livre yankelevitch et l'ecole russe du violon

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Yuri YANKELEVITCH et l’Ecole Russe du Violon Yuri YANKELEVITCH et L’Ecole Russe du Violon Yuri YANKELEVITCH et l’Ecole Russe du Violon Issu de la grande tradition de l’École Russe du violon, Yuri Yankelevitch fonda sa propre école et donna au monde de la musique les artistes les plus prestigieux. Son nom trouve sa place auprès de Flesch, Auer, Sevcik, Oïstrakh et Galamian. Voici donc enfin édités pour la première fois en français deux textes fondamentaux d’un des plus grands professeurs contemporains du violon: “Le placement initial du violoniste” et “Les changements de position et les problèmes de l’interprétation” dont la préci- sion technique et la pertinence musicale devraient passion- ner aussi bien les pédagogues que les jeunes instrumentistes. En marge de ces deux textes inédits, véritable héritage légué aux musiciens, d’anciens élèves et collègues évoquent le souvenir de ce grand maître du 20 ème siècle, exigent, généreux et sensible qui a su leur communiquer avec passion une vision complète et cohérente de l’Art du Violon. 22uros ISBN : 2-914133-00-6

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Livre Yankelevitch et l'Ecole Russe du Violon. Libro de musica de Yankelevitch.

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Yuri YANKELEVITCHet l’Ecole Russe du Violon

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Yuri YANKELEVITCHet l’Ecole Russe du Violon

Issu de la grande tradition de l’ÉcoleRusse du violon, Yuri Yankelevitchfonda sa propre école et donna aumonde de la musique les artistes lesplus prestigieux. Son nom trouve saplace auprès de Flesch, Auer, Sevcik,Oïstrakh et Galamian.

Voici donc enfin édités pour lapremière fois en français deux textesfondamentaux d’un des plus grandsprofesseurs contemporains duviolon: “Le placement initial duvioloniste” et “Les changements deposition et les problèmes de l’interprétation” dont la préci-sion technique et la pertinence musicale devraient passion-ner aussi bien les pédagogues que les jeunes instrumentistes.

En marge de ces deux textes inédits, véritable héritagelégué aux musiciens, d’anciens élèves et collègues évoquentle souvenir de ce grand maître du 20ème siècle, exigent,généreux et sensible qui a su leur communiquer avecpassion une vision complète et cohérente de l’Art du Violon.

22€urosISBN : 2-914133-00-6

Couv Yanke 19/04/07 14:59 Page 1 JD 30 GIGA:10/11:SACHA:Livre Yanke:

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Illustration de couverture : Jacques Courtens

(Bruxelles 1926 - Grasse 1988)“Intemporel” 1982 - Huile sur toile

Nous remercions tout particulièrement Mme Isabelle Courtens qui nous a permis de

reproduire cette œuvre originale de Jacques Courtens.

© Tous droits de reproduction interdits.

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Yuri YANKELEVITCHet l’École Russe du Violon

Page 5: Livre Yankelevitch Et l'Ecole Russe Du Violon

Ouvrage préparé pour l’édition française par Alexandre BrussilovskyTraduction française: Anna Kopylov

Édith Lalliard (pour la Préface)Responsable de publication: Baudime Jam

© Suoni e Colori - 199934 Av. Raymond Croland - 92260 Fontenay aux Roses - France

http://www.music-passion.com

ISBN : 2-914133-00-6Décembre 1999

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“Le pédagogue doit partager intimement la vie de ses élèves, pénétrer leur personnalité, leur psychologie, et se développeravec eux.”

Yuri Yankelevitch

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Remerciements à Madame Elena Yankelevitchsans qui ce livre n’existerait pas.

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PRÉFACE

Alexandre Brussilovsky

Mon professeur et l’École russe de violon

J’ai eu beaucoup de chance durant mes études. En effet, leconservatoire Tchaïkovsky de Moscou a connu une période extrêmementflorissante dans les années 60-70. Les étudiants du conservatoire de cesannées-là ont pu croiser les pianistes Flier, Zak, Oborine, Neuhaus, lesviolonistes David Oïstrakh, Belenki, Kouznetzov, Leonid Kogan, (qui futmon professeur durant quelques années après la mort de YuriYankelevitch), sans oublier les leçons véritablement “théâtrales” de MstislavRostropovitch. Nous assistions presque tous les soirs à un concert où seproduisaient Richter, Gilels, Yudina, ou encore le quatuor Borodine,notamment pour les créations des quatuors, des symphonies, des concertosou encore des œuvres lyriques de Chostakovitch. Il régnait au conservatoire une atmosphère de fête : il s’y produisait sanscesse de nouveaux événements qui alternaient bien sûr avec le quotidiendes études, des examens portant sur la maîtrise de l’instrument, surl’harmonie, sur l’histoire de la musique, mais aussi sur la sempiternellehistoire du P.C.U.S., sans oublier le passage “forcé” par le service militaire.

Une atmosphère particulière régnait dans les cours de monprofesseur Yuri Yankelevitch, qui est sans conteste l’un des représentantsles plus importants de l’École russe de violon au XXe siècle, de cette Écolequi a parcouru un immense chemin depuis les premiers ménétriers,violoneux et baladins des X-XIVe siècles, en passant par l’un des pères-fondateurs de l’École russe de violon, le compositeur et interprète IvanKhandochkine (1747-1804).Depuis ses brillants successeurs du XIXe siècle tels Nikolaï Afanasieff etHenryk Wieniawski jusqu’aux figures emblématiques du début du XXesiècle comme Stoliarski et Auer, l’École russe de Stoliarski a donné DavidOïstrakh, Auer a formé Heifetz, Elman, Milstein et Zimbalist. La classe de Mostras, qui enseignait également au conservatoire de Moscouau début du XXe siècle, s’est prolongée par une autre branche de l’Écolerusse qui a trouvé son plein épanouissement aux États-Unis avec l’École deGalamian. Quant à Yuri Yankelevitch et Leonid Kogan, ils étaient tous deuxdes élèves d’Abram Yampolsky qui a également engendré toute une pléiadede grands violonistes.

Quel est le secret de l’École russe ? Quels sont ses grands principes ?Quelle est la particularité de l’un de ses sommets, l’École de Yankelevitch, quia donné au monde toute une série de grands solistes, de musiciens d’orchestreet de chambristes, de professeurs mais aussi de chefs et de compositeurs ?

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Il me semble que cette particularité réside en premier lieu dans uneapproche éminemment scientifique. En effet, Yankelevitch a étudié trèsprécisément la nature de la production du son au violon à travers sesaspects ses différents paramètres physiques: c’est ainsi qu’il a étudié dansles moindres détails les rapports entre le poids et la vitesse de l’archet,l’angle d’attaque par rapport à la corde et l’endroit sur la corde. Il savaitexpliquer tout ce savoir à ses étudiants, leur fournissant ainsi toute unepalette de sons et coups d’archet: mais par dessus tout, il arrivait toujoursà faire chanter le violon, à produire une “cantilène” (chant) même dans lespassages les plus virtuoses.

Refusant la nécessité pour le professeur de montrer tel ou tel procédé,ou de jouer une phrase musicale afin d’éviter une imitation aveugle de lapart de son élève, il montrait bien souvent ce qu’il fallait faire en chantantl’oeuvre. Il conseillait aux violonistes de prendre des cours auprès desgrands chanteurs et dans le même temps, les élèves chanteurs assistaient ases cours.

Accordant une importance très grande au doigté et aux coupsd’archets en tant que moyen d’expression musicale, il ne les a pour autantjamais élevés au rang de dogme. Il se réjouissait quand un élève trouvait sapropre voie, sa propre solution. Ainsi il aimait à dire: “Joue même avec tonnez si tu y arrives”. Yankelevitch savait détecter une erreur mais aussiexpliquer en quoi elle consistait et comment la corriger. Il disait qu’unprofesseur devait obtenir de son élève le résultat attendu sans tarder, durantle cours. La technique devait toujours être au service de son but principal,l’expression artistique et musicale. Il pensait que le rôle principal duprofesseur était d’enseigner à l’élève le self-control, la capacité de s’écouteret de travailler de manière autonome. Il était un véritable maître joailliercapable par un simple mot, un seul geste, une image évocatrice, de donnerdu brio à une interprétation correcte mais sans relief. En grand pédagogue,il savait mettre à jour les forces de l’élève et cacher ses faiblesses. Combiende fois n’a-t-il pas étonné son auditoire en donnant des conseilscomplètement différents voire même contradictoires à deux élèvestravaillant la même oeuvre? Et combien de fois n’a-t-il pas changé deconception au nom du style, de la recherche de la vérité artistique, enabordant de nouveau la même oeuvre ?

Yankelevitch n’aimait pas brusquer la préparation d’un musicien, il nefaisait jamais jouer d’œuvres au-dessus des forces de ses élèves. Il ne lefaisait pas pour la publicité: il fallait que les choses arrivent en leur temps.Il établissait les programmes de ses étudiants pour plusieurs années àl’avance, planifiant ainsi la participation aux concours internationaux. Sasoeur, Elena Isaevna, a ainsi retrouvé à sa mort, dans l’un de ses carnets denote, qu’il avait prévu pour moi en 1975 de participer au concours JacquesThibaud à Paris. Et c’est précisément le concours que je remportai cetteannée-là. Il en fut ainsi avec de nombreux autres élèves. S’il fallait résumer

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en une seule phrase la spécificité de l’École de Yankelevitch, la spécificitéde l’École russe de cordes en général, je dirais que son secret réside dans unmélange d’intuition, de recherche artistique permanente et de méthodescientifiquement élaborée de la maîtrise des cordes, mise au service del’expression artistique.

Yankelevitch ne supportait pas la passivité dans l’étude d’une pièce,pour lui, l’étudiant ne devait pas attendre de son professeur toutes lesexplications quant à sa conception de l’oeuvre. Il exigeait toujours dès lapremière leçon que les œuvres soient préparées et non pas déchiffrées surplace. Il disait : “Ce n’est pas grave si tu fais des erreurs, nous lescorrigerons ensemble. Par contre, je ne veux pas que tu viennes en courssans la moindre idée de ce que tu vas interpréter”.

Yankelevitch estimait qu’un violoniste, maîtrisant même à laperfection la technique, ne pouvait pas devenir un grand artiste s’il n’étaitpas formé, érudit, ouvert sur la vie de tous les jours et s’il ne s’intéressaitpas à ce qui se passait dans d’autres modes d’expression artistiques.

Il a été pour nous tous un professeur au sens le plus large du terme,se souciant non seulement de notre formation violonistique mais aussis’intéressant à nos problèmes et nous aidant à les résoudre. Il nous aprodigué un amour et une attention véritablement paternels.

Ce livre permet de perpétuer une infime partie de ce que nous a léguéYuri Yankelevitch: il reproduit sa thèse de doctorat, les souvenirs de sesétudiants, des professeurs, assistants et accompagnateurs qui ont travailléavec lui. De nombreux pans de son héritage doivent encore être étudiés ouattendent d’être publiés. De nouvelles générations d’artistes apparaissentqui prolongent son enseignement et traduisent dans la vie ses principes,perpétuant de par le monde le merveilleux héritage musical de l’École russedu violon.

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Vladimir Grigoriev

LA MÉTHODE DE YANKELEVITCH

1. Les problèmes généraux de la méthode

L’héritage que laisse chaque grand pédagogue, les idées, l’expérience etle talent qu’il transmet à ses élèves à travers ses écrits, ses discours et sesséminaires, mais aussi à travers les rédactions et les arrangements desœuvres musicales, est un-bien précieux qui contribue à faire évoluer l’artinstrumental et qui augmente nos connaissances sur la nature des processusde l’interprétation et de l’enseignement. Yuri Yankelevitch nous laissa unmatériau théorique inépuisable et contribua, par ailleurs, au plus haut pointà l’élaboration de la méthodologie soviétique de l’enseignement du violon.

Le présent article ne prétend pas exposer de façon exhaustive tous lespoints de la méthode de Yankelevitch. Il se contente de généraliser lecontenu de ses exposés et de ses séminaires, destinés autant aux étudiantsqu’aux enseignants, que l’auteur du présent article avait compilé pendantplus de quinze ans. On essaiera également de faire ressortir les principauxcontours du système pédagogique et méthodologique de Yankelevitch quilui permit d’obtenir de si brillants résultats dans la pratique.

Le noyau des idées de Yankelevitch était constitué par les questions deméthodologie du violon, et plus généralement par les questions que posel’enseignement des instruments à cordes. Dans les années cinquante, alorsque les problèmes de méthode étaient âprement discutés à la chaire duProfesseur Yampolsky, Yankelevitch se proposa de théoriser l’expériencepédagogique des sommités du Conservatoire, et en premier lieu celle deYampolsky. Ce travail était stimulé par les cours de méthodologie qu’ildonnait lui-même aux étudiants de la deuxième année.

Dans ses cours, Yankelevitch présentait les théories générales de laméthode en même temps que des travaux méthodologiques particuliersdont il faisait l’étude. Ses commentaires étaient extrêmement précis etsouvent non dénués d’humour, et les conclusions, toujours profondes,faisaient apparaître l’essence des phénomènes étudiés. Son érudition depédagogue-praticien et de théoricien stupéfiait, tout comme sa brillanteconnaissance du violon, de la psychologie et des secrets du processuspédagogique. Une atmosphère de recherche créatrice régnait pendant lescours, et l’approche formelle de la méthodologie, très courante à cetteépoque, en était complètement écartée. Les réponses aux questions,rarement catégoriques, étaient plutôt des hypothèses de travail lorsque leproblème étudié était encore mal connu des chercheurs, mais Yankelevitchproposait toujours un début de solution.

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L’assimilation des cours de Yankelevitch était facilitée par leur formeextrêmement logique, rigoureuse et précise. Les questions complexes yétaient subdivisées en paragraphes, et les déclarations argumentées etlaconiques. On sentait que Yankelevitch s’était posé des questionssemblables au cours de son travail et qu’il recherchait inlassablement lesréponses.

Les idées de Yankelevitch évoluèrent au cours de son activitépédagogique. Il suivait avec beaucoup d’attention toutes les parutions quiconcernaient la méthodologie, mais aussi celles des domaines plusspécialisés, comme la psychologie et la physiologie, et il essayaitd’appliquer de façon cohérente les découvertes de la science à la pédagogie.Ainsi, il étudia la théorie des réflexes conditionnés de Pavlov et conclut queles habitudes du jeu, à défaut d’être identiques, étaient proches des réflexes.

Au cours des dernières années d’enseignement, Yankelevitch, riche deson expérience, accordait de plus en plus d’importance à la relation existantentre les problèmes méthodologiques et pédagogiques, et aux grandesgénéralisations méthodiques qui s’étendaient largement au-delà de sonexpérience, même s’il n’avait jamais cessé d’illustrer ses propos par desexemples concrets dont il “débordait” littéralement. Il créa un systèmeharmonieux où l’enseignement du violon, adapté à chaque cas particulier,était relié aux travaux de recherche dans le domaine de la méthodologiescientifique. Cela le conduisit à modifier le programme personnaliséd’enseignement qu’il utilisait en classe.

Il consacrait toutes ses forces à son métier: “Je travaille depuistoujours, parce qu’il n’est pas suffisant d’écouter les élèves pendant le cours,il faut aussi travailler sans relâche. Les problèmes sont nombreux, et ondoit tous les résoudre, on doit tout mesurer et tout analyser. Si l’enseignantne fait qu’écouter ses élèves et les corriger d’après les partitions: “Ici, tujoues ceci et là, tu joues ainsi. Et à présent, rejoue encore!”, ce n’est pas duvrai travail. Cette méthode n’est applicable qu’en phase finale, lorsque toutest déjà appris, “peaufiné” et analysé.’’

La souplesse de la méthode Yankelevitch permettait d’allierl’indulgence et la détermination. Un début logique, le plan du travail et lecheminement progressif vers un but fixé d’avance jouaient un rôleprimordial. Les exigences du Maître étaient toujours précises, ciblées, et sesremarques profondes et variées dans leur forme.

Il fut l’un des premiers à appliquer dans la pratique la méthode de la“perspective éloignée” à chaque étudiant en fonction de sa personnalité. Ilplanifiait consciencieusement la progression de chaque élève dans le systèmed’enseignement: l’école de musique, puis l’Institut de musique, ensuite leConservatoire suivi de la thèse de doctorat, et finalement l’activité de

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concertiste. À chaque stade ses problèmes, mais dans l’ensemble, toutes lesquestions étaient abordées au cours des études du jeune musicien, ce quipermettait à Yankelevitch de “construire avec plus d’efficacité l’édifice de lamaîtrise instrumentale” de chaque élève et de le conduire au sommet de l’art.

Yankelevitch tâchait également de tirer profit du système de sélectionpar concours, en décidant au cas par cas de l’utilité d’une telle épreuve pourses étudiants, en fonction de la spécificité du concours et du caractère dudon de l’élève, de son style de jeu, et non pas en fonction de l’état deperfection du programme étudié. Comme on le souligna à plusieursreprises, Yankelevitch s’appuyait dans ses recherches sur les principesélaborés par Yampolsky. Quels étaient donc les éléments de la méthode deYampolsky qui l’avaient le plus intéressé? Reportons-nous à la conférencedu 22 mars 1952 organisée au Conservatoire, lors de laquelle il fit enquelque sorte le bilan de l’expérience de son professeur. Dans son exposé ilmit l’accent sur le rôle social que les futurs artistes devaient être préparés àjouer, leur but étant de porter leur art au public le plus large possible. Unetelle approche faisait logiquement naître deux problèmes rechercher unrépertoire adapté et trouver des méthodes qui permettent de comprendre etde développer la personnalité artistique de l’élève. Yankelevitch avaitégalement insisté sur le principe essentiel de Yampolsky qui, pour formerde jeunes professionnels, leur faisait découvrir d’une part, le contenu desœuvres étudiées, d’autre part l’idée que la sonorité était un support concretde la pensée musicale, et enfin les complexes moteurs nécessaires pourmatérialiser ladite sonorité. Yampolsky cherchait, selon lui, “à créer chezl’élève non pas des sensations motrices, mais plutôt des perceptionsnerveuses qui facilitent l’apparition rapide de réactions réflexes.”Yankelevitch avait de plus complété le principe du rapport conscient del’exécutant à l’oeuvre par celui de l’utilisation consciente de son proprepotentiel. C’est également là que se trouve en partie l’origine du succès desa méthode d’enseignement.

L’intérêt que Yankelevitch portait au côté psychophysiologique del’enseignement n’était pas fortuit. Il supposait que c’était dans ce domainequ’il fallait chercher la solution pour stimuler le processus del’apprentissage. Sa méthode était marquée par son désir de tenir comptedes découvertes de la science et de les appliquer à la pratique musicale.C’est ce qui plaça rapidement sa méthode en dehors de l’accumulationhabituelle d’expériences empiriques et en fit un tournant dans l’approchedes questions méthodologiques. L’intérêt que Yankelevitch portait auxgénéralisations théoriques et son désir permanent d’avoir des réponsesprécises aux questions que posait la pratique, contribuèrent à cetterévolution.

Les questions de méthode les plus couramment développées parYankelevitch sont au nombre de cinq : 1) la connaissance de l’élève, de ses

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particularités et de ses capacités, et la recherche d’une juste approche quifavorise l’apprentissage; 2) le choix du répertoire technique et artistiqueindividuel, et l’évaluation de la progression de l’élève; 3) le fondementpsychophysiologique de la technique rationnelle du violon, et les systèmesqui permettent de parvenir à la maîtrise de l’instrument, auprofessionnalisme; 4) les indications méthodologiques concrètesconcernant les problèmes particuliers que posent l’apprentissage decertains moyens d’expression, les coups d’archet, l’organisation des cours,etc; 5) les problèmes liés à la scène, la méthode de préparation au jeu surscène et l’orientation de tout le processus pédagogique vers ce but.

Yankelevitch s’attaquait aux problèmes les plus importants, mêmes’ils n’étaient pas encore très bien étudiés, parce qu’il les trouvait essentielspour un auditoire et à un moment donné. Ainsi, lors des réunionsd’enseignants de l’École Centrale de Musique et d’autres établissements, ilabordait en premier lieu les principes généraux qui permettent de révélerles aptitudes de l’élève, les principes généraux du placement, les questionsdu répertoire, c’est-à-dire en réalité les problèmes de l’enseignement. Avecles élèves du Conservatoire il parlait en détail de l’organisation des cours,des méthodes d’apprentissage les plus efficaces et des différents problèmesde la technique du violon. Ses cours théoriques destinés aux enseignantsdes Conservatoires et à tous ceux qui participaient aux stages deperfectionnement, étaient centrés sur des problèmes d’interprétation etd’enseignement les plus intéressants.

En analysant les exposés de Yankelevitch faits à des périodesdifférentes et destinés à un public différent, on aurait aimé trouver desréponses aux questions suivantes: a) quels étaient les critères qui luipermettaient de juger du talent et des capacités de l’élève, de sa maîtriseartistique et technique, lorsqu’il choisissait un répertoire et des moyensd’expression adaptés pour travailler sur une oeuvre précise? b) quelle étaitla corrélation des problèmes psychologiques, techniques et esthétiques qu’ilessayait de résoudre?; c) quels étaient, enfin, les principaux contours de sonsystème qui reliait étroitement tous ces problèmes?

“Pour les uns, les questions hétérogènes de méthodologie telles que leplacement des mains, les mouvements exécutés, la sonorité, le choix durépertoire, la mise en lumière du contenu, les questions d’enseignementindividuel, sont parfaitement indépendantes. Et pour les autres, elles sontmaillons d’une même chaîne et forment un tout harmonieux. Je suis deceux-là”, disait Yankelevitch.

Suivant les thèses de la pédagogie soviétique, il progressait desgénéralités vers les cas particuliers. “Il existe des normes générales, des loisque ce soit en anatomie, en physiologie, en psychologie, en physique ou enacoustique, dont la transgression conduit au chaos. Le but du placement“individualisé” est de construire un système individuel rationnel en

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respectant ces règles générales. Le rôle du pédagogue consiste alors à aiderl’élève, avec tact et intelligence, à mettre en forme son propre placement,même s’il ne correspond pas toujours aux normes idéales. Le critèreprincipal est ici l’aisance des mouvements, et non pas une norme formellequi reste une abstraction”. Yankelevitch aimait citer Yampolsky:“Malheureusement, le grand défaut de beaucoup d’enseignants est de nepas savoir écouter le violoniste, ils observent simplement ses mouvementspour savoir s’ils sont “corrects”. Alors que le résultat des mouvements, l’idéeque le violoniste veut exprimer, leur échappe totalement.’’

Selon Yankelevitch, l’approche active de l’enseignant doit se traduireavant tout par une attention active envers l’adaptation psychologique quel’élève manifeste vis-à-vis des exigences artistiques et techniques, envers leprocessus d’assimilation de nouveaux éléments. C’est ainsi que l’enseignantétablit “ce qui peut être utile à l’élève, ce que 1’on peut accélérer et ce qu’ilest préférable d’écarter temporairement”. Mais avant cela le pédagogue doitsoupeser, en s’appuyant sur son expérience, son savoir et sa connaissancede l’élève, un grand nombre d’éventualités pour choisir la plus efficace,celle qui conduira le plus rapidement au but. Cette méthode permet de sereporter sur une voie “de secours” si la possibilité choisie se révèle par tropdifficile ou, au contraire, facile.

À son avis, cette situation peut se présenter concrètement de lamanière suivante: l’enseignant montre ce qu’il faudrait faire dans l’idéal,selon son expérience et les normes admises, et observe très attentivementla manière dont l’élève s’adapte à la nouvelle situation, afin de voir ce dontil est encore capable et ce qui lui est contre-indiqué. Ainsi on étudiesimultanément la personnalité de l’élève.”

Ces propos illustrent bien son approche “de recherche etd’expérimentation” dont il fut déjà question. Chaque cours, chaqueconférence, étaient pour Yankelevitch plus que de la recherche créative,c’était aussi une occasion de vérifier par la pratique une décision ou unenouvelle idée mûries dans son “laboratoire de création”. Malgré cela, lecentre de ses préoccupations restait toujours “l’élève”, un individu concretavec un raisonnement, des aspirations et des capacités qui lui étaientpropres.

Yuri Yankelevitch cherchait par tous les moyens à stimuler l’élève, àfaire naître chez lui la flamme créatrice. Il estimait que l’acquisition d’uneplus grande autonomie et, en premier lieu, de l’auto-observation étaient desmoyens d’y parvenir. Il répétait souvent que “le cours était en fait de l’auto-observation.” Savoir travailler seul signifie, selon Yankelevitch, prendreconscience du but. “Aucun mouvement, aucune note ne doivent êtreréalisés sans qu’on en comprenne le but, sans qu’on en saisisse laproblématique, qui peut être l’intonation, le changement de position ou

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autre chose.” Cependant, disait-il, savoir travailler ne consiste passeulement à se montrer persévérant dans l’effort. Cela consiste avant tout àréfléchir avec ou sans instrument dans les mains. Les mains peuventtravailler davantage que le cerveau, largement au-delà de la duréemaximale de concentration. Mais est-ce vraiment nécessaire? “On nedevrait jamais fatiguer les mains. La fatigue est un signe d’une mauvaiseméthode de travail. Plus les mouvements sont naturels, moins on se fatigue.Mais le plus important, c’est la concentration, le contrôle des mouvements.Ce ne sont pas les mains que l’on doit forcer mais la concentration.Toutefois, même si les bras sont parfaitement détendus, on peut ressentirde la fatigue lorsque le travail est prolongé. Pour l’éviter, il faut alternercorrectement le travail et les moments de détente.”

Yankelevitch estimait qu’il était essentiel d’acquérir des perceptionsmotrices correctes”, après “s’être fait une idée correcte de la motricité”. Audébut donc, le processus d’auto-observation devrait être centré sur ce côtédu jeu. La plus légère transgression nécessite une correction immédiate.Yankelevitch souligna que “la douleur ressentie au niveau des mains n’estpas un phénomène normal. Elle est due à un apprentissage insuffisant, à unmauvais placement, et elle peut conduire à une maladie professionnelle.Lorsque la douleur apparaît, on doit “passer au microscope” tout leprocessus du jeu. Parfois la douleur apparaît à la suite d’une affection,surtout après la grippe ou l’angine, lorsqu’il y a présence de fièvre. C’est trèsdangereux. Moi-même, j’interdis à mes étudiants de travailler quand ilssont malades.”

Yuri Yankelevitch mentionna souvent l’idée du “naturel’’ dans lesmouvements. Il s’agissait là non pas du “naturel” de notre expériencequotidienne, mais d’un critère professionnel pour lequel on crée, ens’adaptant, son “naturel” personnel. Ainsi, dans son article intitulé “Leplacement initial du violoniste”, on lit qu’il convient de partir non pas duplacement naturel des mains dans la vie quotidienne, mais du naturel créédans des conditions professionnelles bien définies.” Cependant,Yankelevitch se reportait également dans ses cours aux définitionscourantes du naturel. Par exemple, en parlant du placement de la maindroite à l’extrémité de l’archet, il conseille de “contrôler la flexion maximaledu poignet en tendant la main droite, comme pour prendre un objet sur latable”. On lit plus loin que “tous nos mouvements sont des arcs de cercledont les rayons sont différents. Toutes les parties du bras se meuventtoujours à l’unisson, comme une seule entité. Les mouvements du jeuconservent cette caractéristique. La correction des mouvements se fait parles différentes parties du bras, y compris par les doigts, de la même manièreque dans la vie quotidienne”

Yuri Yankelevitch défendit une méthode créative qui tenait comptedes progrès de la psychologie et de la physiologie. “La méthode est

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l’interprétation scientifique du processus du jeu et de l’apprentissage duviolon. Mais tout comme la pédagogie, elle ne doit pas être un schémaabstrait mais un processus créatif. La psychologie et l’intuition y jouent lerôle principal. Le pédagogue doit savoir davantage que le meilleurvioloniste: il doit connaître l’instrument, la psychologie de l’élève, les lois dela scène et du jeu en public, et bien d’autres choses. Transmettre sesconnaissances n’est pas chose facile, c’est un art particulier. AbramYampolsky fut un grand pédagogue non seulement parce qu’il connaissaitla technique de l’interprétation, mais aussi parce qu’il avait un “sixièmesens” pédagogique : il parlait très peu en cours, mais chacun comprenaittout ce qu’il voulait dire. Il connaissait à la perfection la psychologie del’élève. Il disait, par exemple, qu’il fallait céder à un élève “rebelle” mais quecelui-ci devait changer de voie imperceptiblement pour lui-même quelquesmois plus tard. C’est réellement la plus haute expression de l’artpédagogique.

Yankelevitch accordait lui aussi une importance particulière au senspsychologique de l’enseignant, à sa connaissance des composantespsychologiques de la personnalité, à sa capacité à déterminer lescaractéristiques de chaque individu. Il classait ses étudiants principalementen fonction de leur constitution nerveuse, mais son approche différait de laclassification de Yampolsky. “Dès qu’il s’agit d’un travail pédagogiquesérieux, demandez-vous à qui s’adresse votre enseignement. Essayez decomprendre à qui vous avez affaire, car chacun possède des qualités, unpsychisme et une physiologie différents... Certains sont volontaires etconcentrés, d’autres cultivés et intelligents, d’autres encore paresseux. C’estuniquement au bout de cette analyse que vous saurez quelle méthodeappliquer à tel ou tel élève. La diversité du “matériau humain” excluttotalement l’approche uniforme.” Et de rajouter en plaisantant : “Dans lapratique, je divise mes étudiants en deux groupes: je travaille avec lespremiers et je mets à la porte les seconds.”

Yankelevitch trouvait une approche personnelle pour chaque élève. Ilcroyait qu’il était indispensable pour un pédagogue d’aujourd’hui deconnaître à la perfection les postulats de la psychologie: “On me demandesouvent quelle peut être l’importance de la psychologie pour la pratiquevivante. Je réponds toujours qu’elle est capitale. Les donnéespsychologiques et physiologiques de chacun sont différentes. Cependant,on peut mettre en évidence l’existence de plusieurs types psychologiques.Certains musiciens, par exemple, sont facilement excitables, ils sontémotifs et peu concentrés. Ces étudiants progressent facilement “enextension”, mais difficilement “en profondeur”. Le but du processuspédagogique consiste à étudier minutieusement la personnalité de l’élève, àdéterminer ses atouts et ses faiblesses, son potentiel de progression, seslimites et ses “freins”. Ce n’est qu’après que l’on peut élaborer un pland’apprentissage efficace, ce qui sous-entend que l’on doit s’efforcer de

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développer en premier lieu les facettes les plus brillantes et les plusoriginales de la personnalité, tout en corrigeant les côtés faibles.”

Yankelevitch pensait également que, pendant le cours, il étaitimportant de rester psychologue dans la relation directe à l’élève, carparfois une approche psychologique erronée entraîne une granderésistance de la part de l’étudiant. “C’est un signe d’une mauvaisepréparation psychologique de l’enseignant”, affirmait Yankelevitch etl’illustrait par cet exemple: “lorsqu’un enfant, qui a toujours été premierdans sa ville, vient à Moscou, il se retrouve pour ainsi dire “à la diète”. Il estnormal qu’il soit offensé et qu’il résiste. Dans ces conditions, des mois, desannées entières ne suffiraient pas à l’enseignant pour le faire avancer. C’estpourquoi l’ approche doit être très délicate au début, on doit se familiariseravec l’élève, avec son raisonnement et sa réceptivité. Dans de tels cas,Yampolsky faisait très peu de remarques pour comprendre les réactions del’élève et même pour connaître son degré de patience, et c’est seulementaprès qu’il commençait peu à peu à le corriger en essayant de parvenir à ceque l’élève désire lui-même ce que voulait obtenir l’enseignant.”

La découverte de la personnalité de l’élève relève, selon Yankelevitch,non seulement de la participation active de l’enseignant mais aussi de laparticipation active de l’élève : il ne suffit pas de bien connaître l’élève, ilfaut encore qu’”il puisse évaluer lui-même ses côtés forts et faibles, sesqualités et ses défauts, et qu’il apprenne à se juger avec détachement.” Cettecondition est nécessaire pour que le processus pédagogique soit efficace aumaximum et devienne un échange.

Parmi les qualités psychologiques de l’élève que l’enseignant doitmettre en évidence en premier lieu, Yankelevitch cite les suivantes: letempérament, la concentration, la résistance à la fatigue, l’endurance, lacapacité de travail, la faculté d’aller jusqu’au bout. Les premiers cours et lechoix du répertoire doivent être faits en fonction de ces qualités. Parexemple, un élève émotif se verra proposer au début de l’apprentissage desœuvres d’un style rigoureux qui le disciplineront et l’habitueront à laprécision de la finition. Un élève plus “froid” tirera bénéfice d’un répertoireplus captivant, composé d’œuvres romantiques. Au bout de cette étaped’approche, les traits de la personnalité de l’élève se précisent grâce autravail effectué en commun avec l’enseignant, ce qui permet d’esquisser denouveaux objectifs à plus long terme. Mieux l’enseignant connaîtra sonélève, plus il pourra élargir la période de ses prévisions quant à l’évolutionet la vitesse de progression.

Pour Yankelevitch, l’aspect le plus complexe du travail avec l’élèveétait sans aucun doute la découverte de toute la richesse de sa personnalitéprofonde: “pour qu’elle s’exprime, la première chose à faire est de ne pasl’écraser. On doit parvenir à ce que l’élève accepte les indications del’enseignant non pas sous la contrainte, mais avec sincérité et passion.” En

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partant de ce point de vue, Yankelevitch s’efforçait de -stimuler l’intérêt deses élèves pour les problèmes qu’il estimait primordiaux, en argumentanttoutes ses remarques, en faisant découvrir la portée technique et artistiquede chaque procédé, chaque méthode, chaque conseil.

Il pensait que plus le musicien était talentueux, plus il était difficile detravailler avec lui. “Nombre d’enseignants se plaignent de ne pas avoird’élèves talentueux. Or, ces élèves demandent un investissement dix foissupérieur de la part de l’enseignant. Avec un élève moyen on peut travaillerselon un certain modèle. Mais on ne peut pas donner d’ordres à un élèvetalentueux qui peut évidemment vous écouter, mais ce serait se tromper devoie. On risque de transformer ainsi un élève talentueux en un élève moyen!La bonne voie consiste à le convaincre que vos remarques sont nécessaireset bénéfiques, pour qu’il ait confiance en vous, comprenne ce que vousexigez de lui et se mette à avancer tout seul.”

Mais l’enseignant doit avant tout développer en lui-même “l’intuitiondu talent” vis-à-vis de chaque élève, il doit connaître ses côtés forts,“entrevoir son avenir. Certaines notes, l’accentuation, la sonorité et laconstruction des phrases, doivent l’éclairer sur le jeu idéal et l’objectif del’élève et lui permettre de l’aider. C’est ainsi que je procède sans jamaiséteindre la “flamme” de l’élève, parce que le lit de Procuste conduit àl’uniformisation et détruit le talent.”

Lorsque les contours essentiels de la personnalité de l’élève sont ci-clairs pour l’enseignant, il se trouve confronté à un problème non moinscompliqué et qui demande autant de responsabilité, à savoir commentéduquer l’indépendance d’esprit chez un jeune artiste, but ultime du travailpédagogique selon Yankelevitch. “Plus l’élève est doué, plus il ad’imagination et de “fantaisies”. Mais j’ai fréquemment eu l’occasiond’observer chez mes élèves l’incapacité à saisir la conception globale del’œuvre et une insuffisance de la vision d’ensemble.” Afin d’y remédier,Yankelevitch recommandait plusieurs méthodes : “Lorsqu’un étudiant doitjouer le Concerto de Beethoven, par exemple, il faut lui conseiller de ne pasl’écouter tout de suite, mais de commencer par étudier minutieusement lesquatuors et les symphonies de l’auteur, afin de comprendre son étatd’esprit. Dès qu’il commence à le jouer, on doit lui faire écouter trois ouquatre enregistrements différents pour qu’il fasse une analyse comparativeet mette en lumière les similitudes et les différences de l’interprétation.”

Il affirmait que l’imagination de l’enfant devait être stimulée très tôt,lorsque l’enfant n’en est encore qu’à un répertoire élémentaire à la position.“On doit exiger très tôt qu’une simple danse, une berceuse ou une marcheaient une unité de caractère et beaucoup d’expression. Plus tard, lesmodèles musicaux s’affineront, se multiplieront, s’approfondiront etdeviendront moins concrets. Les compositeurs romantiques ont des

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milliers de gradations, de délicats changements d’un état à un autre. Là, lesremarques et les explications justes de l’enseignant peuvent aider l’initiativeartistique de l’élève à émerger, car ces processus sont intimement liés.

Il est également important de bien choisir le répertoire qui stimulel’imagination de l’interprète et qui la conduit progressivement vers desproblèmes plus complexes. “On n’est pas obligé de suivrechronologiquement tout le répertoire du violon. Cela ne serait pasproductif. La musique avec des effets “théâtraux”, les genres populaires oudes œuvres à programme apportent davantage à la pensée imagée au débutde l’apprentissage que la musique classique italienne. L’enfance doit êtreformée par des pièces de genre. Plus tard, on peut passer à des piècescomme la “Sérénade mélancolique” de Tchaïkovsky. On doit trouver lacouleur sonore, ou “le fond sonore” comme le disait Yampolsky, de chaquepièce. Les pièces courtes constituent le meilleur matériau pour développerla sensibilité et le sens artistique. En ce qui me concerne, j’utilise beaucouples œuvres de Kreisler. Ses pièces sont très difficiles à jouer: chaque note,chaque coup d’archet et l’harmonie y sont “polis” et étincellent comme desdiamants. Le violoniste qui apprend à jouer ces pièces avec justesse devientun tout autre musicien et commence à ressentir la musique différemment.Pour développer le sens du coloris, les œuvres de Szymanowski, Debussy,Ravel sont très utiles, leurs couleurs sont inspirées et les variationsextrêmement fines.”

Yankelevitch accordait une grande importance à la forme du discoursde l’enseignant, à sa capacité à formuler ses remarques avec précision etsens psychologique: “Le langage utilisé par l’enseignant est très important.Si on dit que pour parvenir à l’expression de l’énergie il faut appuyer plusfort avec le doigt et marquer l’accent avec l’archet, cela reste formellementcorrect. Mais une telle approche fait perdre le sens, l’esprit et l’arôme del’oeuvre. On fait alors de la musique avec de la technique. Or, les remarquesde l’enseignant doivent être fondées avant tout sur la musique.”

Yankelevitch pensait qu’on ne pouvait jamais ruser avec l’élève, letromper ou trop le féliciter lorsqu’il ne le méritait pas, même dans le but dele “stimuler”. Il affirmait que l’on devait le féliciter ou le critiqueruniquement lorsqu’il le méritait. “Je suis contre les encouragementsimmérités, car dans ce cas l’élève ne se fait pas une idée objective de sonjeu. La manière intelligente de le traiter avec tact, c’est d’être capable de luifaire prendre confiance en lui.”

Au cours des périodes de préparation aux concours, Yankelevitch semontrait impitoyable pour les plus petits défauts et ne laissait rien passersans remarque. Mais juste avant le jour du concours, il changeait detactique et se mettait à féliciter l’élève pour la qualité de son jeu. Celadonnait beaucoup d’assurance à l’élève et l’aidait à rester serein sur scène.

Yankelevitch refusait la distinction généralement admise, notamment

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par Flesch, entre les enseignants du primaire et les enseignants dusecondaire et du supérieur. Il estimait que les enseignants du supérieurétaient parfois trop détachés du “contexte de la consolidation des acquis, dela “cuisine” réelle de la formation du jeune talent, tandis que lesenseignants du primaire, et même parfois de l’École Centrale de Musique,ne voyaient pas les perspectives de leur travail. Comment alors être sûr quela technique qu’ils enseignent sera véritablement efficace? Cette distinctionporte préjudice aux premiers et aux seconds.”

Yankelevitch pensait également que les enseignants du primaireétaient parfois trop pressés, qu’ils essayaient d’aller au-delà de ce qu’ilspouvaient et devaient faire donnant à leurs élèves des œuvres beaucouptrop difficiles pour les faire progresser plus rapidement. “Je suis l’adepted’une progression lente au début de l’apprentissage. On doit acquérirprogressivement le bagage technique, pour que la qualité du jeu ne pâtissepas de la tension musculaire et de la fatigue. Tout le monde ne le comprendpas. Lors d’un concert de mes élèves à Leningrad auquel j’assistais, PavelKogan, qui avait alors onze ans, interprétait “Le Prélude et l’Allegro dans lestyle de Pugnani” de Kreisler. J’ai alors été criblé de remarques, parce qu’àcet âge, on devait déjà jouer le Concerto de Mendelssohn. J’ai répondu qu’ilm’était difficile de polémiquer avec tout le monde, mais que je donnaisrendez-vous à tous les intéressés dans cinq ans!”

En raison de cela, Yankelevitch était toujours extrêmement concislorsqu’il avait à juger les élèves des autres enseignants, malgré sonexpérience et ses connaissances étendues dans le domaine de laméthodologie. Il répétait souvent que c’était précisément l’expériencepédagogique qui le poussait à la prudence dans ses jugements et sesconclusions. “Une seule audition n’apporte pas grand chose. Celui quienseigne connaît infiniment mieux le potentiel et les perspectives de sonélève qu’un auditeur extérieur. De plus, un seul programme ne permet pasà l’élève de montrer tout ce dont il est capable.” Et lui de mettre en gardecontre “le réel danger des remarques générales”: “Il est si facile de faire uneremarque, alors que l’on atteint souvent les mêmes résultats en empruntantdes voies différentes bien que chacun connaisse ces généralités.”

Cette modestie et l’exigence vis-à-vis de soi-même traduisaient chezYankelevitch une recherche permanente, le refus de “la vérité absolue”:l’attitude d’un omniscient lui a toujours été parfaitement étrangère. Il essayaitégalement d’inculquer la modestie et l’exigence à ses élèves, en leur citantSzigeti, interprète exigeant et éternellement insatisfait de lui-même: “Mon jeune m’a jamais procuré aucun plaisir. Tout me déplaisait. Tout m’étaitinconfortable: regardez mes bras, ils sont bien trop longs! Je ne trouve jamaisla bonne solution, ni le bon doigté, ni les bons coups d’archet. Le violon m’atoujours fait souffrir.” Yankelevitch entendit jouer Szigeti à Leningrad avant laguerre. Après le concert, une rencontre avec l’artiste avait été programmée,

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mais il se fit longtemps attendre. Lorsqu’on alla le chercher dans sa loge, onentendit ce merveilleux violoniste travailler le Prélude de Bach qu’il venait justed’interpréter brillamment. En voyant les visages étonnés de ses invités, il dittout embarrassé : “Je l’ai si mal joué que je dois le retravailler sur le champ!”

Cet exemple, et bien d’autres encore, faisaient partie de la méthodeYankelevitch et exerçaient une influence certaine sur ses étudiants.

Yankelevitch s’insurgeait souvent contre les différences de méthodeset de niveau entre l’enseignement secondaire et le supérieur qui gênaientsérieusement l’organisation correcte de l’apprentissage, à tel point qu’auConservatoire, les enseignants étaient forcés de résoudre nombre deproblèmes techniques et artistiques et de perdre beaucoup de temps au lieude dispenser réellement un enseignement supérieur. “J’aime commencer àtravailler avec mes élèves à partir du secondaire. Là, nous disposons debeaucoup de temps et pouvons tout planifier sans nous presser, mais sansnous attarder non plus. Lorsqu’un élève talentueux, mais mal préparé,entre au Conservatoire, on passe presque deux ans à le former à nouveau,(car il faut d’abord qu’il “désapprenne” la mauvaise façon de jouer etqu’ensuite il apprenne la bonne.

À la fin des études, on est à court de temps, et l’étudiant n’a pas lapossibilité de se faire reconnaître. Il n’a pas de “bagage”, de répertoire. Il luimanque généralement deux ou trois ans d’études. Bien sûr, il n’est pasvraiment un mauvais violoniste, mais il ne s’est pas entièrement réalisé.”

C’est pourquoi, Yankelevitch répétait constamment à ses élèves : “Neperdez pas de temps inutilement. Dans un établissement d’enseignementsupérieur l’apprentissage doit être intensif. Comment pouvez-vous devenirmusicien si vous apprenez le premier mouvement d’un concerto au premiersemestre et les deux autres au deuxième? Peut-on se dire cultivé si on ne litqu’un livre par an?”

Yankelevitch attribuait une importance capitale au développement dumode de pensée “auditif”, à la capacité de percevoir toutes les composantesdu flot sonore. “La perception auditive est complexe. Elle est constituéed’éléments liés organiquement qui reflètent les moyens expressifs de lamusique, tels que l’intonation, la relation entre les sons, le timbre, ladynamique du rythme, le rapport entre les différents mouvements dans laconstruction de l’oeuvre, les éléments du phrasé, etc. Tout cela estétroitement lié. Si l’on néglige l’un de ces éléments, l’interprétationartistique de l’oeuvre sera imparfaite. De plus, il est très important deressentir la richesse et la spécificité des moyens d’expression du violon.

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2. Le placement

Le placement était particulièrement important aux yeux deYankelevitch. Il pensait que l’avenir du violoniste en dépendait en grandepartie et qu’un mauvais placement pouvait devenir un sérieux obstacle pourla progression d’un musicien talentueux. Mais il affirmait également qu’”iln’existait pas de critères absolus pour le placement. Les éléments duplacement sont relatifs, ils dépendent des causes subjectives et objectives.

Cependant, en dépit du caractère relatif de certains éléments, ilélaborait un système du placement et de l’adaptation technique àl’instrument dans lequel l’approche artistique avait une place primordiale.“Mes opinions se sont formées sous l’influence directe de Yampolsky, dontj’ai été l’élève, et plus tard l’assistant, durant dix-sept ans.”

Yankelevitch refusait la dogmatisation du placement, l’adoption desolutions “idéales” et abstraites. Il croyait que le but premier du pédagogueétait de trouver le placement naturel de l’élève, “à défaut de quoi lesperceptions motrices deviennent une fin en soi, et non pas un moyenindividuel qui permet de réaliser sa propre conception musicale”.

“Le placement impersonnel ne donne pas les bases suffisantes pouracquérir tout le complexe de mouvements dont l’interprète a besoin. C’estce qui nuit le plus au violoniste.”

En s’opposant aux méthodes qui mettaient au premier plan la“commodité” du jeu, Yankelevitch affirmait: “À mon avis, ce n’est pas unbon critère. Si l’on prend la commodité pour référence, alors n’importequelle habitude, même si elle est mauvaise, peut devenir “commode” àforce de la travailler.”

En ce qui concerne le placement, l’enseignant doit partir nonseulement de l’idée de la rationalité, mais aussi et surtout, de la notion depotentialité, parce qu’elle permet de voir que le commode et le familierdeviennent souvent des freins pour l’évolution du violoniste. “Le but del’enseignant consiste à aider l’élève, avec tact et souplesse, à trouver sonpropre placement.”

“On décide de la potentialité d’un placement à partir des possibilitésqu’il offre aux mouvements du violoniste. Malheureusement, beaucoupd’enseignants travaillent uniquement avec de jeunes enfants. Ils pensenttout faire correctement, mais on a besoin de beaucoup de finesse, desensibilité et d’une excellente connaissance de l’instrument pour nonseulement apprendre à l’élève à tenir l’archet et à le déplacer, mais aussipour prévoir ce qu’il aura à faire lorsqu’il jouera le Concerto de Brahms. Ondoit savoir se projeter dans l’avenir, voilà ce qu’est la potentialité duplacement.”

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Yankelevitch avait très bien vu également que les éléments duplacement dépendent directement des orientations esthétiques et desexigences d’une époque envers la sonorité et les moyens d’expression, etqu’ils dépendent aussi des préférences stylistiques du violoniste et del’amplitude de son jeu. “Pourquoi tous mes élèves jouent-ils différemmentet ont des placements différents? disait Yankelevitch. Parce que ce n’est pasle résultat visuel du placement, ses caractéristiques extérieures quim’intéressent avant tout, mais les perceptions de mes élèves et lacoordination intérieure de la perception musicale et de la motricité.”

Parmi les critères objectifs auxquels obéit le placement, Yankelevitchrelevait aussi les normes anatomiques et physiologiques, les loisacoustiques et psychologiques. Selon lui, le pédagogue doit en premier lieu“observer comment chaque élève s’adapte à ces lois”, sans leur donner derecettes générales. Il estimait, par exemple, que le trop fréquent“sifflement” de la corde de Mi était dû au non-respect de deux éléments: lepremier étant le placement, (l’archet formant un mauvais angle par rapportà la corde), et le deuxième étant d’ordre acoustique, (la corde de Minécessitant une attaque plus marquée du son que la corde de La). Un autreexemple: la morphologie des doigts de l’une des élèves de Yankelevitch étaittelle qu’elle pouvait difficilement plier les premières phalanges. Il fallait parconséquent trouver un placement plus aplati des doigts qui n’aurait nuit nià la sonorité ni à l’agilité des doigts. Cela nécessita une recherche deprocédés et d’exercices spéciaux pour parvenir à la précision technique etpour trouver une autre façon de vibrer. Les méthodes habituelles duplacement n’auraient pas pu être appliquées pour elle.

“Les mouvements de l’interprète ne relèvent pas uniquement de lamotricité, comme les mouvements de gymnastique. Les mouvements nenous intéressent que d’un seul point de vue : du point de vue de la qualitésonore. Un mouvement décontracté engendre une sonorité libre, alorsqu’un mouvement crispé produit une sonorité de mauvaise qualité et créedes obstacles pour la technique. Au début de l’apprentissage, nous devonsseulement exiger que la sonorité soit limpide et délicate, sans impuretésgrinçantes. Mais lorsqu’on passe à l’interprétation d’une oeuvre, la sonoritédoit correspondre au contenu. Il s’établit une corrélation contenu-sonorité,sonorité-mouvement, mouvement-placement. On voit ainsi que les défautsdu placement se répercutent sur une composante essentielle del’interprétation son côté artistique.”

Selon Yankelevitch, “il existe une forme de départ du placement, quitient compte des règles objectives. Mais cette forme type doit ensuite mueren une forme individuelle. On sait par exemple, que l’archet doit former unangle droit par rapport aux cordes, ou que l’appui trop important des doigtssur les cordes alourdit le jeu. Ce sont là des règles générales. Cependant,même ici l’adaptation individuelle génère un grand nombre de variantes. Lerôle de l’enseignant, qui doit bien comprendre, contrôler et faire évoluer

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l’élève, c’est justement de choisir une variante rationnelle parmi toutes lespossibilités existantes.

En abordant les différents éléments du placement, Yankelevitchcommençait par le positionnement du violon par rapport au buste duvioloniste. Le positionnement est soumis à une série de conditions. La plusimportante d’entre elles est, d’après Yankelevitch, la hauteur de la tenue del’instrument car c’est elle qui détermine le placement des mains. “Si onbaisse le violon, l’archet glisse vers la touche et la corde de Mi se met à“siffler”. C’est le signal que l’on doit relever le violon! Lorsque l’angle queforme l’archet à la corde n’est pas juste, la corde se met à mal vibrer. D’autrepart, le placement du violon par rapport au buste dépend également de lalongueur des bras. On doit les rapprocher s'ils sont trop courts et les écarters'ils sont trop longs, afin que l’archet soit toujours perpendiculaire auxcordes. Cependant, il faut également tenir compte du fait que “lesmouvements du bras gauche sont plus variés que les mouvements du brasdroit. C’est pourquoi on doit avant tout assurer au bras droit la possibilitéde se déplacer normalement.” Pour Yankelevitch, la technique du bras droitétait le fondement de la technique du violon.

Selon lui, un bon placement devait avant tout permettre d’acquérirl’aisance et la souplesse des mouvements du bras droit. “C’est dans lemouvement achevé qu’il faut chercher l’origine de l’aisance des bras”,disait-il.

Certains détails du placement retenaient davantage l’attention deYankelevitch, notamment le positionnement et les diverses fonctions desdoigts de la main droite. Il affirmait que le pouce et les doigts qui lui sontopposés en apparence “travaillent ensemble” et forment un seul complexe,et qu’il n’est pas cohérent de séparer leur activité. Par ailleurs, ladécontraction des doigts assure la décontraction de la main et du poignet,qui constitue la clé de l’apprentissage des coups d’archet rebondissants.Près de la hausse, le pouce légèrement replié se pose perpendiculairementà la baguette, alors qu’au bout de l’archet il se déplie et forme un angle aiguà la baguette. Le rôle de l’auriculaire est également décisif. Il doit êtrearrondi pour compenser le poids de l’archet du talon jusqu’au milieu de labaguette. Puis, du milieu à la pointe de 1’archet, son rôle devient moinsimportant. Faut-il garder l’auriculaire sur la baguette en permanence? Celadépend de la longueur des bras. D’une manière générale, ce serait excessif,et même nuisible, car dans ce cas, lorsqu’on joue près de la pointe, on atendance à fléchir le poignet, ce qui gêne le mouvement ascendant. Leplacement juste est un placement modifiable. Le pouce se place à 1/1,5 cmau-dessus du talon, jamais dans le coin, car “cela l’empêche de tourner aucours du mouvement de l’archet. S’il reste plié, la main et le poignet sontgênés dans leurs mouvements. Le pouce doit par conséquent se mouvoir enmême temps que les autres doigts que l’on pose sur la baguette avec

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légèreté. En ce qui concerne l’index, il ne doit pas dépasser de la baguetteau-delà de la première articulation, sinon on ressent une gêne lorsqu’onjoue dans la partie inférieure de l’archet. L’index, le majeur et l’annulairerégulent la pression de la main sur la baguette.

Le défaut le plus répandu du positionnement est la pression excessivedes doigts sur la baguette. Le plus souvent l’élève ne se rend pas très biencompte lui-même du degré de son appui. Lorsque l’enseignant attire sonattention là-dessus, l’élève corrige ses sensations et apprend à se contrôler.L’archet doit être tenu avec un maximum de légèreté, car cela permet desentir l’élasticité de l’appui de l’archet sur les cordes. On évite ainsi lesimpuretés sonores.

Pour souligner toute l’importance de l’appui correct des doigtsYankelevitch évoquait souvent un problème qu’il avait rencontré: “L’un demes élèves avait un beau mezzo-forte, mais lorsqu’il voulait passer aufortissimo, il ne réussissait que le piano! Je finis par comprendre qu’ilrépartissait mal ses forces : tous ses efforts se reportaient sur la baguettequ’il serrait très fort. Le contact de la baguette avec la corde en étaitévidemment affaibli.”

Le placement du coude a une importance capitale pour répartircorrectement le poids de la main sur la baguette. S’il est trop bas, letransfert du poids sur la baguette devient difficile, voire impossible, et lapuissance sonore ainsi que le dynamisme de l’accentuation diminuent. S’ilest trop haut, l’épaule droite se soulève excessivement. Ce défaut peut aussiêtre dû à la crispation de la main droite. “Il est très important de parvenirà sentir que l’épaule et le bras sont “suspendus” et libres, sensation que l’onperd si l’on appuie ou si l’on serre trop fortement l’archet. C’est pourquoi ilest réellement nécessaire de fixer son attention sur la perception dumouvement, d’approfondir cette perception et de l’affiner.”

En ce qui concerne le placement de la main gauche, Yankelevitchestimait qu’il était très important d’expliciter le changement des pointsd’appui: “Le violoniste utilise un ou deux points d’appui selon les cas. Si l’onreste dans une seule position, le violon est soutenu en deux points d’appui,alors que lors des démanchés où l’on doit libérer la main gauche, le violonn’a plus qu’un seul point d’appui. On le fait intuitivement.”

En évoquant le problème du premier point d’appui entre le menton etla clavicule, Yankelevitch nota l’utilisation également possible du coussin etde la barre tout en donnant sa préférence à cette dernière. Il existe desadversaires de cette méthode, mais Yankelevitch affirmait que sans la barreni le coussin, on n’arrivait généralement pas à retenir le violon lors desdéplacements de la main gauche sur la touche. La barre a pour avantage defaciliter ces mouvements. Elle supprime la nécessité de relever l’épaule et

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donc de contracter les muscles du bras: “J’ai pu voir que l’un de mes élèvescontractait même les muscles de sa jambe pendant qu’il jouait enextension! C’est pourquoi je commence toujours à travailler avec la barre,préférable au coussin qui assourdit les sons. Lorsque mes élèves ont déjàacquis un bon niveau technique et qu’ils désirent travailler sans barre nicoussin, surtout si leur morphologie s’y prête, (cou court et épaules hautes),je ne m’y oppose pas, mais je veille à ce que leurs épaules ne se relèvent pastrop et ne penchent pas d’un côté ou d’un autre.”

Le deuxième point d’appui se trouve dans la main gauche. Une doubledifficulté apparaît à ce niveau, car on doit soutenir le violon et jouer enmême temps. Dans l’idéal, cela fait partie d’un même processus. Le défautprincipal est, selon Yankelevitch, “la crispation de la main autour dumanche qui s’oppose au mouvement et qui l’entrave. On doit parvenir àsentir que le pouce ne soutient plus le violon. On réussit ainsi à ledécontracter au maximum. En réalité, le rôle du pouce est purementauxiliaire, son positionnement dépendant des autres doigts. Si les doigtssont placés correctement sur les cordes, le pouce prend lui aussi uneposition correcte. L’essentiel, c’est qu’il ne soit pas une gêne.” Yankelevitchcitait de nombreux auteurs qui proposaient chacun une manière différentede soutenir le violon avec le pouce, en expliquant ces divergences d’opinionpar la diversité des impératifs esthétiques, des différentes époques, par lapersonnalité des interprètes et les caractéristiques de leur technique.

Selon Yankelevitch, le rôle du pouce est extrêmement dynamique, sonplacement varie suivant qu’il se trouve dans une position haute ou basse.Par ailleurs, le rôle du pouce consiste à préparer le passage de la main d’uneposition à une autre et à modifier son placement lors du vibrato. “Il décritdans ce cas un arc de cercle, comme pour contourner un obstacle, et guidela main vers un nouveau placement. Ce mouvement souple, effectué d’unseul tenant, paraît le plus adapté.”

En théorisant les mécanismes qui régissent les mouvements de lamain gauche, Yankelevitch recherchait un modèle cohérent, selon lequel lemouvement suivrait le schéma le plus économique, demandant un effortminimal pour réaliser les trajectoires les plus simples. “L’activité idéale dela main gauche devrait s’apparenter aux mouvements du pianiste. Laposition de ses mains est telle que chaque doigt se pose à la perpendiculairede la touche. La main reste immobile et chaque doigt se place de façon àappuyer naturellement sur la touche. Quant au violoniste, lorsqu’il arrive àposer les doigts sur la corde sans tourner la main ni le poignet, il s’offre lesmeilleures chances pour faire progresser sa technique de la main gauche.”

En définissant le rôle de la main, du coude et de l’avant bras,Yankelevitch répétait que l’essentiel, quelque soit la partie du brasconcernée, était de créer des conditions favorables au regroupement précis

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des doigts au-dessus des cordes et à leur placement correct. Toutes lesparties du bras agissent alors comme un tout coordonné qui exécute desmouvements préparatoires. “Il est particulièrement important de placer lamain dans le prolongement de l’avant-bras.” C’est seulement alors que sontréunies les conditions indispensables pour pouvoir acquérir l’aisancetechnique et des sensations motrices justes.

On détermine le placement correct de la main gauche par rapport auplacement initial de la main et des doigts sur la touche. “Les débutantsrencontrent de nombreuses difficultés avec l’auriculaire. Il leur est difficilede jouer un simple tétracorde à cause du mouvement qu’effectue lequatrième doigt. Pour y parvenir, beaucoup d’enseignants conseillentl’extension. Cependant, il semble préférable de replier l’index plutôt que detendre l’auriculaire. Il faut en premier lieu “ajuster” la main au troisième etau quatrième doigts. Le placement initial sera alors correct.” Pour cela,Yankelevitch recommandait de partir du placement de la main à lapremière position. Au début, le poignet se place légèrement au-dessus de lapremière position, plus exactement entre la première et la deuxième, puison le recule vers les deux premiers doigts. Un tel placement est nonseulement très confortable pour l’auriculaire, mais il supprime égalementla tension du poignet et donne la possibilité de déplacer la main plusaisément.

On ne doit pas craindre “de fléchir le poignet vers l’arrière” lorsquel’on adopte ce placement. C’était d’ailleurs celui d’Auer. La flexion, qui doitévidemment rester raisonnable, permet d’améliorer le vibrato et deconserver le placement groupé des doigts au-dessus de la corde: “Les doigtsdoivent être groupés sur l’intervalle d’une quarte et garder la disposition quileur permettrait de se poser exactement au même endroit dans la positionconcernée. Un tel placement est très important pour l’exécution despassages.”

L’un des problèmes cardinaux dont dépendent directement la maîtrisetechnique, la légèreté du jeu et la qualité sonore, est, d’après Yankelevitch,le degré de pression des doigts sur les cordes. Il fait remarquer que lesdifférentes méthodes et “Écoles” recommandent souvent d’appuyerfortement sur la corde, de développer la force des doigts et même de“frapper” la touche avec les doigts. Or, il est paradoxal de conseiller d’unepart d’appuyer fortement sur les cordes et d’autre part d’effleurerlégèrement le manche. Cela conduit à “serrer davantage le manche, carl’action est toujours égale à la réaction. Il apparaît dans la main gauche uneforce d’opposition contre laquelle on lutte depuis les origines du violon,cette force c’est le réflexe inné de préhension que l’on doit supprimer. Il fautlui substituer un réflexe professionnel fondé sur la pression optimalenécessaire au bon déroulement du processus du jeu.”

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Yankelevitch croyait que le réflexe de préhension se renforçait si l’onpassait trop de temps à étudier la première position. La main du violonistedébutant “se fige” alors dans une position statique. Et plus tard, quand ils’attaque aux autres positions, “il découvre que la main doit bouger, sedéplacer le long de la touche. Tous ses repères psychophysiologiques sont ;perturbés et il se trouve confronté à de nouvelles difficultés. Premièrement,il s’est habitué à tenir le violon dans la main gauche, tandis que pourpouvoir la déplacer le long de la touche on doit d’abord la libérer. Etdeuxièmement, il constate qu’il doit soutenir le violon avec l’épaule, ce dontil n’a pas l’habitude. Ainsi, la nécessité de déplacer la main gauche le metface à d’autres interrogations et problèmes. Je crois que l’on doit trouver unplacement différent dès le départ pour éviter que de tels problèmes nesurgissent plus tard.”

Cependant, supprimer le réflexe de préhension en changeantsimplement de placement n’est pas judicieux. Yankelevitch était trèscritique vis-à-vis de l’opinion de Campagnoli qui proposait d’avancer lecoude jusqu’au milieu de la poitrine afin que le manche repose sur le pouce.“L’aisance éphémère ainsi obtenue conduira obligatoirement à la crispationà d’autres moments. Il faut avancer les coudes juste assez pour que saposition se rapproche de la position naturelle.” Yankelevitch se montraaussi extrêmement critique envers la théorie de Mikhaïlovsky qui proposaitde tenir le manche dans le creux entre le pouce et l’index. Il se montraégalement sceptique vis-à-vis de la recommandation de Voicu de placer leviolon à la base de l’index, car il croyait qu’une position non naturelle enremplaçant une autre empêche la formation d’acquis professionnels. Ilsouligna que Voicu considérait à tort le pouce comme “un élémentperturbant” et qu’il sous-estimait son rôle dans le processus du jeu. Mais ilnota en revanche un point positif de la méthode de Voicu, à savoir sonconseil de reculer le coude. “Il vaut mieux reculer le coude que de l’avancer,car c’est sans aucun doute la position la plus naturelle.”

Yankelevitch vit la solution du problème dans le fait suivant : “Unappui insuffisant conduit à une sonorité poreuse et déformée. Enaugmentant progressivement la pression du doigt, on parvient à unesonorité pure. C’est là qu’il faut s’arrêter. Si l’on continue à augmenter lapression, on finit par altérer la sonorité, les doigts deviennent moins agiles,et la crispation donne aux démanchés un caractère brusque et une sonoritédure. Il faut parvenir à trouver un appui minima. La tension est toujoursune dépense gratuite d’énergie.”

Mais on ne doit pas oublier que l’appui des doigts est une grandeurvariable qui est fonction de plusieurs éléments. Plus la distance parcouruepar la main lors du démanché est grande, moins l’appui doit être importantdans les positions supérieures, où les cordes opposent plus de résistance etsont plus éloignées de la touche, l’appui peut être augmenté, et dans les

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positions inférieures il doit être diminué. L’appui varie également enfonction de la vitesse du mouvement. Si elle est grande, les doigts sesoulèvent moins. Dans le contrôle de l’appui Yankelevitch accordait la plusgrande place à l’intuition de l’interprète, étroitement liée Si “l’adaptabilitéinstrumentale et à la capacité à “sentir” l’instrument et la touche, cettecapacité révélant le vrai talent”. Il recommandait “d’essayer d’obtenir unappui constant en le corrigeant d’après la qualité du son et la perception del’élasticité tactile, et en accordant l’appui des doigts à l’appui de l’archet surles cordes.”

Cependant, il ne se fiait plus à l’intuition lorsque l’élève forçait tropl’appui et il lui prouvait la nécessité d’alléger l’appui à l’aide de l’exercicesuivant: “Pose ta main à plat sur la table et appuie légèrement. Et à présent,déplace la en ce point. Et maintenant appuie plus fort et déplace la encore.C’est difficile, n’est-ce pas? Il se passe la même chose sur la corde!”

Yankelevitch pensait que pour faire progresser la technique onpouvait opter soit pour le développement de la force, soit pour l’agilité.“L’art du violon ne nécessite que la dernière, car nous avons déjàsuffisamment de force.” Et lui d’expliquer qu’il existait deux sortes detension musculaire.

La première est liée à la pesanteur du mouvement, lorsque toute lamain gauche participe au travail des doigts sur la corde, par exemple, ouencore lorsque la main droite contractée exécute le spiccato. Et ladeuxième est liée à l’impulsion du mouvement, lorsque la tension sedécharge en quelque sorte dans le mouvement. C’est ce dernier type qui estle plus efficace.

Yankelevitch illustrait ces deux types de tension avec l’exemple dutrille en distinguant le trille “naturel” crispé, ou “électrique”, qui résiste àl’intention artistique consciente, et le trille produit uniquement par le poidsdu doigt sans faire appel au poids de la main. Dans ce dernier cas, il devientpossible d’exécuter le trille lentement et ensuite de l’accélérerprogressivement.

Le trille de Szigeti en était un exemple parfait: “Certains violonistessemblent à première vue avoir un trille sans beaucoup d’éclat. Szigeti avaitun trille lent mais très régulier, précis et riche. Il jouait le Sixième Capricede Paganini comme un poème dont l’éclat et le sens artistique nous ontsubjugués. Lors de son concert à Moscou, il dut le jouer trois fois pour lepublic.”

Yankelevitch supposait que la légèreté de la technique des doigts étaitobligatoirement en rapport avec l’homogénéité de leurs mouvements: “Tousles mouvements des doigts partent de la première articulation. Les autres

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articulations ne doivent pas intervenir dans les flexions et les extensions desdoigts. Cette règle permet de développer au maximum le potentieltechnique de l’interprète et de parvenir au sommet de ses possibilités.”

L’analyse approfondie du processus du jeu et la clairvoyancepédagogique conduisirent Yankelevitch à beaucoup de conclusionsintéressantes qui enrichirent la méthodologie du violon et ouvrirentd’autres perspectives à l’enseignement de la technique.

3. Les problèmes de la sonorité

Yuri Yankelevitch avait une étonnante faculté de faire ressortir lasonorité particulière de l’instrument de chaque élève. Son idéal était defaire maîtriser une palette sonore “multicolore” aux jeunes violonistes. Ilconsidérait que le processus du perfectionnement de la sonorité était infini:“Les possibilités de la main gauche de chaque interprète sont limitées; cettelimite est parfois temporelle, illusoire, comme dans le cas des problèmesque posent le vibrato et l’agilité. Quant à la main droite, ses possibilités ence qui concerne la production sonore ne connaissent pas de limites.” Ilsoulignait, à l’instar de Yampolsky, que la sonorité ne faisait pas partie desaptitudes innées de l’interprète mais qu’elle pouvait être travaillée.

Selon lui, le son trouve sa source dans la justesse, la plénitude, lapureté et la liberté de la sonorité. Quant au timbre, on peut le modifier deplusieurs manières : en faisant varier le point de contact avec la corde surlaquelle glisse l’archet, en changeant le caractère du mouvement de l’archet,en augmentant ou en diminuant l’inclinaison de l’archet, en adoptant unvibrato différent etc. “L’apprentissage d’une sonorité diversifiée dépend duniveau des conceptions esthétiques de l’élève et de sa capacité à percevoirl’oeuvre musicale en fonction de l’objectif artistique de celle-ci.”

La recherche des lois objectives qui régissent les processus de laproduction sonore était aux yeux de Yankelevitch d’une importancecapitale. Il soulignait en particulier qu’il est essentiel d’une part,d’apprendre à sentir le contact de l’archet avec la corde, et d’autre part, deconnaître les différents procédés d’attaque du son, de savoir concilier lecontact avec la corde et le mouvement.

L’archet, tel un levier, écrase la corde par son seul poids. La pression,répartie inégalement sur la surface de l’archet, diminue vers la pointe estdoit par conséquent être corrigée. Or, cela est impossible si l’on se contented’appuyer sur la baguette avec l’index, comme on le conseille la plupart dutemps, “ce serait simpliste”. Faire appel au poids du bras ne résout pas nonplus le problème : “L’appui doit être spécifique, délicat et souple. On y tientcompte du ressort de l’archet. L’interprète doit éduquer et affiner sesperceptions, sentir non seulement le ressort de la mèche mais aussi la

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réaction de la corde à la pression. Cette sensation est liée à l’utilisation dupoids de la main et du bras. Il faut aider l’élève à trouver la sensation juste,à progresser comme le fait un pianiste, du poids de la main vers le résultatsonore, en adaptant la hauteur du coude. Mais la perception du poids del’archet reste le facteur initial essentiel dans ce travail.’’

Un autre facteur important est l’inclinaison de l’archet par rapport àla corde. “Ce problème provoque toujours d’âpres discussions. Certainsaffirment que l’archet doit glisser “à plat” sur la corde pour augmenter lapuissance sonore, et être incliné pour obtenir le piano. C’est là une grandeconfusion. Le coeur du problème réside dans le fait que près du sillet lacorde forme un léger angle avec la touche et qu’elle atteint sa “rigidité”maximale près du chevalet. Par conséquent, l’inclinaison de l’archet permetd’orienter la force vers le chevalet et de créer ainsi les conditions les plusfavorables pour une bonne sonorité; sans cette inclinaison l’archet risquede glisser vers la touche.” Yankelevitch note également que si l’archet esttiré “à plat”, la sonorité devient enrouée et perd de sa qualité.

Il reprochait aux violonistes modernes d’avoir perdu le savoir du jeu“chantant”. Cela les pousse à éviter des legatos longs et à augmenter lafréquence des changements d’archet. “À mon avis, c’est une erreur. On nedoit pas priver le violon de ce qui lui donne sa valeur, à savoir sa “voix”. Detous les instruments, le violon est sans doute celui qui a la plus grandepropension à chanter.” Selon Yankelevitch, ce caractère chantant de lasonorité était assimilé lorsque l’on maîtrisait le mouvement lent de l’archetsur la corde. Il conseillait toute une série d’exercices qui permettaient defaire travailler la conduite linéaire de l’archet. On commençait l’exercicepiano, en comptant huit noires pour un mouvement d’archet et onatteignait progressivement vingt noires. “Certains interprètes réussissent àfaire durer ce mouvement une minute. Cependant, on doit toujourschercher à produire un son de qualité et non à faire de la gymnastique.”

Une fois parvenu à la qualité désirée de cette nuance, on passait auforte. Yankelevitch aimait à citer Auer, selon lequel la puissance du son étaitun art, un savoir. Il supposait que la puissance sonore était une question depression de l’archet sur la corde. Afin de parvenir à la sonorité ample etriche, sans la forcer, les mains doivent garder la même sensation desouplesse et d’aisance qui a été travaillée pour la nuance précédente. Pourcela, on doit tenir l’archet librement et surtout ne jamais contracter lesdoigts. L’index et le majeur transmettent ainsi les pressions minimalesnécessaire à partir de l’épaule. Le fortissimo exige que l’on tienne l’archetavec beaucoup de légèreté, comme un crayon, pour percevoir la réaction dela corde. L’opinion de Flesch sur la perception de la distance entre la maindroite et le chevalet est importante. Lorsque au cours du mouvement del’archet le talon se rapproche du chevalet, le point d’appui principal estl’auriculaire, et lorsqu’on atteint la pointe, ce rôle est rempli par l’index.

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Cependant la sensation de pression exercée par la main droite ne doit êtrequ’intérieure, semblable à celle qu’éprouvent les pianistes lorsque la noteest jouée “à partir de l’épaule”. Le plus important est alors de conserverl’équilibre entre la densité et la puissance de la sonorité.

L’étape suivante consiste à changer la dynamique du son, du forte aupiano et inversement, et ensuite, à augmenter le son vers le milieu del’archet et à l’affaiblir progressivement de la manière suivante: p-f-p, f-p-f.Yankelevitch affirmait que le but de ces exercices, “en plus de la maîtrise dela cantilène et de l’apprentissage de la “grande respiration” du jeu, étaitd’apprendre à filer le son, à le rendre souple et “vocal”. Ces exercicesconstituent un excellent matériau pour rendre imperceptibles lesdémanchés. Ils renferment un énorme potentiel mais sontmalheureusement très peu employés dans la pratique, ce qui est d’autantplus étonnant que la main droite sert à traduire le côté esthétique,l’expression émotionnelle et la conception de l’oeuvre.”

En travaillant sur la qualité du son “l’étudiant doit assimiler la notionde la sonorité juste, qui est son objectif. Le violoniste doit savoir nonseulement écouter et analyser son propre jeu mais également celui desautres.” Il est important pour l’enseignant de savoir présenter avec tact sapropre vision et inculquer le goût de la recherche à l’étudiant: “Unvioloniste ne doit jamais être pleinement satisfait. Il faut lui inculquer dèsl’enfance le désir de parvenir à une sonorité de qualité.”

Yankelevitch considérait que dans ce domaine il était indispensablede travailler par étapes. L’étape initiale est consacrée à l’apprentissage deséléments fondamentaux de la sonorité. La suivante est centrée d’abord surla concentration sur la qualité du son, sachant qu’au début on ne se réfèrequ’à la présence ou à l’absence de “grincements”, et ensuite sur la capacitéà s’écouter, c’est-à-dire à relever les fausses notes et celles dont la qualitésonore est insuffisante. La troisième étape consiste à rechercher ladynamique sonore et le coloris, ainsi que les nuances et le caractère de lasonorité en fonction du matériau thématique et du style de l’oeuvre. Etenfin, la dernière étape vise la recherche du “langage” sonore individuel, etdu son qui “définit le vrai visage de l’artiste.”

Lorsque l’attention de l’élève est fixée sur la pureté de la sonorité, “ondoit l’habituer petit à petit à enrichir le son par des nuances comme ladélicatesse, la dureté, la transparence, etc. C’est essentiel pour élargir lapalette de coloris.” Il existe des manières différentes de faire varier letimbre. Yankelevitch recommandait des procédés tels que le changementdu point de contact de l’archet avec la corde, l’augmentation ou ladiminution de la largeur des crins touchant la corde, la recherche duvibrato caractéristique. “Ces changements diversifient et confèrent unecouleur à la sonorité en démultipliant ainsi ses possibilités.”

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Yankelevitch montra que le niveau des connaissances esthétiques del’élève influait sur sa capacité à diversifier la sonorité. Les pièces courtesqui demandent une qualité sonore diversifiée sont ici d’une grande utilité,car elles stimulent la recherche du coloris.

Si on constate que l’élève ne progresse pas suffisamment dans ce sens,on doit vérifier si cela n’est pas dû notamment aux facteurs d’ordremécanique, comme de trop serrer l’archet, de forcer le son ou de se crisper.Parallèlement, on doit tenir compte du fait qu’une pression trop importantede l’index sur la baguette induit une sonorité légèrement trop dure.

Lorsque ces différents aspects de la sonorité sont assimilés, “on sepose la question de la beauté du son qui exprime le contenu de l’oeuvre. Ilne s’agit pas du son que l’on travaille dans les gammes et les études. Il s’agitde la façon dont le violoniste utilise la sonorité, toujours en fonction de sesconceptions esthétiques qui évoluent en permanence. Travail passionnantet sans limites, la recherche de la couleur sonore est analogue à larecherche de la couleur picturale.”

Parmi les éléments importants du coloris musical, Yankelevitchplaçait la diversité de l’accentuation, “la sphère la plus subtile del’expressivité du musicien”. Il reliait l’accentuation à l’attaque de la note aumoment de la prise initiale du son, quelquefois parfaitement perceptible.Même si l’oreille de l’auditeur n’entend pas le son naître, le problème de laprise du son, de l’attaque existe. L’explication de Yankelevitch en était lasuivante: “Je propose dans la “Mélodie” de Gluck de ne pas attaquer le son,mais de le jouer comme si on le continuait. Pour cela, le bras droit exécuteun mouvement circulaire au-dessus de la corde afin de ne pas la heurter.Cela ressemble à la mesure vide où le chanteur prend son inspiration. Leson naît alors tout-à-fait naturellement.”

Les interprètes utilisent fréquemment “l’accentuation banale”, c’est-à-dire une note longue dont le début est accentué et dont le procédéd’exécution est proche du “martelé”. Yankelevitch la considérait comme“une faute classique ancienne, élevée souvent en dogme. On conseillegénéralement de poser l’archet sur la corde, de la “piquer” et de continuerla note en marquant un arrêt. Mais dans la pratique, on n’obtient pas l’effetdésiré à cause de l’apparition de bruits parasites. L’accentuation énergiquenaît non pas de la “piqûre” mais uniquement au mouvement énergique del’archet dont la pression sur les cordes est constante. Le “martelé” que l’onentend alors est en réalité produit par le “détaché”, qui synchronise lapression et le mouvement. La pression doit être constante en chaque pointde l’archet, sinon la corde ne résonne pas.”

Le tremblement fréquent de l’archet lorsque l’appui est importants’explique aisément par le fait que l’interprète ne “sent pas la corde, c’est-à-

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dire sa résistance”, et également parce que le bras reste tendu au bout del’archet.

L’une des grandes difficultés est l’accentuation puissante. Ledeuxième mouvement de la sonate n°4 de Haendel en est un bon exemple:“On doit parvenir à y faire coïncider instantanément le début dumouvement de l’archet et l’instant de son contact avec la corde.L’accentuation correctement effectuée doit occuper la moitié de l’archet.L’objectif est de savoir attaquer le son sur la corde et hors de la corde. Ondoit travailler l’attaque de la note non pas à partir de la corde, mais del’extérieur. Le bras effectue alors un mouvement circulaire au-dessus de lacorde. La circonférence varie en fonction du sens ascendant ou descendantdu mouvement. Cet exercice contribue aussi à rendre les mouvementslibres et énergiques.”

4. Le but des exercices techniques

Yankelevitch accordait beaucoup d’importance à la technique duviolon dont il enseignait les différentes approches. Il soulignait enparticulier qu’il était absolument nécessaire de savoir être autonome dansle travail personnel pour lequel il avait élaboré des exercices spéciaux.

Le but essentiel de l’exercice était, selon lui, l’acquisition de procédéstechniques corrects qu’il faut apprendre à utiliser dans les conditions de laScène: “Savoir travailler, c’est savoir se donner un but précis et acquérir lesmoyens d’y parvenir. Chaque recommencement doit avoir un sens et êtrenécessaire. L’approche mécanique est à proscrire. Lorsque l’ont sens faiblirson attention, on doit s’arrêter immédiatement et se détendre. Seuls sontutiles les exercices faits à tête reposée, lorsque les bras ne sont pas fatigués.C’est pourquoi il vaut mieux répartir les exercices sur toute la journée etprévoir des pauses, plutôt que de travailler de longues heures sans s’arrêter.Je dis souvent à mes élèves qu’il ne faut jamais répéter un passage ni mêmetirer l’archet sans en comprendre le but. Il faut s’écouter, s’entendre et secontrôler, et non multiplier des erreurs.” ( ... ) “On doit travailler sur soi-même pour que ce qui paraît difficile aujourd’hui devienne facile lelendemain. Si l’on parvient à cette impression, c’est que la voie choisie estla bonne. Mais ce travail ne relève pas du bachotage technique. D’une partle bachotage donne de maigres résultats, et d’autre part dans ce domaineon commence toujours par le commencement.”

L’une des principales méthodes de travail de Yankelevitch et deYampolsky était d’intégrer des exercices complémentaires pour apprendreà jouer les passages difficiles de plusieurs manières: “Lorsqu’un élèverencontrait une difficulté, Yampolsky lui donnait toujours un exercice, uneétude ou même un morceau encore plus difficile à jouer; la difficulté étaitainsi rapidement éliminée.”

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En ce qui concerne le tempo, Yuri Yankelevitch avait pour règle dedire que le tempo très lent était un moyen parfait pour vérifierscrupuleusement la qualité, pour déterminer l’origine d’une gêne, etc, maisqu’il ne convenait pas aux exercices quotidiens. On doit développer saconcentration pour pouvoir tout vérifier et tout remarquer sans tropralentir le tempo, sinon “on n’a plus de temps à consacrer au répertoire”.On doit passer progressivement du tempo lent au tempo plus rapide. Maisl’accélération doit être raisonnable, sans saccades: “Jouer lentement , puispasser immédiatement à un tempo rapide est une très grande erreur. Il estpréférable de l’accélérer progressivement pour éviter la crispationmusculaire.” Pour illustrer ses propos, Yankelevitch racontait l’histoire d’unjeune Spartiate qui entendit un jour son maître lui proposer de faire trèslentement le tour de la cité avec un veau sur les épaules afin de développersa force. “Il le fit si lentement qu’il ne s’aperçut pas qu’au bout d’un certaintemps il transportait un taureau sur son dos. Le veau eut le temps degrandir.”

Le travail excessif devient parfois la cause de phénomènesdésagréables, de maladies professionnelles qui touchent les mains et lesbras. Yankelevitch conseillait à ses élèves d’y faire très attention et de nejamais les fatiguer. Le signe principal de la fatigue musculaire estl’apparition de défauts de la motricité au niveau des procédésfondamentaux du jeu. “On doit alors en chercher la cause : la source de lacrispation. Le contrôle personnel doit être impitoyable pour ne jamaisfournir plus d’efforts qu’une action donnée ne l’exige. Il est incontestableque chaque violoniste sait ce qu’est la crispation. Plus on l’écarte, plusl’horizon de l’interprète s’élargit.”

Les gammes font partie de l’entraînement. “Il existe une théorie quiaffirme que les gammes remédient à tous les maux. Mais il exista égalementune autre théorie qui accorde plus d’importance aux études et aux passagesdifficiles des différentes pièces en niant tout-à-fait le rôle des gammes.Quant à moi, j’estime que l’on doit tout de même consacrer un certaintemps aux gammes, tout en sachant qu’un entraînement abrutissant deplusieurs heures est nuisible. Une heure et demi, c’est déjà beaucouptrop. On doit comprendre clairement que le but des gammes estd’entretenir l’appareil impliqué dans le jeu et de permettre de maîtriser latouche. Rabinovitch conseille à ce propos de jouer en un quart d’heuretout le cycle des quintes: d’abord une gamme par quatre notes liées, puisdes arpèges de trois notes liées. Toutefois, afin de mobiliser tout l’appareilimpliqué, il est préférable de s’exercer sur des passages techniquementdifficiles.” Yankelevitch faisait également remarquer l’importance dusimple entraînement musculaire, “différent de celui d’une danseuse, bienévidemment”. “L’instrumentiste acquiert un grand nombre de procédésqu’il doit entretenir. Et la gamme en est le moyen le plus approprié. Mais ilest important de travailler d’abord tous les éléments séparément et de les

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réunir ensuite dans la gamme. C’est beaucoup plus efficace. Cependant, onne doit jamais faire de la gamme un but en soi.”

Faire progresser la technique à l’aide de gammes, d’exercices etd’études est “un parcours aussi difficile pour l’élève que pour l’enseignant”.Yankelevitch souligne qu’il existe un ensemble de problèmes quiconcernent les deux mains auxquels il faut consacrer du tempsquotidiennement, notamment: “la conduite linéaire de l’archet, le “détaché”long et court, le spiccato, les doubles-cordes. On doit travailler tout cela. Sitoutefois on joue déjà une étude en tierces, il n’est pas nécessaire de lesrépéter , mais dans le cas contraire on doit bien leur consacrer dix minutes.D’autre part, utiliser des coups d’archet différents pour des passagescompliqués est très profitable. Cela permet de gagner du temps et de ne pass’entraîner sur des gammes.”

En revanche, l’utilité des exercices purement techniques deSchradieck et de Sevcik est plus contestable. Yankelevitch estimait que cematériau n’était indispensable qu’au début ou au milieu de l’apprentissage.“Moi-même, j’utilise rarement les exercices de Sevcik, mais le premiercahier d’exercices de Schradieck est très complet. Cependant, si l’on aencore besoin de s’en servir au Conservatoire, cela montre que le niveau del’élève n’est pas suffisant.”

Les exercices d’”échauffement” font partie des acquisitionstechniques du violoniste.

S’échauffer avant le cours permet, selon Yankelevitch, de se sentirrapidement en forme, d’atteindre en quelques minutes la décontractionmaximale, nécessaire au jeu, et de libérer le bras. Mais il niait la nécessitéde l’échauffement systématique: “Certains violonistes ont besoind’échauffer leurs mains et d’autres pas. Il faut tenir compte des donnéesnaturelles mais il ne faut pas non plus les exagérer. Si le violoniste possèdeune technique déliée, il n’est pas obligé de s’échauffer et inversement. Maiss’il a tendance à forcer l’appui et à se crisper, il a besoin d’un échauffementplus poussé dont le but est de mettre en branle “la mécanique rouillée”,d’assouplir les callosités des doigts qui en réalité ne devraient pas exister.On doit également trouver des procédés qui permettent de limiter le tempsde l’échauffement. Il ne faut surtout pas en faire un rituel s’échauffer chezsoi, par exemple, ne pas être capable de commencer un cours par autrechose que par la gamme etc.

L’interprète doit éviter les schémas rigides qui ne sont que la conséquenced’un mauvais enseignement.”

L’échauffement devient parfois “un mal nécessaire, en hiver parexemple, lorsque l’élève vient juste d’arriver en classe et que ses

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mains sont gelées, bien qu’il serait préférable dans ce cas de les réchaufferen les massant afin de les amener dans de bonnes conditions de jeu. Il estmalheureux de commencer à jouer avec les mains et la tête froides.”Yankelevitch protestait contre l’utilisation d’exercices spéciaux degymnastique qui n’offrent pas l’essentiel, à savoir le toucher, et sontdétachés de la musique. Selon lui, on accède à 1’état supérieur lorsque “lesmains obéissent au point d’exécuter n’importe quel ordre”. Pour l’illustrer,il citait la question d’un élève de Yampolsky qui avait voulu connaître ledoigté le plus approprié pour exécuter un passage compliqué de l’”Étude-Valse” de Saint-Saëns / Ysaye. Yampolsky prit le violon des mains de l’élève:“Vous utilisez ce doigté-là?” Et il joua le passage dans un tempo trèsrapide. “Mais on peut également utiliser celui-ci.” Et il rejoua le passagetoujours aussi vite. “Un troisième doigté est également possible”, dit-ilaprès réflexion et recommença d’une manière toujours aussi virtuose.Nous étions tous stupéfaits. Il nous sourit: “Je les ai joués au préalable dansma tête.” Il lui suffisait seulement de comprendre la difficulté et il pouvaitjouer.

Yankelevitch s’était aussi penché sur la possibilité et la nécessité des’exercer sans instrument. “Le travail du violoniste est très complexe. Ilcomprend la préparation physique, (travail musculaire), la coordinationdes mouvements, (dans laquelle entrent en jeu les centres du systèmenerveux central), la formation de la pensée instrumentale. L’exercice doitprofiter à tous ces éléments. Mais il est absurde de travailler sur la qualitédu son et sur les sensations musculaires sans le violon. Il est cependant trèsutile de lire uniquement des yeux la totalité de l’oeuvre avant d’en entamerl’étude. On garde ainsi en mémoire certains éléments, ce qui facilite letravail ultérieur.” ( ... ) “On conseille quelquefois de s’exercer sans l’archet,ou bien sans le violon. Cette méthode est possible au début del’apprentissage, mais en ce qui me concerne, je ne sépare jamais leplacement des mains même chez les débutants. En principe, lorsqu’on joue,on a toujours comme repère le résultat sonore. Seul celui qui maîtrise déjàbien l’instrument peut s’exercer sans support sonore, mais il faut savoir quedans ce cas, travailler sans le violon est beaucoup plus utile que sansl’archet.”

Yankelevitch conseillait d’adopter la progression suivante:

1. Exercices avec la partition, le violon et l’archet;

2. Exercices avec le violon et l’archet, mais sans la partition;

3. Exercices avec la partition mais sans le violon, puis sans l’archet;

4. Jeu imaginaire sans le violon ni l’archet.

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La dernière étape est l’étape supérieure. On y réalise tout ce quiconcerne la sonorité et le mouvement grâce à la représentation intérieure.Cette étape est semblable au “training autogène” utilisé en psychologie. Lanécessité de développer la représentation intérieure poussa Yankelevitch àrecommander la méthode suivante: “La lecture uniquement visuelle de lapartition permet de prévoir le résultat sonore et de pressentir lesmouvements. C’est très important. En préparant un programme importantpour un concert ou un concours par exemple, lorsqu’on ne peut pas et nedoit pas beaucoup travailler, il vaut mieux s’asseoir sur un banc dans unparc, s’imaginer la musique et pressentir le mouvement. Mais cetteméthode peut également servir à apprendre une nouvelle oeuvre.”

Le déchiffrage fait partie de la capacité à relier l’image sonore aumouvement. “Savoir déchiffrer, c’est savoir percevoir en un coup d’oeil lesmouvements sous-entendus par la partition. La rapidité de la lecturedépend de la mobilité des processus nerveux. On doit alors fixer sonattention non pas sur la mesure jouée mais loin devant. La représentationmentale, qui devance le son produit et le mouvement, joue ici le rôleprincipal. On doit la développer. Le fait que les étudiants n’apprennent quepeu d’œuvres constitue un problème. La qualité du déchiffrage est fonctionde la quantité d’œuvres apprises, que ce soit des études ou des sonates. Plusla confrontation avec la partition est fréquente et plus le processus dudéchiffrage devient aisé. La lecture est une chose, mais la maîtrisetechnique, la connaissance de la touche en est une autre. Pour pouvoirmobiliser ses acquis techniques, il faut que les doigts obéissentinstantanément à l’ordre donné. La capacité à saisir rapidement le passaged’après ses contours, la maîtrise, les formules techniques fondamentales, etbien d’autres choses encore y contribuent dans une très large mesure.”

L’organisation du travail personnel des élèves, en dehors des cours, estl’un des points importants de la méthode de Yankelevitch: “Le système dutravail personnel, le système de l’acquisition de la technique, la préparationà la scène ne peuvent être fondés que sur l’apprentissage des œuvresmusicales, la connaissance du violon et de soi-même.” Il conseille entravaillant seul de ne pas trop fragmenter les œuvres en cours d’étude, deles apprendre par longs passages jusqu’à la pause ou jusqu’à la limitenaturelle de la forme. Le plus important est de “savoir combiner généralitéset cas particuliers, et de distinguer l’essentiel du secondaire; ne pas s’arrêterlorsqu’on fait une erreur, car on ne peut se le permettre sur scène, maispasser outre, la mémoriser pour analyser plus tard ses causes et lacorriger.”

Selon Yankelevitch, “la méthode du travail personnel doit êtrepresque identique aux cours donnés par l’enseignant : “Un enseignant quiréfléchit change souvent le déroulement de son cours en fonction desprogrès de l’élève, du niveau de sa préparation, du but qu’il s’était fixé.

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L’étudiant doit procéder d’une manière analogue lorsqu’il travaille chez lui.Il doit devenir son propre enseignant, s’adapter en souplesse aux problèmesles plus importants, et ne pas s’acharner sur des détails, des chosessecondaires. Sinon, il sera toujours en manque de temps.”

5. L’intonation

“Le mécanisme de l’intonation est complexe, et en même tempsétonnamment simple, disait Yankelevitch. Mostras a beaucoup étudié lafaçon dont les défauts du placement et de la technique agissent surl’intonation. Mais ce n’est pas le plus important. Si l’on prend le problèmedans sa globalité, l’intonation ne peut être juste que si, premièrement, onpossède une oreille musicale; deuxièmement, si on a l’habitude de la“travailler”, de l’éduquer, de la rendre active; troisièmement, si sacoordination avec l’appareil moteur est parfaite, (c’est-à-dire, si l’oreille aété travaillée en fonction du “réflexe des distances”); et quatrièmement, siles habitudes motrices sont correctes.”

Seule la combinaison de ces quatre facteurs assure la justesse parfaitede l’intonation. Si l’on constate un défaut d’intonation, Yankelevitchconseille d’analyser avec soin les chaînons défectueux, pour découvrir àquel endroit le lien dynamique qui les unit est altéré; il est égalementprobable que le contrôle de l’oreille ne soit pas très juste. “L’oreille doit êtreactive dans les questions de justesse élémentaire et d’intonation de laphrase; on doit savoir s’écouter et se contrôler.”

Les travaux de Yankelevitch consacrés à l’intonation s’appuient sur lesétudes de Joachim, Flesch, Lesmann, et sur la théorie des zones de l’oreille,élaborée par Garbouzov.

Il remarque que le travail de l’étudiant se déroule généralement decette façon “Une note est jouée Sans être “entendue” intérieurement, et ellen’est évaluée qu’a posteriori par l’oreille. La note est alors corrigée si elle estfausse. Lorsque la main s’habitue et que les doigts tombent au bon endroitde la corde, il devient progressivement plus facile de trouver l’intonationjuste. Mais si le placement est incorrect dès le départ, la main doit exécuterdes mouvements de correction supplémentaires et l’oreille s’habitue auxfausses notes, car elle a tendance, selon Auer, à se “boucher”. Yankelevitchmontre que le mouvement correcteur, quel qu’il soit, est perceptible, et quece n’est pas un moyen efficace pour habituer l’oreille à l’intonation juste. Iltrouve également la théorie de Flesch concernant “la correction rapide del’intonation” superficielle: “Cela est parfois possible, lorsque le tempo estlent. Mais que faire s’il est rapide? Le tempo rapide rend impossible lesmouvements correcteurs, l’intonation devient approximative et les faussesnotes se multiplient.”

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Yankelevitch estime que le problème de l’intonation ne se résout pasgrâce au placement, même si son rôle est important, ni grâce auxperceptions auditives, car l’intonation ne dépend pas uniquement del’oreille. La solution consiste à tenir compte des problèmes esthétiques del’intonation, du mode et du style: “Parler d’une intonation absolumentirréprochable est absurde. C’est une notion abstraite. L’accord naturel duviolon donne une intonation beaucoup plus fine que le piano et permet uneexpressivité nettement plus riche. Les variations de l’intonation deviennentévidentes dès les doubles-cordes. Si et do, par exemple, sonnentdifféremment lorsqu’ils sont joués sur la corde de La en première positionet en combinaison avec la corde de Mi que lorsqu’ils sont joués seuls. Lesformations instrumentales ont tendance à “tempérer” l’intonation. Lesquatuors, par exemple, font apparaître une “intonation moyenne”. Maisaucune balance ne permet de “peser” l’intonation. Seul le contrôle auditiffournit un critère sûr.”

On résout les problèmes de l’intonation en travaillant les réflexesconditionnés par l’excitant sonore, qui est contrôlé par l’ouïe: “L’interprètedoit pressentir la hauteur de la note. On obtient, sous le contrôle de l’ouïe,un réflexe particulier pour la distance, pour le caractère du mouvement,pour la “pré-sensation” de ce mouvement. La théorie de Flesch soutient quele réflexe de la distance ne peut pas être conditionné. On ne doit pasréajuster une fausse note, mais revenir sur ses pas et rejouer la notecorrectement. Les mains obéissent alors à l’oreille.”

Yankelevitch remarqua que les défauts d’intonation apparaissaientlorsque le passage avait été appris dans un tempo lent, et que lorsqu’onaugmentait la vitesse, les fausses notes fusaient. Il l’expliqua par le fait que“la perception que l’on a des doigts, en tant qu’ensemble d’exécutioninteractif, varie en fonction du tempo. Elle est plus facilement intégrée parle violoniste lorsque le tempo est rapide. Le rapport entre les différentesparties du bras change également et influence l’intonation.” Avant des’attaquer à un passage, il proposait de le jouer sans se presser pour avoirune bonne idée du groupement des doigts et du mouvement d’ensemble.D’autre part, plus le tempo est rapide, plus la portée du réflexe de ladistance est importante. Par conséquent, l’intonation d’une note donnéen’est plus aussi liée à l’intonation de la précédente ni de la suivante commelorsque le tempo est lent, elle occupe des intervalles plus importants. Ondoit toujours s’en souvenir.” Et il ajouta: “Ici, entrent en vigueur les lois dela perception sonore et de la physiologie: lorsque le tempo est rapide, laprécision des mouvements est tout autre, leur caractère est différent, laperception du mouvement musical change elle aussi et on voit naîtred’autres complexes sonores.”

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6. Le vibrato

La question du vibrato faisait partie de chaque cours de Yankelevitch.L’approche du vibrato étant délicate, il pensait qu’il était nécessaire d’entenir compte dès le début de l’apprentissage: “Le processus pédagogiquedoit assurer les bases d’un vibrato parfaitement libre, alors même que l’onen est au tout début de l’apprentissage. Lorsque l’élève atteint une certainematurité artistique, il éprouve le besoin d’utiliser le vibrato qui exige que lamain soit libre, décontractée, prête à obéir aux impulsions artistiques.”

Yankelevitch aimait dire à ce sujet et en plaisantant qu’il était plusdifficile de le mettre en place que de le détériorer.

Du point de vue psychologique, “le vibrato est l’un des problèmes lesplus complexes du violon.” Il l’expliquait par l’intervention de deuxfacteurs: “Premièrement, la vitesse et la faible amplitude de ce mouvementcompliquent son analyse et son contrôle de l’extérieur. Et deuxièmement, levibrato fait partie des habitudes inconscientes que l’on peut difficilementappréhender. Le contrôle du vibrato, la variation de ses paramètres aucours du jeu rencontrent de sérieux obstacles, l’élève peut difficilementchanger le mouvement du vibrato et même simplement arrêter le vibrato làoù il a en général l’habitude de l’exécuter.”

La spécificité du vibrato dicte une approche particulière de la phaseinitiale de la formation de cette technique, et nécessite de réunir toutes lesconditions qui concernent le mouvement ou l’objectif esthétique pour fairenaître le vibrato naturellement et sans contrainte. “Que signifie le terme“naturellement”? Il signifie que l’enseignant doit prévoir les difficultés quepourrait rencontrer l’élève au niveau de sa main gauche, tels que l’état de lamain, le placement des doigts, etc. Si la main n’est pas contractée et lesdoigts sont souples, le vibrato ne rencontrera pas d’obstacles, car tout leprocessus est dans une certaine mesure automatique et nature. Lorsquel’élève veut imiter son enseignant ou d’autres étudiants, plus avancés quelui et qui maîtrisent déjà le vibrato, il ne sera nullement freiné, car sa mainexécutera d’elle même le vibrato sans que des exercices spéciaux soientnécessaires. Si, en revanche, le besoin s’en fait ressentir, cela révèle unproblème.”

Parmi les différents types de vibrato, Yankelevitch abordait enpremier lieu le vibrato du poignet et le vibrato de l’avant-bras, tout enmarquant une préférence pour le premier que ce soit du point de vueesthétique ou technique: “Je penche de plus en plus pour le vibrato dupoignet, car le vibrato de l’avant-bras nécessite plus de dépense musculaire.Le vibrato de l’avant-bras utilisé en permanence affecte même dans unecertaine mesure la progression technique de l’étudiant, tandis que levibrato du poignet permet d’acquérir plus facilement toute la diversité de

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ce mouvement oscillatoire, contrairement au vibrato de l’avant-bras,généralement plus uniforme et plus standardisé.”

Cependant, ces formes pures du vibrato sont relativement rares, et lesformes mixtes prédominent. Et c’est sans doute ce qu’il y la de plussouhaitable car leur effet esthétique est considérable “Certains violonistesvarient les vibratos, en utilisant la première forme dans les positionssupérieures et la deuxième dans les positions inférieures. Chez Heifetz, onobserve les deux formes. Chez Oïstrakh, le vibrato de l’index revêt en outreun caractère rotatoire.” La transition d’une forme de vibrato vers une autrese fait en fonction du degré de “contrainte” qu’elle exerce sur lesarticulations. Le vibrato de l’avant-bras fixe le poignet et l’épaule, et levibrato du poignet fixe l’épaule et l’avant-bras.

Du point de vue technique, ce n’est pas le mouvement de la main quiprime mais l’impulsion initiale: “L’impulsion peut provenir du poignet, del’avant-bras ou être mixte. Mais c’est le doigt qui transmet toujoursl’impulsion à la corde. La décontraction de la phalange, la souplesse et laliberté de la main ont une importance primordiale. Le doigt ne doit pasappuyer trop fortement sur la corde, car cela entrave la liberté de sonmouvement oscillatoire.” La sensation de souplesse et de flexibilité doit setransmettre à toutes les autres parties du bras, car la plus insignifiantecontraction se répercute immédiatement sur le vibrato.

Yankelevitch estimait qu’il était fondamental de développerl’impulsion du début du mouvement et de contrôler parfaitement lacontraction du bras, tout en évitant le relâchement des muscles. Lapréférence que l’on a pour tel ou tel type de vibrato s’établit en fonction dela répartition de la tension musculaire dans le bras et du tonus général dubras. Un bras contracté produit plutôt le vibrato de l’avant-bras et un brasplus souple le vibrato du poignet. Le passage à l’étape suivante se faitlorsque l’une des formes du vibrato glisse vers l’autre et engendre desformes mixtes. L’enseignant ne doit pas laisser passer ce moment pourpouvoir le soutenir à temps, car c’est alors que la sonorité s’enrichit et queles défauts éventuels du début de l’apprentissage sont “corrigés”. C’est laraison pour laquelle Yankelevitch répétait que “modifier le type du vibratoétait plus aisé que de corriger le type du vibrato déjà en place.” Il existe parailleurs un procédé qui permet d’intensifier le vibrato: “Pour augmenter lerelief et l’intensité du vibrato, on peut le diriger uniquement vers le chevaletet supprimer toute amplitude de mouvement vers le sillet.”

Les défauts du vibrato sont principalement dûs à la contractionpermanente des bras “La contraction engendre généralement un vibratolourd et sans vie. Lorsqu’il devient un réflexe et pénètre dans lesubconscient, il échappe facilement au contrôle, car on ne contrôle alorsque la sensation générale; or, elle doit être juste dès le départ.” La cause des

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défauts pourrait également être l’apprentissage prématuré du vibrato,lorsque la contraction des bras, naturelle dans une certaine mesure pour ledébutant, n’est pas encore totalement évacuée, et lorsque le désir d’avoirune sonorité expressive n’est pas encore formé dans l’inconscient.

Afin de corriger ces défauts, il faut avant tout perdre l’habitude deserrer excessivement le manche du violon et d’appuyer fortement sur lescordes. On doit ensuite exécuter des exercices spécialement conçus pour“libérer” le pouce de la main gauche, en le déplaçant le long de la touche eten changeant de positions. Yankelevitch conseille parallèlement un autreprocédé : “Il faut faire glisser lentement l’archet sur la corde et déplacer enmême temps la main gauche le long de la touche sans poser les doigts surla corde. On peut également “faire monter et descendre le pouce au-dessusde la touche. Si l’on éprouve autant de facilité dans un sens que dansl’autre, le placement du pouce est correct.” (... ) “On peut égalementcorriger ces mêmes défauts par des gammes chromatiques, si l’on estobligé, par exemple, de faire travailler plus spécialement les phalanges desdoigts.” Ces exercices doivent contribuer à éliminer la contraction excessivequi prend la forme double de “l’effort trop important mais fait dans le bonsens, et de la participation superflue de certains muscles.”

La correction du vibrato trop rapide, “tremblant”, se fait en calmantla main à l’aide de larges mouvements oscillatoires du poignet. Le vibratotrop lent quant à lui est corrigé en intensifiant le mouvement de l’avant-bras et en activant l’impulsion. Cependant, “on doit avant tout savoirentendre un vibrato défectueux, en avoir une idée juste, en étant au débutguidé par l’enseignant.”

Dans les cas particulièrement difficiles, lorsque ces exercicesn’apportent pas d’amélioration, Yankelevitch conseille de ne plus employerle vibrato pendant un certain temps, d’oublier en quelque sorte sonexistence.

Yankelevitch supposait qu’il était nécessaire d’apprendre à vibrer detous les doigts, y compris de l’auriculaire dans les positions supérieures, carchaque doigt donne un coloris distinct à la sonorité. Si les doigts ne sontpas suffisamment forts, on doit les faire travailler par des exercices destinésà développer l’agilité ou des exercices de doubles-cordes, par exemple.“Parfois l’élève met beaucoup de temps à apprendre le vibrato, non pasparce qu’il n’est pas doué pour cela mais parce qu’il ne ressent pas le besoind’exprimer ses émotions par l’intermédiaire du vibrato. L’essentiel devientalors d’affirmer sa volonté devant le vibrato.”

À la question: “faut-il utiliser le vibrato en permanence ou seulementde temps en temps?”, Yankelevitch répond que “l’utilisation du vibrato estlimitée dans les passages techniques. On ne peut pas l’employer dans les

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démanchés, ni pour toutes les notes des passages rapides. Je nerecommande généralement pas d’utiliser le vibrato dans les gammes etdans des exercices particulièrement techniques.” Mais il remarquetoutefois que “le vibrato permanent est utilisé beaucoup plus fréquemmentaujourd’hui qu’autrefois. Il doit par conséquent être plus diversifié pour nepas devenir monotone et continuer à remplir sa fonction esthétique.” C’estpourquoi Yankelevitch essaya, dans la mesure du possible, de faireassimiler des formes variées du vibrato à ses élèves, en fondant sesexercices sur la forme du vibrato qui détermine la sonorité individuelle del’élève. “Savoir utiliser le vibrato volontairement, pouvoir produire le sonque l’on désire entendre, et non pas s’émerveiller passivement du résultat,même s’il est très beau était pour Yankelevitch l’expression ultime de l’artdu violon.

L’un des exercices permettant d’obtenir des vibratos différents est lesuivant: l’élève utilise le vibrato dans une position basse et essaie de sesouvenir de sa forme. Il effectue ensuite le même vibrato avec le mêmedoigt dans une position très élevée, sans modifier le mouvement de la main.Étant donné que la forme naturelle du mouvement est différente danschaque position, cet exercice permet de mieux contrôler le mouvement etd’en obtenir une sonorité différente.

La forme la moins heureuse du vibrato est, selon Yankelevitch, levibrato effectué “par habitude”, sans représentation auditive conscientepréalable, ni émotion.

7. Le doigté et les coups d’archet

Yankelevitch pensait qu’il n’existe pas de schéma unique en ce quiconcerne le doigté et les coups d’archet.

Il avait toujours encouragé ses élèves à s’engager sur la voie de larecherche créatrice. Il précisait que la solution trouvée pouvait ne pas êtrela meilleure mais que garder la solution “personnelle”, qui reflétait lespotentialités de l’élève, avait un sens. L’essentiel restait la qualité du jeu, carmême “le meilleur doigté et de bons coups d’archet pouvaient donner demauvais résultats. Poliakine utilisait des coups d’archet qui paraissentdésuets aujourd’hui. On ne peut plus s’en servir, mais personne n’a encorejoué comme lui en utilisant les coups d’archet et le doigté modernes.”

Les problèmes concrets de l’élève poussent parfois l’enseignant àmodifier son plan d’études, à accorder plus de liberté à la recherche dujeune musicien: “Si la proposition de l’élève trouve sa source dans lamusique, je la salue, mais si elle est faite au nom de l’invention pure, jel’interromps.” Yankelevitch avait toujours mis au premier plan la richesse

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du contenu des coups d’archet et du doigté. Si les difficultés proviennent dela conception musicale, il faut les dépasser et ne pas chercher à lescontourner. Il illustrait ses affirmations par cet exemple du doigté complexequ’utilisait Szigeti pour donner plus de relief aux différentes voix desœuvres de Bach “Une grande souplesse est nécessaire dans tout ce quitouche au doigté et aux coups d’archet. Ce sont des questions éternelles dela musique classique. Prenons Mozart par exemple. On fait des recherches,on retrouve des manuscrits, et on se trouve obligé de changer beaucoup dechoses. Il n’existe pas de principes permanents, tous ces processus sontvivants. On voit apparaître de nouvelles rédactions, de nouvelles idées, denouveaux disciples...”

Yankelevitch s’attardait longuement sur l’utilisation des coupsd’archet chez Bach. Il distinguait nettement l’exécution des coups d’archetet la traduction précise de la conception des œuvres du compositeur: “On yutilise principalement des coups d’archet soutenus. Aujourd’hui, on voitégalement des coups d’archet rebondissants, mais c’est une faute de goût.Il est plus juste d’employer le lourd spiccato de Bach. On a calculé qu’unevie entière ne suffirait pas si l’on recopiait à la main toutes les œuvres deBach. Or, Bach les a de surcroît composées! La pensée du compositeurdevançait la notation. Il faisait ses esquisses extrêmement rapidement. Ledéroulement d’un tel processus créatif rend matériellement impossible lanotation de tous les coups d’archet. Il a écrit des pages entières sans enindiquer un seul. C’est pourquoi on ne doit pas considérer les manuscritsde Bach comme des références absolues. Par ailleurs, les coups d’archet etle doigté ont largement évolué et se sont compliqués aux cours des siècles.On ne peut pas ne pas en tenir compte. Je pense que Bach aurait appréciéune bonne interprétation actuelle de sa musique.”

Pour développer la technique des coups d’archet, on doit parfaitementcomprendre le caractère du coup d’archet et les fonctions de la main droite.“L’exécution des coups d’archet demande que les mouvements du bras etdes doigts, qui font partie du même complexe de mouvements, s’enchaînentavec une certaine logique.” Par exemple, le spiccato fait parfois naître desdifficultés lorsque l’on joue près du talon. Comment les éviter? “Il estnécessaire de se reporter constamment à la totalité du mouvement. Chaquefraction du mouvement doit conserver la forme qui se “fond” le mieux dansun mouvement plus général. On peut également chercher des formes plusspécifiques du mouvement, mais elles sont artificielles.”

En partant de ces considérations générales, Yankelevitch travaillaitavec ses élèves en fonction des particularités de chacun. Il se tenait à sonsystème d’apprentissage des coups d’archet, élaboré par la pratique, qu’ilsuivait en fonction de l’âge et de la maturité du violoniste. Les coupsd’archet étaient systématisés de la manière suivante :

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1. Conduite linéaire de l’archet ;

2. Détaché ;

3. Transition aux autres coups d’archet.

Le premier point a été traité dans le chapitre consacré aux problèmesde la sonorité, c’est pourquoi nous n’aborderons ici que le problème dulegato. Yankelevitch soulignait constamment que jouer legato ne revientpas à faire glisser l’archet sur la corde pendant que la main gauche exécutequelques notes. “Le legato est aussi un coup d’archet, et par conséquent ila un début, un développement et une conclusion.” La difficulté principaledu legato consiste à unir le caractère mélodieux de la sonorité générale aucaractère mélodieux, la rondeur de chaque note. On ne peut donc pas sereposer entièrement sur l’action de la main droite, car “le legato mélodieuxexige que les deux mains soient actives.”

Lorsque Yankelevitch avait à juger le jeu de tel ou tel violoniste, ilfaisait avant tout attention à la maîtrise de la sonorité et à l’expressivité dulegato: “Nous avons en grande partie perdu l’art de ce coup d’archet. Lelegato souple, c’est de la couleur. La cantilène, le caractère chantant et lalongue ligne mélodique sont les points forts du violon. Le charme du legatone doit pas être perdu.” En abordant la question des caractéristiquesstylistiques concrètes des œuvres, et en particulier celles du concerto deBeethoven, Yankelevitch affirmait : “Le legato prédomine chez Beethoven.On peut parfois souligner ainsi certaines notes, en respectant bienévidemment le goût esthétique, mais sans que le legato les fasse ressortirexcessivement. On souligne la note en fonction de la phrase musicale. Ils’agit là plutôt d’une sensation intérieure que d’une action extérieure.”

Quant au détaché, Yankelevitch conseille de commencer à l’apprendreen déplaçant l’archet par grands segments, d’abord dans sa partiesupérieure, puis dans la partie inférieure. C’est uniquement après cesexercices que l’on peut passer à la totalité de l’archet et combiner sesdifférentes parties. Le fait que Yankelevitch préférait commencer par lapartie supérieure n’est pas dû au hasard: c’est alors que la main droite setrouve dans la position la plus confortable et détendue. L’apprentissagepoursuivi dans cet ordre met en relief les fonctions de toutes les parties del’archet. En jouant l’élève observe les mouvements de l’avant-bras, del’épaule et de la main. L’oreille contrôle avant tout la qualité de la sonoritédans toutes les parties de l’archet. L’étude n°1 de Kreutzer et “Lemouvement perpétuel” de Paganini sont d’excellents exercices pour ce coupd’archet. Il est recommandé d’utiliser les différentes parties de l’archet detelle sorte qu’on ne perçoive aucun changement de sonorité. Cela confèreau jeu une aisance remarquable et améliore la qualité et la puissancesonore du coup d’archet.”

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Une fois les bases du “détaché” bien assimilées, Yankelevitchproposait de travailler les différentes combinaisons de ce coup d’archet. Parexemple jouer une note “détaché” et trois notes “legato” permet demaîtriser l’alternance du mouvement lent et accéléré. L’exercice le plusutile, selon Yankelevitch, est celui-ci: on divise conventionnellementl’archet en six-parties, et l’élève s’exerce sur chacune d’elles en jouant lesdifférentes combinaisons. “La sensation de confort” alors recherchéeprocure aux mouvements légèreté et adresse, et apprend à l’élève à “sentirl’archet. Cette méthode permet d’en accélérer sensiblement l’assimilation.”

D’autres exercices destinés à développer l’aisance des doigts et de lamain sont considérés par Yankelevitch comme “le gage de la maîtrise detous les coups d’archet”. La main évolue verticalement et horizontalement,et “on doit la faire travailler, par exemple à 1’aide de l’étude n°11 deKreutzer en variant les combinaisons de coups d’archet, et ensuite en lajouant sur deux cordes.” Les exercices d’octaves doigtées exécutés près dutalon et “incluant obligatoirement un petit mouvement de la main”, serventà assouplir les doigts de la main droite.

Dans l’apprentissage du détaché, Yankelevitch accordait une grandeimportance à “la prise du son initiale, à l’attaque de la note qui déterminel’énergie du coups d’archet”. il recommandait dans ce but l’exercice suivant:l’archet se pose sur la corde près du talon puis s’en détache en accentuantla note. On le répète plusieurs fois afin d’obtenir une sonorité “métallique”et aiguë. Après cette “piqûre”, effectuée en tirant l’archet, on pose la pointesur la corde et on reproduit la même piqûre, mais cette fois en poussantl’archet. On recommence aussitôt le mouvement non pas à partir de lacorde, mais à partir de l’extérieur. Et enfin, après avoir “piqué” la corde, onne soulève plus l’archet mais on effectue rapidement de largesmouvements, vers la pointe et le talon. On arrive ainsi aux coups d’archetintermédiaires, du détaché puissant au martelé. Ces exercices forment lesens de l’attaque, apprennent à poser l’archet sur la corde et à le déplacertrès rapidement, ils permettent également de maîtriser les mouvements del’archet hors de la corde et, ce qui est particulièrement important, libèrentet amplifient les mouvements du bras. La transition aux autres coupsd’archet découle donc de l’alternance du détaché et du martelé.

Yankelevitch répétait souvent que “tous les coups d’archet ont pourorigine le détaché”. Souvent répétée mais rarement comprise, cette formuleest encore moins appliquée, “alors que c’est la clé de la maîtrise des coupsd’archet. Le sens du détaché réside dans le fait que l’archet est guidé sur lacorde. Quant au spiccato, on peut le considérer comme un “détachécomplexe”. Le mouvement du détaché court et du spiccato doit êtrecontrôlé. Le spiccato est un détaché effectué au-dessus de la corde oùl’archet touche la corde au milieu du coup d’archet, mais la manière de lefaire glisser reste identique.” Ainsi, Yankelevitch établissait la parenté entre

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les coups d’archet et “le caractère originel” du détaché, en s’appuyant sur lanotion du mouvement global du bras.

“L’exécution du martelé suscite beaucoup de discussions. Les unscroient que le bras doit être tendu en permanence, et les autres que le doigtdoit appuyer, (“piquer”), et quitter rapidement la corde. Le tremblement del’archet durant l’exécution du martelé signifie que le procédé employé esterroné. La technique de la “piqûre” n’est pas correcte. Cependant ce coupd’archet ne doit pas non plus être exécuté en contractant le bras. Pouréliminer le tremblement, il faut que l’archet adhère sur toute sa longueur àla corde et que l’on ressente le contact avec elle en tout point de l’archet.”Yankelevitch conseillait de commencer l’apprentissage du martelé à partirdu détaché court, entrecoupé de silences, pour ensuite accélérer etamplifier progressivement le mouvement, tout en écourtant les silences. Onobtient ainsi un martelé dense et riche. “Les silences y jouent un rôle toutaussi déterminant que les sons. Au début, ils sont de durée équivalente. Parailleurs, on doit éviter de faire grincer l’archet pendant les silences. On doitle poser sur la corde avec légèreté et décontracter la main.”

Le coup d’archet de Viotti, où l’on joue martelé des notes liées,nécessite une bonne accentuation de la deuxième note. La répartition del’archet, dont la plus grande partie va à la deuxième note, est extrêmementimportante. En ce qui concerne le coup d’archet “ponctué”, l’élémentprédominant y est le silence: “On doit toujours le respecter. L’accentuation,si étrange que cela puisse paraître, marque la note courte, afin de donner àce coup d’archet plus de précision et de caractère.”

Parlant de sa méthode d’apprentissage du staccato, Yankelevitchdisait que “le staccato volant est le plus simple des staccatos, même si l’onpouvait également maîtriser les autres à force de persévérance.” Il n’yvoyait aucune difficulté, à l’exception d’un éventuel frein psychologique quipeut être aisément supprimé par un enseignant expérimenté. “Il estprimordial pour le staccato de placer correctement la main droite, maisaussi de maîtriser tous les autres coups d’archet, sans oublier de muscler ensouplesse le bras, les doigts et surtout la main.”

Si un élève gardait ne serait-ce qu’une légère contraction au niveaudes bras, Yankelevitch ne fixait jamais son attention sur le staccato, car celaaurait entraîné une tension convulsive des bras et il n’aurait pas pu obtenirdes mouvements parfaitement souples. Cette contraction peut êtresupprimée grâce “aux changements fréquents de coups d’archet quilibèrent aussi bien le bras droit que les démanchés le bras gauche.”

En poussant davantage sa réflexion sur les liens qui existent entre les;différents coups d’archet, il considéra le staccato comme un cas particulierdu martelé et conseilla en conséquence de commencer à s’y exercer en

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tirant brusquement l’archet, (le détaché accentué se rapprochant fort dumartelé), et d’essayer ensuite de jouer staccato six notes vers les aigus. Lecaractère du début doit correspondre à celui du martelé énergique. “Il fauten outre saisir la sensation du mouvement efficace et ne pas avoir peurd’une certaine dureté sonore.” “Le grincement est le compagnon du travailsur le staccato, remarqua une fois Yampolsky. Mais un conseil ou uneimage juste de l’enseignant suffisent à faire “démarrer” le staccato.Cependant, ce coup d’archet émerge plus facilement si la main suit uneévolution naturelle.”

Comme on l’a déjà remarqué, le staccato est étroitement lié audétaché. Sa technique consiste à faire rebondir en quelque sorte l’archet surla corde, sachant que “tous les mouvements rebondissants s’effectuent entenant l’archet avec légèreté, car ils sont fondés sur la flexibilité de labaguette, sur sa vibration qui permet de donner la vie au son suivant. Serrerl’archet entrave ses mouvements.” Yankelevitch soulignait que la main n’yparticipait que faiblement et que “l’action essentielle était exercée parl’avant-bras et les doigts. Le poignet agit également mais d’une manièreindirecte.” Maîtriser le mouvement près de la hausse, et le poursuivreensuite en transférant l’archet sur d’autres cordes pour délier l’épaule,permet de libérer la main droite et de la préparer aux différentes sortes despiccato.

Le sautillé, quant à lui, pose deux problèmes: “Le premier est de nepas trop serrer la baguette et le deuxième est de ne pas appuyerexcessivement sur la corde, de ne pas l’écraser avec l’archet.” Ce coupd’archet est difficile à réaliser dès le premier essai. La meilleure méthode dele travailler est de jouer détaché sur de courts segments d’archet enaccentuant des groupes de notes: d’abord toutes les quatrièmes, ensuitetoutes les huitièmes, etc. Selon Yankelevitch, on peut améliorer la qualitéde ce coup d’archet de la manière suivante: on doit tout d’abord déterminerl’endroit exact où l’archet commence à rebondir, (cela dépend du poids del’archet et de la flexibilité de la baguette); ensuite, prendre en compte letempo, (lorsqu’il s’accélère le coup d’archet s’effectue en s’éloignant dutalon); et enfin, modifier l’inclinaison de la mèche, (en principe,l’inclinaison par rapport à la corde doit rester identique, mais laconfiguration de certains archets exige parfois une inclinaison plusimportante). Lorsque l’on a pris de l’assurance, il est nécessaire de parfairela coordination des mains. La main droite est ici la main de référence, lerythme même du coup d’archet. C’est pourquoi il est fort utile au début derépéter les notes quatre par quatre, ensuite deux par deux et enfin trois partrois. C’est seulement alors que l’on peut les jouer une par une dans untempo relativement modéré.

Le ricochet conserve, lui-aussi, le mouvement fondamental dudétaché. La difficulté principale de ce coup d’archet est d’exécuter avec

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décontraction un mouvement dont le débute est fulgurant. On doit tenirl’archet avec la plus grande légèreté, comme une plume. Le but estd’attaquer le mouvement et d’utiliser ensuite des propriétés de flexibilité del’archet et de la corde. Il est très profitable de s’exercer en augmentantprogressivement le nombre de notes par mouvement d’archet, d’abord destriolets, puis des quartolets, etc.

Yankelevitch estimait que les accords étaient techniquement prochesdes coups d’archet. Il est parfaitement possible de faire vibrer trois ouquatre cordes, mais l’inconvénient majeur est que l’on force inévitablementla corde intermédiaire, s’il s’agit d’un accord de trois notes. “L’art del’accord consiste à ne pas faire vibrer les trois cordes simultanément, maisle résultat en doit être un son unique.” Yampolsky conseillait toujours de“jouer les accords avec beaucoup de légèreté, en utilisant le même principede jeu que pour la nuance piano. Le plus important est de saisir l’instant oùles cordes rejettent l’archet.”

Yankelevitch recommandait de travailler quotidiennement les étudesn°1 et n°11 de Kreutzer conçues pour entretenir toutes les fonctions de lamain droite. “Elles doivent vous occuper quarante cinq minutes par jour enmoyenne. Lorsque tous les coups d’archet sont appris, cet exerciceconstitue le meilleur échauffement pour la main droite et permet de sepasser en plus de toutes les études et pièces qui y sont consacrées.” En cequi concerne l’efficacité de l’apprentissage des coups d’archet à l’aide degammes et d’études, il précisait qu’au début de l’apprentissage des coupsd’archet lorsque l’on affine encore les procédés techniques et que l’onapprend les différents mouvements du bras et de la main, il est plusjudicieux de tout faire sur une seule note. Sinon les problèmes decoordination des mains peuvent dédoubler l’attention. “Je donne l’étuden°1 de Kreutzer comme exercice pour les coups d’archet. Il s’agit de jouerquatre fois de suite la même note, ce qui a pour avantage de supprimer lesproblèmes de la main gauche. Ensuite, à mesure que le coup d’archet prendforme, on peut compliquer l’exercice et y introduire de nouveauxéléments.” Yankelevitch supposait qu’il n’était pas très rationnel d’utiliserles gammes pour assimiler les coups d’archet, bien que cela soit souventconseillé. “Mouvement continu de la main gauche, la gamme est source dedifficultés pour la main droite et elle demande une coordination pluscomplexe.” Le gamme n’est utile qu’en tant que forme supérieure decoordination des coups d’archet avec les autres éléments importants de latechnique de la main gauche, tels que les démanchés ou les changementsde corde, et aussi en tant que “dernier maillon dans la complication del’acquis technique”. Yankelevitch pensait qu’utiliser des études pour lescoups d’archet n’était pas non plus très productif, sauf s’il s’agissait d’étudesspécialement conçues à cette fin. “Les études aident à rendre précises nonpas l’exécution même du coup d’archet, mais les limites de son utilisation,son sens esthétique.”

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Ainsi, Yankelevitch créa un système cohérent d’apprentissage descoups d’archet en partant les deux principes progresser d’abord du simpleau complexe, et ensuite du mouvement général au mouvement particulier.Il voyait le lien profond qui reliait les coups d’archet grâce au mouvementprincipal de la main droite, le mouvement l’archet sur la corde. Il pensaiten outre qu’il était très important que l’on apprenne à sentir “la flexibilitéde la baguette et la résistance de la corde”, forces actives qui participent àla formation du mouvement juste. L’interdépendance des coups d’archet setraduit également, selon Yankelevitch, par le fait que la maîtrise d’un coupd’archet facilite l’apprentissage de tous les autres. C’est pourquoi ilconseillait au minimum de “survoler quotidiennement tous les coupsd’archet, de les garder toujours en mémoire. Cela stimule énormément lamain droite et réduit le temps d’assimilation des autres élémentstechniques des pièces.” Cependant, si l’on continue à rencontrer desdifficultés techniques, non seulement les coups d’archet sont d’un grandsecours pour les dépasser, mais ils permettent d’atteindre un but beaucoupplus ambitieux la maîtrise de toute la technique de la main et du bras droit.

8. Les questions du répertoire

Comme on l’a déjà souligné, Yankelevitch sélectionnait le répertoire etélaborait le plan de progression individuel en s’appuyant sur saconnaissance de l’élève qu’il avait acquise suivant un système logiqueprécis. L’intuition seule n’est pas bonne conseillère lorsqu’on doit voir tousles détails et tirer des conclusions justes. Yampolsky, dont les méthodes luiétaient particulièrement proches, élabora un questionnaire dont les 60points décrivaient le niveau général, le niveau des connaissances de l’élèveet de ses parents, ses intérêts en dehors de la musique, les particularités deson caractère, de son système nerveux et de son émotivité, son type de“réactivité”, la réceptivité aux indications de l’enseignant et lamémorisation des indications, le goût de l’initiative, etc. L’un des travauxconnus de Yampolsky, “Méthode de l’enseignement”, traite justement du“déchiffrage” des particularités de l’élève (cf. 44). Yankelevitch aidaYampolsky à élaborer et à mieux cerner certains points de son enquête.Pour lui, une analyse aussi scrupuleuse des données psychologiques etartistiques, (la physiologie et la morphologie n’avaient pas pour lui la mêmeimportance décisive), permettait de connaître précisément la vitesse àlaquelle on pouvait faire avancer l’élève et ce qu’il fallait développer etcultiver chez lui.

Yankelevitch estimait qu’il était indispensable avant tout de “trouver enchacun la graine précieuse et de la cultiver, tout en rattrapant les côtésfaibles, mais sans que cela porte préjudice à l’essentiel. Sinon tous lesétudiants se ressembleraient comme deux gouttes d’eau.” La deuxième étapeest l’élaboration du plan d’apprentissage, car le champ d’action del’enseignant ne se limite pas aux seuls problèmes courants. Il doit pouvoir

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prévoir la totalité du parcours de l’élève, (sur 4 ou 5 ans), et établir unrépertoire pour toute cette période. Mais on ne doit évidemment pas s’y teniraveuglément, car la vie apporte toujours ses corrections et ce que l’on prévoitpeut devenir inutile parce que l’élève a dépassé le cadre préétabli, ou parcequ’au contraire, le plein est devenu pour lui trop difficile à suivre. Une grandepartie du succès de l’enseignant dépend de sa souplesse pédagogique.

Le travail pratique de Yankelevitch en fut l’exemple: “On est obligénon seulement de voir l’élève dans sa totalité, mais aussi de suivrel’évolution de la vie musicale et des goûts des auditeurs. C’est seulement àcette condition que l’on peut planifier les études et la formation de l’élève.On peut se tromper lourdement si l’on part uniquement des problèmes dujour. Dans mes plans, je laisse beaucoup de place aux œuvres miniatures. Jesais parfaitement que ce n’est pas très à la mode actuellement, que l’on joueénormément de concertos et de grandes sonates, mais cela changera. On nepeut pas ne pas tenir compte de l’évolution future.”

En analysant dans ses cours les méthodes pédagogiques les pluscourantes, Yankelevitch s’arrêtait longuement sur celles qui partaient d’uneconnaissance insuffisante de l’enseignement. L’une de ces méthodes avaitune mauvaise appréciation de la notion du “saut” dans la progression del’élève “Certains enseignants adoptent la “méthode” suivante: “Pourquoi nelui donnerai-je pas les caprices de Paganini? Même s’il ne les joue pascomme on pourrait le souhaiter, ils le feront beaucoup avancer.” Croire qu’ilsuffit de jeter l’étudiant dans l’élément, comme un chiot dans l’eau, enespérant qu’il apprendra à nager tout seul, est un “principe” totalement fauxqui porte à conséquence. Ces enseignants ne comprennent pas qu’êtreconfronté à un problème trop difficile entraîne inévitablement la crispationdes membres, altère la qualité sonore, et surtout enlève à la musique toutequalité artistique, dont l’expression devrait être le but de chaque pédagogue.Cependant, je ne nie pas l’utilité du “saut”, je le crois même nécessaire.Souvent, l’élève peut l’accomplir si l’enseignement est correctementconstruit et si une période suffisamment longue de préparation technique l’aprécédé. Si l’élève est prêt pour le “saut” et que son enseignant laisse passerle moment propice, sa progression peut en être ralentie.”

L’autre méthode analysée par Yankelevitch était celle où l’enseignantconcentre toute son attention sur les problèmes artistiques: “Quelques-unsaffirment que l’on doit former le violoniste avec uniquement de la “bonne”musique des compositeurs classiques. Malheureusement, cette musique nedonne pas toujours le matériau nécessaire à la progression technique. C’estpour cette raison que l’on doit s’attaquer dès le début à l’apprentissage desœuvres virtuoses de Dankle, Bériot, Vieuxtemps. Il est tout-à-faitindispensable de créer une base technique authentique parallèlement à laformation artistique. “La Gavotte” de Bach, le “Menuet” de Mozart etd’autres adaptations de pièces classiques y contribuent énormément.”

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Les œuvres originales de Bach et de Mozart “posent des problèmesartistiques tellement complexes qu’un jeune enfant ne peut même pasprétendre essayer de se rapprocher de la solution. On doit former les notionsque l’enfant possède de la musique classique en commençant par desadaptations les plus simples. “Faust” de Goethe ou la symphonie deBeethoven ne sont évidemment pas à la portée d’un enfant. Il a besoin decontes et de matériau accessible et facile.” Nombre de pédagogues excluentmalheureusement les œuvres de Bériot, Vieuxtemps et Spohr du répertoiredes écoliers, ainsi que les pièces romantiques virtuoses considérées commede la “mauvaise” musique. Toutefois, “en dépit de leur caractère primitif, lespièces de Bériot, comme celles de Vieuxtemps sont mélodieuses et faciles àcomprendre pour les enfants, elles réveillent en eux le sens artistique. Jedonne à jouer beaucoup de musique différente aux enfants, mais je réserveMozart aux grands de l’École Centrale de Musique, après leur avoir faitjouer les concertos de Vieuxtemps et même le concerto de Tchaïkovsky.L’essentiel est de trouver les justes proportions du matériau proposé, pourun bon développement de la pensée esthétique et du sens de l’instrument.”

Les exigences envers la technique doivent être plus strictes qu’enversle sens esthétique : “C’est seulement alors que l’on pourra demander quel’élève révèle les qualités artistiques de son jeu. On doit évaluercorrectement l’oeuvre que l’on peut donner à l’élève. Par exemple, si l’on faitjouer à un élève de sixième le 3e Concerto de Mozart, on doit être conscientque son jeu ne reflétera aucunement Mozart dont les œuvres nécessitent uncertain degré de maturité. Si l’élève ne l’a pas, il intègre de fausses notionsconcernant la musique de Mozart. Un matériau plus accessible donne lapossibilité à l’enfant de se montrer plus exigeant envers lui-même et enversl’oeuvre. Une telle approche a une grande valeur pédagogique.”

En revanche, certaines œuvres et études ont été jugées irremplaçablespar Yankelevitch: “Il faut que l’enfant apprenne à l’école au moins deuxconcertos de Rode, en tout cas les premiers mouvements du 6e et du 7e,ainsi que le 9e concerto de Bériot et les deux derniers mouvements du 7e,sans oublier le 12e et le 13e concertos de Kreisler.” Parmi les concertos deSpohr, très appréciés par Yankelevitch, il recommandait les troismouvements du 7e et du 9e, et le premier mouvement du 11e. “Je n’aimepas son 2e Concerto, sa musique est sèche”, disait-il. Cette liste se terminaitpar les concertos n°2 et n°4 de Vieuxtemps. Il conseillait de plus “La Scènede Ballet” de Bériot et le concerto de Goldmark. Toutes ces œuvres “fontacquérir un degré de maîtrise du violon que le génial Concerto de Mozartne permet malheureusement pas.” Et d’ajouter: “Les élèves jouent toujoursavec enthousiasme les concertos un peu théâtraux de Bériot, ils les fontgrandir. Sans Spohr, il est impossible de parvenir à une sonorité de qualité,aux mouvements corrects de l’archet, à la maîtrise technique. Spohrdiscipline. Il n’est pas du tout aussi “scolaire” que d’aucuns le prétendent.Auer donnait à ses élèves ses trois concertos, et Szigeti répétait que Spohr

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était de la musique solide, de qualité et utile, et qu’il ne concevait même pasde former un violoniste sans ces concertos. Je suis du même avis. Quantaux œuvres de Vieuxtemps et de Wieniawski, elles apprennent le goût,l’envol, le tempérament et la construction de la phrase.”

À partir d’une certaine étape, on doit faire jouer beaucoup de piècesclassiques : Les Gavottes de Martini et de Lully, Le Menuet de Mozart, etc,puis les faire suivre par d’anciennes œuvres italiennes de Corelli, Tartini,Vivaldi, Geminiani, Torelli, “mais seulement si l’élève est capable de lesinterpréter pleinement. Il faut faire maîtriser l’art instrumental par desœuvres adaptées à l’âge de l’élève, en misant sur son intelligence et sesémotions, pour pouvoir aboutir à une bonne interprétation et lui fairecomprendre la musique classique et contemporaine.”

Les élèves des classes supérieures tirent particulièrement profit desœuvres d’Ernst, “qui donnent davantage que Paganini pour ledéveloppement de la motricité.” Yankelevitch conseillait principalement safantaisie “Othello”,, “Les Mélodies Hongroises” et son concerto, en faisantremarquer à juste titre qu’”il était toujours utile de reprendre de temps entemps certains extraits de ses œuvres.” Il répondait invariablement à tousceux qui reprochaient aux œuvres d’Ernst d’être peu esthétiques qu’”il n’yavait pas de mauvaise musique mais seulement des interprètes incapablesde comprendre la musique de ses pièces”. À ce propos, on peut citer Auerqui rétorqua un jour à l’une de ses élèves qui ne voulait à aucun prix jouer“Othello”: Vous allez jouer cette pièce jusqu’à en faire de la bonne musique!”

La base du répertoire des classes supérieures est constituée d’œuvresd’un registre différent: Mozart, Beethoven, (à l’exception des Concertos),Bach, “que l’on peut aborder lorsque l’élève a déjà acquis une certainemaîtrise et qu’il est capable d’exprimer la profondeur de leur contenu. Leprincipal est alors de rester très exigeant envers la qualité esthétique del’oeuvre. On ne peut approcher les œuvres classiques et contemporaines decette complexité que très progressivement. Seuls la maîtrise des moyensd’expression justes, la culture musicale et générale, non moins importante,du violoniste ouvrent les voies qui y mènent.” Il affirmait que “deuxconcertos de Vieuxtemps et deux sonates de Mozart suffisent pourprogresser techniquement et développer le sens musical”.

Toutefois, il ne suffit pas de bien choisir le répertoire, il fautlittéralement “presser” l’oeuvre pour en tirer le profit maximum. Pour cela,l’enseignant doit savoir précisément ce que l’on peut “extraire” de l’oeuvreen question, tout comme de l’élève qui la joue. Les études de Kreutzer ensont un très bon exemple. “Elles permettent d’améliorer la qualité des coupsd’archet, de l’intonation, du caractère de la sonorité, du tempo, etc. Kreutzerdonne autant que Dont en ce qui concerne la technique, et peut donnerdavantage au niveau de la qualité. Les études de Kreutzer, et ensuite de Rode

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et de Dont, constituent la base de l’apprentissage technique. On doit lesapprendre attentivement, en étant très exigent envers la qualité. Plus tard,on peut les faire suivre par des études de Fiorillo, Dankle, etc. Lorsqu’il estnécessaire de développer la technique du bras droit, (le poignet, les coupsd’archet), on peut prendre 2 ou 3 études de Gavinies, certaines études deSchradieck et de Rovelli.” Pour les petites classes, il recommandait lesétudes de Kaiser et celles de Mazas, (en particulier pour ceux qui ne sont pastrès avancés au niveau musical), et enfin les études simples de Dont.

Yankelevitch accordait une grande importance aux études, sans enfaire un but en soi. Il pensait que plus on en apprenait, plus il fallait jouerde pièces pour respecter l’équilibre entre la formation technique etmusicale. Il est également important de savoir jusqu’à quel degré deperfection on doit les travailler, et combien d’études au maximum on doitapprendre. L’un des défauts répandus de la pédagogie, hormis la surchargede travail imposé, l’inefficacité de l’enseignant et la paresse de l’élève, est dene faire apprendre que très peu d’études et de pièces. En parlant de saméthode de travail, Yankelevitch précise que “l’appareil technique duvioloniste se forme grâce aux études. Mais elles doivent être travaillées avecsoin. Le principal est de parvenir à une bonne qualité. La différence entre unmauvais et un bon violoniste semble à première vue parfaitement claire: lepremier joue mal et le second bien. Si l’on poursuit dans la même logique,le bon violoniste possède une belle sonorité, maîtrise les démanchés, etc.Cela veut dire que l’on doit cultiver la technique, la sonorité et les coupsd’archet. Par quel moyen? Serait-ce avec des pièces? Non, car dans ce cas ondoit tout réapprendre à chaque fois, chaque pièce étant originale. Les piècessont parfaitement adaptées pour entretenir les acquis techniques déjà enplace. Mais la formation de la technique se fait grâce aux études. Un élèvene peut pas progresser normalement s’il n’apprend pas au moins deux outrois études par mois, avec un objectif différent pour chaque étude. Ce quiveut dire que la norme est de 25 à 30 études par an. On doit donc toujourstravailler au minimum deux études en même temps, en consacrant deuxcours, trois tout au plus, à chaque étude, c’est largement suffisant.”

Yankelevitch remarquait que “si l’étudiant gardait ce rythme detravail, il prenait progressivement l’habitude d’apprendre très vite unrépertoire, devenait ainsi professionnellement efficace, se repéraitrapidement dans un matériau inconnu, et devenait plus alerte. Ces qualitéssont indispensables au violoniste, sans elles il ne pourrait jamais profiterentièrement de son bagage technique, même s’il est important.”

Les critères qui permettent de juger le travail accompli sur une pièceou une étude sont également importants, par exemple “jouer de mémoire,dans une ambiance de récital, dans le tempo indiqué.” (...) “Si l’on essaie demener chaque oeuvre jusqu’à la perfection, la progression de l’élève seralentit. L’essentiel est d’arriver au but, c’est-à-dire résoudre le problème

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concret que pose l’étude ou la pièce. “Le Mouvement perpétuel” de Ries, parexemple, pose le problème du sautillé et de la coordination entre lesmouvements de l’archet et la main gauche. Si l’élève arrive à respecter letempo et s’il obtient une sonorité et un phrasé corrects, on peut estimer quele problème est résolu.” On peut mettre de côté les études et les pièces lesplus difficiles, et les revoir plus tard pour les “polir” et présenter aux récitalsde classe. Le reste n’a pas besoin d’être aussi irréprochable. Yankelevitch“excusait” même momentanément les imperfections esthétiques, lorsquel’élève n’était pas encore en mesure de comprendre toute la profondeur del’oeuvre, mais il la reprenait toujours plus tard, car il aimait perfectionnerce qu’il avait commencé.

Yankelevitch répétait constamment qu’il était nécessaire de tenircompte du caractère de l’élève et de ses désirs: “Certains supportentparfaitement le long travail d’affinage, tandis que d’autres perdentrapidement leur motivation. Les premiers peuvent travailler longtemps lemême répertoire, alors que le répertoire des seconds doit être fréquemmentrenouvelé, mais poursuivre toujours le même but. L’enseignant peut dansune certaine mesure tenir compte de ce que son élève veut jouer, si cela necontrarie pas le plan d’apprentissage qu’il avait fixé et qu’il doit toujoursgarder en mémoire.”

Reprendre les œuvres déjà étudiées est ce qui permet le mieuxd’enrichir le répertoire. “Les enseignants le laissent souvent échapper, et ilarrive que l’étudiant soit incapable de jouer le moindre morceau, car iloublie rapidement son ancien répertoire et ne maîtrise pas encoresuffisamment bien le nouveau. Il est pourtant réellement indispensable dereprendre ce qui a été appris afin de le sauvegarder. C’est à l’enseignant d’yveiller. J’exige absolument que l’on joue au moins une pièce de l’ancienrépertoire par mois. Certains étudiants repoussent ce travail jusqu’auxvacances, mais c’est une mauvaise solution, car pendant les vacances il vautmieux jouer plus de gammes, d’études et de pièces techniques, parce quel’attention est alors plus dissipée, et que l’on peut très facilement gâchertout ce qui a été fait précédemment dans le sens esthétique.”

Par ailleurs, Yankelevitch ne laissait jamais sans attention le travail deses anciens élèves, devenus des violonistes confirmés: “Tous les interprètesont besoin d’être aidés. Il est préférable que cette aide soit apportée par unpédagogue qualifié qui les connaît de surcroît bien mieux que n’importe quid’autre.”

Pour ceux-là, les recommandations étaient les suivantes: “On doitsavoir tout jouer et maîtriser tous les styles. L’une des plus grandes erreursest de classer les œuvres virtuoses de Paganini, Vieuxtemps, Wieniawski etKreisler dans la catégorie de la musique “légère”, alors qu’elles lui donnentla possibilité d’affiner l’art du violon et de le montrer.”

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Les concours donnent souvent l’occasion de voir des violonistes quijouent des œuvres classiques avec beaucoup de goût et de sensibilité, maisqui sont complètement désemparés devant les œuvres romantiquesvirtuoses qui figurent au programme de tous les concours. “Si l’on prétendêtre un violoniste de haut niveau, on doit avoir plusieurs cordes à son arcpour pouvoir changer de visage comme le fait un acteur et jouer aussi biendes drames que des vaudevilles! Une courte pièce de Kreisler, par exemple,raffinée et pleine de charme, nécessite une approche très particulière. Ellene comporte que trois ou quatre phrases musicales mais dont chaque note,chaque tournant prennent une très grande importance. De nos jours,malheureusement, l’art de ces petites pièces s’oublie de plus en plus, demême que la manière de les interpréter. Elles apprennent cependant àexprimer des idées puissantes et profondes, et éduquent le sens esthétique.”

9. Travailler une œuvre

Yankelevitch aborda ce thème à plusieurs reprises dans ses exposés etconférences, le considérant comme l’un des points centraux de lapédagogie. Selon lui, ce thème englobe d’un côté le processus du travail lui-même, et de l’autre côté, le processus de la formation de l’élève au cours dutravail et sa préparation à la carrière d’interprète. Selon lui, le travail surune oeuvre devait non seulement faire découvrir la conception de l’auteuret le sens profond de l’oeuvre, mais également faire s’exprimer les dons del’élève, son imagination, sa fantaisie, son sens de la musique et sa capacitéà assimiler de nouveaux styles, formes, genres et moyens d’expression. Ils’agissait donc aussi dans ce travail de méthodologie pédagogique.

Les étapes du travail ne sont pas toujours clairement distinctes chezYankelevitch, car elles forment un tout à l’intérieur du processuspédagogique. Cependant, il jugeait nécessaire de fixer l’attention de l’élèvesur les points clés des problèmes examinés, fondamentaux pour laconstruction des cours

Non seulement Yankelevitch mettait l’accent sur le côté méthodiqueet technique de ce processus, mais il faisait aussi découvrir son côtépsychologique et créatif. Pour lui, travailler sur une oeuvre signifiait quel’élève devait mettre en forme, avec ses propres moyens et l’aide del’enseignant, sa propre conception de l’œuvre, et de la porter ensuite aupublic. C’est pourquoi le thème du “travail de l’œuvre” inclut toujours chezYankelevitch la question de la préparation psychologique de l’élève avantqu’il ne se produise sur scène. C’est ainsi que Yankelevitch rassembla enune seule entité tout le processus de formation artistique du musicien.

Le travail de l’œuvre comprend trois étapes, la première étant“l’acquisition des connaissances sur l’auteur, son style d’écriture, sonépoque et l’environnement dans lequel il créait”: “on doit être conscient quele style de chaque compositeur évoluait en permanence. Généralement, au

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début de leur carrière, les créateurs tirent parti des influences et descourants artistiques précis. Plus tard, ils choisissent leur voie personnellequi les pousse à devancer leur époque et à progresser vers l’avenir. Parconséquent, il est important de savoir à quelle époque de créationappartient l’œuvre étudiée et quels étaient alors les points d’intérêt del’auteur, car cela permet de déterminer les éléments de l’oeuvre qui doiventêtre accentués”.

La deuxième étape est l’analyse de la composition. Il ne s’agit plusd’analyser la technique, mais le contenu, le style et le genre musical. Oncommence par prendre connaissance de l’oeuvre, non pas en la jouant,comme on le fait habituellement, mais en écoutant un enregistrement d’unbon interprète, (jamais plus de deux fois, pour ne pas être tenté de copierune approche brillante qui pourrait étouffer les intuitions personnelles).Toutefois, il semble encore plus intéressant de jouer l’oeuvre au piano, ou,si le violoniste est plus avancé, de “lire” la partition, de la parcourir desyeux, afin “d’en analyser la forme, d’y repérer les éléments de caractère,etc.” Lorsque l’élève déchiffre une nouvelle oeuvre sans la jouer, il ne laperçoit pas comme un simple devoir scolaire, car son attention n’est alorsplus absorbée par la technique, mais par la musique. De cette façon, lesindications de l’enseignant, le caractère de la composition qui est unélément de repère pour un bon musicien, la manière dont le compositeurpercevait lui-même son œuvre sont beaucoup mieux compris. Étant donnéque les partitions ne rendent pas réellement ce que comprend et entendl’auteur, le caractère, l’émotion et les nuances de la sonorité restent au-delàdes limites de la transcription. Il est malheureusement fréquent de voir quel’élève joue déjà l’œuvre par cœur, alors qu’il ne connaît absolument pas lesindications de l’auteur”.

La troisième étape, qui comprend deux parties, consiste à essayer dedonner une forme cohérente à la vision personnelle que l’élève possède del’œuvre. Il s’agit tout d’abord de travailler l’œuvre avec minutie, d’endétailler l’approche, et ensuite, de lui donner un caractère plus achevé.Cette double approche devient possible grâce à la première étape quipermet de se familiariser avec l’auteur et de prendre conscience duproblème musical qu’il pose. Les élèves de Yankelevitch ont obtenu debrillants résultats grâce à cette méthode, même si les nombreuses heures decours consacrées au perfectionnement de la technique pouvaient leursembler monotones. Cette méthode permet d’étudier l’œuvre en détail sansque cela ne mène au bachotage stérile et à l’émiettement du matériaumusical. Elle sert à approfondir la connaissance préalable de l’œuvre et àen préciser le but. “Se représenter l’œuvre dans sa totalité est un problèmedes plus difficiles. Il demande une coordination parfaite des objectifstechniques et artistiques. Ce processus est extrêmement souple et autorisedes changements du plan initial d’apprentissage. Cependant, si l’onprivilégie le “bachotage”, on n’obtient pas de progrès technique réel. Le

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“bachotage” fait perdre le fil musical de l’œuvre, son caractère et sa forme.Yampolsky s’est toujours élevé contre cette pratique. Il conseillait, aucontraire, de déterminer en premier lieu la cause de la difficulté et deprendre conscience du mouvement ou du procédé erroné, et ensuite, defaire appel à un exercice adapté pour éviter de rechercher la solution duproblème technique à l’aide de l’œuvre elle-même. Il imaginait lui-même detels exercices et apprenait à le faire à ses élèves. Les passagestechniquement difficiles peuvent servir de point de départ aux exercices descoups d’archet, du doigté etc. Lorsque plusieurs passages freinentl’assimilation de la totalité de l’œuvre, il est préférable d’en commencer uneautre et de continuer parallèlement l’étude de la première beaucoup plusprogressivement.

Après l’examen détaillé de tous les problèmes techniques et desproblèmes liés à l’expression, on doit rendre à l’œuvre son unité, enégalisant son caractère, son tempo et sa dynamique. Le résultat de cetravail doit être la naissance de la conception personnelle de l’œuvre. YuriYankelevitch estimait que l’élément principal de l’apprentissage étaitl’approche préliminaire, affinée et détaillée de l’œuvre, même si elle n’a pasencore de forme achevée : “Lors de cette étape où l’on travaille sansinstrument, il est très utile de commencer à relier ce qui est déjà bon, derechercher à nouveau le caractère, le tempo et la dramaturgie de l’œuvre.Ce n’est qu’après que l’on peut la jouer, non pas du début à la fin, maisseulement par extraits délimités par des pauses. Si les pauses n’existent pasdans le texte, on doit jouer en marquant des temps d’arrêt, à des endroitstoujours différents, pour écarter l’habitude mécanique. Et on finit par jouerla totalité de l’œuvre avec l’accompagnement au piano.” L’analyse deYankelevitch fait de la progression vers l’unité de la forme un processusdouble. On doit, d’une part, s’efforcer de consolider les acquis du travaildétaillé et de les intégrer à l’ensemble, en rejouant la totalité de l’œuvreplusieurs fois, sans s’arrêter cette fois. “Il faut savoir également dépasser lafaute sans s’arrêter, mais en la mémorisant pour la corriger plus tard”,répétait Yankelevitch. On doit, d’autre part, continuer à affiner les détailstout en tenant compte de la forme finale de l’œuvre qui se précise de plusen plus au cours du travail. Si on oublie l’existence de ce double processus,on finit par jouer mécaniquement, sans comprendre, en accumulant denouveaux défauts.

Yankelevitch considérait que l’un des moyens pour parvenir à rendrel’impression de l’unité de l’œuvre était de déterminer les tempos exacts desdifférents extraits et le tempo à suivre du début à la fin de l’œuvre. Onaccomplit ce faisant la moitié du travail. Le tempo unifié n’est en rienuniforme. Il est, selon Yankelevitch, la combinaison harmonieuse desprincipaux tempos à l’intérieur de l’œuvre, l’alliance entre la structureprécise des tempos et le rythme vivant. “Lorsqu’on a défini les pointsessentiels de la composition, on doit parvenir à ce que le tempo y soit

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respecté avec une précision de métronome. Tous les refrains des rondos,par exemple, doivent être exécutés avec une précision absolue, s’ils necomportent pas d’indications particulières de l’auteur. Je peux vous citerl’interprétation du premier mouvement du concerto de Brahms par Szigeti.Chez lui, le début du mouvement est défini par un tempo très précis. Il s’enécarte beaucoup par la suite, mais le thème principal le ramène au tempoinitial; il s’en écarte encore, mais les accords recréent le tempo initial quiavait défini le développement du thème; le thème secondaire est alors jouéplus librement. Szigeti parvenait ainsi à donner l’impression d’une formelibre, mais unifiée et monolithique où l’on suit aisément le tempo de parten part de l’œuvre. Quant à la “Bohémienne” où Ravel fait alterner l’allegroet le moderato, on doit d’abord établir leur juste corrélation et ensuitechercher à les stabiliser.”

Yankelevitch a montré que l’interprète devait s’efforcer d’acquérir unesensation spécifique: “le sens du tempo”, c’est-à-dire essayer de sentir larégularité du tempo. Ceci de deux manières: premièrement, en trouvant letempo qui correspond le mieux à la conception musicale de l’auteur,sachant qu’il peut être nécessaire d’élargir, d’amplifier l’interprétation, (lerôle de l’accompagnement, que ce soit l’orchestre ou le piano, ou del’absence de l’accompagnement est déterminant, le tempo étant, en effet,différent dans chaque cas); et deuxièmement, en mémorisant le tempotrouvé afin de pouvoir le reproduire. Le Maître proposait de travailler letempo dans cet ordre :

1) “se représenter intérieurement le tempo comme le mouvement optimalde l’extrait, en fonction des caractéristiques du genre, du style, etc”;

2) “vérifier le tempo au violon et le fixer avec le métronome”;

3) “passer à n’importe quel autre morceau, puis revenir à l’extrait étudié etvérifier le tempo fixé à l’aide du métronome. Répéter l’exercice plusieursfois jusqu’à ce que la coordination des tempos soit parfaite”;

4) “essayer de jouer la totalité de l’œuvre en fixant simultanément le tempo,(il est possible d’utiliser le magnétophone). Revoir et corriger les tempos entenant compte de la totalité de l’œuvre.”

Yankelevitch affirmait que cet exercice permettait d’apprendre trèsrapidement à trouver le tempo exact.

Un bon phrasé est essentiel pour pouvoir traduire la pensée del’auteur. Le travail de l’expressivité du phrasé ne doit débuter que lorsqueles contours de la conception personnelle sont définis, et la constructionfinale et le style sont parfaitement clairs. Cependant, le travail strictementintellectuel de la phrase ne donne pas toujours les résultats espérés.

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L’intuition y joue en effet un rôle considérable. C’est elle notamment quipermet de faire la différence entre le violoniste-”artiste” et le violoniste-”artisan”. L’intellect ne suffit pas pour comprendre la musique. Le vraitalent est intuitif. Il est, par conséquent, primordial d’unir l’intuition et laréflexion.

Lors de la troisième et dernière étape, il devient indispensabled’apporter des corrections à la forme déjà plus achevée de l’œuvre. Pourcela, Yankelevitch conseille de recourir aux enregistrements des différentsinterprètes qu’il demande d’écouter en manifestant de l’esprit critique: “Ilfaut mettre en évidence les différences de l’exécution, trouver leur origine,comprendre la diversité des conceptions et déterminer le lien qui unit lestyle et les particularités du jeu de chacun. Ainsi, on approfondit sa proprecompréhension, à condition que les conceptions des autres soientparfaitement claires.”

Lors de la dernière phase du travail, Yankelevitch apportait desprécisions concernant les problèmes psychologiques liés au jeu sur scène,évoquait le contact avec le public, parlait de la dissemblance desperceptions des auditeurs. “Un petit tableau convient à merveille pourdécorer une chambre ; quant à une place publique, il n’y a que l’affiche quipeut remplir cette fonction. Pour entraîner et intéresser l’auditoire, on doitsavoir précisément quelle est l’impression que l’on veut produire. Un jeutrès technique et vif ne fait pas impression dans une salle de concert, il s’yaplatit et s’appauvrit. Une salle de concert convient mieux au jeu large, enrelief, qui possède une accentuation affûtée et même exagérée, une sonoritépuissante et une technique très précise. C’est pourquoi, on doit jouer avecplus de dimension et de relief lorsqu’on n’est encore accompagné qu’aupiano en diminuant légèrement la vitesse d’exécution,afin de contrôlerparfaitement tous les aspects du jeu. C’est ainsi que l’on parvient à plus desérénité sur la scène, alors que le jeu vif génère plutôt l’instabilité.”

Yankelevitch était particulièrement attentif à la préparationpsychologique de l’élève avant son entrée en scène. C’est aussi le but quedoit se fixer tout enseignant pour prévenir les erreurs que l’étudiant peutcommettre sur scène. Il ne faut pas, entre autres, que l’élève joue devant lepublic quelque chose qu’il n’a pas terminé d’étudier, ni jouer sans êtrepréparé aux nouvelles sensations qui naissent lorsqu’on se produit surscène. “La manière d’envisager la scène comme une partie du travail dumusicien doit être extrêmement concrète. Il faudrait adopter cette attitudenon seulement lorsque l’on joue en public, mais également lorsqu’il s’agitde tirer la conclusion du travail accompli. Toutes les erreurs doivent êtrenotées et bien pesées. La discussion des résultats du concert ne doit enaucun cas être superficielle. Seules sont utiles les discussions sérieuses etl’attitude objective vis-à-vis du jeu en public, que ce soit chez soi, en coursou sur la scène.”

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Cette attitude professionnelle s’acquiert grâce à la totalité del’enseignement pédagogique, bien avant que l’élève ne joue en public.Yankelevitch s’est toujours dit l’adversaire de l’opinion répandue selonlaquelle l’état d’esprit nécessaire pour “affronter” la scène devait semanifester chez l’interprète au moment de commencer à jouer, c’est-à-direlorsqu’il était déjà face au public. “Cet état “esprit doit apparaître lorsqu’oncommence à étudier l’œuvre. Le musicien doit être constamment absorbépar la musique, il doit vivre par la musique, au lieu d’attendre quel’inspiration lui vienne sur scène. Je ne me souviens pas que Tretiakov aitjamais joué en cours sans se dompter totalement, qu’il ait jamais gardéquelque chose pour la scène. Lorsqu’on a posé la question à Stern poursavoir comment il travaillait chez lui, s’il se dépensait totalement ou s’ilpréférait la manière analytique, il a répondu: “Comment le dit-on en russe? ... Comme le mari de la vache!” Le musicien doit se former pour la scènesans relâche, car c’est elle qui constitue la finalité de son travail.”

Le but de cette démarche est d’acquérir de l’assurance, d’apprendre àgarder son calme et à ne jamais douter de la réussite. Il faut évidemmentconnaître ses limites et être sûr que le degré de la technicité de l’œuvre neles dépasse pas. On ne doit pas oublier que bien que l’imprévu fasse partiede la représentation, il ne doit pas monopoliser toute l’attention.“L’événement inattendu, que ce soit une fausse note ou même une erreurplus grave, reste négligeable et ne doit pas faire perdre son sang-froid.” Unebonne maîtrise de l’instrument en diminue nettement la probabilité. “Le jeudoit être bon et la préparation technique suffisante. Quant à la préparationpsychologique, la meilleure est sans doute d’apprendre à sentir quel’instrument vous appartient totalement. Il faut que la manière dont onapprivoise la scène soit systématisée et rigoureuse, c’est-à-dire que l’on doitorganiser correctement son temps de travail et établir une relation juste àla musique”.

À ce stade de l’apprentissage, Yankelevitch citait en exemple laméthode utilisée par Yampolsky qui conseillait de jouer l’œuvre du début àla fin peu de temps avant d’entrer en scène. Il importait également de lefaire en se “dépensant entièrement” et en respectant toutes les nuances. Ilfaut veiller à ce que la pensée musicale transmise au public garde toujoursson relief, mais il faut aussi éviter de s’exalter inutilement. Le respect de cesrègles permet de stabiliser l’interprétation et de rassurer l’interprète.” Deplus, “ce procédé aide à assimiler la composition dans sa totalité et àconsolider la liaison établie entre les différentes parties de l’œuvre et lesmouvements exécutés. Il permet également de mieux coordonner lareprésentation intellectuelle du mouvement et sa matérialisation effective,et de contrôler les détails avec beaucoup de précision.”

On ne peut pas se permettre de se troubler sur scène. “La musiquedoit absorber toute l’attention et faire oublier tout le reste. Rien ne doit

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empêcher le violoniste de progresser vers son but unique : parvenir à la foisà la perfection de l’expression artistique et aussi à ce que sa propreconception artistique soit globale et convaincante.

L’aboutissement ultime de ce travail est, selon Yankelevitch, non pastant la mise en forme d’une œuvre particulière, ni même sa présentation aupublic, mais la progression que l’on accomplit dans la profession.“L’apprentissage de l’œuvre ne peut être dissociée de l’apprentissage duviolon ni de l’introspection attentive. C’est la base du travail personnel et dela préparation à la scène.”

Yankelevitch attribuait une responsabilité supplémentaire auxenseignants: “L’étudiant doit non seulement comprendre la valeur musicalede la composition, mais aussi savoir discerner ses capacités du moment.Sinon, il en gardera une marque toute sa vie.”

L’analyse de Yankelevitch s’étend à tous les domaines de la pédagogie,y compris à la valeur éducative de la notation. Il traite cette question dansson exposé fait à l’École Centrale de Musique et au ConservatoireTchaïkovsky de Moscou. Il y insiste sur le fait que “la notation n’accomplitque rarement sa fonction éducative et que le libéralisme excessif ou le partipris discréditent les enseignants et les jurys et les exposent à la risée desétudiants. Cela ne fait que démontrer que les critères stables sont absentsde la notation.

Un bon système de notation doit comprendre des critères permettantd’évaluer avec justesse le jeu de l’élève et de lui attribuer une note“éducative”. Toutefois, le caractère éducatif de la notation n’est pastoujours très clairement perçu par les enseignants qui, bien que mûs par lameilleure volonté, notent souvent très mal.

Certains considèrent, par exemple, qu’une légère sur-évaluationencourage les élèves les moins doués mais appliqués, les plus jeunes de laclasse ou les moins avancés et à qui l'on confie malgré tout un programmedifficile, etc. La sous-évaluation permet, quant à elle, de stimuler les élèvesdoués mais paresseux, ceux qui jouent un programme en dessous de leurscapacités, etc.

Yuri Yankelevitch estimait que tous ces écarts de la notation étaientfoncièrement incorrects et protestait lorsqu’on sous-notait un élèveuniquement parce qu’il présentait un programme trop difficile. Selon lui, ilétait beaucoup plus juste de sous-noter l’enseignant qui n’a pas su adapterle programme aux capacités de son élève. “La vie apportera ses correctionstôt ou tard, répétait-il. Le talentueux parviendra toujours à trouver sa place,alors que le moyen restera en marge malgré ses excellentes notes.”

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Pour lui, la seule approche possible était d’évaluer l’interprétation del’œuvre et elle seule. “La note produit son meilleur effet “pédagogique” sielle reflète très exactement la qualité de l’interprétation. Cette approchedéveloppe chez l’étudiant l’exigence créative. Qualité fondamentale dumusicien, elle est la caution de son futur développement. De plus, une tellenotation profite non seulement à l’étudiant lui-même, mais également àtous les autres élèves.” Selon toute logique, si la complexité de l’œuvredépasse les capacités de l’élève, la note le révélera inévitablement etconstituera un indice pour l’enseignant qui a choisi une œuvre tropdifficile. “L’intérêt supplémentaire de cette approche est qu’elleresponsabilise davantage l’enseignant en ce qui concerne le choix duprogramme.”

Le deuxième critère de la notation devrait être la fréquence annuelledes auditions publiques, c’est-à-dire l’acquisition plus ou moins active durépertoire et de l’expérience de la scène. Yankelevitch estimait que la notequi sanctionne l’année d’études “doit prendre en compte tous les concertset auditions de l’année, être en quelque sorte une moyenne, et baisser si leurnombre a été insuffisant.”

Quant à la note concrète, et plus particulièrement le A, “ellesanctionne en même temps la bonne qualité du rythme, de l’intonation, dela sonorité, et le respect du texte. L’absence de l’un de ces élémentssupprime le droit à une très bonne note” qui ne peut être attribuée qu’à uninstrumentiste et un musicien affirmé. L’exigence de l’expressivité, bien quesouhaitable, sort du cadre du travail avec les débutants et ne peut êtreappliquée qu’aux enfants les plus talentueux. Mais au niveau supérieur,cette exigence doit être plus ferme.

On doit également redéfinir la valeur du B et du C, car pour unenseignant complaisant, un C remplace souvent un D ou un E bien mérités,alors qu’un B devient aux yeux de l’élève synonyme du malheur.”

Pour Yankelevitch, la Scène était une étape indispensable de laformation de l’artiste. On voit souvent des violonistes talentueux qui sontcapables, semble-t-il, de jouer avec beaucoup de brio et de laissers’exprimer leur personnalité, mais qui ne parviennent pas à s’épanouirpleinement, car le développement de l’artiste, à un certain stade duprofessionnalisme, se fait en partie en dehors de la salle de cours. Donnerdes concerts devient alors d’une grande importance, car la scène donne ceque l’enseignant n’a pas la possibilité de donner en cours. L’insuffisance trèsnette de formation que l’on observe parfois chez certains musiciens est duedans la plupart des cas au fait qu’ils ne se produisent que rarement surscène. Ils n’ont alors que peu de chance d’évoluer en tant qu’artistes. Sil’enseignant ne change pas l’image qu’il se fait de l’élève et qu’il le considèretoujours comme un élève, il le restera à jamais. C’est le reproche que

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j’adresse à de nombreux enseignants, mais aussi à moi-même. Nos opinionsmanquent quelquefois d’envergure. Nous devons faire plus confiance auxétudiants et leur accorder davantage de liberté dans la formation de leurpersonnalité.”

10. CONCLUSION

Jan Amos Komensky écrit dans “La Grande Didactique” quel’apprentissage doit être “bref, agréable et solide”. Cette formule estdevenue en son temps la devise de Yankelevitch.

Être “bref” consistait à trouver la voie de formation la plus adaptée àl’étudiant, à éliminer tout ce qui était superflu dans le processusd’enseignement. Les actions de Yankelevitch atteignaient toujours leur butà long terme. Le travail de longue haleine, si caractéristique de sonexpérience pédagogique et méthodique, ne consistait cependant pasuniquement à établir le plan du travail à long terme pour chaque étudiant.il s’agissait pour lui de prévoir longtemps à l’avance tout le processus dudéveloppement de l’élève, pour ne pas voir les problèmes tactiques éclipserles problèmes stratégiques, de loin les plus importants. L’originalité de sonapproche explique pourquoi il attendait avec autant d’impatience ques’expriment les capacités cachées de l’élève, “révélées plus rapidement sil’on travaillait dans une atmosphère de compréhension mutuelle et d’amitiéqui générait la décontraction”.

Yuri Yankelevitch parvenait à instaurer dans sa classe, à force debeaucoup de tact, de persévérance et de ténacité, une atmosphèreétonnamment propice à la création qui révélait naturellement lesmeilleures qualités artistiques et humaines de ses élèves.

Sa réflexion était fondée sur la considération parfaitement juste etprofondément moderne que le processus pédagogique avait une naturedouble. En effet, d’une part, l’enseignant oriente, conseille et fait partagerson expérience personnelle, et, d’autre part, il sert en quelque sorte de“miroir objectif” qui réfléchit avec justesse le jeu de l’élève en fournissant àcelui-ci les informations indispensables sur son appareil moteur, sesperceptions musicales, l’adéquation de ses actions et de ses objectifs. Cesminutieuses corrections quotidiennes appliquées au processus del’apprentissage expliquent l’extraordinaire rapidité avec laquelle lesmeilleurs élèves de Yankelevitch sont parvenus à maîtriser l’instrument etle caractère quasi organique des procédés utilisés.

Yankelevitch savait parfaitement ce qu’exigeait l’atmosphère d’intensecréation qu’il faisait régner pendant ses cours. Il savait notamment obtenirque ses élèves tirent le maximum de profit de ses remarques, toujoursbrèves et très précises. Il pensait que si la formulation en était marquante,

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sous forme d’aphorismes, elles avaient de meilleures chances d’êtremémorisées et n’écraseraient pas l’imagination de l’élève par un ordre tropdirect. Yankelevitch faisait tout son possible pour éviter d’employer lapression.

Il essayait par tous les moyens d’amener le psychisme de l’élève aumaximum de ses capacités, de l’optimiser sans jamais atteindre le seuilcritique du surmenage. Cela concernait autant ses propres cours que lesauditions et les concerts. Il était conscient que seul ce “régime optimal”, quine demandait toutefois pas de mobiliser toutes ses forces jusqu’àl’épuisement, permettait d’obtenir de l’élève la réceptivité maximale et lameilleure compréhension des conseils de l’enseignant qui n’étaient plusabsorbés mécaniquement mais assimilés avec profit. D’autre-part, cerégime forçait l’étudiant à utiliser ses réserves, activait son initiative et leportait naturellement à élaborer son propre plan d’action qui, encomplétant le plan d’action de l’enseignant, produisait l’alliage dont étaientforgées les plus fortes personnalités. Il insistait pour qu’un lien mutuel etauthentique se crée entre l’enseignant et l’élève, un lien que les enseignantsrevendiquent souvent mais qui en réalité ne s’établit que rarement. Pourlui, ce lien n’évoquait pas seulement la compréhension mutuelle, le bon“retour”’ de ses remarques; il était avant tout la manifestation du “moi”créatif de l’élève qui arrivait finalement à enrichir l’enseignant lui-même.C’est probablement pourquoi Yuri Yankelevitch tenait tant à ce que saclasse réunisse le “spectre” complet de talents divers. Il était persuadé quemettre en contact des personnalités différentes augmentait l’influence queles élèves exerçaient les uns sur les autres. “La présence d’une large palettede talents dans une classe contribue au meilleur développement de tous lesélèves.”

Quant au “plaisir” du processus de l’apprentissage, il consiste pour lesprofesseurs à tirer un enseignement de leur travail avec les élèves les plusintéressants, et pour les étudiants à se passionner non seulement pour lebut de l’étude, mais également pour le processus de la recherche, pour unenseignement captivant. Yankelevitch était persuadé qu’en bridant lescapacités créatrices de l’élève, on finissait par s’ennuyer. C’est pourquoi ils’est fait le défenseur de la méthode expérimentale et l’a pleinement utiliséedans la pratique. “Lorsqu’on atteint un objectif difficile qui semblaitinaccessible au départ, on stimule, et on accélère la progression de l’élèvequi prend alors conscience de sa valeur, gagne en assurance, accorde sonentière confiance au professeur et se met à croire en ses capacités.” YuriYankelevitch aidait ses élèves à supprimer tout ce qui pouvait les entraver,à éliminer la crispation, à rendre leur jeu dynamique et à accélérerl’apprentissage de nouvelles œuvres. Pour lui, il existait un lien entre laqualité de la musique apprise en classe, (sans que cela ne porte préjudice àla qualité), entre “le flux de musique qui traverse l’élève”, et ledéveloppement de ses dons pour la musique, de son talent. “C’est ainsi que

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se forme l’interprète, que se développe sa mémoire, sa capacité à déchiffrerinstantanément la musique et à assimiler rapidement le répertoire.”

Et enfin, la solidité de son enseignement était le fruit de sa volonté demettre en évidence les lois qui régissent les processus du jeu, en s’appuyantsur les connaissances les plus avancées et en synthétisant l’expérience desmaîtres de la pédagogie. Ces lois relèvent autant de la mécaniqueacoustique, de la physiologie et de la psychologie que de l’esthétique et del’art. Mais une fois établies, il est nécessaire de les relier entre elles, decomprendre leurs interactions pour pouvoir les appliquer dans la pratique.

C’est précisément cette vision plurielle de la réalité, la connaissancedes mécanismes profonds du processus de la création qui forçaientYankelevitch à abandonner les schémas formels pour des généralisationsplus larges. C’est aussi ce qui lui permettait d’apporter des correctionsextrêmement précises au processus d’apprentissage et d’orientercorrectement l’élève dans les cas les plus complexes. Il parvenait àtransmettre à ses élèves la somme d’informations nécessaires, y comprissur ses propres réussites, sur les différentes façons de se perfectionner etd’acquérir une plus grande maîtrise de soi. Sa vision de l’enseignement étaità l’origine de l’étonnante stabilité des chaînons du processus pédagogiqueet de tous les procédés méthodiques qu’il recommandait. Cette stabilitédécoulait de sa parfaite connaissance du rapport existant entre le“particulier” et le “général”, de leur délimitation et de leur interdépendance.Yankelevitch avait la capacité non seulement de généraliser à partir des casparticuliers, mais aussi de distinguer le particulier, l’individuel dans lesgénéralités. Cette qualité expliquait la solidité de la préparation techniqueque recevaient ses élèves, et le sens de la mesure qui le caractérisait lorsqu’ildélimitait les sphères d’activité entre ses assistants et lui-même. Sesassistants bénéficiaient toujours d’une très grande liberté d’action en ce quiconcerne la résolution des problèmes particuliers des élèves, dans le cadredes objectifs établis par le professeur.

Pour terminer, on aimerait remarquer que Yankelevitch continuait detravailler sérieusement avec ses élèves, bien après la fin de leurs études,lorsqu’ils étaient déjà engagés dans leur carrière. Il avait élaboré unprogramme de transition qui permettait de passer de l’étaped’apprentissage à l’étape de création personnelle. En étant confronté à latotalité des problèmes de l’enseignement du violon, aux problèmes desdébutants et à ceux que rencontrent des artistes confirmés, il voyait naîtrele “nouveau” qui devait remplacer les traditions, les procédés et les dogmesdésuets.

Il répétait souvent: “Les enseignants ont tort de brandir l’épée devanttout ce qui diffère de leurs conceptions habituelles et des modes de penséesétablis. L’inertie de la pensée ne leur permet pas de percevoir la nouveauté;

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et c’est pourquoi leurs élèves continuent à employer uniquement lesaccords pour jouer le thème de la “Chaconne” de Bach, qu’ils ne veulent pasnon plus connaître le texte, et les coups d’archet originaux de Mozart, etqu’il se raccrochent obstinément au passé.”

Yuri Yankelevitch était un novateur qui s’est toujours maintenu aucœur de la bataille pour moderniser le style de la pédagogie et de laméthodologie du violon. Son travail inlassable, véritablement titanesque,apporta une énorme contribution à l’art du violon et permit d’échafauderde nouvelles traditions pour plusieurs générations de violonistes.

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PREMIÈRE PARTIE

LE PLACEMENT INITIAL DU VIOLONISTE

Yuri Yankelevitch

En approfondissant la question du placement on constate que lesformes d’adaptation à l’instrument sont très diverses et que ces approches,différentes en apparence, donnent dans la pratique des résultats de qualitéégale. Cependant conclure, comme cela se fait parfois, que le placement estexempt de normes générales et que, par conséquent, il n’a nul besoind’obéir à des règles concrètes, est sans fondement et nuit à la méthoded’enseignement du violon. Les normes et les règles générales de la positiondes mains et des bras du violoniste existent bel et bien. Elles s’appuient surdes considérations objectives de physiologie, d’anatomie et de mécanique.Avant d’aborder l’étude du placement, il est néanmoins nécessaire decomprendre la signification même de ce terme.

Le placement du violoniste ne peut pas être examiné selon les critèresde constance et de stabilité. Il ne faut pas oublier que le placement a subides changements au cours de l’histoire. On sait qu’autrefois, le mentonsoutenait le violon du côté droit de la table et non du côté gauche. Il estparfaitement clair que c’est ce fait même qui avait déterminé le bonplacement des mains et des bras. Le placement du bras droit admis dans lesécoles allemandes exigeait de serrer l’épaule1 contre le thorax. Afind’assimiler cette attitude, on recommandait aux élèves de serrer un livresous le bras pendant leurs exercices. Ce procédé, qui paraît saugrenuaujourd’hui, et qui cependant était employé à l’époque, était lié à la manièredécrite plus haut de tenir l’instrument.

Les variations du placement ne se sont pas produites de façonindépendante du cours de l’histoire, mais elles ont été subordonnées auchangement des idées esthétiques et des styles. La nécessité d’élargir lediapason du violon et de se rendre maître de toute la touche, obligea delibérer le bras gauche, ce qui entraîna le déplacement du menton du côtédroit de la table vers le côté gauche, suivi du changement correspondant detout le placement. Par la suite, le développement de la technique et de lamobilité du bras gauche exigea une grande stabilité dans la tenue del’instrument, satisfaite par l’intervention de la mentonnière. Ainsi lesexigences d’une époque déterminent-elles le changement des styles, c’est-à-dire des procédés techniques rendus accessibles seulement grâce à un

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1 Il s’agit de la définition anatomique de l’épaule, c’est-à-dire de l’humérus, (la partie dubras entre l’articulation du coude et l’articulation de l’épaule). Des malentendus sontfréquents dans ce domaine car même les travaux médicaux spécialisés désignent par“l’épaule” tantôt l’humérus, tantôt l’épaule dans sa définition quotidienne.

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placement adéquat, placement qui en s’adaptant à de nouvelles exigenceschange lui-aussi.

Il est également nécessaire de prendre conscience que la manière detenir l’instrument change constamment au cours de l’interprétation enfonction des exigences techniques et artistiques. On peut donner unnombre infini d’exemples de variations du positionnement de la maingauche dans les changements d’accords, les extensions, les gammeschromatiques. Ces exemples montrent clairement que le placement duvioloniste est une notion dynamique, étroitement liée aux exigences del’appareil moteur, mais également que le processus de sélection desmouvements efficaces modifie le placement.

Toutefois on rencontre souvent des exemples de “fétichisme” de touteune série de composantes du placement. Les travaux de Voicu (12)2, deMikhaïlovsky (25) et d’autres, sont sur ce plan très caractéristiques,prônant des formes précises de placement fort éloignées des besoins du jeuvivant. On rencontre parfois des considérations semblables même chez lesauteurs qui font autorité en la matière. Par exemple Joachim, en étudiantdans son ouvrage “L’École” (57) la question du changement de position,signale qu’il est nécessaire de conserver pendant le changement la position“en marteau” que l’on observe lors du placement du doigt dans une positiondéterminée. Cependant chaque violoniste comprend aisément que lerespect de cette indication provoque de lui-même une certaine contrainte,une gêne, ce qui ne peut pas ne pas se répercuter sur la liberté dumouvement.

La question de la justesse du placement doit, sans aucun doute, êtreexaminée en relation étroite avec les mouvements qu’elle veut servir, le butdu placement étant d’assurer la liberté de ces mouvements. En mêmetemps, il ne faut pas oublier que dans le domaine de l’interprétation, lecritère de l’exactitude des mouvements s’établit uniquement en fonction dela qualité de la sonorité qu’ils produisent.

On emploie couramment dans la pratique pédagogique l’expression“potentialité du placement”. D'après ce qui vient d'être dit, la potentialitédu placement d’un violoniste est déterminée par sa capacité à fournir toutela gamme de mouvements nécessaires à l’interprète pour ses progrèsultérieurs. Les enseignants des écoles de musique se trouvent dans unesituation particulièrement difficile, puisqu’ils ont affaire uniquement auxdébutants et beaucoup plus rarement à des violonistes plus avancés.Cependant, en formant le placement d’un élève, l’enseignant doit connaîtrenon seulement la manière de tenir et de faire glisser l’archet au cours de lapremière étape d’apprentissage, mais également son usage lors del’exécution, par exemple, du concerto de Brahms. C’est-à-dire qu’il faut voir

� 72 � 2 Les notes entre parenthèses renvoient à la bibliographie p. 236.

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beaucoup plus loin, ce qui requiert des qualités de grande concentration, desensibilité et une profonde connaissance de l’instrument.

Il a déjà été noté que les mouvements de l’interprète ne font pas partiedu domaine purement mécanique, isolé de la sonorité. Un mouvement libreproduit une belle sonorité, alors qu’un mouvement crispé ne peut pasdonner de bon résultat et crée, de surcroît, d’importants obstacles audéveloppement de la technique.

En ce qui concerne le rapport entre les mouvements et la sonorité, ilfaut souligner que la sonorité n’est pas une notion abstraite. On ne peutdéterminer sa qualité qu’en fonction du matériau musical concret. À ceniveau apparaît le problème du contenu de la musique, car le caractère dece matériau détermine le caractère de la sonorité. Évidemment, lors despremières étapes de l’apprentissage, les exigences quant à la qualité du sonrestent élémentaires: absence d’impuretés, nécessité de la délicatesse et dela plénitude; mais lorsqu’il s’agit de l’interprétation d’une œuvre, la sonoriténe peut être déterminée qu’en fonction du contenu musical. Parconséquent, les notions aussi différentes à première vue que le placement,le mouvement, la sonorité et le contenu, se révèlent être les maillons d’unemême chaîne, et il devient clair que les défauts du placement peuvent avoirdes conséquences bien plus sérieuses qu’elles ne le laissent supposer.

Dans la pratique pédagogique, on rencontre souvent une attitudedogmatique vis-à-vis du problème du placement. C’est le cas desenseignants qui prennent des formes positionnelles précises, sans tenircompte des particularités de l'instrument, ni de l'anatomie des mains del'élève. Pour l’illustrer, on pourrait comparer les indications qui existentdans la littérature méthodique pour une question particulière, telle que leplacement du pouce de la main gauche.

On note dans “L’École” de Léopold Mozart (28) que l’on doit placer lepouce de la main gauche près du deuxième ou même du troisième doigt.

Campagnoli (48) estime que le pouce doit être posé contre ledeuxième doigt qui exécuterait la note si sur la corde de Sol

Auer (46) signale que le placement du pouce est déterminé par leplacement du deuxième doigt exécutant la note fa sur la corde de Ré, (c’est-à-dire encore un demi-ton en dessous).

Joachim (57) conseille de tenir le pouce contre le premier doigt placésur la note la de la corde de Sol, (c’est-à-dire encore un demi-ton endessous).

Le professeur belge Koeckert, assistant du violoniste Thomson,(célèbre pour sa virtuosité extraordinaire), présente un point de vue

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extrême dans ce domaine , en affirmant que le pouce doit être penché sipossible en arrière, vers la tête du violon (60) . Il est contredit par Walterqui recommande le contraire, en remarquant qu’il faut placer le pouce leplus loin de la tête, en direction du corps du violon (11).

Les remarques citées ci-dessus sont toutes le fait de sommitésoccupant une place éminente dans l’histoire de l’art du violon. Cescontradictions poussent naturellement à se demander: qui a raison endéfinitive ? En réalité ces auteurs ont tous raison dans une certaine mesure,et ont tort en même temps. Chacun d’entre eux a trouvé la position qui luisemblait la plus rationnelle, mais généraliser ces solutions individuelles,c’est-à-dire dogmatiser, serait une erreur.

Dans la pratique pédagogique nous sommes fréquemment confrontésaux cas où l’enseignant argumente ses indications de la manière suivante:c’est juste car “c’est ainsi que l’on me l’a enseigné” ou car “c’est ainsi quejoue un tel”, (suit le nom d’un artiste connu). L’anecdote suivante en est unbon exemple: dans les premières années de la carrière de Oïstrakh, on avaitimprimé des affiches avec une photographie sur laquelle on pouvait voirque le majeur de sa main droite était très écarté de l’archet. Il est difficilede dire aujourd’hui si c’était le photographe qui avait saisi ce momentparticulier ou si c’était une déformation de la photographie elle-même,mais cette position de la main n’était en aucune manière caractéristique deOïstrakh. Toutefois cette photographie servit de modèle à beaucoupd’étudiants et à un nombre considérable d’enseignants.

L’ouvrage de Struve “Les formes types de la position desinstrumentistes” (39) présente un intérêt considérable pour l’étude de cettequestion. L’auteur de cet ouvrage cherche à établir le lien entre lesdifférents procédés du placement et les particularités anatomiques desindividus.

Un exemple caractéristique de la méthode d’analyse de l’auteur estcelui de la position, haute ou basse, du coude du bras droit, qui suscitebeaucoup de controverses. Struve propose de décider de la bonne positiondu coude, (haute ou basse), d’après la structure anatomique du bras, et del’articulation de l’épaule en particulier. Les observations montrent quel’épaule et l’avant-bras et donc l’articulation du coude, (“le coude”), neprennent pas toujours la même position, lorsque le bras pend librement lelong du corps. Chez les uns, les coudes sont pratiquement serrés contre lecorps, chez d’autres ils s’en éloignent considérablement. Dans le premiercas, la position naturelle du coude est basse, et dans le second elle esthaute.

Dans la pratique pédagogique, il n’est pas toujours aisé de déterminercorrectement la position la plus rationnelle pour un élève donné. Parfois,l’enseignant n’arrive pas à percevoir immédiatement les particularités de

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son élève. C’est pourquoi il doit observer attentivement le processus de sonadaptation, et l’aider à acquérir les procédés qui lui sont propres sanss’attacher aux dogmes.

Au cours de l’apprentissage, on aborde très souvent la question desprocédés et du placement naturels. On s’interroge alors sur la significationexacte du terme “naturel”. Si l’on prend en considération la position dubras gauche du violoniste, le coude retourné sous le violon, il faudralogiquement admettre que cette position n’est pas naturelle en soi, car, dansla vie quotidienne, on ne rencontre une telle positionqu’exceptionnellement. La preuve en est la fatigue rapide du bras gauche del’élève lors des premiers cours, justement parce que cette position n’est nispontanée ni naturelle.

L’idée directrice de l’ouvrage bien connu de Voicu (12), “La formationdu système naturel de la technique du violon”, est précisément la volontéde s’écarter de cette position artificielle du bras et d’en créer une autre plusnaturelle. L’erreur de l’auteur réside dans le fait que la position du brasgauche qu’il propose, qui correspond davantage à sa position dans la viequotidienne, ne permet pas d’assurer toutes les fonctions motricesnécessaires au violoniste au cours de l’interprétation. C’est la raison pourlaquelle le système de Voicu s’est trouvé inutilisable.

Par conséquent, lorsque l’on parle du “naturel” du jeu, on doit penserau “naturel” des conditions professionnelles précises, et non pas à celui dela position du bras dans la vie quotidienne.

Toute activité, en particulier celle du violoniste, entraîneinévitablement une tension, (on entend par tension, cet effort minimalindispensable à la réalisation d’une activité particulière). En même temps,un effort excessif, entraînant une gêne et limitant les moyens d’exécution,est ce que l’on nomme la “tension” du point de vue professionnel.

Les cas ne sont pas rares où l’insuffisance de la technique est laconséquence d’une tension excessive, d’une pression trop importante sur lacorde, d’une contraction trop forte de la main gauche autour du manche.On doit remarquer que dans la pratique pédagogique, l’exigence de ladécontraction des mouvements se trouve sans cesse en contradiction avecles procédés recommandés, qui rendent toute aisance impossible.

Lorsque l’on parle de la tension, il ne faut jamais oublier quel’organisme humain est un système uni où la tension, quelles que soient salocalisation et son origine, limite toujours la liberté des mouvements. C’estpourquoi il est impossible d’atteindre l’aisance des mouvements du brasgauche, par exemple, sans décontracter simultanément le bras droit, sansune position dégagée de la zone humérale et du thorax. La conditionpremière indispensable pour parvenir au placement naturel et à la liberté

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des mouvements du bras, est la stabilité et l’attitude naturelle du corps, quidépend elle-même de la répartition du poids du corps sur les pieds et deleur positionnement.

La littérature méthodique ne fournit pas d’opinion concertée au sujetde la position correcte des pieds. Les vieilles “Écoles”, classiquesreprésentent les pieds du violoniste à la troisième position chorégraphique.“Il serait plus recommandé de répartir le poids du corps de manière égalesur les deux pieds, sachant que les pieds ne doivent être ni excessivementserrés ni écartés, mais posés à peu près à la largeur des épaules.

Pour assurer la décontraction de la région des épaules, il estindispensable de définir le maintien correct de la tête. Il n’est pas rare depouvoir constater une inclinaison excessive de la tête à gauche, de sorte quele violon est soutenu par l’extrémité du menton. Zeitlin qui avait, lui-même,beaucoup d’aisance dans sa manière de tenir le violon, recommandait de se référer au port habituel et naturel de la tête, du cou et des épaules. Ainsi, lementon baisse très peu et l’instrument est solidement fixé par le côtégauche de la mâchoire. Cette position assure la plus grande décontractionde la région des épaules et du bras.

La stabilité de l’instrument joue un grand rôle pour la liberté desmouvements du bras droit, et plus particulièrement du bras gauche. Lamentonnière et le coussin en sont des éléments importants. Lamentonnière ne doit pas être trop haute, mais suffisamment profonde pourpermettre au menton de s’y poser fermement et de soutenir le violon avecassurance. Si la mentonnière est trop plate, le menton serre fortement leviolon pour le soutenir, ce qui contracte les muscles du cou.

En ce qui concerne l’utilisation du coussin, les avis sont partagés. Onpeut citer une pléiade de violonistes, comme Heifetz, Kogan et d’autres, quine l’utilisent pas. Certains enseignants apprennent également aux élèves àjouer sans le coussin. Mais on ne peut pas ne pas reconnaître que sonutilisation crée des conditions plus favorables pour le maintien del’instrument, en évitant à l’épaule une tension inutile qui apparaît lorsquel’épaule est surélevée.3 Sans le coussin, l’épaule, même si elle est très droite,et surtout si elle est basse, se soulève inévitablement. Il est évident que l'onne peut pas prendre comme référence Kogan, Heifetz ou d’autresviolonistes éminents, qui avaient de grandes dispositions personnelles pourl’instrument. Les difficultés d’exécution des œuvres des compositeurscontemporains exigent des conditions maximales de liberté pour la maingauche.

� 76 � 3 Le terme “épaule” est ici employé dans sa définition quotidienne.

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Quant au placement de l’instrument pendant le jeu, deux points de vueprédominent. Selon le premier, très largement répandu dans la pratique, leviolon n’a qu’un seul point d’appui. L’instrument se fixe solidement entre lementon et la clavicule, ce qui libère entièrement le bras gauche.

Le propagateur le plus brillant du second point de vue fut Nemirovsky(30). Il estimait qu’il était plus juste d’avoir deux points d’appui, le premierétant constant, (on pose le violon sur la clavicule sans utiliser le coussin etsans soulever l’épaule), et le deuxième variable, (la main gauche). Cetteméthode est praticable si l’on s’en tient à une seule position, ou auxchangements de position ascendants. Mais lorsqu’on doit exécuter deschangements descendants, (des positions supérieures vers les inférieures),on se trouve confronté à de sérieuses difficultés. Dans ce cas, tous lesviolonistes qui n’utilisent pas le coussin sont contraints de souleverl’épaule. Cependant, Nemirovsky propose de l’éviter à l’aide de mouvementsauxiliaires du pouce, qui se place d’avance dans la position inférieure etcrée un point d’appui pour le déplacement de toute la main.

Ainsi, l’utilisation de deux points d’appui nécessite en permanencedes mouvements complémentaires de préparation du pouce et impose doncune difficulté technique supplémentaire. Il est pratiquement impossible demanier le pouce avec une vitesse suffisante lors de l’exécution de passagesrapides. Par conséquent, les violonistes qui ne se servent pas du coussin,sont obligés de recréer la stabilité nécessaire en relevant l’épaule.

En pratique, la question de l’utilité du coussin devrait être résolue dela manière suivante: l’enseignant doit adapter la mentonnière et le coussin àla morphologie de l’élève et ne commencer l’enseignement que dans cesconditions. Plus tard, lorsque l’élève maîtrise avec facilité et agilité toutes lespositions et qu’il devient clair que ses qualités personnelles lui permettent dese passer du coussin, on peut s’en séparer. On peut remarquer que Koganavait utilisé le coussin dans les premières années de son apprentissage.

La hauteur du placement de l’instrument revêt également une grandeimportance. Auer (5) remarque dans son “École” que, pour que leschangements se fassent aisément, il est indispensable de maintenirl’instrument suffisamment haut. À première vue, on ne voit pas de lienlogique entre les changements de position et la hauteur du placement duviolon, mais en analysant ce problème, on découvre que l’opinion de Auerest parfaitement juste. On peut s’en convaincre au moyen d’une expériencetrès simple. Il s’agit de prendre le violon et de s’asseoir, en appuyant lecoude sur la table, le premier doigt se trouvant dans la première positionsur l’une des cordes. Si l’on passe à la 3e position, en gardant la mêmeposture, le violon se relève. On le comprend facilement puisque le brasappuyé sur la table ne peut exécuter que des mouvements circulaires. Lorsdu changement inverse, le violon s’abaisse normalement. C’est pourquoi il

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est clair qu’en pratique, l’exécutant a besoin de mouvements auxiliaires,(correcteurs), qui dirigent sa main selon une ligne droite et non pas uncercle. Ces mouvements auxiliaires sont réalisés grâce à une légèreélévation du coude et à un éloignement simultané de l’épaule, (pour lepassage aux positions inférieures); ou grâce à l’abaissement du coude et aurapprochement de l’épaule, (pour le passage aux positions supérieures).

Les violonistes débutants qui doivent assimiler les positions font deuxerreurs contraires: soit ils rejettent le violon vers le haut, soit ils l’abaissentexcessivement. En rejetant le violon vers le haut, l’épaule et le coude neréalisent pas le mouvement auxiliaire correcteur; en l’abaissant, ils leréalisent beaucoup trop activement. Si l’on examine les mouvements de lamain dans la partie supérieure de la touche, on établit que, dans ce caségalement, l’épaule exécute ce mouvement auxiliaire. Seulement, lors duchangement de position dans la partie supérieure de la touche, il est denature quelque peu différente: au lieu d’être vertical, il est horizontal. Il enrésulte que ces mouvements d’épaule sont nécessaires pour assurer leplacement normal de l’instrument et la liberté du mouvement de la main lelong de la touche.

Ainsi, les indications d’Auer deviennent claires: si la position duviolon est basse, l’épaule et le coude sont serrés contre le corps et leursmouvements en sont donc gênés; la position relevée du violon permet, aucontraire, des mouvements correcteurs aisés, qu’ils soient verticaux ouhorizontaux.

La position relevée du violon est également indispensable audéplacement normal de l’archet, car la position basse de l’instrumentfavorise le glissement de l’archet vers la touche et entraîne de cette façon demauvaises habitudes, difficiles à corriger par la suite.

La direction de l’instrument plus ou moins à gauche ou à droite parrapport à l’axe du corps, a également une grande importance, surtout pourles fonctions du bras droit. On n’y prête jamais suffisamment attention.Incliner le violon à gauche force le bras droit à s’avancer, sinon l’archet n’estpas perpendiculaire aux cordes, ce qui se ressent immédiatement au niveaude la qualité du son.

Si, au contraire, le violon est tenu trop à droite, le violoniste plieexagérément le poignet afin que l’archet soit bien perpendiculaire àl’instrument. Cette dernière position est très inconfortable, plusparticulièrement si l'on a des longs bras ; très souvent, c’est ce maintienincorrect de l’instrument qui est responsable de la rigidité du bras droit, del’absence de l’aisance de la main et par conséquent, des problèmesrencontrés dans l’exécution des différents coups d’archet. Dans ce cas,déplacer le violon légèrement à gauche, délie le bras droit et lui confère unmouvement large et nature.

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C’est la longueur des bras qui permet de définir le maintien del’instrument de manière très individuelle. Il est préférable de déplacer leviolon à droite, si les bras sont courts et plutôt à gauche, s’ils sont longs. Parailleurs, il ne faut pas oublier que l’inclinaison du violon joue également unrôle important. On régule l’inclinaison en faisant varier la hauteur ducoussin: plus le coussin est haut, plus l’inclinaison est grande maisinversement, l’inclinaison du violon détermine la position du coude gauche:plus l’instrument est tenu à plat, plus on décale le coude à droite, ce quin’est pas du tout naturel.4

Sur la corde de Sol, par exemple, la position trop à plat du violonfausse le mouvement ascendant de l’archet. En effet, la tête de celui-ci sedirige alors vers le bas. Ce défaut est très caractéristique des violonistesdébutants. Au contraire, l’inclinaison trop importante diminue l’angle queforment les doigts de la main gauche avec la touche, ce qui les fait glisserde la corde lorsqu’ils se trouvent sur la corde de Mi.

En ce qui concerne l’archet, il s’agit avant tout de définir lepositionnement des doigts par rapport à la hausse.

Beaucoup d’enseignants recommandent d’appuyer le pouce contre lasaillie de la hausse. Mais certains violonistes placent leur pouce dans laconcavité de la hausse. En fait, la manière la plus intéressante serait deplacer le pouce sur la baguette juste à côté de la hausse.

D’autre part, lorsque les bras sont un peu courts, il arrive qu’il soitquelque peu difficile de faire glisser l’archet jusqu’à son extrémité. Pour yarriver malgré tout, on voit les violonistes tenir l’archet en éloignant lesdoigts de la hausse. C’est ainsi que procédait Auer dont les bras n’étaientpas très longs.

On l’observe aussi chez les débutants lorsque l’archet est trop lourd.Les élèves, en essayant intuitivement d’ alléger la masse, déplacent la mainvers le centre de l’archet. On peut constater des particularités analogues deplacement de la main droite également dans le cas d’une répartitionincorrecte du poids de l’archet.

Très souvent les enseignants conseillent aux élèves de ne pas allerjusqu’au bout de l’archet si celui-ci est trop long. Ils indiquent la limite dumouvement en fixant un fil sur la baguette. Zeitlin proposait plutôt dedéplacer la main vers le centre de l’archet afin d’en diminuer non seulementla longueur mais également le poids. Ce choix est sans doute le plusjudicieux. Cependant, il serait certainement encore plus avantageux

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4 Nous avons déjà remarqué que pour un violoniste, la position naturelle du coudegauche est une question des plus délicates. Or, le maintien de l’instrument éloigne encoreplus le bras gauche de sa position naturelle.

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d’adapter directement la longueur et le poids de l’archet à l’élève pour nepas avoir à recourir à de telles méthodes. Le placement de la main sur labaguette de l’archet détermine aussi la position du pouce par rapport à lahausse. Il doit se positionner sur la baguette même et ne pas s’appuyer surla saillie de la hausse, comme on le recommande fréquemment.

La position du pouce par rapport aux autres doigts fait, elle aussi,l’objet de bien des controverses. Struve note (39) que c’est l’articulationmême du pouce qui détermine sa position. Effectivement, chaque personnea sa manière particulière de serrer le poing, et on constate que le pouceprend à chaque fois une position différente. Partant de là, il est plus naturelpour certains violonistes de placer le pouce contre le médius, et pourd’autres contre l’annulaire. Il va sans dire que des positions intermédiairespeuvent également exister. Mais il faut tout de même remarquer que lepoint de vue de Struve n’est pas unique dans ce domaine. Les intentionsartistiques des différentes écoles sont déterminantes lorsqu’il s’agit derésoudre des problèmes techniques de cette sorte.

On peut, à ce sujet, comparer deux points de vue: celui de Zeitlin etcelui de Yampolsky.

Yampolsky proposait de placer le pouce contre le médius et Zeitlinpresque contre l’annulaire, plus exactement entre le médius et l’annulaire.Il est clair que cette différence d’opinion provient des particularitésanatomiques des mains de ces deux professeurs. Évidemment, ces deuxmanières de tenir l’archet ont des résultats différents.

Les recherches musicales de Zeitlin, en tant que concertiste etenseignant, étaient dirigées vers une sonorité large et puissante, vers un jeuplus éclatant. La tenue de l’archet qu’il recommande permet un appui plusfort sur la baguette et donc une plus grande adhésion de l’archet à la corde.Mais parallèlement cette même position des doigts rend plus arduel’exécution des coups d’archet légers.

Yampolsky recherchait la diversité de la technique de l’archet, lamaîtrise des coups d’archet élégants, d’où une autre manière de le tenir.

La position du pouce et la justesse de ses mouvements sont d’unegrande importance pour l’aisance du bras droit. Généralement, le pouceposé près de la hausse doit être légèrement plié. Au cours du déplacementde l’archet de la hausse vers la tête, le pouce se déplie progressivement. Aucours du mouvement inverse, le pouce retourne à sa position initiale.

Les enseignants exigent souvent de l’élève une position constammentrepliée du pouce, en croyant à tort que cette position est caractéristique del’aisance. En réalité, lorsque cette position est “fossilisée”, elle provoque lacrispation des autres doigts. La liberté des doigts sur la baguette est

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indispensable pour qu’ils puissent exécuter de légers mouvementsauxiliaires pendant les changements d’archet, ainsi que pour les différentscoups d’archet. Afin d’atteindre cette aisance, le pouce, associé aux autresdoigts posés sur la baguette, doit être lié à celle-ci de façon mobile, commeune articulation, quelle que soit la partie de l’archet utilisée. Par contre, sion maintient le pouce dans une position rigide, (pliée ou droite), on limitele mouvement des autres doigts.

Fort souvent, cette indissociabilité des mouvements des différentesparties du bras lorsqu’on joue à l’extrémité de l’archet s’explique par uneposition trop tendue du pouce. Mais en même temps, on rencontre desviolonistes qui sont très à l’aise dans leur utilisation de l’archet malgré uneposition droite ou même concave du pouce, comme par exemple celle deAuer ou Kogan. Il est évident qu’une telle position ne les gênait pas. Enréalité, chez certains violonistes les articulations de la main sontextrêmement souples et flexibles. C’est cette flexibilité qui permetd’effectuer les mouvements nécessaires malgré le pouce incurvé. Mais il estclair que cette position doit être examinée plutôt comme une exception.

Ainsi, en étudiant l’importance de la position du pouce, il estnécessaire de partir du fait que sa fonction est de contribuer à la liberté dumouvement des autres doigts de la main droite.

Leur position sur la baguette peut être plus ou moins profonde, ce quidépend en grande partie de leur longueur. Ils ne doivent pas être trop serrésou trop écartés. De nos jours, on ne tient plus l’archet du bout des doigts,comme cela se faisait auparavant, car ce procédé ne permet pas d’atteindreune sonorité puissante. La position normale de la main permet de reporterson poids sur la baguette, le son étant ainsi produit naturellement. Lesdoigts doivent être alors arrondis. On voit parfois que les doigts de la maindroite de l’élève exagérément tendus font ressortir la première phalange. Cedéfaut est facile à corriger: il suffit d’arrondir les doigts en les pliantlégèrement.

Il est particulièrement important de considérer la position arrondieque prend l’auriculaire appuyé sur la baguette lorsque l’on joue près dutalon. Cette position de l’auriculaire, à qui revient une fonction importantepour les mouvements de l’archet, donne également la possibilité de placerles autres doigts de façon naturelle. Cependant, les enseignants n’y prêtentpas suffisamment attention, ou alors ils prennent leur parti des défautsinitiaux du placement de l’auriculaire. Malheureusement, ces défautscréent par la suite d’innombrables difficultés pour l’acquisition d’unebonne technique de la main droite. Lorsque l’archet se rapproche du talon,l’auriculaire par son arrondi doit équilibrer le poids de l’archet. Or, commeil est difficile pour un débutant de garder l’auriculaire bien replié, celui-cise déplie et se pose très tendu sur la baguette, en perturbant ainsi lefonctionnement des autres doigts. Il s’agit donc de permettre à l’auriculaire

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d’exécuter tous les mouvements fléchisseurs et extenseurs tout en retenantl’archet. C’est ce qu’un bon placement doit assurer.

Lors du mouvement du milieu de l’archet vers sa tête, il n’est plusaussi impératif de garder l’auriculaire replié sur la baguette, puisque lecentre de gravité de l’archet change et que l’archet se pose librement sur lacorde, c’est-à-dire sans que l’auriculaire intervienne afin d’équilibrer lepoids de l’archet. Pourtant les enseignants continuent d’exiger le maintiende l’auriculaire sur la baguette même à ce moment-là. Le respect de cetteexigence provoque, dans la plupart des cas, une flexion excessive dupoignet, surtout si les bras ne sont pas très longs.

De plus, il ne faut pas oublier que “les positions extrêmes de la main”,comme les nommait Yampolsky, gênent énormément la liberté desmouvements du bras droit. On entend par “les positions extrêmes”, laflexion excessive du poignet près de la hausse et la flexion inverse du poignetau bout de l’archet. Le poignet doit être légèrement plié près de la hausse etpeut être un peu infléchi dans l’autre sens au bout de l’archet. Il est difficilede quitter cette position très infléchie lors du mouvement ascendant del’archet. C’est pourquoi l’élève en jouant “détaché” avec la partie supérieurede l’archet, transforme le mouvement naturel de l’avant-bras en mouvementde l’épaule. Au bout de l’archet, seuls les violonistes avec de très longs braspeuvent garder l’auriculaire parfaitement décontracté.5

Il est primordial de comprendre les différences essentielles duplacement de la main près du talon et au bout de l’archet. Légèrementarrondis lorsque l’archet est près du talon, les doigts se redressent lorsquel’archet atteint la pointe. Le pouce est à demi plié près du talon et droit aubout de l’archet. Il est évident que l’angle formé par la main et la baguetteest plus aigu à la pointe de l’archet.

Si l’archet est tenu librement, les changements de position se fontsans difficulté. Alors que le bras droit est tendu, les doigts sont figés dansune seule position, ce qui se répercute sur la liberté des mouvements.D’autre part, ce qui est particulièrement important c’est de placercorrectement l’index: le placement trop profond, c’est-à-dire lorsque labaguette repose sur la première phalange, gêne les mouvements du poignet,principalement près du talon.

Flesch donne dans son “École” (41) trois manières de tenir l’archet:l’ancienne manière allemande, lorsque l’archet est tenu du bout des doigt,

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5 En fait d’exemple, on pourrait citer le violoniste Joseph Szigeti dont les brasétaient si longs que lorsqu’il atteignait la pointe de l’archet, son avant-bras formaitun angle droit avec son épaule, angle normalement atteint par les autres violonistesdès le milieu de l’archet. Ceci explique pourquoi Szigeti n’enlevait presque jamaisl’auriculaire de la baguette, ce qui ne lui occasionnait aucune difficulté.

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la manière franco-belge un peu plus profonde et la manière russe, la plusprofonde des trois. Cependant, même dans ce dernier cas, la baguette nedépasse pas l’articulation de la première phalange de l’index. Il existe biensûr des façons personnelles de tenir l’archet, mais elles ne peuventévidemment pas servir de référence.

Certains violonistes, par exemple, tiennent l’archet trèsprofondément, contrairement aux règles générales exposées ci-dessus. Àpremière vue, leur jeu devrait en être extrêmement gêné. Cependant, mêmedans ce cas les bons violonistes maîtrisent tous les coups d’archet, car ilscompensent la position trop profonde de l’index par une position très hautedu coude et changent de cette façon la direction du mouvement du poignet.Cet exemple démontre encore une fois le lien étroit existant entre chaqueélément de position des mains et des bras et souligne la nécessité de lesanalyser finement et correctement afin d’éviter des conclusions hâtives eterronées.

La baguette de l’archet doit être légèrement inclinée vers la touche,car la corde oppose plus de résistance à la pression de l’archet près duchevalet que près de la touche. De plus, les cordes ne sont pas tenduesparallèlement à la touche: elles sont abaissées vers le sillet et relevées versle chevalet. C’est pourquoi la pression exercée sur l’archet incliné est dirigéede façon à ce que la corde lui oppose la plus grande résistance et donc,supporte une plus grande pression. Il devient donc possible de diversifier ladynamique tout en conservant la même qualité du son. Il est intéressant denoter que l’inclinaison de l’archet du violoncelle est fondée sur les mêmeslois, bien que le placement de l’instrument et la position du bras droitsoient différents.

En examinant avec attention le déplacement de l’archet du talon versla pointe, on peut déterminer l’endroit exact de la plus forte et de la plusfaible inclinaison qui se situent respectivement près du talon et près de lapointe de l’archet. Ceci s’explique par le fait que près du talon le son estprincipalement produit par le poids du bras, sans que l’on utiliseobligatoirement toute la largeur de la mèche. Au bout de l’archet, enrevanche, l’appui exercé sur la corde ainsi que la largeur de la mècheutilisée, sont nécessairement plus importants si l’on veut atteindre unesonorité plus dense. C’est pourquoi l’inclinaison diminue au bout del’archet. En jouant “piano”, on n’est pas obligé d’utiliser toute la largeur dela mèche, mais en jouant “forte” et en augmentant la pression, sans pourautant changer l’inclinaison de la baguette, on écrase les crins qui adhèrentnaturellement, de toute leur largeur, à la corde.

L’inclinaison de l’archet est également liée à la tension de la mèche:une tension plus forte permet une plus grande inclinaison et inversement.En ce qui concerne la tension de la mèche, les intentions artistiques de

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l’interprète jouent un rôle prédominant. Cette affirmation trouve uneillustration dans la comparaison des styles du jeu des grands interprètestels que Kreisler, Sarasate, Grigorovitch. Kreisler tendait fortement lescrins de l’archet qu’il inclinait beaucoup ; ses mouvements n’étaientgénéralement pas très amples, mais la sonorité produite se distinguaittoujours par sa richesse et son expressivité. Sarasate, lui, sans trop tendreles crins, produisait le son avec presque uniquement le poids de l’archet,(car il utilisait un archet très lourd), et également grâce à des mouvementslarges et légers. Grigorovitch, qui avait un jeu semblable, possédait en outreune extraordinaire légèreté et liberté de la main droite. On sait qu’ens’exerçant, il jouait le prélude de la Partita en mi majeur de Bach enutilisant toute la longueur de l’archet et dans le tempo se rapprochant dutempo réel.

En abordant la question du mouvement de l’archet, on doit biencomprendre quelles sont les parties du bras qui assurent sa liberté et dansquelle succession elles le font. La règle générale selon laquelle il faut éviterà tout prix les mouvements séparés des différentes parties du bras, trouveici sa confirmation.

L’analyse du mouvement de l’archet, du talon à la pointe, montre quele début du mouvement coïncide avec le redressement du poignet. L’avant-bras intervient ensuite, suivi, vers la fin de l’archet, de l’épaule, qui enavançant légèrement, exécute un mouvement auxiliaire. Ce mouvement estauxiliaire au sens strict du terme. On ne doit ni le travailler de façonartificielle ni fixer sur lui l’attention de l’élève, car cela peut mener à desexagérations caricaturales. Il apparaît tout-à-fait naturellement si le brasest parfaitement décontracté.

Ce processus est inversé lors du mouvement de l’archet de la pointevers le talon. Il débute par l’action de l’avant-bras, accompagnée d’un légerretrait de l’épaule, et se poursuit par celle de l’épaule et par la flexionsimultanée du poignet. Au moment où l’on atteint le talon, le fléchissementdes doigts confère la bonne direction à l’archet. Seule la conjugaison detous ces mouvements peut garantir le mouvement rectiligne de l’archet.

Afin que la succession de ces mouvements soit bien comprise, desenseignants tels que Mostras et Becker conseillent d’employer un procédéfort ingénieux: le professeur tient l’archet et l’élève fait glisser sa main lelong de la baguette, comme sur un rail, en essayant de respecter toutes lescombinaisons des mouvements. Ainsi, au début de l’apprentissage, l’élèveélimine plus rapidement les défauts des mouvements de l’archet, c’est-à-dire des mouvements trop en avant ou trop en arrière. Car pour faire glissersa main sur la baguette, l’élève doit cesser de la serrer et parvenir ainsi àdépasser le réflexe inné de préhension, afin d’arriver à la sensation deparfaite décontraction dans sa manière de tenir et de mouvoir l’archet.

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En tenant compte des difficultés qui apparaissent fréquemment audébut de l’apprentissage, le professeur Mostras conseille de commencer lemouvement au milieu de l’archet et de l’élargir ensuite des deux côtés, (versla pointe et le talon). On peut également conseiller de commencer lemouvement de l’archet par le coup d’archet ascendant.

On doit maintenant aborder le problème des changements d’archet. Ilest plus utile de s’y intéresser lorsque le mouvement de l’archet de l’élève estdevenu juste, stable et libre, car rendre les changements d’archetimperceptibles est ardu et délicat. C’est pourquoi au début del’enseignement, on retarde parfois consciemment le moment de s’y arrêter.L’opinion tout-à-fait justifiée qu’on ne doit pas exiger de l’élève deschangements d’archet irréprochables dès le début, est souvent étendue àd’autres questions par les enseignants eux-mêmes, ce qui est une erreur.Ainsi c’est cela qui fait affirmer qu’il est impossible d’exiger d’un débutantune juste intonation et qu’au début jouer faux est soi-disant naturel.L’expérience a montré qu’avec de telles idées l’élève n’apprend jamais àjouer juste. On doit éduquer l’oreille de l’élève dès ses tout premiers pas,tant pour l’intonation que pour la qualité de la sonorité.

On pourrait remarquer à ce propos qu’en pratique les deux aspects dela question sont souvent séparés: l’élève corrige les fausses notes sansremarquer la mauvaise qualité du son. Si, en revanche, il est éduqué dansl’esprit d’une grande exigence envers lui-même, le travail de l’enseignants’en trouve plus tard facilité. L’essentiel est d’apprendre à l’élève à s’écouter.C’est indispensable non seulement pour rendre justes les intonations, maisaussi pour améliorer la qualité du son.

Le mouvement auxiliaire des doigts, le “Fingerstrich”, aideconsidérablement à rendre imperceptibles les changements d’archet. Onpeut évidemment changer la direction du mouvement de l’archet sans le“Fingerstrich”, mais il paraît utile de l’employer. Lors du changementd’archet, le mouvement de progression de la main se fait en deux étapes aucours du mouvement ascendant, le bras s’arrête au talon, alors que lesdoigts continuent le mouvement et au moment du “point mort”, c’est-à-direà l’arrêt des doigts et de l’archet, le bras entame le mouvement inverse et,de cette façon, rend la liaison moins anguleuse et donc moins audible.

Pouvoir rendre la liaison inaudible est la condition sine qua non del’interprétation de la cantilène. Cela nécessite une grande éducation de lasonorité et du mouvement du bras droit et par conséquent beaucoup detravail. C’est pourquoi, il est utile de s’exercer à des mouvements lents del’archet, de prolonger les notes longues.

On peut entendre les liaisons pour deux raisons.

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La première, qui a trait au changement près du talon, est le retard prisdans le mouvement inverse du bras droit. Il doit être exécuté au toutdernier moment à l’aide du mouvement de liaison des doigts, sinon la pausedevient audible.

La deuxième, comme l’avait souligné Poliakine, est la perte de lapression de l’archet sur la corde au moment de la liaison.6

Les principes du placement présentés ci-dessus créent les conditionsfavorables pour acquérir et enrichir l’expérience du jeu. L’auteur de cetouvrage s’en sert quotidiennement en tant que pédagogue.

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6 Les indications de l’auteur sur le placement du bras gauche et sur les change-ments de position sont abrégés. Ces questions sont développées de façon détail-lée dans le chapitre suivant, également de Yuri Yankelevitch, “Les changementsde position et les problèmes de l’interprétation.”

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LES CHANGEMENTS DE POSITIONET LES PROBLÈMES DE L’INTERPRÉTATION

Yuri Yankelevitch

Avant-propos

Le problème des changements de position est l’un des problèmesessentiels de l’interprétation. Il doit être étudié sous tous ses aspects. Cetteétude ne peut pas être fructueuse si elle n’est pas constamment soumise auxexigences de l’interprétation. Ce principe est le fondement du présent essai.Il comporte deux parties: la première est consacrée aux différentesquestions méthodiques en relation étroite avec les changements deposition, et la deuxième est l’étude même des changements de position.

L’ensemble des questions liées aux changements de position est vaste.Dans l’étude qui suit, on en donne une analyse détaillée et on essaie degénéraliser et de classer les différents points de vue et les méthodes relevésdans la littérature spécialisée, aussi bien ancienne que contemporaine. Lerésultat de cette étude est la description d’une série de positionsconstamment révisées grâce à la pratique pédagogique de l’auteur. Cesrésultats, selon l’auteur, peuvent devenir le fondement d’une méthoded’enseignement plus rationnelle destinée aux débutants, et d’une méthodede correction pour les avancés.

1. Généralités sur les positions. Les différentssystèmes de subdivision de la touche, leurcaractère conventionnel et leurs modifications aucours de l’évolution de l’art de l’interprétation.

On définit la position comme la partie de la touche sur laquelle lepositionnement de l’index correspond à l’intervalle défini par rapport à lacorde à vide : la seconde correspond à la première position, la tiercecorrespond à la seconde position, la quarte correspond à la tierce, etc. Lenombre total de positions varie entre dix et douze. Les sept premièrespositions sont les plus utilisées. Cependant, les divisions de la touche endifférentes positons sont en grande partie conventionnelles. C’est ainsi quel’intervalle qui définit la première position peut être, en fonction de la

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tonalité, la seconde majeure, la seconde mineure, ou encore la secondeaugmentée. Par conséquent, l’intervalle qui définit la seconde positionpeut être soit la tierce diminuée, soit la tierce majeure, soit la tiercemineure, soit la tierce augmentée, (dans les tonalités incluant le si dièse, etle fa double dièse). La tierce position est définie par la quarte diminuée, laquarte juste, la quarte augmentée etc. L’intervalle qui définit la positionreste inchangé uniquement lorsque la note initiale d’une gamme majeureest jouée sur la corde de Sol avec l’index ou l’auriculaire. Dans ce cas, lemouvement de l’index sur les quintes justes n’est pas perturbé tout au longdes deux octaves et demies qui correspondent à l’étendue de la position.Ceci concerne les gammes majeures à la première position quicommencent par la corde à vide.

Le système des divisions de la touche a considérablement changéparallèlement à l’évolution du jeu du violon. Dans le livre de Tessariniintitulé “École nouvelle: méthode pour apprendre à jouer du violon en unmois”, paru dans la première moitié du XVIIIe siècle, seules sont décritesles trois positions principales, dont la première correspond à la IIe positionactuelle, la deuxième à la IIIe et la troisième à la VIIe, (citation d’après dela Laurencie, voir note 62). Cette division en seulement trois positionss’explique par la représentation primitive que l’on avait à l’époque despossibilités du déplacement de la main gauche sur la touche. Ainsi, d’aprèsce manuel la VIIe position est atteinte à partir de la troisième en déplaçanttoute la main. C’est ainsi que l’on passe par exemple de la note ré joué parl’auriculaire sur la corde de Mi, à la note mi joué par l’index.

Mais déjà dans l’”École” pour violon de Léopold Mozart (28) éditée en1756, nous trouvons une approche plus développée des différentespositions. Mozart décrit un grand nombre de positions, (qui correspondentaux positions actuelles), et les appelle “les doigtés”. Il distingue de plus lespositions paires et les positions impaires en fonction de leur utilisationpratique, et appelle les positions impaires “doigté entier” et les positionspaires “demi doigté”.

En accord avec le niveau de la technique à cette époque, LéopoldMozart considère l’exécution d’une succession de notes en forme degammes comme la forme essentielle du mouvement de la main gauche. Enrevanche, il tient les mouvements des changements de positions exécutéshors de ces successions plutôt pour des cas particuliers, et surtout commeétant les plus difficiles. Lors de l’exécution de ces successions de notes,Mozart recommande de changer de position en alternant principalementl’index et le majeur, et parfois le majeur et l’annulaire. Mozart croitégalement possible l’utilisation simultanée de deux doigtés. Il introduitalors la notion spéciale du “doigté mixte”. Les exemples d’utilisation dudoigté mixte donnés par Mozart sont liés à l’utilisation consécutive despositions paires et impaires dans les passages séquentiels.

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En 1797 parut l’”École” de Campagnoli (48) dans laquelle l’auteurdivise également la touche en doigtés entiers et en demi doigtés. Une telledivision de la touche nécessitait des précisions sur chaque doigté et demidoigté, ce qui rendait difficile leur classification. C’est sans doute pour cetteraison que Campagnoli a introduit en plus pour chaque position unenotation littérale correspondant à la dernière note d’une position donnée.Ainsi, Campagnoli appelait la IIe position demi doigté ou doigté C; la IIIeposition, doigté entier ou doigté D; la IVe position, doigté entier ou doigtéE; la Ve position, doigté entier ou doigté F, etc.

Spohr considérait que cette division de la touche était trop complexe.C’est pourquoi dans son essai (71), il adoptait sans aucune restriction lesnotations de l’école française qui appelle “positions” les différentsplacements (Ie, IIe, IIIe, etc.) de la main.

Cette conception de l’utilité de la notation des positions en fonctionde leur disposition ordonnée sur la touche s’est conservée jusqu’à nos jours.Cependant elle n’a nullement modifié le caractère conditionnel de laconception même de la position. C’est pourquoi toutes les tentatives de ladéfinir ont échoué.

Joachim (57) par exemple définit la Ie position par l’emplacement dudeuxième degré de la gamme. L’index de la main gauche se pose dans ce casà la distance qui correspond à la seconde par rapport à la corde vide, (ontient toujours compte de la tonalité). Ainsi, cela pourrait être la secondemajeure, (en ré majeur et en sol majeur), la seconde mineure, (en mimajeur et en la majeur etc.), et la seconde augmentée, (en ut majeur), surles cordes de La, de Ré et de Sol. C’est pourquoi on peut parler de troisplacements différents de la main gauche à la Ie position : le placementabaissé, normal et surélevé.

Contrairement à Joachim, Auer étudie les positions indépendammentde la tonalité (5). Son schéma des positions en ut majeur ne montre pas queles intervalles, (par rapport à la corde à vide), qui sont le fondement despositions, peuvent être différents. Toutefois il est clair que si à la note sijouée par l’index en IIe position sur la corde de Sol correspond l’intervallede la tierce majeure, alors l’intervalle déterminant à la même position surla corde de Ré sera la tierce mineure, correspondant à la note fa. La tiercemajeure caractériserait sur la corde de Ré un placement surélevé. Ainsi leschéma proposé par Auer ne supprime pas les contradictions de laconception même des positions et de leurs limites précises.

Un schéma intéressant de subdivision de la touche fut proposé parDavydov dans son “École” pour violoncelle (17). Si Auer se servait de latonalité ut majeur pour construire son schéma de subdivision pour toutes

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les cordes, Davydov, lui, partait de la tonalité majeure correspondant àchaque corde en particulier.

Fig.1

Dans la pratique, il est difficile de concevoir qu’à chaque corde puissecorrespondre sa propre tonalité. Il est évident qu’avec le changement detonalité, la rigueur du système de Davydov est rompue. Par conséquent, cesystème, comme tous les autres cités ci-dessus, est lui aussi conventionnel.

Les exemples précédents montrent clairement que tous les systèmesexaminés ci-dessus sont incapables de séparer nettement une positiond’une autre. D’un côté les placements différents de la main correspondentà la même position (Fig. 2), et de l’autre, on constate que le mêmeplacement peut être attribué aux différentes positions lors du changementenharmonique des sons, (voir l’exemple 3, Flesch (41)). Flesch donne cetexemple pour questionner son élève sur la position exacte, (IIe ou IIIe),occupée par la main de celui-ci.

Fig. 2 Fig. 3

Cet état de choses rend compréhensible les efforts de nombreuxenseignants déployés afin de trouver de nouvelles méthodes poursubdiviser la touche en positions.

L’une de ces tentatives fort intéressantes est le système proposé parYampolsky (45), fondé non plus sur la gamme diatonique mais sur lagamme chromatique. Yampolsky parvient à la juste conclusion qu’étantdonné que l’augmentation et la diminution chromatique de la note d’undemi-ton, réalisées toujours avec le même doigt, le Ier et le 4e qui formentles points extrêmes d’une position, rendent obligatoire le changement duplacement de la main, il est nécessaire de revoir et d’affiner les systèmes

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existants de subdivision de la touche”. Yampolsky écrit : “le changementenharmonique d’un son ou d’une série de sons ne permet pas de les reporterà une autre position si l’on conserve le même doigté. Par exemple:

Fig. 4

Cependant, le système courant des positions renvoie ces deuxexemples aux positions différentes et exige donc de modifier le placement dela main, alors qu’ils appartiennent tous les deux à la même position” (45).

Le système de Yampolsky sous-entendait une nette séparation despositions uniquement dans la tonalité propre de la position, c’est-à-diredans la tonalité de la fondamentale jouée par l’index sur la corde de Sol.7Dans les autres tonalités les positions se chevauchent, car la quarte justequi sépare l’index de l’auriculaire est remplacée alors par la quarteaugmentée.

Ainsi le système des demi-tons est-il lui aussi conventionnel.

Dans la pratique, la résolution des problèmes techniques etartistiques implique très souvent des placements de la main qui ne peuventêtre reportés à une position précise si l’on part de la définition de sonétendue normale qui est la quarte. Par exemple :

Fig. 5. Brahms. Concerto, 1er mouvement.

Fig. 6. Kreisler. Récitatif et scherzo.

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7 On admettait également dans les anciennes “Écoles” de violon de Bériot (7) etde Spohr qu’à chaque position correspondait une tonalité propre. Mais il s’agis-sait-là d’une tonalité dont la fondamentale était jouée sur la corde de Sol, nonplus avec l’index mais avec le majeur.

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Fig. 7. Khatchaturian. Concerto, 3e mouvement.

On utilise fréquemment un positionnement particulier des doigts oùla distance entre l’index et l’auriculaire forme une quinte. La fréquence del’emploi de ce procédé nous permet de définir l’étendue de la position enquinte parallèlement à son étendue en quarte.

Fig. 8. Rimski-Korsakov. Fantaisie sur des thèmes russes.

Fig. 9. Rimski-Korsakov. Schéhérazade

Fig. 10. Glazounov. Concerto.

Fig. 11. Tchaïkovsky. Concerto, 1er mouvement.

Le placement “étiré” en quinte n’est contraignant que si les mains duvioloniste sont petites et seulement dans les positions inférieures. Dans lespositions supérieures il ne présente pas de difficulté, et dans les positionsextrêmes il est même plus accessible que le placement en quarte. Fleschredoute à ce sujet que le placement en quarte ne soit transformé enplacement en quinte lors des exercices sur les extensions entre l’index etl’auriculaire. Pourtant, il ne faut pas comprendre cette remarque commeun refus théorique du placement en quinte, mais seulement comme undésir de limiter l’utilisation de ces exercices qui peuvent amoindrir lasensation des distances sur la touche dont la base reste toujours la quarte.

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Il est significatif que Sevcik (43) donne dans ses nombreux exercices,conçus pour le développement multiforme de la technique du violon, nonseulement l’étude des positions dans le placement en quarte maiségalement dans le placement en quinte.

Fig. 12. Sevcik. L’école de la technique, I, vol. II.

Dans chaque position, il est possible d’atteindre des sons qui se trouventhors des limites de la position. Plus la position est élevée, plus les sonspeuvent être pris au-delà de ses limites. On utilise pour cela soit l’extension,c’est-à-dire l’étirement de l’index vers le bas ou l’étirement de l’auriculairevers le haut, (voir les exemples 13 et 14); soit le glissement du doigt sur lacorde, (voir l’exemple 15).

Fig. 13. Popper/Auer. La Fileuse.

Fig. 14. Paganini. Caprice n°3.

Fig. 15. Zimbalist. Fantaisie “Le Coq d’Or’’.

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Lorsqu’un son produit à l’aide de l’extension, se trouve dans leslimites d’une autre position, l’avant-bras et la main peuvent se déplacerlégèrement dans la direction de l’extension du doigt. Par exemple dans lecas suivant :

Fig. 16. Vitali/Charlier. Chaconne.

Cependant, l’index reste ici à sa place. Il faut souligner qu’il existe unedifférence notable entre ce mouvement de la main et celui qui se fait lorsdu changement de position, car dans ce dernier cas on observe ledéplacement de tout le bras et de la main.

Comme le montrent les exemples précédents, il est possible de garderle même placement de la main tout en occupant des positions différentes.Lors du changement enharmonique des sons, c’est-à-dire lorsqu’ils doiventalterner, la main reste sur place.

On observe en même temps le phénomène inverse : le déplacementdes doigts, ne serait-ce que d’un demi-ton, peut être accompagné dudéplacement de tout le bras et de la main, alors que dans d’autres cas, il estréalisé uniquement par le glissement d’un seul doigt dans les limites de lamême position, (gamme chromatique). En tenant compte de tout ce quiprécède, on peut être en grande partie d’accord avec la proposition deAlard (1), qui décide d’appeler “position” le placement de la mainpermettant d’exécuter une phrase ou un passage précis sans déplacer lamain.

Le point de vue de Oïstrakh est particulièrement intéressant à cesujet. Il considérait qu’il était plus rationnel d’envisager les positions parzones, c’est-à-dire d’appeler “zone” toutes les possibilités de placement dela main dans une position donnée: le placement bas, normal et élevé. Cepoint de vue réunit les deux types de placement des doigts, car les pointsextrêmes de la zone définissent le placement en quinte. Pour Oïstrakh, seull’accord parfait échappait au placement en quinte qu’il utilisait souventdans les suites diatoniques, se servant du glissement d’un demi-ton de l’undes doigts.

Ainsi, dans la pratique, ce ne sont pas tant les notations chiffrées despositions qui ont de l’importance que le déplacement de tout le bras,effectué en fonction des problèmes techniques précis. Cette conception futtrès adroitement exprimée par Mostras qui indique que pour un violonistequi maîtrise déjà son instrument, la question de l’appartenance

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positionnelle des sons ne se pose plus, puisque le processus du jeu se trouvepour lui dans la réalisation sonore de la pensée musicale. De nombreuxinterprètes trouvent par exemple difficile le changement de position sur lacorde de Mi, où l’on passe du majeur en Ie position à l’auriculaire en IXeposition, alors qu’ils exécutent facilement le même changement de positionsi, sans nommer les positions, on n’indique que les notes.

En conclusion, on pourrait dire que tous les systèmes de subdivisionde la touche en positions qui avaient cours jusqu’à présent, sont strictementconventionnels et qu’il serait superflu d’en créer d’autres, d’autant plus quel’interprétation même des œuvres n’est jamais liée à la nécessité de définirles positions qui conservent pourtant une importance certaine au début del’apprentissage.

2 Les problèmes de l’intonation et les changements deposition. La perception auditive des rapports d’intervalleentre les sons et son rôle dans le développement de laperception des distances de la touche.

La justesse de l’intonation est la condition absolue de l’interprétationartistique sans laquelle ni la beauté du son, ni la finesse des phrases, ni laclarté de la forme ne peuvent produire leur juste effet.

Lorsque l'on effectue les changements des positions, on doit analyseren premier lieu les lois essentielles qui régissent la justesse de l’intonation.

La spécificité du violon, comme d’autres instruments qui ne sont pasaccordés selon le système bien tempéré, lui offre une certaine libertéd’intonation, grâce à laquelle chaque interprète développe sa propremanière d’ajuster l’intonation et crée son échelle d’intonation, en fonctionde sa propre perception et de sa compréhension de la musique, (ce qui a étédémontré par les recherches de Garbouzov).

La justesse du son est définie par l’ouïe. C’est pourquoi, c’estprécisément l’oreille qui permet de parvenir à la précision des mouvementsde la main gauche, mais les sensations musculaires qui apparaissent aucours du travail peuvent aussi y contribuer. Lorsque l’on assimile latechnique des changements de position, on développe “le réflexeconditionnel des distances”. c’est-à-dire qu’il se crée alors des noeuds decoordination entre la perception de la sonorité et le déplacement de la mainqui assure l’obtention du son désiré dans une nouvelle position. La justessedu son obtenu permet de contrôler la précision du mouvement. L’erreur auniveau du son demande à ce que le mouvement soit répété et l’erreurcorrigée afin de parvenir au mouvement et à l’intonation justes. Il faut

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remarquer que lors du changement de position, la justesse de l’intonationest assurée non pas tant par les mouvements des doigts que par lesmouvements des autres parties du bras: le poignet, l’avant-bras et l’épaule.Les liens de coordination se créent également entre les mouvements de cesparties du bras.

Flesch (41) estime que pour parvenir à l’intonation juste dans unenouvelle position, il faut prolonger la première note dans cette nouvelleposition afin qu’il soit aisé de la corriger. Toutefois, on ne peut pas êtred’accord avec cette affirmation. Cette méthode ne permet pas d’arriver au“réflexe de précision des doigts”, car elle n’étudie pas, et donc ne fixe pas,la perception de la distance parcourue. À l’opposé de cette méthode,Mostras (26) indique que l’on ne peut pas se limiter à la correction desfausses notes, et qu’il est nécessaire de répéter le changement de positionplusieurs fois, afin de mémoriser l’intervalle et le caractère du mouvement.

Les distances entre les doigts augmentent et diminuent au cours dujeu en fonction de la partie de la touche concernée. L’établissement de lacoordination a pour résultat l’acquisition des automatismes dans ledéplacement de la main sur la touche et dans la variation des distancesentre les doigts. Ces automatismes permettent de jouer juste même lorsquel’on exécute des démanchés très grands et rapides. Tout ceci détermine “laconnaissance de la touche”. Ces faits expliquent également pourquoicertains violonistes qui possèdent une coordination sensori-motriceparticulièrement développée, sont capables de jouer juste, y compris surdes violons de petite taille.

Ainsi au cours des changements de position, le moment décisif pourévaluer la justesse de l’intonation, est l’établissement de la coordinationentre les mouvements du bras gauche et l’ouïe qui contrôle cesmouvements.

L’utilisation des moyens accessoires qui remplacent le rôle régulateurde l’ouïe au cours de l’apprentissage doit être considérée comme une sous-évaluation du rôle dominant de l’ouïe. Sous-estimer le rôle de l’ouïeempêche la coordination sensori-motrice de se développer normalement,car on adopte alors des procédés qui excluent la participation de l’ouïe etorientent l’élève vers l’utilisation, même temporaire, de l’élément desubstitution.

Cependant, il existe un point de vue reconnaissant l’utilité de cesmoyens accessoires, tels que par exemple la sensation du toucher lorsquependant le passage à la IIIe position, la paume de la main entre en contactavec la table du violon. Ce point de vue a trouvé son application notammentdans la méthode de Sass (69), qui part de l’emplacement physique des sonssur la touche et qui remplace les perceptions auditives et le contrôle de la

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justesse par la division graduelle correspondante de la touche! Par exemple,en ce qui concerne le placement de la main gauche des débutants, Sassmontre dans sa méthode que l’index doit se poser près du sillet, le majeurà la distance de 44 mm du sillet, l’annulaire à 79 mm et l’auriculaire à 93mm. Il est parfaitement clair qu’on ne peut considérer ce genre dedirectives que comme l’exemple d’une approche mécanique stérile.

3. Les particularités du mouvement de la main gauchesur les différentes parties de la touche et les changementsde position. Recherche des procédés techniques les plusrationnels.

À la base de tout travail technique doit se trouver une représentationclaire de ce que sont les procédés et les mouvements corrects.

C’est de ce point de vue que l’on abordera les mouvements effectuéslors d’un changement de position. Dans la pratique, les changements deposition ont une importance capitale, ce qui demande une analyseadéquate des principaux mouvements de la main gauche qui y sontimpliqués.

La théorie sur le caractère et la nature des mouvements de le maingauche s’est formée d’une manière originale et souvent contradictoire.Ainsi, dans l’une des premières “Écoles”, plus précisément dans l’École” deCampagnoli (48), nous rencontrons une remarque précisant que lemouvement ascendant débute par l’index et se poursuit immédiatement parle déplacement du pouce et de la main. Cette opinion n’est fondée que surles impressions extérieures et non pas sur une analyse rigoureuse. On peutl’expliquer par le niveau d’enseignement du violon de cette époque où l’onse trouvait encore au tout début des recherches sur les principalesquestions de méthode. Mais il est toutefois étonnant de constater que cesreprésentations incomplètes, et parfois fausses, des mouvements de la maingauche, persistent de nos jours même chez des enseignants de renom.

On peut citer en premier lieu Eberhardt qui, dans son étude sur lesexercices des changements de position (51), notait que la main et l’indexsemblaient, à première vue, jouer le rôle prédominant vis-à-vis de lajustesse du son, alors qu’en réalité, ils n’avaient pas cette importance; c’estpourquoi, ils ne devaient pas être actifs, mais guidés par le bras. Cependant,cette affirmation d’Eberhardt ne s’applique pas à tous les cas. On le voitclairement lorsqu’on analyse le mouvement de la main dans les positionssupérieures où la main apparaît comme étant un maillon prédominant.

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Koeckert (60) maintient un point de vue opposé. Il indique dans saméthode que lors d’un changement de position, le mouvement part del’articulation du poignet. Le poignet entame le mouvement qui est prolongéensuite par tout le bras. Mais être d’accord avec Koeckert, c’est affirmer quele poignet est l’élément actif, et non guidé, de la main gauche dans toutesles positions sans exception. Or, ceci se révèle exact uniquement dans lespositions supérieures.

Flesch qui s’intéressait beaucoup à cette question, considérait que lechangement de position était un déplacement sur une distance strictementdéfinie. Pour les positions inférieures à la IVe, ce parcours n’implique quel’avant-bras, tandis que pour les positions supérieures, il inclut égalementl’épaule, le poignet et le pouce. Ce point de vue, exposé par Flesch en 1923,fut repris presque textuellement par Radmall en 1947, dans son article surles changements de position (60). Nemirovsky (30) soutient Flesch, luiaussi, en précisant que dans les trois premières positions, le poignet etl’avant-bras se déplacent simultanément et “en s’isolant de l’épaule”.

On remarque que cette dernière affirmation est fausse, si l’on réalisel’expérience suivante: il s’agit, tout en restant assis et en tenant le violonnormalement, de poser le coude gauche sur la table et de jouer la note sisur la corde de La avec l’index en Ie position. On voit alors que le violon seredresse lorsque 1’on passe de la Ie position à la IIIe en jouant la note réavec l’index. Cette modification est due à l’appui que le coude exerce sur latable et à l’isolement de l’épaule du mouvement général du bras durant lepassage de la Ie à la IIIe position. Afin que le placement du violon resteinchangé, il est impératif d’exécuter le mouvement correspondant del’épaule qui permettrait de le réguler. Ce mouvement doit contribuer soit àabaisser l’épaule lors du déplacement de la main de la Ie position à la IIIe,soit à la soulever lors du déplacement inverse.

Ainsi, il devient évident que le déplacement le plus cohérent dans lapartie inférieure de la touche, est réalisé par l’avant-bras, obligatoirementsoutenu par l’épaule. La particularité de ce mouvement est l’activitépurement auxiliaire de l’épaule qui se limite à réguler la directionprincipale du mouvement. Le poignet et les doigts qui semblent à premièrevue réaliser ce mouvement ne sont en réalité que guidés. Le rôle principalest dévolu à l’avant-bras qui détermine également la direction correcte dudéplacement le long de la touche.

Dans la pratique, si l’on n’accorde pas une attention suffisante à cesproblèmes, on crée toute une série de difficultés dans le travail sur desproblèmes concrets. Par exemple, l’un des défauts les plus courantsconsiste à surélever le violon au cours des changements de position dans lesquatre premières positions. Cela est dû soit à la participation insuffisantede l’épaule, soit à l’absence totale de son activité. On observe parfois dans

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ces mêmes cas le phénomène inverse, à savoir l’abaissement du violonprovoqué par une implication trop importante de l’épaule. Tous ces défautsrendent difficiles les changements de position et les privent d’aisance etd’agilité. D’autre part, cela entraîne des variations au niveau du placementde l’instrument et crée des conditions contraignantes pour les mouvementsde la main droite, et en particulier pour les mouvements lents et souplescomme le legato par exemple.

Cette analyse des mouvements de la main gauche dans les quatrepremières positions rend évidente la nécessité de faire intervenir l’épaule et decoordonner rigoureusement ses mouvements avec les mouvements de l’avant-bras. Il ne faut pas oublier que même si le mouvement de l’épaule estimportant, il n’en reste pas moins un élément auxiliaire du mouvement généraldu bras. Il ne doit pas être gêné, mais il ne doit pas non plus être accentué.

Auer recommandait dans son “Étude du jeu” (46), de relever le violonafin d’offrir une plus grande liberté au mouvement des doigts de la maingauche dans les passages et les changements de position rapides. Sansdiscuter le bien-fondé de cette recommandation, on peut remarquer que leplacement relevé du violon, que 1’on adopte en écartant légèrement le brasgauche du thorax, permet de libérer l’épaule qui, comme on l’a noté plushaut, participe au mouvement général du bras lors du changement deposition. Il est significatif que même l’ancienne “École” du violon deCampagnoli (48), qui, comme on le sait , exige de serrer le bras gauchecontre le thorax, précise que le bras ne doit pas s’écarter de son placementinitial, sauf dans le cas du changement de position.

Lorsque l’on examine en détail chaque mouvement, on doit sereprésenter clairement chacun de ses éléments constitutifs, mais surtout leursrôles respectifs. Ainsi, si le violoniste essaie de remplacer le mouvement del’avant-bras par l’action excessive des doigts, tout en sachant que c’est l’avant-bras qui détient le rôle prédominant dans les changements de position, lerésultat en sera la perte de rapidité. Car à la place de son unique fonction, quiest d’appuyer sur la corde, chaque doigt se voit attribuer une fonctionsupplémentaire: devancer le mouvement du bras qui guide toute la main.

Toutefois, le rôle dominant de l’avant-bras ne s’exerce que dans lesquatre premières positions. Dans les positions supérieures, le mouvementde l’avant-bras est exclu, puisque le corps du violon empêche de rapprocherl’avant-bras du thorax. Dans ce cas, c’est au tour de la main de deveniractive et d’effectuer les changements de positions en s’aidant dufléchissement et de l’extension du poignet.

Pour savoir précisément si les changements de position dans la partiesupérieure de la touche impliquent seulement les mouvements du poignet,on peut recourir à l’expérience déjà utilisée. Il s’agit de prendre le violon et

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de poser le coude gauche sur la table, comme dans la première expérience.On effectue ensuite le changement de position de la même manière, c’est-à-dire en faisant glisser l’index de la note mi sur la corde de Mi, (VIIeposition), à la note si, (XIe position). On constate que le changement deposition s’effectue normalement. Mais si l’on essaie d’atteindre la note miavec l’auriculaire, tout en restant au niveau de si, on se rend très vitecompte que c’est totalement impossible. Pour que l’auriculaire puisseatteindre la touche, il est indispensable de retirer le coude de la table, delibérer l’épaule et d’effectuer un mouvement auxiliaire vers l’intérieur, (versle bras droit). Ce n’est qu’à cette condition que les doigts prennent laposition désirée. Ce mouvement auxiliaire du bras se révèle d’autant plusimportant que la distance du changement de position est grande. Au coursdu mouvement des positions supérieures vers les positions inférieures, (au-delà de la IVe position), l’épaule effectue le mouvement inverse.

Par conséquent, la main et l’épaule participent aux changements deposition dans la partie supérieure de la touche. Comme on l’a déjàremarqué, les mouvements de l’avant-bras sont pratiquementimperceptibles dans la partie supérieure de la touche. L’avant-bras ne sedéplace légèrement qu’en fonction de l’épaule. Et ce sont les mouvementsdu poignet qui revêtent ici le plus d’importance. Les doigts restent guidéscomme au cours des changements de position dans la partie inférieure dela touche. Le mouvement de l’épaule qui assure une bonne évolution desdoigts en dehors des changements de position, est auxiliaire. L’épauleparticipe donc aux mouvements du bras sur toute la longueur de la touche.Dans les quatre premières positions, elle s’abaisse ou se redresse,(mouvement vertical), et au-delà, elle se déplace horizontalement.

Le schéma ci-dessous représente les particularités de combinaisondes différents éléments du mouvement de la main gauche :

L’analyse des éléments du mouvement de la main gauche sur lesdifférentes aires de la touche, permet de faire apparaître les raisons desnombreuses contradictions existant à ce sujet, (voir les publications deKoeckert, d’Eberhardt et d’autres...). Ces contradictions sont souvent duesà l’exagération du rôle d’un élément particulier, à la généralisation du rôlede cet élément sur toute la longueur de la touche et à la sous-estimation desautres éléments.

Partie inférieure Partie supérieurede la touche de la touche

Élément conducteur Avant-bras Poignet + mainÉlément guidé Poignet + main + doigts DoigtsÉlément auxiliaire Épaule Épaule

(mouvement vertical) (mouvement horizontal)

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Après avoir étudié les particularités du mouvement de la main aucours des changements de position, on s’efforcera de définir le mouvementqui lie les différents placements de la main tout au long de la touche.Lorsque l’on passe dans les positions supérieures, ce lien est matérialisé parle mouvement de l’épaule gauche vers l’intérieur, (vers la droite), ce quirend possible le mouvement du poignet, évoqué ci-dessus. Le mouvementde l’épaule provoque un certain redressement de la main au-dessus de latouche, le glissement du pouce sous le manche du violon, et le déplacementdu bout de l’index qui s’écarte de la touche. Bien évidemment, lesmouvements inverses ont lieu au cours de la progression de la main dansla direction opposée. Ce mouvement de liaison que l’épaule effectue vers ladroite, se produit un peu avant le changement de position. Il pourrait, dece fait, être défini comme un mouvement de préparation.

Lors des déplacements de grande amplitude, c’est l’épaule qui devientl’élément significatif. À l’opposé, les changements de petite amplitudepeuvent être exécutés soit d’un seul mouvement du poignet et de la main,(l’avant-bras et l’épaule sont alors quasi immobiles), soit avec un seul doigt,(le positionnement de la main reste alors pratiquement identique). Mais laréalisation de ces mouvements relativement fins dépend en grande partiedu contexte musical. Si l’on doit, par exemple, passer dans une position ety rester longtemps, il vaut mieux exécuter le changement en s’aidant detoute la main et non seulement du doigt ou du poignet. Par exemple:

Fig.17. Wieniawski. Étude

Si la suite demande de revenir rapidement à la position initiale, il estpréférable d’utiliser le doigt ou la main, sans déplacer le pouce ni l’avant-bras.

Il faut cependant garder à l’esprit que pour de tels changements deposition, les adaptations individuelles sont primordiales.

Si l’on doit exécuter un grand nombre de petits changements depositions successifs dans une seule direction, il faut employer les procédésqui ont été décrits dans l’analyse des mouvements effectués sur lesdifférentes aires de la touche. La seule modification est le travail pluscomplexe des doigts sur la touche.

Tous les placements de la main étudiés sont réunis dans leschangements de position successifs, que l’on effectue dans les passagessous forme de gamme, par exemple. Mais lorsque l’on exécute les

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démanchés de façon indépendante, que ce soit dans le sens ascendant oudescendant, on observe des modifications correspondantes dans lemouvement de la main. Ainsi, dans l’exemple 18, la main se place demanière à pouvoir facilement contourner le corps du violon au cours d’undémanché rapide, alors qu’elle se trouve encore dans une “demi position”.En revanche, en effectuant le “saut” vers les positions inférieures, la maingarde le même placement que dans la position initiale, durant presque toutle changement de position. Et c’est seulement en se rapprochant de laposition d’arrivée qu’elle adopte le placement correspondant à cetteposition. Cela se vérifie surtout dans les cas demandant de l’intensité et del’expressivité du timbre ainsi qu’on peut l’observer dans l’exemple 19.

Fig.18. Paganini. La Danse des Sorcières

Fig.19. Spohr. Concerto N°9, 1er mouvement

Les modifications qui affectent le placement de la main prennent uneimportance particulière lorsque l’on joue glissando un passagechromatique avec un seul doigt. La main ne néglige aucun point de latouche en passant des positions supérieures vers les inférieures ou, ce quin’est pas rare, des positions inférieures vers les positions supérieures.Cependant, l’analyse de ce mouvement révèle qu’il est en réalité proche dumouvement du démanché indépendant - le saut - qui relie les notesextrêmes d’un glissando chromatique exécuté au ralenti.

Ainsi, on a prouvé que les différents placements de la main gauchedans les positions supérieures et inférieures, et les mouvements qui relientces placements, font partie des procédés les plus adaptés du jeu.

Certains enseignants de l’école tchèque, comme Woldan (72), Maraket Nopp (65), soutiennent pourtant que l’on doit conserver le mêmeplacement de la main dans les positions de départ et d’arrivée. Ilssuggèrent, en ce qui concerne les positions inférieures par exemple, degarder le coude déplacé vers la droite, d’écarter la base de l’index de latouche et d’abaisser le pouce sous le manche, si le mouvement de la mainest descendant. Or, le respect de ces exigences conduit à un placement trèscontraignant dans les positions inférieures, car le déplacement et

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l’extension simultanée du coude créent une tension au niveau des musclesde l’avant-bras et de l’épaule, ce qui entraîne des difficultés considérablesdans les positions inférieures. Par conséquent, il n’est possible de faciliterles mouvements de la main sur la touche qu’en tenant compte desparticularités naturelles du placement, que la main adopte sur lesdifférentes aires de la touche.

4. L’aisance des mouvements comme condition sine qua nonde la réalisation des objectifs esthétiques de l’interprète.L’analyse des causes du ralentissement des mouvements dela main gauche lors des changements de position.

Les mouvements du violoniste sont étroitement liés au contextemusical qu’ils mettent en forme et qui les détermine. Ces mouvements sontdonc liés au dessein artistique de l’interprète. On comprend aisément queles mouvements maladroits, rigides et tendus rendent difficile la réalisationdes intentions créatrices du musicien. L’assimilation des mouvements lesplus adaptés est la condition indispensable de l’authenticité del’interprétation. Et la perfection de ces mouvements est en grande partiedéterminée par leur aisance.

L’analyse des conditions qui assurent la liberté du déplacement de lamain gauche permet de constater que l’on ne peut pas atteindre l’aisanceparfaite sans décontracter simultanément la main droite, la ceinturescapulaire, le buste, etc.8

C’est pourquoi il n’est pas possible d’étudier la technique de la maingauche sans aborder le rôle du bras droit et de tous les autres mécanismesliés à l’interprétation.

On peut affirmer avec certitude que dans beaucoup de cas, les défautstechniques de la main gauche sont dûs non seulement aux causes locales,mais également à d’autres phénomènes qui déterminent les processus derégulation du système nerveux central. Ce fait doit toujours être pris enconsidération dans la pratique et en particulier dans l’analyse des différentsdéfauts du jeu.

Les principaux défauts qui limitent la liberté du déplacement de lamain gauche le long de la touche, sont tout d’abord les défauts purementmécaniques, facilement repérables lorsque l’on observe simplement le jeu.Et ensuite, les défauts à caractère moins évident, liés à la perceptioninadéquate du processus moteur qui peut se dérouler extérieurement demanière parfaitement correcte.

8 On doit préciser qu’”aisance” signifie “dépense minimale d’énergie neuro-musculaire nécessaire”, (en l’absence d’influences inhibitrices).

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Parmi les premiers, il faut citer avant tout le rapprochement excessifde l’avant-bras et du corps, qui entrave le mouvement de l’épaule et, donc,le déplacement de toute la main. Ce défaut, qui paraît purement extérieur,perturbe non seulement le mouvement de la main gauche mais égalementcelui du poignet et des doigts.

Un autre défaut très répandu de cette catégorie est l’appui de lapaume contre le corps du violon dans les positions supérieures, et enparticulier à la IIIe position. Ce procédé compte beaucoup de défenseurs etse trouve souvent recommandé dans les différentes méthodesd’enseignement.

Dans de nombreuses “Écoles” déjà citées, celles de Spohr (71),Bériot (7), F. David (49), Joachim (57), ou Moser (66), on rencontre desindications qui insistent sur la nécessité d’avoir, en IIIe position, un pointd’appui contre le corps du violon. Cette affirmation a comme principalargument le fait qu’un tel point d’appui stabilise la main et améliore doncl’exactitude de l’intonation, mais aussi qu’il facilite le passage de la Ie à laIIIe position. Cependant, des études plus tardives, surtout celles des russesLesmann (23) et Rezvetzov (32), n’acceptent pas ce procédé. Rezvetzovconsidère, par exemple, que la paume ne doit pas coller au corps du violonen IIIe ni même en IVe position, lorsqu’elle s’en rapproche naturellement.

Sous-estimer les conséquences de l’appui de la main en IIIe position,conduit à une série de défauts qui perturbent son fonctionnement correct.Il s’en suit, notamment, un changement de positionnement qui entraîne, àson tour, un changement de positionnement des doigts et donc, unemodification de l’angle qu’ils forment avec la touche à la IIIe position. Celaporte préjudice non seulement à l’agilité des doigts, mais aussi à la justessede l’intonation. En effet, c’est ce qui explique souvent les inexactitudesd’intonation qui apparaissent à la IIIe position.

En outre, l’utilisation de ce procédé complique le passage de la IIIeposition aux positions supérieures, car il devient nécessaire d’exécuter aupréalable un mouvement qui éloigne la main du corps du violon, alors qu’ilest possible d’exécuter ce changement de position sans prendre appui surl’instrument et sans effectuer ces mouvements supplémentaires, de touteévidence, inutiles

Il est intéressant de noter que la position de Joachim vis-à-vis de cesujet, est double. Il écrit (57) que lorsque l’on joue des gammes sur uneseule corde et que l’on considère les positions intermédiaires comme despositions de transit, on ne doit jamais se servir du violon comme d’unsupport, car cela affecte le bon déroulement du passage. (On peutremarquer qu’un tel appui limite l’agilité de la main gauche non seulementquand la IIIe position est une position de transit, mais aussi quand elle est

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la position de départ.) Mais, fidèle aux traditions de l’école allemandeclassique, (Spohr, David), Joachim ne reconnaissait que partiellement lecaractère nuisible de ce procédé.

On peut juger du degré de diffusion de ce point de vue grâce auxpropos de Woldan (72). Il réfute la méthode de l’appui et comprendparfaitement ses conséquences nocives, mais il croit malgré tout que sonutilisation est possible à un niveau d’apprentissage supérieur.

Il est clair qu’une méthode, dont on refuse le principe et que l’onreconnaît nuisible pour un débutant, ne peut pas être conseillée à unvioloniste plus confirmé, qui a déjà résolu, en partie sinon en totalité, laquestion de la transition à la IIIe position.

Un autre défaut qui gêne le déplacement de la main gauche, estl’appui sur l’éclisse dans les positions supérieures. Ce procédé fut proposépar Voicu (12) qui affirmait que plus cet appui était franc, plus les doigtsétaient stabilisés et plus leur évolution sur la touche était précise. Or, serrerla main contre le corps du violon gêne énormément les mouvements. Pourpermettre à la main de vibrer Voicu proposait donc d’éloigner la main del’éclisse et de déplacer le point d’appui sur le pouce. Il oubliait cependantqu’il était absolument impossible d’exécuter un mouvement libre avec lamain collée au corps du violon.

Lesmann (23) était à ce sujet d’un avis contraire il recommandait dene jamais toucher le corps du violon. Toutefois, il nous semble qu’effleurerle violon n’est pas contraignant pour la main. La pratique l’a souventdémontré. En revanche, vouloir à tout prix l’éviter provoque une flexiontrop importante du poignet. On constate donc que l’opinion de Lesmanndoit, elle aussi, être corrigée.

Passons à présent à l’étude des défauts de la deuxième série,provoqués quant à eux par la perception inadéquate du processus moteur.Ces défauts sont en relation avec les particularités du maintien du violon etavec la pression excessive sur la corde.

L’un de ces défauts est la crispation du pouce et de l’index autour dumanche. La difficulté principale réside dans le fait qu’il est impossible deles libérer complètement, car on enlèverait tout point d’appui au violon quise poserait librement dans le creux de la main, ce qui est un placementparfaitement inadapté. C’est pourquoi, il est extrêmement important dedoser avec précision l’effort nécessaire au maintien du violon. Cela garantit,d’une part, un bon placement de la main et donc des mouvements correctsdes doigts, et, d’autre part, l’aisance du processus moteur.

On doit remarquer que la pression exercée sur le manche estdirectement liée au maintien du violon avec le menton. Lorsque la force du

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maintien est de toute évidence insuffisante, toutes les fonctions de la tenuede l’instrument sont assurées par la main gauche, ce qui pousseinévitablement à serrer excessivement le manche. Cette manière de tenir leviolon comporte de réels inconvénients, c’est pourquoi on trouve dans lalittérature spécialisée autant de tentatives de créer un placement de la maingauche qui permettrait de trouver un point d’appui différent sur le manche.

Campagnoli (48), par exemple, pensait que le manche devait reposernon pas entre le pouce et le majeur, mais presque exclusivement sur le pouce.Cette méthode forçait, par ailleurs, à avancer fortement le coude sous leviolon; Campagnoli exigeait donc de rapprocher le plus possible le coude ducorps, afin qu’il vienne se placer pratiquement au milieu de la poitrine.

Ce positionnement du coude dénature encore plus le placementnaturel du bras gauche, déjà très vulnérable de ce point de vue.9 Lorsquel’on avance le coude aussi loin, on complique énormément “lesmouvements de la main gauche le long de la touche. D’autre part, l’amenerau milieu du buste est une tâche difficile, voire parfaitement irréalisablepour la grande majorité. Si le virtuose qu’était Campagnoli, recommandaitce procédé, c’est parce qu’il avait probablement des dispositions naturellesd’adaptation à l’instrument. Il serait intéressant de noter qu’à cette époque,le naturel n’était pas un critère de poids pour les écoles de violon.

Le point de vue de Campagnoli est en partie partagé par l’écoletchèque. Certains de ses enseignants proposent de conserver le mêmeplacement de la main dans toutes les positions. Selon cette école, lemanche, qui repose sur le pouce, ne doit pas toucher la base de l’index. Onrencontre encore cette idée aujourd’hui.

Ce procédé convient pourtant tout-à-fait pour libérer le vibrato, (cemouvement suppose évidemment que la fréquence des changements deposition est réduite). Cependant, un tel placement de la main déstabiliseconsidérablement les doigts et fausse l’intonation au cours deschangements de position plus fréquents.

Dans son manuel cité plus haut, Voicu (12) émet une suppositionparfaitement correcte que seuls les mouvements libres et naturels de toutle corps assurent l’acquisition d’une bonne technique. Il produit cependantune série de conclusions erronées en ce qui concerne le maintien dumanche. Il propose notamment de réduire au maximum le rôle du poucedans la tenue de l’instrument, car, selon lui, celui-ci n’acquiert une certainesignification que dans les positions supérieures, lorsque, logé dans laconcavité du manche, il sert d’appui aux doigts au moment de vibrer, c’est-

9 On le voit nettement chez les débutants qui éprouvent de la fatigue et lebesoin de relâcher le bras après seulement quelques minutes d’exercices dansune position correcte.

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à-dire au moment où la main ne touche plus l’éclisse. Ainsi, le manchereposerait sur le coussinet de la première phalange de l’index, qui, selonVoicu, est un point d’appui nature Ceci conduit à plusieurs conséquencesnégatives.

Tout d’abord, en éliminant de cette manière le mouvement depréhension, Voicu recrée un autre point de contraction à la base de l’index.Ne pas utiliser le pouce ne résout donc pas le problème de la crispation desdoigts autour du manche. Ensuite, utiliser le coussinet de la premièrephalange de l’index comme un point d’appui pour le manche rend difficilele vibrato. Dans son étude, Voicu s’est d’ailleurs très peu intéressé auxproblèmes du vibrato. Ce fait n’est pas dû au hasard, mais découlelogiquement de la manière de tenir l’instrument qu’il recommande à sesélèves.

D’autre part, exclure le pouce du maintien du violon forceinévitablement à reporter le point d’appui sur la paume de la main dans lespositions supérieures, ce qui entraîne des effets nuisibles déjà examinés ci-dessus.

Et enfin, le sérieux défaut de la méthode de Voicu réside dans lamanière toujours différente de poser les doigts sur la touche, ce qui empêched’acquérir et d’amplifier la perception de la constance des mouvements.

La méthode Voicu ne permet donc pas d’assimiler les mouvementsnécessaires au jeu. C’est pourquoi, cette méthode reste en grande partiethéorique.

L’opinion de Mikhaïlovsky (25), au sujet du placement de la maingauche, suscite autant de critiques. Pour éviter que l’élève ne serreexagérément le manche du violon, Mikhaïlovsky conseille de le tenir sans“l’étrangler” dans le creux entre le pouce et l’index, où il reposeraitlibrement, “comme sur un lance-pierre”. Néanmoins, ce placementperturbe les mouvements des doigts sur la touche, car il altère leurpositionnement correct. L’index s’allonge en quelque sorte, et il devientpresque impossible de le poser à la distance d’un demi-ton de la corde àvide; l’auriculaire, le doigt le plus court, raccourcit encore, et cependant, lebut du placement est justement de favoriser au maximum le déplacementde l’auriculaire, dont la taille est d’une telle importance que beaucoupd’enseignants déconseillent à l’enfant l’apprentissage du violon, si sonauriculaire est trop court par rapport aux autres doigts.

Ainsi, la méthode de Mikhaïlovsky, tout comme la méthode de Voicu,est éloignée du jeu réel. Elle passe, par conséquent, à côté de 1’objectifprincipal, qui est de pouvoir produire des mouvements corrects, et ne peutêtre utilisée sans porter préjudice à l’interprète.

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Il faut souligner que toutes les “Écoles”, mises à part celles deMikhaïlovsky, Voicu et Campagnoli, recommandent de tenir le manche duviolon entre le pouce et l’index. C’est en effet la méthode la plus utiliséedans la pratique. Par exemple, dans l’”École” du Conservatoire de Paris,Rode, Baillot et Kreutzer (33) signalent que le violon doit être soutenu ettrès légèrement serré entre la deuxième phalange du pouce et la troisièmephalange de l’index. Il ne doit surtout pas toucher la concavité entre cesdeux doigts.10 “L’École” de Baillot (47), parue en 1834, donne uneindication encore plus précise la pointe de l’archet doit pouvoir passer dansl’espace ainsi créé entre le manche du violon et la paume de la main. Lesreprésentants de l’ancienne et de la nouvelle école française, commeAlard (1), Léonard (64), Pennequin (67), ont des avis analogues.

Tout cela montre clairement que l’opinion de Mikhaïlovsky necorrespond pas à la réalité. En effet, il refuse le placement qui, crééexclusivement par l’école allemande, est devenu, selon lui, suranné et n’estplus utilisé depuis longtemps par les violonistes. Comme on le constate, lesécoles allemandes, mais aussi l’école française classique actuelle, se serventde cette position.

En analysant ce matériau bibliographique, on est frappé par lacontradiction suivante la manière de tenir le violon entre le pouce et la basede l’index a été élaborée et perfectionnée tout au long de l’histoire; cependant,on continue toujours à chercher un autre moyen de tenir le manche.

On peut l’expliquer par le fait qu’au lieu de maintenir légèrement lemanche du violon, la main se crispe et restreint considérablement la libertédes doigts. La volonté d’éviter ce phénomène pousse à rechercher d’autresmanières de tenir le manche. Mais comme on a pu le constater, toutes lestentatives ont été faites dans une direction erronée, car purement formelle.C’est pourquoi, loin de créer des conditions favorables pour lesmouvements des doigts, ces méthodes n’ont réussi qu’à aggraver desdifficultés.

Si l’on analyse les mécanismes du déplacement des doigts, onconstate aisément que les meilleures conditions du travail sont assuréesjustement si l’on tient le manche entre le pouce et l’index. Refuser cetteméthode serait irrationnel. Il suffit simplement de trouver les modalités quipermettent de maintenir le manche sans crispation qui entrave lemouvement des doigts.

À présent, examinons le fondement même de la technique de la maingauche les mouvements verticaux des doigts et le déplacement de toute lamain le long de la touche. On ne maîtrise pas parfaitement la technique sil’on n’a pas assimilé ces deux types de mouvement ainsi que leur

10 Cette école inverse l’ordre habituel des phalanges.

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coordination. Par conséquent, l’apprentissage de ces mouvements doit sedérouler essentiellement en tenant compte de leurs interactions.

Cependant, dans la plupart des “Écoles”, parmi lesquelles celle deCampagnoli (43), d’Auer (5), et en particulier celle des violonistesallemands tels que Joachim (57), Kayser (59), Hoffmann (14), Singer etSeifriz (70), le temps accordé par le système de l’apprentissage à l’étude dela première position est beaucoup trop long; l’élève est censé se familiariseravec les coups d’archet les plus compliqués, parfois virtuoses, les extensionsdifficiles, les doubles-cordes, etc. Travailler sur un tel matériau dans uneseule position conduit à développer des habitudes de maintien exagéré,renforcé encore plus par la pression excessive des doigts sur la corde, quiest souvent la cause d’une technique lourde.

La plupart des “Écoles” du siècle passé étudient longuement la Ieposition, c’est pourquoi l’apprentissage du maintien se fait non pas pourassurer l’agilité du bras gauche, mais, et au contraire, pour le stabiliser.D’où l’apparition de sérieuses difficultés pour effectuer les changements deposition. Les enseignants allemands, comme Joachim, par exemple (57), enétaient conscients et conseillaient d’éviter les démanchés, partout où celaétait possible.

L’inconvénient de cette méthode est qu’elle donne une faussereprésentation du mécanisme du maintien du violon. Elle exige que lementon n’intervienne pas dans ce mécanisme et que l’instrument soitsoutenu uniquement avec le bras. Les élèves ne peuvent corriger cetteerreur que lorsqu’ils sont directement confrontés à la nécessité de déplacerla main le long de la touche. Ils sont alors obligés non seulement d’assimilerun procédé nouveau pour eux, mais également de se désaccoutumer del’ancien, ce qui est évidemment plus compliqué et surtout moins efficace.Par ailleurs, l’habitude de l’ancien procédé est responsable de la crispationde la main autour du manche; les mouvements de la main en sont doncralentis. Il est significatif que certains adeptes de la première méthode serendent parfaitement compte du ralentissement ainsi provoqué. Moser(66), par exemple, croit que lorsque l’on effectue les changements deposition, on doit se forcer, selon son expression, à dépasser “l’inertie de lamain gauche”.

À notre avis, il est impératif d’enseigner le déplacement de la maingauche le long de la touche en même temps, sinon plus tôt que lesmouvements du pouce, car, en libérant tout le bras cela prévient l’apparitiondes défauts cités et constitue une bonne préparation à l’apprentissage deschangements de position.

À celui qui ne maîtrise pas encore la technique des changements deposition, on peut conseiller l’exercice suivant: jouer des sons rythmés avecl’archet, et exécuter en même temps des mouvements rythmés sur la touche

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avec la main gauche, (des mouvements d’aller-retour de la Ie position à laIIIe). Cet exercice simple est très efficace, car il permet à l’élève d’apprendredès le début, et par sa propre expérience, que la main gauche n’est pas rivéeau manche. Cela se révèle très utile plus tard, lorsque l’on perfectionne lacoordination des mouvements. De plus, l’élève intègre simultanément lareprésentation exacte de la tenue de l’instrument et du rôle que jouent lementon, la clavicule et la main gauche.

Ce point de vue est entièrement fondé sur les concepts physiologiquesfondamentaux de Pavlov. En réalité, la formation des habitudes du jeu n’estrien d’autre que la formation des réflexes conditionnés correspondants,dont l’acquisition dépend intégralement des conditions de leur apparition.Ainsi, si l’on veut que la tenue décontractée du violon devienne un réflexe, ondoit éliminer tous les éléments qui provoquent la crispation de la main. Sinon,c’est la contraction qui deviendra réflexe, car elle prend sa source dans leréflexe inné de préhension que l’on a pour objectif de neutraliser. Parconséquent, l’élimination de tous les éléments qui s’opposent audéveloppement du réflexe est la condition obligatoire pour parvenir à le créer.

Si, malgré tout, le réflexe indésirable se développe, le travail sur leréflexe correct en sera d’autant plus long et difficile, parfois mêmecomplètement impossible. L’instauration des mauvais réflexes est doncparticulièrement nocive et dangereuse. Les exemples pratiques confirmententièrement cette affirmation.

Enfin, et ceci est sans doute le point le plus important, les conditionsde l’obtention du réflexe doivent être déterminées par les problèmes que leréflexe est censé résoudre. Si 1’on travaille le réflexe de la tenuedécontractée du violon, dans le but d’obtenir le déplacement libre de lamain le long du manche, on ne doit surtout pas s’y consacrer sans quetoutes les conditions ne soient réunies. Et inversement, les bonnesconditions doivent être obligatoirement présentes au début de tout travailsur le réflexe. C’est pourquoi, l’analyse profonde et détaillée des conditionsdu travail sur un réflexe donné doit à tout prix précéder le travail réel surle réflexe, sans oublier de tenir compte des particularités de l’élève. Dans lecas contraire, l’apprentissage peut se révéler inadapté et même nuisible.

Un autre sérieux défaut qui freine considérablement l’acquisition dela liberté du mouvement de la main gauche et qui la force à serrer lemanche, est l’appui excessif des doigts sur la corde. Ce défaut est provoquépar de fausses perceptions dues à un apprentissage incorrect.

Certains manuels en sont directement responsables, car ils jugentnécessaire d’appuyer “suffisamment fort” sur la corde pour obtenir unesonorité satisfaisante. Comme on ne précise jamais ce qu’est un appui“suffisant”, cela entraîne des exagérations, d’autant plus que le but de ces

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indications est de prévenir un appui insuffisant. Beaucoup de manuels, etsurtout des manuels allemands, emploient les termes “solide”, “fort”, etc,qui supposent non plus un appui suffisant, mais un appui plutôt intense.Les manuels de Kayser (59), de Jockisch (58), de Walther (11)recommandent quant à eux un appui réellement très important. Jockischconseille, par exemple, de s’habituer dès le départ à ce que les doigtsarrondis tombent sur la touche d’une hauteur suffisante, “comme des petitsmarteaux”, et avec une force considérable. Il estime que l’intensité du sondépend uniquement de l’archet et que les doigts de la main gauche doiventtoujours appuyer “fortissimo” sur la corde, même lorsque l’on joue“pianissimo”. On ne peut pas être d’accord avec ce point de vue: sansévoquer la tension et la dépense d’énergie inutiles qui gênent le mouvementde la main gauche, l’appui excessif des doigts entraîne une réaction dupouce ce qui contraint la main à serrer davantage le manche du violon.

L’opinion concernant l’appui accentué des doigts a fait naître desérieuses controverses. Ainsi, Lesmann, qui en 1914 écrivait encore que lesdoigts devaient appuyer fortement sur la corde (20), donnait un aviscomplètement différent en 1934: “L’appui doit être aussi faible que lepermettent les conditions du jeu. Seul ce moyen donne la possibilité de nepas élever le travail des doigts au rang d’une fonction particulière quiperturbe l’unité du jeu.” (21, 22, 23). Cette dernière affirmation est partagéepar Becker qui a exposé dans son manuel pour violoncelle des réflexionsdont l’importance est applicable au violon. Il pense notamment qu’au coursdu jeu, les doigts ne doivent pas appuyer plus que cela n’est nécessaire poursurmonter la résistance de la corde tendue; sinon, on risque desperturbations physiologiques graves. De plus, les variations du son nedépendent en aucun cas de la pression des doigts sur la corde (6). Mostrasétudie cette question en détail (27) et montre que le degré de pression desdoigts est essentiellement déterminé par la qualité du son produit, qui doitêtre sans impuretés, et par la résistance nécessaire qu’offrent les doigts audéplacement de la corde, provoqué par les mouvements de l’archet.

Il serait faux de croire qu’il existe une solution universelle pouréquilibrer l’appui des doigts dans tous les cas et sur toutes les parties de latouche. Bien au contraire, on estime que le caractère et le degré de l’appuidépendent d’un grand nombre de facteurs. Il doit, par exemple, être plusimportant dans les positions hautes que dans les positions basses, carlorsque l’on se rapproche du chevalet, la distance entre les cordes et latouche augmente. D’autre part, l’appui doit être sensiblement renforcé sil’on vibre intensément et surtout si l’on joue forte. Il existe également unpoint de vue qui admet que l’on peut quelquefois affermir l’appui à lanuance piano. Mais généralement, lorsque le tempo augmente, l’appui desdoigts faiblit.

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Ces exemples prouvent bien que le procédé étudié ne peut êtreidentique dans les conditions de jeu différentes. Toutefois, bien que lesconditions soient extrêmement variables, il ne faut pas oublier que le procédétechnique n’est jamais un but en soi, mais seulement un moyen permettantd’obtenir la sonorité définie par un problème musical particulier. Parconséquent le caractère et le degré d’appui des doigts sur les cordes doiventêtre définis, dans tous les cas sans exception, uniquement par les exigencesesthétiques qui correspondent au contenu musical de l’œuvre, et non pas pardes considérations purement formelles. Seul le contrôle de la sonorité, quiest fonction du contenu musical, peut clarifier le problème de la qualité desprocédés techniques, y compris celui du caractère de l’appui.

Il faut remarquer que l’appui insuffisant des doigts ne permet pas deparvenir à la plénitude sonore. Cela se traduit par un son flou et poreux,empli d’impuretés, lorsque l’on joue “piano”. Le “forte”, lui, affecteégalement la justesse de l’intonation. Ce défaut est facilement perçu parune oreille non experte, tandis que l’appui excessif des doigts, tout endiminuant la qualité de la sonorité qui devient plus dure et plus sèche, et lavariété du timbre, demande plus d’expérience pour être mis en évidence.

Généralement, l’appui des doigts faiblit au cours des changements deposition répétés, ce qui a pour effet de faciliter le déplacement de la mainsur la touche et de conférer une bonne qualité sonore au démanché,déterminée par les objectifs esthétiques. En ce qui concerne la sonorité, lerôle du bras droit consiste à diminuer l’appui de l’archet au cours duchangement de position.

Les violonistes qui appuient fortement sur les cordes, ontévidemment besoin de décontracter davantage leurs doigts au cours deschangements de position. Même Jockisch, partisan de l’appui optimal,montrait clairement (58) qu’au moment du changement de position, ledoigt qui glisse sur la corde sans la quitter, doit seulement l’effleurer, etn’appuyer avec force qu’en atteignant la position d’arrivée.

Cette méthode ne résout pourtant pas le problème, car l’appuiprononcé, suivi du relâchement et d’un nouvel appui, ralentit encore plusles mouvements de la main gauche.

D’autre part, Voicu (12) conseille un procédé différent. Il estime qu’aucours des changements de position, l’appui des doigts doit conserver lamême intensité dans la position d’arrivée que dans la position de départ. Cepoint de vue n’est pas non plus acceptable car il détache totalement leprocédé de 1’interprétation, qui reste l’objectif principal et qui ne peut pastoujours se soumettre à cette exigence.

Le degré d’affaiblissement de l’appui des doigts sur les cordes dépend

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directement, d’une part, des exigences de la dynamique du jeu et de lanature de la liaison des sons, d’autre part de la distance du démanché, etenfin du tempo dans lequel ces liaisons sont exécutées.

On voit donc que le problème de l’appui demande beaucoupd’attention. Pour que la liberté des mouvements de la main gauche soittotale, l’appui des doigts, moment statique responsable du ralentissement,doit être minima. L’appui minimum est déterminé à son tour par desobjectifs esthétiques et par le caractère de la sonorité; de plus, il est contrôlépar l’ouïe au cours de la sélection des procédés les plus efficaces.

Si l’élève a tendance à forcer l’appui, l’exercice suivant donne de bonsrésultats, en permettant de changer la conception erronée qu’il a de l’appui.Si l’on joue, par exemple, l’harmonique la avec le majeur en IIIe position, surla corde de Ré, et qu’ensuite on appuie progressivement sur la corde, onentend une série de modifications: le son pur de l’harmonique fait d’abordplace à des sons grésillants et chuintants, et ce n’est qu’après qu’apparaît lanote la. L’instant où il apparaît permet de faire comprendre à l’élève lecaractère excessif de son appui initial. Cet exercice aide souvent à mémoriserla sensation musculaire exacte qui naît avec la perception d’un son donné.11

Comme on l’a déjà dit, la pression des doigts varie mais on ne doit jamaisforcer la corde plus que nécessaire. Il existe à ce propos autant d’opinionsdifférentes que de procédés recommandés pour résoudre ce problème.

Koeckert (60) conseillait de bien soulever les doigts et de frapper lacorde. Selon lui, plus la distance entre la corde et le doigt est importante,plus l’élan du doigt est conséquent, ce qui économise la force utilisée pourappuyer sur la corde. Cependant ce procédé n’atteint pas son but, carsurélever les doigts freine la main gauche et altère l’agilité des doigts, mêmesi Koeckert remarque que ce procédé est un moindre mal par rapport à lapression excessive des doigts.

Walther (11) porte un jugement opposé. Il estime que l’on doitarrondir les doigts au-dessus de la corde, sans trop les élever comme ledemandent beaucoup d’enseignants, car ce n’est pas tant la force de lafrappe qui est importante que la force de l’appui.

Eberhardt (50), quant à lui, considère qu’il faut différencier même ledegré de l’appui de chaque doigt en fonction de sa particularité, c’est-à-direde sa force. Selon lui, la répartition de la pression doit équilibrer la force dechaque doigt. C’est pourquoi il recommande d’appuyer plus faiblementavec l’index et le majeur qu’avec l’annulaire et surtout l’auriculaire.

11 Dans ce cas précis, le son produit dépend entièrement de la simultanéité dumouvement des deux bras. On ne les étudie séparément dans cette partie quepour pouvoir mener une analyse détaillée des différentes facettes du jeu qui estl’objet principal de cette étude.

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Toutefois, on peut difficilement reconnaître l’utilité de cette méthode.La pratique montre que la pression excessive ou la surélévation des doigtsdiminue sensiblement la qualité du son et du vibrato, et limite l’aisancegénérale des mouvements et 1’agilité des doigts. Ce défaut reste, sans aucundoute, l’une des raisons principales des difficultés du déplacement de lamain gauche sur la touche.

5. Le placement adéquat et le travail sur des mouvementscorrects.

Nous avons indiqué à plusieurs reprises que les conditionsessentielles du jeu étaient le mouvement libre et juste, et la maîtrise parfaitede l’appareil moteur. L’analyse des conditions qui déterminent la qualité desmouvements nous oriente vers les problèmes du placement qui influencentla formation des mouvements et donc le jeu dans sa totalité.

L’importance du positionnement a toujours été reconnue par lesenseignants illustres. Léopold Mozart (28) citait en exemple ces violonistes“dont le jeu laisse une impression de lourdeur uniquement parce qu’ils serendent la tâche plus difficile en ne sachant tenir correctement nil’instrument ni l’archet”. Or, la pratique du pédagogue montre clairementque déterminer rationnellement le placement est un problème difficile quisuscite beaucoup de controverses et entraîne de nombreuses erreurs.

L’erreur principale consiste à penser que le positionnement estindépendant des autres facteurs, de le “fétichiser” en quelque sorte. Lestravaux de Voicu (12) et de Mikhaïlovsky (25) illustrent parfaitement cepoint de vue. Ces auteurs examinent le placement de façon abstraite,détaché des impératifs du jeu professionnel et l’élèvent au rang d’une fin ensoi, alors qu’il ne peut être examiné qu’en relation étroite avec lesmouvements pour lesquels il est créé. Obtenir une qualité de mouvementsatisfaisante par rapport à son résultat sonore devrait être la seule référencedans la recherche du placement correct.

Il faut tenir compte du fait que les mouvements modifient et adaptentle positionnement au cours de la sélection des procédés efficaces. C’estpourquoi, le positionnement, de même que tous les mouvements du jeu quireflètent la diversité des problèmes de l’interprétation, ne doit pas êtreexaminé comme un concept figé, mais comme une notion dynamique.

Une autre grave erreur dans ce domaine serait la dogmatisation desformes particulières du positionnement. Cependant, on doit en effet tenircompte des dispositions naturelles du violoniste qui en adaptant certainesformes du positionnement s’y adapte lui-même afin de s’assurer lesmeilleures conditions de motricité.

Il ne faut pas oublier que les dispositions naturelles du violoniste

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n’acquièrent leur signification que dans le contexte des problèmes del’interprétation, plus encore, elles y sont totalement soumises.

En abordant directement la question du placement de la maingauche, on doit remarquer que la manière de tenir l’instrument joue un rôleessentiel pour la liberté des mouvements.

L’aisance de la main gauche est naturellement limitée du fait qu’ellemaintient le violon. Certains enseignants conseillent donc de tenir le violonuniquement avec le menton et la clavicule, afin de libérer entièrement lamain de cette fonction. Ce procédé a reçu une large diffusion dans lesécoles tchèque, (Woldan (72)), et allemande. On le recommande égalementdans certaines autres écoles, notamment l’école française, (Pennequin(67)). La raison pour laquelle l’école allemande a adopté ce procédé setrouve certainement dans l’appui excessif sur les cordes que préconise cetteécole et qui a l’inconvénient majeur d’affecter l’aisance de la main gauche.L’appui forcé génère le besoin compréhensible de dispenser la main gauchede la nécessité de tenir le violon.

Un autre point de vue insiste au contraire sur la nécessité demaintenir le violon en deux endroits, quelque soient les conditions du jeu:entre le menton et la clavicule, et entre le pouce et l’index.

Nemirovsky (30) était un ardent défenseur de cette dernièreapproche. Il écrit que la manière répandue de tenir le violon à l’aide del’épaule ou du coussin, dont il réfutait l’utilité, est fondée sur“l’incompréhension grossière de la nature de l’instrument” et qu’elle est“une difformité qui perturbe la complexion naturelle et les habitudes del’organisme” (30, p. 97). Toutefois, il était parfaitement conscient que si l’onne fixait pas le violon “en un point d’appui constant”, (entre le menton et laclavicule), on ne pouvait pas le retenir lors des démanchés descendants. Ilrecommandait donc d’utiliser un mouvement auxiliaire du pouce qui devaitdevancer le changement de position et créer un point d’appuisupplémentaire.

Struve (39) avait à ce sujet une opinion différente. Il pensait qu’il étaitpossible d’utiliser les deux procédés, mais que le choix entre les deux devaitse faire non pas en fonction des problèmes de méthode, mais uniquementen fonction de la complexion du violoniste, c’est-à-dire de ses particularitésanatomiques. Les violonistes qui ont des épaules basses doivent opter, selonlui, pour deux points d’appui, car s’ils fixent l’instrument uniquement avecle menton, ils soulèvent considérablement l’épaule gauche et contractentles muscles du bras. Inversement, un seul point d’appui convient auxviolonistes qui ont des épaules hautes. Struve estime, tout commeNemirovsky, que fixer le violon en deux endroits nécessite une coordinationspéciale entre les mouvements du pouce et les déplacements de la main

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gauche le long de la touche. Mais lorsque la coordination est insuffisante,Struve penche pour l’utilisation du coussin, car cela évite de souleverl’épaule et crée des conditions favorables au maintien du violon en un seulpoint d’appui, tout en rendant inutiles les mouvements auxiliaires dupouce.

Sans réfuter le rôle considérable des particularités anatomiques, onne peut pas leur accorder le rôle de l’unique déterminant.

Dans la pratique les deux procédés sont intimement liés. Chaqueinterprète s’aperçoit qu’au cours des changements de position le mentonserre davantage le violon que lorsqu’on joue dans une seule position. Dansce dernier cas, certains violonistes relèvent même complètement la tête, cequi est la preuve de l’existence de deux points d’appui à cet instant précis.Les personnes qui ont assisté aux concerts donnés par Kreisler ont affirméqu’en jouant il relevait fréquemment la tête.

Tous ces exemples confirment qu’il serait erroné d’insister sur lanature statique du placement; comme tout autre procédé technique, il doitrester dynamique afin de correspondre parfaitement aux différentesexigences de l’interprétation. On l’observe encore mieux au cours deschangements de position. Le degré de fixation du violon en deux pointsvarie inévitablement en fonction de l’appui, plus ou moins important, dumenton sur la mentonnière. Cet appui dépend directement de la directiondu changement de position, de la liberté et de l’élasticité des mouvementsde la main gauche, mais aussi de l’intensité de l’appui des doigts sur lescordes et de l’appui, en sens contraire, du pouce.

Lvov (24) était un adepte de la fixation de l’instrument avec le mentonet l’épaule. Il recommandait de tenir le violon “presque à l’angle droit parrapport au corps” et de le serrer avec le menton de telle sorte que le brasgauche puisse changer aisément de position, pratiquement sans soutenir lemanche.

En réalité, l’appui fort du menton et le soulèvement de l’épaulegauche sont très souvent liés.12 Un tel placement est recommandé dans lesmanuels de Walther (11) et de Nemirovsky (53). Ce dernier insistaitfortement pour que le violon soit maintenu avec le menton et s’opposait àl’utilisation du coussin.

On ne peut pas admettre que soulever l’épaule gauche soit un procédéjustifié, même s’il n’est que temporaire, comme au cours d’une plus franchefixation du violon avec le menton, car cela provoque la contraction desmuscles et limite donc la liberté des mouvements de tout le bras gauche.

12 Il s’agit ici non pas de l’épaule dans sa définition anatomique, c’est-à-dire del’humérus, mais de la ceinture humérale qui comprend l’omoplate et la clavicule.

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Struve (39) partageait cette opinion. Pourtant, il croyait que si le violonisteavait des épaules hautes, il ne subissait pas cette contraction, alors que lapratique montre que la contraction existe bien dans les deux cas, maisqu’elle se manifeste différemment.

Mostras avait très justement remarqué que le soulèvement de l’épaulegauche modifiait la direction du mouvement de l’avant-bras. Ainsi, lemouvement normal de l’épaule fait effectuer le mouvement de l’avant-brasdans le sens de la touche; alors que si l’épaule se soulève, ce mouvements’écarte de la direction de la touche et doit être compensé différemment.

Il existe pour cela nombre de procédés qui suppriment la nécessité desoulever l’épaule. Le procédé le plus répandu actuellement est l’utilisationdu coussin. Elle est, de notre point de vue, parfaitement justifiée, car elleévite de soulever l’épaule et contribue à libérer les mouvements du brasgauche. En ce qui concerne les répercussions de l’utilisation du coussin surla qualité du son, on peut facilement les neutraliser en adoptant un coussind’une forme spécialement adaptée.13

On pourrait remarquer à ce sujet que serrer trop fortement le violonavec l’épaule en se passant du coussin affecte également la sonorité. Le butdu coussin n’est pas d’immobiliser totalement le violon, mais uniquementde garantir une plus grande aisance au déplacement de la main gauchelorsque cela est nécessaire, (par exemple lors des passages descendants, desglissandos chromatiques, des sauts, etc), puisque dans ce cas le mentonmaintient le violon sans que l’épaule ne se relève.

La question du mouvement auxiliaire du pouce, inévitable selon laméthode Nemirovsky, soulève des remarques au sujet des inconvénients quece mouvement représente. Ainsi, chaque changement de position nécessitedeux mouvements au lieu d’un seul, ce qui freine le déplacement, même sile violoniste est très habile et maîtrise bien les mouvements du pouce. Deplus, les observations montrent que les violonistes qui utilisent deux pointsd’appui abandonnent les mouvements auxiliaires du pouce au profit de lafixation du violon à l’aide de l’épaule au cours de passages rapides. Celaconfirme, encore une fois, la nécessité d’utiliser le coussin, non seulementpour éviter de soulever l’épaule, mais surtout pour rationaliser lemouvement lui-même, puisqu’il permet de se passer des mouvementsauxiliaires du pouce lorsqu’ils sont de toute évidence gênants. Maisl’utilisation du coussin n’exclut pas entièrement ce mouvement auxiliaire s’ilse révèle utile, (les adaptations individuelles y jouent un rôle important).

Les mouvements auxiliaires du pouce sont présents le plus souventdans la cantilène lorsque le contenu musical exige une liaison souple et

13 Dans la classe de Yuri Yankelevitch, tous les étudiants utilisaient, non pas lecoussin, mais une épaulière Kun. Cette fixation ne touchait pas le fond duviolon, contrairement au coussin, et n’assourdissait pas le son.

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expressive des sons, (fig. 20). La préparation du pouce crée une sorted’appui et assure une exécution sereine.

Fig. 20. Tchaïkovsky. Concerto, 1er Mvt

L’accélération progressive du tempo diminue le nombre desmouvements auxiliaires; et le tempo rapide fait naître un mouvement tout-à-fait nouveau: le pouce se meut en même temps que le poignet et lesdoigts, guidés par l’avant-bras. Mais parfois on peut se passer de l’aide dupouce, y compris dans la cantilène.

Yampolsky (44) considérait que les mouvements du pouce étaientsuperflus et même gênants. Auer (5) était également de cet avis et affirmaitque le pouce n’avait pas de rôle important au cours des changements deposition.

Cependant, on doit garder à l’esprit que cette fonction du pouce n’estpas déterminante pour les déplacements de la main gauche le long de latouche, bien que la plupart des manuels insistent uniquement sur lemouvement auxiliaire qui précède le changement de position descendant.C’est pourquoi nous croyons indispensable d’analyser les autres fonctionsdu pouce, et plus précisément celles qui se trouvent à la base du placement.

L’analyse détaillée de la question du placement du pouce fait ressortirbeaucoup d’avis contradictoires.

Ainsi, Mozart (28) recommandait de poser le pouce plus près del’index et même du majeur, (en face de la note fa ou fa# sur la corde de Ré),estimant que de cette manière on facilite l’extension. Ce point de vue estpartagé par de nombreux auteurs, notamment par Moser (66) et Auer (5),mais nous ne sommes pas en mesure de faire de même, car le déplacementdu pouce vers l’avant limite encore plus les possibilités d’extension del’auriculaire.

Campagnoli (48) considérait que le pouce devait être placé “en face dusi sur la corde de Sol”, (c’est-à-dire en face de la note fa#). Auer (5) pensaitqu’il devait prendre place vis-à-vis de la note fa sur la corde de Ré. L’”École”de Bériot (7) indique que le positionnement du pouce se fait entre le la etle si sur la corde de Sol. Singer et Seifriz (70) sont eux aussi de cet avis,mais ils soulignent que le pouce doit être incliné plutôt vers le la que versle si. Joachim et Moser (57) recommandent de placer le pouce contrel’index, posé, lui, à la distance d’un ton par rapport à la corde à vide, c’est-à-dire contre le la. Walther (11) et Koeckert (60) occupent dans ce débat les

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positions extrêmes. Ainsi, Walther croit que le bout du pouce doit êtreorienté vers le violoniste et non pas vers la tête du violon. Et Koeckert, aucontraire, conseille de l’orienter le plus loin possible vers la tête du violon.

Les différentes écoles n’ont donc pas d’opinion commune au sujet duplacement du pouce au cours du jeu. Cet état de fait n’est pas dû au hasard,car le placement unique et standardisé n’existe probablement pas et ne peutpas exister.

Étant donné que le pouce n’a pas de fonction directe dans le jeu, sonplacement doit être déduit de l’aide qu’il apporte à l’activité des autresdoigts. C’est pourquoi son placement dépend de toute une série deconditions: des propriétés anatomiques de la deuxième articulation dupouce qui lui donne son orientation14, de la longueur des autres doigts, durapport entre la longueur du pouce et les autres doigts, de la largeur de lapaume etc. Par exemple, si l’auriculaire est trop court, sa tâche est rendueplus difficile. Il faut donc le compenser en écartant davantage le pouce enarrière, vers la tête du violon, plus que la structure de l’articulation dupouce ne laisserait envisager, car ce mouvement du poignet facilite l’activitéde l’auriculaire. Ainsi, les violonistes adaptent le placement du pouce auxparticularités anatomiques de leur main. On pourrait alors supposer quechaque auteur, parmi ceux qui ont été cités, recommande précisément laposition qu’il trouve la plus adaptée à lui-même. Or, le pédagogue ne doitjamais partir de la structure anatomique de sa propre main mais de cellede son élève.

Même si le placement du pouce dépend étroitement de ses propriétésanatomiques, il n’en est pas pour autant invariable. Le positionnement dupouce change en fonction de objectif technique afin d’assurer les meilleuresconditions à l’activité de la main gauche. Ces changements ne concernentpas uniquement l’inclinaison plus ou moins grande vers la tête du violon,mais aussi le glissement plus ou moins important du pouce sous le manche.Le degré du glissement dépend de la longueur du pouce. (La structureanatomique individuelle de la main gauche définit également l’endroit ducontact entre l’index et le manche qui se situe entre la base et l’extrémité dela première phalange.) Cependant, certains élèves de Stoliarsky onttendance à adopter une position un peu plus basse du pouce.

Flesch (41) remarquait fort justement que le pouce possédait deuxplacements qui variaient en fonction de la partie concernée de la touche: leplacement “latéral normal” était adopté dans les positions inférieures et leplacement “bas” dans les positions supérieures. Dans les cas particuliers,comme le sont par exemple les accords de trois ou de quatre notes où existele problème de l’extension, le pouce peut glisser sous le manche même dans

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14 Le point de vue de Struve (39) est parfaitement exact en ce qui concerne lerôle de cette articulation du pouce par rapport aux autres doigts de la maindroite posés sur la baguette de l’archet.

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les positions inférieures. Chez certains violonistes cette position “basse”devient constante et fait que l’extrémité du pouce ne touche pas le manche.Ceci est très caractéristique de l’école tchèque. Une telle position est laconséquence de vouloir conserver la même position de la main sur toute lalongueur de la touche. D’après Eberhardt (50), ce placement étaitrecommandé par Sevcik.

Le rôle auxiliaire du pouce est très facilement mis en évidencelorsqu’on passe dans les positions supérieures. Le pouce descend alors sousle manche et le poignet se relève au-dessus de la touche. Flesch (41)propose de préparer le glissement du pouce sous le manche légèrement àl’avance. Nemirovsky (30) conseille la même chose: par exemple, au coursdu passage de la Ie à la Ve position, il demande à ce que dans la position dudépart le pouce adopte le placement qui correspond à peu près à sonplacement en Ve position, et à ce qu’il se déplace ainsi vers le haut.

Cependant cette préparation ne doit pas être obligatoire dans tous lescas. Parfois le pouce peut descendre sous le manche, en exécutant unmouvement autour de la saillie du manche, tandis que la main se déplacele long de la touche. Ce glissement est une conséquence des adaptationsindividuelles du violoniste, il permet de passer par une série demouvements intermédiaires. En IVe ou en Ve position, on a le choix entredeux placements du pouce: soit on conserve celui qui correspond auxpositions inférieures, soit on choisit de garder le pouce sous le manche,comme dans les positions supérieures. Le choix est déterminé par lemouvement qui suit dans le contexte musical.

Quelquefois, lorsque l’on passe des positions intermédiaires auxpositions supérieures, on utilise à tort le mouvement préparatoire du pouceque l’on fait non seulement glisser sous le manche, mais en plus on l’appuiecontre la jonction de la touche avec le corps du violon. Ce mouvement estparfois exécuté même au cours du passage de la Ie à la IIIe position. Dansles premières leçons de l’”École” de Lefort (63), les sons qui sont concernéspar ce changement de position, (de la Ie à la IIIe), sont séparés par dessilences pendant lesquels l’élève doit exécuter avec le pouce un mouvementpréparatoire que l’auteur appelle “le passage du pouce”.15 Ce mouvement estirrationnel et de surcroît tout-à-fait inutile. Si lors du passage des positionssupérieures vers les inférieures ce mouvement peut encore être justifié parle désir de retenir 1’instrument qui a tendance à suivre le mouvementdescendant de la main, il ne l’est absolument plus lors du mouvementinverse. Le déplacement du pouce en avant brise l’unité du mouvement etn’a donc plus lieu d’être. La décomposition de l’unité du mouvement estnuisible, car elle a pour conséquence de diminuer la motricité générale. Deplus, ce procédé entraîne le rétrécissement de la surface de la paume, trèsgênant pour l’intonation. Et enfin, si ce mouvement auxiliaire est réalisé au

15 En français dans le texte.

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cours du passage des positions intermédiaires vers les positions supérieures,il est fréquemment accompagné par l’inversion de la courbure du poignet ensens contraire du mouvement. Cela complique considérablement le jeu dansles tempos rapides.

Certains mouvements de la main ne demandent pas de déplacer lepouce, parce qu’il joue alors le rôle du point d’appui. Dans l’exemple 21, lepouce se place comme il devrait 1’être en IIe position, mais le changementde position lui-même se fait uniquement grâce au poignet :

Fig.21.

L’exemple suivant illustre la même fonction du pouce :

Fig.22. Ernst. Concerto

Au cours de ce passage le pouce occupe une position médiane parrapport à l’étendue du passage. C’est pourquoi, dans la première partie dupassage la main se rapproche du pouce, puis elle continue son mouvementen s’éloignant de lui dans le sens opposé. Ainsi, tout au long de ce passage,le pouce est pour la main en déplacement un point d’appui immobile.

La réalisation de cet exercice technique dépend, bien évidemment, dela capacité d’adaptation personnelle du violoniste, c’est pourquoi lesmouvements peuvent être légèrement différents et plus individuels. Nouscroyons cependant que ce mouvement reste le plus adapté parmi tous ceuxqui ont été décrits.

Dans les positions les plus hautes, le pouce touche généralementl’éclisse du violon. Cela est inévitable si l’interprète a de petites mains oudes doigts courts, surtout l’auriculaire. Pourtant, même si les mains sontsuffisamment grandes, le violoniste déplace souvent son pouce sur l’éclisse,car cela soulage la tension de la main, facilite le vibrato et améliore laqualité de la sonorité.

Mais on trouve des divergences d’opinion quant à la nécessité dupositionnement du pouce sur l’éclisse. Campagnoli (48), Spohr (71) etcertaines autres “Écoles” recommandent effectivement ce procédé.

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Campagnoli dit très explicitement que dans les positions supérieures, il estnécessaire de faire glisser le pouce du dessous du manche jusqu’à l’éclissedu violon, (que le menton doit alors serrer davantage), pour ne pas le laisseréchapper à cause de la perte de l’équilibre provoquée par le changement dupoint d’appui. Les autres “Écoles”, et principalement les allemandes,interdisent catégoriquement d’utiliser ce procédé. Jockisch écritnotamment dans sa “Catéchèse du violon et de son jeu” que le pouce ne doitjamais quitter le manche.

Examinons cette question plus en détail.

L’interdiction de reporter le pouce sur l’éclisse s’expliqueessentiellement par la crainte de perdre l’appui. Comme on l’a vu,Campagnoli en tenait compte. En effet, l’un des éléments de ce procédé estlié au risque de perdre le point d’appui: il s’agit du moment où le pouceretourne à sa position initiale sur le manche au cours du passagedescendant. Mais l’impression de la perte de l’équilibre n’apparaît quelorsque la coordination des doigts avec le mouvement du retour vers laposition initiale, n’est pas assurée.

Aussi, l’interprète retarde-t-il instinctivement le retour du poucejusqu’au moment où les autres doigts, dans leur mouvement descendant,atteignent l’emplacement de la touche où se trouve normalement le pouce.C’est le moment du retour retardé qui crée la sensation de la perte del’appui. Inversement, on observe fréquemment que le pouce retourne à saposition initiale au moment où les autres doigts changent de position sur latouche. La sensation de la perte d’appui y est également présente, ce qui seressent au niveau du jeu.

Lorsque la coordination est respectée, le risque de perdre le pointd’appui est nul. On doit seulement garder en mémoire que le retour dupouce à son placement initial doit se produire au moment où tous les autresdoigts se trouvent dans la même position, ou lorsque, dans leur mouvementdescendant, ils n’ont pas encore atteint l’emplacement du pouce. De cettemanière, le violoniste garde la possibilité d’anticiper le retour du pouce à saposition normale. Cela dépend, dans une certaine mesure, des qualitéspropres de l’interprète, mais on l’apprend facilement à l’aide d’exercicesspéciaux.

Par conséquent, on ne doit pas refuser de faire glisser le pouce surl’éclisse, car toutes les difficultés qui en résultent sont facilementsurmontables. Refuser ce procédé, c’est rendre le jeu impossible dans lespositions les plus hautes à toute une catégorie d’interprètes. On peut noterà ce propos que les violonistes qui ont de très petites mains ne peuventatteindre les dernières positions même lorsque leur pouce se trouve surl’éclisse. Ils sont en effet obligés de le reporter sur la tranche de la touche.

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Le retour de la main gauche des positions supérieures vers lesinférieures est accompagné par l’abaissement du pouce qui retourne à saposition normale sans toucher le manche du violon. Ce procédé est fortutile dans les cas illustrés par la figure 23:

Fig.23. Wieniawski. Concerto n°l, 1er mouvement

On observe parfois l’abaissement du pouce sur d’autres parties de latouche. Il s’agit probablement du résultat d’une adaptation individuelle, quine peut donc pas être considérée comme une référence absolue.

Comme on l’a vu, les fonctions du pouce sont très diverses, souventcomplexes, et demandent beaucoup de souplesse et d’agilité. Elles dépendentétroitement de l’état général de toute la main gauche. Et inversement,l’activité de la main reflète le placement du pouce et ses fonctions.

L’angle sous lequel les doigts arrivent sur la touche a également unegrande importance. Il dépend en partie des particularités anatomiques duvioloniste, mais quelles que soient ces particularités, la position la plusrationnelle pour les doigts est de former un léger angle par rapport à lacorde. Il doit rester peu important et ne jamais se transformer en angledroit. On assure ainsi les meilleures conditions pour l’aisance de la maingauche et la qualité du son.

Une telle inclinaison des doigts permet d’améliorer la qualité sonore,car elle augmente la surface de l’extrémité des doigts qui rentre en contactavec la corde, et crée de meilleures conditions pour le vibrato. De plus, cetteinclinaison facilite le glissement et l’extension, ainsi que le transfert desdoigts sur les autres cordes. Enfin, la position inclinée des doigts contribueà généraliser leur placement au cours des passages techniques et de lacantilène, c’est-à-dire avec ou sans l’utilisation du vibrato.

On pourrait encore remarquer que la position inclinée se trouvejustifiée par la position naturelle des doigts. Le placement trop droit parrapport aux cordes serait donc irrationnel.

Cette position devient surtout intéressante lorsque les doigts se posentsur la corde bien au centre de leur extrémité. En revanche, le positionnementdes doigts sur le côté de leur extrémité a des conséquences indésirables : laqualité sonore diminue, l’exécution du vibrato est gênée, les doigts glissentdes cordes, surtout lors du passage d’une position à une autre.

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Un autre facteur important de l’aisance des mouvements de la maingauche est l’angle formé par les doigts et la touche, en fonction de lacourbure de cette dernière. Mikhaïlovsky (26) traite cette question enprofondeur. Il montre que les doigts doivent suivre la normale à la tangentede la touche. Effectivement, dans cette position, la surface de l’extrémité dudoigt qui touche la corde est maximale. Cela améliore la qualité du son etassure une meilleure stabilité au doigt pour les changements de position. Sil’on modifie cet angle, on observe comme conséquence négative un certainétirement de la corde sur le côté, (de la corde de Sol vers la corde de Mi).

L’angle correct, formé par les doigts et la corde, est obtenu en tournantla main en fonction de la position du coude. Si la direction des doigts changeen fonction de la courbure de la touche, le placement du coude doit changerégalement. Le coude se déplace légèrement à gauche si les doigts sont sur lacorde de Mi, alors qu’il rentre à l’intérieur si les doigts sont sur la corde de SolPar ailleurs, le placement du coude dépend de la manière de tenir l’instrument:plus elle est horizontale et plus le coude se déplace à droite, sous le violon, etinversement. D’autre part, lorsque la main se trouve dans les positionssupérieures, la position du coude est plus décalée vers la droite que dans lespositions intérieures. Par conséquent, le coude atteint sa position extrême, àdroite, lorsque la main se trouve dans les positions supérieures sur la corde deSol. Selon le même raisonnement, le coude est décalée le plus à gauche,lorsque la main se trouve dans les positions inférieures sur la corde de Mi.

Le placement unique et fixe du coude n’existe donc pas. Sesdéplacements font entièrement partie des mouvements du bras gauche, etcomme de plus ils rendent confortable le placement des doigts sur toutes lescordes, ils ont été appelés par Voicu (12) “le mouvement du gouvernail”. Ceterme a reçu une large diffusion et est employé dans la pratique pédagogiquejusqu’à nos jours. On retrouve une bonne approche de cette notion dansd’autres manuels, et en particulier dans les travaux de Nemirovsky (30),parus en 1915, c’est-à-dire dix ans avant la publication du manuel de Voicu,ainsi que dans les travaux de Lesmann (23) et de bien d’autres.

Nous avons analysé les éléments de l’activité de la main gauche quidoivent lui assurer une totale liberté de déplacement sur la touche. Cetteanalyse a pour but d’une part, de déterminer les aspects particuliers duplacement qui garantissent l’aisance du mouvement et d’autre part, demettre en évidence les éléments qui peuvent l’entraver. Dans le chapitresuivant, nous analyserons le caractère des mouvements de la main gauchesur la touche, ce qui est essentiel pour pouvoir pleinement assimiler desprocédés techniques et esthétiques du jeu.

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6. Les aspects particuliers des changements deposition au cours du mouvement descendant. Lesproblèmes de coordination entre les principauxmouvements du bras et de la main gauche au coursdes changements de position.

L’une des conditions primordiales de la haute technicité de la maingauche est l’exécution irréprochable des changements de position. L’analysedétaillée des différents démanchés fera l’objet des chapitres suivants. Celui-ci sera consacré aux techniques générales des changements de position.

En analysant la spécificité des mouvements de la main gauche surtout la surface de la touche, on s’aperçoit rapidement que les changementsde position ascendants se réalisent plus facilement que les descendants.

On peut l’expliquer par le fait que le mouvement ascendant contribue àsoutenir l’instrument, tandis qu’au cours du mouvement descendant, on doitprendre des mesures particulières afin de retenir le violon. Dans ce cas précis,la pression exercée par le menton acquiert une grande importance. De plus, sila caractéristique du démanché ascendant est le mouvement ininterrompu dela main, le descendant, lui, est plus complexe en raison du mouvementauxiliaire du pouce, qui, pour ceux qui l’utilisent, prépare le mouvement detoute la main. En devançant la main, le pouce permet de mieux stabiliserl’instrument. Comme on l’a déjà indiqué, ce procédé demande une bonnedextérité du pouce et sa parfaite coordination avec les autres doigts.

Auer (5) et Flesch (41) considéraient que ce procédé était le seulpossible pour le mouvement descendant. Ils notaient cependant lescomplications des mouvements qu’il entraînait. Auer écrit que la relativefacilité du mouvement ascendant est due au caractère combiné dumouvement, de pouce se déplaçant avec la main), alors que dans lemouvement descendant, le pouce passe à la position inférieure avant ledoigt qui glisse sur la touche, pour servir de contrepoids (5, vol. 5, p.15).

Les premières tentatives des débutants d’exécuter un mouvementdescendant, sans que leur violon soit suffisamment stabilisé, font naîtreune sensation désagréable d’instabilité de l’instrument. La pratique montrequ’une telle sensation peut inconsciemment faire craindre les changementsde position descendants, ce qui, plus tard, freine leur apprentissage. Lesélèves débutants ne réussissent pas, plus particulièrement, à exécutercorrectement les gammes chromatiques, jouées glissando sur une seulecorde, avec un seul doigt. Car en s’engageant dans ce mouvement, ilsredoutent que l’instrument leur échappe et ont tendance à serrer le violonavec leur paume contre la clavicule. Ils exécutent en réalité un mouvementqui s’oppose à la progression du doigt sur la corde, et qui les empêche deréaliser cet exercice.

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L’autre distinction notable entre les mouvements ascendant etdescendant est la spécificité de l’intonation. Elle présente une difficulté enelle-même, car si dans une suite de notes ascendante les doigts tombent surla corde pour produire les sons, dans un passage ascendant, au contraire,ils se soulèvent. Cela crée un problème supplémentaire qui consiste àpréparer le doigt avant de jouer la note. C’est ce qui explique pourquoi ledoigté de la gamme ascendante diffère de celui de la gamme descendante.Dans la gamme ascendante, on alterne le plus souvent l’index et le majeur,(fig.24), tandis que dans la gamme descendante, on passe à l’annulaire, oumême à l’auriculaire, pour préparer les autres doigts à réaliser les deux outrois notes suivantes, (fig.25). Si l’on essaie d’utiliser le doigté inverse,comme d’alterner l’index et le majeur dans une gamme descendante, onconstate que c’est nettement moins commode.

Fig.24. Fig.25

Dans une gamme descendante, la nécessité d’une constantepréparation force à garder le majeur sur la corde en permanence, ce quientrave la progression. De plus, cela oblige le violoniste à se servir del’auriculaire, dont la relative faiblesse accentue la sensation d’insécurité.Cette sensation est d’autant plus importante que l’auriculaire est plus courtet plus faible que les autres doigts. En revanche, utiliser l’annulaire qui estplus stable n’est possible que dans des cas particuliers, et totalementimpossible dans les successions de doubles-cordes, (de tierces par exemple).

L’analyse du mouvement descendant démontre, par conséquent, sarelative difficulté.

En examinant la spécificité des mouvements de la main gauche,effectués au cours des démanchés, nous devons souligner encore une foisque tous ces procédés ne sont que des moyens permettant de lier les sonsqui occupent une place bien définie dans une phrase musicale virtuose oudans une cantilène. Par conséquent, la maîtrise parfaite des démanchésgarantit une exécution souple, diversifiée et expressive des “portamentos”dans la cantilène, et des changements légers, imperceptibles, et vifs dans lespassages en forme de gamme... Maîtriser les démanchés reste donc l’un desobjectifs primordiaux de l’interprète.

Le critère principal qui permet d’évaluer la justesse des mouvementsest leur résultat sonore. Ainsi, le mouvement et le son sont les deux facettesd’un même processus. Toute tentative de séparer ces éléments, c’est-à-direde les rendre indépendants du mouvement, est sans doute unemanifestation formaliste de la pédagogie.

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Cependant, il n’est pas rare qu’au cours du perfectionnement de cesmouvements l’attention se porte essentiellement à la forme extérieure dumouvement et que son lien direct avec la sonorité passe au second plan. Lesexemples tirés de l’enseignement de la technique des deux mains sont trèsnombreux. Le travail sur les coups d’archet, par exemple, est trèssignificatif. Lorsque l’on ne tient pas suffisamment compte de ses résultatssonores, il se transforme parfois en exercice de gymnastique pure pour toutle bras droit, ou seulement pour certaines parties du bras. En ce quiconcerne le bras gauche, ce défaut apparaît le plus souvent au cours dutravail sur les démanchés.

Examinons ce problème en détail.

L’acquisition des habitudes professionnelles doit se faire uniquementà l’aide des perceptions auditives, c’est pourquoi on a besoin d’un systèmed’apprentissage qui peut assurer le développement de liaisons audio-motrices stables.

Seul un tel système peut entièrement résoudre le problème du doigtéque pose le déchiffrage. Une partie essentielle de la solution consiste à créerles liaisons réflexes qui permettent d’associer immédiatement lesperceptions visuelles des notes à leur résultat auditif, ainsi qu’à la réactionmotrice correspondante. Ces liaisons doivent rester le fondement de tousles acquis moteurs, y compris de ceux qui ont trait aux changements deposition.

Dans la pratique pédagogique, il existe deux aspects d’apprentissagede la technique de la main gauche. Ils correspondent à deux élémentsprimordiaux: le mouvement vertical des doigts, et le mouvement horizontaldu bras, ou de certaines parties du bras, qui transfèrent les doigts sur lesdifférentes aires de la touche. Il est évident que 1’activité du bras et de lamain gauche ne se limite pas à ces deux éléments. Le glissement des doigtssur les cordes, (dans les gammes chromatiques par exemple), ou le transfertdes doigts d’une corde à une autre, ou encore les mouvements du pizzicato,etc, sont très souvent employés.

La mise au point des différents procédés d’exécution de tous cesmouvements, ainsi que leur coordination en fonction de la sonorité, a uneimportance capitale pour acquérir une bonne technique de la main gauche.

La question de la coordination des mouvements verticaux des doigtsavec les mouvements horizontaux du bras ou de la main, le long de latouche, est l’une des questions cardinales de l’interprétation. La réalisationsimultanée des deux mouvements, si différents à leur origine, crée desdifficultés considérables, (même lorsque ces mouvements ne présententpas de difficulté en eux-même), si bien que le bras gauche se trouve

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sérieusement gêné dans ses déplacements. Seul l’apprentissage méthodiquede la bonne coordination des deux mouvements assure leur unité etgarantit une entière liberté à l’activité de la main gauche.

L’apprentissage de la coordination demande avant tout que 1’élèvecomprenne que le démanché est une constante du jeu, et que lesmouvements de la main sur la touche, qui y sont impliqués, font partieintégrante des mouvements des doigts. Toutefois, le système del’enseignement consacre souvent beaucoup trop de temps à l’apprentissaged’une seule position. Il est évident que l’élève a besoin d’une relativestabilisation du placement et du mouvement des doigts à un stadeparticulier de son apprentissage, mais il ne doit pas consacrer tous sesefforts à une seule position plus longtemps que ne l’exige l’objectif dutravail. On doit au contraire enseigner le plus tôt possible les mouvementshorizontaux de la main, qui sont liés soit aux démanchés, soit à lapréparation aux démanchés. C’est seulement dans ce cas que l’élèveassimile réellement la coordination des mouvements cités, leur unité et leurcaractère indissociable. Dans le cas contraire, l’élève assimile séparément lemouvement vertical des doigts et le mouvement horizontal de la main. Siles deux mouvements sont enseignés séparément, leur combinaisonultérieure ne sera en réalité rien d’autre que la création d’un nouvel acquisqui nécessitera obligatoirement l’élimination des deux premiers, quigénéralement font déjà partie des habitudes techniques. Cela entraîne uneperte de temps considérable et rend plus difficile la formation du nouvelacquis.

Certains enseignants recommandent d’exercer la main gauche, en“frappant” chaque note. Or, cela conduit à appuyer trop fortement sur lescordes, ce qui limite nécessairement la liberté des mouvements de la main.Ces exercices constituent donc un obstacle pour l’acquisition des habitudesdu mouvement unifié. Le procédé inverse, c’est-à-dire l’exécution brusquedu changement de position, a des répercussions tout aussi négatives.

Le mouvement réunifié exige que toutes ses composantes soientparfaitement coordonnées. Nasarov (29) a proposé un excellent systèmed’exercices afin d’y parvenir. Il s’agit de travailler la coordination entre lesdeux mouvements: on commence par le trille et les démanchés quin’impliquent qu’un seul doigt, on continue en jouant des gammes avec deuxdoigts, où les deux mouvements sont présents dans les proportionséquivalentes, et on termine par la gamme ordinaire qui englobe tout lecomplexe de mouvements. Nasarov montra qu’il était indispensabled’assimiler le mouvement unifié, c’est-à-dire de lier et de coordonner sesdifférents éléments. Cette coordination réciproque des différents élémentsest extrêmement importante, car elle permet d’assouplir et d’alléger lesmouvements de la main gauche, et donc d’atteindre une excellente qualitésonore et de résoudre entièrement le problème de l’agilité des doigts.

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La mauvaise coordination des mouvements est un problème trèsactuel. Il faut remarquer qu’elle est due en grande partie à une maîtriseinsuffisante des mouvements horizontaux, directement liés auxdémanchés. Les changements de position, qui demandent de rassembler lesdifférents éléments du mouvement en un seul, conduisent au contraire,dans le cas d’une mauvaise coordination, à la rupture de l’unité.

La notion du mouvement unifié est le fondement des méthodes detravail utilisées par les plus grands pédagogues russes. Mostras etYampolsky, par exemple, partent du schéma du déplacement de la maindans les différentes positions. Lorsque l’on commence à étudier un passage,on doit exclure, selon eux, tous les mouvements intermédiaires des doigtsd’une seule position, et ne garder que les points extrêmes de la position,c’est-à-dire sa première et sa dernière note. Ce procédé fixe l’attention del’élève sur le caractère unifié du mouvement horizontal et contribue àaffiner la sensation de contraction nécessaire et suffisante des muscles desdoigts, qui aide à réaliser ce mouvement. Si l’on fragmente le mouvementen différents éléments de manière conventionnelle, on doit garder à l’espritque c’est un procédé auxiliaire, dont l’utilisation doit être de courte durée,car la sensation du mouvement unifié ne peut être obtenue que grâce à latotalité de la ligne mélodique.

Les exemples suivants illustrent bien cette méthode. Le n°26 est tiréde l’ouvrage de Yampolsky et les n°s 27 et 28 de celui de Mostras:

Fig.26.a)

b)

c) Lalo. Symphonie espagnole, 1er Mvt

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Fig.27.a)

b)

c) Zimbalist. Fantaisie “Le coq d’or’’

Fig.28. a)

b)

Le jeu de David Oïstrakh se distinguait par une coordinationexceptionnelle des différents éléments du mouvement, et par la légèreté, laprécision et l’agilité de sa technique. Alors qu’il exécutait de longuessuccessions de notes, l’impression de souplesse générale prédominait dansle mouvement de sa main gauche, et les arrêts qui marquaient leschangements de position étaient presque imperceptibles.

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Lorsqu’il enseigne les mouvements corrects des démanchés, leprofesseur doit constamment attirer l’attention de l’élève sur la qualité deses mouvements, qui est en étroite relation avec la qualité sonore, étantdonné que les sensations et les techniques qui permettent d’atteindre lasouplesse, la légèreté et 1’élasticité dans les déplacements horizontaux de lamain, ne peuvent être obtenus que dans ces conditions. L’élaboration et laconsolidation de ce genre d’acquis détermine en grande partie, sinon entotalité, la qualité des mouvements sans laquelle le violoniste ne peut pasréaliser les portamentos souples et diversifiés de la cantilène, ni rendre leschangements de position légers et imperceptibles.

On doit commencer à travailler tous ces procédés dès que l’on débutele violon. Ils doivent être le fruit d’un enseignement régulier et méthodique.

Il faut avoir à l’esprit que, mises à part les causes purementextérieures, telles que le maintien trop serré du manche du violon, oul’appui trop important sur les cordes, qui diminuent l’aisance et l’élasticitédes mouvements de la main, la rigidité des mouvements peut être uneréaction d’habitude à ces mêmes causes. Ainsi, on peut parvenir à ce quel’élève tienne correctement le violon, qu’il n’appuie pas excessivement surles cordes, etc, mais ses doigts continueront à être contractés. Cette tensionpeut se transmettre aux articulations du poignet et du coude, ou même à laceinture humérale. Il n’est alors plus possible de compter sur la perceptiondes sensations fines qui sont indispensables au processus del’interprétation: la perception de la corde, de la distance, de la souplesse dumouvement, etc.

Ces mauvaises habitudes peuvent apparaître soit au début del’apprentissage, soit plus tard, lorsque apparaissent les premièresdifficultés. L’évaluation insuffisante et la mise en évidence tardive de cesphénomènes par l’enseignant renforce les mauvaises habitudes, et empêchesans aucun doute possible le développement de l’agilité et de l’élasticité desmouvements. Le processus pédagogique devient de ce fait beaucoup plusdifficile.

En effectuant un démanché, on doit être capable de modifier à toutmoment le placement du pouce, des autres doigts et de toute la main. Ilarrive souvent, par exemple, que le majeur qui passe de la IIIe position à laIe, (surtout dans la cantilène où le portamento doit être particulièrementexpressif), change complètement sa courbure en se dépliant dansl’articulation de la troisième phalange lorsqu’il glisse sur la corde, et qu’ilne se replie naturellement qu’après avoir cédé sa place à l’annulaire.

Les mouvements d’extension et de fléchissement du poignet au coursdes changements de position en sont aussi un excellent exemple. Au coursdu passage de la IIIe à la Ie position, on observe chez de nombreux

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violonistes le phénomène suivant: la main, guidée par l’avant-bras, devancele mouvement du doigt et se déplie légèrement dans la direction de la têtedu violon. En se redressant, elle entraîne l’index dans son mouvement.L’index glisse sur la corde et reprend finalement sa forme normale aumoment où le majeur appuie sur la corde. On l’observe encore mieux si letempo est lent. Lorsque celui-ci s’accélère, le volume des mouvements de lamain diminue, et à partir d’un tempo particulier, spécifique pour chaquevioloniste, il disparaît complètement.

Il est extrêmement difficile de prévoir tous les cas de modification dela forme des différentes parties du bras en fonction des problèmes dumouvement exécuté, à cause de la grande diversité de ces problèmes et dela diversité des adaptations techniques individuelles.

Le jeu de David Oïstrakh est l’un des exemples les plus brillants del’adaptation individuelle des différentes parties du bras au caractère dumouvement. L’aisance et la souplesse de ses mouvements lui permettaientde résoudre ces problèmes avec une étonnante facilité.

Il faut souligner que les variations de la forme des différentes partiesde la main, et les mouvements complémentaires qui en résultent, ne sonten aucun cas indépendants. Ils sont dérivés des mouvements principaux etreflètent en quelque sorte leur aisance, leur souplesse et l’absence detension de la main.

On ne doit pas travailler ces mouvements séparément de ce qui causeleur mise en place. Cela pourrait même être nuisible. En fait,l’apprentissage de l’aisance et de la souplesse des mouvements devrait fairenaître naturellement les mouvements dérivés, en leur conférant la formeprécise, dictée par les particularités d’adaptation de chaque violoniste.

C’est pourquoi on estime qu’une forme fixe de la main, indépendantedes mouvements exécutés, qu’enseignent certaines “Écoles”, n’est pas dutout justifiée. Ainsi, on ne peut pas être d’accord avec Joachim (57), parexemple, qui pense que la main doit conserver en permanence le placementde la Ie position, afin que les changements de position soient exécutéscorrectement. Selon lui, le revers de la main doit prolonger l’avant-brassans effort et l’articulation du poignet rester fixe sans se plier d’un côté oude l’autre. Les doigts, quant à eux, doivent garder leur forme “en marteau”qu’ils restent dans une seule position ou qu’ils glissent sur la corde. Onretrouve des recommandations analogues dans le manuel de Mikhaïlovsky.

La volonté de conserver la même forme de la main au cours dudéplacement est sans aucun doute à l’origine de la tension qui enlève aumouvement toute liberté et aisance et qui exclut la possibilité d’adaptationindividuelle.

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Si on ne comprend pas que la décontraction de la main se trouve à labase des mouvements corrects, on aboutit à de mauvais résultats. Lemouvement anguleux et brusque, exécuté par saccades et qui rappelleplutôt un saut qu’un glissement, est l’une des erreurs les plus répandues etles plus nocives. Parmi ses causes on trouve l’appui trop prononcé sur lacorde. Au cours du changement de position, le doigt qui appuie fortementsur la corde, se détache brusquement et s’arrête tout aussi brusquement enatteignant une nouvelle position. Cela diminue la précision des doigts etrend les changements de position bien audibles et anguleux si le tempo estrapide, et surtout si l’on doit jouer legato. Dans certains cas, cela serépercute même sur la souplesse du mouvement de l’archet.

La deuxième erreur qui aboutit à cet effet indésirable consiste àvouloir rendre imperceptibles de façon prématurée les changements deposition. Kayser (59), par exemple, ne trouve même pas nécessaired’indiquer dans son manuel que les changements de position doivent êtreexécutés en souplesse. Il note au contraire avant chaque exercice que ledémanché doit être exécuté très rapidement. Ce n’est pas par hasard queKayser recommande d’utiliser le “martelé” au début de l’apprentissage desdémanchés. Walther (11), quant à lui, a des exigences analogues.

Ces approches erronées peuvent être la source d’importantesdifficultés et d’ancrage de mauvaises habitudes dont il est délicat de sedéfaire ensuite. C’est pourquoi il est particulièrement important d’intégrerla notion de la justesse des procédés du jeu dès le début de l’apprentissage.Les explications orales concernant le mouvement que l’élève doit exécuter,prennent alors une importance capitale. Ainsi, lorsque l’on indique que ledémanché doit être exécuté rapidement, l’élève se représente généralementun mouvement brusque et non un mouvement harmonieux et souple.Donc, si l’on explique que ce mouvement est souple par essence, cettefausse représentation disparaît et l’on parvient facilement à établir laliaison sensori-motrice qui permet d’effectuer des mouvementsharmonieux. Pavlov l’a très bien montré dans son traité de physiologie oùil décrit le système secondaire des signaux. Il faut par conséquent quel’enseignant reste très vigilant pour utiliser correctement ce puissantmoyen d’action.

En conclusion, on peut recommander à l’enseignant de présenter lemouvement du démanché comme un mouvement de glissade, même si leson du glissando n’est pas toujours désirable pour le démanché et même s’ildevient quelquefois une manifestation négative. Cependant, si l’on présentele démanché de cette manière, le mouvement de l’élève sera toujours soupleet le changement de position deviendra progressivement imperceptible. Ondoit souligner d’autre part que jouer glissando au début de l’apprentissagecontribue à établir une coordination plus exacte entre les mouvements etl’ouïe, ce qui est essentiel pour la justesse de l’intonation. (Les exercices de

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changements de position par saccades compliquent au contraire la créationdes liaisons sensori-motrices nécessaires et le travail sur la précision desdistances sur la touche.) De plus ce procédé est une excellente préparationaux démanchés que l’on effectue dans la cantilène, où le contexte musicaldemande fréquemment de lier certains sons au ralenti.

Ainsi, un bon enseignement du démanché n’écarte pas le glissandotrop rapidement. Il fait au contraire appel aux glissades souples exécutéessans crispation, dont le mouvement est progressivement accéléré et allégé.Il faut toutefois se montrer d’une extrême vigilance afin que le glissando nedevienne pas une fin en soi, ce qui le ferait évoluer en une mauvaisehabitude. Mais l’apprentissage des mouvements justes en ce qui concernele démanché, ainsi que les perceptions qui y sont rattachées, renfermentl’un des éléments essentiels de la technique de la main gauche.

Nous avons déjà signalé que le travail de tel ou tel procédé estaccompagné par l’apparition et la consolidation des perceptions liées aucaractère des mouvements exécutés: à leur souplesse, leur forme, leurrapidité, etc. Les exercices appropriés permettent d’intégrer efficacementces perceptions. C’est ainsi que plus tard elles réapparaissent nonseulement lorsqu’on exécute les mouvements concernés, mais aussi au seulrappel mnémonique de ces mouvements, qui précède d’ordinaire lemouvement. Dans la pratique pédagogique ce phénomène est appelé “pré-sensation”. On doit souligner qu’un mouvement ne peut se dire acquis quelorsque apparaissent ces “pré-sensations”.

On peut citer de la même manière la “pré-audition” qui s’obtient, elle-aussi, par la pratique. Mostras (26), par exemple, écrit dans son étude quela préparation auditive qui précède le mouvement est parfaitementindispensable. Sans elle on ne peut pas résoudre le problème de la justessede l’intonation.

La “pré-sensation” et la “pré-audition”, liées et interdépendantes,appartiennent toutes les deux au même complexe d’acquis.

7. Les règles générales d’exécution deschangements de position dans la cantilène et lespassages techniques. Le rôle de la méthode objectivedans l’analyse des procédés du changement deposition. La classification de ces changements.

Les déplacements de la main gauche le long de la touche surn’importe quel instrument à cordes se font, dans la grande majorité des cas,au moyen du glissement du doigt sur la corde. Les seules exceptions sont

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certains changements de position qui seront examinés ultérieurement, (cfchap.9). Le glissement assure également le lien ininterrompu avecl’instrument et facilite à l’interprète la perception des distances.

La littérature pédagogique présente un point de vue dont Flesch (41)notamment est le défenseur. Il divise tous les changements de Position endeux catégories les “techniques” et les “spécialement expressifs”, selon laterminologie de Flesch. Les changements de position doivent être exécutésdifféremment: la notion du glissando ne concerne que les “techniques”, alorsque les “spécialement expressifs” sont réunis sous la notion du portamento.

Or, le glissando serait plutôt un moyen d’expression esthétique, et siparfois il doit être rendu imperceptible, il est la condition même del’expressivité dans d’autres cas.

C’est pourquoi cette division de principe en changements de position“expressifs” et purement “techniques”, est à notre avis erronée. Lesexigences concernant le caractère de la sonorité des passages, à premièrevue purement techniques, sont déterminées d’une part par la volonté derendre inaudibles les changements de position, et d’autre part par lescaractéristiques sonores des passages pris dans le contexte de la totalité del’œuvre.

On doit attirer l’attention du lecteur sur le fait que les portamentos etles glissandos sont enseignés selon des méthodes très semblables.L’acquisition de la souplesse et de l’élasticité se trouve à la base desmouvements qui concernent les changements de position. Nombreux sontles enseignants qui en partant du principe que “les changements deposition doivent être imperceptibles” défendent à leurs élèves débutants delier les sons. Cela a pour conséquence de produire le résultat contraire àcelui qui est espéré, car l’élève acquiert l’habitude des mouvementsbrusques, par saccades, qui rendent finalement les changements deposition parfaitement perceptibles.

L’analyse du portamento, comme d’un moyen d’expression particulier,et de ses règles d’exécution pousse certains auteurs sur la voie de laschématisation. Alard (1), par exemple, considère que les changements deposition doivent être effectués avec légèreté et agilité si l’on joue allegro, etplus lentement si l’on joue adagio, mettant en quelque sorte en relation lecaractère de l’exécution et la valeur des notes. Mais dans la cantilène onrencontre un grand nombre d’exemples de changements de position quel’on effectue rapidement ou lentement en fonction du caractère de lamusique et non en fonction du tempo qui reste le même.

Becker (6) a fait une tentative semblable: il a classé le portamento entrois catégories en fonction du degré de son audibilité, (inaudible, faible et

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fort), ainsi que le caractère du portamento, (“lyrique” ou “héroïque”), enfonction du doigté. On développera cette question plus loin. Il estparfaitement clair qu’étant donné que la classification proposée duportamento ne tient compte que de son degré d’audibilité et ignore saqualité sonore et son caractère, cette classification est une approchepurement mécanique. De la même manière, il serait faux de mettre enrelation le caractère sonore du portamento et le doigté du changement deposition.

De nombreux exemples illustrent le changement de position queBecker appelle “lyrique” et qui peut devenir très énergique ou pathétique,(par exemple dans une aria de Bach interprétée par Zeitlin), et inversement,un changement de position “héroïque” qui, lorsqu’il est exécuté “piano”,prend le caractère lyrique.

Les tentatives d’établir de telles règles restent infructueuses, car il estimpossible de schématiser, d’une manière ou d’une autre, toute la diversitédes procédés esthétiques en général et celle du portamento en particulier.Cette diversité est déterminée par la multiplicité des problèmes esthétiqueset des contenus musicaux, par le style des œuvres et par la manière dontl’interprète perçoit le caractère et les nuances de la sonorité, le phrasé, lesinterrelations des éléments du tissu musical, etc.

L’interprète ne peut évidemment exécuter les portamentos ensouplesse que s’il maîtrise parfaitement la technique des changements deposition. Et bien que le rôle principal dans la liaison sonore appartienne àl’ouïe, la perception auditive ne peut pas toujours indiquer le procédépurement technique de la liaison qui assure la meilleure qualité sonoredans un cas donné.

Dans le but d’établir les règles générales d’exécution des démanchés,nous avons examiné la liaison entre les sons qui font partie d’un tissumusical précis, la liaison existant entre les sons pris arbitrairement et lacombinaison des deux.

Les recherches ont été menées à l’aide d’un oscillographe. Lesrésultats obtenus seront présentés dans le chapitre suivant du présentouvrage. (Le déchiffrage des oscillogrammes a été réalisé parSakhaltouïeva, membre du Laboratoire Acoustique de Moscou, rattaché auConservatoire Tchaïkovsky.)

Dans ce travail, nous séparons les démanchés en différentescatégories en fonction des propriétés de leur exécution.

Le fondement de cette subdivision est la classification présentée dansl’”École” du violoncelle de Davydov (17). D’après cette classification, on

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définit quatre catégories principales de démanchés: 1) le démanché esteffectué d’un seul doigt; 2) une corde à vide se trouve entre la position dedépart et la position d’arrivée; 3) la première note de la position d’arrivéeest jouée avec un doigt “supérieur” au doigt qui joue la dernière note de laposition de départ; 4) la première note de la position d’arrivée est jouéeavec un doigt “inférieur” au doigt qui joue la dernière note de la position dedépart.16

Davydov ne se limite pas seulement à classer les démanchés. Ilpropose également des procédés d’exécution pour chaque type dechangement de position qui lie les notes jouées sur les différentes cordes, etpour les changements de position qui utilisent les flageolets.

Nous proposons donc la classification suivante des démanchés :

le catégorie. Les démanchés effectués en faisant glisser un seul doigt.

2e catégorie. Les démanchés effectués du doigt inférieur au supérieur,et inversement, lors du mouvement descendant.

3e catégorie. Les démanchés effectués du doigt inférieur au supérieurlors du mouvement ascendant, en faisant glisser le doigt supérieur.

4e catégorie. Les démanchés effectués du doigt supérieur à l’inférieurlors du mouvement descendant, et inversement, du doigt inférieur ausupérieur lors de ce même mouvement.

Il existe d’autres catégories de démanchés qui sont réalisés sans leglissement de liaison, tels que les démanchés effectués simultanément avecun changement de corde, les changements de position effectués à l’aide del’extension ou du rapprochement des doigts, et les démanchés fondés surl’utilisation des flageolets. On peut indiquer de plus un type particulier dedémanché lié à l’exécution de séquences de notes, le plus souventchromatiques, au moyen du glissando.

Les quatre premières catégories de démanchés ont étéminutieusement étudiées par la méthode oscillographique. Cette étude aabouti à des résultats intéressants, tout particulièrement en ce qui concernela mise en évidence des propriétés du caractère de leur exécution. Ledéchiffrage des oscillogrammes a permis de présenter les schémas inclusdans le chapitre suivant.

16 Le doigt est désigné comme “supérieur” ou “inférieur” en fonction de sonplacement sur la touche. Ainsi, le majeur est “supérieur” à l’index, l’annulaireest “supérieur” au majeur et à l’index, l’index est “inférieur” au majeur, etc.

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8. Les propriétés du caractère d’exécution desdifférents démanchés. La dépendance des procédésd’exécution des exigences artistiques.

Chaque catégorie de démanché a ses caractéristiques propres. Aucours de l’analyse, menée afin de mettre en évidence les différentescaractéristiques de la manière la plus détaillée et la plus objective possible,nous avons effectué une série d’enregistrements oscillographiques desdémanchés de la le, 2e, 3e et 4e catégorie, exécutés par des violonistesremarquables: F. Oïstrakh, Rabinovitch et Tsiganov. Les données recueilliesont été présentées sous forme de graphiques pour plus de commodité.

Dans tous les graphiques, la hauteur du son est représentéeverticalement, chaque division correspondant à un demi-ton, et la duréehorizontalement, chaque division correspondant à une fraction de seconde,variable selon les graphiques. D’autre part on prend soin de noter la duréetotale du démanché, ce qui est capital pour pouvoir déterminer soncaractère.

Les démanchés de la le catégorie.

Au cours de l’étude oscillographique des procédés d’exécution desdémanchés de ce type, nous avons analysé en premier lieu le changementmi- sol indépendamment de tout contexte musical. Comme on le voit sur leschéma, l’exécution de ce démanché, effectué par Tsiganov, commencelentement et se termine par une accélération importante du glissement dupouce, (schéma 1).

On observe un phénomène analogue au cours du démanché inversesol-mi lorsque la main glisse de haut en bas. Dans ce cas également, lesdémanchés exécutés par Oïstrakh, (schéma 2), et par Tsiganov, (schéma 3),se distinguent par une même caractéristique: un début lent suivi d’uneaccélération plus ou moins significative.

Schéma 1. 1 division = 0,03 s.17 Durée totale du démanché = 0,09 s.

17 s = seconde

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Schéma 2. 1 div. = 0,01 s. Durée du démanché 0,23 s.

Schéma 3. 1 div. = 0,014 s. Durée du démanché 0,124 s.

Les changements du même type ont été analysés ensuite, mais cettefois dans un contexte musical précis.

Les différentes liaisons exécutées par Oïstrakh, (schéma 4),Rabinovitch, (schéma 5), et Tsiganov, (schéma 6), ont été étudiées dans lemême but. L’extrait est tiré de l’introduction du Concerto pour violon deTchaïkovsky. Bien que l’approche des interprètes diffère, le caractère decette liaison est sensiblement le même, le début lent du glissement du doigtest suivi d’une accélération. Les particularités individuelles de l’exécution dece changement de position ont des répercussions sur la durée totale duprocessus, sur le moment de l’accélération et sur l’intensité de cettedernière.

Schéma 4. 1 div. = 0,03 s. Durée du démanché = 0,086 s.

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Schéma 5. 1 div. = 0,04 s. Durée du démanché = 0,3 s.

Schéma 6. 1 div. = 0,04 s. Durée du démanché = 0,37 s.

Le caractère analogue de la liaison des sons se retrouve dans lachangement de position suivant, (l’extrait est tiré de la “Sérénade” deTchaïkovsky; Schéma 7: Tsiganov / schéma 13: Rabinovitch / schéma 9:Oïstrakh):

Schéma 7. 1 div. = 0,015 s. Durée du démanché = 0,135 s.

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Schéma 8. 1 div. = 0,03 s. Durée du démanché = 0,18

Schéma 9. 1 div. = 0,014 s. Durée du démanché = 0,157 s.

L’accélération du mouvement du doigt se produit même lorsque lecaractère du contexte musical exige une liaison plus souple des sons, ce quiest illustré par les schémas 10, (Oïstrakh), et 11, (Tsiganov). Extrait de “LaCanzonetta” de Tchaïkovsky:

Schéma 10. 1 div. = 0,023 s. Durée du démanché = 0,095 s.

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Schéma 11. 1 div. = 0,02 s. Durée du démanché = 0,29 s.

On constate ainsi que l’accélération du glissement du doigt à la fin duchangement de position est un trait caractéristique des démanchés de la lecatégorie.

L’accélération est provoquée principalement par des exigencesesthétiques de la sonorité. On peut facilement le mettre en évidence. Ilsuffit d’empêcher l’apparition de cette accélération au cours d’un telchangement de position pour qu’il perde sa netteté et devienne flou, et pourque le glissando revête le caractère dominant. (Quant aux démanchés de la2e catégorie, l’émergence de la deuxième note reste nette parce que l’onpose le doigt concerné dans la position “d’arrivée”; c’est pourquoi il devientmoins impératif d’accélérer le mouvement).

Les démanchés de la le catégorie sont les plus simples. Mais leurexécution correcte présente tout de même certaines difficultés.

L’un des défauts les plus répandus que l’on remarque chez lesdébutants est l’absence de souplesse en début de mouvement, ou aucontraire l’absence de l’accélération. Dans le premier cas le démanché estnettement saccadé et dans le deuxième cas il possède un timbre désagréable.

La mise en évidence des lois d’exécution de ces démanchés peut aiderles enseignants à concrétiser leurs indications.

Dans les séquences de notes rapides, le début lent suivi del’accélération peut être exprimé moins distinctement en raison de la vitessed’exécution. Mais le moyen d’apprentissage des procédés d’exécution desdémanchés, qui permet d’acquérir un début de mouvement souple etserein, laisse son empreinte sur le caractère des changements de positionrapides en leur conférant la souplesse et l’élasticité nécessaires.

L’aisance de l’exécution des démanchés de la le catégorie dépenddirectement du degré d’appui du doigt sur la corde.

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Ainsi, il est indispensable de diminuer l’appui du doigt afin de conserverl’aisance maximale au moment du changement de position, et surtoutlorsque la distance ou la vitesse du démanché augmente.

Cependant, il faut garder à l’esprit le fait que chez les débutants qui nemaîtrisent pas encore parfaitement ce procédé, il peut conduire à un résultatcontraire à celui qui était espéré: diminuer l’appui de façon trop importantepourrait ralentir le mouvement. Lorsque le doigt se soulève légèrement pourexécuter le démanché et qu’il se pose à nouveau sur la corde au moment oùla note suivante est atteinte, il exécute un mouvement “dans la touche”, selonl’expression de Yampolsky, et non pas “sur la touche”. C’est justement ce quiralentit le mouvement. On observe fréquemment ce phénomène au niveau del’auriculaire lorsque l’on joue les octaves.

L’appui du doigt devient caractéristique lorsqu’on utilise le flageoletpour exécuter un démanché (cf ex. 29).

Fig.29. Taneïev. Thème avec variations.

Nous considérons que l’affaiblissement progressif de l’appui du doigt,couramment conseillé dans ce cas, n’est pas rationnele. Le doigt doitappuyer normalement sur la corde durant tout le glissement et ne sesoulever qu’au dernier moment. Cela permettra d’obtenir une grandeprécision et une sonorité irréprochable du flageolet.

La catégorie des démanchés utilisant le flageolet est liée auxportamentos de caractère différent, et constitue un moyen d’expressionlargement employé.

Dans les exemples ci-dessous le glissando du flageolet, (mis en reliefpar la main droite), confère aux passages un caractère de bravoure et debrio.

Fig.30. Glazounov. Concerto

Le même démanché, mais lié à un portamento exécuté différemmentet associé à un mouvement plus souple de la main droite, rend la sonoritéplus coquette et plus gracieuse.

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Fig.31. Rimsky-Korsakov. Mazurka

Il est relativement rare dans la pratique de voir les démanchés de la lecatégorie parallèlement associés au changement de corde. Dans ce cas, onmodifie généralement le doigté, si cela est possible, afin d’améliorer lasonorité.

Lesmann (23) montrait que lors d’un tel démanché, le doigt devaitchanger de corde au même moment que l’archet. Il nous semble que leprocédé proposé par Zeitlin est plus justifié. Il propose de se préparer aupréalable à jouer une quinte, c’est-à-dire de poser le doigt sur les deuxcordes en même temps. Dans ce cas, le démanché se fait uniquement avecl’archet. Nous considérons que lorsque le démanché coïncide avec lechangement de coup d’archet, il est possible d’utiliser un autre procédé: ils’agit de faire glisser le doigt sur la corde où l’on joue la note initiale si leglissando se rapporte au coup d’archet initial, et inversement, de faireglisser le doigt sur la corde de la note finale si le glissando se rapporte aucoup d’archet suivant. Lorsque le démanché coïncide non seulement avecun changement de corde mais aussi avec l’activité des autres doigts,(accords, doubles-cordes), le seul procédé possible est alors de faire glisserle doigt sur la corde initiale et de le transférer ensuite.

L’expressivité particulière et l’harmonie des démanchés exécutés avecun seul doigt s’expliquent par leur ressemblance avec le portamento vocal,(il faut, dans la mesure du possible, essayer de parvenir au même résultatavec les autres démanchés). Cela explique également l’utilisation large quel’on fait des démanchés de la le catégorie dans le but d’atteindre uneexpressivité plus marquée.

L’utilisation des démanchés examinés ci-dessus, comme de n’importequel autre procédé, se trouve en grande partie liée au style personnel del’interprétation. Ainsi Zeitlin, dont le jeu se distinguait par l’ampleur, lapuissance et la plénitude, exécutait le portamento un peu au ralenti, ce quiconférait à ses démanchés une sonorité éclatante et profonde. Par exemple:

Fig.32. Beethoven. Concerto, 2e mouvement

Kreisler, dans son “Caprice viennois”, donne à la sonorité d’un teldémanché un caractère légèrement nerveux et sensuel, qui traduit de façonorganique sa manière d’interpréter cette pièce.

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Fig.33. Kreisler. “Caprice viennois”

Le démanché suivant, souvent utilisé par Oïstrakh, prend une touteautre coloration et devient lyrique. Le procédé caractéristique employé parOïstrakh dans ce cas est le glissando descendant qu’il joue avec l’index:

Fig.34. Rakov. Concerto, 1er mouvement

Fig.35. Kabalevsky. Concerto, 3e mouvement

Les démanchés de la 2e catégorie.

Avant de commencer l’analyse des démanchés de la 2e catégorie, onse doit de remarquer que la grande majorité des manuels, comme celuid’Alard (1), de Woldan (72), de Voicu (12), de Jockisch (58), de Koeckert(60), de Mikhaïlovsky (25), de Radmall (68), de Flesch (41) et de beaucoupd’autres, reproduit l’opinion bien établie que l’on doit exécuter cesdémanchés à l’aide de notes appelées auxiliaires ou intermédiaires. Onentend par note auxiliaire celle qui correspond au placement du doigtinitial, (le doigt qui effectue le glissement de liaison), dans la nouvelleposition:

Fig. 36. a) b)

c) d)

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L’analyse oscillographique des démanchés de cette catégorie montreclairement quelles sont les limites réelles du mouvement du doigteffectuant la liaison, et dans quelle mesure la note atteinte correspond à lanote dite auxiliaire.

Le schéma 12 illustre le changement de position mi-si, exécuté parOïstrakh. Comme le montre la courbe, le doigt qui établit la liaison n’atteintque la note fa#, alors que la note auxiliaire correspondant à ce changementde position est sol. Par conséquent, le doigt qui exécute le mouvement deliaison est resté un demi-ton plus bas que la note auxiliaire.

Schéma 12. 1 div. = 0,013 s. Durée du démanché = 0,142 s.

On constate une coupure un peu plus importante lorsque ce mêmedémanché est exécuté par Tsiganov, (schéma 13) :

Schéma 13. 1 div. = 0,02 s. Schéma 14. 1 div. = 0,013 s.Durée du démanché = 0,089 s. Durée du démanché = 0,13 s.

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On met nettement en évidence une coupure semblable pour un autredémanché effectué sur la même distance do-sol, (schéma 14). Comme lemontre la courbe, le doigt qui exécute la liaison n’atteint que la note ré, etencore reste-t-il un quart de ton en dessous, alors que la note auxiliaire estthéoriquement mi. Par conséquent, la coupure dépasse ici un ton.

On doit toutefois remarquer que lors d’autres démanchés effectuéssur cette même distance, le doigt atteint parfois la note auxiliairecorrespondante. Les schémas 15, (Oïstrakh), et 16, (Rabinovitch),permettent d’analyser le changement de position fa- b, (extrait tiré de la“Sérénade” de Tchaïkovsky) :

Schéma 15. 1 div. = 0,023 s. Durée du démanché = 0,0117 s.

Schéma 16. 1 div. = 0,042 s. Durée du démanché = 0,42 s.

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Dans un autre cas, l’analyse du changement de position sol #- si(extrait tiré du concerto de Rakov), effectué par Oïstrakh (schéma 17),montre une coupure d’un ton, ce qui est considérable; tandis que Tsiganov(schéma 18) en exécutant ce même changement de position atteintpratiquement la note auxiliaire.

Schéma 17. 1 div. = 0,016 s. Durée du démanché = 0,096 s.

Schéma 18. 1 div. = 0,026 s. Durée du démanché = 0,133 s.

Si la coupure n’est pas présente de façon absolue pour les démanchésde courte distance, elle devient parfaitement distincte et constante lorsquela distance augmente, comme on le voit d’après les analyses suivantes. Parexemple, le changement de position d’une septième inclut une coupured’un ton, et même quelquefois davantage, (schémas 19, 20 et 21).

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Schéma 19. 1 div. = 0,013 s. Durée du démanché = 0,173 s.

Schéma 20. 1 div. = 0,025 s. Durée du démanché = 0,3 s.

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Schéma 21. 1 div. = 0,013 s. Durée du démanché = 0,106 s.

On observe une coupure encore plus importante au cours desdémanchés d’une dixième. Par exemple, pour le démanché mi-sol,(concerto N°5 de Vieuxtemps), elle dépasse un ton et demi, (schéma 22:Rabinovitch, schéma 23: Tsiganov):

Schéma 22. 1 div. = 0,03 s. Durée du démanché = 0,17 s.

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Schéma 23. 1 div. = 0,013 s. Durée du démanché = 0,187 s.

La coupure atteint même quatre tons et demi lors du démanché d’unedixième, fa#-la, effectué par Rabinovitch dans la “Tarentelle” de Wieniawski(schéma 24) :

Schéma 24. 1 div. = 0,03 s. Durée du démanché = 0,13 s.

L’analyse oscillographique montre donc que l’utilisation de notesauxiliaires n’est pas impérative pour les démanchés de la 2e catégorie. Cetteconclusion concerne dans la même mesure les changements de positionspris dans un contexte musical concret et les changements de positionaléatoires.

D’autre part, il résulte des schémas que le début des démanchés decette catégorie est généralement légèrement ralenti, par rapport àl’accélération du glissement qui se produit ensuite. Ce phénomène esttoutefois moins marqué que pour les démanchés de la le catégorie. Ilconstitue cependant une condition indispensable pour assurer l’élasticité etla souplesse de l’exécution.

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La spécificité des démanchés de ce type, liée à la qualité de lasonorité, est l’affaiblissement progressif de l’appui du doigt jusqu’à soncomplet redressement au moment où l’on pose le doigt suivant. Mais danscertains cas, lorsqu’il est indispensable de préparer la note suivante,(comme pour un démanché avec glissando), l’affaiblissement de l’appui dudoigt peut se faire sans soulever le doigt de la corde.

Si l’on effectue le démanché à l’aide de la note auxiliaire, le doigt doitglisser jusqu’à cette note en appuyant fermement, et ce n’est qu’après quele doigt suivant se met à sa place. Mais ce procédé fait nettement ressentirle moment final du glissement de liaison et la coupure de la liaison desnotes à la fin du glissement, même lorsque la note auxiliaire resteimperceptible grâce à l’appui bien synchronisé du doigt suivant.

L’utilisation des notes auxiliaires, recommandée par beaucoupd’enseignants et par Lesmann en particulier, et soutenue par la littératurespécialisée, se fonde sur l’idée répandue que cette méthode facilitel’exécution des démanchés de toutes les catégories, en les assimilant ensomme aux démanchés effectués avec un seul doigt. Nous estimons qu’il estextrêmement utile de faire des comparaisons entre les démanchés de la leet de la 2e catégorie, mais il est alors nécessaire de fixer l’attention de l’élèvenon pas tant sur l’identité des mouvements du doigt qui effectue la liaison,(dans ce cas : l’index), que sur ses dissemblances.

En ce qui concerne les démanchés de la 2e catégorie où les notes liéessont jouées sur des cordes différentes, (fig. 37), le moyen d’exécution restele même, c’est-à-dire que le caractère du mouvement du doigt qui effectue laliaison est entièrement conservé, seul le doigt suivant est posé sur la cordecorrespondante. Cela concerne également les démanchés de la 2e catégoriequi comprennent un flageolet et sont effectués dans le sens ascendant, (fig.38). Mais lorsque le sens est descendant, (fig. 39), le moyen d’exécutiondiffère. En effet, le doigt qui établit la liaison appuie sur la corde à l’instantoù il commence à glisser et pas avant. Ensuite, le glissement garde soncaractère habituel en diminuant progressivement l’appui.

Fig. 37. Fig. 38. Fig. 39.

Les démanchés de la 3e catégorie.

Toute une série de manuels, et surtout les manuels des écolesclassiques du siècle dernier, recommandaient de ne pas utiliser lesdémanchés de la 3e catégorie, et les considéraient même “anti-esthétiques

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et de mauvais goût”, selon l’expression de Yampolsky (45, p.108). À ce sujet,Spohr (71), par exemple, arrive à une conclusion fort catégorique. Ildemande de ne pas utiliser le glissement du doigt qui suit le doigt effectuantle démanché, car ce moyen ne permet pas d’éviter un effet sonoredésagréable. David (49) , Alard (1) et d’autres, refusent d’utiliser cesdémanchés en tant que moyen d’expression et ne l’admettent que rarement,comme un moyen purement technique qui facilite la résolution desproblèmes bien spécifiques. David note que le glissement du doigt qui jouela deuxième note n’est possible que “dans des cas exceptionnels et dans lessauts importants vers les positions supérieures”. Alard écrit de même queles démanchés de ce type ne peuvent être employés que comme exception,(à la place des démanchés de la 2e catégorie), et uniquement lorsque lesnotes liées sont séparées les unes des autres par une ou plusieurs cordes. Cen’est plus alors le doigt initial qui exécute le glissement mais un autre doigt.

De notre point de vue, le démanché de cette catégorie est l’un desmoyens expressifs les plus originaux. Sa particularité caractéristique n’estplus le début net de la deuxième note, mais un début plus délicat etprogressif. Varier son exécution permet de multiplier les nuances de lasonorité: elle devient allusive, intime, remplie d’émotion, de passion, etc.C’est pourquoi cette méthode, qui a été largement employée par un nombreconsidérable de violonistes de renom, est souvent irremplaçable. Il fauttoutefois souligner qu’il n’est possible de l’utiliser que pour les démanchésascendants, car au cours du mouvement descendant elle donne desrésultats sonores médiocres.

On doit ajouter qu’en ce qui concerne les “sauts” importants, (etsurtout les flageolets), ou encore le saut de la main gauche faitsimultanément avec le changement d’une ou deux cordes, ce démanchédonne le plus souvent une bien meilleure garantie de jouer juste que leprocédé inverse qui utilise le glissement du doigt initial.

L’utilisation des démanchés de ce type se limite toutefois aux cas cités.Ils sont essentiels dans la cantilène, dont ils font partie en tant que moyenparticulier d’expression, déterminé par le contexte musical. Cependant, ilreste impossible de les utiliser dans les séquences de notes rapides, car ilsne permettent pas de rendre précise la succession de notes, en raison dudébut flou des notes qui les caractérise. C’est pourquoi nous estimons quece changement de position ne doit pas être utilisé au début del’apprentissage puisqu’il demande, en tant que procédé particulierd’expression esthétique, un haut niveau technique et un goût musicaldéveloppé.

En analysant la question de la possibilité d’utilisation des démanchésde la 3e catégorie, Flesch (41) partait de l’utilisation obligatoire des notesauxiliaires, (fig. 40):

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Fig. 40.

(faux) (juste)Toutefois les enregistrements oscillographiques montrent que pour ce

démanché, (extrait tiré du Concerto de Glazounov et du Concerto n°5 deVieuxtemps, interprétés par Oïstrakh, Rabinovitch et Tsiganov), leglissement de liaison ne débute jamais par une note auxiliaire, (voir lesschémas ci-dessous). Dans tous les cas sans exception ce glissement débuteplus ou moins près de la deuxième note et constitue, selon l’expression deMostras, “une passerelle” qui conduit à cette note.

Par exemple, le glissement du démanché effectué par Rabinovitchcommence un demi-ton avant la deuxième note et non pas à la distanced’une tierce majeure qui aurait correspondu à la note auxiliaire, (schéma25: Concerto de Glazounov):

Schéma 25. 1 div. = 0,04 s. Durée du démanché = 0,38 s.

On observe un phénomène analogue avec d’autres interprètes :Oïstrakh, (schéma 26), et Tsiganov, (schéma 27):

Schéma 26. 1 div. = 0,02 s. Durée du démanché = 0,15 s.

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Schéma 27. 1 div. = 0,034 s. Durée du démanché = 0,25 s.

L’analyse du changement de position tiré du concerto n°5 deVieuxtemps a conduit aux résultats suivants: le début du glissement chezTsiganov, (schéma 28), se produit une tierce avant la deuxième note au lieude la quarte attendue, et chez Oïstrakh, (schéma 29), et Rabinovitch,(schéma 30), à une distance dépassant légèrement la seconde majeure:

Schéma 28. 1 div. = 0,034 s. Durée du démanché = 0,29 s.

Schéma 29. 1 div. = 0,02 s. Durée du démanché = 0,133 s.

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Schéma 30. 1 div. = 0,03 s. Durée du démanché = 0,17 s.

Flesch notait qu’il était possible d’effectuer ces changements deposition sans les notes auxiliaires, mais rapportait ces cas aux“portamentos-fantaisies libres” qui n’étaient que des “moyens d’expressionindividuelle”. Par exemple, Flesch considère que le début du glissement,rapproché au maximum de la note suivante, est un moyen techniquepersonnel du violoniste Jacques Thibaud. Cependant, on voit d’après lesschémas ci-dessus que lorsque le début du portamento ne coïncide pas avecla note auxiliaire, on ne peut, surtout pas parler de “moyen” techniquecaractéristique de tel ou tel violoniste.

On rencontre toutefois des cas où le glissement ne commence pas à lanote auxiliaire mais avant:

Fig. 41. Wieniawski. Concerto N°2, 3e mouvement

Pour cet extrait Zeitlin recommande de rapprocher le 3e doigt du 1erpuis de faire glisser le 3e doigt sur toute la touche, de la note initiale à lanote finale. L’accélération du mouvement de l’archet et l’augmentation del’appui sur les cordes a une grande importance pour ce type de démanché.L’utilisation de ce procédé est dictée par le caractère du contexte musicalqui demande, notamment dans ce cas, beaucoup de brio et de tensionémotionnelle pour souligner la transition à un nouveau thème.

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Si l’on compare les deux exemples précédents, on constate aisémentque tous les interprètes jouent le portamento plus lentement dans ledeuxième cas que dans le premier. Il ne fait aucun doute que la différenceprincipale réside dans le caractère même du contexte musical, plus sensuelet sentimental chez Vieuxtemps, et plus noble et sévère chez Glazounov.

Nous pouvons donc conclure que le caractère du mouvement dudémanché de la 3e catégorie, doit être déterminé non pas en fonction del’utilisation de la note auxiliaire mais en fonction des particularités ducaractère de la musique qui exige une sonorité bien définie.

L’appui du doigt en mouvement varie au cours du changement deposition; cependant, contrairement aux démanchés de la 2e catégorie, ilaugmente au fur et à mesure du rapprochement de la note suivante.Lorsque le démanché et le changement de corde se font simultanément, ledoigt effectue la liaison sur la corde où se trouve la note suivante.

Les démanchés de la 4e catégorie.

Deux points de vue prédominent dans la littérature spécialiséeconcernant les démanchés ascendants de la 4e catégorie. Ils sont tous lesdeux fondés sur l’utilisation de notes auxiliaires mais ils diffèrent quant àla manière de les utiliser.

Le premier point de vue est exposé dans les manuels allemandsclassiques de David (49), de Joachim (57) et d’autres. Ils proposentd’effectuer le démanché à l’aide de la note auxiliaire dite “supérieur”(fig.42). Dans ce cas, remarque Joachim, le dernier doigt qui reste sur lacorde avant le le changement de position, glisse pour atteindre finalementla position de la note désirée.

Fig. 42.

L’autre point de vue est fondé sur l’utilisation de la note auxiliaire“inférieure” (fig.43). Il fut développé par Flesch (41) et reçut plus tard unelarge diffusion grâce aux manuels de Sevcik (43), Woldan (72) et d’autres.

Fig. 43.

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En réalité, les deux méthodes étaient aussi peu justifiées l’une quel’autre même si leur but était d’assurer une liaison souple des notes. Le sensmusical et l’expressivité du démanché étudié réside dans l’établissementd’une liaison ininterrompue entre les sons. C’est pourquoi, le glissando n’ya pas sa place, qu’il sorte des limites des notes liées si l’on utilise la noteauxiliaire “supérieure”, ou qu’il commence en-dessous de la note initiale sil’on utilise la note auxiliaire “inférieure”.

L’analyse oscillographique des démanchés de ce type montre que dans lapratique on ne se sert ni de notes auxiliaires “supérieures” ni des “inférieures”.

On a analysé séparément deux changements de position: fa- do (schémas31 et 32 / interprètes: Tsiganov et Rabinovitch), et si-la (schéma 33: Oïstrakh).

Comme on peut le voir, la note auxiliaire “supérieure’’ et la noteauxiliaire “inférieure” ne sont utilisées dans aucun cas. Sinon la courbereprésentant le glissement de liaison dévierait vers le haut ou vers le bas endehors des limites des notes liées:

Schéma 31. 1 div. = 0,023 s. Durée du démanché = 0,25 s.

Schéma 32. 1 div. = 0,019 s. Durée du démanché = 0,228 s.

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Schéma 33. 1 div. = 0,025 s. Durée du démanché = 0,15 s.

On observe un phénomène analogue pour un démanché pris dans uncontexte musical précis, comme le montrent les trois oscillogrammes ci-dessous. Le changement de position est tiré de l’extrait du concerto deGlazounov, (schéma 34: Rabinovitch / schéma 35: Oïstrakh / schéma: 16Tsiganov). On constate qu’aucun des trois interprètes n’a utilisé les notesauxiliaires:

Schéma 34. 1 div. = 0,03 s. Durée du démanché = 0,12 s.

Schéma 35. 1 div. = 0,022 s. Durée du démanché = 0,132 s.

Schéma 36. 1 div. = 0,022 s. Durée du démanché = 0,198 s.

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La courbe qui représente le glissement de liaison est soit une lignecontinue, soit elle s’en rapproche fortement. Comme on l’a déjà souligné, laligne continue est 1’une des caractéristiques des démanchés de la lecatégorie qui sont effectués avec un seul doigt. étant donné que dans lesdémanchés de la 4e catégorie, la note initiale est jouée d’un doigt et lasuivante d’un autre, on peut supposer que dans ce cas on alterne les doigtsau cours du glissement. D’autre part, plus l’alternance est harmonieuse etplus elle se fond dans le mouvement général du bras, plus la courbe duchangement de position se rapproche de la ligne continue. On peut doncdire, d’après le schéma 32, que le mouvement général de la main estlégèrement ralenti, et que le doigt qui effectue le remplacement refait letrajet déjà parcouru par le doigt précédent, même si la distance n’est qued’un quart de ton environ. Le schéma 35 illustre le phénomène inverse: lemouvement de la main est légèrement accéléré, et le doigt qui effectue leremplacement est déporté un peu plus loin au lieu de reprendre le glissandoau même endroit. C’est pourquoi une légère interruption apparaît sur leschéma. Cependant ces interruptions sont si peu significatives et d’une sicourte durée, qu’elles ne sont perçues que par un appareil de mesure trèssensible. On pourrait supposer que dans des conditions de jeu plusdifficiles, lorsque le changement de position n’est pas exécuté par des doigtsvoisins mais par des doigts “extérieurs”, (le Ier et le 4e), l’utilisation denotes auxiliaires soit indispensable. On peut étudier ce problème à l’aide dedonnées oscillographiques, (voir schémas 37 à 43).

Pour les changements de position aléatoires sol-si, (schéma 37:Rabinovitch), et ré-la, (schéma 38: Oïstrakh), joués par le troisième et lepremier doigt, les notes auxiliaires n’ont pas été utilisées. On constate lamême chose pour le changement de position aléatoire la- ré, (schéma 39:Rabinovitch), joué par les doigts “extérieurs”, (du quatrième vers lepremier).

De plus, comme on le voit sur les schémas, le glissement de liaison nedévie ni vers le bas, ni vers le haut en dehors des limites des notes liées.

Schéma 37. 1 div. = 0,016 s. Durée du démanché = 0,096 s.

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Schéma 38. 1 div. = 0,017 s. Durée du démanché = 0,153 s.

Schéma 39. 1 div. = 0,017 s. Durée du démanché = 0,229 s.

Ainsi, on voit clairement que les notes auxiliaires ne sont pas utiliséesen tant que moyen d’exécution des changements de position quelque soientles doigts qui les effectuent.

Les oscillogrammes le confirment entièrement. Les schémas suivantsmontrent l’analyse des extraits tirés du “Scherzo-tarentelle” de Wieniawski(schéma 40: Tsiganov / schéma 41: Rabinovitch / schéma 42: Oïstrakh) et del’”Introduction et tarentelle” de Sarasate (schéma 43 : Rabinovitch).

Schéma 40. 1/2 div. = 0,022 s. Durée du démanché = 0,37 s.

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Schéma 41. 1 div. = 0,03 s. Durée du démanché = 0,09 s.

Schéma 42. 1 div. = 0,019 s. Durée du démanché = 0,28 s.

Schéma 43. 1 div. = 0,03 s. Durée du démanché = 0,21 s.

On remarque que certains démanchés qui ne sont pas joués par desdoigts voisins, (voir schémas 37, 38, 40 et 42), sont représentés par unecourbe comportant une interruption. Cette interruption est due auxparticularités de coordination des mouvements de la main, dont fait aussipartie le remplacement d’un doigt par un autre.

Ainsi, le mouvement de translation de la main est plus rapide dans leschangements de position illustrés par les oscillogrammes 37, 38 et 42, cequi déporte le deuxième doigt au-delà du point où le doigt initial termineson glissement.

L’oscillogramme 40 illustre le phénomène inverse: le mouvement detranslation relativement lent de la main force le deuxième doigt à reprendreune partie de la trajectoire du doigt initial.

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Les oscillogrammes 39 et 43 sont des exemples intéressants d’unecoordination de type intermédiaire, la trajectoire du doigt initial“supérieur” n’est pas reprise par le doigt qui le suit au cours du mouvementde translation de la main; le doigt “inférieur” n’est pas non plus déporté au-delà du point de la touche où le doigt “supérieur” termine son glissement.Bien au contraire, il y termine son mouvement.

C’est pour cette raison que la durée de la note, qui se trouve à ce pointde la touche, augmente et que l’on observe une ligne continue sur legraphique, ainsi qu’un certain redressement de plusieurs segments de lacourbe.

Mais ce sont les schémas 31, 33, 34, 36 et 41 qui illustrent le plusclairement la coordination des mouvements. Les courbes qui caractérisentle glissement de liaison ne sont pas interrompues.

Par conséquent, on pourrait dire que la spécificité des démanchés dela 4e catégorie réside dans l’alternance des doigts au cours du mouvementde la main.

Le procédé indiqué pour l’exécution de ces changements de positionsassure la liaison nécessaire des notes qui permet de ne pas dépasser leslimites des notes liées, ce qui est également justifié du point de vueesthétique et musical.

On doit souligner encore une fois que si l’on essaie de simplifierl’exécution de ce procédé en utilisant les notes auxiliaires, c’est-à-dire enramenant tous les démanchés au démanché de la le catégorie, on déformel’essence musicale de ce genre de liaison.

C’est pourquoi les démanchés de la 4e catégorie sont plus difficiles àmaîtriser que tous les autres. Cependant, à partir du moment où l’on aassimilé leur technique, ils cessent de poser problème. Il est intéressant decommencer leur apprentissage par des démanchés que l’on effectue avec lesdoigts “extérieurs”. On acquiert le mécanisme de “remplacement” d’undoigt par un autre par des exercices tels que le montre la fig. 44, (cesexercices contribuent à faire comprendre le bien-fondé du procédé utilisé,ce qui est très important si l’on veut corriger d’éventuelles mauvaiseshabitudes déjà en place) :

Fig. 44.

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Les principes de l’exécution des démanchés de la 4e catégorie restentles mêmes lorsque les démanchés ne sont pas effectués par des doigtsvoisins. Seul le mouvement du bras s’accélère, puisqu’il est nécessaire defaire parcourir une distance plus importante au doigt qui remplace le doigtinitial, étant donné que les doigts sont plus éloignés l’un de l’autre.

Il faut aussi garder en mémoire que le doigt qui remplace le doigtinitial accentue son appui, alors que ce dernier, au contraire, le diminue.C’est pourquoi on peut comparer le caractère du mouvement du doigt quel’on remplace au mouvement du flageolet :

Fig. 45.

Dans la pratique on utilise fréquemment le rapprochement des doigtssi le démanché est effectué par des doigts voisins. Dans ce cas précis, le 2eet le 3e doigts se soulèvent légèrement. Lesmann (21, 23) recommande ceprocédé dans son manuel, ainsi que Davydov (17) bien qu’il s’agisse d’unmanuel pour violoncelle. Mais il nous semble que ce procédé devrait plutôtêtre examiné comme le résultat d’une adaptation individuelle. On peutremarquer que si l’on utilise le rapprochement des doigts, le degré durapprochement doit diminuer si le tempo s’accélère. Kozoloupov etGuinzbourg font les mêmes recommandations, (voir l’annexe de l’”École”de Davydov, 17, p.35), lorsqu’ils analysent l’application de ce procédé au jeudu violoncelle. Ce procédé entraîne inévitablement le ralentissement dumouvement de la main et peut déstabiliser le positionnement, ce qui serépercute obligatoirement sur la justesse de l’intonation.

Dans les démanchés de ce type, c’est le doigt initial qui exécute leglissement, ce qui fait nécessairement retomber le doigt suivant au bonendroit. Donc, si dans ce cas on utilise les ilots auxiliaires, le glissando deliaison doit dépasser les limites des notes liées, comme on le voit ci-dessous :

Fig. 46.

En abordant l’étude des changements de position descendants, ondoit souligner tout d’abord qu’il est absolument nécessaire d’assimiler lesprocédés corrects d’exécution car ces changements de position sont utilisésen permanence dans la pratique, et en particulier, dans les séquences de

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notes descendantes. En revanche, ils sont plus rares dans la cantilène oùl’on ne s’en sert que si l’on peut les jouer avec les doigts voisins; dans lesautres cas, on les remplace par des démanchés d’autres catégories.

Les données des recherches oscillographiques qui figurent sur lesschémas 44 (Oïstrakh), 45 (Rabinovitch), et 46 (Tsiganov), montrentqu’aucun des procédés étudiés n’inclut l’utilisation de la note auxiliaire. Leglissement du doigt initial se fait dans les limites d’un ton dans les trois cas,alors que si l’on avait utilisé la note auxiliaire, il se serait étendu sur unequinte :

Schéma 44. 1 div. = 0,025 s. Durée du démanché = 0,1 s.

Schéma 45. 1 div. = 0,016 s. Durée du démanché = 0,16 s.

Schéma 46. 1 div. = 0,025 s. Durée du démanché = 0,3 s.

Le caractère du glissement du doigt initial est déterminé par lesparticularités de son mouvement. Son appui sur la corde reste léger jusqu’àla fin du démanché. Le doigt se soulève fréquemment au- dessus de la cordeen affaiblissant l’appui et en prenant le placement correspondant à lanouvelle position. Si le tempo est rapide, le doigt initial se soulève moinscar on est obligé de se préparer à jouer les notes suivantes. Mais si le tempoest très rapide, on peut même ne plus du tout le soulever. Cependant, mêmedans ce dernier cas, l’appui du doigt faiblit considérablement. L’exemplesuivant illustre bien ces remarques:

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Fig. 47.

L’analyse oscillographique des démanchés de la 4e catégorie met enévidence la même règle que celle qui caractérise les démanchés de la le etde la 2e catégories: le début lent est suivi par une accélération, déterminéepar le contenu musical et par la personnalité de l’interprète, (voir schémas:31, 33, 36, 37, 38, 41, 42 et 43).

Les démanchés du 4e type se subdivisent en cinq sous-catégories enfonction des intervalles entre les notes liées.

La première, où le changement s’effectue du doigt inférieur vers ledoigt supérieur, a déjà été examinée, (voir Fig. 44).

La deuxième est un démanché où l’on fait se succéder les doigts surla même note. C’est dans ce cas que l’on observe le mieux le remplacementd’un doigt par un autre:

Fig. 48. Goedicke. Étude

La troisième est un changement de position où l’on passe d’un sonplus élevé à un son plus bas dans un mouvement ascendant, (ex.49). Ce casexclut totalement, bien évidemment, le remplacement d’un doigt par unautre. La liaison est effectuée grâce au glissement du doigt initial, ou dudoigt qui le suit, en fonction des exigences de la sonorité et de la technique:

Fig. 49. Goedicke. Étude

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Les deux dernières sous-catégories peuvent être utilisées égalementdans le mouvement descendant.

L’exemple 50 illustre le démanché pour lequel on reste sur la mêmenote au cours du mouvement descendant:

Fig. 50. Goldmark. Concerto, Ier mouvement

Et enfin, la dernière sous-catégorie est celle où l’on passe d’une notebasse à une note plus élevée.

Fig. 51. Brahms. Concerto, 1er mouvement

La sous-catégorie des démanchés du 4e type où l’on remplace le doigtinitial a été largement utilisée, notamment dans la cantilène, car elleconstitue un moyen d’expression original, comparable au procédé vocal.Spohr (71) et Alard (1) l’ont déjà fait remarquer il y a fort longtemps. Ceprocédé est employé dans la pratique non seulement comme un moyen quipermet de séparer les notes lorsqu’elles sont jouées d’un même coupd’archet, mais aussi lorsque les coups d’archet changent :

Fig. 52. Glazounov. Concerto

Jusqu’à présent nous avons examiné les démanchés effectués sur uneseule corde. Cependant, on utilise aussi les démanchés de ce type pour

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relier les notes qui se trouvent sur des cordes différentes. Dans ce cas,quatre variantes de démanchés sont possibles: les deux premièresconcernent le mouvement ascendant, (fig. 53, a et b), et les deux autres lemouvement descendant, (fig. 53, c et d) :

Fig. 53.

a)

b)

c)

d)

On a évidemment la possibilité de le jouer différemment:

Fig. 54. Fig. 55.

Mais lorsque l’on analyse les publications qui concernent ce domaine,on constate que même si l’on peut parfois contourner ces démanchés enmodifiant le doigté, ils sont toutefois indiqués dans certaines éditions.

Ainsi, les figures 56 et 57 illustrent le cas de la figure 53 a) :

Fig. 56. Bach. Sonate n°3, Largo

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Fig. 57. Goedicke. Étude

Et les figures 58 et 59 illustrent l’exemple 53 b) :

Fig. 58. Glazounov, du ballet “Raïmonda”, Adagio

Fig. 59. Glazounov. “Méditation”

Le changement de position de l’exemple 53 c) est reproduit par lesfigures suivantes:

Fig. 60. Taneïev. Tarentelle

Fig. 61. Khatchatourian. “Le chant-poème”

Enfin l’exemple 62 présente le changement de position de la figure 53 d) :

Fig. 62. Khatchatourian. Concerto, 1er mouvement

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Toute une série de manuels démontre le bien-fondé de l’utilisation desnotes auxiliaires “hautes” ou “basses” pour ces démanchés, comme cela aété conseillé pour les démanchés de la 4e catégorie effectués sur une seulecorde. La note auxiliaire se trouve toujours sur la corde où l’on réalise leglissement de liaison.

Fig. 63.

Le procédé qui emploie les notes auxiliaires conserve, dans ce caségalement, tous ses inconvénients.

Ainsi, en analysant les exemples 63 a) et b), il n’est pas difficile des’apercevoir qu’en utilisant les notes auxiliaires, même lorsqu’elles nedépassent pas les limites des notes liées, on brise l’harmonie du passaged’une note à une autre, car on fait ressortir la rupture entre les deux sons.Si l’on essaie de jouer le démanché de l’exemple 56 à l’aide de notesauxiliaires, (“hautes” ou “basses”), ce défaut se manifeste immédiatement.

L’utilisation des notes auxiliaires est rendue encore plus difficile parle glissement de liaison qui s’oppose au sens du mouvement, ce qui atendance à séparer encore davantage les notes qui auraient dues être liées.

On remarque une séparation analogue dans les démanchés de la 2ecatégorie, (exemples 64 et 65). C’est pourquoi on trouve adéquat d’aborderici les procédés d’exécution de ces démanchés.

Fig. 64. Taneïev. Thème et variations

Fig. 65. Konuss. Concerto

Dans tous les cas semblables, lorsque le sens du glissando n’assurepas la liaison des notes, il est impossible de trouver des procédés quiélimineraient totalement ce défaut. Par conséquent, le procédé d’exécutionde chaque changement de position étudié doit être suggéré par lesparticularités de l’œuvre interprétée et par la sonorité qu’elle exige. Pour

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certains changements de position de la 2e catégorie, il est fort recommandéd’utiliser le glissement que l’on effectue avec le doigt qui suit le doigt initial.La sonorité acquiert alors une plénitude comparable au chant vocal:

Fig. 66. Taneïev. Thème et variations

En revanche, là où le caractère de la musique impose d’autresexigences, on peut conseiller au contraire de faire glisser le doigt initial:

Fig. 67. Taneïev. Thème et variations

Le glissement que l’on effectue alors doit être pratiquementimperceptible, afin d’éviter des effets sonores indésirables. Pour cela, ondiminue sensiblement l’appui du doigt et on change en même temps decoup d’archet, tout en effectuant rapidement le démanché. Ce procédé estle seul qui peut être utilisé dans les séquences de notes rapides, car lorsqu’ilest bien exécuté, il donne la possibilité de masquer les défauts sonores dece démanché:

Fig. 68. Paganini. Caprice n°17

Afin d’éviter le glissando, souvent indésirable dans ce cas, on introduitparfois une pause à peine perceptible. Si on l’exécute parfaitement, ceprocédé devient une méthode vraiment intéressante.

Dans les démanchés de l’exemple 53 a), le remplacement d’un doigtpar un autre se fait au cours du mouvement. Le doigt initial entame leglissement de liaison et le deuxième doigt le reprend sur une autre corde.Mais dans les changements de position de l’ex. 53 b), on devrait plutôt faireglisser le deuxième doigt, comme cela a déjà été décrit pour les démanchésde la 3e catégorie. En ce qui concerne les séquences de notes rapides, il estpréférable d’utiliser le même procédé mais en le rendant moins perceptible.Pour cela, il suffit de diminuer la distance sur laquelle on effectue leglissement et de le combiner avec le changement du coup d’archet. Enfin,les changements de position de l’exemple 53 d) sont les moins aisés àaccomplir du point de vue de leur sonorité, très particulière, qui permet de

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les employer dans la cantilène. Ils doivent être réalisés de la façon la plusdiscrète possible à l’aide de tous les moyens qui ont été cités.

Les démanchés que l’on a étudiés deviennent dans certainesconditions des cas particuliers dont l’exécution est plus difficile.

On classe tout d’abord parmi les cas particuliers les démanchéseffectués sur une distance importante, les “sauts”, dont les problèmesd’exécution se situent au niveau de la justesse d’intonation. Deux causesaggravent encore ces problèmes. La première est l’appréhension que ressentl’élève vis-à-vis de l’erreur toujours possible au niveau de l’intonation, ce quirend le mouvement de la main gauche moins sûr et fait jouer la note plusbas qu’il ne le faudrait. La deuxième cause est également l’appréhension,mais qui cette fois-ci concerne le rythme: la crainte de le perturber faitexécuter “le saut” beaucoup trop rapidement, presque convulsivement, cequi représente un obstacle supplémentaire pour la justesse de l’intonation.

Nous recommandons de se montrer particulièrement vigilant dans cecas vis-à-vis de la souplesse et de la tranquillité du mouvement. En effet,cela facilite et améliore l’exécution du changement de position et la qualitédu son, et assure de ce fait une intonation juste. En travaillant la souplesse,il faut obligatoirement tenir compte de la règle d’exécution des démanchésétablie précédemment, qui consiste à débuter calmement le mouvementpour l’accélérer ensuite. Nous avons constaté que les problèmes des sautsétaient résolus grâce à cette méthode. L’interprète, lui, a alors l’impressionque le début du saut se rapporte non pas à la note initiale mais à l’instantde l’accélération du mouvement. Ainsi, la distance entre les notes lui paraîtplus courte, ce qui lui donne plus d’assurance pour exécuter cesdémanchés. De plus, dans ces conditions le mouvement souple de la maingauche n’entrave pas la souplesse du mouvement de l’archet, trèsimportante pour les sauts exécutés legato en particulier.

Il existe plusieurs points de vue concernant l’exécution des sauts. L’und’eux donne à penser que si le saut s’effectue du doigt inférieur vers le doigtsupérieur, il faut l’exécuter à l’aide du doigt qui suit le doigt inférieur,comme un démanché de la 3e catégorie. Le point de vue opposé prônel’utilisation du doigt initial. Nous croyons que la solution du problèmedépend de l’adaptation personnelle de chacun. Cependant, on doitnécessairement se demander dans quelle mesure la sonorité qu’assure telou tel procédé d’exécution correspond au contenu musical de l’œuvre.

Nous devons souligner également que lors des sauts effectués vers lespositions supérieures, la main se crispe si l’on utilise les notes auxiliaires;les utiliser dans ce cas précis ne serait donc pas judicieux. L’exemplesuivant permet de s’en rendre compte:

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Fig. 69. Paganini. Danse des sorcières

Au cours des sauts vers les positions supérieures, on doit resterattentif au fait que dans ce cas la forme du violon force la main à préparerd’avance la totalité du mouvement. Cette notion du mouvement pris dansson ensemble doit être parfaitement assimilée pour qu’elle puisse enquelque sorte prévenir le mouvement lui-même et améliorer la précision del’exécution du saut.

L’une des causes qui faussent l’intonation au cours des sauts est, selonMostras (26), le vibrato, qui, exécuté simultanément, amoindrit laperception des distances.

Afin que l’intonation reste juste lors des sauts sur des distancesimportantes, nous conseillons de s’exercer en effectuant des sauts sur desdistances différentes et en les comparant ensuite. Ces exercices contribuentà éduquer la bonne évaluation des distances de la touche, “le coup d’oeiljuste”, selon l’expression de Yampolsky, et donnent de l’assurance pourexécuter les sauts.

On peut les effectuer selon le principe suivant :

1. Tout d’abord on exécute les sauts d’une même note vers des positionsdifférentes. On peut utiliser les deux variantes de l’exercice ainsi que leurcombinaison :

a) le démanché se fait sur un même doigt mais sur des notesdifférentes, séparées par des intervalles différents allant jusqu’au demi-ton,(ces derniers exercices font le mieux ressentir les distances de la touche).

b) le démanché se fait sur des doigts différents mais sur une mêmenote.

2. Ensuite on exécute les sauts à partir de positions différentes vers unemême note, sur une harmonique par exemple.

3. Et enfin, on exécute les sauts à partir de notes différentes sur desnotes différentes.

On doit absolument entendre intérieurement la note avant le saut. Lemouvement de la main concrétisera alors une relation déjà établie. Les

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liaisons audio-motrices ne peuvent être créées que par cette voie et non parun entraînement purement mécanique. Les démanchés dont les notessituées dans des positions différentes sont séparées par un silence, sonteux-aussi classés dans les cas particuliers.

Au cours de ces démanchés on éprouve souvent des difficultés à jouerjuste la deuxième note, car on la joue parfois non pas de façon liée, maisindépendamment de la note précédente. Cela s’explique par la perte decontact avec la touche au moment de la pause. On l’observe fréquemment,par exemple dans cet extrait du concerto de Tchaïkovsky où la difficultéconsiste à jouer juste la note mi :

Fig. 70. Tchaïkovsky. Concerto, IIIe mouvement

Un autre exemple est un extrait d’”Othello” d’Ernst où la plupart desviolonistes n’arrivent pas à jouer avec précision l’harmonique mi, (ici, l’auteurn’indique pas de pause, cependant le caractère de la variation l’exige) :

Fig. 71. Ernst. Fantaisie “Othello”

Pour écarter ce genre de difficultés, on doit impérativement garder lecontact avec la touche au moment de la pause. Yampolsky recommande enconséquence de jouer le premier exemple cité ci-dessus de la façonsuivante : l’index qui joue la note fa reste sur la corde et passe, durant lapause, à mi située un degré plus bas :

Fig. 72.

Dans le deuxième exemple, on peut recommander de ne pas jouerl’harmonique d’en haut, au hasard, mais de l’exécuter, durant la pause,plutôt comme un démanché de la 2e ou de la 3e catégorie. Le choix duprocédé revient à l’interprète.

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L’analyse des différents procédés nous a permis de considérer d’unemanière plus critique leurs principaux éléments et de déterminer le chemincorrect de leur apprentissage. En revenant encore une fois à la question del’utilisation des notes auxiliaires, on doit remarquer que ce procédé estparfaitement justifié au début de l’apprentissage, car il contribue à affinerla perception des distances sur la touche et à ajuster le placement des doigtsdans la nouvelle position. Mais on ne doit pas l’utiliser trop longtemps pourque les voies réflexes ne se mettent pas définitivement en place et nefreinent pas le développement ultérieur.

9. Les démanchés effectués à l’aide d’une corde à vide oud’une harmonique naturelle. Les démanchés etl’utilisation du glissando chromatique.

Les démanchés effectués à l’aide d’une corde à vide.

Il est commode de commencer l’étude de ces démanchés avant ceuxdes autres catégories. Au début de 1’apprentissage, ces démanchés sontsans doute les plus faciles à exécuter, car ils ne font pas intervenir les doigtsmais uniquement le déplacement de la main le long de la touche.

Ces démanchés comportent cependant certains dangers, enparticulier la perte de la perception des distances de la touche. Afin d’yremédier, on cesse temporairement d’utiliser la corde à vide, ce qui rétablitla liaison permanente des doigts avec la corde et consolide les bonnesperceptions des distances. Ainsi, l’apprentissage de l’extrait ci-dessous parexemple, (fig. 73), est facilité par les exercices de la fig. 74:

Fig. 73. Tchaïkovsky. Valse-scherzo

Fig. 74.a)

b)

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Comme le constate Mostras (26), l’utilisation de la corde à videtrouble parfois également la coordination des mouvements des doigts etdevient ainsi la cause des erreurs techniques. Dans l’extrait tiré du “Coqd’or” de Rimsky-Korsakov par exemple, on remarque que les erreurs sontle plus souvent faites non pas dans la partie la plus technique, (dans l’octavesupérieur), mais justement après la corde à vide.

Fig. 75. Zimbalist. “Le Coq d’or”

La question de l’utilisation du démanché effectué à l’aide de la cordeà vide demande que l’on s’y arrête plus longuement lorsque l’on faitégalement intervenir le portamento pour rendre expressive la sonorité de lacantilène, (mouvement descendant vers la corde à vide et mouvementascendant en partant de la corde à vide).

Le portamento descendant, qui lie un son plus aigu à la corde à vide,rencontre beaucoup de critiques dans la littérature pédagogiquespécialisée. Notre point de vue nous porte à considérer que la clef de ceproblème se trouve uniquement dans le caractère de la musiqueinterprétée. On ne peut nier que dans certains cas il soit totalementimpossible de l’employer, alors que dans d’autres le caractère même de lamusique l’exige. Ainsi, il est difficile d’imaginer que l’on puisse jouerl’extrait suivant, tiré de la “Canzonetta” de Tchaïkovsky, sans faire appel auportamento qui lie harmonieusement la note ré à la corde à vide:

Fig. 76. Tchaïkovsky. Concerto, IIe mouvement

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Il est clair que dans ce cas précis on ne peut en aucune manièrecritiquer l’utilisation du portamento, car si l’extrait choisi avait été écritdans une autre tonalité où la note plus basse n’aurait pas été la corde à vide,l’utilisation du portamento n’aurait pas posé problème. Dans la pratique, lecaractère de la musique peut exiger de rendre plus expressive la liaisonentre deux notes et donc d’employer le portamento entre deux notes de lamême position.

En revanche, l’exécution de ces démanchés ne permet absolument pasd’utiliser le glissement jusqu’à la note auxiliaire correspondante, même sicela est quelquefois recommandé par les ouvrages spécialisés. Leportamento doit être effectué en affaiblissant progressivement la pressiondu doigt sur la corde, jusqu’à le soulever totalement au moment dudémanché. C’est un mouvement analogue à celui qu’effectue le doigt“supérieur” au cours d’un démanché descendant de la 2e catégorie.

Lorsqu’il s’agit d’effectuer une liaison entre une corde à vide et unenote plus aiguë, on ne remet plus en question la possibilité de faire glisserle doigt qui joue cette note, (de façon analogue au démanché de la 3ecatégorie), si cela est justifié par le caractère de la musique. Il estintéressant de remarquer que ces démanchés permettent également de faireglisser le doigt à partir de la note initiale, (comme pour les démanchés dela 2e catégorie), en utilisant le procédé décrit par David (49) qui consiste àposer le majeur sur la corde derrière le sillet et de le faire glisser à partir decet endroit. Ce procédé se révèle quelquefois extrêmement judicieux etcontribue à élargir les possibilités expressives du portamento.

Les démanchés effectués sans glissement.

Dans la pratique, certaines exigences esthétiques obligent souvent àéviter la sonorité du portamento liée au démanché. Yampolsky (45)recommandait deux procédés pour ce genre de démanchés.

Le premier débute par l’extension de la main, suffisante pour que ledoigt atteigne le son désiré, et se poursuit en ramenant progressivementtoute la main vers la nouvelle position.18 L’exemple suivant illustre leschéma d’exécution de ce procédé :

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18 On peut assimiler le déplacement qu’effectue la main gauche dans unegamme diatonique à la “forme cachée” de ce genre de démanché:Fig. 77 :

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Fig. 78.

Ce type de démanché est employé dans l’extrait du Concerto deKhatchaturian:

Fig. 79. Khatchatourian. Concerto, 1er mouvement

Le fondement du deuxième procédé n’est plus l’écartement mais lerapprochement des doigts, effectué également avant l’obtention du sondésiré, la main reprenant ensuite son placement normal, (voir l’exemplesuivant):

Fig. 80.

L’exemple ci-dessus permet d’exécuter par ailleurs des démanchés dela 4e catégorie où le passage à une note plus basse se fait par unmouvement ascendant de la main, et inversement, le passage à une noteplus aiguë par un mouvement descendant. Par exemple:

Fig. 81. Goedicke. Étude

La fonction particulière de ces démanchés, soumise aux exigencesesthétiques précises, et l’utilisation limitée qui en découle font que laplupart du temps les enseignants ne s’y arrêtent pas en détail. Cependantles exercices qui font alterner le placement écarté, normal et fermé de lamain, développent également sa souplesse et son élasticité. L’un de cesexercices fort utiles consiste à jouer la gamme descendante en tierces, enoptant pour le doigté de Baillot (47):

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Fig. 82.

Mais il ne faudrait pas croire que ce doigté pourrait être utiliséailleurs que dans les exercices, comme le pense Kross (61).

Les démanchés effectués à partir des harmoniques naturels.

L’utilisation des différents démanchés commençant par unharmonique, avec ou sans portamento, n’obéit qu’au contenu musical del’œuvre. Ainsi, le démanché sans portamento peut quelquefois paraître tropsec, alors que dans un autre cas le portamento sera de toute évidenceinacceptable.

La particularité sonore d’un harmonique réside dans le fait que l’oncontinue à l’entendre même après que le doigt ait quitté la corde. Dans cecas la durée du son produit dépend de la main droite, plus la distance entrele chevalet et l’archet en mouvement est réduite, plus longtemps on entendl’harmonique. Mais il est clair que le rapprochement de l’archet et duchevalet reste relatif car on est limité par 1’obligation de produire un sonde bonne qualité:

Fig. 83.

Pour parfaire ces démanchés on peut recommander l’exercicesuivant : on fait progressivement diminuer la durée de la note plus basse,(ici, la), jusqu’à ce qu’elle devienne inaudible:

Fig. 84.

Cet exercice diffère radicalement de celui qui est proposé par Fleschpour les démanchés effectués à l’aide de notes auxiliaires. Les exercices où l’onfait intervenir les notes auxiliaires concernent l’apprentissage du mouvementdifférent de celui qui doit être utilisé dans la pratique, alors que l’exercice quel’on propose est axé précisément sur le procédé indispensable dans ce cas.

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Les démanchés effectués à partir des harmoniques, décrits ci- dessus,sont le plus souvent employés lors du mouvement descendant de la main,bien qu’il soit parfois possible de les utiliser au cours du mouvementascendant.

On peut considérer que les démanchés effectués d’une harmonique àune autre forment une sous-catégorie. Le caractère d’exécution de cesdémanchés varie en fonction des exigences musicales et esthétiques del’œuvre. Ainsi, dans l’exemple ci-dessous, la nécessité de relier les deuxharmoniques pousse l’exécutant à utiliser le portamento qu’il exécute de lamanière suivante : au début du mouvement l’annulaire appuie légèrementsur la corde et effectue un glissement de liaison, tandis que l’auriculaireeffleure la corde et produit le deuxième harmonique:

Fig. 85. Paganini. Concerto N° 1

Mais dans l’exemple suivant, le 4e doigt n’appuie plus sur la corde. Ilne fait que l’effleurer en passant d’un harmonique à un autre:

Fig. 86. Wieniawski. Scherzo-tarentelle

Le glissando chromatique.

Le glissando chromatique effectué en faisant glisser un doigt sur lacorde est un cas particulier du démanché. Ce mouvement est, comme on lesait, complexe, car il additionne la progression de toute la main et lemouvement saccadé du doigt qui glisse sur la corde. Lesmann (23) appellece mouvement le “staccato de la main gauche”, par analogie avec lemouvement du bras droit.

Le mouvement général de progression est effectué par tout le bras,alors que le mouvement saccadé du doigt qui glisse sur la corde est générésoit par le mouvement du poignet semblable au vibrato, soit par lemouvement tendu de l’avant-bras et de l’épaule. On peut remarquer que latension de l’avant-bras ne doit pas être excessive pour que l’impression de

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l’élasticité du mouvement puisse être conservée. Afin d’effectuer leglissando chromatique dans les meilleures conditions, tous lesmouvements cités doivent être parfaitement coordonnés.

Quant au travail sur ladite coordination, le moment essentiel en estl’évaluation auditive du glissando qui contrôle la justesse de la progressionchromatique et le caractère général de la sonorité. Ainsi, lorsque lacoordination est altérée à cause du déplacement général par trop actif de lamain, le doigt qui glisse sur la corde est projeté à chaque note au-delà del’intervalle de demi-ton. Et inversement, lorsque le mouvement général dela main est freiné parce que le mouvement du doigt devient trop saccadé,on diminue involontairement les intervalles de la progression qui sont alorsinférieures au demi- ton.

Ainsi, lorsque l’interprète utilise le glissando chromatique dans uneœuvre où son exécution est liée à un tempo bien déterminé, il doit faireattention d’une part à ne pas débuter trop rapidement le mouvement deprogression de la main, car cela conduit à le terminer beaucoup troplentement, et d’autre part, à ne pas ralentir le mouvement de progressionau début du glissando, car on est alors obligé de l’accélérer de façon tropimportante vers la fin. Il est évident que la justesse d’intonation de laprogression chromatique est altérée dans ces deux cas.

Flesch remarquait à juste titre que le défaut de coordination le plusrépandu était le retard du mouvement de progression de la main, etrecommandait à ce sujet dans son ouvrage (41) une méthode qui devaitpermettre de le corriger. L’étudiant devait d’abord jouer glissando unegamme chromatique, douze fois de suite sans s’arrêter, en respectant letempo.

Lorsque l’élève parvenait ainsi à rendre régulier le mouvement del’avant-bras, on ajoutait au glissando le mouvement vibratoire du poignet,effectué par secousses, qui engendrait à son tour le mouvement verticalrégulier, par demi-tons, et permettait d’exécuter avec justesse le glissandochromatique, à condition de s’y être suffisamment exercé. Toutefois, cetexercice qui, semble-t-il, est conçu avec rigueur présente en réalité unsérieux défaut. Lorsque l’on tente avant tout de rendre régulier lemouvement de la main, on ne tient pas compte du fait que les distancesentre les intervalles ne sont pas identiques dans la partie supérieure et lapartie inférieure de la touche. C’est pourquoi le mouvement descendant dela main n’est pas régulier mais graduellement accéléré (l’accélération de cemouvement au cours du glissando chromatique doit évidemment être enpermanence contrôlée par l’ouïe). Par conséquent, on ne peut pas utiliserl’exercice de préparation au glissando continu recommandé par Flesch,étant donné qu’il ne permet pas d’obtenir l’accélération nécessaire dumouvement de la main.

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La méthode d’apprentissage du glissando chromatique, proposée parYampolsky, est de ce point de vue fort intéressante. Ainsi, pour travaillercertains passages du Concerto de Wieniawski, (fig. 87), il recommande lesexercices présentés ci-dessous. Le premier, (fig. 88), esquisse le mouvementgénéral de la main en tenant compte de l’accélération qui se produit dansles positions inférieures; et le deuxième, (fig. 89), tout en conservant leséléments principaux du mouvement de progression général, remplit lesintervalles par de petits déplacements saccadés de demi-ton:

Fig. 87.

Fig. 88.

Fig. 89.

Si l’élève rencontre des difficultés en exécutant ces déplacements dedemi-ton, ou bien au début de l’apprentissage du glissando chromatique, onpourrait lui conseiller de s’exercer sur de courts segments d’une gammechromatique, (de l’ordre d’une quarte, d’une quinte ou d’une octave), et envariant le rythme, (triolets, quartolets, etc), que ce soit dans le sens ascendantou descendant. Ces exercices sont particulièrement utiles pour lui permettrede jouer glissando les progressions diatoniques, beaucoup moins fréquentesdans la pratique. La difficulté supplémentaire de ces progressions résidedans le déplacement de la main sur des intervalles irréguliers, mais pour lereste elles obéissent aux mêmes règles que les progressions chromatiques.

Il est important de souligner le rôle spécifique que joue le pouce aucours du glissando chromatique descendant lorsqu’on l’exécute sur desdistances importantes. Sa fonction est double. Il sert d’une part de pointd’appui à la main lors de son déplacement d’une position supérieure versune position où le pouce reprend son placement normal, après quoi il semeut avec toute la main. Et d’autre part, il peut aussi se déplacer dès ledépart avec toute la main, en s’éloignant quelquefois du manche. Le choixentre le premier et le deuxième procédé se fait en fonction des adaptationspersonnelles, bien que le deuxième nous parait plus rationnel.

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Le glissando chromatique descendant est le plus souvent effectué parle troisième doigt. Mais les exercices qui font travailler les autres doigtssont également utiles; par exemple, ceux qui font intervenir le premier et lequatrième doigts développent en même temps la technique des octaves,alors que ceux conçus pour le deuxième et le troisième sont une bonnepréparation pour les gammes chromatiques en sixte.

Bien que l’on emploie davantage le glissando chromatique dans lesens descendant, on doit aussi s’y exercer dans le sens ascendant, car celase révèle extrêmement utile pour le glissando en doubles-cordes que l’onrencontre, comme on le sait, dans les deux sens. On pourrait ajouter que leglissando en sixte est joué le plus souvent par le deuxième et le troisièmedoigt, celui en tierce-par le premier et le troisième, et le glissando en octaveaussi bien par le premier et le quatrième que par le premier et le troisièmedoigt.

Lorsque le glissando chromatique est joué legato, on doit faireattention à la régularité et la souplesse du mouvement du bras droit. Lecaractère du mouvement de la main gauche change complètement lorsquele glissando chromatique est exécuté avec ces différents coups d’archet“détaché”, “spiccato”, “staccato” ou “ricochet”. Dans ce cas, la nécessité dumouvement saccadé disparaît et la main gauche n’effectue plus qu’unmouvement continu et souple. C’est la main droite qui confère aumouvement le caractère saccadé et qui permet de prendre conscience del’importance de la coordination entre le mouvement de progressionaccéléré, (ou retardé si le déplacement est ascendant), de la main gauche etle changement de coup d’archet qui fixe les différents paliers de la gammechromatique.

Le glissando chromatique est un moyen spécifique de l’expressivité.C’est un procédé virtuose qui permet de jouer les passages dans le tempo etavec le brio impossibles à atteindre en alternant simplement les doigts. Ilest préférable d’exécuter les passages en utilisant le glissando chromatique,y compris lorsque alterner les doigts ne pose pas de problèmes particuliers,et surtout si le caractère de l’œuvre demande une sonorité plus douce etchantante, comme dans l’exemple ci-dessous.

Fig. 90. Chopin / Burmester. Étude

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10. Les démanchés en doubles-cordes, (octaves etdixièmes tierces et octaves doigtées, sixtes etquartes).

La technique des démanchés que l’on effectue sur des doubles-cordesa pour fondement celle des différents démanchés étudiés dans les chapitresprécédents. Sa particularité est le double démanché effectuésimultanément sur deux cordes. Afin de systématiser notre approche nousregroupons les doubles-cordes de la manière suivante: 1) les octaves et lesdixièmes, 2) les tierces et les octaves doigtées, 3) les sixtes et les quartes.

Les octaves et les dixièmes

Les octaves

Le déplacement par octaves fait partie des démanchés de la lecatégorie effectués simultanément sur deux cordes. Le défaut le plusrépandu du jeu par octaves est dû à la difficulté d’enchaîner les démanchésl’un après l’autre qui pousse à les exécuter d’une manière brusque et par à-coups. Ce caractère convulsif du mouvement tient au désir de l’élèved’améliorer la précision du son, qui se traduit pourtant pour la plupart dutemps par un son plus dur, une intonation approximative et par unecertaine maladresse et une lourdeur du jeu. Malheureusement, on trouvedans toute une série de manuels la recommandation d’exécuter cesdémanchés par “bonds”. En réalité, le seul moyen adéquat est de rendre lemouvement de la main plus léger et plus souple comme pour un démanchéde la le catégorie. Commencé sereinement, le démanché confère de lasouplesse au mouvement général du jeu par octaves, et si l’on focalise enmême temps son attention sur la fin de chaque démanché, on donne laprécision nécessaire à la sonorité. Il faut également veiller à ne pas exagérerl’appui des doigts car cela freine le mouvement de progression général.

Sachant que le plus souvent on joue les octaves avec le premier et lequatrième doigts, quel doit être exactement le placement du deuxième et dutroisième doigts? Nombre d’ouvrages conseillent de ne pas enlever ces deuxdoigts de la corde pour stabiliser ainsi le premier et le quatrième etaméliorer l’intonation. D’autres affirment qu’il ne faut soulever que ledeuxième doigt. D’autres encore répliquent que le deuxième et le troisièmedoigts doivent être soulevés tous les deux. Nous considérons que cettedernière position est la plus rationnelle car garder tous les doigts sur lacorde, ou même seulement le troisième, gêne toute la main, rendimpossible le vibrato dans la cantilène, réduit l’agilité dans les temposrapides et complique le jeu dans les positions supérieures à cause de laréduction des intervalles.

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Mostras remarque à ce propos que le quatrième doigt devient unpoint d’appui lors du mouvement ascendant, mais lors du mouvementdescendant c’est le premier doigt qui joue ce rôle.

Étant donné que les intervalles diminuent dans les positionssupérieures, il est important de souligner que le premier et le quatrièmedoigts ont tendance à se rapprocher considérablement. Le mouvementgénéral de progression de la main devient donc plus complexe et demandeune plus grande coordination. Comment doivent alors être orientés lesexercices pour que les relations de coordination puissent se mettre neplace? La littérature spécialisée donne deux réponses opposées.

Selon la première, on doit commencer à jouer les octaves en relianttout d’abord deux ou trois notes de la gamme et en élargissantprogressivement le mouvement jusqu’à l’octave. On conseille même parfoisde commencer par la gamme chromatique car cela permettrait deconserver la régularité des intervalles, ce qui faciliterait l’apprentissage desdémanchés.

On constate donc que cette méthode est principalement axée surl’assimilation du déplacement graduel de la main par octaves.

Le deuxième point de vue s’appuie sur l’étude des changements dedistance entre le premier et le quatrième doigts sur les différentes partiesde la touche au cours du jeu. Flesch (41) par exemple recommandel’exercice suivant :

Fig. 91.

Cet exercice met clairement en évidence la diminution etl’augmentation de la distance entre le premier et le deuxième doigt que cesoit dans le sens ascendant ou descendant. Zeitlin se servait d’un autreexercice qui faisait travailler le démanché, (vers le haut et vers le bas), surdes intervalles importants, dans lequel la liaison entre deux octaves sefaisait par un glissando lent, rigoureusement contrôlé au niveau del’intonation durant tout le déplacement de la main.

Fig. 92.

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La diminution et l’augmentation de la distance entre le premier et lequatrième doigts se fait essentiellement grâce au rapprochement, ou àl’éloignement de l’index dont la courbure change alors quelque peu, (elles’aplatit lorsque les doigts se rapprochent et inversement). Cela s’expliquepar le fait que l’index se positionne et se meut dans des positions plusbasses que celles où évolue l’auriculaire, et où les distances entre lesintervalles sont évidemment plus grandes.

Nous estimons que l’on atteint les meilleurs résultats avec desexercices qui font travailler simultanément les deux mouvements cités etqui assurent une bonne coordination entre le mouvement graduel de lamain et la diminution, ou l’augmentation, de la distance entre le premier etle quatrième doigts lors du démanché. La solution correcte de ce problèmeest donnée, par exemple, dans l’exercice suivant conseillé par Sibor (36):

Fig. 93. Sibor. La technique des doubles-cordes

Nous considérons que le principe exposé ci-dessus devrait constituerla base d’un système d’exercices où l’on ferait varier en premier lieul’étendue générale du mouvement, celle qui détermine la distance entre lepremier et le quatrième doigt, et où ensuite on introduirait des démanchésgraduels par octaves sur tout le trajet de la main. Cette construction del’exercice permet de fixer l’attention de l’élève sur des éléments séparés dumouvement tout en sauvegardant son unité. Cependant, lorsque l’exécutionde l’un des éléments parait difficile quelle qu’en soit la raison, on doitdiriger les efforts sur des exercices qui facilitent son apprentissage, tels queles exercices des fig. 91 et 92 par exemple.

On doit s’attarder plus particulièrement sur les démanchés paroctaves; effectués d’une paire de cordes sur une autre. On peut envisagersoit d’utiliser la corde à vide, soit de ne pas le faire. Il est plus intéressantdans ce cas de changer de position en faisant glisser le doigt sur la cordeintermédiaire commune, d’autant plus que l’archet reste inévitablement uncourt instant sur cette corde lors de son transfert, à cause de la formearrondie du chevalet.

L’exemple suivant illustre les deux façons de procéder: la figure 94 a)montre le glissement de liaison effectué avec le quatrième doigt comme lorsd’un démanché de la 2e catégorie, et la figure 94 b) illustre un démanchéeffectué à l’aide de la corde à vide :

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Fig. 94

Les démanchés effectués d’une paire de cordes sur une autre sansla corde à vide sont très complexes, puisqu’on déplace simultanément deuxdoigts dans une position et sur des cordes différentes. La littératurespécialisée reste muette sur les procédés d’exécution de ces démanchés, cequi a permis à Flesch (41) de nommer ses propres recommandations, “lesaut dans l’inconnu”. Quant à Voicu (12), il propose de les effectuer de lamanière suivante :

Fig. 95.

Selon Voicu, lors d’un tel démanché les doigts qui ont été transférésdans la première position doivent glisser sur mi bémol, (sur les cordes deRé et de La), sans perdre la sensation de contact avec les cordes. Ce procédése révèle cependant peu efficace, il est fondé sur le glissement simultané dedeux doigts qui entrave la mobilité de la main et altère la sonorité dudémanché par des impuretés. Il ne supprime pas le transfert simultané desdeux doigts sur les autres cordes. Son unique rôle est de les faire passerdans la position de l’accord suivant.

De notre point de vue, le procédé proposé par Yampolsky est trèsintéressant. Il est fondé sur le fait qu’au moment du changement de cordesl’archet se trouve un court instant sur une seule corde, la cordeintermédiaire, (commune), (fig. 96). C’est précisément à cet instant ques’effectue le glissement de liaison dans la position demandée selon latechnique des démanchés de la 2e catégorie, rapidement suivi par ledéplacement du doigt initial (fig. 97) :

Fig. 96. Fig. 97.

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Pour les démanchés descendants Zeitlin recommandait un procédélégèrement différent: le majeur se positionne sur les deux cordes dès laposition initiale, ce qui fait qu’il glisse simultanément sur les deux cordeslors du démanché. Mais ce procédé ne peut pas être utilisé par lesviolonistes qui ont des doigts trop fins.

Pour les gammes qui comportent des altérations, (et qui necontiennent donc pas de cordes à vide), on conseille de passer d’une pairede corde sur une autre à des degrés qui sont séparés l’un de l’autre parl’intervalle d’une seconde majeure car c’est alors que l’étendue dudémanché est la plus petite. On le voit parfaitement sur les fig. 98 a) et b),l’exemple de la fig. 98 b) étant à éviter :

Fig. 98 a) b)

Si l’on veut maîtriser ces démanchés, l’un des exercices les pluscomplets consiste à jouer les accords, (octaves), de trois notes. Le grandnombre de démanchés que l’on effectue alors d’une paire de cordes sur uneautre contribue à développer la justesse de l’intonation dans des conditionsoù la distance entre les doigts varie constamment sur les différentes partiesde la touche.

On joue souvent les octaves, (plus particulièrement dans les positionssupérieures), avec l’index et l’annulaire et non pas avec l’index etl’auriculaire. Ceci en raison de la diminution de la distance entre les doigts,et de l’amélioration de la sonorité dans certains cas.

La cantilène jouée par octaves possède quant à elle toute une série departicularités spécifiques qui sont dûes au fait que tous les sons d’unemélodie jouée par octaves sont reliés par des démanchés. Cela peut avoirdes effets néfastes sur la sonorité. Le désir de rendre imperceptibles lesdémanchés dans la cantilène conduit vers la perte de son caractèremélodieux. En revanche, lorsque les accords sont reliés par portamento, lacantilène devient inacceptable du point de vue esthétique. C’est pourquoi ilest nécessaire de varier les procédés de liaison des octaves en fonction dusens de la phrase musicale.

Si l’on n’utilise pas le legato pour jouer les octaves, mais des coupsd’archet séparés, il devient possible d’utiliser les différentes catégories deportamentos.

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Les dixièmes

La spécificité des dixièmes, ainsi que leur difficulté principale estl’extension des doigts, surtout dans la partie inférieure de la touche.

Les dixièmes, comme les octaves, sont joués comme des démanchésde la le catégorie que l’on exécute sur deux cordes en même temps. Onrencontre encore plus souvent ici, et d’une manière encore plus accentuée,le défaut caractéristique du jeu par octaves, à savoir le déplacementbrusque par à-coups.

L’existence de ce phénomène tient d’une part à l’extension importantedes doigts, et d’autre part à leur appui excessif sur la touche, provoqué parle désir de l’élève de les maintenir écartés. Dans ce cas, on doit essayer dedétendre la main et de la garder décontractée, (ce qui permettrait desurcroît d’employer le vibrato dans les phrases musicales qui exigent unesonorité plus mélodieuse et expressive). Il ne faut pas oublier alors que latension excessive, et donc obligatoirement la crispation de la main qu’elleengendre, peuvent être considérablement atténuées si la main estcorrectement positionnée. En effet, il est beaucoup plus facile de replierl’index que de tendre l’auriculaire19, ceci en raison de l’anatomie de la mainet d’une certaine insuffisance musculaire de l’auriculaire. C’est pourquoi,on doit en premier lieu adapter la position de la main à la position del’auriculaire en tenant évidemment compte du placement du pouce.Cependant, dans la pratique pédagogique il n’est pas rare d’observer lephénomène inverse: les débutants ne replient pas l’index et tirent la mainvers l’auriculaire. Si on ne le corrige pas rapidement, l’élève éprouvera del’appréhension à chaque fois qu’il aura à jouer les dixièmes.

Afin de faciliter l’apprentissage des dixièmes, on utilise l’exercicesuivant :

Fig. 99

On commence cet exercice dans les positions supérieures où lesdistances entre les intervalles sont moindres, ce qui soulage l’effortd’extension et supprime la tension excessive. Les distances entre lesintervalles augmentent ensuite très progressivement lors du déplacementvers les positions inférieures, et il devient plus facile d’effectuer lesextensions sans tension démesurée. En même temps, la progression de lavoix inférieure, indiquée dans cet exercice, prépare l’oreille à entendre

19 Ce positionnement ne concerne pas uniquement les dixièmes mais égale-ment tous les autres cas d’extension des doigts, (les octaves doigtées, etc).

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l’intervalle correctement et donc à le jouer juste. On doit y faireparticulièrement attention car il n’est pas rare que les élèves abordentl’étude des dixièmes sans les entendre avec une précision suffisante. Etenfin, cet exercice contribue à créer un bon placement de la main puisqu’ilimpose de replier l’index et non d’étendre l’auriculaire.

L’autre difficulté spécifique des dixièmes, qui cette fois les différenciedes octaves, est le déplacement des doigts sur des intervalles différents lorsde l’exécution des progressions diatoniques. Cependant, la difficulté ne selimite pas à cela: même si les deux doigts franchissent le même intervalle,les distances qu’ils parcourent ne sont pas identiques. On l’entendparticulièrement bien lorsque les deux voix montent d’un ton. L’explicationen est une très grande distance entre les doigts.

L’élève doit absolument prendre conscience de toutes lesparticularités du mouvement des doigts dans les progressions diatoniques,et surtout il ne doit jamais perdre de vue que la distance entre les doigts estdifférente dans les positions supérieures et inférieures. C’est dans ce butque nous recommandons de commencer à travailler l’intonation desdixièmes en jouant d’abord deux notes d’une gamme et en élargissantensuite l’intervalle:

Fig. 100.

Afin de parvenir à rendre juste l’intonation, Auer (5) propose auxélèves de s’aider en tirant l’archet d’abord uniquement sur la cordesupérieure puis sur la corde inférieure.

Le point de vue de Mostras (26) est également intéressant. Il estimequ’en reliant les dixièmes on doit s’appuyer sur le doigt qui parcourt la plusgrande distance et qui par conséquent joue le rôle dominant lors dudémanché. Ainsi, c’est le quatrième doigt qui joue ce rôle dans l’exemple101 a), et le premier dans l’exemple 101 b):

Fig. 101 a) b)

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Lorsque la tonalité ne comprend pas de corde à vide, on peutrecommander le procédé que Yampolsky propose pour des cas analoguesd’octaves, (voir fig. 96).

Quant aux démanchés avec la corde à vide, Voicu (12) propose leprocédé suivant avec lequel toutefois on ne peut pas être d’accord:

Fig. 102.

Nous considérons ce procédé comme irrationnel parce que la“fixation” de la position qu’il suppose freine le mouvement et que lesvariation successives de la configuration de la main, (étirée - normale -étirée), bien qu’elles soient brèves, font perdre la sensation de l’intervallejuste.

Il est intéressant de noter que Paganini, d’après le témoignage deGuhr (55), exécutait les dixièmes dans les positions supérieures non pascomme il est d’usage, avec l’index et l’auriculaire, mais avec l’index etl’annulaire.

Mais ce doigté n’est évidemment accessible qu’aux violonistes dont lesdoigts sont particulièrement longs.

Les octaves et les dixièmes étudiés dans ce chapitre s’apparentent parleur procédé d’exécution aux progressions à l’unisson et à l’intervalle deseconde, ainsi qu’aux harmoniques “artificiels”. Remarquons cependantque l’on rencontre rarement ces progressions dans la littératurecontemporaine pour violon.

Les tierces et les octaves doigtées

Les tierces

Pour jouer les tierces on peut utiliser toutes les catégories principalesdes démanchés.

On subdivise les démanchés que l’on effectue avec les mêmes doigts,(le catégorie), en deux sous-catégories. Dans la première, qui comprend desdémanchés de la tierce Majeure vers la tierce majeure et de la tiercemineure vers la tierce mineure, on ne change pratiquement pas le

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placement des doigts, (fig. 103 a) et b)). Et dans la deuxième, au contraire,on modifie sensiblement leur placement lorsqu’on passe de la tiercemajeure vers la tierce mineure ou inversement.

Fig. 103.a) Rachmaninov. Romance

b) Tchaïkovsky. Concerto, Ier mouvement

Fig. 104.a) Khatchatourian. Concerto, Ier mouvement

b) Tchaïkovsky. Concerto, Ier mouvement

c) Dvarionas. Concerto, Ier mouvement

d) Rachmaninov. Romance

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Pour les démanchés qui appartiennent à la deuxième sous-catégorie,il faut tenir compte de la modification de l’écartement des doigts, (on lesécarte d’abord pour les resserrer ensuite, ou inversement), car prendreconscience de cet aspect technique améliore la justesse de l’intonation.Mais en réalité, il est préférable de commencer l’étude des tierces par lesdémanchés de la première sous-catégorie, car leur difficulté est moindre.Par ailleurs, cette catégorie, tout comme les octaves, obéit à la règle établiepour les démanchés effectués avec un seul doigt, à savoir que le début demouvement est serein et qu’il est suivi d’une accélération.

Les démanchés ascendants, commencés avec deux doigts placés plusbas et terminés avec deux doigts placés plus haut, peuvent être exécutésselon le procédé de la 2e, (fig. 105), ou de la 3e catégorie, (fig. 106):

Fig. 105. Glazounov. Concerto Fig. 106. Dvorak/Kreisler. Danse slave

Le choix des procédés d’exécution se fait en fonction du caractère del’œuvre.

Les changements de position descendants, que l’on commence avecles doigts “supérieurs” pour terminer avec les “inférieurs” obéissent auxrègles établies pour les démanchés de la 2e catégorie:

Fig. 107. Chopin. Nocturne

Les démanchés ascendants effectués des doigts “supérieurs” vers les“inférieurs”, (fig. 108), ainsi que les démanchés descendants effectués desdoigts “inférieurs” vers les “supérieurs”, (fig. 109), suivent les règlesd’exécution des démanchés de la 4e catégorie:

Fig. 108. Glazounov. Concerto

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Fig. 109. Dvarionas. Concerto, IIIe mouvement

On doit accorder une attention toute particulière à l’étude des tiercesoù l’on change de paire de cordes. Plusieurs manuels spécialisés, dont ceuxde Voicu (12), de Koeckert (60) et d’autres, font remarquer que leschangements de position de ce type doivent être réalisés en faisant glisserles deux doigts jusqu’aux notes auxiliaires correspondantes.

Fig. 110. Voicu. La mise en place d’un système de jeu naturel

Fig. 111. Koeckert. Page 7

Koeckert remarquait à ce sujet qu’il était souhaitable de réaliser cedémanché avec “deux doubles-cordes intermédiaires”:

Fig. 112.

Lorsque nous avons abordé les octaves, nous avons déjà notél’inutilité d’un tel procédé.

Les démanchés en tierces sont fondés sur l’utilisation de la corde“commune” au moment où l’archet se trouve sur cette corde. Le démanchés’effectue avec le doigt qui se trouve sur la corde commune précisément àcet instant. Ainsi, la forme générale de ces démanchés se rapproche de celledes démanchés de la 2e et de la 4e catégorie20. La figure 114 a) montre quele glissement se fait avec le 2e doigt au moment où l’archet se trouve sur lacorde de Ré. Ce démanché est réalisé de la même façon dans les casillustrés par les fig. 114 b) et c) :

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Fig. 114. a) b) c)

L’expressivité musicale des démanchés en tierces qui appartiennent àla 3e catégorie exige qu’ils soient exécutés en faisant glisser deux doigts dela manière suivante:

Fig. 115. Rakov. Concerto, IIe mouvement

Il est évident que ce glissement ne peut pas être combiné avec lesnotes auxiliaires et ne peut pas non plus suivre les mêmes règles que lesdémanchés joués sur une seule corde.

La fonction de la main droite acquiert une grande importance pour lesdémanchés où l’on passe d’une paire de corde sur une autre, étant donnéqu’au moment du contact de l’archet avec la corde “commune” on ne doitpas percevoir l’interruption des deux voix. C’est pourquoi il faut parvenir àrendre ce contact le plus bref possible, tout en conservant le caractèresouple et harmonieux du changement d’archet, mais sans le mettre en relief.

Le principe d’exécution de ces démanchés reste le même lorsque l’onne se sert pas de la corde commune. La distinction principale avec lepremier cas réside dans la manière d’effectuer le glissement de liaison.Cette fonction est remplie par le doigt le plus proche des deux cordes surlesquelles se posent ensuite les deux doigts suivants.

20 Les démanchés analogues, que l’on exécute toujours avec les deux mêmesdoigts et qui correspondent aux démanchés de la 1e catégorie, sont peuemployés. Toutefois, nous pensons qu’il est nécessaire d’indiquer un procédéplus rationnel. Il coïncide avec le procédé déjà décrit pour les octaves, danslequel on n’utilise pas la corde à vide:

Fig. 113.a) b)

Dans cet exemple, le démanché débute au moment où l’archet se posi-tionne sur la corde de La et se poursuit avec le déplacement de l’index sur lanote la.

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Comme on le sait les tierces font partie des doubles-cordes les plusutilisées. Largement présentes dans la cantilène, elles ont, tout comme lessixtes, une sonorité très expressive. Ceci s’explique par le fait que les doigtsse placent plus près les uns des autres que sur les autres intervalles, (commeles octaves et surtout les dixièmes), ce qui facilite considérablement levibrato, particulièrement important dans la cantilène.

De plus, dans la classe des doubles-cordes, les tierces sont un moyend’expression virtuose le plus facile à utiliser. Le nombre de passages, et mêmed’œuvres, entièrement écrits en tierces le prouve. Toutes ces considérationsrendent évidente l’importance d’une bonne maîtrise de ce procédé.

On constate souvent que l’appui excessif des doigts sur les cordes et lecaractère brusque du démanché qui en découle, privent les démanchés dela souplesse nécessaire et interrompt l’unité logique du mouvementgénéral. On a déjà remarqué à plusieurs reprises que tous ces défautsconstituent un frein important pour le jeu en général, et sont encore plusprononcés lorsqu’il s’agit des doubles-cordes et des tierces en particulier.

La technique des démanchés en tierces est fondée sur la maîtrise desdémanchés simples, étant donné que les lois qui les régissent sont égalementapplicables aux doubles- cordes. Les gammes jouées avec deux doigts, (1er et2e, ou 3e et 4e), par exemple, sont une aide précieuse pour se préparer àjouer des tierces. Si l’on maîtrise bien la technique des démanchés simples,les conditions d’exécution plus difficiles, comme celles des doubles-cordes,ne déforment pas les acquis techniques déjà en place, même si ledéplacement des doigts deux par deux demande une coordination parfaite etdonc une tension musculaire plus importante. L’enseignant doit toujours entenir compte pour bien cibler les exercices qui concernent ces mouvements.

Malheureusement, les recommandations de nombreux manuelscompliquent l’apprentissage des bases élémentaires des démanchés. Ainsi,1’”École” de David (49) propose d’utiliser le martelé dans les exercices quipréparent aux gammes en tierces, (probablement pour que la pause facilitela préparation et le positionnement des doigts). Mais cet exercice ne permetpas de contrôler la qualité du démanché, ce qui empêche l’acquisition debonnes habitudes du jeu.

Flesch (41) réduit l’exécution des tierces à trois éléments: 1) leplacement des doigts dans une position quelconque; 2) le changement deposition sur la même paire de cordes; 3) le changement de position d’unepaire de cordes sur une autre. Et il recommande de travailler séparémentchacun de ces trois éléments, pendant un mois. Nous croyons cependantque ce système crée un schéma d’apprentissage standardisé qui ne tient pascompte des particularités de l’élève ni du degré de sa préparation, ce quipeut conduire à des résultats négatifs. Tout d’abord, l’apprentissage

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segmenté conseillé par Flesch ne permet pas à l’élève de se concentrer sur lasensation de l’unité du mouvement, car même si l’élève maîtrise parfaitementchacun des trois éléments, il n’est pas certain qu’il maîtrise également laliaison de ces éléments. D’autre part, il est clair que l’on ne doit pas concentrerses efforts de la même manière sur chaque élément, mais uniquement sur leschaînons faibles. Ainsi, si l’on constate un ralentissement à cause de l’un deces éléments, on doit y remédier avec des exercices appropriés, mais mêmedans ce cas, on doit alterner ces exercices avec le mouvement effectué dans satotalité. Ceci afin que l’élève ait une idée correcte de la place qu’occupel’élément concerné dans la totalité du processus.

Il est très important de trouver un doigté adapté pour pouvoir jouer aveclégèreté et décontraction les progressions en tierces, plus particulièrementdans les registres inférieurs, où les démanchés se font d’une paire de cordessur une autre. Dans les registres supérieurs, où les démanchés sont aucontraire effectués sur la même paire de cordes, ce problème se réduit à fairecoïncider le démanché avec le temps fort.

Certains violonistes parviennent à une grande aisance et légèreté dansles registres supérieurs, y compris dans les tempos rapides qui permettentde ne presque pas soulever le 1er et le 3e doigts de la corde, notamment aucours du mouvement ascendant. Cela est totalement exclu dans les registresinférieurs où le mouvement de va-et-vient de la main gauche constitue ensoi une difficulté considérable. De plus, la qualité de la sonorité devientalors une complication supplémentaire, car les démanchés d’une paire decordes sur une autre alourdissent nettement le travail de la main droite.

Dans beaucoup de manuels, on trouve des indications sur le doigté,fondées sur l’opposition des tonalités qui permettent ou non l’utilisationdes cordes à vide.

Deux doigtés sont conseillés si l’on utilise les cordes à vide: 1. en passantpar la IIIe position (fig. 116); 2. en passant par la IIe position (fig. 117) :

Fig. 116.

Fig. 117.

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De notre point de vue, le premier doigté ne peut être considérécomme rationnel, surtout lorsqu’il s’agit du mouvement ascendant. Ledémanché vers la IIIe position que l’on effectue pour une seule note et surune distance relativement importante, freine considérablement la vitessed’exécution du passage, et c’est pourquoi, même parfaitement exécuté, ilintroduit beaucoup de nervosité dans le passage. Ce doigté peut être utilisélors du mouvement descendant mais uniquement si l’on n’effectue qu’unseul démanché et non une série de démanchés, ce qui n’est pas trèscommode en particulier si l’on joue staccato. On doit également ajouter quece doigté, comme le souligne Flesch (41), interrompt la bonne tenue desvoix, extrêmement perceptible dans la cantilène :

Fig. 118.

Le deuxième doigté est de ce point de vue plus rationnel, (fig. 117). Ladistance des démanchés étant plus courte, il permet d’alléger et d’unifier lastructure du passage dans les tempos rapides, plus particulièrementlorsque les démanchés coïncident avec le temps fort. Nous estimonstoutefois qu’on ne peut pas ériger en loi absolue l’utilisation des cordes àvide dans les tonalités qui le permettent. Il est quelquefois beaucoup pluslogique de ne pas s’en servir même si cela augmente la distance dudémanché. Par exemple :

Fig. 119.

S’aider des cordes à vide n’aurait pas été commode dans ce cas, carles démanchés coïncideraient ainsi avec le temps faible et non avec le tempsfort, et seraient effectués de la tierce majeure vers la tierce mineure et nonle contraire.

Deux doigtés sont également possibles dans les tonalités qui nepermettent pas d’utiliser les cordes à vide pour les gammes en tierces : lepremier implique le déplacement dans les positions paires21: demi-position- IIe position, IIe position - IVe position; et le deuxième, le déplacement dansles positions impaires: Ie - IIIe, IIIe -Ve). Il faut garder en mémoire que pluson s’élève dans les positions, moins le déplacement de la main est important,

21 On doit souligner en particulier l’importance du travail des gammes, (celaconcerne non seulement les tierces, mais aussi les octaves doigtées et les sixtes),dans les positions paires dont les enseignants tiennent rarement compte.

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et que les codes de La et de Ré ont un son moins éclatant dans les positionssupérieures. Mais le choix du doigté doit être fondé sur le principe déjàévoqué de la simultanéité du démanché et de l’accent rythmique.

Ces deux doigtés peuvent également être utilisés dans les passages entierces dans les tonalités qui admettent l’utilisation des cordes à vide.

Dans certains cas, comme par exemple les progressions en tiercesdans les positons inférieures, on se sert du doigté qui comprend desextensions et qui supprime ainsi un certain nombre de démanchés. Cedoigté est un exercice très intéressant si l’on doit muscler ses doigts etdévelopper leur agilité et leur souplesse. Et c’est bien pour cela queKorgouïev l’emploie dans son ouvrage “Exercices de doubles-cordes pourviolon”. Mais dans la pratique son intérêt reste limité.

Les octaves doigtées.

L’intérêt des octaves doigtées est qu’elles permettent de rendre plusprécises et expressives les progressions en octaves. On sait que toute unesérie de figures, de trilles, de mordants, etc, qui incluent les octaves nepeuvent être jouées qu’à l’aide des octaves doigtées. Par exemple:

Fig. 120. Khatchaturian. Concerto, Ier mouvement.

Les octaves doigtées sont également utilisées dans la cantilène paroctaves, lorsque l’on doit absolument exclure le glissando.

Le procédé technique d’exécution des octaves doigtées est très prochede celui des tierces, à la seule différence que l’on inverse le positionnementdes doigts: le 1er et 2e glissent sur la corde inférieure, et le 3e et le 4e sur lacorde supérieure. C’est pourquoi tous les démanchés de ce type, exécutéssur la même paire de cordes, obéissent aux mêmes règles que lesdémanchés en tierces de la le, 2e, 3e et 4e catégories.

Certains manuels, et notamment celui de Voicu (12), conseillent defaire glisser les deux doigts sur les cordes concernées:

Fig. 121

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Mais ce procédé, peu efficace pour les tierces, l’est encore moins pourles octaves doigtées, car il est très difficile de faire ainsi glisser les doigts enextension.

L’extension spécifique des octaves doigtées accentue encore ladifficulté technique. L’extension elle-même, la tension des doigts qu’elleprovoque, ainsi que le désir de l’élève de fixer la position écartée des doigtsen les appuyant davantage sur la touche, sont les principaux éléments quilimitent la liberté du déplacement de la main d’une position à une autre. Deplus, l’extension diminue la souplesse des démanchés. C’est pourquoi ondoit d’une part contrôler rigoureusement l’effort produit lors de l’extensionafin que cela n’accentue pas l’appui des doigts, et d’autre part respectertoutes les conditions qui assurent la souplesse des démanchés.

Il est plus rationnel de commencer l’apprentissage des octavesdoigtées dans les positions supérieures où les distances sont moins grandeset le ralentissement plus faible.

Nombre d’interprètes virtuoses ont réussi à rendre les octavesdoigtées aussi précises et légères, surtout dans le mouvement ascendant,que l’aurait fait un pianiste. Le Ier et le 3e doigt ne se soulèvent alorspratiquement pas des cordes.

Examinons plus en détail les éléments techniques qui concernent ledoigté des octaves doigtées. Nous considérons que le doigté proposé parJoachim (57) pour les gammes qui commencent par une corde à vide estirrationnel :

Fig. 122

Le défaut de ce doigté est la nécessité de changer le placement de lamain au cours du jeu et de passer du placement en quarte au placement enquinte, tout en déplaçant les doigts sur des distances différentes: le Ier doigtd’une seconde majeure et le 3e d’une tierce majeure. Il est évident que celacrée des difficultés supplémentaires, surtout si le tempo est rapide. Mais sil’on utilise le doigté habituellement conseillé, (Fig. 123), ces difficultésdisparaissent complètement :

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Fig. 123

Flesch (41) croit que la corde à vide ne peut être employée ici qu’audébut et non au milieu du passage. Cependant, le doigté qu’il propose pourle Caprice n°17 de Paganini, contient une corde à vide au milieu dupassage, ce qui contredit clairement sa position :

Fig. 124

Comme on le sait, on utilise le plus souvent le doigté suivant :

Fig. 125

Il n’est pas superflu de souligner qu’il est parfois possible de jouer lesoctaves doigtées avec un doigté qui implique l’utilisation d’une corde à videet des démanchés à la IIe position, comme cela a déjà été décrit pour lestierces. Ce doigté est conseillé par Doulov (18) pour la gamme ascendante:

Fig. 126

Elle semble difficile à première vue, parce que l’on est obligé de fairepasser le 2e doigt par dessus la corde. Mais on effectue ce transfert aumoment où l’archet se trouve sur la corde “commune”, et cela suffit à leréaliser, (mais il est particulièrement important de déterminercorrectement le moment du transfert du doigt).

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Le défaut le plus sérieux de ce doigté est le fait que les doigtsadjacents, (c’est-à-dire le Ier et le 2e, et le 3e et le 4e), sont fréquemmentséparés par une distance d’un demi-ton, complication considérable que l’oncherche à éviter dans la pratique.

Dans ce contexte, la proposition de Baïbourov paraît extrêmementintéressante. Il recommande d’utiliser les démanchés de demi-ton, ce quipermet de les exécuter non seulement avec le Ier et le 3e doigts, maisparfois aussi avec le 2e et le 4e, (Fig. 127).

L’avantage d’un tel doigté, perceptible après un certain entraînement,est qu’en diminuant les distances des changements de position, il confèreau jeu plus d’agilité et d’unité:

Fig. 127

Il est possible d’utiliser ce doigté aussi bien pour une gamme ascendanteque descendante. En revanche, le doigté proposé par Auer (5) et par Doulov(18) pour la gamme descendante, qui inclut la corde à vide et le démanché àla IIIe position, est beaucoup plus problématique, car il ne diminue pas lesdistances et altère l’unité de l’exécution du passage, étant donné que ledémanché à la IIIe position n’est effectué que pour une seule note.

Fig. 128

Les sixtes et les quartes.

Les sixtes

Leur particularité caractéristique est le transfert du doigt d’une cordesur une autre. Mais dans certains cas, ce démanché peut également êtreexécuté sans le transfert du doigt. Tout d’abord, en ce qui concerne lesdémanchés de la le catégorie, ils peuvent être effectués, tout comme lesdémanchés analogues en tierces, de deux façons: 1) soit en conservant le

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placement des doigts (comme c’est le cas par exemple pour le démanché dela sixte mineure vers la sixte mineure, ou de la sixte majeure vers la sixtemajeure); 2) soit en changeant de placement, (comme par exemple pour ledémanché de la sixte mineure vers la majeure et inversement). Étant donnéque la justesse d’intonation de ces démanchés pose problème, nousrecommandons de commencer l’étude des sixtes, (tout comme des tierces),par les démanchés de la le catégorie, où l’on ne modifie pas le placement desdoigts. Plus exactement, il faudrait commencer par apprendre à lier lesdegrés de la gamme à partir desquels sont formés les intervalles homogènes.

Les démanchés qui ne font pas intervenir le transfert des doigts sontégalement employés lorsque deux doigts remplacent deux autres, c’est-à-dire lorsque les démanchés se font du Ier et du 2e doigt sur le 3e et le 4e, (ouinversement), ou bien du Ier doigt et de la corde à vide sur d’autres doigts.Par conséquent, les démanchés en sixte sans le transfert peuvent êtreeffectués selon la 2e, la 3e et la 4e catégorie de démanchés. Les procédés deleur exécution obéissent aux mêmes règles que les démanchés simples.

Le transfert du doigt crée des difficultés techniques considérables quise traduisent par des impuretés au niveau de la sonorité. C’est pourquoi,aussi bien dans la littérature pédagogique que dans la pratique, on évite deconseiller de transférer le doigt en changeant de doigté. On utiliseessentiellement le doigté qui permet d’exécuter tous les démanchés ensixtes, et les sixtes jouées dans une seule position, en faisant glisser lesmêmes doigts des démanchés de la le catégorie. Un autre type de doigtépermet d’éviter le transfert du doigt grâce à la succession des doigts parpaires: le Ier et le 2e avec le 3e et le 4e22.

Et enfin, la combinaison de ces deux doigtés permet de jouer de longspassages en sixtes sans presque jamais utiliser le transfert du doigt. Parexemple :

Fig. 129. Glazounov. Concerto.

22 On doit remarquer que lorsqu’on applique ce doigté aux progressions enforme de gamme, les 3e et 4e doigts, en tombant sur la corde, expulsent enquelque sorte le 1er et le 2e, car, comme le souligne Mostras, garder les quatredoigts sur la corde n’est pas rationnel dans ce cas.

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Dans les passages en sixtes comme ci-dessous, il est préférabled’utiliser le le doigté qui induit le glissement de la même paire de doigts.

Fig. 130. Chopin. Nocturne.

Dans cet exemple, on ne peut pas utiliser le doigté combiné, commedans l’exemple précédent, car les nombreux mouvements de va-et-vient surla touche altèrent la souplesse et rendent l’intonation incertaine et instable.

Il existe un troisième type de doigté où les sixtes ne sont pas jouéesavec les doigts adjacents, ce qui rappelle les octaves doigtées :

Fig. 131.

Un tel doigté ne peut être utilisé que pour les progressionschromatiques de sixtes majeures. Les principes d’exécution sont alors lesmêmes que pour les octaves doigtées :

Fig. 132. Rachmaninov. Romance.

En revanche, ce doigté n’est pas applicable dans les progressionsdiatoniques, il crée une série d’inconvénients qui altèrent la justesse del’intonation, (même si le tempo n’est pas très rapide). On compte parmi lesinconvénients la disposition trop serrée des doigts lorsqu’il s’agit de sixtesmineures, et la position inadaptée des doigts adjacents qui en résulte,lorsqu’il s’agit de quintes, et même parfois de quintes diminuées :

Fig. 133.

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C’est pourquoi dans la pratique on utilise ce doigté en le combinantavec le doigté habituel.

Nous considérons que l’on ne doit pas abandonner totalementl’apprentissage des sixtes et des démanchés en sixtes à l’aide du doigtéhabituel comportant le transfert du doigt, car les différents doigtésproposés ci-dessus ne remplacent pas entièrement le transfert. D’autre part,dans les cas comme les doubles-cordes mixtes, les accords, etc, le transfertdes doigts devient obligatoire et développe en plus la légèreté et l’agilité.C’est la raison qui nous permet de refuser la méthode de Flesch (40) qui,dans les gammes en sixtes, propose de supprimer les démanchés avec letransfert des doigts au-dessus de la IIIe position et de les remplacer par leglissando de deux doigts.

L’étape indispensable de l’apprentissage des démanchés en sixte estun exercice préparatoire qui permet de se familiariser avec le transfert desdoigts en s’entraînant sur des sixtes dans une seule position, (on doitévidemment se rappeler que l’appui excessif des doigts sur les cordesralentit le mouvement). Ces exercices sont présentés dans les manuels deSigov (36) et de Korgouïev (19). Notre expérience pédagogique nousautorise à conclure que la pratique suffisante de cet exercice permet de biendévelopper l’agilité et l’adresse et confère une bonne sonorité auxprogressions en sixtes.

Le démanché avec le transfert du doigt devient facile à exécuter si l’onpart des procédés d’exécution des démanchés simples :

Fig. 134. a) b)

L’analyse de la fonction du premier doigt nous confirme qu’elle estcomposée de deux éléments: le majeur est le doigt du départ du démanché,mais il doit atteindre la note la de la sixte suivante. Son mouvement dépenddonc de la bonne coordination de ces deux éléments. Le démanché obéit iciaux règles des démanchés de la 2e catégorie, (c’est-à-dire qu’il se faitsimultanément avec l’affaiblissement progressif de l’appui du doigt, quifinit par se soulever entièrement). C’est justement à cet instant que le doigtest transféré avec facilité sur la corde adjacente. Afin d’éviter les impuretéssonores, on arrête parfois l’archet sur l’une des cordes un très court instant.

Les démanchés en sixte de la 3e catégorie sont effectués selon lesrègles correspondantes. Mais le mouvement du transfert a lieu plus tôt quepour les démanchés appartenant à la 2e catégorie :

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Fig. 135.

Lorsque le démanché se rapporte à la 4e catégorie, le majeur quicommence son glissement sur la corde de Ré est évincé par l’index (Fig. 136).

À cet instant, le majeur, au lieu de se soulever, continue sonmouvement sur la corde voisine où il évince de la même manièrel’annulaire. Ainsi, ce démanché en comprend en réalité deux, appartenantchacun à la 4e catégorie. Il ne s’agit pas seulement d’un doigté semblable,mais également d’un procédé d’exécution semblable. On peut s’en rendrefacilement compte si l’on fait glisser l’archet en alternance sur la cordesupérieure puis sur la corde inférieure.

Fig. 136. a) b)

Dans les démanchés en sixtes d’une paire de cordes sur une autre, onutilise l’instant durant lequel l’archet se meut sur la corde commune. Eneffectuant le démanché précisément à cet instant, on supprime la nécessitédes transferts.

En revanche, le procédé qui consiste à faire glisser deux doigts surdeux cordes est ici complètement injustifié.

On évite les démanchés dans les tonalités qui admettent l’utilisationde la corde à vide dans les registres inférieurs :

Fig. 137

Dans les registres supérieurs, ainsi que dans les tonalités qui nepermettent pas d’utiliser la corde à vide, le doigté est construit de la façonsuivante :

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Fig. 138

Korgouïev (19) propose un doigté fort intéressant pour ces cas :

Fig. 139. Korgouïev. Les exemples de doubles-cordes.

Ce doigté supprime un certain nombre de démanchés et de transfertsde doigts, grâce aux démanchés descendants qui se terminent par le 3e etle 4e doigt. L’utilisation de la demi-position et de la IIIe position dans lesregistres inférieurs crée ici les mêmes possibilités que pour les tierces dansdes conditions analogues et diminue le nombre de démanchés.

Les quartes

Les doubles-cordes sont du point de vue du procédé d’exécutionvoisines des sixtes.

Les quartes se distinguent des sixtes par la disposition inverse desdoigts, comme les octaves doigtées des tierces.

Fig. 140.

Cette différence détermine les particularités d’exécution des quartes.Cependant, les quartes sont plus apparentées aux sixtes de ce point de vueque les octaves doigtées aux tierces, car la caractéristique supplémentairedes octaves doigtées est l’extension qui modèle leur procédé d’exécution.

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On doit remarquer que les progressions en quartes dans leur formepure sont très rares dans la littérature musicale. Mais il nous semble qu’ilest tout de même utile de les travailler, car ces doubles-cordes contribuentà développer le sens de l’intonation, de même que l’adresse et la souplessedes mouvements des doigts.

11. Les interrelations existant entre la main gaucheet la main droite au cours du démanché. Lesprocédés d’exécution des démanchés lorsqu’ilscoïncident avec le changement de coup d’archet.Les démanchés et les différents coups d’archet.

En analysant le rôle de la main gauche, on doit le replacer enpermanence dans le processus global du jeu. L’un des principaux élémentsde ce processus demande une attention particulière: c’est la coordinationdes mouvements de la main gauche et de la main droite.

Comme le montre la pratique de l’enseignement, les démanchés vontsouvent de pair avec la modification de l’appui de l’archet sur la corde, oubien avec l’altération de l’uniformité de son mouvement.

Que ce soit chez les débutants ou chez les violonistes dont les mauvaisacquis sont trop profondément enracinés, on constate souvent que ledémanché est suivi par l’affaiblissement de l’appui sur la corde. On leperçoit encore plus nettement lors des grands démanchés. Il n’est pas rarealors de voir l’archet se soulever de la corde. Ce phénomène est égalementprésent lors des démanchés plus courts mais qui sont exécutés les uns aprèsles autres, (comme par exemple dans les progressions en forme de gamme).C’est sans doute le défaut le plus répandu du fonctionnement de la maindroite au cours des démanchés. On rencontre également le défaut inverse,lorsque le démanché est accompagné du crescendo provoqué par lerenforcement de l’appui de l’archet. Il ne s’agit évidemment pas du cas oùle démanché est lié au portamento accentué ou masqué par la main droiteen fonction du contenu musical.

Parmi les autres défauts de l’activité de la main droite, on doit citer leralentissement de l’archet, qui coïncide généralement avec l’affaiblissementde l’appui, ou au contraire, ce qui est plus rare, avec l’accélération de sonmouvement.

On observe également d’autres manifestations qui mettent enévidence l’interdépendance de la main droite et de la main gauche.

Ainsi, lors du passage des positions supérieures aux inférieures, la

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main droite suit les mouvements de la main gauche en déplaçant l’archetvers la touche. Bien que ce déplacement soit tout à fait naturel et qu’ilaméliore la qualité du timbre, il devient quelquefois tellement excessif quel’on a l’impression que l’archet glisse vers la touche, comme le remarqueMostras dans “L’Intonation du violon” (27, page 15).

Le parfait exemple de cette interdépendance est la manière qu’ont lesélèves de jouer glissando et d’un seul doigt les gammes chromatiques. Leurmain droite a tendance à imiter le mouvement saccadé de la gauche enproduisant ainsi une sorte de staccato.

L’activité de la main droite influe bien évidemment de la mêmemanière sur celle de la main gauche. Par exemple, lorsqu’on changeinvolontairement le degré de pression de l’archet sur la corde, cela modifieimmédiatement la force de l’appui des doigts de la main gauche et renddifficile la suppression de ce défaut extrêmement répandu. Le danger est icil’affaiblissement de la pression des doigts sur les cordes qui entraîne lemême affaiblissement de la pression de l’archet, ce qui altère la sonorité.Or, si l’enseignant persiste à exiger de l’élève un appui plus ferme sur lescordes l’élève aura tendance à trop forcer l’appui des doigts de la maingauche.

On constate que l’action de la main droite produit le même effetlorsqu’un passage est d’abord joué d’un certain coup d’archet puis d’unautre. Le changement qui affecte les mouvements de la main droiteentraîne généralement le même changement des mouvements de la maingauche et altère l’exécution du passage. Nous avons pu observer parexemple que le passage suivant, (fig. 141), était parfaitement exécuté si l’onse servait du “détaché”, mais que le spiccato de la reprise le rendaitextrêmement difficile à jouer à cause des modifications introduites auniveau des démanchés:

Fig. 141. Saint-Saëns. Introduction et Rondo-capriccioso

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Flesch donne un exemple intéressant des modifications de l’activitéde la main gauche en fonction de celle de la main droite. Il note que dansles passages qui se terminent par un flageolet ce dernier n’a souvent aucuneportée car le quatrième doigt copie le mouvement de l’archet qui se soulèvede la corde à la fin du passage, et n’atteint donc pas l’emplacement précisde la note:

Fig. 142.

On doit souligner également que l’importance des troubles de lacoordination se trouve en rapport direct avec la difficulté du mouvementexécuté et avec le degré de préparation que possède l’élève pour cemouvement. Si l’on se montre trop exigeant envers l’élève alors qu’il n’a pasété suffisamment préparé pour une difficulté technique donnée, onrecueille généralement de mauvais résultats. Par exemple, exiger desdémanchés imperceptibles pousse l’élève, s’il n’y est pas préparé, à affaiblirl’appui de l’archet ou à ralentir son mouvement. L’élève coordonne ainsi ledémanché avec le mouvement perturbé de la main droite et court le risqued’acquérir définitivement cette mauvaise habitude, surtout si ce momentdélicat n’est pas décelé à temps par 1’enseignant. On doit suivrerigoureusement la progression logique du plus simple au plus complexe, enfavorisant l’apprentissage des mouvements de plus en plus difficiles.L’ordre dans lequel sont assimilés les démanchés prend ici toute sonimportance. Il serait erroné par exemple de commencer par les démanchésde la 4e catégorie, les plus difficiles techniquement. Cependant, on leconseille souvent, notamment dans d’anciens manuels.

La mise en place d’une bonne coordination des mains doit être lapréoccupation primordiale du pédagogue. Malheureusement, l’enseignantest souvent confronté à un problème beaucoup plus ingrat qui est decorriger les mauvaises habitudes, acquises à la suite d’un débutd’apprentissage mal conduit. C’est pourquoi la prévention de ces mauvaiseshabitudes devient le travail essentiel de l’enseignant.

Cependant, on ne peut pas se limiter à perfectionner des relations decoordination séparées, car il est de toute manière impossible de prévoirtoutes les relations de coordination qu’un musicien est en mesure derencontrer au long de sa carrière musicale. On doit en fait parvenir àaccroître la rapidité avec laquelle l’élève intègre des problèmes nouveaux,car cela lui permettra d’assimiler avec plus de facilité et d’aisance lesformes multiples que revêt la coordination des mouvements. C’est pourquoi

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on doit développer la rapidité des processus nerveux dès les premiers pasde l’apprentissage, surtout lorsque l’aisance et la rapidité de l’élève sontdéficientes.

Par conséquent, nous estimons nécessaire de contrôler chaqueélément du mouvement qui est susceptible de perturber telle ou tellerelation de coordination. Ainsi, lorsqu’on introduit un élément nouveau,plus ou moins complexe, dans le mouvement de la main gauche, l’activitéde la main droite subit des modifications qui se traduisent par l’atténuationou l’accentuation des mouvements. Les nouveaux mouvements de la maingauche peuvent encore être maladroits, mais ils ne doivent en aucun casaltérer l’activité de la main droite. Toutefois, lorsque les signes d’une telleperturbation deviennent évidents, l’élément qui était à son origine doit êtretemporairement écarté en raison d’une préparation insuffisante de l’élèvepour ce mouvement. Dans ce cas, l’approche la plus judicieuse dicted’utiliser des exercices préparatoires qui permettent de supprimer lesobstacles que pose l’apprentissage de ce mouvement.

On recommande alors soit d’introduire des exercices spéciaux dès letout début car ils contribuent à l’établissement de liens de coordination,soit d’adapter à cette fin des exercices courants de la pratique pédagogique.L’un de ces exercices consiste à exécuter plusieurs mouvements d’archetpour un seul mouvement d’un des doigts de la main gauche (les exercicesde “détaché” sur une seule note) . Sans nier l’importance de ces exercicesau début de l’apprentissage, il nous semble préférable de les élaborer àpartir de groupes rythmiques que l’on modifierait, en utilisant pour cela desétudes ou des gammes correspondantes. Par exemple :

Fig. 143. Komarovsky. Étude n°8.

a)

b)

c)

L’intérêt de cet exercice est le suivant les groupes de quatre doublescroches de l’exercice a) font travailler la coordination entre les doigts de lamain gauche et le mouvement correspondant, descendant ou ascendant, del’archet. En ce qui concerne les exercices b), c), d) et e), ce problème secomplique car là, la fréquence des cas de coordination augmente. Il peut

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être intéressant de poursuivre ces exercices par des quintolets, des sextoletset des septolets dans le but d’augmenter la difficulté des figures rythmiques.Tous ces exercices sont une excellente préparation pour améliorer lacoordination entre la main gauche et les mouvements de l’archet lorsque letempo est rapide. Ces exercices sont utiles non seulement au début del’apprentissage, mais également lorsque l’on travaille sur la précision de lacoordination en fonction des différents coups d’archet.

Nous avons déjà dit que l’acquisition des relations de coordinationdépendait de la rapidité des processus nerveux de l’élève, dont on devaitévidemment tenir compte au cours de l’enseignement. Cependant, onrencontre souvent des indications dans certains manuels qui contredisententièrement ce principe.

Flesch (41), par exemple, recommande de jouer les gammes enattribuant à chacune un seul doigté, car selon lui cela facilite ensuite ledéchiffrage. En effet, dans ce cas, une relation de coordination réflexe secrée de cette façon avant de s’ancrer solidement chez l’élève. Il suffit alorsau violoniste de reconnaître visuellement la séquence pour que ses doigtsexécutent avec légèreté et rapidité la série de mouvements mémorisés. Enconseillant à l’élève de ne pas retenir des doigtés différents, Flesch essaie delui éviter la difficulté du choix au moment même du jeu.

L’erreur de Flesch est de ne pas tenir compte du fait que l’on n’est pasen mesure de prévoir tous les cas possibles lorsque l’on travaille à l’avance des“complexes” entiers de mouvements. D’autre part, une suite de mouvementsdonnée peut demander un tout autre moyen d’exécution, et notamment undoigté différent, si le contexte change. Le violoniste doit alors modifier la sériede mouvements apprise, ce qui est un problème de beaucoup plus grandeampleur, car cela brouille les repères au moment du déchiffrage.

La solution de ce problème se trouve sur une toute autre voie, celle dudéveloppement de la réaction motrice rapide, qui apparaît en réponse à laperception visuelle et par conséquent auditive. Ce travail dépend en grandepartie de la vivacité des réactions du violoniste. En revanche, apprendre desdoigtés différents pour une gamme, c’est-à-dire former plusieurs complexesmoteurs réflexes qui répondent à des problèmes différents, ne peut quecontribuer à améliorer la souplesse de ces processus. L’exercice proposé parYampolsky est particulièrement intéressant: l’élève doit exécuter desgammes descendantes, à partir du La par exemple, dans des tonalitésdifférentes, (Si majeur, Ré majeur, Ré mineur, Sol majeur, etc). Cetteméthode, contrairement à celle de Flesch, développe la vivacité desréactions, indispensable au déchiffrage.

La question des relations de coordination entre les fonctions de lamain gauche et celles de la main droite a été abordée dans le manuel de

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Lesmann “Les différentes voies de progression du violoniste” (21). Lesexercices proposés peuvent, entre autres, être utilisés pour mettre en placeles voies motrices réflexes, mais leur but principal n’est pas tant de lesmettre en place au début de l’apprentissage, que de corriger les défautsapparus à la suite d’un apprentissage incohérent. Cependant, chaqueenseignant doit en priorité travailler sur les procédés corrects et prévenirl’apparition des perturbations de la coordination.

Nous allons à présent énumérer les problèmes de la coordination quel’on rencontre le plus souvent. Ce sont avant tout des défauts de l’activité dela main droite qui apparaissent à la suite des démanchés effectués par lamain gauche. C’est aussi l’altération de la précision de la coordination entreles doigts de la main gauche et les mouvements d’archet correspondants.Les innombrables défauts de coordination naissent en général précisémentlorsque l’intensification des mouvements d’une main se répercute surl’activité de l’autre.

Le trille par exemple est souvent à l’origine de l’accentuation del’appui ou, au contraire, de son affaiblissement considérable. En règlegénérale, cette perturbation naît de la tentation d’exécuter le trillerapidement, ce qui, sans préparation suffisante, entraîne inévitablement latension musculaire qui se répercute à son tour sur le jeu, ainsi que surl’activité de la main droite.

Afin de parvenir à exécuter correctement le trille, nous estimons quel’on doit revoir comme mouvement de référence le battement calme etrythmique du doigt sur la corde, la main gauche restant parfaitementdécontractée. Ces exercices préparent naturellement l’exécution rapide dutrille.

L’intensification des fonctions de la main gauche, lorsque celle-ciconcerne le vibrato, l’accélération des mouvements des doigts, etc, peutaussi avoir des effets négatifs sur l’activité de la main droite. De même,lorsque les mouvements de la main droite s’accélèrent, ils peuventperturber tout autant l’activité de la main gauche; par exemple, latransition du piano au forte, qui implique une pression plus forte del’archet sur la corde, conduit souvent la main gauche à accélérer le tempodu passage ou du vibrato dans la cantilène.

Le procédé qui permet d’effectuer le démanché au moment duchangement de coup d’archet est l’un des problèmes centraux de lacoordination des mouvements. Malheureusement, cette question est soittout simplement éludée dans les manuels, soit abordée de façon inexacte.

Joachim (57), par exemple, ne traite que le cas où le démanché et lecoup d’archet ne coïncident que pour parvenir à relier harmonieusement

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les sons qui se trouvent dans des positions différentes, de la manière la plusadroite et rapide possible, afin que même une oreille attentive puisse àpeine le percevoir. Toutefois, il n’indique pas le moyen pour y parvenir.Sevcik (43), Woldan (72), et Lesmann (20, 21, 23) croyaient que l’on devaitreporter le début du démanché au deuxième coup d’archet. Nemirovsky(30) a une opinion contraire. Il considère que le début de tous lesdémanchés doit coïncider avec le premier coup d’archet. Mikhaïlovsky, lui,recommande de “faire une pause après avoir terminé de jouer dans uneposition, de changer de position durant cette pause, et seulement après depasser à un autre coup d’archet” (25, p. 69).

L’erreur principale de tous ces auteurs est d’étendre leurs points devue à tous les démanchés qui sont liés aux changements de coup d’archet,alors que les différentes catégories de démanchés se distinguent les unesdes autres non seulement par leur procédé d’exécution, mais aussi par leursignification expressive et musicale. Yampolsky (45) aborde cette questionavec une meilleure compréhension. En effet, il ébauche la différenciationdes procédés d’exécution. Ainsi, Yampolsky reporte le glissement de liaisondes démanchés de la 2e catégorie au premier coup d’archet, et celui de la3e catégorie au deuxième coup d’archet. On doit souligner que ce procédécorrespond tout-à-fait aux caractéristiques musicales et expressives de cettecatégorie de démanchés.

Fig. 144. Yampolsky. Les fondements du doigté pour violon

En partant du fait que les démanchés se distinguent par leurspropriétés musicales et expressives, on différencie leur utilisation enfonction du contenu de l’œuvre exécutée. Étant donné que la particularitédes démanchés de la 2e catégorie est le portamento, qui prend source enquelque sorte dans la note précédente tout en y restant lié, il serait erronéde le séparer par un changement prématuré de coup d’archet. De la mêmemanière, on ne doit pas séparer le portamento de la note suivante lors d’undémanché de la 3e catégorie, car dans ce cas il doit se fondre avec la notequi le suit. De plus, c’est justement là que réside tout l’intérêt musical etexpressif de ce démanché.

Examinons à présent les autres catégories de démanchés qui sont liésaux changements de coup d’archet.

En ce qui concerne le démanché de la le catégorie, Woldan (72),Sevcik (43) et d’autres auteurs recommandent de reporter le glissement de

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liaison au deuxième coup d’archet. Certains auteurs, comme Koeckert (60)et Yampolsky (45), croient que l’on doit au contraire reporter le glissementde liaison au premier coup d’archet. Nous pensons toutefois que ce seraitappauvrir les moyens d’expression que de se limiter à un seul de cesprocédés. En réalité, le déplacement du moment du changement de coupd’archet modifie considérablement la sonorité du procédé choisi. Dans lepremier cas on met en valeur le début du glissement, grâce à la liaison duportamento avec le premier son, et dans le deuxième cas on souligne sonachèvement, c’est-à-dire la liaison du portamento avec la première note :

Fig. 145.

L’utilisation adéquate des deux procédés élargit les possibilitésexpressives des démanchés de la le catégorie, ainsi que ceux de la 2e et dela 3e catégories.

On résout de la même façon le problème de l’exécution desdémanchés de la 4e catégorie :

Fig. 146.

Dans l’exercice a), le portamento se rapporte au premier coupd’archet, ce qui a pour effet de souligner le début du démanché, c’est-à-direle glissement du doigt initial et dans l’exercice b), le portamento se rapporteau deuxième coup d’archet, ce qui met en valeur la deuxième phase dudémanché, à savoir le glissement du doigt suivant. Nous constatons ainsique les possibilités de l’expressivité musicale de cette catégorie dedémanchés sont beaucoup plus vastes que celles que préconisent certainsmanuels lorsqu’ils adoptent un seul procédé d’exécution. Le choix de l’unou de l’autre procédé doit répondre à chaque fois aux exigences del’expressivité déterminée par le caractère du démanché.

Toutes ces considérations concernent principalement les démanchésascendants. Quant aux changements de position descendants, on n’y admetque des portamentos qui partent de la note initiale, en raison des exigencesd’ordre esthétique. Le démanché de la 3e catégorie n’y est donc pasemployé. C’est ce qui définit également le moment du changement de coupd’archet au cours des démanchés descendants de la le et de la 4e catégories,

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dans lesquels le portamento doit donc être relié au premier coup d’archet:

Fig. 147. a) exact b) inexact

Ici, certains interprètes emploient parfois le procédé inverse, maiscela reste de l’ordre de l’exception, car cela demande beaucoup devirtuosité.

Tout ce qui concerne les progressions descendantes est aussi valablepour les démanchés où l’on alterne les doigts sur une note dans unmouvement descendant. Par exemple:

Fig. 148.

Nous avons examiné jusqu’à présent les procédés d’exécution desdémanchés dans la cantilène où il était nécessaire de mettre en valeur telou tel portamento, ou de lui donner tel ou tel caractère en fonction du sensde la musique. En revanche, lorsque le tempo devient plus rapide et lorsqueles portamentos doivent être imperceptibles, ces procédés changent. Lesdémanchés de la 3e catégorie ne sont pas du tout utilisés dans les passagesrapides, et quant à ceux de la 2e catégorie, on reporte toujours le glissementde liaison au premier coup d’archet. En ce qui concerne le portamento desdémanchés ascendants de la le et de la 4e catégories, il est reporté audeuxième coup d’archet, car cela permet de rendre le démanché moinsperceptible, alors que le procédé inverse freine le déplacement de la maingauche sur la touche et altère donc la régularité du jeu. Le changement deposition descendant de la 4e catégorie, exécuté rapidement, doit êtrereporté au coup d’archet initial car il ne peut être effectué qu’en faisantglisser le doigt initial.

La question des relations de coordination est très étroitement liée à laquestion de la qualité sonore, qui veut dire plénitude, richesse, absenced’impuretés, spécificité du timbre, etc.

On doit se rappeler que la sonorité dépend entre autres de l’endroitprécis de la corde où se pose l’archet.

Flesch (53) s’est intéressé de près à ce problème et il est parvenu à la

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conclusion qu’afin d’obtenir une meilleure sonorité, le point de contact del’archet avec la corde doit être fonction premièrement, de la position où setrouve la note, deuxièmement, de la dynamique, (forte ou piano), ettroisièmement, de la vitesse de progression de l’archet. La parution de cetouvrage eut comme conséquence l’association du nom de Flesch à laproblématique de la sonorité et du point de contact de l’archet avec lacorde. Cela est très certainement justifié. Mais, il ne faudrait pas oublierque Lesmann a abordé ce sujet dans son “École du jeu pour violon” en1924, c’est-à-dire sept ans avant Flesch. Il estimait que l’endroit de lameilleure sonorité variait en fonction de la vitesse et de la densité des coupsd’archet, ainsi qu’en fonction de la longueur du segment de la corde quivibre.

Lesmann a également élaboré un tableau spécial, reproduit ci-dessous:

Tout cela montre combien il est important, à condition d’avoir unebonne coordination des mouvements, de savoir déterminer le point decontact de l’archet avec la corde pour améliorer la sonorité. Il est clair quec’est à l’interprète lui-même d’évaluer la sonorité et son adéquation aucaractère de la musique, comme on l’a déjà souligné pour l’intonation.Cette condition est indispensable à la formation d’acquis professionnels.

L’un des principaux éléments de la coordination des deux mains esten relation avec les coups d’archet. Par exemple, lorsque l’on joue legato unpassage qui s’étend sur plusieurs positions, l’archet doit se déplacer soit duchevalet vers la touche s’il s’agit d’un passage descendant, soit, au contraire,de la touche vers le chevalet si le passage est ascendant.

Les octaves brisées sont un cas particulier de la coordination des deuxmains. Le moment essentiel est ici le transfert, souvent embarrassant, del’archet d’une corde sur une autre. Généralement, on résout ce problème enchangeant tout simplement de doigté: par exemple, au lieu du doigtécommunément admis, (fig.149), on utilise le doigté de la figure 150:

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Fig. 149. Brahms. Concerto, IIe mouvement

Fig. 150. Brahms. Concerto, IIe mouvement

Dans ce cas, il faut tenir compte des faits suivants. Un tel changementde doigté supprime effectivement les impuretés désagréables, mais ilconfère en même temps un caractère quelque peu pianistique au timbre. Ledoigté courant présente, au contraire l’avantage de rendre la sonorité pluschantante. C’est pourquoi le choix décisif du moment de transfert del’archet doit se faire principalement en fonction de considérations d’ordreesthétique et musical.

La solution de ce problème dépend entièrement de la note de départdes octaves:

Fig. 151. a) b) Brahms. Concerto, IIe mouvement

Dans l’exemple a), l’archet doit rester sur la corde inférieure, jusqu’àce que la main gauche passe dans la position suivante. Ce cas illustreparfaitement notre analyse du procédé d’exécution des démanchés de cettecatégorie. En revanche, si l’on passe trop vite à la corde supérieure, on estconfronté à l’apparition du glissando, inacceptable du point de vueesthétique.

Dans l’exemple b) l’archet doit également rester sur la cordesupérieure jusqu’à ce que la main gauche change de position. Ce procédécorrespond au procédé d’exécution de cette catégorie de démanchés,analysée antérieurement.

Le transfert prématuré de l’archet sur une autre corde, que ce soitdans le premier ou le deuxième cas, modifie la catégorie du démanché. Le

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démanché effectué à l’aide du glissement du doigt initial devient undémanché où l’on utilise le glissement du doigt qui suit le doigt initial. Cedernier démanché doit, comme on le sait, être évité s’il s’agit dumouvement descendant. De plus, même si dans ces deux extraits ontransfère l’archet au bon moment, cela ne signifie pas que l’on obtienneimmédiatement une bonne sonorité, car elle dépend aussi du caractère desmouvements qu’exécute le doigt au cours du démanché. L’affaiblissementnécessaire de l’appui du doigt qui se produit au cours du glissement peutdifficilement se produire, à cause du doigt qui doit rester en permanencesur la corde. Le procédé correct consiste à maintenir une telle pression dudoigt qui tout en restant faible ne permet pas au doigt de se soulever au-dessus de la corde. Ainsi , d’une part le contact du doigt avec la corde n’estpas rompu, et d’autre part, on supprime une certaine dureté du glissement,ce qui élimine tout résultat sonore négatif.

Lorsque l’on joue legato les octaves brisées, et que le tempo estsoutenu, le moment du transfert de l’archet sur une autre corde coïncidenaturellement avec le moment du changement de position. Cependantl’exécution correcte des octaves brisées dans des tempos rapides doit êtrepréparée par l’apprentissage du procédé cité ci-dessus.

Les octaves brisées ascendantes sont effectuées de la même manière.

L’utilisation du “détaché” est souvent liée aux problèmes decoordination suivants: l’affaiblissement de la pression de l’archet sur lescordes, la diminution de la portée de son mouvement, la crispation desdoigts de la main droite, etc. Tous ces défauts se manifestent encore plusnettement si le démanché n’a pas été correctement préparé, ou si lesprocédés d’exécution n’ont pas été entièrement assimilés par l’élève.

Lorsqu’il s’agit des coups d’archet saccadés, comme le martelé, lespiccato, etc, c’est-à-dire lorsque les sons sont séparés par des silences, lesdémanchés doivent être effectués précisément pendant ces interruptions deson. Étant donné que les silences sont créés par la limitation de la durée duson, le démanché est toujours effectué avant le début du coup d’archet,sinon le glissando serait audible, ce qui déformerait le sens sonore du coupd’archet qui réside dans l’attaque du début de chaque note. Le staccato, oùles notes détachées sont réunies par un seul mouvement d’archet, impliqueégalement que l’on effectue les démanchés uniquement durant les silences.

Le problème de la coordination se révèle particulièrement difficilepour les deux mains lorsque le “détaché”, le spiccato, etc-, doivent êtreeffectués rapidement. L’un des moments les plus difficiles est de faireparfaitement coïncider les mouvements de la main gauche et le mouvementde l’archet. Cette difficulté devient encore plus importante lorsque l’archetchange de corde ou lors des démanchés.

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L’élément principal qui coordonne l’activité des deux mains estcomme on le sait le rythme dont l’importance s’accroît encore davantagedans les cas qui viennent d’être analysés. Par conséquent, on doit mettreavant tout en évidence les éléments essentiels qui pourraient contribuer àstabiliser le rythme, en sachant que la maîtrise insuffisante des démanchésentraîne très facilement des perturbations au niveau du rythme, et donc auniveau de la coordination.

Ainsi, la condition indispensable pour réaliser des coups d’archetrebondissants, (le spiccato, le ricochet), est la parfaite similitude desmouvements rebondissants qu’effectue l’archet, car si jamais l’archetrebondit de façon inégale, à une distance toujours différente, le temps duretour de l’archet sur la corde sera lui aussi différent à chaque rebond etaffectera nécessairement le rythme. De telles perturbations rythmiquessont fréquemment observées lors des démanchés, et plus particulièrementlorsque les démanchés sont exécutés d’une manière brusque, puisque celaagit toujours sur les mouvements de la main droite en provoquant desrebonds irréguliers de l’archet. Les démanchés qui incluent des coupsd’archet rebondissants compliquent considérablement la coordination si letempo est rapide. Le plus difficile est de faire coïncider le démanché avecle rebond de l’archet, et le début de la note suivante avec la chute de l’archetsur la corde. C’est ce qui explique pourquoi il est si difficile d’utiliser descoups d’archet rebondissants dans les progressions en forme de gamme,dans les arpèges, etc, étant donné qu’ils font appel à de nombreuxdémanchés. On peut en faciliter considérablement l’apprentissage si l’onparvient à fixer l’attention de l’élève sur le fait que l’archet doit rebondir lemoins possible sur la corde.

La coordination des mains qui respecte totalement les exigencesartistiques de l’œuvre exécutée, se met en place lorsque s’établissent larelation et l’interdépendance entre les coups d’archet et le doigté choisi.Cette relation est dictée avant tout par la nécessité d’exprimer totalement lecaractère du matériau musical, nécessité qui détermine l’essencedynamique et variable de la relation. C’est pourquoi on ne peut pas parlerde la constance de la relation existant entre les coups d’archet et les doigtésdifférents. Nous ne pouvons donc qu’être d’accord avec le point de vue deMoser (66) qu’il émet au sujet du doigté appliqué à l’extrait suivant, tiré dela finale du 23e Concerto de Viotti:

Fig. 152.

En proposant ici deux doigtés possibles, Moser écrit que si ce passageétait joué avec d’autres coups d’archet, que ce soit le détaché ou legato, on

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n’aurait pas pu contester les indications notées au-dessus de la portée. Maiscomme les coups d’archet indiqués impliquent des démanchés peucommodes, ce qui entraîne de surcroît des défauts d’ordre esthétique etsonore, il est préférable d’utiliser le deuxième doigté qui permet de mieuxfaire coïncider le changement de coup d’archet et le démanché, et deparvenir à un résultat nettement meilleur. Ainsi, Moser canonise en quelquesorte la relation existant entre le doigté et le coup d’archet. Cependant,l’immuabilité d’une telle relation peut dans certains cas contredireentièrement l’essence artistique de l’œuvre. Dans l’exemple donné parMoser, cette relation est fondée sur le principe de la simultanéité dudémanché et du changement de coup d’archet. Cela permet de masquer lesmanifestations sonores du démanché. L’application de ce principe estcertainement positive, mais uniquement lorsque l’on doit rendre unpassage rapide très précis et brillant. En. revanche, l’utiliser dans d’autresconditions, comme dans des œuvres demandant une sonorité pluschantante, conduit au résultat contraire. C’est pourquoi, Yampolskyconseille d’utiliser dans un extrait analogue, tiré de la Chaccone de Bach,un doigté totalement différent de celui de Moser. Il obtient ainsi un timbrebeaucoup plus lyrique et expressif :

Fig. 153.

Étant donné que le démanché est toujours exécuté “aux dépens” de lanote précédente, il est préférable de choisir un doigté en s’appuyant sur leprincipe d’exécution du démanché après une note longue, et non après unecourte.

Fig. 154. Taneïev. Tarentelle Fig. 155.

Dans le cas contraire, on note que l’exécution du démanché devientagitée et tendue, ce qui nuit au caractère de la sonorité en lui ôtant salégèreté et son élégance spécifiques.

On voit donc que l’acquisition des relations de coordination acquiertune extrême importance, car elles déterminent l’unité des différentes

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fonctions des mains en rapport avec les exigences musicales de l’œuvre.L’enseignant dont le but est de créer des conditions favorables àl’acquisition de la coordination, porte donc une lourde responsabilité.

Cette étude était consacrée aux différents aspects du problème dechangement de position effectué en fonction des problèmes d’exécutiond’ordre musical. Cette analyse nous permet d’établir des règles généralesqui peuvent être utilisées par des interprètes et des enseignants. Pour plusde commodité, nous les présentons ci-dessous sous forme de paragraphesnumérotés.

1. Le travail sur la justesse d’intonation des démanchés doit être fondésur la méthode d’apprentissage des distances.

2. Le démanché est effectué grâce au mouvement de tout le bras, etnon pas d’une partie du bras, que ce soit la main, l’avant-bras ou l’épaule.Cependant, l’avant-bras ou la main peuvent, dans certains cas, être leprincipal élément du mouvement, les autres parties de la main les suiventalors, ou bien effectuent des mouvements auxiliaires.

3. Au début de l’apprentissage on recommande d’aborder le plus tôtpossible les mouvements horizontaux des deux mains qui soit font partiedes démanchés, soit en constituent la préparation. Cette méthode estorientée sur le dépassement du réflexe inné de préhension qui limiteconsidérablement la liberté des mouvements de la main gauche au coursdes démanchés. De plus, cette méthode contribue à développer de bonneheure la coordination entre les principaux mouvements de la main gauche,et plus précisément entre les mouvements verticaux des doigts et lesdéplacements horizontaux du bras.

4. Chaque procédé est dynamique et modifiable en fonction desproblèmes de l’interprétation et d’autres moments particuliers du jeu, telsque la tenue du violon en un seul ou en plusieurs points d’appui, lepositionnement du coude gauche, le placement du pouce et la pression desdoigts sur les cordes.

5. L’apprentissage des mouvements du jeu est centré sur l’apparitionet la consolidation de la perception du caractère des mouvements exécutés,en fonction de la sonorité produite.

6. La plupart des démanchés sont caractérisés par un début lent suivid’une accélération. L’individualité de l’interprète, ainsi que les spécificitésdu texte musical qui déterminent le caractère du démanché, peuventinfluer sur l’instant du début de l’accélération et sur l’accélération elle-même, mais; elles ne changent jamais le caractère même du mouvement.Cette particularité de l’exécution du démanché est à la source de la

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souplesse et de l’aisance du changement de position. Elle est également àl’origine du caractère chantant de la sonorité, et de la légèreté et de l’agilitétechniques.

7. Les notes auxiliaires ne sont pas des éléments obligatoires dudémanché, car le choix du procédé d’exécution doit se faire non pas enfonction des indications théoriques sur l’utilisation des notes auxiliaires,mais en fonction du contenu musical de l’œuvre. Toutefois, on doitremarquer que les notes auxiliaires peuvent faciliter l’assimilation deschangements de position au début de l’apprentissage.

8. Les démanchés en doubles-cordes obéissent en règle générale auxmêmes règles d’exécution que les démanchés simples.

9. Le placement le plus judicieux du violoniste se forme en relationétroite avec les mouvements du jeu. Si cette relation est rompue, on érigeen dogme les différentes formes du placement et on détache parconséquent le placement du processus vivant du jeu. Le placement peutalors se révéler incorrect et nuire à l’évolution du violoniste.

10. La mise en évidence et l’apprentissage des mouvements du jeudoivent se faire en relation permanente avec les perceptions auditives, etnon pas à partir de schémas “de référence” abstraits.

11. Le caractère de la sonorité et par conséquent celui desmouvements du jeu doit être défini par le caractère de la musique.

Ainsi, on met en évidence le lien indissoluble existant entre l’imagesonore, le mouvement et le placement. L’altération de ce lien, quelque soitle chaînon concerné, entraîne des erreurs d’ordre formaliste. Le processuspédagogique doit assurer le développement harmonieux du côté techniqueet artistique du jeu de l’élève.

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Yuri avec ses parents

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Premier concert à Omsk

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En quatuor devant l’Armée Rouge en 1942

Le professeur Nalbandian

Le professeur Berline

Avec Abram Yampolsky

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� 227 � Zigward Steinberg Arcady Fouter

Assistante Maya Glezarova Avec l’accompagnatrice Natalia Izhevskaya

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Yehudi Menuhin

Avec Isaak SternAvec Mstislav Rostropovitch

Leonide Kogan

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Avec ses élèves - 1966

Lina Gouberman

Vladimir Lantzman

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Après le concert - 1969

Mikaïl Bezverkhny

Lidya Doubrovskaya

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Irina BotchkovaMikaïl Bezverkhny

Lidya DoubrovskayaGrigori Zhisline

Grigori Zhisline Dora Schwarzberg

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Vladimir Spivakov et Yuri Yankelevitch.

Vladimir Spivakov.

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Vladimir Spivakov,Victor Tretiakov,Vladimir Ivanov, Nélly Chkolnikova.

Alexandre Brussilovsky.

Alexandre Brussilovskyaccompagné par Ludmila Kourakova en répétition avec le Maître.

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DEUXIÈME PARTIE

Tatiana Gaïdamovitch

L’ŒUVRE DU MAÎTRE DANS LA VIE DE SES DISCIPLES

De nombreux noms d’enseignants avant-gardistes, dont les méthodesnovatrices étaient étayées par des résultats pratiques brillants, sont gravésdans l’histoire de l’art de l’interprétation. Ces pionniers réussirent à créerleurs propres écoles en réunissant sous leur égide tous ceux qui avaient lesmêmes aspirations artistiques. Les noms de Yampolsky, Zeitlin, Mostras,Poliakine ont toujours la même renommée. Les réalisations pédagogiquesde Oïstrakh possèdent toujours la même puissance. Les réussites de Koganse distinguent toujours par leur originalité. Ajoutons également à cettepléiade de pédagogues le nom de Yankelevitch. L’activité du Maître, quimaniait à la perfection “la poésie de la pédagogie”, concilia avec une rareharmonie la théorie et la pratique, l’objectivité extrême du chercheur etl’audace subjective du réformateur.

Lorsqu’on questionnait Yankelevitch sur les sources de sa passionpour la musique et la pédagogie, sur les fondements de son étonnantecapacité de travail et de sa discipline intérieure, il se remémoraitinvariablement avec affection son enfance et ses années d’études. “Dans lamaison de mon père, célèbre avocat de sa ville, la musique résonnait enpermanence.23 Les musiciens de notre ville et d’ailleurs y répétaientsouvent. Mon père, sévère, habituellement silencieux et pédant dans sa viefamiliale, se radoucissait lorsqu’il prenait dans ses mains l’un de ses trésors,le violon de Guarneri ou de Mangini. Il est probable, ajoutait Yankelevitch,que j’ai hérité de mon père l’amour pour les beaux instruments et uncertain pédantisme. Mais l’âme véritable de nos concerts familiaux était mamère. Sa beauté, son charme et son talent pianistique apportaient toujoursde l’animation. L’écouter jouer me procurait un plaisir indicible. C’est ainsique j’ai fait connaissance avec la sonate en La majeur de Beethoven et letrio de Mozart, pour piano, clarinette et alto, où mon père jouait la partied’alto.”24

23 Issai Leontievitch Yankelevitch (1877-1939) fut l’un des fondateurs de laSociété Philharmonique d’Omsk.24 La source de Gaïdamovitch est toujours le texte des entretiens de l’auteur decet article avec Yankelevitch.

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L’arrivée à Omsk du violoniste Berline25 fut un grand événement pourla famille Yankelevitch. Élève de Léopold Auer et excellent musicien,Anissim Berline était précisément l’enseignant dont avait besoin l’enfantprodige. Les progrès ne tardèrent pas à se manifester. Deux ans plus tard,en 1921, le jeune violoniste interprète avec succès, à la soirée de la SociétéPhilharmonique d’Omsk, “La Ballade” et “La Polonaise” de Vieuxtemps.26

Et trois ans plus tard, Yuri est invité à jouer aux côtés des musiciensles plus réputés d’Omsk. Ce concert devait aider Chabaline, alorscompositeur débutant, de continuer ses études au Conservatoire deMoscou.27

Le départ de sa famille pour Leningrad marque la fin de son enfance.L’excellente technique acquise avec Berline, et sa maturité artistiqueexceptionnelle, permirent à Yuri Yankelevitch de réussir brillamment leconcours d’entrée au Conservatoire. La commission d’admission, sous laprésidence de Glazounov, nota “les dons exceptionnels du jeune élève, unetechnique particulièrement avancée, et un jeu virtuose et artistique.”28

Yuri Yankelevitch se remémorait avec plaisir ses années d’études dansla classe de Nalbandian qui fut l’assistant d’Auer. “Je revois cet appartementpetersbourgeois spacieux et sombre, encombré de meubles, de livres et departitions, et Johannes Nalbandian, lui-même, travaillant avec passion avecchacun d’entre nous. Mes rencontres avec Korgouïev, le disciple d’Auer, quifut non seulement un violoniste émérite mais; également un excellentpédagogue-méthodiste, ont toujours été très intéressantes. C’est durant cesannées-là que j’ai appris à aimer une fois pour toutes la musique dechambre. Les heures passées dans la classe de Glazounov qui enseignaitalors le quatuor et la musique de chambre, ont joué un rôle immense dansma vie.”29

Chaque année d’étude passée au Conservatoire de Leningrad montrel’immense travail fourni par le jeune violoniste, ses réussites et ses succèsmérités. Les notes laconiques des comptes rendus des commissionsd’examens le confirment: “Yuri Yankelevitch interpréta avec talent le

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25 Anissim Alexandrovitch Berline (1896-1961), enseignant et pédagogue russe.26 Youri Issaïevitch Yankelevitch est né en 1909.27 Vissarion Yakovlevitch Chabaline (1902-1963), compositeur russe, péda-gogue et personnalité publique. Docteur en Histoire de l’Art.28 Extrait de compte rendu de la commission d’admission du Conservatoire deSaint-Petersbourg (septembre 1923). Archives de Youri Yankelevitch.Actuellement en possession d’Elena Yankelevitch.29 Voici le commentaire de Glazounov au sujet de l’année d’études 1924-25 del’élève Yankelevitch: “Assista à tous les cours, fournit un excellent travail, fit degrands progrès.” Archives Yankelevitch.

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Concerto de Brahms et manifesta de la maîtrise de soi, le sens du style etdu phrasé et un goût artistique affirmé. Très beau timbre, pianos travaillés.De grands progrès artistiques et techniques. Promet beaucoup.”30

La personnalité artistique de Yankelevitch, la manifestation decertains de ses traits qui se retrouvèrent plus tard à la base de son credopédagogique, se reflétèrent tout d’abord dans les commentaires desprofesseurs éminents après un concert de fin d’année: “L’interprétation dedeux romances de Beethoven ont révélé chez Yuri Yankelevitch unesonorité douce, pleine, mélodieuse et pure, l’amplitude et expressivité de lacantilène, une intonation irréprochable, du goût artistique, le sens du styleet une bonne maîtrise de soi. L’interprétation est réfléchie et profonde, etreflète certains traits de sa personnalité artistique.”31 La confirmation dusuccès du jeune musicien fut également l’attribution de la bourse des“Jeunes Talents”, ainsi que les commentaires brillants faits pendant sesexamens au printemps 1928.

Glazounov, Ossovsky et d’autres musiciens soulignaient “le donmusical exceptionnel de Yankelevitch, la pénétration et la noblesse de sonjeu” et affirmaient que “sa vocation est sans aucun doute celle d’unvioloniste virtuose”.32

Le récit des années passées à Leningrad serait incomplet si l’on selimitait aux succès professionnels de Yankelevitch. L’atmosphèreincomparable de la ville, son architecture, ses musées et bien évidemmentse vie musicale et théâtrale laissèrent des impressions; esthétiquespuissantes dans l’âme du musicien. Les concerts avec la participation deChaliapine et de Erchov restèrent profondément gravés dans sa mémoire.Ces magiciens de l’art vocal lui enseignèrent le mystère du bel canto,l’expressivité du “parlando” dramatique, la richesse du sens de l’intonation.Plus tard, à Moscou, une grande partie de ce qu’il avait déjà appris lui futprofitable lorsqu’il assista aux concerts de Oboukhova et auxreprésentations avec Katchalov et Ostoujev. Leur art l’impressionnaiténormément. Il comprenait leur fidélité fanatique au théâtre, leur passiondévorante pour leur métier. Il est probable qu’ils transmirent alors àYankelevitch leurs idéaux moraux qu’il servit toute sa vie.

Les examens brillamment passés et les pronostics optimistesconcernant sa carrière de violoniste donnaient semble-t-il tous les droits àYuri Yankelevitch pour poursuivre ses études en toute sérénité. Cependant,son caractère et surtout son tempérament artistique inquiet et le regardobjectif qu’il portait sur la vie, l’orientèrent sur une voie différente. “Je

30 Compte rendu du 7 mars 1926. Archives Yankelevitch.31 Compte rendu du 9 mars 1927. Archives Yankelevitch.32 Compres rendus du 17 avril et du 3 mai 1928. Archives Yankelevitch.

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n’étais pas satisfait par mes études à Leningrad, écrit Yankelevitch dans sonautobiographie, j’ai alors déménagé à Moscou et je suis entré dans la classede Yampolsky. L’enseignement de ce merveilleux artiste et pédagogue a étépour moi une véritable révélation. C’est précisément à partir de ce momentque je me suis davantage, et de plus en plus consciemment, intéressé à lapédagogie et à l’apprentissage des lois théoriques et pratiques du jeu.

Abram Yampolsky me subjugua par sa modestie, l’absence totaled’artifice et par sa compréhension profonde de l’essence de la musique. J’aicompris grâce à lui que le jeu ne tenait pas du miracle, ni de l’alchimie,mais que c’était une science, et qu’à côté de l’inspiration existaient des loisobjectives qui apportent beaucoup à celui qui les connaît.

J’ai commencé à repenser tout ce que j’avais acquis antérieurement.En assistant aux cours d’Abram Yampolsky, j’ai estimé à leur juste valeurl’approche individuelle et le respect de la personnalité artistique de chaqueélève, y compris des débutants.

Yuri Yankelevitch adhéra de façon presque organique au systèmepédagogique de Yampolsky qui alliait la rigueur de la méthode àl’imagination libre de l’artiste. La démarche de Yampolsky se faisait l’échodes aspirations artistiques de Yankelevitch, et correspondait parfaitement àsa nature profonde où la raison et la prudence se combinaient à laperception inspirée et romantique de la vie.

En 1934, deux ans après avoir achevé avec succès ses études auConservatoire de Moscou, Yuri Yankelevitch s’inscrit en thèse, auxMeisterschule, (Cours de Perfectionnement). Ses études et son travail derecherche, qu’il effectue sous la direction de Yampolsky, le passionnent etl’absorbent totalement. Yampolsky apprécie de plus en plus les qualités deson élève et lui confie de plus en plus de missions différentes, en l’orientantvers le domaine de la pédagogie, si bien que dès la deuxième année deMeisterschule, Yankelevitch commence à enseigner à l’École Centrale deMusique et à l’Institut de Musique du Conservatoire de Moscou.

Par ailleurs, ses essais méthodiques suscitent des critiques positives:“Le violoniste Yankelevitch possède à mon avis des dons exceptionnels, enparticulier pour la pédagogie, écrit le professeur Zeitlin. J’ai assisté à l’unde ses exposés ( ... ) que n’importe quel enseignant de grande expérienceaurait très volontiers signé.” Le potentiel professionnel et spirituel du jeuneartiste avait sensiblement augmenté.

Durant ces années, il ne rompt pas avec son activité de concertiste: ilcontinue à donner des concerts, participe aux nombreuses formations demusique de chambre, essentiellement des quatuors, élargit son répertoire...En 1930, il réussit le concours de l’Orchestre Philharmonique de Moscou et

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obtient la place du deuxième violon solo. Cette époque de sa vie fut doncriche et passionnante. Cependant, lorsque plus tard Yankelevitch évoqueces années, il confie qu’il n’était pas entièrement satisfait par ses activités.“L’idée de me consacrer à l’enseignement m’est venue progressivement,raconte-t-il. Je comprends à présent que ce domaine m’attiraitintuitivement depuis longtemps. Souvent, lorsque mes camarades medemandaient de les aider, de montrer comment il fallait jouer tel ou telpassage ou de choisir un doigté, je le faisais avec plaisir et étais heureux devoir que mes conseils étaient justes. Plus tard, mes propres conseils mepoussaient à réfléchir davantage aux problèmes, à me perfectionner et àélargir mes connaissances dans le domaine de l’enseignement de lamusique et de la méthodologie. C’est pourquoi lorsque la question du choixde carrière s’est ouvertement posée à moi à la fin de ma thèse, j’ai opté sanshésitation pour l’enseignement. Je suis donc devenu l’assistant d’AbramIlitch Yampolsky en 1936, et depuis cette date ma vie s’est trouvéeétroitement liée à la vie du Conservatoire de Moscou.”

Yuri Yankelevitch est toujours resté discret sur les débuts de sadifficile ascension de l’Olympe pédagogique. Mais on devine facilement queles heures de réflexion intense, les nuits blanches, les doutes et lesdéceptions ont été nombreux, tout comme l’ont également été lesdécouvertes éclatantes et les réussites spectaculaires.

Les terribles événements de l’année 1941 posent au Conservatoire deMoscou de nouveaux problèmes. Comme tant d’autres, Yuri Yankelevitchsurveille les salles de classes pendant les bombardements ennemis,participe à la construction de lignes de défense, et donne des concertsorganisés spécialement pour les soldats de l’Armée Rouge, les hôpitaux etles MPVO. Peu après, le Conservatoire de Moscou fut évacué à Saratov, oùYuri Yankelevitch passa six mois. En mai 1942, il fut envoyé sur le frontavec d’autres artistes pour y donner des concerts et il devint bientôt leresponsable de cette “brigade artistique”. Son activité étaitparticulièrement importante dans le quatuor formé par Rabinovitch.33

Durant les années de guerre le quatuor donna près de 600 concerts sur leslignes du front. Les déplacements furent si fréquents et durables que lesquatre musiciens furent libérés de leurs obligations d’enseignants pourtoute l’année 1942/43. “Avoir conscience de notre utilité et de la nécessité denotre travail, écrit Yankelevitch dans le journal du quatuor, et rencontrer àchaque fois que nous jouions le même accueil et les mêmes réactionschaleureuses, nous procurait et nous procure toujours la plus grandesatisfaction morale”.34

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33 Yankelevitch jouait la partie d’alto.34 Citation d’après “Conservatoire de Moscou”, M., 1966, p.365.

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De retour à Moscou en 1943, Yankelevitch reprend avec la mêmeénergie son activité d’enseignant d’abord à l’École Centrale de Moscou et àl’Institut de Musique, puis au Conservatoire.

Les destinées des enseignants sont évidemment toutes différentes. Lesuns connaissent le succès avec leur premier élève qui se fait remarquer à unconcours international. D’autres en revanche sont obligés de travaillerd’arrache-pied pendant de longues années avant que leurs élèves montentsur la scène et que leurs efforts titanesques soient enfin récompensés.Cependant, ce sont les noms de ces derniers, en raison de leur tempéramentcréatif inépuisable et de leur travail prodigieux, qui restent le pluslongtemps gravés dans la mémoire de leurs disciples et dans l’histoire de lamusique.

Yankelevitch, dont l’œuvre brillante occupe une place éminente dansla pédagogie instrumentale russe, appartient précisément à cette catégoried’hommes.

Le début des années cinquante fut marqué pour Yankelevitch parplusieurs événements importants, dont chacun était une sorte de bilan dutravail accompli, des recherches et des accomplissements. En 1953, aprèsêtre resté dix-sept ans (!) l’assistant de Yampolsky, il obtient enfin le posted’enseignant au Conservatoire de Moscou.35 Seuls un immense amour dela pédagogie et la sincérité de sa vocation permirent à cet homme énergiqueet talentueux, parfaitement conscient de ses capacités, de remplir sesfonctions d’assistant avec autant de générosité et pendant si longtemps,même s’il fut l’”aide”36 d’un Maître tel que Yampolsky. Plus tard, lorsqu’ilévoque avec émotion l’ancienne génération d’enseignants du Conservatoirede Moscou qui ont fondé l’école soviétique de musique, il remarque, malgrétoutes les difficultés qui étaient liées à la durée de son statut d’assistant, quece statut reste extrêmement utile parce qu’il permet d’accéder auprofessionnalisme, que ce soit au niveau de la discipline ou au niveau de lamaîtrise de son art.37

Peu de temps après, en 1955, Yankelevitch soutient sa thèse dedoctorat qui a pour thème “Les changements de position et les problèmesesthétiques de l’interprétation”. Ce travail fait découvrir l’impressionnanteaisance avec laquelle l’auteur généralise les connaissances acquises et leur

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35 En 1949, Yankelevitch avait obtenu le poste d’enseignant à l’Institut Gnessiaede Moscou.36 “aide” du latin “assistens”.37 Sans vouloir tenir des propos édifiants, j’aimerais faire partager mes senti-ments en disant que nombre d’enseignants d’aujourd’hui pourraient suivre l’ex-emple de Yankelevitch dont la modestie et l’absence totale de vanité étaient lesprincipales qualités.

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confère une direction nouvelle. C’est ce talent qui donne toute leur valeuraux travaux, (plus de cinquante ouvrages), de cet enseignant et penseur.

“Ce travail, écrit David Oïstrakh dans son compte-rendu, est une aideprécieuse pour tous nos enseignants, surtout ceux qui exercent en province,car les divergences d’opinion, encore nombreuses dans ce domaine,freinent ou empêchent tout simplement la méthodologie et l’enseignementdu violon de progresser.”38

La conséquence logique du succès des travaux théoriques deYankelevitch et des premières victoires de ses élèves fut l’attribution de lachaire de violon au Conservatoire de Moscou. Cette période voit nonseulement s’amplifier son activité d’enseignant mais suscite égalementbeaucoup d’intérêt dans le corps enseignant du Conservatoire. “YuriYankelevitch fait autorité parmi ses collègues”, remarque Oïstrakh; “C’estun grand et talentueux pédagogue qui forme d’excellents musiciens”,souligne Kozoloupov; “Yankelevitch est un merveilleux musicien et unpédagogue expérimenté”, affirme Goldenweiser.39

Mais Yuri Yankelevitch se serait trahi si cette large reconnaissanceavait pu ralentir son évolution. En effet, il ne cessait d’augmenter sonrythme de travail et se montrait de plus en plus exigeant envers lui-même.

Comme on le sait, la “classe” en tant que communauté réunie par untravail créatif, ne se forme pas spontanément ni sans difficultés. Saformation demande énormément d’énergie, d’attention et de tact de la partde l’enseignant. Si au théâtre “le spectacle commence dès le vestiaire”, uneclasse commence à se former lorsque entre les individus qui la composents’instaure une atmosphère de confiance absolue, sans laquelle touterelation créatrice qui lie l’enseignant à l’élève dans les conditionsspécifiques du cours particulier, est inconcevable.

Bien que l’autorité et la force de persuasion de Yuri Yankelevitchfurent presque absolues, la pression était totalement exclue de sa méthode.“Nous, les enseignants, faisait-il remarquer, avons besoin d’êtreextrêmement vigilants dans nos relations avec les élèves. Le despotisme n’ya pas sa place. L’élève ne doit pas obéir aveuglement, il doit être persuadédu bien-fondé des remarques de son professeur. Or, il ne suffit pas pour celaque l’enseignant connaisse parfaitement la personnalité de son élève, carune méthode peut l’aider à jouer, mais elle n’en fera pas un artiste. Ce sontles qualités humaines de l’élève, l’étendue de son horizon intellectuel et sacapacité à voir et à aimer la vie qui auront toujours le dernier mot.

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38 Compte-rendu de la chaire de violon, signé par le Professeur David Oïstrakh.Archives Yankelevitch.39 Toutes les citations sont tirées des comptes-rendus et signés par lesProfesseurs cités ci-dessus. Archives Yankelevitch.

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“C’est pourquoi, avant de faire une remarque, j’essaie toujours decomprendre ce que veut exprimer le jeune violoniste, et si son idée meparaît justifiée, j’essaie de l’aider à la réaliser sans interrompre le cours deson imagination. Mais travailler avec un musicien talentueux demandeencore plus de tact”.

Malgré cela, une discipline très stricte a toujours régné aux cours deYankelevitch. Ses nombreux élèves n’étaient pas tous appelés à devenirdes lauréats, mais chacun d’entre eux savait qu’aucune erreur, aucuneimperfection ne pouvait échapper à leur professeur. La notion du détailinsignifiant n’existait pas pour lui. Son attention restait toujoursvigilante : toutes les erreurs devaient être expliquées et éliminées sur lechamp.

Les résultats d’un tel travail étaient le plus souvent immédiats.

“Je travaille comme un esclave toute ma vie, dit un jour Yankelevitch.Je pars du Conservatoire à 11 ou 12 heures du soir et je continue à travaillerune fois rentré chez moi, car je considère que l’on ne doit pas se contenterd’écouter les élèves, on doit aussi travailler énormément. Si l’enseignant nefait que corriger l’élève d’après la partition: Ici, tu joues ceci, et là, tu jouescomme cela. Et maintenant, rejoue encore! - ce n’est pas un vrai travail. Cetteméthode ne peut être utilisée qu’à la fin, lorsque l’œuvre est apprise,travaillée, méditée.”40

Yuri Yankelevitch a réussi à concilier dans son travail l’imagination etla réflexion objective, l’audace de l’expérimentateur et un certainpédantisme.

Ce dernier se faisait particulièrement sentir dans tout ce qui touchait àl’élaboration de plans et de programmes d’études individuels, c’est-à-dire àtout ce qui était généralement perçu comme une formalité surchargeant lavie d’un enseignant. Le contenu de plus de trente épais agendas deYankelevitch, aux reliures multicolores usées, aux feuillets noircis par uneécriture pointue, légèrement inclinée vers la droite, nous fait découvrir lepoint de départ de la réussite du grand pédagogue. En parcourant cesagendas, on est émerveillé par la précision de ses observations, par sa façonde relier le général au particulier, par sa capacité à deviner le but artistiquede chaque élève, par la pertinence de ses conseils pratiques.

En général sa salle de classe était comble: amis, assistants, solistesd’orchestre, étudiants, invités de différents établissements, nationaux ouétrangers, assistaient généralement à ses cours. Yuri Yankelevitch aimait

40 Extraits du cours de Yankelevitch donné au Conservatoire de Moscou en1962-63. Notes de Grigoriev.

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échanger ses réflexions et intuitions avec un large cercle d’interlocuteurs.C’est pourquoi il ne refusait jamais de participer aux séminaires,symposiums, conférences scientifiques, réunions sur les questions de lapédagogie, sans oublier les cours de méthodologie du violon qu’il donnaitau Conservatoire avec le Professeur Kouznetsov.

L’étendue de l’auditoire convenait parfaitement à la nature artistiquedu maestro. Il transformait ses cours particuliers en une sorte d’action”,dont la trame était le processus passionnant de l’éducation d’un jeuneprofessionnel, de son initiation à la compréhension vivante de la Musique.Yankelevitch le soulignait dans 1’un de ses exposés en disant que la notiond’école” ne consistait pas pour lui à uniformiser le jeu de ses élèves, mais àleur inculquer une manière commune de percevoir les différents stylesmusicaux, la sonorité produite et la beauté des acquis techniques. “L’élève,c’est “du matériau vivant”, soulignait Yankelevitch. Il mûrit, change etrévèle de nouvelles qualités. On a besoin d’appliquer des méthodes soupleset diversifiées pour le convaincre, mais on ne doit jamais s’écarter du butque l’on atteint seulement si l’on connaît parfaitement l’élève, et seulementsi cette connaissance est profonde et créatrice, éclairée par la pensée etréchauffée par le sentiment.”

Malgré le profond respect que lui inspiraient les personnalités enformation, Yankelevitch ne perdait jamais de vue l’étendue réelle de leurscapacités. C’est ce qui explique “le coefficient élevé d’action efficace” de sescours qu’il donnait à des élèves souvent difficiles. Cela voulait-il dire queYankelevitch se laissait quelquefois influencer par ses élèves? Non, bienévidemment. il était à l’écoute de l’individualité mais il était égalementintraitable pour toute une série de questions. “L’essentiel, disait-il, c’est depercevoir le violon comme un instrument de chant, car telle est sa nature.Mais il n’existe évidemment pas de sonorité belle et pure en dehors de soncontexte. La sonorité est déterminée par la dramaturgie de l’œuvre, par sesimages. La notion de “belle sonorité” obéit au contenu de la musique jouée.On pourrait donc en tirer la relation suivante : contenu- sonorité, sonorité-mouvement, mouvement-placement. Par conséquent, les élémentsincorrects de placement peuvent nuire à l’essentiel, c’est-à-dire à lacompréhension du sens de l’œuvre.”41

Yuri Yankelevitch manifestait beaucoup de prudence vis-à-vis duterme “placement” qu’il rejetait lorsqu’il sous-entendait une approcheinvariable, identique pour tous. “Le placement, remarquait-il, n’est pas uneréalité immuable, arrêtée une fois pour toutes. La musique, c’est dumouvement. Et une formule morte et la vie perpétuelle ne sont pascompatibles. Je suis heureux lorsque je vois que mes élèves ont une

41 Yankelevitch. Sténogramme de l’exposé lu lors d’un séminaire au 3e Congrèsdes enseignants de musique. 25 mars 1959, pp. 7 et 8.

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manière de tenir l’archet ou de poser les doigts sur la corde qui leur estpropre”.

“Le concept de “potentialité du placement” a une significationradicalement différente pour moi. Je le conçois comme l’apprentissage d’uncomplexe de mouvements qui est indispensable à l’activité du musicien. Onne doit donc pas voir dans le travail de chaque nouveau coup d’archet, oud’un autre procédé technique, seulement le dépassement des difficultés “dujour” de l’élève. On doit aussi y entrevoir ses problèmes artistiques futurslorsqu’il aura à jouer les Concertos de Brahms, Sibelius, Paganini.L’enseignant doit être capable de se projeter dans le futur et de prévoirl’avenir.”

“Je suis un adepte du développement progressif et lent, répétaitsouvent Yankelevitch. Et je suis intimement persuadé qu’un jeune musiciendoit passer par toutes les étapes du développement artistique, et assimilertout le répertoire qui forme sa pensée esthétique est sa maîtrise del’instrument. Je m’oppose à certaines méthodes “aventurières” quiconsistent à s’attaquer très tôt à des œuvres difficiles, et qui ne font quemettre en valeur l’enseignant sans tenir compte des capacités réelles del’élève. Un “matériau” plus simple, mais travaillé jusqu’à la perfection, cequi sous-entend une bonne sonorité et une technique virtuose, offrequelquefois de meilleures conditions pour atteindre le but fixé. On peuttoujours “ sauter” une étape au cours de l’apprentissage, mais uniquementlorsque cela a été longuement préparé, car sans une solide assise techniquemanquer une étape conduit à un jeu négligent et crispé.”

Yankelevitch réfléchissait longuement à chaque étape d’apprentissageet d’évolution artistique de ses élèves, et ses décisions étaient prisesposément et consciencieusement. Les principes de sa méthode sontréellement un exemple de désintéressement total. L’égoïsme et le désird’éblouir les autres par ses propres succès n’y avaient pas de place. Uneimportance particulière était accordée aux divers procédés d’intonation, etsurtout à leur justesse absolue! Pour Yankelevitch, le compromis ne pouvaitexister dans ce domaine ...

Il était très attentif à la technique des coups d’archet, à la précision deleurs changements et à la perfection des changements de corde. Leschangements de coups d’archet dans la cantilène devaient être souples etimperceptibles, afin que l’amplitude de la respiration du chant ne soit pasamoindrie. Aimant la poésie, Yuri Yankelevitch ressentait avec beaucoup definesse le rythme intérieur de chaque phrase musicale et l’alternance des“strophes” faibles et fortes.

Il encourageait ses étudiants à chercher leur propre interprétation enleur faisant découvrir les lois de l’architectonique, en les aidant à

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déterminer les points culminants et les effondrements de l’ondedynamique. Il répétait souvent que tout le monde n’était pas capable detrouver la meilleure façon d’exécuter une œuvre, mais que pour lui-mêmela solution la moins réussie était toujours plus intéressante qu’uneimitation impersonnelle. Le plus grand reproche qu’un élève pouvaitentendre de sa part était le manque d’imagination et la passivité du jeu. “Lecaractère de l’œuvre doit transparaître à chaque fois que l’on joue. Il fautque le musicien soit emporté par la musique, qu’il vive par la musique, etsurtout qu’il n’attende pas que l’inspiration lui vienne sur la scène! Je ne mesouviens pas, disait-il, avoir vu jouer Tretiakov sans se donnercomplètement, l’avoir vu garder quelque chose pour la scène. J’estimeénormément les jeunes musiciens qui réalisent leurs idées avec audace etqui créent leurs propres concepts, même si leurs solutions sont erronées.Nous les corrigerons ensemble. Mais il est très important qu’un musicienapprenne à chercher. C’est essentiel dans l’art. Si au contraire l’élève attendconstamment que l’enseignant lui indique la voie à suivre, et lui souffle uneidée toute prête, il se retrouvera complètement démuni lorsqu’il aura àtravailler seul.”

Yankelevitch jugeait très sévèrement les élèves qui, en recherchantl’indépendance” à tout prix, se permettaient de ne pas rendre le texteoriginal avec précision, ou de ne pas remarquer les indications du texte.Yankelevitch reliait ce problème au processus général du développementesthétique du jeune artiste, à l’évolution de sa compréhension du monde. Sil’activité du pédagogue subissait quelquefois des échecs dans ce domaine,Yankelevitch le ressentait douloureusement et se montrait sans concessionnon seulement pour son élève, mais aussi pour lui-même. Il croyait trèssincèrement que l’enseignant était responsable de tout ce qui concernaitl’élève qu’on lui confiait.

Lorsqu’il donnait des indications, ou lorsqu’il essayait de convaincre,il s’exprimait toujours avec clarté et simplicité, car il disait détester la“mystification pédagogique”. Sa façon de parler, imagée et éloquente,rappelait qu’il avait grandi dans la famille d’un orateur professionnel, d’unavocat. Sa manière d’être était également très personnelle sa grandesilhouette imposante, son pas pesant, sa façon de parler assurée et, calme,créaient l’impression d’une certaine lenteur. Mais ses élèves connaissaientbien sa manière rapide et légère de traverser la salle pour s’approcher dupupitre et vérifier une fois de plus le texte de la phrase musicale qui venaitd’être jouée. Ils savaient que l’inquiétude rongeait l’âme de ce chercheur quiétait à l’écoute de la modernité et qui réprouvait les recettes des méthodestoutes faites, la routine et les clichés de la pratique musicale.

Le sens artistique et l’entrain qui caractérisaient le jeu des élèves deYankelevitch étaient en grande partie générés par l’enseignant lui-même.Durant ses cours Yuri Yankelevitch était toujours extrêmement sérieux et

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concentré. Mais ses amis et ses élèves connaissaient bien évidemment sonextrême sensibilité, sa capacité à compatir aux malheurs d’autrui et lasimplicité qu’il montrait à ceux qui lui étaient chers.

Il aimait la peinture, la sculpture, et surtout la poésie. Il était capablede dire pendant des heures les vers de Pouchkine, Tiouttchev, Apoukhtine,Fet qu’il connaissait par cœur et de chanter avec passion les romances deTchaïkovsky et Rubinstein. J’eus personnellement la possibilité d’observercomment Yankelevitch modifiait ses cours en fonction des dons, du niveautechnique et de la sensibilité de l’étudiant. Parfois, ses cours ressemblaientà une recherche minutieuse où étaient analysées chaque particularité de laforme et chaque phrase. Les détails conceptuels de l’œuvre étaient soumisà une étude attentive, de même que le style harmonique du compositeur etles indications du tempo et du rythme. D’autres cours se déroulaient dansune atmosphère vivante de discussion autour de la musique. L’étudiantétait en quelque sorte libre de chercher sa propre voie, tandis quel’enseignant le dirigeait de loin et avec tact dans une direction juste.Beaucoup de choses dépendaient alors du niveau de connaissance quel’étudiant avait de l’œuvre.

Les archives de Yankelevitch contiennent des enregistrementssténographiques des cours de Grindenko, qui étudiait à ce moment-là leconcerto de Szymanowski pour violon et orchestre op. 35. Quelques joursavant le cours, la jeune violoniste l’interpréta lors d’un concert auConservatoire de Moscou. Cependant, son professeur considéra qu’il étaitutile de reprendre certaines choses. Il appréciait en général la possibilité derevenir à l’œuvre qui venait d’être exécutée en public tant que “le fer étaitchaud”. L’impression du contact vivant avec les auditeurs stimulait letravail postérieur et permettait de corriger les insuffisances perceptibles.On pouvait aussi essayer de chercher une nouvelle palette de coloris et unemeilleure façon de rendre la pensée musicale de l’auteur.

Yankelevitch avait apprécié les performances de sa jeune ettalentueuse élève dans une œuvre aussi complexe, mais il lui proposa des’arrêter davantage sur certains aspects de son interprétation. “Ce concertode Szymanowski, souligna-t-il, est un poème. L’originalité de sa formeinduit certaines particularités du contenu, romantique et inspiré. Lamusique est caractérisée par la richesse des nuances en perpétuelchangement. On ne doit pas non plus oublier que l’improvisation fut leprocédé de composition principal de Szymanowski. Elle demandebeaucoup d’imagination et de souplesse de la part de l’interprète... Prenonsla première phrase par exemple. Il n’est pas suffisant d’en faire une bellephrase poétique, comme tu viens de le faire. L’interprétation doitnécessairement rendre la dynamique intérieure de chaque phrase et dechaque relation sonore.

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La perception des points particuliers de la langue harmonique ducompositeur est très importante. La tonique lumineuse de la fin de laphrase ne doit pas ressembler à la note sensible qui la précède et qui doitêtre jouée avec plus d’inquiétude et de tension. J’aimerais que le thèmeprincipal soit encore plus libre et imaginatif. Il ne faut pas décider de laforme de la phrase à l’avance. Il existe des cas où écouter est plus importantque jouer... En revanche, l’Allegro vivace est une toute autre affaire. Lepoint décisif y est le rythme. Une pulsation très précise définit le style del’exécution et le caractère de chaque phrase. L’énergie des doubles crochesdoit être portée au premier plan, indépendamment du coup d’archet, quece soit le legato ou le détaché...”42

L’œuvre était ainsi analysée mesure après mesure, phrase aprèsphrase. Le cours dura deux heures. En conclusion le Maître parla de lanécessité de se plonger dans le monde de l’art, de la littérature et de lapeinture polonaise, de raviver dans la mémoire les tableaux des peintresimpressionnistes dont les coloris recherchés étaient si proches desmodulations délicates de l’orchestration de Szymanowski, tout ceci afin demieux comprendre l’œuvre. Il proposa enfin à Grindenko de chercher avecplus d’audace sa propre version de l’interprétation. Elle pouvait ne pas êtrela meilleure mais il était essentiel qu’elle fût “personnelle”, qu’elle reflétâtla personnalité de l’interprète. “C’est le sens de l’interprétation qui comptele plus, car on peut jouer très mal avec le meilleur doigté et les meilleurscoups d’archet. Poliakine se servait des coups d’archet qui paraissentdésuets aujourd’hui et qu’on ne peut plus utiliser. Mais personne n’a encorejoué comme Poliakine, même en utilisant les coups d’archet et les doigtésmodernes ...”

La capacité à écouter qu’avait Yankelevitch faisait partie intégrante deson don pédagogique. En général, lorsque l’élève arrivait en classe, il jouaitce qu’il avait préparé pour le cours. Yankelevitch ne l’interrompait jamaispar des remarques au cours du jeu. Calmement et avec bienveillance ilnotait pour lui-même certains aspects de l’interprétation tout en essayantde comprendre la solution proposée par l’élève. Ce n’est qu’ensuite quevenait l’analyse détaillée de l’œuvre, faite en commun. Mais il n’écrasaitjamais l’étudiant par une avalanche de remarques. Il parvenait avecbeaucoup de mesure à concentrer l’attention de l’élève sur les principauxproblèmes du moment que faisait surgir l’interprétation ou la technique. Ilsavait lever le problème par une seule métaphore judicieuse et fairedécouvrir à l’élève les possibilités insoupçonnées de son jeu.

“Lorsque j’écoute un élève qui joue encore assez mal, j’essaie dem’imaginer son jeu idéal. Je devine sa manière personnelle de jouer et je

42 Cet exposé de Yankelevitch fut enregistré pour la Radio Nationale. Notes deElena Yankelevitch.

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m’efforce de l’aider à la réaliser. Cela veut-il dire qu’il faille suivre l’élèveaveuglément? Bien sûr que non! On doit être à l’écoute de l’individualité,mais rester intraitable pour les questions de bon goût. Il faut écarter toutce qui génère l’ornementation stérile et masque l’émotion sincère qui naîtdu flot vivant de la musique.” Tretiakov se souvient: “Souvent, jecommençais à jouer, mais embarrassé par quelque chose j’avaisl’impression d’avancer dans une fausse direction. Yuri Yankelevitchattendait un court instant, puis prononçait deux ou trois mots, une phrasetout au plus, ou chantait le début de l’œuvre, et tout se remettait en place!Mon manque d’assurance disparaissait, l’entrain était là, et, choseinexplicable, je réussissais à jouer immédiatement comme il le fallait.”

Yankelevitch avait une approche particulière des représentations enpublic, caractéristique de ses principes de travail. Les élèves deYankelevitch n’avaient pas peur de la scène et aimaient se produire enpublic. Le public n’avait pas pour eux le visage d’un juge sévère évaluantleurs progrès ou les résultats de leur travail. Bien au contraire, la scène étaitl’une des parties les plus joyeuses de l’intense activité quotidienne, c’étaitun élément à part entière de leur vie professionnelle.

Yankelevitch prolongeait ses contacts avec la musique à travers lesenregistrements des interprètes célèbres. Il possédait une phonothèqueimpressionnante qu’il enrichissait constamment. Il s’intéressait nonseulement à l’art instrumental mais aussi à la musique vocale etsymphonique, et il écoutait souvent les œuvres, dont l’interprétation l’avaitfasciné, en compagnie de ses amis et de ses élèves. Tout le monde sepassionnait, discutait, comparait. Toutefois, en travaillant sur une œuvreconcrète, Yankelevitch se montrait très prudent dans ses conseils. “Nesoyez pas pressés d’écouter les enregistrements, même s’ils sont excellents,de l’œuvre que vous être en train d’étudier. Il est beaucoup plus utiled’étudier d’autres compositions du même auteur, ses symphonies, sesquatuors, sa musique vocale, et d’essayer de comprendre de cette façonl’esprit de l’auteur. Plus tard, lorsque vous aurez suffisamment travaillé surcette œuvre, vous pourrez écouter l’enregistrement.”

Cependant, même dans ce domaine, Yankelevitch enseignait un goûtrigoureux, une approche critique de l’héritage musical mais aussi unprofond respect des traditions. Il s’opposait vigoureusement au refusironique des jeunes musiciens de jouer les compositeurs du passé, et enmême temps à l’imitation des “démanchés à la Kreisler” ou du “glissando àla Heifetz”. Le professeur appelait cela “plagiat de l’interprétation, toutaussi inadmissible que n’importe quelle autre forme de plagiat.”

Ceux qui se sont intéressés superficiellement aux travaux deYankelevitch, ont souvent l’impression que son but était de former dessolistes, de futurs lauréats. Or, une telle conclusion est entièrement fausse.

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La méthode des Yankelevitch a produit des enseignants, des interprètes demusique de chambre et des musiciens d’orchestre. Il voyait avant tout enchacun d’entre eux un artiste qui aspirait à parvenir au sommet de l’Art, etnon pas un “artisan” au sens étroit du terme. Chacun recevait la mêmeattention de la part du Professeur. Yankelevitch ne limitait pas l’intérêt qu’ilportait à ses étudiants à leurs années d’études. Il suivait de près les succèsdes jeunes musiciens, toujours transporté par leurs réussites et ému par lesdéfaites. C’est pourquoi ses carnets contiennent autant de noms devenuscélèbres depuis longtemps. Ses anciens élèves lui rendaient visite de tempsen temps, afin de se ressourcer, de recevoir un conseil professionnelbienveillant ou même une critique peu flatteuse.

Les élèves de Yankelevitch commencèrent à faire parler d’eux à partirdu milieu des années cinquante. En 1953, Nelly Chkolnikova, encore élèvede Yankelevitch en 4e année du Conservatoire, obtint le Premier Prix auConcours International Jacques Thibaud. En 1963, après son succès à cemême concours, Irina Botchkova entra avec assurance sur la grande scènemusicale. La maîtrise parfaite de la technique, l’énergie, la joie de vivrecombinée à la perception poétique de la musique sont les traits particuliersdu talent de cette violoniste que son professeur appréciait toutparticulièrement. Plus tard, il sut voir chez elle des aptitudes certaines pourl’enseignement et en fit son assistante au Conservatoire. En 1966, VictorTretiakov obtint le Premier Prix au IIIe Concours Tchaïkovsky. Koganl’avait alors défini ainsi: “C’est un talent d’une grande force émotionnelle. Ilme semble que cela fait fort longtemps que l’on n’a pas vu autant dequalités réunies chez le même violoniste.”43 D’autres musiciens commeSpivakov, Jisline, Grindenko, Agoronian, Ivanov, Kopelman séduisirent lepublic par la perfection de leur art, l’originalité de leurs dons etl’individualité de leur voie de réalisation.

On ne doit pas non plus oublier le tact et l’intelligence avec lesquelsYuri Yankelevitch intégrait dans le difficile processus de l’enseignement sesassistants et tous ceux qui travaillèrent plusieurs décennies à ses côtés. Iln’a jamais prétendu être omniscient, et même au sommet de sa renomméeprenait volontiers conseil auprès de ses collègues et assistants pourcomprendre les lenteurs de progression de certains élèves, tracer ensembleles voies de correction possibles et établir le répertoire correspondant:études, pièces et Concertos. Tout ceci était fait avec un tact étonnant etbeaucoup de compréhension qui alliait la sévérité d’un grand Maître à lagentillesse d’un ami.

En plus de Botchkova, Glezarova, Tchougaleva et Gaukhmannaidaient Yankelevitch dans ses enseignements quotidiens. Beaucoupd’enseignants de différents établissements de Moscou et d’autres villes

43 Leonid Kogan. Le plus grand forum. Sovetskaïa Kultura, 1966, 28 mai.

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gardaient un étroit contact avec lui. Des liens tissés par des échanges deplusieurs années l’unissaient à des pianistes-accompagnateurs tels que:Ijevskaïa, Levina, Rakova, Tcherniakhovskaïa, Stern. Yankelevitch leurfaisait partager ses joies et ses échecs, ses plans et ses idées. Il était trèsexigeant envers tout ce qui touchait à la musique de chambre, et c’estpourquoi il demandait aux pianistes de maîtriser parfaitement l’art del’ensemble, d’avoir une sonorité profondément lyrique et un jeu de pédalesimpeccable. L’”École Yankelevitch” fit son apparition naturellement, dansla logique de l’évolution de l’art instrumental moderne. Le potentielconsidérable de la méthode Yankelevitch permit de résoudre en mêmetemps les problèmes d’enseignement artistique et technique. Bien qu’arméd’un infini savoir, cet homme pour lequel la pédagogie n’avait plus desecrets, continuait pourtant son inlassable recherche. Il pensait qu’un jeunemusicien devait prendre conscience très tôt de l’objectif ultime de saformation, à savoir la portée sociale de son métier. Il affirmait quel’interprète qui s’interprétait lui-même et qui ne faisait pas suffisammentattention à l’opinion de son public était inévitablement condamné: “Vospensées, vos sentiments, votre approche du Beau doivent êtrecompréhensibles pour vos auditeurs, et ils doivent trouver écho dans leurscoeurs.” Ce credo éthique du Maître, fondé sur sa propre compréhensiondu monde, son propre savoir et son expérience, continue à exercer uneénorme influence sur le travail de ses disciples.

L’intérêt qu’avait suscité la méthode de Yuri Yankelevitch, ne faiblit pas.Les fondements de son système de formation du violoniste professionneldoivent sans aucun doute être généralisés et assimilés par la pratique. Pourles comprendre pleinement, on doit être conscient que chacune des parolesdu Maître était soutenue par l’amour qu’il portait à son métier, par sa fiertéd’être Enseignant. Yuri Yankelevitch avait su trouver “la source vivifiante” dela Vocation. Capable des plus grands sacrifices, il ne s’était jamais ménagédans son labeur. Il avait un sens de l’humour remarquable. Son âme étaitouverte aux sentiments les plus nobles. Lorsqu’il atteignit le sommet de l’artpédagogique, ces qualités lui permirent d’y élever son propre édifice que l’onappelle à juste titre l’École Yankelevitch.”44

En paraphrasant la célèbre citation de Tolstoï, on peut dire queYankelevitch devint enseignant non pas parce qu’il pouvait enseigner, maisparce qu’il ne pouvait pas ne pas enseigner.

On se doit d’être fanatique dans l’Art! La vie d’un enseignant, c’est lacréation. Cette affirmation de Yuri Yankelevitch conclura l’esquisse de sonportrait.

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44 Souvenirs d’élèves. Archives Yankelevitch.

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Grigory Jisline

L’ESTHÉTIQUE DE YANKELEVITCH

L’appréciation de l’immense phénomène artistique que constitue l’artpédagogique de Yuri Yankelevitch comprend un grand nombre d’opinions,malheureusement relativement étroites dans la plupart des cas.

Les uns voient le secret des succès de Yankelevitch dans son habiletéà choisir ses élèves, les autres dans le fait qu’il se consacrait corps et âme àson métier, d’autres encore dans ses profondes connaissances techniques etdans son intuition pédagogique exceptionnelle en ce qui concerne lesquestions du positionnement.

Tous ont en partie raison. Cependant, Yuri Yankelevitch n’a eu lapossibilité de choisir ses élèves qu’au cours des dernières années de sonactivité. La plupart de ses élèves, qu’il suivait avec affection durant delongues années avec l’aide de ses assistants, venaient des Écoles et Institutsde Musique. Quant à sa capacité de travail, elle semblait ne pas avoir delimites: il se consacrait entièrement à ses étudiants sans jamais se ménager,sans même jamais prendre de jours de congé. Il se sentait concerné autantsur le plan professionnel que sur le plan humain: la vie privée de ses élèvesle touchait beaucoup, et il s’efforçait de les aider tous à trouver la place quicorrespondait le mieux à leurs capacités.

Yuri Yankelevitch était une sommité en tant qu’enseignant du violon.On reconnaît facilement ses anciens élèves à la qualité de la sonorité de leurinstrument, à l’esthétique des mouvements du bras droit, au grand sens del’organisation manifesté dans tout ce qui concerne l’intonation, à l’infailliblestabilité rythmique, bref à tout ce qui constitue “la culture de l’exécution”.Ce qui est remarquable, c’est que ces qualités ne sont pas la caractéristiquede quelques uns de ses élèves, mais de la majorité, (quels que soient les dons,la personnalité ou le niveau de préparation de chacun), y compris de ceuxqui n’ont fréquenté la classe de Yankelevitch que très peu de temps.

Ces faits étant indiscutables, de nombreux musiciens et enseignantsse sont interrogés et s’interrogent toujours pour savoir par quel moyenYankelevitch est parvenu à obtenir ce qui constitue la quintessence de l’artde l’interprétation; comment parvenait-il à former de vrais artistes, à fairebriller en eux l’éclat musical, à leur inculquer le sens de l’art et de la scène.La réponse paraît pourtant évidente: pour former des musiciens aussidifférents les uns des autres, il fallait être un grand artiste et musicien soi-même, ce qui échappait trop souvent à ceux qui le côtoyaient.

Durant plusieurs années, j’ai eu la grande chance de pouvoir suivreYuri Yankelevitch dans son travail, de l’observer chez lui et de

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l’accompagner après les cours dans le Moscou nocturne pendant sespromenades dont se souviennent encore tous ses étudiants.

Ces contacts m’ont permis de découvrir progressivement les goûts, lesattachements, les pensées et certains traits de la personnalité complexe duMaître. Et je suis enfin parvenu à la certitude que la clé de ses succès, sansparler de ses profondes connaissances, de son intuition, de sa ténacité et desa conscience professionnelle, se trouvait dans sa brillante personnalité etson originalité artistique.

Non, Yuri Yankelevitch n’était pas un artiste au sens commun duterme, ce qui suppose une activité de concertiste. Même s’il possédait desqualités exceptionnelles d’interprète, les déclarations de Glazounov etd’autres musiciens éminents le prouvent, il a préféré abandonner cette voie,car vivre non pas une seule mais plusieurs vies d’artiste semblait avoir plusd’attrait à ses yeux. Il le confirme lui-même: “L’enseignant doit savoir vivrela vie de chacun de ses élèves, percer leur nature et leur psychologie et lessuivre dans leur évolution.”

Le fait que Yankelevitch était musicien sans être concertiste est déjàune originalité en soi.

Effectivement, on ne peut pas dire que Yankelevitch faisait partie des“natures artistiques”, telles qu’on les définit généralement: des personnesqui ont la même manière passionnée de s’exprimer, une émotivité accrue etune certaine excentricité de comportement qu’on leur pardonne volontiers.

Les principaux traits de la personnalité sociale de Yankelevitch étaitle sérieux, le sens de l’organisation, l’opiniâtreté dans la poursuite desobjectifs fixés, et un certain pédantisme; en somme, des traits de caractèreque les “natures artistiques” ne comptent que rarement parmi leurs traitsdominants. Mais on doit souligner encore une fois que ce ne sont là que destraits apparents de sa personnalité riche et complexe qui semblait déborderde contradictions. Le romantisme et le sens poétique y fusionnaient avec lapensée réaliste et le bon sens, l’exigence et la fermeté des principes avec larare faculté de pardonner, la confiance spontanée en autrui avec la capacitéà analyser objectivement ses défauts. Bien que la sévérité était la constantede son comportement de tous les jours, il lui arrivait d’atteindre les cimesd’un authentique sens artistique lorsqu’il se trouvait en compagnie de sesproches; et j’étais à chaque fois ébloui par la grandeur de l’acteur, dumusicien, de l’orateur qu’il incarnait dans ces moments-là.

Comment résoudre alors la contradiction apparente qui existait entrel’originalité éclatante de l’artiste Yankelevitch et le fait qu’il n’était pas unexécutant et que par conséquent il n’était pas, aux yeux d’un grand nombre,une “nature artistique” ?

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Cette contradiction disparaît lorsqu’on s’efforce de comprendre ladialectique du phénomène communément appelé “personnalité artistique”.Les traits fondamentaux intimement mêlés d’un telle personnalité sont d’uncôté la faculté de pénétrer la réalité dans toute sa diversité et de l’autre côtél’expression personnelle.

Dans son cas, il s’agit d’une forme spécifique d’expressionpersonnelle, car le chaînon qui reliait le regard que jetait le créateur sur lemonde était incarné par ses élèves et par les principes esthétiques qu’il leurinculquait.

Si l’on examine la première fonction de l’artiste - l’accumulationd’expériences professionnelles et, plus simplement, de l’expérience de lavie - on pourrait dire que sa faculté à s’imprégner de la vie, à l’assimilergrâce à la création et à l’émotion, faculté qu’il a gardée jusqu’aux dernièresannées de sa vie, était le trait le plus marquant de son caractère.Yankelevitch l’avait acquise durant son enfance, dans une famille trèscultivée dont les intérêts s’étendaient des sciences aux arts, et dont lesmembres se passionnaient également pour les idées démocratiques del’époque, (le père de Yuri Yankelevitch a été exilé par le tsar en 1908). Samère, Sima Ioudovna, pianiste de talent, sa tante, chanteuse d’opéra, et sonpère, mélomane passionné qui jouait dans un quatuor amateur, ont suentretenir l’intérêt précoce que le jeune Yuri manifestait pour la musique.Il a eu également la grande chance d’avoir comme premier professeurAnissime Alexandrovitch Berline, le disciple d’Auer.

Il est vrai que les intérêts de Yuri enfant ne se limitaient pas aux seulsexercices du violon. À l’âge de treize ans, par exemple, il s’est tant passionnépour la chimie qu’il faillit abandonner la musique. Cependant, l’amour del’art finit par l’emporter et après avoir passé le baccalauréat en candidatlibre, il est parti à Leningrad avec sa famille pour entrer au Conservatoire.

Il n’est pas utile de s’attarder à décrire la passion avec laquelle le jeunehomme s’imprégna de l’atmosphère de la vie artistique de Leningrad,foisonnante dans les années vingt, ni tout ce que lui ont donné leConservatoire, ses merveilleuses traditions, ses contacts avec Glazounov,ancien recteur et l’âme du Conservatoire, ses rencontres avec le jeuneChostakovitch et avec d’autres musiciens remarquables.

La classe de violon baignait encore à cette époque dans l’aura d’Aueret de ses brillants disciples. Yuri Yankelevitch prenait des cours avecNalbandian, professeur adjoint d’Auer, personnalité riche, brillante etprofondément artiste, et avec Korgouïev, l’un des créateurs de l’école duviolon russe, professeur éminent et excellent spécialiste de la méthodologie.

Yankelevitch a commencé à assimiler dès cette époque les traditions

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artistiques et pédagogiques de l’école dont Auer était sans doute lereprésentant le plus brillant et il l’a poursuivi et approfondi plus tard àMoscou.

Parmi les personnalités qui l’ont le plus marqué se trouve le chanteurIvan Vassilievitch Erchov dont le talent était alors à son apogée.Yankelevitch aimait évoquer le souvenir inoubliable qu’Erchov lui avaitlaissé, et j’aimerai m’arrêter plus longuement sur ces impressions qui ontinfluencé son évolution et ont contribué à former ses principes esthétiques.

Il faudrait évoquer avant tout l’extraordinaire force émotionnelle quise dégageait du chanteur, faisant oublier tout le reste aux auditeurs et leslaissant sous l’emprise de son talent. “Il m’est arrivé d’assister un jour auconcert donné à la Chapelle. Je me souviens que j’y étais avec ma mère etque le présentateur avait annoncé “Les chants et les danses” deMoussorgsky. J’ai alors vu apparaître sur la scène un chanteur que je neconnaissais pas. Sa voix ne m’a pas beaucoup plu au début, (son “ timbreprincipal” n’était pas très beau selon les normes esthétiques communémentadmises). Mais les premières mesures passées, j’ai oublié sa voix et j’ai cesséd’exister. Tour à tour, il me mettait en désarroi, il me forçait à rire et àpleurer de bonheur, à trembler de peur et à souffrir avec lui. J’en avais lachair de poule, mes cheveux se dressaient sur ma tête. J’étais anéanti. Aprèsle concert, ma mère et moi avons marché pendant un long moment sanspouvoir prononcer un seul mot, sans pouvoir retrouver nos esprits”. Plustard Yankelevitch a essayé de comprendre la force de suggestion d’Erchov.“Ivan Vassilievitch rentrait tellement dans la peau du personnage qu’il enoubliait ses partenaires et son public. Ses gestes et son chant n’étaientjamais destinés au public, car il fusionnait littéralement avec le personnageet la musique. C’est aussi ce qui le différenciait des chanteurs commeChaliapine, par exemple, dont le génie avait une toute autre nature.Chaliapine, lui, n’oubliait jamais qu’il se trouvait sur scène, devant lepublic. Les personnages qu’il incarnait étaient toujours contrôlés par laraison malgré leur puissance émotionnelle. Dans la scène la plus terrifiantede “Boris Godounov”, où le tsar marche à reculons en se protégeant de savision sanglante et où son effroyable murmure fait frémir les spectateurs,Chaliapine était parfaitement capable de murmurer à l’oreille de sonpartenaire pétrifié qui le gênait : “Pousse-toi !”. Alors qu’Ivan VassilievitchErchov devait promettre à genoux aux chanteuses qui interprétaient le rôlede Carmen qu’il ne les tuerait pas, tant elles craignaient de chanter letroisième acte. Même les actrices les plus expérimentées ne croyaient pasau caractère théâtral de ce qui se déroulait sur la scène, tellement lamétamorphose d’Erchov en José était saisissante.” On ne peut que serappeler la devise du génial Paganini: “L’émotion ressentie doit être trèspuissante pour que les autres puissent la ressentir à leur tour.”

Yankelevitch essayait de ne jamais rater un seul concert, un seul

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spectacle d’Erchov. Il parlait avec admiration de son talent d’acteur, de saplastique extraordinaire qu’il entretenait par des entraînements quotidiensce qui lui permit entre autres de jouer Siegfried jusqu’à un âge assezavancé.

Je n’ai malheureusement jamais assisté aux concerts d’Erchov, mais àtravers les récits extraordinaires de Yuri Yankelevitch, son image s’estlittéralement gravée dans mon esprit, et notamment la scène de Siegfriedavec 1’oiseau, dans laquelle Erchov dévoilait aux spectateurs, tout en leurtournant le dos, les abîmes de l’émotion et de la pensée, uniquement aumoyen de mouvements particulièrement expressifs du buste, de la tête etdes mains.

Il est difficile de dire aujourd’hui si l’amour que portait Yankelevitchau chant et à l’art vocal, et qui éclaircit de nombreux points de sa méthode,est né grâce à Erchov ou grâce à l’influence d’autres facteurs.

La fragilité des cordes vocales avait empêché Yankelevitch de seconsacrer au chant de façon professionnelle, mais ses élèvesreconnaissaient que l’entendre chanter des phrases musicales en guised’exemple les aidait beaucoup mieux que toutes les explications etdémonstrations. Il maîtrisait parfaitement toute la palette vocale, et l’ondoit reconnaître que sa voix de baryton, bien que d’amplitude assezmodeste, était chaleureuse et très agréable. De plus, il connaissaitmerveilleusement bien l’art vocal et était une autorité reconnue en lamatière. Peu de gens savent qu’il avait participé à l’organisation deplusieurs concours de chant et que son opinion était respectée par les plusgrands spécialistes d’art vocal.

Ses études au Conservatoire de Leningrad terminées, Yankelevitch estparti se perfectionner à Moscou. On ne peut pas citer toute la constellationde talents qui faisait la renommée du Conservatoire de Moscou à la fin desannées vingt et trente. Yankelevitch a l’occasion d’entendre jouer desorchestres remarquables, travaille en étroite collaboration avecPersimfance, se lie d’amitié avec les enseignants du Conservatoire, descoryphées de la culture musicale internationale, et avec des interprètesétrangers en tournée en URSS. Je n’évoquerais pas tout ce que lui ontprocuré ses contacts avec un musicien et un pédagogue aussi illustre queYampolsky, dont il a été tout d’abord l’élève puis l’assistant. De plus, àMoscou, son immense désir de connaissances, son immense curiosité pourtous les domaines de l’art étaient en permanence réalimentés.

À cette époque, Yankelevitch se passionnait pour le théâtre, lalittérature et la poésie. L’univers du théâtre et l’univers du verbeenrichissaient le musicien Yankelevitch. Ostoujev, Monakhov et Leonidovétaient les idoles qu’il a vénérées toute sa vie. Ces acteurs ne

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l’enthousiasmaient pas uniquement par la perfection de leur art. LorsqueYankelevitch parlait d’Ostoujev, sa voix résonnait d’admiration pour l’exploithumain de cet artiste qui, comme Beethoven, a su transcender la surdité.“Pour pouvoir continuer à jouer, Ostoujev devait non seulement connaîtrepar cœur les répliques de chaque acteur, mais aussi transposer toute l’actionen musique afin de ne pas sortir du rythme de la pièce. Longtemps avant ledébut du spectacle, il occupait son “poste” à l’entrée des artistes pourconnaître précisément l’état d’esprit de ses partenaires, savoir si un tel étaitd’humeur enthousiaste ou plutôt calme. Il était obligé de tenir compte et demémoriser des centaines de petits détails, de nuances, d’impressions,comme la démarche, la vitesse d’évolution sur la scène, etc., en un mot toutce dont ne se soucie jamais un comédien bien entendant. Ce qui étaitabsolument fantastique, c’était sa manière toujours très précise de placer sesrépliques sans jamais regarder ses partenaires. Il a toujours été au centre del’action, alors que tout paraissait parfaitement normal aux personnes qui nesoupçonnaient pas son handicap. Son art était prodigieux dans cesmoments. Son Othello, son Akostoï vous retournaient littéralement l’âme”.

Je ne sais pas si Yuri Yankelevitch s’intéressait autant au théâtre qu’àl’art vocal, mais je puis affirmer qu’il aurait pu devenir un acteur hors pair.

Les personnes qui le connaissaient étroitement étaient stupéfaites parson aisance et son talent lorsqu’il déclamait de mémoire des scènes entièresdes pièces de théâtre ou lorsqu’il récitait les poèmes de ses poètes préférés,tels que Lermontov, Alexeï Tolstoï ou Apoukhtine. Yankelevitch ressentait laparole et l’action aussi intensément que la pensée et l’émotion musicales, etcela s’est manifesté plus tard chez Yankelevitch musicien.

La perception visuelle et plus particulièrement les couleurs laissaientune profonde empreinte dans son imagination. Ses tournées en URSS et àl’étranger, ses visites des monuments de l’architecture, ces reliques del’histoire, ses rencontres avec les sculptures de Weimar, le Louvre, lesmusées d’art contemporain, son voyage au Japon, antipode de l’Occident,et son étonnante palette de couleurs, l’ont profondément bouleversé.

Après ses voyages, il parlait avec enchantement des impressionnistes,se lançait dans les discussions sans fin sur Léonard de Vinci, Raphaël,Rubens, sur la frontière qui sépare les maîtres anciens des nouvellesdirections de la peinture.

Au début des années cinquante au moment où l’œuvre deYankelevitch a enfin été reconnue, c’était un artiste mûr et profond,entièrement formé, qui continuait cependant à évoluer, à assimiler lanouveauté et le progrès, à vouloir non seulement résoudre les problèmesspécifiques de l’enseignement du violon, mais aussi, et c’est l’essentiel, àformer de vrais artistes.

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Malheureusement, les publications de Yankelevitch ne contiennentpas d’exposés concrets sur l’esthétique, bien que les problèmes del’interprétation et de la pédagogie ont toujours été pour lui les moyensd’une approche plus complète du contenu des œuvres étudiées.

C’est pourquoi je vais essayer d’éclairer certaines conceptionsesthétiques de Yuri Yankelevitch, qu’il n’a jamais érigé en système maisqu’il utilisait dans la pratique.

La devise de Yankelevitch était une phrase de Yampolsky qui a dit unjour: “On doit approfondir en permanence sa propre compréhension de lamusique.”

L’apprentissage de chaque nouvelle œuvre, que ce soit une étude ouun concerto, doit débuter par l’analyse méticuleuse d’une multituded’éléments, parmi lesquels les plus importants sont les suivants :

1. L’époque de l’auteur, ses particularités stylistiques et esthétiques;

2. La personnalité du compositeur et la direction générale de son œuvre;

3. Ses œuvres les plus importantes;

4. Les particularités stylistiques et esthétiques du compositeur;

5. La place occupée par la composition étudiée dans l’œuvre de l’auteur;

6. Les particularités du contenu de l’œuvre et des moyens esthétiques etstylistiques employés;

7. Les interprétations traditionnelles de cette composition;

8. Les différentes rédactions de l’œuvre en question, leurs similitudes etleurs différences.

Cependant Yuri Yankelevitch ne se limitait pas à cette analyse: ilinculquait à ses élèves l’habitude d’écouter attentivement la musique ducompositeur étudié, ainsi que la musique de la même époque et du mêmestyle.

L’étudiant qui commençait à étudier un concerto de Mozart, parexemple, était obligé d’entendre ses concertos pour piano, ses sonates et samusique de chambre. Yankelevitch soulignait sans cesse la nature vocale duviolon et accordait en conséquence une grande importance à laconnaissance des opéras, des lieds et des chansons. Il faisait écouter à sesélèves des enregistrements de son impressionnante phonothèque,

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assemblée avec amour pendant de longues années. Il adorait écouterchanter, jouer du piano, lire, le chant des oiseaux.

Mais ces soirées n’étaient pas des soirées ordinaires: il y apprenait àses étudiants à écouter et à entendre, à respecter et à aimer l’héritage laissépar plusieurs générations d’interprètes, à élaborer sa propre approche de lamusique sachant que le style de l’interprétation change périodiquement. Ilprotestait violemment lorsqu’il entendait les jeunes musiciens tourner endérision les interprétations de grands violonistes du passé, parce qu’ils nesavaient pas séparer les procédés techniques, qui pouvaient leur semblerdémodés, de la profondeur de l’interprétation. Mais il s’élevait tout autantcontre l’imitation aveugle. “Les changements de position à la Kreisler” ou“l’accentuation à la Heifetz” étaient pour lui inadmissibles.

Yankelevitch appelait à s’imprégner de l’esprit de l’interprétation etnon pas des détails techniques. J’aimerais remarquer à mon tour qu’iltenait en grande estime les artistes qui parvenaient à concilier l’approcheobjective de la forme et de la pensée de l’auteur et l’approche profondémentpersonnelle du contenu, nourrie par l’émotion subjective qui incarne laspiritualité mise au service de la musique.

Lorsqu’il explicitait les images et les symboles des œuvres, il essayaittoujours de le faire à travers des notions purement musicales et de ne pasles emprunter à la vie quotidienne ou aux différents arts. Bien qu’il n’aitjamais mis l’accent sur ce problème, il est toujours parti du fait que lelangage de la musique était extrêmement spécifique et qu’il n’avait pas,contrairement aux autres arts, de contenu concret et parfaitementobjectivé. Il était également très prudent en ce qui concerne la musique àprogramme qui illustre un thème écrit, car il craignait que le “thème”simplifie la conception du compositeur.

La musique permet toutefois de manier de très larges catégoriesphilosophiques, esthétiques et éthiques, et, grâce au déplacement dans letemps et dans l’espace et à la synthèse qu’elle opère entre les loisfondamentales de la dramaturgie et de l’architectonique, la musiques’octroie un pouvoir illimité de suggestion émotionnelle et intellectuelle.

Sans craindre de paraître pompeux ou obséquieux, je dirais quel’interprète Yankelevitch conciliait en lui les qualités de dramaturge etd’architecte, car comme l’a souligné Le Corbusier, “l’architecture n’est pasune profession mais un état d’esprit”. Cette symbiose lui permettait derésoudre les problèmes les plus complexes de l’interprétation.

Tel un architecte, donc, Yankelevitch érigeait l’édifice de l’œuvremusicale à partir d’éléments musicaux formels et conférait à chaqueélément, et donc à l’édifice tout entier, une apparence unique au moyen de

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la coloration émotionnelle qui imprégnait tous les détails del’interprétation.

Quant à la dramaturgie de l’œuvre, Yankelevitch parvenait à unir et àopposer les différents caractères, à mettre en évidence le relief et le fini desprincipales formes de l’œuvre, et à synthétiser un ensemble homogène enayant une vision globale du développement de l’œuvre. L’unité du tempo etdu rythme prenait dans ce contexte toute son importance.

La quête perpétuelle et l’évolution constante de l’artiste expliquentpourquoi aucune de ses interprétations, quand bien même elles étaientnées au cours de la même période, ne se ressemblaient. De plus, il nefaudrait pas oublier que la personnalité de l’élève laissait son empreinte surla manière de traiter l’œuvre. Yankelevitch lui-même interprétaitdifféremment la même composition au cours des époques différentes deson activité. Les tournées des musiciens soviétiques à l’étranger qui se sontmultipliées après la Seconde Guerre mondiale, ainsi que les concours, et lescontacts avec un vaste cercle de musiciens y ont joué un très grand rôle. Siau début de sa carrière Yankelevitch avait tendance à progresser du détailvers une vue d’ensemble, plus tard la construction de ses œuvres devint plusvaste, plus monumentale.

J’aimerais également essayer de présenter la vision qu’avait YuriYankelevitch de l’interprétation des œuvres clés du patrimoine du violon.

Les étudiants de Yankelevitch ont toujours beaucoup joué de musiqueitalienne ancienne, telle que les sonates de Tartini, Veracini, Locatelli,Geminiani, Nardini, les pièces et les concertos de Vivaldi. SelonYankelevitch, cette musique développe le bon goût et apprend à créer lescaractères achevés. “Pour bien jouer, il faut bien chanter.” Cette devise deCorelli qui devint également la devise des violonistes-compositeurs duXVIIIe siècle constitue aux yeux de Yankelevitch un appel à assimiler le belcanto pour pouvoir créer des formes originales, achevées et logiques. Àcette époque, la forme de la sonate italienne n’était pas conforme à celle del’école de Vienne, c’est pourquoi Yankelevitch demandait non pas à ce qu’ily ait des contrastes à l’intérieur des mouvements de la sonate ou duconcerto, mais à ce que les mouvements eux-mêmes soient contrastés.

Ce principe s’étendait également aux œuvres de Bach. Pour lespartitas, par exemple, il exigeait que chaque danse ait son propre caractèremétrique et rythmique.

Mais en ce qui concerne la sonate, son noyau était pour lui la fugue.Replaçant la fugue dans son contexte historique, il désirait quel’interprétation en soit rigoureuse par la forme et riche par le contenuémotionnel, étant donné que les compositions de Bach étaient marquées

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par la musique d’orgue. D’autre part, comme le sens de la fugue se trouvedans la répétition de la forme principale, c’est-à-dire du thème,Yankelevitch insistait pour que le caractère du thème soit unique,indépendamment du registre des nuances et du nombre des voix. Lorsqu’onabordait les accords dans les fugues, Yankelevitch rappelait qu’au temps deBach, il était possible de jouer des accords de quatre notes sans les casser,car la particularité de l’archet de l’époque était d’être incurvé, ce quipermettait de varier la tension des crins au cours du jeu.

Quant à la manière générale de traiter la musique de Bach, elle estcaractérisée, selon Yankelevitch, par une santé interne et l’homogénéité desformes, interprétation qui va à l’encontre de la tension maladive que l’onrencontre fréquemment. Cependant, cette musique ne doit pas non plusêtre sèche, ni mécanique, car Bach est un compositeur vivant et actif.

Il est probable que le problème principal de l’interprétation desœuvres de Bach soit l’interaction entre le caractère improvisé et la rigueurde la lecture de sa musique. Les coups d’archet et la précision del’articulation acquièrent ici un rôle important. Toute sa vie Yankelevitch afait des recherches dans ce sens et s’affligeait de ne pas pouvoir consulterles sources authentiques. En examinant les éditions et les manuscritsanciens, il essayait d’y trouver un compromis raisonnable entre lesexigences du style et les possibilités du violon moderne.

Yankelevitch avait vu deux traditions dans l’approche des œuvres deBach: la tradition de l’école allemande représentée aujourd’hui par Fleschet Schering, plus objective et rigoureuse qu’émotionnelle, et la traditionromantique “improvisée” qui autorise les tempos accélérés et une totaleliberté métrique. Sa manière de travailler les œuvres de Bach permet dedire qu’il préférait une alliance raisonnable des deux traditions.L’interprétation qui se rapprochait le plus de ce qu’il ressentait était celle deGlenn Gould.

Il me semble opportun de citer à ce sujet les propos de Yankelevitch,notés par l’enseignant biélorusse Minster: “Nous devons résoudre unproblème de première importance lorsque nous abordons les œuvres deBach: sommes-nous tenus absolument à reproduire la sonorité qui auraitété celle de Bach et de ses contemporains, ou pouvons-nous nous permettrecertaines libertés et modifications d’interprétation en prenant enconsidération tous les progrès accomplis dans le domaine de la techniquedu violon et de l’esthétique de l’interprétation ?

Toutes les tentatives de jouer Bach en respectant l’esprit de son tempsrencontrent de grandes difficultés. Nous n’avons pas de tradition continueen ce qui concerne l’interprétation des œuvres de Bach, comme c’est le caspour d’autres compositeurs. La majeure partie de ses œuvres n’était pas

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connue du grand public car elle n’a été publiée qu’après sa mort Au coursdu siècle suivant son œuvre fut complètement oubliée. Schumann etMendelssohn l’ont fait redécouvrir et quelque temps après, Joachim etMoser ont publié ses sonates et concertos pour violon après les avoircorrigés. Si nous suivions rigoureusement les règles d’interprétationappliquées du vivant de Bach, nous serions en contradiction avec cequ’exige actuellement le jeu des instruments à cordes. Aujourd’hui, il nousest impossible de revenir à la sonorité de son temps complètementdépourvue de vibrato, non dénuée de charme mais trop primitive pournotre oreille, ou aux limitations imposées par les cinq positions utilisées àl’époque. Nous ne pouvons pas non plus revenir aux cordes fines et àl’archet de jadis, qui était néanmoins parfaitement adapté pour jouer lesaccords. Et enfin, nous ne pouvons pas, nous limiter au petit nombre decoups d’archet qui existaient alors.

Aujourd’hui, nous ne pouvons donc plus nous limiter aux moyens duXVIIIe siècle. Les moyens dont nous disposons aujourd’hui ont été acquisplus tardivement et ont la particularité de mieux exprimer le caractère dela musique. Yankelevitch était persuadé que la meilleure version dessonates pour violon solo et des partitas de Bach était celle de Mostras. Ilfaut savoir qu’il n’est pas rare que le texte original devienne méconnaissableaprès avoir été revu et adapté, comme l’est par exemple la version publiéesous la direction de Roze et Capet. Même les adaptations de Fleschs’éloignent souvent de l’original, en introduisant entre autres beaucouptrop de nuances ce qui paralyse l’imagination de l’interprète. La version deMostras est dans ce sens plus conséquente et plus fidèle au texte original.Elle illustre de plus les différentes possibilités d’utilisation des coupsd’archet modernes. L’interprète doit se sentir libre de choisir le doigté et lescoups d’archet, mais ses choix doivent être justifiés, et c’est pourquoi il doitconnaître toutes les versions publiées et la finalité des procédés utilisés.

Le texte original de Bach ne comporte pas d’indications, (crescendo,diminuendo, ff ou pp). Seule la Chaconne est annotée une fois pp mileggiero.

Fig.1: Bach. Chaconne

La principale ligne dynamique de Bach est le forte ou la sonoriténormale et pleine, le piano n’étant utilisé que pour créer un effet d’écho.

Lorsque l’on interprète les œuvres de Bach, on doit se laisser guider

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par un rythme rigoureux. Les ralentissements doivent être perçus plutôtcomme des “pesante” et doivent être, généralement, présents dans lesdernières mesures, de l’œuvre. Cependant, dans les Sonates et les Partitaspour violon seul, (Presto en sol mineur de la Sonate n°1, Courante en simineur de la Partita n°1, Allegro en la mineur de la Sonate n°2, etc.), ilfaudrait les éviter même à la fin de l’œuvre. Les rares exceptions à la règlesont les accelerando imperceptibles, comme par exemple dans la Fugue ensol mineur:

Fig.2: Bach. Fugue

Le détaché de Bach a un caractère spécifique, il est plus pesantnotamment que le détaché de Mozart. Quant aux coups d’archet, les troispremières notes du Concerto en mi majeur, par exemple, doivent êtrejouées marcato: le début de la note est énergique, puis on ralentit lemouvement de l’archet sans l’arrêter complètement:

Fig.3: Bach. Concerto en mi majeur

Les croches suivantes sont jouées de façon analogue, mais pour lesdoubles croches on utilise le coup d’archet large.

L’Adagio en sol mineur qui fait instantanément penser à un prélude,ressemble davantage à une improvisation à cause de sa forme asymétrique:

Fig.4: Bach. Adagio

La barre de mesure du Prélude en mi majeur de la Partita n°3 perdtout son sens:

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Fig.5: Bach. Prélude

On retrouve des éléments d’improvisation dans la Sonate n°1 pourviolon et clavecin.

“Malgré la similitude des formes, présente chez les compositeurs del’école de Vienne, il existe une grande différence d’interprétation entre lesœuvres de Haydn, celles de Mozart, de Beethoven ou de Schubert.”

Tchitcherine a émis une idée analogue dans son ouvrage consacré àMozart. “Le XVIIIe siècle était un siècle de musique intensive: durant cettecourte période, les compositeurs avaient tendance à introduire lemaximum d’informations musicales dans leurs œuvres, alors que leromantisme du XIXe siècle a développé le caractère extensif de lamusique.” L’interprétation des œuvres de Mozart demande avant tout de lasouplesse des caractères, de pouvoir changer instantanément d’étatémotionnel. Yankelevitch exigeait de plus que l’on respecte la rigueur durythme, la logique du tempo, mais ne permettait pas au secondaire dedétruire la forme globale de l’œuvre en question. La palette acoustiquedevait être pleinement sonore, franche et vive. Yankelevitch n’appréciaitpas du tout l’approche “édulcorée” de la musique de Mozart.

Fig.6: Mozart. Concerto en ré majeur, Ier mouvement

Minster écrit à ce propos: “Une bonne interprétation des œuvres deMozart demande beaucoup de maturité et une plus grande maîtrise del’instrument que pour les œuvres d’autres compositeurs. Cela concerne plusparticulièrement la technique de l’archet, l’économie de mouvements et lasouplesse d’exécution des coups d’archet.

De nombreux interprètes commettent l’impardonnable erreur dejouer Mozart uniquement mezzo voce. La bonne interprétation exige nonpas la limitation de la puissance sonore mais une bonne articulation quidétermine le caractère du mouvement et les nuances.

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Le détaché de Mozart demande un mouvement uniforme et précis.Mais certains interprètes ont tendance à accélérer les notes courtes:

Fig.7: Mozart. Concerto en ré majeur, Ier mouvement

La cause en est la faiblesse du contact de l’archet avec la corde et uneinsuffisante résistance aux mouvements du bras droit qui en résulte. Levioloniste le compense en accélérant de plus en plus le mouvement. Il estpossible de supprimer cette accélération indésirable en amplifiantconsciemment le mouvement de l’archet et en renforçant son contact avecla corde.

Les mesures de la fig.8 doivent être exécutées de manière analogue àcelles du célèbre menuet en ré majeur, sans tenir compte du fait qu’ils’agisse ici de deux croches liées.

Fig.8: Mozart. Concerto en ré majeur, Ier mouvement

Fig.9: Mozart. Menuet en ré majeur

Chez Mozart, cette interprétation des croches liées est fortcaractéristique.

Les tempos mozartiens diffèrent des tempos de Bach. Ainsi, le tempodes mouvements rapides est plus soutenu chez Mozart que chez Bach, maisdans les mouvements lents, (Adagio et Andante), il faut veiller à ne pasralentir excessivement, comme on le ferait chez Bach. Cela pourrait aussiconcerner le Moderato. Les thèmes lyriques du concerto en ré majeurdemandent un tempo un peu plus retenu:

Fig.10:

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Fig.11: Mozart. Concerto en ré majeur, Ier mouvement

Les nuances dynamiques des œuvres de Mozart sont caractérisées parla retenue de l’époque classique. Mozart n’introduit les nuances decrescendo et de diminuendo qu’à la fin de sa vie. Mais on constatefréquemment la présence des annotations sf et sfp. La dynamiquemozartienne n’atteint jamais le ff ou le pp, comme on le voit souvent dansles œuvres de Beethoven. Alors que Bach n’employait la nuance que dansles reprises, pour créer un effet d’écho, Mozart, lui, utilisait le pianoégalement lorsque cette nuance correspondait à l’esprit et au caractère dela musique. Sa musique exclut l’utilisation d’une dynamique exagérée: elledoit rester fine, délicate mais pleinement sonore.

On doit rester attentif à la sensation de l’élasticité des mouvementslorsque l’on joue forte ainsi qu’à la densité de l’archet lorsque l’on jouepiano.”

En s’attaquant aux œuvres de Schubert, Yankelevitch mettait en avantles dons de mélodiste du compositeur qui, selon lui, expliquaient lecaractère chantant et mélodieux de ses œuvres, dans lesquellesYankelevitch travaillait tout particulièrement les modulations.

Sa compréhension de la musique de Beethoven était exceptionnellementprofonde. Yankelevitch le plaçait parmi les compositeurs les plusauthentiquement poètes, parmi ceux dont la problématique philosophiqueétait la plus étendue. Avec le temps, son approche des œuvres de Beethovena changé: si dans les années cinquante, il recherchait plutôt le raffinementdes coups d’archet, et même tout simplement la diversité, plus tard, il serapprocha davantage de la version originale et son interprétation en devintplus simple et plus sobre.

Sa vision d’ensemble prit de l’ampleur, les détails s’agrandirent. Danssa conception des ensembles instrumentaux le violon faisait partieintégrante du tissu musical global. Il n’admettait en aucune manière quel’équilibre entre les instruments solo et les instruments d’accompagnementsoit rompu, et il s’efforçait de mettre en relief la facture de chaqueinstrument et de les unir en un tout sonore.

Quant à Brahms, Yankelevitch appréciait autant sa philosophie que lecaractère dramatique de sa musique. La tension conflictuelle, la richesse del’action de sa musique demandent un maximum d’expressivité et de liberté

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d’esprit, et surtout le respect de la forme et du texte, car Brahms, toutcomme Beethoven, notait avec beaucoup de soin toutes les nuancesémotionnelles. Parmi les interprètes de Brahms, Yankelevitch tenait enhaute estime Szigeti, Stern, Menuhin et Szering. Lorsqu’il travaillait avecl’accompagnement, il désirait à tout prix parvenir à rendre la sonorité dupiano mélodieuse et expressive.

Yankelevitch se montrait très critique vis-à-vis des snobs esthétisantspour lesquels la musique des grands virtuoses du romantisme était devenuedésuète. “Sans parler de l’utilité purement instrumentale qu’apporte letravail des œuvres de Paganini, Spohr, Viotti, Ernst, Wieniawski,Vieuxtemps, leur musique nous est proche par ses émotions vivesouvertement exprimées, par son romantisme pathétique, par l’acuité et ladiversité des caractères, par son infinie beauté mélodique.”

Les œuvres de ces compositeurs, et surtout celles de Paganini, étaientà ses yeux “le pain du violoniste”. Sans elles, le violoniste, même si sesaspirations artistiques sont élevées, ne peut évoluer et finit toujours parrétrograder, y compris au niveau instrumental. Pour Yankelevitch, lesprocédés et les effets virtuoses de ces compositeurs ne constituaient enaucun cas un but en soi, mais étaient simplement des moyens d’expression.L’art romantique est un art ouvert, un art de grand public, un artdémocratique par nature, et qui, en tant que tel, exige des formes adaptéesà sa réalisation.

Il était passionnant de voir l’enthousiasme que manifestaitYankelevitch lorsqu’il travaillait sur la musique virtuose. Il créait desformes captivantes et forçait ses élèves à donner le meilleur d’eux-mêmes,tout en continuant d’en exiger la parfaite compréhension des procédéstechniques et la subordination des problèmes techniques aux objectifsartistiques, c’est-à-dire la virtuosité véritable. (Rappelons-nous que“virtuose” signifie “vaillant”). Il n’appréciait guère “les virtuoses descouloirs dont le jeu rapide était dénué de tout sens”. Les Caprices dePaganini, que Yankelevitch considérait comme l’encyclopédie de l’art duviolon, se trouvaient au programme de tous ses étudiants qui devaient créerune forme musicale achevée pour chaque caprice. Parmi les pièces dePaganini, il affectionnait tout particulièrement la Campanella, la Danse desSorcières, I Palpiti, La Molinara, mais il appréciait tout autant les sonatespour violon et guitare. Le Concerto en ré majeur était, pour lui, un feud’artifice fait de brio instrumental et de pathétique romantique, rempli delyrisme, et dévoilant un véritable sens populaire et le sens du drame.

L’étude des compositeurs français de la deuxième moitié du XIXesiècle consistait essentiellement à prendre conscience du coloris sonore, del'élégance, du raffinement du style et des détails de la finition et de lestravailler. La connaissance de la vie culturelle de la France - la richesse

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littéraire, l’extraordinaire diversité de la peinture et de l’architecture, lesprincipaux courants philosophiques, les contradictions historiques, - étaitégalement très importante pour son enseignement.

La Symphonie espagnole de Lalo, par exemple, demande une parfaitemaîtrise de l’instrument mais aussi du brio, du tempérament et des formesconcrètes. Les rythmes populaires et le coloris représentent l’ossature de cechef-d’œuvre.

Le “Poème” de Chausson se distingue par la finesse de ses nuances,par le caractère presque explosif de sa dynamique et par la richesse de sesémotions.

Quant à l’Introduction et au Rondo-capriccioso de Saint-Saëns,Yankelevitch demandait tout d’abord à ses étudiants de réfléchir àl’annotation “malinconico” pour pouvoir ensuite créer la formecorrespondante. L’élégance et le caractère mélodieux des coups d’archet, lescaractères capricieux et raffinés sont l’essence même du Rondo. Ilconvenait de ne pas trop accélérer le tempo de la coda afin de rester fidèleà la vieille tradition française.

Pour Yankelevitch, l’esthétique des compositeurs impressionnistesétait extrêmement proche de celle des peintres impressionnistes quifixaient un court instant de la vie, un état d’esprit insaisissable et fuyant, leschatoiements pittoresques des émotions. Yankelevitch aimait beaucoup lespièces de Debussy et de Rave. Son interprétation de “L’après-midi d’unfaune” irradiait de volupté, de calme et de sensualité somnolente, et celledu “Clair de Lune” faisait miroiter des couleurs subtiles, ébauches des élansà peine conscients.

Afin de parvenir à la sensation d’improvisation libre et rendre lasouplesse capricieuse de l’esprit de la “Bohémienne” de Ravel, Yankelevitchdemandait à ses élèves de connaître le texte à la perfection et de respecterrigoureusement les durées des silences et des notes longues, pour dresserensuite un tableau riche et fantasque aux caractères impétueux etindomptables.

“César Franck est un phénomène des plus complexes de la musiquefrançaise, répétait Yuri Yankelevitch. Il s’est imprégné en même temps destraditions romantiques du XIXe siècle et des traditions réalistes de sontemps, en assimilant par ailleurs les idées des impressionnistes. On ne peutpas non plus oublier que sa permanente activité d’organiste laissa sur sonœuvre une empreinte religieuse, une empreinte d’élévation extatique.”Toutes les facettes de la personnalité originale du compositeur se révèlentdans sa Sonate en la majeur.

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Yuri Yankelevitch était un interprète remarquable de la musiquerusse. Il aimait tout particulièrement le Concerto de Glazounov qu’ilconsidérait comme l’un des compositeurs nationaux les plus originaux. CeConcerto le séduisait par l’amplitude de son souffle mélodieux, par la forceet l’envergure véritablement russe des formes et par la conception optimistede l’œuvre. Lorsque Glazounov a entendu son Concerto joué par le jeuneYankelevitch, il a jugé excellente sa vision de l’œuvre. Yankelevitch étaitlittéralement porté par l’inspiration lorsqu’il travaillait ce concerto avec sesélèves. Irina Botchkova, l’une de ses élèves, raconte que pendant le cours, ilpouvait chanter cette composition plusieurs fois du début à la fin.Yankelevitch exigeait que l’interprète arrive à une construction continue,qu’il traduise la force émotionnelle et l’envergure de l’œuvre, tout enpréservant la noblesse et la douceur de la sonorité.

Sa conception mondialement connue du Concerto de Tchaïkovsky,grâce au succès de Botchkova, Tretiakov, Spivakov, Kogan et d’autres auconcours internationaux, avait un fondement extrêmement rigoureux. YuriYankelevitch n’admettait aucune désinvolture romantique, aucuneexagération émotionnelle, et demandait au contraire à ce que les thèmeslyriques soient remplis de simplicité, de douceur et de rêve, et à ce que lasonorité soit intime et les pianos pleinement rendus. La deuxième partiedevait être jouée comme devait l’être une chanson simple et tendre, alorsque dans la troisième il fallait mettre en relief le genre de l’œuvre et faireressortir l’intensité et l’accentuation acérée des différents épisodes. Lescoupures que proposait Auer dans la finale altéraient sa forme.Yankelevitch insistait donc pour que la version de l’auteur soit respectée. Lacadence constituait à ses yeux le noyau dramatique de la première partie etdevait par conséquent être méticuleusement affinée.

Yankelevitch consacrait beaucoup de temps au travail de la précisiondes coups d’archet et de l’accentuation. Le titre, par exemple, devaitobligatoirement correspondre à la forme que l’on donnait à la pièce. Ainsi“La Rêverie” de Tchaïkovsky devenait sous sa main large, mélodieuse etpensive, et le caractère de la valse-scherzo devait traduire en même tempsl’impression du mouvement de la valse et la forme du scherzo.

Prokofiev était l’un des compositeurs préférés de Yankelevitch, car ila su, comme Maïakovsky l’a fait en poésie, capter tout ce que le XXe sièclea apporté de nouveau et lui faire prendre corps par des moyens totalementnovateurs. Ses concertos, sonates et pièces reflétaient le lyrismeauthentiquement russe des mélodies dont les formes affinées, contrastéeset souvent grotesques devaient, selon lui, être mises en relief avec beaucoupde brio. Les formes et les images les moins esthétiques requéraient d’êtreexprimées avec des moyens esthétiques. Yankelevitch n’admettait pas queses élèves rendent la musique vulgaire et grinçante au point d’écorcher lesoreilles. C’est pourquoi il travaillait avec autant de soin le caractère des

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coups d’archet et qu’il cherchait à parvenir aux accents spécifiques deProkofiev, au marcato, etc. On devait rendre expressifs et déclamatoires, lesthèmes lyriques populaires, en conférant à leur sonorité la légèreté propreà la chanson russe. Yankelevitch trouvait des couleurs fantasques etmouvantes pour peindre des tableaux semblables à “La Fée de l’Hiver” enmariant les coloris impressionnistes aux caractères fantastiques.

Yuri Yankelevitch a pris une part très active à la diffusion de lamusique des compositeurs nationaux et a travaillé en étroite collaborationavec nombre d’entre eux. La musique de Chostakovitch, de Khrennikov, deKabalevsky, de Khatchatourian, de Goloubev, de Rakov et de bien d’autresa toujours résonné dans sa salle de cours. Les œuvres des jeunescompositeurs ne le laissait pas, non plus indifférent: ainsi, c’est dans saclasse que furent jouées pour la première fois les pièces et les concertos deTchougaïev, de Goloubev, les sonates de Kouss et de Jvanetskaïa, et enpremière à Moscou le concerto de Falik.

Il est impossible d’énumérer en détail toutes les approches des œuvrescontemporaines par Yankelevitch, mais il est nécessaire de s’arrêter sur cellesdu Concerto de Khatchatourian et des Préludes de Chostakovitch/Tsiganov.

Yankelevitch situait le noyau dramatique du Concerto deKhatchatourian au deuxième mouvement qu’il percevait comme unemélodie infiniment souple qui se déversait sans s’interrompre. Le charmedu coloris plaisant, la fusion des caractères de la narration dramatique etpathétique, l’épisode des “pleurs” constituent la richesse de ce mouvementqui est exprimée par des couleurs recherchées et des timbres spécifiques.Les rythmes caractéristiques et l’originalité savoureuse de l’Orienttransparaissent dans les thèmes lyriques des deux premiers mouvements.Quant aux Préludes de Chostakovitch, Yankelevitch y travaillaitprincipalement le détail des coups d’archet qu’il cherchait à diversifier dansles limites imposées par le caractère et les changements progressifs de laforme. Il apprenait également à ses élèves à maîtriser les demi-teintes desimpulsions et des émotions.

Parmi les compositeurs étrangers du XXe siècle, Yankelevitchadmirait beaucoup Stravinsky, Bartók, Hindemith, Britten, Enesco. Ilfaisait jouer à ses élèves déjà formés et mûrs le Concerto de Berg, les piècesde Webern, etc.

Nous étions stupéfaits de la rapidité avec laquelle notre professeursaisissait le contenu et la forme des œuvres les plus difficiles etparfaitement nouvelles pour lui et pour nous. En deux ou trois remarquesil parvenait à rendre à l’œuvre son élégance, sa logique et son expressivité.Mais le plus étonnant restait le fait que sa vision immédiate de l’œuvre étaitune vision scénique.

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Il faisait preuve d’imagination et de créativité inépuisables en ce quiconcerne les pièces courtes dont chacune avait son propre caractère, sapropre couleur et sa propre construction. Yankelevitch considérait que lesœuvres de Kreisler, les danses espagnoles de Sarasate, les danseshongroises de Brahms et les danses slaves de Dvorak étaient très utiles pourdévelopper la souplesse artistique et éveiller l’imagination de l’élève.

Il faut souligner que Yuri Yankelevitch excellait dans la compositiondes programmes de concert. Il estimait que ce domaine de son activité étaitun art complexe. Lorsqu’il conseillait les concertistes débutants, il prenaiten considération une multitude de facteurs: la valeur artistique des œuvres,la compatibilité stylistique des compositeurs, le degré d’accessibilité de lamusique au public hétérogène et même la géographie du concert. Lesprogrammes devaient être constitués de façon à ce que les auditeurs aientla possibilité de changer d’état émotionnel en passant d’une œuvre degrande intensité intellectuelle à une œuvre plus accessible, écoutée avec “leplaisir de la découverte”. Toutes ces œuvres doivent bien évidemment êtrede la grande musique et non pas des poncifs.

Lorsque l’on parle de Yuri Yankelevitch pédagogue et artiste, on nepeut omettre ses principes esthétiques. Il forçait l’évolution de lapersonnalité de ses élèves, leur enrichissement émotionnel et intellectuel,en y contribuant pleinement par son propre exemple.

Ses critères moraux étaient très élevés. Rien ne l’attristait davantageque la jalousie, la concurrence malsaine, la prétention ou l’arrivisme. Ilétait du reste très intolérant vis-à-vis de tout acte sortant du cadre de lamorale ou de l’éthique. Nous étions tous éblouis par la foi illimitée qu’ilmettait en autrui. Quel bonheur que d’avoir pu travailler dans cetteatmosphère de bienveillance, de sincérité, de réelle camaraderie etd’humour qui réconfortait dans les moments les plus difficiles et élevait lesaspirations de ceux qui approchaient Yuri Yankelevitch!

“Le style, c’est l’homme lui-même, aimait dire Yankelevitch. C’est lapersonnalité de l’artiste qui en définitive donne une orientation à son art.Cela concerne dans la même mesure l’art de l’interprète.”

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Elena Yankelevitch

L’HÉRITAGE PÉDAGOGIQUE DE YANKELEVITCHAUJOURD’HUI

Il n’y a pas un seul endroit au monde où les violonistes soviétiques nese seraient pas produits, où l’on ne connaîtrait pas les noms des meilleursd’entre eux. Il y a fort longtemps que nos violonistes ont accédé à larenommée mondiale et ont fait connaître non seulement leur nom maiségalement l’école du violon russe.

Une pléiade de violonistes est sortie du Conservatoire Tchaïkovsky deMoscou. Parmi plusieurs générations de ses élèves on compte desenseignants réputés, des musiciens de formations célèbres, des solistes desmeilleurs orchestres et des concertistes mondialement connus.

Il est de règle aujourd’hui de consacrer des articles, des essais et devastes monographies aux interprètes et aux solistes. Mais les pédagogues,c’est-à-dire ceux qui peuvent prétendre à être cités en premier lieu, le sontmalheureusement très rarement.

Nous connaissons les noms des meilleures d’entre eux et nous nous ensouvenons quelquefois lorsque nous entendons jouer leurs élèves. Noussavons aussi que l’enseignant donne à ses étudiants tout ce qu’il a de plusremarquable, de plus fort et de plus chaleureux, toute la rigueur et toutl’amour qu’il porte à son métier. Cependant, même les plus grands d’entreeux ne parviennent pas toujours à systématiser et à généraliser l’expériencede nombreuses années d’activité. C’est pourquoi je tenterai ici de décrirel’héritage pédagogique laissé par Yuri Yankelevitch.

Notre mémoire retiendra à jamais sa bienveillance vis-à-vis des autreset surtout vis-à-vis de ses élèves, ses “enfants” auxquels il consacra sa vieentière.

Yuri Yankelevitch a suivi un très grand nombre d’élèves, dont 63 ontobtenu des diplômes d’enseignement supérieur : 48 sont sortis duConservatoire de Moscou et 15 de I’Institut Gnessine. 20 sont devenusDocteurs. 22 ont terminé l’École Centrale de Musique et 16 l’Institut deMusique. Il a également eu dans sa classe pendant plusieurs années 8 élèvesétrangers, (Suisses, Chinois, Bulgares, Allemands de l’Est, Britanniques).Et il ne faudrait pas oublier les 76 auditeurs libres.

Ainsi, près de deux cent étudiants ont suivi l’enseignement de YuriYankelevitch.

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Son premier succès date de son assistant dans la classe de Yampolsky,lorsque Nelly Chkolnikova, qui était alors son élève, a remporté en 1953 leGrand Prix et le Prix Spécial Ginette Neveu pour son interprétation duConcerto de Tchaïkovsky au Concours Jacques Thibaud à Paris. Les diversconcours internationaux ont récompensé 40 de ses élèves, dont 20 ontobtenu le Premier Prix, (Tretiakov, Spivakov, Agoronian, Botchkova,Grindienko, Jisline, Brussilovsky, Ambartsoumian, Ivanov, Kogan,Bezverkhy, Sitkovetski, Lantzman, Markov, Doubrovskaïa, Chkolnikova,Schwartzberg, Belkine, Wilker-Kuchment, Smirnov), 12 le deuxième prix,(Garlitzky, Kopelmann, Kotorovitch, et d’autres), 6 le troisième et 3 lequatrième prix, (cf. la liste des élèves de Yankelevitch p. 301).

Ses élèves reconnaissants ont adressé une lettre ouverte à la rédactiondu journal “La Musique Soviétique”, (N°9, 1988), pour célébrer son 80eanniversaire. Cette lettre contient des propositions concrètes ayant pourobjectif la conservation du patrimoine culturel national.

“Yuri Yankelevitch fut le continuateur des meilleures traditions del’école du violon nationale. Il parvint à la difficile synthèse du calcul objectifet de l’expérimentation audacieuse, de la discipline rigoureuse dans lacréation et du sens artistique véritable. Ces qualités ainsi que sonexceptionnelle capacité de travail donnèrent des résultats remarquables. Enenseignant durant de longues années au Conservatoire, à l’Institut deMusique et à l’École Centrale de Musique, Yankelevitch créa son école quifit parler d’elle grâce à la cohésion de la perception des styles musicaux etdu niveau élevé de la culture musicale que manifestaient ses représentants,grâce également à l’homogénéité de leur approche de la sonorité et à lamaîtrise parfaite de tous les procédés de la technique du violon. Toutefois,la caractéristique la plus captivante de l’école de Yankelevitch fut lecaractère unique de chaque individualité artistique qu’il forma.

Nous, ses élèves, avons la possibilité de donner des concerts et departiciper aux colloques pédagogiques dans un grand nombre de villes et depays étrangers. Chacun de nos succès est avant tout le succès de notreMaître.

Aujourd’hui, alors que l’on fait tant en URSS pour immortaliserl’héritage culturel national, il nous paraît opportun d’adresser une série depropositions concrètes à l’Union des musiciens de l’URSS et à la Fondationde la Culture.”

Bien que les organisations citées ci-dessus n’ont manifesté aucunintérêt pour cet appel, les étudiants de Yankelevitch ont conduit une séried’actions:

1. Grâce aux efforts des élèves de Yuri Yankelevitch, résidant sur le sol

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national ou à l’étranger, des concerts annuels sont organisés dans les sallesde concerts du Conservatoire de Moscou, à la Maison Centrale des Métiersde l’Art, à la Maison de la Science et à la Philharmonie de Saint-Petersbourg. Ces concerts attirent un grand nombre d’auditeurs etconstituent de vrais événements pour les amateurs de musique. La recettedes concerts revient toujours aux œuvres de bienfaisance. Ainsi, trenteconcerts dédiés “à la mémoire du Maître” eurent lieu depuis la mort de YuriYankelevitch il y la dix-neuf ans.

2. En 1989, afin de célébrer le 80e anniversaire de Yankelevitch, laTélévision Russe a diffusé un film en quatre parties qui retraçait la vie etl’œuvre du Maître et de ses disciples. Les professeurs du Conservatoire deMoscou, ( Gaïdamovitch, Grigoriev, Rabinovitch), et les élèves de YuriYankelevitch y évoquent sa mémoire. Certains d’entre eux, et plusprécisément les lauréats des Concours internationaux, y démontrent leurmaîtrise de l’instrument et leur talent. L’un de ses films a montré les élèvesde Yuri Yankelevitch enseigner à leur tour au Canada, (Lantzmann), et enSuisse, (Stenberg). On a tourné par ailleurs un deuxième film, “LesHéritiers”, consacré cette fois aux étudiants des élèves de Yankelevitch, àses “petit-fils” en quelque sorte.45

3. Afin d’encourager les plus talentueux et les moins aisés des jeunesviolonistes, élèves de l’École Centrale de Musique, de l’institut de Musiqueet du Conservatoire de Moscou, L’Association mondiale “Musique,Miséricorde, Paix” a créé la Fondation du professeur Yankelevitch.L’inauguration de la fondation a eu lieu en février 1991, le jour del’anniversaire de Yankelevitch et a été retransmise par la Télévision Russe,(émission “Kiosque à Musique”), et couverte par la presse. Certains jeunesviolonistes, futurs boursiers, ont tenu à s’exprimer lors de cet événement.

L’essentiel des moyens financiers dont dispose la Fondation provientdes dons des élèves de Yankelevitch, les sommes étant prélevées sur lescachets des concerts.

Les membres du Conseil de la Fondation sont: Tretiakov , (président),Spivakov, Botchkova, Jisline, Glesarova, Braïnine, Korotkine et ElenaYankelevitch étant les membres de l’Association mondiale. Les personnessuivantes ont pris une part active dans la création et le soutien de la

45 Ces dernières années ont vu grandir les “petits-fils” de Yankelevitch, c’est-à-dire les élèves de ses propres élèves qui sont devenus les continuateurs de sonÉcole. Parmi eux se trouvent les lauréats de nombreux Concours interna-tionaux: Y. Krassko, (classe de Glesarova), A. Tchbotareva, G. Moupla, A.Negovitsine, (classe de Botchkova), M. Komanko, (classe de Makhtina), N.Likhopoy, (classe de Tretiakov), E. Androussenko, A. Semtchouk, A.Komissarova, (classe de Kotorovitch). De nombreux lauréats bénéficient desbourses de la Fondation Yankelevitch.

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Fondation: Fouter, Kogan, Kopelmann, Ivanov, Steinberg, Garlitzky,Lantzmann, Stenberg, Brussilovsky, Schwartzberg, Pogossova,Rosnovskaïa, Schister, Wilker-Kuchment, et bien d’autres. De nombreuxélèves de Yuri Yankelevitch résidant à l’étranger, dont Andhevsky,Kramarova, Belkine, Chkolnikova et d’autres, ont manifesté le désir de fairepartie de la Fondation.

Le conseil de la Fondation vient d’accorder les six premières boursesaux élèves talentueux de l’E.C.M., de l’I.M. et du Conservatoire, dont le lieude résidence est éloigné du lieu d’études et qui ne disposent pas de revenussuffisants. Les premiers boursiers de la Fondation font partie de la classedu Professeur Glesarova, (Sakharova / E.C.M.), du Professeur Botchkova,(Trostiansky, Roukavitsina, Yakovitch / Conservatoire), et de l’enseignant del’E.C.M., Makhtina, ( Komanko, Kouzmitchev).

En plus de l’attribution des bourses, la Fondation projette d’aider lesétudiants à financer l’achat de leur instrument et des dépensesoccasionnées par la participation aux Concours internationaux, etc.

Le regretté Yehudi Menuhin, illustre musicien, a soutenu avecenthousiasme la création de la Fondation Yankelevitch et avait exprimé sondésir de faire partie du Conseil de la Fondation.

Une partie du travail méthodologique de Yankelevitch étaitl’organisation de colloques scientifiques et méthodologiques à Moscou, enURSS et à l’étranger.

Sa générosité pour faire partager son immense expérience à d’autresenseignants afin de les aider dans leur travail, n’avait pas de limites.

Sa salle de classe au Conservatoire et quelquefois son appartement,car il travaillait énormément chez lui, était toujours comble de musiciens,d’étudiants du Conservatoire et d’enseignants des différentes Écoles etInstituts qui venaient assister à ses cours de tout le pays et de l’étranger.

Il faisait partager son expérience à ses collègues d’autres villes. Lagéographie de ses conférences, consultations et exposés divers estimpressionnante.

Rien que pendant les six dernières années de sa vie, (1967-1973), il aorganisé des colloques et donné des conférences dans les villes et les payssuivants: 1967 - Weimar, Leipzig, Kiev; 1968 - Japon, (colloque de troismois), Weimar, Prague, Paris, Poznan;1969 - Kiev, Odessa, Salzbourg,Berlin; 1970 - Minsk, Kiev, Paris; 1971 - Weimar ; 1972 - Tachkent, Kiev,Tallinn, Tartu, Kaunas, Vilnius, Kazan, Minsk, Sverdlovsk, Leningrad,Gorki, Erevan.

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Quant au voyage à Leningrad, prévu pour 1973, il fut annulé à causede la grave maladie dont était atteint Yuri Yankelevitch.

Ses archives abondent de lettres enflammées qui décrivent lescolloques et le grand intérêt qu’ils représentaient pour les musiciens. Jen’en citerai que quelques-unes, dont la lettre adressée au Conservatoire deMoscou par le Conservatoire de Biélorussie:

“Le colloque scientifique organisé sous la direction du professeurYankelevitch et de ses assistants a suscité un vif intérêt parmi les enseignantsdes instruments à cordes et les étudiants de tous les établissements demusique de la République, ainsi que dans le monde de la musique.

Il a été donné un grand nombre de cours publics, de consultationsconcernant les mémoires de fin du cycle, on a auditionné des élèves venantdes différents établissements de Musique et on a analysé les défauts de leurpréparation.

Au cours de ce colloque captivant, ont été abordées les méthodesd’enseignement de pointe, les questions de l’interprétation de la musiquedes différentes époques et de différents styles et bien d’autres problèmesliés à la pédagogie ou à l’interprétation.

Tous les énoncés et recommandations théoriques ont été brillammentillustrés par les leçons pratiques données par le Professeur et ses assistants,(Glesarova, Tchoueïeva, Botchkova).

De plus, les concerts donnés par les élèves de Yankelevitch,Doubrovskaïa, Bezverkhni, Belkine, Kopelmann, Schister, et par sonassistant Jisline, ont remporté un grand succès.”

On doit remarquer que les anciens élèves de Yankelevitch qui,aujourd’hui, sont enseignants à leur tour, (Botchkova, Schwarzberg,Kotorovitch, Stenberg), perpétuent la tradition de partir en tournéeorganisée pour leurs élèves. Yuri Yankelevitch ne se limitait pas à préparerses élèves à l’activité de concertiste, il assistait également à leurs concertset à leurs prestations lors des concours.

La déclaration faite par l’enseignant de l’Institut de Musique deMinsk, Minster, qui a eu l’occasion d’assister aux symposiums deYankelevitch à Moscou, en 1959 et 1961, en Ukraine en 1970 et à Minsk lamême année, est très significative:

“On ne saurait surestimer le rôle des colloques de Yuri Yankelevitch.On y discutait toutes les questions liées à la préparation des musiciens,armés des dernières découvertes de la méthodologie soviétique.

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Il m’est arrivé d’assister à plusieurs cours de Yankelevitch qu’ildonnait à ses étudiants à Moscou et aux étudiants d’autres enseignantsdans d’autres villes du pays. Ces colloques rassemblaient énormément demonde. L’immense enthousiasme qui régnait pendant ces cours nous atoujours ébloui. Yuri Yankelevitch s’investissait dans son travail jusqu’àl’oubli de soi même. Chaque leçon devenait une fête, son ambianceparticulière se transmettait à chaque élève et les faisait jouer d’une touteautre manière. Ces cours étaient suivis par des élèves de niveaux trèsdifférents, du jeune Tretiakov qui n’était alors qu’élève de l’E.C.M., auxviolonistes confirmés.

Nous étions à chaque fois étonnés par la persévérance et la patienceque manifestait Yuri Yankelevitch dans sa progression vers l’objectif idéalqu’il s’était fixé à l’avance. Aucun cours ne se terminait avant que l’objectifde la leçon ne soit atteint, ce qui ne se faisait pas instantanément. YuriYankelevitch trouvait une approche personnelle, une voie personnelle pourchacun, adaptait la manière de travailler les moindres détails de tous lesdomaines du jeu, que ce soit l’apprentissage du texte, le phrasé ou lacorrélation des sons.

Il lui arrivait quelquefois de se montrer très sévère et exigeant. Il nelaissait alors passer la moindre imperfection, la moindre erreur, ce qui setraduisait immédiatement dans le jeu de l’élève.

On sait que beaucoup de violonistes remarquables et de musiciens degrand talent qui ont fait connaître l’école russe du violon, sont sortis de laclasse de Yuri Yankelevitch. Mais il comptait également parmi ses étudiantsdes élèves moins brillants. C’est pendant les leçons données à ses derniersque l’on percevait le mieux son expérience gigantesque, son art de lapédagogie et son grand talent.

Chaque leçon était unique. Yuri Yankelevitch admettait facilement lesinterprétations discutables mais il n’en acceptait jamais de mauvaises. Ilcherchait essentiellement à mettre en lumière le maximum des possibilitésde chaque élève. Cependant, il n’a jamais essayé de niveler l’interprétationde ses élèves par rapport à un standard. Ses remarques faites à ce proposau colloque de Minsk en 1970, après qu’il ait entendu un concerto deMozart, étaient sans équivoque. “Cette interprétation n’est sans doute pasla meilleure car elle manque d’émotion, mais je ne crois pas que tout lemonde soit obligé de jouer de la même manière ou de montrer le mêmetempérament. Cela ne serait plus du tout intéressant à écouter. Je ne suispas certain que l’expression précoce de ses émotions soit bénéfique.Chacun doit jouer à sa manière, chercher son profil, son “emploi”, le but del’enseignant étant de comprendre la nature de l’élève et d’y adapter sonrépertoire.”

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La réalité de cette déclaration est confirmée par l’importantedifférence du jeu de ses nombreux élèves qui sont aujourd’hui desviolonistes mondialement connus.

Vadim Kirilovitch Stetsenko, professeur du Conservatoire de Kiev,nous a laissé un livre de souvenirs intitulé “Le laboratoire artistique dumaître de la pédagogie du violon”. Il décrit l’ambiance qui régnait lors deces colloques:

“Quatre colloques furent organisés à Kiev et à Odessa dans les années1960-70 par le professeur Yankelevitch pour les enseignants du violon dusecondaire et du supérieur. Tous les enseignants des centres musicauximportants de l’Ukraine, (Lvov, Odessa, Kharkov, Donetsk), ainsi que lesreprésentants des Instituts de musique de la République y furent conviés.Ce fait permet de parler de la diffusion de l’influence qu’exerce la pédagogieavant-gardiste de Yuri Yankelevitch sur le corps enseignant de laRépublique ukrainienne.

Très proche du travail pratique, la forme de ces colloques choisie avecperspicacité par Yuri Yankelevitch contribua à leur succès. Les enseignants,les étudiants et les auditeurs libres du colloque en devenaient desparticipants actifs. Ils fournissaient “le matériau” pour les cours et enétaient responsables car ce matériau devait bien évidemment être dequalité.

Le colloque avait une forme concrète et didactique, grâce au caractèrepublic des cours. La bienveillance et le tact des remarques de Yankelevitchétaient remarquables. Sa discussion avec les élèves prenait l’apparence d’unbon conseil, d’une critique amicale, accessible et intelligemmentargumentée. Elle n’entacha jamais l’amour propre des élèves ni de leurenseignant. Lorsqu’il était réellement indispensable de corriger quelquechose, cela se faisait de manière à ce que l’élève comprenne lui-même lanécessité de la correction et la réalise comme par sa propre initiative.Autrement dit, pendant les cours de Yankelevitch, on voyait naître uncontact créatif véritable entre l’enseignant et l’élève.

Sa capacité à juger rapidement et objectivement l’essentiel du jeu del’étudiant, à mettre en évidence ses défauts et ses qualités, était stupéfiante.Ses conclusions étaient toujours informatives, concises et concentrées,présentées quelquefois sous la forme d’un aphorisme, ce qui entraînaittoujours la réaction désirée de la part de l’élève.

Le trait caractéristique des cours du Professeur était leur orientationsur l’union étroite des domaines artistique et technique du jeu. Ontravaillait la qualité du procédé technique dans une grande mesure enfonction de l’utilisation que l’on faisait de ce procédé dans une œuvre

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spécifique. Yuri Yankelevitch parvint à allier les connaissancesfondamentales sur la nature du jeu à son intuition exceptionnelle. Il luisuffisait de prononcer une phrase ou deux, de faire une comparaisonjudicieuse pour que les auditeurs observent la métamorphose de l’élève quise mettait à jouer mieux et avec plus d’aisance.

L’autre partie des colloques était consacrée aux questions du public.Les réponses de Yuri Yankelevitch révélaient un sincère désir d’aider lesenseignants, de donner l’explication la plus complète possible. La penséequ’il aurait voulu, à un moment ou un autre, garder certains “secretsprofessionnels” ne nous aurait jamais effleuré l’esprit. Ses réponsesdévoilaient sa grande érudition, sa profonde connaissance non seulementde la littérature musicale spécialisée, mais aussi des sciencesconcomitantes, telles que la pédagogie, l’esthétique, la physiologie, lapsychologie, etc. Écouter ses interventions, dont chaque mot était pleind’intérêt et qui étaient de surcroît d’excellente qualité oratoire, nousprocurait un plaisir indicible. La personnalité brillante de YuriYankelevitch attirait, tel un aimant, tous ceux qui étaient amenés à leconnaître “.

Je ne citerai pas ici les réflexions ou les déclarations de YuriYankelevitch, car elles font l’objet d’autres chapitres du présent ouvrage.

Le succès de l’école de Yuri Yankelevitch a suscité un vif intérêt pourson art pédagogique dans le monde entier. Les étudiants de tous pays,(Japon, Suisse, Pologne, Allemagne, Viêt-Nam, Autriche, etc), venaientassister à ses cours. Il recevait aussi un grand nombre d’invitations leconviant à participer aux rencontres et colloques internationaux divers et àfaire partie des jurys des concours.

Yankelevitch a décrit les impressions qu’il a gardées de son voyage auJapon et en Allemagne dans l’article “Les colloques musicaux au Japon eten Allemagne”. J’aimerais citer deux extraits de cet article. Le premierdécrit le colloque organisé au Conservatoire “Toho-Gakuen” à Tokyo:

“Le désir de maintenir le prestige de leur école et d’y attirer un plusgrand nombre d’étudiants pousse le Comité des enseignants de cette écoleà inviter des musiciens étrangers pour y enseigner pendant la durée d’unstage. De nouveaux noms stimulent chaque année l’activité de l’école.

Le colloque où je fus invité se déroula de la manière suivante: onorganisa à l’avance les inscriptions pour le stage qui devait durer deuxmois. Les inscriptions étaient ouvertes à tous les étudiants de cette écolequelque soit leur degré d’avancement, ce qui introduisit des difficultésévidentes mais aussi de la variété dans les cours. Je supposai au départ qu’ilme serait possible de planifier mon temps de travail et de me consacrer

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davantage aux élèves les plus doués. Cela se révéla impossible car les courspratiques, payés en supplément, donnaient droit à une leçon de cinquanteminutes pour tous ceux qui l’avaient souhaité. Ces cours étaient publics etduraient de dix heures du matin à quatre heures de l’après-midi. Ilsattiraient les enseignants de “Toho-Gakuen” et d’autres Conservatoires deTokyo, les étudiants de différentes spécialisations et leurs parents. Je doisdire à ce propos que les parents japonais suivent les progrès de leursenfants avec encore plus d’ardeur qu’en Russie. Cependant, il m’arriva ausside remarquer des personnes qui n’entendaient pas grand chose à lamusique, comme cette femme japonaise en kimono traditionnel qui sansavoir le moindre rapport à la musique et sans comprendre un mot de russe,me regardait fixement et hochait la tête après chaque phrase.

Chaque leçon se transformait en colloque miniature à cause d’ungrand nombre de questions supplémentaires, mais leur thème principalnaissait souvent directement au cours de la leçon. Étant donné qu’il étaitimpossible d’apprendre à jouer du violon en huit cours auxquels avait droitchaque élève, je choisis le système d’enseignement suivant : je traitais lesproblèmes concrets du jeu, ou bien j’explicitais les procédés techniquesprécis en fonction du degré d’avancement de l’élève, de son niveau. Jem’efforçais de généraliser mes remarques afin qu’elles intéressent tous lesauditeurs et quelles aient un rapport avec leur activité, car tous n’étaientpas violonistes. Je citais souvent en exemple l’activité de concertistes etpédagogues comme Yampolsky, Zeitline, Oïstrakh, Kogan.

Certains élèves étaient réellement doués. Il me semblait que ceux-làfaisaient des progrès sensibles d’un cours, à l’autre. L’élève japonais montreen général beaucoup de persévérance et d’enthousiasme dans ses études. Ilsait rapidement l’essentiel et travaille beaucoup et intelligemment chez lui.Lorsque je voulus savoir s’il existait au Japon des étudiants paresseux, lerecteur de “Toho-Gakuen” me répondit qu’il n’en avait jamais rencontré...

La tradition de l’enseignement du violon au Japon est issue en grandepartie de l’école russe, car les violonistes célèbres, Moguilevsky etSchiferblat, disciples de Grimali et d’Auer, y enseignèrent pendant plus devingt ans.

L’attrait qu’exerce la musique russe et soviétique sur les violonistesjaponais est immense. J’entendis au cours de ce stage les concertos deTchaïkovsky, Glazounov, Taneïev, Prokofiev, Chostakovitch, Kabalevsky etKhatchatourian.

Il me semble utile et fécond d’inviter des enseignants étrangers à cegenre de stages, car ils nous font connaître les différentes orientations de lapédagogie, contribuent à diffuser les œuvres des compositeurs des autrespays et permettent de mieux comprendre les particularités du style et de

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l’interprétation.”46

Une partie de cet article, très chaleureuse et profonde, est consacréeaux colloques de Weimar. Il me semble que les réflexions sur la valeurinternationale de la musique et sur l’importance de la communication entreles artistes de générations et d’écoles différentes, sont les plus significativeset actuelles:

“Weimar... La ville de Goethe et de Schiller, de Bach et de Liszt. Desruelles étroites, un parc ombrageux où se dresse l’immense cottage del’auteur des “Souffrances du jeune Werther”. Sur la place principales’élance vers le ciel la silhouette de la Herbert-Kirche; à ses côtés se trouvela maison qui garde le souvenir de la rencontre de Liszt et de Wagner.

Nous, les membres du Colloque international de Musique, Maximova,Weimann, Zak, Serebriakov et l’auteur de ces lignes, sommes logés à l’hôtel“Chez l’éléphant” à deux pas du Conservatoire Franz Liszt, établissementqui eut la charge de l’organisation du colloque.

Le ministère de la culture de la R.D.A. organise ce colloque musicaldepuis neuf ans. Les jeunes interprètes s’y rendent pour travailler pendantdeux semaines avec les meilleurs enseignants.

L’année dernière ce colloque a réuni cinq cent participants venus dedix-sept pays différents. Le corps enseignant y est également très diversifié.Nous y avons rencontré les pianistes Guido Agosti (Rome), Ani Fischer(Budapest), Anna Rosa Schmidt (Leipzig), les chanteurs Lora Fischer(Munich) et Premysl Kocy (Prague), le violoniste Vladimir Avramov(Sophia) et le violoncelliste Milos Sadlo (Prague).

Les participants sont divisés en deux catégories conventionnelles: lesactifs, c’est-à-dire ceux qui jouent réellement, et les “passifs” qui assistentaux cours et prennent connaissance des méthodes d’enseignement.

Les enseignants apprennent généralement sur place, ou même àl’heure du premier cours, la catégorie d’appartenance de chaque élève. Ilme semble que pour plus de rigueur, les organisateurs du colloquedevraient faire appel à l’expérience de leurs collègues bulgares quiauditionnent et sélectionnent les candidats les plus brillants dont le niveauleur permet de participer au stage.

Les cours revêtent souvent la forme d’un jeu vivant de questions-réponses et d’illustrations pratiques correspondantes. Les jeunes musiciens

46 Yankelevitch. “Les colloques musicaux au Japon et en Allemagne” / L’art dumusicien interprète. Moscou, 1972, pp. 339-441.

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se familiarisent avec les nouvelles méthodes de la pédagogie et lesnouveaux aspects de l’interprétation de certaines œuvres.

Le profond intérêt que suscitent les cours de ce colloque est confirmépar le sérieux et l’excellent travail des étudiants. Ce sont le plus souvent desjeunes gens et des jeunes filles talentueux qui attrapent au vol lesremarques de leurs enseignants.

En 1969, le colloque fêta ses dix ans. Cette année on porta uneattention particulière à la préparation des étudiants aux concoursinternationaux de Zwickau, de Varsovie et de Moscou. Il est probable quecette orientation rendra ce colloque encore plus populaire.

Des concerts publics des enseignants ont également lieu pendant ladurée du colloque. L’interprétation que fit Yakov Zak des quatre sonatespour piano de Prokofiev eut un immense succès, de même que les concertsdonnés par Pavel Serebriakov et Mikhaïl Weimann. Ce dernier est d’ailleursun “habitué” du colloque, puisqu’il y est convié chaque année depuis lacréation de cet événement musical. Il y reçut, il y a deux ans, le titrehonorifique de “sénateur” pour son activité inépuisable.

Les amateurs de musique de Weimar assistèrent avec beaucoup deplaisir aux concerts d’Anie Fischer, de Milos Sadio et de Pavel Loukach.

On me demande souvent quelle peut être l’utilité d’un tel colloquepuisqu’il est impossible d’apprendre à jouer en deux semaines.

On ne peut évidemment pas y apprendre à jouer. Mais on peut aiderun jeune musicien à élargir son champ d’intérêts, à enrichir saconnaissance de la littérature musicale; on peut également lui apprendre denouveaux procédés d’expression artistique.

Je me permettrais de tracer un parallèle afin d’expliciter ma pensée.Les jeunes musiciens d’aujourd’hui ont l’habitude d’écouter les disques desmusiciens illustres lorsqu’ils travaillent eux-mêmes sur une œuvre. Séduitspar la force de l’interprétation, ils ont ensuite tendance à l’imitermécaniquement. Le résultat est toujours mauvais et rappelle plutôt unecaricature qu’un tableau pénétré.

Peut-on, par exemple, imiter ainsi le jeu original de Kreisler et rendretoute la finesse de son phrasé ?

Cela signifie-t-il pour autant que l’on doive s’interdire d’écouter desenregistrements ? Non, bien évidemment. Je conseille à mes élèvesd’écouter non pas un seul mais plusieurs enregistrements de la mêmeœuvre. Cela les empêche de copier, (car on peut difficilement imiter

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plusieurs interprètes), leur permet d’élargir la compréhension globale de lacomposition et enrichit la perception de ses caractéristiques esthétique etstylistiques. Le colloque a le même rôle. À ce propos, les rencontresorganisées entre les grands maîtres et les jeunes musiciens ont aussi leurhistoire. Souvenons-nous des “Cours d’été” d’Eugène Ysaye ou de Sevcik.

Le haut niveau de la culture musicale soviétique, les succès remportéspar nos étudiants aux Concours internationaux prouvent l’efficacité de nosprincipes pédagogiques. Cependant, il me semble que l’autre rôle del’enseignement, à savoir la recherche des formes d’un jeu plus libre et lecontact avec de nouveaux interprètes, n’en est pas moins important. C’est àce niveau que les colloques sont appelés à jouer leur rôle. Ils nousapprennent à comprendre des points de vue différents, nous poussent à êtreattentifs aux opinions et aux traditions existantes. N’est-il pas intéressantd’entendre la musique de Bartók interprétée par des musiciens hongrois,ou celle de Poulenc, Honegger et Messiaen par des Français ?

Nos jeunes musiciens peuvent, là encore, apporter beaucoup à leurscollègues en présentant les œuvres de Tchaïkovsky, Prokofiev, Miaskovsky,etc. Cette forme de contact affine leurs idées, développe leur goût, apprendà montrer de l’esprit critique vis-à-vis des “nouveautés” qui attirent les plusinexpérimentés par leur poids apparent.

Parmi ce genre d’événements musicaux, le colloque de Weimar peut àjuste titre être tenu pour l’un des meilleurs et des plus importants en Europe.

Son atmosphère créative qui respire l’amour de l’art, l’aide amicale etdésintéressée qui y est offerte par des musiciens plus âgés à leurs jeunescollègues, explique la grande énergie et l’activité du colloque et lui donnedu poids dans tout ce qui concerne la collaboration au niveau artistique deplusieurs pays du monde”.47

On aurait pu citer davantage Yuri Yankelevitch, grâce aux notes prisespar ses élèves lors de ces colloques. Toute sa vie était entièrement absorbéepar l’enseignement, il n’avait jamais le temps de mettre par écrit saméthode, c’est pourquoi il nous reste très peu de documents écrits de samain.

En conclusion, j’aimerais citer quelques conseils donnés par YuriYankelevitch lors de son cours que j’ai eu l’occasion d’enregistrer.

“... J’aimerais. vous dire quelques mots concernant votre travailpersonnel que vous devez accomplir tous les jours dans la mesure de vosmoyens et de votre application, et également concernant l’organisation de

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ce travail. Je comprends que vous soyez tous très occupés et que vous ayeztous beaucoup de matières, mais il me semble que l’on ne devient pas unbon musicien si l’on ne vit pas d’après les priorités imposées par lamusique, ou si l’on se contente de suivre les cours ou de faire ses devoirs.

Mon Maître, Abraham Ilitch Yampolsky, dit un jour que seul le“fanatique” devient un bon interprète et un véritable artiste. Que signifie leterme “fanatique” ? Il signifie que l’essentiel de la vie de l’artiste doit êtrel’art, la création.

Vous êtes tous très jeunes, certains d’entre vous sont en premièreannée, mais si vous n’apprenez pas à être créatifs dès le départ, dèsl’enfance, vous ne parviendrez jamais à la pensée créative autonome.

J’apprécie, personnellement, lorsque vous me donnez vos propresopinions, lorsque je sens que vous avez réfléchi à la question et que vousavez d’autres idées, d’autres conceptions que moi. Il n’est pas importantqu’elles soient justes, on peut toujours les corriger plus tard; on commencepar faire des erreurs et on termine progressivement par savoir distinguer levrai du faux. Mais si vous vous contentez d’attendre que l’enseignant vousprésente une idée toute faite, développée et “mâchée”, qu’il ne vous resteraplus qu’à avaler, vous vous sentirez désappointés lorsque vous vouslancerez dans une activité autonome où votre enseignant ne sera plusprésent. C’est pourquoi il faut s’y préparer dès aujourd’hui.

Lorsque vous travaillez sur une œuvre, vous devez savoir quelles sontles autres compositions du même auteur, ou au moins, écouter unenregistrement de l’œuvre étudiée, mais l’écouter intelligemment. J’aiconstaté plusieurs fois que les enregistrements des meilleurs interprètesn’apportaient que des nuisances lorsqu’ils étaient mal écoutés. J’ignore laraison pour laquelle les jeunes ont souvent tendance à copier les élémentsextérieurs de l’interprétation de quelqu’un d’autre, un glissando ou unrubato par-ci, une nuance ou deux par-là.

Souvent vous ne remarquez pas, ne saisissez pas l’essentiel del’approche d’un autre interprète. L’esprit de la composition, l’écriture del’auteur vous échappe. Si l’on compare plusieurs interprétations, on voitque seuls diffèrent les détails que vous copiez avec tant de plaisir, mais quela perception de l’esprit et du style de la composition reste profonde,convaincante, compréhensible et répond toujours à l’idée de l’auteur. C’estpourquoi il me semble qu’il ne faut pas concentrer tous vos efforts sur lesexercices; comprenez-moi bien, je ne veux pas du tout dire qu’il faut lesnégliger, Dieu vous en garde! L’approche la plus profonde et la pluspénétrée ne vaut rien sans les moyens pour la réaliser. Seul un amateurdont le but est de parler de la musique avec intelligence et érudition peutprocéder de la sorte.

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L’interprète, lui, doit maîtriser tous les moyens techniques mis à sadisposition, mais il doit aussi et surtout approfondir sa compréhension dela musique et de la pensée du compositeur. Autrement dit, on doit possédernon seulement le moyen d’expression, mais également et surtout ce quetout créateur aspire à dire...”

Ces mots restent gravés dans ma mémoire et certainement dans lamémoire de beaucoup de ses élèves qui gardent ses conseils et lesappliquent avec succès dans leur travail.

L’approche individuelle de chaque étudiant, en fonction de sescapacités et ses dispositions était la dominante des procédés pédagogiquesde Yuri Yankelevitch. Ses conseils concernant le travail personnel étaientégalement fondés sur le caractère unique des dons de chacun. C’estpourquoi tous ses élèves sont si différents les uns des autres.

Pour conclure cet article, j’aimerais consacrer quelques lignes àcertains élèves de Yuri Yankelevitch qui continuent à perpétuer sestraditions et à respecter ses préceptes, mais surtout à servir la Musique avecsuccès. La liste de ses anciens élèves et les Prix des différents Concoursinternationaux qui les ont récompensés sont cités à la fin de ce livre.

Les dimensions de cet ouvrage ne nous permettent pas de nousarrêter plus longuement sur la carrière et les réussites de chacun d’eux,mais j’aimerais souligner toutefois que l’amitié et le respect qui régnaientparmi les étudiants de Yuri Yankelevitch, et le souvenir de leurs annéesd’études sont restés gravés à jamais dans leurs coeurs.

La grande majorité de ses étudiants qui ont atteint les sommets deleur art, consacrent beaucoup de temps, en dehors de leur activité deconcertistes, à l’enseignement.

Dans notre pays Tretiakov, Glesarova, Botchkova et Gaukhman(Moscou), ainsi que Kotorovitch et Melnikov (Kiev) jouissent d’unerenommée exceptionnelle en tant qu’enseignants, de même que leurscollègues à l’étranger: Andrievsky et Jisline (Londres), Kramarova(Allemagne), Stenberg (Suède), Pogossova (Espagne), Brussilovsky(France), Chkolnikova (États-Unis), Wilker-Kuchment (États-Unis),Schwarzberg (Autriche), et bien d’autres.

Plusieurs d’entre eux enseignent et se produisent dans les plusgrandes salles de concert du monde: Botchkova (Moscou), Jisline(Londres), Brussilovsky (Paris), Doubrovskaïa (Allemagne), Lanzmann(Montréal), Markov (Etats-Unis), Schwarzberg (Vienne) et d’autres.

Le brillant violoniste, Spivakov, a créé un orchestre de premier ordre:

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“Les virtuoses de Moscou”, aujourd’hui connu dans le monde entier et quia fêté il y a quelque temps son millième concert.

Brussilovsky (France) et Sitkovetski (Grande-Bretagne),remarquables musiciens, sont solistes, directeurs de festivals, membres etleaders de formations de musique de chambre. Agaronian (Arménie) etAmbartsoumian sont également à la tête de formations musicales.

Kopelmann (Quatuor Borodine), Grindenko (Académie de musiqueancienne), Ivanov (le Trio de Moscou) et Goubermann (Trio Israël), sontviolons solos et membres de diverses formations de musique de chambre.Fouter (les Virtuoses de Moscou), Garlitsky (Orchestre SymphoniqueNational de Lyon), Schister (Grand Orchestre Symphonique de laPhilharmonie d’Israël), sont violons solos et solistes.

Kogan et Markiz (Pays-Bas) sont chefs de grands orchestres qui seproduisent dans le monde entier.

Steinberg (le Grand Théâtre Académique de Moscou), Wilker-Kuchment (Orchestre Symphonique de Boston) et Rosnovskaïa (OrchestreSymphonique d’Israël), font partie des plus grands orchestres.

Yuri Yankelevitch organisait deux fois par ans “la soirée de sa classe”,c’est-à-dire le concert de ses élèves. Cela a toujours été une fête pour lesenseignants, les étudiants et les amateurs de musique qui remplissaient laPetite Salle du Conservatoire.

Cette tradition se perpétue après la mort de Yuri Yankelevitch: sesétudiants organisent tous les ans “le concert du souvenir du Maître”.

Ceux qui, à la recherche du travail, ont été obligés de quitter l’URSSpendant les années de “stagnation”, n’oublient pas non plus celui qui a étéleur Maître. Beaucoup d’entre eux, (Lanzmann, Brussilovsky, Jisline,Kopelmann, Schwarzberg), continuent de venir à Moscou pour y participerà ces concerts annuels dont la recette revient toujours aux Œuvres debienfaisance.

Depuis 1991, les “petit-fils” du Maître, c’est-à-dire les élèves de sesélèves, organisent également des concerts dédiés à la mémoire de YuriYankelevitch. Ainsi, le 20 mars 1991, a eu lieu le concert des élèves deBotchkova; le 3 et le 5 mai de la même année, Moscou, (la salleRachmaninov du Conservatoire), et Zagorsk ont accueilli les élèves deSchwarzberg, professeur de l’Académie Supérieure de Musique de Vienne.Le 31 avril 1992, douze élèves de Schwarzberg ont organisé un autreconcert en mémoire de Yuri Yankelevitch, et le 9 avril 1992, les élèves de laclasse de Botchkova ont repris cette initiative. Et enfin, le 6 mai 1992, a eu

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lieu le dernier des six concerts commémoratifs, le septième de l’année,donné dans la Petite Salle du Conservatoire par les boursiers de laFondation Yankelevitch et élèves des Professeurs Glesarova, Botchkova etMakhtina. Ce concert qui avait attiré énormément de monde et qui avait euun immense succès, est devenu le monument à la mémoire du travaildévoué de plusieurs décennies du grand pédagogue Yuri Yankelevitch.

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Les souvenirs des collègues, des assistants et des élèves de Yuri Yankelevitch

Maïa Glesarova

LES CARACTÉRISTIQUES DES PROCÉDÉS PÉDAGOGIQUES DE YANKELEVITCH

Après avoir terminé le Conservatoire de Moscou en 1949, j’aicommencé mon activité d’enseignante dans une École de Musique deMoscou. Une année plus tard, Yuri Yankelevitch me proposa de devenir sonassistante à l’École Centrale de Musique (E.C.M.), à l’Institut de Musiqueauprès du Conservatoire de Moscou (I.M.), et au Conservatoire. Très vite, ils’est dit satisfait de mon travail. Notre amitié et notre travail commun n’ontété interrompus que par le décès de Yuri Yankelevitch en 1973.

Ses qualités, qui m’ont subjuguées dès le début de notre collaborationet qui m’ont toujours émerveillées plus tard, étaient des qualités sanslesquelles il ne serait pas devenu un grand pédagogue, pour ainsi dire unartiste de la pédagogie. Ces qualités, que ce soit le vrai talent pédagogiqueet la passion pour son métier, ou son extraordinaire capacité de travail,l’exigence et l’honnêteté professionnelles extrêmes, ou encore l’expérience,l’intuition et le savoir, étaient en grande partie le fondement même de sanature.

En l’observant pendant les cours, j’étais sans cesse étonnée par lagénérosité et le bonheur avec lequel il s’investissait dans son travail, par sondésir insatiable de comprendre son élève, d’y trouver l’élément unique qu’ilétait le seul à posséder. “Pour réussir à instruire et à éduquer, on doit bienétudier l’objet de ses préoccupations.” Cette phrase du grand pédagoguerusse, Ouchinsky, définit parfaitement l’activité de Yuri Yankelevitch.Chacun de ses cours prolongeait la logique du cours précédent etcomportait en même temps des informations nouvelles

Le point essentiel du processus d’enseignement était l’orientation descours de Yankelevitch et de ses assistants, la même dans les deux cas. Sescours avaient la durée que demandaient les problèmes qui y étaient posés.Il n’y avait pas non plus de programme préétabli. Parfois, on y travaillait etanalysait tout le programme de l’élève, mais on pouvait aussi perfectionnerles “moments clés” d’une œuvre, mettre en lumière les corrélations destempos, ou encore essayer de définir les points culminants. Yankelevitch necraignait pas non plus de consacrer tout le cours à la recherche d’une“couleur” juste et du fond sonore de l’œuvre, ou bien à l’affinement d’unprocédé technique.

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Le but de Yankelevitch était que l’étudiant sente au cours du travailque l’œuvre lui devient proche. “L’interprétation ne sera convaincante,brillante et authentique que dans ces conditions”.

En faisant sans cesse remarquer que le but des exercices est decontribuer au développement d’une personnalité artistique et créative, YuriYankelevitch travaillait les différents procédés techniques avec unepatience infinie. “Plus la maîtrise de l’instrument se perfectionne, moinsl’attention du violoniste est absorbée par le côté purement technique dujeu, et plus elle se concentre sur les problèmes esthétiques et sur le contenude la composition, aimait répéter Yuri Yankelevitch. La techniqueinsuffisante limite le violoniste et constitue un obstacle infranchissablepour la réalisation de ses intentions artistiques”.

Il est probable que ce sont précisément ces idées qui révèlent en partieles objectifs artistiques et pédagogiques de Yuri Yankelevitch et qui ontrendu si intéressant son travail des études, des exercices et des gammes.

Il n’a jamais montré d’ennui, ni de condescendance envers cesdomaines du jeu, il ne les a jamais tenu pour nécessaires mais secondaires.Bien au contraire, son intérêt pour ce travail était tellement sincère qu’il yentraînait l’étudiant en lui insufflant la certitude de la nécessité et del’importance du travail accompli et des résultats obtenus.

En travaillant les gammes, Yuri Yankelevitch développait etperfectionnait tous les éléments de la technique du violon: l’agilité, lalégèreté, la régularité, la discipline rythmique des doigts de la main gauche,la maîtrise des démanchés et de tout ce que cela implique, à savoirl’homogénéité du son, la perfection des liaisons et de la répartition del’archet. L’étude des gammes comprenait de très nombreuses variantes tantau niveau du rythme qu’au niveau du doigté.

Yankelevitch était particulièrement attentif aux coups d’archet qui étaientselon lui “les éléments les plus importants du jeu expressif”. Le travail des coupsd’archet commençait dès les premiers pas de l’apprentissage du violon.

L’étude des coups d’archet se faisait selon un système rigoureux.

Le principe fondamental de ce système d’exercices était l’accroissementprogressif des difficultés, du “détaché” au “ricochet” en passant par le“staccato”.

On commençait par travailler tous les éléments du “détaché” enutilisant tout d’abord séparément les différentes parties de l’archet, et en lescombinant ensuite. Cela permettait de fixer les principaux mouvements dubras droit sur toute la longueur de l’archet.

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1er exercice. L’utilisation de l’archet

On commence par huit temps et on augmente ensuite.

a) f

b) p

c) f > p p < f

d) f > p < f p < f > p

On doit rester attentif à l’homogénéité du son, à sa qualité, auxenchaînements d’archet, au caractère progressif du crescendo et dudiminuendo.

Kreutzer. Étude N°1

2e exercice. Détaché (divisions longues de l’archet)

a) toute la longueur de l’archet

b) moitié supérieure de l’archet

c) moitié inférieure de l’archet

d) coup d’archet combiné:

e) détaché + legato (on utilise d’abord toute la longueur de l’archet,puis la moitié supérieure, et enfin sa moitié inférieure).

On doit être attentif au caractère mélodieux du coup d’archet, et audébut énergique de chaque note.

3e exercice. Détaché (divisions courtes en 6 parties)

a) détaché

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b) détaché + legato

c) détaché rapide (duolets, triolets, quartolets, etc.)

4e exercice. Exercices pour la main et les doigts

Kreutzer. Étude N°11

a) main + doigts:

- la liaison est effectuée près du talon sur les différentes cordes

- la liaison est effectuée au milieu de l’archet

Commencer par pousser et par tirer alternativement.

b) main seule:

- legato sur deux cordes

- détaché sur deux cordes au bout de l’archet, détaché combiné (poussé ettiré) joué legato au bout de l’archet

c) détaché en passant au-dessus d’une corde (Kreutzer. Étude N°11)

- spiccato près de la hausse (duolets et triolets)

- spiccato près de la hausse en passant au-dessus d’une corde(Kreutzer. Étude N°6)

5e exercice. Martelé

Kreutzer. Étude N°1

a) on pose l’archet dans chaque partie (poussé et tiré)

b) toute la longueur de l’archet

c) la moitié supérieure de l’archet

d) le coup d’archet Viotti

e) staccato

6e exercice. Le coup d’archet ponctué

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a) toute la longueur de l’archetb) la moitié supérieure de l’archet

c) près de l’extrémité de l’archetd) près de la hausse

7e exercice. Le spiccato rapide (jouer par 4, puis par 3 et 2 notes)

8e exercice. Le spiccato lent, combiné au legato

9e exercice. Le staccato volant (par 2 notes, puis par 3, 4, 5, etc.)

10e exercice. Le ricochet ï et v (par 2 notes, puis par 3, 4, 5, etc.)

11e exercice. Le trémolo

En ce qui concerne l’apprentissage des coups d’archet, YuriYankelevitch pouvait en modifier l’ordre ou encore les regrouper parfamilles en fonction de la personnalité de l’élève, de sa morphologie et deson niveau. Il utilisait pour cela les études N° l et 11 de Kreutzer.

On renforçait les acquis par le travail sur les études correspondantes.Au cours de ce travail, les, procédés techniques prenaient corps selon lesexigences esthétiques. Yuri Yankelevitch estimait que deux gammes et troisà quatre études par mois étaient le minimum indispensable.

On apprenait plusieurs versions de la même étude, (rédaction deYampolsky), en faisant varier les coups d’archet, le doigté, le rythme.

Yuri Yankelevitch savait étonnamment bien faciliter l’apprentissagedes procédés techniques les plus difficiles. Non seulement il indiquait àchaque fois les moyens nécessaires pour y parvenir, mais il trouvait laforme la plus adéquate pour ses explications. Un seul mot, une bonnecomparaison, ou même une plaisanterie aidaient l’étudiant à progresser etle débarrassaient d’un excès de tension et d’un manque d’assurance.

Dans les gammes, les études et les coups d’archet, Yuri Yankelevitchcherchait à obtenir l’exécution libre et souple du procédé qui était travaillé.Il répétait que “le fondement du jeu devait être le naturel” et désirait quel’exécution des gammes et des coups d’archet soit virtuose.

Le critère qui sanctionnait la qualité des différents domainestechniques était pour Yankelevitch le résultat sonore, la qualité du son. “Un

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son est un chant”; cette phrase était le credo véritable de sa méthodepédagogique. Même à notre époque, malgré l’essor de la virtuositétechnique, on ne peut concevoir le violon que comme un instrumentmélodieux et chantant, ce qui correspond aux principes de l’École russe duviolon. La virtuosité ne doit en aucune manière masquer le caractèrefondamental du violon voué à l’émotion, à l’expression et au lyrisme.

La conclusion naturelle de ces réflexions était pour Yankelevitchl’entraînement au contrôle auditif, l’éducation de l’oreille intérieure. “Cetteexigence envers la qualité de l’intonation et le son doit être ferme dès lespremiers pas de l’apprentissage”. Yuri Yankelevitch aimait répéter pendantces cours l’expression favorite de Yampolsky: “Chante!” Il voulait que latechnique, les accents, les passages, les sforzando, etc, soient chantants,que le chant ne reste pas l’apanage de la cantilène.

“Le caractère mélodieux de la sonorité, soulignait Yankelevitch, nerelève pas seulement du don inné mais fait partie de l’un des domaines lesplus importants de la technique du violon, du processus général del’apprentissage du violon qui demande un travail long et concentré.”

Ni l’âge de l’étudiant ni ses facultés n’étaient pour Yankelevitch uneexcuse dans son exigence de la qualité. “Ce que les élèves talentueux fontintuitivement, comme en réponse à ce qu’ils entendent intérieurement, ilest possible de l’obtenir des moins doués. Il faut qu’il soient armés pour celaet qu’ils connaissent les différents procédés qui permettent de produire leson et qu’ils comprennent les possibilités sonores et dynamiques duviolon.”

Lorsqu’il travaillait avec de très jeunes enfants, il ne s’adaptait pasexcessivement à leur âge. En leur parlant sérieusement, il ne diminuait pasla difficulté des objectifs ni ses exigences.

En comparant la sonorité du violon à la voix humaine, Yankelevitchne s’arrêtait pas à la beauté du son. Il répétait que “la meilleure sonorité estcelle qui exprime un contenu précis.”

Celui qui, après avoir lu son mémoire sur l’apprentissage de certainsprocédés techniques, estime qu’il ne s’agit là que de considérationshautement techniques, se trompe gravement. La technicité n’était pasomnipotente chez Yankelevitch. Chaque gamme, chaque étude devaientservir la musique ultérieurement et permettre de découvrir l’objectifartistique des œuvres interprétées.

“La parfaite maîtrise de la technique, disait-il, se traduit par l’aisanceavec laquelle l’interprète dépasse les difficultés rencontrées, aisance qui luipermet d’orienter entièrement sa pensée et sa créativité vers le côté

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artistique de l’œuvre. C’est alors que l’auditeur perçoit la musique non pasen fonction de sa difficulté technique mais bien en fonction de soncontenu.”

Estimant que le but final de son travail était la formation du musicien“pensant”, d’une personnalité créative qui maîtrise parfaitement le violon,Yuri Yankelevitch était très attentif aux acquis résultant du travailpersonnel des élèves. La question du travail personnel est étroitement liéeà l’éveil de l’oreille intérieure, au développement de la concentration et dela mémoire “professionnelle”.

Les cours de Yuri Yankelevitch indiquaient à l’élève la voie qui luipermettait de résoudre personnellement les problèmes artistiques ettechniques, une fois rentré chez lui. C’est afin que ses élèves aientparfaitement conscience des problèmes posés et des moyens qui permettentde les résoudre qu’il travaillait en classe avec autant de minutie sur tout cequi était nécessaire.

Les cours devaient permettre de consolider par la pratique lesnouvelles sensations, les nouveaux procédés et les nouvellesreprésentations sonores. “Il ne suffit pas de faire une bonne remarque. Ilfaut que l’élève sache accomplir ce que l’on exige de lui.”

Les méthodes d’enseignement de Yankelevitch étaient souples etvariées. Seul l’objectif restait le même.

Yuri Yankelevitch montrait de la réticence à utiliser la méthode de ladémonstration que l’on pourrait résumer par la formule: “Joue commemoi”. Cette méthode pousse l’étudiant à mimer sans comprendre l’objectifde l’exercice et empêche l’épanouissement de sa personnalité. L’essentielconsiste à utiliser pleinement ses ressources personnelles et à découvrirleur potentialité. La leçon portait sur tous les problèmes, (la sonorité lecaractère du matériau musical les procédés techniques divers, la couleursonore), mais n’était jamais standardisée. Son déroulement était dicté parla musique et par la personnalité artistique de l’étudiant.

Je me rappelle tout particulièrement la façon dont Yankelevitch avaittraité le problème du positionnement. “Je ne prône pas une manière uniquede tenir le violon, disait-il. Je considère que le point de départ est lanaissance d’un son souple, pur et sans impuretés. Si l’on ne l’obtient pas, ondoit chercher ce qui le gêne.”

Ce qui importait avant tout pour Yuri Yankelevitch ce n’était pas lescontours extérieurs du positionnement, mais le résultat du jeu, proche del’idéal qu’il s’était représenté. J’ai toujours été émerveillée par sa capacité à“diagnostiquer”, à découvrir les défauts cachés du placement, lorsque le

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placement semblait correct mais que le résultat sonore était insuffisant àcause d’un frein intérieur, lorsque la morphologie particulière des bras, ducou, ou des épaules demandait des adaptations individuelles. Yankelevitchmontrait précisément les causes de la “maladie” et donnait une“ordonnance” qui la “guérissait” invariablement, y compris dans les cas lesplus difficiles.

L’une des conditions fondamentales de son travail était l’élaborationd’un plan individuel pour chaque étudiant. Alors que cette étape n’étaitsouvent qu’une formalité pour d’autres enseignants, pour Yuri Yankelevitchelle revêtait un sens profond. Il insistait pour que ses assistants y prennentpart, surtout lorsque cela concernait un nouvel élève.

Yankelevitch n’a jamais prétendu être un puits de science. Il prenaitvolontiers conseil auprès de ses assistants et de ses collègues même lorsqu’ilétait parvenu à l’apogée de sa renommée.

On évaluait sans cesse les côtés forts et faibles de l’étudiant, (YuriYankelevitch savait déterminer avec beaucoup de précision tous lesblocages, toutes les insuffisances du développement professionnel), onesquissait ensemble les voies et la vitesse de la progression, on prenait desdécisions adaptées à chaque cas particulier et on trouvait le matériauartistique et technique correspondant.

Il faisait souvent remarquer que les programmes des écoles, desinstituts de musique et des conservatoires ne pouvaient tracer qu’une voiede développement très générale. Ces programmes étaient conçus pour desélèves moyens. En faisant suivre ce programme à un élève plus doué, onralentissait sa progression.

“De plus, la pratique pédagogique abonde d’exemples où l’on estobligé de faire suivre à l’étudiant un programme moins chargé afin decorriger le positionnement ou de la contraction excessive, pour qu’il puisserattraper, voir dépasser son niveau, Yankelevitch ne craignait pas derecommencer l’apprentissage des éléments de base même avec les étudiantsdu Conservatoire. “Le contenu et la qualité du plan individuel, remarquait-il, acquièrent une importance particulière dans ces conditions.

Il me semble qu’il existe deux principes répandus et fort discutablesen ce qui concerne leur élaboration. Le premier consiste à exhiber le côtéextérieur du travail, en choisissant des œuvres qui flattent les qualitésnaturelles de l’étudiant, et le deuxième ne tient compte que de ses défauts.Les enseignants en tentant de les corriger, oublient toutes les qualités deleurs élèves et risquent d’écraser leur personnalité. Je pense qu’il existe unevoie plus juste, disait-il. Il faut essayer de ménager les traits de lapersonnalité de l’élève tout en poursuivant les objectifs de son

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développement et en corrigeant ses défauts éventuels.”

Lorsque l’on prend connaissance des plans individuels élaborés parYuri Yankelevitch, on remarque tout d’abord qu’ils ont été longuementmûris, que chaque partie en est exhaustive et que les principes artistiqueset techniques sont harmonieusement combinés.

Ces plans sont toujours très vastes. Ils reflètent la progressionenvisagée de l’élève pour l’année à venir et à plus long terme.

Le talent de Yankelevitch, son expérience et son intuitionextraordinaire conféraient à ses plans une orientation artistiqueintéressante et dynamique.

Le plan terminé et définitivement adopté, Yankelevitch le suivait trèsrigoureusement. Toutes les étapes en étaient fixées. Cependant, saponctualité et son amour de la systématisation ne faisaient pas de lui unpédant. Il lui arrivait de laisser de côté une ou deux œuvres pourtantplanifiées s’il constatait que le but pour lequel il les avait choisies étaitatteint avant, et que les progrès de l’étudiant lui permettaient de sauter uneétape et de passer au niveau supérieur. Il pensait que les “thésaurisations”qualitatives et quantitatives pouvaient provoquer un tel bond, surtout chezles élèves particulièrement doués. Mais d’ordinaire, il ne rendait jamais leprogramme plus difficile qu’il ne l’était au départ sans avoir perçu le“bond”.

Son approche des œuvres de Bériot, de Spohr, de Vieuxtemps, d’Ernstet d’autres, qui étaient obligatoirement intégrées au plan individuel, estcaptivante. “Je sais qu’il existe une tendance, surtout en Occident, de fonderl’enseignement uniquement sur des exemples classiques de la littératuremusicale, ce qui n’est pas toujours judicieux.

Yankelevitch voyait dans les œuvres des compositeurs cités unexcellent matériau pour parvenir à la maîtrise de l’art du violon etdévelopper l’imagination et le côté émotionnel du jeu. Combien defraîcheur inattendue et d’originalité il sut apporter dans les concertos deSpohr ou de Vieuxtemps!

Le plan individuel de chaque étudiant, quelque soit son niveau,incluait tous les chapitres de la technique du violon, dont les quantités et ledegré de difficulté étaient évidemment adaptés au cas par cas.

Prenons les gammes, par exemple. Au niveau inférieur on apprenaitles procédés d’exécution des gammes d’une à deux octaves.

Les objectifs étaient les suivants : régularité du son, bonne répartition

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de l’archet, souplesse des changements de corde, régularité rythmique de lamain gauche, justesse de l’intonation, et enfin aisance de l’exécution detous les procédés techniques. En troisième et en quatrième année d’études,on étudiait les gammes dans chaque position, (le, IIe, IIIe, IVe, etc), ainsique les gammes de trois octaves.

Exigeant envers : la précision et l’aisance des démanchés, YuriYankelevitch travaillait aussi sur la qualité sonore, la netteté et la régularitérythmique des doigts de la main gauche et sur l’intonation.

En sixième, septième, huitième et neuvième année d’études, onapprenait plusieurs versions de la même gamme, suivant le but del’exercice. Les triolets, les quartolets et les tierces brisées étaient destinéesà développer la précision du mouvement de chaque doigt et à régulariserleurs déplacements; on apprenait également des gammes chromatiquesdont on variait le doigté, des gammes exécutées avec deux doigts, (1er-2e,2e-3e, 3e-4e), des gammes sur une seule corde, les arpèges et les doubles-cordes.

Le niveau de la difficulté des problèmes augmentait au fur et àmesure que la maîtrise technique s’affirmait. Au niveau supérieur, onexigeait que l’exécution des gammes soit virtuose, mélodieuse et souple.

Le travail des coups d’archet était inclus dans le plan del’apprentissage dès la première année d’études. On commençait par descoups d’archet élémentaires et on les compliquait peu à peu, pour que dansles classes supérieures de l’E.C.M. et des Instituts de musique, on n’ait plusqu’à les perfectionner.

Les coups d’archet étaient travaillés avec les études N°l et 11 deKreutzer. Yankelevitch n’utilisait pas les gammes dans ce but pour ne pasêtre détourné des problèmes posés par l’exécution des gammes elles-mêmes.

La complication et le perfectionnement progressifs du matériautechnique n’étaient possibles que parce que les exigences vis-à-vis de laqualité du travail technique étaient dès le départ élevées.

On apprenait trois à quatre études par mois. Au cours de la scolaritéà l’E.C.M., on devait avoir joué toutes les études de Wolfart, de Kreutzer, deMazas, de Kayser, de Rode et de Dont. En ce qui concerne les études deKreutzer, on utilisait l’édition publiée sous la direction de Yampolsky et onjouait presque toutes les variantes qui s’y trouvaient.

Afin de compléter la technique de la main gauche, on faisait appel auxexercices de Schradieck ; et pour les doubles-cordes aux exercices deSevcik, de Konius et de Korgouïev.

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Le sens artistique et l’entrain, si caractéristiques pour les élèves deYankelevitch, étaient en grande partie générés par le Maître lui-même. Ilétait toujours passionné et actif durant ses cours. Il faisait découvrirl’essence de la musique interprétée avec beaucoup d’expressivité et detempérament, et, poussé par l’inspiration, il apprenait à traduire par le jeula richesse des émotions.

Les traits distinctifs de l’activité de Yankelevitch étaient son désir dese perfectionner dans l’art pédagogique et l’exigence vis-à- vis de son travail.Il est probable que c’est la raison pour laquelle Yuri Yankelevitch préparaitsi méticuleusement ses cours.

Le cours, dont chaque minute était remplie, avait une constructionclaire. Yankelevitch pouvait mûrir très longuement en lui une solution,mais aussi la rejeter sans remords pour une autre, si elle lui paraissait plusefficace. Il venait en classe avec presque toujours une solution toute prêteaux problèmes de chaque étudiant.

Au début de sa carrière, Yuri Yankelevitch exigeait que chaque œuvreétudiée prenne la forme la plus achevée possible. Lors de chaque cours, ilexaminait les détails des phrases les plus courtes , les plus petites nuances,la dynamique générale. Chaque accent, chaque passage, chaqueappoggiature méritaient une longue et minutieuse explication.

Avec le temps, le style du travail de Yankelevitch devint plus“monumental”. Les problèmes de la forme et du style, et le caractère desculminations le préoccupèrent alors bien davantage. Ses démonstrationsétaient étonnamment précises, fidèles et laconiques. L’œuvre “prenaitcorps” à vue d’oeil.

Si, au début de son activité, il faisait part de ses réflexions à ses élèveset n’écoutait que rarement leur prestation jusqu’à la fin, plus tard ils’efforçait de pénétrer leur pensée; comprendre leurs conceptions devintune loi de sa méthode pédagogique.

D’autre part, la quantité d’œuvres étudiées, de différentes époques etde différents styles, augmenta considérablement. Certaines compositionsétaient quelquefois écartées avant que l’élève parvienne à leur donner uneforme parfaitement achevée. Dans sa démarche, Yankelevitch suivait enquelque sorte Stanislavsky, qui estimait qu’”il était préférable de fixer unobjectif difficile pour soi-même et l’étudiant et y obtenir un succès partiel,plutôt que de soupeser et de calculer ses forces et d’appauvrir le but àatteindre en fonction d’elles.”

Il serait difficile de surestimer l’influence de Yankelevitch, de l’hommeet de l’artiste, sur la personnalité de ses élèves.

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Attentif et bon, il était préoccupé par l’avenir de ses élèves se montraittoujours prêt à les aider. Il ne se repliait jamais sur lui-même, car il aimaitl’autrui et la vie. En consacrant toutes ses forces et son talent à la pédagogieet à ses élèves, il étudiait sans cesse les particularités de leur caractère, deleur mentalité et leur vision du monde. L’élève est un “matériau vivant”,répétait-il. Il grandit, change et dévoile de nouvelles qualités. C’est à cemoment que l’on a particulièrement besoin d’assouplir et de diversifier lesmoyens d’action pour pouvoir continuer à poursuivre le but fixé qui ne peutêtre atteint par l’enseignant que s’il connaît parfaitement son élève, et sicette connaissance est profonde et artistique, éclairée par la pensée etréchauffée par le cœur.”

Le répertoire des élèves était toujours prévu pour deux ou trois ans àvenir; on le complétait ensuite chaque année par le plan à plus long termeen fonction des progrès accomplis.

Je présente ci-dessous le plan approximatif d’un élève de Yankelevitchqu’il avait suivi à partir de sa deuxième année d’études. Pour le caractériserbrièvement, on pourrait dire qu’il avait un potentiel de virtuose mais qu’iln’était pas suffisamment formé sur le plan musical et émotionnel. Sadynamique et son exécution étaient quelque peu paresseuses.

Deuxième année

Riding ConcertoKomarovsky “La Course”Baklanova Sonatine, Concertino et AllegroYanchinov ConcertinoSeitz Concerto N°lVivaldi Concerto en La mineurRubinstein “Le Rouet”Jenkinson DanseAlard Nocturne et SérénadeDanclat Variations

Troisième année

Holender ConcertoAccolai ConcertoViotti Concerto N°23Rode Concerto N°7Bohm “Mouvement perpétuel”Yanchinov “Le Rouet”Pergolèse AriaSpendiarov “Berceuse”Aubert PrestoBériot Variations N°l

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Schubert “L’Abeille”Prokofiev “Gavotte”Haydn “Menuet du taureau”Khatchatourian “Andantino”Corelli Sonate en Mi mineur

Quatrième année

Mazas ÉtudesBériot Concerto N°9 (en entier)Haendel Sonate N°6Glier Romance “Le Ruisseau”Bach Concerto en la mineurFioccho AllegroBach Sicilienne

Cinquième année

Viotti Concerto N°22 (en entier)Kabalevsky Concerto, 1er mouvementMattheson AriaFranker Sicilienne et RigodonHaendel Sonate N°2Vieuxtemps Fantaisie et AppassionataKabalevsky Concerto, 2e et 3e mouvementsKreutzer ÉtudesVieuxtemps Ballade et PolonaiseWieniawski Concerto N°2, 2e mouvementVieuxtemps Concerto N°2, 2e mouvementSarasate Fantaisie sur le thème de “Faust”Kreisler GraveRies Mouvement perpétuelAlexandrov AriaDaken “Le Coucou”Kreisler Prélude et Allegro (dans le style dePugnani)Chopin/ Auer NocturneWieniawski Concerto N°2, 2e et 3e mouvementsBruch Concerto en Sol mineurVieuxtemps Concerto N°5Boccherini AllegrettoVieuxtemps Rondino

Les compositions comme les concertos et les variations de Bériot, lespièces et les concertos de Vieuxtemps, “le Mouvement perpétuel” de Bohmet de Ries et le concerto N°9 de Spohr étaient “polies” et amenées à un hautniveau d’exécution des coups d’archet et de la maîtrise de la touche. Ces

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compositions permettaient par ailleurs de développer le côté généralementplus faible de 1‘exécution, à savoir le brio et la diversité du jeu, le caractèremélodieux de la cantilène et le relief de la dynamique.

Les objectifs des œuvres plus complexes, telles que “Faust” deSarasate, le deuxième concerto de Wieniawski, le cinquième concerto deVieuxtemps, les pièces de Tchaïkovsky et de Wieniawski, etc. devenaientplus importants. La technique était perfectionnée en tant que l’aspect leplus marquant de l’exécution; la compréhension du style et du caractèreétait approfondie, ce qui augmentait la maîtrise du vibrato et affinait lalogique du phrasé et de la dynamique. D’autre part, on consacraitégalement du temps aux pièces lentes de différents compositeurs, afind’améliorer la sonorité.

Les œuvres dans lesquelles l’étudiant se sentait le moins à l’aiseétaient amenées au degré de perfection qu’autorisaient les moyens del’étudiant.

En neuvième et dixième année d’études, l’aspect artistique del’exécution, plus faible dans la grande majorité des cas, devait “rattraper”l’aspect technique. Les œuvres comme les concertos de Mendelssohn,Mozart, Ernst, Tchaïkovsky, les sonates et les partitas de Bach, etc, devaientêtre jouées en entier et d’une manière convaincante.

Un autre élève de Yuri Yankelevitch possédait au contraire une trèsbelle sonorité, ample et éclatante, et une exécution très émotionnelle, maisson jeu se caractérisait en même temps par l’instabilité rythmique,l’utilisation excessive du vibrato, la lourdeur de la technique de la maingauche et une habileté insuffisante. Son répertoire était pratiquementidentique, mais les objectifs différaient : il devait rendre son exécution plusrigoureuse et sereine, mettre davantage l’accent sur la stabilité rythmiqueet développer l’aspect virtuose de son jeu. Ainsi, la quantité des œuvresétudiées dans la classe de Yankelevitch restait relativement stable, seulevariait l’interprétation de ce répertoire en fonction des particularitésindividuelles de l’étudiant.

Je cite ci-dessous le plan individuel de Victor Tretiakov, comme unexemple tout-à-fait représentatif. Tretiakov suivit ce plan intégralementdurant sa scolarité dans la classe de Yankelevitch.

Tretiakov l’intégra à partir de sa cinquième année d’études à l’E.C.M..Le programme de cette année correspondait à celui que l’on a présenté ci-dessus. Pour la suite de sa scolarité son répertoire était planifié de lamanière suivante :

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Plan individuel de Tretiakov

Kreisler “La Chasse” (dans le style de Cartier)Wieniawski Étude en Ré majeurTchaïkovsky MéditationWieniawski Polonaise en La majeurHaendel Sonate N°4Mendelssohn ConcertoPopper/ Auer “Le Rouet”Wieniawski Scherzo-TarentellePaganini CantabilePaganini Sonate N°12Rode ÉtudesWieniawski Étude en La mineurWieniawski Étude en Sol mineurMozart Concerto N°1Mozart Concerto N°4Ernst ConcertoErnst Fantaisie sur le thème d’”Othello”Tartini/Kreisler VariationsPaganini MoïsePaganini Perpetuum mobileTchaïkovsky MélodieDont ÉtudesWieniawski Étude “Agilité”Bach Gigue de la Partita en ré mineurKhatchatourian ConcertoPaganini Caprices N°16, 23,14,15,17, 24, 4Kabalevsky ImprovisationTchaïkovsky ConcertoTchaïkovsky Sérénade mélancoliquePaganini - Kreisler I PalpitiPeïko Prélude et ToccataBach Sicilienne et Presto de la Sonate en sol mineurEchpaï SonateMozart Sonate en Si majeurProkofiev Sonate N°lSchubert Fantaisie en Ut Wieniawski Polonaise en Ré majeurSarasate Caprice basqueWagner Feuillet d’albumde Falla Suite populaire espagnoleBabadjanian SonateSibelius ConcertoBach Concerto en La mineurBeethoven Sonate N°l

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Brahms Sonate N°3Weinberg Sonate N°5Saint-Saëns Rondo-capricciosoSchedrine/Tsiganov Humoresque.Brahms Deux danses hongroisesChostakovitch Concerto N°2Ravel TziganeBrahms ScherzoVitali ChacconeScott/Kreisler “Au pays du Lotus”Debussy “Soirée exquise”Kreisler “Chagrin d’Amour”Chostakovitch SonateSchubert DuoChausson PoèmeCorelli FoliaKreisler Caprice viennoisSarasate ZapateadoBloch ImprovisationProkofiev Cinq mélodies opus 35 bisBrahms Sonate N°lPaganini CampanelleProkofiev Concerto N°lFranck Sonate en La majeurMessiaen Thème et variationsChostakovitch/Tsiganov Dix préludesBeethoven Sonate N°3Suk Quatre piècesSchubert Sonatine en la mineurGrieg Sonate N°3Mozart Concerto N°3Ysaye Poème élégiaqueSchumann “Oiseau prophète”Granados Danse espagnoleGodart CanzonettaTartini/Kreisler Sonate “Le Trille du diable”Chostakovitch Cinq préludesSaint-Saëns HavanaiseVivaldi AdagioKreisler “La Joie de l’Amour”Mochkovski “Guitare”Beethoven Sonate N°6

De tels répertoires étaient très typiques pour le programme duConservatoire de Yuri Yankelevitch. Cependant, seuls les étudiants douéspouvaient le réaliser intégralement en maintenant une qualité suffisante.

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Inna Gaukhman

MON COLLÈGUE ET AMI

Je fis la connaissance de Yuri Yankelevitch en 1932. Je rendaissouvent visite à sa famille. Dans sa maison, toujours ouverte aux amis,résonnait la musique. Ses parents étaient restés jeunes de cœur, sans douteparce que leur maison accueillait beaucoup d’amis de Yuri et de sa soeur.

Dans cette famille, dont l’âme véritable était la mère de YuriYankelevitch, Sima Ioudovna, intelligente, pleine de tact et de vie, régnaitle matriarcat. Elle était une mère parfaite, amie de ses enfants et même desamis de ses enfants. Plus tard, j’eus l’occasion de discuter avec elle àplusieurs reprises. Ses idées étaient larges et progressistes. Sans être unemusicienne professionnelle, elle ressentait profondément la musique, etfut, jusqu’à : la fin de sa vie, l’inspiratrice de toutes les actions de YuriYankelevitch. Elle faisait figure d’autorité péremptoire pour ses enfantsdans beaucoup de domaines.

On faisait constamment de la musique chez les Yankelevitch. Dansnotre jeunesse, la télévision et la radio n’étaient pas omniprésentes. Nousnous faisions nous-mêmes des porteurs d’information et d’enthousiasme.On étanchait notre soif des connaissances par des contacts personnels, parl’échange. Cela contribua énormément à notre développement esthétique.

Je devins l’assistante de Yankelevitch en 1954. Nous avions alorsbeaucoup d’intérêts communs qui posèrent les fondements d’une grandeamitié créative. Yuri Yankelevitch manifestait toujours beaucoup desympathie envers les autres, que ce soit pendant ses loisirs ou durant unephase d’intense activité. Il faisait partager avec une générosité infinie sonexpérience professionnelle et se consacrait corps et âme à ses élèves.

Il jugeait autrui, que ce soit un tout jeune élève ou un professeurrenommé, avant tout du point de vue de son attitude envers le travail qu’onlui confiait. Mais il s’intéressait tout autant au quotidien de ses prochesqu’il aidait en paroles et par l’action.

Son exigence envers lui-même et ses élèves était exceptionnelle, toutcomme son affection et son attention pour les élèves qui ne le décevaientpas. On peut dire sans aucune exagération qu’il vivait leur vie et que sesjoies et ses peines venaient presque exclusivement de son activitépédagogique.

Lorsqu’il débuta comme assistant du Professeur Yampolsky, il eut àtravailler avec de jeunes enfants dont certains étaient réellement doués; ilsuffit de citer les noms de Leonid Kogan et d’Elisabeth Guilels, bien qu’ils

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étaient déjà avancés lorsqu’ils intégrèrent la classe de Yankelevitch, mais ily en eut bien d’autres.

Son premier élève fut Valéry Zvonov, aujourd’hui violon solo del’Orchestre Symphonique d’État. D’autres le suivirent. Tous sontaujourd’hui des musiciens plus ou moins intéressants.

L’accident qui arriva à Zvonov illustre parfaitement les rapportsqu’entretenait Yuri Yankelevitch avec ses élèves. Zvonov venait de passer leconcours d’entrée à l’Institut de Musique rattaché au Conservatoire, etpendant l’été qui suivit se blessa gravement la main gauche. Les tendons desa main n’y résistèrent pas et Zvonov se vit contraint de renoncer au violon.Il venait d’une famille d’ouvriers qui vivait à la périphérie de Moscou.Lorsque je reçus sa lettre désespérée, j’en fis part à Yuri Yankelevitch.L’après guerre nous avait habitués aux invalides, mais le Professeur fit venirValéry à Moscou et malgré d’énormes difficultés parvint à lui faire suivreune cure d’un an à l’Institut de balnéothérapie et de physiothérapie deMoscou. Il sentait intuitivement que Zvonov avait la capacité de devenir unbon violoniste et fit tout ce qui était en son pouvoir pour le soutenir et lerendre à la musique.

J’eus également l’occasion d’observer Yuri Yankelevitch dans uneatmosphère décontractée, loin des préoccupations professionnelles pourainsi dire. A la fin des années trente, nous nous voyions chez des amiscommuns qui se réunissaient de temps à autre pour des occasions diverses.Yuri Yankelevitch chantait volontiers pour nous, sa voix n’était pas trèspuissante mais extrêmement agréable. Il était aussi un très bon danseur,adorait nous divertir avec des tours de magie, aimait manger, (beaucoup),et boire, (peu). Rien d’humain ne lui était étranger! Il était très sociable,déclamait merveilleusement des poésies, (rares sont les orateurs quiparviennent à capter l’attention des spectateurs avec autant d’intensité). Lespoèmes étaient très variés et choisis avec beaucoup de goût. Sespréférences allaient des poèmes d’Apoukhtine aux quatrainshumoristiques, “le rire est une chose sérieuse!”, affirmait-il à juste titre.

J’eus la chance de l’aider pendant plus de dix ans à diriger le parcoursde Victor Tretiakov. L’intuition de Yankelevitch était réellementexceptionnelle, ce qui lui permettait de trouver sans jamais se tromper labonne manière d’aborder l’enfant. Qui, sinon un enfant, perçoit mieux queles autres l’art et le charisme du pédagogue ?

Yuri Yankelevitch possédait des qualités irremplaçables, telles que lacapacité à choisir des informations rigoureusement nécessaires à unindividu particulier à un moment donné, et la capacité à établir un contacttrès étroit avec l’élève, indépendamment de son niveau.

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C’est précisément à ces qualités que la science moderne de lapédagogie accorde le plus d’importance.

Durant ses rares moments de loisir, Yuri Yankelevitch s’adonnait à sapassion: sa collection de violons. Il s’y connaissait suffisamment bien pourtraiter les violons comme des êtres vivants. Par ailleurs, il faisait de lagymnastique avec beaucoup de sérieux et tant que sa santé le lui permettait,du ski; il s’intéressait également au matériel d’enregistrement et à laphotographie, et apprit à très bien conduire à un âge déjà avancé.

On pourrait parler indéfiniment des innombrables facettes de sapersonnalité, mais il n’est pas facile de savoir lesquelles m’attireront leregard de mes co-auteurs. Si j’y réussis en partie, j’en serai pleinementsatisfaite, ne serait-ce que parce que j’aurai évoqué sa mémoire et exprimémon profond respect.

Les années de notre collaboration étaient pour moi des annéesheureuses et riches. Elles me laissèrent un souvenir impérissable.

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Victor Tretiakov

MON MAÎTRE

Je commencerai par des événements qui datent de plus de trente ans,par les premiers jours que je passai dans la classe de Yuri Yankelevitch, parle début de notre généreuse et sincère amitié. L’attention et l’affection quecette sommité du monde musical manifesta à l’étudiant, fraîchement arrivéde la province sibérienne, furent récompensées par la gratitude etl’application.

Si la plupart des étudiants éprouvent de la reconnaissance enversleurs enseignants assez tardivement, ou ce qui est plus rare, au cours deleurs études, je débordais de gratitude envers Yuri Yankelevitch dès ledébut. En voici la raison.

Je commençai à étudier le violon à Irkoutsk, dans la classe d’EfimTrofimovitch Gordine, professeur de l’école de musique d’Irkoutsk. Il jouaun grand rôle dans ma vie et je lui dois beaucoup.

Gordine écrivit à de nombreux enseignants célèbres de Moscou, enleur demandant d’auditionner “un enfant talentueux”, mais il essuya desrefus partout. Yuri Yankelevitch fut le seul à accepter sa requête.

C’est ainsi qu’en 1954, à l’âge de sept ans, j’arrivais dans la capitaleavec mes parents. Yuri Yankelevitch me fit passer une audition et m’admitdans sa classe. C’est ainsi que débuta pour moi, élève et objet de grandssoins de Yankelevitch, la période “d’activité professionnelle”. On entama lesdémarches pour le transfert de mon père à Moscou. Son statut de militaire,(il faisait partie d’un orchestre militaire), rendait difficile tout déplacement.Cependant, cela n’arrêta pas Yuri Yankelevitch. Il avait joint le chef del’Orchestre de l’Armée Rouge, le général Petrov, et réussit à faire transférermon père par l’intermédiaire de l’état-major général. Je m’imagine très bienaujourd’hui les efforts qu’il dut déployer à cette époque.

Pour mon premier cours, j’avais apporté un épais carton à dessin departitions. Il y avait là beaucoup d’œuvres de compositeurs différents queje jouais à l’école de musique d’Irkoutsk. Plus tard, Yuri Yankelevitch dit àce propos en plaisantant “que la qualité était inversement proportionnelleà la quantité...”.

Ce fut donc le début d’une longue lutte pour la qualité. Durant mespremières années d’études, j’étais suivi par l’assistante de Yankelevitch,Inna Issakovna Gaukhman; je n’avais de leçons avec le Maître qu’une foispan mois. Progressivement ces leçons sont devenues plus fréquentes et àpartir de la cinquième année je me suis rendu chez lui toutes les semaines.

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Aujourd’hui, je me remémore ces cours avec un infini plaisir.Travailler avec lui était facile, mais j’allais tout de même à ses cours avecune vague crainte, une certaine émotion. Toutes ces sensations avaient unedouble origine: la conscience de ma responsabilité et le profond respectpour l’enseignant. Il m’est souvent arrivé de commencer à jouer, maisembarrassé par quelque chose j’avais l’impression d’avancer dans unefausse direction. Yuri Yankelevitch attendait un court instant, puisprononçait deux ou trois mots, une phrase tout au plus ou chantait le débutde l’œuvre et tout se remettait à sa place! Mon manque d’assurancedisparaissait, l’entrain était là, et chose inexplicable, je réussissais à jouerimmédiatement comme il le fallait. Après sa démonstration et un exemplebien choisi, tout devenait clair et je reprenais confiance dans moninterprétation. Ses remarques étaient surprenantes: laconiques, simples, eten même temps profondes et riches en information. De plus, “l’arsenal”pédagogique de Yankelevitch renfermait des moyens d’action extrêmementvariés.

Je me souviens d’un épisode intéressant. Je ne parvenais pas àexécuter le staccato volant, parce que je ramenais mon coude en arrière àchaque mouvement. Yuri Yankelevitch avait, semblait-il, essayé tout ce quiétait en son pouvoir et mis en œuvre toute sa science pour m’apprendre cecoup d’archet, mais je n’y arrivais toujours pas. Et bien, un jour, alors queje peinais toujours sur le staccato volant, il s’est approché de moi, m’a prisle coude et l’a fixé dans cette position pendant que j’exécutais cemalheureux coup d’archet. Il a recommencé ainsi à plusieurs reprises. Jelui suis reconnaissant jusqu’à ce jour de cette indispensable “interventionphysique”.

Il s’est passé la même chose avec mon épaule gauche. Je ne voulais àaucun prix, ou plus exactement, ne parvenais pas à la garder bien droite.Elle se soulevait constamment. Yankelevitch s’était donné beaucoup de malet avait mobilisé tout son “arsenal” pédagogique, mais ne voyant pas derésultat, il s’était approché de moi et avait appuyé très fortement pendantquelques minutes sur mon épaule avec sa “main de fer”. Lorsque j’ai tentéde lui dire que j’avais mal, il m’a rétorqué: “Tu as mal ? Et moi, j’ai mal dete voir te mutiler!” Je me rappellerai toujours ces paroles et lui serai àjamais reconnaissant pour cette “voie de fait”.

Dix ans plus tard, en été 1964, a chance la une fois de plus frappé àma porte. J’ai passé un mois entier avec l’assistante de Yankelevitch,Tchougaieva et avec le Maître lui-même, en Estonie, dans un petit village,non loin de Parnu. Ce furent de magnifiques journées! Yuri Yankelevitchétait généralement tellement absorbé par son travail, qu’il ne pouvait pass’interrompre, n’était-ce qu’une seule journée. Il ne s’accordait enconséquence que très peu de temps libre. Mais ces rares heures consacréesau loisir étaient passionnantes! Yuri Yankelevitch communiquait son

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enthousiasme à tout le monde, grâce à son imagination, son énergieinépuisable et son amour de la vie et de la nature. Il débordait de joie pourla plus simple promenade en forêt, pour une baignade ou pour le douxsoleil d’Estonie!

Je me souviens comment nous avions construit un radeau avec laparticipation active du Professeur et comment nous nous sommes ensuiteamusés en “navigant” sur le fleuve.

Cependant, il n’en oubliait jamais de me donner mes leçons ni de merappeler fort souvent, ce qui était non moins important, que je devaistravailler.

Je me remémore ma préparation au IIIe Concours Tchaïkovsky. Cefut, pour Yuri Yankelevitch et pour moi-même, l’époque d’un travailextrêmement intense. Dans de tels moments , il se consacrait corps et âmeà ses élèves, en leur donnant toutes ses forces, tout le temps dont ildisposait physiquement, toute la richesse de ses connaissances et tout sontalent.

Chez lui, la musique résonnait en permanence, car soit il travaillaitavec ses élèves, soit on écoutait des enregistrements. Il lui arrivait aussiassez souvent d’organiser des soirées où nous écoutions des disques qu’ilcommentait pour nous avec passion.

Yuri Yankelevitch était rarement seul parce qu’il ne se repliait jamaissur ses propres préoccupations et problèmes, et qu’il restait accessible àtous ceux qui avaient besoin de son soutien et de son aide, qu’elle soitimportante ou non. Nous venions le voir en premier pour lui faire part denos joies et de nos peines et il était toujours le premier à nous aider dansles difficultés. Constamment préoccupé par quelque chose, il étaittoujours en train d’organiser quelque chose ou aider quelqu’un. C’estpourquoi lorsqu’il déjeunait, le menu de son repas comportaitobligatoirement “un plat particulier” le téléphone, qu’il gardait toujours àportée de main.

L’une de ses principales qualités, si fréquente chez ceux qui nouséblouissent par leur grandeur d’âme, était le désir d’être utile à ses élèves età ses proches, ce qu’il exprimait par son travail quotidien. Je ne parlerai pasde sa simplicité et de sa spontanéité dans sa relation aux autres, de sonintransigeance vis-à-vis du mensonge et de la fausseté, que ce soit dans lamusique ou dans la vie. C’est pourquoi, il était évident que possédant toutesces qualités il ne pouvait pas être complaisant envers ceux quirecherchaient la facilité dans l’art.

Son intransigeance vis-à-vis du mensonge, de la fausseté, et du

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conformisme dans la vie quotidienne était l’une de ses premières exigencesen musique. Yuri Yankelevitch exigeait constamment de nous tous, sesélèves, la sincérité de l’exécution. Il ne supportait pas l’hypocrisie du jeu. Envoici une illustration caractéristique. La perfection technique était pour luila principale qualité du violoniste. Constamment attentif à la justesse del’intonation, il lui est arrivé néanmoins de dire un jour au concert d’unvioloniste qui possédait une technique parfaite, mais qui jouait sanss’impliquer émotionnellement, sans chaleur ni sincérité: “C’est tellementjuste que c’en est désagréable!” Cette réplique le décrivait en entier.

C’était un homme éminemment cultivé. On sentait à travers sesréflexions sur la musique, la littérature et la peinture, à travers ses goûtsesthétiques qu’il possédait la vraie culture d’un grand artiste. En parlantd’une œuvre, il restituait fidèlement l’esprit du compositeur et de sonépoque. Quelques mots simples suffisaient à recréer l’atmosphère danslaquelle était née l’œuvre, comme s’il en avait été un spectateurcontemporain.

Ses remarques étaient d’une grande simplicité, parfois mêmelaconiques, mais elles rendaient tout si clair et évident qu’on ne pouvait quese demander comment Yuri Yankelevitch obtenait de tels résultats avec desimages aussi simples ? Il s’en étonnait probablement lui-même, mais cesont précisément ces images qui nous permettaient de tout voirimmédiatement avec clarté et sous tous les angles. Cependant, sesexplications ne signifiaient en aucune façon qu’il désirait nous imposer sesidées ou ses conceptions. Il ne faisait que proposer une solution parmi tantd’autres, et s’il se rendait compte que ce que faisait ou essayait de faire sonélève avait aussi droit à l’existence, il l’acceptait toujours. Ainsi, il stimulaitavec tact l’imagination de l’élève et le travail créatif de sa pensée.

Yuri Yankelevitch n’avait jamais appliqué de principes dogmatiques àson travail pédagogique, ni en ce qui concerne la musique pure, ni dans lesquestions du placement. Il estimait que le placement devait être personnelet respecter l’anatomie des mains et des bras de l’élève ainsi que lesparticularités de sa morphologie. Si le jeu était de bonne qualité mais leplacement éloigné de l’idéal, Yankelevitch le laissait tel quel.

S’étant rendu compte un jour que mon jeu n’était pas entravé par laposition de mon coude, légèrement plus relevé qu’il ne l’aurait fallu, YuriYankelevitch m’a dit en plaisant à demi, comme à son habitude “Tu peuxjouer avec ton pied si tu veux, du moment que tu arrives à tout fairecorrectement.”

De telles phrases étaient, toutefois, une exception dans la bouche deYuri Yankelevitch et ne venaient généralement qu’après un très long travail.Le placement de Yuri Yankelevitch lui-même était extraordinairement

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esthétique, et de mon point de vue, parfait. Je suis certain que ses autresélèves sont du même avis. Je garde en mémoire des moments très forts oùmon professeur prenait son violon pour nous montrer des coups d’archetsexceptionnellement affûtés, ce qui provoquait à chaque fois l’admirationsincère de ses étudiants. Cette haute précision était d’autant plus étonnanteque Yuri Yankelevitch ne les travaillait plus régulièrement durant denombreuses années.

Dans les minutes difficiles, je me surprends à penser: “Que ferait YuriYankelevitch à ma place, que me conseillerait-il ?” À chaque fois que sonélève lui apportait de la joie par ses progrès, sa bonne humeur explosaitlittéralement, se transmettait à l’élève et la leçon devenait une fête.Aujourd’hui, le fait que tout le monde, aussi bien des adultes que desenfants, se sentait attiré par lui, ne m’étonne plus. On se sentait à 1 ‘ aiseavec lui “au combat et au repos”, et on s’apercevait encore mieux pendantles heures de loisir.

Il aimait beaucoup la bonne plaisanterie, possédait un sens del’humour étonnamment vif et était heureux de pouvoir rencontrer des genstrès différents. Pendant les rares instants de détente, il aimait jouer auxcartes, écouter ou raconter lui-même des histoires amusantes. Les jouetsastucieux lui procuraient un plaisir indescriptible! Et durant les dernièresannées de sa vie, il s’est passionné pour la conduite automobile.

Le plus étonnant reste sans doute son énergie, son enthousiasme et sacapacité de travail à la fin de sa vie, lorsqu’il était déjà sérieusementmalade. J’ai gardé cette image de lui jusqu’à son hospitalisation en été 1973.

Pour moi, Yuri Yankelevitch restera à jamais une personnalitéexceptionnelle, un homme d’une grande intelligence et d’un rare charisme,d’une honnêteté et d’une exigence hors du commun.

Sa vie reste un exemple inoubliable pour nous, ses élèves, et pour biend’autres, un exemple de courage et de dévouement pour son métier.

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Vladimir Spivakov

LE MAÎTRE ET L’ÉCOLE

Le maître et l’apprenti; le professeur et son école: ces images nousviennent de loin et incarnent l’essence même de la progression dans l’art.

Malheureusement, il nous arrive rarement de nous souvenir de lanotion d’école”, nous pensons rarement à son importance pour l’évolutionde l’art.

L’école unit les artistes qui la suivent, c’est un lien spirituel, étroit etprofond, assuré par la personne du Maître, de l’Enseignant, dont les élèvesressentent son contact intime qu’ils gardent à travers toute leur vie. L’écolen’incarne pas uniquement l’affinité des goûts artistiques, ni même l’identitédes principes de création, ni, parfois, la même vision du monde. La natureesthétique de l’école, et cela est totalement vrai de l’art de l’interprétation,s’incarne également, selon moi, dans la vie, hors des frontières de l’art. Lesceau du Maître, le chef de file de l’école, est apposé sur toute la vie del’artiste qui appartient à son école.

J’y pense tout naturellement lorsque j’évoque le souvenir de YuriYankelevitch, mon cher Maître.

Il m’est encore très difficile de parler de lui, bien qu’il se soit écouléde nombreuses années depuis son décès. Ma mémoire garde intactel’expression des visages des proches de Yuri Yankelevitch, de ses élèves etde ses camarades du chemin difficile de l’art et de la vie, de tous ceux quisont venus, je ne veux pas dire “faire leurs adieux” non, saluerrespectueusement le Maître et l’Ami. Cependant, bien que ce terribleévénement ait eu réellement lieu, ni moi, ni probablement ses autres élèves,nous n’avons et ne pouvons avoir vraiment conscience de la réalité de sondépart.

Tout ce dont la nature a si généreusement gratifié Yuri Yankelevitchétait indubitablement cimenté et transcendé par sa personnalité. Lacuriosité de son esprit et l’étendue de ses intérêts l’aidèrent à acquérir unetrès vaste culture. Son intuition musicale infaillible et son don pédagogiqueextraordinaire contribuèrent à former le musicien Yankelevitch. Cethomme étonnant unissait merveilleusement toutes ces qualités à la sagesse,à la bonté et à la volonté.

Je suis profondément convaincu que l’on reviendra toujours à l’étudede la méthode pédagogique de Yankelevitch et de son individualité d’artiste-pédagogue, en établissant des lois et des corrélations et en examinant lavoie de sa formation. C’est la grande mission des chercheurs. Moi, en

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revanche, j’aimerais me contenter de décrire les traits du caractère de YuriYankelevitch qui provoquaient mon étonnement et mon admiration, et qui,me semble-t-il, permirent à Yuri Yankelevitch de devenir un Maîtreauthentique et d’acquérir la liberté pédagogique, aussi indispensable àl’enseignant qu’à l’interprète.

Souvenez-vous de ces lignes de Dostoïevski: “Beaucoup disaient duvieux Zossima qu’il avait entendu, durant de longues années, tant deconfessions de gens qui venaient lui ouvrir leur cœur et qui espéraient sonconseil et sa parole bienfaisante, que son âme accepta tant d’aveux, delarmes et de repentirs, qu’à la fin de sa vie, il atteignit une clairvoyance tellequ’il devint capable de percevoir dès le premier regard la raison de la visitede l’inconnu, et même le mal qui rongeait sa conscience. Il étonnait,embarrassait et effrayait presque le visiteur, en révélant qu’il connaissaitson secret avant que son hôte n’ouvre la bouche”.

Yuri Yankelevitch possédait la même clairvoyance, la même capacitéà se fondre dans les sensations cachées d’autrui. En restant assis à sonbureau dans sa classe, il était capable de “jouer” avec les mains del’étudiant, de mettre les accents, de changer le phrasé, tout en dévoilant aucours du jeu les défauts de sa technique et en lui offrant la possibilité deressentir immédiatement le plaisir palpitant d’avoir bien compris etaccompli quelque chose. Cette aptitude ne vint qu’avec l’expérience biensûr, mais ceux qui possèdent l’expérience et qui ne peuvent pas latransmettre sont beaucoup plus nombreux. Cette capacité à deviner leslimites de l’étudiant et à lui transmettre son savoir est la composante la plusprécieuse du talent de l’enseignant, ou peut-être le talent lui-même.

Il existe un terme imagé lancé par le roman de Georges Dumorié,“Trilby”, le “svengalisme”. L’hypnotiseur Svengali transforma la jeune fille“Trilby” en diva par la seule force de son pouvoir. Ses concerts provoquaientun enthousiasme déchaîné partout où elle se produisait. Mais sa carrière setermina par une catastrophe: Svengali mourut soudainement, l’hypnosecessa d’agir et Trilby n’eut alors plus d’avenir en tant que chanteuse.

Le “svengalisme” est une hyperbole, une généralisation littéraireexagérée de cette pédagogie dont les méthodes nous semblent inévitables.Mais une telle pédagogie ne crée pas d’école, elle est dans une grandemesure stérile, car elle n’est fondée que sur la dictature de l’enseignant. Enobéissant à l’hypnose, l’élève semble capable de s’élever aux sommets del’art, mais privé du soutien de son maître, il ne peut plus faire un pas mêmesur du plat. L’”école” meurt alors avec la mort de l’hypnotiseur”.

L’autre méthode qui est directement opposée à la première pourraitêtre appelée “la culture de soi-même”. Ses principes remontent à Socrate àen croire les sources historiques. Les adeptes de cette méthode, parmi

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lesquels Yuri Yankelevitch, forcent l’étudiant à l’introspection, lui montrentce qu’il possède de plus remarquable en lui, pour qu’il apprenne à découvrircette qualité, à l’apprécier et à la développer. Ce n’est pas par hasard queYankelevitch aimait tellement répéter les mots du virtuose français LucienCapet : “L’homme doit méditer sur lui-même, trouver sa croix et son étoiledans ses abîmes. Se réaliser ne signifie aucunement suivre le chemin de lafacilité. Cela signifie la plupart du temps grimper aux cimes. Le destin exigedeux choses de nous: comprendre ce qu’il nous offre, et cultiver ce don parl’effort constant et inlassable de la volonté, qui ne fuit devant rien et necraint même pas les tourments.”

Il est naturel que toute réussite dans la science ou dans l’art est le fruitd’un immense travail accompli sur le chemin semé d’obstacles qu’il fautfranchir pour passer du stade de l’apprentissage à celui de l’art véritable.Yuri Yankelevitch possédait des connaissances théoriques et pratiquesextrêmement profondes qui lui permirent de montrer concrètementcomment doit être perfectionné, de jour en jour, d’une leçon à l’autre, lecôté physique de l’interprétation. Ce travail était toujours relié à l’évolutionspirituelle de l’élève. Mais on pourrait se demander si c’étaient seulementces merveilleuses qualités qui menaient l’étudiant vers le résultat tantattendu, au moment où l’élève devenait un artiste ? On ne pouvait yparvenir que par un travail de forcené, éclairé par l’esprit. C’est ainsi quetravaillait mon Maître en montrant l’exemple d’un homme au service del’art.

Yuri Yankelevitch aimait que sa classe soit remplie de monde. C’estalors que s’exprimait l’artiste qui ressentait la nécessité de la présence dupublic qu’il instruisait et qui, à son tour, stimulait son imagination. Il enperdait la notion du temps, en oubliait sa santé fragile. Le processus de lacréation l’enflammait et embrasait autant les musiciens que les auditeurs,leur ouvrait des mondes nouveaux, leur faisait comprendre de nouvellesvaleurs et augmentait leur confiance en eux-mêmes.

En plus de son “don de Dieu” pédagogique et de son immenseexpérience, Yuri Yankelevitch nous révéla son sens du sacrifice, sa patienceinfinie et son humour. Profondément humain, il avait un cœur sage, ouvertaux émotions les plus nobles. Toutes ces qualités lui permirent d’accéderaux sommets de l’art pédagogique, de devenir un Maître et d’ériger sonpropre édifice dans l’art de l’interprétation musicale et de la pédagogie,édifice dont le nom est l’École Yankelevitch”.

Plusieurs années s’écoulèrent depuis que furent écrites les premièreslignes de cet article. Durant ce temps, l’auteur de ces lignes créa l’orchestrede chambre “Les Virtuoses de Moscou”, qui devint non seulement célèbre,mais qui de plus entraîna un grand nombre de gens dans le monde de lamusique, qui ne les intéressait pas auparavant, le leur fit aimer et leur

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révéla en même temps leur propre aptitude à comprendre l’harmonie del’art musical, l’harmonie des formes musicales et l’harmonie de leur âme.

Quel est donc le rôle de Yuri Yankelevitch dans la création de cetensemble, puisque de nombreuses années se sont écoulées depuis sa mort,me demandera le lecteur.

Son rôle réside justement dans le fait qu’un vrai Maître et Artiste estun semeur. Les graines qu’il sème ne donnent pas de poussesinstantanément mais demandent du temps et des conditions favorablespour éclore, mûrir, fleurir et générer de nouvelles graines.

Durant mes études au Conservatoire de Moscou, dans la classe deYuri Yankelevitch, j’assistais également aux cours d’orchestre du ProfesseurGaïdamovitch et aux cours de quatuor du Professeur Davidian. Le travaildu répertoire de la sonate ainsi que l’étude des œuvres pour quatuor, qui estsans doute le genre le plus raffiné de la musique de chambre, meprocuraient énormément de plaisir et étaient contrôlés avec rigueur parYuri Yankelevitch. Surchargé de travail, il trouvait pourtant toujours letemps d’entendre les quatuors de Taneïev, de Borodine ou de Debussy, déjàprêts à être joués en public. Alors que les étudiants des autres enseignantspouvaient facilement manquer plusieurs cours de quatuor, cela étaitstrictement interdit aux étudiants de Yankelevitch. Il estimait quel’interprète qui ne maîtrisait pas la musique de chambre ne pouvait pas êtreun musicien accompli.

Plus le temps passe depuis le décès de Yuri Yankelevitch, mieux oncomprend et on apprécie ce qui paraissait secondaire dans sa méthode ouce qui parfois n’était même pas remarqué. C’est compréhensible car “legrand n’est visible qu’à distance”.

Ainsi, très récemment, en terminant cet article, je sus pourquoi nousnous sentions tellement à l’aise dans sa classe. Le secret en étaitl’atmosphère de bonté qui régnait pendant ses cours. Cette bonté nel’empêchait toutefois pas de se montrer très exigent, mais d’une exigencedifférenciée: plus le jeu de l’étudiant s’améliorait, moins il recevaitd’encouragements. Ce paradoxe était pleinement justifié par la pédagogie:l’étudiant normalement doué était toujours récompensé par desencouragements, ce qui le stimulait et ne permettait pas à un élève plusavancé de regarder de haut son camarade moins avancé.

Malheureusement, lorsque l’on parle de Yuri Yankelevitch, il estimpossible de tout exprimer avec des mots. Je l’ai ressenti profondément enécrivant cet article, et je le ressens très souvent dans mon travail avec les“Virtuoses de Moscou” . Quand la parole devient impuissante, je me tournevers l’orchestre, dont l’ossature est constituée par d’autres élèves de

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Yankelevitch, et je leur dis tout simplement: “Amis, jouons cette phrasecomme l’aurait voulu Yuri Yankelevitch! Il ne me reste alors plus rien àexpliquer, tout reprend sa place. Cela signifie que ce n’est pas seulement lamerveilleuse méthode de Yuri Yankelevitch qui vit, mais également l’espritdu Maître. Il s’incarne dans les sons aujourd’hui et existera demain. Ajamais!

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Vera Kramarova

LES LEÇONS DU MAÎTRE

J’ai étudié pendant douze ans dans la classe de Yuri Yankelevitch, de1957 à 1969, en passant par l’Institut de Musique, le Conservatoire et lathèse de doctorat. Plus tard, j’ai enseigné au Conservatoire de Biélorussie àMinsk.

L’activité pédagogique de Yuri Yankelevitch, sa méthode del’enseignement et ses principes éducatifs constituent, pour moi et pourbeaucoup de ses élèves et successeurs, une référence absolue, parce quedans sa relation à ses élèves il a su concilier l’exigence et l’affection.

Celui qui avait consacré chaque jour de sa vie à la formation de jeunesmusiciens nous sert d’exemple par le dévouement fanatique à son métier sacapacité de travail et son honnêteté intellectuelle.

Capable de deviner sans se tromper le potentiel des élèves, il savait àpartir de cela mettre en lumière toutes les facettes de leurs dons et lesamener jusqu’au professionnalisme, ce qui a donné d’excellents résultats,confirmés avant tout par la pléiade de jeunes interprètes qui sont sortis desa classe.

Son activité ne se limitait pas à développer les qualités d’un boninterprète chez ses élèves. Ses cours nous apportaient de vastesconnaissances dans les domaines de la méthodologie du jeu et de l’histoirede l’interprétation. Ils nous étaient présentés sous une forme logiquementargumentée, artistique et brillante, et pourtant très simple. Yankelevitchaccordait une grande importance à la formation de l’appareil techniquesouple et délié. Il exigeait que soit inclus dans le travail quotidien tout uncomplexe de matériau constructif qui englobait les procédés fondamentauxde la technique du violon. Ce complexe comprenait les gammes, les coupsd’archet et les études.

Yuri Yankelevitch nous apprenait à bien organiser et systématisernotre travail personnel. Une atmosphère de création régnait pendant sescours. Le cours était en quelque sorte la forge où l’on affinait l’art duvioloniste.

En écoutant ses élèves, Yuri Yankelevitch n’était jamais un critiquefroid, il s’enthousiasmait pour la musique et leur transmettait son énergie.Son “ce n’est pas mauvais” nous procurait une grande joie: cela voulait direque nous avions réussi, que nous pouvions jouer sans crainte, car ce qui“n’était pas mauvais” pour le Maître était “bien” pour d’autres auditeurs.

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Pendant ses cours, Yuri Yankelevitch restait très sobre dans sesencouragements, mais s’il nous arrivait de ne pas très bien jouer sur scène,il ne nous le reprochait jamais.

Lorsque nous jouions pour lui , nous ressentions toujours une granderesponsabilité, de l’entrain et de la motivation. C’était facile et difficile enmême temps. Chaque cours nous faisait découvrir quelque chose denouveau, non seulement en musique mais aussi en nous-mêmes. Nousprenions alors conscience de possibilités dont nous ne soupçonnions pasl’existence.

Yuri Yankelevitch savait écouter ses élèves, toujours avecbienveillance mais aussi avec objectivité et rigueur, en leur indiquantobligatoirement tous les points positifs de leur interprétation. Sans jamaisnous écraser sous une avalanche de critiques, il concentrait notre attentionsur les aspects du jeu qui lui paraissaient fondamentaux à cet instantprécis. Il savait résoudre les problèmes qui nous paraissaient insolubles;avant le cours par une seule remarque judicieuse. Il estimait que l’on devaitjouer parfaitement en classe, même si on n’avait pas entièrement terminéd’étudier l’œuvre. C’est pourquoi il exigeait toujours que l’on rejoue aprèsson explication, sans se contenter de la promesse qu’on lui faisait d’avoirtout compris et de pouvoir tout terminer chez soi.

Cette méthode de travail méticuleux et détaillé aidait l’élève àcomprendre et à coordonner plus rapidement tout ce qu’il avait apprispendant le cours. Il ne lui restait plus qu’à le consolider et à bien l’assimilerchez lui. C’est pourquoi nous avions tellement hâte de travaillerimmédiatement après le cours, afin de ne pas oublier la moindre remarquedu professeur.

Yuri Yankelevitch se montrait toujours extrêmement exigeant enversses étudiants. Cela se traduisait avant tout par son intolérance vis-à-vis detoute exécution peu consciencieuse et légère: il restait vigilant envers lesdéfauts et les erreurs commises dans tous les domaines.

Il n’admettait pas non plus que l’on n’utilise pas toutes ses capacités,que l’on joue “par-dessus la jambe”. Il écoutait très attentivement, sanslaisser passer une seule impureté. Il y avait toujours beaucoup de mondedans sa classe, mais on ne pouvait entrer que pendant les pauses pour nepas gêner celui qui était en train de jouer. Si quelque chose gênait le jeu oudétournait l’attention du professeur, ne serait-ce qu’un instant, il faisait toutrejouer pour avoir une juste idée de chaque note. Il exigeait la mêmeconcentration de la part de tous ses élèves.

Yankelevitch refusait catégoriquement le jeu formel, mêmeirréprochable. Il donnait à ses élèves un objectif précis l’exécution devait

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être techniquement parfaite, et musicalement juste, intéressante etbrillante. Il savait insuffler la confiance à ses élèves, en faisant remarquer,par exemple, qu’il était facile de jouer du violon à condition de réfléchirsuffisamment. “Pour bien jouer, on n’a pas besoin d’études supérieures,mais seulement d’un peu de jugeote”, était l’un de ses aphorismes préférés.

Yankelevitch répétait qu’un bon enseignant pouvait apprendre àn’importe quelle personne plus ou moins douée et consciencieuse à jouerdu violon, mais que la formation d’un vrai musicien était un processus plusprofond et très individuel. Le don peut se manifester dès l’enfance, mais ilarrive aussi que le musicien ne découvre sa véritable personnalité que parle travail personnel, bien après avoir terminé ses études. Il est très délicatde le prévoir et de le gérer.

Cependant, il savait forcer l’évolution de toutes les facettes de lapersonnalité des musiciens en formation, que ce soit le côté artistique outechnique. Il éveillait des qualités endormies et consolidait progressivementles meilleures d’entre elles avec méthode et systématisation, tout enrespectant infiniment l’individualité de chacun.

Si plusieurs étudiants de niveaux différents jouaient la même œuvreau même moment, Yankelevitch changeait les coups d’archet et le doigté enfonction des particularités de chaque élève; il les aidait à comprendre lamusique à leur manière, et à l’interpréter avec un maximum de convictionet de brio, afin qu’il n’y ait jamais de copies, ni de stéréotypes.

Il accordait une grande importance à la précision de la formemusicale. En cherchant à l’obtenir, il n’utilisait presque jamais la méthodede la démonstration, car il pensait que les étudiants ont tendance à copierl’enseignant, volontairement ou non, ce qui ne peut avoir que desconséquences négatives sur le développement de leur personnalité. Il nemontrait que rarement lui-même certains procédés techniques. Parexemple, si l’on devait se représenter clairement la progression desdifférentes voix chez Bach ou simplement dans les arpèges, il explicitait lephrasé ou le caractère de la musique en chantant avec beaucoupd’expression, ou bien en se servant du piano. En caractérisant la musiqued’un compositeur, ou l’interprétation d’une telle ou telle œuvre par unvioloniste de talent, il parvenait à créer l’impression profonde et imagée ducontenu essentiel de cette œuvre.

Yankelevitch répétait que cette méthode apportait les meilleursrésultats. Cependant, lorsque ses élèves devenaient des enseignants à leurtour, il leur demandait de continuer à jouer et de ne jamais cesser des’exercer .

Le choix du répertoire était motivé par les particularités de l’élève, par

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son tempérament, son niveau d’éveil musical général, ses acquis techniqueset ses objectifs. Il était extrêmement conséquent dans ce qu’il s’était fixé. Lerépertoire étant élaboré pour une période précise, si une partie n’en étaitpas assimilée, il ne la laissait pas de côté, mais la reportait à la périodesuivante. Il estimait qu’à la fin des études l’élève devait bien connaître lesdifférent ; styles de musique. Pour lui, la musique de Spohr, de Vieuxtempset d’autres compositeurs, que les élèves tiennent généralement poursecondaires, devait être interprétée de façon à ce que l’on entende sesqualités et non pas ses faiblesses. Il accordait une grande importance àl’étude des pièces, car, selon lui, les pièces contribuent dans une grandemesure à développer et à former l’ensemble des qualités du jeuneinterprète. Il pensait qu’il était indispensable d’apprendre au moins quatreétudes par mois, chacune traitant l’un des aspects de la technique. Il voulaitque les études soient jouées comme des œuvres à part entière, qu’elles aientleur propre caractère.

Nous devions en même temps en travailler certaines pour les faireentendre à notre enseignant, en déchiffrer d’autres, chercher la bonnesolution du problème pour les troisièmes, (le coup d’archet particulier, latechnique des accords, les doubles cordes, etc).

Yuri Yankelevitch était pour nous, ses élèves, l’être le plus proche. Sonautorité égalait certainement celle de nos parents, et quelquefois ladépassait. Nous avions tous la certitude inébranlable qu’il était intimementintéressé par l’avenir professionnel et personnel de chacun de nous, et qu’ilnous aiderait en tout par ses conseils et son action.

En nous ouvrant les voies de la vie professionnelle, Yuri Yankelevitchne se contentait pas de nous offrir une somme de connaissances, il nousdonnait également la clé de ces connaissances.

L’influence de la personnalité de Yuri Yankelevitch, de la vision qu’ilavait du travail, de lui-même et des autres, est immense. Pouvoir se direl’élève de Yuri Yankelevitch est un grand honneur et une granderesponsabilité!

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Arcady Fouter

MON MAÎTRE

On peut et on doit consacrer des recherches poussées à YuriYankelevitch. Mis à part ses élèves, de nombreux enseignants ont beaucoupappris à ses côtés, de nombreux violonistes concertistes l’ont égalementconsulté. Sa vie nous laissa un exemple vibrant d’une existence humainemise au service de l’art.

Grâce à ses élèves et ses écrits, on continuera toujours à suivre sonenseignement.

Mon court article n’évoque que quelques souvenirs, pensées etesquisses.

Yuri Yankelevitch fut l’un des plus importants pédagogues de l’art duviolon de notre temps. Il créa sa propre école, dont l’efficacité fut éprouvéepar le temps. Ses élèves portent avec honneur le nom de leur Maître àtravers notre immense pays et à l’étranger.

Capable de fournir un travail colossal, cet homme travailla toute savie sans relâche, sans aucun jour de congé. Son temps de travail quotidienétait illimité.

Il est difficile de dire avec précision comment s’exerçait son influence,comment cet homme extraordinaire arrivait à nous éduquer et nous formerprofessionnellement en même temps. Il n’était pas seulement un excellentprofesseur pour ses élèves mais aussi un être proche qui s’intéressait à leurvie et qui, dans les situations difficiles, les aidait par ses conseils et mêmematériellement.

La classe de Yuri Yankelevitch était une grande famille, travailleuse etunie. Les pianistes-accompagnateurs en étaient des membres à part entièreet profondément respectés. Yankelevitch n’interrompait jamais le contactavec ses étudiants après la fin de leurs études. Il restait leur conseiller etami dans la vie quotidienne.

Mis à part l’exceptionnel don pédagogique et la profondeconnaissance de la technique du violon, Yuri Yankelevitch, possédait uneintuition étonnante qui lui permettait de déterminer infailliblement lespotentialités de l’élève et de voir les perspectives de son développement etle répertoire dont l’élève avait besoin pour accomplir le saut qualitatif dansson évolution. Le Maître désirait que ses élèves ne se replient pasuniquement sur le travail du violon et qu’ils deviennent des personnalitéspluridimensionnelles. C’est pourquoi nous lisions tous énormément, allions

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aux concerts, à l’Opéra, visitions des musées et écoutions bien sûrbeaucoup de musique. À ce propos, Yankelevitch pensait qu’il était trèsutile de travailler avec des enregistrements, parce que l’élève arrivait ainsià éclaircir nombre de points obscurs sans que l’enseignant n’ait à intervenir.

La manière de travailler de Yankelevitch était extrêmementscrupuleuse. Il accordait beaucoup de temps et d’attention aux détailstechniques et artistiques. Les gammes étaient jouées dans toutes lestonalités. Les études, et en particulier celles de Kreutzer, étaient envisagéessous plusieurs angles; on y variait les coups d’archet, par exemple. Tout celaétait fait en cours et n’était accepté que lorsque la qualité en étaitirréprochable.

En ce qui concerne les œuvres musicales, on en sculptait la forme, ondonnait au contenu une logique intérieure et une forte chargeémotionnelle, la mémorisation du texte et la résolution des difficultéstechniques se faisant parallèlement.

Chaque étudiant avait son propre répertoire, prévu pour une longuepériode, qui tenait compte de ses capacités et ses données individuelles. Cetravail systématique, analysé dans les moindres détails conduisait auxrésultats espérés. La caractéristique des étudiants de Yankelevitch était leurexcellente technique, avec une grande “réserve de solidité”, ce qui est trèsimportant pour le musicien interprète.

Yankelevitch cherchait à obtenir de ses élèves une parfaite aisancemusculaire, surtout au niveau des épaules, qui devaient être décontractéeset abaissées pour libérer les bras et les mains et améliorer la sonorité.

Il était également très attentif aux démanchés auxquels il avaitconsacré son mémoire de thèse. Pendant ses cours on entendaitconstamment les mots: le ton, le son, donner la main, (c’est-à-dire mouvoirl’archet avec élan et légèreté).

J’aimerais dire quelques mots plus particulièrement au sujet de sonétonnante manière d’écouter et de travailler avec l’élève. Il suffisait desuivre les mimiques de Yankelevitch pour comprendre s’il était satisfait ounon de l’interprétation, ou pour savoir ce qui manquait au jeu. Avec sesmimiques et les mouvements des bras, du buste et de la tête, il était capabled’expliquer tout ce qu’il aurait voulu obtenir de l’élève. Il avait par ailleursune attitude caractéristique lorsqu’il écoutait attentivement: il appuyaitl’annulaire contre son oreille. Cela lui permettait sans doute d’avoir unmeilleur tableau acoustique du jeu.

Une atmosphère exceptionnelle régnait dans la classe de

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Yankelevitch, surtout dans les dernières années de son activité. Ses coursétaient presque toujours des cours publics auxquels assistait énormémentde monde: des étudiants, des enseignants et beaucoup de visiteursextérieurs. Cela rapprochait les sensations du jeu des sensations de la scèneet augmentait le sens des responsabilités des élèves.

Nous l’aimions tous et le craignions tous un peu. Il représentait pournous une autorité absolue. Possédant une volonté de fer, il ne nous imposaitjamais de stéréotypes. Il faut reconnaître que la personnalité de ses élèvesconcertistes le prouve: chacun d’eux possède une individualité brillante.

Yankelevitch était un homme plein d’esprit et très enthousiaste. Ilsavait se réjouir des succès de ses élèves qui étaient également les siens.

Sa manière d’écouter et de soutenir ses étudiants aux auditions, auxconcerts et aux examens était exceptionnelle. Celui qui ne l’a jamais vu dansla salle pendant que son élève jouait, peut difficilement le comprendre. Sonvisage coloré par l’émotion ses yeux rayonnants, son cou et sa tête battantla mesure, la main près de l’oreille, tout cela et bien d’autres détails encoretrahissait une immense tension émotionnelle.

Durant les années de son activité débordante, Yuri Yankelevitchforma une véritable armée de violonistes de haut niveau. En plus dessolistes qui mènent une carrière active de concertistes, nombre de sesélèves fait partie des orchestres de chambre, symphoniques ou d’opéra, ouenseignent dans des conservatoires, instituts ou écoles.

Nous regrettons la disparition de notre Maître depuis bientôt dix-neuf ans. Le temps est le meilleur juge qui soit, et la pratique le meilleurcritère. Les concerts des élèves de Yuri Yankelevitch, leur travailpédagogique, ainsi que les nombreux concerts dédiés à sa mémoire oùprennent part ses élèves, sont une preuve éclatante de l’importance de sacontribution à l’art du violon.

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LES ACCOMPAGNATEURS RACONTENT...

Maria Stern

J’ai travaillé avec Yuri Yankelevitch durant les dix premières annéesde son activité pédagogique indépendante.

J’aimerais décrire certains traits de caractère de cet enseignantremarquable.

Je me souviens d’un concert donné à la Grande Salle du Conservatoirede Moscou par l’un de ses élèves qui était déjà un violoniste reconnu.Immédiatement après les ovations déchaînées du public, Yuri Yankelevitchpassa en revue toutes les imperfections du jeu, directement dans la loge del’artiste. Je suis certaine que le critique le plus virulent n’aurait pas pu êtreplus sévère.

Une personne extérieure aurait pu se demander pourquoi fallait-ilgâcher une bonne impression après un pareil succès ? Mais son élève l’aécouté très attentivement car il savait que ces mots sont prononcés par unêtre qui le respectait et qui désirait voir ses élèves accéder au niveau le plusélevé de l’art instrumental.

Ses qualités essentielles étaient l’extrême exigence et la douceurd’âme, la fermeté de caractère, la gaîté et la sociabilité dans la viequotidienne.

Il comprenait parfaitement que le violoniste se formait dès les toutespremières années de l’apprentissage. C’est pourquoi il dépensait tantd’efforts et de temps, non seulement dans son travail avec ses élèves duConservatoire, mais aussi avec de jeunes enfants. Il savait deviner le talentdu futur musicien.

C’est ainsi que j’ai gardé en mémoire Victor Tretiakov, Arcady Fouter, IrinaBotchkova et beaucoup d’autres. Chacun d’eux était très proche de YuriYankelevitch, et lui était leur ami et leur protecteur dans les momentsdifficiles. Il savait apporter son aide au moment opportun, comme un bonpsychologue, et il pouvait conseiller et offrir sa protection, son affection etsa douceur lorsque cela se révélait nécessaire. Mais il ne leur permettaitjamais de devenir narcissique, même au-sommet de la gloire.

Yuri Yankelevitch savait apprendre non seulement à jouer mais aussià enseigner. On compte parmi ses élèves un grand nombre d’excellentspédagogues qui perpétuent son œuvre dans tout le pays. Ainsi son Écolecontinue à vivre.

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Natalia Ijevskaïa

J’ai travaillé pendant plus de dix ans dans la classe de YuriYankelevitch. À cette époque, il ne comptait pas encore de lauréats deconcours internationaux parmi ses élèves et travaillait avec des enfants plusou moins doués, mais son total investissement dans son métier constituaitdéjà le trait le plus caractéristique de sa personnalité. Il attendait la mêmeattitude consciencieuse de tous ceux qui travaillaient à ses côtés.

Sa tranquille bienveillance dans sa relation aux autres, son humourcharismatique, sa patience, son immense talent et sa sagesse lui valaientl’attachement de tous ceux qui le côtoyaient. Ses étudiants le respectaientinfiniment et éprouvaient quelquefois une certaine émotion avant le cours,car Yuri Yankelevitch ne supportait pas les paresseux.

Il se souvenait toujours de ses remarques et se fâchait si l’étudiantn’avait pas été attentif et n’en avait pas tenu compte. Ses explicationsétaient extrêmement précises et ne comportaient pas de généralités. Ildemandait à l’étudiant de rejouer immédiatement après, en lui montrantquelle devait être la sonorité juste et le procédé à employer pour y parvenir.

Il était très patient, l’élève le savait et ne craignait jamais de reposerla même question s’il n’avait pas compris.

Lorsqu’on s’attaquait à une nouvelle œuvre, Yankelevitch donnaitobligatoirement les caractéristiques du style, de l’époque et de la forme del’œuvre en question. Possédant lui-même un goût irréprochable, il nesupportait pas la moindre manifestation de mauvais goût de la part de sesélèves.

Je me souviens qu’il fit remarquer à Agoronian que “moins la qualitéoriginelle de la musique que tu interprètes est satisfaisante, plus tu doist’efforcer de la jouer avec noblesse et rigueur”.

Son choix du répertoire se révélait toujours très logique. Il existaitune série d’œuvres que chaque élève devait jouer obligatoirement. Ainsi,l’une de ces œuvres était le concerto d’Ernst. Il considérait généralementque si on le maîtrisait parfaitement du point de vue technique et musical,on était capable de tout jouer. Yankelevitch se montrait très exigeant en cequi concerne le style et dépensait beaucoup d’efforts afin que l’arsenal” desmoyens d’expression de ses élèves soit complet. Il fallait l’entendretravailler le concerto de Mozart avec ses étudiants. Il leur apprenait àaffiner l’accentuation mozartienne, à varier les émotions et à “fairerespirer” le son, en leur chantant avec une extraordinaire expressivité lesphrases difficiles, les amenant progressivement à comprendre toute lafinesse du style du compositeur.

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Quant à la brillante polonaise de Wieniawski, il désirait y voirconjuguées l’aisance de l’interprétation et la précision du rythme de ladanse. Le travail minutieux et persévérant avait pour résultat d’éleverl’étudiant aux sommets de l’art où la virtuosité de la musique ne présentaitplus pour lui aucune difficulté. Ce n’est pas par hasard que TatianaGrindienko remporta le premier prix au Concours Wieniawski; les Polonaisétaient subjugués par son interprétation.

Yankelevitch était également très exigeant quant à la qualité del’accompagnement. Il accordait une grande importance au caractèremélodieux de la sonorité du piano dont il ne supportait pas le son trop fortet dur. Il se montrait toujours très attentif aux répétitions d’orchestre, maislorsqu’il donnait des conseils ou désirait changer un détail dans le caractèrede l’interprétation, il le faisait avec beaucoup de tact.

S’il se mettait en colère, réprimandait sévèrement ou même s’il élevaitla voix, ce qui était très rare, l’étudiant n’en gardait pas de souvenir amer,car derrière ces sermons se trouvait le désir de faire comprendre les erreurssans aucun sarcasme ni morgue. Les étudiants voyaient en lui un grandfrère, un ami, étaient sincères avec lui et respectaient ses conseils.

Yuri Yankelevitch a toujours été attentif aux remarques critiques deses collègues, et nous conseillait également de savoir en tirer profit.

Au cours des dernières années de son activité, la salle N°15 accueillaitde très nombreux visiteurs venus de villes et de pays différents pour assisteraux cours du Professeur Yankelevitch. Comme tout artiste, il aimait lepublic et appréciait, lorsqu’un élève talentueux avec lequel il avait plaisir àtravailler, venait lorsque la salle était comble. Si quelque chose étaitparticulièrement bien réussi, il jetait sur les visages de l’assistance un coupd’oeil caractéristique pour y lire l’impression laissée par le jeu, un coupd’oeil qui semblait demander : “N’est-ce pas bien fait ?”

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Serafima Tcherniakhovskaïa

J’aimerais évoquer l’atmosphère unique des cours où régnait l’espritd’équipe, car Yuri Yankelevitch avait su tisser des liens d’amitié et deconfiance avec les accompagnateurs.

Il lui arrivait fréquemment de confier l’étude de la totalité ou d’unepartie de l’œuvre à l’accompagnateur. Bien qu’on n’était pas limité par letemps, Yuri Yankelevitch lui-même n’en tenait jamais compte car pour luile travail était ce qu’il avait de plus important. Ses collaborateurs étaientheureux de travailler avec lui, car ils avaient la sensation de collaborerréellement et de partager la joie de la création.

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J’étais constamment étonnée par la maîtrise parfaite avec laquelle il“préparait” l’œuvre au début de l’apprentissage, c’est-à-dire qu’il affinait lesmoindres détails, les phrases les plus courtes, chaque note et chaquemouvement. Tout cela était “poli” jusqu’au niveau permettant de toutrassembler en une entité cohérente. Les violonistes voyaient alorsl’ensemble avec clarté, et elle faisait naître en eux la création véritable, laliberté véritable de l’interprétation, elle faisait s’exprimer leur individualité.

Pendant les cours, Yuri Yankelevitch était toujours très calme etbienveillant, ses remarques, bien qu’agrémentées d’humour, étaientdénuées de toute méchanceté. Son sens de l’humour ne l’a jamaisabandonné, même dans les moments les plus difficiles de sa vie, au coursde sa maladie peu avant son décès. Il continuait à faire rire et était pleind’esprit.

Il savait tout de ses élèves. Portant à leur existence un intérêt paternel,il vivait avec eux leurs chagrins et leurs joies, les aidait moralement etmatériellement. C’était le meilleur conseiller qui soit. Ses conseilsmanquent jusqu’à ce jour non seulement à ses élèves, mais aussi à nous, sescollaborateurs et amis.

J’adoptai à jamais la conscience professionnelle et le don de soi qu’ilmanifestait dans son travail à tous ses élèves et non seulement à ceux quipréparaient des concours. Quelquefois cela me semblait même excessif :“encore une fois, encore une fois, encore une fois...” Mais aujourd’hui,après de longues années, je comprends et je sais très bien que c’est la seulefaçon de travailler pour obtenir des résultats, et que c’est la seule façond’envisager le travail, la profession et la musique.

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Bella Rakova

J’ai travaillé pendant plus de dix ans avec Yuri Yankelevitch. Cesannées ont vu s’épanouir son activité pédagogique. Durant cette période, lesélèves du Professeur Yankelevitch ont défendu avec honneur l’école duviolon nationale.

Yuri Yankelevitch fut un enseignant hors du commun. Il aimaitréellement ses élèves et ne pouvait concevoir de congé sans qu’ils soientprésents, ni sans le travail.

Il sut rendre le travail des coups d’archet, des divers procédéstechniques, du vibrato ... inoubliable.

Il accordait une très grande importance à la parfaite maîtrise duviolon.

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Je me rappellerai toujours le parallèle qu’il établit avec les comédiensdramatiques véritables, qui tout en portant en eux le génie des acteurstragiques, maîtrisaient parfaitement toute la palette du jeu de comédien etpouvaient jouer tout aussi bien d’autres rôles, y compris le vaudeville.

Ainsi, le violoniste doit lui aussi savoir bien jouer les caprices dePaganini, les danses de Sarasate, les études, les œuvres d’Ernst... pourpouvoir bien jouer la “vraie” musique.

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Anna Levina

Les vingt années passées auprès de Yuri Yankelevitch représententpour moi l’époque heureuse, malheureusement révolue.

Travailler avec lui était intéressant et gai en même temps. Il créaitdevant mes yeux des professionnels accomplis, des musiciens brillants,réveillait l’individualité de ses élèves quelque soit leur niveau, formait pourla scène des interprètes remarquables.

Le pianiste qui travaillait avec lui participait avec les mêmes droits auprocessus de la création, et était son adjoint et ami.

Pendant vingt ans, je me suis rendue au Conservatoire non pascomme au travail, mais comme à une fête. Je me préparais pour la leçoncomme pour un concert, car Yuri Yankelevitch exigeait de lui-même, de sesélèves et de l’accompagnateur un investissement total dans le métier.

Nous faisions partie de la même famille artistique. Il me faisaitpartager ses projets pédagogiques, ses peines et ses joies, ses pensées degrand pédagogue et artiste. On ne peut pas l’oublier.

Chaque heure de ce travail d’équipe était profitable non seulementpour le violoniste, mais aussi pour le pianiste, partenaire de l’enseignantdevant lequel Yankelevitch plaçait toujours des objectifs précis etdemandait à ce qu’ils soient réalisés.

L’atmosphère de notre classe était amicale et pleine de bienveillance;la plaisanterie et le rire nous libéraient de la fatigue. L’humour de YuriYankelevitch était inépuisable.

Ses remarques étaient toujours argumentées: il n’a jamais dit toutsimplement “ce n’est pas bon”, mais trouvait immédiatement l’origineprécise de l’erreur et expliquait ce qu’il fallait faire pour la corriger. Sesélèves l’écoutaient toujours et le croyaient comme on croit un médecinsage, bon et omniscient.

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Nous n’avons jamais joué quoique ce soit simplement pour l’entendre, bienau contraire, nous travaillions longuement chaque phrase, chaque extrait,chaque étude, les répétant plusieurs fois afin de consolider ce qui étaitacquis au cours du travail.

Yuri Yankelevitch savait pressentir le talent d’un nouvel élève ettravaillait différemment avec chacun. Il aimait et ressentait très finement leviolon, devinant dans un violon cassé, sans aucune sonorité ce que pouvaiten faire un bon luthier.

Je me souviendrai de mon travail avec lui comme du travail demusicien véritablement passionnant.

J’éprouve beaucoup de gratitude et j’essaie de transmettre à mesélèves ce que j’ai pu apprendre de ma collaboration avec le Professeur.

Les élèves de Yankelevitch poursuivent son œuvre, ses “enfants” et ses“petit-enfants” brillants et continueront à briller aux concours et sur lesscènes du pays et à l’étranger.

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LISTE DES ÉLÈVES DU PROFESSEUR YANKELEVITCH,(Y COMPRIS DES LAURÉATS DES CONCOURS

INTERNATIONAUX),ET LE LIEU DE LEUR FONCTION ACTUELLE

AGARONIAN Ruben - 2e Prix du IIIe Concours Tchaïkovsky (Moscou1966), 2e Prix du Concours Enesco (Bucarest 1970), 1er Prix du ConcoursInternational du violon (Montréal 1972). Décoré par la Républiqued’Arménie. Directeur artistique de l’Orchestre de chambre d’Arménie.Professeur au Conservatoire d’État de Erevan.

AMBARTSOUMIAN Levon - le Prix du Concours International(Yougoslavie 1977), 3e Prix du Concours International de Montréal (1979).Décoré par la République d’Arménie. Directeur artistique de l’Orchestre dechambre de Moscou, “Arko”. Chargé de cours au Conservatoire de Moscou.

ANDRIEVSKY Félix - Professeur au Collège Royal de Londres. Assistantdu Prof. Yankelevitch pendant plusieurs années.

BEZVERKHNY Mikhail - 2e Prix du Ve Concours Wieniawski (Poznan1967), 2e Prix du Concours International du violon (Montréal 1972), IerPrix du Concours Interforum (Budapest 1974), 1er Prix du Concours de laReine Elisabeth (Bruxelles 1976). Professeur au Conservatoire de Gand(Belgique). Membre du Trio Chostakovitch.

BELKINE Boris - 1er Prix du Concours International de Erevan (1972).Soliste (Liège, Belgique).

BOTCHKOVA Irina - 1er Prix du Concours National des interprètes(Moscou 1961), 2e Prix du Concours Tchaïkovsky (Moscou 1962), 1er Prixdu Concours Thibaud et Long (Paris 1963). Décorée par la République miRussie. Professeur au Conservatoire de Moscou.

BRUSSILOVSKY Alexandre - 1er Prix du Concours International deTchécoslovaquie (Prague 1969), Grand Prix du Concours InternationalThibaud (Paris 1975). Professeur à l’École Yehudi Menuhin (Londres) et àVersailles (France). Directeur du Festival “MusiCimes” (France).

WILKER-KUCHMENT Victoria - 3e Prix du Concours International“Printemps de Prague” (Prague 1964), 1 er Prix du Concours Internationalde Musique de (Chambre (Munich 1969 Professeur au Conservatoire New-England (Boston). Soliste de l’Orchestre Symphonique de Boston.

GARLITZKY Boris - 2e Prix du Concours Niccolo Paganini (Gènes 1982),Premier violon et soliste de l’Orchestre Symphonique National de Lyon(France).

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GELFAT Alexandre - 3e Prix du Concours Léo Weiner (Budapest 1963).Fait partie de l’Orchestre de chambre “Les Virtuoses de Moscou”.

GOUBERMAN Lina - Membre du Trio de Jérusalem (Israël).

GRINDENKO Tatiana - Ier Prix du IXe Festival International de laJeunesse (Sofia 1968) , Ier Prix du Concours National des musiciensinterprètes (Leningrad 1969), 4e Prix du IVe Concours Tchaïkovsky(Moscou 1970), 1er Prix du Concours Wieniawski (Poznan 1972). Directeurartistique et soliste de l’Orchestre de l’Académie de la musique ancienne(MOSCOU).

DOUBROVSKAÏA Lidia - Ier Prix du Concours International Thibaud etLong (Paris 1971). Professeur au Conservatoire d’Augsbourg (Allemagne).

JISLINE Grigory - 1er Prix du XIVe Concours Niccolo Paganini (Gènes1967). Décoré par la République de Russie. Professeur au Collège Royal(Londres). Directeur des master-classes à Cracovie (Pologne) et à Oslo(Norvège).

ZVONOV Valéry - Soliste de l’Orchestre Symphonique National (Moscou).

IVANOV Vladimir - 1er Prix du IV mi Concours Bach (Leipzig 1972).Décoré par la République de Russie. Fait partie du “Trio de Moscou”.

KOGAN Pavel - Ier Prix du Concours Sibelius (Helsinki 1970). Décoré parla République de Russie. Chef d’orchestre de l’Orchestre SymphoniqueNational de Moscou.

KOPELMAN Mikhail - 2e Prix du Concours Thibaud et Long (Paris 1973).Décoré par la République de Russie. Premier violon du “Quatuor Borodine”et le “Tokyo Quartet”.

KOTOROVITCH Bogodar - 2e Prix du Concours Enesco (Bucarest 1967),2e Prix du Concours Niccolo Paganini (Gènes 1971). Décoré par laRépublique d’Ukraine. Professeur au Conservatoire de Kiev.

KRAMAROVA Vera - Professeur au Conservatoire de Ludwigshafen(Allemagne).

LANTZMAN Vladimir - 1er Prix du 1er Concours International du violon(Montréal 1966). Professeur à la faculté de musicologie de l’Université deMontréal (Canada).

MARKIZ Lev - Directeur artistique et chef d’orchestre de l’Orchestre dechambre de Genève (Suisse).

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MARKOV Albert - 1er Prix du Festival International de la Jeunesse(Moscou 1957), 2e Prix du Concours International de violon - de la ReineElisabeth (Bruxelles 1959), 6e Prix du IIe Concours Tchaïkovsky (Moscou1962). Professeur à la faculté de musicologie de New-York (Etats-Unis).

MELNIKOV Anatoly - 5e Prix du Concours Blieniawski (Poznan 1967), 5ePrix du Concours Tchaïkovsky (Moscou 1974); 3e Prix du ConcoursInternational de Montréal (Canada 1975). Professeur au Conservatoire deKiev.

POGOSSOVA Galla - professeur de violon à l’institut de musique de Jijon(Espagne).

ROSNOVSKAÏA-LEIKINA Anna - Membre du Grand OrchestreSymphonique d’Israël (Tel-Aviv).

SAPOJNIKOV Sergueï - Président et directeur de l’Association devulgarisation musicale “Les Assemblées” (Moscou).

SITKOVETSKY Dimitri - 1er Prix du Concours “Concertino - Praga”(Prague 1966). Directeur artistique de l’Orchestre International “Lesnouvelles cordes européennes” de Londres (Grande-Bretagne).

SMIRNOV Evgueny - 1er Prix du Concours Enesco (Bucarest 1958).Décoré par la République de Russie. Soliste de l’Orchestre de chambred’État (Russie).

SPIVAKOV Vladimir - 3e Prix du Concours International Thibaud (Paris1965), 2e Prix du XIVe Concours Niccolo Paganini (Cènes 1967), Ier Prix duje Concours International de violon (Montréal 1969), 2e Prix du IVeConcours Tchaïkovsky (Moscou 1970). Décoré par la République de Russie.Directeur artistique de l’Orchestre de chambre d’État “Les virtuoses deMoscou”.

STENBERG Sigward - Docteur en musicologie. Professeur de la classe duviolon à Karlstad (Suède).

TRETIAKOV Victor - 1er Prix du IIIe Concours Tchaïkovsky (Moscou1966). Concertiste, professeur au Conservatoire de Moscou.

FOUTER Arcady - Diplômé du Concours des musiciens interprètes(Moscou 1961). Premier Violon et soliste de l’Orchestre de chambre “Lesvirtuoses de Moscou”.

SCHWARTZBERG Isidora - 4e Prix du Concours Niccolo Paganini (Gènes1969), 2e Prix du Concours International de la Sonate (Munich 1970), 1er

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Prix du Concours International des Solistes (Munich 1975), 1er Prix duConcours Flesch (Londres 1976), Ier Prix du Concours International“Romano-Romaninift” (Rome 1980 Professeur à l’Académie Supérieure deMusique de Vienne (Autriche).

SCHISTER Levy - Soliste de l’Orchestre Symphonique de la Philharmonied’Israël.

CHKOLNIKOVA Nelly - 1er Prix du Concours InternationalThibaud (Paris 1953). Prix Spécial Ginette Neveu récompensantl’interprétation du Concerto de Tchaïkovsky. Professeur à l’Université deBlumington (Indiana, Etats-Unis).

STEINBERG Mikhail - Membre de l’Orchestre du Théâtre du Bolchoï(Moscou).

CHOUTKO Lidia - 3e Prix du IVe Concours International Bach (Leipzig1972), 4e Prix du Concours Tchaïkovsky (Moscou 1974). Professeur auConservatoire de Lvov.

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Écrits de Yuri Yankelevitch

TRAVAUX ET COMPTES-RENDUS MÉTHODIQUES ETSCIENTIFIQUES

Le problème de la sonorité du jeu. Analyse des travaux de Flesch;(Problema zvuchaniya v skripichnoy igre. Analiz raboty Karla Flesha).Manuscrit. 1932.

La main droite du violoniste et le travail des coups d’archet; (Pravaya rukaskripacha i rabota nad strikhami). Manuscrit. 1940.

La technique de la main gauche; (Tekhnika levoy ruki skripacha).Manuscrit. 1940.

Le vibrato; (0 vibratsii). Manuscrit. 1940.

Certains aspects de la méthode du professeur Yampolsky; (Nekotoryecherty metoda prof. Yampolskogo). Manuscrit. 1951.

Analyse oscillographique des changements de position; (Ostsilograficheskiyanaliz smen pozitsiy). Manuscrit. 1952.Les changements de position, leur exécution et les acquis correspondants;(Smeny pozitsii, priyomy ikh vypolneniya i vospitaniyesootvetstvuyushchikh navykov). Manuscrit. 1952.

Les méthodes de l’apprentissage des changements de position; (0 cetodakhovladeniya pozitsiyami). Manuscrit. 1955.

Les changements de position dans l’optique de l’interprétation(généralisations de certains aspects de l’école du violon nationale); (Smenypozitsii v svyazi s zadachami khudozhestvennogo ispolneniya na skripke(opyt obobshcheniya nekotorykh polozhenii sovetskoy skripichnoy shkoly).Thèse de Doctorat en Musicologie, soutenue en 1955.

Les questions du placement initial des mains du violoniste; (Voprosypervonachalnoy postanovki ruk skripacha). Manuscrit. 1956.

Les méthodes de formation du violoniste de Yampolsky; (0 metodakhYampolskogo v formirovanii skripacha-muzykanta). Manuscrit. 1957.

L’intonation; (Ob intonatsii). Compte rendu de l’exposé fait auConservatoire de Moscou, le 29 Octobre 1958. Manuscrit.

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Exposé fait à la Conférence de la Faculté d’Orchestre du Conservatoire deMoscou sur les questions du style d’interprétation, le 28 novembre 1958.Manuscrit.

Exposé fait au IIIe Colloque de l’Association des enseignants, le 25 mars1959. Sténogramme.

Exposé fait pour le cycle de conférences, consacré à l’évolution techniquedu violoniste”. Manuscrit. 1960.

L’ensemble des cours assurés au Conservatoire de Moscou et à l’InstitutGnessine. Le vibrato. La notation. Le système des intervalles. Letempérament. Manuscrit.

Les changements de position. Les questions de l’interprétation et de lapédagogie; (Smena pozitsii Ocherki po cetodike obucheniya igre naskripke), Moscou, 1960. (Cf. également la présente publication(Pedagogicheskoye naslediye), Moscou, 1983).

Le placement initial du violoniste. Les questions de l’interprétation et de lapédagogie; (0 pervonachalnoy postanovke skripacha. Voprosy skripichnogoispolnitelstva i pedagogiki), Moscou, 1968. (Cf. également la présentepublication (Pegagogicheskoya aaslediye), Moscou, 1983.)Le concours, les problèmes et l’expérience “La Culture soviétique”, N°5,1970; (Konkours, problemy i opyt - Sovetskaya kultura, N°5, 1970).

Les colloques musicaux au Japon et en Allemagne “L’art du musicieninterprète”; (Na muzykalnykh seminarakh v Yaponii i GDR - Masterstvosuzykanta-ispolnitelya), Moscou 1972.

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PUBLICATIONS DE PARTITIONS SOUS LA DIRECTION DE YURI YANKELEVITCH

Bruch Fantaisie écossaise. Moscou, 1962Vieuxtemps Concerto N°1. Moscou, 1968Vieuxtemps Concerto N°5. Moscou, 1958Haendel Aria. M., 1955Haendel Sonate N°2. M., 1951Goldmark Concerto. M., 1970Grieg Sonates N°l à 13. M., 1971Mozart Concerto N°5. M., 1983Prokofiev 3 pièces tirées du ballet “Roméo et Juliette”. M., 1956Sarasate Fantaisie “Carmen”. M., 1956Saint-Saëns Havanaise (reconstitution de la rédaction de Yampolsky).

M., 1957Tchaïkovsky Méditation (reconstitution de la rédaction de Yampolsky).

M., 1957Tchaïkovsky Sérénade mélancolique, 1957Spohr Concerto N°7. M., 1968Spohr Concerto N°9. M., 1959

PARTITIONS DOIGTÉ PAR YURI YANKELEVITCH NON ÉDITÉES

Bach Partita en Mi majeurBach Sonate en do mineurBeethoven Sonate N°3Beethoven Sonate N°5Beethoven Sonate N°8Beethoven Sonate N°10Brahms 3 SonatesHaendel/Thomson PassacailleGlazounov ConcertoGlinka /Cher Fantaisie sur le thème de l’opéra “Rouslan et Ludmila”Dittersdorf ScherzoKarlovitch ConcertoLalo Symphonie espagnoleLiapounov ConcertoMatchavariani ConcertoMozart Symphonie concertante pour violon et altoNikolaïev SonateRakov Trois piècesRimski-Korsakov MazurkaSabitov ConcertoFlarkovsky ConcertoFranck Sonate en La majeurKhatchatourian DanseTchaïkovsky ScherzoSchubert Duo en La majeurEscodé Menuet

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TABLE DES MATIÈRES

PréfaceAlexandre Brussilovsky. Mon professeur et l’Ecole russe du violon 7

Vladimir Grigoriev. La méthode de Yuri Yankelevitch 11

Première partieYuri Yankelevitch. Le placement initial du violoniste 71

Yuri Yankelevitch. Les changements de position et les problèmes de l’interprétation 87

Bibliographie 236

Deuxième partieTatiana Gaïdamovitch.L’œuvre du Maître dans la vie de ses disciples 243

Grigory Jisline. L’esthétique de Yuri Yankelevitch 259

Elena Yankelevitch. 279L’héritage pédagogique de Yuri Yankelevitch aujourd’hui

Les souvenirs des enseignants, assistants et élèves.Maïa Glesarova. Les caractéristiques des procédés pédagogiques de Yankelevitch 295

Inna Gaukhman. Mon collègue et ami 311

Victor Tretiakov. Mon maître 315

Vladimir Spivakov. Le Maître et l’École 321

Vera Kramarova. Les leçons du Maître 327

Arcady Fouter. Mon Maître 331

Les accompagnateurs racontent... Maria Stern, Natalia Ijevskaïa, Serafima Tcherniakhovskaïa,Bella Rakova, Anna Levina 335

La liste des élèves de Yuri Yankelevitch 341

Les écrits de Yuri Yankelevitch 345

Les partitions éditées sous la direction de Yuri Yankelevitch 347

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Maquette de couverture, photogravure et impression réalisées par

Dandoy CompoGravure2791, chemin de Saint Bernard

06225 Vallauris CedexEmail : [email protected]

Dépôt légal : décembre 1999

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