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1. AUTOUR DU LIVRE ROUGE 2. C.G. JUNG ET LASIE

02 19

TEXTES DE SONU SHAMDASANI

C.G. Jung Mon exprience la plus difficile Retrouver son me Voyage vers le centre : le mandala Liber Primus:la voie de ce qui est venir Expressions symboliques Atmavictu, le souffle de vie La pierre

02 04 07 08 11 12 17 18

2 C.G. Jung

Le psychologue et psychiatre Carl Gustav Jung est lune des personnalits suisses les plus clbres du xxe sicle. Il est gnralement reconnu comme lun des principaux protagonistes de la pense occidentale moderne et son uvre continue de susciter des polmiques. Jung a jou un rle crucial dans la formation de la psychologie, de la psychothrapie et de la psychiatrie contemporaines, et un grand nombre de reprsentants de la psychologie analytique dans le monde se rclament de lui. Son uvre a exerc une influence encore plus vaste en dehors des milieux spcialiss et ses ides ont t largement divulgues, que ce soit dans le domaine de lart, des sciences humaines, du cinma ou de la culture populaire. Jung a par ailleurs t lun des promoteurs les plus zls de la pense asiatique quil a fait connatre au public occidental, en prfaant notamment une traduction du Yi-king et en publiant des commentaires sur Le mystre de la Fleur dOr, Le Livre tibtain de la grande libration et le Bardo Thdol (Livre tibtain des morts), mais aussi en collaborant avec des spcialistes de lindologie et des sinologues rputs. Son uvre psychologique a permis de nombreuses personnes de redonner un sens leur vie. Toutefois, cette uvre se fondait sur une cosmologie personnelle que seuls quelques rares privilgis ont pu entrapercevoir. Le Livre Rouge: Liber Novus, dont la rcente publication a t unanimement salue par le public international, en constituait llment central. Louvrage original calligraphi ainsi que des uvres symboliques qui lui sont rattaches sont exposs ici pour la premire fois en France. 1. Sans titre, 1901-02 : Au verso, Jung a not : A ma mre bien-aime pour Nol, 1901, et pour son anniversaire, 1902. 2. Sans titre, 1905 : Ce paysage reprsente probablement une vue de la rive du Rhin, prs de Schaffhouse. 3. Paysage de la Seine et nuages, 1902 : Jung a not au dos de cette peinture Paysage de la Seine avec des nuages, ma chre fiance pour Nol, 1902. Dans un journal, en 1898, Jung nota Le spectacle dun ciel nuageux possde un caractre titanesque. Les masses de nuages qui slvent semblent vouloir craser la terre qui tente de se cacher. Elles avancent une altitude incroyable, pics gigantesques plongs dans la lumire clatante du soleil, grands abysses inonds de lumire, et stendant au-dessus deux, dans une clart et un calme infinis, le ciel bleu.

1. SANS TITRE, 1901-02Craie sur carton, Collection particulire

2. SANS TITRE, 1905Craie sur carton Collection prive, Suisse

3. PAYSAGE DE LA SEINE ET NUAGES, 1902Aquarelle sur carton Collection particulire

C.G. JUNG, 1949Photo de Dmitri Kessel

C.G. Jung 3

4 C.G. Jung

Cest durant la Premire Guerre mondiale que Jung labore ses principales thories psychologiques, celles des archtypes, de linconscient collectif et du processus dindividuation, et quil transforme la psychothrapie mthode lpoque surtout destine traiter les malades en un moyen dapprofondissement et de dveloppement de la personnalit. Cela aboutira lmergence de la psychologie analytique en tant que discipline thorique et forme de psychothrapie. Cette recherche intrieure se fonde sur un processus dauto-exprimentation qui avait dbut au cours de lhiver 1913. Jung donnait libre cours son imagination et consignait soigneusement ce qui sensuivait. Plus tard, il appellera ce processus imagination active et encouragera son utilisation comme mthode psychothrapeutique. Il note les fantasmes qui le hantent dans de petits Cahiers noirs. Lorsque la Premire Guerre mondiale clate, Jung ralise quun certain nombre de ces fantasmes taient des prmonitions de cet vnement. Cela le conduira composer la premire bauche du manuscrit du Liber Novus, dans lequel il a retranscrit les principaux fantasmes nots dans ses Cahiers noirs, en les accompagnant de commentaires interprtatifs rdigs dans un style potique. Il sagit dun ouvrage

majeur dans son uvre, car il contient en germe ses travaux plus tardifs, et lon peut affirmer que le Livre Rouge aura t louvrage indit le plus influent de toute lhistoire de la psychologie. 4. Esquisse,1917:Il sagit dune esquisse prparatoire de la premire page du Liber Secundus , qui constitue la deuxime partie du Livre Rouge. Le texte calligraphi provient dun mythe de la cration babylonien qui ne figurait pas dans le Liber Novus:La Mre Huber, qui forma toutes choses, Donna des armes irrsistibles,engendra des serpents gants Aux dents aiguises, impitoyables tous gards ; Elle remplit leur corps de poison au lieu de sang. Elle dota de fcondit des salamandres gigantesques et furieuses ; Elle les fit senfler dun clat effrayant et se dresser vers les hauteurs. Qui les a contemples devrait svanouir de terreur ; Leurs corps devraient se cabrer, sans quelles se retournent pour prendre la fuite.4. ESQUISSE, 1917Encre, peinture et crayon sur papier-parchemin. Collection particulire

Cest la premire page de la deuxime partie du Livre Rouge:le Liber Secundus, intitule Les Images de lErrant, qui

C.G. Jung 5

comprend la citation suivante en latin, tire du Livre de Jrmie dans lAncien Testament:Ncoutez pas les paroles des prophtes qui vous prophtisent. Ils vous entranent des choses de nant, ils disent les visions de leur propre cur, et (Jrmie XXIII, 16). Jai entendu ce quenon ce qui sort de la bouche de lEternel. disent ces prophtes qui prophtisent en mon nom le mensonge, disant: Jai eu un songe; jai eu un songe! Jusques quand ces prophtes veulent-ils, ces prophtes, prophtiser le men-songe, prophtiser la tromperie de leur coeur ? Ils pensent faire oublier mon nom mon peuple par les songes que chacun deux raconte son prochain, comme leurs pres ont oubli mon nom pour Baal ? Que le prophte qui a eu un songe raconte ce songe; que celui qui a entendu ma parole rapporte fidlement ma parole. Pourquoi mler la paille au froment ? dit lEternel. (Jrmie XXIII, 2528).

Rockefeller McCormick, qui en avait t linitiatrice. La page de titre sintitule: Les Sept Sermons aux Morts. Ecrit par Basilide Alexandrie, la ville o lOrient et lOccident se touchent. Traduit en allemand du texte original grec. Cette lgende tmoigne de linfluence stylistique de lrudition classique de la fin du xixe sicle sur Jung. Basilide fut un philosophe chrtien dAlexandrie, de la premire moiti du iie sicle. Sa vie est trs peu connue, et seuls ont survcu des fragments de son enseignement (aucun de sa main), prsentant un mythe cosmogonique. Brouillon avec corrections crites la main, copie carbone originale, Collection particulire:En 1914/15, Jung fait dactylographier son manuscrit, le publie et le fait circuler parmi quelques-uns de ses collgues, afin de connatre leur avis. Au milieu des annes 1920, il reprit ce manuscrit et y ajouta des corrections, comprises dans les paragraphes quil avait dj trans-crits dans le volume calligraphi. 5. Cahiers noirs Tomes 27:Jung a crit dans ces cahiers relis de cuir noir jusquen 1902, puis les a laisss de ct. Il les reprend en 1913, et, dans les premires inscriptions, il sadresse son me (anima), expliquant comment celle-ci lui a t ravie et lvnement important que constitua son retour. Jung a comment ses fantasmes les plus rvlateurs dans son Liber Novus jusquen 1916. Aprs cette date, la cosmologie personnelle de Jung continuera

5. CAHIERS NOIRSTomes 27 Fondation des uvres de C.G. Jung, Zurich

Brouillon manuscrit, sans date, Collection particulire:Lorsque la Premire Guerre mondiale clate, Jung est convaincu que ses visions intrieures taient des prmonitions de cet vnement. Cest alors quil crit ce premier brouillon des deux premires parties du Liber Novus. Septem Sermones ad Mortuos (Les Sept Sermons aux Morts), Collection particulire : Jung avait publi les Sept Sermons aux Morts titre priv, loccasion de la fondation du Club psychologique de Zurich, le considrant comme un cadeau Edith

6 Mon exprience la plus difficile

de se dvelopper sous forme de fantasmes jusquen 1932. Ceux-ci sont parfois directement lis certaines des illustrations du Liber Novus. A partir de cette date, il se tournera vers ltude psychologique de lalchimie europenne, afin dtablir un point historique de comparaison. Selon lui, lalchimie reprsentait la projection d imaginations inconscientes en des procds matriels, et elle dpeignait symboliquement le processus d individuation. Celui-ci tait comparable ses expriences intrieures et ce quil avait observ chez ses patients. 6. Le Livre Rouge:Lorsque la Premire Guerre mondiale clate, Jung est convaincu que ses visions intrieures taient prmonitoires de cet vnement. Il rdige alors la premire bauche manuscrite des deux premires parties du Liber Novus. Il le fit ensuite dactylographier, le publia et le distribua certains collgues afin quils fassent leurs commentaires. Au milieu des annes 1920, il reprit le manuscrit et apporta de nouvelles corrections, y compris aux contenus quil avait dj retranscrits dans le volume calligraphi. Version calligraphie des Septem Semones (Fondation des uvres de C.G. Jung, Zurich):Au dbut de 1916, Jung vcut toute une srie dvnements parapsychologiques qui le frapprent. Il se souvient:Le dimanche, laprs-midi, cinq heures, la sonnette de la porte dentre sonna toute vole [...] Tous, nous

courmes aussitt la porte pour voir qui tait l, mais il ny avait personne! Je me trouvais non loin de la sonnette , lentendis et vis le battant de la clochette en mouvement. Nous nous sommes tous regards, pantois ! Latmosphre tait couper au couteau. Je me rendis compte quil fallait que quelque chose se passt. La maison entire tait comme emplie par une foule, elle tait comme pleine desprits. Ils se tenaient partout, jusque dessous la porte, et on avait le sentiment de pouvoir peine respirer. Naturellement, une question me brlait les lvres: Au nom du ciel, mais quest-ce-que cela? Alors il y eut comme une rponse en chur: Nous nous en revenons de Jrusalem, o nous navons pas trouv ce que nous cherchions. Ces mots correspondent aux premires lignes des Sept Sermons aux Morts. Alors les mots se mirent couler deux-mmes sur le papier et en trois soires, la chose tait crite. A peine avais-je commenc crire que toute la cohorte desprits svanouit. La fantasmagorie tait termine. La pice fut nouveau tranquille et latmosphre pure . Les morts taient apparus dans une vision du 17 janvier 1914. Ils disaient quils partaient pour Jrusalem afin de prier sur les tombes les plus saintes. Leur voyage ne fut manifestement pas un succs. Le chapitre des Sept sermons aux morts marque une apoge des fantasmes visionnaires de cette priode. Cest une cosmologie psychologique qui a pris la forme dun mythe de la cration gnostique.

6. LE LIVRE ROUGEBrouillon dactylographi, copie carbone originale Fondation des uvres de C.G. Jung, Zurich

Retrouver son me 7

LE LIVRE ROUGE19141930 Fondation des uvres de C.G. Jung, Zurich

Les diffrents chapitres du Liber Novus sont conus selon un plan particulier: ils commencent par lexposition de fantasmes visuels spectaculaires, dans lesquels le moi de Jung rencontre toute une srie de personnages voluant dans des dcors dune grande diversit. Le dialogue sinstaure entre eux et Jung est confront des vnements inattendus et des dclarations choquantes. Il essaie alors de comprendre ce que ces visions signifient. Cela le conduit aborder une quantit de sujets troitement lis. Il sagit dabord de se comprendre soi-mme, puis dintgrer et de dvelopper les diffrentes composantes de sa personnalit; analyser la structure de la personnalit humaine en gnral ainsi que la relation quentretient lindividu avec la socit actuelle et la communaut des morts; saisir quels ont t les effets psychologiques et historiques du christianisme; enfin, essayer dimaginer comment la religion va voluer lavenir en Occident.

Le thme gnral de cet ouvrage est la manire dont Jung recouvre son me et surmonte le malaise contemporain de lalination spirituelle. Il y arrivera finalement en permettant quune nouvelle image de Dieu renaisse dans son me et en dveloppant une nouvelle vision du monde sous la forme dune cosmologie psychologique et thologique. Le Liber Novus constitue le prototype de la conception que Jung se fait du processus dindividuation un processus quil considrait comme la forme universelle du dveloppement psychologique personnel.

8 Voyage vers le centre : le mandala

Dans le bouddhisme tibtain, le mandala (mot sanskrit signifiant cercle) est un instrument rituel utilis comme aide la mditation et la concentration. En 1916, Jung peint son premier mandala, le Systema mundi totius (Systme du monde entier), qui reprsente la cosmologie des Septem sermones ad mortuos (Sept sermons aux morts), sans se soucier de sa signification. A la fin de lt et au dbut de lautomne 1917, il dessine au crayon dans son carnet militaire une srie de mandalas quil reproduira plus tard dans le Liber Novus. Peu peu, il ralise ce que signifie vritablement un mandala: Formation Transformation, voil lactivit ternelle du sens ternel. (Goethe, second Faust) Mes dessins de mandalas taient des cryptogrammes sur ltat de mon Soi, qui mtaient livrs journellement. (Ma Vie, pp. 227/228). Jung concevait le mandala comme une expression du Soi quil dfinira plus tard comme la totalit de la personnalit et larchtype central dont les symboles ne sont pas diffrents de ceux de Dieu. La ralisation du Soi constituait pour lui lobjectif du processus de dveloppement et dindividuation

dans lequel il stait engag. Jung a not que les mandalas sont rpandus dans le monde entier et dans les traditions religieuses les plus diverses. Ils se manifestent aussi spontanment dans les rves et dans certains tats de conflit psychique. 7. Mandala de Yamantaka, vers 17001750:Ce mandala tibtain tait accroch dans le cabinet de travail de Jung. 8. Systema mundi totius, 1916 [Systme du monde entier] : Au dos de cette peinture, Jung a not: Cest le premier mandala que jai ralis, en 1916, compltement inconscient de ce quil signifiait. Ce mandala qui a t publi anonymement en 1955, accompagn dun commentaire interprtatif, reprsente la cosmologie symbolique des Septem Sermones ad Mortuos (Les Sept sermons aux morts). Il reprsente le paradoxe que constitue un microcosme lintrieur dun macrocosme, et ce qui les oppose. Tout en haut, on peut voir la figure du jeune garon dans luf ail; appel Erikpaios ou Phans, en tant que crature spirituelle, il rappelle des dieux orphiques.

7. MANDALA DE YAMANTAkA, TIBET, VERS 17001750Pigments minraux sur tissu Collection Eric Baumann

8. SYSTEMA MUNDI TOTIUS, 1916[Systme du monde entier] Dtrempe sur parchemin (?) Collection particulire

Voyage vers le centre : le mandala 9

10 Voyage vers le centre : le mandala

Sa sombre figure antithtique dans les profondeurs des Enfers est ici dsigne comme Abraxas. Reprsentant le dominus mundi, matre du monde physique, cest un crateur de nature ambivalente. De son corps jaillit larbre de vie portant linscription vita (la vie) auquel fait pendant, dans la partie suprieure, un arbre lumineux ayant la forme dun candlabre sept branches et dsign par les mots ignis (le feu) et Eros (lamour). Sa lumire est dirige vers le monde spirituel de lEnfant divin. Lart et la science appartiennent galement ce royaume spirituel, lart tant reprsent sous la forme dun serpent ail et la science sous celle dune souris, elle aussi aile (symbole dune activit qui creuse des trous!). Le candlabre est bas sur le principe du trois, chiffre sacr (deux fois trois flammes et une grande flamme au centre), tandis que le monde infrieur dAbraxas est caractris par le chiffre symbolisant lHomme naturel, le cinq (son toile comptant deux fois cinq branches). Les animaux accompagnant le monde naturel sont un monstre diabolique et une larve. Cette dernire symbolise la mort et la renaissance. Le mandala est galement divis lhorizontale. Sur la gauche, dune sphre interne symbolisant le corps ou le sang, surgit un serpent qui senroule autour du phallus, en tant que principe gnrateur. Le serpent, sombre et lumineux, fait allusion au royaume tnbreux de la Terre, de la Lune, et du Vide (et est,

par consquent, appel Satan). Le resplendissant royaume de la plnitude se trouve sur la droite, l o la colombe du Saint-Esprit senvole du cercle lumineux frigus sive amor dei [froid, ou lamour de Dieu] tandis que la sagesse (Sophia) se dverse sur la gauche et sur la droite dun double calice Cette sphre fminine est celle du Ciel. La sphre la plus grande, caractrise par des lignes en zigzag ou rayons, reprsente un soleil intrieur; dans cette sphre, le macrocosme est encore une fois reproduit le haut et le bas tant toutefois inverss, comme dans un miroir. Ce macrocosme se rpte linfini, son image devenant toujours plus petite, jusqu ce que le centre le plus intime le microcosme proprement dit soit atteint. 9a-9b. 25 dessins de mandalas, 1917 : - Note sur les mandalas du 4 aot et du 6 aot 1917: Aprs avoir dessin le premier de ces deux mandalas, Jung reut une lettre dans laquelle sa collgue Maria Moltzer soutenait que les fantasmes surgis de linconscient avaient une valeur artistique. Cette rflexion troubla Jung, car elle veillait en lui un doute quant la spontanit vritable de ses fantasmes. Le mandala quil dessina le jour suivant prsentait un cercle bris, ce qui lamena raliser que les mandalas taient des cryptogrammes de ltat du Soi, de la personnalit dans sa totalit, voquant les paroles de Mphistophls dans le Faust de

9a. 25 DESSINS DE MANDALAS, 1917Encre et/ou crayon sur papier Collection particulire

Liber Primus : la voie de ce qui est venir 11

Goethe, o celui-ci dcrit la descente dans le royaume des Mres: Formation Transformation, voil lactivit ternelle du sens ternel.

9b. 25 DESSINS DE MANDALAS, 1917Encre et/ou crayon sur papier Collection particulire

En 1914/15, Jung retranscrit le manuscrit du Liber Novus sur parchemin. Il constitue la premire partie de louvrage, son Liber Primus. Jung placera ensuite cette inscription en couverture de lin-folio reli en cuir quil avait command et continuera recopier ses textes dans ce volume. Le Liber Primus dcrit comment Jung retrouve son me et commence pratiquer ce quil appelle limagination active, une mthode grce laquelle il fera la rencontre dElie, de Salom et du Serpent. Il voque intentionnellement un fantasme dans un tat de veille, puis y entre comme dans un drame. En tudiant ces fantasmes, Jung se rendit compte que la notion dutilitarisme dominait lesprit de son temps nanmoins, lesprit des profondeurs nen tait pas absent. La signification de ces visions a dj t exprime pour une large part dans les images de lAntiquit, mais le problme est de savoir comment les interprter. Lesprit des profondeurs conoit lme comme une entit indpendante, et nous sommes bien obligs dadmettre que, sans me, nous sommes perdus. Les rves sont les discours de lme. Il existe une connaissance du cur qui nest pas celle de lrudit. Cest en vivant y compris sa vie non vcue quon lacquiert. Si la science nous fait connatre la vrit des choses extrieures, nous avons en revanche perdu la facult de dcouvrir la vrit des choses intrieures et nous avons besoin de la retrouver.

LE LIVRE ROUGECinq pages de parchemin Fondation des uvres de C.G. Jung, Zurich

12 Expressions symboliques

Expressions s boliques

Il ny a pas un grand nombre de vrits, seulement quelques-unes. Leur signification est trop profonde pour quon les saisisse autrement que sous forme de symboles. Jung, Liber Novus Dans sa jeunesse, Jung tait particulirement attir par les uvres de Holbein, de Bcklin ainsi que des peintres hollandais. Lui-mme commena sadonner la peinture la fin de ses tudes, et ses premiers paysages tmoignent dun grand savoir-faire technique. En 1902/03, Jung se rend Paris pour suivre les cours du plus minent psychologue franais de lpoque, Pierre Janet, et il consacre beaucoup de temps la peinture et la visite des muses. Mais ensuite, il sera totalement accapar par ses activits professionnelles. Cest pendant quil retranscrit le texte du Liber Novus que Jung recommence peindre, dans un style compltement abstrait ou semi-figuratif. Il avait toutefois conserv une conception classique de lart, celle du xixe sicle. Evitant de considrer ses propres travaux comme des uvres dart, il les voit plutt comme lexpression dune facult de crer spontanment des symboles qui est inne chez les humains. Selon Jung, seuls les symboles renferment la fois des contenus rationnels et irrationnels. Pendant la Premire Guerre mondiale, les cercles jungiens entretenaient dtroites relations avec des artistes davant-garde comme Augusto Giacometti, Hans Arp ou les dadastes. Paradoxalement, cest en prenant ses distances lgard de lesthtique du xixe sicle et en faisant appel des sources iconographiques extra-europennes que Jung se rapprocha de lavant-garde europenne dans son uvre crative. 10. Sans titre, 1923 : En dehors des illustrations que renferme le volume calligraphi du Liber Novus Le Livre Rouge , Jung peignit un certain nombre dimages se rapportant sa cosmologie quil offrit des amis ou des collgues. Le personnage barbu tout droite nest autre que Philmon. Pour Jung, la figure imaginaire de Philmon reprsentait la connaissance intime suprieure. et tait comparable celle dun matre. Au verso, Jung a inscrit les lignes suivantes: Nous craignons et nous esprons: sacrifieras-tu la couronne de lternit la Terre dans lattente nuptiale? Nous avons les pieds dans le vide et aucune beaut nclora, [aucun] accomplissement.11. SANS TITRE, 1917Dtrempe et bronze dor sur carton Collection Dr Felix Naeff, Kirchberg, Suisse

10. SANS TITRE, 1923Peinture lhuile sur carton Collection particulire

symLa promesse sera-t-elle tenue? Lternel pousera-t-il le temporel? A.D. 1923 11. Sans titre, 1917 : Au dos de cette peinture, Jung a not un passage tir du Livre rouge (pp. 320-21) intitul Les Cabires :12. SANS TITRE, VERS 1919Dtrempe et bronze dor sur carton Collection prive, Suisse

Expressions symboliques 13

de nous fournir des ides fructueuses. (traductions S.Shamdasani) 12. Sans titre, vers 1919:Le personnage figurant sur cette peinture est le mme que sur celle de la page 113 du Liber Novus, que Jung avait termine en avril 1919. Il a dcrit cette dernire comme tant limage de lEnfant divin , laccomplissement dune longue qute, en ajoutant quil lappelait Phans, parce quil est le Dieu qui rapparat . Phans est le dieu qui renat dans son me. Dans la thogonie orphique, Chronos engendre lEther et le Chaos. Dans lEther, Chronos fabrique un uf qui se divise en deux et dont sort Phans, le dieu primordial. Dans lOrphisme, on limagine comme une figure resplendissante de lumire, avec des ailes dores, quatre yeux et affubl de plusieurs ttes danimaux. 13. Sans titre : En 1950, Jung publia une reproduction anonyme de cette peinture dans son article intitul La symbolique du mandala , en ajoutant le commentaire suivant: Le centre est symbolis par une toile. Cette image trs commune concorde avec les prcdentes, dans lesquelles le Soleil reprsente le centre. Le Soleil est lui aussi une toile, un lment rayonnant dans locan du Ciel. Limage montre le Soi apparaissant comme une toile surgissant du chaos. La composition quatre branches est souligne par lutilisation de quatre

13. SANS TITREDtrempe et bronze dor sur carton Collection particulire

Nous avons remont des choses la surface / nous avons construit, pierre aprs pierre. Maintenant, tu es sur un terrain solide [...] Nous avons forg pour toi une pe tincelante / avec laquelle tu va pouvoir trancher le nud / qui tentrave [...] Nous plaons aussi devant toi ce nud diaboliquement enroul / qui tenserrait et te scellait. Frappe / seule lacuit peut le trancher. Nhsite pas. Nous avons besoin de dtruire / car nous sommes nous-mmes lenchevtrement. Celui qui veut conqurir une terre nouvelle / fait tomber les ponts derrire lui. Cessons dexister. Nous sommes les mille canaux par lesquels toute chose reflue aussi vers son origine [...] 24 dcembre 1917. Le texte fait allusion aux Cabires, des divinits hellniques qui taient clbres lors des mystres de Samothrace et taient censes favoriser la fcondit. En 1940, Jung les dcrivit comme les mystrieux pouvoirs cratifs, les gnomes qui travaillent sous la terre, cest--dire un niveau subliminal, afin

SANS TITRE, 1920Aquarelle sur papier C.G. Jung Foundation for Analytical Psychology, New York

14 Expressions symboliques

couleurs diffrentes. Cette image est importante, en ce sens quelle dfinit la structure du moi comme un principe dordre contre le chaos. Sans titre, bois, collection particulire : Lexamen montre que Jung sculpta la partie infrieure de la pice et quil y ajouta, au sommet, un objet africain. Ceci laisse supposer que lensemble fut excut aprs son voyage en Afrique de 1925. La figure principale ressemble linitiale historie du chapitre La Mort, dans le volume calligraphi du Liber Novus (page 29). 14. Sans titre: Ce personnage ressemble linitiale historie du chapitre 6 du Liber Secundus , intitul La Mort. 15. Loki ou Hephastos, sans date : Ce personnage ressemble la figure qui se trouve en bas du mandala de la page 105 du Liber Novus (ill. 16). Jung a reproduit ce mandala en 1952, dcrivant ce personnage comme tant Loki ou Hphastos avec une chevelure rouge, flamboyante, portant dans la main un temple. Il fait observer que cette sombre figure chtonienne [constitue] lantithse du vieil homme sage, savoir llment lucifrien magique (et parfois destructeur) en alchimie, Herms Trismgiste vs. Herms-Mercure, linsaisissable fripon divin. Loki est une figure de magicien de la mythologie scandinave. Dans la mythologie grecque,

le dieu boiteux Hphastos tait le fils de Jupiter et de Junon, et le forgeron des dieux. 17a.-17e. Sans titre:Jung ne signait pas ses peintures, et lauthenticit de ces aquarelles nest pas totalement assure. Certains de leurs motifs semblent tre apparents ceux dimages du Liber Novus, en particulier, la peinture de la page 125. 18. Modle rduit dun bateau voile : Tout au long de sa vie, Jung aura t un navigateur enthousiaste, et des motifs rappelant la mer apparaissent tout au long du Liber Novus. Dans Transformation et symboles de la libido, il avait comment le motif du voyage nocturne en mer , daprs le livre de lanthropologue Leo Frobenius. Il le dcrivit plus tard comme une sorte de descendus ad inferos, une descente dans lHads, et un voyage vers la terre des mes, quelque part au-del de ce monde, au-del de la conscience et, de ce fait, une immersion dans linconscient. 14. SANS TITREBois peint Collection particulire

SANS TITREBois Collection particulire

Expressions symboliques 15

SANS TITRE, VERS 1920Tombe du chien prfr de Jung Bois Collection particulire

15. LOkI OU HEPHASTOS, SANS DATEBois peint Collection particulire

16. LIBER NOVUSPage 105 Fondation des oeuvres de C.G. Jung, Zurich

16 Expressions symboliques

17e.

17.a-17.e SANS TITRE 17a. 17b.Aquarelles Collection particulire

18. MODLE RDUIT DUN BTEAU VOILESMatrieaux divers Fondation des oeuvres de C.G. Jung, Zurich

17c.

17d.

Atmavictu, le souffle de vie 17

SANS TITREAquarelle Collection particulire

SANS TITREGouache Collection particulire

Dans le Liber Novus et dans les Cahiers noirs apparaissent un certain nombre de figures qui se mtamorphosent et samalgament les unes aux autres. Une des plus marquantes est celle dAtmavictu. Il apparat pour la premire fois dans un fantasme en 1917. Le serpent apprend Jung quAtmavictu tait, lorigine, un vieil homme qui, aprs sa mort, renatra sous la forme dun ours. Ce dernier meurt alors et se transforme en une loutre qui meurt son tour et devient un triton. Lui aussi mourra et renatra sous la forme dun serpent qui se transformera en Philmon. En 1919, dans trois images du volume calligraphi du Liber Novus, Jung reprsente Atmavictu tel un dragon dot dune multitude de bras. En 1920, il sculpte une figure humaine dans une petite branche dont il fera une reproduction plus grande quil placera dans son jardin de ksnacht. Son nom, qui signifie souffle de vie, symbolise limpulsion cratrice. Plus tard, Jung ralisera quil sagissait du dveloppement ultrieur dune figure dhomunculus quil avait taille dans son enfance.

ATMAVICTUPierre Collection particulire

18 La pierre

En 1922, Jung acheta un terrain sur la rive du lac suprieur de Zurich, Bollingen. Il sentait le besoin de reprsenter ses penses les plus secrtes dans la pierre et de construire une demeure tout fait primitive. Il considrait la tour comme une reprsentation de lindividuation . Au fil des ans, il ralisa des peintures et des sculptures sur ses murs. La tour peut tre considre comme une suite en trois dimensions du Liber Novus. En 1950, il ralisa un monument en pierre expliquant ce que la tour signifiait pour lui. Sur une face, il inscrivit une strophe latine de lalchimiste Arnaud de Villeneuve, parlant de la pierre philosophale de lalchimie: Voici la pierre, dhumble apparence. / En ce qui concerne sa valeur, elle est bon march, / Les imbciles la mprisent, / Mais ceux qui savent ne len aiment que mieux. Sur lautre face, Jung sculpta la figure de Tlesphore et grava linscription en grec suivante (resp. un fragment dHraclite, une allusion la liturgie de Mithra et Homre): Le temps est un enfant jouant tel un enfant comme sur un chiquier le royaume de lenfant. Cest Tlesphore qui erre par les rgions sombres de ce cosmos et qui luit comme une toile slevant des profondeurs. Il indique la voie vers les portes du Soleil et vers le pays des rves. Sur la troisime face de la pierre, il a inscrit une citation latine tire de textes alchimiques: Je suis une orpheline, seule; cependant on me trouve partout. Je suis Une, mais oppose moi-mme. Je suis la fois adolescent et vieillard . Je nai connu ni pre, ni mre parce que lon doit me tirer de la profondeur comme un poisson ou parce que je tombe du ciel comme une pierre blanche. Je rde par les forts et les montagnes, mais je suis cache au plus intime de lhomme. Je suis mortelle pour chacun et cependant la succession des temps ne me touche pas. En 1956, Jung crivit Maud Oakes : [] tous les volumes que jai crits sont contenus en germe dans cette pierre.

LA PIERRE , VERS 1950Collection particulire

TEXTES DE NATHALIE BAZIN

C.G. Jung et lInde C.G. Jung et lenseignement du Bouddha Les expriences visionnaires dans le bouddhisme tibtain La confrontation avec la mort Les mandalas du bouddhisme sotrique C.G. Jung et le bouddhisme zen C.G. Jung et le taoisme

20 22 24 33 36 43 44

20 C.G. Jung et lInde

Le Livre Rouge comporte diverses rfrences lInde. Si celles-ci ne sont pas trs nombreuses, elles sont nanmoins importantes. Jung crivit lui-mme dans son cahier de rves quil existait une intense relation inconsciente lInde dans le Livre Rouge. Sa conception du Soi est mettre en relation avec ltman et le Brahman de lInde. Les lgendes de plusieurs illustrations portent soit les noms de textes vdiques et brahmaniques, renvoyant alors des versets de ceux-ci, soit des noms dorigine vdique, tels que Brahmanaspati, Seigneur des prires, ou encore Hiranyagarbha, lembryon dor. Jung possdait dans sa bibliothque les volumes de Sacred Books of the East, et peut-tre la lecture des hymnes vdiques contenus dans cette collection lui inspira-t-elle certaines des incantations rdiges dans le Livre Rouge. Par ailleurs, la desse kl, la Noire, aspect terrible de la Mre divine dans lhindouisme, est cite plusieurs fois et associe par Jung Salom, figure biblique importante dans la littrature et la peinture de cette poque: kl est Salom et Salom est mon me, dit Jung dans le manuscrit prparatoire du Livre Rouge. Il oppose la figure de kl celle du Bouddha. Par la suite, les liens de Jung avec des indianistes tels que Heinrich Zimmer ou Wilhelm Hauer, ainsi que divers de ses crits, tmoigneront largement de lintrt quil portait lhindouisme et au bouddhisme indiens, y compris sous leur forme tantrique, caractre sotrique, ainsi quau yoga. Cest ainsi quen 1932, Jung donna des sminaires sur le yoga de la kundalin, forme de yoga tantrique alors trs peu connue en Occident, en collaboration avec W. Hauer. Ces sminaires nont t publis quen 1996, sous le titre Psychologie du yoga de la kundalin. Cette relation avec lInde, o il sjourna plusieurs mois en 1938, durera toute sa vie. 19. Agni. Panneau de char de procession: Agni, le Feu, est un dieu majeur du RigVeda, le plus ancien et le plus important des quatre Veda (ou Savoir), rdigs en sanskrit. Les ttes surmontes de flammes, il est mont ici sur un blier, Le texte consacre deux cents hymnes Agni, qui symbolise le feu sacrificiel, sacr, mais aussi celui qui accomplit le sacrifice reprsentant, sur le plan intrieur, loffrande de soi au divin. Agni est parfois nomm Brahmanaspati, nom qui constitue

19. AGNI. PANNEAU DE CHAR DE PROCESSIONInde du Sud (Tamil Ndu), xvii-xviiie sicles, bois Don Gabriel Jouveau-Dubreuil, 1929. Muse des arts asiatiques Guimet, MG 17 866

kLInde, Klghat (Sud de Calcutta), 2e moiti du xixe sicle, Aquarelle sur papier, Muse des arts asiatiques Guimet, MG 24 279

C.G. Jung et lInde 21

la lgende dune illustration du Livre Rouge. La lgende Satapatha Brhmana 2, 2, 4, accompagnant une autre illustration renvoie au rite vdique de lAgnihotra ou oblation au Feu. Jung, dans un passage de son rcit quil a pris soin de calligraphier et de rehausser dune bordure peinte, parle dun feu quil dit secret, antique et sacr, et il affirme : ... Le feu antique qui vint bout de toute misre doit de nouveau senflammer car la nuit du monde est vaste et froide et la misre est grande.(C.G.Jung, Liber Secundus, ch.VIII, nuit du 8 janvier 1914) 20. Les quatre derniers avatars de Vishnu : Album comportant 47 planches figurant divinits, pisodes du Rmyana et de la lgende de Krishna.kLNpal, xixe sicle, Aquarelle sur papier, Don M-T de Mallmann, 1971,Muse des Arts asiatiques Guimet, MG 24288

20. LES QUATRE DERNIERS AVATARSDE VISHNUInde (Orissa), xixe sicle,Muse des arts asiatiques Guimet, MG 24022

La lgende qui, dans le Livre Rouge, accompagne limage aile de Philmon, figure de sagesse essentielle chez Jung, est extraite du chant IV de la Bhagavad-Gt. Krishna, lun des avatars (de avatara, descente) humains du dieu protecteur Vishnu, y explique Arjuna quil prend naissance sur terre dge en ge, lorsque la Loi (Dharma) dcline, afin de dtruire le mal. Le Kl yuga ou ge noir correspond, dans la conception cyclique du temps en Inde, une poque de profonde dgnrescence et de dclin des valeurs. Selon la conception hindoue, cest la fin de cette priode sombre que natra sur terre Kalki, dernier avatar de Vishnu. Kalki est figur ici avec une tte de cheval et se tient debout devant sa monture, un cheval blanc ail. Le dclin des valeurs est une notion omniprsente dans le climat de lpoque laquelle fut labor le Livre Rouge et elle est trs importante dans louvrage, de mme que lide dune nouvelle forme venir du divin. 21. Runion dasctes et de yogins autour dun feu : Evoquant dans Ma vie sa confrontation avec linconscient, lpoque de la Premire Guerre mondiale, Jung rapporte:Jtais souvent tellement boulevers quil me fallait, de temps en temps, recourir des exercices de yoga pour maitriser les motions. Mais comme mon but tait de faire lexprience de ce qui se passait en moi, je ne cherchais refuge en ces exercices que le temps de recouvrer un calme qui me permt de reprendre le travail avec linconscient. Aprs avoir t malade en 1944, Jung fait un rve dans lequel, pntrant dans une chapelle, il dcouvre un yogi assis en mditation, dont le visage nest autre que le sien. Il y voit alors une parabole de son Soi, sa totalit prnatale inconsciente, mditant sur sa forme terrestre. Un tel rve indiquait ses yeux que, selon lautre ct en nous, lexistence inconsciente tait lexistence relle et

21. RUNION DASCTES ET DE YOGINS AUTOUR DUN FEUInde, Company School, vers 1820-1825, Gouache et aquarelle sur papier, Muse des arts asiatiques Guimet, MA 12123

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le monde conscient une espce dillusion ou une ralit apparente fabrique en vue dun certain but. Il note la ressemblance de cette conception avec celle de la My (en Inde).

Le Bouddha est cit dans la premire partie du Livre Rouge (Liber Primus, ch.X): parmi les images qui surgissent Jung une nuit, se trouve celles dun Bouddha assis immobile dans un cercle de feu; un Bouddha dans les flammes. Dans le Liber Secundus (ch.VII), voquant le malaise suscit par les existences successives, Jung cite nouveau le Bouddha historique qui a su, observe-t-il, chapper au cycle des renaissances. Dans un texte rdig pour la prsentation du livre de k.E.Neumann, Discours de Gotamo Bouddha(1955), Jung explique quil a abord le bouddhisme en tant que mdecin, et non en suivant la voie de lhistoire des religions ou celle de la philosophie. Le mdecin doit mener une lutte sans merci contre la souffranceIl nest donc pas tonnantquil considre les ides et attitudes religieuses et philosophiques, dans la mesure o elles peuvent laider, comme autant de systmes de salut ou de gurison; et que, le cas chant, il reconnaisse prcisment le Bouddha,dont lenseignementa pour thme central la gurison de la douleur grce un dveloppement suprme de la conscience, comme lun de ses allis les plus prcieux dans le traitement des malades. Bouddhisme et mdecine prsentent, en effet, des affinits: les moyens de libration de la souffrance lie lexistence sont compars, dans le bouddhisme, une thrapeutique permettant une gurison dfinitive. Ds les dbuts du bouddhisme, le Bouddha est souvent compar un mdecin et son enseignement un remde gurissant tous les maux; cest pourquoi la mdecine fut incorpore au cursus des tudes bouddhiques, en particulier dans les monastres. Ainsi, Jung pouvait dire:Lorsque, en tant que mdecin, je reconnais laide et la stimulation importante que mapporte plus particulirement la doctrine

22. BHAISAJYAGURU, LE MATRE DES REMDESTibet, xive sicle Dtrempe sur toile Muse des Arts asiatiques Guimet, MA 5959

23. MANDALA DU LIVREChine du Nord, xviiie sicle Dtrempe sur toile Muse des Arts asiatiques Guimet,MG 21682c

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bouddhique, je ne fais donc que suivre une ligne qui se dessine dj depuis environ deux millnaires travers lhistoire spirituelle de lhumanit. 22. Bhaisajyaguru, le Matre des remdes : Dans la main droite, Bhaisajyaguru tient le fruit du myrobolan, ingrdient essentiel de la pharmacope indienne, considr comme une panace universelle. Un bol mdicinal repose dans sa main gauche. Huit autres bouddhas de mdecine, dont le Bouddha historique lui-mme, sont assis sur les cts. Le paradis de Bhaisajyaguru est une terre mdicinale. Dans le bouddhisme sotrique (Vajrayna), nombre des pratiques rituelles qui lui sont ddies sont le fait de yogis et de mdecins dsirant soigner les maux du corps et de lesprit, ou consacrer des mdicaments. 23. Mandala du livre:Au cur de ce mandala, est dispos un livre ... rouge consacr Bhaisajyaguru, le bouddha thrapeute. La traduction tibtaine de ce texte sanskrit remonterait au ixe sicle, et sa rcitation favorise une renaissance au paradis du Matre des remdes. En Chine, le culte de ce bouddha devint trs populaire ds le viie sicle.

Les expriences visionnaires constituent un phnomne important et rpandu dans le bouddhisme tibtain, et elles sont largement illustres dans liconographie. Certains matres religieux en ont laiss le rcit; lun des plus clbres est celui des Visions secrtes du ve Dala Lama (1617-1682), dont le muse Guimet possde le plus beau manuscrit. Rdig lor sur fond noir, il relate les visions queut le chef politique et spirituel du Tibet, entre lge de six ans et lanne qui prcda sa mort. Le ve Dala Lama, qui unifia tout le pays sous son autorit, fut le plus prestigieux de sa ligne. Patron des arts, il fut aussi un remarquable administrateur et un rudit fameux. Nanmoins, il prcise, non sans humour,que son rcit ne sadresse pas lrudit et quil sait que certains le considreront avec incrdulit. Jung fait ces mmes remarques propos du Livre Rouge.

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24. PLANCHE 6Planches du Manuscrit des Visions secrtes du ve Dala Lama: Tibet central, entre 1674 et 1681- Or, argent et couleurs sur papier noir - Donation Lionel Fournier sous rserve dusufruit, 1989 -Muse des arts asiatiques Guimet, MA 5244

Le clbre matre Padmasambhava, introducteur du bouddhisme sotrique au Tibet, au viiie sicle, apparat frquemment au ve Dala Lama, de mme que diverses dits masculines et fminines, et il lui procure enseignements et instructions. Diverses visions du Grand ve voquent des images du rcit de Jung, dans le Livre Rouge: la description de certains paysages, dune jeune fille blanche qui lui sert de guide, dun yogi vtu de blanc, dun vieillard, de sphres ou rayons lumineux, dtres dmoniaques, de flammes, de sacrifices rituels, de mme que les mtamorphoses successives, parfois terrifiantes, de Padmasambhava, ou les siennes propres, la sensation dtre dcoup

en morceaux, dtre brl ou illumin de lintrieur, ou bien dvor par un scorpion noir Ce dernier voque le scarabe noir du Livre Rouge, symbole de la mort qui est ncessaire au renouveau. Il faut noter le rle purificateur des flammes et du scorpion qui, dans les visions du ve Dala Lama , exerce une action curative sur celui-ci. Dautres visions du chef tibtain sont de nature prophtique et lui annoncent, comme chez Jung, des conflits venir. Planches du Manuscrit des Visions secrtes du v e Dala Lama : Le manuscrit des Visions secrtes comporte 67 illustrations, notamment : - des mandala, ou diagrammes

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circulaires symbolisant le domaine sacr dune dit, qui apparaissent ici au sein de dispositifs rituels. - des effigies(linga) au corps humain, symboles des passions, des ennemis extrieurs ou intrieurs subjuguer, et qui sont maintenues dans des triangles symbolisant laire sacrificielle. - des cakra, dsignant ici des charmes de protection ayant la forme de roues, utilises contre les esprits hostiles. 24. Planche 6: Mandala renfermant huit sortes de mandalas associs huit dits. Le ve Dala Lama fut initi ces mandalas durant une vision, alors quil tait en retraite au palais du Potala, Lhasa, en 1656. Lors dune autre vision, Le Grand ve peroit un mandala clair comme le cristal, au centre duquel il est conduit pour la crmonie dinitiation, et qui se dissout ensuite dans le cur du clbre roi tibtain Songtsen Gampo (viie sicle). Planche 10 : Mandala et objets rituels ncessaires une crmonie dinitiation. La dit principale de ce rituel est un aspect de Padmasambhava. Parmi les objets disposs prs du mandala, figurent un cristal mettant des rayons, un foudre-diamant (vajra), une dague rituelle et un foyer sacrificiel triangulaire cern de flammes, lintrieur duquel est tendue une effigie.

25. Planche 13: Mandala denseignement.Ce mandala est celui qui apporte la ralisation par le fait de le porter. Au sommet, apparat un cristal qui met un arc-en-ciel, utilis dans lenseignement. Jung a peint dans le Livre Rouge, un diagramme circulaire contenant quatre cercles colors. 26. Planche 18: Mandala et objets rituels.Utiliss pour une crmonie dinitiation un aspect courrouc de Padmasambhava. 27. Planche 20: Objets rituels pour une crmonie du feu (homa), selon le cycle rituel dun aspect courrouc de Padmasambhava. Une effigie corps humain (linga) est rituellement attache au-dessus des flammes. Dans des coupes crniennes, sont disposes diverses offrandes, dont celle du sang, et des matires destines tre brles. travers certaines expriences intrieures dcrites dans le Livre Rouge, Jung souligne limportance du sacrifice de soi, qui en dpit de son caractre terrible permet ensuite la vie nouvelle de natre, ainsi que lidentit entre sacrificateur et sacrifi. 28. Planche 21: Objets rituels pour un rite destin dtourner les esprits malfiques. Le ve Dala Lama a parfois la vision de personnages dlivrant au moyen dune dague des tres dmoniaques tendus dans des aires sacrificielles. La

25. PLANCHE 13 (DTAIL) :Planches du Manuscrit des Visions secrtes du ve Dala Lama: Tibet central, entre 1674 et 1681- Or, argent et couleurs sur papier noir - Donation Lionel Fournier sous rserve dusufruit, 1989 -Muse des arts asiatiques Guimet, MA 5244

28. PLANCHE 21 (DTAIL):Planches du Manuscrit des Visions secrtes du ve Dala Lama: Tibet central, entre 1674 et 1681- Or, argent et couleurs sur papier noir - Donation Lionel Fournier sous rserve dusufruit, 1989 -Muse des arts asiatiques Guimet, MA 5244

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26. PLANCHE 18Planches du Manuscrit des Visions secrtes du ve Dala Lama: Tibet central, entre 1674 et 1681- Or, argent et couleurs sur papier noir - Donation Lionel Fournier sous rserve dusufruit, 1989 -Muse des arts asiatiques Guimet, MA 5244

27. PLANCHE 20Planches du Manuscrit des Visions secrtes du ve Dala Lama: Tibet central, entre 1674 et 1681- Or, argent et couleurs sur papier noir - Donation Lionel Fournier sous rserve dusufruit, 1989 -Muse des arts asiatiques Guimet, MA 5244

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dague rituelle, dresse ici sous la main droite de leffigie, est trs prsente sur les illustrations du manuscrit. Elle soumet les forces dmoniaques en les transperant et en les immobilisant, les librant ainsi de leurs lments ngatifs. La dague a donc une fonction salvatrice et rdemptrice. 29. Planche 23: Effigie (linga) reprsentant les esprits malfiques. Sa poitrine est dvore par quatre scorpions. Exprimentant la descente aux enfers, Jung se trouve une nuit sur un sentier dsertique et rapporte: le dsert nest quapparemment vide. Il semble anim dtres enchanteurs qui massaillent comme des criminels et changent mon apparence de manire dmoniaque. Jai d prendre une forme monstrueuse dans laquelle je ne peux plus me reconnatre. Jai limpression dtre une monstrueuse forme animale contre laquelle jai chang mon humanit. Ce chemin est entour de magie infernale, dinvisibles nuds coulants sont jets sur moi et me ligotent. Mais lesprit des profondeurs vint vers moi et dit:Descends dans tes profondeurs, enfonce-toi. (C.G. Jung, Liber Primus, ch.VI, Division de lesprit). 30. Planche 49: Effigie (linga) enchane.Trois scorpions lui dvorent respectivement la tte, la poitrine et les organes sexuels. 31. Planche 54: Charme de protection (cakra) pour traiter avec divers esprits nuisibles. A lintrieur se succdent, formant un cercle, des effigies humaines (linga) tendues, dont le corps est dvor par des scorpions. Au cours de son commentaire du trait taoiste Le mystre de la Fleur dOr, Jung voque le cercle protecteur, le cercle enchant. 32. Monogramme mystique : Le cristal est omniprsent dans les visions du ve Dala Lama, et un objet de forme comparable celle-ci apparat sur nombre dillustrations de ce manuscrit. Le cristal est utilis dans lenseignement dune branche de la doctrine dite de la Grande Perfection ou Dzogchen. Durant lune des tapes de linitiation, le matre prsente le disciple son propre esprit, dont il lui explique la nature pure et lumineuse comme celle du cristal. Cet exemple est orn du symbole de Klacakra, lune des principales divinits tutlaires du bouddhisme sotrique. 33. Foudre-diamant (vajra) : Symbole de puret, dindestructibilit et dillumination, le vajra est un objet rituel emblmatique du bouddhisme sotrique. Il est29. PLANCHE 23 (DTAIL)Planches du Manuscrit des Visions secrtes du ve Dala Lama:Tibet central, entre 1674 et 1681- Or, argent et couleurs sur papier noir - Donation Lionel Fournier sous rserve dusufruit, 1989 -Muse des arts asiatiques Guimet, MA 5244

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30. PLANCHE 49 (DTAIL)Planches du Manuscrit des Visions secrtes du ve Dala Lama:Tibet central, entre 1674 et 1681- Or, argent et couleurs sur papier noir - Donation Lionel Fournier sous rserve dusufruit, 1989 -Muse des arts asiatiques Guimet, MA 5244

31. PLANCHE 54 (DTAIL)Planches du Manuscrit des Visions secrtes du ve Dala Lama:Tibet central, entre 1674 et 1681- Or, argent et couleurs sur papier noir - Donation Lionel Fournier sous rserve dusufruit, 1989 -Muse des arts asiatiques Guimet, MA 5244

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donc omniprsent dans les Visions secrtes. Associ aux flammes et lclair, il est dune nature la fois brlante et lumineuse. 34. Apparition de Tsongkhapa : Fondateur de lordre des Gelugpa, Tsongkhapa apparat peu aprs sa mort (1419) lun de ses principaux disciples, figur ici en partie basse, et auquel il est reli par un fil dor manant de son cur. Le disciple est lui-mme li par ce fil ses propres lves. Ces visions sont dcrites dans un texte clbre, La quintuple vision du matre. Le futur bouddha Maitreya, sigeant dans un palais en haut droite, est de mme reli par un rayon dor au nuage sur lequel se tient Tsongkhapa. 35. La dkin Nairtmya : Les dkin sont, dans le bouddhisme sotrique, des guides et des desses initiatrices, dispensant leurs enseignements secrets aux disciples auxquels elles se manifestent. Eveillant les forces caches au plus profond de ltre, elles figurent souvent en attitude de danse, sous un aspect juvnile. Les dkin sont omniprsentes dans les visions du ve Dala Lama, et rappellent limportance majeure de llment fminin, symbole de connaissance, dans ce courant du bouddhisme, tant sous des formes paisibles que courrouces. Nairtmya signifie Sans-soi; la desse reprsente donc linexistence du soi et la vacuit. Llment fminin tient, sous des formes diverses, une place majeure dans les rcits du Livre Rouge. 36. Bardo. Vision des divinits sereines : Les peintures du bardo ou tat intermdiaire, figurent en des schmas circulaires les dits, projections de lesprit, qui apparaissent au dfunt durant la priode qui prcde une nouvelle incarnation et qui, selon la tradition, peut durer quarante neuf jours. Au centre, le bouddha suprme Samantabhadra enlace sa compagne. Parmi les personnages qui lentourent, figurent les bouddhas associs aux six conditions de renaissance. 37. Bardo. Vision des divinits courrouces : Autour du centre, dansent de nombreuses dkin ttes animales. Jung crivit un Commentaire psychologique du Bardo Thdol, communment appel Livre tibtain des morts, dont la premire traduction occidentale, due Lama Kazi Dawa Samdup et Walter Y. Evans-Wentz, date de 1927. Jung prcise que cet ouvrage fut pour lui un fidle compagnon, auquel je dois non seulement de nombreuses suggestions et dcouvertes, mais encore des ides tout fait essentielles . Il considrait que ce livre avait t cr partir des contenus archtypaux de linconscient.

32. MONOGRAMME MYSTIQUENpal(?), xviiie, xixe sicle - Cristal de roche - Donation Lionel Fournier sous rserve dusufruit, 1989 -Muse des arts asiatiques Guimet, MA 5214

33. FOUDRE-DIAMANT (VajRa)Npal - Cristal de rocheDonation Lionel Fournier sous rserve dusufruit, 1989 -Muse des arts asiatiques Guimet, MA 5212

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34. APPARITION DE TSONGkHAPATibet, fin du xviie sicle Dtrempe sur toile -Muse des arts asiatiques Guimet, MG 22 801

35. LA DkIN NAIRTMYATibet, dbut du xviie sicle Dtrempe sur toile- Legs Jean Mansion, 1993 - Muse des arts asiatiques Guimet, MA 6003

37. BARDO. VISION DES DIVINITS COURROUCESTibet, xixe sicle - Dtrempe sur toile Don Jacques Bacot, 1951 Muse des arts asiatiques Guimet, MA 1053

38. Roue de lexistence (bhavacakra) : Cette image, dorigine indienne mais qui connut au Tibet un grand dveloppement partir du xviie sicle, serait inspire de la vision dun des principaux disciples du Bouddha. Dans une immense roue maintenue par Yama, la Mort, sont figures les six conditions possibles de renaissance, chacune prside par un bouddha: dieux, demidieux, hommes, esprits affams (preta), damns des enfers chauds et froids, et enfin animaux. Au centre, un porc, un coq et un serpent symbolisent trois poisons: lignorance, la colre et le dsir.

Ce thme fut tudi par Walter EvansWentz, ds 1927. Jung, fit reproduire une peinture tibtaine identique dans lun de ses crits, A propos de la symbolique des mandalas.

32 Les expriences visionnaires dans le bouddhisme tibtain

36. BARDO. VISION DES DIVINITS SEREINES (DTAIL)Tibet oriental, xixe sicle Dtrempe sur toile -Muse des arts asiatiques Guimet, MG 22842

38. ROUE DE LEXISTENCE (BHAVACAkRA)Tibet, fin du xixe sicle Xylographie peinte sur toile - Don Edith de Gasparin, 1965 -Muse des arts asiatiques Guimet, MA 2728

La confrontation avec la mort 33

Je suis all dans la mort intrieure et jai vu que la mort extrieure tait meilleure que la mort intrieure. Et jai dcid de mourir extrieurement et de vivre intrieurement. (C.G.Jung, Liber Secundus, ch.III, Un parmi les humbles) 39. Yama et Yam:Mentionn pour la premire fois dans le Rig Veda, Yama, Seigneur de la mort, intgr au panthon du bouddhisme sotrique tibtain en tant que dieu protecteur asserment, guide les dfunts dans lau-del. Dot dune tte de taureau, il figure ici en compagnie de sa sur Yam. Dans le Livre Rouge, Jung dcrit sa confrontation avec la mort et sa descente aux enfers. 40. Yama, Seigneur de la mort : Les attributs du dieu, ainsi que le corps humain couch lorigine sous le buffle, ont disparu. Yama, souverain des Enfers:Sous cet aspect, Yama prside au jugement des morts, dcrit dans le Bardo Thdol. Selon ce texte tibtain, le dieu et le dmon inns en nous-mmes rassemblent les bons et mauvais karma, suscitant une grande peurdans la conscience, mais il ajoute: Ne crains pas Yama Les Seigneurs de la mort sont aussi la forme naturelle de la vacuit, ta propre manifestation extrieure confuse. 41. Yamntaka en union avec son pouse Vetl : Aspect courrouc de Manjushr, bodhisattva de la Connaissance, il est celui qui subjugue Yama et extermine la mort. Un mandala peint de ce dieu protecteur majeur au sein du bouddhisme tibtain tait accroch dans le bureau de Jung. Il proposa Anila Jaff, sa collaboratrice, en exergue au chapitre de son autobiographie consacr la confrontation avec linconscient, la phrase de lOdysse Heureux celui qui a chapp la mort.Cette preuve suscita, en effet, chez lui une tension extrme, laquelle il aurait pu succomber, ainsi quil le rapporte, sil ny avait eu en lui une force vitale lmentaire, rendue inbranlable par le sentiment dobir une volont suprieure en rsistant aux assauts de linconscient. 42. Mandala de Yamntaka : Au centre, Yamntaka figure en union avec son pouse. Dans le bouddhisme sotrique, lpouse symbolise la prajna, cest-dire la Sagesse, la vue de la vacuit des phnomnes.

39. YAMA ET YAMTibet, xixe sicle - Dtrempe sur toile - Don Jacques Bacot, 1912 Muse des arts asiatiques Guimet, MG 16532

40. YAMA, SEIGNEUR DE LA MORT :Chine, xviiie sicle - Cuivre en partie polychrome - Don dEmile Guimet -Muse des arts asiatiques Guimet, EG 1982

34 La confrontation avec la mort

41. YAMNTAkA EN UNION AVEC SON POUSE VETL:Tibet, xviiie sicle Dtrempe sur toile Don de Mr.Duchesne-Fournet, 1955 -Muse des arts asiatiques Guimet, MA 1659

45. PALDEN LHAMO, LA GLORIEUSE DESSE:Tibet oriental, xviiie, xixe sicle Laiton Don Jacques Bacot, 1912 Muse des arts asiatiques Guimet, MG 21947

42. MANDALA DE YAMNTAkAChine du Nord, xviiie sicle Dtrempe sur toile Muse des arts asiatiques Guimet, MG 21682a

La confrontation avec la mort 35

43. YAMNTAkA (DTAIL)Chine du Nord, xviiie sicle Peinture lor sur fond noir Don du Capitaine de Servagnat, 1904 - Muse des arts asiatiques Guimet, MG 13665

43. Yamntaka : Les peintures tibtaines fond noir, laspect onirique et fantastique, ont pour sujet des dits gardiennes et tutlaires, dont le caractre courrouc symbolise la trs puissante nergie mise en uvre pour vaincre les obstacles dresss sur la voie de lveil. Au-dessus de Yamntaka, est assis Manjushr, brandissant lpe qui tranche lignorance. 44. Tr : Dit fminine de la Compassion, Tr est Celle qui fait traverser le grand flot des peurs, la Salvatrice qui guide les pratiquants vers lEveil. Son culte connut au Tibet un extraordinaire dveloppement. Figure telle une princesse, souriante, elle rayonne de jeunesse. Elle est aussi considre comme laMre de tous les bouddhas. Elle est larchtype de la Mre, selon la terminologie jungienne. 45. Palden Lhamo, la Glorieuse Desse: Pare dornements macabres, noire et terrifiante, Palden Lhamo voque, dans une version bouddhique, la Kl hindoue, et constitue lune des dits protectrices majeures du bouddhisme tibtain. Elle brandit de la main droite un bton tte de mort, disparu ici. Sur le dos de sa mule est jete une peau humaine; un sac contenant maux et maladies pend sous son genou droit. Les ondulations visibles sur le socle voquent locan de sang sur lequel elle chevauche.

44. TRTibet, xve- xvie sicle - Laiton Legs du Dr Fernand Bouhier, 1995 -Muse des arts asiatiques Guimet, MA 6217

36 Les mandalas du bouddhisme sotrique

Les mandalas du bouddhisme sotrique sont particulirement riches et varis. Jung considrait les mandalas tibtainscomme les plus beaux et, dans une lettre de 1950, il crit: Le muse Guimet Paris possde aussi un certain nombre de mandalas dune extraordinaire beaut. Les mandalas sont ddis des bouddhas, des bodhisattvas, ou des dits tutlaires personnifiant des systmes symboliques complexes dont les textes furent transmis depuis lInde au monde himalayen. Le mandala reprsente un palais divin, dont chaque lment est lui aussi symbolique, et au centre duquel rside la dit qui il est consacr. Ce diagramme circulaire est un support de mditation, la visualisation constituant une des principales mthodes de mditation dans ce courant du bouddhisme. Cette mthode puissante, tout comme la technique jungienne de limagination active, nest pas sans danger; elle ne doit donc tre mise en uvre quaprs une initiation prodigue par un matre qualifi. Les enceintes du mandala sont franchies mentalement comme autant dtapes successives vers lveil. Parvenus au centre, les mditants se visualisent sous la forme de la dit qui loccupe et qui nest autre que la reprsentation de leur nature vritable. Le mandala est ainsi un moyen de purification et de transformation intrieures. Cette transformation qui gurit et libre ltre est une notion essentielle dans le bouddhisme sotrique. 46. Offrande de lunivers: Dans la cosmologie bouddhique, inspire des cosmologies vdique et brahmanique, la montagne cosmique, le Mont Meru, se trouve au centre de lunivers, entoure par les Quatre Continents-les inscrits dans un cercle. La base de la montagne senfonce profondment sous locan et son sommet slve dans le ciel. Dans les pratiques prliminaires du bouddhisme sotrique, loffrande dun mandala figurant lunivers symbolise le don de tout ce qui est perceptible par ltre ordinaire. Commentant lun de ses mandalas, en forme de cit fortifie, Jung voque la ville de Brahman sur Meru, lamontagne du monde.

46. OFFRANDE DE LUNIVERSChine du Nord, xviiie sicle Dtrempe sur toile Muse des arts asiatiques Guimet, MG 17846

Les mandalas du bouddhisme sotrique 37

47. LE ROYAUME DE SHAMBHALA (VUE GNRALE ET DTAIL) :Tibet, xixe sicle Dtrempe sur toile Muse des arts asiatiques Guimet, MA 1041

47. Le royaume de Shambhala : Shambhala, Source du bonheur, est dabord, dans lhindouisme, le lieu de naissance de Kalki, futur et dernier avatar de Vishnu.Le bouddhisme sotrique dcrit Shambhala comme une Terre Pure, conservant travers les ges la Connaissance permettant lhomme datteindre la Libration. La tradition considre cette valle cache comme un royaume la fois intrieur et terrestre, point de contact avec la ralit sous-jacente au monde des apparences. Spar du reste du monde par la rivire St, le royaume est entour dune double chane de montagnes enneiges et adopte la forme

circulaire dun mandala. Au centre, sige le roi dans son palais, entour par les rsidences de ses quatre-vingt-seize vassaux, rpartis en huit rgions gouvernes chacune par douze princes. Ce royaume voque diverses expressions dsignant la bulle germinale de la Fleur dOr, cites par Jung dans son commentaire du trait taoiste qui est consacr celle-ci: la rgion frontire des montagnes neigeuses, le royaume de la joie suprme. Cest en 1933 que James Hilton popularisa le thme de Shambhala par la publication de son roman Lost Horizon.

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48. MANDALA DE kLACAkRATibet, xviiie sicle - Dtrempe sur toile - Don Jacques Bacot, 1912 -Muse des arts asiatiques Guimet, MG 16548

48. Mandala de klacakra:Klacakra, la Roue du Temps, dsigne un texte sanskrit majeur du bouddhisme sotrique, ainsi que le dieu tutlaire qui le personnifie. Le mandala qui en illustre lenseignement est dnomm Cit suprme de la grande Libration. Introduit au Tibet au xie sicle, le texte dveloppe une conception de lunivers et de son organisation, des cycles du temps et des moyens den triompher, le mandala de Klacakra se situant par-del le temps et lespace. Il tablit une intime correspondance entre la constitution de lunivers et celle de lhomme. La pratique complte de Klacakra, voie essentielle de

transformation, est suppose permettre la Libration en une seule existence. Sur cet exemple, la plupart des dits sont voques uniquement par leurs attributs; il sagit donc dun mandala de la Pense (citta mandala). A la partie infrieure, ct de Klacakra, est voque la Bataille qui, marquant la fin dun monde plong dans le malheur et lignorance, sera mene par le dernier roi de Shambhala. Celui-ci rtablira alors, sur terre, un nouvel ge dor. 49. Mandala de Vairocana, sous son aspect Sarvavid : Le culte de cinq bouddhas transcendants (jina ou Vainqueurs) lis aux directions de

49. MANDALA DE VAIROCANA, SOUS SON ASPECT SARVAVIDTibet mridional, xviiie sicle Dtrempe sur toile - Don Sir Humphrey Clarke, 1966 Muse des arts asiatiques Guimet, MA 2929

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50. MANDALA DE LA PAROLE (VAN MANDALA) (DTAIL)Chine du Nord, xviiie sicle Dtrempe sur toile Muse des arts asiatiques Guimet, MA 2946

lespace occupe une place majeure dans le bouddhisme sotrique. Vairocana est le jina du centre, autour duquel se rpartissent, au sein de son mandala, les bouddhas des quatre points cardinaux. Sous son aspect Sarvavid, il est lOmniscient et, dot de quatre visages, il est considr comme une divinit suprme. 50. Mandala de la Parole (Van mandala): Chacune des dits de ce mandala est symbolise ici par une syllabe-graine (bja), dont la rptition est suppose lui donner naissance. La syllabe hm est inscrite au centre. Ce mandala rappelle limportance de la notion de son

crateur. Jung voque, dans un passage du Livre Rouge, le Verbe crateur (Liber Primus, ch.IV, Le dsert). Mandala de Dharmadhtu-Vgshvara Manjushr : Ce mandala est ddi une forme rare du bodhisattva de la Connaissance, Manjushr, considr ici en tant que divinit suprme. Il sige au centre, entour par une multitude de dits. Commentaire par C.G.Jung du Stra de la Contemplation damitbha ( Amityurdhynastra). Ce stra ancien, traduit du sanskrit en chinois, galement trs vnr au Japon, dcrit

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Sukhvat, La Bienheureuse , Terre Pure du bouddha Amitbha et support de mditation contemplative. Ce texte tait connu de Jung qui en fit un commentaire dans a propos de la psychologie de la mditation orientale, publi pour la premire fois en 1943. 51. Terre Pure dAmitbha : Sur la terrasse de son palais, le bouddha de lOuest prche dans une atmosphre de flicit exprime par le chant, la musique et la danse quexcute un bodhisattva. Celui-ci accueille ainsi le dfunt qui a pu parvenir en ce lieu paradisiaque et renatre sur une fleur de lotus dor de lEtang des Sept Joyaux. Limage dAmitbha, Lumire infinie, se rpte la partie infrieure. Les scnes se droulant verticalement gauche de la peintureillustrent lenseignement des Seize contemplations, transmis par le Bouddha la reine Vaideh, et permettant de gagner la terre dAmitbha; celles de droite voquent la lgende de son poux, le roi Bimbisra, victime de leur fils. Ces scnes rattachent clairement luvre au texte du Stra de la Contemplation dAmitbha. 52. Manuscrit de lamityurdhynastra ( 2 volumes) : Amitbha, entour dune assemble, figure au dbut du 1 er volume, tandis qu la fin du second, ainsi que cest souvent le cas, se dresse la figure guerrire dun dieu nomm

Weituo en chinois, protecteur de la Loi bouddhique, des monastres et des moines. 53. Terre Pure dAmitbha (Taima mandala): Comme sur la peinture de Qianfodong, le Paradis dAmitbha est encadr par des registres figurant lhistoire de Bimbisra et les Seize contemplations de son pouse, la reine Vaideh. A la partie infrieure, se succdent neuf manifestations dAmitbha. Le Stra du Lotus : Les parties les plus anciennes de ce texte majeur du bouddhisme mahyna remonteraient au dbut de notre re. 54. Samantabhadra, Universelle bont : Le rle salvifique du bodhisattva, auquel est consacr lun des derniers chapitres du Stra du Lotus, est particulirement associ la fin des temps qui voit sachever lAge sombre et funeste, cest--dire lapocalypse. Samantabhadra apparat ici, comme en apesanteur, sur un lotus pos sur llphant blanc six dfenses, symbole de puissance royale. Une oeuvre japonaise de grande taille figurant Samantabhadra sous cette mme forme tait accroche dans la bibliothque de la maison de Jung, Ksnacht (Suisse).

51. TERRE PURE DAMITBHA :Qianfodong, Asie Centrale, ixe sicle. Mission Pelliot 1906-1909. Couleurs sur soie. Muse des arts asiatiques Guimet, E0 1128

52. MANUSCRIT DE LAMITYURDHYNASTRA : WEITUO (VOL.2)Chine, xixe sicle, Muse des arts asiatiques Guimet, BG 58151

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54. SAMANTABHADRADunhuang, milieu du viiie sicle Mission Pelliot, 1906-1909, Qianfodong, Asie centrale, Couleurs sur soie Muse des arts asiatiques Guimet EO 1210

53. TERRE PURE DAMITBHA (TAIMA MANDALA) :Japon, poque Kamakura, xive sicle. Couleurs et or sur soie, Muse des arts asiatiques Guimet, MA 1899

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55. HOTEI FIGUR PAR SES ATTRIBUTS (LE SAC, LE BTON, LVENTAIL)Japon, poque Edo, xviiie sicle Sceau: Hakuin Kakemono, encre sur papier Muse des arts asiatiques Guimet, MA 6203

56. BODHIDHARMA (JAP.DARUMA) MDITANT DEVANT UN MURJapon, poque Edo, xviiie sicle. Sceaux droite: Hakuin, Ekaku; sceau gauche: Kokani. Kakemono, encre sur papier. Acquis en 1995 grce au mcnat du Crdit Agricole Indosuez. Muse des arts asiatiques Guimet, MA 6250

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Jung rdigea une prface louvrage de D.T.Suzuki, Essais sur le bouddhisme zen. Il tenait, en effet, en haute estime les ouvrages de cet auteur qui avait su, ses yeux, rendre le zen accessible lentendement occidental, et il considrait le zen comme un des courants les plus importants du bouddhisme: Le zen est sans doute lune des fleurs les plus merveilleuses de lesprit oriental, fleur qui sest laisse fconder, consentante, par limmense univers spirituel du bouddhisme. Jung commente longuement la notion de satori ou illumination , ainsi que la mthode du kan qui dsigne des questions de matre , transmises dune gnration lautre sous formes danecdotes, comme objets de mditation. Selon Jung, le zen montre limportance en Orient - cest-dire en Asie - de la ralisation de la totalit , ou processus dindividuation . 55. Hotei figur par ses attributs (le sac, le bton, lventail) : Hakuin (16851768) est lun des plus grands noms, pour son poque, de la pense zen et de la cration picturale qui lui est lie; il sadonna, en effet, la peinture et la calligraphie. Ordonn moine lge de quinze ans, il sattacha renouer avec la rigueur originelle du zen (en chinois, chan) de la dynastie chinoise des Tang (618-907), travers une expression picturale trs originale. Hotei est le dieu du Bonheur, voqu ici de manire trs dpouille par ses seuls attributs, parmi lesquels son sac, simple cercle, entourant un court texte, sorte de kan: Endormi Un dieu? Un Bouddha? Un sac de toile. 56. Bodhidharma (jap. Daruma) mditant devant un mur:Ce fameux matre indien, qui serait parvenu en Chine vers 520 - ou 480, selon des tudes rcentes - est considr par les adeptes chinois comme le vingt-huitime successeur de Mahkshyapa en Inde, et le premier patriarche du chan. Il est reprsent de profil, assis sur des feuilles de roseaux. Au-dessus de lui, est calligraphie une inscription, partie de la dernire ligne dune stance clbre de quatre vers qui lui est attribue: regarder lintrieur de soi-mme et devenir Bouddha.

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En 1928, la demande que lui adresse son ami Richard Wilhelm de rdiger un commentaire psychologique du trait taoiste Le Mystre de la Fleur dOr dont il prpare une traduction, reprsente une tape majeure pour Jung. Ses propres recherches sur les civilisations asiatiques, dont lextrme richesse va alimenter son uvre, avaient commenc en 1910/11. Cet ouvrage sotrique attribu L Dongbin (viiie sicle) traite dalchimie intrieure. Cependant, Jung y voit dabord une confirmation de sa conception du Soi, du mandala et de la circumambulation autour du centre, alors quil est parvenu un moment critique de son tude des processus de linconscient collectif, avec lesquels il ne trouvait jusqualors aucune comparaison. Cest dans ce trait quil les dcouvre : ma technique mavait conduit inconsciemment sur la voie mystrieuse vers laquelle les efforts des meilleurs esprits de lOrient ont tendu depuis des millnaires . Le trait chinois sert de base sa rflexion personnelle, et le commentaire quil rdige est loccasion dexposer quelques rsultats de ses travaux et daborder des thmes qui lui sont chers, notamment la qute dune conscience plus haute et lme, compose selon lui de la globalit de la psych humaine , savoir de la conscience et de linconscient. A travers ce commentaire, Jung tentait, dit-il, de jeter un pont de comprhension intrieure, spirituelle, entre lOrient et lOccident . En 1949, il crit la prface de ldition anglaise du Yijing ou Livre des Transformations, dont Richard Wilhelm avait ralis une traduction et un commentaire. Jung y prsente sa thorie de la synchronicit qui tient, ses yeux, une place essentielle dans le Yijing. Selon sa thorie, il existe une interdpendance particulire dvnements objectifs entre eux, mais aussi avec les tats psychiques de lobservateur. Cet ouvrage, dont lorigine pourrait remonter au xie sicle avant J-C, est, selon lui, une mthode dexploration de linconscient , mettant laccent sur la connaissance de soi. 57. Ermite dans une grotte : Le grand ge, depuis toujours considr en Chine comme leffet visible sur la personne dune sagesse longtemps pratique et matrise, a mis au premier plan la qute de cette sagesse, laquelle ressemble fort celle de limmortalit. Vivre en ermite et savoir agencer dans un athanor les quantits adquates de minraux rares, cuits ou sublims selon des procds complexes,

57. ERMITE DANS UNE GROTTEChine, dynastie Qing, xviiie sicle Jade clair, shanzi Don A.Laporte, 1903 Muse des arts asiatiques Guimet, MG 13832

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occuprent nombre de tenants de cette alchimie que lon appelle alchimie extrieure, et ce depuis la dynastie des Han. Ce jade semble tre une illustration dun chapitre du trait de lrudit Ge Hong (283-343). Lermite, perdu en contemplation, a russi fabriquer llixir. Le chaudron fumant atteste de sa russite, tout autant que la chauve-souris en vol qui, en Chine, est symbole du bonheur. 58. Figure dimmortel : Les ravages provoqus par labsorption intempestive de drogues contenant des teneurs

59. MIROIR INSCRIT DU VU DE PERPTUELS PRINTEMPSChine, Dynastie Yuan (1279-1368) ou Ming (1368-1644) Bronze Muse des arts asiatiques Guimet, MG 26812

trs leves en mercure et en plomb, telles que les fabriquaient les adeptes de lalchimie extrieure, firent peu peu privilgier lalchimie intrieure. Cest le corps de ladepte qui devint le chaudron alchimique que lon semployait fermer hermtiquement par une conduction particulire du souffle, tandis que ses composantes yin et yang furent assimiles aux deux ingrdients majeurs qutaient le plomb et le mercure. Cette technique aurait t dtenue et enseigne par L Dongbin, un des huit immortels, et il pourrait tre le sage figur ici. Le tripode, dont jaillit un rai de lumire, symbolise la russite de lalchimie intrieure, de la transformation de lnergie yin de ladepte en yang pur et lumineux. 59. Miroir inscrit du vu de perptuels printemps : Le Yijing est le plus ancien manuel de divination chinois. La bipolarit du souffle originel (qi), qui se manifeste en deux forces antagonistes et complmentaires, le yin et le yang, est matrialise par un trait bris pour la premire, un trait plein pour la seconde. Les figures ainsi obtenues et leur cycle dvolution dvelopp en 64 hexagrammes ou 8 trigrammes, dcrivent le fonctionnement et les divers tats de lunivers. Organiss selon les 8 directions de lespace, les 8 trigrammes, visibles ici,

58. FIGURE DIMMORTELChine, dynastie Qing (1644-1911) Encre et couleurs sur soie Feuille dun album de neuf Muse des arts asiatiques Guimet, EG 663

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60. LE VNRABLE CLESTE DU COMMENCEMENT ORIGINEL, YUANSHI TIANZUNChine, Vers 1300 Bronze dor Muse des arts asiatiques Guimet, MA 12171

expriment soit le ciel antrieur davant la cration, soit le ciel postrieur, celui de notre monde. Les quteurs de longue vie font voluer en eux le souffle, de manire renverser le processus des transformations du yin et du yang vers celui du ciel antrieur; cest lalchimie intrieure. 60. Le vnrable cleste du commencement originel, Yuanshi tianzun : Le dao, par essence non descriptible et dnu de forme, na t quassez tardivement mis en images. Mais cela devint ncessaire aux ive-ve sicles, lorsque la production des icnes bouddhiques menaa dtouffer la religion chinoise. Daprs les textes, les trois souffles primordiaux dont sont issus les critures divines et le cosmos (ciel, terre et homme) furent assimils trois dits suprmes qui sont aussi celles du taosme;Yuanshi est lune delles. Il est muni dun sceptre, ainsi quune autre de ces trois dits, mais le troisime il qui pare son front ici permet de confirmer son identit. Un texte des Song du Sud dcrit, en effet, le pouvoir de Yuanshi dclairer le monde obscur des mes dfuntes grce au rai lumineux issu de son front.

Les notices 57 60 ont t rdiges par Catherine Delacour, conservateur en chef au muse Guimet, section Chine.

48 Crdits

Direction: Olivier de Bernon, prsident du muse des arts asiatiques Guimet Commissaire: Nathalie Bazin, conservateur en chef, section Npal-Tibet, muse des arts asiatiques Guimet Conseiller scientifique pour les uvres de C.G. Jung : Professeur Sonu Shamdasani, titulaire de la chaire Philemon dhistoire et dtudes sur Jung au Welcome Trust Center for the History of Medecine, University College Londres Avec la collaboration de: - Ulrich Hoerni, Fondation des uvres de C.G. Jung, Zurich - Bertrand Eveno, Editeur du Livre Rouge en langue franaise (Editions LIconoclaste/ La Compagnie du Livre Rouge) Edition: Anne Leclercq, responsable ddition Conception graphique et maquette : Pauline Roy, assiste de Saya Chemel Impression: achev dimprimer en septembre 2011 sur les presses de Bergame Print (Ferrires-en-Brie)

Crdits photographiques : 1. Autour du Livre Rouge 2009, Fondation des uvres de C.G. Jung, Zurich, avec lautorisation de la Fondation, premire publication 2009 par W.W. Norton, New York (couverture ; ill. 4, 5, 9a, 9b, 16 ; pp. 5 haut, 7 haut et bas, 11 bas,) Fondation des uvres de C.G. Jung, Zurich (ill. 6, 18) Fondation des uvres de C.G. Jung, Zurich reproduit avec lautorisation de la Fondation et de Dr. Robert Hinshaw (ill. 8). Fondation des uvres de C.G. Jung, Zurich/ Photographie Ulrich Hoerni (ill. 12-13 ; pp. 17 droite). The Picture Collection Inc. / Dmitri Kessel (p.3) Droits rservs (ill. 10, 11, 17a-17d) 2. C.G. Jung et lAsie Muse Guimet, Paris, Dist. RMN/ Benjamin Soligny/ Raphal Chipault (ill. 19, 20, 52 ; pp. 20 bas, 21 haut) RMN (muse Guimet, Paris)/ Thierry Ollivier (ill. 21,32-33,35-40,45-50, 59-60). RMN (muse Guimet, Paris)/ Droits rservs (ill. 22) RMN (muse Guimet, Paris)/ Daniel Arnaudet (ill. 23, 54) Evandro Costa (ill. 24-31) RMN (muse Guimet, Paris)/ P Pleynet . (ill. 34) RMN (muse Guimet, Paris)/ Ravaux (ill. 41-43, 51) RMN (muse Guimet, Paris)/ Richard Lambert (ill. 44, 55-56) Muse Guimet, Paris, Dist. RMN/ Ghislain Vanneste (ill. 53,58) RMN (muse Guimet, Paris)/ Franck Raux (ill. 57)