l'inquiétante inertie française (de greef-madelin, janvier 2014)

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L’inquiétante inertie française Marie de Greff-Madelin Le Spectacle du monde n o 607 de janvier 2014. Trois fois moins compétitive que l’Allemagne, la France se place parmi les cancres de la zone euro. L’Angleterre est la championne des réformes. L ’EUROPE sort lentement mais sûrement de la récession. Avec un PIB en hausse de 1,1% prévu l’an prochain, l’économie repart dans la zone euro. . . sauf en France. La croissance du pays sera quasi nulle en 2013 et, s’établira, selon Standard & Poor’s, à 0,6% l’an prochain, soit trois fois moins que l’Allemagne. L’hexagone se classe désormais derrière l’Espagne et juste devant l’Italie... Par sa politique économique, le gouvernement, qui avait annoncé une croissance de 1,7% pour cette année, a creusé l’écart entre les pays qui progressent et la France qui bascule en mauvaise posture. Tous les moteurs de la croissance sont à l’arrêt. Le moral des chefs d’entreprise est en berne. Les carnets de commande dans l’industrie ne progressent plus. L’investissement dans les sociétés, jugé comme le « problème structurel de l’économie » de l’aveu même du Ministre de l’Économie Pierre Moscovici, est en panne. La profitabilité des entreprises est parmi la plus faible de la zone euro. Les exportations, mises à mal par un euro fort, s’effondrent, entraînant un déficit commercial de 2,4% du PIB. Le chômage frappe 10,9% de la population active alors qu’il diminue dans le reste de la zone euro. François Hollande n’a pas tenu sa promesse : il n’a pas réussi à inverser la courbe du chômage avant la fin de l’année 2013 comme il s’y était engagé. Le secteur privé continue de détruire des emplois, ne compensant pas les créations de postes subventionnés dans le public. Partout à travers la France, les plans sociaux se multiplient (la Redoute, Alcatel, Air Liquide, Fagor-Brandt. . .) La principale problématique repose sur le coût du travail ; comment être compétitif avec de telles divergences de coûts unitaires à l’intérieure de l’Union européenne et la faible productivité de nos entreprises ? « La France n’est plus en capacité de créer de la richesse », a écrit Standard & Poor’s début novembre pour justifier la dégradation de la note de la France, 1

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L’inquiétante inertie française par Marie de Greff-Madelin in Le Spectacle du monde no 607 de janvier 2014.

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Page 1: L'inquiétante inertie française (De Greef-Madelin, janvier 2014)

L’inquiétante inertie française

Marie de Greff-Madelin

Le Spectacle du monde no 607 de janvier 2014.

Trois fois moins compétitive que l’Allemagne, la France se place parmi lescancres de la zone euro. L’Angleterre est la championne des réformes.

L’EUROPE sort lentement mais sûrement de la récession. Avec un PIB enhausse de 1,1% prévu l’an prochain, l’économie repart dans la zone euro. . .

sauf en France. La croissance du pays sera quasi nulle en 2013 et, s’établira, selonStandard & Poor’s, à 0,6% l’an prochain, soit trois fois moins que l’Allemagne.L’hexagone se classe désormais derrière l’Espagne et juste devant l’Italie. . . Parsa politique économique, le gouvernement, qui avait annoncé une croissance de1,7% pour cette année, a creusé l’écart entre les pays qui progressent et la Francequi bascule en mauvaise posture.

Tous les moteurs de la croissance sont à l’arrêt. Le moral des chefs d’entrepriseest en berne. Les carnets de commande dans l’industrie ne progressent plus.L’investissement dans les sociétés, jugé comme le « problème structurel del’économie » de l’aveu même du Ministre de l’Économie Pierre Moscovici, esten panne. La profitabilité des entreprises est parmi la plus faible de la zone euro.Les exportations, mises à mal par un euro fort, s’effondrent, entraînant un déficitcommercial de 2,4% du PIB. Le chômage frappe 10,9% de la population activealors qu’il diminue dans le reste de la zone euro.

François Hollande n’a pas tenu sa promesse : il n’a pas réussi à inverser lacourbe du chômage avant la fin de l’année 2013 comme il s’y était engagé. Lesecteur privé continue de détruire des emplois, ne compensant pas les créations depostes subventionnés dans le public. Partout à travers la France, les plans sociauxse multiplient (la Redoute, Alcatel, Air Liquide, Fagor-Brandt. . .) La principaleproblématique repose sur le coût du travail ; comment être compétitif avec de tellesdivergences de coûts unitaires à l’intérieure de l’Union européenne et la faibleproductivité de nos entreprises ?

« La France n’est plus en capacité de créer de la richesse », a écrit Standard& Poor’s début novembre pour justifier la dégradation de la note de la France,

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la seconde sanction infligée à notre pays en dix-huit mois. Après les agences denotation, la Commission européenne a agité à son tour le chiffon rouge. Elle pro-nostique une poursuite de la montée du chômage, qui pourrait, selon elle, atteindre11,2% en 2014 et davantage en 2015, et s’inquiète des dépenses publiques, dontla baisse annoncée par le gouvernement est jugée « irréaliste ».

Au printemps 2013, Bruxelles a donné deux ans à la France pour ramener sondéficit sur le seuil sécuritaire de 3%. La Commission européenne estime à présentque le pays n’a aucune chance de parvenir à cet objectif et prévoit un taux de 3,7%à horizon 2015. À force de reculades, (sur la taxation de l’épargne, des bénéficesdes entreprises, de l’écotaxe. . .), le gouvernement est face à un manque à gagnerfiscal. Là où il attendait 25 milliards de recettes d’impôts supplémentaires, il ena comptabilisé seulement 11,2 milliards fin 2013. . . Selon Olli Rehn, le commis-saire européen chargé des dossiers économiques, « le pays n’a aucune marge demanœuvre ». Il rappelle que la France est l’un des seuls pays européens où ladépense publique atteint 57% du PIB. La comparaison de la France avec ses pairseuropéens devient de plus en plus problématique. Le redressement des finances auPortugal est spectaculaire (le déficit courant est passé de 10% en 2011 à l’équilibrecette année). L’Irlande, qui souffrait d’un déficit de 5%, s’offre même le luxe d’unexcédent de 5%. Pour couper dans les dépenses publiques, la Commission incitele gouvernement français à entreprendre sans attendre de « sérieuses réformes »

Artisan d’un plan d’austérité sans précédent, l’Angleterre a annoncé des pré-visions de croissance en forte hausse, à 2,4% l’an prochain (contre 1,8% prévu il ya quelques mois). Grâce à un plan de 81 milliards de livres de coupes budgétairesemtre 2011 et 2015, ses dépenses publiques atteignent leur plus bas niveau depuisl’après-guerre. L’objectif est de parvenir à un excédent des finances publiques en2018.

Le gouvernement britannique a aussi gagné son pari sur le front de l’emploi.La courbe du chômage s’est inversée, avec un taux de sans-emploi à peine supé-rieure à 7%. Sur l’année, 400 000 postes ont été créés. Pour un emploi supprimédans le secteur public, trois postes ont été créés dans le secteur privé ! À l’opposéde la France, le gouvernement de David Cameron a mis en place une politiquefiscale accommodante. ll a diminué l’impôt sur les sociétés de façon simple etlisible, de 24 à 20%, de manière à « dérouler le tapis rouge » — comme il l’avaitpromis en juin 2012 — aux investisseurs étrangers. Il a réduit le taux d’impositionmaximum sur le revenu, passé de 50 à 45% pour les revenus supérieurs à 150 000livres (180 000 euros) et préservé le capital des épargnants. Outre Manche, le tauxd’imposition des plus-values de cession des valeurs mobilières est de 18% quandil peut atteindre 62,2%en France !

« Le programme économique de la Grande-Bretagne fonctionne », a claméle ministre des Finances George Osborne début décembre. Mais il ne veut pas

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pour autant renoncer à sa politique d’austérité : 3 milliards de livres de coupesbudgétaires supplémentaires sont prévus d’ici à 2015. Et il demande des effortssupplémentaires au peuple britannique. L’âge de la retraite, actuellement fixé à 65ans, sera repoussé à 68 au milieu des années 2030 et 69 en 2040. Les Britanniquestravaillent en moyenne 25% de plus que les Français. . . et ont un pouvoir d’achatsupérieur d’un quart. Il n’y a pas de miracle britannique, mais du pragmatisme.

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