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Par Roland S. Süssmann Nos chroniques sur les communau- tés juives à travers le monde se limitent en général à une image instantanée de la vie juive et des relations entre Israël et les pays que nous avons choi- sis de visiter. Un reportage sur la vie juive italienne ne saurait être complet sans évoquer celle de la communauté des Juifs italiens en Israël et sans visiter sa magnifique synagogue Conegliano Veneto ainsi que le superbe petit musée Umberto Nahon attenant. Aujourd’hui, environ 9000 Juifs ayant des origines italiennes vivent en Israël; 4000 sont venus directe- ment d’Italie et environ 1500 vivent à Jérusalem. Autre phénomène intéressant, quelque 10’000 jeunes Israéliens ont étudié en Italie et il y a environ 30’000 Juifs libyens qui parlent italien. De ce fait, le nombre d’italophones en Israël approche les 60’000 personnes, ce qui dépasse de loin le nombre effectif de Juifs italiens. La communauté de Jérusalem, quant à elle, compte environ 400 membres et la synagogue peut accueillir 250 personnes. En plus de l’administration de la vie communautaire et du règlement des offices, la communauté de Jérusalem joue un rôle de conservateur pour l’ensemble du ITALIE 1 «LITTLE ITALY» SHALOM/VOL.XL/TICHRI 5764/AUTOMNE 2003 Parokhet, rideau d’arche sainte, Pesaro 1620. Broderie en vermeil sur soie, frappée des emblèmes des deux familles. Offert à la synagogue à l’occasion du mariage de Rachel Olivetti avec Judah Montefiore, l’un des ancêtres de Sir Moses Montefiore.

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Page 1: «LITTLE ITALY» · 2004. 1. 13. · nel de façon formelle à la jeune génération, qui ne ... photos sur la vie juive en Italie. Celle-ci est avant tout utilisée par des historiens

Par Roland S. Süssmann

Nos chroniques sur les communau-tés juives à travers le monde se limitenten général à une image instantanéede la vie juive et des relations entreIsraël et les pays que nous avons choi-sis de visiter. Un reportage sur la viejuive italienne ne saurait être completsans évoquer celle de la communautédes Juifs italiens en Israël et sans visitersa magnifique synagogue ConeglianoVeneto ainsi que le superbe petitmusée Umberto Nahon attenant.

Aujourd’hui, environ 9000 Juifs ayant des originesitaliennes vivent en Israël; 4000 sont venus directe-ment d’Italie et environ 1500 vivent à Jérusalem.Autre phénomène intéressant, quelque 10’000jeunes Israéliens ont étudié en Italie et il y a environ30’000 Juifs libyens qui parlent italien. De ce fait, lenombre d’italophones en Israël approche les 60’000personnes, ce qui dépasse de loin le nombre effectifde Juifs italiens. La communauté de Jérusalem,quant à elle, compte environ 400 membres et lasynagogue peut accueillir 250 personnes. En plus del’administration de la vie communautaire et durèglement des offices, la communauté de Jérusalemjoue un rôle de conservateur pour l’ensemble du

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«LITTLE ITALY»

SHALOM/VOL.XL/TICHRI 5764/AUTOMNE 2003

Parokhet, rideau d’arche sainte, Pesaro 1620. Broderie en vermeil sur soie,frappée des emblèmes des deux familles. Offert à la synagogue à l’occasion

du mariage de Rachel Olivetti avec Judah Montefiore, l’un des ancêtres de Sir Moses Montefiore.

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patrimoine juif italien qui se trouve aujourd’hui enIsraël et qui regroupe les objets cultuels, y comprisles arches saintes antiques de quarante synagoguesitaliennes qui ont été intégralement transportées enIsraël. Toutefois, ces synagogues de style italien nesuivent pas le «Noussakh Beneï Romi», la liturgie dela tradition juive italienne.Dans une conversation avec le président de la com-munauté, DAVID CASUTTO, architecte et ancienvice-maire de Jérusalem, celui-ci nous a notammentdéclaré: «Nous ne sommes pas une communautévieillissante, bien au contraire, la moyenne d’âge denos membres est relativement basse. Quant à l’ave-nir, nous sommes sur le point de mettre en place unprogramme complémentaire d’études pour lesélèves de l’école rabbinique de Rome. Nous pensonsdonc ouvrir un centre d’études qui aura aussi undépartement permettant à de jeunes Juifs d’origineitalienne vivant en Israël de suivre des cours dequelques mois sur les traditions et les us et coutumesdu judaïsme italien. Cette institution aura un doublebut: transmettre le patrimoine religieux et tradition-nel de façon formelle à la jeune génération, qui neconnaît nos traditions que par l’enseignement deses parents, et initier les élèves rabbins italiens auxdifférents courants de la pensée moderne du judaïs-me en Israël. Notre objectif principal est de per-mettre aux Juifs italiens qui habitent ici de s’intégrertotalement dans la société israélienne tout en main-

tenant la spécificité de leur communauté, ce quin’est absolument pas paradoxal. Nous vivons à uneépoque où l’extrémisme et l’intolérance sont demise. Or le message du judaïsme italien, son esprit etson essence même sont basés sur une pratique reli-gieuse de stricte observance qui va de pair avec uneouverture d’esprit vers le monde moderne et les réa-lités de notre temps. C’est dans cette école de pen-sées que s’inscrit l’intégration de la communautéjuive venue d’Italie dans la société israélienne. C’estaussi ce message que nous transmettons à nos frèresqui vivent encore en Italie.»

LA SYNAGOGUE CONEGLIANO VENETO

Cette petite synagogue est située dans un immeublequi abritait autrefois une institution catholique alle-mande connue sous le nom de «complexe Schmidt»,d’après Wilhelm Schmidt, le directeur de la Sociétécatholique allemande de Palestine. Construit en1875, ce bâtiment était un monastère pour jeunesfilles catholiques d’obédience syro-chrétienne, quicomportait également un hospice et était un lieu dehalte pour des pèlerins. Dans les années 1940, lemonastère a déménagé et la maison a été laissée àl’abandon. Plus tard, des bureaux officiels ainsiqu’une petite école s’y sont installés. Fin 1940, la

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David Casutto, architecte et président de la communauté juive italienne de Jérusalem.

Détail de l’arche sainte de la synagogue Conegliano Veneto.

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communauté juive italienne a obtenu le droit d’ytenir un office hebdomadaire et au début des années1950, lorsque la synagogue démontée de Coneglianoest arrivée en Israël, l’endroit logique pour l’ac-cueillir était tout trouvé! L’historique de cette com-munauté, établie dans un village situé entre Veniseet Padoue, remonte au XVIIe siècle. Il y avait uneyéshivah qui était dirigée par le rabbin NathanOttolongo. Selon certains historiens, des famillesjuives vivaient déjà à Conegliano au cours du XIVe

siècle. En 1637, la communauté juive a été enferméedans un ghetto, là où la fameuse synagogue a étéconstruite en 1701 qui, en fait, n’a été inaugurée qu’en1719. Elle a servi jusqu’à la disparition de la commu-nauté en tant que telle, soit en 1917. Le dernier offi-ce a eu lieu à Yom Kipour 1918 alors que la régionavait été conquise par l’armée Austro-Hongroise.L’aumônier, le rabbin Moshé Deutsch, avait décou-vert l’existence de cette synagogue et obtenu les clésde la municipalité. Il avait été ébloui par sa beautéet, lorsque les soldats austro-hongrois ont su qu’il yavait un office de Yom Kipour, ils se sont présentéspar centaines à l’entrée de la synagogue qui, pour un

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Arche sainte de la synagogue italienne de Jérusalem, 1652. En haut, les deux Tables de la Loi et une couronne de Torah, richement décorées. L’arche est flanquée de deux

colonnes. La majeure partie des décorations est faite de grappes de raisins et defeuillages, le raisin étant l’un des sept fruits d’Israël. L’arche a deux portes luxueusementornées tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Une inscription au bas stipule qu’elle est dédiée

à la mémoire du rabbin Nathan Ottolengo, directeur de la yéshivah de Coneglianodécédé en 1615.

Selon une tradition italienne, des poèmes et des pensées religieuses ornent les murs

de la synagogue.

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instant, a retrouvé la gloire de ses plus beaux jours.En 1951, la synagogue a été démontée et intégrale-ment remontée à Jérusalem, où elle a retrouvé toutesa splendeur. L’arche sainte est décorée de feuillesd’or selon la tradition italienne et les murs ont desbas-reliefs en stuc sur lesquels se trouvent desrépliques des inscriptions originales. Les textes sontdes poèmes d’un poète inconnu, des pensées reli-gieuses et deux inscriptions commémorent le trans-fert et la réouverture de la synagogue à Jérusalem etrappellent qu’il s’agit d’un cadeau de la communau-té de Venise. Il faut noter que certains éléments dela synagogue ne proviennent pas de Conegliano.Plusieurs lampes viennent de Ferrara, de Pise ou deMantoue, quelques ornements de la synagogue dePadoue et une partie des sièges de Reggio Emilia.Le tout constitue un ensemble magnifique quirecrée l’atmosphère qui prévalait dans les syna-gogues d’Italie au XVIIIe siècle. Ce lieu de culte,unique en son genre, reçoit lors d’un office de shab-bat en moyenne cent personnes et à l’occasion desfêtes ou d’une célébration familiale, les 250 sièges

sont souvent occupés. La synagogue peut être louéepour des célébrations familiales, mariage, bar-mits-vah ou brith-milah, à des personnes non membres dela communauté. Les dignitaires italiens en visiteofficielle en Israël mettent toujours un point d’hon-neur à se rendre à la synagogue Conegliano Veneto.Le Premier ministre Silvio Berlusconi n’a pas man-qué à cette tradition et a tenu un discours très émou-vant en juin dernier, faisant allusion à la Shoa, auxliens qui lient cette communauté à l’Italie et à l’im-portance du rôle que joue la communauté juive ita-lienne dans le pays même.

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Rouleau d’Esther en découpage de papier, Italie XVIII e siècle.

Couronne de Torah décorée de motifs laïques en l’honneur du roi Carlo Alberto, qui a émancipé

les Juifs d’Italie. Alessandria, 1849.

Set pour le lavage des mains des Leviim à la synagogue, Venise, XVIIIe siècle.

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La synagogue italienne de Jérusalem est un exem-ple vivant de la continuité et du maintien des tra-ditions dans le cadre d’une communauté parfaite-ment bien intégrée dans la grande mosaïque del’Israël moderne.

LE MUSÉE UMBERTO NAHON

Souvent, de véritables petits joyaux méritent unevisite qui peut être aussi rapide qu’enrichissante.Tel est le cas du Musée du Judaïsme italien de Jé-rusalem. Situé à côté de la synagogue Coneglianodi Veneto, qui fait partie intégrante de la visite dumusée, il est divisé en quatre petites salles d’expo-sitions qui regorgent de trésors issus du patrimoi-ne fabuleux du judaïsme italien. Une collection deportes d’arches saintes, de magnifiques textiles, dehanoukioth (chandeliers de Hanoukah à huit bran-ches) en letton, en cuivre et en argent, de chaisesutilisées pour la cérémonie de circoncision, decontrats de mariages enluminés, de couronnes etde clochettes de Torah typiquement italiennes etde boîtes à épices constitue la base d’une exposi-tion permanente qui émerveille le visiteur. Envi-ron 50’000 personnes par an se rendent dans lemusée, y compris des écoles chrétiennes et arabes.Il n’est pas rare que des enfants d’écoles israé-liennes non religieuses, qui visitent le musée et lasynagogue dans le cadre très général d’un ensei-

gnement sur l’art juif, voient pour la première foisde leur vie une synagogue et une Torah.Le musée organise régulièrement des expositionstemporaires et dispose aussi d’une collection dephotos sur la vie juive en Italie. Celle-ci est avanttout utilisée par des historiens mais de temps entemps, certaines font l’objet d’une exposition fai-sant revivre, pour un court laps de temps, deslieux, des synagogues et des communautés dispa-rus à tout jamais.Le musée a un centre de restauration pour les boiset les textiles spécialisé dans la restaurationdétaillée d’objets datant de la période baroque etde la Renaissance. Des professionnels formés enItalie utilisent les techniques déjà en vigueur àl’époque de la rénovation culturelle en Europe aucours des XVe et XVIe siècles. De plus, l’institutreçoit régulièrement d’Italie des professionnelsinvités spécialement pour donner des cours à sesrestaurateurs.Nous le voyons, ce petit musée ne se contente pasd’exposer simplement de superbes objets, il joueun rôle actif dans la promotion et la diffusion de laculture juive italienne en organisant des journéesd’études, des concerts et des conférences sur tousles sujets touchant à l’héritage juif italien.

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Chandelier de Hanoukah de Casale Monferrato en letton, 1830.

Livre de prières du rite italien.

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LE MINHAG ITALKI

Le «minhag Bneï Romi», mieux connu sous le nomde «minhag italki», est simplement la traditionliturgique des Juifs italiens, en particulier romains,qui diffère sensiblement tant du point de vue dutexte que de la musique des rites ashkénazes etséfarades. Les sources de ces traditions ont leursracines en Israël même et dans le Talmud deJérusalem, et l’on retrouve un certain nombre decette liturgie aussi bien dans les offices séfaradesqu’ashkénazes. Les exemples des différences sontnombreux, mais l’un d’entre eux, assez simplementcompréhensible, illustre peut-être mieux que lesautres dans quel ordre d’idées s’inscrit le minhagitalki. C’est ainsi que les rouleaux de la loi sontidentiques à ceux des communautés ashkénazes,soit un parchemin fixé sur deux rouleaux de boishabillés par un manteau de textile. Dans les syna-gogues séfarades, le parchemin est intégré dans unétui en bois, en métal ou en argent et la lecture dela Torah se fait verticalement. La «hagbaa» (pré-sentation du rouleau ouvert aux fidèles) se faitdans les synagogues ashkénazes à l’issue de la lec-ture de la Torah, alors que dans les offices séfa-rades, elle est avant la lecture. Dans le minhag ital-ki, bien que les rouleaux de la Torah soient iden-tiques à ceux des synagogues ashkénazes, la «hag-baa» se fait avant la lecture de la Torah, commedans les offices séfarades. Un autre exemple sim-

ple se trouve à la table de fête de Roch Hachanah.Les familles ashkénazes ont pour tradition desouhaiter la bonne année sur la pomme et le miel.Selon le minhag italki, la figue remplace lapomme.Il est intéressant de savoir qu’en Italie, le minhagitalki n’était pas suivi partout. Du point de vue destraditions, le pays était divisé en trois zones: l’ita-lienne, la séfarade et celle du nord, dont la forteinfluence allemande se retrouvait dans les tradi-tions liturgiques. Dans le Piémont, il y avait toute-fois trois communautés qui suivaient les anciennestraditions des communautés juives françaises, oùdes Juifs venus de France s’étaient installés aucours des XIVe et XVe siècles. Leur rite est connusous le nom de «Minhag APAM», selon les ini-tiales hébraïques de ces trois communautés: Asti,Fossano et Monsalvo. Dans une conversation très enrichissante avec lerabbin HILLEL SERMONETTA, qui dirige spiri-tuellement la communauté italienne de Jérusalem,celui-ci nous a notamment déclaré: «Nous mettonstout en œuvre pour maintenir nos traditions ettransmettre notre liturgie à la jeune génération.Bien qu’en définitive nous ne différions pas telle-ment des autres rites, je crois que nous sommes lesseuls à dire une bénédiction particulière pour lafemme à qui nous exprimons notre reconnaissancepour sa participation à la vie communautaire. Ils’agit d’un «Misheberakh» que nous récitonschaque shabbat lors de la lecture de la Torah.»

(© Photos: Bethsabée Süssmann et U. Nahon Museumof Italian Jewish Art, Jerusalem)

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Le rabbin Hillel Sermonetta dirige spirituellement la communauté juive italienne de Jérusalem.

«Voix de prières des Juifs d’Italie». Le titre du CD de Charlette Shulamit Ottolengi définitparfaitement la complexité de la musique liturgique des

Juifs d’Italie. Avec sa voix aussi chaude que mystérieuse, la chanteuse fait découvrir

à l’auditeur toute la richesse et la profondeur d’unemusique cultuelle très marquée par la magnificence de

l’art italien.