literatura romana dragoi

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UNITÉ 1 : Cours introductif Thématique du cours 1. Le Moyen-Age littéraire approche globale 2. Les chansons de geste: approche théorique (définition, traits généraux, évolution, classification), le statut social des jongleurs, le public, les thèmes épiques, le héros épique, le problème des origines, la forme, le style). 3. Application sur La Chanson de Roland - résumé du sujet, structure, personnages, composition, le poème moral. 4.. Le lyrisme courtois : -la courtoisie définition (sens large, sens étroit); - l’amour courtois (bona amors, fin’amors) les termes–clés, les vertus engendrées par le concept de fin’amors; -le code de la civilité courtoise – les rapports poète- dame ; -la topique du lyrisme courtois; -les troubadours et les trouvères – définition et étymologie de ces deux termes; -les troubadours classification, origines de la poésie occitane, modèles poétiques cultivés, représentants ; - la poésie lyrique du Nord de la France. Les trouvères. Les différences entre la poésie courtoise du No rd et la poésie en langue d’oc. 5. Observation et analyse de tous les types de poèmes courtois (canso, sextine, rotroensa, devinalh, descort, sonnet, alba et serena, planh, romance, pastourelle, chanson à danser etc). 6. Le roman courtois : définition du mot “roman”, classification, thèmes dominants; Chrétien de Troyes – romancier de la Table Ronde: repères biographiques, œuvres essentielles, les pièces maîtresses de Chrétien de Troyes – thèmes, cadre, matière, sujet ; -le symbole au Moyen-Âge; 7. Application sur Le chevalier de la charrette, Le chevalier au lion et Le conte du Graal. Allégories, symboles et idéal humain dans les romans arthuriens. Le rôle du Prologue. 8. Les fabliaux définition, étymologie, traits, origine, personnages; 9. Application sur Le vilain mire, Le Testament de l’âne, Estula, Brunain, la vache au prêtre, Les Perdrix. 10. Le théâtre au Moyen-Âge : La comédie au XV e siècle : les genres (soties, monologues, sermons joyeux, moralités, farces). La farce – traits généraux, auteurs et dates, origines, intérêt psychologique et documentaire, éléments du comique, réactions suscitées. Le théâtre religieux 11. Application sur La Farce de maître Pathelin et sur Le Miracle de Théophile résumé, thèmes. 12. Les Grands Rhétoriqueurs

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Galati Universitatea Dunarea de Jos Litere Mihaela Dragoi

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Page 1: literatura romana dragoi

UNITÉ 1 : Cours introductif

Thématique du cours

1. Le Moyen-Age littéraire – approche globale

2. Les chansons de geste: approche théorique (définition, traits généraux,

évolution, classification), le statut social des jongleurs, le public, les thèmes

épiques, le héros épique, le problème des origines, la forme, le style).

3. Application sur La Chanson de Roland - résumé du sujet, structure,

personnages, composition, le poème moral.

4.. Le lyrisme courtois : -la courtoisie – définition (sens large, sens étroit); -

l’amour courtois (bona amors, fin’amors) – les termes–clés, les vertus engendrées

par le concept de fin’amors; -le code de la civilité courtoise – les rapports poète-

dame ; -la topique du lyrisme courtois; -les troubadours et les trouvères – définition

et étymologie de ces deux termes; -les troubadours – classification, origines de la

poésie occitane, modèles poétiques cultivés, représentants ; - la poésie lyrique du

Nord de la France. Les trouvères. Les différences entre la poésie courtoise du Nord

et la poésie en langue d’oc.

5. Observation et analyse de tous les types de poèmes courtois (canso, sextine,

rotroensa, devinalh, descort, sonnet, alba et serena, planh, romance, pastourelle,

chanson à danser etc).

6. Le roman courtois : définition du mot “roman”, classification, thèmes

dominants; Chrétien de Troyes – romancier de la Table Ronde: repères

biographiques, œuvres essentielles, les pièces maîtresses de Chrétien de Troyes –

thèmes, cadre, matière, sujet ; -le symbole au Moyen-Âge;

7. Application sur Le chevalier de la charrette, Le chevalier au lion et Le conte du

Graal. Allégories, symboles et idéal humain dans les romans arthuriens. Le rôle du

Prologue.

8. Les fabliaux – définition, étymologie, traits, origine, personnages;

9. Application sur Le vilain mire, Le Testament de l’âne, Estula, Brunain, la vache

au prêtre, Les Perdrix.

10. Le théâtre au Moyen-Âge : La comédie au XVe siècle : les genres (soties,

monologues, sermons joyeux, moralités, farces). La farce – traits généraux, auteurs

et dates, origines, intérêt psychologique et documentaire, éléments du comique,

réactions suscitées. Le théâtre religieux

11. Application sur La Farce de maître Pathelin et sur Le Miracle de Théophile –

résumé, thèmes.

12. Les Grands Rhétoriqueurs

Page 2: literatura romana dragoi

13. La poésie à la fin du Moyen-Âge (XIVe-XV

e siècles) – traits, représentants,

formes poétiques (ballade, rondeau, virelai) Charles d’Orléans – présentation de

l’œuvre, les grands thèmes, traits du lyrisme. Application sur Ballade CXX.

14. François Villon – présentation de l’œuvre, les grands thèmes, traits du lyrisme

Application sur L’épitaphe Villon, Ballade du concours de Blois, Ballade des

dames du temps jadis.

Bibliographie sélective

Abraham, Pierre, Histoire littéraire de la France, Ed. Sociales, Paris, 1971

Aubailly, J.-Cl., Fabliaux et contes du moyen âge, L. G. F., Paris, 1989

Balmas, Enéa, Littérature française : Renaissance, Arthaud, Paris, 1974

Bercescu, Sorina, Cours de littérature française, Moyen-Âge – Renaissance, Univ.

Bucureşti, 1975

Brunel, Pierre, Histoire de la littérature française, du Moyen-Âge au XVIIIe siècle,

Bordas, Paris, 1989

De Medeiros, M., Romanciers du Moyen-Âge, L. G. FM., Paris, 1987

Ion, Angela et coll., Histoire de la littérature française, I, Ed. Did. si Ped, 1982

Lagarde, A., Michard, L., Moyen-Âge, Renaissance, Bordas, Paris, 1970

Le Gentil, Pierre, La littérature française du Moyen-Âge, Armand Colin, 1968

Le Gof, J., Civilizatia occidentului medieval, Ed. Stiintifica, Bucureste, 1970

Lanson, Gustave, Histoire de la littérature française, Hachette, Paris, 1970

Zumthor, P., Incercare de poetica medievala, Ed. Univers, Bucuresti, 1983

Le Moyen-Age littéraire

I. L’évolution des genres et des formes littéraires au Moyen-Age

II. L’originalité de la littérature médiévale

Le Moyen-Age littéraire s’étend sur 4 siècles (du XIIe au XV

e siècle). Le

texte médiéval a une dimension plurielle et un caractère dynamique. Il se situe

« au-dessus des manifestations textuelles (Zumthor), car il est un objet auditif.

La littérature médiévale a deux formes, selon le mode de diffusion :

- des œuvres destinées à la récitation (l’épopée)

- des œuvres composées pour la lecture (le roman).

La diffusion orale est accompagnée de modes expressifs directs, de mimes,

de chants. La littérature a un aspect théâtral, dramatique.

Page 3: literatura romana dragoi

I. L’évolution des genres et des formes littéraires au Moyen-Age

1. La poésie lyrique

2. Formes épiques (le roman et les fabliaux)

3. Formes dramatiques

1. La poésie lyrique comprend :

- la canso des troubadours (des XIe-XIIe siècles), la chanson des trouvères et un

grand nombre de formes poétiques à forme plus ou moins fixe (poésie qui ne se

sépare pas de la musique) ;

- la poésie du XIVe siècle, représentée par Guillaume de Machaut, qui privilégie

des genres nouveaux (le rondeau, la ballade). Elle connait son apogée avec Charles

d’Orléans.

- la poésie du XVe siècle, représentée par les Grands Rhétoriqueurs, qui exploitent

toutes les ressources (lexicales et syntaxiques) de la langue française.

2. Les formes épiques naissent pendant les deux premiers siècles du Moyen-Age

littéraire :

- le roman courtois (Chrétien de Troyes)

- la littérature didactique et allégorique (Le Roman de la Rose)

- les fabliaux.

3. Le théâtre (XIIe – XIII

e siècles)

La distinction aristotélicienne entre tragédie et comédie ne fonctionne pas au

Moyen-Age. Pour cette période, on distingue le théâtre religieux et le théâtre

comique.

Les formes théâtrales

3.1. Le théâtre religieux comprend le drame semi-liturgique et le drame

religieux.

3.1.1. Le drame semi-liturgique – moitié chanté, moitié déclamé ; bilingue

(en latin – les didascalies et les chants liturgiques) et en français ; joué sur le

parvis, avec la façade comme décor, l’église servant de coulisses ; ex. : Jeu

d’Adam, XIIe siècle – il réactualise les épisodes centraux de l’Ancien et du

Nouveau Testament).

Page 4: literatura romana dragoi

3.1.2. Le drame religieux – déclamé, en français, sur la place du marché (le

théâtre est coupé de l’Eglise) ; la religion n’est plus qu’un prétexte) ; ex. : Le Jeu

de Saint Nicolas, de Jean Bodel, v.1200, Le Courtois d’Arras, v. 1210, Le Miracle

de Théophile de Rutebeuf, XIIIe siècle, v. 1260.

A la fin du Moyen-Age (XIVe – XV

e siècles), le théâtre religieux emploie

ces formes :

- les miracles (40 Miracles de Notre-Dame par personnages, partiellement

bases sur les contes dévots de Gautier de Coincy, Miracles de Notre-Dame, début

du XIIIe siècle) ;

- les passions (jeux scéniques autour de passion du Christ) ;

- les mystères.

3.2. Le théâtre profane (comique) :

- des farces (La Farce de Maitre Pathelin, Adam de la Halle, Le Jeu de la

Feuillée, 1276 et Le Jeu de Robin et de Marion, 1274-1282) ;

- des soties ;

- des jeux de carnaval ;

- des moralités (théâtre allégorique qui veut donner des leçons plaisantes) ;

- des monologues (« pièces à une voix »).

II. L’originalité de la littérature médiévale (les éléments qui la distinguent

des autres époques littéraires)

Cette littérature est un fait social, car bien des œuvres sont anonymes et on

ne peut pas les expliquer à travers l’homme qui les a écrites. Cette littérature a été

conditionnée par des réalités sociales, économiques et culturelles qui se

reconnaissent en elle.

LEXIQUE

MOYEN-ÂGE – l’« âge moyen », situé entre l’Antiquité et la Renaissance, qui

implique une certaine unité de culture (tout comme dans la lecture des syntagmes

« âge du bronze » ou « âge de la pierre »). Cette période historique s’étend de la

chute de l’Empire romain en Occident (476), jusqu’à la prise de Constantinople par

les Turcs (1453). Régine Pernod (Histoire de la bourgeoisie en France. Des

origines aux Temps Modernes, Éditions du Seuil, 1981) partage ainsi cet âge :

- le Haut Moyen-Âge (de la chute de l’Empire romain à Charlemagne) ;

- l’époque carolingienne ou l’âge féodal (du milieu du Xe à la fin du XIII

e siècle)

et

Page 5: literatura romana dragoi

- le Bas Moyen-Âge pour les XIVe et XV

e siècles.

DYNASTIE CAROLINGIENNE – du latin médiéval « Karolingi » - de Carolus,

Charlemagne ; dynastie qui succède en Gaule aux Mérovingiens en 751, qui

restaure l’Empire d’Occident (800-887), régnant sur la France jusqu’en 987. Elle

est fondée par Pépin le Bref, qui se fait élire roi des Francs en 751 et doit son nom

à son représentant le plus illustre – Charlemagne (742-814). Le centre du

gouvernement est fixé en 794 à Aix-la Chapelle.

DYNASTIE MÉROVINGIENNE – du latin médiéval « Mérowigi » - Mérovée ;

dynastie qui règne sur les Francs Saliens, puis sur la Gaule à partir de Clovis (481-

511). Fils de Childéric et petit-fils de Mérovée, Clovis unifie le peuple franc,

conquiert la majeure partie de la Gaule, se convertit au christianisme et transfère la

capitale de son royaume de Tournai à Paris.

DYNASTIE CAPÉTIENNE – dynastie fondée par Hugues Capet (à qui elle doit

son nom : « Capet » est le surnom du roi Hugues Ier, par allusion à sa cape) et qui

règne en France de 987 à 1328, après les Carolingiens. Concédée à l’origine de

façon élective, la dignité royale devient héréditaire à partir de 1179. Issue des

Robertiens, la dynastie capétienne a des branches collatérales – les Valois et les

Bourbons – et comprend 14 souverains.

VERNACULAIRES, VULGAIRES (langues) – du latin vulgus, « peuple »;

idiomes employés dans la communication de tous les jours, à partir du IXe siècle,

qui remplacent le latin pour exprimer les idéaux et les valeurs d’une culture

profane. Les premiers textes écrits dans une langue vernaculaire sont des

documents juridiques (Les Serments de Strasbourg, 842) et des récits

hagiographiques (Vie de saint Alexis, vers 1040, ou Sermon sur Jonas, vers 940).

LANGUE D’OC – parler dérivé du latin vulgaire, correspondant à la période

féodale ancienne, dans le Midi de la France. Les Français de la distinguaient de la

langue d’oïl. Les deux termes en question proviennent de la façon différente

d’exprimer l’adverbe d’affirmation : « oïl » et « oc » (aujourd’hui « oui) du latin

« hoc ille ».

On peut la diviser en plusieurs dialectes très proches les uns des autres: le

provençal, le languedocien, l’auvergnat, le périgourdin, le dauphinois, le

gascon (avec le béarnais) et le catalan (jusqu’au XIIIe siècle, le catalan est une

branche de la langue d’Oc).

LANGUE D’OÏL – parler dérivé du latin vulgaire, correspondant à la période

féodale ancienne, dans la moitié Nord du pays. Les dialectes de la langue d’oïl

sont : le francien , le normand (avec sa variété anglo-normande depuis la fin du

Page 6: literatura romana dragoi

XIe siècle), le picard, le wallon, le champenois, le lorrain, le bourguignon, le

berrichon, l’angevin et le poitevin.

QUADRIVIUM – programme d’éducation qui tient a donner une connaissance

encyclopédique du monde par le regroupement de la « géométrie » et de

l’ »arithmétique » (des exercices pratiques ou l’on s’entraîne au maniement des

chiffres romains) et de l’ »astronomie » (technique assez rudimentaire, appliquée

soit au « comput », au calcul de la date de Pacques – pivot du calendrier religieux,

soit a la divination par les étoiles) et de la « musique » (apprentissage du chant

liturgique).

UNIVERSITÉ – du latin « universitas » - communauté ; ensemble des étudiants et

des maîtres intégrés dans la vie d’une cité; lieu de pensée collective, de débat

perpétuel et d’effervescence intellectuelle organisé au XIIIe siècle sous la

protection papale. Au sein de l’Université, la faculté des arts donnait les bases des

lettres et des sciences et ouvrait aux facultés de médecine, de droit ou de théologie.

L’Université de Paris accueillait les maîtres les plus prestigieux en théologie,

comme le Dominicain Thomas d’Aquin ; l’Université d’Orléans s’illustrait dans le

droit, celle de Montpellier dans la médecine etc. Les étudiants payaient leurs

professeurs et leurs livres.

ART ROMAN – ensemble de formes architecturales qui s’épanouissent au XIe

et

surtout au XIIe

siècle. Elles sont généralement fondées sur des harmonies

mathématiques ou musicales, étant influencées parfois par l’art arabe ou par l’art

byzantin. L’art roman comprend deux étapes de son développement.

ART GOTHIQUE (ART OGIVAL) - ensemble de formes architecturales liées à

art urbain et à l’essor des villes (la plupart des cathédrales gothiques sont élevées

dans les villes). Le trait essentiel de ces édifices est leur « élan vertical » qui donne

une sensation d’arrachement à la terre. On identifie généralement l’art gothique à

la croisée d’ogives et aux arcs-boutants. En France, les premiers édifices gothiques

sont la cathédrale d’Autun (1120-1132) et la basilique de Saint-Denis (reconstruite

de 1140 à 1144), même si elles conservent encore un mélange des styles. Les

principales étapes de l’épanouissement de l’art gothique sont : le gothique primitif

(de 1140 à 1190), le gothique classique (1190-1240), le gothique rayonnant

(XIIIe

et XIVe

siècles), le gothique flamboyant (1350-1500) et le gothique

bourguignon.

CROISADE, CROISEMENT, CROISERIE, CROISIÈRE – mot dérivé du latin

« croce » - croix; nom qui désigne les huit expéditions militaires déclenchées du

XIe au XIII

e siècle par les armées de chevaliers chrétiens d’Occident, sous

l’impulsion de la papauté, pour délivrer les Lieux Saints occupés par l’Islam. Le

terme de « croisade » apparaît tardivement en français : Le Trésor de la langue

Page 7: literatura romana dragoi

française fait remonter l’expression « soi cruisier » - se croiser à la Vie de St

Thomas le martyr de Guernes de Pont-Sainte-Maxence datée de 1174, et le terme

de « croisade » aux Chroniques de Chastellain datées de 1475. Le Dictionnaire

historique de la langue française note une première apparition du mot vers 1460.

Le terme ancien « crucesignatus » signifie « croisé », « marqué par la croix ».

HÉRÉSIE - doctrine d’origine chrétienne contraire à la foi catholique et

condamnée par l’Église ; les hérésies connaissent un grand développement aux

XIe siècle et XII

e siècles, se répandent souvent à travers les routes de pèlerinage.

L’hérétique est vu comme un lépreux qu’il faut éloigner du groupe des fidèles, par

l’excommunication et par l’exil.

INQUISITION - du latin « inquisitio » - enquête ; tribunal créé par l’Église

catholique romaine, qui était chargé d’émettre un jugement sur le caractère

orthodoxe ou non - par rapport au dogme religieux.

FÉODALITÉ – un système de relations sociales, d’usages et d’attitudes mentales,

établi à l’intérieur des couches supérieures de la société des Xe, XI

e et XII

e siècles

(certaines relations de droit féodal continuant jusqu’en 1790), qui repose sur

l’existence de fiefs concédés par des seigneurs à des vassaux en échange de

services particuliers, qui sont surtout militaires.

FIDÉLITÉ – la deuxième phase du contrat vassalique: une fois l’hommage reçu

par le seigneur, le vassal prête sur les Évangiles ou sur des reliques un serment de

fidélité qui rend l’acte irrévocable, en faisant du lien humain un lien divin.

FIEF – terme forgé à partir du mot latin « feodum » ; terre concédée par le

suzerain à son vassal par un acte symbolique appelé « cérémonie d’investiture ».

HOMMAGE – du latin « hominium » ; cérémonie par laquelle s’établissent des

liens personnels entre deux membres des couches sociales dominantes. La

cérémonie avait lieu en général au manoir seigneurial du futur suzerain, en

présence de plusieurs témoins. Elle rappelait publiquement l’existence d’une

relation de féodalité entre deux familles, voire deux lignages, représentés par leurs

chefs. Le vassal est le chevalier dont la fonction est de servir la justice et la paix.

En rendant hommage au suzerain, le vassal s’interdit tout acte d’hostilité contre lui,

et promet de lui apporter aide et conseil. En échange, le seigneur lui assure la

possession paisible d’un fief, généralement une terre dont le revenu lui permet de

vivre noblement et de s’équiper pour la guerre. Le cérémonial de l’hommage est

très précis: à genoux en face de son seigneur, tête nue, le vassal tend ses mains

jointes vers son supérieur. Le seigneur ferme ses mains dans celles de son vassal.

Le vassal proclame sa volonté de servir son seigneur. Il devient ainsi son

« homme », il fait don de sa personne. Le geste peut être aussi suivi d’un baiser de

paix, sur la bouche.

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ORDRE – groupe social ayant une fonction définie ; aux XI-XIIIe siècles, la

société était organisée en trois ordres – les paysans, les chevaliers et les moines.

SEIGNEUR – maître de qui dépendent, aux XIe - XIII

e siècles, des terres et des

personnes. Son domaine porte le nom de « seigneurie ». Il est un châtelain dont la

seule mission est celle de défense contre les ennemis de l’extérieur.

UNITÉ 2

La chanson de geste – le poème épique – l’épopée

= une manifestation archaïque de la littérature

1. Les traits définitoires de l’épopée:

- elle raconte en vers un moment de l’histoire ;

- le poète concentre sur un petit nombre de personnages l’action qui a touché en

fait des milliers d’hommes ;

- le poète stylise le caractère des héros pour qu’ils incarnent chacun une figure-

type ;

- l’intention de l’épopée est de glorifier une figure ou un événement du passé pour

rappeler un idéal moral, politique ou social ;

- elle exagère constamment et simplifie l’action pour insister sur les lignes

majeures du récit (au bon correspond le mauvais).

2. Epopée /vs/ chronique historique

Epopée Chronique historique

- le poète raconte les choses telles

qu’elles ont pu se passer ;

- il met en lumière les pensées secrètes

des personnages ;

- il soumet à ses volontés les

puissances divines : le merveilleux se

mêle au récit réaliste, car l’élément

divin intervient dans le déroulement

des faits exposés.

L’épopée est donc un récit à valeur

mythique.

- le poète choisit un point de vue

chronologique dans la présentation des

faits ;

Page 9: literatura romana dragoi

3. La chanson de geste – définition du syntagme ; public visé, jongleurs, forme

(laisse, style formulaire) et contenu (thèmes, classifications)

CHANSON DE GESTE – (« poésie de l’action » des XIe – XII

e siècles) qui

chante en langue vulgaire, en décasyllabes ou en alexandrins réunis en laisses

assonancées, les « hauts faits » du passé (et tout particulièrement les exploits

guerriers de Charlemagne et de ses preux chevaliers contre les Sarrasins). Le plus

ancien poème lyrique est La Chanson de Roland (v. 1098).

GESTE – du lat. « gesta » – haut fait du passé, exploit guerrier, action noble; mot

qui recouvre trois sens communément acceptés :

- action de grand éclat, qui mérite d’être consignée par l’histoire ;

- histoire écrite des prouesses d’un puissant seigneur (dans la Chanson de Roland

l’emploi récurent de la formule « ça dit la geste » autorise la synonymie « geste » –

« chronique » ;

- famille qui, par ses exploits hors du commun, est retenue par l’histoire.

C’est ce dernier sens qui explique la réunion des chansons en cycles, à partir de

l’idée de famille :

- La geste du Roi - cycle qui comprend une trentaine d'œuvres permettant de

reconstituer une histoire poétique de Charlemagne. Le roi groupe autour de lui des

héros et des personnages historiques ou légendaires.

- La geste de Garin de Monglane – comprend environ vingt-cinq poèmes

ordonnés autour de Guillaume d’Orange, arrière-petit-fils de Garin de Monglane,

aïeul légendaire. Il acquiert dans les légendes des titres et une lignée ; il devient

Guillaume Fiérebras, au Court-Nez, de Narbonne, d’Orange. L'action se déroule

surtout en Languedoc et en Provence.

- La Geste de Doon de Mayence (des barons révoltés) - cycle qui a pour thème

les luttes féodales.

JONGLEUR – du lat. « joculatores » – celui qui joue avec les mots ; conteur

itinérant indépendant, « diffuseur » des œuvres littéraires médiévales (chansons de

geste, fabliaux, poèmes lyriques), qu’il interprète selon sa propre fantaisie presque

partout: dans les villes et les bourgs, sur les routes de pèlerinage ou à la cour des

grands seigneurs féodaux. En général, les jongleurs sont illettrés et travaillent en

troupes: un narrateur chanteur produit le récit, accompagné de la harpe ou de la

vielle, tandis que d’autres miment les événements décrits.

LAISSE – cellule de base de la chanson de geste; strophe de longueur variable

(entre cinq et une trentaine de décasyllabes rythmés généralement 4/6).

Les thèmes épiques :

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- l’héroïsme, la grandeur des exploits militaires ;

- l’exaltation des liens féodaux ;

- l’épopée de la foi.

4. La question des origines des chansons de geste (théories mises en œuvre par

les médiévistes des XIXe -

XXe siècles, qui se sont interrogés sur la valeur

historique des chansons de geste.)

La théorie traditionaliste La théorie individualiste

- soutenue par Gaston Paris (1865),

Ferdinand Lot et Ramon Menedez

Pidal ;

- élaborée par Pio Rajna (1884) et

Joseph Bédier (Les légendes épiques –

4 volumes publiés entre 1908 – 1913) ;

- la théorie des cantilènes – les

chansons seraient le fruit d’une

création continue, le produit d’une

tradition (la théorie de la transmission

du siècle en siècle) ;

- les cantilènes sont de courtes pièces

populaires, imaginées après les grandes

invasions, qui portaient sur les

événements historiques. Elles étaient

réunies sous l’apparente cohérence

d’une épopée (ces courtes cantilènes

étaient cousues entre elles et ont donné

naissance aux chansons de geste) ;

- cette activité poétique était envisagée

comme un reflet du sentiment

national ;

- les chansons seraient créées par des

poètes conscients de leur art ;

- les chansons de geste n’ont rien de

populaire, elles exaltent l’aristocratie

guerrière ; en outre, on ne connait

aucune cantilène, donc elle n’a

probablement existé.

La théorie de Joseph Bédier

s’exprime des les premiers mots de son

ouvrage :

« Au commencement était la

route jalonnée de sanctuaires.

Avant la chanson de geste, la

légende : légende locale,

légende d’église. »

Sur les routes des pèlerinages, les

monastères exposaient les reliques de

héros et de martyrs capables d’attirer

les pèlerins. Les clercs ont lu, par

exemple, le récit de la mort de Roland

dans la Vita Karoli d’Eginhard. Ils ont

inventé l’histoire des reliques

rolandiennes pour les montrer aux

pèlerins et faire ainsi de la publicité à

leurs églises. Ils ont fourni les

documents nécessaires à un poète, pour

qu’il les exploite. A partir de ce qu’ils

lui ont raconté, il a écrit La Chanson

Page 11: literatura romana dragoi

de Roland. Le Roland d’Oxford est une

création entièrement personnelle, écrite

d’un bout à l’autre par Turold, son

signataire énigmatique, trois siècles

après les événements de Roncevaux.

Donc les chansons de geste sont nées

des « légendes d’église ».

Conclusions : Ces deux attitudes opposées (le débat entre les traditionalistes et les

individualistes) permettent de mettre au centre des préoccupations la relation

complexe qui existe entre l’oral et l’écrit.

Evaluer les connaissances déjà acquises

Questions à choix unique/multiple

Dans la chanson de geste :

a) l’atmosphère est fondamentalement païenne

b) les thèmes religieux occupent le premier plan

c) les débats du cœur passent avant les récits de batailles

La vertu fondamentale des chansons de geste est :

a) l’honneur

b) la prouesse

c) la générosité

d) l’amour

La période d’apparition des chansons de geste se situe :

a) à la fin du Moyen-Age

b) au XIe siècle

c) au milieu du XIIe siècle

Mettez en français :

Teoria individualistă elaborată de Joseph Bedier în Legendele epice (1908-

1913) susţine că la originea cântecelor de gestă s-ar afla opera imaginată de un

artist conştient de arta sa. În timpul pelerinajelor, mănăstirile expuneau relicve de

eroi şi de martiri cu scopul de a-i atrage pe credincioşi. Clericii citiseră povestea

morţii lui Roland în Vita Karoli a lui Eginhard şi au inventat povestea relicvelor lui

Roland atât pentru a le arăta pelerinilor, cât şi pentru ca bisericile lor să devină mai

cunoscute. Ei i-au furnizat unui poet documentele necesare pentru elaborarea unei

Page 12: literatura romana dragoi

epopei iar acesta din urmă a scris Cântecul lui Roland, plecând de la ceea ce ei i-au

povestit. Varianta de la Oxford ar fi deci o creaţie personală în întregime, scrisă de

la un capăt la altul de Turold, semnatarul său enigmatic, la trei secole după

evenimentele de la Roncevaux.

UNITÉ 3

Application : La Chanson de Roland

Fragments proposés à l’analyse:

Roland sent que la mort le saisit,

Que de la tête sur le cœur elle lui

descend.

Dessous un pin il est allé courant,

Sur l’herbe verte s’est couché sur les

dents,

Dessous lui met l’épée et l’olifant,

Tourna la tête vers la païenne gent :

Et il l’a fait parce qu’il veut vraiment

Que Charles dise, avec tous les siens,

Que le noble comte est mort en

conquérant.

Il bat sa coulpe à petits coups,

souvent

Pour ses péchés tendit à Dieu son

gant.

Roland le sent, sa vie est épuisée.

Vers Espagne il est sur un mont aigu,

et d’une main il bat sa poitrine.

« Dieu, mea culpa, devant tes vertus

pour mes péchés, les grands et les

menus,

que j’ai commis dès l’heure où je

naquis

jusqu'à ce jour qu’ici je suis

atteint ! »

Son dextre gant il a vers Dieu tendu.

Les anges du ciel descendent à lui.

Quand l’empereur eut fait justice,

et que sa grande colère fut apaisée,

quand il eut fait baptiser

Bramimonde,

le jour était passe, la nuit s’est faite

noire.

Le roi se couche en sa chambre

voûtée.

Saint Gabriel vient lui dire de la part

de Dieu :

« Charles, lève les armées de ton

empire.

Avec toutes tes forces va-t’en dans la

terre de Bire

secourir le roi Vivien dans Imphe,

cette cite que les païens assiègent.

Les chrétiens t’appellent et te

réclament ».

L’empereur voudrait bien n’y pas

aller :

« Dieu ! dit le roi, que de peines en

ma vie ! »

Il pleure des deux yeux, tire sa barbe

blanche.

Ici finit la geste que Turold

décline.

L’empereur est revenu d’Espagne,

Page 13: literatura romana dragoi

Et vient à Aix, le meilleur siège de

France.

Il monte au palais, arrive en la salle.

Voici vers lui venue Alde, belle

damoiselle.

Elle dit au roi : « Où est Roland le

capitaine

Qui me jura de me prendre pour

femme ? »

Charles en a et douleur et pesance,

Pleure des yeux, tire sa barbe

blanche :

« Sœur, chère amie, d’homme mort

me demandes !

Je t’en donnerai un magnifique

échange :

C’est Louis, je ne saurais mieux dire,

Il est mon fils et tiendra mes pays ».

Alde répond : »Ce mot m’est bien

étrange !

Ne plaise à Dieu, à ses saints, à ses

anges,

Qu’après Roland je demeure

vivante ! »

Elle perd la couleur, tombe aux pieds

de Charlemagne,

Et soudain meurt. Dieu ait merci de

son âme.

Les barons français en pleurent et la

plaignent.

Unité 4 : LE LYRISME COURTOIS

Les premiers textes lyriques vulgaires apparaissent presque à la même

époque que les plus anciennes chansons de geste. À la fin du XIIIe siècle les

troubadours inventent la poésie lyrique en langue d'oc. Ils sont poètes mais aussi

musiciens et compositeurs à la différence des jongleurs qui le plus souvent, ne

faisaient que réciter, qu’interpréter les productions artistiques.

La redécouverte d’une morale profane entraîne de grandes transformations

dans l’idéologie du XIIe siècle. Dans cette société que naît la cortezia. Cette notion

Page 14: literatura romana dragoi

désigne des qualités spirituelles et physiques qui caractérisent les gens de cour

(l’élégance, la politesse, la générosité, l’art de parler) exprimant un art de vivre,

conforme à l’idéal social et éthique de la chevalerie mais elle désigne aussi un art

d’aimer, une sorte de religion de l’amour. C’est a cette époque que se définit la

courtoisie, ce « phénomène d’ensemble de la civilisation, à la fois social,

psychologique, spirituel et littéraire » (Pierre Bec, Nouvelle Anthologie de la

lyrique occitane du Moyen Âge). 1

Appliqué à la littérature, le qualificatif « courtois » signifie : appartenant à,

pour et dans une Cour.

Les troubadours inventent une nouvelle conception de l'amour et l'intègrent

au système des valeurs chevaleresques. La fin'amor ou amour courtois, est une

éthique de la sexualité sublimée, et une esthétique du désir qui ne peut être assouvi

: la dame aimée est une suzeraine, par définition supérieure et inaccessible, en

général mariée à un autre. L'amour courtois est inséparable de la poésie, l'amour

pour la dame est aussi l'amour pour la langue. La poésie courtoise fonde ainsi une

morale profane de la création poétique. C'est par le raffinement formel du poème

que le troubadour lutte contre la menace, toujours présente au cœur du poème, du

néant, de l'ironie, du désespoir et de la mort. Le concept de joi, ambigu en raison

d'une étymologie multiple (gaudium, la joie, mais aussi joculus, le jeu, et peut-

être jocalis, joyau) met bien en évidence la complexité du plaisir recherché par le

troubadour, jeu et joie de l'amour mais aussi de l'écriture.

Les troubadours ont ainsi inventé la rime, qui, plus que la fin du vers,

signale les mots importants (amors, joi, dona) et surtout souligne l'entrelacement

des êtres dans l'amour et de l'amour avec la poésie. La chanson tout entière est

fondée sur la disposition, la mise en valeur des rimes, le jeu de leurs sonorités. La

rime n'existe pas ou peu avant les troubadours, elle restera pour longtemps, après

eux, la marque de la poésie dans la littérature occidentale.

Avec les troubadours, enfin, la poésie devient un métier et le poète un

écrivain, c'est-à-dire un créateur, un artisan de la langue. C'est la raison pour

laquelle leur poésie, très raffinée dans l'expression, ne poursuit absolument pas

l'originalité thématique. Le poète ne cherche pas la nouveauté, mais à renouveler

des motifs hérités par une voix, un style, une forme qui lui appartiennent en propre.

Il accorde par conséquent la plus grande attention aux formes du trobar.

Très vite la poésie des troubadours évolue vers un formalisme conscient et

raffiné. Les troubadours privilégient la réalisation virtuose de motifs et d'éléments

formels. Ils aiment intégrer de nombreuses citations de textes antérieurs. Leur

poésie est par conséquent assez difficile, très codée, très allusive et très

réglementée, même et surtout lorsqu'elle est au premier abord d'une grande

1 Ion, Angela, L’histoire de la littérature française, Bucuresti, 1981, p.25

Page 15: literatura romana dragoi

limpidité. Chaque poème doit ainsi posséder une structure métrique et une mélodie

propres.

Les poèmes courtois ont, en général, été conservés dans des recueils

manuscrits regroupant les textes de nombreux auteurs qui sont appelés

« chansonniers ». Dans ces recueils on trouve également des vies souvent

postérieures qui fournissent des éléments biographiques extrêmement lacunaires.

Les troubadours sont d'origines sociales et de statuts très divers : Guillaume IX

était duc d'Aquitaine, Jaufré Rudel « prince de Blaye », mais Cercamon (« celui

qui court le monde ») et Marcabru (surnommé « pain perdu ») de simples jongleurs

sans doute très pauvres. L'un des principaux troubadours de la deuxième moitié du

XIIe

siècle, Bernard de Ventadour, qui suivit Aliénor d'Aquitaine à la cour

Angleterre, était d'origine assez humble, fils d'une servante du château de

Ventadour.

Les troubadours distinguent trois conceptions de l'art poétique. Le « trobar

leu » recherche une expression simple et naturelle, et se veut relativement facile et

accessible même s'il fait souvent montre d'une grande virtuosité. Jaufré Rudel ou

Bernard de Ventadour en sont des représentants. Le trobar clus (composition

« hermétique, fermée) ou le raffinement des concepts s’exprime par un vocabulaire

ambigu, dans une métrique compliquée à plaisir. Son théoricien est Raimbaut

d'Orange. Enfin le trobar ric (riche) préfère les rimes riches, des mots et

d'assonances rares, l'abondance de figures de langue. C'est notamment le propos

d'Arnaut Daniel.

Guillaume IX d'Aquitaine (1071-1127) est un grand seigneur, duc

d'Aquitaine, qui joue un rôle historique et militaire. Son oeuvre marque le début de

la poésie lyrique née sur le sol de France. Il est d'ailleurs présenté comme un grand

séducteur peu porté dans la vie à considérer ses maîtresses comme des suzeraines

inaccessibles.

Cercamon est l'un des plus anciens troubadours. C'est un jongleur de

Gascogne, dont Marcabru aurait été l'élève. Il continue l’œuvre de Guillaume IX et

crée des expressions et des images nouvelles, usant de termes élégants.

Marcabru surnommé « pain perdu », est un simple jongleur. Il s'élève

souvent contre l'hypocrisie de la fin'amor. Son style est marqué par un réalisme cru

et violent mais aussi par une discipline sévère et l'utilisation d'un lexique

recherché. C’est le premier poète du trobar clus.

Jaufré Rudel (écrit de 1130 à 1170) est prince de Blaye et seigneur de Pons

et de Bergerac. Son héritage poétique a su imposer dans la littérature le « thème de

l’absence ». Poète de l’amour lointain (amor de lonh), il chante une forme idéalisée

du sentiment amoureux.

Bernard de Ventadour est l'un des plus célèbres troubadours. D'origine

assez humble et suivit Aliénor d'Aquitaine à la cour d'Henri II Plantagenêt en

Page 16: literatura romana dragoi

Angleterre. Parmi les pièces poétiques les plus connues du Moyen-Âge on compte

les vers de sa « chanson de la lauzeta » (l’alouette).

Bertran de Born est vicomte de Hautefort. On connaît de lui une

cinquantaine de poèmes, dont l'un avec sa notation mélodique. Leur sujet est

souvent l'amour, mais aussi la morale et la politique. Il joue un rôle politique assez

important dans l'histoire de son temps.

Arnaut Daniel s'inscrit dans la lignée de la poésie savante de Raimbaut

d’Orange. Entre 1180 et 1200, il compose 16 chansons, un sirventès, ainsi que sa

très fameuse sextine. C'est l'auteur le plus représentatif du trobar ric, langue riche

qui renouvelle le sens des mots, en crée de nouveaux, et privilégie les structures

formelles très recherchées.

La comtesse de Die est une des premières trobaïritz (femme troubadour) qui

chante l’amour dans la poésie d’oc. Elle connaît encore d’autres poétesses telles

que : Marie de Ventadour ou Clara d’Anduze.

À partir du milieu du XIIe siècle le lyrisme courtois s'implante aussi dans le

nord de la France. Cette avancée géographique est un passage de la langue d'oc à la

langue d'oïl, et ne va pas sans quelques 7transformations. Les poètes que l'on

nomme trouvères adaptent en langue d'oïl les structures formelles et les motifs de

la canso. Ils adoptent un style plus simple, d'allure plus populaire, et font évoluer

la poésie vers un lyrisme non courtois, découvrant de nouvelles formes poétiques.

Ces formes ne sont pas totalement inventées par les trouvères, elles sont parfois

reprises de genres plus anciens, de formes transmises par la tradition orale. Le goût

a sans doute changé et le style poétique des troubadours commence à paraître

distant, face à un ton plus personnel chez les trouvères. Les riches villes du nord de

la France deviennent peu à peu des centres littéraires importants.

Gace Brulé noble champenois, était protégé par Marie de Champagne. On

connaît de lui une cinquantaine de poèmes d'amour, qu'il écrit à partir de 1180

environ.

Conon de Béthune baron de haut lignage, a laissé des chansons courtoises

et des chansons de croisade.

Jean Bodel appartient à la confrérie des jongleurs d'Arras. C'est un véritable

écrivain de métier et un polygraphe : on lui attribue Les saisnes (Saxons) (chanson

de geste inachevée du dernier tiers du XIIe siècle), cinq pastourelles, neuf fabliaux,

l'une des premières pièces de théâtre en français, le Jeu de saint Nicolas (1200), un

miracle qui s'inspire d'une légende grecque énergiquement modernisée, et les

Congés un long poème d'adieu au monde écrit lors de sa retraite dans une

léproserie.

Thibaut de Champagne (1201-1253), roi de Navarre, petit-fils de Marie de

Champagne, arrière petit-fils d'Aliénor d'Aquitaine, est le trouvère le plus célébré

de son temps, et sera au siècle suivant salué par Dante comme un précurseur (De

Page 17: literatura romana dragoi

Vulgari Eloquentia). Il est l'auteur de 71 compositions lyriques variées (dont 37

chansons d'amour) dans lesquelles il fait montre d'une grande virtuosité technique

et verbale (il apprécie jeux de mots, pointes, métaphores filées et allégories) ainsi

que d'une certaine désinvolture ironique envers la matière courtoise.

Colin Muset est ménestrel et compose une vingtaine de chansons

spirituelles et enjouées, qui s'éloignent souvent de la courtoisie pour faire l'éloge

des plaisirs des sens et de l'épicurisme. Précurseur d'une poésie plus personnelle, il

se met en scène et se raconte dans ses poèmes. Il y exploite également les

possibilités sémantiques de son pseudonyme (petite souris, mais aussi celui qui

musarde ou joue de la cornemuse).

La Renaissance du XIIe siècle

- dpv économique – c’est une période de relative stabilité et tranquillité, de

progrès économique. On assiste à l’essor des villes et à une expansion militaire

(l’époque des croisades). Les marchandises circulent régulièrement à travers

l’Europe, ce qui encourage l’essor de l’artisanat.

- dpv social – la société est divisée en trois groupes : le clergé, l’aristocratie et la

bourgeoisie.

- dpv culturel – le christianisme est le point de départ et le fondement de toute la

pensée médiévale (les monastères = des fonds de civilisation, de culture, de

littérature). La culture officielle est cléricale et latine.

L’Eglise est l’institution qui organise l’instruction et qui crée les Universités.

On y étudie la théologie, la médecine, le droit et les arts libéraux.

L’enseignement est destiné aux clercs. Ils fréquentent des cours abbatiales et

épiscopales où ils reçoivent un enseignement organisé selon deux cycles

successifs : le trivium et le quadrivium. Après ce stage d’initiation dans les sept

arts libéraux, les clercs avaient accès aux études supérieures.

Les causes qui ont engendré le phénomène de la courtoisie, à partir de 1050 :

- l’essor de l’économie, le développement du commerce et l’importance acquise

par la vie de cour ;

- les croisades et les échanges avec l’Orient ont influencé les mœurs et la pensée du

monde occidental, car les Arabes avaient repris les traditions de la philosophie

grecque, à laquelle ils ont ajouté des éléments de culture hindoue, persane et

byzantine ;

Page 18: literatura romana dragoi

- la redécouverte d’une morale profane : l’Eglise était faible, alors que les

coutumes de la société étaient très raffinées.

Les origines de la poésie courtoise

Sur l'origine de la poésie des troubadours il existe plusieurs hypothèses:

- la théorie arabo-andalouse - fait découler la poésie des troubadours du lyrisme

amoureux arabe, dans lequel on trouve, déjà bien des siècles avant la poésie des

troubadours occitans, un lyrisme chanté avec des strophes alternées et une série

de thèmes traditionnels. Depuis le IXe siècle, cet art était cultivé dans les cours

des princes arabes en Espagne. Les partisans de cette théorie supposent que les

troubadours ont repris une forme artistique déjà façonnée. La ressemblance des

motifs entre les sources arabes et la chanson d'amour provençale est très grande: il

ne s'agit pas cependant d'une imitation servile, car la conception éthique de l'amour

dans les deux cas est différente.

Il n'est donc pas exclu que la poésie islamique ait contribué à la naissance de

la lyrique occitane, comme l'a soutenu, entre autres, Ramon Menendez-Pidal. Un

des poèmes de Guillaume IX, la chanson XI, est écrit en quatrains d'octosyllabes

rimant AABB, ce qui est la forme même du zadjal andalou. Il est possible d'autre

part que le chanteur du grand chant courtois ait souvent modulé la fin des vers avec

des vocalises qui ne sont pas sans points communs avec celles de l'actuel flamenco.

- la théorie d'une origine antique (la thèse medio-latine) – est soutenue par le

Suisse Reto Bezzola, qui trouve la source de la fin’amors dans les vers du poète

Fortunat (VIe siècle) – évêque de Poitiers. Les précurseurs du lyrisme

troubadouresque seraient donc les néo-latins. Mais l’analyse parallèle de la poesie

medio-latine et de la lyrique occitane fait ressortir des différences tres grandes

(« climats affectifs » et « registres poétiques » différents). C’est qu’on peut retenir

de cette théorie, c’est l’influence de la poésie latine liturgique sur la structure

strophique et musicale des chansons.

- la thèse historique - explique la naissance de la poésie des troubadours à partir

de conditions historiques particulières, notamment la structure sociale de la société

courtoise. La femme du seigneur avait une position élevée dans la société courtoise

féodale; en l'absence de son mari (en cas de guerre ou de croisade), il était de son

ressort, du moins par moments, de diriger la cour et de gouverner. Comme elle

était héritière légitime, elle pouvait aussi devenir souveraine du territoire et le

chanteur de condition inférieure qui la servait était souvent son vassal.

Page 19: literatura romana dragoi

LEXIQUE

COURTOIS (CORTEIS) - de l'ancien français « court » - cour ; homme qui a

toutes les qualités spirituelles et physiques nécessaires à une mise en place de la

fin’amor.

COURTOISIE (CORTEZIA) – système idéologique développé pendant le XIIIe

siècle dans les cours seigneuriales médiévales, qui se fonde sur une théorie et une

pratique raffinée de la fin’amor occitane. Le sens large, complexe, de la notion de

« cortezia » désigne toutes les qualités spirituelles et physiques qui caractérisent les

gens de cour : l’élégance, la politesse, la générosité, l’art de parler etc. Dans le sens

étroit, elle désigne une sorte de religion de l’amour.

FIN’AMOR – terme en ancien français qui pourrait se traduire en français

moderne par « amour parfait » ; thème introduit vers la fin du XIe siècle par les

troubadours méridionaux dans leur poésie érotique qui bouleverse toutes les

valeurs communément admises au milieu du siècle. Ce type de passion amoureuse

répond à une recherche exigeante d’un amour empreint de ferveur mystique et

d’abnégation. L’idéologie de la fin’amor se trouve également à la base des

premiers romans courtois, sous la forme d’une soumission totale du chevalier à sa

Dame dans le cadre d’un amour nécessairement adultère (l’amor mixtus). Elle

apparaît d’abord comme une tentative de transposer dans le domaine des relations

amoureuses le respect de la chevalerie et les rapports de vassal à suzerain. L’amour

courtois reprend la structure de base du système féodal, mais place la dame dans la

situation du seigneur (la dame est interpellée avec les termes masculinisants

« senhal » ou « mi dons » – « mon seigneur ».)

JOVENS – valeur engendrée par la lyrique courtoise, qui exige de la part des gens

de cour la jeunesse d’âme, la ferveur. Le sens large de cette notion désigne un

ensemble de qualités morales et chevaleresques, de devoirs imposes par l’amour.

JOY – notion liée à la fin’amor, qui exprime une joie de vivre générale et

universelle. Vue comme synonyme d’amour, cette joie spirituelle devient une force

capable de transfigurer l’homme.

LARGUEZA - valeur engendrée par la lyrique courtoise, qui exige de la part des

gens de cour la générosité.

MEZURA – valeur engendrée par la lyrique courtoise, qui exige de la part des

gens de cour le contrôle de soi, l’équilibre des sentiments et de la raison. Vue

comme l’expression d’une double éthique – sociale et individuelle, la mesure est

un devoir social important de l’homme courtois.

Page 20: literatura romana dragoi

Unité 5 : Le lyrisme courtois – application

Fragments proposés à l’analyse:

Guette bien, guetteur du château,

Quand l'objet qui m'est le meilleur et

le plus beau,

Est à moi jusqu'à l'aube,

Le jour qui vient sans défaillir.

Jeu nouveau

Ravit l'aube, l'aube, oui l'aube!

Guette, ami, veille, crie, hurle,

Je suis riche, j'ai ce que je désire le

plus,

Mais je suis ennemi de l'aube.

La tristesse que nous cause le jour

M'abat

Plus que l'aube, l'aube, oui l'aube!

Gardez-vous, guetteur de la tour,

Du jaloux, votre mauvais seigneur,

Gêneur plus que l'aube;

Là-dessous parlent nos coeurs.

Mais peur

Nous fait l'aube, l'aube, oui l'aube!

Dame, adieu! Je ne puis rester

davantage:

Malgré moi je dois partir;

Combien m'attriste l'aube!

Avec quel chagrin je la vois se lever!

Nous berner

Veut l'aube, l'aube, oui l'aube!

Guette bien, guetteur du château,

Quand l'objet qui m'est le meilleur et

le plus beau,

Quand vois l'alouette mouvoir

De joie ses ailes face au soleil,

Que s'oublie et se laisse choir

Par la douceur qu'au cœur lui va,

Las! si grand envie me vient

De tous ceux dont je vois la joie,

Et c'est merveille qu'à l'instant

Le coeur de désir ne me fonde.

Hélas! tant en croyais savoir

En amour, et si peu en sais.

Car j'aime sans y rien pouvoir

Celle dont jamais rien n'aurai.

Elle a tout mon coeur, et m'a tout,

Et moi-même, et le monde entier,

Et ces vols ne m'ont rien laissé

Que désir et coeur assoiffé.

Or ne sais plus me gouverner

Et ne puis plus m'appartenir

Car ne me laisse en ses yeux voir

En ce miroir qui tant me plaît.

Miroir, pour m'être miré en toi,

Suis mort à force de soupirs,

Et perdu comme perdu s'est

Le beau Narcisse en la fontaine.

Des dames, je me désespère;

Jamais plus ne m'y fierai,

Autant d'elles j'avais d'estime

Autant je les mépriserai.

Pas une ne vient me secourir

Près de celle qui me détruit,

Car bien sais que sont toutes ainsi.

Avec moi elle agit en femme

Page 21: literatura romana dragoi

Est à moi jusqu'à l'aube,

Le jour qui vient sans défaillir.

Jeu nouveau

Ravit l'aube, l'aube, oui l'aube!

Guette, ami, veille, crie, hurle,

Je suis riche, j'ai ce que je désire le

plus,

Mais je suis ennemi de l'aube.

La tristesse que nous cause le jour

M'abat

Plus que l'aube, l'aube, oui l'aube!

Gardez-vous, guetteur de la tour,

Du jaloux, votre mauvais seigneur,

Gêneur plus que l'aube;

Là-dessous parlent nos coeurs.

Mais peur

Nous fait l'aube, l'aube, oui l'aube!

Dame, adieu! Je ne puis rester

davantage:

Malgré moi je dois partir;

Combien m'attriste l'aube!

Avec quel chagrin je la vois se lever!

Nous berner

Veut l'aube, l'aube, oui l'aube !

Raimbaud de Vaqueyras, Gaita ben,

gaiteta del chastel (aube) - Guette

bien, guetteur du château (Traduit du

provençal en français moderne)

Ma dame, c'est ce que lui reproche,

Ne veut ce que vouloir devrait

Et ce qu'on lui défend, le fait.

Tombé suis en male merci

Car ai fait le fou sur le pont

Et si celà m'est advenu

C'est qu'ai voulu monter trop haut...

Et puisqu'auprès d'elle ne valent

Prière, merci ni droit que j'ai,

Puisque ne lui vient à plaisir

Que l'aime, plus ne lui dirai;

Aussi je pars d'elle et d'amour;

Ma mort elle veut, et je meurs,

Et m'en vais car ne me retient,

Dolent, en exil, ne sais où.

Tristan, plus rien n'aurez de moi,

Je m'en vais, dolent, ne sais où;

De chanter cesse et me retire,

De joie et d'amour me dérobe

Bernard de Ventadour, Quand vey la

lauzeta mover, Quand je vois voler

l'alouette

(Traduit du provençal en français)

Belle Doette aux fenêtres s'assied,

Lit en un livre mais au coeur ne l'en

tient;

De son ami Doon lui ressouvient,

Qu'en d'autres terres est allé

tournoyer.

Et or en ai deuil.

L'autre jour, sous une haie

J'ai trouvé une bergère

Pleine de joie et de bon sens,

Portant cape et capuchon

Comme fille de vilaine,

Veste et chemise de toile,

Souliers et chausses de laine.

Page 22: literatura romana dragoi

Un écuyer aux degrés de la salle

Est descendu, a déposé sa malle.

Belle Doette les degrés dévale,

Ne cuide pas ouïr male nouvelle.

Et or en ai deuil.

Belle Doette aussitôt demanda:

"Où est messire que n'ai vu de

longtemps?"

Il eut tel deuil que de pitié pleura.

Belle Doette aussitôt se pâma.

Et or en ai deuil.

Belle Doette s'étant redressée,

Voit l'écuyer, à lui s'est adressée;

En son coeur est dolente et affligée

Pour son seigneur dont elle ne voit

mie.

Et or en ai deuil.

Belle Doette (lui) prit à demander:

"Où est messire que dois tant aimer?"

"Pour Dieu, dame, ne vous le puis

celer:

Mort est messire, occi fut à la joute."

Et or en ai deuil.

Belle Doette en son deuil vint à dire:

Quel malheur, comte Do (on), franc,

débonnaire,

Pour votre amour je vêtirai la haire,

Et sur mon corps n'aurai pelice de

vair,

Et or en ai deuil.

Pour vous deviendrai nonne à l'église

Saint-Paul.

Pour vous, je ferai une abbaye telle,

Que ce jour sera jour de fête nommé.

Si quelqu'un vient qui ait s'amour

Je viens à elle à travers prés

-Fille, dis-je, tendre chose,

J'ai mal car vous pique le froid.

-Seigneur me dit la vilaine,

Grâce à Dieu et à me nourrice,

Le vent peut bien m'ébouriffer,

Je suis gaie et bien portante.

-Fille, dis-je, jolie chose,

Je viens de quitter mon chemin

Pour vous tenir compagnie.

Une si jolie paysanne

Ne doit pas garder ainsi

Un si grand troupeau de brebis

Toute seule en pareil lieu.

-Monseigneur, qui que je sois,

Je connais bon sens et folie;

Quant à votre compagnie,

Monseigneur, dit la vilaine,

Qu'elle reste où elle doit.

Car tel croit saisir ceci

Qui n'en a que l'apparence.

...

-Fille, un coeur fier et sauvage

Finit pas s'apprivoiser.

Et j'ai bien vu au passage,

Qu'avec si mignonne vilaine

On peut faire un jolie couple.

En toute tendresse de coeur,

Pourvu que l'un ne trompe l'autre

...

-Seigneur, oui, mais selon la nature,

Le fou cherche la folie,

Le courtois la courtoisie,

Le paysan le paysanne.

Le bon sens est vite fêlé,

Si on ne garde la mesure

Ainsi disent les Anciens.

Page 23: literatura romana dragoi

trompé,

Ja de ce moutier ne saura l'entrée.

Et or en ai deuil.

Pour vous deviendrai nonne à l'église

Saint-Paul.

Belle Doette prit l'abbaye à faire,

Qui moult est grande et tôt sera plus

grande;

Tous ceux et celles veut y accueillir

Qui pour amour peines et maux

endurent.

Et or en ai deuil.

Pour vous deviendrai nonne à l'église

Saint-Paul.

-Fille, je n'ai jamais vu

De fille aussi maline

Ni de coeur plus coquin que vous.

-Seigneur, la chouette dit:

Un tel baille à l'apparence

Et l'autre attend la manne.

Marcabru, L'autrier jost, una sebissa,

L'autre jour sous une haie (Extrait

traduit du provençal en français

moderne)

A la douceur de la saison nouvelle,

Feuillent les bois, et les oiseaux

Chantent, chacun dans son latin

Sur le rythme d’un chant nouveau ;

Il est donc juste qu’on ouvre son

cœur

A ce que l’on désire le plus.

De là-bas où est toute ma joie,

Ne vois venir ni messager ni lettre

scellée,

C’est pourquoi mon cœur ne dort ni

ne rit.

Et je n’ose faire un pas en avant,

Jusqu'à ce que je sache si notre

réconciliation

Est telle que je la désire.

Il en est de notre amour comme de la

Branche d’aubépine

Qui sur l’arbre tremble

La nuit, exposée à la pluie et au gel,

Jusqu’au lendemain, où le soleil

s’épand

Sur ses feuilles vertes et ses

Bien me plaît le gai temps de Pâques,

Qui fait feuilles et fleurs revenir,

Et me plaît ouïr le bonheur

Des oiseaux qui font retentir

Leurs chants par le bocage,

Et me plaît quand vois sur les prés

Tentes et pavillons dressés,

Et j'ai grand allégresse,

Quand vois dans la plaine rangés

Chevaliers et chevaux armés.

Et me plaît quand les éclaireurs

Font les gens avec leurs biens fuir,

Et me plaît quand vois après eux

Une grande armée ensemble venir,

Et me plaît en mon coeur

Quand vois châteaux-forts assiégés,

Remparts rompus et effondrés,

L'armée sur le rivage

Qui est entouré de fossés

Clos par de forts pieux serrés.

Et aussi me plaît le seigneur

Quand est premier à assaillir

A cheval, armé, et sans peur,

Page 24: literatura romana dragoi

rameaux.

Encore me souvient du matin

Où nous mimes fin à la guerre,

Et où elle me donna un don si grand,

Son amour et son anneau :

Que Dieu me laisse vivre assez

Pour que j’aie un jour mes mains

sous son manteau.

Car je n’ai souci des propos

étrangers

Qui voudraient m’éloigner de mon

« Beau-Voisin »,

Car je sais ce qu’il en est

Des paroles et des brefs discours que

l’on répand :

Mais nous en avons la pièce et le

couteau.

(Guillaume de Poitiers, A la douceur

de la saison nouvelle)

Qu'ainsi fait les siens s'enhardir

Par valeureux exploits;

Quand dans le combat est entré

Chacun doit être décidé

A le suivre avec joie,

Car nul homme est en rien prisé

Avant qu'ait maints coups échangés.

Masses et épées, haumes de couleur,

Ecus tranchés et dégarnis

Verrons à l'entrée du combat

Et maints vassaux ensemble frapper,

Et en désordre courir

Chevaux des morts et des blessés;

Et quand il est en lutte entré,

Chaque homme de haut parage

Ne pense qu'à têtes et bras briser,

Mieux vaut un mort qu'un prisonnier.

Je ne trouve autant de saveur

A manger ou boire ou dormir

Comme quand ouïs crier: "A eux!"

De toutes parts, et ouïs hennir

Les chevaux par l'ombrage

Et ouïs crier: "A l'aide, à l'aide!"

Et vois tomber dans les fossés,

Petits et grands dans l'herbage,

Et vois les morts qui portent au flanc

Tronçons de lances avec leurs

flammes.

Barons, mettez en gages,

Châteaux, villes et cités,

Venez avec nous guerroyer.

Bertrand de Born, Be'm platz lo gais

temps de Pascor, Bien me plaît le gai

temps de Pâques (Traduit du

provençal)

Page 25: literatura romana dragoi

Les formes du lyrisme courtois

ALBA (DIALOGUE AMOUREUX, CHANSON D’AUBE, AUBE, AUBADE)

– composition poétique savante du Moyen-Âge, fortement influencée par la

musique sacrée. Cette forme lyrique, longtemps en vogue en Provence, est un

dialogue amoureux qui comporte trois grands thèmes : la séparation des amants à

l’aube, le chant des oiseaux au lever du soleil et l’intervention du guetteur qui

interdit à tout importun de s’approcher et prévient les amants qu’avec l’aube vient

la séparation. La caractéristique de cette forme poétique est que le mot « alba »,

signifiant « aube », apparaît dans le dernier vers de chacun des six ou sept couplets

de la chanson.

CANSO (CHANSON D’AMOUR, CHANSON COURTOISE) – forme

poétique élaborée par les troubadours, correspondant à la chanson des trouvères ;

genre poétique très souple, formé de quatre à six strophes - « coblas », qui répètent

un schéma librement construit et qui s’accompagnent de la même mélodie. La

dernière strophe s’appelle « tornada ».

CHANSON DE TOILE (CHANSON D’HISTOIRE, ROMANCE, CHANSON

À FILER, BRODER, TISSER) – poème à forme variable, qui évoque les amours

d’un personnage féminin travaillant à son métier à tisser, d’où le nom de chanson

de « toile ». La belle dame s’y lamente en général sur la mort de son amoureux ou

sur son entrée au couvent. Chaque strophe se termine par un refrain. Cette forme

poétique est sans doute l’une des plus anciennes de la littérature française. Les

chansons de toile n’ont pas été composées par de petites fileuses de lin, mais par

des poètes et des musiciens accomplis.

ENVOI – vers à la fin d’une chanson ou d’une ballade qui contient le nom ou le

titre du destinataire (qui est soit la Dame, soit un grand personnage nommé

« Prince »). L’envoi est construit sur le même schéma de rimes que les strophes du

poème lyrique. En provençal: « tornada ».

PASTOURELLE – genre populaire qui se répand aux XIIe et XIII

e siècles dans

l’aire linguistique de la langue d’oïl (au nord de la Loire) et plus particulièrement

en Picardie ; chant d’amour, d’une structure strophique élaborée, qui fait alterner

couplets et refrain. La pastourelle obéit à un schéma stéréotypé - au cours d’une

promenade, le poète rencontre invariablement une bergère qui ne se laisse pas

séduire.

REVERDIE – poème chanté associant le renouveau de la nature et la rencontre

amoureuse dans une atmosphère légère invitant à la danse. Le cadre traditionnel de

la chanson courtoise - qui se donne pour tache de célébrer « la plus belle qui soit el

mont » (« au monde ») - est le temps des Pâques, dont les éléments indissociables

sont le chant des oiseaux, les feuilles et les fleurs nouvelles.

Page 26: literatura romana dragoi

SIRVENTÉS (SERVENTOIS) – forme poétique utilisée par les troubadours et

les trouvères ; poème de circonstance, qui met en œuvre des problèmes de

l’actualité sur un ton souvent satirique ou moralisant. Il emprunte la forme des

vers, les rimes et le couplets à la chanson courtoise, mais, à l’opposé de celle-ci, il

n’exprime pas un sentiment individuel, mais un sentiment partagé par plusieurs

personnes.

TORNADA – strophe qui se trouve à la fin de la chanson en langue d’oc, égale à

la moitié d’une cobla ; elle ne comporte pas de refrain.

Unité 6 : Le roman courtois

Le mot « roman » signifiait au Moyen-Age tout texte traduit du latin en

langue vulgaire. Aux XIIe

et XIIIe siècles, on appelle aussi « romans » des textes

qui ne le sont pas tout à fait (Roman de Brut, Roman de la Rose, Roman de

Renart), tandis que l'on continue de trouver en concurrence, pour désigner le genre

romanesque, le mot « conte », qui en ancien français a le sens général de récit. Ce

roman est généralement dit « courtois ». La chevalerie prétend, à travers le roman,

ériger sa morale de classe en vérité universelle. Le roman répond aux aspirations

d’une aristocratie raffinée, disposant des loisirs, soucieuse d’encourager un art qui

soit à la fois l’expression embellie d’un idéal de vie et l’occasion d’une évasion par

le rêve.

Le XIIe siècle est celui de l'invention du genre romanesque en langue

française. Il voit fleurir des romans d'une grande diversité thématique, mais qui

sont en vers.

Les prologues des romans en vers insistent d'ailleurs sur le travail et le

savoir-faire de l'écrivain, qui y est souvent nommé. Ils sont le lieu d'une réflexion

sur l'écriture, sur son rapport à sa source. Mettre en roman, c'est mettre en

mémoire, consigner le passé par écrit afin qu'il survive. C'est aussi diffuser un

savoir et une sagesse : le romancier médiéval est le plus souvent un clerc, éclairé

par la religion chrétienne. Benoît de Sainte Maure insiste également sur le plaisir

que doit procurer le roman : il faut divertir pour instruire.

Les grandes œuvres de l'Antiquité sont au XIIe

siècle l'objet d'une

redécouverte relative : le Moyen-Âge ignore Homère ou les tragiques grecs, mais

dispose d'adaptations latines. Les romans dits « antiques » s'inspirent de ces

sources latines. Le premier roman antique a été rédigé vers 1120 par Albéric de

Pisançon qui a conté en laisses octosyllabes dans Les romans d’Alexandre

l’histoire d’Alexandre le Grand d’après des sources légendaires. Il ne reste de

l’œuvre qu’une centaine d’octosyllabes groupés en laisses. Le cycle d’Alexandre

ouvre le goût du public pour un certain exotisme, voire pour un merveilleux

Page 27: literatura romana dragoi

oriental qui se retrouvera dans tous les autres « romans antiques » et qui réside

dans la description d’animaux et d’oiseaux fabuleux.

Les romans antiques les plus accomplis sont le Roman de Thèbes qui

s'inspire de la Thébaïde du poète latin Stace et relate le combat entre les fils

d'Oedipe, Polynice et Etéocle. Le Roman d'Énéas reprend et développe le thème

du héros fondateur d’une cité. L’innovation réside portant dans la façon de traiter

les personnages féminins. L’auteur s’inspire d’Ovide et Virgile : à un il emprunte

la trame de son récit et à l’autre les thèmes et les techniques des développements

amoureux.

Le clerc Benoît de Sainte-Maure est l’auteur du Roman de Troie. Il est

fidèle encore aux grands thèmes épiques.

Les romans antiques inaugurent des procédés qui seront durablement ceux

du genre romanesque : l'action narrative à proprement parler y est de plus en plus

fréquemment interrompue par diverses digressions, qui créent une durée et une

temporalité propres au roman. De longues descriptions (portraits de femmes ou

descriptions de ville), dilatent la narration : elles ont une fonction esthétique et sont

parfois l'occasion de somptueuses inventions langagières, mais elles ont également

une fonction didactique, en permettant au clerc de transmettre ses connaissances

scientifiques, politiques. L'action est aussi interrompue par des monologues et des

dialogues en tout genre : le roman, ainsi, découvre l'introspection et l'analyse

psychologique.

La matière de Bretagne s'inspire de légendes et contes celtiques transmis

oralement. Elle réunit ses thèmes et ses personnages dans un ensemble de récits et

de motifs légendaires regroupés autour de la figure d'Arthur et de ses chevaliers de

la Table Ronde. Les romans bretons ont également des sources plus savantes,

notamment diverses chroniques rédigées en latin depuis le VIe siècle : Geoffroy de

Monmouth écrit en 1136 une Historia Regnum Britanniae qui établit une filiation

entre Troie et l'Empire breton, fondé par Brutus, fils d'Ascagne et petit fils d'Énée.

L’illustre figure de Grande-Bretagne, Arthur est un personnage situé aux frontières

du réel et de l’imaginaire. Son identité historique est celle d’un chef militaire, qui

organise au VIe siècle la lutte de la nation bretonne contre les envahisseurs saxons.

La littérature fait de lui un roi mythique, un souverain idéal, représentant de toutes

les valeurs chevaleresques du Moyen-Âge. Arthur apparaît dans un texte du IXe

siècle, Historia Brittonum, attribué à Nennius, puis réapparaît dans les Annales

Cambriae du Xe

siècle. Wace décide de traduire le texte latin de Geoffroy et son

Roman de Brut amplifie le succès de l’histoire arthurienne. Sous la plume des deux

auteurs Arthur est un roi guerrier et aussi un souverain courtois exemplaire.

Marie de France est la première femme écrivain française, mais on ne sait

quasiment rien d'elle, si ce n'est ce qu'elle écrit elle-même dans l'épilogue de ses

Fables : "Marie ai num, si sui de France" (J'ai pour nom Marie et je suis de

Page 28: literatura romana dragoi

France). Vivant probablement en Angleterre, liée à la cour d'Henri II Plantagenêt et

d'Aliénor d'Aquitaine, elle devait être originaire d'Île-de-France. Son œuvre

manifestant une grande culture, on la suppose abbesse d'un monastère. On a

conservé d'elle des œuvres d'inspiration assez différente.

Les Lais ou Contes sont un recueil de douze courts récits en octosyllabes à

rimes plates, de dimensions variables, qui sont aux romans bretons ce que les

nouvelles seront plus tard aux romans. Marie dit avoir écrit et « assemblé » ses

textes à partir de « lais bretons ». Un seul de ces lais est à proprement parler

arthurien, le lai de Lanval. L'amour, le plus souvent en marge de la société, est le

sujet principal du recueil : le plus court mais peut-être le plus beau de ces textes, le

Lai du chèvrefeuille, se rapporte ainsi à l'histoire de Tristan et Iseut. Plusieurs lais

font intervenir le merveilleux, mais tous ont néanmoins le monde réel pour toile de

fond. Outre les Lais, Marie de France est aussi l'auteur d'un recueil de Fables.

La légende de Tristan et Iseut a connu plusieurs versions au XIIe siècle,

dont certaines sont perdues. Nous ne possédons d'ailleurs aucun manuscrit

complet, mais seulement des fragments assez brefs. La forme et l'esprit de ce

"conte d'amour et de mort" varient selon les versions conservées. Seule demeure la

fascination qu'il exerce sur l'ensemble du monde occidental depuis le Moyen Âge.

Comme le motif du Graal, l'histoire de Tristan et Iseut a engendré un véritable

mythe qui a profondément marqué l'inconscient collectif.

La version de Béroul, trouvère normand, est sans doute la plus ancienne.

Nous n'en possédons qu'une seule copie manuscrite de la fin du XIIIe

siècle, qui

regroupe des fragments importants. Le Tristan de Béroul témoigne de l'état le plus

primitif de la légende : le filtre d'amour y est vraiment une boisson magique. À ses

yeux Tristan et Iseut sont innocents, capables de remords.

La version de Thomas d’Angleterre, trouvère anglo-normand, écrite vers

1175, comprend plusieurs fragments lacunaires et discontinus. Elle se caractérise

par une plus grande influence de la courtoisie et un goût nettement plus affirmé

pour l'analyse psychologique : le filtre d'amour acquiert un sens symbolique.

De Folie Tristan, qui raconte un épisode où Tristan feint la folie pour

approcher Iseut, nous disposons de deux versions, dans les manuscrits d'Oxford et

Berne.

Le Lai du Chèvrefeuille de Marie de France, vers 1160-1170, évoque

également la légende de Tristan et Iseut. Aux XIIIe

et XIVe

siècles, enfin,

paraissent plusieurs versions en prose anonyme, qui font de Tristan, devenu

chevalier de la Table Ronde, un autre Lancelot.

Chrétien de Troyes est considéré comme le fondateur du roman occidental.

Nous ne savons presque rien de ce grand écrivain. On suppose qu'il a fréquenté les

cours de Marie de Champagne puis de Philippe d'Alsace, comte de Flandres

(Perceval lui est dédié). Sa grande culture semble indiquer une formation de clerc.

Page 29: literatura romana dragoi

Chrétien de Troyes a multiples héritiers tout au long du Moyen-Âge. Dans les

prologues de ses romans, le romancier expose de façon claire les grands principes

de sa poétique, qui est également celle du roman de cette époque. Elle s'articule

autour de trois notions : la matière (le sujet), fournie par des sources orales ou

écrites, le sens (la direction, l'orientation générale) et la conjointure (la

composition), qui donne cohérence, unité et fait du roman une œuvre d'art. Pour la

première fois avec Chrétien de Troyes, on peut parler d'une « œuvre » parce que

ses romans forment un ensemble cohérent.

Il est l'auteur de cinq romans en vers : Erec et Enide (1170), Cligès (1176),

Le Chevalier de la Charrette et Le Chevalier au Lion et Le Conte du Graal

(1182-1190). Les aventures des chevaliers qui sont les héros de ces romans ont

bien entendu un sens symbolique : il s'agit de la quête d'une identité. L'amour tient

également une large place, mais, chez Chrétien de Troyes, ne se réalise

pleinement que dans le mariage. Il a également écrit deux chansons d'amour qui

sont les plus anciennes connues en langue d'oïl, ainsi qu'un bref récit, Philomela,

inspire des Métamorphoses d’Ovide.

Avec Chrétien de Troyes, le personnage Arthur se stabilise peu à peu,

devient lié à la cour d’où il maintient un certain ordre sur le monde. Il perd son

caractère guerrier pour se transformer en « roi fantôme ». La cour lui sert de

témoin et de mémoire aux multiples aventures des chevaliers de la Table Ronde,

parmi lesquels Yvain du roman Le Chevalier au lion, Lancelot (Le Chevalier de la

charrette) ou Perceval (Le conte du Graal).

Lancelot, le personnage du roman Le chevalier de la charrette part en quête

de Guenièvre, sa Dame, mais l’épouse du roi Arthur, emmenée par Maléagant au

royaume de Gorre. Son caractère exceptionnel, sa valeur qui prend source dans

l’amour, sont mis en évidence par son opposition à Gauvain. Pour la première fois,

Chrétien fait mener la quête par deux héros mais, chaque fois, Lancelot s’avère être

supérieur à Gauvain. Il est animé par les valeurs autonomes de l’Amour,

contrairement au dernier qui agit au nom de la Raison. L’auteur joue sur

l’alternance de deux temps : le temps profane, linéaire, mesurable et le temps sacré

où le passé, le présent et l’avenir se confondent. La quête de la reine jusqu’au Pont

de l’épée se déroule en six jours. Dès que Lancelot pénètre dans le royaume de

Gorre, la chronologie devient floue.

Les romans de Chrétien sont régis par une double cohérence, mythique et

chevaleresque. Les résidus mythologiques sont nombreux. Les héros, après de

multiples épreuves : baptême initiatiques (Lancelot traversant le pont de l’Épée),

obtention du nom, donc d’une identité rattachée à un destin (Yvain devenu « le

chevalier au lion », Perceval « devinant » son nom après l’épreuve du Graal),

suicides symboliques, accèdent après avoir rempli des rites de passage à un autre

monde.

Page 30: literatura romana dragoi

LEXIQUE

ARTHURIEN (CYCLE) - une série d’oeuvres écrites pendant plusieurs siècles

par de nombreux auteurs de différentes nationalités. Elles présentent l’histoire de la

Grande Bretagne et les aventures de ses vaillants protagonistes. Ces derniers

respectent un code de l’honneur emblématique rassemblant les valeurs

fondamentales des chevaliers de la Table Ronde.

CHANTEFABLE - forme mixte, composée de morceaux narratifs en prose, faits

pour être dits, et de passages en vers destinés à être chantés. La chantefable la plus

célèbre, du moins le seul exemplaire du genre qui ait survécu, genre probablement

populaire au Moyen-Âge, en France, est Aucassin et Nicolette.

GRAAL – thème central de la littérature du XIIIe siècle, qui apparaît pour la

première fois dans Le Conte du Graal de Chrétien de Troyes, sous la forme

christianisée du saint Graal ; cf. Robert de Boron, la coupe dans laquelle Joseph

d’Arithmatie aurait recueilli le sang du Christ sur la croix.

ROMANZ – langue parlée, populaire, souvent argotique, dérivée d’un latin

dégradé, contaminé parfois par des emprunts à des dialectes celtique et

germanique, qui se fixe à l’écrit à partir du XIIe siècle. Elle permet l’accès de ceux

qui ignorent le latin au patrimoine de la Rome classique.

– terme qui désigne une production littéraire rédigée en lingua romana

(langue vulgaire).

ROMAN ANTIQUE – formule épique de l’Occident médiéval qui respecte les

codes courtois du XIIe siècle ; rédigée en octosyllabes par des clercs, entre 1130 et

1160, cette forme romanesque réalise la transition de l’épopée au roman courtois.

Ces « romans-fleuves » (dont les plus longs comptent 30.000 vers) tournent autour

d’une matière épique centrée sur l’imaginaire légendaire de l’Antiquité gréco-

latine. Les décalages entre les codes spirituels courtois de l’époque médiévale et

les légendes antiques expliquent la présence massive des anachronismes.

ROMAN COURTOIS – long récit en octosyllabes à rimes plates, qui a des sujets

empruntés à l’Antiquité ou à la matière de Bretagne. On situe l’apogée du genre au

XIIIe siècle, avec les grands cycles en prose rattachés au Graal et à la Table Ronde.

Ce genre narratif en vers réussit à instituer la formule du roman chevaleresque

généralisée dans toute l’Europe médiévale. Il sous-tend un inventaire thématique

redevable au double idéal humain du monde médiéval – le saint et le héros – réunis

dans l’image du chevalier engagé dans une quête spirituelle.

ROMAN D’AVENTURES – catégorie de romans centrés sur une intrigue

événementielle, où le personnage acquiert une importance secondaire.

Page 31: literatura romana dragoi

TABLE RONDE – motif présent dans les romans arthuriens sous la forme d’une

table magique, fondée par Merlin, autour de laquelle peuvent s’asseoir seulement

les bons chevaliers.

Unité 7 - Application

Yvain ou le chevalier au lion de Chrétien de Troyes

Chevalier de la Table Ronde en quête d’exploits à accomplir, Yvain entend

parler par son ami Calogrenant d’une aventure insolite : une fontaine merveilleuse

gardée par un chevalier redoutable. Décidé à tenter seul l’épreuve, Yvain se rend à

la fontaine et tue le chevalier qui la garde. Grâce à l’intervention d’une jeune

servante, Lunette, il épouse Laudine, la dame du château. Après quelques jours de

mariage, Yvain, qui désire retourner à la cour d’Arthur, fait à sa belle épouse le

serment solennel de revenir avant la fin de l’année écoulée. Mais il manque à sa

promesse et perd l’amour de sa bien-aimée. Fou de douleur, le héros erre dans la

forêt et sauve en chemin un lion qui deviendra son compagnon. Après bien des

épreuves et des combats, Yvain pourra enfin reconquérir le cœur de Laudine.

Il advint, pres a de set anz, advenir :

arriver

Que je seus comme païsanz seus : seul

Aloie querant avantures, querir :

chercher

Armez de totes armeüres

Si come chevaliers doit estre,

Et trovai un chemin a destre, destre :

droite

Parmi une forest espesse,

Moult i ot voie felonesse, félon : traître,

dangereux

De ronces et d’espines plainne ;

A quelqu’ennui, à quelque painne,

Ting cele voie et cel santier. cel, cele :

ce, cette

A bien pres tot le jor antier

M’an alai chevauchant einsi

Tant que de la forest issi, issir : sortir

Et ce fut an Broceliande.

Il m’arriva, voici près de sept ans que,

seul comme un paysan, je m’en allais en

quête d’aventures, armé de pied en cap

comme doit l’être un chevalier, et je

trouvai sur ma droite un chemin qui

s’engageait dans une épaisse forêt.

C’était une voie dangereuse, de ronces

et d’épines ; avec bien du mai et bien de

la peine, je suivis cette voie qui n’était

qu’un sentier. Pendant presque toute la

journée, je poursuivis ma chevauchée, et

je finis par sortir de la forêt : j’étais en

Brocéliande. De la forêt, je passai dans

une lande, et j’aperçus une tour à une

demi lieue galloise (peut-être une demi

lieue mais pas plus).

Page 32: literatura romana dragoi

De la forest an une lande

Antrai et vi une bretesche

A demi liue galesche : liue galesche :

lieue galloise

Se tant i ot, plus n’y ot pas.

Le bon roi Arthur de Bretagne,

Dont les prouesses nous enseignent

Que nous devons être preux et courtois,

Tint sa cour aussi riche que royale

A cette fête qui est si précieuse,

Qu'on nomme Pentecôte.

Le roi fut à Carduel au Pays-de-Galles.

Après le repas, les chevaliers

Se rassemblèrent dans les salles,

Où les dames, les demoiselles

Et les pucelles les attiraient.

Les uns racontaient des nouvelles,

Les autres parlaient d'Amour,

Des angoisses et des chagrins

Et des grands plaisirs qu'en ont souvent

Ceux qui se soumettent à sa règle monastique,

Et qui auparavant étaient riches et de bonne famille.

(…)

Un chevalier très avenant

Qui venait juste de commencer un conte,

Qui n'était pas à son honneur, mais à sa honte.

Pendant qu'il racontait,

La reine l'écoutait.

Elle s'est levée de sa place auprès du roi

Et est venue seule, allant si doucement

Qu'avant que nul n'ait pu la voir,

Elle s'est laissé tomber au milieu d'eux.

Seul Calogrenan

S'est levé devant elle.

Et Keu, qui était très railleur,

Méchant, poignant et plein de dépit,

Lui a dit: « Par Dieu, Calogrenan,

Je vous vois maintenant très preux et serviable,

Et il me plaît beaucoup que vous

Page 33: literatura romana dragoi

Soyez le plus courtois de nous tous;

Je sais bien que c'est ce que vous croyez,

Tellement vous êtes dépourvu de bon sens.

C'est de plein droit que Madame consent à ce que

Vous ayez plus que nous tous

De courtoisie et de prouesse:

Tout à l'heure nous n'avons pas omis par hardiesse,

J'espère, de nous lever,

Ou parce que nous n'avons deigné,

Au nom de Dieu, Sire, le faire,

Mais parce que nous n'avons pas vu

Madame avant que vous vous soyez levé.

(Chrétien de Troyes, Yvain, le chevalier au lion)

« Comme il allait devant Yvain, le lion sentit dessous le vent bêtes sauvages à la

pâture. L'instinct et la nature le poussaient à aller en proie et à pourchasser sa

vitaille. Il se mit un petit dans leurs traces pour bien montrer à son seigneur qu'il

avait sentit et rencontré vent et flair de bête sauvage. Il le regarde et il s'arrête car il

veut le servir selon son gré et non contre sa volonté. Messire Yvain voit bien que la

bête lui montre q'elle l'attend, qu'elle restera s'il reste et qu'il pourra prendre la

venaison que lion a flairée. Alors messire Yvain l'excite comme il ferait pour un

brachet. » (Chrétien de Troyes, Yvain, le chevalier au lion)

****

Le Chevalier, qui veut bien qu'elle ait le peigne,

Le lui donne, mais pas avant d'en avoir retiré les cheveux

Si doucement qu'il n'en rompt aucun.

Jamais yeux ne verront

Honorer un objet

Comme il se met à révérer les cheveux;

Bien cent mille fois il les applique

Contre ses yeux, contre sa bouche,

Contre son front et son visage :

Leur contact le plonge dans l'extase.

Les cheveux de la reine sont pour lui bonheur et richesse :

Sur sa poitrine, près du coeur, il les place

Entre chemise et chair.

Il ne les aurait pas échangés contre un chariot

Chargé d'émeraudes et d'escarboucles.

Page 34: literatura romana dragoi

Il ne pense pas que les ulcères

Ou tout autre mal puissent désormais l'atteindre;

Il dédaigne maintenant le diamargareton,

La pleuriche, la thériaque

Et les prières à saint Martin et saint Jacques,

Car en ces cheveux il a tant confiance

Qu'il n'a besoin de leur aide.

Mais au juste, quel est l'attrait des cheveux ?

On me tiendra pour un menteur ou pour un fou

Si je dis la vérité :

Quand la foire du Lendit bat son plein

Et il y aura le plus de marchandises,

Le Chevalier refuserait le tout,

C'est certain, en échange

De la découverte des cheveux.

Et si vous voulez que je vous explique pourquoi,

De l'or cent mille fois raffiné

Et puis autant de fois refondu

Paraîtrait aussi peu brillant que la nuit

Par rapport au plus beau jour

Que nous ayons eu de tout cet été

À qui verrait un tel or

Et voudrait le comparer aux cheveux de la reine.

Mais à quoi bon m'attarder davantage là-dessus ?

La demoiselle remonte prestement en selle

Avec le peigne qu'elle emporte,

Et le Chevalier se réjouit

Des cheveux pressés contre sa poitrine.

Après la plaine ils arrivent à une forêt

Où ils suivent une allée

Qui devient de plus en plus étroite,

Au point qu'ils doivent chevaucher l'un après l'autre,

Car il était impossible d'y mener

Deux chevaux de front.

La demoiselle s'en va tout droit

Devant son invité de la veille.

Là où l'allée s'était le plus rétrécie ils voient venir un chevalier.

La demoiselle aussitôt,

De si loin qu'elle le vit,

L'a reconnu et dit à son compagnon :

Page 35: literatura romana dragoi

Sire Chevalier, voyez-vous

Celui qui vient vers nous

Tout armé et prêt à combattre ?

Il pense m'emmener d'ici sur l'heure,

Sans résistance de votre part.

(Chrétien de Troyes, Lancelot, le chevalier de la charrette)

Puisque ma dame de Champagne veut que j'entreprenne un roman, je

l'entreprendrai volontiers comme le peut faire un homme qui est sien tout entier

pour tout ce que je puis faire au monde. Je le dis sans y mettre nul grain d'encens,

mais j'en connais bien d'autres qui voudraient en célébrer grande louange et

diraient assurément que cette dame surpasse toutes les autres comme le zéphyr qui

vente en avril ou mars emporte sur tous les autres vents.

Non, par ma foi, je ne suis pas celui qui veut faire ainsi louange de sa

dame ! Dirai-je donc alors : "Autant vaut un diamant de cabochons et de sardoines,

autant la reine vaut de comtesses ?" Non vraiment je n'en dirai rien et en maugré de

moi, car cela est bien vrai pourtant. Mais je dirai qu'en cet ouvrage œuvrent bien

mieux ses commandements que mon talent et que ma peine. Chrétien commence

donc à rimer son livre du Chevalier à la charrette. La comtesse lui en donne la

matière et le sens et il s'entremet de penser, n'y dépensant guère que son travail et

son attention. (Chrétien de Troyes, Lancelot, le chevalier de la charrette)

Unité 8 – La littérature bourgeoise

Les fabliaux

A partir du XIIIe siècle, avec l’apparition des bourgs, se développe une

littérature plus populaire, dite « bourgeoise », d’inspiration comique et satirique ou

empreinte de réalisme mêlé de lyrisme personnel.

Le XIIIe

siècle est une période caractérisée par: l’apogée culturel, la

prospérité économique, les échanges commerciaux (Italie-Pays-Bas), l’expansion

de la Chrétienté (Ordre des Templiers, Chevaliers Teutoniques, Reconquista,

Marco Polo), les problèmes politico-religieux (hérésies, Cathares, Inquisition),

l’affermissement du pouvoir royal et l’apparition du concept de nation. On diffuse

bon nombre de recueils de proverbes, d’arts d’aimer, d’arts de mourir. Le Roman

de la Rose, (Guillaume de Lorris & Jean de Meung) allégorie de la quête de

l’Amour, apparaît pour longtemps comme le type même du littéraire, c’est-à-dire

une fiction derrière laquelle se cache la Vérité.

Les fabliaux s’intéressent à la vie quotidienne et à la satire sociale. Les

historiens littéraires estiment qu’il y a à peu près 150 récits écrits entre 1159 et

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1340, en majorité dans les provinces du Nord (Picardie, Artois et Flandre). Les

auteurs en sont des clercs menant une vie errante et des jongleurs. Bon nombre de

fabliaux sont anonymes et, si nous connaissons certains auteurs par leur nom, c’est

là que se limite notre science. Les plus connus sont Rutebeuf, Philippe de

Beaumanoir, Henri d’Andeli, Huon le Roi, Gautier Le Leu. Le public auquel

s’adressaient les auteurs des fabliaux appartenait surtout à la bourgeoisie (même si

parfois ces fabliaux pénétraient la haute société). C’est pourquoi leur conception

du monde reflète majoritairement l’esprit de la bourgeoisie.

Dans la forme des fabliaux on ne trouvera ni perfection, ni variété: la

versification est monotone avec ses vers octosyllabiques disposés par deux (ou

encore disposés de la manière la plus simple), les rimes sont plates et souvent

incorrectes et le style tend vers la négligence voire la grossièreté. Ce qui

caractérise le récit, c’est la concision, la rapidité, la sécheresse, et l’absence de tout

pittoresque. Pour donner aux fabliaux une certaine dignité littéraire, on ne trouve

que la rapidité de l’action et la vivacité des dialogues.

Une grande partie des fabliaux est empruntée à la réalité quotidienne de la

petite bourgeoisie. Leurs éléments essentiels sont la satire et la morale, car la

bourgeoisie est représentée sans la moindre volonté de l’idéaliser, et la nature sans

le moindre désir d’embellir les faits. La satire s’y retrouve sous une forme

rudimentaire: plaisanterie ou dérision, elle n’est conditionnée que très rarement par

une intention consciente de l’auteur de se moquer de tel ou tel aspect de la vie. En

revanche, la morale joue un rôle assez important dans les fabliaux, mais elle ne

présente pas une relation étroite avec le récit et n’en constitue pas le but. Elle peut

d’ailleurs faire défaut sans porter préjudice au sujet du récit, et souvent même en

vient à le contredire.

Les fabliaux poussent souvent la grossièreté jusqu’au cynisme et à

l’obscénité. Dans leur grande majorité, les sujets se réduisent à représenter des

aventures amoureuses chez des femmes de la bourgeoisie ou du monde rural avec

des curés de campagne ou des moines. D’autres fabliaux représentent le plus

souvent de façon comique des prêtres, mais aussi des vilains et des bourgeois

(rares sont les personnages provenant du monde des chevaliers et des puissants).

Quelques textes mettent en scène le sacré (les apôtres et Dieu lui-même), sur un

mode familier et comique (Saint Pierre et le Jongleur, Les Quatre Souhaits de

Saint Martin). Les auteurs des fabliaux ne s’intéressaient pas à la littérature ; leur

but premier était d’attirer l’attention du public peu cultivé, mais en même temps le

plus nombreux, en l’amenant à un gros rire, salutaire au fond puisqu’il lui donnait

la force d’oublier pendant un moment les chagrins et les souffrances.

Cet aspect de la littérature a une importance immense dans l’histoire

française, parce qu’il impose un esprit nouveau, presque moderne. Le rire et la joie

de vivre remplacent la morosité et la rectitude médiévales. L’esprit laïc des

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fabliaux reporte l’intérêt sur la réalité et sur le quotidien. C’est un progrès immense

par rapport à l’idéal médiéval de l’ascétisme. D’un autre côté, face à la puissance

grossière de l’argent, on proclame pour la première fois le principe que la ruse ou

l’esprit constituent une vraie force (miex fait l’engien que ne fait force). Plusieurs

auteurs enfin jouent le rôle de défenseurs des vilains opprimés en critiquant leurs

oppresseurs (chevaliers, membres du clergé et fonctionnaires royaux) en faisant

valoir les droits de la personne humaine et en condamnant les préjugés de caste

(Constant du Hamel). Ces caractéristiques font des auteurs de fabliaux, en plus des

auteurs du Roman de la Rose (Jean de Meung ou Meun) et du Roman de Renart

(anonyme), les précurseurs de la Renaissance.

Derrière la haine contre la femme et son influence, très visible dans plusieurs

fabliaux, il faut voir l’influence des sermons de l’Église. Certains fabliaux,

toutefois, comme Le vair palefroi de Huon le Roi et La Bourse pleine de sens de

Jean le Galois, défendent énergiquement la femme contre ceux qui la critiquent.

On peut expliquer cette attitude peut-être par les relations qu’avaient ces auteurs

avec la chevalerie et son culte de la féminité. Les sujets de plusieurs fabliaux

inspirent par la suite Boccace, qui introduit l’art dans l’exposition et l’élégance

dans le style. Les fabliaux influencent La Fontaine dans ses Contes et Balzac dans

ses Contes drolatiques. Le fabliau Le Vilain mire a fourni à Molière le sujet du

Médecin malgré lui.

LEXIQUE FABLIAU – bref texte épique, composé en octosyllabes à rimes plates, qui raconte

l’histoire comique et/ou obscène de quelques personnages intégrés à des types

humains, conçus à l’opposé du monde courtois. Les thèmes de ces courts récits

populaires, souvent empruntés au fonds folklorique européen, seront repris à

l’époque de la Renaissance par la nouvelle italienne et française, par les récits

anglais et par les farces. La satire des personnages appartenant généralement aux

couches sociales inférieures – prêtres avides, maris cocus, ménestrels, voleurs,

prostituées, femmes infidèles – construit une image burlesque du monde, dans des

textes qui dévalorisent les éléments thématiques de la littérature courtoise. Ces 150

textes sont en général anonymes ; parfois, ce sont des trouvères célèbres – Jean

Bodel, Rutebeuf ou Jean de Condé – qui signent ces récits cultivés au Nord et au

centre de la France, du début du XIIIe à la moitié du XVI

e siècle.

Le nom du fabliau vient de fabler = raconter une histoire fictive.

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Unité 9 – Les Fabliaux (application)

Estula

Il y avait jadis deux frères, sans conseil de père et de mère, et sans autre

compagnie. Pauvreté fut bien leur amie, car elle fut souvent leur compagne. C’est

la chose qui tracasse le plus ceux qu’elle assiège : il n’est pire maladie. Ensemble

demeuraient les deux frères dont je vous conte l’histoire. Une nuit, ils furent en

grande détresse, de soif, de faim et de froid : chacun de ces maux s’attache

souvent à ceux que Pauvreté tient en son pouvoir. Ils se prirent à se demander

comment ils pourraient se défendre contre Pauvreté qui les accable : souvent elle

leur a fait éprouver de l’ennui.

Un homme connu pour sa richesse habitait tout près de leur maison : ils sont

pauvres ; le riche est sot. En son jardin il a des choux et à l’étable des brebis. Tous

deux se dirigent de ce côté. Pauvreté rend fous bien des hommes : l’un prend un

sac à son cou, l’autre un couteau à la main ; tous deux se sont mis en route. L’un

entre dans le jardin, promptement, et ne s’attarde guère : il coupe des choux à

travers le jardin. L’autre se dirige vers le bercail pour ouvrir la porte : il fait si bien

qu’il l’ouvre. Il lui semble que l’affaire va bien. Il tâte le mouton le plus gras.

Mais on était encore debout dans la maison : on entendit la porte du bercail

quand il l’ouvrit. Le prud' homme ( bourgeois ) appela son fils : " Va voir , dit-

il , au jardin , s' il n' y a rien d' inquiétant ; appelle le chien de garde ." Le chien

s’appelait Estula : heureusement pour les deux frères, cette nuit-là il n’était pas

dans la cour. Le garçon était aux écoutes. Il ouvre la porte qui donne sur la cour et

crie : "Estula ! Estula !" Et l’autre, du bercail, répondit : " oui, certainement, je

suis ici." Il faisait très obscur, très noir, si bien que le garçon ne put apercevoir

celui qui lui avait répondu. En son cœur, il crut, très réellement, que c’était le

chien.

Sans plus attendre, il revint tout droit à la maison ; il eut grand peur en y

rentrant : " Qu’as-tu, beau fils ?" lui dit son père. - " Sire, foi que je dois à ma

mère, Estula vient de me parler ? - Qui ? Notre chien ? - Oui, par ma foi ; si vous

ne voulez m’en croire, appelez-le à l' instant, et vous l’entendrez parler." Le prud'

homme d’accourir pour voir cette merveille ; il entre dans la cour et appelle Estula,

son chien. Et le voleur, qui ne se doutait de rien, lui dit : " Mais oui, je suis là !" Le

prud' homme s’en émerveille : " Par tous les saints et par toutes les saintes ! Mon

fils, j’ai entendu bien des merveilles, mais jamais une pareille ! Va vite, conte ces

miracles au prêtre, ramène-le, et dis-lui d’apporter l’étole et l’eau bénite.»

Le garçon, au plus vite, se hâte et arrive au presbytère. Il ne traîna guère à

l’entrée et vint au prêtre, vivement : " Sire, dit-il, venez à la maison ouïr de grandes

merveilles : jamais vous n’en avez entendu de pareilles. Prenez l’étole à votre cou."

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Le prêtre dit : " Tu es complètement fou de vouloir me faire sortir à cette heure : je

suis nu-pieds, je n’y pourrais aller." L’autre lui répond aussitôt : " Vous le ferez : je

vous porterai." Le prêtre a pris son étole et monte, sans plus de paroles, sur les

épaules du jeune homme, qui reprend son chemin.

Arrivé à sa maison, et voulant couper court, le garçon descend, tout droit, le

sentier par où étaient descendus les deux voleurs qui cherchaient leur nourriture.

Celui qui cueillait les choux vit le prêtre, tout blanc, et crut que son compagnon lui

apportait quelque butin. Il lui demanda, plein de joie : " Apportes-tu quelque chose

? - Ma foi, oui», fait le garçon, croyant que c’était son père qui lui avait parlé. - "

Vite ! dit l’autre, jette-le bas ; mon couteau est bien aiguisé ; je l’ai fait repasser

hier à la forge ; je m’en vais lui couper la gorge.»

Quand le prêtre l’entendit, il crut qu’on l’avait trahi : il saute à terre, et

s’enfuit, tout éperdu. Mais son surplis s’accrocha à un pieu et y resta, car il n’osa

pas s’arrêter pour l’en décrocher. Celui qui avait cueilli les choux ne fut pas moins

ébahi que celui qui s’enfuyait à cause de lui : il ne savait pas ce qu’il y avait.

Toutefois, il va prendre la chose blanche qu’il voit pendre au pieu et s’aperçoit que

c’est un surplis. A ce moment son frère sortit du bercail avec un mouton et appela

son compagnon qui avait son sac plein de choux : tous deux ont les épaules bien

chargées. Sans faire plus long conte, ils se mirent en route vers leur maison qui

était tout près. Alors, il montra son butin, celui qui avait gagné le surplis. Ils ont

bien plaisanté et bien ri, car le rire, alors, leur fut rendu, qui jusque là leur était

défendu.

En peu de temps Dieu travaille : tel rit le matin qui le soir pleure, et tel est le

soir courroucé qui, le matin, était joyeux et gai.

Unité 10 : Le théâtre au Moyen-Âge

Le théâtre est le genre littéraire qui apparaît plus tard dans la littérature

française et il n’y a pas de continuité depuis le théâtre latin classique. En dépit du

très petit nombre de textes conservés, la performance théâtrale occupait sans doute

une place importante dans la vie sociale. La représentation est un événement

unique, à l’occasion d’une fête et l’ensemble de la communauté urbaine y

participe. Elle n’a d’ailleurs pas de lieu spécifique, mais s’intègre dans la ville,

d’abord dans l’enceinte des abbayes, sur les porches des églises, puis dans un

espace plus urbain : rues, carrefours, places.

Les premières manifestations théâtrales datent du XIe siècle et sont des

drames liturgiques, embryon des futures représentations dramatiques dont

l’origine réside dans le chant antiphoné et dans les tropes, interpolations écrites en

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latin, introduites dans le texte liturgique du IXe

siècle. Les personnages de ces

performances sont des figures de la Bible (notamment de la Genèse, de la

Résurrection, de Noël) et bientôt de la totalité de l’Histoire sainte. L’espace

scénique de ces spectacles est celui du « théâtre en rond » partagé en plusieurs

« mansions » (l’Enfer, le Paradis, le Monde).

L’un des premiers spectacles de ce type qui était conservé est le Sponsus

(L’époux), qui date du XIe siècle. Il s’agit d’une mise en scène de la parabole des

Vierges sages et des Vierges folles, qui se présente sous la forme texte latin

entrecoupé de refrains et de répliques en langue d’oc, plus propre à l’édification

des fidèles.

C’est dans le milieu anglo-normand, au XIIe

siècle, que le genre théâtral se

développe, avec le Jeu d’Adam. Ecrit en français avec indications scéniques en

latin, ce jeu comprend trois parties. La première relate la chute d’Adam et Eve,

chassées du Paradis terrestre pour avoir cédé aux tentations du démon. La seconde

représente la mort le meurtre d’Abel. La troisième, mutilée par le temps, était

constituée d’un défilé de prophètes annonçant la venue du Rédempteur.

Au XIIIe

siècle, le théâtre religieux est illustré notamment par les Miracles

de Notre-Dame de Gautier de Coincy. Il faut enfin citer le Miracle de Théophile

de Rutebeuf, qui inaugure le genre des « miracles par personnages ». Victime de

l’injustice de son évêque, le clerc Théophile, par l’intermède du magicien Salatin,

renie Dieu et vend son âme au diable. Ainsi retrouve-t-il ses biens terrestres. Mais

l’apostat est torturé par les remords. Une émouvante prière obtient l’intercession de

la Vierge qui arrache à Satan le pacte signé par Théophile. L’œuvre est simple.

Elle exige une mise en scène simultanée, mais ne fait jamais intervenir deux

personnages à la fois.

Aux XIIe et XIII

e siècles, l’expression théâtrale évolue peu à peu vers des

textes d’inspiration plus mondaine, avec l’apparition de personnages qui sont plus

proches du spectateur moyen et de sa vie quotidienne. La mise en scène comique

de leurs aventures prend de l’ampleur, au sein des jeux liturgiques d’abord, puis

indépendamment d’eux.

Au tout début du XIIIe siècle, Jean Bodel fait représenter son Jeu de Saint

Nicolas, qui malgré un sujet religieux présente de nombreuses scènes comiques.

C’est à Arras, au XIIIe

siècle, qu’on trouve les premières manifestations du

théâtre profane, avec des pièces anonymes comme Courtois d’Arras, un long

fabliau dramatique, ou Le Garçon et l’aveugle, un court jeu comique qui annonce

le genre de la fable, et surtout avec le Jeu de la Feuillée et le Jeu de Robin et de

Marion d’Adam de la Halle. C’est ainsi à Naples que son Jeu de Robin et Marion

(développement dramatique du genre de la pastourelle) est représenté.

Adam de la Halle est un poète et un musicien remarquable. Il a composé de

nombreuses pièces courtes (chansons, jeux-partis, rondets de carole, motets,

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rondeaux polyphoniques), un dit, un congé (son adieu à Arras), et surtout une

importante oeuvre théâtrale, qui marque l’éclosion des premiers textes du théâtre

profane français. Le Jeu de la feuillée est une oeuvre très originale, qui met en

scène Adam, le poète, vêtu en clerc, sa famille, ses voisins, et trois fées. Adam veut

prendre congé pour aller faire ses études à Paris, mais se laisse entraîner à la

taverne. Adam de la Halle mêle dans cette pièce le motif merveilleux du repas de

fées, invitées sous la feuillée par les chrétiens, et le thème du congé, qui est traité

sur un ton grinçant, dans un style vif et familier. Ce jeu riche et polysémique est un

théâtre vivant, mêlant satire et merveilleux, burlesque et quotidien.

Le théâtre religieux aux XIVe et XV

e siècles

Les formes théâtrales se développent considérablement au XIVe

et au XVe

siècles. Dans la lignée du Jeu de Saint Nicolas et du Miracle de Théophile au XIIIe

siècle, les miracles par personnages sont l’occasion de mettre en scène des

personnages et des situations variées (le motif de la femme injustement accusée

revient souvent). Composés d’une succession de tirades en octosyllabes dont la fin

est signalée par un quadrisyllabe, entre lesquelles sont parfois insérés des rondeaux

chantés signalant par exemple les apparitions de la Vierge, ce sont souvent des

commandes des confréries, religieuses ou non, à l’occasion de la fête de leur saint

patron. On a ainsi conservé une collection de quarante Miracles de Notre-Dame par

personnages représentés presque chaque année entre 1339 et 1382 lors de la

réunion annuelle de la confrérie Saint-Eloi des orfèvres de Paris.

Le mystère est le genre majeur du théâtre de la fin XIVe

au XVIe. À

quelques exceptions près, ces pièces mettent en scène la vie d’un saint ou un

épisode biblique. Il existe notamment de nombreux Mystères de la Passion du

Christ, qui représentent en fait la totalité de la vie du Christ, parfois l’ensemble de

l’histoire de l’humanité, en incluant des scènes bibliques, de nombreuses légendes

et des intermèdes comiques. Les plus anciens d’entre eux sont relativement courts,

tels la Passion du palatinus mais au XVe siècle ils deviennent beaucoup plus longs

: la Passion d’Arras (1420) d’Eustache Mercadé (début XVe), le Mystère de la

Passion (1452) d’Arnoul Gréban, le Mystère de la Passion (1486) de Jean Michel

et enfin le Mystère des Actes des Apôtres (1470) d’Arnoul et Simon Gréban. Leurs

représentations, données par des confréries qui sont des associations d’acteurs,

peuvent durer plusieurs jours et ont lieu en plein air : toute la ville participe à des

mises en scène de plus en plus élaborées, avec un décor, et très souvent des

« machines » compliquées, par exemple pour représenter l’Enfer.

Le théâtre profane, le plus souvent comique, ne se développe vraiment

qu’après la guerre de Cent Ans. Ses représentations, plus fréquentes que celles du

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théâtre religieux, sont assurées par les membres de confréries joyeuses (les Clercs

de la Basoche, étudiants en droit, les Enfants sans Souci de Paris, les Cornards de

Rouen). Elles ont lieu en plein air, et comprennent en général plusieurs pièces : une

sottie, un monologue ou sermon joyeux, une moralité et une farce. Toutes les

pièces comiques sont donc par nature assez courtes (300 à 500 vers).

Les farces (du bas latin farsa, qui a donné le verbe farcir : il s’agissait au

départ de remplir les interstices des pièces religieuses) sont d’abord de petits

intermèdes, qui deviennent de plus en plus longs jusqu’à devenir de véritables

pièces, ancêtres des comédies modernes, dans lesquelles il s’agit essentiellement

de faire rire. Les farces reprennent les sujets et la tonalité des fabliaux au XIIIe

siècle : ce sont des pièces burlesques, d’un comique assez grossier, dans lesquelles

l’action est simple et rapide, résultant d’un savant dosage de répétition et de

surprise et racontant souvent les infortunes de la vie conjugale (comme dans la

Farce du Cuvier). Les personnages y sont récurrents et assez caricaturaux; un rôle,

nouveau par rapport au fabliau, prend de l’importance, celui du badin (le naïf,

l’innocent, le candide). Environ 150 farces ont été conservées, écrites entre 1440 et

1560. La plus célèbre et la plus élaborée est la Farce de Maître Pathelin (entre

1456 et 1469) : souvent adaptée, encore représentée aujourd’hui, elle est plus

longue que la moyenne (environ 1500 vers). Un argument assez complexe, sur le

schéma classique du trompeur trompé, de nombreux jeux de mots plus ou moins

subtils et une caractérisation psychologique des personnages assez poussée en font

la première des comédies françaises.

Les autres genres comiques sont les sotties, pièces des Sots, parodies

carnavalesques pleines de jeux de mots et de plaisanteries, les moralités, pièces

didactiques plus ou moins burlesques, représentant des personnages allégoriques et

abordant des sujets religieux, moraux, ou politiques, et les monologues ou

sermons joyeux sur le modèle des anciens sermons de jongleurs dont l’un des plus

connus est le Franc Archer de Bagnolet, monologue du soldat fanfaron, attribué

parfois à Villon.

Page 43: literatura romana dragoi

Unite 11 :

LA FARCE DE MAÎTRE PATHELIN (vers 1465)

Chef d'oeuvre du théâtre comique médiéval, la Farce de Maître Pathelin

(1470 vers, trois fois plus que la plupart des farces), combine avec adresse

plusieurs intrigues, exploite avec un instinct dramatique sûr les divers ressorts du

comique, tout en évitant la vulgarité de ton et le schématisme souvent présents

dans les autres farces, pour camper un monde dominé par l'astuce et l'hypocrisie.

Avocat depuis longtemps sans procès, Pathelin trouve un moyen ingénieux de

se procurer le drap dont il a besoin sans payer: par des propos flatteurs il

convainc le drapier à lui donner six aunes de drap et à venir récupérer l'argent à

la maison et dîner en même temps. Lorsque le marchand se présente chez l'avocat,

celui-ci, secondé par sa femme, Guillemette, joue la comédie du mourant, qui n'a

pas quitté son lit depuis des semaines.

LA FARCE DE MAITRE PATHELIN

PERSONNAGES

MAÎTRE PIERRE PATHELIN, avocat.

GUILLEMETTE, femme de Pathelin.

GUILLAUME JOCEAULME, drapier.

THIBAUD L’AGNELET, berger.

LE JUGE.

page 8

Page 44: literatura romana dragoi

Scène 1

MAITRE PATHELIN, GUILLEMETTE Chez Pathel in .

PATHELIN – Par la Vierge Marie ! Guillemette, malgré le mal que je me donne

pour enjôler les gens et glaner des affaires, nous ne récoltons rien ; j’ai pourtant

connu une époque où j’exerçais mon métier d’avocat.

GUILLEMETTE – Par Notre-Dame, invoquée parmi les avocats, j’y pensais

justement ! Mais aujourd’hui, on ne vous estime plus aussi habile qu’autrefois,

bien loin de là. J’ai connu une époque où tout le monde vous recherchait pour

gagner son procès ; à présent, en tous lieux, tout le monde vous surnomme

« l’avocat sans cause ».

PATHELIN – Pourtant, et je ne dis pas cela pour me vanter, il n’y a personne de

plus habile que moi, dans toute la juridiction du tribunal, excepté le maire.

GUILLEMETTE – C’est parce qu’il a lu le grimoire, et fait de longues études.

PATHELIN – Citez-moi quelqu’un dont je ne sois capable de défendre la cause,

pour peu que je m’y intéresse. Et même Si je n’ai jamais étudié, je peux me vanter

de chanter au lutrin avec notre prêtre aussi bien que si j’avais suivi des cours

pendant des années... autant d’années que Charlemagne est resté en Espagne.

GUILLEMETTE – Qu’est-ce que cela nous rapporte ? Rien du tout ! Nous mourons

tout Simplement de faim. Nos vêtements sont tout

râpés, et nous ne savons comment nous procurer du tissu pour nous en faire

d’autres. Alors ! À quoi nous sert-elle votre fameuse science ?

PATHELIN – Taisez-vous ! En conscience, si je me donne la peine d’y réfléchir, je

saurai bien où en trouver, des robes et des chaperons ! Si Dieu le veut, nous nous

tirerons vite d’affaire, et tout rentrera dans l’ordre. Que diable ! Dieu fait des

miracles en moins d’un instant ! Si je décide d’employer mon savoir-faire, on ne

trouvera pas mon pareil.

GUILLEMETTE – Non, par Saint Jacques ! Pas s’il s’agit de tromper. Vous êtes un

maître en la matière !

PATHELIN – Par le Dieu qui me fit naître, dites plutôt maître en l’art de plaider !

GUILLEMETTE – Ma foi, non ! Maître en l’art de tromper ! Pour sûr ! Je le sais

bien, puisqu’en vérité, sans instruction et sans le moindre bon sens, vous passez

pour l’un des hommes les plus habiles de la paroisse.

PATHELIN – Personne ne se connaît mieux que moi au métier d’avocat.page 10

GUILLEMETTE – Grand Dieu ! Au métier de tromper, oui ! Du moins, c’est la

réputation que vous avez.

PATHELIN – C’est aussi celle de ceux qui s’habillent de beau velours et de riche

soie, qui prétendent être avocats, et ne le sont pas. Mais finissons ce bavardage : je

veux aller à la foire.

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GUILLEMETTE – À la foire ?

PATHELIN – Par saint jean, oui, vraiment ! I l f redonne : À la foire,

gentille marchande... De nouveau en par lant : Cela vous déplaît-il si je

marchande du drap, ou quelque autre babiole utile pour notre ménage ? Nous

n’avons pas un seul vêtement valable.

GUILLEMETTE – Vous n’avez pas le moindre sou. Comment allez-vous faire ?

PATHELIN -Vous ne le savez pas, belle dame ? Si vous ne recevez suffisamment de

tissu pour nous deux, n’hésitez pas à me traiter de menteur. Quelle couleur

préférez-vous ? Un gris vert ? une brunette? ou un autre tissu ? Je dois le savoir.

GUILLEMETTE – Ce que vous pourrez avoir. Qui emprunte ne choisit pas.

PATHELIN, en comptant sur ses doigts – Pour vous, deux aunes et demie, et

pour moi, trois, et même quatre ; ce qui fait...

GUILLEMETTE – Vous comptez large. Qui diable vous les prêtera ?age 11

PATHELIN – Qu’est-ce que cela peut vous faire ? Oui, c’est sûr, on me les prêtera,

à rendre au jour du jugement dernier, et certainement pas avant !

GUILLEMETTE – Alors, allez-y, mon ami ! Si c’est comme ça, quelqu’un sera

dupé.

PATHELIN – J’achèterai du tissu gris ou vert, et pour une chemise, Guillemette, il

me faut trois quarts d’une aune de brunette, ou même une aune entière.

GUILLEMETTE – Que Dieu me vienne en aide ! Vraiment ! Allez ! Et n’oubliez pas

de trinquer, si vous rencontrez Martin Crédit (5).

PATHELIN – Surveillez la maison.

I l sor t .

GUILLEMETTE – Ah ! Mon Dieu ! Quel marchand va-t-il trouver... ! Pourvu qu’il

ne s’aperçoive de rien !

Scène 2

PATHELIN, LE DRAPIER GUILLAUME JOCEAULME

La scène se déroule devant l ’é ta l du dra pier .

PATHELIN – N’est-ce pas lui, là-bas ? Je me le demande. Mais oui, c’est bien lui !

Il s’occupe de draperie. Pathel in salue le drapier . Que Dieu soit avec vous !

LE DRAPIER GUILLAUME – Qu’il vous bénisse !

PATHELIN – Dieu a donc exaucé ma prière, car j’avais grande envie de vous voir.

Comment va la santé ? Êtes-vous en pleine forme, Guillaume ?

LE DRAPIER – Parbleu, oui !

PATHELIN – Allons, donnez-moi votre main. Pathel in lu i prend la main .

Comment cela va-t-il ?

LE DRAPIER – Bien, vraiment bien. À votre service. Et vous ?

PATHELIN – Par Saint Pierre l’apôtre, comme quelqu’un qui vous est entièrement

dévoué. Et alors, vous avez la belle vie ?

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LE DRAPIER – Eh, oui ! Mais je vous prie de croire que pour nous, marchands, tout

ne va pas toujours comme on veut.

PATHELIN – Comment vont les affaires ? Vous permettent-elles de vous habiller et

de vous nourrir correctement ?

LE DRAPIER – Eh, mon Dieu, mon cher maître, je ne sais. C’est toujours : « Hue !

En avant ! »

PATHELIN – Ah ! Comme votre père – que Dieu ait son âme – était un habile

homme ! Sainte Vierge ! Il me semble vraiment que c’est vous-même, en personne.

Que c’était un bon marchand, et avisé ! Parbleu, vous lui ressemblez de visage

comme son vrai portrait ! Si Dieu a jamais eu pitié d’un homme, qu’Il lui accorde

le plein pardon de ses fautes.

LE DRAPIER – Amen ! Par la grâce de Dieu, à nous aussi, quand il lui plaira !

PATHELIN – Ma foi, souvent il m’a prédit en détail la vie d’aujourd’hui. Je m’en

suis souvenu bien des fois. De son temps, il passait pour un brave homme.

LE DRAPIER – Asseyez-vous, cher monsieur ! Il est grand temps que je vous y

invite, mais voilà comme je suis aimable !

PATHELIN – Ça va bien ainsi. Par le Corps du Christ, il avait...

LE DRAPIER – J’insiste, asseyez-vous !

PATHELIN – Volontiers. I l s ’ass ied . « Ah, me disait-il, que de fabuleuses

merveilles vous verrez ! » Mon Dieu, je vous jure que des oreilles, du nez, de la

bouche et des yeux, jamais un enfant ne ressembla plus à son père que vous. Cette

fossette au menton, vraiment, c’est vous tout craché ! Et si quelqu’un disait à votre

mère que vous n’êtes pas le fils de votre père, c’est qu’il chercherait vraiment la

dispute. Sans mentir, je n’arrive pas à m’imaginer comment Nature, en ses œuvres,

créa deux visages aussi ressemblants, chacun avec les mêmes traits. Car quoi ? Il

n’y aucune différence entre vous deux, comme si l’on vous avait crachés tous les

deux contre un mur, du même jet et de la même manière. Au fait, monsieur, la

bonne Laurence, votre chère tante, est-elle morte ?

LE DRAPIER – Diable non !

PATHELIN – Comme je l’ai connue grande, droite et aimable ! Par la très sainte

Mère de Dieu, vos silhouettes se ressemblent comme si l’on vous avait sculpté

dans la neige. Selon moi, il n’y a pas dans ce pays de famille où l’on se ressemble

davantage. Et plus je vous observe... Observant le drapier encore p lus

in tensément :

page 17 Par Dieu le Père, vous voici, et voici votre père ! Sans aucun doute, vous

vous ressemblez comme deux gouttes d’eau ! Quel valeureux jeune homme

c’était ! Un bon et brave homme, et il vendait ses marchandises à crédit à qui le

souhaitait. Que Dieu lui pardonne ! Moi, il avait toujours l’habitude de m’accueillir

de très bon cœur, avec un beau sourire. Plût à Jésus-Christ que ce qu’il y a de pire

Page 47: literatura romana dragoi

au monde lui ressemblât ! On ne se volerait pas, on ne se détrousserait pas les uns

les autres comme on fait.

I l se lève e t touche une p ièce d’éto f fe .

Que ce drap-ci est de bonne qualité ! Comme il est soyeux, doux, souple !

LE DRAPIER – J\e l’ai fait faire tout exprès avec la laine de mes brebis.

PATHELIN – Eh bien ! Quel chef vous faites ! Sinon vous ne seriez pas le digne fils

de votre père. Vous ne cessez donc jamais, jamais de travailler !

LE DRAPIER – Que voulez-vous ? Si l’on veut bien vivre, il faut veiller aux

affaires, et se donner du mal.

PATHELIN, touchant une autre p ièce de t i ssu – Celui-ci est-il teint ? Il est

épais comme du cuir de Cordoue !

LE DRAPIER – C’est un excellent drap de Rouen, tissé avec soin, vous avez ma

parole.ge 18

PATHELIN – Mais vraiment, je suis bien attrapé, car par la Passion de Notre-

Seigneur, je n’avais pas l’intention d’acheter du tissu quand je suis arrivé. J’avais

mis de côté quatre-vingts écus pour rembourser un emprunt, mais j’en suis sûr, je

vais vous en donner vingt ou trente, car la couleur me plaît tellement que j’en

meurs d’envie.

LE DRAPIER – Des écus, vraiment ? Se pourrait-il que ceux que vous devez

rembourser acceptent de la monnaie ?

PATHELIN – Oui, bien sûr, si je le désire. Pour moi, quand il s’agit de payer, tout se

vaut.

I l touche une t ro is ième pièce de t i ssu .

Quel est ce drap-ci ? À dire vrai, plus je le regarde, et plus il me rend fou. Oui, je

dois en avoir une cotte pour moi, et une pour ma femme également.

LE DRAPIER – En vérité, ce drap est extrêmement cher. Mais si vous le souhaitez,

vous en aurez. Dix ou vingt francs y sont bien vite employés !

PATHELIN – Peu importe, si c’est le prix à payer ! Il me reste encore quelques

petites pièces que ni mon père ni ma mère n’ont jamais vues.

LE DRAPIER – Dieu soit loué ! Par Saint Pierre, cela ne me déplairait pas, au

contraire.

PATHELIN – Bref, j’ai une terrible envie de ce drap. Il m’en faut.

LE DRAPIER – Fort bien ! D’abord, il faut déterminer combien vous en voulez.

Tout est à votre disposition, tout ce qu’il y a dans la

pile, même si vous n’aviez pas le moindre sou.

PATHELIN – Je le sais bien, et vous en remercie.

LE DRAPIER – Souhaitez-vous de ce tissu bleu clair que voici ?

Page 48: literatura romana dragoi

PATHELIN – Allons ! Combien me coûtera la première aune ? Dieu sera payé en

premier, c’est normal : voici un denier. Ne faisons rien sans y associer le nom de

Dieu.

LE DRAPIER – Parbleu, voilà qui est parlé en honnête homme, et j’en suis tout

heureux ! Voulez-vous connaître mon dernier prix ?

PATHELIN – Oui.

LE DRAPIER – Chaque aune vous coûtera vingt-quatre sous.

PATHELIN – Ça jamais ! Vingt-quatre sous ? Sainte Vierge !

LE DRAPIER – Sur mon âme, c’est ce qu’il m’a coûté ! Et il m’en faut autant, si

vous le prenez.

PATHELIN – Diable ! C’est trop !

LE DRAPIER – Ah ! Vous ne savez pas à quel point le tissu a augmenté ! Tout le

bétail a péri cet hiver à cause du grand froid.

PATHELIN – Vingt sous ! Vingt sous !

LE DRAPIER – Eh ! Je vous jure que j’en aurai le prix que j’en demande. Attendez

donc jusqu’à samedi : vous verrez bien ce qu’il vaut ! La toison, dont d’habitude il

y avait à profusion, m’a coûté, à la Sainte-Madeleine, huit blancs, parole

d’honneur, alors que je la payais d’ordinaire quatre.

PATHELIN – Palsambleu, ne discutons plus puisqu’il en est ainsi. Marché conclu.

Allons ! Mesurez !

LE DRAPIER – Mais je vous demande combien vous en voulez ?

PATHELIN – C’est très facile à savoir : en quelle largeur est le tissu ?

LE DRAPIER – Celle de Bruxelles.

PATHELIN – Trois aunes pour moi, et pour elle, deux et demie, car elle est grande.

Cela fait six aunes... C’est bien ça ? Mais non, ce n’est pas ça. Que je suis bête !

LE DRAPIER – Il ne manque qu’une demi-aune pour avoir tout juste les six.

PATHELIN – J’arrondis à six, car il me faut aussi un chaperon.

LE DRAPIER – Tenez le tissu, nous allons mesurer. Elles y sont sans faute. I l s

mesurent ensemble . Et d’une, et de deux, et de trois... quatre, cinq et six.

PATHELIN – Ventre Saint Pierre ! C’est ric-rac !

LE DRAPIER – Voulez-vous que je mesure une seconde fois ?

PATHELIN – Non, par mes tripes ! Il y a toujours un peu de perte ou de profit sur la

marchandise. À combien se monte le tout ?page 22

LE DRAPIER – Le compte sera vite fait : à vingt-quatre sous l’aune, cela fait neuf

francs les six.

PATHELIN – Hum ! Pour une fois ! Cela fait six écus ?

LE DRAPIER – Mon Dieu, oui, exactement.

PATHELIN – Eh bien, monsieur, acceptez-vous de me faire crédit jusqu’à tantôt,

quand vous viendrez chez moi ? Le drapier f ronce les sourci l s . Pas

exactement « faire crédit » : vous serez payé chez moi en or ou en argent.

Page 49: literatura romana dragoi

LE DRAPIER – Sainte Vierge ! Cela me ferait un long détour de passer par là.

PATHELIN – Eh ! Par saint Gilles, ce n’est pas parole d’Évangile qui sort là de

votre bouche ! C’est bien dit : vous feriez un détour ! C’est ça ! Vous voudriez

surtout ne jamais trouver la moindre occasion de venir prendre un verre chez moi.

Mais cette fois, vous y viendrez.

LE DRAPIER – Eh ! Par saint Jacques, je ne fais guère autre chose que boire ! J’irai.

Mais vous savez bien qu’il n’est pas bon de faire crédit à la première vente de la

journée.

PATHELIN – Vous estimerez-vous satisfait si, pour cette première vente, je vous

règle avec des écus d’or, et non avec de la menue monnaie ? Et parbleu, vous

mangerez aussi de l’oie que ma femme est en train de faire rôtir.

LE DRAPIER, à part – Vraiment, cet homme me rend fou. À Pathel in . Partez

devant. Allez ! Si c’est comme ça, je viendrai, et j’apporterai le drap.page 23

PATHELIN – Certainement pas ! Que me pèsera-t-il sous le bras ? Rien du tout !

LE DRAPIER – Ne vous inquiétez pas ! Il vaut mieux que je le porte moi-même,

c’est plus convenable.

PATHELIN – Que Sainte Madeleine me fasse passer un mauvais quart d’heure si je

vous laisse jamais vous donner ce mal ! Voilà qui est très bien dit : sous mon bras !

I l met le t i ssu sous sa robe . Cela me fera une belle bosse ! Ah, c’est très

bien ainsi ! Vous ne partirez pas de chez moi sans qu’on ait bien bu, et qu’on se

soit bien régalé.

LE DRAPIER – Je vous prie de me donner mon argent dès mon arrivée.

PATHELIN – Oui, parbleu ! Ou plutôt, non ! Pas avant que vous

n’ayez pris un bon repas. Je m’en voudrais même d’avoir sur moi de quoi vous

payer. Au moins viendrez-vous goûter de mon vin. Feu votre père, quand il passait,

criait bien haut : « Eh ! Compère ! », ou « Que racontes-tu ? », ou encore « Que

fais-tu ? ». Mais vous autres riches, vous ne faites pas grand cas des pauvres gens !

LE DRAPIER – Mais, palsambleu ! C’est nous qui sommes les plus pauvres !

PATHELIN – Ouais ! Adieu, adieu ! Rendez-vous tout à l’heure à l’endroit convenu.

Et nous boirons bien, je vous le garantis !

LE DRAPIER – D’accord. Partez devant, et que j’aie mon or !page 24

PATHELIN, en partant – Votre or ! Allons donc ! Votre or ! Je n’ai jamais

manqué de parole ! À part . Non mais ! Son or ! Puisse-t-il être pendu ! Hum !

Diable, il ne m’a pas vendu son drap à mon prix, mais au sien. Cependant, c’est au

mien qu’il sera payé ! Il veut de l’or ? On va lui en fabriquer ! Dieu fasse qu’il

coure sans s’arrêter jusqu’au règlement complet de sa vente ! Par Saint Jean, il

ferait plus de chemin qu’il n’y en a d’ici à Pampelune !

LE DRAPIER, res té seul – De toute l’année, ils ne verront ni le soleil ni la lune,

ces écus qu’il va me donner, à moins qu’on me les vole. Ainsi, il n’est si habile

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acheteur qui ne trouve vendeur plus habile encore ! Le trompeur que voilà est bien

sot d’avoir acheté vingt-quatre sous l’aune un tissu qui n’en vaut pas vingt.

Scène 3

MAITRE PATHELIN, GUILLEMETTE

Chez Pathel in .

PATHELIN – Est-ce que j’en ai ?

GUILLEMETTE – De quoi ?

PATHELIN – Qu’est devenue votre vieille houppelande ?

GUILLEMETTE – Est-il bien nécessaire d’en parler ? Que voulez-vous en faire ?

PATHELIN – Rien, rien. Est-ce que j’en ai ? Je l’avais bien dit. I l montre le

t i ssu . Est-ce bien de ce drap-ci qu’il fallait ?

GUILLEMETTE – Sainte Vierge ! Mais j’en donnerais mon âme au diable, c’est là

le résultat de quelque tromperie ! Grand Dieu ! D’où nous vient cette aubaine ?

Hélas, hélas ! Qui va le payer ?

PATHELIN – Vous demandez qui ? Par Saint Jean, il est déjà payé. Le marchand

qui me l’a vendu, ma chère, n’est pas fou. Que je sois pendu par le cou, s’il n’est

saigné à blanc... comme un sac de plâtre ! Ce maudit et rusé coquin est bien roulé.

GUILLEMETTE – Combien coûte-t-il donc ?

PATHELIN – Je ne dois rien. Il est payé, ne vous inquiétez pas.

GUILLEMETTE – Vous n’aviez pas le moindre sou. Et il est payé ? Avec quel

argent ?

PATHELIN – Eh, palsambleu ! Bien sûr que j’avais de l’argent, madame. J’avais un

sou de Paris.

GUILLEMETTE – C’est du beau travail ! Une belle obligation ou

quelque reconnaissance de dette ont fait l’affaire ; c’est ainsi que vous l’avez

obtenu. Et quand arrivera l’échéance, on viendra chez nous, on saisira nos biens,

on nous enlèvera tout ce que nous avons !

PATHELIN – Palsambleu, tout ce tissu ne m’a coûté qu’un denier.

GUILLEMETTE – Vierge Marie, priez pour nous ! Un denier seulement ? C’est

impossible !

PATHELIN -Vous pouvez bien m’arracher un œil s’il en a reçu ou en reçoit jamais

davantage. Il aura beau chanter.

GUILLEMETTE – Et qui est-ce ?

PATHELIN – Un certain Guillaume, dont le nom de famille est Joceaulme, si vous

voulez savoir.

GUILLEMETTE – Mais comment l’avez-vous obtenu pour un seul denier ? Par quel

tour ?

PATHELIN – Ce fut grâce au denier à Dieu. Et encore, si j'avais dit "Topez-là,

marché conclu", par ces seuls mots j'aurais gardé mon denier. Alors, n'est-ce pas là

du beau travail? Dieu et lui se partageront ce denier-là, si bon leur semble, car c'est

Page 51: literatura romana dragoi

tout ce qu'ils auront. Ils pourront toujours s'égosiller, cris et lamentations n'y feront

rien.page 31

GUILLEMETTE – Comment a-t-il pu accepter de le vendre à crédit, lui qui est si

méfiant ?

PATHELIN – Par la Vierge Marie, je lui ai si bien doré son blason qu’il me l’a

presque donné. Je lui glissais que feu son père avait été un si brave homme ! « Ah,

mon frère m’écriai-je, quels bons parents que les vôtres ! Vous appartenez, ajoutai-

je, à la famille la plus estimable des environs. » Mais je veux bien consacrer ma vie

entière à Dieu, s’il n’est issu de la pire engeance, la plus fieffée canaille, à mon

avis, qui soit dans ce royaume ! « Ah, Guillaume mon ami, dis-je, comme vous

ressemblez à votre brave père aussi bien du visage que du reste ! » Dieu sait

comme j’échafaudais mon piège et, de temps à autre, glissais dans mes propos des

considérations sur ses draps ! « Et puis, Sainte Vierge ! m’exclamai-je, avec quelle

gentillesse, avec quelle simplicité il faisait crédit sur ses marchandises ! C’était

vous tout craché ! » ajoutai-je. Et pourtant, on aurait arraché les dents au vilain

marsouin, feu son père, et à son babouin de fils, avant qu’ils ne vous prêtent ça

(Pathel in fa i t c laquer son ongle contre ses dents ) ou prononcent une

parole aimable. Mais enfin, j’ai tant parlé et tant brodé qu’il m’en a vendu six

aunes.

GUILLEMETTE – Pour de vrai, sans jamais avoir à le payer ?

PATHELIN – C’est ainsi que vous devez le comprendre. Payer ? On lui paiera le

diable !page

GUILLEMETTE – Vous m’avez rappelé la fable du corbeau qui était perché sur une

croix de cinq à six toises de haut, et tenait en son bec un fromage. Survint un

renard qui, apercevant le fromage, se demanda : « Comment l’avoir ? » Alors il se

plaça en dessous du corbeau. « Ah ! lui dit-il, que tu as le corps beau, que ton chant

est mélodieux ! » Le corbeau, dans sa sottise, entendant vanter ainsi son chant,

ouvrit le bec pour chanter. Son fromage tombe à terre, maître Renard vous le saisit

à belles dents, et l’emporte. Ainsi en est-il, je l’assure, de ce drap. Vous avez piégé

et attrapé le marchand grâce à vos flatteries et à vos belles paroles, comme fit

Renard pour le fromage. C’est en faisant la grimace que vous avez obtenu le drap.

PATHELIN – Il doit venir manger de l’oie, et voici ce que nous devrons faire. Je

suis sûr qu’il viendra brailler pour recevoir promptement son argent. Mais j’ai

imaginé un bon tour. Je vais me mettre au lit, comme si j’étais malade. Quand il

arrivera, vous lui direz : « Ah, parlez à voix basse ! » et, la mine pâle, vous

gémirez. « Hélas ! direz-vous, voici deux mois, ou six semaines, qu’il est malade. »

Et s’il vous répond : « Balivernes oui ! Il sort à l’instant de chez moi ! » vous

répliquerez : « Hélas ! Ce n’est pas le moment de plaisanter. » Et laissez-moi lui

jouer un air de ma façon, car il ne tirera rien d’autre de moi.

Page 52: literatura romana dragoi

GUILLEMETTE – Sur mon âme, je vous jure que je jouerai très bien mon rôle. Mais

si vous retombez dans un mauvais pas et que la justice vous attrape à nouveau, je

crains que vous ne le payiez le double de la dernière fois !

PATHELIN – Allons, silence ! Je sais parfaitement ce que je fais. Il faut agir comme

je l’ai dit.

GUILLEMETTE – Pour l’amour de Dieu, souvenez-vous du samedi où l’on vous mit

au pilori. Souvenez-vous que tout le monde vous hua pour votre fourberie.

PATHELIN – Cessez donc ce bavardage ! Il va arriver : nous ne prenons pas garde à

l’heure. Il nous faut conserver ce drap. Je vais me mettre au lit.

GUILLEMETTE – Allez-y donc.

PATHELIN – Surtout ne riez pas !

GUILLEMETTE – Certainement pas ! Au contraire, je vais pleurer à chaudes larmes.

PATHELIN – Nous devons tous les deux bien tenir notre rôle, afin qu’il ne

s’aperçoive de rien.

Scène 4

LE DRAPIER

DE VA N T L A BO UT I Q UE D U D RA P I ER . LE DRAPIER – Je crois qu’il est temps pour moi de boire un verre avant de me

mettre en route. Ah, mais non, par saint Mathelin! Il est convenu que j’aille boire

du vin et manger de l’oie chez maître Pierre Pathelin. En plus, j’y recevrai de

l’argent. Ce sera toujours autant de pris sans rien débourser. J’y vais de ce pas, car

à l’heure qu’il est, je ne vendrai plus rien.

I l ferme sa bout ique e t s ’en va .

Scène 5

LE DRAPIER, GUILLEMETTE, PATHELIN

DE VA N T , P UI S D AN S L A M AI S O N D E PA T H E L I N . LE DRAPIER – Hola ! Maître Pierre !

GUILLEMETTE, entrouvrant la por te – Hélas, monsieur, pour l’amour de

Dieu, si vous avez quelque chose à dire, parlez à voix basse !

LE DRAPIER – Que Dieu vous protège, madame !

GUILLEMETTE – Ah ! À voix basse !

LE DRAPIER – Hein ? Quoi ?page 38

GUILLEMETTE – Je vous en conjure, sur mon âme...

LE DRAPIER – Où est-il ?

GUILLEMETTE – Hélas ! Où peut-il être ?

LE DRAPIER – Qui ?...

GUILLEMETTE – Ah ! Quelle mauvaise plaisanterie ! Mon maître, évidemment !

Où est-il ? Puisse Dieu, dans sa bonté, le savoir ! Là où il est depuis onze

semaines, le pauvre martyr, sans bouger !

LE DRAPIER – Mais qui ?...

Page 53: literatura romana dragoi

GUILLEMETTE – Pardonnez-moi, je n’ose pas parler fort. Je crois qu’il repose. Il

s’est un peu assoupi. Hélas ! Il est si accablé, le pauvre homme !

LE DRAPIER – Qui ?

GUILLEMETTE – Mais maître Pierre !

LE DRAPIER – Quoi ? N’est-il pas venu chercher six aunes de drap à l’instant ?

GUILLEMETTE – Qui ? Lui ?

LE DRAPIER – Il en revient tout juste, il n’y a pas la moitié d’un quart d’heure.

Payez-moi. Diable ! Je perds beaucoup trop de temps. Allez, sans lanterner

davantage, mon argent !

GUILLEMETTE – Eh ! Trêve de plaisanteries ! Ce n’est pas le moment de

s’amuser !

LE DRAPIER – Allez, mon argent ! Êtes-vous folle ? Il me faut mes neuf francs.

GUILLEMETTE – Ah, Guillaume, il ne faut pas débiter des balivernes ici. Vous

venez pour me dire des âneries ? Allez raconter vos sornettes aux idiots et vous

amuser avec eux, si vous en avez envie.

LE DRAPIER – Que je renie Dieu si je n’ai mes neuf francs !

GUILLEMETTE – Hélas, monsieur, tout le monde n’a pas comme vous si grande

envie de rire et de raconter des sottises.

LE DRAPIER – Allons, je vous en prie, cessez ces balivernes. Par pitié, faites venir

maître Pierre.

GUILLEMETTE – Malheur à vous ! N’est-ce pas fini maintenant ?

LE DRAPIER – Ne suis-je pas ici chez maître Pierre Pathelin ?

GUILLEMETTE – Si. Que le mal de saint Mathelin s’empare de votre cerveau, mais

pas du mien ! Parlez à voix basse !

LE DRAPIER – Par le diable ! Devrais je avoir peur de demander après lui ?

GUILLEMETTE – Que Dieu me protège ! Plus bas, si vous ne voulez pas qu’il se

réveille !

LE DRAPIER – Comment « bas » ? Voulez-vous qu’on vous parle à l’oreille ? Du

fond du puits ? Ou de la cave ?

GUILLEMETTE – Eh, mon Dieu ! Que vous avez de salive ! D’ailleurs, c’est

toujours comme ça avec vous.

LE DRAPIER – Au diable, maintenant que j’y pense ! Si vous voulez que je parle à

voix basse... Dites donc ! Quant aux discussions de ce genre, ce n’est pas dans mes

habitudes. Ce qui est vrai, c’est que maître Pierre a acheté six aunes de drap

aujourd’hui.age 40

GUILLEMETTE, é levant la voix – Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

N’avez-vous pas fini pour aujourd’hui ? Que le diable s’en mêle ! Voyons !

Comment ça, « acheté » ? Ah, monsieur, que l’on pende celui qui ment ! Il est dans

un tel état, le pauvre homme, qu’il n’a pas quitté le lit depuis onze semaines. Vous

nous débitez des sornettes de votre cru ? Est-ce bien raisonnable en ce moment ?

Page 54: literatura romana dragoi

Vous allez sortir de chez moi ! Par les angoisses de Dieu, que je suis malheureuse !

LE DRAPIER – Vous me disiez de parler tout bas... Sainte Vierge Marie, et vous

criez !

GUILLEMETTE, à voix basse – Sur mon âme, c’est vous qui ne faites que

chercher querelle !

LE DRAPIER – Allons ! Afin que je m’en aille, donnez-moi...

GUILLEMETTE, s ’oubl iant e t cr iant – Allez-vous parler à voix basse, à la

fin ?

LE DRAPIER – Mais c’est vous qui allez le réveiller. Palsambleu ! Vous parlez

quatre fois plus fort que moi ! Je vous somme de me payer !

GUILLEMETTE – Et quoi encore ? Au nom de Dieu, êtes-vous ivre ? ou fou ?

LE DRAPIER – Ivre ? Malédiction de saint Pierre ! En voilà une bonne de question !

GUILLEMETTE – Hélas ! Plus bas !

LE DRAPIER – Bénédiction de saint Georges, je vous demande l’argent de six

aunes de drap, madame...page 41

GUILLEMETTE, à part – On vous le fabrique ! Puis à voix haute . Et à qui

donc l’avez-vous vendu ?

LE DRAPIER – À lui-même.

GUILLEMETTE – Il est bien en état d’acheter du drap ! Hélas ! Il ne bouge pas. Il

n’a nul besoin d’une robe. Il n’en portera plus jamais aucune, sinon une blanche, et

il ne partira de là où il est que les pieds devant.

LE DRAPIER – C’est donc tout récent, car sans mentir, je lui ai parlé.

GUILLEMETTE, d’une voix perçante – Vous avez la voix si aiguë ! Parlez plus

bas, de grâce !

LE DRAPIER – Mais c’est vous, en vérité ! Oui, vous-même, nom d’un chien !

Palsambleu ! Quelle histoire pénible ! si l’on me payait, je partirais. À part .

Parbleu, chaque fois que j’ai fait crédit, je n’ai pas récolté autre chose !

PATHELIN, couché – Guillemette ! Un peu d’eau de rose ! Redressez-moi !

Relevez les coussins dans mon dos ! Fichtre ! Mais à qui est-ce que je parle ? La

carafe ! À boire ! Frottez-moi la plante des pieds !

LE DRAPIER – Là, je l’entends.

GUILLEMETTE – Évidemment !

PATHELIN – Ah, maudite femme, viens ici ! T’avais-je demandé d’ouvrir ces

fenêtres ? Viens me couvrir, et chasse ces gens tout noirs ! Marmara, carimari,

carimara ! Emmenez-les loin de moi ! Emmenez-les !

GUILLEMETTE, à l ’ in tér ieur de la maison – Que se passe-t-il ? Comme

vous vous agitez ! Êtes-vous devenu fou ?

PATHELIN – Tu ne sais pas ce que j’éprouve. I l s ’agi te . Voilà un moine noir qui

vole. Attrape-le et passe-lui une étole ! Au chat, au chat! Comme il grimpe !

Page 55: literatura romana dragoi

GUILLEMETTE – Mais qu’est-ce que cela veut dire ? N’avez-vous pas honte ? Eh,

parbleu ! Vous vous agitez trop !

PATHELIN, retombant épuisé – Ces médecins m’ont tué avec

ces drogues qu’ils m’ont fait boire. Mais il faut pourtant leur faire confiance, car ils

font pour le mieux.

GUILLEMETTE, au drapier – Hélas ! Venez le voir, cher monsieur : il souffre le

martyre.

LE DRAPIER, i l entre dans la chambre – Il est vraiment malade depuis

l’instant où il est revenu de la foire ?

GUILLEMETTE – De la foire ?

LE DRAPIER – Par saint Jean, oui ! Je suis certain qu’il y est allé. À Pathel in . Il

me faut l’argent du drap que je vous ai cédé à crédit, maître Pierre.

PATHELIN, fe ignant de prendre le drapier pour un médecin – Ah,

maître Jean ! J’ai chié deux petites crottes plus dures que de la pierre, toutes noires

et rondes, comme des pelotes. Devrai-je prendre un autre clystère ?

LE DRAPIER – Qu’est-ce que j’en sais ? Qu’est-ce que cela peut me faire ? Il me

faut neuf francs, ou six écus.

Unité 12 : La poésie à la fin du Moyen-Âge (XIVe-XV

e siècles)

À la fin du Moyen-Âge la poésie lyrique connaît un grand succès. Malgré

les ravages d’une forte guerre peu chevaleresque, malgré les meurtres politiques

les traditions courtoises des troubadours et des trouvères sont cultivées avec un

grand raffinement esthétique. La chanson d’amour des troubadours disparaît au

XIVe

siècle. Les poètes préfèrent les poésies de formes fixes : la ballade, le

rondeau, le lai, le chant royal.

Le lai est une suite de 12 strophes sans refrain qui diffèrent entre elles par le

mètre, les rimes, le nombre de vers, sauf la première et la dernière, qui sont de

structure identique.

La ballade est la forme la plus répandue. Elle se compose de trois à cinq

strophes de longueur variable qui se terminent par le même vers refrain. Les

mêmes rimes sont reprises dans toutes les strophes et dans le même ordre.

Le rondeau est une forme plus nouvelle et originale, dont les traits

essentiels sont la brièveté, l'importance du refrain, et surtout une forme circulaire :

les vers initiaux sont repris partiellement ou intégralement au milieu et à la fin du

poème. Le modèle le plus fréquent est une structure de huit vers sur deux rimes

(aB aA ab AB). Le rondeau connaîtra son apogée à l'époque de Charles d'Orléans.

Le virelai, que l'on appelle aussi chanson baladée, est également une

structure plus longue qui comporte en principe plusieurs strophes avec reprises de

Page 56: literatura romana dragoi

refrain et alternance de mètre divers.

Le dit est un poème narratif récité ou lu sans accompagnement musical.

Guillaume de Machaut est né à Machault en Champagne, dans une famille

roturière. Après une formation de clerc, il entre au service de divers grands

seigneurs, mais il est aussi chanoine de Reims, ce qui lui donne une relative

indépendance. Il est à la fois l'un des plus grands poètes du Moyen-Âge et un grand

musicien, auteur de mélodies, mais aussi de motets, et de la première messe

polyphonique. Il est le premier à dissocier musique et poésie.

Célébré comme un maître et un chef de file par tous les poètes des XIVe

et

XVe

siècles, il compose environ 400 pièces lyriques d'inspiration courtoise. Il

reprend des formes anciennes, les raffine, en explore les possibles, en définit les

règles, et fait leur succès. Son Remède de Fortune, un dit narratif, contient ainsi

neuf pièces lyriques qui sont considérées comme des modèles de chacun des

genres. À la fin de sa vie il rédige un Prologue à ses oeuvres qui, sous la forme

d'une fiction allégorique, constitue un véritable art poétique. Il écrit aussi une

dizaine de dits narratifs en octosyllabes avec insertions lyriques, souvent consacrés

à des débats de casuistique amoureuse où le narrateur est soit témoin soit confident

soit partie.

Son chef d'oeuvre est Le Livre du Voir Dit (1364) (dit véridique, dit de la

vérité), qui narre une histoire d'amour (une jeune dame est amoureuse d'un vieux

poète dont elle ne connaît d'abord que la poésie) à la fois très concrète (ce n'est pas

un amour de loin : la scène centrale est une scène d'union) et très allégorique. Le

Voir Dit est une confession autobiographique sur la vieillesse et la position sociale

du poète, mais aussi et surtout une réflexion sur l'expérience littéraire, les pouvoirs

de la littérature, les mouvements de la mémoire qui y sont à l'œuvre. Ce livre en

train de s'écrire, qu'on a pu qualifier de « nouveau roman » du XIVe siècle, fait

alterner avec bonheur des passages narratifs, des chansons, des lettres, et des

échappées mythologiques.

Jean Froissart est l'auteur de Méliador (entre 1365 et 1380), le dernier

grand roman arthurien en vers, et des Chroniques (1370-1400), son oeuvre

majeure, mais aussi de poèmes d'inspiration courtoise, et de dits s'inspirant souvent

du Roman de la Rose et de ceux de Guillaume de Machaut : Le Paradis d'amour

(1361-1362), L'Épinette amoureuse (v. 1369), La Prison amoureuse (1371-1372),

L'Horloge amoureuse (1368), Le Joli Buisson de Jeunesse (1373).

Eustache Deschamps (1346-1406), héritier direct de Guillaume de Machaut

qui était son maître. Il est l'auteur de nombreux poèmes de sujets très variés, avec

une prédilection pour les ballades, dans lesquelles il intègre souvent des épisodes

réalistes ou comiques. Il prend une certaine distance vis à vis de la courtoisie en

exposant sa philosophie du carpe diem et des amours faciles. Son Art de dictier est

le premier traité de poétique français. Le Testament burlesque s’adresse à un

Page 57: literatura romana dragoi

public de bons vivants et préfigure la fantaisie de François Villon.

Alain Chartier secrétaire du dauphin, le futur Charles VII, durant la guerre

de Cent Ans, chroniqueur, il est aussi l'auteur de rondeaux, lais et ballades, du

Quadrilogue invectif (1422), composé de quatre discours (la France en deuil, le

Peuple, le Chevalier et le Clergé) appelant à la paix, et de la Belle Dame sans

mercy (1424), un débat composé de cent strophes en octosyllabes qui pointe une

faille de l'amour courtois et déchaîne une querelle (la dame, image d'une féminité

nouvelle qui n'accepte pas forcément avec gratitude le désir masculin, rejette un

amour qui, non réciproque, ne saurait faire peser sur elle aucune contrainte).

Christine de Pisan née en Italie vers 1364, arrive en France en 1368 lorsque

son père, médecin et astrologue de Charles V, s'installe à la cour. Elle y épouse

vers Étienne Castel, l'un des secrétaires du roi, qui meurt en 1389. Son destin

singulier de première femme de lettres résulte de ce veuvage précoce : veuve à 25

ans d'un homme qu'elle a aimé, avec à sa charge trois enfants, une mère et une

nièce, elle devient écrivain de métier pour gagner sa vie et celle de sa famille. Elle

multiplie les ouvrages didactiques, en prose ou en vers rédige des dits à insertions

lyriques, des poèmes religieux, et offre à ses mécènes des recueils de ses oeuvres

réalisés dans son propre atelier de copistes. Elle a même écrit en 1410 un traité

d'art et de droit militaire : le Livre des faits d'arme et de chevalerie.

Ses poèmes, composés à partir de 1394, sont le plus souvent organisés dans

des recueils selon une trame narrative. Certains sont d'inspiration courtoise (les

Cent Ballades d'Amant et de Dame, où les voix des deux protagonistes alternent),

d'autres possèdent un ton plus personnel. La dimension autobiographique est

importante dans des textes qui évoquent les circonstances réelles de sa vie, de

manière allusive et allégorique (au début de la Mutation de Fortune et dans le

Livre du chemin de longue étude), ou de manière plus précise (dans L'Avision

Christine, 1405).

Son oeuvre est restée célèbre pour sa défense des femmes, dans les Lettres

du Débat sur le Roman de la Rose d'abord, et surtout dans le Livre de la Cité des

Dames, qui rassemble des exemples de femmes illustres de tous les temps, puis le

Livre des Trois Vertus ou Trésor de la Cité des Dames (1405), où elle s'adresse à

ses contemporaines pour leur prodiguer des conseils.

Charles d'Orléans est un prince. Son frère, le roi Charles VI, sombre dans

la folie avant même sa naissance. Son père, Louis d'Orléans, est assassiné sur

l'ordre de Jean sans Peur en 1407 (il a treize ans), sa mère meurt en 1408, sa

cousine et première épouse en 1409. Il commence à écrire vers 1410. Capturé à

Azincourt, il reste prisonnier des anglais durant toute sa jeunesse, de 1415 à 1440.

Libéré, il traverse une brève période d'action politique, puis se retire à Blois pour

se consacrer à la poésie.

Dès 1437, Charles d'Orléans s'écarte des thèmes courtois pour trouver une

Page 58: literatura romana dragoi

inspiration plus personnelle. Si le XVe est le siècle de la mélancolie, en effet,

Charles d'Orléans, l’ « Écolier de Mélancolie » en est l'un des meilleurs

représentants. Ses poèmes, marqués par son goût pour la réflexion et l'introspection

(« Il n'est nul si beau passe-temps / Que se jouer à sa pensée »), composent le récit

d'une expérience intérieure faite de conscience de soi et d'observation d'autrui,

d'une méditation très actuelle sur la nature du moi, le passage du temps, la

souffrance comme outil de connaissance.

Ses vers mêlent raffinement courtois et tracas quotidiens, confidence et

pudeur, pathétique et ironie. L'émotion y est disciplinée par la rhétorique et

tempérée par l'humour. Il faut également souligner l'élégance et la légèreté de ses

pièces, qui laissent une impression de limpidité et de facilité. Il a surtout composé

des poèmes courts, ballades et rondeaux, ainsi que quatre complaintes et deux dits

narratifs. Sa forme de prédilection est le rondeau de 12 ou 15 vers, très proche par

la forme et les thèmes du sonnet qui triomphera au siècle suivant.

Ballade CXX

Je n’ai plus soif, tarie est la fontaine ;

Je suis bien échauffé, mais sans le feu amoureux ;

Je vois bien clair, mais il n’en faut pas moins que l’on me guide ;

Folie et sens me gouvernent tous les deux ;

Je m’éveille ensommeillé en Nonchaloir ;

C’est de ma part un état mêlé,

Ni bien ni mal, au gré du hasard.

Je gagne et je perds, m’escomptant à la semaine ;

Rires, Jeux, Plaisirs, je n’en tiens pas compte ;

Espoir et Deuil me mettent hors d’haleine ;

Chance, en me flattant, m’est pourtant trop rigoureuse ;

D’où vient que je rie et me désole ?

Est-ce par sagesse, ou par folie bien prouvée ?

Ni bien ni mal, au gré du hasard.

Je suis récompensé d’un cadeau malheureux ;

En combattant, je me rends courageux ;

Joie et Souci m’ont mis en leur pouvoir ;

Tout déconfit, je me tiens au rang des preux ;

Qui saurait dénouer pour moi tous ces nœuds ?

Il y faudrait une tête d’acier, bien armée,

Ni bien ni mal, au gré du hasard.

Page 59: literatura romana dragoi

Vieillesse me fait jouer à de tels jeux,

Perdre et gagner, tout sous son influence ;

J’ai joué cette année en pure perte,

Ni bien ni mal, au gré du hasard.

(Charles d’Orléans, Œuvres poétiques)

Unité 13 : François Villon

François Villon a écrit des ballades et des rondeaux. Il est célèbre pour ses

deux dernières œuvres, qui appartiennent au genre du congé poétique : les Lais

(1456), sont la première ébauche de son Testament (1461). Ce testament fictif et

parodique de 2023 vers est composé également de huitains entrecoupés de poèmes

qui peuvent en être détachés (comme la célèbre « Ballade des Dames du temps

jadis »). La première partie, les Regrets (800 vers), est une méditation sur la

vieillesse et la fuite du temps, la deuxième partie est consacrée à une succession de

Legs souvent ironiques qui s'achève sur une invitation à boire à la fois burlesque et

poignante. Ce texte complexe et ambigu, mêle l'obsession de la décrépitude et de la

mort à des pirouettes carnavalesques, et explore les registres les plus divers :

dérision et prière, paillardise et émotion, rire et larmes, repentir et défi. Villon y

recrée tout le Paris populaire de son époque, dans un style vivant qui se caractérise

également par une utilisation très riche des possibilités du langage : citations,

digressions, jeux de mots, associations d'idées, et autres explorations de la carte

complexe des souvenirs.

Après François Villon, la poésie du Moyen Âge tourne le dos au lyrisme et à

l'expression personnelle, sincère ou non, pour s'attacher à des recherches plus

formelles. Les poètes regroupés sous l'étiquette de grands rhétoriqueurs mettent

leur virtuosité technique au service d'un contenu qui semble banal et répétitif : ce

sont des poètes de cour qui écrivent des poèmes de circonstance, dans lesquels

cependant la critique des puissants n'est pas forcément absente. Ils considèrent que

la poésie relève avant tout de la « seconde rhétorique », recherchent la perfection

formelle, et rédigent souvent des arts poétiques. (Doctrinal de seconde rhétorique

de Baudet Herenc, Art de Rhétorique de Jean Molinet).

Ballade des dames du temps jadis

Dites moi où, n’en quel pays

Est Flora la belle Romaine ;

Archipiade ne Tais

Qui fut sa cousine germaine ;

Echo, parlant quand bruit on mène

Ballade du concours de Blois

Je meurs de soif auprès de la fontaine,

Chaud comme feu, et tremble dent à

dent ;

En mon pays suis en terre lointaine ;

Lez un brasier frissonne tout ardent ;

Page 60: literatura romana dragoi

Dessus rivière ou sus étang,

Qui beauté ot trop plus qu’humaine ?

Mais où sont les neiges d’antan ?

Où est la très sage Helois,

Pour qui fut chantre et puis moine

Pierre Esbaillard à Saint Denis ?

Pour son amour ot cette essoine.

Semblablement où est la roine

Qui commanda que Buridan

Fut jeté en un sac en Seine ?

La roine Blanche come un lis

Qui chantoit à voix de sereine,

Berthe au grand pied, Bietris, Alis,

Aremburgis qui tint le Maine,

Et Jeanne, la bonne Lorraine

Qu’Anglois brûlèrent à Rouen ;

Où sont ils, où, vierge souveraine ?

Mais où sont les neiges d’antan ?

Prince, n’enquérez de semaine

Où elles sont, né de cet an,

Qu’à ce refrain ne vous remaine ;

Mais où sont les neiges d’antan ?

(François Villon, Poésies)

Nu comme un ver, vêtu en président,

Je ris en pleurs et attends sans espoir ;

Confort reprends en triste désespoir ;

Je m’éjouis et n’ai plaisir aucun ;

Puissant je suis sans force et sans

pouvoir,

Bien recueilli, débouté de chacun.

Rien ne m’est sûr que la chose

incertaine ;

Obscur, fors ce qui est tout évident ;

Doute ne fais, fors en chose certaine ;

Science tiens à soudain accident ;

Je gagne tout et demeure perdant ;

Au point du jour dis : « Dieu vous

donne bon soir ! »

Gisant envers, j’ai grand paour de

choir ;

J’ai bien de quoi et si n’en ai pas un ;

Echoite attends et d’homme ne suis

hoir,

Bien recueille, débouté de chacun.

De rien n’ai soin, si mets toute ma

peine

D’acquérir biens et n’y suis

prétendant ;

Qui mieux me sit, c’est cil qui

m’ataine,

Et qui plus vrai, lors plus me va

bourdant ;

Moi ami est, qui me fait entendant

D’un cygne blanc que c’est un corbeau

noir ;

Et qui me nuit, crois qu’il m’aide à

pouvoir ;

Bourde, verte, au jour d’hui m’est tout

un ;

Je retiens tout, rien ne sait concevoir,

Bien recueilli, débouté de chacun.

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Prince clément, or vous plaise savoir :

Partial suis, à toutes lois commun.

Que sais-je plus ? Quoi ? Les gages

ravoir,

Bien recueilli, débouté de chacun.

(François Villon, Poésies)

L’épitaphe de Villon

En forme de ballade

Frères humains qui après nous vivez,

N’ayez les cœurs contre nous endurcis,

Car, se pitié de nous pauvres avez,

Dieu en aura plus tôt de vous mercis.

Vous nous voyez ci attachés cinq, six :

Quant de la chair que trop avons nourrie,

Elle est piéça dévorée et pourrie,

Et nous, les os, devenons cendre et poudre.

De notre mal personne ne s’en rie ;

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Se frères vous clamons, pas n’en devez

Avoir dédain, quoi que fumes occis

Par justice. Toutefois, vous savez

Que tous hommes n’ont pas bon sens rassis ;

Excusez nous, puis que nous sommes transis,

Envers le fils de la Vierge Marie,

Que sa grâce ne soit pour nous tarie,

Nous préservant de l’infernale foudre.

Nous sommes morts, âme ne nous harie,

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

La pluie nous a bues et lavés,

Et le soleil desséchés et noircis ;

Pies, corbeaux, nous ont les yeux cavés,

Et arrache la barbe et les sourcils.

Jamais nul temps nous ne sommes assis ;

Puis ça, puis là, comme le vent varie,

Page 62: literatura romana dragoi

A son plaisir sans cesser nous charrie,

Plus becquetés d’oiseaux que dès à coudre.

Ne soyez donc de notre confrérie ;

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

Prince Jésus, qui sur tous a maîtrie,

Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :

A lui n’ayons que faire ne que soudre.

Hommes, ici n’a point de moquerie ;

Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !

(François Villon, Poésies)

Unité 14 : Modèles de sujets prévus pour l’examen

1 - présenter les conditions de production de La Chanson de Roland (producteurs,

récepteurs, contexte socio-politique et économique du XIe siècle) – 1p.x3=3p. / -

rédiger la fiche bio-bibliographique de François Villon – 2p. /- présenter le schéma

compositionnel d’un roman de Chrétien de Troyes, au choix - (1p.)/ - commentez

les vers suivants : Guette bien, guetteur du château,/Quand l'objet qui m'est le

meilleur et le plus beau,/Est à moi jusqu'à l'aube,/Le jour qui vient sans

défaillir./Jeu nouveau/Ravit l'aube, l'aube, oui l'aube! // Guette, ami, veille, crie,

hurle,/Je suis riche, j'ai ce que je désire le plus,/Mais je suis ennemi de l'aube./La

tristesse que nous cause le jour/M'abat plus que l'aube, l'aube, oui l'aube!

2. - présenter le contexte socio-politique et économique des XIVe-XV

e siècles –

1p./réaliser l’opposition fabliau/roman/lai (2p.)/- rédiger la fiche bio-

bibliographique de Chrétien de Troyes (2p.) et illustrer son originalité (1p.) / -

commentez les vers suivants :Saint Gabriel vient lui dire de la part de Dieu :

/ Charles, lève les armées de ton empire./Avec toutes tes forces va-t’en dans la

terre de Bire/secourir le roi Vivien dans Imphe, cette cite que les païens assiègent./

Les chrétiens t’appellent et te réclament ». /L’empereur voudrait bien n’y pas

aller:/ « Dieu ! dit le roi, que de peines en ma vie ! » /Il pleure des deux yeux, tire

sa barbe blanche./Ici finit la geste que Turold décline.(La Chanson de Roland)

3. - définir le terme « troubadour » (1p.)/donner la classification des troubadours

(3x0,5p.=1,5p.)/ définir les termes « chanson » (1p.), « geste » (0,5p.x3=1,5p.)/

présenter le climat socio-politique et économique du XIIIe siècle – 1p/-commentez

Page 63: literatura romana dragoi

les vers suivants : A la douceur de la saison nouvelle,/Feuillent les bois, et les

oiseaux/Chantent, chacun dans son latin/Sur le rythme d’un chant nouveau ;/Il est

donc juste qu’on ouvre son cœur/A ce que l’on désire le plus.(Guillaume de

Poitiers, A la douceur de la saison nouvelle)

4. - définir les genres du théâtre médiéval (2x1p.=2p.)/ La Farce de maître

Pathelin (résumé du sujet, date de composition) – 1p.x2=2p/ expliquer les origines

de la poésie lyrique occitane (2x1p.=2p.) / - commentez les vers suivants : Bien me

plaît le gai temps de Pâques,/Qui fait feuilles et fleurs revenir,/Et me plaît ouïr le

bonheur/Des oiseaux qui font retentir/Leurs chants par le bocage,/Et me plaît

quand vois sur les prés/Tentes et pavillons dressés,/Et j'ai grand allégresse,/Quand

vois dans la plaine rangés/Chevaliers et chevaux armés. (Bertrand de Born, Bien

me plaît le gai temps de Pâques)

5. – présenter le contexte socio-politique et économique du XIIe siècle (1p.)/

définir les termes : « laisse » (1p.), « décasyllabe » et « assonance »

(0,5p.x2=1p.)/énumérer les traits récurrents des fabliaux (4x0,5p.=2p.)/la

calssification des fabliaux – 1p./ - commentez les vers suivants : Belle Doette aux

fenêtres s'assied,/Lit en un livre mais au coeur ne l'en tient;/De son ami Doon lui

ressouvient,/Qu'en d'autres terres est allé tournoyer./Et or en ai deuil.//Un écuyer

aux degrés de la salle/Est descendu, a déposé sa malle./Belle Doette les degrés

dévale,/Ne cuide pas ouïr male nouvelle./Et or en ai deuil.

6. - énumérez les noms des poètes qui représentent les XIVe-XV

e siècles –

4x0,5p.=2p./ présenter les genres comiques (1p.x4=4p.)/- commentez les vers

suivants : Quand vois l'alouette mouvoir /De joie ses ailes face au soleil,/Que

s'oublie et se laisse choir/Par la douceur qu'au cœur lui va,/Las! si grand envie me

vient/De tous ceux dont je vois la joie,/Et c'est merveille qu'à l'instant/Le cœur de

désir ne me fonde. (Bernard de Ventadour, Quand je vois voler l'alouette)

7. - rédiger le résumé de l’action de La Chanson de Roland – 3p./ expliquer

l’origine du théâtre médiéval français (0,5p.x2=1p.) et fournir des exemples dans

ce sens (0,25x4=1p.)./ énumérer les synonymes du syntagme « chanson de

geste » (0,5p.x2=1p.)/ commentez les lignes suivantes : Puisque ma dame de

Champagne veut que j'entreprenne un roman, je l'entreprendrai volontiers comme

Page 64: literatura romana dragoi

le peut faire un homme qui est sien tout entier pour tout ce que je puis faire au

monde. Je le dis sans y mettre nul grain d'encens, mais j'en connais bien d'autres

qui voudraient en célébrer grande louange et diraient assurément que cette dame

surpasse toutes les autres comme le zéphyr qui vente en avril ou mars emporte sur

tous les autres vents. (Chrétien de Troyes, Lancelot, le chevalier de la charrette)

8. - expliquer le problème des chansons de geste – (1p.x2=2p)/ définir le terme

« fin’amor » (1p.);/identifiez les éléments essentiels du code de la civilité courtoise

(1px2=2p.)/ expliquer l’origine du théâtre médiéval français (0,5p.x2=1p.)/ -

commentez les vers suivants :Roland sent que la mort le saisit,/Que de la tête sur le

cœur elle lui descend./Dessous un pin il est allé courant,/Sur l’herbe verte s’est

couché sur les dents,/Dessous lui met l’épée et l’olifant,/Tourna la tête vers la

païenne gent:/Et il l’a fait parce qu’il veut vraiment/Que Charles dise, avec tous les

siens,/Que le noble comte est mort en conquérant. (La Chanson de Roland)

9. - énumérez quatre formes poétiques cultivées aux XIVe-XV

e siècles

(4x0,5p.=2p)/ présenter au choix un roman de Chrétien de Troyes en se rapportant

aux repères suivants : résumé de l’action (2p.), symboles et allégories (1p.)./

définir deux formes du lyrisme courtois (1p.)/ commentez les lignes suivantes :Il y

avait jadis deux frères, sans conseil de père et de mère, et sans autre compagnie.

Pauvreté fut bien leur amie, car elle fut souvent leur compagne. C'est la chose qui

tracasse le plus ceux qu'elle assiège: il n'est pire maladie. Ensemble demeuraient

les deux frères dont je vous conte l'histoire. Une nuit, ils furent en grande détresse,

de soif, de faim et de froid: chacun de ces maux s'attache souvent à ceux que

Pauvreté tient en son pouvoir. (Estula)

1. A. La Chanson de Roland

présenter les conditions de production (producteurs, récepteurs, contexte

socio-politique et économique du XIe siècle) – 1p.x3=3p.;

rédiger le résumé de l’action – 3p.;

illustrer le rapport épopée – histoire (chronique) – 0,5p.x3=1,5p.;

présenter l’ensemble thématique de cette chanson - 0,5p.x3=1,5p.

1. B. Le lyrisme à la fin du Moyen-Age

présenter le contexte socio-politique et économique des XIVe-XV

e siècles –

1p.;

énumérez les noms des poètes qui représentent cette période historique –

4x0,5p.=2p.;

Page 65: literatura romana dragoi

rédiger la fiche bio-bibliographique de François Villon – 2p.;

présenter les thèmes chers aux poètes des XIVe-XV

e siècles – 2p. ;

énumérez quatre formes poétiques cultivées dans cette période –

4x0,5p.=2p.

1. C. Présenter au choix un roman de Chrétien de Troyes en se rapportant aux

repères suivants : résumé de l’action (2p.), schéma compositionnel (1p.), thèmes

(2p.), le système des personnages et leurs fonctions (2p.), symboles et allégories

(2p.).

1. D. La littérature dramatique médiévale

illustrer les formes de la littérature dramatique médiévale (1px6=6p.);

réaliser la périodisation de ce type de textes littéraires (0,5x2=1p.);

expliquer l’origine du théâtre médiéval français (0,5p.x2=1p.) et fournir des

exemples dans ce sens (0,25x4=1p.).

2. A. Les formes du lyrisme courtois

présenter les traits du lyrisme « subjectif » et définir trois de ses formes (le

sirventé, la chanson courtoise + types, le descort) – 1,5p.x3=4,5p.;

présenter les traits du lyrisme « objectif » et définir trois de ses formes (la

pastourelle, l’aube, la chanson de toile) – 1,5p.x3=4,5p.

2. B. Les fabliaux

présenter le climat socio-politique et économique du XIIIe siècle – 1p.

présenter un fabliau au choix (rédiger le résumé du sujet (2p.), présenter les

thèmes (1p.) et le système des personnages (1p.)

définition (0,5p.), étymologie (0,5p.), classification (1p.) des fabliaux ;

réaliser l’opposition fabliau/roman/lai (2p.).

2. C. Le théâtre comique médiéval

présenter les genres comiques (1p.x4=4p.).

énumérer les éléments communs existant entre les fabliaux et les farces du

XIIIe siècle (1p.x2=2p.);

Page 66: literatura romana dragoi

énumérer les titres des premières manifestations du théâtre

profane (0,5p.x2=1p.);

La Farce de maître Pathelin (résumé du sujet, date de composition) –

1p.x2=2p.

2. D. Les chansons de geste

définir les termes « chanson » (1p.), « geste » (0,5p.x3=1,5p.);

énumérer les synonymes du syntagme « chanson de geste » (0,5p.x2=1p.);

réaliser l’opposition épopée – chronique historique (0,5p.x3=1,5p.)

La Chanson de Roland - rédiger le résumé de l’action – 2p.

expliquer le problème des origines de ces textes littéraires – 1p.x2=2p.

3. A. Le théâtre religieux médiéval

présenter le climat socio-politique et économique du XIIIe siècle – 1p.

définir les genres du théâtre médiéval (2x1p.=2p.) ;

présenter la pièce de Rutebeuf, Le Miracle de Théophile (résumé du sujet –

3p., date de composition, schéma compositionnel – 1p.) ;

réaliser la périodisation de ce type de textes littéraires (0,5x2=1p.);

expliquer l’origine du théâtre médiéval français (0,5p.x2=1p.)

3. B. La courtoisie

définir le terme « cortezia » (0,5p.x2=1p.);

présenter le contexte socio-politique et économique du XIIe siècle (1p.);

présenter les causes qui ont engendré l’idéologie courtoise (2x1p.=2p.);

définir le terme « fin’amor » (1p.);

identifiez les éléments essentiels du code de la civilité courtoise (1px2=2p.)

présenter les vertus engendrées par la lyrique occitane (4x0,5p.=2p.).

3. C. Le roman médiéval

définir ce genre romanesque (1p.) et ses termes voisins (lai, fabliau – 2p.)

la classification du roman médiéval (0,5x4=2p.);

présenter les traits de la littérature aristocratique (du roman courtois) : les

conditions de production (la période dans laquelle s’épanouit le roman,

Page 67: literatura romana dragoi

l’idéal humain promu au XIIe siècle, le statut des auteurs – 3p.) et la

classification de ces textes (0,5p.x2=1p.)

3. D. Les troubadours

définir le terme « troubadour » (1p.);

la classification des troubadours (3x0,5p.=1,5p.) ;

présenter la condition sociale de ces créateurs (0,5p.) ;

expliquer les origines de la poésie lyrique occitane (2x1p.=2p.) ;

présenter le statut des poètes suivants : Bernard de Ventadour, Marcabrun,

Guillaume de Poitiers, IXe duc d’Aquitaine (3x1p.=3p.).

présentez les thèmes abordés dans ce type de lyrisme (1p.).

4. A. Chrétien de Troyes

rédiger la fiche bio-bibliographique de cet écrivain (2p.) et illustrer son

originalité (1p.);

énumérer les traits communs de ses cinq romans (4x1p.=4p.);

présenter l’espace (2x0,5p.=1p.) et le temps dans sa création (2x0,5p.=1p.).

4. B. Réaliser un parallèle entre la chanson de geste et le roman courtois en se

rapportant aux éléments suivants : période (1p.), but visé (1p.), forme (1p.),

contenu (1p.), protagonistes (1p.), thème dominant (1p.), public visé (1p.),

définition des syntagmes « chanson de geste » (1p.) et « roman courtois » (1p.).

4. C. Le Roman de Renart

définition (1p.), structure (1p.), date de composition (1p.), sujet (2p.),

origine (1p.), auteurs (1p.), tonalité du texte (1p.), contexte socio-politique

et économique du XIIIe siècle (1p.).

4. D. Les fabliaux

présenter le climat socio-politique et économique du XIIIe siècle (1p.) ;

présenter les sujets abordés (thèmes) dans ces textes littéraires

(4x0,5p.=2p.);

énumérer les traits récurrents de ces œuvres littéraires (4x0,5p.=2p.);

réaliser l’opposition fabliau/roman/lai (2p.)

définition (0,5p.), étymologie (0,5p.), classification (1p.) des fabliaux ;

Page 68: literatura romana dragoi

5. A. Les chansons de geste

définir les termes : « laisse » (1p.), « décasyllabe » et « assonance »

(0,5p.x2=1p.) ;

présenter le style propre aux chansons de geste (le style formulaire - 1p., le

système des laisses parallèles – 1p.) ;

la classification des chansons de geste (3x1p.=3p.);

présenter l’ensemble thématique de ces textes littéraires (2x1p.=2p.).

Questionnaire : tester ses connaissances

1.La vertu fondamentale des chansons de geste est :

e) l’honneur

f) la prouesse

g) la générosité

h) l’amour

2.Le roman courtois apparaît dans la période :

a) 800 – 1050

b) 1300 – 1400

c) 1050 – 1250

3.Le modèle humain créé par la société courtoise est :

a) le philosophe militant

b) le chevalier courtois

c) le héros sensible et timide

4.Les auteurs des romans courtois sont :

a) des personnes anonymes

b) des clercs capables de lire des textes en latin et de les traduire

c) des paysans lettrés

5.La matière de Bretagne rassemble toutes les œuvres écrites sur :

a) l’image de toute la dynastie capétienne

b) la figure de Charlemagne et des barons « révoltés »

c) la figure du roi Arthur et des chevaliers de la Table Ronde

6.Les romans antiques ont comme ambition affichée :

a) les anachronismes

b) la véridicité des faits racontés

Page 69: literatura romana dragoi

c) l’oubli de toute source littéraire et historique

7.La forme préclassique de la chanson courtoise est :

a) le « serventois »

b) la pastourelle

c) le vers

8.Dans le « Prologue » de Lancelot, Chrétien de Troyes compare Marie de

Champagne à :

a) une fleur magique

b) une brise printanière

c) une pierre précieuse

9.Dans la chanson de geste :

d) l’atmosphère est fondamentalement païenne

e) les thèmes religieux occupent le premier plan

f) les débats du cœur passent avant les récits de batailles

10.Le terme « roman » désigne :

a) un conte ou une nouvelle en vers

b) une œuvre épique d’imagination

c) un genre lyrique et musical

d) tout texte traduit du latin en langue vulgaire

11.La vertu fondamentale de la littérature courtoise est :

a) l’honneur

b) la prouesse

c) la générosité

d) l’amour

12.L’auditoire des romans courtois est représenté par :

a) une foule illettrée

b) un public divers, qui réunit des aristocrates, des chevaliers et des paysans

c) un public fin, lettré, qui a le goût des mythes courtois

13.La légende Tristan et Iseut connaît deux versions :

a) la version de Turold et celle de Marie de Champagne

b) la version primitive de Béroul et celle courtoise de Thomas

c) la version de Marie de France et celle de Chrétien de Troyes

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14.Le genre littéraire qui prépare la voie au Tristan de Thomas et au Lancelot de

Chrétien de Troyes est :

a) le fabliau

b) le roman antique

c) la chanson de geste

15.Le « descort » est une forme lyrique médiévale caractérisée par :

a) un débat qui oppose deux opinions différentes sur les sentiments amoureux

b) l’existence du refrain à la fin de chaque strophe

c) des couplets différents de rimes, de mélodie et de langage

16.Dans la séquence initiale d’Yvain, les chevaliers se trouvent à la cour du roi

Arthur :

a) à l’Ascension, qui commémore l’élévation miraculeuse de Jésus Christ dans

le ciel, après la résurrection

b) à la veille de Saint-Jean, le 7 janvier

c) à la fête de la Pentecôte, 50 jours après les Pâques, qui célèbre la descente de

l’Esprit sur les Apôtres

17.La période d’apparition des chansons de geste se situe :

d) à la fin du Moyen-Age

e) au XIe siècle

f) au milieu du XIIe siècle

18.L’année 1050 est caractérisée par :

a) l’avènement de la bourgeoisie

b) la constitution de la démocratie

c) l’éclosion de la courtoisie

19.Le roman courtois est destiné :

a) à être chanté

b) à être lu à voix haute

c) à former des anthologies littéraires, vendues dans les foires publiques lors

des carnavals organisés par les autorités locales

20.La chantefable est :

a) une nouvelle en vers

b) une forme littéraire qui mêle des parties en vers destinées à être chantées au

récit en prose

c) une composition musicale

Page 71: literatura romana dragoi

Dans la chanson de geste :

g) l’atmosphère est fondamentalement païenne

h) les thèmes religieux occupent le premier plan

i) les débats du cœur passent avant les récits de batailles

Le terme « roman » désigne :

e) un conte ou une nouvelle en vers

f) une œuvre épique d’imagination

g) un genre lyrique et musical

h) tout texte traduit du latin en langue vulgaire

La vertu fondamentale de la littérature courtoise est :

e) l’honneur

f) la prouesse

g) la générosité

h) l’amour

L’auditoire des romans courtois est représenté par :

d) une foule illettrée

e) un public divers, qui réunit des aristocrates, des chevaliers et des paysans

f) un public fin, lettré, qui a le goût des mythes courtois

La légende Tristan et Iseut connaît deux versions :

d) la version de Turold et celle de Marie de Champagne

e) la version primitive de Béroul et celle courtoise de Thomas

f) la version de Marie de France et celle de Chrétien de Troyes

Le genre littéraire qui prépare la voie au Tristan de Thomas et au Lancelot de

Chrétien de Troyes est :

d) le fabliau

e) le roman antique

f) la chanson de geste

Le « descort » est une forme lyrique médiévale caractérisée par :

d) un débat qui oppose deux opinions différentes sur les sentiments amoureux

e) l’existence du refrain à la fin de chaque strophe

f) des couplets différents de rimes, de mélodie et de langage

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Dans la séquence initiale d’Yvain, les chevaliers se trouvent à la cour du roi

Arthur :

d) à l’Ascension, qui commémore l’élévation miraculeuse de Jésus Christ dans

le ciel, après la résurrection

e) à la veille de Saint-Jean, le 7 janvier

f) à la fête de la Pentecôte, 50 jours après les Pâques, qui célèbre la descente de

l’Esprit sur les Apôtres

La période d’apparition des chansons de geste se situe :

g) à la fin du Moyen-Age

h) au XIe siècle

i) au milieu du XIIe siècle

La période 1050 est caractérisée par :

d) l’avènement de la bourgeoisie

e) la constitution de la démocratie

f) l’éclosion de la courtoisie

Le roman courtois est destiné :

d) à être chanté

e) à être lu à voix haute

f) à former des anthologies littéraires, vendues dans les foires publiques lors

des carnavals organisés par les autorités locales

L’auditoire des chansons de geste est représenté par :

a) une foule illettrée

b) un public divers, qui réunit des aristocrates, des chevaliers et des paysans

c) un public fin, lettré, qui a le goût des mythes courtois

La chantefable est :

d) une nouvelle en vers

e) une forme littéraire qui mêle des parties en vers destinées à être chantées au

récit en prose

f) une composition musicale

Le protagoniste des romans courtois est :

a) un héros surhumain

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b) un héros à la mesure humaine

c) un homme raffiné et lettré, toujours amoureux

Dans la chanson de toile :

a) une belle dame se lamente en général sur la mort de son amant ou sur son

entrée au couvent

b) les troubadours et les trouvères encouragent les chevaliers à prendre part aux

guerres saintes organisées contre les infidèles

c) deux interlocuteurs échangent librement leurs pensées, en couplets alternés,

sur un thème fixé entre eux.

Grâce à ses prouesses, Yvain réussit à gagner l’amour de :

a) Dame Laudine

b) Guenièvre

c) Blanchefleur

1. Les protagonistes des romans de Chrétien de Troyes sont:

a) des clercs

b) des individus valorisés, issus d’une famille royale ou princière

c) des chevaliers illettrés

2. La forêt est un espace terrifiant et périlleux qui symbolise :

a) l’indice d’un passage vers l’Autre Monde

b) la fertilité et la féminité

c) le lieu propice à l’affrontement entre le chevalier courtois et ses ennemis

3. Le chevalier venu du Pays sans retour, qui enlève la reine Guenièvre dans

Lancelot s’appelle :

a) Méléagant, le fils du roi de Gorre

b) Le sénéchal Keu

c) Gauvain, le neveu d’Arthur

4. Est recréant celui qui :

a) est lâche et, pour sauver sa vie, demande merci à son adversaire

b) trahit son serment et sacrifie la vertu chevaleresque et l’honneur

c) tombe amoureux de la veuve de son ancien ami

5. La Pentecôte a comme fête équivalente chez nous :

a) Rusaliile

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b) Inaltarea Domnului

c) Sf. Gheorghe

6. Dans la matière de Bretagne, les messagers de l’Au-delà sont :

a) les chevaliers de la Table Ronde

b) les nains et les géants

c) les « lauzangiers »

7. Les chansons de geste se caractérisent par :

a) le style formulaire et le procédé des laisses parallèles

b) une construction en octosyllabes à rimes plates

c) un ensemble de laisses formées de décasyllabes assonancés

8. Le roman courtois a comme trait essentiel :

a) l’utilisation constante du merveilleux

b) la revendication de la vérité historique et référentielle

c) le refus de la portée moralisatrice des récits hagiographiques