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livide Parce que leurs efforts sont loin d'être aussi concluants qu'ils pourraient l'être, Maury et Bustillo font des films embarrassants. Embarrassants dans le sens où leurs problèmes dépassent les limites de leur propre bout de celluloïd pour participer du, disons, particularisme de la production dite de genre en France. Et lorsqu'ils en "participent", c'est autant en tant que  perpétrateurs qu'en tant que symptômes qu'ils le font. En France, le Genre (par là on entendra tout ce qui ne s'ingénie ni à singer la Nouvelle Vague ni à émuler les grosses comédies des années post-Hunebelle : c'est-à-dire le polar, l'action, le fantastique, l'horreur, l'ensemble des cultures de l'imaginaire, etc.) est devenu un problème d'ordre idéologique, notamment en ce qui concerne le fantastique ; et l'idéologie les mecs, c'est pas loin d'être ce qui peut arriver de pire dans le monde du cinéma. Or, dans une certaine mesure, ce placement idéologique s'est fait en grande partie par les défenseurs proclamés du cinéma de Genre, frange critique en tête, rendue folle à force de frustrations accumulées sur trente années de quasi-bannissement. Bien entendu cela n'a fait que braquer d'autant plus les membres de "l'autre camp" (instances publiques de financement, critique bien mise des grands quotidiens ou des magazines culturels) dans leur inexpugnable et coupable mépris de cinémas trop peu élitaires pour leurs pupilles délicates. Et ça fait un peu plus de 15 ans maintenant que cette logique binaire de factions amies et ennemies s'est vue exacerbée outre mesure de manière presque parfaitement artificielle. Dans le coin droit, toujours plus de mépris, de dénigrement et de revendication d'inculture des sujets traités (si les pensionnaires du Cercle ou de feu l'émission de Moati sur la 5 nous lisent, bonjour), et dans le coin gauche, une véhémence exponentielle, consistant souvent à encenser par principe toute production de genre francophone, même en dépit de criantes carences à bien des reprises, le tout teinté par les querelles de clochers qu'on ne trouve qu'entre les groupuscules de lutte politique ou indépendantiste. On aura ainsi vu, médusés, tantôt porter au pinacle des Z mal branlés, tantôt roués de coups des efforts méritoires, avec pour effet de décrédibiliser dans son ensemble le fantastique à la française aux yeux des publics et des professionnels (une interview d'un dirigeant du CNC, il y a une paire d'années, se closait par un tonitruant "on ne lit même pas ce type de projets", ce qui donne une idée de la confiance qu'on inspire), contribuant à reléguer l'imaginaire cinématographique hexagonal à une stricte économie de prototypes. C'est justement dans ce contexte que le film du duo Maury/Bustillo pose souci. Car on ne peut ni ignorer le passé de critique (excellent) au sein de Mad Movies de Bustillo, précisément à la  période où le journal se faisait fer de lance d'une lutte contre une nuée de sectateurs téléramesques, ni le profil de Maury, étonnamment proche de celui d'un Valette en début de carière. L'optique militante ("Défendons le Genre!") dans laquelle les deux travaillent ostensiblement les mène malheureusement à un certain dilettantisme, ou du moins une auto- indulgence très gênante vis-à-vis de ses résultats effectifs. Et en premier lieu, le souci rédhibitoire de Livide, qui était aussi celui du film précédent : C'EST. MAL. ECRIT. Oui, dis comme ça c'est lapidaire et ça paraît simpliste. Mais force est d'admettre qu'en l'état le scénar de Livide ressemble plutôt à un premier jet qu'à autre chose. Dialogues manquant cruellement d'oreille (pas aidés par le jeu très Cours Florent des jeunes héros), incohérences spatiales, temporelles et thématiques béantes, caractérisation infantile quand il y en a une,  profusion au petit bonheur la chance d'éléments mythologiques qui vire benoitement au

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livide

Parce que leurs efforts sont loin d'être aussi concluants qu'ils pourraient l'être, Maury et

Bustillo font des films embarrassants. Embarrassants dans le sens où leurs problèmes

dépassent les limites de leur propre bout de celluloïd pour participer du, disons, particularismede la production dite de genre en France. Et lorsqu'ils en "participent", c'est autant en tant que

 perpétrateurs qu'en tant que symptômes qu'ils le font.

En France, le Genre (par là on entendra tout ce qui ne s'ingénie ni à singer la Nouvelle Vague

ni à émuler les grosses comédies des années post-Hunebelle : c'est-à-dire le polar, l'action, le

fantastique, l'horreur, l'ensemble des cultures de l'imaginaire, etc.) est devenu un problème

d'ordre idéologique, notamment en ce qui concerne le fantastique ; et l'idéologie les mecs,

c'est pas loin d'être ce qui peut arriver de pire dans le monde du cinéma. Or, dans une certaine

mesure, ce placement idéologique s'est fait en grande partie par les défenseurs proclamés du

cinéma de Genre, frange critique en tête, rendue folle à force de frustrations accumulées sur 

trente années de quasi-bannissement. Bien entendu cela n'a fait que braquer d'autant plus lesmembres de "l'autre camp" (instances publiques de financement, critique bien mise des grands

quotidiens ou des magazines culturels) dans leur inexpugnable et coupable mépris de cinémas

trop peu élitaires pour leurs pupilles délicates. Et ça fait un peu plus de 15 ans maintenant que

cette logique binaire de factions amies et ennemies s'est vue exacerbée outre mesure de

manière presque parfaitement artificielle. Dans le coin droit, toujours plus de mépris, de

dénigrement et de revendication d'inculture des sujets traités (si les pensionnaires du Cercleou de feu l'émission de Moati sur la 5 nous lisent, bonjour), et dans le coin gauche, une

véhémence exponentielle, consistant souvent à encenser par principe toute production de

genre francophone, même en dépit de criantes carences à bien des reprises, le tout teinté par 

les querelles de clochers qu'on ne trouve qu'entre les groupuscules de lutte politique ou

indépendantiste. On aura ainsi vu, médusés, tantôt porter au pinacle des Z mal branlés, tantôt

roués de coups des efforts méritoires, avec pour effet de décrédibiliser dans son ensemble le

fantastique à la française aux yeux des publics et des professionnels (une interview d'un

dirigeant du CNC, il y a une paire d'années, se closait par un tonitruant "on ne lit même pas ce

type de projets", ce qui donne une idée de la confiance qu'on inspire), contribuant à reléguer 

l'imaginaire cinématographique hexagonal à une stricte économie de prototypes.

C'est justement dans ce contexte que le film du duo Maury/Bustillo pose souci. Car on ne peut

ni ignorer le passé de critique (excellent) au sein de Mad Movies de Bustillo, précisément à la

 période où le journal se faisait fer de lance d'une lutte contre une nuée de sectateurs

téléramesques, ni le profil de Maury, étonnamment proche de celui d'un Valette en début decarière. L'optique militante ("Défendons le Genre!") dans laquelle les deux travaillent

ostensiblement les mène malheureusement à un certain dilettantisme, ou du moins une auto-

indulgence très gênante vis-à-vis de ses résultats effectifs. Et en premier lieu, le souci

rédhibitoire de Livide, qui était aussi celui du film précédent :

C'EST. MAL. ECRIT.

Oui, dis comme ça c'est lapidaire et ça paraît simpliste. Mais force est d'admettre qu'en l'état

le scénar de Livide ressemble plutôt à un premier jet qu'à autre chose. Dialogues manquant

cruellement d'oreille (pas aidés par le jeu très Cours Florent des jeunes héros), incohérences

spatiales, temporelles et thématiques béantes, caractérisation infantile quand il y en a une, profusion au petit bonheur la chance d'éléments mythologiques qui vire benoitement au

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catalogue, et une construction dramatique approximative non seulement en montage

séquentiel mais aussi au sein même des séquences... Le bilan est lourd, et le récit fait grise

mine. Et ce qui est énervant là-dedans, c'est qu'on sent que l'écriture est un peu bâclée parce

qu'on n'a pas vraiment eu besoin de se lever le cul à ce stade, le contexte dans lequel on

 produit l'objet suffisant à le justifier en tant que bon film, selon la logique de militantisme

victimaire exposée plus haut : si t'aimes pas mon film, c'est que t'es avec les enculés d'enface*. Vu la manière dont le buzz s'était fait sur A l'Intérieur, qui péchait aussi en premier 

lieu par sa dramaturgie (et les gars se vantaient à l'époque de l'avoir écrit en très peu de

temps), il est logique qu'on ne change pas la recette, puisque manifestement tout le monde se

contrebranle du scénar quand il s'agit d'évaluer une prod de genre en France. On voit bien

alors le paradoxe qui ne laisse d'agacer : par leur militantisme même (disons par la forme que

celui-ci prend et les comportements qu'il sert à justifier), certains défenseurs nationaux du

fantastique gaulois donnent raison aux plus crétins de ses détracteurs, puisque les deux

considèrent, finalement, que tout ça c'est pas bien sérieux et que ça ne réclame pas, par nature,

de réelle profondeur stylistique ou discursive. Rien ne justifie mieux une position donnée

qu'une opposition frontale à celle-ci, lorsque cette opposition est menée sans rigueur. Car ils

auraient les moyens, ces coquins, d'écrire quelque chose qui tient debout tout seul, avec à peine plus de boulot, mais un peu plus de remise en question et d'artisanat.

On sent, surtout, que ce problème d'écriture, outre qu'il découle en partie des modes de

financement de par nos contrées (en gros, une fois un projet difficilement greenlighté, on a

tellement les jetons que ça capote qu'on n'ose plus amender le script, moitié pour pas froisser 

les gens qui ont approuvé le premier jet, moitié pour pas se porter la poisse), vient un peu d'un

mélange de paresse et d'orgueil "conjoncturels" de la part des auteurs. C'est que ce mélange

semble être, encore une fois, le produit d'un contexte et notamment d'un encensement

disproportionné d'A l'Intérieur par toute une cour de flagorneurs plus ou moins sincères, car 

Bustillo/Maury, eux, on l'air de surtout vouloir faire leur truc - mais de ne jamais rencontrer 

que des encouragements qui ne font pas avancer le bousin et ne poussent pas à l'amélioration

de leurs acquis. Mais ils l'air aussi de se laisser flatter dans le sens du poil et de ne pas trop se

 poser de questions de modus operandi. Ainsi on se retrouve à nouveau avec des featurings

 plus ou moins pertinents de guest-stars qui viennent s'encanailler (Catherine Jacob est

définitivement en mode téléfilm, Pietragalla ne bouge quasiment pas), des persos de

vingtenaires unidimensionnels au possible auxquels il est impossible de s'identifier passée

l'adolescence et sa propension à la pose de bad boy, des bouts d'histoires très mal amenés et

sans lien avec rien d'autre dans le récit (la mère suicidée qui ne sert qu'à faire venir Béatrice

Dalle sur le plateau, les petites filles disparues dont tout le monde se fout), et bien entendu des

erreurs qui confinent à la bouffonnerie tant elles sont grossières. Par exemple : les évènements

concernant l'école de danse sont présentés comme ayant eu lieu dans les années quarante, et le perso de Catherine Jacob était élève à l'époque ? Elle serait donc presque octogénaire quand

Lucie la rencontre ? Il est certes vraisemblable que la séquence de flashback et la photo

trouvée dans la maison ne datent pas de la même époque, mais à aucun moment on ne nous le

signifie... vraie erreur ou grosse négligence, dans un long ça la fout mal, et y'en a plein des

comme ça. En partie aussi parce qu'ils ont eu les yeux beaucoup plus gros que le ventre, et

qu'ils n'ont pas (encore) les épaules pour porter tout ce qu'ils veulent enfoncer à coups de

masse dans leur film. Vampires, poupée vivantes, fantômes, passages dimensionnels, corps

astral, serial killer, larves d'insectes, métempsychose, et que je te cite mes films préférés pour 

montrer mon érudition et ma street credibility... Il y en a beaucoup trop, alors qu'on voudrait,

déjà, qu'on nous raconte UNE histoire, mais correctement. Ce qui bien sûr n'arrive pas, tant la

mise en scène pèche dans la transcription de l'action et surtout de l'espace, ce qui est biendommage dans un film où la maison elle-même est censée receler une grande part du sens du

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récit. Suspiria est certes une référence lourde de Livide, mais là où Argento manipulait de

manière savante les repères spatiaux du spectateur pour le perdre volontairement, Maury et

Bustillo peinent à mettre en espace leur dramaturgie, avec pour résultat une confusion dont le

drame ne s'extirpe jamais vraiment, sauf lors du très joli prégénérique et de quelques

translations simples dans un escalier ou un couloir. Pour le reste, même le talent réel de

Baxter au montage ne parvient pas à boucher les voies d'eau du découpage.

Et pourtant, il y a de réels progrès dans Livide, au niveau, surtout, du cachet visuel et de

l'imagerie, à cent lieues du look d'A l'Intérieur. Dans 95% du métrage, la direction artistique

est à tomber : les patines, les maquillages, les décors, les objets, la taxidermie et les montages

cavaliers d'éléments hétéroclites (putain, les automates sont magnifiques) pourraient suffire

dans un film ouvertement expérimental, à la narration non conventionnelle, peut-être

simplement muet. Le gros de la cohérence, de la solidité et de la force d'évocation du film

vient de sa facture visuelle de grande classe. D'ailleurs les moments ou le récit lui-même

 prend enfin du champ sont ceux où le dialogue s'efface devant une idée visuelle ou une

ambiance, pour se permettre d'être même intelligible sans être surexplicatif; alors que dans les

scènes dialoguées l'enchâssement de cours mal digérés est par moments carrémentembarrassant : la conversation sur les yeux vairons vaut son pesant d'anciens numéros des

Cahiers du Cinéma... La narration d'ailleurs, si elle n'est pas d'une tenue incontestable, est

tout de même autrement plus consistante que ce qu'on a pu voir dans le film précédent, où on

s'emmerdait à plusieurs reprises. Ici, au moins, y'a à bouffer presque tout le temps ne serait-ce

qu'au niveau de la symbolique, voire même de la poésie. Une telle réussite d'imagerie, et de

tels progrès structurels, ne poussent qu'à déplorer d'autant le marasme dans lequel ils se

trouvent englués. Espérons que dans de prochains films, les duettistes osent progresser sur 

cette manière d'écrire (ou de s'arrêter d'écrire trop tôt) qui handicape tant leurs efforts, comme

ils l'ont fait sur le sens et l'imagerie. On proposerait volontiers moins d'indulgence envers soi,

donc plus de réécritures, des relectures de scénarii par d'autres gens que leurs

corelligionnaires, et des mythologies dégraissées qu'ils puissent mettre en images de manière

carrée.

On pourra penser que ces critiques sont excessivement à charge, voire qu'elles dénigrent

gratuitement un mode opératoire et un objet filmique qui ne méritent pas tant de

remontrances. Mais c'est précisément parce qu'il y a un militantisme à avoir que de tels objets

desservent leur propre propos. Parce qu'en effet, il y a des lourdeurs et des snobismes à

combattre en France vis-à-vis des cultures de l'imaginaire, et même une réelle xénophobie

culturelle à contrecarrer. Il y a des badernes rendues préséniles par des décennies à penser 

entre soi, et qu'il conviendra de bousculer, des petits automates devenus stériles et albinos à

force de culture en cave, et qu'on pourrait éduquer, des élites autophiles bo-bo-isées àrenverser de leur microcosmes critiques et financiers. Leur donner raison, c'est les conforter 

durablement et ne rendre service à personne. Surtout quand on est capable de clouer le bec à

leurs sectarismes en se sortant juste un peu le pouce du rond. Bon, il est certain que si le

script-doctoring n'était pas considéré comme une maladie honteuse dans notre beau pays, ça

aiderait aussi.

C'est vraiment pénible de devoir dénigrer un film de genre français, on a l'impression de

frapper une espèce en danger. C'est problématique ce genre de film : si on vous dit de

pas y aller en arguant de tares réelles et même rhédibitoires, on se sent un peu social-traître, mais quel argument, à part sa beauté plastique et ses virtualités thématiques,

mettre en avant si on veut vous le recommander tout de même ? Le soutien à l'effort de

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guerre ? Voilà le fourvoiement d'un projet dont on jurerait qu'on en a sauté des étapes

en préprod. S'il avait été fini, ç'aurait pu être vachement bien.

*Comme ailleurs on a pu entendre que si on n'avait pas pleuré devant La Rafle, c'est qu'onétait sympathisant nazi...