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Alphonse de Lamartine:Le lac

Ainsi, toujours pousss vers de nouveaux rivages,Dans la nuit ternelle emports sans retour,Ne pourrons-nous jamais sur locan des gesJeter lancre un seul jour ? lac ! lanne peine a fini sa carrire,Et prs des flots chris quelle devait revoir,Regarde ! je viens seul masseoir sur cette pierreO tu la vis sasseoir !Tu mugissais ainsi sous ces roches profondes,Ainsi tu te brisais sur leurs flancs dchirs,Ainsi le vent jetait lcume de tes ondesSur ses pieds adors.Un soir, ten souvient-il ? nous voguions en silence ;On nentendait au loin, sur londe et sous les cieux,Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadenceTes flots harmonieux.Tout coup des accents inconnus la terreDu rivage charm frapprent les chos ;Le flot fut attentif, et la voix qui mest chreLaissa tomber ces mots : temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !Suspendez votre cours :Laissez-nous savourer les rapides dlicesDes plus beaux de nos jours ! Assez de malheureux ici-bas vous implorent,Coulez, coulez pour eux ;Prenez avec leurs jours les soins qui les dvorent ;Oubliez les heureux. Mais je demande en vain quelques moments encore,Le temps mchappe et fuit ;Je dis cette nuit : Sois plus lente ; et lauroreVa dissiper la nuit. Aimons donc, aimons donc ! de lheure fugitive,Htons-nous, jouissons !Lhomme na point de port, le temps na point de rive ;Il coule, et nous passons ! Temps jaloux, se peut-il que ces moments divresse,O lamour longs flots nous verse le bonheur,Senvolent loin de nous de la mme vitesseQue les jours de malheur ?Eh quoi ! nen pourrons-nous fixer au moins la trace ?Quoi ! passs pour jamais ! quoi ! tout entiers perdus !Ce temps qui les donna, ce temps qui les efface,Ne nous les rendra plus !ternit, nant, pass, sombres abmes,Que faites-vous des jours que vous engloutissez ?Parlez : nous rendrez-vous ces extases sublimesQue vous nous ravissez ? lac ! rochers muets ! grottes ! fort obscure !Vous, que le temps pargne ou quil peut rajeunir,Gardez de cette nuit, gardez, belle nature,Au moins le souvenir !Quil soit dans ton repos, quil soit dans tes orages,Beau lac, et dans laspect de tes riants coteaux,Et dans ces noirs sapins, et dans ces rocs sauvagesQui pendent sur tes eaux.Quil soit dans le zphyr qui frmit et qui passe,Dans les bruits de tes bords par tes bords rpts,Dans lastre au front dargent qui blanchit ta surfaceDe ses molles clarts.Que le vent qui gmit, le roseau qui soupire,Que les parfums lgers de ton air embaum,Que tout ce quon entend, lon voit ou lon respire,Tout dise : Ils ont aim !Alphonse de Lamartine,Mditations potiquesLautomne

Salut ! bois couronns dun reste de verdure !Feuillages jaunissants sur les gazons pars !Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la natureConvient la douleur et plat mes regards !Je suis dun pas rveur le sentier solitaire,Jaime revoir encor, pour la dernire fois,Ce soleil plissant, dont la faible lumirePerce peine mes pieds lobscurit des bois !Oui, dans ces jours dautomne o la nature expire,A ses regards voils, je trouve plus dattraits,Cest ladieu dun ami, cest le dernier sourireDes lvres que la mort va fermer pour jamais !Ainsi, prt quitter lhorizon de la vie,Pleurant de mes longs jours lespoir vanoui,Je me retourne encore, et dun regard denvieJe contemple ses biens dont je nai pas joui !Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau ;Lair est si parfum ! la lumire est si pure !Aux regards dun mourant le soleil est si beau !Je voudrais maintenant vider jusqu la lieCe calice ml de nectar et de fiel !Au fond de cette coupe o je buvais la vie,Peut-tre restait-il une goutte de miel ?Peut-tre lavenir me gardait-il encoreUn retour de bonheur dont lespoir est perdu ?Peut-tre dans la foule, une me que jignoreAurait compris mon me, et maurait rpondu ? La fleur tombe en livrant ses parfums au zphire ;A la vie, au soleil, ce sont l ses adieux ;Moi, je meurs; et mon me, au moment quelle expire,Sexhale comme un son triste et mlodieux.Alphonse de Lamartine,Mditations potiques

Lisolement

Souvent sur la montagne, lombre du vieux chne,Au coucher du soleil, tristement je massieds ;Je promne au hasard mes regards sur la plaine,Dont le tableau changeant se droule mes pieds.Ici, gronde le fleuve aux vagues cumantes ;Il serpente, et senfonce en un lointain obscur ;L, le lac immobile tend ses eaux dormantesO ltoile du soir se lve dans lazur.Au sommet de ces monts couronns de bois sombres,Le crpuscule encor jette un dernier rayon,Et le char vaporeux de la reine des ombresMonte, et blanchit dj les bords de lhorizon.Cependant, slanant de la flche gothique,Un son religieux se rpand dans les airs,Le voyageur sarrte, et la cloche rustiqueAux derniers bruits du jour mle de saints concerts.Mais ces doux tableaux mon me indiffrenteNprouve devant eux ni charme ni transports,Je contemple la terre ainsi quune ombre errante :Le soleil des vivants nchauffe plus les morts.De colline en colline en vain portant ma vue,Du sud laquilon, de laurore au couchant,Je parcours tous les points de limmense tendue,Et je dis : Nulle part le bonheur ne mattend. Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumires,Vains objets dont pour moi le charme est envol ?Fleuves, rochers, forts, solitudes si chres,Un seul tre vous manque, et tout est dpeupl.Que le tour du soleil ou commence ou sachve,Dun oeil indiffrent je le suis dans son cours ;En un ciel sombre ou pur quil se couche ou se lve,Quimporte le soleil ? je nattends rien des jours.Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrire,Mes yeux verraient partout le vide et les dserts ;Je ne dsire rien de tout ce quil claire,Je ne demande rien limmense univers.Mais peut-tre au-del des bornes de sa sphre,Lieux o le vrai soleil claire dautres cieux,Si je pouvais laisser ma dpouille la terre,Ce que jai tant rv paratrait mes yeux !L, je menivrerais la source o jaspire ;L, je retrouverais et lespoir et lamour,Et ce bien idal que toute me dsire,Et qui na pas de nom au terrestre sjour !Que ne puis-je, port sur le char de lAurore,Vague objet de mes vux, mlancer jusqu toi !Sur la terre dexil pourquoi rest-je encore ?Il nest rien de commun entre la terre et moi.Quand la feuille des bois tombe dans la prairie,Le vent du soir slve et larrache aux vallons ;Et moi, je suis semblable la feuille fltrie :Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !

Alfred de MussetTristesseJ'ai perdu ma force et ma vie,Et mes amis et ma gaiet;J'ai perdu jusqu' la fiertQui faisait croire mon gnie.

Quand j'ai connu la Vrit,J'ai cru que c'tait une amie ;Quand je l'ai comprise et sentie,J'en tais dj dgot.

Et pourtant elle est ternelle,Et ceux qui se sont passs d'elleIci-bas ont tout ignor.

Dieu parle, il faut qu'on lui rponde.Le seul bien qui me reste au mondeEst d'avoir quelquefois pleur.

La nuit de dcembreLE POTE

Du temps que j'tais colier,Je restais un soir veillerDans notre salle solitaire.Devant ma table vint s'asseoirUn pauvre enfant vtu de noir,Qui me ressemblait comme un frre.

Son visage tait triste et beau :A la lueur de mon flambeau,Dans mon livre ouvert il vint lire.Il pencha son front sur sa main,Et resta jusqu'au lendemain,Pensif, avec un doux sourire.

Comme j'allais avoir quinze ansJe marchais un jour, pas lents,Dans un bois, sur une bruyre.Au pied d'un arbre vint s'asseoirUn jeune homme vtu de noir,Qui me ressemblait comme un frre.

Je lui demandai mon chemin ;Il tenait un luth d'une main,De l'autre un bouquet d'glantine.Il me fit un salut d'ami,Et, se dtournant demi,Me montra du doigt la colline.

A l'ge o l'on croit l'amour,J'tais seul dans ma chambre un jour,Pleurant ma premire misre.Au coin de mon feu vint s'asseoirUn tranger vtu de noir,Qui me ressemblait comme un frre.

Il tait morne et soucieux ;D'une main il montrait les cieux,Et de l'autre il tenait un glaive.De ma peine il semblait souffrir,Mais il ne poussa qu'un soupir,Et s'vanouit comme un rve.

A l'ge o l'on est libertin,Pour boire un toast en un festin,Un jour je soulevais mon verre.En face de moi vint s'asseoirUn convive vtu de noir,Qui me ressemblait comme un frre.

Il secouait sous son manteauUn haillon de pourpre en lambeau,Sur sa tte un myrte strile.Son bras maigre cherchait le mien,Et mon verre, en touchant le sien,Se brisa dans ma main dbile.

Un an aprs, il tait nuit ;J'tais genoux prs du litO venait de mourir mon pre.Au chevet du lit vint s'asseoirUn orphelin vtu de noir,Qui me ressemblait comme un frre.

Ses yeux taient noys de pleurs ;Comme les anges de douleurs,Il tait couronn d'pine ;Son luth terre tait gisant,Sa pourpre de couleur de sang,Et son glaive dans sa poitrine.

Je m'en suis si bien souvenu,Que je l'ai toujours reconnuA tous les instants de ma vie.C'est une trange vision,Et cependant, ange ou dmon,J'ai vu partout cette ombre amie.

Lorsque plus tard, las de souffrir,Pour renatre ou pour en finir,J'ai voulu m'exiler de France ;Lorsqu'impatient de marcher,J'ai voulu partir, et chercherLes vestiges d'une esprance ;

A Pise, au pied de l'Apennin ;A Cologne, en face du Rhin ;A Nice, au penchant des valles ;A Florence, au fond des palais ;A Brigues, dans les vieux chalets ;Au sein des Alpes dsoles ;

A Gnes, sous les citronniers ;A Vevey, sous les verts pommiers ;Au Havre, devant l'Atlantique ;A Venise, l'affreux Lido,O vient sur l'herbe d'un tombeauMourir la ple Adriatique ;

Partout o, sous ces vastes cieux,J'ai lass mon coeur et mes yeux,Saignant d'une ternelle plaie ;Partout o le boiteux Ennui,Tranant ma fatigue aprs lui,M'a promen sur une claie ;

Partout o, sans cesse altrDe la soif d'un monde ignor,J'ai suivi l'ombre de mes songes ;Partout o, sans avoir vcu,J'ai revu ce que j'avais vu,La face humaine et ses mensonges ;

Partout o, le long des chemins,J'ai pos mon front dans mes mains,Et sanglot comme une femme ;Partout o j'ai, comme un mouton,Qui laisse sa laine au buisson,Senti se dnuder mon me ;

Partout o j'ai voulu dormir,Partout o j'ai voulu mourir,Partout o j'ai touch la terre,Sur ma route est venu s'asseoirUn malheureux vtu de noir,Qui me ressemblait comme un frre.

Qui donc es-tu, toi que dans cette vieJe vois toujours sur mon chemin ?Je ne puis croire, ta mlancolie,Que tu sois mon mauvais Destin.Ton doux sourire a trop de patience,Tes larmes ont trop de piti.En te voyant, j'aime la Providence.Ta douleur mme est soeur de ma souffrance ;Elle ressemble l'Amiti.

Qui donc es-tu ? - Tu n'es pas mon bon ange,Jamais tu ne viens m'avertir.Tu vois mes maux (c'est une chose trange !)Et tu me regardes souffrir.Depuis vingt ans tu marches dans ma voie,Et je ne saurais t'appeler.Qui donc es-tu, si c'est Dieu qui t'envoie ?Tu me souris sans partager ma joie,Tu me plains sans me consoler !

Ce soir encor je t'ai vu m'apparatre.C'tait par une triste nuit.L'aile des vents battait ma fentre ;J'tais seul, courb sur mon lit.J'y regardais une place chrie,Tide encor d'un baiser brlant ;Et je songeais comme la femme oublie,Et je sentais un lambeau de ma vieQui se dchirait lentement.

Je rassemblais des lettres de la veille,Des cheveux, des dbris d'amour.Tout ce pass me criait l'oreilleSes ternels serments d'un jour.Je contemplais ces reliques sacres,Qui me faisaient trembler la main :Larmes du coeur par le coeur dvores,Et que les yeux qui les avaient pleuresNe reconnatront plus demain !

J'enveloppais dans un morceau de bureCes ruines des jours heureux.Je me disais qu'ici-bas ce qui dure,C'est une mche de cheveux.Comme un plongeur dans une mer profonde,Je me perdais dans tant d'oubli.De tous cts j'y retournais la sonde,Et je pleurais, seul, loin des yeux du monde,Mon pauvre amour enseveli.

J'allais poser le sceau de cire noireSur ce fragile et cher trsor.J'allais le rendre, et, n'y pouvant pas croire,En pleurant j'en doutais encor.Ah ! faible femme, orgueilleuse insense,Malgr toi, tu t'en souviendras !Pourquoi, grand Dieu ! mentir sa pense ?Pourquoi ces pleurs, cette gorge oppresse,Ces sanglots, si tu n'aimais pas ?

Oui, tu languis, tu souffres, et tu pleures ;Mais ta chimre est entre nous.Eh bien ! adieu ! Vous compterez les heuresQui me spareront de vous.Partez, partez, et dans ce coeur de glaceEmportez l'orgueil satisfait.Je sens encor le mien jeune et vivace,Et bien des maux pourront y trouver placeSur le mal que vous m'avez fait.

Partez, partez ! la Nature immortelleN'a pas tout voulu vous donner.Ah ! pauvre enfant, qui voulez tre belle,Et ne savez pas pardonner !Allez, allez, suivez la destine ;Qui vous perd n'a pas tout perdu.Jetez au vent notre amour consume ; -Eternel Dieu ! toi que j'ai tant aime,Si tu pars, pourquoi m'aimes-tu ?

Mais tout coup j'ai vu dans la nuit sombreUne forme glisser sans bruit.Sur mon rideau j'ai vu passer une ombre ;Elle vient s'asseoir sur mon lit.Qui donc es-tu, morne et ple visage,Sombre portrait vtu de noir ?Que me veux-tu, triste oiseau de passage ?Est-ce un vain rve ? est-ce ma propre imageQue j'aperois dans ce miroir ?

Qui donc es-tu, spectre de ma jeunesse,Plerin que rien n'a lass ?Dis-moi pourquoi je te trouve sans cesseAssis dans l'ombre o j'ai pass.Qui donc es-tu, visiteur solitaire,Hte assidu de mes douleurs ?Qu'as-tu donc fait pour me suivre sur terre ?Qui donc es-tu, qui donc es-tu, mon frre,Qui n'apparais qu'au jour des pleurs ?

LA VISION

- Ami, notre pre est le tien.Je ne suis ni l'ange gardien,Ni le mauvais destin des hommes.Ceux que j'aime, je ne sais pasDe quel ct s'en vont leurs pasSur ce peu de fange o nous sommes.

Je ne suis ni dieu ni dmon,Et tu m'as nomm par mon nomQuand tu m'as appel ton frre ;O tu vas, j'y serai toujours,Jusques au dernier de tes jours,O j'irai m'asseoir sur ta pierre.

Le ciel m'a confi ton coeur.Quand tu seras dans la douleur,Viens moi sans inquitude.Je te suivrai sur le chemin ;Mais je ne puis toucher ta main,Ami, je suis la Solitude.

Alfred de VignyLa mort du loupI

Les nuages couraient sur la lune enflammeComme sur l'incendie on voit fuir la fume,Et les bois taient noirs jusques l'horizon.Nous marchions sans parler, dans l'humide gazon,Dans la bruyre paisse et dans les hautes brandes,Lorsque, sous des sapins pareils ceux des Landes,Nous avons aperu les grands ongles marqusPar les loups voyageurs que nous avions traqus.Nous avons cout, retenant notre haleineEt le pas suspendu. -- Ni le bois, ni la plaineNe poussait un soupir dans les airs ; SeulementLa girouette en deuil criait au firmament ;Car le vent lev bien au dessus des terres,N'effleurait de ses pieds que les tours solitaires,Et les chnes d'en-bas, contre les rocs penchs,Sur leurs coudes semblaient endormis et couchs.Rien ne bruissait donc, lorsque baissant la tte,Le plus vieux des chasseurs qui s'taient mis en quteA regard le sable en s'y couchant ; Bientt,Lui que jamais ici on ne vit en dfaut,A dclar tout bas que ces marques rcentesAnnonait la dmarche et les griffes puissantesDe deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux.Nous avons tous alors prpar nos couteaux,Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches,Nous allions pas pas en cartant les branches.Trois s'arrtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient,J'aperois tout coup deux yeux qui flamboyaient,Et je vois au del quatre formes lgresQui dansaient sous la lune au milieu des bruyres,Comme font chaque jour, grand bruit sous nos yeux,Quand le matre revient, les lvriers joyeux.Leur forme tait semblable et semblable la danse ;Mais les enfants du loup se jouaient en silence,Sachant bien qu' deux pas, ne dormant qu' demi,Se couche dans ses murs l'homme, leur ennemi.Le pre tait debout, et plus loin, contre un arbre,Sa louve reposait comme celle de marbreQu'adorait les romains, et dont les flancs velusCouvaient les demi-dieux Rmus et Romulus.Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressesPar leurs ongles crochus dans le sable enfonces.Il s'est jug perdu, puisqu'il tait surpris,Sa retraite coupe et tous ses chemins pris ;Alors il a saisi, dans sa gueule brlante,Du chien le plus hardi la gorge pantelanteEt n'a pas desserr ses mchoires de fer,Malgr nos coups de feu qui traversaient sa chairEt nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,Jusqu'au dernier moment o le chien trangl,Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roul.Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.Les couteaux lui restaient au flanc jusqu' la garde,Le clouaient au gazon tout baign dans son sang ;Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant.Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,Tout en lchant le sang rpandu sur sa bouche,Et, sans daigner savoir comment il a pri,Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.

II

J'ai repos mon front sur mon fusil sans poudre,Me prenant penser, et n'ai pu me rsoudreA poursuivre sa Louve et ses fils qui, tous trois,Avaient voulu l'attendre, et, comme je le crois,Sans ses deux louveteaux la belle et sombre veuveNe l'et pas laiss seul subir la grande preuve ;Mais son devoir tait de les sauver, afinDe pouvoir leur apprendre bien souffrir la faim,A ne jamais entrer dans le pacte des villesQue l'homme a fait avec les animaux servilesQui chassent devant lui, pour avoir le coucher,Les premiers possesseurs du bois et du rocher.

Hlas ! ai-je pens, malgr ce grand nom d'Hommes,Que j'ai honte de nous, dbiles que nous sommes !Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,C'est vous qui le savez, sublimes animaux !A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisseSeul le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.- Ah ! je t'ai bien compris, sauvage voyageur,Et ton dernier regard m'est all jusqu'au coeur !Il disait : " Si tu peux, fais que ton me arrive,A force de rester studieuse et pensive,Jusqu' ce haut degr de stoque fiertO, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord mont.Gmir, pleurer, prier est galement lche.Fais nergiquement ta longue et lourde tcheDans la voie o le Sort a voulu t'appeler,Puis aprs, comme moi, souffre et meurs sans parler. "

Victor HugoLes DjinnsMurs, ville,Et port,AsileDe mort,Mer griseO briseLa brise,Tout dort.

Dans la plaineNat un bruit.C'est l'haleineDe la nuit.Elle brameComme une meQu'une flammeToujours suit !

La voix plus hauteSemble un grelot.D'un nain qui sauteC'est le galop.Il fuit, s'lance,Puis en cadenceSur un pied danseAu bout d'un flot.

La rumeur approche.L'cho la redit.C'est comme la clocheD'un couvent maudit ;Comme un bruit de foule,Qui tonne et qui roule,Et tantt s'croule,Et tantt grandit,

Dieu ! la voix spulcraleDes Djinns !... Quel bruit ils font !Fuyons sous la spiraleDe l'escalier profond.Dj s'teint ma lampe,Et l'ombre de la rampe,Qui le long du mur rampe,Monte jusqu'au plafond.

C'est l'essaim des Djinns qui passe,Et tourbillonne en sifflant !Les ifs, que leur vol fracasse,Craquent comme un pin brlant.Leur troupeau, lourd et rapide,Volant dans l'espace vide,Semble un nuage livideQui porte un clair au flanc.

Ils sont tout prs ! - Tenons fermeCette salle, o nous les narguons.Quel bruit dehors ! Hideuse armeDe vampires et de dragons !La poutre du toit descellePloie ainsi qu'une herbe mouille,Et la vieille porte rouilleTremble, draciner ses gonds !

Cris de l'enfer! voix qui hurle et qui pleure !L'horrible essaim, pouss par l'aquilon,Sans doute, ciel ! s'abat sur ma demeure.Le mur flchit sous le noir bataillon.La maison crie et chancelle penche,Et l'on dirait que, du sol arrache,Ainsi qu'il chasse une feuille sche,Le vent la roule avec leur tourbillon !

Prophte ! si ta main me sauveDe ces impurs dmons des soirs,J'irai prosterner mon front chauveDevant tes sacrs encensoirs !Fais que sur ces portes fidlesMeure leur souffle d'tincelles,Et qu'en vain l'ongle de leurs ailesGrince et crie ces vitraux noirs !

Ils sont passs ! - Leur cohorteS'envole, et fuit, et leurs piedsCessent de battre ma porteDe leurs coups multiplis.L'air est plein d'un bruit de chanes,Et dans les forts prochainesFrissonnent tous les grands chnes,Sous leur vol de feu plis !

De leurs ailes lointainesLe battement dcrot,Si confus dans les plaines,Si faible, que l'on croitOur la sauterelleCrier d'une voix grle,Ou ptiller la grleSur le plomb d'un vieux toit.

D'tranges syllabesNous viennent encor ;Ainsi, des arabesQuand sonne le cor,Un chant sur la grvePar instants s'lve,Et l'enfant qui rveFait des rves d'or.

Les Djinns funbres,Fils du trpas,Dans les tnbresPressent leurs pas ;Leur essaim gronde :Ainsi, profonde,Murmure une ondeQu'on ne voit pas.

Ce bruit vagueQui s'endort,C'est la vagueSur le bord ;C'est la plainte,Presque teinte,D'une saintePour un mort.

On douteLa nuit...J'coute : -Tout fuit,Tout passeL'espaceEffaceLe bruit.

Demain, ds laube

Demain, ds laube, lheure o blanchit la campagne,Je partirai. Vois-tu, je sais que tu mattends.Jirai par la fort, jirai par la montagne.Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.Je marcherai les yeux fixs sur mes penses,Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,Seul, inconnu, le dos courb, les mains croises,Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.Je ne regarderai ni lor du soir qui tombe,Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,Et quand jarriverai, je mettrai sur ta tombeUn bouquet de houx vert et de bruyre en fleur.Victor Hugo, extrait du recueil Les Contemplations

Thophile GautierLARTOui, luvre sort plus belleDune forme au travailRebelle,Vers, marbre, onyx, mail.Point de contraintes fausses!Mais que pour marcher droitTu chausses,Muse, un cothurne troit.Fi du rythme commode,Comme un soulier trop grand,Du modeQue tout pied quitte et prend!Statuaire, repousseLargile que ptritLe pouce,Quand flotte ailleurs lesprit;Lutte avec le carrare,Avec le paros durEt rare,Gardiens de contour pur;Emprunte SyracuseSon bronze o fermementSaccuseLe trait fier et charmant;Dune main dlicatePoursuit dans un filonDagateLe profil dApollon.

Peintre, fuis laquarelleEt fixe la couleurTrop frleAu four de lmailleur.Fais les sirnes bleues,Tordant de cent faonsLeurs queues,Les monstres des blasons;Dans son nimbe trilobeLa Vierge et son Jsus,Le globeAvec la croix dessus.Tout passe. Lart robusteSeul a lternit;Le busteSurvit la cit.Et la mdaille austreQue trouve un laboureurSous terreRvle un empereur.Les dieux eux-mmes meurent,Mais les vers souverainsDemeurentPlus forts que les airains.Sculpte, lime, cisle;Que ton rve flottantSe scelleDans le bloc rsistant!maux et Cames, 1852.

CHARLES BAUDELAIRE

Au lecteurAu LecteurLa sottise, l'erreur, le pch, la lsine,Occupent nos esprits et travaillent nos corps,Et nous alimentons nos aimables remords,Comme les mendiants nourrissent leur vermine.Nos pchs sont ttus, nos repentirs sont lches;Nous nous faisons payer grassement nos aveux,Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux,Croyant par de vils pleurs laver toutes nos taches.Sur l'oreiller du mal c'est Satan TrismgisteQui berce longuement notre esprit enchant,Et le riche mtal de notre volontEst tout vaporis par ce savant chimiste.C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent!Aux objets rpugnants nous trouvons des appas;Chaque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas,Sans horreur, travers des tnbres qui puent.Ainsi qu'un dbauch pauvre qui baise et mangeLe sein martyris d'une antique catin,Nous volons au passage un plaisir clandestinQue nous pressons bien fort comme une vieille orange.Serr, fourmillant, comme un million d'helminthes,Dans nos cerveaux ribote un peuple de Dmons,Et, quand nous respirons, la Mort dans nos poumonsDescend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie,N'ont pas encor brod de leurs plaisants dessinsLe canevas banal de nos piteux destins,C'est que notre me, hlas! n'est pas assez hardie.Mais parmi les chacals, les panthres, les lices,Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,Dans la mnagerie infme de nos vices,II en est un plus laid, plus mchant, plus immonde!Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,Il ferait volontiers de la terre un dbrisEt dans un billement avalerait le monde;C'est l'Ennui! L'oeil charg d'un pleur involontaire,II rve d'chafauds en fumant son houka.Tu le connais, lecteur, ce monstre dlicat, Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frre!

L'AlbatrosSouvent, pour s'amuser, les hommes d'quipagePrennent des albatros, vastes oiseaux des mers,Qui suivent, indolents compagnons de voyage,Le navire glissant sur les gouffres amers. peine les ont-ils dposs sur les planches,Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,Laissent piteusement leurs grandes ailes blanchesComme des avirons traner ct d'eux.Ce voyageur ail, comme il est gauche et veule!Lui, nagure si beau, qu'il est comique et laid!L'un agace son bec avec un brle-gueule,L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait!Le Pote est semblable au prince des nuesQui hante la tempte et se rit de l'archer;Exil sur le sol au milieu des hues,Ses ailes de gant l'empchent de marcher.

CorrespondancesLa Nature est un temple o de vivants piliersLaissent parfois sortir de confuses paroles;L'homme y passe travers des forts de symbolesQui l'observent avec des regards familiers.Comme de longs chos qui de loin se confondentDans une tnbreuse et profonde unit,Vaste comme la nuit et comme la clart,Les parfums, les couleurs et les sons se rpondent.II est des parfums frais comme des chairs d'enfants,Doux comme les hautbois, verts comme les prairies, Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,Ayant l'expansion des choses infinies,Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,Qui chantent les transports de l'esprit et des sens.

L'EnnemiMa jeunesse ne fut qu'un tnbreux orage,Travers et l par de brillants soleils;Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.Voil que j'ai touch l'automne des ides,Et qu'il faut employer la pelle et les rteauxPour rassembler neuf les terres inondes,O l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rveTrouveront dans ce sol lav comme une grveLe mystique aliment qui ferait leur vigueur? douleur! douleur! Le Temps mange la vie,Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le coeurDu sang que nous perdons crot et se fortifie!

La Vie antrieureJ'ai longtemps habit sous de vastes portiquesQue les soleils marins teignaient de mille feux,Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.Les houles, en roulant les images des cieux,Mlaient d'une faon solennelle et mystiqueLes tout-puissants accords de leur riche musiqueAux couleurs du couchant reflt par mes yeux.C'est l que j'ai vcu dans les volupts calmes,Au milieu de l'azur, des vagues, des splendeursEt des esclaves nus, tout imprgns d'odeurs,Qui me rafrachissaient le front avec des palmes,Et dont l'unique soin tait d'approfondirLe secret douloureux qui me faisait languir.

La BeautJe suis belle, mortels! comme un rve de pierre,Et mon sein, o chacun s'est meurtri tour tour,Est fait pour inspirer au pote un amourEternel et muet ainsi que la matire.Je trne dans l'azur comme un sphinx incompris;J'unis un coeur de neige la blancheur des cygnes;Je hais le mouvement qui dplace les lignes,Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.Les potes, devant mes grandes attitudes,Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,Consumeront leurs jours en d'austres tudes;Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,De purs miroirs qui font toutes choses plus belles:Mes yeux, mes larges yeux aux clarts ternelles!

Le Serpent qui danseQue j'aime voir, chre indolente,De ton corps si beau,Comme une toffe vacillante,Miroiter la peau!Sur ta chevelure profondeAux cres parfums,Mer odorante et vagabondeAux flots bleus et bruns,Comme un navire qui s'veilleAu vent du matin,Mon me rveuse appareillePour un ciel lointain.Tes yeux, o rien ne se rvleDe doux ni d'amer,Sont deux bijoux froids o se mleL'or avec le fer. te voir marcher en cadence,Belle d'abandon,On dirait un serpent qui danseAu bout d'un bton.Sous le fardeau de ta paresseTa tte d'enfantSe balance avec la mollesseD'un jeune lphant,Et ton corps se penche et s'allongeComme un fin vaisseauQui roule bord sur bord et plongeSes vergues dans l'eau.Comme un flot grossi par la fonteDes glaciers grondants,Quand l'eau de ta bouche remonteAu bord de tes dents,Je crois boire un vin de Bohme,Amer et vainqueur,Un ciel liquide qui parsmeD'toiles mon coeur!

Une CharogneRappelez-vous l'objet que nous vmes, mon me,Ce beau matin d't si doux:Au dtour d'un sentier une charogne infmeSur un lit sem de cailloux,Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,Brlante et suant les poisons,Ouvrait d'une faon nonchalante et cyniqueSon ventre plein d'exhalaisons.Le soleil rayonnait sur cette pourriture,Comme afin de la cuire point,Et de rendre au centuple la grande NatureTout ce qu'ensemble elle avait joint;Et le ciel regardait la carcasse superbeComme une fleur s'panouir.La puanteur tait si forte, que sur l'herbeVous crtes vous vanouir.Les mouches bourdonnaient sur ce ventre putride,D'o sortaient de noirs bataillonsDe larves, qui coulaient comme un pais liquideLe long de ces vivants haillons.Tout cela descendait, montait comme une vagueOu s'lanait en ptillant;On et dit que le corps, enfl d'un souffle vague,Vivait en se multipliant.Et ce monde rendait une trange musique,Comme l'eau courante et le vent,Ou le grain qu'un vanneur d'un mouvement rythmiqueAgite et tourne dans son van.Les formes s'effaaient et n'taient plus qu'un rve,Une bauche lente venirSur la toile oublie, et que l'artiste achveSeulement par le souvenir.Derrire les rochers une chienne inquiteNous regardait d'un oeil fch,Epiant le moment de reprendre au squeletteLe morceau qu'elle avait lch. Et pourtant vous serez semblable cette ordure, cette horrible infection,Etoile de mes yeux, soleil de ma nature,Vous, mon ange et ma passion!Oui! telle vous serez, la reine des grces,Apres les derniers sacrements,Quand vous irez, sous l'herbe et les floraisons grasses,Moisir parmi les ossements.Alors, ma beaut! dites la vermineQui vous mangera de baisers,Que j'ai gard la forme et l'essence divineDe mes amours dcomposs!

RversibilitAnge plein de gaiet, connaissez-vous l'angoisse,La honte, les remords, les sanglots, les ennuis,Et les vagues terreurs de ces affreuses nuitsQui compriment le coeur comme un papier qu'on froisse?Ange plein de gaiet, connaissez-vous l'angoisse?Ange plein de bont, connaissez-vous la haine,Les poings crisps dans l'ombre et les larmes de fiel,Quand la Vengeance bat son infernal rappel,Et de nos facults se fait le capitaine?Ange plein de bont connaissez-vous la haine?Ange plein de sant, connaissez-vous les Fivres,Qui, le long des grands murs de l'hospice blafard,Comme des exils, s'en vont d'un pied tranard,Cherchant le soleil rare et remuant les lvres?Ange plein de sant, connaissez-vous les Fivres?Ange plein de beaut, connaissez-vous les rides,Et la peur de vieillir, et ce hideux tourmentDe lire la secrte horreur du dvouementDans des yeux o longtemps burent nos yeux avide!Ange plein de beaut, connaissez-vous les rides?Ange plein de bonheur, de joie et de lumires,David mourant aurait demand la santAux manations de ton corps enchant;Mais de toi je n'implore, ange, que tes prires,Ange plein de bonheur, de joie et de lumires!

L'invitation au voyageMon enfant, ma soeur,Songe la douceurD'aller l-bas vivre ensemble!Aimer loisir,Aimer et mourirAu pays qui te ressemble!Les soleils mouillsDe ces ciels brouillsPour mon esprit ont les charmesSi mystrieuxDe tes tratres yeux,Brillant travers leurs larmes.L, tout n'est qu'ordre et beaut,Luxe, calme et volupt.Des meubles luisants,Polis par les ans,Dcoreraient notre chambre;Les plus rares fleursMlant leurs odeursAux vagues senteurs de l'ambre,Les riches plafonds,Les miroirs profonds,La splendeur orientale,Tout y parlerait l'me en secretSa douce langue natale.L, tout n'est qu'ordre et beaut,Luxe, calme et volupt.Vois sur ces canauxDormir ces vaisseauxDont l'humeur est vagabonde;C'est pour assouvirTon moindre dsirQu'ils viennent du bout du monde. Les soleils couchantsRevtent les champs,Les canaux, la ville entire,D'hyacinthe et d'or;Le monde s'endortDans une chaude lumire.L, tout n'est qu'ordre et beaut,Luxe, calme et volupt.

SpleenQuand le ciel bas et lourd pse comme un couvercleSur l'esprit gmissant en proie aux longs ennuis,Et que de l'horizon embrassant tout le cercleII nous verse un jour noir plus triste que les nuits;Quand la terre est change en un cachot humide,O l'Esprance, comme une chauve-souris,S'en va battant les murs de son aile timideEt se cognant la tte des plafonds pourris;Quand la pluie talant ses immenses tranesD'une vaste prison imite les barreaux,Et qu'un peuple muet d'infmes araignesVient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,Des cloches tout coup sautent avec furieEt lancent vers le ciel un affreux hurlement,Ainsi que des esprits errants et sans patrieQui se mettent geindre opinitrement. Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,Dfilent lentement dans mon me; l'Espoir,Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,Sur mon crne inclin plante son drapeau noir.

Paul Verlaine1. Art potiqueDe la musique avant toute chose,Et pour cela prfre l'ImpairPlus vague et plus soluble dans l'air,Sans rien en lui qui pse ou qui pose.

Il faut aussi que tu n'ailles pointChoisir tes mots sans quelque mprise :Rien de plus cher que la chanson griseO l'Indcis au Prcis se joint.

C'est des beaux yeux derrire des voiles,C'est le grand jour tremblant de midi,C'est, par un ciel d'automne attidi,Le bleu fouillis des claires toiles !

Car nous voulons la Nuance encor,Pas la Couleur, rien que la nuance !Oh ! la nuance seule fianceLe rve au rve et la flte au cor !

Fuis du plus loin la Pointe assassine,L'Esprit cruel et le Rire impur,Qui font pleurer les yeux de l'Azur,Et tout cet ail de basse cuisine !

Prends l'loquence et tords-lui son cou !Tu feras bien, en train d'nergie,De rendre un peu la Rime assagie.Si l'on n'y veille, elle ira jusqu'o ?

O qui dira les torts de la Rime ?Quel enfant sourd ou quel ngre fouNous a forg ce bijou d'un souQui sonne creux et faux sous la lime ?

De la musique encore et toujours !Que ton vers soit la chose envoleQu'on sent qui fuit d'une me en alleVers d'autres cieux d'autres amours.

Que ton vers soit la bonne aventureEparse au vent crisp du matinQui va fleurant la menthe et le thym...Et tout le reste est littrature.

2. Il pleure dans mon coeur....Il pleut doucement en ville.ARTHUR RIMBAUDIl pleure dans mon coeurComme il pleut sur la ville ;Quelle est cette langueurQui pntre mon coeur ? bruit doux de la pluiePar terre et sur les toits !Pour un coeur qui s'ennuie, le chant de la pluie !Il pleure sans raisonDans ce coeur qui s'coeure.Quoi ! nulle trahison ?Ce deuil est sans raison.C'est bien la pire peineDe ne savoir pourquoi,Sans amour et sans haine,Mon coeur a tant de peine !3. Chanson d'automneLes sanglots longsDes violonsDe l'automneBlessent mon coeurD'une langueurMonotone.

Tout suffocantEt blme, quandSonne l'heure,Je me souviensDes jours anciensEt je pleure

Et je m'en vaisAu vent mauvaisQui m'emporteDe, del,Pareil laFeuille morte.

4. Mon rve familier

Je fais souvent ce rve trange et pntrantD'une femme inconnue, et que j'aime, et qui m'aime,Et qui n'est, chaque fois, ni tout fait la mmeNi tout fait une autre, et m'aime et me comprend.Car elle me comprend, et mon coeur transparentPour elle seule, hlas! cesse d'tre un problmePour elle seule, et les moiteurs de mon front blme,Elle seule les sait rafrachir, en pleurant.Est-elle brune, blonde ou rousse? Je l'ignore.Son nom? Je me souviens qu'il est doux et sonore,Comme ceux des aims que la vie exila.Son regard est pareil au regard des statues,Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle aL'inflexion des voix chres qui se sont tues.

ARTHUR RIMBAUDMa Bohme

Je m'en allais, les poings dans mes poches creves;Mon paletot soudain devenait idal;J'allais sous le ciel, Muse, et j'tais ton fal;Oh! l l! que d'amours splendides j'ai rves!Mon unique culotte avait un large trou.Petit-Poucet rveur, j'grenais dans ma courseDes rimes. Mon auberge tait la Grande-Ourse.Mes toiles au ciel avaient un doux frou-frouEt je les coutais, assis au bord des routes,Ces bons soirs de septembre o je sentais des gouttesDe rose mon front, comme un vin de vigueur;O, rimant au milieu des ombres fantastiques,Comme des lyres, je tirais les lastiquesDe mes souliers blesss, un pied prs de mon coeur!

Rv pour l'hiver

L'hiver, nous irons dans un petit wagon roseAvec des coussins bleus.Nous serons bien. Un nid de baisers fous reposeDans chaque coin moelleux.Tu fermeras l'oeil, pour ne point voir, par la glace,Grimacer les ombres des soirs,Ces monstruosits hargneuses, populaceDe dmons noirs et de loups noirs.Puis tu te sentiras la joue gratigne...Un petit baiser, comme une folle araigne,Te courra par le cou...Et tu me diras: "Cherche!" en inclinant la tte,Et nous prendrons du temps trouver cette bteQui voyage beaucoup...

Le Dormeur du val

C'est un trou de verdure o chante une rivireAccrochant follement aux herbes des haillonsD'argent; o le soleil de la montagne fire,Luit; C'est un petit val qui mousse de rayons.Un soldat jeune bouche ouverte, tte nue,Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,Dort; il est tendu dans l'herbe, sous la nue,Pale dans son lit vert o la lumire pleut.Les pieds dans les glaeuls, il dort. Souriant commeSourirait un enfant malade, il fait un somme:Nature, berce-le chaudement: il a froid.Les parfums ne font plus frissonner sa narine;Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrineTranquille. Il a deux trous rouges au cot droit.Voyelles

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu: voyelles,Je dirai quelque jour vos naissances latentes:A, noir corset velu des mouches clatantesQui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes dombre; E, candeurs des vapeurs et des tentes,Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons dombelles;I, pourpres, sang crach, rire des lvres bellesDans la colre ou les ivresses pnitentes;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,Paix des ptis sems danimaux, paix des ridesQue lalchimie imprime aux grands fronts studieux;

O, suprme Clairon plein des strideurs tranges,Silences traverss des [Mondes et des Anges]:O lOmga, rayon violet de [Ses] Yeux!

Venus AnadyomneComme dun cercueil vert en fer blanc, une tteDe femme cheveux bruns fortement pommadsDune vieille baignoire merge, lente et bte,Avec des dficits assez mal ravauds;Puis le col gras et gris, les larges omoplatesQui saillent; le dos court qui rentre et qui ressort;Puis les rondeurs des reins semblent prendre lessor;La graisse sous la peau parat en feuilles plates:Lchine est un peu rouge, et le tout sent un gotHorrible trangement; on remarque surtoutDes singularits quil faut voir la loupeLes reins portent deux mots gravs:CLARA VENUS;Et tout ce corps remue et tend sa large croupeBelle hideusement dun ulcre lanus.

L'ternitElle est retrouve.Quoi? - L'ternit.C'est la mer alleAvec le soleil.me sentinelle,Murmurons l'aveuDe la nuit si nulleEt du jour en feu.Des humains suffrages,Des communs lansL tu te dgagesEt voles selon.Puisque de vous seules,Braises de satin,Le Devoir s'exhaleSans qu'on dise : enfin.L pas d'esprance,Nul orietur.Science avec patience,Le supplice est sr.Elle est retrouve.Quoi ? - L'ternit.C'est la mer alleAvec le soleil.Mai 1872

GUILLAUME APOLLINAIRELe pont MirabeauSous le pont Mirabeau coule la SeineEt nos amoursFaut-il qu'il m'en souvienneLa joie venait toujours aprs la peine.Vienne la nuit sonne l'heureLes jours s'en vont je demeureLes mains dans les mains restons face faceTandis que sousLe pont de nos bras passeDes ternels regards l'onde si lasseVienne la nuit sonne l'heureLes jours s'en vont je demeureL'amour s'en va comme cette eau couranteL'amour s'en vaComme la vie est lenteEt comme l'Esprance est violenteVienne la nuit sonne l'heureLes jours s'en vont je demeurePassent les jours et passent les semainesNi temps passNi les amours reviennentSous le pont Mirabeau coule la SeineAnnieSur la cte du TexasEntre Mobile et Galveston il y aUn grand jardin tout plein de rosesIl contient aussi une villaQui est une grande rose

Une femme se promne souventDans le jardin toute seuleEt quand je passe sur la route borde de tilleulsNous nous regardons

Comme cette femme est mennoniteSes rosiers et ses vtements n'ont pas de boutonsIl en manque deux mon vestonLa dame et moi suivons presque le mme riteLe voyageurA Fernand FleuretOuvrez-moi cette porte o je frappe en pleurant

La vie est variable aussi bien que l'Euripe

Tu regardais un banc de nuages descendreAvec le paquebot orphelin vers les fivres futuresEt de tous ces regrets de tous ces repentirsTe souviens-tu

Vagues poissons arqus fleurs submarinesUne nuit c'tait la merEt les fleuves s'y rpandaient

Je m'en souviens je m'en souviens encore

Un soir je descendis dans une auberge tristeAuprs de LuxembourgDans le fond de la salle il s'envolait un ChristQuelqu'un avait un furetUn autre un hrissonL'on jouait aux cartesEt toi tu m'avais oubli

Te souviens-tu du long orphelinat des garesNous traversmes des villes qui tout le jour tournaientEt vomissaient la nuit le soleil des journesO matelots femmes sombres et vous mes compagnonsSouvenez-vous-en

Deux matelots qui ne s'taient jamais quittsDeux matelots qui ne s'taient jamais parlLe plus jeune en mourant tomba sur le ct

O vous chers compagnonsSonneries lectriques des gares chant des moissonneusesTraneau d'un boucher rgiment des rues sans nombreCavalerie des ponts nuits livides de l'alcoolLes villes que j'ai vues vivaient comme des folles

Te souviens-tu des banlieues et du troupeau plaintif des paysages

Les cyprs projetaient sous la lune leurs ombresJ'coutais cette nuit au dclin de l'tUn oiseau langoureux et toujours irritEt le bruit ternel d'un fleuve large et sombre

Mais tandis que mourants roulaient vers l'estuaireTous les regards tous les regards de tous les yeuxLes bords taient dserts herbus silencieuxEt la montagne l'autre rive tait trs claire

Alors sans bruit sans qu'on pt voir rien de vivantContre le mont passrent des ombres vivacesDe profil ou soudain tournant leurs vagues facesEt tenant l'ombre de leurs lances en avant

Les ombres contre le mont perpendiculaireGrandissaient ou parfois s'abaissaient brusquementEt ces ombres barbues pleuraient humainementEn glissant pas pas sur la montagne claire

Qui donc reconnais-tu sur ces vieilles photographiesTe souviens-tu du jour o une vieille abeille tomba dans le feuC'tait tu t'en souviens la fin de l'tDeux matelots qui ne s'taient jamais quittsL'an portait au cou une chane de ferLe plus jeune mettait ses cheveux blonds en tresse

Ouvrez-moi cette porte o je frappe en pleurant

La vie est variable aussi bien que l'EuripeZone la fin tu es las de ce monde ancienBergre tour Eiffel le troupeau des ponts ble ce matinTu en as assez de vivre dans l'antiquit grecque et romaineIci mme les automobiles ont l'air d'tre anciennesLa religion seule est reste toute neuve la religionEst reste simple comme les hangars de Port-AviationSeul en Europe tu n'es pas antique ChristianismeL'Europen le plus moderne c'est vous Pape Pie XEt toi que les fentres observent la honte te retientD'entrer dans une glise et de t'y confesser ce matinTu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout hautVoil la posie ce matin et pour la prose il y a les journauxIl y a les livraisons 25 centimes pleines d'aventures policiresPortraits des grands hommes et mille titres diversJ'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oubli le nomNeuve et propre du soleil elle tait le claironLes directeurs les ouvriers et les belles stno-dactylographesDu lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passentLe matin par trois fois la sirne y gmitUne cloche rageuse y aboie vers midiLes inscriptions des enseignes et des muraillesLes plaques les avis la faon des perroquets criaillentJ'aime la grce de cette rue industrielleSitue Paris entre la rue Aumont-Thiville et l'avenue des TernesVoil la jeune rue et tu n'es encore qu'un petit enfantTa mre ne t'habille que de bleu et de blancTu es trs pieux et avec le plus ancien de tes camarades Ren DalizeVous n'aimez rien tant que les pompes de l'gliseIl est neuf heures le gaz est baiss tout bleu vous sortez du dortoir en cachetteVous priez toute la nuit dans la chapelle du collgeTandis qu'ternelle et adorable profondeur amthysteTourne jamais la flamboyante gloire du ChristC'est le beau lys que tous nous cultivonsC'est la torche aux cheveux roux que n'teint pas le ventC'est le fils ple et vermeil de la douloureuse mreC'est l'arbre toujours touffu de toutes les priresC'est la double potence de l'honneur et de l'ternitC'est l'toile six branchesC'est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimancheC'est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateursIl dtient le record du monde pour la hauteurPupille Christ de l'oeilVingtime pupille des sicles il sait y faireEt chang en oiseau ce sicle comme Jsus monte dans l'airLes diables dans les abmes lvent la tte pour le regarderIls disent qu'il imite Simon Mage en JudeIls crient s'il sait voler qu'on l'appelle voleurLes anges voltigent autour du joli voltigeurIcare Enoch Elie Apollonius de ThyaneFlottent autour du premier aroplaneIls s'cartent parfois pour laisser passer ceux que transporte la Sainte-EucharistieCes prtres qui montent ternellement levant l'hostieL'avion se pose enfin sans refermer les ailesLe ciel s'emplit alors de millions d'hirondelles tire-d'aile viennent les corbeaux les faucons les hibouxD'Afrique arrivent les ibis les flamants les maraboutsL'oiseau Roc clbr par les conteurs et les potesPlane tenant dans les serres le crne d'Adam la premire tteL'aigle fond de l'horizon en poussant un grand criEt d'Amrique vient le petit colibriDe Chine sont venus les pihis longs et souplesQui n'ont qu'une seule aile et qui volent par couplesPuis voici la colombe esprit immaculQu'escortent l'oiseau-lyre et le paon ocellLe phnix ce bcher qui soi-mme s'engendreUn instant voile tout de son ardente cendreLes sirnes laissant les prilleux dtroitsArrivent en chantant bellement toutes troisEt tous aigle phnix et pihis de la ChineFraternisent avec la volante machineMaintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la fouleDes troupeaux d'autobus mugissants prs de toi roulentL'angoisse de l'amour te serre le gosierComme si tu ne devais jamais plus tre aimSi tu vivais dans l'ancien temps tu entrerais dans un monastreVous avez honte quand vous vous surprenez dire une prireTu te moques de toi et comme le feu de l'Enfer ton rire ptilleLes tincelles de ton rire dorent le fond de ta vieC'est un tableau pendu dans un sombre museEt quelquefois tu vas le regarder de prsAujourd'hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantesC'tait et je voudrais ne pas m'en souvenir c'tait au dclin de la beautEntoure de flammes ferventes Notre-Dame m'a regard ChartresLe sang de votre Sacr-Coeur m'a inond MontmartreJe suis malade d'our les paroles bienheureusesL'amour dont je souffre est une maladie honteuseEt l'image qui te possde te fait survivre dans l'insomnie et dans l'angoisseC'est toujours prs de toi cette image qui passeMaintenant tu es au bord de la MditerraneSous les citronniers qui sont en fleur toute l'anneAvec tes amis tu te promnes en barqueL'un est Nissard il y a un Mentonasque et deux TurbiasquesNous regardons avec effroi les poulpes des profondeursEt parmi les algues nagent les poissons images du SauveurTu es dans le jardin d'une auberge aux environs de PragueTu te sens tout heureux une rose est sur la tableEt tu observes au lieu d'crire ton conte en proseLa ctoine qui dort dans le coeur de la rosepouvant tu te vois dessin dans les agates de Saint-VitTu tais triste mourir le jour o tu t'y visTu ressembles au Lazare affol par le jourLes aiguilles de l'horloge du quartier juif vont reboursEt tu recules aussi dans ta vie lentementEn montant au Hradchin et le soir en coutantDans les tavernes chanter des chansons tchquesTe voici Marseille au milieu des pastquesTe voici Coblence l'htel du GantTe voici Rome assis sous un nflier du JaponTe voici Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laideElle doit se marier avec un tudiant de LeydeOn y loue des chambres en latin Cubicula locandaJe m'en souviens j'y ai pass trois jours et autant GoudaTu es Paris chez le juge d'instructionComme un criminel on te met en tat d'arrestationTu as fait de douloureux et de joyeux voyagesAvant de t'apercevoir du mensonge et de l'geTu as souffert de l'amour vingt et trente ansJ'ai vcu comme un fou et j'ai perdu mon tempsTu n'oses plus regarder tes mains et tous moments je voudrais sangloterSur toi sur celle que j'aime sur tout ce qui t'a pouvantTu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres migrantsIls croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfantsIls emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-LazareIls ont foi dans leur etoile comme les rois-magesIls esprent gagner de l'argent dans l'ArgentineEt revenir dans leur pays aprs avoir fait fortuneUne famille transporte un dredon rouge comme vous transportez votre coeurCet dredon et nos rves sont aussi irrelsQuelques-uns de ces migrants restent ici et se logentRue des Rosiers ou rue des couffes dans des bougesJe les ai vus souvent le soir ils prennent l'air dans la rueEt se dplacent rarement comme les pices aux checsIl y a surtout des Juifs leurs femmes portent perruqueElles restent assises exsangues au fond des boutiquesTu es debout devant le zinc d'un bar crapuleuxTu prends un caf deux sous parmi les malheureuxTu es la nuit dans un grand restaurantCes femmes ne sont pas mchantes elles ont des soucis cependantToutes mme la plus laide a fait souffrir son amantElle est la fille d'un sergent de ville de JerseySes mains que je n'avais pas vues sont dures et gercesJ'ai une piti immense pour les coutures de son ventreJ'humilie maintenant une pauvre fille au rire horrible ma boucheTu es seul le matin va venirLes laitiers font tinter leurs bidons dans les ruesLa nuit s'loigne ainsi qu'une belle MtiveC'est Ferdine la fausse ou La l'attentiveEt tu bois cet alcool brlant comme ta vieTa vie que tu bois comme une eau-de-vieTu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi piedDormir parmi tes ftiches d'Ocanie et de GuineIls sont des Christ d'une autre forme et d'une autre croyanceCe sont les Christ infrieurs des obscures esprancesAdieu AdieuSoleil cou coupTRISTAN TZARAChanson dada

Ila chanson d'un dadastequi avait dada au coeurfatiguait trop son moteurqui avait dada au coeurl'ascenseur portait un roilourd fragile autonomeil coupa son grand bras droitl'envoya au pape romec'est pourquoil'ascenseurn'avait plus dada au coeurmangez du chocolatlavez votre cerveaudadadadabuvez de l'eauIIla chanson d'un dadastequi n'tait ni gai ni tristeet aimait une bicyclistequi n'tait ni gaie ni tristemais l'poux le jour de l'ansavait tout et dans une criseenvoya au vaticanleurs deux corps en trois valisesni amantni cyclisten'taient plus ni gais ni tristesmangez de bons cerveauxlavez votre soldatdadadadabuvez de l'eauIIIla chanson d'un bicyclistequi tait dada de coeurqui tait donc dadastecomme tous les dadas de coeurun serpent portait des gantsil ferma vite la soupapemit des gants en peau d'serpentet vient embrasser le papec'est touchantventre en fleurn'avait plus dada au coeurbuvez du lait d'oiseauxlavez vos chocolatsdadadadamangez du veauTristan Tzara (1923)

JACQUES PREVERTLa grasse matine

Il est terriblele petit bruit de l'oeuf dur cass sur un comptoir d'tainil est terrible ce bruitquand il remue dans la mmoire de l'homme qui a faimelle est terrible aussi la tte de l'hommela tte de l'homme qui a faimquand il se regarde six heures du matindans la glace du grand magasinune tte couleur de poussirece n'est pas sa tte pourtant qu'il regardedans la vitrine de chez Potinil s'en fout de sa tte l'hommeil n'y pense pasil songeil imagine une autre tteune tte de veau par exempleavec une sauce de vinaigreou une tte de n'importe quoi qui se mangeet il remue doucement la mchoiredoucementet il grince des dents doucementcar le monde se paye sa tteet il ne peut rien contre ce mondeet il compte sur ses doigts un deux troisun deux troiscela fait trois jours qu'il n'a pas manget il a beau se rpter depuis trois joursa ne peut pas durera duretrois jourstrois nuitssans mangeret derrire ce vitresces pts ces bouteilles ces conservespoissons morts protgs par les botesbotes protges par les vitresvitres protges par les flicsflics protgs par la crainteque de barricades pour six malheureuses sardines..Un peu plus loin le bistrotcaf-crme et croissants chaudsl'homme titubeet dans l'intrieur de sa tteun brouillard de motsun brouillard de motssardines mangeroeuf dur caf-crmecaf arros rhumcaf-crmecaf-crmecaf-crime arros sang !...Un homme trs estim dans son quartiera t gorg en plein jourl'assassin le vagabond lui a voldeux francssoit un caf arroszro franc soixante-dixdeux tartines beurreset vingt-cinq centimes pour le pourboire du garon.Jacques Prvert

Pour faire le portrait d'un oiseauPeindre d'abord une cageavec une porte ouvertepeindre ensuitequelque chose de joliquelque chose de simplequelque chose de beauquelque chose d'utilepour l'oiseauplacer ensuite la toile contre un arbredans un jardindans un boisou dans une fortse cacher derrire l'arbresans rien diresans bouger ...Parfois l'oiseau arrive vitemais il peut aussi bien mettre de longues annesavant de se dciderNe pas se dcouragerattendreattendre s'il le faut pendant des annesla vitesse ou la lenteur de l'arrive de l'oiseaun'ayant aucun rapportavec la russite du tableauQuand l'oiseau arrives'il arriveobserver le plus profond silenceattendre que l'oiseau entre dans la cageet quand il est entrfermer doucement la porte avec le pinceaupuiseffacer un un tous les barreauxen ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseauFaire ensuite le portrait de l'arbreen choisissant la plus belle de ses branchespour l'oiseaupeindre aussi le vert feuillage et la fracheur du ventla poussire du soleilet le bruit des btes de l'herbe dans la chaleur de l'tet puis attendre que l'oiseau se dcide chanterSi l'oiseau ne chante pasc'est mauvais signesigne que le tableau est mauvaismais s'il chante c'est bon signesigne que vous pouvez signerAlors vous arrachez tout doucementune des plumes de l'oiseauet vous crivez votre nom dans un coin du tableau.Chanson des Escargots qui vont l'enterrement

A l'enterrement d'une feuille morteDeux escargots s'en vontIls ont la coquille noireDu crpe autour des cornesIls s'en vont dans le soirUn trs beau soir d'automneHlas quand ils arriventC'est dj le printempsLes feuilles qui taient mortesSont toutes rssucitesEt les deux escargotsSont trs dsappointsMais voila le soleilLe soleil qui leur ditPrenez prenez la peineLa peine de vous asseoirPrenez un verre de bireSi le coeur vous en ditPrenez si a vous platL'autocar pour ParisIl partira ce soirVous verrez du paysMais ne prenez pas le deuilC'est moi qui vous le dita noircit le blanc de l'oeilEt puis a enlaiditLes histoires de cercueilsC'est triste et pas joliReprenez vous couleursLes couleurs de la vieAlors toutes les btesLes arbres et les plantesSe mettent a chanterA chanter a tue-tteLa vrai chanson vivanteLa chanson de l'tEt tout le monde de boireTout le monde de trinquerC'est un trs joli soirUn joli soir d'tEt les deux escargotsS'en retournent chez euxIls s'en vont trs musIls s'en vont trs heureuxComme ils ont beaucoup buIls titubent un petit peuMais la haut dans le cielLa lune veille sur eux.Jacques Prvert