lire le spectacle vivant

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  • 5/13/2018 Lire Le Spectacle Vivant

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    BulletindelaClasse des LettresEXTRAIT

    Lire le spectacle vivantThematiser la presence

    par Andre HelboMembre de l aClasse

    6e serieTome XXI

    2010ACADEMIE ROYALE DE BELGIQUE

  • 5/13/2018 Lire Le Spectacle Vivant

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    __ ___ .

    I

    EXPOSE

    Lire le spectacle vivantThematiser Ia presencepar Andre HelboMembre de l aC l as se

    L'objet spectacle vivant const itue un ensemble de polysys-temes lies a la presence conjointe de l 'acteur et du spectateur.Contrairement au film, produit de la reproductibilite technolo-gique (Benjamins 1939) proje te de facon constante dans toutesles circonstances, le spectacle vivant s'invente dans la rencontreephemere de l 'acteur et du spectateur. D 'une par t, l a presence duspecta teu r ju sti fie l e jeu de I 'a ct eu r, voir e i nfl uence cel ui- ci.D'autre part, la corporeite du comedien en tant qu'energie,t ension, intensi te pure fonde un et re-en-scene qUI def init l asituation spectaculaire. C'est le geste de co-invention qui permeta la s cene e t a l a sal le de const ruire la representat ion, par uneenonciation col lect ive. La ou le f ilm dissocie, ent re aut res chro-nologiquement , reali sa tion et reception, le theat re , l a danse, lecirque, l 'opera federent dans l 'ins tant e t dans la sal le les par te-naires de l 'evenement creatif.Une deuxieme caracteri st ique s 'aff irme comme speci fique: la

    complexite de l 'o rgan is ati on ( as soci an t t ex te , image , corps,affects , cogni tion) confere au spectacle vivant un sta tut d 'objetpolymorphe et ins table (ou multistable, dans l 'acception psycho-Iogique du vocable), en interaction constante avec la reception.L'expression lecture du spectacle vivant , a laquelle renvoie

    Ie titre du present article, resiste difficilement a la logique para-doxal e, La f orr nu le semb le r eleve r de l' oxymore . Rancon de lademarche heuristique propre aux sciences, l 'usage du mot lecture,suspect d'impropriete en l 'occurrence, evoque d'abord nne opera-t ion rhetorique, cel le de la reduction: comme si 1 'epaisseur des ignes, la polyphonic appelaient une mise a plat methodolo-

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    Andre Helbogique. Le dechiffrement, l 'observation, l 'experimentation du spec-tacle vivant ne pourraient-ils se concevoir sans reference instru-ment al e au t ex te , ou du moins a des out il s penses pour l 'ecr it e tdetaches du corps producteur? Illusion des categorisations cultu-rel ies et des niveaux de per tinence qu' il impor te de soumett re al'analyse.La quest ion prejudiciel le , suscept ible d 'expliquer Ie blocage

    epistemologique de la lecture , pour reprendre Bachelard, ouvreensui te , on l 'aura cornpri s, cel le du savoi r exper t suscept ible decombiner une mul tipl ic ite de points de vue face a un objet com-plexe. Comment sai si r dans sa speci fici te le spectacle vivant? Dequelle maniere accompagner le processus par lequel le spectaclefai t sens? Comment renoncer a l a quest ion des invar iants, desunites, chere a l a lecture du verbal, pour adopter une posture plusfonda trice, moins reductrice?Pareille interrogation renvoie a la problernatique de ]'origine

    du sens. Abordee notamment par la semiologie, celle-ci concernetout objet d'apprehensiori, sans exclure les messages visuel et nonver bal . Un bre f det ou r pouna nous ecla ir er e t peu t-e tr e ai de r ad'emblee a vider l 'abces de la definition de la lecture.

    L'acte de dechiffrement:comprendre l'enonce et faire confiance

    Roland Barthes (Barthes 1964), a travers le concept de connota-t ion fai t reposer sur la coherence le principe de lecture . I l s 'agi tbien, pour Ie bon lecteur , de degager de l 'enonce, en l 'occur -renee v isue l (l 'a ff iche Panzani evcquee dans Rhetorique deI'image), un donne intangible inherent au message. On peut s 'in-ter roger sur la radical it e d 'une tel le demarche, ce que ne manquepas de f air e l a psychanal yst e Kri steva , Ce ll e-c i decele dans lap lupa rt des cho ix de co rpus , voi re dans l e commen ta ir e imma-nent de Bart hes , et a l 'insu de ce dernier , des marques externes,autobiographiques notamment. Voila que l 'enonce plenipotenti-a ire const ruirai t son lecteur autant que Ie lecteur const ruirai tI 'e nonce dans un mouvement d ial cg ique don i I e c rit ere s er ai texterieur au message. Panzani, 1972.

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    Andre Helbo Lire le spectacle vivant. Thematiser fapresenceSomme tout e, c et te con te st at ion par Kr ist eva du car ac te re

    totalitaire/normatif du sens revelerait deux attitudes semiotiquespossibles:- de description, de comprehension, d'interpretation de l 'enonce(point devue immanent, interne por tant sur les const ituants dumessage),

    - de const ruct ion de l 'enonce a par ti r de l 'exper ience propre dusujet e t de l 'interaction avec le monde (point de vue externe,integrant des donnees receptionnistes, d'abord culturelIes).

    Integrer Iesdonnees culturelles

    o o -.0L'anthropologie Ie rappelle a loisir, la representation implique uncer ta in nombre de codes sociaux (des inferences de scr ipts enpsychologie) qui erigent la lecture en acte de reconnaissance a lafo is cult ur e1 e t percep ti f, L 'Europeen ne s ais it l es donnee s n icornme un Americain nicomme un Africain nicomme un Oriental.Gombrich (Gombrich 1972) a bien montre, a travers une analyseillustre, que l 'icone mondialiste concue par des journalistes ameri-ca in s pou r f igur er sur la navett e P ioneer e t d ia loguer avec desextraterrestres presumes renvoyait en fait a des stereotypes cultu-rels (raciaux, generiques, ethiques, scientifiques) nationaux, arne-ricains en l'espece.L'activite semiotique ne peut sereduire a une operation simple:

    e lle se def init comme un ensemble de processus . A ce t it re , e llehierarchise differents registres cognitifs, culturels, voire affectifs.La semiotique comprend un niveau superieur culturel (I'interpre-ta tion) e t, nous a ll ons l e voir , un s eu il i nfe rieur qui pou rra it s ecomposer de bases rnaterielles, corporalisees,

    Human Existence Plaque. , USA: NASA [at tached to the Pioneer 10interstel la rspace probe].

    Au-dela du culturel: le corporelLa perception constitue une dimension fondamentale dela lecture.Un exemple illustre l 'atteste: celui de la representation du rhino-ceros sur les toi les deDurer. Toute l 'his toire de I 'art e tde lapeda-gogie est inf luencee par la representat ion chime r ique, erroneernais extremement judicieuse, et paradoxalement zoologiquementcor recte, du rhinoceros de Durer . Le peint re a dessine sur Iedosdel 'animal une pet it e dent denarval (ce que l 'on considerait a lorscomme une corne de licorne); il a croque les plis de la peau durh inoce ros comme 1es p laque s de l a car apace d 'un c rusta ce , ain ter pr et e l e r endu de l a peau de s pat te s comme des ecai ll es derept il e ou de pat te s d 'o is eau, et a a ffubl e l' an imal d 'une queued'elephant.Umber to Eco precise dans La structure absente (Eco, 1972)

    que les ecail les et les plaques sont I 'information visuelle la pluspertinente pour caracteriser la peau rugueuse du rhinoceros, dansla mesure ou cet te representat ion t raduit le t rai t per tinent leplusreconnaissable du point de vue de la percept ion humaine. Aucun

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    Andre Helbo

    Albrecht Durer, Rhinoceros.appareil photographique ne permet de reproduire ce code ~er-cep ti f. Au-de la du cul tu re l, l e des sin apparai t comm~ la , se lect lODd' un tra it de reconna iss ance percu. Le r egard huma in r eagit faceau par chemin de 1a p eau du pachyderme et proj ett e sur la toi le saperception. Chaque spectateur de l'image a retrouve dans salecture le trait perceptif de reconnaissance.Po ur defi nir l a le ctur e, pl usi eurs seui ls sont done a prendr e en

    compte dont le s donnees se nsori ell es, percept ives const it uent l apremiere limite.Deux positions, on l'aura constate, s' affrontent sur le ~la~theor ique pou r def in ir 1a lecture e t que l 'on peu t r eformu le r ams i:_ La demarche platonicienne, de type idealiste, affirme que le

    se ns n' a pas de fondement phy sique et que l' expe rien ce n' ~ pasde sens. La coherence e st l e c r it er e s igni fi an t ( a tt l t ude rationa-l is te qui separe l 'i nt el li gibl e du monde sensibl e) , a lo rs que l 'ex-perience est consideree comme non signifian~e. ,La demarche peircienne, de type pragmatique, pretend quel 'objet reel declenche 1asemiose ; l'experience entraine l 'hypo-these et l 'abduction (Peirce).

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    Lire le spectacle vivant. Thematiser fapresenceLire le spectacle vivant

    Qu'en e st -i l en mat ie re de spectac le v ivan t? 11semble que la b ipo-larite fcndee par 1asemiologie classique de la lecture soit depassee.Les donnees de l 'enonce p rodu it e t c el le s de l 'exper ience recep tivesont indissociables.La lec tu re du spectac le v ivan t e st e ssen ti el lement I e f ru it d 'uneexper ience d 'e change determinee par l a f igu re du p ro je t spectacu-l ai re . Ce p ro je t s e p re sente sous forme de suggest ions , de s ignauxa l 'a tt en tion con jo in te du spectat eu r e t de l 'a ct eu r e t qui r envo ienta des cont rai ntes d iff erent es, La premie re i nst ance du pro jet es thist ori quement en Europe I' au teur du text e. Mai s cet te fi gure vas ubir des metamorpho ses et int egrer pr ogress ivement d' autr esmodes d 'instanciation plus collectifs.Dan s ce tt e opti que, I es c ompet ences r equis es par l' ana1yse du

    spectac le v ivan t e t qui fondent l ed i scou rs descr ip ti f r el even t d 'unemorphologie a plusieurs actants.L 'a nti nornie fond ament ale di sti ngue, cert es, le fa ire et l e voi r

    (spectare, theatron). La Pratique du thedt re de Hedel in d 'Aub i-gnac (Pa ri s, 1657) , qui va inf luence r duran t des decennies l 'e sthe -ti que t heat ral e, va li de l e proj et dramatur gique comme ecr it uret ex tuel le , L 'auteu r e st celui qui a t enu la p lume!Le ch amp de le git imati on s' ouvr e aux cond iti ons de la rep re-

    sen ta tion au XVl l l " s ie cl e chez Remond de Sa in te -Alb ine, l eque lprend en compte l e tr avai l sceni que et l e r ole des a cteur s. R icco-boni (Dell'Arte rappresentativa, 1728) et Diderot (Le paradoxe surle comedien, redige a pa rti r de 1769) pres enter ont l es pr emi erstraites europeens partant du point de vue du comedien mais let exte dramat ique cons erve ch ez eux tout e sa pr egnance. Le j eu ducomedi en est un s ignal au spec tat eur. La quali te prem ier e de I' ac-t eu r demeure l e f a it de sou ligner 1a I is ib il it e du p ro je t de l 'aut eu r.La moderni te s igne l 'avenement d' un nouvea u dis cours, cel ui

    du metteur en scene, mais qui, en un premier temps demeuredet erm ine par les s ubordi nati ons s ecula ire s: Ant oine, i nven-teur de l a mi se en s cene moderne, defi nit la m iss ion du Thea treli bre en 1887 comme soumis e au proj et text uel de l 'auteur . Il fautattendre Wagner (L'auvre d'art de l'avenir, 1850) pou r r es ti tu er autra vail s cenique une au tonomic dign e de ce nom.La distinction entre Iefonctionnel et le significatif, l 'interpella-

    t ion de l 'e cr it ur e t ex tuel le par l 'e cr it ur e scenique chez Brech t cou -ronnent l 'emergence d 'un d iscour s ouver t a la r iche sse de 1a repre-sentation en actes et a l 'ins ti gati on du s ens. Le parad igme

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    Andre Helbopostdramatique, postbrechtien, propose par Hans-Thies Lehmann(Lehmann, 2003) f ixe et defmi t cet te autonomisat ion de J ' evene-mentialite scenique.A par ti r du vingt ieme siecle la f igure de l 'auteur evolue done.La morpho logi e s e dec line dans de nouve ll es combinai sons ettend a effacer le clivage ent re product ion et reception. Elle s 'ac-tualise a travers trois modalites du faire:Le faire-voir:lemetteur en scene et, accessoirement, le comedien se reappro-p ri en t le s ta tu t d 'au teur. La f orr nu le de Dort , Ie v ingti emesiecle est malade de son met teur en scene souligne l 'impor-t ance des pedagogues de la mi se en scene An to ine, Ar taud ,Grotowski, Fa, Strehler, Vitez dont le role supplante progres-sivement celui de l'ecrivant.

    Le voir-faire:en miroir attentif non seulement a la fiction mais au dispositif,l eregard du spectateur sebi fide en_ spectateur empirique, qui epouse les suggestions du metteuren scene,_ et spectateur exper t: celui -c i, a tt enti f aux processus et auxproductions plutot qu'au prcduit, incarne en principe le savoirexper t. L 'i dee d' un spec ta teur sens ib ili se par s a p rat ique dereception fait son chemin.

    Le faire-(re)faire:Grotowski , au Col lege de France lors de l 'inaugurat ion de lachaire d'anthropologie theatrale, evoque les arts du faire, pro-voquant ainsi une espece de b ig bang dans l 'hi sto ire de latheatrologie. 11attire l 'attention sur la performance creatricedu comedien (performeur), qui accede de la sor te a un statutd'auteur. Le comedien devient a l afois lepeintre et sa toi le : sacorporeite pure, degagee de l 'ontologie ou de la dramaturgie ,son travail corpor el l e det achen t de tout p ro je t qui l ui s era itexterieur et le spectateur participe au geste performatif.Si la posture du savoir expert (la lecture) s'apparente

    aujourd 'hui , comme nous venons de le rappeler, au voi r- fa ire,dans quelles conditions l'analyse s'exerce-t-elle?Le discours scientifique, reproductible et objectif, sur le spec-tacle vivant rencont re t rois problemes que les aut res sys temes designes (image au texte) ne suscitent guere aussi explicitement. 11sconcernent la problematique de l 'objet.

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    Lire le spectacle vivant. Thematiser la presence1. La notation d'un corpus ephemere et labile pose quest ion. Lest races, tant du t ravail prealable que de la representat ion, sontsujettes a caution: il s'agit parfois de sources documentairessecondaires (texte, cahier de mise en scene, carnet de directionartistique, lignes de conduite, ecrits de travail , premieres ver-sions, notes du souffleur, notes d'observateurs exterieurs, assis-tants a la mise en scene) voire des corpus sociologiques (entre-t iens ouvert s, f err ne s, avec e t s ans di rec tion s tr uc tu re e,descriptions ethnographiques denses, recueils de litteratureorale, carnets de terrain, enregistrements). La multiplicationdes documents peut constituer une bases d'etudes interessantesmais n'eclaire pas le chercheur sur Iefonctionnement de l 'objetet de la construction/reception des processus.L'archivage des representat ions ne peut s 'operer de maniereneutre : la captation video, laphoto sont des t raduct ions en unautre langage.Subsiste finalement la vision personnelle repetee et experte, quireflete l 'attention critique, les idiosyncrasies et la sensibilite del'observateur. Outre le problerne du support, celui de lamet hode r eti endra des lo rs l' att en ti on. Que note r? Les pos -tures, details visuels, chronometrages de scenes entieres, blok-kings (configurations)? Comment proceder? La copieverbale n 'echappe pas a des formes de colonialisme culturelque la notation en danse a longtemps repercutees (notammentchez Jehan Tabourot, Feuillet et Laban).

    2 . La sub je cti vit e du r egar d const itue un obst ac le ma jeur qu' ilconvient d'assumer: l 'analyste doit apprehender les variablestacites de sa propre percept ion, qui per turbent leprocessus desaisie ou qui determinent la reconstruction selective du message.L'hurneur du moment, la place dans la sal le , l es schemas inter -preta ti fs qui ont ant ic ipe ou f il tre la selection, la degradationde l a memoir e ou I a r econstr uc ti on du mes sage consti tuen tautant de facteurs qualitatifs a objectiver, Il est impossible dereconstituer des processus, de proceder a des copies verbalessans passer par lerendu de sa propre percept ion: video, l ivre t,copie verbale sont indissociables du vecu de l 'evenement. Unep recauti on u til e, le t rava il de consc ience , de cure a operer,consiste a ident if ier le role que joue la mernoire, a saisir lesresonances cognitives ou emotionnelles personnelles. L'objectifest de tendre vers l 'e laboration d'un objet d 'e tude scienti fiqueplus global, reproductible, confronte a plusieurs modeles inter-preta ti fs (et qui prenne en compte aut rement les emotions pro-

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    Andre Helboduites et revues). L'ethnoscenologie assume ainsi sa subjecti-vite consciente, par des variantes de I'observation participante,degagees de tout ethnocentrisme , sans echapper parfois a las ingulari te d 'un discours rhizomatique. Dans ce contexte, lechercheur en spectacle vivant ne pourra que singer Iademarcheanthropologique et completer sa competence unique (pouruti li ser le jargon de l 'e thnoscenologie) par l 'observation dedetails (expression corporelle, vocale, mouvement, scenogra-phie) moins apparents a ceux dont l 'exper ience est exter ieureaux arts du spectacle.3. L'exteriorite du point de vue pose problerne a tous les stades dela creat ion: ceux de laprotoper formance, dela per formance etde la postperformance.La genetique du spectacle vivant affronte de telles difficultes apropos de l 'avant-spectacle (repetitions, filages, reprises). Lespositions d'ethnologue, d'observateur direct, dobservateurparticipant ou de descripteur du terrain (la repetition) reactua-l isent les memes def is : comment prendre ses dis tances , fai reune description epaisse, identifier la culture groupale, relier lesrepet it ions ent re elles , def inir objectivement les reperes quiguiden t Ie pal impse ste de la r epeti ti on ou l' imaginai re dugroupe?De facon analogue, pour le scientifique, l 'accueil du spectaclerealise, les relations a la critique, les contraintes de la postpro-duction, les reprises d'apres-spectacle se heurteront a des obs-tacles methodologiq ues,La posit ion du serniologue par rapport a cette problematique

    du savo ir exper t permet , quan t a elle, d'ouvrir a la recherched'autres avenues.En effet , pour la semiologie conternporaine Ieproblerne de lalecture ne sepose pas du point de vue descr ipti f- interpreta ti f ( laquest ion de la notat ion mene a I'impasse; indice non negligeable,ledecouragement de Schechner , a la conference TDR de Londresen 2006 avait incite a demander un moratoi re sur la theor ie i). Lasemiologie peut sepermet tre de prendre au mot la mise en gardede Schechner et tenter une approche scientifique plus fondamcn-tale que celle de lanotation descriptive. Passer du niveau interpre-tatif de l'analyse phenomenologique a une perspective plus evolu-tionniste/interactionnelle, evoluer de l 'intuitif vers l 'inferentiel,t el s sont l 'enjeu et le defi,

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    Lire le spectacle vivant. Thematiser la presence11 s 'agi t en somme de rcnoncer aux invar iants, d 'oser le scan-

    dale dela recherche fondamentale et de poser la question L'objetspectacle existe-t-il? ,La modelisation du parcours de sens (par exemple la hierarch i-

    s at ion que l es fo rma li ste s ru ss es ou Patr ic e Pav is i ll us tr en t atravers les vecteurs) s 'engage dans cet te voie etmet l 'accent sur lesprocessus . L'acteur est vu comme mai llon d'une texture corpo-relle (un gestus) ou narra tive , dont ladynamique t raverse Iespec-tacle et qui peut etre model isee ou simulee, 11s'agit de sor ti r ducadre descr ipti f pour aller vel 'S une hierarchisation de parcourssaisis de facon multidisciplinaire par la multiplicite de poi nt s devue de l 'observateur . La visee propose un survol aussi large quepossible, rearticulant sensibilite, perception, cognition et interro-geant Iemoment du processus ou se produit la semiotisation.Au-de la de ce tte p remie re tent at ive sur Ie s ens, s' impose l a

    necessite d'interroger la modelisation des deux traits pertinentsident if ies en debut d 'art ic le ( Ia presence et la cornplexi te) e t quifondent l'enonciation spectaculaire.1. Une premiere approche consiste a etudier les constructionsprototypees proposees par Ie savoir incorpore des praticiens.Celui-ci integre les acquis sociaux et culturels de la tradition,orale ou ecr ite, dans des tenta tives demediat ion qui met tent enevidence l 'interaction ent re lemonde et le sujet . On peut ainsiesperer mcdeliser des comportements collectifs de monstration,de travail sur soi, de construction du corps observe, de produc-tion anterieure a toute signification de l 'energie en scene, d'in-teraction entre la cognition, l'environnement, l'observateur.Bien des me tteur s en s cene e t d ramat ur ge s devel oppen t unereflexion relative a ces questions.Ainsi Stanislavski prend appui sur une par ti tion ent re lecorpset l 'espri t pour evoluer vel 'S la cogni tion incarnee. Le corps ,entraine a repondre ala moindre stimulation interieure, sedefi-nirait comme mise en tension.Meyerhold, dans ses Etudes, integre l 'affect dans legeste: inten-tion du mouvement, accomplissement, pause, articulation aautrui constituent aut ant desyntagmes d'une syntaxe kinetique.Copeau, inspire par l'athlete affectif d'Artaud, singularise deseta ts de conscience associes au mouvement ; la repet it ion del 'exercice permet au comedien de se reconnaitre progressive-ment. La conscience du mouvement est le moteur de l 'evolu-

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    Andre Helbot ion personnel le . Les pratiques corporelles ent ra inent la mai -trise de l'energie.Grotowski ne conceit pas autrement Yorganicite de I 'acteur : Iecorps ne res is te plus a un processus psychique dont i l serai t dis -socie, il1'incarne. Les pulsions internes sont deja des reactionsa des s timulations externes. Ce qui est donne a voi r au specta-teur ce sont des impulsions rendues visibles,Jousse precise en anthropoJogue cette correlation en articulantjeu e t rejeu. Un processus de reemergence permettrait au spec-tateur, devenu spectacteur, de s' appropr ie r e t de r eact iver Iet ravail scenique. Pour Peter Brook, I 'exper ience theat ra le serapporte a un evenement corporel (actions et emotions) realiseet observe de facon identique par acteurs et spectateurs.Barba developpe une theor ie de la preexpressivi te et des tech-niques de generat ion d'energie . La presence anter ieure it larepresentation permet de degager une veritable anthropologietheatrale,

    On l 'aura remarque, lediscours des praticiens met en exergue:_ la dimension perceptive, non exclusivement visuelle, de l 'enon-cia tion scenique ; des chercheurs cornrne Schechner (RasieTheater) ou Turner (Ie cerveau abdominali ins is teront a leurtour ulterieurement sur le syncretisme du percept;l erole de la corporeite, entendue comme miroi r de processus/stimulations internes emotionnels, energetiques et psychiques.Plusieurs concepts traduisent cette prise de conscience: I 'induc-t ion physique de l 'emotion et de l 'energie , l es exercices phy-siques associes ala maitrise des etats de conscience, lapresencescenique anterieure a l a representat ion, la sornatici te , pourreprendre l 'expression de Michel Serres;le caractere fondateur de l 'exper ience qui se decline a traversl 'emergence/la reemergence du jeu (rejeu), la partitionlla sous-par ti ti on , I' appr opr iat ion par Ie spect at eu r de l 'e ne rg ie , dumouvement, de lamemoire sceniques, lafusion entre l 'observa-tion et l'action,

    2 . Une deuxi eme app roche peu t r ef ere r au s avoir g raphi que e texaminer les modelisations pluridisciplinaires de la presence etde la cornplexi te . On ne s 'e tonnera guere d 'a il leurs de t rouverentr e l es deux formes d 'ep is te rne des cor re la tions voir e desreformulations pregnantes.

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    Lire le spectacle vivant. Thematiser lapresenceS'impose d'emblee un contexte philosophique, celui de la phe-nomenologie de laperception. Selon Merleau-Ponty, larnanieredont nous percevons Ies objets est conditionnee par les possibi-lites d'interaction que notre corps entretient avec ces objets.La f igure de Jakob von Uexkull (Von Uexkull , 1934) , consi -dere cornrne Iefondateur de la biosemiotique, est peut-etre plusper tinen te encor e. Pou r Von Uexk iil l, l' Umwelt designe Iemonde-vie , c 'est -a-dire la somme complete des elements qui ,du fait des proprietes sensori-motrices intrinseques d'un indi-vidu, font senspour lui e tqu 'i l peut des lors uti li ser pour guiderses act ions . Ainsi , l 'environnement est considere comme unememoire externe a partir delaquelle l 'individu, dote deconnais-sances sur les loi s d 'exploration de cet te memoire , pent agi r,controler et percevoir.La psycho logie cognit ive p reci se la noti on d'embodiment.Eti enne Labeyri e (Labeyrie 1986), col labo ra teur CNRS deRene Thorn, s'interesse en pionnier a la perception spectacu-l air e, qu' il qual if ie d 'hol og raph ique e t d 'i nfl uencee par l emilieu. 11confronte ainsi la perception logique, lineaire liee a lamemoire (adherant a un support stable qui permet d'anticiper),a la perception spectaculaire, propre a un espace de dis tanceent re elements, qui repere laposi tion de tous les points les unspar rapport aux aut res (espace a plusieurs dimensions, dit deH il be rt ). La memoire spect acul air e e st c ell e du g roupe endanger qui sesolidarise; chaque individu sesitue par rapport al a posit ion de l 'ensemble. La defense d 'une meute face au pre-dateur, l ecompor tement d 'a ide appor tee par une foule a unepersonne qui a un malai se ernanent d 'un individu col lect if . Lamernoire de ce dernier, archaique et inconsciente, est sensibleaux ambiances. Ainsi reagit lepublic (par empathie, sympathieou agressivi te a l 'egard de l 'acteur : quelque chose se passeent re scene et sal le). Le spectacle vivant t raduit la memoirelogique en memoire spectaculaire. L'environnement, Vumweliinfluence la decision, l 'action, la cognition, le sens.Paul Bouissac (Bouissac, 2010) distingue egalement dans l 'ap-proche ethologique de laparade animale des modeles dela pre-sence partagee.L'e thologie connait un phenomene col lect if a ttes te dans denornbreuses especes animales et auquel Jes scienti fiques ontdonne le nom technique de 'lekking', t erme der ive du verbesuedois " Ieka" qui s igni fie " jouer " . Ce terme designe un com-por tement qui consi ste pour les males d 'une espece a dernar-

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    Andre Helboquer une aire de representat ion sur laquelle i ls sel ivrent a desprouesses physiques ou font eta lage de quali tes "es thet iques "(plumage, danse, decorations) , Cette presence combinedepense d 'energie et surdeterminat ions r isquees de signauxvisuels et acoustiques a l'attention de predateurs potentiels.Paral le lement , l a presence d 'un acteur et d 'un public cor res-pond formellement au phenornene socia l du 'mobbing', termedesignant dans le vocabulaire technique de I'ethologie la for-mation d'un groupe hostile qui confronte un individu juge dan-gereux, et qui recouvre dans sa strategic formelle le processusd 'e limination du bouc emissai re , Dans des spectacles decorr ida , le s r eact ions de l a f ou le peuvent e tre p ro je cti ve s e tincontrolables. Au theatre, Ietrac s'apparente a cette consciencede lapresence et dela rencont re du public.Le neuromarket ing a focal ise l 'a tt ention des chercheurs sur lerole du systeme dopaminergique qui secrete dans certaines cir-constances une hormone euphori sante dite de la recompense,la dopamine. La recherche porte sur les conditions complexesqui stimulent la production de dopamine dans Ie cerveauhumain par le re lai s de cent re genera teu rs de s at is fa ct ion(reward centers) qui sont actives par des activites vitales (nour-r iture, sexe, dominance, reali sa tion d 'une tache) mais egale-ment par Iespectacle d 'act ions ant ic ipees qui atteignent leurbut , ou merne, paradoxalement, qui y echouent (Bouissac ,2010). L'etude experimentale ouvre des perspectives interes-santes sur les emotions suscitees par Iespectacle vivant et intri-quees dans des phenomenes cognitifs portant sur les structuresd'anticipation (la fable, l 'evenement scenique, ledesir). Le roledela dopamine dans lapers is tance de lamemoire a long termeapporterait aux theories de Labeyrie une confirmation croisee.L'idee d'espace d'actions partagees, d'experience d'acteur res-sai sie par un acte du spectateur est e tudiee par les neuros-ciences.Les neurones miroi rs (Giacomo Rizzolatt i e t Corrado Siniga-glia, 2008) (designant le fait que I'empreinte neuron ale de 1'ob-servation d'une act ion est la meme que cel Ie qui marque l 'ac-compli ss ement de l' ac ti on ) el imi nent l es f ronti er es entr eprocessus perceptifs, cognitifs et moteurs: actions et emotiond'aut rui sont par tagees grace a l 'act ivat ion de neurones quireconnaissent l'information sensorielle sur base des possibilitesd'actions qu'elle offre (independamment du fait que ces possi-bil it es puissent e tre concretement reali sees au non). Mouve-

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    Lire l e spec tacl e v ivant. Themati se r fa presencement e t emo ti ons son t r econnus e t compri s comme des act essuscep ti ble s d 'e tr e accomplis par le spec tat eu r ( on par le depatrimoine neuronal, de vocabulaire des actes).La d ist inct ion entr e l' ac ti on e t I 'obse rvati on s' es tompe: l asaisie neuronale immediate cognitive du mouvement supplantel 'idee d'une chaine differentielle reliant perception, cognition etmouvement.Malgre les croisements , chaque discipl ine approfondit dif fe-

    rents aspects de la relation triangulaire entre etres humains, envi-ronnemen t ext erne ( comprenan t notammen t l es autr es e tr es. humains) et mediation cul turelle, analysant les artefacts qu'el leeli t comme objet d 'e tude selon des methodologies dif ferentes ,dans Iebut de remonter aux structures et aux mecanismes (cogni-t if s, t extuels, sociaux, affecti fs ou d'aut re type) de fonct ionne-ment. Dans cet te perspective , quel est l 'appor t speci fique de lasemiotique a l 'etude du spectacle vivant?L 'e tude du spect ac le v ivant appe lle des que st ions de natu re

    epistemologique.Sila semiotique peut apporter quelques suggestions, c'est parce

    qu'el le apparai t comme un out il model isant mais qui ne peut eireconcu que de maniere interstit ielle: en interface avec d'autres dis-c iplines (Helbo, 2007) . L'hypothese de t ravail est que n 'impor tequeUe ana lyse s e p rodu it s ur le f ond d 'un mode le exp li ca tif (e tnon pas simplement descriptif) des phenomenes etudies,Une semiologie en dialogue avec les sciences sociales et les neu-

    rosciences peut prendre en charge la problernatique de la sernioti-sation a pa rti r du per cu , La semio tique pei rci enne j oue un ro lemajeur parce qu'el le reint rcduit l 'objet dans la theor ie du signe,mai s seul ement comme obje t v is e. I I import e d 'al le r au-dela ,d 'imaginer que lemonde, l 'externali te , Ie corps , Ie sys teme phy-s ique peuven t e tr e I epoi nt de depart du s ens . Le temps e st venupou r l a semio log ie de s edemande r si I e s igne peut p rocede r del'experience qui oriente l'action.La noti on decor ps p ropr e a p lu s ou moins di spar u de l a s cene

    philosophique apres Iecourant phenomenologique initie par Mer-leau-Ponty (Merleau-Ponty, 1945). Elle reflue neanrnoins recem-ment a travers le debat entre lecourant cognitiviste classique et lecourant dit de la cognition incarnee.La semiologie en affrontant l 'experience cognitive n'hesitera

    pas, pour reprendre une expression utilisee a maintes reprises parEco, a mettr e l e nez dans l a bo ite neu rona le e t a s'allier aux

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    Andre Helboautres disciplines pour relever le defiprincipal que pose l 'etude duspectacle vivant: celui de model iser la corporeite, Ayant fai t sondeuil des theor ies qui separent product ion et reception du sens,pou r aborde r l e collectif d'enonciation , la serniologie retrouvesa vocation fondamentale.A cett e s eu le condit ion, I edebat depas se ra l a que sti on de l alecture ou plutot l 'ouvri ra a cel le du savoi r exper t, qui condi -t ionne l 'apprehension du spectacle vivant pour aff ronter la pro-blematique de l 'origine du sens. Dans cet te opt ique, la presence,thematisable en dehors de toute ontologisation, fournit a la semio-t ique un objet de choix.

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