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Lise Collomb On comprend mieux le monde à travers l'économie , Patrick ARTUS et Marie- Paule VIRARD (2008) I. La globalisation et ses effets 1. Globalisation : le monde peut-il se refermer ? Historique Première manifestation de la globalisation : intégration des marchés de produits, de capital et de travail en Méditerranée sous l'empire romain. Au XV° siècle, avec les grandes découvertes, prémices de l'économie-monde. « Première mondialisation » de l'ère moderne : 1870-1914. Elle fut transatlantique. Ouverture de routes maritimes (Suez, Panama), extension du chemin de fer, flotte marchande x2, échanges x6, migrations... 9 novembre 1989 : chute du Mur. Victoire du libéralisme. Le nombre d'acteurs de l'économie de marché passe de 1 à 5 milliards d'individus. Révolution des communications au XX° siècle. Décembre 2001: entrée de la Chine à l'OMC. Constat Depuis une dizaine d'années, transfert d'activités productives vers les pays émergents ; les grands pays développés perdent des emplois industriels (zone euro : -8% depuis 1995, USA : -20%, GB : -25%) et des parts de marché dans la bataille avec les pays émergents (exportations et importations) dont la part des importations dans la demande intérieure des pays développés ne cesse de progresser. D'où un fort impact sur l'emploi et la production en Occident et la nécessité de repenser le modèle économique. Sur le plan financier, baisse des prix des biens dont la croissance est la plus rapide et des produits de consommation courante fabriqués dans les pays émergents. Avec la mondialisation accélérée de l'épargne, cette désinflation a provoqué la baisse

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Page 1: Lise Collomb - WordPress.com€¦  · Web viewAu XX° siècle (travaux de Th. Piketty) Les inégalités de revenu se sont réduites en France, mais cette tendance ne fut pas linéaire,

Lise Collomb

On comprend mieux le monde à travers l'économie, Patrick ARTUS et Marie-Paule VIRARD (2008)

I. La globalisation et ses effets

1. Globalisation : le monde peut-il se refermer ?

Historique Première manifestation de la globalisation : intégration des marchés de

produits, de capital et de travail en Méditerranée sous l'empire romain. Au XV° siècle, avec les grandes découvertes, prémices de l'économie-

monde. « Première mondialisation » de l'ère moderne : 1870-1914. Elle fut

transatlantique. Ouverture de routes maritimes (Suez, Panama), extension du chemin de fer, flotte marchande x2, échanges x6, migrations...

9 novembre 1989 : chute du Mur. Victoire du libéralisme. Le nombre d'acteurs de l'économie de marché passe de 1 à 5 milliards d'individus.

Révolution des communications au XX° siècle. Décembre 2001: entrée de la Chine à l'OMC.

ConstatDepuis une dizaine d'années, transfert d'activités productives vers les

pays émergents ; les grands pays développés perdent des emplois industriels (zone euro : -8% depuis 1995, USA : -20%, GB : -25%) et des parts de marché dans la bataille avec les pays émergents (exportations et importations) dont la part des importations dans la demande intérieure des pays développés ne cesse de progresser. D'où un fort impact sur l'emploi et la production en Occident et la nécessité de repenser le modèle économique.

Sur le plan financier, baisse des prix des biens dont la croissance est la plus rapide et des produits de consommation courante fabriqués dans les pays émergents. Avec la mondialisation accélérée de l'épargne, cette désinflation a provoqué la baisse des taux d'intérêt nominaux et réels.

Mais le niveau de vie global s'élève avec l'ouverture des échanges internationaux, l'échange crée la croissance et favorise la division du travail puisque les pays ont tendance à se spécialiser dans les domaines où ils ont un avantage comparatif. L'intégration des marchés permet aux producteurs et aux consommateurs de bénéficier d'économies d'échelle. La pression concurrentielle accrue incite les producteurs à s'attaquer aux sources d'inefficacité et à investir dans l'innovation, d'où la baisse des prix et l'augmentation de la production et de l'emploi.

Quand la globalisation bouscule la hiérarchie des places

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Entre pays émergents et pays développés : nouvelle division internationale du travail, pour l'industrie comme pour les services. Dans la zone OCDE, 20% des salariés réalisent des prestations qui peuvent être délocalisées, 16% des travailleurs de l'industrie produisent des biens qui pourraient être importés.

Entre citoyens du monde : Gagnants : working rich de certains pays pauvres, entreprises

mondialisées, consommateurs. Perdants : les plus pauvres des pays pauvres, bénéficiaires de l'Etat-

Providence, salariés peu qualifiés et « non protégés » des pays riches.

Vérité globale, mensonge local ?Approche optimiste : la mondialisation comme un mouvement créateur

d'avantages et d'opportunités (accélération de l'innovation, création d'entreprises et d'emplois), ne lésant pas les économies avancées (ex : réussite industrielle de l'Allemagne qui a su se spécialiser efficacement).

Mais les effets de la mondialisation sont jugés de plus en plus négativement par les Européens et les Américains (course aux bas salaires, délocalisations, chômage).

EnjeuxLes facteurs qui ont, depuis le milieu des années 90, amorti le choc de la

globalisation pourraient progressivement disparaître : « effets richesse » (hausse des bourses, de l'immobilier) : en augmentant

la valeur des patrimoines, ils ont permis un supplément de dépense et d'endettement.

les déficits publics ont joué un rôle stabilisant pour la croissance dans les pays développés.

les politiques monétaires accommodantes et l'abondance de la liquidité mondiale ont favorisé l'endettement et la hausse du prix des actifs.

l'activité a été fortement stimulée par la construction de l'immobilier résidentiel.

Les inégalités de revenus dans les pays développés risquent de s'approfondir. Les créations d'emplois pourraient eux se polariser entre les emplois très qualifiés d'un côté et les emploi peu ou pas qualifiés de l'autre. Les pays émergents seraient en position d'acquérir de grandes firmes occidentales pour optimiser l'utilisation de leurs énormes réserves d'épargne. D'où un retour des tentations et tensions protectionnistes.

Mise en perspective historique : Avant 1820, les économies émergentes (Asie) représentaient l'essentiel

du PIB mondial. Entre 1820 et 1913, les pays avancés (Triade) ont repris l'avantage avant

d'imposer leur puissance économique dans la seconde moitié du XX° siècle.

Aujourd'hui : nouveau « grand croisement » ? Selon les experts, ce serait d'ici à 2025...

2. L'explosion des inégalités de revenus en France est-elle inévitable ?

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Les classes moyennes à la dérive, Louis Chauvel (2006) : tandis que nous nous inquiétons de ses marges, c'est peut-être en son coeur que la société française se désagrège.

Au XX° siècle (travaux de Th. Piketty)Les inégalités de revenu se sont réduites en France, mais cette tendance

ne fut pas linéaire, variant selon les événements politiques mondiaux jusqu'à 1950 (guerres, inflation, crise de 29) puis français (augmentation de 1968 à 1968 puis baisse jusqu'à 1983 et augmentation légère ensuite).

Cette réduction tendancielle des inégalités tient pour l'essentiel aux chocs subis par les très hauts revenus du capital (effondrement à la suite des crises de 1914 à 1945), notamment à cause de l'impôt progressif sur la reconstitution et l'accumulation des gros patrimoines et des périodes d'inflation.

Mais l'inégalité des salaires est restée sensiblement la même et si le pouvoir d'achat a été multiplié par 5, la hiérarchie n'a pas été bousculée. C'est cette extraordinaire stabilité qui est remise en cause aujourd'hui.

Aujourd'hui (travaux de C. Landais)La dernière décennie est marquée par un approfondissement des

inégalités de revenus en France comme dans la plupart des pays développés, confirmant un mouvement déjà amorcé aux USA au cours des 40 dernières années (cf The Conscience of a Liberal de Paul Krugman sur la « révolution inégalitaire » américaine) et de plus en plus virulent au Japon.

Depuis 8 ans, les inégalités de revenus s'accroissent fortement en France : les revenus des Français les plus riches explosent, tandis que les bas et moyens revenus augmentent très modestement.

Le temps des working rich C'est avant tout la très rapide augmentation des inégalités de salaires qui

explique l'explosion des écarts. Partout l'écart se creuse entre une sorte d'hyperclasse mondialisée et la grande masse des salariés : aux USA le salaire des dirigeants est passé de 30 fois le salaire moyen en 1980 à 180 fois en 2005. En France, les working rich supplantent désormais les rentiers. Parmi le top 20 des dirigeants européens les mieux payés en 2005, 10 étaient français. Les rémunérations des opérateurs de marché et traders ont littéralement explosé.

Cette explosion des inégalités est désormais une caractéristique des économies développées pour les hauts salaires, mais aussi pour l'ensemble de la hiérarchie des salaires. Deux explications sont privilégiées : la globalisation et le progrès technique.

La classe moyenne au purgatoireDouble mouvement dans nos pays :

hausse du salaire relatif des plus qualifiés par rapport aux qualifications intermédiaires

resserrement de la hiérarchie des salaires entre les moins qualifiés et les moyennement qualifiés.

Les effets de la globalisation et progrès technique s'additionnent le plus souvent pour creuser les écarts de rémunération dans nos pays. On observe aussi une forte progression de certains revenus (salarié très qualifié d'une

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grande entreprise opérant dans un secteur favorisé par la mondialisation) et l'écrasement de la hiérarchie des revenus entre les salariés moyennement et peu qualifiés qui sont tirés vers le bas.

La France au modèle anglo-saxon ?La question des inégalités n'est pas seulement un problème politique et

social mais aussi économique, comme semble le suggérer l'exemple anglais. Lorsqu'une minorité riche détient une partie importante du revenu et de

la richesse nationale, sa consommation d'actifs, de biens et de services est peu sensible au niveau des prix ou des taux d'intérêt (élasticité faible). La consommation continue donc à augmenter, même lorsque les autorités monétaires augmentent les taux d'intérêt. Ce fut le cas en GB.

Comment alors contrôler une économie par la politique monétaire dès lors que la hausse des taux d'intérêt a peu d'effet sur l'endettement et la demande d'une partie certes minoritaire mais agissante des ménages?

En France, la tendance à la très forte hausse des revenus les plus élevés se poursuit, tout comme les revenus du patrimoine. La fiscalité évolue clairement dans le sens de l'approfondissement des inégalités au niveau du revenu disponible des ménages (bouclier fiscal à 50%, forte baisse des droits de succession sur les hauts patrimoines).

EnjeuxLutter contre les inégalités, c'est poser la question des politiques

redistributives, donc du mélange optimal entre équité et efficacité. Les Anglo-Saxons laissent pour l'essentiel au marché le soin de se charger des inégalités de revenus, même si a été créé aux USA l'Earned Income Tax Credit (crédit d'impôt réservé aux foyers les plus modestes dans lequel au moins une des personnes travaille et donnant lieu à une réduction d'impôts ou à un versement direct aux ménages) pour lutter contre la pauvreté sans exposer l'économie aux effets indésirables des systèmes de revenu minimum.

En France, le modèle est loin d'être optimal car il fait prendre en charge aux entreprises une grande partie de la redistribution (salaire minimum élevé). La redistribution par les bas salaires détruit des emplois peu qualifiés et fabrique en réalité de plus en plus de précarité.

Il faut doser la pression fiscale et éviter le plus possible de taxer le travail. L'Allemagne, le Japon et la Suède montrent qu'il est possible de sauvegarder et de développer des activités industrielles compétitives, ce qui permet de soutenir emplois et niveaux de salaires dans tous les secteurs. Une sophistication croissante des secteurs protégés favorise aussi une meilleure rémunération.

3. Comment partager les ressources rares ?

L'accélération de la croissance mondiale depuis 2003 a entraîné celle de la consommation de matières premières. En Chine la consommation de pétrole augmente de 10% par an.

L'exemple de la Chine : si les Chinois consommaient autant d'énergie que les Américains, les ressources de 5 planètes seraient nécessaires.

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La consommation d'énergie y est encore faible en raison de la proportion élevée de paysans et de la modestie du niveau de vie. Mais on estime qu'en 2016 elle aura plus que doublé et que leur consommation de pétrole aura elle plus que triplé.

Le problème des émissions de CO2 y est encore plus inquiétant. L'essentiel de l'électricité y est produite à partir du charbon (77%) en raison de la rareté des autres ressources et de la vitesse de croissance de la demande. D'où l'explosion des émissions de CO2. En 2006, ils représentaient 70% de plus que la zone euro et peut-être 6 fois plus dans 10 ans.

La rareté de l'eau : 2500 êtres humains meurent chaque jour faute d'eau en quantité suffisante

1 milliard d'êtres humains n'ont pas encore accès à l'eau potable, 2,6 milliards vivent sans système d'évacuation des eaux usées. L'eau insalubre est la première cause de mortalité devant la malnutrition.

Cependant, la question est moins celle du gaspillage de l'eau par les pays riches que celle de l'agriculture, qui consomme pratiquement 75% de l'eau douce, et celle du non-traitement des eaux usées.

Les ressources alimentaires peuvent elles aussi venir à manquer. La FAO recense déjà 39 pays affectés par les crises alimentaires, dont 25 en Afrique. La surface cultivable mondiale stagne depuis 2000, et diminue même en Asie et en Amérique du Nord.

Les Etats pourraient avoir un rôle important à jouer à l'avenir. En encourageant le progrès agricole et la propriété, la diffusion de connaissances, l'accès au crédit, la stabilisation des prix, ils pourraient stimuler fortement la production agricole, qui plafonne depuis quelques années.

Second type de ressources rares -les « productibles »- i.e. ce que l'homme fabrique mais en quantité insuffisante ou dont l'allocation est loin d'être optimale.

L' exemple de l'épargne : au niveau global, il n'y a aucune rareté de l'épargne mondiale. Mais elle est siphonnée par les pays riches pour financer la consommation des ménages, l'investissement logement, les déficits publics... qui sont des dépenses improductives. D'où la question d'une meilleure allocation de cette ressource rare qu'est l'épargne.

La rareté du travail qualifiéIl n'y a aucune pénurie mondiale de travail mais il y a pénurie de travail

qualifié, de chercheurs, de recherche et d'innovation. La main d'oeuvre est en moyenne trop peu instruite et trop peu formée. Ce qui freine le progrès technique et donc la qualité de la croissance. Ce travail qualifié est trop rare, et pas seulement dans les pays en développement.

EnjeuxLa prise de conscience est planétaire : les ressources en matières

premières, la quantité de capital accumulable, la possibilité d'émettre des gaz à effet de serre ne sont pas infinis. D'où l'urgence de réfléchir aux conditions de mise en place d'un modèle de croissance soutenable, une croissance qui viendrait davantage du progrès technique que de l'accumulation des facteurs de production, qui ne détourne pas l'épargne qui pourrait être utilisée plus

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efficacement ailleurs, qui ne soit pas trop gourmande en énergie, en matières premières et en activités polluantes.

Cette nécessité d'une croissance soutenable met en lumière une lacune de la théorie de la valeur fondée sur les prix de marché : un certain nombre de biens ( la qualité de l'air, le degré de préservation de la biodiversité, l'évolution du climat, la qualité et la disponibilité de l'eau,...) ont une valeur sociale, individuelle, collective, sans avoir pour autant de prix de marché.

L'économiste distingue donc deux types de rareté : la « rareté cumulative » : concerne les biens dont la gestion repose sur

les actions combinées des différents acteurs. Ex : la qualité de l'air. la « rareté concurrentielle » : pousse les individus à se garantir l'accès à

la ressource. Ex : les sources d'énergie non renouvelables. Il faut alors savoir partager la rareté pour des raisons éthiques, économiques et politiques et pour éviter des conflits potentiels.

Dans les deux cas, il faut penser les principes et les institutions susceptibles de favoriser la coopération et de sanctionner les comportements prédateurs.

4. Faut-il avoir peur de la Chine ?

Fin 2007, la Chine a dépassé l'Allemagne en terme de PIB et est devenue la troisième économie mondiale derrière les USA et le Japon.

ConstatL'extraordinaire croissance chinoise profite à des dizaines de millions de

Chinois qui sortent chaque année de la misère, ce qui passe par la migration vers les villes des paysans chinois. Ils seraient 3 millions à converger clandestinement vers les 4 méga-cités (Pékin, Shanghai, Tianjin, Chongqing). Ce sont souvent des ouvriers du bâtiment qui travaillent nuit et jour et 7/7 jours pour gagner environ 150 $/mois.

Mais l'économie chinoise est aussi devenue un des moteurs de la croissance mondiale. Le rythme de la croissance chinoise, qui doit amener en 20 ans le pays au niveau de vie des nations les plus avancées, ne peut être soutenu dans la durée que grâce à une augmentation très rapide des exportations et des investissements. Les Chinois doivent ainsi conquérir tous les marchés du monde. L'agressivité commerciale constitue donc une des clés de la croissance chinoise. La politique monétaire très expansionniste vise elle à maintenir un taux de change sous-évalué qui conduit à la fois à l'augmentation très rapide des capacités de production et des exportations.

En Chine, la rareté des facteurs de production n'existe pas : ni celle du capital (taux d'épargne intérieure de 54%), ni celle du travail (immense potentiel migratoire des campagnes vers les villes). La Chine lance ainsi un défi à la théorie des avantages comparatifs : elle peut conquérir des parts de marché partout et ne s'en prive pas. La Chine peut se permettre de ne pas se spécialiser et de partir à la conquête de parts de marché dans pratiquement tous les secteurs.

Les acquisitions chinoises hors de ChinePour soutenir sa croissance et faire d'énormes gains de productivité, il

devient nécessaire pour la Chine de s'attaquer aux hautes technologies. Mais la stratégie d'accueil des firmes étrangères assorti d'un copiage intensif ne lui

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garantit pas l'accès aux technologies les plus sophistiquées. D'où une évolution : l'acquisition directe des technologies et des savoir-faire à travers celle des entreprises étrangères qui se développent.

En 2006, les Chinois ont ainsi réalisé plus d'une centaine d'acquisitions pour 15 milliards de dollars. La priorité est donnée aux secteurs de l'énergie et des matières premières, ainsi qu'aux banques, entreprises de télécommunications et à l'aéronautique. Cette diversification de l'investissement est permise par sa réserve en épargne liquide qui s'élève à 5000 milliards de dollars.

EnjeuxLa tentation du protectionnisme commercial et financier est de plus en

plus grande dans les pays occidentaux. Or cela aurait des conséquences catastrophique pour ces pays : se protéger contre l'importation de produits des pays émergents reviendrait

soit à faire monter les prix pour les consommateurs et les entreprises, soit à désorganiser le processus de production s'il s'agit de biens

intermédiaires importés après outsourcing (externalisation).L'Occident doit plutôt amener la Chine à entrer dans le jeu et à en

respecter les règles, qu'elles soient commerciales, monétaires, économiques, juridiques ou environnementales. En s'unissant pour mieux la convaincre qu'elle à tout à gagner à s'associer à une démarche de gestion multilatérale des ressources de la planète, ce serait le meilleur moyen d'aider la Chine à initier et à accompagner le changement inévitable de son modèle de croissance.

5. L'économie américaine, futur maillon faible de l'économie mondiale ?

Depuis 1945, l'Amérique a toujours été donnée en exemple pour le niveau et la « qualité » d'une croissance fondée sur une productivité élevée et surtout sur sa capacité à développer les innovations susceptibles de lui garantir en permanence une véritable avance technologique, la dernière étant illustrée par l'effervescence créatrice issue d'Internet et de la révolution des nouvelles technologies de l'information.

Pendant des décennies, les USA ont été « la » locomotive économique du monde grâce à une politique économique réactive associée à des qualités économiques sans pareilles : une croissance solide (3%), un taux de chômage faible (4.5%), un marché du travail fluide, une capacité à faire naître et se développer de nouvelles entreprises, un niveau élevé en recherche et en développement, une éducation supérieure reconnue dans le monde entier.

Le déficit extérieurCependant, l'épargne des ménages américains est faible et le déficit

extérieur important. Le déficit courant reflète l'écart qui existe entre le taux d'investissement et le taux d'épargne d'un pays, il signifie ici que les USA vivent « au-dessus de leurs moyens », i.e. que la croissance de la demande intérieure est plus élevée que ce que leur permet l'épargne disponible. L'Amérique a donc besoin d'attirer l'épargne étrangère, sous la forme d'investissements directs étrangers ou d'investissements en actifs libellés en

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dollars, pour financer la croissance.Ce déficit extérieur est financé par les banques centrales des pays

émergents d'Asie qui se sont mis à accumuler d'importantes réserves de change en devises. Mais celles-ci vont progressivement commencer à accumuler moins de réserves de change en raison des inconvénients associés à cette accumulation, notamment une création de liquidité excessive. Les USA risquent donc d'avoir de plus en plus de difficultés à financer leur déficit extérieur et cela aura des conséquences graves sur les ménages américains : la dépréciation du dollar grignotera leur pouvoir d'achat, la hausse des taux d'intérêt à long terme freinera la demande intérieure, la contraction de la liquidité sera du plus mauvais effet sur tous les agents économiques endettés.

Le dollar, too big to fail ? La dépréciation du dollar est organisée par les autorités américaines,

pilotée par les banques centrales qui accumulent d'importantes réserves en dollars. Cette dépréciation peut-elle se transformer en un effondrement incontrôlé dès lors que les investisseurs non américains convertiraient leurs actifs libellés en dollars en d'autres devises ? Le dollar peut-il perdre son statut de monnaie de réserve dominante ?

La taille des marchés et de la dette extérieure des USA est telle qu'il est difficile d'imaginer un transfert des actifs détenus en dollars vers d'autres devises. Un transfert précipité déboucherait sur une explosion du prix d'actifs et des taux de change des devises concernées.

Le déclin de son avance technologique ? La spécialisation productive est claire : elle associe le déclin de l'industrie

traditionnelle au développement des nouvelles technologies et des services plus ou moins sophistiqués. Mais cette avance technologique associée au développement de services exportables sophistiqués sera-t-elle durablement suffisante pour compenser la perte de revenus et d'emplois et le déficit commercial associés à la disparition de l'industrie traditionnelle ?

Les USA seraient en train de prendre du retard en matière de recherche-développement. Ainsi l'investissement en recherche fondamentale est resté constant depuis 20 ans. De plus, l'essentiel des nouvelles décisions d'implantation d'unités de R&D sont localisées en Chine ou en Inde, grâce à la présence d'individus formés et de la coopération des structures universitaires. Les USA commenceraient à souffrir d'un brain drain à l'envers (les Américains d'origine indienne ont tendance à repartir vers leur pays d'origine). Enfin, leur leadership dans les secteurs de pointe est de plus en plus challengé et leurs importations de produits high-tech sont supérieures à leurs exportations.

Vers un ralentissement de la croissance potentielle ?La spécialisation productive des USA ne permettra peut-être donc pas

dans l'avenir de couvrir le déficit extérieur des biens. Et si cette spécialisation productive s'opère surtout sur les services protégés de la concurrence internationale, il existerait un risque non négligeable de réduction de la croissance potentielle puisque ces secteurs ont des gains de productivité faibles.

La croissance potentielle pourrait aussi être affectée par l'importance de ses besoins énergétiques. D'ici 2030, elle devra probablement importer presque 70% de ses besoins en pétrole (47% aujourd'hui) et 20% de son gaz (4% aujourd'hui). La hausse tendancielle des prix de l'énergie et des coûts

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associés à l'émission de gaz à effet de serre pourrait ainsi peser sur sa croissance potentielle.

EnjeuxA court terme, la crise immobilière américaine aura aussi des

conséquences sur la consommation, d'autant que les banques sont devenues plus restrictives dans la distribution du crédit. Et l'arsenal keynésien (plan de relance, baisse du principal taux directeur de la Fed) utilisé pour soutenir l'activité lors de la précédente crise de 2001-2003 pourrait aujourd'hui se révéler impuissant.

A moyen terme, on redoute que les USA succombent à la tentation protectionniste qui ne pourrait se traduire que par une perte de pouvoir d'achat des consommateurs américains. De la même manière, un freinage de l'immigration réduirait encore la croissance de la population active, donc la croissance potentielle.

II. La planète finance et ses fragilités

1. Comment finit un monde gavé de liquidités ?

Comparaison avec la crise des années 1930La période de prospérité depuis le milieu des années 1990 peut être

comparée à celle des années 1920 : même croissance éblouissante, même envolée des bourses, même fièvre acheteuse

Cette comparaison peut être productive quant aux politiques monétaires menées lors de la crise de 1929. Pour le directeur actuel de la Fed -Ben Bernanke- comme pour M.Friedmann, c'est la politique restrictive alors menée par la Fed qui est la cause première du développement de cette crise : l'autorité monétaire avait alors réagit à la montée de l'endettement en réduisant la quantité de monnaie pour stopper la spéculation qui menaçait de submerger Wall Street. C'est le liquidity crunch, qui précipite les faillites bancaires. Les mesures protectionnistes ont elles aussi asphyxié l'activité.

Le début des années 2000Mars 2000 : explosion de la bulle Internet. D'août 2000 à décembre 2001,

l'indice des valeurs technologiques cotées par le Nasdaq s'effondre. La crise

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s'étend à l'ensemble de l'économie. Alan Greenspan, directeur de la Fed, décide alors d'encourager la création de liquidités en abaissant immédiatement les taux d'intérêt pour les porter à 0% en termes réels. Il voulait ainsi préserver la liquidité du système financier et d'éviter les faillites en chaîne.

A partir de 2002, les grandes banques centrales mondiales favorisent le redémarrage de la croissance. Avec l'envolée du prix du pétrole, les banques centrales des pays émergents d'Asie et des pays pétroliers, notamment chinois, prospèrent à grande vitesse. C'est un changement majeur : de nombreux pays en développement sont désormais prêteurs (et non plus emprunteurs) sur les marchés financiers internationaux. Leurs banques centrales achètent essentiellement des obligations gouvernementales, provoquant ainsi une détente des taux d'intérêt. Ils tombent en 2005 en dessous de 0% aux USA et de 1% en zone euro. Le nouvel « équilibre » mondial qui s'installe est un équilibre qui s'auto-entretient mais qui n'est pas moins dangereux à terme en raison de l'accumulation des dettes.

L'irrésistible inflation du prix des actifsOn considère que sur une longue période les taux longs réels doivent se

situer aux alentours de 3%. Si ces taux d'intérêt réels sont durablement inférieurs aux taux de croissance de l'économie, s'installe une situation qualifiée de « pathologique » : il n'y a aucune limite à l'endettement puisque la croissance des revenus rembourse la dette. De plus, le prix des actifs financiers (=somme des profits futurs de l'entreprise dans le cas d'une action) peut devenir excessivement élevé car si les profits futurs croissent à un taux supérieur au taux d'intérêt alors la valeur théorique de l'action devient infinie.

Les autorités monétaires n'ont rien fait pour arrêter ce mouvement. Au printemps 2003, alors que l'économie américaine repart sur une trajectoire de croissance, l'injection de liquidités bat des records : la base monétaire mondiale se cale sur un rythme d'augmentation de 12%/an. l'excédent monétaire par rapport aux besoins de la production se déverse alors forcément sur les prix, des biens ou des actifs : on observe alors l'irrésistible inflation des prix de tous les actifs (immobilier, matières premières, pétrole, prix des entreprises, bourses).

Des bulles (=appréciation extrême du prix d'un actif) se créent alors : au départ, les raisons données pour expliquer les valorisations extraordinaires sont toujours réelles. Les « super profits » engrangés alors accroissent la motivation de ceux qui y ont participé et le regret de ceux qui s'en sont tenus à l'écart. Comme au départ il n'y a que des gagnants, une baisse générale des risques futurs se diffuse. L'effet richesse et le sentiment d'optimisme stimulent l'activité d'autant que l'endettement s'accroît. Mais lorsqu'elles éclatent, elles peuvent déboucher sur des crises très graves.

Au cours des décennies précédentes, le système bancaire était le principal fournisseur de liquidités, les banques centrales avaient la main. Mais depuis 2004, elles ont perdu une partie de leur pouvoir : elles se trouvent aujourd'hui dans la quasi-impossibilité d'influencer le niveau des taux longs.

EnjeuxLe désendettement doit intervenir tôt ou tard. L'équilibre économique

actuel n'est pas durable à terme car les risques peuvent dégénérer à tout moment en crise.

Une sortie moins violente à la situation d'hyperliquidité dans laquelle

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nous nous trouvons aujourd'hui suppose un consensus pour traiter le problème fondamental de l'économie mondiale : l'insuffisance d'épargne aux USA et l'excès d'épargne dans le reste du monde. Il faudrait donc que les USA se donnent les moyens de faire remonter l'épargne de leurs ménages et que les pays émergents riches en épargne commencent eux à investir dans leurs infrastructures publiques (protection sociale, retraite, santé, éducation).

2. L'innovation financière réduit-elle les risques ?

La crise des subprimeEn août 2007, la crise des prêts immobiliers subprimes aux USA est

déclenchée à la fois par la hausse des taux d'intérêt et par la baisse du prix des maisons qui empêche les Américains de s'endetter davantage à partir des plus-values en capital sur leur habitation pour rembourser leur dette immobilière.

Cette situation est comparable à celle de la « finance de Ponzi » : situation où la solvabilité d'un agent économique, en l'espèce un emprunteur, n'est pas assurée par ses flux futurs de revenu. La solvabilité ne peut être assurée que dans la mesure où il peut se réendetter régulièrement au service de cette dette, par exemple s'il détient des actifs (ici une maison ou un appartement) dont le prix augmente à un rythme supérieur au taux d'intérêt et qui servent de garantie à cet endettement. L'emprunt pour acheter va donc de facto soutenir la demande de cet actif dont le prix va augmenter. C'est une anticipation autoréalisatrice qui va aboutir à la création d'une bulle financière.

La perte cumulée pour les prêteurs est chiffrée à la fin du mois à quelques 30 milliards de dollars. Cette perte continue à croître en 2008 puisque la plus grande partie des crédits subprime a vu son taux d'intérêt contractuel continuer à augmenter.

La titrisation : une «   arme de destruction massive   » ? Mais cette crise a ensuite gagné de nombreux actifs dans un processus

de contagion quasi-instantané. Alors que la finance est censée avoir une action contracyclique (lutter contre l'amplification d'une tendance en exerçant une fonction de rééquilibrage), un mécanisme a transformé une petite crise en une énorme crise : c'est la titrisation.

C'est une opération qui permet aux banques de revendre sur les marchés financiers les actifs qu'elles détiennent, en particulier les crédits, après les avoir « structurés » : ce ne sont pas les prêts eux-même qui sont cédés à l'investisseur final, mais des titres complexes eux-même composés d'actifs de niveaux de risque très divers.

Cette opération a plusieurs inconvénients majeurs : les investisseurs ne font pas l'objet d'une sélection et peuvent se révéler

trop fragiles : la logique d'assurance se met alors fonctionner à l'envers puisque les moins fragiles revendent leurs risques aux plus fragiles.

les actifs sont illiquides, ils ne peuvent être cédés instantanément. Et les investisseurs, eux, ont de fortes contraintes de liquidités et des horizons de court terme.

en devenant un marché d'investissement, le marché des dérivés est devenu si énorme qu'il échappe à tout contrôle.

Une chaîne prudentielle défaillante

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Les banques amplifient de plus en plus les cycles et donc les crises. En prêtant de manière inconsidérée et sans prise de garantie au cours des années fastes, puis en durcissant brutalement les conditions de crédit lorsque les risques sont apparus, elles ont à l'évidence fabriqué puis alimenté la crise de l'été 2007.

Au-delà des banques, c'est toute la chaîne prudentielle qui a été défaillante. Les agences de notation ont suivi la valorisation des actifs sur les marchés au lieu de noter leurs caractéristiques fondamentales. Elles ont par ailleurs conseillé ceux qui fabriquent ces produits dérivés pour bénéficier de la meilleure note et ont donc joué un rôle ambigu dans ce qui devrait être une chaîne de contrôle.

Lorsque certains acteurs, étroitement surveillés et évoluant dans un cadre très strict, se sont donnés les moyens (grâce à l'innovation financière et la titrisation) de transférer les risques vers d'autres, installés sur des places offshore et peu soumis à la réglementation, la perte de contrôle était inévitable. La crise de l'été 2007 repose ainsi la question de l'aléa moral.

Les banques centrales ont alimenté le comportement irresponsable des banques : en corrigeant l'explosion de la dernière bulle par une nouvelle vague de liquidités, elle a créée les conditions de la prochaine bulle, qui provoquera la prochaine crise financière...Enjeux

Avec la crise de l'été 2007, la titrisation est devenue presque impossible, la demande de titres s'étant effondrée. Pourtant, cette technique financière est indispensable au modèle de croissance actuel : depuis 15 ans, l'endettement des agents économiques privés n'a été possible que parce que leurs banques ont titrisé leurs créances, du fait de l'insuffisance de leurs fonds propres. Le problème se posant est celui de l'horizon des actifs titrisés, qui sont des actifs de long terme, et de celui des investisseurs qui les achètent, trop dépendants du court terme.

Mais il faut aussi réintroduire de la gouvernance et du contrôle là où ils ont disparu, par exemple :

interdire la finance de Ponzi : le seul critère d'évaluation de la solvabilité d'un emprunteur doit être ses revenus futurs,

responsabiliser les banques dans la distribution de crédits (franchise, malus),...

3. Les banques centrales servent-elles encore à quelque chose ?

Dans les années 1980, marquées par la dérive irrésistible des prix, Milton Friedmann affirme que l'origine de l'inflation est purement monétaire : c'est la banque centrale qui crée trop de monnaie et enclenche le processus inflationniste. Il préconise ainsi un contrôle très strict de la création monétaire et donc de l'action de la banque centrale.

La globalisation, un choc d'offre positifCe sont désormais les capacités mondiales qui comptent. La globalisation

fonctionne comme un choc d'offre positif puisque tout se passe comme si 2 ou 3 milliards d'individus supplémentaires pouvaient faire irruption sur le marché du travail mondial : le monde est dans une situation de gigantesque sous-

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emploi, les coûts salariaux dans les pays émergents restent donc très bas.Dès lors que le taux d'emploi du monde tournera autour de 44%,

l'inflation ne risquera pas de menacer les pays industrialisés.

Les banquiers centraux se trompent de cibleRéfléchir les politiques monétaires en fonction de l'inflation pourrait ne

plus avoir de sens aujourd'hui : ce sont désormais le prix des actifs ou l'excès d'endettement qui révèlent les déséquilibres financiers mondiaux.

Mais lors de chaque crise l'enchaînement est le même : la Fed laisse se développer inconsidérément les crédits aux ménages, les niveaux d'endettement, les cours boursiers, le prix des actifs parce que l'inflation est faible aux USA et que les autorités monétaires ne voient pas de raison de freiner une croissance si porteuse de richesses pour tous. Mais quand l'explosion se produit, il faut injecter d'urgence des liquidités pour éviter le pire, cette réinjection alimentant les prochaines bulles.

L'impuissance des banques centralesPar ailleurs, conséquence de la globalisation financière, nos banques

centrales ont perdu une partie de leur pouvoir, notamment sur les taux longs : ce sont les banques centrales des pays émergents et leurs gigantesques réserves de change qui « font » le prix de l'argent à long terme.

Ces banques centrales veulent éviter une appréciation de leur devise qu'elles affirment excessive et achètent donc des actifs libellés en dollars, euros... En venant investir massivement sur la dette américaine, les réserves de ces pays mettent donc la pression à la baisse sur les taux d'intérêt longs. La Banque centrale américaine ne peut plus contrôler les marchés financiers en dollars, ce qui pose un énorme problème de gouvernance de l'économie.

EnjeuxEn s'obstinant à continuer à faire de la lutte contre l'inflation du prix des

biens et des services leur objectif central, sans réagir assez tôt à l'envolée du prix des actifs et à la fuite en avant de l'endettement, les banques centrales mènent des politiques monétaires qui ont tendance à amplifier les cycles et peuvent déclencher une catastrophe. Elles doivent donc aujourd'hui tenir compte des nouvelles caractéristiques du monde globalisé.

Il s'agit maintenant de protéger les agents économiques privés contre les risques financiers majeurs (dérive du prix des actifs, excès d'endettement). La liquidité circulant librement, il ne peut y avoir de contrôle de la liquidité mondiale que sur la base d'une coopération internationale.

4. Comment remettre l'épargne mondiale à l'endroit ?

Au niveau mondial, il n'y a aucune rareté de l'épargne, le taux d'épargne augmentant d'ailleurs, ce qui est bon signe puisque cela permet d'investir davantage et de financer le développement économique. Mais ce phénomène est inégal : certains pays (émergents d'Asie, exportateurs de matières premières) sont en « excès d'épargne » tandis que d'autres (UE, USA) sont en « insuffisance d'épargne ».

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Les pays émergents financent la planèteDepuis 10 ans, les pays en voie de développement sont passés de

consommateurs à fournisseurs de fonds sur les marchés internationaux : ils ont d'une part tiré les leçons de la série des crises financières des années 1990 et certains ont d'autre part engrangé les milliards associés au renchérissement du prix de l'énergie et des matières premières. Ces pays émergent placent leur excès d'épargne dans les pays développés.

Ce flux massif de capitaux des pays pauvres vers les pays riches va à l'encontre de la théorie néoclassique de la croissance selon laquelle l'argent va investir d'abord là où le rendement marginal du capital est le plus élevé, en l'occurrence dans les pays en développement où le capital par tête est beaucoup moins élevé que dans les pays développés. Les pays riches disposent déjà de beaucoup de capital installé et le rendement du capital supplémentaire y est donc plus faible que dans les pays pauvres où le capital manque.L'Amérique siphonne l'épargne mondiale

Le supplément d'épargne mondial apporté par les pays émergents sert dans les pays riches à financer le capacité des ménages, des Etats, des fonds d'investissement à s'endetter. Les USA attirent cette épargne en général, l'épargne chinoise en particulier, car le marché américain des capitaux reste le plus profond, le plus liquide, et donc le plus « sûr » du monde. Dans le cas des épargnants chinois, en finançant la consommation américaine, ils développent leurs exportations et donc la croissance chinoise.

Mais, en siphonnant une large partie de l'épargne mondiale pour financer son déficit extérieur, les USA siphonne une épargne qui serait mieux utilisée dans d'autres régions du monde (Afrique, Amérique Latine), ainsi privées de l'accès à l'épargne.

Plusieurs explicationsD'abord, ce sont les banques centrales qui recyclent en grande partie

l'épargne. C'est parce que leur objectif est de stabiliser le taux de change qu'elles acceptent d'investir dans des actifs liquides ou obligataires des USA ou d'Europe.

Par ailleurs, les marchés financiers et les banques des pays émergents sont encore trop frustres pour jouer leur rôle, d'où la difficulté d'y fixer l'épargne : il faudrait que celle-ci y trouve des supports suffisamment liquides et sophistiqués pour optimiser son allocation et son rendement.

Le niveau technologique dans les pays émergents n'est pas non plus suffisamment élevé pour inciter l'épargne locale à investir sur place. Il faut attendre que les investissements directs ou les acquisitions étrangères l'aient accru pour qu'ils deviennent réellement attrayants pour l'épargne locale.

Enfin, l'absence de gouvernance (instabilité juridique et/ou politique, corruption, bureaucratie,...) se traduit par une incapacité à investir raisonnablement et décourage le maintien de l'épargne dans ces pays.

EnjeuxLorsque l'épargne transitera moins par les banques centrales, que les

banques et les marchés financiers des pays émergents seront modernisés, que la technologie y aura progressé ainsi que la gouvernance et la capacité à réaliser des investissements efficaces, l'épargne des émergents devrait financer de plus en plus l'investissement des émergents. Ce processus long est déjà à l'oeuvre.

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Le dernier problème reste l'inégal partage de la manne de l'épargne mondiale qui laisse de côté le continent africain et certains pays d'Amérique Latine.

5. L'inflation peut-elle revenir ?

Les années 1970 restent pour la France l'épisode le plus important d'une inflation forte et prolongée en temps de paix : pendant une décennie, l'inflation a alors évolué entre 10 et 15%. Les autres économies occidentales connaissent aussi alors une forte inflation, les banques centrales ne luttant pas pour l'éliminer. Mais peu à peu la lutte contre l'inflation devient la priorité des gouvernements et des banques centrales : ils réduisent la liquidité en surveillant l'évolution de la masse monétaire. Dès le milieu des années 1980, l'inflation décroît, mais au prix d'un coût économique et social considérable (blocage des salaires, taux d'intérêt élevés,...).

Globalisation et (dés)inflationUn des principaux effets de la globalisation fut de faire baisser les prix

dans les pays développés et c'est encore le cas aujourd'hui. D'abord, la globalisation favorise la « modération » des salaires dans les pays développés qui, depuis 10 ans, ont augmenté moins vite que la productivité.

La globalisation est également déflationniste en raison de l'augmentation de la part des pays émergents dans le commerce mondial et de la consommation des grands pays de l'OCDE compte tenu des bas prix pratiqués par ces producteurs. Ce ne sont plus les capacités de production locales qui comptent mais les capacités mondiales : c'est désormais le taux d'utilisation des capacités mondiales (output gap mondial) et la croissance mondiale du crédit qui déterminent le risque de hausse des prix.

Mais des projections montrent que dans quelques années les effets inflationnistes de la globalisation devraient finir par l'emporter sur ses effets désinflationnistes. L'augmentation des salaires des pays émergents et celle de la demande qui lui serait associée finiront par réduire l'écart de prix et donc l'effet désinflationniste des importations en provenance de cas pays. C'est surtout la hausse programmée du prix des matières premières, du fait de la forte croissance de la demande mondiale, qui devrait nourrir dans les années qui viennent les tendances inflationnistes.

Dans les années qui viennent, l'inflation dans les pays de l'OCDE devrait être le résultat du conflit indécis entre forces inflationnistes et forces désinflationnistes. A court terme, l'effet total serait plutôt inflationniste pour les USA, et dans une moindre mesure au RU, neutre au Japon et encore désinflationniste dans la zone euro...

EnjeuxComment les banques centrales vont-elles réagir à la hausse des

pressions inflationnistes ? Il est probable qu'elles décident de résister à celles surtout liées à la hausse du prix des matières premières et à élever en dernier recours les taux d'intérêt nominaux et réels. Mais associée au fort endettement des agents économiques, cette solution pourrait déboucher sur une crise économique et financière sévère.

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III. L'avenir du capitalisme et ses enjeux1. Demain, l'affrontement des capitalismes ?2. Le capitalisme peut-il devenir « raisonnable » ?3. Le private equity, mode ou mutation du capitalisme ?4. Le capitalisme a-t-il perdu l' « esprit » ?

IV. La France et l'Europe dans vingt ans1. Comment gagner la bataille des savoirs ?2. Les enjeux de la contrainte démographique3. Quel « modèle » économique pour la France ?4. Le travail a-t-il de l'avenir ?