l’innovation au service du - economie.gouv.fr · –la typologie selon l’objet distingue quatre...

15
L’INNOVATION AU SERVICE DU CLIMAT MARC BAUDRY Responsable du pôle innovation de la Chaire Economie du Climat Professeur à l’Université Paris Ouest Nanterre la Défense 1

Upload: hahanh

Post on 10-Sep-2018

215 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

L’INNOVATION AU SERVICE DU CLIMAT

MARC BAUDRY

Responsable du pôle innovation de la Chaire Economie du Climat Professeur à l’Université Paris Ouest Nanterre la Défense

1

Introduction

• L’approche générique de l’innovation en économie

– Sa définition et sa mesure

– Pourquoi des politiques d’innovation?

2

• Un signal prix du carbone peut-il suffire à orienter l’innovation en faveur de la transition énergétique?

– Signal prix et consommation d’énergies fossiles

– La paradoxe d’une politique bas carbone généralisée

– Vers une politique d’innovation dédiée

Domaine Activité Résultat Indicateur

Science Recherche (spéculative

ou finalisée)

Découverte

scientifique

Effort de R&D (input)

Publication

académique (output)

Technologie Recherche appliquée Invention Effort de R&D (input)

Brevet (output)

Economie/Société

Développement

industriel et

commercial

Innovation

Brevet (input)

Valeur ajoutée, retour

sur investissement

(output)

Approche générique de l’innovation

3

• L’innovation est un chaînon dans un processus plus large de création de connaissances dont on peut identifier trois grandes étapes qui se différencient par

– Le domaine au sein duquel elles entrent en œuvre

– L’activité qui les caractérise

– Le résultat qu’elles produisent et l’indicateur permettant de mesurer (même imparfaitement) ce résultat

L’enchaînement des différentes étapes avec d’éventuelles rétroactions définit le progrès technique

Approche générique de l’innovation

4

• Au sein même des innovations on recourt souvent à une typologie en fonction de l’objet

– La typologie selon l’objet distingue quatre types d’innovations (manuel d’Oslo, OCDE, 2005) :

• Innovation de procédé (mise en œuvre d’une nouvelle technique de production)

• Innovation de produit (mise sur le marché d’un produit offrant des caractéristiques nouvelles ou répondant à des besoins jusque là insatisfaits ou mal satisfaits)

• Innovation organisationnelle (l’organisation des tâches, les ressources humaines, l’organigramme de décision, les relations avec clients et fournisseurs sont repensées)

• Innovation marketing (modification du design d’un produit ou de la manière de le vendre)

Approche générique de l’innovation

5

• Pourquoi faut-il des politiques publiques de l’innovation?

– L’innovation s’appuie sur la production de savoir qui présente une des caractéristiques des biens publics

• Non rivalité dans l’usage (le savoir n’est pas détruit par l’usage et peut donc servir à plusieurs innovations à la fois)

• => celui qui génère un savoir ne peut pas capter toute la création de valeur à partir de ce savoir

• => la différence entre rendement privé et rendement social de l’innovation est à l’origine d’un déficit d’incitation

• => il y a un sous investissement structurel en innovation de la part des agents privés

Approche générique de l’innovation

6

• Il y a donc nécessité d’une intervention des pouvoirs publics

– L’asymétrie d’information sur les capacités de chacun à innover empêche une planification de l’innovation

– Il faut donc recourir à des instruments incitatifs

• => aucun instrument incitatif n’est parfait, ils nécessitent tous de mettre en balance les avantages en termes de correction du sous investissement et les désavantages en termes de distorsions introduites

• Soit en réduisant le coût de l’effort: subvention à la R&D, Crédit d’impôt recherche – Mais nécessite des fonds publics collectés généralement de manière distortive (la fiscalité n’est pas un

pur transfert mais génère une perte de gains à l’échange sur les marchés taxés)

• Soit en augmentant le rendement de l’effort: brevet qui accorde un droit d’exclusivité temporaire sur les exploitations commerciales et industrielles de l’invention

– Mais génère une distorsion liée au pouvoir de marché temporaire

Approche générique de l’innovation

7

– En outre, le passage entre les domaines science-technologie-société peut s’avérer délicat

• On parle parfois de « vallée de la mort » pour les projets lors du passage entre science-technologie d’une part et société d’autre part

• La multiplicité des acteurs, disposant souvent de cultures différentes, pose un problème de coordination

– Exemple typique, le développement du véhicule électrique nécessite que travaillent ensemble des acteurs du secteur automobile, des producteurs d’électricité, des distributeurs d’électricité, des collectivités,

– Sans bonne coordination, on tombe dans le cercle vicieux « il faut des bornes de recharge pour développer les véhicules électriques mais il faut des véhicules électriques pour qu’il soit rentable d’installer des bornes »

• Les pôles de compétitivité permettent typiquement de faire collaborer les différents acteurs

– Cela peut aller jusqu’à la formation du personnel, donc l’implication de structures d’enseignement

Signal prix et innovation bas carbone

8

• La transition énergétique vers une économie bas carbone associe deux problèmes initialement traités de manière distincte

– 1) La question de la raréfaction des ressources

• Les ressources naturelles constituent des actifs au sens où elles permettent de conserver de la valeur au cours du temps

– Elles entrent en concurrence avec d’autres actifs (obligations, actions…) dans la constitution du portefeuille des investisseurs

– L’équilibre sur le marché des actifs requiert l’absence de possibilité d’arbitrage entre actifs, donc l’égalisation des taux de rendement (éventuellement corrigés du risque) des différents actifs

• Le taux de croissance du prix des ressources (notamment des énergies fossiles) mesure leur rendement et se trouve donc « égalisé » avec le taux d’intérêt (taux certain servi sur les obligations d’Etat)

• Dès lors que le demande est sensible au prix, la hausse tendancielle du prix suscite une moindre consommation de la ressource naturelle

Signal prix et innovation bas carbone

9

• Dans le contexte énergétique: – On peut interpréter la décroissance de la demande en sources d’énergies fossiles (charbon,

pétrole, gaz…) comme le résultat combiné d’un besoin incompressible en énergie et de l’existence de sources alternatives d’énergies

– Chaque source alternative (backstop technology) devient rentable au-delà d’un certain prix de la ressource fossile

– Ces technologies préexistent mais sont, à une date donnée, en nombre limité et avec un gisement limité.

quantité

Prix

Au-delà d’un certain prix, il n’y a plus de backstop technology disponible à la date t => l’innovation devient nécessaire pour réduire la demande

Seuils de prix des énergies fossiles assurant la rentabilité des différentes backstop technologies

Gisement pour la backstop technology 1

Gisement pour la backstop

technology 2

Gisement pour la backstop technology 3

10

– Les backstop technologies disponibles aujourd’hui

Signal prix et innovation bas carbone

11

• Un problème non négligeable est que la hausse tendancielle du prix des énergies fossiles rentabilise également les innovations en faveur de l’extraction des fossiles!

0

100

200

300

400

500

600

700

800

900

1000

1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010

classe F03D:

classe E21B:

-1,5

-1

-0,5

0

0,5

1

1,5

2

2,5

3

3,5

1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010

classe F03D:

classe E21B:

Comptage des familles Taux de croissance des familles

– => le signal prix « naturel » induit une transition énergétique potentiellement lente • Exemple: comparaison des familles de brevets accordés par l’office européen et les offices nationaux des

principaux Etats membres de l’UE pour deux classes technologiques (F03D « éolien » et E21B « forage »)

• Source: auteur après extraction sur la base Patstat de l’OEB

Signal prix et innovation bas carbone

12

• Le prix carbone revient à une taxe unitaire forfaitaire sur les ressources en énergies fossiles

La contribution

à la transition énergétique est directe

– 2) La question de la pollution par émission de gaz à effet de serre

– Si la production de certains intrants est très polluante, cela se traduit dans les coûts et dans les prix des produits qu’ils permettent de fabriquer

• Sous réserve que le prix carbone s’applique aux échanges internationaux, chaque bien verrait ainsi son prix modifié en fonction de son bilan carbone

– Appliqué en aval (consommateur), il réduit la demande

• Dans le cas d’un petit pays dont la demande n’influence pas le cours mondial des énergies fossiles, cela a un double avantage

– Réduction de la consommation, donc des émissions carbone, en énergies fossiles

– Hausse de la rentabilité relative des « backstop technologies », donc accélération de la transition énergétique et incitation renforcée à l’innovation bas carbone

Signal prix et innovation bas carbone

13

• Toutefois, la taxe environnementale permet un transfert pur (sans distorsion) des propriétaires de la ressource vers les pouvoirs publics

– Cela résout le problème de la collecte distortive de fonds pour financer l’aide à la R&D

– Dans le cas où la recette fiscale est affectée à la R&D en faveur des technologies bas carbone, la transition énergétique s’en trouve favorisée…

– … mais il n’est pas à exclure qu’il y ait d’autres affectations socialement plus rentables (investissement dans l’éducation, la santé…)

La contribution

à la transition énergétique est indirecte

• Dans le cas d’un grand pays (a fortiori d’une stratégie mondiale), l’effet peut être neutre

– En effet, le prix actuel de la ressource s’ajuste de sorte à ce que la somme inter-temporelle des demandes s’ajuste juste au stock, fixe.

– Une baisse de prix des fossiles vient alors juste compenser la taxe carbone et les quantités demandées restent inchangées!

– Il s’agit d’une généralisation dans un cadre inter-temporel de l’inefficacité d’une taxe environnementale quand l’offre est fixe

Signal prix et innovation bas carbone

14

• Dès lors que la taxe carbone est un pur transfert sans conséquence sur les émissions, on peut tout autant parler de taxe sur les énergies fossiles

• Le montant de la taxe peut être ajusté dans d’autres buts que de contrôler le niveau des émissions

– Ce montant conditionne indirectement les royalties que peuvent exiger les détenteurs de brevets portant sur des technologies bas carbone

– En ajustant la taxe, on contrôle indirectement la rémunération des brevets

– Il est alors possible d’ajuster la taxe de sorte à contrebalancer l’effet du pouvoir de marché que confère le brevet

– Cela peut permettre de supprimer totalement les effets distortifs négatifs du système des brevets

Conclusion

• Une transition énergétique se basant sur le seul signal prix de la rareté des énergies fossiles risque d’être lente

– Ce signal stimule autant l’innovation pour l’extraction des énergies fossiles que celle en faveur des solutions bas carbone

15

• Le signal prix du carbone semble essentiel à une transition énergétique qui serait à la fois plus rapide et non distortive

– Soit par un effet direct de correction des rentabilités relatives des énergies bas carbone par rapport aux énergies carbonées (si absence d’impact du prix du carbone sur le prix des énergies fossiles)

– Soit de manière plus indirecte en permettant de lever les aspects distortifs négatifs des instruments usuels de politique de l’innovation (si impact du prix du carbone sur le prix des énergies fossiles)