livre et lire - n° 250 - mars 2010

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!!!!!!!!!!!! Faux et usage de faux De la Résistance à la Guerre d’Algérie, Adolfo Kaminsky a passé qua- rante ans de sa vie à fabriquer des faux-papiers. Un destin hors norme, au croisement de l’engagement et de la clandestinité. Un livre (Adolfo Kaminsky, une vie de faussaire, de Sarah Kaminsky) et un film (Faux et Usage de faux : l’histoire vécue dans l’ombre, 1942-1982, de Jacques Falk) à découvrir dans le cadre du Printemps du livre de Grenoble. Bibliothèque Centre ville de Grenoble mardi 23 mars à 18h30 L’auteur supposé Écrire pour le roi les discours sidérants qui le maintiendront au pouvoir, telle est la tâche qu’un écrivain devrait refuser. Résister aux mystifications, pointer les supercheries de la parole dominante, voilà ce qu’il devrait oser. Alors l’écrivain serait à sa juste place. Mais l’épreuve est tellement périlleuse ! Il faut affronter en même temps les embûches du langage et la brutalité du monde ; se brûler en per- sonne pour faire un peu de lumière, et souvent n’éclairer que soi. Je me tiens de préférence à des tâches plus légères. Quand je songe à écrire (car avant d’écrire il faut rêver), ce sont d’abord les images que je cherche, et le plaisir du jeu. Mais là aussi, il y a tellement d’obstacles. Dans tout ce qui s’interpose entre le monde imaginaire en voie d’émergence et le texte à composer, le plus encombrant c’est l’auteur lui-même. Son corps exigeant, qui veut se lever, manger, pisser ou dormir. Ses coudes qui lui font mal. Son identité, plus exigeante encore que ses organes. Car le nom qui vien- dra signer un texte pèse à lui seul aussi lourd que toute la vie de l’auteur. Voilà mon espoir, quand je commence à écrire : ce qui m’est arrivé, l’idée que je me fais de moi-même, l’idée que s’en font mes proches, les comptes que j’aurais à rendre pour chaque écart de langage, pour le moindre événement incongru, tout cela je veux en être débarrassé. Je veux pouvoir m’amuser librement comme si j’étais tout neuf, et sans la moindre obligation. Avant d’inventer un roman, je commence donc par inventer un auteur. Ou mieux, l’auteur et le roman s’inventent l’un l’autre dans le même mouvement créateur, et moi (pardon pour ce mot qui n’est pas à sa place) je les regarde faire. Je laisse écrire l’auteur supposé. D’un même élan il compose sa biographie et son œuvre, qui s’encouragent mutuellement. Je les vois grandir ensemble et s’exalter. Et quand Bill, Anne ou Félix ont fini leur travail, je disparais. Mais aujourd’hui, puisqu’on me l’a demandé, je signe : Patrick Ravella n°250 - mars 2010 le mensuel du livre en Rhône-Alpes en +++++++++ Attention, passage de textes ! Les 5 et 6 mars, le Centre de traduction littéraire de Lausanne organise deux jours de ren- contres, lectures et ateliers autour de la traduction. Une réunion bi-annuelle qui mettra à l’épreuve les quatre langues nationales de la Suisse, mais aussi celles de l’arc alpin comme le slovène, le furlan ou le valser. Déjà tout un programme, à découvrir sur www.fondationch.ch. > www.arald.org Danser la poésie, une experience sonore et corporelle menée par la Compagnie Diradà, en action durant le Printemps de la poésie à Lyon (lire p.8). les écrivains à leur place Poésie (printemps de la) Cela se passe un peu partout en France (et pas seulement), du 8 au 21 mars, mais ce n’est pas une raison. Si la poésie est à l’honneur dans ce numéro de Livre & Lire (des chro- niques, des rendez-vous, un por- trait), c’est aussi parce qu’elle trouve de plus en plus difficilement sa place dans les médias littéraires. Tirages trop faibles, audiences limitées, commentaire difficile… ? Un peu de tout cela sans doute. Et la grande diversité de la production poétique serait encore moins visible si les revues ne jouaient pas leur rôle de découvreuses et de chambres d’écho. Alors « Couleur femme » ou pas, soyons attentifs. L. B. bibliothèques /p.11 Bibliothèque publique Vs Public Library Un entretien avec Anne-Marie Bertrand, directrice de l’ENSSIB et auteur d’une analyse comparée sur les bibliothèques publiques françaises et américaines. Communauté de travail Voici une exposition virtuelle et patrimoniale savoureuse par les temps qui courent… Lectura nous invite en effet à découvrir l’aventure de « Boimondeau, communauté de travail ». C’est l’his- toire d’un homme, Marcel Barbu, et d’une idée, selon laquelle le travail peut constituer un moyen d’épa- nouissement et d’éducation. À Valence, en 1941, l’artisan lance sa société de boîtiers de montres du Dauphiné puis refuse la Collaboration. L’entreprise se met au service de la Résistance. Marcel Barbu connaît Buchenwald. Après la guerre, Boimondeau devient une SCOP. L’esprit communautaire dépé- rira peu à peu. Jusqu’à la liquidation de l’entreprise en 1971. Une belle et emblématique aventure à revivre sur Lectura. L’exposition virtuelle sera présentée à la Médiathèque publique et universitaire de Valence le 25 mars à 18h30. www.lectura.fr patrimoine entretien/p.2-3 La double vie de Kafka Une discussion avec Bernard Lahire autour de son dernier livre consacré à la grande figure littéraire de Kafka. Une enquête sociologique au cœur du jeu littéraire. zoom/p.6 Écrire les uns avec les autres Treize auteurs de théâtre se réunissent autour de la Coopérative d’écriture. Entretien avec Enzo Cormann. © Compagnie Diradà D. R.

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L'Arald publie chaque début de mois "livre & lire", journal d'information sur la vie du livre en Rhône-Alpes. Ce mensuel de douze pages est un supplément aux revues professionnelles Livres-Hebdo et Livres de France, publiées par le Cercle de la librairie.

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Faux et usage de fauxDe la Résistance à laGuerre d’Algérie, AdolfoKaminsky a passé qua-rante ans de sa vie àfabriquer des faux-papiers.

Un destin hors norme, au croisement del’engagement et de la clandestinité. Unlivre (Adolfo Kaminsky, une vie de faussaire,de Sarah Kaminsky) et un film (Faux etUsage de faux : l’histoire vécue dansl’ombre, 1942-1982, de Jacques Falk) àdécouvrir dans le cadre du Printempsdu livre de Grenoble.

Bibliothèque Centre ville de Grenoblemardi 23 mars à 18h30

L’auteur supposéÉcrire pour le roi les discours sidérantsqui le maintiendront au pouvoir, telle estla tâche qu’un écrivain devrait refuser.Résister aux mystifications, pointer lessupercheries de la parole dominante,voilà ce qu’il devrait oser. Alors l’écrivainserait à sa juste place. Mais l’épreuve esttellement périlleuse ! Il faut affronter

en même temps les embûches du langageet la brutalité du monde ; se brûler en per-sonne pour faire un peu de lumière, etsouvent n’éclairer que soi.Je me tiens de préférence à des tâches pluslégères. Quand je songe à écrire (car avantd’écrire il faut rêver), ce sont d’abord lesimages que je cherche, et le plaisir du jeu.Mais là aussi, il y a tellement d’obstacles.Dans tout ce qui s’interpose entre le mondeimaginaire en voie d’émergence et le texte àcomposer, le plus encombrant c’est l’auteurlui-même. Son corps exigeant, qui veut selever, manger, pisser ou dormir. Ses coudesqui lui font mal. Son identité, plus exigeanteencore que ses organes. Car le nom qui vien-dra signer un texte pèse à lui seul aussi lourdque toute la vie de l’auteur.Voilà mon espoir, quand je commence àécrire : ce qui m’est arrivé, l’idée que je mefais de moi-même, l’idée que s’en font mesproches, les comptes que j’aurais à rendrepour chaque écart de langage, pour lemoindre événement incongru, tout cela jeveux en être débarrassé. Je veux pouvoirm’amuser librement comme si j’étais toutneuf, et sans la moindre obligation. Avantd’inventer un roman, je commence donc parinventer un auteur. Ou mieux, l’auteur et leroman s’inventent l’un l’autre dans le mêmemouvement créateur, et moi (pardon pour cemot qui n’est pas à sa place) je les regardefaire. Je laisse écrire l’auteur supposé. D’unmême élan il compose sa biographie et sonœuvre, qui s’encouragent mutuellement.Je les vois grandir ensemble et s’exalter. Etquand Bill, Anne ou Félix ont fini leur travail,je disparais. Mais aujourd’hui, puisqu’onme l’a demandé, je signe : Patrick Ravella

n°250 - mars 2010le mensuel du livre en Rhône-Alpes

en + + + + + + + + +Attention, passage de textes ! Les 5 et 6mars, le Centre de traduction littérairede Lausanne organise deux jours de ren-contres, lectures et ateliers autour de latraduction. Une réunion bi-annuelle quimettra à l’épreuve les quatre languesnationales de la Suisse, mais aussi cellesde l’arc alpin comme le slovène, le furlanou le valser. Déjà tout un programme,à découvrir sur www.fondationch.ch.

> www.arald.org

Danser la poésie, une experience sonore et corporelle menée par la Compagnie Diradà,en action durant le Printemps de la poésie à Lyon (lire p.8).

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Cela se passe un peu partout enFrance (et pas seulement), du 8 au21 mars, mais ce n’est pas une raison.Si la poésie est à l’honneur dans cenuméro de Livre & Lire (des chro-niques, des rendez-vous, un por-trait), c’est aussi parce qu’elle trouvede plus en plus difficilement saplace dans les médias littéraires.Tirages trop faibles, audienceslimitées, commentaire difficile… ?Un peu de tout cela sans doute. Etla grande diversité de la productionpoétique serait encore moinsvisible si les revues ne jouaient pasleur rôle de découvreuses et dechambres d’écho. Alors « Couleurfemme » ou pas, soyons attentifs.L. B.

bibliothèques/p.11Bibliothèque publique Vs Public LibraryUn entretien avec Anne-MarieBertrand, directrice de l’ENSSIB et auteur d’une analyse comparéesur les bibliothèques publiquesfrançaises et américaines.

Communauté de travail

Voici une exposition virtuelleet patrimoniale savoureuse parles temps qui courent… Lecturanous invite en effet à découvrirl’aventure de «  Boimondeau,

communauté de travail ». C’est l’his-toire d’un homme, Marcel Barbu, etd’une idée, selon laquelle le travailpeut constituer un moyen d’épa-nouissement et d’éducation. ÀValence, en 1941, l’artisan lancesa société de boîtiers de montres

du Dauphiné puis refuse laCollaboration. L’entreprise se metau service de la Résistance. MarcelBarbu connaît Buchenwald. Aprèsla guerre, Boimondeau devient uneSCOP. L’esprit communautaire dépé-rira peu à peu. Jusqu’à la liquidationde l’entreprise en 1971. Une belle etemblématique aventure à revivre surLectura. L’exposition virtuellesera présentée à la Médiathèquepublique et universitaire de Valencele 25 mars à 18h30.www.lectura.fr

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entretien/p.2-3La double vie de KafkaUne discussion avec BernardLahire autour de son dernier livre consacré à la grandefigure littéraire de Kafka. Une enquête sociologique au cœur du jeu littéraire.

zoom/p.6Écrire les uns avec les autresTreize auteurs de théâtre se réunissent autour de la Coopérative d’écriture. Entretien avec Enzo Cormann.

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défend un retour dépoussiéré à l’auteur, consi-dérant qu’« on ne voit pas comment le texte pour-rait jaillir miraculeusement de la plume d’unauteur sans rapport avec ce qu’il a vécu ». Le livres’attache donc à décrire minutieusement la « bio-graphie sociologique » de Kafka et à en dégagerles grandes problématiques existentielles : les rap-ports ambivalents père-fils, les liens complexesde Kafka avec les femmes et le mariage, les contra-dictions entre sa vie professionnelle et la solitudeindispensable à sa vocation littéraire, sa percep-tion des rapports de domination… Et montredans le détail comment ces problématiques setrouvent transposées, projetées, mises enintrigues, dans ses écrits.Les interprétations de Bernard Lahire s’avèrentsouvent stimulantes, éclairantes, et prêteront sûre-ment à controverse (tant mieux !). Mais si la bio-graphie sociologique de Kafka nous en apprendbeaucoup sur ses thématiques, ses personnages,le sens et l’organisation de ses récits, la sociolo-gie s’arrête selon nous lorsque le champ socialdéveloppé par Kafka se métamorphose en champd’expériences, de forces (animales, archaïques),d’affects, de sensations, d’humour et de gestes…Walter Benjamin, Maurice Blanchot et GillesDeleuze sont là pour nous le rappeler. On rêveraitd’un débat entre ces derniers et Bernard Lahire.Jean-Emmanuel Denave

Bernard LahireFranz KafkaÉléments pour une théorie de la création littéraireLa Découverte634 p., 27 €ISBN 978-2-7071-5941-0

Après son étude retentissante sur LaCondition littéraire, publiée en 2006 à LaDécouverte, suite à une étude menée enRhône-Alpes à la demande de la Région et dela DRAC, le sociologue Bernard Lahire pour-suit son impressionnant travail d’investiga-tion sociologique dans le jeu littéraire. Cettefois-ci en passant par l’immense figure deKafka et en poussant plus loin sa recherchedu côté de l’interprétation des œuvres. Un défi à la mesure d’une ambition.

Kafka, cas socialQu’on soit d’accord ou non avec Bernard Lahire,il faut reconnaître que son approche sociologiquede Kafka est documentée, fouillée, claire (mêmepour un non initié en sociologie), et constitue véri-tablement un défi, tant l’écrivain tchèque a donnédu fil à retordre à bien des interprètes de toutesobédiences. Défi d’autant plus grand pour unsociologue que Bernard Lahire ne se contente pasd’étudier ce qu’il appelle « la fabrique sociale deKafka », mais aussi et surtout sa « fabrique litté-raire », soit le contenu et la forme de ses écrits,en entrant « dans la chair même du texte ».Contre les approches formalistes, le sociologue

entretien /

Entretien avecBernard Lahire autourde son dernier livresur le cas Kafka

Quels désirs vous ont poussé à travaillersur Franz Kafka ?

Le choix de travailler sur le cas de Franz Kafkaest lié à une série de raisons assez différentes.Tout d’abord, j’avais commencé dans LaCondition littéraire. La double vie des écrivains(La Découverte, 2006) à étudier la situationsociale de Kafka qui est un cas très représen-tatif de ce que sont, dans des sociétés qui ontvu se constituer un marché littéraire, les écri-vains de vocation ne parvenant pas à vivre deleur plume et contraints à une double vie àla fois frustrante et épuisante. Pierre Bourdieuprenait Flaubert comme modèle de l’écrivain

représentatif du pôle littéraire le plus pur, maisc’est pourtant un cas d’écrivain très atypiquequi peut se dédier entièrement à la créationgrâce à ses rentes. Il est très peu représentatifde ce que va être la condition littéraire despoètes et romanciers obligés de conjugueractivités rémunératrices extra-littéraires et activités créatrices désintéressées. Aucontraire, Kafka est une figure idéaltypiquequi correspond toujours à ce que vivent lesécrivains les plus purs du jeu littéraire.

Dans Franz Kafka, votre démarche sociolo-gique va plus loin, en abordant le contenu etla forme des œuvres…L’objectif de La Condition littéraire n’était pasprincipalement d’entrer dans les textes desauteurs, mais j’avais cependant commencé àpointer les effets du « second métier » enmatière de « thématiques » développées dansles œuvres, mais aussi du point de vue desgenres pratiqués (courts ou longs, selon letemps disponible) et du style d’écriture lorsquele « second métier » est un temps où s’acquiè-rent des habitudes d’écriture particulières (entant que juriste, journaliste, enseignant, etc.).Je voyais aussi, plus généralement, que ce quis’écrit n’est pas pensable indépendammentdes cadres d’expérience (familiaux, scolaires,professionnels, etc.) par lesquels les écrivainssont passés. Il n’y avait donc qu’un pas à fran-chir pour envisager l’étude détaillée d’uneœuvre en rapport avec ces différents cadres.Le «  choix  » de Kafka s’est alors presqueimposé à moi car je savais que si je prenaisle cas d’un auteur dont une partie de l’œuvreest de manière évidente « autobiographique »(cas de Jules Vallès ou de Jack London parexemple), on s’empresserait de réduire le senset la portée de mon propos. Je voulais, en pre-nant un auteur aussi novateur, intrigant et par-fois obscur, montrer que le type de démarchesociologique que je mets en œuvre permet decomprendre (d’interpréter) des œuvres quisemblent a priori résister à toute approchesociologique.

Adopter le point de vue de l’auteur

Contrairement à certains courants de lathéorie littéraire (Barthes notamment, votre« ennemi »), vous analysez l’œuvre de Kafkapar un retour à l’auteur, via la notion de bio-graphie sociologique. Qu’entendez-vous parlà et pourquoi est-ce nécessaire selon vous ?Roland Barthes est un formidable adversaireintellectuel pour moi car il a au moins lemérite, contrairement à beaucoup d’autres, dela clarté de son positionnement théorique.

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entretien /

Pour lui, aller chercher à l’extérieur du textedes éléments pour sa bonne compréhensionest une sorte d’attentat commis contre la lit-térature. Une lecture libérée doit alors se payerde la mort de l’auteur. Mais paradoxalement,Pierre Bourdieu, qu’on peut situer à l’opposéde Barthes, a tout fait pour discréditer le genrebiographique (et les « illusions » qui s’y rat-tachent). Cela s’explique par son rapport deconcurrence avec Sartre qui a pratiqué la bio-graphie dans le cas de Flaubert. Et pourtant,la reconstruction biographique guidée par unpoint de vue sociologique est la seuleméthode permettant de recomposer précisé-ment les contraintes intérieures (produit dessocialisations passées) et extérieures (milieux,institutions, œuvres, créateurs, etc., fréquen-tés) qui pèsent sur un créateur. Cela n’a rien àvoir avec la biographie « anecdotisante », évé-nementielle, ou avec la biographie qui chercheà montrer comment le « génie » était déjà engerme dès le début. C’est une reconstructionproblématisée qui constitue une sorte d’ex-périence de pensée permettant d’adopter lepoint de vue de l’auteur et de saisir ce qu’ilcherche à dire (ou à faire) et comment il s’yprend pour le dire (ou le faire).

En faisant discrètement référence à Sartre,vous mettez en relation les grandes « pro-blématiques existentielles » de Kafka avecson œuvre… Pouvez-vous en donner unexemple ?Je peux prendre l’exemple de ce que fait Kafkaen écrivant La Métamorphose. Il vit une situa-tion très inconfortable au sein de sa famille.Ayant en quelque sorte refusé d’être l’héritierdu capital paternel (son père est un com-merçant en pleine réussite), il a fait le choixd’occuper un emploi le moins chronophage

possible qui lui per-met de poursuivreson travail de créa-tion. Il écrit chaquenuit et place toute

son énergie dans des affaires que ses parentsjugent parfaitement inutiles. Il sort aussi par-fois le soir avec ses amis écrivains. Mécontentde la façon dont son fils mène sa vie, son pèrele traite de « parasite ». Kafka, qui « littéralise »les métaphores (il les prend en quelque sorteau pied de la lettre), va imaginer le person-nage de Gregor Samsa qui se lève un matin etconstate qu’il s’est transformé en monstrueuxinsecte : cela l’empêche d’aller au travail,effraie sa famille et bouleverse l’ordre deschoses. Ce parasite parfaitement inutile auxyeux de son entourage et à ses propres yeuxn’est autre que Kafka-écrivain dont la mortfinale rassure tout le monde.

Au cœur de la fabrique littéraire

Vous accordez notamment beaucoup d’im-portance aux liens ambivalents entre Kafkaet son père, aux conflits psychiques qui enont découlé chez l’écrivain : on a parfoisl’impression que le sociologue se fait icipsychanalyste ?Votre question présuppose que les rapportspère-fils seraient un objet a priori plus psycha-nalytique que sociologique. C’est pourtantune relation sociale entre des êtres qui nevivent pas dans l’abstraction mais dans unesituation sociale toujours particulière : entreHermann Kafka et son fils, ce qui se joue c’estnotamment le rapport entre un père peu cultivémais en ascension sociale fulgurante par lavoie économique et un fils qui, ayant bénéfi-cié de la meilleure éducation allemande pos-sible, prend la tangente en développant unevocation littéraire. Les psychanalystes qui ontpris le temps d’examiner à la loupe les réali-tés familiales en savent ordinairement millefois plus que les sociologues sur ce qui est

constitutif des êtres sociaux. Ilspratiquent, à mon sens, une sortede microsociologie fine des rap-ports intra-familiaux. Le temps estvenu de faire tomber les barrièresentre psychanalyse (et toute unesérie de savoirs psychologiques)et sociologie.

Les œuvres de Kafka (ses troisromans en particulier) font danserles significations jusqu’à la poly-sémie et à l’ouverture la plusvertigineuse, font glisser la

logique et le « sens commun » jusqu’à lefaire sortir de ses gonds… Votre travail vise-t-il alors à le remettre dans ses gonds ? N’ya-t-il pas là une difficulté particulière ?Cette polysémie de l’œuvre kafkaïenne s’explique très bien lorsqu’on se demandequelle est sa fabrique littéraire, c’est-à-diresa manière de procéder littérairement pourdire ce qu’il a à dire. Kafka pratique unesorte de « narration théorisante ». Il conçoitses histoires comme des sortes de cas juri-diques dé-personnalisés qui permettent defaire travailler une situation problématique.Ses personnages sont assez rarement décritsphysiquement, ils ont parfois tout juste unnom (Joseph K., K.) ou sont des objets ou desanimaux, les lieux ne sont pas toujours extrê-mement détaillés et l’époque n’est jamaisprécisée. Ce qui crée aussi le trouble chez lelecteur c’est le fait que Kafka fait apparaîtreen permanence des contradictions dans sesrécits comme pour rappeler que ce dont ilparle réellement n’a en fait que peu à voiravec la métaphore «  littéralisée  » qu’ildéploie. Le singe de Rapport à une académiequi s’est humanisé n’est pas un vrai singemais une manière de parler du célibatairequi décide de se marier pour devenir unhomme accompli ; l’arrestation et le procèsde Joseph K. ne sont ni une vraie arrestationni un véritable procès mais une manière demettre en scène la vie d’un personnage quiest envahi par un fort sentiment de culpa-bilité. Les situations bizarres, absurdes(comme celle consistant à montrer un Joseph K.« arrêté » mais continuant à vivre normalementou se rendant au tribunal sans rendez-vous à uneheure choisie par lui et se voyant reprocherle fait d’arriver en retard…) s’éclairent toutessi l’on reconstitue la genèse de ce qu’il s’efforcede raconter. Propos recueillis par J.-E.D.

Bernard Lahire est l’invité de la Villa Gillet, à Lyon, le 10 mars à 19h30.www.villagillet.net

Bernard Lahire est né à Lyon en 1963. Professeur de sociologie à l’Écolenormale supérieure Lettres et Scienceshumaines depuis 2000.Directeur du Groupe de recherche surla socialisation au CNRS depuis 2003.Il est l’auteur d’une quinzained’ouvrages, dont :• La Culture des individus. Dissonances

culturelles et distinction de soi

(La Découverte, 2004)• La Condition littéraire. La double vie

des écrivains (La Découverte, 2006), à la suite d’une étude commandée parla Région et la DRAC Rhône-Alpes.

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L’aventure, c’est l’aventureEn quelques années, le Printempsdu livre de Grenoble est devenu unemanifestation incontournable dansla région. Par l’ambition de sa pro-grammation, par la nature du tra-vail mené en amont de la manifes-

tation, par la qualité des rencontres. Coupd’œil avant la 8e édition, du 17 au 21 mars.

« Aventures humaines », ce n’est pas unemétaphore… Et si c’est le thème choisi parle Printemps du livre de Grenoble 2010, tousles organisateurs de manifestation saventbien que ce type d’événement repose avanttout sur une dynamique professionnellemais aussi sur la ferveur d’un ensemble depersonnes qui font véritablement « vivre »la fête du livre. Organisateurs, bibliothé-caires, libraires, bénévoles… À Grenoble, lecourant passe, circule en réseau. Prend sontemps aussi. Ainsi, cette année, le Printempsdu livre a démarré plus tôt que d’habitude.Dès le mois de janvier, les livres des auteursinvités étaient disponibles dans les biblio-thèques de l’agglomération. Pour préparerle terrain, un débat avec des philosophes surle thème « La vie est-elle une aventure ? » arassemblé près de deux cents personnes àla bibliothèque Centre Ville. « L’année pro-chaine, projette Carine d’Inca, responsablede Grenoble Ville-Lecture, nous essayeronsde mettre en place un cycle de débats philo-sophiques afin d’explorer toute l’ampleur denotre thème ». Histoire d’aller plus loin avecles lecteurs dans la thématique choisie, maisaussi de permettre à de nouveaux publicsd’entrer au cœur du Printemps du livre parle thème et non pas forcément par la litté-rature. Ça sent la bonne idée…Au public – toujours nombreux – de saisirce qui lui est proposé. Cette année encore,le choix est vaste. Malgré une nouvellecontrainte budgétaire (une baisse de 10 000€ de la subvention de la Ville de Grenoble),environ quatre-vingt rencontres sont pro-posées durant tout le week-end dans diverslieux de la ville, avec des écrivains commePatrick Deville, Brigitte Giraud, Jean-Claude Grumberg, Thierry Hesse, Jean-Philippe Jaworski, Dany Laferrière, Marie-Hélène Lafon, Hubert Mingarelli, GérardMordillat, Pierre Péju et l’éditeur JérômeMillon, Noëlle Revaz, Fabio Viscogliosi, ainsique de nombreux auteurs pour la jeunessecomme Jean-Claude Mourlevat, FranckPrévot, Jérôme Ruillier… Tant d’aventureshumaines nées de la fiction ou autour d’elle,à suivre « en vrai » et en public. L. B.

Printemps du livre de Grenobledu 17 au 21 marshttp://printempsdulivre.bm-grenoble.fr

Fête du livre de Brondu 5 au 7 marsHippodrome de Parillywww.fetedulivredebron.com

Rencontres pour mémoireEt si la littérature était avant tout une affairede mémoire ? C’est la question que pose la24e édition de la Fête du livre de Bron.Mémoire intime d’abord, quand l’écriturefouille ou réinvente les souvenirs et l’histoirepersonnelle ; mémoire collective ensuite,avec un retour de l’Histoire dans les récitsd’aujourd’hui ; mémoire comme objetscientifique enfin, dont les mystères necessent d’interroger chercheurs oupsychanalystes.La journée de réflexion du 5 marsapprofondira cette thématique : commentla littérature rend-elle compte de l’Histoire ?La création artistique a-t-elle valeur detémoignage ? Comment concilier rigueurdocumentaire et liberté fictionnelle ?Un débat pour le moins d’actualité…On notera cette année encore l’attentionportée aux jeunes générations. Dans le cadredu dispositif « Les lycéens invitent », troisrencontres sont dédiées aux élèves des lycéesde Bron, Saint-Priest et Vénissieux, autourde Michel Séonnet, Sorj Chalandon et FabioViscogliosi. Avec «  Les ados sont voslibraires », ce sont sept groupes de lecturequi partagent leurs coups de cœur avecles visiteurs de la fête. Et un programmecomplet de lectures, spectacles, atelierset jeux attend le jeune public.La littérature, comme la mémoire, est aussiune affaire de transmission. La Fête du livrede Bron ne l’oublie pas. M. B.

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Roman, traduction, essai, jeu-nesse, adaptation cinématogra-phique…, on connaît désormaisles prix littéraires de la RégionRhône-Alpes 2010. Cinq prix, enattendant celui des lycéens, quisera connu en avril.

Après Emmanuelle Pagano et sesAdolescents troglodytes, c’est BrigitteGiraud qui est récompensée cetteannée et obtient le Prix Rhône-Alpesde l’adaptation cinématographiquepour son dernier roman, Une annéeétrangère, sorti chez Stock en sep-tembre dernier. Parmi une sélectiontrès riche (L’Incertain de VirginieOllagnier, La Robe de Robert Alexis,Palermo Solo de Philippe Fusaro, LesTreize desserts de Camille Bordas etRêve 78 de Hafid Aggoune), le romande Brigitte Giraud s’est imposé aujury, composé de professionnels ducinéma et présidé par le réalisateurChristian Carion.Organisé par Rhône-Alpes Cinéma,avec le concours de l’association régio-nale des libraires, ce prix de l’adapta-tion est l’occasion de nouer des liensplus étroits entre littérature et cinéma.Il a pour objectif de faciliter l’accèsdes professionnels du cinéma àdes œuvres littéraires d’écrivainsrésidents ou originaires de larégion, notamment par le biaisd’une contribution financière de20 000 €. 5 000 € sont remis à l’auteur

Les lauréats 2010 des prix littéraires de la Région Rhône-Alpes

Hausse des prix

Les aventures du livreà l’ère numériqueRencontre avec Frédéric Kaplanautour des « Métamorphoses de l’ob-jet livre » et table ronde « Faire vivreles livres sur Internet », avec FrédéricKaplan, Wu  Ming et Nicolas

Fougerousse. Médiateur : Yves Toussaint.

Vendredi 19 mars / 14h - 17hBibliothèque Centre Ville de Grenoble

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actualités /prix littéraires

Christian Carion, réalisateur et président du jury du Prix de l’adaptation cinématographique.

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et 15 000 € permettent d’accompa-gner le producteur qui s’engage surune option dans le développementdu projet cinématographique.Côté Prix Rhône-Alpes du livre, lejury jeunesse a distingué cetteannée Jean-François Chabas pourson roman Les Lionnes (École desloisirs). Une singulière histoire d’ani-maux qui parle des hommes…Dans la sélection finale, on trouvaitégalement Le Chagrin du roi mort,de Jean-Claude Mourlevat ainsique L’Enfant, la pierre et la fleur, deJérôme Ruillier.Par ailleurs, François Beaune estrécompensé pour son roman intituléUn homme louche (Verticales),Johann Chapoutot, pour son essai surLe National-Socialisme et l’Antiquité(PUF) et Selim Cherief pour sa traduc-tion de l’espagnol (tangérois) d’unlivre d’Angel Vasquez, La Chienne devie de Juanita Narboni. Ce prix detraduction est également une formede récompense pour le jeune éditeurlyonnais François Collet, créateur deséditions Rouge Inside en 2009 autourde ce titre fondateur, unique livre tra-duit en français d’un écrivain né en1929 à Tanger, lauréat du prix Planetaen 1962 pour son premier roman,et mort à Madrid en 1980. Les PrixRhône-Alpes du livre sont dotés de5 000 € et les lauréats bénéficientd’une tournée de promotion dans leslibrairies de la région. L. B.

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actualités / librairie

Dans la foulée de l’Assembléegénérale de l’association Librairesen Rhône-Alpes, début février, àLyon, on a évoqué les sujets quipréoccupent les libraires : la nou-velle classification des emplois ausein de la librairie, le numériqueet le portail des librairies surInternet. Vaste programme.

Cela se passait à la librairie Raconte-moi la Terre, à Lyon. Après la matinéeréservée à l’Assemblée générale deLibraires en Rhône-Alpes, qui regroupeprès de 70 professionnels, l’après-midiétait à la fois plus réflexive et plus pros-pective, avec Guillaume Husson, délé-gué général du Syndicat de la librairiefrançaise (SLF), et Gilles de La Porte,

libraire engagé dans l’aven-ture du portail de la librairieindépendante sur Internet.Menu chargé avec, en platde résistance, les grandschantiers du SLF, notam-ment l’accord de branchesur la classification desemplois en librairie signé enseptembre. Un accord qui,selon Guillaume Husson,constitue « la clef de voûtede la négociation autour de

la nouvelle convention collective »,négociation quant à elle toujours encours. En effet, cette nouvelle grille declassification n’est ni plus ni moinsqu’une redéfinition globale de la grilledes métiers et des salaires en librairie,qui il est vrai datait sérieusement. Maisc’est aussi, souligne le représentant duSLF, « un outil de reconnaissance et devalorisation du métier de libraire ».En revanche, cette nouvelle classifi-cation est une obligation légale, et elledevra s’appliquer avant fin 2010 (dansles six mois pour les entreprises demoins de onze salariés, dans les neufmois pour celles de plus de onze sala-riés). Bref, d’ici la fin de l’année, il fau-dra que les libraires se soient empa-rés de ce nouvel outil et l’aient mis enœuvre. Le SLF propose pour cela unguide d’accompagnement, alors quel’ARALD et Libraires en Rhône-Alpesorganisent des formations dans larégion pour les gérants et les salariés.

Libraires sur Internet

Autre grand chantier en cours, plusvaste encore et doté de contours net-tement moins définis, celui du numé-rique. Sur ce plan, la position du SLFest claire, puisqu’il s’agit de revendi-quer une place pour la librairie dansce nouveau système de diffusion dulivre, qui obéit à des formes deconcurrence totalement inédites.Pour le représentant du SLF, il s’agitde « se battre pour que le cadre del’économie numérique permette aux

libraires d’être de la partie s’ils le sou-haitent ». Afin de rendre possiblecette présence, il faudra que lesacteurs de la chaîne du livre et lespouvoirs publics se mettent d’accordsur une réglementation de l’universnumérique – qui pourrait passer parle principe d’un prix unique du livrenumérique.Côté portail de la librairie indépen-dante, le libraire Gilles de La Portea informé les professionnels surl’état d’avancement du chantier.Trente-cinq libraires et deux asso-ciations de libraires ont, on le sait,créé la société PL2I pour rendreéconomiquement possible unesolution sur Internet pour leslibraires. Le projet est de « fédérer lesoutils pour être en capacité derépondre à n’importe quelle com-mande par Internet », rappelle Gillesde La Porte, qui espère convaincreenviron quatre-vingts libraires d’icila fin de l’année (avec des propositionscommerciales allant de 1 000 à 5 000 €par an selon le chiffre d’affaires deslibrairies), sachant que la premièreversion du site devrait commencerà fonctionner à la rentrée 2010. « Ils’agit avant tout d’expérimenter »,insiste Gilles de La Porte, qui s’estfélicité du récent accord signéentre Electre et le portail des librai-ries en vue de la fourniture desdonnées bibliographiques. Uneexpérimentation qui vise à tirerparti sur Internet de la force duréseau des libraires. L. B.

Les nouveaux chantiers de la librairie

Derrière la grille

Calendrier des formations

• Lyon : 26 avril, pour les librairiesde l’Ain, du Rhône et de la Loire.• Annecy : 31 mai, pour les librai-ries de Savoie et Haute-Savoie.

• Grenoble : 7 juin, pour les librairiesd’Isère et de la Savoie proche.• Valence : 14 juin, pour les librairies de la Drôme et de l’Ardèche.• Lyon : 21 juin, séance de rattrapagepour les librairies de l’ensemble desdépartements.

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ères

En attendant de possibles boulever-sements pour l’an prochain, avec leretour au Grand Palais sur lequel lebruit court de plus en plus fortement,et l’incertitude quant à l’accueil quiserait alors offert aux régions, le Salondu livre fête son 30e anniversaire Portede Versailles, du 26 au 31 mars.La journée réservée aux profession-nels ayant été supprimée, les visi-teurs seront accueillis du vendrediau mardi (10h-19h), ainsi que la soi-rée du mardi jusqu’à 22h. Ils pour-ront découvrir le Pavillon des 30 ans,

où auront lieu des rencontres avec30 auteurs français, mais aussi 30auteurs étrangers emblématiques,ainsi que 30 auteurs portés par leCentre national du livre (CNL) enfaveur de la création littéraire (dontEnzo Cormann et Pierre Senges,Prix Rhône-Alpes du livre en 2000).Le stand de laRégion Rhône-Alpes se trou-vera au mêmeemplacementque l’an der-nier (U 48) surune surface de255 m2. Paré debleu turquoiseet de blanc, il

mettra en lumière le travail de 25éditeurs parmi lesquels des habitués(À Rebours, Les Cahiers intempes-tifs, Champ Vallon, Cent Pages,Chronique sociale, Créaphis, ÉLAH,ENS, La Fontaine de Siloé, Fage

Éditions, La Fosse aux ours, ÉditionsGuérin, Jean-Pierre Huguet Éditeur,Lieux Dits, Jérôme Millon, Mosquito,PUG, URDLA, Voix d’encre) et quatrenouveaux participants : les ÉditionsDelatour France dévoileront un cata-logue spécialisé en musique et lesÉditions du Lampion un catalogue

de contes, légendes et fablesillustrées pour petits etgrands. Mosquito sera éga-lement présent avec sonriche catalogue de bandesdessinées ainsi que RougeInside, jeune maison lyonnaisequi promeut des œuvres delittérature étrangère inédites.Émilie Pellissier

Plus d’informations surwww.salondulivreparis.com

Paris 2010 : 30e

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zoom /théâtre

Notre « manifeste au conditionnel »s’ouvre d’ailleurs par ces mots : « Nousdeviendrions un moi pluriel, ennemid’un monde unidimensionnel ; unmoi mouvement, ennemi d’un mondesage comme une image ; un moicomplexe, ennemi d’un monde plussimple qu’il n’y paraît… »

Pensez-vous que l’écriture théâtralea spécifiquement besoin de ce typede structure ?Disons d’abord sans fausse pudeurque les écrivains ont besoin de vivre.L’immense majorité d’entre eux sup-pléent des droits insuffisants en don-nant des lectures publiques, en ani-mant des ateliers, en enseignant, eneffectuant des travaux de commande,en intégrant l’équipe artistique d’unthéâtre, etc. Créer cette Coopérative,c’est reprendre une partie de l’initia-tive sur le terrain des actions ludiques,des performances… La plupartd’entre nous sont abondammentpubliés, traduits, joués – cela nousrend-il moins seuls ? Un de nos motsd’ordre pourrait être : « protéger lasolitude, briser l’isolement ». La soli-tude est consubstantielle à l’écriture(y compris dramatique) ; l’isolementn’est qu’une forme subtile du méprisde soi des artistes (intériorisation del’anti-intellectualisme ambiant, et dela défiance affichée à l’endroit despoètes et des saltimbanques.)

Quel est le prochain projet de laCoopérative ?Transformer le Panthéon et l’Académiefrançaise en forums permanents despoésies orales, des rhapsodies drama-tiques et de la parole musiquante(c’est du moins ce que je proposeraià mes douze camarades lors de notreprochain comité central…). Pour lereste (et plus modestement), nouscherchons à élargir le réseau des par-tenaires des actions existantes : balslittéraires, écritures plurielles, com-mandes, etc. La Coopérative est par

Comment et quand est née laCoopérative ?Ces dernières années, au fil des ren-contres et des collaborations. FabriceMelquiot, écrivain associé à laComédie de Reims, avait initié unLaboratoire des écritures pour laScène, Rémi De Vos, un Club desauteurs, au Centre national drama-tique de Lorient. J’ai pour ma partinvité de nombreux écrivains drama-turges à intervenir, ou à travailler régu-lièrement, au sein du départementdramatique de l’ENSATT (créé en2003), et dans le cadre du Studio euro-péen d’écriture dramatique que j’aiconduit au sein de l’université d’étédes écoles européennes de théâtrePrima del Teatro, à San Miniato(Toscane). Nous avons appris à tirerplaisir et profit de nos différends,comme à reconnaître nos contiguïtés.Au fil des manifestations, deséchanges, une forme d’évidenceconfraternelle s’est imposée. FabriceMelquiot a pris l’heureuse initiativede donner à ces affinités électives età ce travail en commun une formecoopérative.

Qu’est-ce qui fait lien, communautéentre les auteurs de ce projet ?Est-ce un type d’écriture ou unétat d’esprit ?Ce qui nous lie, c’est sans doute l’ex-périence commune de l’« opérationdramatique » : le réel fait problème,oui mais comment le dire de façonsuffisamment ouverte pour que l’as-semblée théâtrale soit à même d’enjouer (voire d’en jouir !) avec lesacteurs ? On n’écrit pas du théâtre,mais pour le théâtre. Ce « pour » est,je crois, ce qui nous réunit. À partir delà, tout nous différencie – sauf quenous avons appris à ne pas confondre« dissensus » et antagonisme. Pourma part, je m’intéresse bien davan-tage aux mosaïques de singularitésqu’au « génie » unidimensionnel…

www.lacooperativedecriture.comPlaquette-manifeste téléchargeablesur www.cormann.net

Comme des bambous

Avec Natachade PontcharraLire du théâtre ? C’est l’oc-casion avec deux parutions

de Natacha de Pontcharra, LeMonde de Mars et L’Angélie,aux éditions Quartett.

Langue charnelle, mots du corpset du sentiment, expression de lacontrainte et du réel, l’écriture deNatacha de Pontcharra construitun lien poétique et souvent dou-loureux avec le monde. DepuisMickey-la-Torche, l’une de sespièces les plus connues,l’écrivain poursuit le che-min étroit sur lequel défi-lent des personnages telsque Mara, dans Le Mondede Mars, ou Jef et Jeffy,dans Les Ratés. Figures del’indécision et de l’attente,« femmes sauvages ethommes brusques » (écritFabrice Melquiot dans sapréface au Monde de Mars),ces êtres fragiles sont bal-lottés par les temps.Natacha de Pontcharra leurprête une voix forte etdébridée, contemporaine et

secrète, où les souffrances surgis-sent sans plus de bruit que lesplaisirs. Ainsi Mara, dans Le Mondede Mars : « Il y a rien à foutre dansce coin, même pas un café pour unsirop, ou alors des bars de vieuxcons accoudés au pastis, des mor-tels en pieds de poules avec lesyeux mouillés et les dernières dentsmâchées Lajaunie, pas foutus quefaire plus d’un mot à la minute.Juste le bruit des pieds de chaisesqui te rayent la tête et les bics quicourent le tiercé. »Entre la terre et le ciel, les hommesde Natacha de Pontcharra sont per-

dus. Dans L’Angélie, leschasseurs ramassent surles sentiers des cadavresd’anges, puis les rendentaux arbres. Après cela,plus rien dans leur vien’est pareil. L. B.

Natacha de PontcharraL’AngélieSuivi de L’Enfant d’aoûtQuartett112 p., 12 €ISBN 978-2-916834-12-2

Le Monde de MarsSuivi de Les RatésQuartett112 p., 12 €ISBN 978-2-916834-09-2

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La Coopérative d’écriture a été fondée en décembre 2009 par treizeauteurs de théâtre. Espace de mise en résonance de travaux singu-liers, de valorisation de l’écriture contemporaine, cette structure donnesurtout une forme visible à un désir commun d’« écrire au contactdes autres ». Entretien avec Enzo Cormann, écrivain, dramaturge,responsable du département d’écriture dramatique de l’ENSATTet co-fondateur de la Coopérative.

Marion AubertMathieu BertholetEnzo CormannRémi De VosNathalie FillionSamuel GalletDavid Lescot

Fabrice MelquiotYves NillyEddy PallaroChristophe PelletNatacha dePontcharraPauline Sales

ailleurs « artiste associé » au dépar-tement d’écriture dramatique del’ENSATT. Nous poussons en rhizome,comme des bambous : qui sait oùse manifesteront nos nouvellespousses ? Propos recueillis par M.B.

Les 13 auteurs de la Coopérative

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livres & lectures /poésievoient plus désormais, ce que le Jene veut pas voir non plus. Devant lepauvre cadavre de la grand-mère,la petite fille a ce geste d’équilibreprécaire : « J’ai fermé ses yeux, j’aifermé les miens j’ai mis des chansonset j’attends ».Le Vent chaule est un livre de deuil,Le Vent chaule est un livre de l’œil.Œil qui lit, œil qui voit, tant bienque mal : laps d’espaces blancs,ellipses de mots, phrases à l’hori-zontale ou à la verticale, petitssignes typographiques inconnusqui ressemblent (mais à quoi ?),silhouettes d’oiseaux qui se posentdélicatement sur la page à la façondes traits que traça la fille du potierButades, cette histoire d’absencemagique que rapporte Pline l’ancien.Et puis, surtout, il y a la couleur bleue,

Le nouveau recueil de CarolineSagot Duvauroux

Douleur,couleurLe Vent chaule. Un texte aussi fortque la mort et qui avance àgrands coups de phrases rebelles.Par une poète, Caroline SagotDuvauroux, qui est aussi peintre.

Elle n’est pas belle la phrase deCaroline Sagot Duvauroux quand elles’emballe avec ses assonances-disso-nances, non, elle est moins bien etbien mieux que ça : elle est rebelle.Une ligne droite et maladroite, déhan-chée dira-t-on, comme si elle épousaitson sujet à la fois de tropprès et de très loin. Maisc’est un fait exprès, car ilfaut aller avec les « milliersde petites directions quis’échappent d’un angle ».L’angle, dans le livre deSagot Duvauroux, c’est lamort. L’angle mort queconstitue la disparitiondes proches (la mère,après ou avant la grand-mère), une zone invisibleen partage, ce qu’elles ne

partout le bleu, « le bleu qui parten fumée des gitanes bleues », lebleu d’un voile dans un fameuxtableau d’Antonello de Messine, lebleu du ciel et des regards. Tous lesbleus dans lesquels semble seperdre et se retrouver la poète :

« Et puis ça arrive.Ça a lieu. Les motsvoient quelque chosequ’on ne voit pas ».Couleur : douleurcoulée ? Roger-Yves

Roche

Caroline SagotDuvaurouxLe Vent chaule suivide L’Herbe écritÉditions José Corti192 p., 17 €ISBN 978-2-7143-1008-8

Le Messagerd’Aphroditede Patrick Beurard-Valdoye

C’est un corps à corps presque que selivrent les néomots de Patrick Beurard-Valdoye et l’image de l’amour dans LeMessager d’Aphrodite. Ou encore : larencontre toujours compliquée dumasculin et du féminin. Ou alors : uneexpérience de liaison-déliaison entreun poète et sa poésie. Ce qui revientsûrement au même… « traduire tris-tesse / en plaisir est aussi / insenséqu’en vers capturer / l’orgasmed’Aphrodite / morphosée en Poésie ».R.-Y. R.

Éditions Obsidiane68p., 13,50 € - ISBN 978-2-916447-25-4

Prix Kowalski 2009Après Jean-Claude Pirotte en 2008,c’est Jean-Pierre Colombi, pour sonrecueil Les Choses dicibles (Gallimard),qui obtient le prix Kowalsi 2009. « Unrecueil de poèmes en forme d’épuremagnifique où les mots frôlent sans

cesse l’élémentaire étrangeté des choses.Comme pour mieux les habiter », écri-vait Roger-Yves Roche dans Livre & Liren°246. Le Prix de poésie de la Ville deLyon, fondé en 1984, sera remis à Jean-Pierre Colombi, qui vit dans la région lyon-naise, le 10 mars, lors d’une soirée orga-nisée à la bibliothèque de la Part-Dieu.

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« Sans mémoire ni cigogne

toujours s’en va-t-en guerre

on est. Revenir c’est écrire

mutilé tout à fait. Ce qu’on

fait. On compte les absents

main coupée des servages jarret

fendu des marronnages. Entre, on

plante la bourrache, l’herbe à

chat, valériane et patates et des

ormes pour l’ombre. On métisse on

parle. Sur la terre tétée de récoltes

impériales on plante des absences

et des tentatives on écrit. »

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quatre têtes chercheuses. La forme duquatuor a d’ailleurs dicté en 2009 lethème de cette revue qui ne paraîtqu’une fois l’an (tirage : 500 exem-plaires). Parcours singuliers. Chacundes responsables de faire part a choisiun poète : Jean-Marc Baillieu, PatrickBeurard-Valdoye, Nicolas Pesquès etCaroline Sagot Duvauroux. Les 19 et 20 mars, on se retrouveraau Théâtre de Privas autour de cesauteurs, de la revue et de la poésie.Parmi les derniers numéros qui ontfait date, un hommage à JacquesDupin, puis un autre consacré à HenriMeschonnic. On sent une forme decuriosité très exigeante qui nourritabondamment la revue. Mais aussiun souci d’ouverture et d’accès. Ainsi,le lien avec le territoire est toujours

Chaque année, la publication dela revue faire part est un événe-ment dans le monde de la poésie.Le prochain, consacré à Jean-Marie Gleize, sortira au prin-temps. En attendant, les quatrepoètes présents dans le numérode 2009 sont à Privas les 19 et 20mars. Rencontres et lecturesautour de leurs Parcours singuliers.

C’est une histoire d’amateurs. Depassion pour la poésie. Souvent jus-qu’à l’écriture. Alain Chanéac, AlainCoste, Jean-Gabriel Cosculuella etChristian Arthaud continuent à écrirel’histoire de faire part en toute singu-larité. La revue a plus de trente ans.Elle s’imagine et se crée quelque partdans le sud de l’Ardèche, entre ces

marqué. À travers les poètes,les artistes, toujours présentsdans la revue, et l’événementqui, chaque année, fait suiteà la publication. « Il s’agit departager quelque chose avecles gens qui vivent ici, maisaussi de conserver un lienavec la région », expliqueAlain Chanéac. L’événementdraine un large public :« Parce que c’est un momentde convivialité et que l’onpropose quelque chose dedifférent ». Quelque chose de précieuxaussi, assurément. À l’image de fairepart et de son format presque carré(21 X 22 cm), grand ouvert aux écri-tures poétiques et artistiques toutà fait « singulières ». L. B.

Faire part n°24-25 Parcours singuliers25 €

« Privas en poésie »19 & 20 marsRencontres-lectures-colloque Autour de Jean-Marc Baillieu, Patrick Beurard-Valdoye, Nicolas Pesquès et Caroline Sagot Duvauroux.En partenariat avec le Théâtre de Privas.

Exposition du 12 mars au 10 avrilLe 9 avril à 18h : clôture de l’exposition et présentation du numéro 2010 de la revue faire part.

Week-end de poésie au Théâtre de Privas

En guise de faire part

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Chambre pour voie lactée, une œuvre d’Anne Deguelle.

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livres & lectures /poésieCar la poésie deBouquet est d’abordcela : une longuesuite d’instantanésqui se télescopent à lavitesse de l’éclair(«  pas même uneseconde immobiles leschoses ») et qui visent,et parviennent, à faireentendre la polypho-nie d’une ville (NewYork), ses voix surgies

de nulle part, ses rencontres futiles-furtives : «  ils parlent à peine meslangues ni moi La leur, tant mieux ».Un long poème fait de conversa-tions  improbables qui ressembletantôt à un SMS d’amour lent, tantôtà un thrène effréné, quand on n’en-tend pas le « murmure chantonné desauterelles ». Comme des brins et desbris de notre contemporain. R.-Y. R.

Stéphane BouquetNos AmériquesChamp Vallon92 p., 12 €ISBN 978-2-87673-521-7

InstantanésSi Stéphane Bouquet était photo-graphe, il serait sans doute Araki-le-Japonais, Araki jamais à cours depellicule, qui prend des photoscomme on prend l’air, circule au 1/100e

de seconde sur l’autoroute de la viecourante, multipliant les points de vuesur les corps, aiguisant la pierre dudésir sur l’angle des images. Des haï-kus de paille, comme des fétus : « Lesflocons du battement cardiaque Je mesuis assis dans le poème vigoré Sousl’hospitalité gratuite des arbres ».

Aimez-vous lamer, le tango.Tango und Meer.d’Annie Salager

Oui, nous l’aimons cette mer écritedu poème, qui forme un peu plusque sa matière ou sa mémoire, salangue en vérité, celle-là mêmequ’Annie Salager nous fait entendredepuis toujours et que nous retrou-vons, intacte, dans un recueil légercomme l’écume : «  Belle langueaspirant à nourrir de ses poissons /l’introuvable silence de l’être / muepar sa vivacité / mutante mutiléemusicienne ». R.-Y. R.

Éditions En Forêt/Verlag im Wald, 34 p., 5 €ISBN 978-3-941042-14-8

Sais pasde Monika Demange (dessins de Denis Pouppeville)

Sais pas : le titre le dit peut-êtred’emblée et irrémédiablement, quia perdu son Je, comme l’ombre seserait détachée du corps. Elle, ou Il,a pour nom une mère ou un amourmort, ou peut-être les deux qui sejoignent en un seul et même être :«  Quelque chose me manqueQuand… m’aime Est-ce toi ou moi ».La poète tente parfois de reprendrele dessus, mais elle n’est pas dupe.Les mots sont la plaie et le couteau,comme la marque d’un deuil quin’en finit pas : ils auront toujoursune « langueur d’avance ». R.-Y. R.

Atelier du Hanneton, 84 p., 16 €ISBN 978-2-914543-18-7

Avec Foulées douces (Éditions LesCarnets du Dessert de Lune), Jean-LouisJacquier-Roux signe son penchant pourl’Italie à coups de notes et ses Carnetsd’Ombrie résonnent longtemps, aurythme de ses pas ; Autre voyage, tran-sition idéale de la marche au poème,du paysage à la vision, celui qu’accom-plit Lionel Bouchet, dans son recueil àla fois de sagesse et d’onirisme, Contesdu miel et des astres neigeux (À plusd’un titre éditions) ; Avec Limpidité dupeu (Éditions de l’Atlantique), JackiePlaetvoet poursuit, quant à elle, le che-min qui la conduit vers un « poétique-ment essentiel » ; Oublieux converti(Alidades), tel est Claude Salomon,plasticien et poète, qui pratique lapoésie en jouant de l’aphorisme :« Prendre son destin en main supposeune solide passion pour le concret etla vie domestique » ; on signalera parailleurs, le numéro 139 de la revueVerso, avec de très nombreuses contri-butions sur le thème « Chemins quitraversez les murs ». L. B.

parutions

Compagnie Diradà : danse & poésie

Les mots dans la peauEn 2007, Giovana Parpagiola et Betty Bertrand ont fondé la compagnieDiradà, qui tisse avec délicatesse et inventivité les fils de la danse et de lapoésie contemporaine. Dans leurs créations, le texte est à la fois une parti-tion sonore et un réservoir d’images. Les deux danseuses développent desformes variées en « un geste à la fois poétique et politique » : spectacles, instal-lations vidéo, livres-objets ou livres dansés. Le répertoire contemporain utiliséest large, dépassant la poésie sonore et s’attachant à faire entendre des écri-tures portant une « dimension corporelle et sensorielle ». Affaire de souffle,de rythme, de matière. Paroles lues, murmurées, dansées, souvent dans unegrande proximité avec le public. La compagnie se produit régulièrement dansles lieux du livre (fêtes du livre, librairies), mais aussi dans les écoles. Pendantle Printemps des poètes, à Lyon,on pourra découvrir deux ins-tallations. Et il faudra attendreavril et juin pour les voir,comme l’écrit Christian Prigent,« incarner la langue dans l’in-tranquillité du corps ». M. B.

Printempsdes poètes« La question n’est pas de débattres’il y a ou non une poésie féminine,mais de mettre en lumière l’ap-

port, à travers l’histoire, des femmespoètes et leur présence remarquabledans la création contemporaine. »C’est ainsi que Jean-Pierre Siméon aprésenté la thématique « Couleurfemme » du Printemps des poètes2010, du 8 au 21 mars.Focus sur quelques temps forts enrégion, en écho au thème… ou pas !Le même Jean-Pierre Siméon donneraune conférence à la médiathèque deValence : « Écrire, éditer de la poésieaujourd’hui  », en présence de Jean-François Manier, directeur de CheyneÉditeur (le 17 mars à 18h).À Bourg-en-Bresse, l’associationRésonances contemporaines propose unprogramme autour de Bernard Heidsieck,figure fondatrice de la poésie sonore.L’occasion de plonger dans cette « poésie

debout ». Rendez-vous à la Tanneriele 16 mars à 12h30.Dans le programme très fourni duPrintemps à Lyon, coordonné parl’Espace Pandora, on retiendra lasoirée d’ouverture du 8 mars(19h30) au NTH 8, qui rassembleraauteurs, comédiens et musiciensautour du thème.Pour ceux qui en redemanderaient,mars verra aussi resurgir la Semainede la langue française et de la fran-cophonie, qui aura finalement lieudu 20 au 27 mars, avec pour lapremière fois la mise à l’honneurdu slam (24 mars). M. B.

www.printempsdespoetes.comwww.bm-valence.frwww.resonancecontemporaine.orghttp://espacepandora.free.fr

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Livre tactile et sonore du 9 au 13 marsLibrairie Ouvrir l’œil 18, rue des Capucins, 69001 Lyon

Tendre l’Oreille, installation vidéoet son, 11 mars de 18h à 20h et12 mars de 17h30 à 20h Librairie À plus d’un Titre 4, quai de la Pêcherie, 69001 Lyon

http://compagniedirada.jimdo.com

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ÉDITIONS STÉPHANEBACHÈS

Partagez vos tartesde Sonia Ezgulian ;Emmanuel Auger, ill.Une nouvelle série dans lacollection Gourmande.« Partagez ! » regroupe deslivres de recettes ludiques àdécouper. Autour de plus de100 recettes de tartes saléesou sucrées, ce premier titredécline en toute simplicitéconvivialité et partage.collection Partagez !

280 p., 19,90 €ISBN 978-2-35752-066-0

CHAMP VALLON

Engrenages.Anthropologie desmilieux techniques (1)de Jean-Claude BeauneGrand spécialiste de laphilosophie destechniques, Jean-ClaudeBeaune consacre cetteétude minutieuse à lasynthèse de ses travaux surla question de l’Homme entant que travailleur et surles interdépendances entrelui et l’automatisationcroissante de la technique.collection Milieux

585 p., 29 €

ISBN 978-2-876735-18-7

l’association Les amis deJean Saussac et le Parcdes Monts d’Ardèche.Marie Bachy, historiennede l’art, apporte sacontribution en éclairant60 années de création.

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LIEUX DITS

Lyon au fil de la soiede Catherine PayenPartez à la découverte ducentre historique de Lyonà travers l’industrie textilequi a fait sa renommée.

128 p., 14 €ISBN 978-2-914528-76-4

Suspendre avec un ballon lamarche du monde, arrêter letemps et le deuil, se soustraireaux diktats des gardiens de larévolution ou à la misère sansespoir : autant d’échappées mira-culeuses que le texte laisse entre-voir. Une mention particulière àla troisième nouvelle, où unefamille de Buenos Aires cherche

les moyens de disperser sur lapelouse de la Bombonera lescendres du grand-oncle, sup-porter absolu du Boca.Après des débuts plutôt doux-amers, Fred Paronuzzi s’ache-mine vers des zones plus franches,voire plus nues. Un style dépouilléqui convient aux souffranceset aux espoirs qu’il décrit. Surle terrain des mots, cet auteurva décidément droit au but.Danielle Maurel

Droit au butIl y a le foot du spectacle, de l’argentet de la violence. Et il y a le foot lan-gage universel. Avec Terrains minés,Fred Paronuzzi ramène le lecteur àce code fraternel. Il le promène pourcela du nord de la France à BuenosAires, de l’Iran à Dubaï, d’un petitvillage d’Afrique à une banlieueanonyme. Dix nouvelles pour dixhistoires simplement humaines. Le premier texte donne le ton, justeet sans fioriture. Rebelo fait défiler lefilm terrible qui l’a conduit d’unesimple panne de voiture à l’enrôle-ment dans les rangs de l’armée amé-ricaine. Direction l’Irak en guerre, où,lors d’une opération de propagande,le jeune soldat est soufflé par uneexplosion. Juste avant l’attentat, il ya eu ce moment de grâce, ce ballonincongru, et ces quelques passescomplices entre le garçon venu du« Brasil » et un enfant irakien.

Fred ParonuzziTerrains minésÉditions Thierry Magnier140 p., 9,50 €ISBN 978-2-844-208040

Sous laTerreur,l’intimeMarie Roland et Sophie Grandchampse sont rencontrées au Club desjacobins. Leurs convictions républi-caines les ont rapprochées, maiselles ont aussi éprouvé une forteattirance réciproque. Danièle Rothprête sa plume à Sophie qui raconteleur histoire – ou plutôt leur non-histoire – après que Marie a étéguillotinée. Cette déploration amou-reuse dans la langue de l’époque etaux accents parfois raciniensmontre une Sophie, pourtant fortsavante, qui ne parvient pas à sedépartir d’un complexe d’infério-rité, y compris au plan idéologique ;et une Marie aussi courageusequ’oublieuse et sentencieuse.Danièle Roth connaît les mémoiresde Marie (publiés sous le titre Appelà l’impartiale postérité !), elle a sansdoute eu accès aux souvenirsinédits de Sophie (publiés parClaude Perroud en 1899), elle a

lu Sainte-Beuve etMichelet, regardéGreuze. Elle en tireune interrogationfeutrée sur le désirlesbien, sur la condi-tion féminine, surles contradictions defemmes qui, sous laTerreur, ne se vou-laient plus aristo-crates que par l’es-prit, continuaient à

détester l’Ancien Régime, mais suc-combaient parfois à leur méprispour le peuple.Comme elle l’avait déjà fait avecBloomsbury, côté cuisine et L’Annéede fête, l’année de Lou, elle s’attacheà l’intime, au menu, elle écrit depuisles coulisses. Mais les détails qu’elledonne sont toujours parfaitement« définitifs et suffisants ». Ainsi resti-tue-t-elle à merveille ce temps oùle bonheur public et non privé devaitseul occuper les esprits et où allerde Paris à Villefranche-sur-Saône(région d’origine de la familleRoland) en malle-poste et coched’eau prenait trois jours. Catherine

Goffaux-H.

Danièle RothMarie Roland et Sophie GrandchampDeux femmes sous la RévolutionL’Harmattan128 p., 11 €ISBN 978-2-296-10654-3

livres & lectures /romans

nouveautés des éditeursÉDITIONS CRÉAPHIS

Les Femmes célèbressont-elles des grandshommes comme les autres ?de Christel SniterPremier titre d’unenouvelle collection, ce livretraite de l’histoire politiquede la reconnaissance des femmes à travers la cinquantaine de statueset monuments ayant étéédifiés à Paris pour leshonorer.collection Silex

500 p., 25 €ISBN 978-2-35428-022-2

Sélection des nouveautés des éditeurs de Rhône-Alpesréalisée par Émilie Pellissier

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ÉDITIONS DU CHASSELÉDITIONS DE L’IBIE

Jean Saussac, le peintrede Marie BachyCe catalogue, regroupantplus de 700 tableaux de JeanSaussac, est issu d’un travailde collecte entrepris par

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PUBLICATIONS DE L’UNIVERSITÉ DE SAINT-ÉTIENNE

S’approprier les lieuxHistoire et pouvoirs : laresémantisation des édificesde l’Antiquité au mouvementde patrimonalisationcontemporain

Sous la direction d’Yves PerrinAbordant la question de laréutilisation des édifices etdes décors légués par lepassé, les contributeurs de ce volume collectif ontpour objectif de cernerl’historicité de l’engouementactuel pour le patrimoine.collection Travaux du CERHI

304 p., 26 €ISBN 978-2-86272-525-3

SYMÉTRIE

Liszt, virtuosesubversifde Bruno MoysanUne étude qui met enlumière le travail menépar Franz Liszt dans legenre musical de lafantaisie de 1830 à 1848 et dresse à travers lui un portrait de toute lahaute société parisiennependant la Monarchie de Juillet.collection Perpetuum mobile

304 p., 45 €ISBN 978-2-914373-41-8

TERRE VIVANTE

La Rénovationécologiquede Pierre LévyDe nouvelles solutions de rénovation, pour destravaux écologiques, sontillustrées d’exemples variés.collection Habitat-Expert

256 p., 35 €

ISBN 978-2-914717-76-2LA TAILLANDERIE

Toitures de rêvede Patrick Seurot ; GéraldGambier, photographiesLa France vue du toit…Voyage autour de 400toitures polychromesvernissées réparties dans 40 départements.

168 p., 38 €ISBN 978-2-87629-234-5

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regard

Chaque mois, retrouvez Géraldine Kosiak, en texte et en image, pour un regard singulier, graphique, tendre et impertinent sur l'univers des livres, des lectures et des écrivains...

Au travailEn cuisineEn 1990, je m’échappe de France et je pars vivreun mois à New York.J’habite Harlem, sur la 110th Street. Rapidement,à l’angle de la 112e et de Broadway, je découvreles meilleurs œufs brouillés au jambon et jus d’oranges pressées du monde.En France, je n’ai jamais pris depetit déjeuner et, pour la premièrefois de ma vie, je vais mangertous les matins dans ce typiquespanish café, au comptoir, sur untabouret en simili cuir rouge.Les couleurs du bar me font pen-ser à l’ambiance du film Meurtred’un bookmaker chinois de JohnCassavetes. Je suis au paradis etje dessine le ventre plein.En 1934, Gertrude Stein séjourne sept mois aux États-Unis, pour donnerune série de conférences à travers le pays. Elle a décidé qu’elle n’accepte-rait de déjeuner ou de dîner avec personne avant ses interventions.Personne, sauf Alice Toklas, sa compagne. Elles mangeront seules, etquelque chose de simple, s’il vous plaît. Le premier soir, Gertrude com-mande pour le dîner des huîtres et un melon Honey-dew. Au cours de sonvoyage à travers les douze États, elle s’écarte aussi peu que possible dece premier menu. Ce régime strict ne vaut que les jours de conférences.

Le reste du temps, Gertrude et Alice font bien meilleure chère avec desamis, chez eux ou au restaurant. Durant ce séjour, elles mangent, entre

autres : une soupe de tortue claire, un pudding de riz, unhomard archiduc, un pudding nid d’oiseau, des huîtresRockefeller, de la gelée de groseille au maquereau, unsoufflé glacé. Elles goûtent pour la première fois du rizsauvage et boivent le thé avec une infinie variété decanapés chez Francis Scott Fitzgerald.

Gertrude Stein avait beaucoup hésité avantd’accepter ce séjour aux États-Unis. Unedes questions qui la préoccupaientétait celle de la nourriture. Serait-elleà son goût ? Dans Le Livre de cuisined’Alice Toklas, celle-ci relate cette

hésitation : « Un jeune homme duBugey qui venait de rentrer d’un

court séjour aux États-Unisnous avait raconté que la

nourriture lui avaitsemblé plus étran-

gère que les gens,leurs maisons ou

leur mode de vie. »Il faut comprendre la

place qu’occupa l’art decuisiner dans la vie de ces

deux Américaines, durant lesnombreuses années où elles

vécurent en France, dans le Bugey particulièrement. « La France, c’est lesciels et la cuisine », écrivit Gertrude Stein. Elle se référait au style plus encorequ’au goût. Confirmant au passage que la recette est un « genre littéraire »à part entière, avec ses codes, ses énoncés, son matériau et son happy-end.Qui en doute aujourd’hui ?

Le Livre de cuisine d’Alice ToklasLes Éditions de Minuit

Géraldine Kosiak 12 /chronique

VOIX D’ENCRE

Écrire et peindre au-dessus de la nuit des motscollectifCette anthologie fait échoaux 20 années de travaildes éditions Voix d’encredans la mise en scène depeintres et de poètes ausein d’un même espacetypographique. Pas moinsd’une soixantaine depoètes et d’artistescontemporains forment ici des duos poétiques etmystérieux. Créer, commel’écrivait René Char, c’estvouloir voler au-dessus de la nuit des mots.

184 p., 29 €ISBN 978-2-35128-055-3

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liberté d’information comme valeur nodale,la nécessité d’apprendre tout au long de lavie (le self-improvement, le self-made man),l’habitude de s’impliquer dans la viepublique, etc., contribuent à faire de laPublic Library un outil utile et proche de lapopulation. Là-bas, les bibliothèques sont àla fois appréciées, soutenues et fréquentées.Chez nous, la population reste trop souvent

à distance – physiquement, intellectuelle-ment et symboliquement. Et, en effet, cettedistance a des raisons profondes, politiqueset sociales : l’image de la bibliothèque muni-cipale que l’on connaît aujourd’hui estencore très largement attachée à l’école,avec ses échos de contrainte, d’ennui, de« non merci, ce n’est pas pour moi » !

De nombreuses bibliothèques françaises ontfait largement évoluer leur offre, notammenten matière culturelle, tentant ainsi des’adresser à des publics qui ne fréquententpas la bibliothèque. Mais ne risque-t-onpas de passer du temple du savoir à l’aubergeespagnole, sans pour autant faire évolueren profondeur l’image que véhicule labibliothèque ?Dans le cadre de leur modernisation, qui se déve-loppe depuis trente ou quarante ans, les biblio-thèques municipales ont, en effet, largement faitévoluer leurs fonctions. Elles se sont ouvertes àune large culture (des romans classiques au rap),elles proposent des supports très variés (deslivres à Internet), elles offrent des services éten-dus (sur place, à distance, personnalisés, hors lesmurs). Elles ont voulu rompre avec un certain

élitisme, avec la fréquentation d’un public tout-acquis, avec une offre culturelle monolithique, etont réussi. Mais, c’est ce que montre mon travail, cefaisant, elles ont empilé des ruptures : avec labibliothèque savante, avec la culture lettrée,avec toute fonction symbolique. Elles n’ont pas(pas encore) réussi à construire positivementune alternative attractive, qui fasse d’elles autrechose que des « FNAC gratuites », mais aussi des

maisons du savoir, deconstruction de soiet de citoyenneté. Cequi ne veut pas diredes repoussoirs ! Maisdes endroits utiles àtous et qui peuventen même temps êtreagréables !

Au terme de votreétude, quel regardglobal sur la situa-tion française desb i b l i o t h è q u e spubliques vous per-met ce détour par lesÉtats-Unis ?Que la légitimité desbibliothèques leurvient de leur utilitépolitique et socialeplus que de leurrôle culturel ou ded i ve r t i s sement .

Qu’il faut reconstruire un projet et porter undiscours sur cette légitimité. Que c’est intéres-sant et urgent.

Vous êtes à la tête de l’institution qui forme lesbibliothécaires de demain. Peut-on imaginerque ces nouvelles générations seront plus àmême de faire évoluer la bibliothèque vers unlieu qui suscite davantage la sympathie et ledésir chez les citoyens, à l’image des PublicLibraries américaines ?Oui, je vois chez ces futurs professionnels beau-coup d’implication, de réflexion, de sens duservice public. Je leur fais confiance pourcontribuer à inscrire les bibliothèques dans un

projet politique.Propos recueillis par L. B.

C’est un livre qui fera réfléchir tous ceux qui sontconcernés par les problématiques de la lecturepublique. Anne-Marie Bertrand, directrice del’ENSSIB, est l’auteur de Bibliothèque publique etPublic Library, un essai de généalogie comparée danslequel elle observe le modèle américain, afin demieux décrypter les limites et les faiblesses dumodèle français. Un peu d’air dans les rayonnages…

Quelle idée poursuivez-vous en proposant aujour-d’hui cette généalogie comparée des bibliothèquesfrançaises et américaines, dans un contexte natio-nal relativement morose, où l’on s’interroge sur lespratiques de lecture et l’avenir de la lecture publique ?Le « aujourd’hui » est un peu décalé : j’ai mené cetterecherche à partir de 2005 ! Déjà, il y a cinq ans, jem’interrogeais sur les spécificités des bibliothèquesfrançaises, en matière d’offre, d’architecture, de pro-jet culturel (tous éléments positifs) et de fréquenta-tion, c’est-à-dire d’insertion dans le paysage social(élément négatif ). Il m’a semblé alors pertinent desortir du bocal français pour trouver des clés d’intel-ligibilité à cette situation paradoxale. La comparai-son avec les bibliothèques américaines s’est impo-sée à moi, en raison à la fois de la proximitéhistorique et politique entre nos deux pays et del’écart entre la réalité de nos bibliothèques publiques :c’était la bonne distance entre le proche et le lointain.

18 % d’inscrits dans les bibliothèques municipalesen France, 58 % en Grande-Bretagne, 60 % enSuède, 66 % aux États-Unis… Votre livre montrefort bien que l’on ne peut pas saisir la placequ’occupent les bibliothèques dans la sociétéfrançaise ou américaine en se contentant d’unregard sur l’histoire des techniques, des institu-tions ni même des politiques publiques. Aucontraire, vous mettez en avant des questions depolitique et de société très profondes, liées à lanature de la démocratie, du pouvoir, de lacitoyenneté… Que nous apprend l’analyse com-parée sur ce point ?Il y a forcément un jeu croisé de facteurs pour expli-quer la place des bibliothèques dans une société don-née. L’analyse de la situation (politique, sociale, symbo-lique) des Public Libraries américaines amène, en miroir,à enrichir les interrogations sur les bibliothèques fran-çaises. Par exemple, aux États-Unis, comme vous le sou-lignez, la réalité des communautés (qui ne sont pas for-cément ethniques !), la vigueur de la vie associative, la

bibliothèques

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Anne-Marie Bertrand : essai de généalogie comparée

Bibliothèquepublique VsPublic Library

Anne-Marie BertrandBibliothèque publiqueet Public LibraryEssai de généalogiecomparéePresses de l’ENSSIB186 p., 34 €ISBN 978-2-910227-78-4

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portrait

Qui suis-je, d’oùviens-je… ?Nom de famille, le nom. La col-lection des éditions Archives &Culture consacrée à l’origine desnoms de famille par départe-ment a des allures de cabinet de

curiosités. On croise ainsi dans leRhône des Colomb et des Collomb,à l’origine sans doute des éleveurs depigeons (Columbus), des Giraud etdes Giroud (d’origine germanique,Girwald), et beaucoup de Rousseau,« un patronyme très répandu attribué

à l’origine à une personne rousse » –67 000 porteurs de ce nom en Francetout de même. Côté Savoie, Blanc esten tête… (deuxième derrière Martindans le Rhône. Le blanc de Savoie estdonc plus fameux). On s’amuseraaussi d’apprendre que Berger a deuxorigines possibles : le « berger dutroupeau » ou le « mot allemandBerger qui signifie le montagnard. »Berger, John, écrivain anglais vivantdans le département depuis trenteans, sera ravi d’apprendre qu’il estvenu jusqu’ici concourir bien malgrélui à l’identité régionale. Mais on

pourrait là aussi en débattre… Etpuis, dernière statistique notoire,près de 20 % des patronymes deSavoie proviennent de sobriquets :Gerfaud (cupide), Jay (vantard),Charvet (chauve), Clavel (à la peauvérolée), Jarret (qui boite), etc. Déjàtout un poème. Un volume pardépartement et des réponses àtant de questions existentielles etphilosophiques… Bonzon Laurent

www.archivesetculture.fr

Livre & Lire : journal mensuel, supplément régional à LivresHebdo et Livres de France, publié par l'Agence Rhône-Alpespour le livre et la documentation.

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ZigzagAlain Fisette est en résidence à Lyon et franchementvous devriez en profiter pour le rencontrer…C’est un oiseau rare de la poésie québécoise. Éprisde cinéma, de bande dessinée et du roman noiraméricain, il dégaine son humour plus vite que sabière, dont il est un spécialiste. Respect.

«  Ma poésie est plus américaine que française… »Comme ça, d’entrée de jeu. Alain Fisette met tout lemonde à l’aise. Bienvenue en francophonie ! Il est sixheures du soir dans ce bistrot de Lyon et le jour se noiedans son verre de Leffe. Il y a de la malice chez cethomme. Une discrétion tranquille et provocante, unefaçon de surgir là où on ne l’attend pas, dans le creux,dans le décalage. Trouver la lumière dans l’ombre. Unpeu comme Clouzot, tiens, spécialiste du noir. « C’est luiqui m’a le plus influencé dans mon écriture », dit AlainFisette. Un cinéaste pour un poète… Est-ce qu’on ne semoquerait pas un peu du monde ? Non. Il est sérieux.Les Diaboliques, Quais des orfèvres, Le Corbeau…Ambiguïté, férocité, noirceur totale. Dans ses écrits, AlainFisette injecte l’humour à dose massive. Je suis unfumier !, Tous mes lecteurs sont morts, sont deux de sesrecueils. On ne s’y ennuie pas.Ses poèmes sont des histoires. De vie, de sexe, d’alcool,d’amitié. Elles racontent des personnages, s’attachent auquotidien, évoquent le monde tel qu’il est, jonglent avecles douleurs. Mais sans s’attarder. Pas (trop) de sentiment.« J’aime que le poème soit efficace, lisible », explique AlainFisette. Provocant aussi, on ajoute… Il est d’accord.L’homme de Ville-LeMoyne aime provoquer. C’était labanlieue la plus pauvre de Montréal. Il y est né en 1955,il y a grandi. Sa mère est morte quand il avait cinq ans.Sophia Loren a pris sa place. La nouvelle femme de son père– un menuisier au physique de Lee Marvin – ressemble àl’actrice italienne. Lee et Sophia est le titre du dernierrecueil d’Alain Fisette, sorti en 2009. « Jusqu’à ce dernierlivre, on me trouvait encore sympathique. Cette fois, c’estmoi qui distribue les taloches… » Règlement de compteà O.K. LeMoyne. « Moi qui avais juré de ne plus le revoir

de Ginsberg, Bukowski, McClure,avec vue permanente sur L’Hommeapproximatif, de Tzara, et Opium, deCocteau. Des références qui ressem-blent à un cocktail molotov. AlainFisette a trois mois tranquilles pourfaire poétiquement tout sauter. Et ily en a qui croient encore que la rési-dence à Lyon, c’est la promesse d’unséjour sans histoires. Laurent Bonzon

Excellent lecteur, Alain Fisette participera avecune dizaine de poètes (dont Tahar Ben Jelloun,Hélène Dorion, Müldür Lale, Jany Cotteron…) à une grande soirée de lectures musicales à l’Opéra de Lyon, le 11 mars à 20h30. Puis il sera au café littéraire de la Librairiecentrale de Ferney-Voltaire, le 25 mars à 20h30,en compagnie de Joël Bastard.

lors de mes anniversaires, il a réussi à m’avoir à ses côtéstoute la journée de mon trente-deuxième, bien installédans son cercueil. » Écrit à propos de la mort du père,dans l’« Épilogue » du recueil, qui s’achève ainsi :« Jamais remariée, Sophie continue d’être une mèreformidable. »

La culture plutôt que l’armement…

L’humour par-dessus la pudeur. C’est comme un matchde Hockey, ça permet de se défouler et ça fait toujoursdu bien. Alors que son frère choisit les sciences etque sa grande sœur est secrétaire, lui, ce sera leslettres. Toujours moins difficile que la géographie…Même si, à la maison, les livres ne quittaient jamaisla boîte à jouets.Ce sont les années 70, parfum de fêtes et d’adoles-cence attardée. Le temps passe vite. À la fac, onadmire Barthes et Lyotard, la poésie est au forma-lisme. Le premier livre du jeune homme est imprimésur de la pellicule. Hommage au cinéma noir : OrsonWelles, Billy Wilder. Ça n’ira pas beaucoup plus loin.« Je n’avais rien à dire et je faisais d’autres choses… »Participer à des fanzines, faire la foire… Petit boulotde documentaliste dans les institutions gouverne-mentales, avant de fonder Zigzag, « la compagnie quiboit plus que ses bénéfices… » En vrai, une société quifait d’Alain Fisette le représentant au Canada des bras-series européennes. On comprend pourquoi la Leffe…Mais la bière et les voyages n’ont qu’un temps. En 1993,il abandonne pour devenir rédacteur de discours pourle ministre de la Culture canadien. Un anglophone pourqui il faut éviter les mots français de plus de trois syl-labes et à qui il fait régulièrement citer Burroughs…Le genre de contraintes qui vous forment un poète.Court, clair, percutant. Aujourd’hui, Alain Fisette conti-nue sa carrière dans l’administration culturelle. « C’esttout de même mieux que de travailler dans l’armement »,dit-il avec grand sérieux.Son arme, à lui, c’est la poésie. Et ça bastonne. Sousinfluence du roman noir pour cause d’univers désen-chanté et de modernité galopante, de violence et depetitesse humaine. Une vision urbaine du poème, héritée

Directeur de la publication : Geneviève Dalbin

Rédacteur en chef : Laurent Bonzon

Assistante de rédaction :Marion Blangenois

Ont participé à ce numéro : Jean-Emmanuel Denave, Catherine Goffaux-H.,Géraldine Kosiak,Danielle Maurel, Émilie Pellissier, Patrick Ravellaet Roger-Yves Roche.Remerciements à la CompagnieDiradà et à Giovana Parpagiolapour les photographies.

Livre & Lire / Arald 25, rue Chazière - 69004 Lyon tél. 04 78 39 58 87 fax 04 78 39 57 46 mél. [email protected] www.arald.org

Siège social / Arald1, rue Jean-Jaurès - 74000 Annecy tél. 04 50 51 64 63 - fax 04 50 51 82 05

Conception : PerluetteImpression : ImprimerieFerréol (Imprim'Vert). Livre & Lire est imprimé sur papier 100% recyclé avec des encres végétales

ISSN 1626-1331

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