avec l’amour, Perdican sejoue de Rose qui interprète la situation de manière différente de ce qu’elleest vraiment. Ainsi le quiproquo comique peut être, hors de la comédie,méprise cruelle.

3. Le comique : une synthèse plus complexe

Le comique du quiproquo repose aussi sur d’autres ressorts du rire.

A. Les caractères et les thèmesLe quiproquo ne peut être comique que s’il met en scène au moins un per-sonnage ridicule (Géronte, Marcel, Bartholo) ou une situation typique de lacomédie (par exemple, le cocuage, comme dans Le Mariage de Figaro).

B. Comique d’intrigue et de gestesSouvent le quiproquo repose sur le déguisement qui est lui-même un instru-ment de la comédie. Il est également soutenu par une gestuelle comique(voir les gifles reçues par Figaro dans le dernier acte du Mariage).

Conclusion

La définition que Bergson donne du quiproquo est pertinente mais incom-plète. Elle ne tient pas compte du fait que la rencontre de plusieurs histoirespeut figurer dans la tragédie : par exemple, dans Bérénice de Racine, on peutpenser que Titus et Bérénice ne vivent pas la même histoire et c’est ce qui lessépare. Plus généralement, un texte littéraire contient toujours plusieurstextes possibles.

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Écriture d’invention

L’intitulé du sujet indique que l’élève n’est pas tenu de rédiger complète-ment un texte narratif mais d’en faire le canevas, de façon schématique.– Personnages : une bande d’amis de lycée, dont on distingue deux garçons.– Enjeu : l’un veut se venger de l’autre qui lui a soufflé une petite amie.– Ruse : pour cela, il lui fait une « fausse confidence » (il a surpris la jeune filleen train d’embrasser un troisième garçon). Mais l’autre apprend par une qua-trième personne, à qui le premier avait confié son projet, qu’il s’agit d’unmensonge. Il fait alors dire à son ami par cet informateur qu’il a cherché àattenter à ses jours de désespoir et qu’il est à l’hôpital entre la vie et la mort.– Résultat : le trompeur reçoit la monnaie de sa pièce ; il est rongé par uneculpabilité dont il a lui-même créé les causes.

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◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 190 À 192)

a Cette scène compte deux péripéties – ce qui est beaucoup pour une scènerelativement courte. D’abord, le Comte inverse la situation en révélant savéritable identité à Rosine. Croyant que Lindor la « vendait » au comteAlmaviva, Rosine ne voulait plus le suivre ; apprenant que Lindor est leComte, elle tombe dans ses bras. Le geste du Comte, indiqué par la didascalie(« jetant son large manteau, paraît en habit magnifique »), rapproche cette péripétiedu coup de théâtre. La seconde péripétie est amenée par Figaro : l’échelle queles complices avaient prévue pour leur fuite a été enlevée. Les voilà prison-niers : nouveau renversement de situation ; du bonheur suprême, on passe audanger, non sans quelque prise de distance de la part de Beaumarchais vis-à-vis de la dramaturgie classique. Ces péripéties déterminent donc trois mou-vements dans la scène : avant la première péripétie (l. 163-202), entre les deuxpéripéties (l. 203-213), et après la seconde (l. 214 à la fin).

z La première péripétie, ou retournement de situation, est d’abord signaléepar le moyen dramaturgique de la métamorphose vestimentaire : Lindor étaitun pauvre bachelier et devient tout d’un coup un Comte richement vêtu.Au sein de la réplique du Comte, ce changement est exprimé par un jeu depronoms, le Comte passant d’une énonciation à la 3e personne au « je » :

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« L’heureux homme que vous voyez à vos pied n’est point Lindor ; je suis le comteAlmaviva. » Le changement est donc autant dans le geste et dans l’habit quedans les mots. Le seconde péripétie est marquée par la modalité exclamativetraduisant la surprise et l’inquiétude des personnages mais aussi des specta-teurs, et par un jeu de mots sur le participe passé du verbe enlever : c’estl’échelle qui a été « enlevée », alors que c’était à Rosine d’être la victime(consentante) d’un enlèvement.

e Les péripéties de cette scène sont la conséquence d’événements anté-rieurs. Rosine a reçu froidement son amant, parce que Bartholo lui a montréla lettre qu’elle lui avait écrite en lui disant qu’il la tenait d’une femme à quile Comte l’avait sacrifiée (acte IV, scène 3). Bartholo était en possession decette lettre, parce que le Comte avait été obligé de la lui laisser pour gagnersa confiance et assurer son mensonge dans la scène 2 de l’acte III. La retraitedes complices est coupée, parce que, dans la scène 3 de l’acte IV, Rosine arévélé à Bartholo son prochain rendez-vous avec Lindor.

r Pourquoi Figaro allume-t-il toutes les bougies ? Parce qu’il fait nuit, d’ac-cord. Mais pourquoi les allumer toutes alors que cela risque d’attirer l’atten-tion et que le Comte a le projet d’emmener Rosine pour l’épouser chezFigaro ? Ici, la nécessité de l’espace scénique prime sur la logique. Beau-marchais fait allumer les bougies parce qu’il ne peut pas déplacer ses person-nages. Le mariage doit avoir lieu sur place et on a pour cela besoin delumière, juste assez pour créer une atmosphère nuptiale adéquate.

t Certaines répliques résument l’intégralité ou une partie de l’intrigue.C’est le cas de la révélation du Comte : « je suis le comte Almaviva, qui meurtd’amour et vous cherche en vain depuis six mois » ; ou encore cette phrase deRosine qui rappelle la scène 3 de l’acte IV : « J’ai tout avoué, tout trahi. »D’autres répliques, elles, racontent par avance le dénouement et la façondont Beaumarchais va nous y conduire : « [Bartholo] sait que vous êtes ici et vavenir avec main-forte » (c’est ce qui arrive dans la dernière scène, mais troptard) ; « vous serez ma femme » (c’est ce qui arrive dans l’avant-dernière scène).

y Tout comme certaines répliques de cette scène rappellent ce qui s’est passéou annoncent ce qui va se passer, certaines autres indiquent ce qui aurait puse passer. Ces événements qui n’auront pas lieu, mais auxquels les person-nages, le dramaturge et les spectateurs ont pu penser, sont plus graves que lesévénements actualisés par la pièce. C’est en cela que l’on peut dire queBeaumarchais inscrit dans cette scène des germes d’un drame possible, ou

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plutôt de trois drames possibles. Les deux premiers sont énoncés au momentoù Rosine ne sait pas encore qui est Lindor. Son histoire aurait pu être celled’une jeune fille qui quitte tout pour suivre un bachelier sans argent (l. 166-169 et l. 182-184), ou celle d’une orpheline vendue à un riche comte par unbachelier sans scrupule. Le dernier drame possible apparaît dans les répliquesde Rosine après la révélation du Comte : «Ah ! Lindor… Ah ! monsieur ! que jesuis coupable ! j’allais me donner cette nuit même à mon tuteur » et «Ne voyez quema punition ! J’aurais passé ma vie à vous détester. Ah Lindor ! le plus affreux supplice n’est-il pas de haïr, quand on sent qu’on est faite pour aimer ? »

u Beaumarchais traduit l’évolution des sentiments de Rosine par le change-ment d’énonciation, les variations de ton et de style de ses répliques. Ladidascalie initiale signale «un ton très composé », une certaine maîtrise, une froi-deur qui contrastent avec ses transports, son langage exclamatif, troublé des 2e et 3e parties de la scène. Ces inflexions sont surtout soulignées par le chan-gement des pronoms grâce auxquels Rosine s’adresse au Comte : elle utilised’abord la 2e personne du pluriel de politesse, mettant ainsi de la distanceentre lui et elle, puis exprime sa colère et son dégoût par le « tu » avant deretrouver le « vous », mais cette fois pour exprimer le plus grand respect.

i L’analyse des sentiments de Rosine passe par leur simple expression, ver-bale et extra-verbale (les larmes), mais aussi par leur commentaire. Dans salongue tirade, Rosine revient sur ses sentiments, son « remords » prochain, ses« bontés » passées, sa « faiblesse ». Mais l’analyse est plus efficace encore dans lesmaximes qu’énoncent tour à tour Figaro et la jeune fille : « la douce émotion dela joie n’a jamais de suites fâcheuses » (l. 205-206) ; « le plus affreux supplice n’est-ilpas de haïr, quand on sent qu’on est faite pour aimer ? » (l. 212-213). On reconnaîtle présent de vérité générale et l’indéfini « on » qui permettent de dépasserl’expression des sentiments dans leur analyse plus universelle.

o Beaumarchais exprime par l’intermédiaire de Rosine une pensée politiqueet sociale revendiquant l’égalité des individus au-delà des distinctions de ranget de richesse. «La naissance, la fortune ! Laissons là les jeux du hasard. » En utili-sant la métaphore du jeu de hasard pour désigner ces critères de la hiérarchiesociale, Beaumarchais se souvient peut-être de la pièce de Marivaux (Le Jeu del’amour et du hasard) dénonçant les mêmes réalités. Il exprime ainsi l’idée quela place d’un individu dans la société doit être fondée sur son mérite et nonsur ses origines et ses biens, et annonce les revendications de la Révolutionfrançaise.

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q De nombreux éléments infléchissent cette scène vers le drame bourgeois,caractérisé par son sérieux et sa dimension morale. Rosine, par exemple,laisse tomber des larmes. Elle utilise également un vocabulaire relevant duchamp lexical de la morale en parlant du caractère « irrégulier » (l. 173), c’est-à-dire contraire aux règles de la bienséance et de la vertu, de son rendez-vousavec le Comte, en utilisant l’adjectif «pures » (l. 177), les termes de « remords »(l. 182), d’« indignité » (l. 185), de «punition » (l. 211).

s Dans sa dernière réplique, Rosine fait preuve d’une grande générosité àl’égard de son tuteur. Malgré la tyrannie qu’il lui a imposée, elle renonce à sevenger : « Mon cœur est si plein que la vengeance ne peut y trouver place. » Par cerenoncement, Beaumarchais place encore sa comédie sur le chemin dudrame. L’absence de punition de Bartholo préserve l’atmosphère de gaieté dela pièce, mais la générosité de Rosine rappelle les élans de certaines héroïnestragiques pardonnant à leur bourreau. La générosité était, par exemple, auXVIIe siècle, un ressort essentiel de la tragédie cornélienne.

◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 193 À 200)

Examen des textes

a L’Illusion comique de Corneille repose sur le dispositif dramaturgique de lamise en abyme. En effet, la pièce présente une structure enchâssée : il y a unepièce, et même plusieurs, trois actes de comédie et un acte de tragédie, à l’in-térieur de la pièce. La mise en abyme est même double si l’on considère queles spectateurs regardent le spectacle d’Alcandre offrant par la magie àPridamant de voir son fils qui joue lui-même un spectacle. C’est cette struc-ture, cachée à Pridamant comme aux spectateurs durant toute la comédie,qui est dévoilée dans la dernière scène, coup de théâtre contenu dans unedidascalie : « Ici on relève la toile et tous les comédiens paraissent avec leur portier, quicomptent leur argent sur une table, et en prennent chacun leur part.»

z Voici la péripétie finale d’Iphigénie : Clytemnestre (et les spectateurs) croitsa fille morte et apprend qu’elle a été épargnée. Il n’y a pas là de reconnais-sance. Mais ce retournement de situation n’est que la conséquence d’unautre rebondissement, non représenté sur scène : il s’agit du dévoilement parles dieux de l’identité d’Ériphile, fille d’Hélène et de Thésée, égalementappelée Iphigénie. Cette fois, on est bien en présence d’une reconnaissance.

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e Dans cette dernière scène de la pièce de Giraudoux, une première péripé-tie est constituée par l’arrivée de Demokos, poète troyen chargé de compo-ser le chant de guerre de la patrie et partisan du conflit pour cette raison. Ils’oppose à Hector qui a décidé de rendre Hélène aux Grecs, dont Oïax est lereprésentant. Pour éviter la guerre, Hector tue Demokos, mais celui-ci, avantde mourir, accuse Oïax : c’est un nouveau motif de guerre et donc la secondepéripétie. Pour matérialiser ces deux revirements, le dramaturge indique dansles didascalies que le rideau commence à se baisser, puis se relève.

Travaux d’écriture

Question préliminaire

Pour Aristote et toute la dramaturgie classique, la péripétie doit être vraisem-blable et nécessaire, c’est-à-dire d’abord que le spectateur doit pouvoir ycroire sans difficulté et ensuite qu’elle doit être liée aux événements précé-dents par un lien de cause à effet.Le coup de théâtre de L’Illusion comique est inattendu mais parfaitement vrai-semblable si l’on admet l’hypothèse du magicien. Il est de plus préparé par lebrusque changement de décor et de ton entre les actes : cette inflexion peutdonner à deviner au spectateur de quoi il retourne.En revanche, pour une fois, Racine a pris un peu de liberté, toute relative, àl’égard des règles. En effet, le sauvetage in extremis d’Iphigénie par l’existenced’une autre Iphigénie, qui durant toute la pièce est connue sous le nom d’Ériphile, relève de la coïncidence et semble manquer de nécessité. MaisRacine justifie son dénouement, fondé sur une « reconnaissance» originale, dedeux façons : il place la péripétie sous le signe des dieux et de la fatalité, luirendant ainsi sa nécessité, et il s’appuie sur une version existante du mythe. Ilprévient toute critique dans sa préface : « Je puis dire que j’ai été très heureux detrouver dans les Anciens cette autre Iphigénie, que j’ai pu représenter telle qu’il m’a plu,et qui, tombant dans le malheur où cette amante jalouse voulait précipiter sa rivale,mérite en quelque façon d’être punie, sans être pourtant tout à fait indigne de compas-sion.Ainsi le dénouement de la pièce est tiré du fond même de la pièce. » Il est vraique cette solution était pour les spectateurs de l’époque plus acceptable que lemiracle d’une autre version où Diane remplaçait la jeune fille par une biche.Beaumarchais, comme souvent, met à distance les règles de la dramaturgieclassique en jouant sur le nombre, le rythme et l’éclat des péripéties.

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Giraudoux, lui, même s’il écrit à une tout autre époque, semble les respecter :il n’est pas surprenant que ce soit par Demokos, belligérant hargneux tout aulong de la tragédie, que la guerre arrive finalement, et Giraudoux se sert pourcela d’un ressort profondément humain, le mensonge et la vengeance, etdonc parfaitement vraisemblable.

Commentaire

Introduction

L’avant-dernière scène d’Iphigénie se termine par ce vers de Clytemnestreapercevant Ulysse, qui avait soutenu le sacrifice d’Iphigénie : « C’est lui. Mafille est morte ! Arcas, il n’est plus temps. » La dernière scène dont est extrait letexte à commenter dément ce dénouement pour clore la tragédie de façonmoins cruelle. Mais Racine prend soin de placer cette heureuse surprise sousle signe des dieux et de la fatalité pour que la tragédie reste tragédie.

1. Une double surprise

Le retournement de situation porte en fait sur deux points :

A. Iphigénie en vie !La révélation est soulignée d’abord par une opposition très marquée entre lasituation présente et la situation précédente :– opposition mise en valeur par le parallélisme des tournures : « Ma fille estmorte ! » est démenti par «Votre fille vit », quasiment à la même place dans leurvers respectif ;– opposition des caractérisations dans la tirade-récit d’Ulysse : « heureuxmoment », «de joie et de ravissement » s’opposent à « si mortel » (les deux élémentsétant de plus hyperboliques) et à « fatal », « funeste », « spectacle affreux » ;– structure antithétique de la première partie du récit, qui oppose la menace àsa résolution : premier temps de récit proprement dit marqué par l’anaphorede l’adverbe «déjà » ; second temps constitué par les paroles de Calchas rappor-tées au discours direct, qui expliquent l’oracle du dieu et sauvent Iphigénie ;– opposition réfléchie à l’intérieur du récit par deux éléments : l’oppositionentre Achille et l’armée renforcée par un chiasme (« voyait pour elle Achille etcontre elle l’armée »), l’action d’Achille ayant pour conséquence la division desdieux ; l’existence de deux Iphigénie elles-mêmes antithétiques (« Un autresang d’Hélène, une autre Iphigénie ») ;– enfin, la péripétie exprimée par la modalité exclamative associée à la briè-veté des propositions et aux interjections dans les répliques de Clytemnestre.

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B. Un messager inattenduLa surprise de Clytemnestre porte autant sur l’annonce que sa fille est en vieque sur l’identité de celui qui s’est chargé de cette annonce. En effet, Ulysse,comme le rappelle sa deuxième réplique, avait poussé au sacrifice. Le change-ment d’attitude du personnage est souligné par :– l’utilisation du présentatif « c’est » suivi d’une subordonnée relative : « et c’estvous qui venez me l’apprendre » (la nouvelle est d’autant plus incroyable quec’est Ulysse qui l’apporte) ; tournure que reprend Ulysse : « Oui, c’est moi »,«Moi, qui » ;– le verbe « réparer » : Ulysse veut se racheter de sa conduite enversClytemnestre.

2. Une relecture de la tragédie et du mythe

A. Récit rétrospectif et bilanLa scène dernière de la pièce revient sur les événements passés. Elle clôt ainsila tragédie en la reflétant. Cette dimension rétrospective s’inscrit dans plu-sieurs éléments :– les temps verbaux : essentiellement le passé composé renvoyant à un passéproche, qui a encore des liens avec le présent ; on trouve également l’impar-fait, temps de la description, qui sert ici à rappeler les principaux événementsde la pièce, comme s’ils avaient lieu une seconde fois pour rencontrer undénouement différent (aspect sécant de l’imparfait contrairement à l’aspectglobal du passé simple qui saisit l’action dans sa totalité achevée) ;– les adverbes de temps « longtemps », « tantôt », «déjà » répétés plusieurs fois etrappelant la dramatisation de l’action tragique tendue vers son dénouement.Adverbes qui s’opposent à « enfin » (v. 8) ;– le sujet « jour » (v. 14) rappelant l’unité de temps que doit respecter la tragédie ;– la tirade d’Ulysse résumant l’action de la pièce : les vers 19-21 rappelant lalutte d’Achille pour sauver sa bien-aimée renvoient à la scène 6 de l’acte IVdans laquelle Achille menace Agamemnon ;– ce retour sur le passé de la tragédie crée un effet de clôture. En effet, le récitd’Ulysse fait écho à celui d’Agamemnon dans la première scène de l’acte I(« J’offris sur ses autels un secret sacrifice »).

B. Une version rare du mytheLe récit d’Ulysse est également une relecture du mythe d’Iphigénie. Eneffet, dans la version la plus courante (Eschyle, Sophocle, Lucrèce et

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Horace), la fille d’Agamemnon était bel et bien sacrifiée – ce qui était tropcruel pour les bienséances classiques. Une autre version (Euripide etOvide) voulait que la déesse Diane la remplaçât par une biche au derniermoment. Racine a préféré aller chercher (chez Pausanias) le personnaged’Ériphile, amante jalouse, morbide et méchante d’Achille, pour sauver sonIphigénie.

3. La volonté des dieux

A. La part des dieuxMême si la substitution d’une Iphigénie par une autre n’est pas un véritablemiracle, le dénouement est quand même orchestré par les dieux, présentspartout et sous toutes les formes stylistiques :– désignation explicite : « les dieux sont contents » (v. 1), « quel dieu me l’a ren-due ? » (v. 11), et aussi vers 21, 26, 28, 41 ;– désignation métonymique : « le ciel a voulu vous la rendre » (v. 2), « le ciel estapaisé » (v. 8), « ô ciel ! » (v. 10) ;– désignation allégorique : « la Discorde maîtresse » (v. 15).

B. La rémission d’UlysseIl n’est pas innocent que ce soit Ulysse qui vienne annoncer la nouvelle àClytemnestre. Nous avons vu que c’est une façon de réparer ses torts enverselle, mais c’est aussi prouver sa soumission aux dieux. Ulysse, dans la pièce, estcelui qui défend le parti de la guerre et donc du sacrifice, et ce même si lesdieux avaient été contraires à ce projet. Il le dit au vers 6, il était « jaloux tan-tôt de l’honneur de [leurs] armes ».De plus, dans la tradition littéraire depuis Homère, Ulysse est caractérisé parsa ruse, c’est-à-dire qu’il est le représentant de l’intelligence humaine,presque émancipée des dieux.

Dissertation

On pourra approfondir les pistes suivantes :

1. Justification de la lecture «dans l’ordre »

A. Le plaisir de la découverte et le charme du suspense• Il favorise le processus d’identification.• Il permet de vivre les aventures des héros en même temps qu’eux.• Plaisir de l’angoisse dans l’attente du dénouement.

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B. Le respect de l’ordre du livreL’objet livre, l’organisation en chapitres ou en scènes successifs font l’objetd’une attention de la part de l’écrivain et il faut respecter ce travail en lisant«dans l’ordre » des pages.

2. Limites de ces justifications : pour une lecture dans le désordre

A. Certains textes ne sont pas conçus linéairement.C’est le cas des recueils de poèmes : on peut lire Les Fleurs du mal en suivantl’ordre choisi par Baudelaire ou en tenant compte de la date d’édition dechaque poème (deux éditions des Fleurs, en 1857 et en 1861).

B. Lire pour étudierLa lecture «dans l’ordre » est une lecture de distraction, d’évasion, qui ne s’at-tache qu’à l’histoire racontée et qui ne concerne pas tous les genres litté-raires. Lorsqu’on veut lire un texte au sens d’étudier, il faut sans cesse reveniren arrière, faire des rapprochements entre les différentes parties, etc.

3. Une autre forme de découverte

A. La découverte du style de l’auteurPour découvrir le style de l’auteur, sa singularité, il n’est pas nécessaire de lire«dans l’ordre » et de s’attacher à l’histoire. Flaubert, avec Madame Bovary, vou-lait faire « un livre sur rien » qui tiendrait par la seule force de son style. Onpeut donc lire des pages de Flaubert sans lire le roman du début à sa fin : leplaisir de la découverte sera là ainsi qu’une certaine forme de suspense.

B. Certaines œuvres font même de l’écriture l’aventure qu’elles racontentMarcel Proust fait raconter à son narrateur, dans À la recherche du temps perdu,comment il devient écrivain. On peut donc essayer de lire ces milliers depages « dans l’ordre », mais on peut aussi goûter, dans chaque volume, lamanifestation de cette aventure de l’écriture.

Écriture d’invention

Pour écrire la dernière scène du «drame possible » suggéré par la scène 6 del’acte IV du Barbier de Séville, il faut d’abord rappeler ce qu’est un drame.C’est une pièce de théâtre mettant en scène des personnages issus de la bour-geoisie et destinée à la bourgeoisie. C’est une pièce de théâtre devant s’adres-ser à la sensibilité du spectateur, le toucher profondément par des sentimentset de la morale, éventuellement faire couler ses larmes. Pour jeter les bases de ce dénouement « dramique » comme dirait Beaumarchais, il faut donc

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modifier un peu les données de la pièce et pour cela oublier ce qui précèdeet ne retenir que la scène qui sert de point de départ.Mettons donc que :– le comte Almaviva n’existe pas ; Lindor est Lindor, ou plutôt Dorlin,obtenu par anagramme et pour rappeler le Dorval du drame Le Fils naturel deDiderot, un jeune homme pauvre et ignorant qui sont ses parents ;– Rosine (ce nom n’a pas besoin d’être changé) pleure beaucoup croyantavoir été trompée par son amant, croyant être déshonorée à jamais, Bartholo,ou plutôt Barreau (nom à la fois évocateur de la prison mais également àconnotation bourgeoise et non italo-comique), refusant de lui pardonner etla chassant de la maison ;– voilà Dorlin qui arrive pour enlever Rosine et la priver de sa vertu. Devantses larmes, il renonce à son projet criminel et pleure avec elle à chaudeslarmes ;– Barreau, le tuteur tyrannique, surgit à son tour, s’emporte d’abord, inter-roge le jeune homme qui, en plaidant sa cause, fournit des informations capi-tales permettant à Barreau de reconnaître son fils qu’il croyait perdu depuistoujours. Ils tombent dans les bras l’un de l’autre et Barreau unit bientôtRosine à Dorlin, ses «enfants ».Et Figaro dans tout cela ? Pour savoir si Figaro a sa place dans un drame, c’estune autre histoire : elle s’appelle La Mère coupable.

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B I B L I O G R A P H I E C O M P L É M E N TA I R E

– Gabriel Conesa, La Trilogie de Beaumarchais, Presses universitaires de France,Paris, 1985.

– Béatrice Didier, Beaumarchais ou la Passion du drame, Presses universitaires deFrance, Paris, 1994.

– Violaine Géraud, Beaumarchais, l’aventure d’une écriture, Champion, Paris,1999.

– Pierre Larthomas, «Le style de Beaumarchais dans Le Barbier de Séville et LeMariage de Figaro », L’Information littéraire, n° 33, avril 1981.

– René Pomeau, «Le Barbier de Séville : de l’intermède à la comédie », Revued’histoire littéraire de la France, novembre-décembre 1974.

– Gunnar von Proschwitz, Introduction à l’étude du vocabulaire de Beaumarchais,Slatkine, Genève, 1981.

– Philip Robinson, Beaumarchais et la Chanson : musique et dramaturgie des comé-dies de Figaro,Voltaire Foundation, Oxford, 1999.