l’immatériel au musée? incorporation et gestion du patrimoine immatériel en milieu muséal. le...
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Université de Haute-Alsace, Mulhouse
FSESJ – Faculté des Sciences Économiques, Sociales et Juridiques
Master Sciences de l’Information et Métiers de la Culture
Spécialité Patrimoine et Musées
2011/2012
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Le cas du Centre d’histoire de Montréal
Angélique BACH
Directeur de mémoire : M. Benoît BRUANT
Maître de stage : Mme Catherine CHARLEBOIS
(Stage au Centre d’histoire de Montréal du 1er mai 2012 au 24 août 2012).
2
« Notre héritage n’est précédé d’aucun testament » 1
René Char, Feuillets d’Hypnos (1943-1944).
1 CHAR René, « Feuillets d’Hypnos (1943-1944) », dans Fureur et mystère (1948), préface d’Yves
Berger, éd. Gallimard, coll. Poésie, 1962, p.121.
3
Remerciements
Je tiens à remercier M. Benoît Bruant, responsable du Master SCIMEC
spécialité Patrimoine et Musées à l’Université de Haute-Alsace de Mulhouse, pour son
enseignement et sa bienveillance durant ces deux années.
Mes remerciements vont aussi à Mme Catherine CHARLEBOIS, muséologue
responsable des collections et des expositions, pour m’avoir accueilli au sein du Centre
d’histoire de Montréal et aussi pour le temps et la confiance qu’elle m’a accordés tout
au long de mon stage.
Je tiens également à remercier tout spécialement M. Jean-François LECLERC,
directeur, pour la confiance qui m’a été accordée, ainsi que Mme Stéphanie MONDOR,
gestionnaire et technicienne des collections pour son soutien permanent.
Un grand merci également à tous les membres de l’équipe du musée pour leur accueil,
leur gentillesse et leur disponibilité.
J’adresse aussi mes remerciements aux différents professionnels des musées m’ayant
aidé au cours de mon stage en répondant à mes questions et en me consacrant de leur
temps. Parmi eux je tiens à remercier tout particulièrement Mme Sylvie DAUPHIN,
conservatrice du Musée Stewart et Mme Karine ROUSSEAU, registraire et gestionnaire
des collections du musée McCord d’histoire Canadienne.
Enfin, je remercie mes parents, mes amis et mes camarades pour leur soutien tout au
long de mes années d’études.
4
Sommaire
1. Patrimoines matériel et immatériel : une dichotomie marquée ? ...................................... 10
1.1. Définition du cadre d’étude ............................................................................................. 10
1.1.1. Une définition en constante évolution : la collection .......................................... 10
1.1.1.1. Origine du terme ......................................................................................... 10
1.1.1.2. Une diversité de termes rendant difficile une vision d’ensemble ................ 12
1.1.2. Objets en milieu muséal ou l’objet muséalisé ..................................................... 14
1.1.2.1. Un nouveau statut de l’objet ....................................................................... 14
1.1.2.2. Vers un processus de gestion plus adapté ................................................... 15
1.2. Vers un panorama de l’immatériel................................................................................... 17
1.2.1. Difficultés terminologiques ................................................................................ 18
1.2.1.1. Une définition complexe et mouvante ........................................................ 18
1.2.1.2. La difficile description d’un « non-objet ».................................................. 20
1.2.2. La place grandissante de l’immatériel dans les politiques et projets culturels .... 22
1.2.2.1. L’immatériel au cœur des préoccupations : vers un « nouveau régime de
patrimonialité ? ». ........................................................................................................... 22
1.2.2.2. Un cheminement vers une vision plus sensible du patrimoine culturel ....... 24
1.3. Reconnaissance institutionnelle du patrimoine immatériel .............................................. 26
1.3.1. Une reconnaissance au niveau international ....................................................... 26
1.3.2. Des initiatives nationales .................................................................................... 29
2. Les témoignages d’histoire orale : un modèle pour l’entrée de l’immatériel au musée ? 33
2.1. Le musée, vers un rôle sauvegarde des mémoires vivantes ? ........................................... 33
2.1.1. L’histoire orale, une source ou un expôt ? .......................................................... 33
2.1.2. Le « collectage » : travail d’historien, d’archiviste ou de muséologue ? ............. 35
2.1.2.1. Collecter pour les générations futures : exemples d’initiatives ....................... 38
2.2. Un exemple d’intégration complète au musée : le cas du Centre d’histoire de Montréal . 41
2.2.1. Une institution hybride, entre musée et centre d’interprétation .......................... 42
2.2.2. Un appel à la conscience citoyenne ou l’exemple du Musée de la Personne ...... 43
2.2.2.1. Les « Cliniques de mémoire » : vers un don de patrimoine oral ................. 44
2.2.2.2. Amener à une véritable cohésion citoyenne : le projet « Vous faites partie de
l’histoire ! » 45
2.2.3. Les témoignages d’histoire orale, objets d’expositions ....................................... 46
2.2.4. La place laissée aux initiatives locales ................................................................ 47
2.3. Procédure de collecte des témoignages............................................................................ 48
5
2.3.1. La collecte au Centre d’histoire de Montréal ...................................................... 48
2.3.1.1. Principes dirigeant la collecte de témoignages ............................................ 49
2.3.1.2. Diverses méthodes d’acquisition ................................................................ 51
2.3.1.3. Gestion et archivage des témoignages ........................................................ 55
2.3.2. Droits d’auteur sur les témoignages .................................................................... 57
3. Gestion, conservation et valorisation de l’immatériel au musée : des outils et des
pratiques ........................................................................................................................................ 61
3.1. Intégrer les témoignages oraux à une collection : une tâche ardue .................................. 61
3.1.1. Des difficultés conceptuelles .............................................................................. 61
3.1.1.1. Une refonte des méthodes traditionnelles de gestion des collections. ......... 62
3.1.1.2. Un manque de ressources méthodologiques précises .................................. 66
3.1.2. Des difficultés pratiques ..................................................................................... 67
3.1.2.1. Problèmes techniques liés à l’informatisation des collections..................... 67
3.1.2.2. Des difficultés dans la conservation des supports ....................................... 68
3.2. Exposer la mémoire : un nouveau support pour l’exposition ? ........................................ 71
3.2.1. Un nouveau type d’expôt ou un multimédia revisité ? ........................................ 71
3.2.2. Vers un musée qui s’exporte hors les murs ......................................................... 72
3.2.3. Valeur documentaire et scientifique ................................................................... 73
3.3. Le musée est-il aujourd’hui en mutation ? ....................................................................... 74
3.3.1. Enjeux sociaux : un accroissement du rôle social et identitaire du musée ? ....... 74
3.3.1. Une définition hypocrite ? .................................................................................. 77
3.3.1. La fin du musée traditionnel ? ............................................................................ 78
Conclusion ...................................................................................................................................... 81
Bibliographie commentée ............................................................................................................. 83
Annexes
6
« Il est généralement admis, même si cette définition est en
constante évolution, que tout musée est un conservatoire, permanent, le
plus souvent ouvert au public, de collections d’objets ou de documents
artistiques, artisanaux ou industriels, végétaux ou animaux, acquis par
dons ou achats, toujours sélectionnés, si possible classés et entretenus,
parfois replacés dans le contexte de leur création en tant que témoins de
l’évolution de la nature ou d’une culture (considérée comme un ensemble
de biens et de valeurs à un moment donné) »2.
C’est en ces termes que le grand muséologue Georges-Henri Rivière définissait
en son temps le musée et ses collections. Cette définition est particulièrement
intéressante en ce qu’elle renseigne sur la nature de ce que l’auteur appelle un objet.
Ceci révèle qu’il y a quelques décennies seulement, le terme de collections ne renvoyait
qu’aux objets matériels de tout ordre que les musées collectionnaient. Aujourd’hui, cette
conception de l’objet de musée tend à s’élargir et devenir plus mouvante puisque la
notion de patrimoine immatériel semble prendre une place grandissante dans le paysage
muséal. « Depuis le développement du concept de patrimoine immatériel, la matérialité
n’est plus une condition de l’entrée dans le patrimoine », souligne en ce sens François
Mairesse3.
Le patrimoine, qu’il soit matériel ou immatériel ouvre la voie à une nouvelle
interprétation des éléments. L’interprétation d’éléments non-matériels en milieu muséal
est une tendance très en vogue à l’heure actuelle, notamment dans l’espace nord-
américain. Forts d’un patrimoine ethnographique riche et diversifié, avec notamment
l’apport des expéditions ethnologiques en Amérique du sud, ainsi que l’héritage des
amérindiens, des pays comme le Canada ou les États-Unis font aujourd’hui de
l’immatériel une priorité.
Le présent mémoire s’attache à cette question d’ampleur que constitue la prise
en compte et la gestion du patrimoine immatériel dans le cadre muséal. En effet, depuis
qu’il a été reconnu « patrimoine mondial » en 2003, de nombreux efforts ont été fait
dans le domaine de la muséologie pour intégrer et traiter à sa juste valeur ce patrimoine
2 D’après RIVIERE Georges-Henri, Musées et collections publiques. Muséologie et muséographie in
POIRIER Jean, Histoire des mœurs, III-1 : Thèmes et systèmes culturels, Paris, Gallimard, 2002 [1991],
p. 185. 3 MAIRESSE François, « Article muséalisation », dans DESVALLEES André, MAIRESSE François,
Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Editions Armand Colin, 2011, 724 pages, p.254.
7
si spécifique et si fragile de part son caractère éphémère. Intangible, immatériel, les
termes sensés en définir les contours sont légion, mais ils ne sont toutefois pas à même
d’en définir toutes les nuances et toutes les facettes. La prise en compte de ce nouveau
type de patrimoine induit aussi des modifications de fond en ce qui concerne la gestion
des collections au musée. De manière générale, gérer les collections d’un musée est un
travail de longue haleine. Il s’avère cependant que les techniques et procédures de
gestion et de conservation des collections traditionnelles, qui se sont affinées au fil des
siècles, ne sont que peu adaptées au patrimoine immatériel. Par ailleurs, l’hétérogénéité
du patrimoine immatériel engendre une multiplicité de solutions à mettre en œuvre et
demande une adaptation constante de la part des professionnels des musées. La prise en
compte du patrimoine immatériel apporte une nouvelle dimension et de nouveaux
enjeux pour la muséologie, en impulsant de nouvelles dynamiques, en la forçant à se
réinventer et à mettre en place de nouvelles stratégies pour assurer la préservation des
richesses immatérielles et intangibles ainsi que leur transmission aux générations
futures.
Ainsi que nous l’avons mentionné, l’Amérique du Nord fait partie des précurseurs
en ce qui concerne le traitement dans un cadre muséal des ressources du patrimoine
immatériel. En témoigne l’exemple du Centre d’histoire de Montréal, au Québec, une
institution à la convergence entre musée municipal et centre d’interprétation, qui est
aujourd’hui en quelque sorte le « porte-étendard » du patrimoine immatériel à Montréal.
Il est à l’origine d’une initiative appelée le Musée de la Personne qui, depuis 2004,
s’attache aux histoires de vie des Montréalais, à leur mémoire et leurs souvenirs. Depuis
les années 1999/2000, ce musée a commencé à constituer une collection de témoignages
d’histoire orale, qui est aujourd’hui en constante augmentation, au gré des expositions et
des collectes organisées.
Cependant, la question de la gestion de ces collections demeure en suspens. Quelle
place donner dans le musée à ces collections au caractère si particulier et si mouvant, et
comment les intégrer dans le processus muséal de gestion des collections? Quelle valeur
leur accorder, en contrepoint des trésors artistiques et artisanaux qu’ont légués les
générations passées ? Nous tenterons de répondre à cette question par l’étude de la place
du patrimoine immatériel dans le monde et la manière dont ce patrimoine est traité dans
le cadre muséal. En ce sens, nous pencherons dans un premier temps sur un état des
lieux de la situation actuelle du patrimoine immatériel et sur les normes le régissant et le
définissant. Dans une seconde partie, nous analyserons en détail les procédés mis en
8
œuvre aujourd’hui pour sauvegarder ce patrimoine : pour ce faire, nous nous baserons
sur des observations en milieu muséal ainsi que sur quelques exemples internationaux.
Pour terminer, nous nous interrogerons sur le devenir de ces collections, sur leur valeur
et leur utilité, ainsi que sur les impacts qu’elles risquent d’avoir sur la gestion des
collections muséales et donc, sur le quotidien des institutions.
9
Première partie :
Patrimoines matériel et immatériel :
une dichotomie marquée
10
1. Patrimoines matériel et immatériel : une dichotomie
marquée ?
Ce mémoire s’articulant en trois temps, une première partie sera consacrée
essentiellement à un état des lieux de la situation actuelle. Il apparaît en effet qu’une
dichotomie encore marquée existe de nos jours entre la prise en compte du patrimoine
matériel et du patrimoine immatériel. Cette distinction existe tant au niveau de la
conception qu’en ont le grand public et les professionnels du patrimoine, qu’en ce qui
concerne sa gestion effective.
1.1. Définition du cadre d’étude
Avant de pouvoir s’intéresser au cœur du sujet, il s’agit d’en définir clairement
les limites et les points clés. En ce sens, nous nous pencherons successivement sur la
définition de ce qu’est une collection, puis sur ce qu’englobent les notions de
patrimoine matériel et immatériel.
1.1.1. Une définition en constante évolution : la collection
1.1.1.1. Origine du terme
Ainsi que mentionné en 2003 dans les actes d’une table ronde au Centre
Pompidou portant sur la notion de collection, « le mot « Collection » n’est entré dans la
langue française qu’au milieu du XVIIIème
siècle, en 1755, dans Le Grand Robert, avec
pour définition : « réunion d’objets ayant un intérêt esthétique, scientifique ou valeur de
rareté ». Le verbe « collectionner » et le substantif « collectionneur » ne sont quant à
eux apparus que vers 1840 dans la langue française pour évoquer le lien avec les objets
d’art »4. Cette définition, très simple, pouvait être à cette époque suffisante et
appropriée pour décrire la réalité des collections. Les musées, ou plutôt les « cabinets de
4 La notion de collection ou comment lutter contre l’éparpillement des choses dans le monde, Table ronde
dans le cadre de la manifestation « Jean Cocteau, un des visages de l’ange », organisé par la BPI au
Centre Georges Pompidou, Paris, le 7 novembre 2003.
http://editionsdelabibliotheque.bpi.fr/resources/titles/84240100384280/extras/84240100384280.pdf
11
curiosités » n’ont eu pendant longtemps aucun mandat scientifique, mais étaient
essentiellement destinés à l’émerveillement de quelques rares privilégiés ou à la mise en
scène de concepts politiques et patriotiques (valeurs de la monarchie) ou pédagogiques.
Même lorsque les musées ont pris le parti de devenir publics et accessibles à tous, cette
conception du musée, conservateur des trésors matériels du monde a perduré durant des
siècles dans le paysage muséal ; et ce depuis les premiers musées jusqu’aux dernières
décennies du XXème
siècle5.
Par la suite, le terme de collection a fait l’objet de nombreuses définitions qui
ont été amenées à s’affiner et à évoluer considérablement au gré des nouvelles réalités
qui se sont imposées aux muséologues. De nombreux chercheurs se sont attachés à en
définir les contours parfois mouvants et évolutifs, notamment au cours des cinquante
dernières années.
Pour ce travail, nous considérerons la définition générale de la collection donnée
par Yves Bergeron dans le Dictionnaire encyclopédique de muséologie, en 2011. Celle-
ci mentionne que :
« De manière générale, une collection peut être définie comme un
ensemble d’objets matériels ou immatériels [...] qu’un individu ou un
établissement a pris soin de rassembler, de sélectionner, de classer, de
conserver dans un contexte sécurisé et le plus souvent de communiquer à
un public plus ou moins large, selon qu’elle est publique ou privée. Pour
constituer une véritable collection, il faut par ailleurs que ces
regroupements, d’objets forment un ensemble (relativement) cohérent et
signifiant.»6.
Cette définition décrit en quelques termes ce qu’est une collection, en
mentionnant bien le fait que celle-ci peut être de nature soit matérielle, soit
immatérielle. Elle a toutefois la particularité de la définir tant par sa nature, que par les
actions et les missions qu’elle engendre, à savoir des processus de gestion, de
conservation et de valorisation spécifiques.
5 POULOT Dominique, Une histoire des musées de France, XVIIIe-XXe siècles. Paris, La Découverte,
coll. « L’espace de l’Histoire », 2005, 198 p. 6 BERGERON Yves, Article « Collection », dans DESVALLEES André, MAIRESSE François,
Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Editions Armand Colin, 2011, 724 pages.
12
1.1.1.2. Une diversité de termes rendant difficile une vision
d’ensemble
La terminologie employée pour décrire la nature des collections a également
subi les impacts des modifications des pratiques de collecte, qui se sont affinées ou
transformées en fonction des époques. Dans ce qui est considéré comme le tout premier
manuel de muséologie, rédigé en 1565, le médecin d’origine anversoise Samuel
Quiccheberg décrit les objets présents dans les cabinets de curiosité7. Il mentionne dans
le titre de son ouvrage les éléments suivants (traduits du latin) : « des objets fabriqués
avec art et merveilleux», ainsi que des « trésors rares »8.
Si le terme d’objet est utilisé de manière courante pour désigner tous types de
biens du musée, tant matériels qu’immatériels, il existe un vocabulaire très spécifique
pour décrire de manière fine leurs différentes natures. Au-delà de la dénomination latine
des objets, qui les classent en tant qu’artificialia, naturalia, mirabilia et sous de
nombreux autres termes encore9 ; au-delà même d’une terminologie plus nouvellement
apparue qui distingue les objets de musée en artefacts et écofacts10
, la distinction entre
7 DESVALLEES André, MAIRESSE François, « Sur la muséologie », dans Culture & Musées, n°6,
2005. pp. 131-155.
En ligne : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pumus_1766-
2923_2005_num_6_1_1377
Consulté le 7 août 2012. 8 QUICCHEBERG Samuel, Inscriptions ou titres du théâtre immense comportant toutes la matière de
l'univers et des images extraordinaires si bien qu'il peut à juste titre être appelé aussi réserve des objets
fabriqués avec art et merveilleux ainsi que de tout trésor rare, qu'on a décidé de réunir tous ensembles
dans ce théâtre afin qu'en les manipulant fréquemment on puisse acquérir rapidement, facilement et
sûrement une connaissance singulière des choses et une sagesse admirable, trad. du latin, Munich, 1565.
Cité dans DESVALLEES André, MAIRESSE François, Op. Cit., p.132. 9 Ces termes peuvent être traduits en français et définis de la manière suivante :
Artificialia : éléments fabriqués par l’homme; Naturalia : éléments d’origine naturelle; Mirabilia :
élément relevant du merveilleux.
D’après le document : « Termes muséologiques de base », dans Publics et Musées, N°14, Éducation
artistique à l'école et au musée, 1998, p. 170.
En ligne :
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pumus_1164-5385_1998_num_14_1_1128
Consulté le 29 juillet 2012. 10 Un artefact désigne un « Objet fabriqué ou transformé par la main humaine, il représente une réponse
tangible à un besoin humain. Il se caractérise par ses matériaux, sa fabrication, son origine, sa fonction et
sa valeur » D’après le glossaire du Ministère de la culture, de la communication et de la condition
féminine du Québec.
En ligne : http://www.mcccf.gouv.qc.ca/index.php?id=1899
(Consulté le 12 mai 2012).
Les écofacts désignent, d’après la DRAC Lorraine/ Service Régional de l’archéologie, « les matériaux
issus du règne animal, végétal ou minéral prélevés par l’homme dans l’environnement et qui n’ont pas été
transformés par lui en objets ».
En ligne : http://www.culture.gouv.fr/lorraine/drac/Patrimoi/archeo/protMob.pdf
(Consulté le 12 mai 2012).
13
le type de musée et la manière de nommer leurs collections est grandement divergente.
Serge Chaumier soulève cette idée lors de ses réflexions sur la nature de l’objet muséal :
il souligne alors que chacun des grands types de musées utilise une dénomination bien
précise pour les objets qu’il a le mandat de collecter.
Dans cet ordre d’idées :
« Les musées d’art vont rassembler des collections « d’œuvres
d’art », les muséums d’histoires naturelles recherchent « les spécimens »,
les musées d’anthropologie s’intéressent aux « artefacts », les musées
techniques aux « témoins exemplaires ». Des qualificatifs viennent
prolonger parfois cette dénomination, la notion de type liée au spécimen,
de chef d’œuvre lié à la notion d’œuvre. La notion « d’antiques »,
longtemps usitée par les musées d’art est à présent plus désuète. En
revanche, le terme de « cultural relic » est encore utilisé concernant les
objets archéologiques et historiques. D’un point de vue scientifique, on
parle aussi de « documents » ou « d’items » pour neutraliser les
connotations de concepts attachés à des disciplines »11
.
Cette diversité de termes dénote d’une ferme volonté de décrire d’une manière
précise la nature de l’objet afin d’asseoir sa définition nouvelle d’objet muséal. On
notera cependant que les termes liés au domaine de l’immatériel sont encore très peu
usités dans le vocabulaire propre à la collection muséale et à l’ « objet » à proprement
parler. Nous verrons un peu plus loin que les termes sont plus précis en ce qui concerne
l’idée générale de patrimoine immatériel.
11 CHAUMIER Serge, Qu’est-ce qui définit un objet de musée, Musée de la vie Bourguignone, Dijon,
Dossier documentaire dans le cadre de l’exposition « Tout garder? Tout jeter? Et réinventer? » du 23
avril-20 septembre 2010, 12p.
14
1.1.2. Objets en milieu muséal ou l’objet muséalisé
1.1.2.1. Un nouveau statut de l’objet
Les objets de collection disposent d’un statut particulier par rapport aux objets
du commun. Il peut s’agir tant d’objets de grande valeur que d’objets anodins et sans
valeur propre. Leur importance réside dans leur muséalisation, c’est-à-dire leur « mise
au musée ou, de manière plus générale, la transformation en une sorte de musée d’un
foyer de vie : centre d’activités humaines ou site naturel »12
ou encore une « opération
tendant à extraire, physiquement et conceptuellement, une chose de son milieu naturel
ou culturel d’origine et à lui donner un statut muséal, à la transformer en muséalium, -
objet de musée -, soit à la faire entrer sur le champ du muséal»13
. Ainsi que le
mentionne l’auteur dans le même article, la notion est à prendre avec précautions : la
simple entrée physique d’un objet au musée ne fait pas de lui un véritable « Objet de
musée ». Il faut pour cela qu’un véritable processus mental s’engrange, celui-ci
transformant la nature de l’objet en lui conférant des fonctions nouvelles et distinctes de
sa fonction première, en le thésaurisant. Serge Chaumier indique de son côté qu’ « En se
transformant en objet de musée, les choses sont défonctionnalisées et décontextualisées,
ils ne servent plus à ce à quoi ils étaient destinés mais entrent dans un ordre symbolique
qui leur confèrent une nouvelle signification et une nouvelle valeur. Ils deviennent des
témoins souvent sacralisés, ce qui engage une tendance au fétichisme, soulignée par
nombre de commentateurs critiques du musée (par exemple Jean Baudrillard ou Bernard
Deloche) »14
. Il y a par conséquent une véritable idée de thésaurisation de l’objet au
travers de son accession au statut d’objet muséal, sans tenir compte de la valeur
intrinsèque de l’objet, mais justifiant sa sauvegarde et sa transmission aux générations
futures.
Cette conception de l’objet de musée démontre que l’idée d’une valeur et d’une
dimension sensible qui lui est accordée réside essentiellement dans les esprits et la
perception qu’en a la société qui l’entoure. C’est lors de son interaction avec l’œil qui le
contemple que l’objet muséal se dote d’une valeur subjective. En définitive, plus qu’une
12
D’après MAIRESSE François, Op. Cit., p.251. 13
DESVALLEE, André, MAIRESSE, François et DELOCHE, Bernard, Museology : Back to Basics –
Muséologie : revisiter nos fondamentaux, Working papers, ISS 38, Morlanwelz, 2009, p. 36 (volume
présenté lors du colloque ICOFOM 2009 à Liège et Mariemont, juillet 2009). 14 CHAUMIER Serge, Op. Cit., p.1.
15
simple manipulation logistique qui ferait entrer l’objet dans « l’enceinte muséale », il se
produit une modification relevant du domaine cognitif15
. Il paraît à cet effet judicieux de
rappeler le terme de « sémiophore », avancé par le philosophe et historien Krzysztof
Pomian, par lequel il désigne des objets porteurs de signification et détournés de leur
fonction originale. Pomian va d’ailleurs même plus loin en présentant ce qui selon lui
définit un clivage entre ce qu’il appelle le « monde visible et le monde invisible ». Pour
lui, « les collections, […] ne constituent qu'une composante de cet éventail des moyens
mis en œuvre pour assurer la communication entre les deux mondes, l'unité de l'univers.
On comprend alors la diversité des objets qui les forment, des lieux où elles se trouvent
et des comportements de leurs visiteurs, celle-ci correspondant à la diversité de
manières d'opposer l'invisible au visible »16
. Selon sa conception des choses, les objets
sont déjà revêtus d’une aura invisible qui les distingue des artefacts du commun. Il voit
dans l’aptitude à collectionner un moyen d’accéder à ce « monde invisible », faisant de
l’objet comme un intermédiaire entre le visiteur et le monde invisible.
Il découle de ces exemples que le statut de l’objet muséal, de la « chose »
transformée en objet, si l’on reprend les mots de Serge Chaumier, est issu d’un
processus qui lui adjoint des valeurs immatérielles. En soi, la question de l’application
de ce processus de transformation muséale des objets peut être considérée à l’aune du
patrimoine immatériel. En effet, comment muséaliser ces éléments qui sont déjà
intangibles par nature et qui comportent en eux-mêmes leur propre sens ? Cette question
est aujourd’hui à l’étude par de nombreux scientifique, tandis que divers concepts et
méthodes tendent à émerger.
1.1.2.2. Vers un processus de gestion plus adapté
L’idée d’une mutation du statut de l’objet et de sa représentation dans la société
date de plusieurs décennies. Ainsi que le souligne François Mairesse, c’est en parallèle
de l’émergence d’une « Muséologie scientifique », durant les années 1960, qu’est née le
concept de muséalisation des objets, alors qu’auparavant, aucun vocabulaire particulier
15
D’après MAIRESSE François, Op. Cit,, p.251 16 Dans POMIAN Krzysztof, Collectionneurs, amateurs, curieux: Paris-Venise, XVIe - XVIIIe siècles,
Paris, Gallimard, 1987, 368p.
16
n’avait été proposé pour identifier ce processus17
. A l’heure actuelle, les objets
présentés dans le milieu muséal sont appelées couramment des musealia. Ce terme a été
proposé en 1970, par le muséologue tchèque Zbyneck Stránský sous la forme
«musealiumï » pour désigner spécifiquement les objets de musée18
. Ce processus de
transformation de l’objet en objet muséal s’inscrit en complémentarité du terme de
patrimonialisation19
, dans le sens où, en plus de mettre en place une volonté de
préservation et de pérennisation de l’objet, la muséalisation y adjoint des fonctions de
gestion en milieu muséal. Cette gestion passe, ainsi que le mentionne André Gob, par :
« le processus d’incorporation d’un objet dans une collection muséale. On pourrait
désigner cette opération par le terme d’acquisition […]. Cependant, il y désigne
habituellement la stricte acquisition : l’achat, la réception d’un don ou d’un legs,
l’acceptation d’une mise en dépôt […]. Le terme muséalisation présente l’avantage de
bien marquer la différence entre l’acquisition d’une pièce par un musée et son
incorporation dans l’univers muséal»20
.
La muséalisation ajoute donc un caractère particulier à l’objet, il fait en sorte que
celui-ci acquiert une dimension supplémentaire à celle que constitue sa simple fonction
de base. En ce sens, ce n’est qu’avec la perte de sa fonction d’origine que l’objet est à
même d’acquérir une fonction nouvelle.
Il est essentiel de revenir sur cette question de muséalisation, dans la mesure où
ce processus semble aujourd’hui lui-même se dépasser et englober des champs qui lui
étaient longtemps inconnus. André Gob ajoute que « la fonction patrimoniale du musée
s’exerce de façon permanente tandis que le concept de muséalisation désigne un
processus transitoire, comme l’indique le suffixe du mot ». Ceci est tout
particulièrement intéressant, en ce qu’il semble lier intrinsèquement l’objet au processus
complet d’intégration physique et intellectuel au musée. Alors que le patrimoine
immatériel prend aujourd’hui une place grandissante en milieu muséal, la question se
17
Dans MAIRESSE François, Conférence « Muséal, muséalité, muséalisation », dans BERGERON Yves,
BERNIER Christine, DUBE Philippe, DUBUC Élise (organisé par), LAMOUREUX Johanne, Muséalité
et intermédialité. Les nouveaux paradigmes des musées / Museality and Intermediality. The New Museum
Paradigms, Montréal, du 28 au 31 octobre 2009 18
MAIRESSE François, Op. Cit., p.251. 19 Le terme de patrimonialisation, contrairement à celui de muséalisation, définit davantage « le geste
culturel visant à extraire du premier ou du second contexte une vraie chose pour la préserver. La
patrimonialisation participe du processus de muséalisation mais ne l’englobe pas totalement […] ». D’après François MAIRESSE, Op. Cit., p.254. 20
Dans GOB André, « Le jardin des Viard ou les valeurs de la muséalisation », CeROArt [En ligne], 4 |
2009, mis en ligne le 10 octobre 2009, consulté le 31 juillet 2012. URL : http://ceroart.revues.org/1326
17
pose de savoir si ces principes de gestion sont applicables à des objets relevant du
domaine de l’immatériel.
François Mairesse, lui, met en avant l’aspect scientifique de la muséalisation : « la
muséalisation, entendue comme processus scientifique, implique nécessairement
l’ensemble des activités du musée : préservation (sélection, acquisition, gestion,
conservation), recherche (dont le catalogage) et communication (par le biais de
l’exposition, de publications, etc.) ou, selon le point de vue de Stransky : sélection,
thésaurisation, présentation »21
. Cette description, plus générale laisse une place plus
grande à l’adaptation aux divers types de patrimoines, si l’on considère que le processus
scientifique, fait de définitions et de règles doit pouvoir être universellement appliqué.
Ces éléments relèvent toutefois de la théorie muséologie et sont cependant bien plus
ardus à concrétiser.
Par extension, il est judicieux de relever que la muséalisation ne concerne pas
uniquement les objets matériels ou encore les objets immatériels, mais également les
lieux et l’architecture. La ville de Montréal est ainsi l’objet même de la collection du
Centre d’histoire de Montréal. Sa volonté de conservation de la mémoire des
Montréalais passe tant par le pan matériel, que par le pan immatériel de l’histoire de la
ville, au travers des témoignages. Ce ne sont pas seulement les objets mais également
les lieux et leur histoire que cette structure, à la convergence du musée et du centre
d’interprétation, tente de mettre en valeur. Il est donc pertinent de voir si les données
disponibles pour l’« acquisition muséale » des objets matériels est applicable dans un
cadre plus vaste. Nous n’aborderont toutefois pas ici la question de la muséalisation des
sites, quoique ceci puisse être approprié compte tenu de la nature du mandat du musée,
qui est celui d’être le musée de la ville.
1.2. Vers un panorama de l’immatériel
L’idée d’une distinction entre le matériel et l’immatériel n’est pas neuve. Platon,
au IVème
siècle avant Jésus-Christ a déjà émis l’idée d’une dualité de l’objet, séparé
21 MAIRESSE François, Op. Cit., p.253.
18
entre l’objet matériel et l’idée émanant de ce même objet22
. Sa philosophie de pensée l’a
mené vers une distinction qui veut que le matériel ne soit qu’une extension physique de
l’immatériel. Il est en ce sens un précurseur et ses théories ont servi de terreau à la
philosophie développée bien plus tard par Descartes. Aristote quant à lui a pris le
contrepied de Platon en réfutant partiellement sa thèse et en rééquilibrant les deux
notions. Les exemples que nous venons de citer n’ont pour but que de démontrer que le
cheminement de pensée ayant mené à la définition d’une idée de l’immatériel est un
processus ancien et construit. Cependant, sa reconnaissance officielle en terme de
patrimoine n’est quant à elle intervenue au cours du XXème
siècle. Nous nous
attacherons ici à en définir la nature et à étudier comment l’immatériel est devenu une
préoccupation pour la muséologie actuelle.
1.2.1. Difficultés terminologiques
1.2.1.1. Une définition complexe et mouvante
Parvenir à une définition exhaustive de ce qu’englobe le patrimoine immatériel est
réellement complexe. Différentes propositions sont disponibles à ce jour, comme par
exemple celle avancée par le Conseil québécois du patrimoine vivant :
« Patrimoine immatériel : les savoir-faire, les connaissances, les
expressions, les pratiques et les représentations transmis de génération en
génération et recréés en permanence en conjonction, le cas échéant, avec
les objets et les espaces culturels qui leur sont associés, qu’une
communauté ou un groupe reconnaît comme faisant partie de son
patrimoine culturel et dont la connaissance, la sauvegarde, la
transmission ou la mise en valeur présente un intérêt public » 23
.
22 Platon développe la “Théorie des Formes” appelée aussi la « Théorie des Idées », dans son dialogue: Le
Timée. Source: PLATON, Timée/Critias, intro. trad. et notes BRISSON Luc, 3e éd. corrigée et mise à
jour, Paris, 1996. 23 CONSEIL QUEBECOIS DU PATRIMOINE VIVANT, définition du patrimoine immatériel, dans Journal
des débats, Assemblée nationale, Le jeudi 18 août 2011 – Vol. 42 N° 17 En ligne : http://patrimoinevivant.qc.ca/2011/08/une-nouvelle-definition-du-patrimoine-immateriel-dans-le-projet-de-loi-82/
19
Une autre définition qui peut être avancée est celle de l’UNESCO qui avance aux
articles 1 et 2 de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel
que :
« 1. On entend par “patrimoine culturel immatériel” les pratiques,
représentations, expressions, connaissances et savoir-faire - ainsi que les
instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés -
que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus
reconnaissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce
patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est
recréé en permanence par les communautés et groupes en fonction de
leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur
procure un sentiment d’identité et de continuité, contribuant ainsi à
promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine.
Aux fins de la présente Convention, seul sera pris en considération le
patrimoine culturel immatériel conforme aux instruments internationaux
existants relatifs aux droits de l’Homme, ainsi qu’à l’exigence du respect
mutuel entre communautés, groupes et individus, et d’un développement
durable.
2. Le “patrimoine culturel immatériel”, tel qu’il est défini au
paragraphe 1 ci-dessus, se manifeste notamment dans les domaines
suivants :
(a) les traditions et expressions orales, y compris la langue comme
vecteur du patrimoine culturel immatériel ;
(b) les arts du spectacle ;
(c) les pratiques sociales, rituels et événements festifs ;
(d) les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ;
(e) les savoir-faire liés à l’artisanat traditionnel » 24
.
Cette définition est reconnue en France par la Direction générale des Patrimoines
qui la reprend telle quelle, sous le sigle de PCI, soit Patrimoine Culturel Immatériel.
24 UNESCO, Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, 2003.
20
Cette direction assure sa sauvegarde dans l’Hexagone, au même titre que le patrimoine
matériel dont il a la charge. Ces deux définitions, très proches l’une de l’autre sur la
question de la nature du patrimoine immatériel (dans les deux cas, on trouve mention
des savoir-faire, des connaissances, expressions, pratiques et représentations) montrent
toutefois qu’il ne s’agit pas d’un champ clos et que celui-ci s’applique à diverses
réalités. Les termes employés sont toutefois peu précis et ne distinguent que de grands
domaines. En définitive, les définitions disponibles permettent de se dresser un portrait
en filigrane de tous les champs d’étude que peut englober le patrimoine immatériel.
Cependant, il importe de demeurer vigilant et de faire évoluer cette terminologie en
parallèle des « découvertes » et nouveaux besoins des chercheurs.
1.2.1.2. La difficile description d’un « non-objet »25
Si des définitions générales sont acceptables pour définir les grands champs dans
lesquels le patrimoine immatériel s’inscrit, il est encore plus complexe de trouver des
descripteurs pour les objets eux-mêmes. Le terme d’objet prête en effet à confusion :
dans le dictionnaire Larousse, il désigne clairement : « Toute chose concrète,
perceptible par la vue, le toucher ». Cette définition désigne donc clairement un objet
matériel, il renvoie à une notion de perception par les sens et ne semble pas proposer
d’alternative pour les éléments relevant du domaine de l’esprit. Ceux-ci sont cependant
accessibles par le biais des supports sur lesquels ils sont conservés. François Mairesse et
Bernard Deloche, dans le Dictionnaire Encyclopédique de Muséologie, mentionnent
que l’objet (sous-entendu de musée) «n’est pas une réalité en lui-même, mais un
produit, un résultat ou un corrélat. En d’autres termes, il désigne ce qui est posé ou jeté
en face (ob-jectum, Gegen-stand) par un sujet, qui le traite comme différent de lui,
même lorsqu’il se prend lui-même comme objet » et par ailleurs, il « n’a donc pas de
réalité intrinsèque »26
. Ainsi que nous l’avons mentionné plus haut, Serge Chaumier
utilise le terme de « non-objet » pour désigner spécifiquement les objets de musée, dans
25
Le terme de « non-objet » est utilisé par Serge Chaumier dans CHAUMIER Serge, Qu’est-ce qui définit
un objet de musée, Musée de la vie Bourguignonne, Dijon, Dossier documentaire dans le cadre de
l’exposition « Tout garder? Tout jeter? Et réinventer? » du 23 avril-20 septembre 2010, p.10. 26
MAIRESSE François, DELOCHE Bernard, Article « Objet », dans DESVALLEES André, MAIRESSE
François, Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Éditions Armand Colin, 2011, 724 pages.
21
la mesure où ceux-ci n’ont plus leur caractère utilitaire d’origine27
. En conséquence,
pour ce travail, nous utiliseront indifféremment le terme d’objet pour désigner les
collections matérielles et immatérielles.
Par ailleurs, même si l’on excepte le mot « objet » (de collection), les termes utilisés
pour décrire le patrimoine immatériel sont nombreux, mais parfois difficiles à
distinguer. On pourra parler d’immatériel, ceci renvoyant selon une définition basique à
ce «qui n'a pas de consistance matérielle, qui n'est pas formé de matière28
». La notion
est cependant plus complexe et nuancée. On rencontre en effet régulièrement le terme
d’intangible, qui signifie plutôt « Que l'on ne peut toucher. Synon. Impalpable,
insaisissable29 ». Ce mot est utilisé en anglais comme équivalent d’immatériel, mais
une différence existe en français. En effet, ces deux termes ne sont pas synonymes et ne
doivent pas être utilisés indifféremment. Nous réserverons donc plutôt le terme
intangible à ce qui a trait au patrimoine vivant, comme certaines productions d’art
contemporain, ou encore les réalisations virtuelles.
Les éléments relevant du patrimoine immatériel sont aussi parfois décris sous le
terme de « mentefacts ». Ce terme désigne, selon le Ministère de la culture, des
communications et de la condition féminine du Québec, l’« ensemble des productions
spirituelles ou intangibles qui constitue le volet immatériel du patrimoine
ethnologique »30
. Cette définition semble plus vaste puisqu’elle englobe de manière
générale l’immatériel et l’intangible. Ainsi que mentionné dans la revue Publics et
Musées, « parallèlement aux artefacts, il existe une autre catégorie d’objets fabriqués
par l’homme que l’on désigne généralement par le terme de mentefacts, […] renvoie à
des données abstraites, indépendamment de leur support physique »31
. Le terme de
mentefact sera donc utilisé ici avec parcimonie et uniquement pour désigner de manière
très globale les objets muséaux immatériels.
27 CHAUMIER Serge, Op. Cit., p.10. 28 TLF, Dictionnaire de la langue du 19e et 20e siècle, CNRS Gallimard, Paris, 1971-1994.
Version informatisée. En ligne : http://atilf.atilf.fr/ 29 Ibid., En ligne : http://atilf.atilf.fr/ 30
Ministère de la culture, des communications et de la condition féminine du Québec (MCCCF),
Glossaire Ethnologie, 2011.
En ligne : http://www.mcccf.gouv.qc.ca/index.php?id=1899
[Consulté le 15 juillet 2012]. 31 DARRAS Bernard (Dir.), Éducation artistique à l'école et au musée, vol.14, Presses Universitaires
Lyon, 1999, 172 p., p.167.
22
En définitive, tout comme la muséologie est une science en constante évolution,
les termes nécessaires à une définition de l’immatériels sont amenés à évoluer. Ainsi
que nous l’avons mentionné plus haut, quoique relativement vague, le terme
d’immatériel sera utilisé ici comme un terme générique, et sera préféré à mentefact.
1.2.2. La place grandissante de l’immatériel dans les
politiques et projets culturels
1.2.2.1. L’immatériel au cœur des préoccupations : vers un
« nouveau régime de patrimonialité ? »32
.
L’incursion de l’immatériel au musée, vu comme un objet muséal, est
relativement récente. La notion est cependant demeurée latente dans les esprits depuis
des décennies sans que celle-ci soit concrètement formulée. Ainsi George-Henri Rivière
avait lui-même déjà utilisé l’expression d’objet-symbole pour désigner certains objets-
témoins, lourds de contenus, qui pouvaient prétendre résumer toute une culture ou toute
une époque. Il avait alors déjà à l’esprit tout le poids de la signification cachée de
nombreux objets ethnographiques. Selon Anik Meunier, une certaine conscience de
l’immatériel a fait jour vers « la fin des années 1960, période au cours de laquelle
Georges-Henri Rivière initie une nouvelle vision de la muséologie, en mettant l’homme,
la société et son développement, plutôt que l’objet, exclusivement, au centre des
préoccupations de la discipline muséologique »33
.
La conséquence de cette nouvelle conception est d’avoir provoqué un
mouvement pour la prise en compte de ce type de patrimoine. Laurier Turgeon
mentionne cette incursion de l’immatériel dans la revue Ethnologie Française en posant
la question suivante : la muséologie s’avance-t-elle vers un « nouveau régime de
patrimonialité » 34
. Il entend par là que :
32 TURGEON Laurier, « Introduction. Du matériel à l'immatériel. Nouveaux défis, nouveaux enjeux »,
dans Ethnologie française, 3/2010 (Vol. 40), p. 390. 33
MEUNIER Anik, « Conjuguer architecture, culture et communauté », Téoros, 27-3, 2008, p.55.
En ligne : http://teoros.revues.org/84
Consulté le 22 juillet 2012. 34 TURGEON Laurier, Op. Cit., p.389.
23
« Depuis une dizaine d’années, nous sommes passés d’un régime
patrimonial soucieux de l’authenticité, de la conservation de la culture
matérielle et de la contemplation esthétique de l’objet dans sa matérialité à un
régime qui valorise la transformation des pratiques culturelles, la performance
de la personne et l’expérience sensible de la culture »35
.
Cette conception de l’idée de patrimoine, évoluant du matériel vers l’immatériel,
traduit un paradigme nouveau, intrinsèquement lié à un mouvement de renouveau dans
les disciplines présentées au musée, et notamment dans le domaine de l’ethnologie. On
ne s’intéresse désormais pas seulement à l’objet pour sa qualité matérielle et esthétique,
mais pour les valeurs et le sens qu’il véhicule. Cette idée n’est pas nouvelle, mais elle
s’est longtemps appuyée sur l’objet matériel pour permettre d’accéder à une dimension
de sens. Désormais, cette recherche du sens est proposée directement dans l’immatériel
lui-même, sans recourir à un objet matériel en guise d’intermédiaire (du moins en
principe, mais ceci n’est pas tout à fait exact en raison des supports nécessaires à
l’exposition et la conservation de l’immatériel). Ainsi que le mentionne Pablo Avilès
Flores, « la logique des collections reste celle d’illustrer un propos intellectuel et non
seulement une pièce particulière, que ce soit un chef-d’œuvre ou une pièce curieuse.
Cette dernière attitude est plutôt propre aux collections d’aujourd’hui »36
.
Au passage, il est intéressant de comparer cette pratique avec celles des icones et
reliques dans le domaine religieux, sensées permettre au fidèle d’accéder par le biais à
une dimension spirituelles. Les objets matériels, des « objets parfois sacralisés par des
opérations muséales, transformés en reliques »37
semblent parfois, dans une certaines
mesure, s’apparenter à ces éléments de la pratique religieuse par leur thésaurisation et
l’usage qui en est fait, permettant au commun des mortels une accession simplifiée à
une dimension qu’ils auraient du mal à aborder en d’autres circonstances. Pour autant,
la qualité d’un objet matériel ne se limite pas à une simple fonction de relique, même si
celle-ci paraît en être une facette.
Une fois encore, les chercheurs proposent une terminologie différente selon la
manière dont ils développent le concept de sens, relié aux objets matériels. Friedrich
35 TURGEON Laurier, Op. Cit., p.390. 36 AVILES FLORES Pablo, Collections d’objets merveilleux et d’objets d’art. La propriété du roi, des
particuliers et du peuple, Communication présentée aux écoles d'été au sein du doctorat des cultures
juridiques européennes, en 2006. 37 BOURSIER Jean-Yves, « La mémoire comme trace des possibles», dans Socio-anthropologie, n.9,
2001.
24
Waidacher parle ainsi de « nouophore »38
, c’est-à-dire de porteur de sens, Kryzstof
Pomian évoque quant à lui les sémiophores, c'est-à-dire des « porteurs de signe »39
,
tandis qu’Herman Parret parle quant à lui de la culture mnésique, qui « est investie dans
la mémoire des individus et des collectivités. Cette mémoire peut être codée et
matérialisée dans les styles de vie, les habitudes sociétales, même dans l’urbanisme des
villes »40
. Ce sont donc selon ces auteurs au travers de l’objet matériel, que l’immatériel
pourrait être accessible, d’où l’idée d’une omniprésence de l’immatériel.
Somme toute, au-delà de toute considération pratique, le paysage muséal à
connu dans la seconde moitié du XXème
siècle une modification de fond ayant balayé les
acquis en place pour englober de nouveaux aspects et donner un sens inédit à la notion
de patrimoine. En conséquence, l’idée d’un « nouveau régime de patrimonialité »
avancée par Laurier Turgeon semble faire sens.
1.2.2.2. Un cheminement vers une vision plus sensible du patrimoine
culturel
Il faut cependant noter que la nouvelle vague en faveur de la protection du
patrimoine immatériel et la reconnaissance de son statut d’objet muséal ne se fait pas
sans heurts. Il s’agit d’une part de bouleverser des conventions sociales et culturelles
établies de longue date, mais en plus de promouvoir des ressources culturelles
considérées alors comme de second ordre, voire purement et simplement déconsidérées.
Nous nous attacherons dans ce paragraphe à souligner la manière dont la reconnaissance
du patrimoine immatériel a causé un choc sans précédent dans le monde de la
muséologie. Loin d’être simplement un nouvel aspect culturel à considérer, le
patrimoine immatériel impacte toutes les normes et conventions, il «trouble les
classifications établies, […] bouscule les règles canoniques de la conservation et
38 WAIDACHER Friedrich, Vom redlichen Umgang mit Dingen : Sammlungsmanagement im System
musealer Aufgaben und Ziele; Workshop zum Sammlungsmanagement, Inst. für Museumskunde, Berlin,
1997, 25 p., p.20. Cité dans SCHÄRER Martin, « L’exposition, lieu de rencontre pour objets et acteurs »,
dans MARIAUX Pierre-Alain (dir.), Les lieux de la muséologie, Ed. P.Lang, Bern, 2007, 183p. p.49. 39 POMIAN, Krzysztof, Op. Cit. 40 PARRET Herman, « Vestige, archive et trace : Présences du temps passé », Protée, vol.32, n.2, 2004,
p.37.
25
participe largement à la définition des nouvelles politiques patrimoniales »41
et de plus,
« longtemps déconsidéré, ce patrimoine apparaît aujourd’hui comme un axe majeur du
patrimoine mondial »42
.
Cette vision des choses découle en partie du mouvement de la « nouvelle
muséologie » qui a apporté une vague de renouveau au domaine à partir de la fin des
années 1960. C’est à ce moment que les questions d’identité culturelle, dans la
mouvance des décolonisations que connaissent les états Européens face à leurs
anciennes colonies, et l’apparition de l’idée d’une muséologie plus participative, se font
jour43
. Soutenu par de grands muséologues tels que Georges-Henri Rivière ou encore
Hughes de Varine, ce mouvement a cherché à mettre en place un nouveau concept de
musée, afin que « l’ancien « cœur » du musée – la collection - [soit] placé à la
périphérie du système pour être remplacée par l’humain »44
. Il n’est donc pas étonnant
que ce mouvement soit contemporain de celui qui a vu apparaître la prise en compte
progressive de l’immatériel, il y est même intrinsèquement lié. Cette idée est
aujourd’hui encore plus exacerbée, si l’on en croit Laurier Turgeon qui, mentionnant les
Québécois, déclare que : « Les citoyens sont en quête d’un patrimoine plus interactif,
participatif et vivant »45
. Ceci montre une constance de l’opinion en faveur d’une
muséologie plus proche de l’être humain, plus vivante et plus participative.
L’idée du patrimoine immatériel et de sa conception peut cependant faire peur.
La crainte que celui-ci vienne surclasser le patrimoine matériel peut exister. Avec la
« nouvelle muséologie » et l’incursion de l’immatériel dans le champ muséal, l’objet
matériel a en effet été pris en défaut et ses insuffisances à servir le discours muséal
stigmatisées par les défenseurs d’une muséologie plus intangible. Le but est cependant
d’opérer un véritable cheminement vers une vision bilatérale du patrimoine, qui mêle
les deux notions avec hétérogénéité et égalité. Pour ce faire, les comités nationaux et
internationaux ont progressivement dû revoir leurs codes et leurs pratiques. Ce
changement de statut de l’objet patrimonial, qu’il soit matériel ou immatériel est alors
révélateur d’un phénomène de mondialisation des idées.
41 TURGEON Laurier, Op. Cit., p.390. 42 Ibid. p.390. 43 DESVALLEES André, MAIRESSE François, Sur la muséologie, dans Culture & Musées, n°6, 2005.
pp. 131-155.
En ligne : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pumus_1766-
2923_2005_num_6_1_1377
Consulté le 13 septembre 2012. 44 Ibid., p.146. 45 TURGEON Laurier, Op. Cit., p.392.
26
1.3. Reconnaissance institutionnelle du patrimoine
immatériel
1.3.1. Une reconnaissance au niveau international
Ainsi que nous l’avons vu, la conscience du patrimoine immatériel et de son
importance n’est pas neuve. Cependant, l’élément décisif est qu’aujourd’hui, les
nouvelles politiques du patrimoine ont permis sa reconnaissance juridique à l’échelle
internationale. Le processus a pourtant mis plusieurs années pour arriver à maturation et
pour être adopté, au moins en principe, par les états. Durant plus de vingt années, par le
biais de jalons successifs, la reconnaissance institutionnelle du patrimoine immatériel a
fini par émerger sous la forme d’une convention.
Le préalable à cette démarche est la Convention pour la protection du
patrimoine mondial, culturel et naturel de 197246
. Cette toute première convention ne
concerne pas encore le patrimoine immatériel, mais elle témoigne d’une prise de
conscience de l’urgence de mettre en place des procédures de sauvegarde pour de très
nombreuses richesses du patrimoine mondial. Elle porte sur : « les sites naturels, les
monuments historiques, les ensembles architecturaux et les collections archéologiques,
donc essentiellement sur les éléments matériels47
». Suite à ces prémices a eu lieu la
Conférence de Mexico de 1982, connue sous le nom de Mondiacult, où ont siégé de très
nombreux pays membres de l’UNESCO. Celle-ci a permis de poser les premiers jalons
de la reconnaissance patrimoniale de l’immatériel : il a été décidé d’incorporer dans la
notion de patrimoine « une nouvelle définition du patrimoine culturel, englobant les
œuvres tant matérielles qu’immatérielles par lesquelles la créativité des populations
trouve son expression : langues, rites, croyances, sites et monuments historiques,
littérature, œuvres d’art, archives et bibliothèques48
». Cette conférence a clairement
défini les prérogatives des Etats membres sur la question de l’élaboration des politiques
culturelles, l’égalité des cultures et le refus de toute hiérarchie, en même temps qu’elle a
46
UNESCO, Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel, Paris, 16
novembre 1972.
En ligne : http://portal.unesco.org/fr/ev.php-
URL_ID=13055&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html
Consulté le 8 septembre 2012. 47
TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 391. 48
UNESCO, « 1982 - 2000 : de MONDIACULT à Notre diversité créatrice ».
En ligne : http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=fr&pg=00309
Consulté le 8 septembre 2012.
27
posé la définition de la notion d’identité culturelle. Ainsi que le mentionne le texte
disponible sur le site de l’UNESCO, c’est à cette occasion qu’à été utilisée l’une des
premières fois l’expression « patrimoine immatériel » dans un document officiel, lors
d’une proposition de définition pour la culture49
.
Cette prise en compte nouvelle de l’immatériel a lancé un mouvement de fond
qui s’est concrétisé dans les quinze années suivantes lors d’une série de conférences,
afin d’établir une définition toujours plus fine de l’immatériel. C’est ainsi qu’une
recommandation adoptée lors de la conférence de Paris de 1989 ouvre la voie à une
véritable prise en compte institutionnelle du patrimoine immatériel. Cependant,
« confrontés à des problèmes de définition et de terminologie, les pays membres de
L'UNESCO utilisèrent un nombre important d'expressions pour désigner la réalité dont
on voulait parler et le sens véritable de cette réalité50
». On peut aussi citer la
Recommandation sur la sauvegarde de la culture traditionnelle et populaire de 1989,
qui, sous le terme de folklore (encore utilisé de nos jours aux Etats-Unis pour désigner
les arts et traditions populaires) pose les fondements de la prise en compte et de la
sauvegarde du patrimoine immatériel des différentes cultures en insistant sur leur
importance sociale, économique ou encore politique, de même que pour l’identité
culturelle propre aux différents groupes sociaux51
. Elle propose en outre aux Etats des
conseils afin de gérer ce patrimoine, de le sauvegarder et de le valoriser. En termes de
conservation, ces recommandations suggèrent que les Etats membres devraient :
« (a) mettre en place des services nationaux d'archives où les matériaux de la
culture traditionnelle et populaire collectés puissent être stockés dans des
conditions appropriées et mis à disposition ;
(b) mettre en place une unité nationale centrale d'archives aux fins, de la
prestation de certains services (indexation centrale, diffusion de, l'information
49 UNESCO, Ibid., en ligne : http://www.unesco.org/culture/ich/index.php?lg=fr&pg=00309 50 D’après l’article : « Le patrimoine immatériel dans le monde et au Québec » sur le site internet du
Ministère de la culture, de la communication et de la condition féminine du Québec.
http://www.mcccf.gouv.qc.ca/index.php?id=1914 Consulté le 8 septembre 2012. 51
UNESCO, Recommandation sur la sauvegarde de la culture traditionnelle et populaire, Paris, 15
novembre 1989.
En ligne : http://portal.unesco.org/fr/ev.php-
URL_ID=13141&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html
Consulté le 8 septembre 2012.
28
relative aux matériaux de la culture traditionnelle et populaire et aux normes
applicables aux activités la concernant, y compris l'aspect préservation) ;
(c) créer des musées ou des sections de la culture traditionnelle et populaire
dans les musées existants où celle-ci puisse être présentée ;
(d) privilégier les formes de présentation des cultures traditionnelles et
populaires qui mettent en valeur les témoignages vivants ou révolus de ces
cultures (sites, modes de vie, savoirs matériels ou immatériels) ;
(e) harmoniser les méthodes de collecte et d'archivage ;
(f) former des collecteurs, des archivistes, des documentalistes et autres
spécialistes à la conservation de la culture traditionnelle et populaire, de la
conservation matérielle au travail d'analyse ;
(g) octroyer des moyens en vue d'établir des copies d'archives et de travail de
tous les matériaux de la culture traditionnelle et populaire, ainsi que des copies,
destinées aux institutions régionales, assurant de la sorte à la communauté
culturelle concernée un accès aux matériaux collectés »52
.
Le patrimoine immatériel obtient dès lors une première reconnaissance officielle
par l'ensemble des pays membres de l'UNESCO et se voit octroyer des conseils et
moyens d’action.
La dernière étape en date du processus a été la rédaction d’une Convention pour
la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, qui a été adoptée lors de la 32e
session de la Conférence générale de l'Unesco en octobre 2003. Laurier Turgeon
rappelle que « d’après l’ancien président du Comité du patrimoine mondial et le
directeur général sortant de l’UNESCO, Koïchiro Matsuura, c’est en réponse à la
demande croissante d’inscription de sites sur la liste du patrimoine mondial pour leurs
valeurs culturelles immatérielles et face aux difficultés de les faire reconnaître selon la
convention de 1972, qu’il a soutenu l’élaboration et la mise en œuvre de la Convention
52 UNESCO, Ibid., En ligne : http://portal.unesco.org/fr/ev.php-
URL_ID=13141&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html
29
pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de 2003 »53
. Celle-ci s’est donc
fait en total contrepoint de celle de 1972 qui ne laissait place qu’au seul patrimoine
matériel. A contrario, la convention de 2003 cause un « élargissement de la notion de
patrimoine »54
en mettant en avant la culture immatérielle sous toutes ses formes et
valorise les pratiques plus que les objets matériels, sans toutefois exclure ces derniers.
Laurier Turgeon souligne bien que cette convention conçoit le patrimoine « comme un
processus plutôt qu’un produit » et qu’elle « attache une grande importance à la
préservation des « communautés » et à la transmission active de leurs pratiques, perçue
comme un moyen efficace de conservation, au point où on le définit désormais comme
« l’héritage culturel vivant des communautés »55
. Depuis 2003, près de 130 états ont
adhéré à la convention de l’UNESCO, ce qui traduit l’ampleur de ce mouvement.
En définitive, le processus de reconnaissance du patrimoine immatériel au
niveau international a mis plusieurs décennies avant de parvenir à maturation. C’est par
étapes progressives que celui-ci a été identifié, évalué, et que sa conservation et sa
sauvegarde ont été définies comme essentielles et souvent même urgentes. Cependant,
si la reconnaissance est internationale, l’application des recommandations est laissée à
la libre appréciation des états membres ; aussi ces derniers se dotent-il parfois de
législations nationales afin d’assurer une bonne sauvegarde de leurs richesses
patrimoniales de toutes natures.
1.3.2. Des initiatives nationales
Des initiatives nationales ont été entreprises à divers moments dans les états
membres de l’UNESCO pour prendre en compte le patrimoine immatériel, qui était
jusque là souvent relativement déconsidéré.
Tel est le cas par exemple au Québec, où dès 1987 le ministère des Affaires
culturelles a entrepris « une réflexion qui va conduire à la reconnaissance formelle de
l'immatériel comme l'une des composantes majeures du patrimoine. La Politique
53 TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 391-392. 54 Selon les termes de l’ancien directeur général de l’UNESCO Maatsuura Koiricho. 55 TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 391.
30
culturelle du Québec (1992) ouvre la voie à une conception globale du patrimoine qui
reconnaît l'interrelation de l'immatériel et du matériel »56
.
Le gouvernement du Québec a publié à deux reprises, en 1994 et en 2004 des dossiers
afin de souligner son implication et sa connaissance des enjeux soulevés par le
patrimoine immatériel. Il a de plus affirmé sa position dès 2002 en proclamant que : « le
patrimoine immatériel compte parmi les composantes essentielles de l'identité des
peuples et que son soutien constituait l'un des moyens par lesquels il entendait
contribuer à maintenir et à promouvoir la diversité culturelle »57. Depuis 2008, d’autres
démarches ont été amorcées, notamment en lien avec la Loi sur les Biens Culturels
(1972), qui sera remplacée courant 2012 par la Loi sur le Patrimoine Culturel, qui elle
englobe clairement le champ de l’immatériel58
.
En Europe, les états sont parvenus à la réalisation d’une convention, connue sous
le nom de convention de Faro, en 2005. Celle-ci met en place une nouvelle politique du
patrimoine culturel et en propose une définition englobant le patrimoine immatériel. Le
1er
juin 2011, cette convention, appelée aussi Convention-cadre du Conseil de l’Europe
sur la valeur du patrimoine culturel pour la société, est entrée en vigueur, ayant obtenu
les dix signataires nécessaires à sa validation.
La France n’est pas signataire de la convention de Faro, à ce jour, mais elle a
entrepris une politique à l’échelle nationale afin de valoriser elle aussi le patrimoine
immatériel. Elle est également état-partie à la convention de 2003 de l’UNESCO,
qu’elle a ratifié en 2006, et peut en conséquence « soumettre des candidatures en vue
d'inscription de certains des éléments de son patrimoine culturel immatériel sur les listes
du PCI »59
. La France a aussi entrepris un inventaire de son patrimoine culturel
immatériel, en coopération avec de nombreuses organisations non-gouvernementales,
56 D’après l’article : « Le patrimoine immatériel dans le monde et au Québec » sur le site internet du
Ministère de la culture, de la communication et de la condition féminine du Québec.
http://www.mcccf.gouv.qc.ca/index.php?id=1914 Consulté le 8 septembre 2012. 57 Ministère de la culture, de la communication et de la condition féminine du Québec, Ibid.,en ligne :
http://www.mcccf.gouv.qc.ca/index.php?id=1914 58 D’après le Ministère de la culture, de la communication et de la condition féminine du Québec.
En ligne : http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=5&file=2011C21F.P
DF
Consulté le 17 septembre 2012. 59
D’après le site internet du Ministère de la Culture et de la Communication.
En ligne : http://www.culturecommunication.gouv.fr/index.php/Disciplines-et-secteurs/Patrimoine-
culturel-immateriel/Les-PCI-francais-et-l-UNESCO
Consulté le 17 septembre 2012.
31
telles que des universités, associations et centres de recherches. Elle dispose également
d’un Centre français du patrimoine culturel immatériel, à Vitré, en Ille-et-Vilaine, qui
organise très régulièrement des colloques et conférences afin de réfléchir à la gestion et
la valorisation de ce type de patrimoine et permet l’accès aux ressources, le tout en
collaboration directe avec le Ministère de la culture et de la communication. En
complément de toutes ces législations nationales et supranationales, on peut également
noter l’augmentation du nombre de conférences et de colloques qui sont organisés sur le
thème du patrimoine immatériel et de la place à lui accorder. Ceci est révélateur d’une
profonde mutation dans les esprits et d’une conscience nouvelle de la réalité de la
question patrimoniale.
Somme toute, la question se pose quant à savoir s’il est vraiment pertinent de parler
de « dichotomie » en ce qui concerne les patrimoines matériels et immatériels. Selon les
auteurs, les réponses vont être différentes, chacun avançant des arguments en faveur de
sa thèse. Certains auteurs avancent l’idée que les deux types de patrimoine doivent être
clairement séparés et considérés différemment. D’autres, comme Laurier Turgeon
militent en faveur d’une union des deux notions sous le seul giron du patrimoine
culturel, « unis dans une étroite interaction, l’un se construisant par rapport à l’autre »60
.
Ces éléments reflètent ainsi la tâche ardue que présente l’entrée du patrimoine
immatériel au musée et les débats que ce sujet suscite.
60 TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 391.
32
Deuxième partie :
Un patrimoine d’interprétation en voie
de conception :
le patrimoine d’histoire orale
33
2. Les témoignages d’histoire orale : un modèle pour
l’entrée de l’immatériel au musée ?
Nous l’avons vu dans la première partie de ce travail, le patrimoine immatériel
dispose aujourd’hui d’une reconnaissance formelle et légale à l’échelle internationale.
Cependant, il n’est pas simplement un domaine de la culture servant à la documentation
des collections matérielles : il est au contraire de plus en plus présenté en tant qu’expôt
dans les institutions patrimoniales. Ainsi que le mentionne Laurier Turgeon en citant
Yves Bergeron, « Les musées aussi se tournent vers le patrimoine immatériel […] les
muséologues aujourd’hui veulent enrichir l’exposition et l’interprétation des objets par
la connaissance de leurs modes de fabrication et leurs usages sociaux »61
.
2.1. Le musée, vers un rôle sauvegarde des mémoires
vivantes ?
2.1.1. L’histoire orale, une source ou un expôt ?
Ainsi que nous l’avons mentionné dans la première partie de ce document, le
patrimoine culturel immatériel peut se présenter sous des formes très variées, incluant,
selon la définition de l’UNESCO « les traditions et expressions orales, y compris la
langue […], les arts du spectacle, les pratiques sociales, rituels et événements festifs, les
connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers [et] les savoir-faire liés à
l’artisanat traditionnel »62
. Prendre en compte la diversité de ces richesses culturelles
pour les incorporer au musée ne serait pas possible dans le cadre précis de ce travail, ce
pourquoi nous nous concentrerons sur les témoignages d’histoire orale. Les autres types
de sources du patrimoine immatériel, tels que par exemple les chants folkloriques, les
savoir-faire artisanaux ou rituels, englobent un champ de compréhension d’autant plus
61 TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 392. 62 UNESCO, Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, 2003.
34
vaste et des compétences de collecte souvent liées à l’ethnographie qui nous paraissent
impossible à décrire ici. Les témoignages oraux seront notre sujet d’étude, d’autant plus
que leur nature, leur collecte et leur gestion muséales ont pu être étudiées de près dans
le cadre d’un stage au Centre d’histoire de Montréal, permettant leur utilisation comme
exemples et support de réflexion. Ces observations, dans le cadre d’un musée
québécois, permettront également de mettre en avant le positionnement actuel de la
muséographie nord-américaine et tout spécialement sa manière d’envisager la
sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine immatériel. Celui-ci est en effet très prisé
du grand public nord-américain, où sa présence dans le cadre muséal est souvent plus
marquée qu’en Europe. Laurier Turgeon mentionnait d’ailleurs :
« Encore aujourd’hui, le patrimoine immatériel est celui auquel la
population québécoise s’identifie le plus et celui qu’elle utilise le plus
pour marquer son identité. Un sondage mené en 2000 sur la perception de
la notion de patrimoine pour le compte du groupe conseil sur la politique
du patrimoine culturel du Québec, mieux connu sous le nom de rapport
Arpin, démontre que les trois quarts des personnes interrogées plaçaient
au premier rang les éléments immatériels de la culture, notamment la
langue et l’histoire, alors que seulement le quart accordait la priorité à
l’architecture et aux œuvres d’art, situation très différente des pays
d’Europe où les monuments historiques arrivent presque toujours en
tête »63
.
Cette conception particulière à l’égard du patrimoine immatériel s’explique par
le fait que, pays relativement « nouveau » comparé aux états de la « vieille Europe », le
Canada et le Québec en particulier ne disposent souvent pas toujours de collections
matérielles aussi conséquentes que les musées européens. Par contre, ils ont accès à un
patrimoine ethnographique et naturel particulièrement riche, notamment de par la
présence sur le territoire d’amérindiens, appelés au Canada les « Premières Nations ».
En tant que peuple « jeune », les canadiens n’ont pas cette conception de trésors
matériels, de vestiges régaliens que l’on peut retrouver en Europe. Ils sont bien plus
attachés à une idée de communautés, d’appartenance à un groupe et d’identité. Yves
63 TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 395.
35
Bergeron relève en ce sens que « ce n’est pas un hasard si les musées de société qui
font largement appel à l’immatériel se sont développés chez les francophones de
l’Amérique du Nord64
» au contact d’une culture différente. Il faut alors considérer sur
un même plan ces deux types de conceptions, qui apportent chacune des connaissances
et des apprentissages. « Le patrimoine immatériel n’est pas juste un pis-aller, un
substitut du bâti. Il est un puissant moyen de montrer et d’affirmer l’existence des
groupes, surtout ceux qui sont en situation minoritaires »65
. En effet, une fois encore, il
s’agit de sauver un patrimoine en danger, les pratiques des populations amérindiennes
décroissant souvent avec les jeunes générations et le phénomène de mondialisation.
Le projet d’histoire orale du Centre d’histoire de Montréal s’inscrit tout à fait dans
cette conception profondément liée à l’identité des communautés. Oscillant entre son
rôle de centre d’interprétation et de musée d’histoire, cette structure municipale s’est
attachée à créer un nouveau discours historique, laissant place aux voix de ses habitants.
Il s’agissait alors de « proposer une alternative vivante au musée d’histoire66
». Le
directeur, Jean-François Leclerc, mentionne que l’inspiration qui a guidé la création de
ce nouveau discours provient d’expériences menées aux Pays-Bas et aux Etats-Unis
d’Amérique. Ce musée est donc un exemple intéressant d’une nouvelle forme de
collections muséales, proche des hommes et non plus seulement de leurs productions
matérielles.
2.1.2. Le « collectage » : travail d’historien, d’archiviste ou
de muséologue ?
Traditionnellement, les sources de l’historien sont des sources matérielles,
écrites dans la pierre ou des matériaux d’écriture divers. L’entrée au musée du
témoignage oral induit donc un nouveau type de pratiques permis par l’arrivée des
nouvelles technologies et l’augmentation de l’espérance de vie (qui permet un échange
intergénérationnel direct). La question de la place de l’histoire orale au musée en tant
que collection sera traitée plus loin dans le présent document, nous nous attacherons
64 Laurier Turgeon, citant des exemples présentés dans d’autres publications par Yves BERGERON,
Olivier MALIGNE ou encore Marie RENIER, dans TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 395. 65 TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 395. 66 LECLERC Jean-François, Le Centre d’Histoire de Montréal : histoire d’une institution et d’une vision
du passé, Montréal, UQAM, 1991, 23p.
36
davantage ici à comprendre que sont ces témoignages et comment ils peuvent s’intégrer
en tant qu’expôt, soit « tout ce qui est ou peut être exposé, sans distinction de nature »67
,
au musée.
La collecte des témoignages oraux est plus spécifiquement appelée
« Collectage », si l’on en croit Florence Descamps qui mentionne que :
« Le terme « collectage » est un terme très ancien, puisqu’il est
usité dès l’Ancien Régime, […] c’est en effet un terme utilisé tout au
long du XIXe siècle par les sociétés savantes, les érudits locaux, les
Académies qui ont mené des collectes de traditions orales, de coutumes,
de textes, d’ouvrages anciens ou de musiques anciennes, et ce, dès la fin
de la Révolution française. C’est donc un terme qui nous vient du
traditionalisme, du folklorisme, de l’ethnographie, de l’ethnomusicologie
et qui est utilisé aujourd’hui pour la collecte des musiques et danses
traditionnelles, pour la littérature orale et les ethno-textes et, plus
largement, pour le patrimoine oral et immatériel. La définition actuelle
du collectage pourrait être « recueil de la mémoire ou du patrimoine
oral » et les « collecteurs » seraient « ceux qui pratiquent le collectage.
[…] Enfin, on ne peut pas oublier la connotation patrimoniale, comme si
« collectage » était le résultat de la fusion des mots « collecte » et
« archivage » : on collecte pour conserver et transmettre »68
.
L’action de collecter les témoignages oraux n’est pas anodine : lourde de sens en
elle-même, elle vient conditionner les témoignages et souvent leur donner une tonalité
particulière, en fonction du contexte et de la personnalité des intervenants. La procédure
dans son ensemble, qui transforme le témoignage en objet muséal, lui permet de passer
du statut de souvenir à celui de mémoire et de véritable « histoire ».
Cependant l’histoire orale, si elle est une pratique de plus en plus prisée aujourd’hui, est
toutefois relativement nouvelle et souffre parfois d’une certaine déconsidération. Il est
vrai que souvent, la valeur de l’écrit prime sur celle de l’oral, cependant, la possibilité
que le document soit faux, partial ou retravaillé, reste le même et il revient toujours à
67 DESVALLEES André, « Les Galeries du Musée national des Arts et traditions populaires : leçon d’une
expérience muséologique », Musées et collections publiques de France, 134, 1976, pp. 5-37. 68
DESCAMPS Florence, « La place et le rôle du collecteur de témoignages oraux », Bulletin de liaison
des adhérents de l'AFAS, 28, hiver 2005 - printemps 2006, mis en ligne le 14 juillet 2010.
En ligne : http://afas.revues.org/1514
Consulté le 11 septembre 2012.
37
l’historien d’exercer son esprit critique. Le terme d’histoire orale est à la base une
traduction littérale de l’anglais « Oral History ». La discipline historique a bien entendu
toujours laissé place aux témoignages oraux, sans quoi elle manquerait cruellement de
sources. Le récit d’évènements est essentiel à la construction de tout récit historique, et
ce depuis les débuts de la discipline, avec des historiens grecs tels que Hérodote et
Thucydide au Vème
siècle avant J-C69
. Ils ont, selon les époques, été considérés comme
des témoignages de premier ou de second ordre. A proprement parler, l’histoire orale en
tant que « discipline » est née au début des années 1930, durant la période de la
« Grande Dépression »70
, aux Etats-Unis à l’occasion d’une enquête nationale sur la
mémoire des anciens esclaves noirs, afin de tenter de fédérer la société américaine. Le
premier centre d’histoire orale est né quant à lui à l’Université de Columbia, à New
York et a, dès ses débuts, mené des enquêtes d’ampleur afin de réunir une
documentation inédite sur de grands personnages et de grands évènements71
. La
naissance de l’histoire orale en tant que vrai champ de recherche et source historique est
donc une initiative résolument nord-américaine, dont la pratique s’est ensuite exportée
dans le monde.
Enfin, on peut souligner le fait que, selon certains auteurs, les témoignages oraux
appartiennent à ce qui est couramment nommé l’ « histoire immédiate », soit
« l'ensemble de la partie terminale de l'histoire contemporaine, englobant aussi bien
celle dite du temps présent que celle des trente dernières années; une histoire, qui a pour
caractéristique principale d'avoir été vécue par l'historien ou ses principaux témoins »72
.
Cette histoire immédiate, qui serait donc la partie la plus proche de l’actualité, surtout
en raison de son caractère vivant, en ce qu’elle implique la présence vivante et active de
témoins. Cette césure de l’histoire contemporaine, si elle est contestée aujourd’hui et ne
fait pas l’objet de ce travail, est néanmoins à considérer en ce qu’elle témoigne de
l’évolution de la science historique et du parallèle qui se fait, en temps comme en
pratique, avec les évolutions connues par la muséologie. La question est donc bien de
savoir comment faire passer ces éléments de la mémoire commune d’une utilisation
69 D’après DESCAMPS Florence, MARTINANT DE PRÉNEUF Jean, DE RUFFRAY Françoise,
TERRAY Aude, Les sources orales et l’histoire : Récits de vie, entretiens, témoignages oraux, Paris,
Bréal, Coll. Sources d’histoire, 2006, 287p. 70 La Grande Dépression, appelée aussi la « Crise de 1929 » est une période s’échelonnant du crash
boursier à Wall Street en 1929, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. 71 D’après DESCAMPS Florence, MARTINANT DE PRÉNEUF Jean, DE RUFFRAY Françoise,
TERRAY Aude, Op. Cit., 2006, 287p. 72 SOULET Jean-François, L'histoire immédiate, PUF, Collection « Que-Sais-Je ? », n° 2841, 1994, 128p.
38
résolument universitaire à un objet muséal utile à la délectation et l’apprentissage du
grand public. En d’autres termes, on pourrait parler de vulgarisation de la culture orale
et de sa diffusion de manière moins élitiste.
Ainsi, la question du recueil ou « collectage » de l’histoire orale demeure
ouverte, de même que la question du choix de ses collecteurs, archivistes, historiens ou
muséologues. Le témoignage oral est passé par diverses strates, diverses dénominations
et divers niveaux de considération. Somme toute, c’est l’usage qui est fait de ce
témoignage qui détermine sa nature d’archive, de source documentaire ou encore
d’objet muséal.
2.1.2.1. Collecter pour les générations futures : exemples
d’initiatives
Cette idée de transmission patrimoniale liée à la collecte de mémoire vivante est
donc tout particulièrement vivace : on collecte pour préserver, mais également pour
transmettre et valoriser. Le témoignage oral ne serait par conséquent pas qu’un simple
support, une source pour le chercheur en sciences humaines, mais bien un expôt. Il
apparaît en effet que la présence des témoignages oraux dans les expositions muséales,
au même titre que des objets matériels, est de plus en plus fréquente. Alors qu’ils sont
présents dans les musées de longue date, plutôt en tant que complément documentaire
des objets matériels ou de documentation que comme objets muséaux à part entière, les
témoignages oraux (présentés sous forme audio ou vidéo) sont aujourd’hui souvent
utilisés pour préserver la mémoire d’un lieu, d’une histoire, d’une activité ou d’un
savoir-faire, notamment lorsque celui-ci est menacé de disparition. Il s’agit le plus
souvent d’initiatives de musées d’histoire ou de société, de sociétés savantes,
d’associations locales, ou encore d’universités.
A titre d’exemple, le Musée municipal de la Mine du Livet, dans le Calvados et
son association « Mémoire de Fer » œuvre aujourd’hui, entre autres, à :
« Collecter et valoriser la mémoire locale. Explorer les sources
d'archives qui y sont liées. Mener une collecte documentaire et
39
iconographique permanente. Encourager à la mise à jour de fonds privés
et au don (ou prêt) d'objets qui trouvent leur place dans le musée.
Enregistrer des témoignages oraux. Constituer une banque de données
accessible, à terme, au public »73
.
Ce petit musée de site, à proximité des anciennes mines qu’il est aujourd’hui
possible de visiter, a entrepris de collecter les témoignages d’anciens mineurs, pour
conserver ce qui est la mémoire « des dernières mines de l'Ouest »74
. Ces témoignages
ne sont cependant pas recueillis par le personnel du musée lui-même, mais par des
membres bénévoles de l’association. Même si les procédures employées ne sont pas
issues d’une pratique professionnelle clairement règlementée, l’initiative reste toutefois
à souligner. L’exemple est très révélateur d’une volonté de sauvegarder une mémoire en
perdition, la mémoire de tout un mode de vie, au-delà même d’un savoir-faire ouvrier
lié à l’extraction industrielle des matières premières dans les mines. Le savoir des
anciens mineurs est celui d’une frange laborieuse de la société qui peut souvent parler
tant de dispositifs techniques liés à son travail, que du cadre social dans lequel lui, sa
famille et ses collègues évoluaient. Il a donc dans ces témoignages la perspective de
recréation par le récit d’une époque révolue, sous forme d’une source primaire. Certains
musées de sites en France, tels que le musée de la Mine de Blanzy, en Bourgogne, ont
même formé pour guides d’anciens mineurs afin que ceux-ci puissent apporter
directement leur mémoire aux visiteurs75
. Bien entendu, les témoignages oraux sont
utiles à une préservation sur le long terme pour les générations futures. En cela, la
collecte est essentielle pour la mémoire d’un lieu et des hommes qui y ont vécu.
Autre exemple, étant désireux de s’ouvrir à une autre culture et de développer
des liens avec lui, le musée de Bretagne a présenté une exposition temporaire intitulée
« Mali au Féminin » du 16 mars au 3 octobre 201076
. Dans celle-ci, il proposait aux
visiteurs de rencontrer des intervenants dans l’exposition, mais aussi de visionner des
témoignages oraux en plus des films, objets, photographies et clips documentaires
disponibles. C’est le musée lui-même qui a entrepris ce travail de collecte, pour aboutir
73 D’après le site internet du musée de la Mine du Livet.
En ligne : http://www.saintgermainlevasson.fr/presentation.htm
Consulté le 2 septembre 2012. 74 Idem. 75 Voir le site internet du Musée de la Mine de Blanzy : http://www.blanzy71.fr/ 76
D’après le site internet du musée de Bretagne :
En ligne : http://mali-feminin.musee-bretagne.fr/Les-temoignages-oraux.html
Consulté le 2 septembre 2012.
40
à la sélection de quinze témoignages présentés dans « Mali au Féminin ». Cette
exposition a vraiment cherché à créer un contact entre le public et les différents
intervenants, à les aider à découvrir et comprendre d’autres modes de vie et de pensées
et à vouloir s’investir plus loin dans cette relation. Il y a vraiment ici une dimension
d’échange qui se crée : il ne s’agit pas vraiment de protéger une mémoire menacée mais
vraiment de poser les bases d’un dialogue interculturel. Ce musée a œuvré dans le cadre
d’un partenariat et ainsi tenté d’utiliser les nouvelles technologies pour valoriser la
parole, et mettre l’humain au centre de l’exposition et des préoccupations.
Ensuite, on peut citer l’exemple du musée-mémorial du 9/11, à New York, qui
lui aussi s’appuie sur la base de témoignages oraux pour développer et illustrer son
discours. Encore en travaux aujourd’hui, ce musée devrait ouvrir pour la fin de l’année
2012, mais est déjà présent de manière virtuel sur internet, sur un site largement
participatif. Il propose à l’internaute, s’il a vécu les évènements du 11 septembre 2001,
de contribuer à la sauvegarde de la mémoire de l’évènement par la mise en ligne de
photographies, de vidéos ou par le récit de sa propre histoire. Cette histoire personnelle
est collectée dans le cadre d’entrevues accompagnées par un professionnel77
. Elle
servira ensuite à alimenter la documentation sur le site internet et à conserver la
mémoire des survivants et de leur famille. Très touchés par les événements du 11
septembre 2001, cette montre à quel point les habitants des États-Unis souhaitent
commémorer la mémoire des disparus et apporter leur contribution à l’histoire
nationale. Cette initiative est un véritable appel à une conscience nationale, appelant à
donner de sa personne, de sa mémoire, pour la survivance du souvenir dans la
communauté nationale. Il s’agit donc ici d’une collecte de mémoire très spécifique, très
récente et centrée sur un évènement particulier, plus focalisée sur l’idée d’un devoir de
mémoire que d’une collecte documentaire ou de sauvegarde.
Enfin, l’exemple du Musée de la mémoire vivante de Saint-Jean-Port-Joli permet
d’illustrer l’importance du patrimoine immatériel dans l’esprit des Québécois78
. Sa
mission mentionne explicitement qu’ « il conserve, étudie et met en valeur la mémoire
de ses publics dans le but d’enrichir leur compréhension du monde et afin de
transmettre ces repères culturels aux générations futures. Cette institution est en soi une
mémoire vivante en constante évolution »79
. Ce musée interpelle directement les
77
D’après le site internet du Musée-mémorial du 11/9 : http://www.911memorial.org/share-your-story 78 Le site du musée de la mémoire vivante est disponible à l’adresse : http://www.memoirevivante.org/ 79 Idem.
41
québécois à venir au musée partager leur patrimoine, par des dons d’objets, de mémoire
(sous forme de témoignages écrits et oraux) et de documents80
. Tous les contributeurs
potentiels sont sollicités, le musée se déplaçant à domicile dans le cadre du programme
appelé « Musée de la mémoire vivante sur la route », ainsi que dans les écoles de la
région. Il collecte sur des thèmes divers les souvenirs et récits en tous genres. En
somme, le musée opère un passage du matériel à l’immatériel, se servant du cadre
ancien du musée pour aller vers une perspective de futur et de transmission du
patrimoine, de la mémoire, aux générations futures.
Ces quatre exemples sont finalement très différents, en ce que ni leur processus
de collecte, ni les autorités qui les régissent, ni les finalités de la collecte de
témoignages ne sont les mêmes. Le premier exemple est destiné à la sauvegarde de la
mémoire d’un site et des activités et modes de vie qui en ont découlé, le second à
valoriser une culture et renforcer un lien social, et le dernier à commémorer et préserver
la mémoire d’un évènement. En soi, chacun de ces exemples apporte une vision
différente du témoignage oral et de son utilité dans un cadre patrimonial.
Ces exemples, quoiqu’intéressants, ne font qu’effleurer en surface la question de
la présence des témoignages oraux au musée. Dès lors, il paraît judicieux de se pencher
plus en détail sur un cas concret, qui sera ici celui du Centre d’histoire de Montréal et de
son Musée de la Personne.
2.2. Un exemple d’intégration complète au musée : le cas du
Centre d’histoire de Montréal
S’il arrive souvent que les musées choisissent d’inclure des témoignages oraux dans
leurs expositions, leur prise en compte comme objet muséal à part entière est plus rare.
Ceux-ci constituent pourtant une collection actuellement en augmentation constante au
Centre d’histoire de Montréal, en parallèle de la collection matérielle d’artefacts et
d’archives. Depuis près d’une dizaine d’année maintenant, ce musée montréalais a en
effet entrepris la collecte de la mémoire de ses habitants, au point d’en faire un nouvel
80 Quelques uns de ces témoignages écrits et oraux sont accessibles en ligne sur le site du musée, à
l’adresse : http://www.memoirevivante.org/temoignages.html Consulté le 2 septembre 2012.
42
axe de collection. Il possède aujourd’hui une collection de plus de 600 témoignages de
natures et de thèmes variés, cette collection ayant vocation à s’enrichir très rapidement
au cours des prochaines années. Ce choix de développement est cependant propre à ce
musée dont la nature même le pousse à se positionner au plus près des communautés.
Cet exemple est particulièrement intéressant en ce qu’il permet de voir de l’intérieur
comment fonctionne la gestion et la valorisation d’une collection de patrimoine
immatériel, en l’occurrence ici de témoignages d’histoire orale.
2.2.1. Une institution hybride, entre musée et centre
d’interprétation
Le Centre d'histoire de Montréal est un établissement permanent à but non
lucratif, qui dépend de la ville de Montréal. Ses valeurs rejoignent les principes des
politiques municipales du patrimoine de la métropole, ainsi que la charte montréalaise
des droits et responsabilités81
. Le Centre d'histoire de Montréal a été fondé en 1983,
mais l’idée d’une institution pouvant interpréter et diffuser le patrimoine de la ville était
alors déjà dans les esprits depuis quelques décennies. Dès son origine, l’institution s’est
posée comme un élément original dans le paysage muséal de son époque en proposant
au visiteur de prendre lui-même part à l’histoire de la métropole. Il a été choisi de faire
primer l’interprétation sur la mission traditionnelle des musées qu’est la conservation
afin d’interpeller au mieux le visiteur. Le Centre d’histoire a refusé d’être défini comme
un « musée historique » et ce, depuis ses origines. Une ancienne directrice, Sylvie
Dufresne mentionnait à cet effet que « le véritable musée à découvrir, c’est la ville, et
par conséquent, toute la dynamique est orientée vers le dehors, vers l’environnement
urbain réel dont il n’est qu’un instrument facilitant la compréhension et la visite »82
.
Le Centre d’histoire de Montréal étant d’abord un centre d’interprétation, peu
d’objets y étaient conservés et présentés. Ce n’est qu’après 1987 que des objets ont été
81 LECLERC Jean-François, Le Centre d’Histoire de Montréal : histoire d’une institution et d’une vision
du passé, Montréal, UQAM, 1991, 23p. 82 DUFRESNE Sylvie, « Le Centre d’histoire de Montréal. Vocation et champs d’interventions», Réunion
du Comité permanent de l’entente, Ministère des Affaires Culturelles – Ville de Montréal, 1988, pp. 7-8.
43
acquis afin d’illustrer les propos scientifiques. Cette première collection était une
collection dite « fermée », à savoir que tous les artefacts étaient destinés à l’exposition.
Le Centre d’histoire de Montréal est malgré tout devenu aujourd’hui un musée
d’histoire, notamment d’histoire urbaine et populaire. Sa collection se compose pour
l’essentiel d’objets représentatifs de la vie de la métropole, tels du mobilier urbain, des
objets rappelant de grands évènements, des objets de la vie quotidienne, le tout dans une
véritable perspective d’histoire populaire centrée sur le XXème
siècle. Sa mission
première demeure toutefois une mission d’interprétation : il s’agit d’ « interpréter toute
l’histoire de la métropole et le patrimoine montréalais et les faire comprendre à ses
citoyens, nouveaux arrivants et touristes. Le CHM se démarque des musées d’histoire
en adoptant une raison d’être qui épouse les besoins des Montréalais.». La mission du
musée s’articule par conséquent selon trois lignes directrices :
L’interprétation du patrimoine montréalais et sa mise en valeur ;
La sensibilisation des Montréalais et des visiteurs à l’histoire de la métropole, à
ses évolutions et ses particularités ;
Diffuser l’histoire de Montréal, ville cosmopolite et francophone du Québec et
contribuer à son rayonnement dans la sphère locale, nationale et internationale.
Dans cette optique de développement et de proximité avec la population, le recueil
de témoignages oraux apparait comme une solution pertinente et surtout essentielle pour
la mémoire de la métropole. Nous allons voir ici en quoi ce processus modifie les
relations et les comportements du musée et des habitants de la ville.
2.2.2. Un appel à la conscience citoyenne ou l’exemple du
Musée de la Personne
Ainsi que nous venons de le mentionner, par son lien direct avec la population, le
Centre d’histoire de Montréal développe une conscience spécifique du patrimoine dont
il assure la sauvegarde. En effet son action, plus qu’une simple préservation
patrimoniale et un rapprochement avec les Montréalais, pousse à une véritable demande
d’action citoyenne. En ce sens, « peu importe l’évènement, le quartier, la langue ou
l’origine, le CHM fait connaître et aimer Montréal aux Montréalais en dénichant et en
44
transmettant leurs récits et leur patrimoine personnel. Il accompagne les services
municipaux et les organismes dans leurs projets de commémoration, d’animation et de
diffusion en histoire et en patrimoine »83
.
2.2.2.1. Les « Cliniques de mémoire » : vers un don de patrimoine
oral
Afin de mener a bien cet objectif, le musée a crée en 2004 le « Musée de la
Personne » afin de prolonger sa mission sociale et civique et « mettre en valeur le
patrimoine immatériel que représentent les histoires de vie et les témoignages »84
. Il
s’est inspiré du Museu da Pessoa, au Brésil, un musée né à Sao Paulo en 1991 dans le
but de recueillir et conserver les histoires de vie. Ce musée a ensuite essaimé, en
encourageant la création de nouveaux musées du même type à l’échelle mondiale.
Ainsi, « en 1999, l'Université de Minho au Portugal devient le premier partenaire. En
2002, l'Université de l'Indiana se joint au réseau [et] le Musée de la Personne - Montréal
[…] en 2004 » 85
.
Le musée de la Personne, musée entièrement virtuel, a permis de mettre en valeur
une nouvelle initiative du musée, apparue en 2003, les « cliniques de mémoires »86
. Ces
collectes de témoignages permettent au musée de recueillir sur support audio ou vidéo
les témoignages des habitants de la ville, le plus souvent membres de communautés
culturelles, telles que les communautés chinoises, portugaises ou encore haïtiennes. Ces
évènements prennent une forme très spéciale, qui se veut résolument attirante et
« festive », ainsi que le mentionne Jean-François Leclerc :
« Pour la clinique, nous avons choisi d’associer une activité
classique de collecte de témoignages et d’objets à une célébration du
patrimoine communautaire. Nous nous sommes inspirés de certains traits
emblématiques d’une collecte de sang (familièrement désignée sous le
nom de « clinique de sang »), avec son décor – cloisons pour entrevues,
83 DUFRESNE Sylvie, Ibid., p.2. 84
Centre d’histoire de Montréal, Exercice de positionnement et de planification stratégique (document
interne), 26 octobre 2009, 10p. 85
Le site internet du Museu da Pessoa est disponible à l’adresse : http://www.museudapessoa.net/ingles/ 86 Voir Annexe 4 : Iconographie « Cliniques de Mémoire », p. 103.
45
sarraus, stéthoscopes, ses fiches d’enregistrements et ses
rafraîchissements. Les participants y donnent leurs souvenirs pour sauver
leur histoire comme d’autres leur sang pour sauver des vies ! » 87
.
Cette initiative a donc permis de mener à de nombreuses expositions et de créer
une collection conséquente de témoignages. Par ailleurs, ainsi que le soulignent Michel
Droin et Marie-Blanche Fourcade, les « Cliniques de mémoire » visent au recueil « de
témoignages, d’objets et de photographies qui retracent la vie des migrants et de
permettre, par le biais des échanges entre les jeunes qui enregistrent ou inventorient et
les plus âgés qui racontent, de tisser des liens intergénérationnels et
intracommunautaires »88
. En définitive, ces témoignages et les documents qui les
illustrent, récupérés lors des « cliniques de Mémoire », constituent une partie originale
de la collection, soit une véritable collection d’ « histoire vivante ».
2.2.2.2. Amener à une véritable cohésion citoyenne : le projet « Vous
faites partie de l’histoire ! »
Le Musée de la personne, au sein du Centre d’histoire de Montréal, a également
entrepris de recueillir les témoignages d’enfants et de jeunes, afin de leur inculquer le
souci du patrimoine et de leur histoire. De manière générale, le Centre d’histoire de
Montréal est investi d’une mission pédagogique et éducative et contribue à la
valorisation de l’histoire de la ville. Il accueille de nombreux scolaires, dont des classes
spéciales en francisation, composées d’élèves présents au Québec depuis peu.
Le projet « Vous Faites Partie de l’Histoire ! » est réalisé depuis 2008-2009
dans le cadre de l’Entente entre la Ville de Montréal et le ministère de l’Immigration et
des Communautés culturelles. Il a permis de toucher ce public peu enclin à venir au
musée. Ce programme éducatif d’une durée de huit à dix semaines comprend des
ateliers de travail oraux et écrit, et est réalisé chaque année dans les classes d’accueil
87
LECLERC Jean-François, « Des cliniques de mémoire pour enrichir le patrimoine commun », Nos
Diverses Cités, n.7, 2010, p.105. 88 D’après DROUIN Michel, FOURCADE Marie-Blanche, « Pardon? Vous avez bien dit : Patrimoine
immatériel montréalais? », Téoros, n°26-2, 2007, p.75.
46
d’établissements scolaires montréalais89
. Il se fait sous la supervision d’un intervenant
professionnel du musée et comprend une visite spéciale du musée en compagnie de
comédiens. L’étape suivante consiste pour les élèves à trouver chez eux un objet ou
document qui fait partie de leur patrimoine, de leur histoire personnelle et de le
présenter à l’oral et à l’écrit devant leurs camarades. Cette activité leur permet donc de
nouer à la fois un contact avec la ville mais également avec leur famille, leurs ancêtres
et leurs pays d’origine.
Ainsi, « l’objectif du programme est de faire découvrir aux élèves issus des
communautés culturelles l’histoire de Montréal, leur ville d’adoption, en leur parlant
entre autres d’immigration et de l’importance de leur patrimoine familial. Au cœur du
projet : la recherche et le partage d’un trésor de famille, afin que chaque élève sente que
son histoire fait partie de l’histoire de la ville »90
.
2.2.3. Les témoignages d’histoire orale, objets d’expositions
Les témoignages sont aussi collectés dans le cadre d’activités particulières, telles
que des expositions temporaires. En pareilles circonstances, la sélection des témoins
potentiels est réalisée de manière bien plus stricte et préparée, et donne lieu à des
témoignages plus centrés sur les thématiques choisies. Par exemple, durant l’année
2009-2010, ont été collectés des témoignages portant sur le « Faubourg à M’lasse »,
« Goose Village » et le « Red Light », anciens quartiers de Montréal aujourd’hui
reconvertis, pour l’exposition temporaire « Quartiers Disparus »91
. Cette exposition,
prolongée actuellement ne comporte aucun objet matériel, autre que de décor, mais
uniquement des témoignages d’anciens résidents92
. Ceux-ci n’ont pas été recueillis dans
le cadre de « Cliniques de mémoire », mais lors d’entretiens préparés et organisés entre
le témoin et un enquêteur professionnel, accompagné d’un caméraman. Ces entrevues
sont préalablement préparées et documentées et sont ensuite sélectionnés pour faire
partie ou non de l’exposition. Cette technique de collecte est nouvelle, puisqu’elle a été
89 Le projet « Vous faites partie de l’Histoire ! » est présenté sur le site internet du Centre d’histoire de
Montréal, à l’adresse :
http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=8757,97815678&_dad=portal&_schema=PORTAL
Consulté le 18 septembre 2012. 90
Idem. 91 « Quartiers Disparus » est une exposition-documentaire temporaire du Centre d’histoire de Montréal,
présentée du 15 juin 2011 au 25 mars 2012 - Prolongation jusqu'au 1er septembre 2013. 92 Voir Annexe 5 : Iconographie « Quartiers Disparus ». Centre d’histoire de Montréal, p.104.
47
amorcée seulement avec le projet des «Habitations Jeanne Mance »93
, puis avec
« Quartiers Disparus »94
et se précise aujourd’hui avec la nouvelle exposition en cours
de conception pour 2013 : « Scandale! Vice, crime et moralité à Montréal, 1940-1960 ».
La forme adoptée par le recueil de témoignages d’histoire orale est donc une forme
purement participative qui laisse la place au grand public.
2.2.4. La place laissée aux initiatives locales
Le Centre d’histoire de Montréal est aussi un acteur important dans la
communauté locale en ce qu’il participe, encadre et supervise de nombreux projets
extérieurs. Son expertise est souvent requise pour des expositions mises en place par des
associations, des « Maisons de la Culture » ou d’autres institutions. Il a par exemple
contribué à l’exposition temporaire « Nous sommes ici », qu’il accueille actuellement
en ces murs95
. Cette exposition s’attache spécifiquement aux « histoires de vie des
Montréalais déplacés par la guerre, le génocide et autres violations des droits de la
personne ». Elle est en réalité « l’exposition synthèse » d’un projet d’histoire orale
appelé « Histoires de vie Montréal » dirigé par le Centre d’histoire orale et de récits
numérisés de l’Université Concordia entre 2007 et 2012 qui a mené à la réalisation de
près de cinq cent entrevues96
.
Somme toute, en date du 24 août 2012, ce sont plus de 600 témoignages oraux
qui figurent dans la collection du musée. En intégrant de la sorte les Montréalais au
musée, en les invitant à livrer leurs histoires et leurs récits de vie, le musée noue avec
eux un lien important qui contribue à renforcer les liens entre la municipalité et ses
habitants et entre les différents groupes sociaux. Le Centre d’histoire de Montréal a tout
93 Le projet sur les habitations à caractère social Jeanne Mance est disponible sous la forme d’une
exposition virtuelle sur le site internet du Centre d’Histoire de Montréal.
En ligne : http://www2.ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/page/chm_hjm/
Consulté le 18 septembre 2012. 94
Voir le site du Centre d’histoire de Montréal :
http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=8757,97685570&_dad=portal&_schema=PORTAL 95 « Nous sommes ici » est une exposition temporaire présentée au Centre d’histoire de Montréal du 8
mars 2012 au 14 avril 2013. 96 Voir Annexe 6 : Iconographie « Nous sommes ici », Centre d’histoire de Montréal, p. 105.
48
particulièrement été actif auprès des communautés, afin de les aider à prendre part eux
aussi à l’histoire de la métropole.
Le musée est par conséquent au centre d’un véritable réseau s’intéressant au
patrimoine immatériel, sous la forme du témoignage oral et agissant pour sa
reconnaissance et sa promotion. Cependant, si les initiatives sont bien accueillies par le
public lors des expositions, ce type de patrimoine occasionne des problèmes de gestion
muséale appelant à diverses adaptations, voire des innovations.
2.3. Procédure de collecte des témoignages
La collecte des témoignages est un processus de longue haleine qui comprend non
seulement l’enregistrement des témoignages sur support audio ou vidéo, mais également
toute une phase pré-entretien qui consiste en une importante phase de documentation et
de préparation, et une phase post-entretien qui comprend le montage technique, le
catalogage, l’archivage ou encore la sélection des documents.
2.3.1. La collecte au Centre d’histoire de Montréal
Fort d’une collection d’histoire populaire en constante augmentation (le musée
ayant le projet de s’installer dans de nouveaux locaux plus grands et plus modernes dans
les cinq prochaines années), le Centre d’histoire de Montréal doit faire sans cesse face à
de nouveaux défis concernant la gestion et la conservation de ses collections.
Confrontés à des problèmes « classiques », tels que le manque de place dans les
réserves ou encore les collections « anciennes » du musées manquant de documentation,
il doit aussi faire face aux contraintes imposées par l’incursion de l’immatériel. C’est au
cours d’un stage que ces problèmes ont été véritablement pointés du doigt pour la
première fois, dans le cadre de la conception d’une politique des collection, document
49
administratif et professionnel qui manquait au musée, depuis son ouverture en 1983.
Avec la professionnalisation constante de l’institution et l’augmentation constante des
collections, il est devenu impératif de se doter du cadre légal et professionnel préconisé
par le code déontologique de l’ICOM. Fruit d’un travail de quatre mois en collaboration
avec l’équipe des collections du musée, cette politique des collections redéfinit toutes
les recommandations de fonctionnement du musée. Cette politique contient ainsi, de
manière non exhaustive les normes du musée concernant l’acquisition, le prêt,
l’emprunt, l’aliénation, le fonctionnement des réserves et de la conservation préventive,
etc. En cours de validation par les instances supérieures de la ville, cette politique
permettra à terme une bonne gestion des collections d’artefacts et d’archives ainsi que
de témoignages oraux, qui étaient encore il y a quelques mois considérés de manière
distincte.
2.3.1.1. Principes dirigeant la collecte de témoignages
La procédure pour l’acquisition des témoignages diffère de la procédure de
collecte des objets. Il s’agit ici de ce que l’on peut appeler une « production maison »97
,
puisque le Centre d’histoire de Montréal ainsi que le Musée de la Personne sont à
l’origine de la création des témoignages. Ces témoignages sont toujours acquis sous la
forme de dons et n’engagent aucune rétribution financière du témoin. Ainsi que nous
l’avons mentionnée précédemment, la collecte peut s’inscrire dans le cadre de différents
projet et se fait souvent d’une manière que l’on pourrait qualifier d’opportuniste en ce
qu’elle est réalisée en lien avec les besoins du musée. Ainsi que précisé dans la nouvelle
politique des collections du musée, en cours de validation, « Par sa collecte, le musée
devient le récipiendaire officiel d’un témoignage, la personne ayant fait un don de
mémoire en restant toujours propriétaire »98
. Le don au musée de mémoire a la même
légalité qu’un don d’objet et entre officiellement dans la collection en tant que
possession pleine et entière de l’institution.
97
Selon le guide de documentation de la SMQ, la production maison désigne un « Mode d'acquisition
attribué à un objet qui a été commandé par votre institution et exécuté par une ou des personnes
travaillant pour celle-ci ».
Source : http://www.musees.qc.ca/publicsspec/guidesel/doccoll/fr/ethno-art-techno/maq.htm 98
Centre d’histoire de Montréal, Politique des collections, 2012, p.39.
50
La collecte de témoignages s’est constamment affinée et professionnalisée
depuis ses début et a tiré profit de ses expériences pour toujours s’améliorer. La
procédure technique a été pour une première fois transcrite dans son ensemble dans la
politique des collections de 2012. Cette procédure comprend la question de
l’acquisition, de l’aliénation, du prêt et de l’emprunt, ainsi que de l’archivage et de la
conservation de ces collections. Celles-ci distinctes des politiques utilisées pour les
artefacts et archives composant la collection matérielle et qui ont-elles aussi été
transcrites pour la première fois en 2012 après recueil des diverses pratiques
professionnelles recueillies.
Concrètement, les critères de sélection généraux des témoignages sont des critères
liés à la mission et au mandat du musée, à qui sont ajoutés des contraintes et critères
propres à ce type de mentefacts. Ces critères se présentent dans la Politique des
collections de 2012 sous la forme suivante :
Cohérence avec le mandat et la mission du musée;
Cohérence avec le projet en cours
Caractère iconique, représentativité et potentiel d’interprétation;
Histoire personnelle présente dans le témoignage;
Complémentarité avec la collection;
Témoignage en langue française ou anglaise, ou sinon présence impérative d’une
transcription;
« Production-maison », pas d’acquisition de témoignages réalisés en externe;
Personne logique pour développer ce thème et apte à en parler;
Témoignage de premier ordre, unique et sans précédent;
Véracité du témoignage;
Véritable identité de la personne
Autorisation d’utilisation accordée99.
Nous avons par ailleurs mentionné précédemment les différents cas et
circonstances des collectes de témoignages, nous insisterons ici un peu plus sur les
procédures d’acquisition mises en œuvre. Il est aussi important de mentionner qu’à
l’heure actuelle, le CHM ne collectionne que des « productions-maison », c’est-à-dire
des témoignages qu’il a lui-même réalisé.
99 Centre d’histoire de Montréal, Ibid., p.39.
51
2.3.1.2. Diverses méthodes d’acquisition
Selon la finalité du projet, l’acquisition des témoignages se fait de différentes
manières. Dans le cadre spécifique d’une « clinique de mémoire », c’est le décor d’une
véritable clinique qui est réalisée, tel un décor théâtral destiné à mettre le témoin
potentiel à l’aise et à l’inciter à se prêter au jeu, en tant que détenteur d’une mémoire
liée à un lieu précis ou un évènement. Les cliniques sont souvent organisées dans le
cadre de manifestations culturelles spécifiques, comme en 2003-2004 à l’occasion du
cinquantenaire de la communauté portugaise, et à donné lieu à l’exposition « Encontros
– La communauté portugaise. 50 ans de voisinage (2003-2004). Dans ces circonstances,
il n’est bien entendu pas possible de cibler clairement les personnes à interroger, ainsi
tout au plus, le critère de sélection des témoins est un critère purement géographique,
lié à la ville de Montréal (résident, ancien résident, descendant de résidant d’un quartier
ou d’un site de la ville, employé d’une institution montréalaise, etc.) et la capacité à
parler du sujet à l’étude. Les entretiens ont souvent été menés par des personnes
recrutées spécifiquement pour l’occasion, appartenant à ces différents groupes culturels
et en maîtrisant la langue d’origine afin de faciliter le contact ainsi que les transcriptions
(même si les témoignages doivent en principe être réalisés en français ou en anglais). La
supervision est assurée par l’équipe de professionnels du musée qui assure ensuite
l’archivage des témoignages.
L’acquisition des témoignages oraux peut aussi se faire de façon
« opportuniste », au gré des besoins du musée. C’est par exemple le cas pour les
expositions temporaires, appelées « expositions documentaires » qui se basent sur les
témoignages oraux. La procédure dans le cadre de ces expositions est plus complexe et
requiert une préparation préliminaire bien plus importante100
. Comme les témoignages
font partie d’un projet d’ensemble plus vaste et doivent se concentrer sur une
thématique particulière, les enquêteurs travaillent en cheville avec les chercheurs
rassemblant la documentation pour l’exposition. Dans cette optique, plusieurs
professionnels externes sont mandatés pour venir en soutien à l’équipe du musée. Celui-
ci a notamment fait appel à une intervieweuse, spécialiste en anthropologie, pour
100 Voir annexe 1: « Procédure d’acquisition : témoignages », p. 96.
52
récolter des témoignages auprès de Montréalais concernés par cette exposition. Cette
collaboration permet de cerner les points essentiels sur lesquels axer les entretiens, et
surtout d’identifier les personnes ressources qui seront à même de livrer les
témoignages. De manière générale, cette recherche préalable mène à la rédaction d’une
liste de témoins, en même temps qu’elle permet de cerner les points clés de l’exposition.
L’enquêteur, en lien avec l’équipe de projet doit établir ce que Florence Descamps
appelle un « scénario d’entretien », à savoir le « nombre d’entretiens à mener,
cheminement du questionnement ou questionnaire, thèmes à traiter, etc. »101.
Par ailleurs, il revient à l’enquêteur de se documenter lui-même sur le sujet
développé dans l’exposition afin qu’il puisse s’en imprégner et suivre le témoin dans ses
explications et l’amener à livrer sa mémoire. De bonnes connaissances sont donc
nécessaires aux entretiens, après une phase de documentation « à l’issue de laquelle
l’enquêteur est capable d’expliciter ce qu’il sait déjà, ce qu’il ne sait pas et ce qu’il
cherche ; il a, entre autres choses, exploré les autres sources de documentation, pris
connaissance d’éventuels autres corpus de témoignages oraux existants, de la
bibliographie et fait un « état des lieux »102
.
La réalisation de ces entretiens se compose de diverses phases, la première étant,
ainsi que nous venons de le mentionner, la constitution d’une liste de témoins potentiels.
La liste est proposée par l’enquêteur au responsable du projet d’exposition, qui par la
suite proposera cette liste en conseil d’acquisition, en vertu de la nouvelle politique des
collections de 2012. La décision du comité doit prendre compte de la pertinence des
témoins potentiels en regard du projet d’exposition, sans restriction concernant le
caractère cinématographique, dans la mesure où il n’y a aucune restriction « quant à
l’apparence physique des personnes, leur handicap potentiel, leur élocution, etc.»103
.
Une fois l’aval du comité obtenu, il s’agit ensuite de retrouver ces personnes et
de les contacter pour les inviter à contribuer au projet. A cette occasion, l’enquêteur
communique à la personne contactée un descriptif du projet et lui présente les attentes
du musée. Si le candidat accepte de participer au projet, une pré-entrevue est organisée,
soit par téléphone, soit en personne, afin que l’enquêteur puisse établir un premier
contact et s’assurer de l’intérêt du témoignage. Il soumet ses conclusions sous la forme
101 DESCAMPS Florence, « La place et le rôle du collecteur de témoignages oraux », Bulletin de liaison
des adhérents de l'AFAS, 28, hiver 2005 - printemps 2006, mis en ligne le 14 juillet 2010.
En ligne : http://afas.revues.org/1514
Consulté le 11 septembre 2012. 102 DESCAMPS Florence, Ibid., en ligne : http://afas.revues.org/1514 103 Centre d’histoire de Montréal, Politique des collections, 2012, p.41.
53
d’un rapport de communication résumant le contenu de chacune des conversations avec
les témoins, au responsable du projet d’exposition qui décide de poursuivre ou non la
collecte.
Les témoins choisis font ensuite l’objet d’une entrevue, « en présence de l’enquêteur
ainsi que d’un spécialiste en cinéma exerçant les fonctions de cameraman si le témoin a
accepté d’être filmé »104
. Il est essentiel avant toute chose que l’enquêteur ait les
autorisations de collecter le témoignage en toute légalité et qu’il dispose de toute la
documentation professionnelle nécessaire à la bonne acquisition du témoignage, à
savoir, pour le Centre d’histoire de Montréal :
Des exemplaires de questionnaires et/ou synopsis;
Des fiches d’identification;
Un formulaire de consentement;
Des formules de prêt, fiches iconographiques, fiches objet et fiches de
commentaire sur les photos destinées à l’emprunt de petits objets ou images
reliées directement aux témoignages. Dans le cas de photographies et autres
documents 2D, le musée procède à des numérisations qui viendront documenter
le témoignage dans la base de données. Dans tous les cas, « L’ensemble des
documents collectés reste confidentiel et sous la responsabilité du muséologue
en charge du projet »105
.
D’un appareil photographique afin de photographier le témoin.
Ainsi que le rappelle Florence Descamps, le rôle de l’enquêteur est un rôle actif, il
« ne s’assimile pas à un « tendeur de micro » ; il intervient activement dans le processus
de remémoration qu’il souhaite déclencher et stimuler chez le témoin : analyse ou
reconstitution du parcours du témoin (curriculum vitae) ; entretien préalable de
défrichage ; établissement d’un questionnaire précis, recherche de documents ou
d’objets d’époque, production d’aide-mémoire en tout genre à l’intention de
l’interviewé »106
. Son rôle est bien d’instaurer une relation de confiance avec le témoin
afin que celui-ci comprenne bien l’importance de ses propos et leur valeur pour les
générations futures.
104 Centre d’histoire de Montréal, Ibid., p.41. 105 Centre d’histoire de Montréal, Ibid., p.42. 106 DESCAMPS Florence, Op. Cit., en ligne : http://afas.revues.org/1514
54
Une fois l’entrevue terminée, l’enquêteur doit livrer au responsable du projet
l’ensemble des documents ainsi qu’un compte-rendu des entrevues. Il envoie également
au témoin une carte de remerciements manuscrite personnalisée.
Il se peut qu’en certains cas des entrevues complémentaires soient organisées, si les
informations nécessitent plus de précisions.
55
2.3.1.3. Gestion et archivage des témoignages
Une fois les témoignages enregistrés sur supports audio ou vidéo retournés au
responsable du projet d’exposition, à savoir Catherine Charlebois, qui est aussi la
responsable de la collection dite « immatérielle », ceux-ci sont préparés pour leur
archivage et leur entrée dans la collection du musée. Cette procédure concerne tant les
témoignages oraux issus des « Cliniques de mémoires » que ceux rassemblés lors
d’activités particulières. Concrètement, les témoignages sont enregistrés sans
modifications dans deux bases de données107
, soit :
Dans une base de donnée appelée Collections Virtuelles, de l’éditeur Filemaker,
préconisée par la Société des Musées Québécois pour la gestion des collections.
Cette base de données est la base générale comprenant l’ensemble de la
collection du musée et est régulièrement versée sur le réseau Info-muse108
. A
partir du projet « Scandale » de 2011-2012, les témoignages d’histoire orale sont
également ajoutés à la base de données générale du musée, sous une forme très
succincte et possèdent un numéro d’inventaire similaire à celui utilisé pour le
reste des collections (ce qui n’était pas le cas pour les anciens projets). Celui-ci
se présente par exemple sous la forme suivante :
Les autres témoignages seront rajoutés graduellement à la base de données, en
partant du projet en cours pour revenir aux projets les plus anciens.
107 Les témoignages antérieurs à ceux du projet d’exposition actuellement en cours, « Scandale… » seront
peu à peu ajoutés dans la base de données Collections Virtuelles de Filemaker qui inventorie la collection,
en vertu de la Politique des collections de 2012. 108 Voir les collections du CHM sur le site d’Infomuse :http://www.pro.rcip-chin.gc.ca/bd-dl/artefacts-
fra.jsp?emu=fr.artefacts:/Proxac/ws/human/user/www/ResultSet&upp=0&m=1&w=NATIVE%28%27IN
SNAME+EQ+%27%27CENTRE+D%27%27%27%27HISTOIRE+DE+MONTREAL%27%27%27%29
2012.89.1.1 Ce qui signifie :
2012 : année de l’acquisition 89 : numéro du lot (88 acquisitions
ont été réalisées auparavant en 2012)
1 : numéro du témoin 1 : Numéro du document annexe
56
Les témoignages sont aussi présents dans une base de données appelée Stories Matter
qui est le véritable outil de travail pour l’histoire orale. Il s’agit d’un logiciel développé
pour cet usage précis par le Centre d’histoire orale et de récits numérisés de
l’Université Concordia109
, à l’origine à destination des chercheurs en histoire orale. Ce
logiciel est entièrement gratuit (les québécois parleront de « Gratuiciel » ou
« Freeware ») et facilite réellement la gestion des documents audiovisuels. Cette base de
données permet une gestion beaucoup plus fine et précise des documents. Tout d’abord,
les témoignages y sont écoutables et visionnables et la recherche y est facilitée grâce un
nombre important de mots-clés, en fonction des divers thèmes pouvant être abordés
dans un témoignage. Chaque clip dispose d’une fiche reprenant son nom et ses mots-
clés, tirés d’une liste de termes génériques110
.
Un résumé écrit des questions et des réponses est également disponibles, ce
travail de compilation étant effectué par les membres du projet. Le logiciel permet de
ranger les témoignages par lots, comme dans le cas des « Cliniques de mémoires » qui
sont rangées par classes et par écoles. Dans cette base figurent toutes les informations
concernant les témoignages et les témoins : elle n’est en aucun cas accessible sur
internet (contrairement à la base de données Filemaker) et ne peut être consultée par des
chercheurs qu’après demande écrite de rendez-vous et sous supervision de la
responsable.
Dans le cas où les témoignages ont été réalisés dans une langue autre que le
français ou l’anglais, bien que ce cas de figure soit très exceptionnel, une transcription
peut se révéler nécessaire. Cette procédure est toutefois peu courante afin de limiter les
coûts de traduction.
Somme toute, la procédure menant à la constitution de la collection immatérielle
de témoignages oraux est une procédure bien plus longue et plus complexe qu’une
procédure traditionnelle d’acquisition. Il est difficile de dire ici s’il s’agit vraiment
d’une procédure de don, ou s’il s’agit plutôt de ce que l’on peut appeler une
« production-maison ». Sans doute ce processus d’acquisition se trouve t’il à la
convergence de ces deux modes d’acquisition.
109 Le site du Centre d’histoire orale et de récits numérisés de l’Université Concordia présentant le logiciel
Stories Matter : http://storytelling.concordia.ca/storiesmatter/ 110 Voir annexe 2: « Collecte et archivage des entrevues », p. 97.
57
2.3.2. Droits d’auteur sur les témoignages
Toute acquisition, qu’elle concerne un objet matériel ou immatériel implique le
respect non seulement des normes déontologiques et professionnelles des musées111
,
mais également le respect de la législation en vigueur dans le pays où est localisé le
musée. Le droit d’auteur d’applique sur les témoignages, au même titre que pour une
œuvre littéraire, une œuvre dramatique, ou une chanson, aussi le musée est-il tenu de
s’assurer qu’il possède les droits de libre utilisation et de propriété du témoignage.
Florence Descamps souligne d’ailleurs que « Les conséquences juridiques principales
[…] sont les suivantes : premièrement, l’absolue nécessité d’établir des contrats de
cession de droits pour les droits patrimoniaux (droit de reproduction, droit de
divulgation, droit de représentation) […] ce qui suppose, dans tous les cas, de définir
clairement les utilisations potentielles des témoignages (usage scientifique, culturel
etc.) »112
.
Lors des entrevues, l’enquêteur du Centre d’histoire de Montréal est tenu d’avoir
avec lui les formulaires nécessaires à l’établissement de contrats entre le musée et le
témoin. Il dispose en effet de fiches d’identification, mais surtout d’un formulaire de
consentement qui permet ensuite à l’institution de disposer du témoignage à son gré, en
stipulant explicitement l’abandon de ses droits légaux au musée, ou les éventuelles
conditions d’utilisation113
. Devant le refus du témoin de signer les documents, le musée
peut annuler la prise de témoignage, mais ce cas de figure n’est jamais arrivé, le témoin
ayant été averti dès les contacts préliminaires du projet du musée. Le musée a aussi une
obligation morale envers le témoin, qui finalement rejoint tous les codes de déontologie
muséale. Ainsi, le témoin conserve t’il un droit moral sur son témoignage : il dispose en
effet toujours d’un droit de retrait si des circonstances particulières l’exigent, il le droit
de revendiquer la paternité de l’œuvre et le respect de la confidentialité de son nom et
de sa vie privée. En certaines circonstances, le témoignage peut comporter des
restrictions : il peut être recueilli à des seules fins de conservation et être exclu de toute
111 Consulter à cet effet le guide de déontologie de l’ICOM :
ICOM – Conseil International des Musées, Code de déontologie de l’ICOM pour les musées, Paris, 2006.
En ce qui concerne les musées Canadiens, les principes déontologiques préconisés par l’Association des
Musées Canadiens peut également être utile.
Association des Musées Canadiens (AMC) Principes déontologiques, Ottawa, 2006, 18p. 112 DESCAMPS Florence, Op. Cit., en ligne : http://afas.revues.org/1514
Consulté le 11 septembre 2012. 113 Voir l’annexe 3 : « Formulaire de consentement », p. 99
58
exposition. C’est au musée qu’il revient de trancher si oui ou non il souhaite collecter le
témoignage.
Il est enfin essentiel pour le musée que le témoin soit très clair sur les modalités
d’utilisation du témoignage, notamment en ce qui concerne les dispositions futures. Il
est en effet arrivé qu’un héritier d’un témoin s’adresse au Centre d’histoire de Montréal
pour contester la possession du témoignage et son utilisation. Le témoin n’ayant pas
rempli la totalité du formulaire de don, son témoignage est aujourd’hui légalement
impossible à exposer et valoriser. Il est donc utile que des dispositions testamentaires
précises soient prises ou que le musée dispose de document attestant sans conteste de
son plein droit de propriété sur les témoignages ; et ce « notamment, dans le cas où le
témoin souhaiterait confier la « gestion » de son témoignage à un héritier particulier ou
dans le cas où le témoin souhaiterait déléguer à une personne morale (Archives,
Bibliothèque, Musée) le soin de « gérer » son témoignage »114
.
Il est par conséquent essentiel pour le musée de se prémunir contre d’éventuelles
situations conflictuelles pouvant entraver sa mission de valorisation et de diffusion du
patrimoine. A noter que pour ce qui est des musées français, « en l’absence d’un
document valant testament, le témoignage et les droits qui lui sont attachés se
transmettent aux héritiers, jusqu’à ce que le témoignage tombe dans le domaine public,
soit 70 ans après la mort des auteurs »115
.
Par ailleurs, il arrive que les témoignages d’histoire orale soient accompagnés de
documents annexes, récupérés ou numérisés lors des entrevues. Ces éléments
permettent de mieux documenter et illustrer les propos du témoin. Il peut s’agir d’objets
ou de scans (copies numériques de photographies, de documents et papiers officiels,
d’images ou d’ouvrages), l’enquêteur emportant avec lui un scanner lors des entretiens.
Ces éléments sont ajoutés par les catalogueurs dans les différentes bases de données,
comme documentation des témoignages. Pour ces éléments également, il importe que le
témoin ait cédé les droits ou ait stipulé des conditions d’utilisation précises.
En définitive, les contraintes posées par l’acquisition muséale de témoignages
d’histoire orale imposent un processus bien singulier, qui se distingue des autres
procédures d’acquisition classiques. Il est d’autant plus ardu pour le musée de se
prémunir contre d’éventuels problèmes légaux; ce pourquoi le musée désirant acquérir
114
DESCAMPS Florence, Op. Cit., en ligne : http://afas.revues.org/1514
Consulté le 11 septembre 2012. 115 DESCAMPS Florence, Op. Cit., en ligne : http://afas.revues.org/1514
Consulté le 11 septembre 2012.
59
ce type de collections doit disposer avant tout d’une procédure de collecte et
d’archivage bien codifiée en accord avec la législation en vigueur.
Cependant, tout comme l’acquisition de ce type de collections, sa valorisation et
sa diffusion sont sujet à questionnements; en ce sens, la valeur et les modalités d’usage
de ce type de collection doivent être étudiés.
60
Troisième partie :
Gestion, conservation et valorisation de
l’immatériel au musée :
Des outils et des pratiques
61
3. Gestion, conservation et valorisation de l’immatériel
au musée : des outils et des pratiques
3.1. Intégrer les témoignages oraux à une collection : une
tâche ardue
Ainsi que nous l’avons vu, le choix est fait aujourd’hui d’intégrer l’immatériel dans
les collections des musées, ceci se faisant avec plus ou moins de difficultés et de succès.
Le cas spécifique des témoignages d’histoire orale, particulier en raison de sa méthode
de collecte et des finalités de son usage, permet d’illustrer cette idée. Cependant, cette
démarche implique que les systèmes de gestion des collections soient aptes à recevoir ce
type de supports, ce qui n’est pas forcément le cas et occasionne de nombreux
problèmes tant théoriques, que pratiques et techniques.
3.1.1. Des difficultés conceptuelles
Du point de vue de la gestion des collections muséales, l’immatériel vient perturber
le fonctionnement interne des services de conservation. Nécessitant des conditions
spécifiques de conservation, et surtout une acquisition spécifique, les « objets
immatériels » ne peuvent être traités de la même manière que les autres musealia,
posant de nouveaux défis aux gestionnaires des collections. Concernant les politiques de
gestion des collections – quant elles existent, bien que rendues en théorie obligatoires
par l’ICOM – elles ne tiennent souvent pas compte de l’immatériel. Bien entendu, cette
entrée de l’immatériel au musée ne concerne que les musées qui ont décidé d’en faire un
axe de leur développement ou de leur mandat, mais dans ces conditions mêmes, les
moyens techniques de la gestion peuvent se révéler lacunaires.
62
3.1.1.1. Une refonte des méthodes traditionnelles de gestion des
collections.
La mise au point d’une politique des collections laissant part à l’immatériel est une
tâche de longue haleine puisqu’elle implique de parfaitement connaître non seulement
les usages, mais aussi toutes les pratiques et tous les usages professionnels du musée
concerné. Nous avons vu précédemment que la collecte des témoignages oraux se fait
selon une procédure en évolution constante, qui se nourrit de sa propre expérience pour
s’améliorer et esquisser un cadre de fonctionnement de plus en plus professionnel et ce,
malgré le manque de modèles. Cependant, une fois ces collections constituées, la tâche
la plus ardue consiste à les inclure dans la politique générale de fonctionnement d’une
institution.
Le Centre d’histoire de Montréal n’avait jamais entrepris, depuis sa création en
1983, de mettre en place une politique de gestion des collections. Les pratiques étaient
le fait d’accords tacites et d’une habitude liée à la pratique de longue date. Cependant,
avec l’augmentation croissante de sa collection et les perspectives de développement
futurs (dont le possible déménagement dans les cinq années à venir vers un bâtiment de
plus grande taille), le musée souhaitait normalisé et également professionnaliser ses
pratiques. Il a donc été décidé de mettre en place cette politique de gestion des
collections, en proposant des mesures transitoires et des correctifs dans les procédures
actuelles, après collecte de celles-ci dans une perspective de « Knowledge
Management ». Des auteurs tels que Paisley Cato et Stephen Williams affirment
aujourd’hui que le processus d’élaboration du document est plus important que le
document lui-même.
La première étape du processus d’élaboration de la politique des collections a
consisté, au Centre d’histoire de Montréal, en se demandant en quoi consiste la gestion
des collections et ce qu’est, somme toute, une politique de gestion des collections. A la
première question, Nicola Lakin définit que « la gestion des collections recouvre les
méthodes pratiques, techniques, déontologiques et juridiques qui permettent
d’assembler, organiser, étudier, interpréter et préserver les collections muséographiques.
Elle permet de veiller à leur état de conservation et à leur pérennité. La gestion des
collections s’intéresse à la préservation, à l’usage des collections et à la conservation
des données, ainsi qu’à la manière dont les collections soutiennent la mission et les
objectifs du musée. Elle sert aussi à décrire les activités spécifiques qui s’inscrivent
63
dans le processus de gestion »116
. En ce qui concerne le document appelé « politique des
collections » ou encore « politique de gestion des collections », John Simmons avance
qu’il ne s’agit en fait pas d’un seul et unique document, mais plutôt d’un ensemble de
politiques concernant les différents aspects de la gestion des collections, comme
l’acquisition, l’enregistrement, le catalogage, la conservation, le stockage, etc. Il ajoute
qu’ensembles, ces politiques déterminent et clarifient qui est responsable de la gestion
des collections117
. Ainsi, interrogé pour une phase d’étude préliminaire, le musée
McCord d’histoire canadienne, à Montréal, à bien précisé qu’il ne disposait pas d’une
politique des collections, mais d’une politique d’acquisition, ainsi que des normes pour
le prêt et l’emprunt. Nous avons cependant choisi, dans la mesure où le Centre
d’histoire de Montréal ne disposait d’aucune forme de document régissant ses pratiques,
de donner à la politique des collections une forme classique et globale, reprenant de
manière la plus complète possible les préceptes de gestion des collections.
Pour comprendre le fonctionnement d’un tel document et en constituer un des plus
exhaustifs qui soit, il a été utile de consulter de nombreuses sources explicitant et
détaillant la composition des politiques de gestion des collections. Parmi ces ouvrages et
guides pratiques, on peut citer, de manière non exhaustive le guide Je gère un musée
aujourd’hui… pour demain : Questionnaire d’audit interne à l’attention des
gestionnaires d’institutions muséales de la Fondation Roi Baudouin118
, l’article
« Gestion des collections » de Nicola Ladkin119
pour l’UNESCO, le chapitre
« Understanding collections », de Brad King dans le manuel de Barry Lord, Manual of
Museum Planning : Sustainable Space, Facilities, and Operations 120
, le manuel Things
Great and Small: Collections Management Policies, de John Simmons121
, le manuel
Collection Conundrums : Solving collections Management Mysteries de Rebecca A.
116 LADKIN Nicola, « Gestion des collections », dans BOYLAN Patrick (dir.), Comment gérer un
musée : Manuel pratique, UNESCO, Paris, 2006, p.17.
<http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001478/147854f.pdf/>
(Consulté le 2 mai 2012) 117 SIMMONS John, Things Great and Small: Collections Management Policies, American Association
of Museums, 2006, p.2. 118 FONDATION ROI BAUDOUIN et Musées et Société en Wallonie, Je gère un musée aujourd’hui…
pour demain : Questionnaire d’audit interne à l’attention des gestionnaires d’institutions muséales, 2003,
Belgique, 41p.
< http://www.repere.be/msw/images/audit/jegereunmusee.pdf/> (Réf. du 18 août 2010). 119 LADKIN Nicola, Op. Cit., pp.17-30. 120 KING Brad, « Chapter 5: Understanding collections », dans LORD Barry (dir.), Manual of Museum
Planning: Sustainable Space, Facilities, and Operations, 3ème
Ed., AltaMira Press, 2012, 720p, pp.189-
211. 121 SIMMONS John, Op. Cit., 208p.
64
Buck et Jean Allman Gilmore122
, et surtout le guide de la SMQ intitulé : « Élaborer une
politique de gestion des collections - Guide pratique »123
, qui revient étape par étape sur
le contenu d’un tel document, en proposant en parallèle des grilles de contrôle et
d’évaluation. Ces quelques exemples, adjoints du reste de la littérature grise, d’autres
manuels et des exemples de politiques étudiés (trouvés sur internet ou communiqués par
différents musées montréalais) ont permis de dresser un tableau le plus complet possible
des buts à atteindre.
Une fois la littérature étudiée, nous avons cherché à approcher diverses institutions
afin de leur poser des questions plus précises sur leur manière de gérer les collections.
Ainsi que mentionnée plus haut, des demandes ont été adressées aux musées
montréalais afin de solliciter leur concours, en transmettant leur politique des
collections. Cette démarche s’est soldée avec plus ou moins de succès selon les
institutions. Certaines ont communiqué rapidement des documents, d’autres ont préféré
des entretiens en personne, tandis que d’autres encore ont refusé de communiquer leur
politique des collections car jugée confidentielle ou simplement en l’absence d’un tel
document. Il a parfois été possible de pallier ceci en proposant aux institutions
concernées de remplir un questionnaire spécialement crée124
. Somme toute, il a fallu
constater que peu de musées disposaient de documents très élaborés et que ceux-ci
n’étaient pas toujours remis à jour (les manuels s’accordent sur une durée maximale de
cinq ans entre les mises à jour). Par ailleurs, les documents existants, dans les politiques
récupérées auprès des musées comme dans celles disponibles librement sur internet, ne
font pas mention de patrimoine immatériel, ce qui rend sa gestion en musée encore plus
floue. De nombreuses politiques des collections ont en effet été étudiées à titre
d’exemple, provenant de différents types de musées et de différents pays, avec entre
autres le Musée des Confluences, à Lyon, en France, le Musée d’Ethnographie de
Genève, en Suisse, l’Ecomusée au Fier-Monde, à Montréal au Canada, ainsi que de très
nombreux musées des Etats-Unis tels que le Manassas Museum, en Virginie, le
Smithsonian, à Washington ou encore le City Of Las Vegas Museum dans le Nevada.
Aucun de ses musées ne conserve cependant de collections immatérielles et s’ils ont été
des exemples éclairants pour la gestion de la collection d’artefacts et d’archives du
122 BUCK Rebecca, GILMORE Jean, Collection Conundrums: Solving collections Management
Mysteries, American Association of Museums, 1ère
éd., 2007, 150p. 123 Société des Musées Québécois – SMQ, Élaborer une politique de gestion des collections - Guide
pratique, Québec : Ministère de la culture, de la communication et de la condition féminine, 2008, 74 p. 124
Voir annexe 7 : Questionnaire sur les modes de gestion, p. 106.
65
Centre d’histoire de Montréal, ils n’ont cependant pas apporté de nouvelles précisions
sur la gestion de collections immatérielles. Pour ce type de collections, il est en effet
plus utile de se tourner vers des musées davantage centrées sur l’ethnographie et ses
évolutions contemporaines.
Nous avons donc choisi dans un premier temps de nous concentrer sur la collection
matérielle, afin que celle-ci dispose d’une politique adaptée. Aguerris par ce travail, il
nous serait en conséquence plus aisé d’imaginer des solutions pour les collections de
témoignages oraux. Parmi les difficultés posées par cette politique apparaissait le grand
besoin de l’institution de réaliser des états des lieux de sa collection afin de disposer
d’une connaissance fine de celle-ci et de pouvoir, alors, proposer des alternatives de
fonctionnement. Depuis ses débuts, en 1983, le musée n’a en effet jamais effectué de
rétrospective sur ses collections, qui n’étaient alors pas sa préoccupation essentielle, en
tant que centre d’interprétation. Cependant, depuis quelques années, ces collections
augmentent considérablement et prennent une place de plus en plus importante, qu’il
s’agisse de collections matérielles ou immatérielles. En parallèle, cette augmentation
nécessite une augmentation des coûts de fonctionnement et des ressources mises à
disposition. Grâce à la collaboration avec la gestionnaire des collections Stéphanie
Mondor et la muséologue et responsable des collections Catherine Charlebois, il a été
possible de dresser de premiers panoramas des collections, en les séparant en grandes
catégories et en en établissant les points forts et les points faibles pour proposer des axes
de développement futurs. La collection immatérielle a quant à elle fait l’objet d’une
reprise complète de l’inventaire, en attendant qu’une étude plus fine puisse en être faite
après visionnage. Il a fallu aussi cerner très précisément le mandat du musée et sa
mission, afin de proposer des alternatives de fonctionnement toujours appropriées.
La volonté du musée étant de professionnaliser toujours plus ses pratiques, un
comité des collections a été mis en place afin de discuter de toutes les questions ayant
trait à la gestion des collections, et tout particulièrement à l’acquisition. De nombreuses
réunions ont eu lieu, en compagnie des deux personnes suscitées, mais aussi en
compagnie d’autres membres du musée concerné par les collections, et notamment du
directeur Jean-François Leclerc. Ces réunions, souvent de longues discussions, ont
abouti à des propositions par la suite validées. Le document est particulièrement long en
ce qu’il s’attache à définir de manière distincte et pour chacun des types de collections
(collections d’archives et d’artefacts, collections immatérielles et collections du centre
de documentation), les principes qui guident leur acquisition, leur prêt/emprunt, leur
66
aliénation, leur conservation, leur stockage, etc. Sur la question plus spécifique des
collections immatérielles, l’ouvrage The Oral History Manual a été étudié, mais celui-ci
comporte plutôt des informations sur la collecte que sur la gestion des collections,
même s’il présente également des points intéressants sur l’archivage125
. Une fois les
critères de la politique des collections (et surtout de l’acquisition) définis pour les
objets, nous avons choisi d’adapter les données à la collection de témoignages oraux.
Ceci a permis la constitution d’une politique complète, tenant compte de tous les
aspects des différentes collections.
Finalement, le document de la politique des collections, en cours de validation par
la hiérarchie du musée, compte soixante-dix-huit pages, plus soixante six pages
d’annexes. Sa forme très développée et détaillée est voulue en ce qu’il s’agit là du
premier document de description du musée. Il pourra faire l’objet de petits
remaniements en fonction des besoins, et sera en principe réactualisé dans cinq ans.
3.1.1.2. Un manque de ressources méthodologiques précises
La procédure complète présentée, il nous paraît utile de revenir sur la question de la
documentation. Bien que nous ayons mentionné plus haut un certain nombre
d’ouvrages, à l’heure actuelle, la documentation n’est pas toujours aisée d’accès. En
effet, si de plus en plus de documents tendent à apparaître sur la question du patrimoine
culturel immatériel et de sa gestion, en ce qui concerne plus spécifiquement les
témoignages oraux, les sources sont toutefois peu nombreuses, essentiellement
anglophones et provenant des Etats-Unis. Il s’agit souvent de documents prévus à
l’usage de chercheurs en histoire plus que d’institutions muséales. La responsable de la
collection immatérielle et chargée de projet témoignages oraux du Centre d’histoire de
Montréal, Catherine Charlebois mentionne en effet que c’est du côté des Etats-Unis que
se trouve aujourd’hui la plus grande expertise en termes de témoignages oraux. Présente
depuis 2008 au Centre d’histoire de Montréal, elle a souligné le peu de ressources
professionnelles en la matière et la volonté de professionnalisation constante de
l’institution. Le Centre d’histoire de Montréal expérimente en effet souvent des
125 SOMMER Barbara, QUINLAN Mary Kay, The Oral History Manual, Altamira Press; 2ème ed., 2009,
130p.
67
procédés qui ne sont pas prescrits dans les manuels, en raison de la nature fluctuante des
témoignages oraux. Le directeur actuel, Jean-François Leclerc mentionne en ce sens que
«ces premiers pas dans le monde du patrimoine immatériel furent faits avec l’audace et
les craintes d’un apprenti sorcier »126
. L’incorporation des témoignages d’histoire orale
a par conséquent été le fruit d’un long travail de préparation et de réflexion sur la
méthode à adopter, puis d’une série d’ajustements en fonctions des lacunes et des
besoins ressentis. En somme, l’équipe du musée a entrepris de se professionnaliser
toujours davantage, en tirant profit au maximum de la documentation et en s’appuyant
sur sa propre expérience pour développer des normes et des protocoles de collecte et de
gestion professionnels et adaptés. En ce sens, la présente politique des collections se
pose comme un essai nouveau dans le domaine de la gestion et la conservation du
témoignage oral en milieu muséal.
3.1.2. Des difficultés pratiques
3.1.2.1. Problèmes techniques liés à l’informatisation des collections
Autre élément problématique se situant cette fois-ci au plan technique, les logiciels
classiques de gestion des collections muséales ne sont pas fait pour accueillir des
supports oraux comme objets principaux. Ils peuvent bien entendu faire partie de la
documentation associée à l’objet, mais les bases de données ne présentent pas les
champs nécessaires à l’incorporation de documents vidéo. Le logiciel de gestion
muséale actuel du Centre d’histoire de Montréal, Collections Virtuelles de Filemaker
Pro et qui est préconisé par le réseau de la Société des Musées Québécois, ne propose
pas de champs adaptés au catalogage des témoignages. Ceux-ci ne peuvent par ailleurs
pas être transférés, même sous forme d’exemple court, dans les bases de données
mutualisées de la Société des Musées Québécois (SMQ).
Pour le moment, le choix a été fait de ne réaliser que des fiches d’inventaires très
succinctes dans la base de données générale du musée, Collections Virtuelles. A
l’automne 2012 devraient cependant se tenir un congrès de la SMQ à Rivière-du-Loup,
126 LECLERC Jean-François, « Des cliniques de mémoire pour enrichir le patrimoine commun », Nos
Diverses Cités, n.7, 2010, p.106.
68
au Québec, portant sur l’incorporation dans les collections de supports spécifiques et
évoquant par exemple dans le communiqué la : « Modifications au système de
classification Info-Muse pour les musées d’ethnologie, d’histoire et d’archéologie
historique » et la « Documentation des aspects immatériels des objets de collections :
mise à jour des champs du système documentaire du Réseau Info-Muse ». Approchés
par la technicienne des collections du Centre d’histoire de Montréal, Stéphanie Mondor,
les responsables de la SMQ envisagent désormais de réfléchir davantage à cette entrée
de l’immatériel dans les collections, ceci offrant de nouvelles perspectives d’évolution
pour l’avenir.
Des améliorations vont cependant être effectuées prochainement en interne, de
nombreux problèmes ayant été soulevés lors de la conception de la politique des
collections. Il s’agira par exemple de corriger les lacunes en termes de catalogage, à
savoir regrouper tous les objets dans une même base de données. De la même manière,
une numérotation homogène des collections sera adoptée à partir du projet d’exposition
temporaire « Scandale », puis de manière rétrospective sur les autres projets d’histoire
orale. Jusqu’alors, les témoignages oraux disposaient en effet d’une numérotation
particulière, tandis que la nouvelle reprendra les normes de la SMQ, à l’identique des
objets de la collection matérielle. En définitive, les difficultés techniques pourront être
partiellement abolies dans le futur en raison de l’évolution des moyens mis à
disposition.
3.1.2.2. Des difficultés dans la conservation des supports
En complément des difficultés techniques liées à la gestion informatisées des
collections, une autre difficulté majeure concerne la grande variété de supports et leur
pérennité dans le temps. L’enregistrement et l’archivage des témoignages oraux sont
faits sur des supports magnétiques et numériques de types MiniDV, CD-ROM et DVD-
ROM. Le problème est que ces supports sont très différents, tant de taille que de forme,
et surtout, ils nécessitent des appareils de lecture différents. De plus, et c’est là un
problème récurrent pour tous les supports de données numériques, en raison des
évolutions rapides de la technologie, ceux-ci deviennent très vite obsolètes. Il est donc
particulièrement difficile de trouver des lecteurs adaptés ou de les faire réparer, ce qui
69
pose un « important risque de péremption des systèmes de lecture »127
. Par ailleurs, « la
durée de vie de ces supports diffère énormément selon leur nature; par exemple, un
Mini-DV a une espérance de vie de 10 à 20 ans et cette durée peut être plus restreinte
pour d’autres types de supports128
. La durée de vie des différents supports est donc
tributaire de leur nature même, en fonction des matériaux qui les composent et de leur
durée de vie.
Mais de plus, les supports peuvent également subir des effets négatifs selon les
conditions et l’environnement dans lesquels ils sont conservés. C’est sur ce point
qu’insiste l’UNESCO en déclarant qu’: « il faut surtout noter que, selon les conditions
environnementales de stockage et les modalités de manipulation, les disques optiques
enregistrables ont une durée de vie qui peut varier de plusieurs dizaines d’années à
quelques mois. Cette durée peut même être réduite à quelques semaines si les disques
sont exposés à un fort ensoleillement ou à une forte chaleur »129
. La collection de
témoignages d’histoire orale du Centre d’histoire de Montréal est aujourd’hui conservée
dans les bureaux, dans la mesure où elle fait l’objet de travaux d’inventaire, de
récolement et d’étude. Pour l’avenir, il serait cependant utile de transférer ces objets aux
réserves, afin de garantir des conditions de conservation stables et une atmosphère
contrôlée.
Enfin, il est essentiel de réaliser régulièrement diverses copies et sauvegardes des
supports de données. De manière générale, des copies des témoignages oraux sont crées
dès transfert du support d’enregistrement à un autre support, le musée conservant le
document original, toujours sur disque dur externe ou Mini-DV, ainsi que deux copies.
Le souci se posant pour le Centre d’histoire de Montréal est que les témoignages les
plus anciens sont enregistrés sur des MiniDV et que le musée ne peut pas les transférer
sur ordinateur. Il ne dispose pas non plus de machine permettant leur lecture, sinon la
caméra utilisée à l’origine. Dans ces circonstances, l’idéal serait de faire appel à une
société spécialisée, afin de migrer ces témoignages vers un support plus universel et
durable, tels qu’un format DVD OR qualité archives et un serveur de données de la ville
127 Centre d’histoire de Montréal, Op. Cit., 2012, p. : Annexe 6 : « État des lieux de la collection
immatérielle, juin 2012 ». (Annexes sans numérotation de pages). 128 Institut Canadien de Conservation, Soins des collections sur support électronique des petits musées et
archives, 2011.
En ligne : http://www.cci-icc.gc.ca/caringfor-prendresoindes/articles/elecmediacare/index-fra.aspx
Consulté le 15 juillet 2012. 129 UNESCO, Préserver notre patrimoine documentaire, Programme Mémoire du Monde, 2005, 22 p.7
70
de Montréal. Ceci fait, il sera possible d’archiver l’ensemble des témoignages dans la
base de données Stories Matters (ce qui implique des transferts de format FLV).
Enfin, pour ce qui est des copies destinées à une consultation fréquentes (copies de
travail et utilisées par les chercheurs), un exemplaire des enregistrements peut être
déposé au centre de documentation. Ceci permettra de toujours conserver des originaux
dans les réserves du musée et de s’assurer qu’aucune altération liée à l’usage du support
ne puisse avoir lieu.
Ainsi, incorporer les collections immatérielles à une collection matérielle
préexistante constitue une tâche complexe, tant d’un point de vue théorique que
pratique. Ceci induit de se poser des questions de fond sur les collections, matérielles
comme immatérielles, d’établir un diagnostique et de se projeter dans le futur afin
d’envisager leur devenir. Cependant, si les moyens sont encore souvent ténus et
exploratoires, de nouvelles pratiques tendent à se mettre en place et à organiser peu à
peu cette évolution.
71
3.2. Exposer la mémoire : un nouveau support pour
l’exposition ?
3.2.1. Un nouveau type d’expôt ou un multimédia revisité ?
Ainsi que nous l’avons mentionné précédemment, le Centre d’histoire de Montréal
recueille des témoignages à l’occasion des expositions qu’il prépare ou des projets et
activités qu’il mène. Ces expositions permettent de renforcer le lien du musée aux
communautés et accroît son rôle social ainsi que son emprise sur son territoire. Elles
permettent ainsi en quelque sorte aux Montréalais d’ « entrer » virtuellement au musée
et de prendre eux aussi part à la grande fresque de l’histoire de la ville. L’exposition
temporaire présentée actuellement, « Quartiers Disparus » a été très bien accueillie du
public, en témoignent les observations et sondages menées auprès des visiteurs à
l’occasion de la Journée des Musées de Montréal. Plusieurs personnes rencontrées
étaient particulièrement touchées et émues par ces images, desquelles ils se sentaient
particulièrement proches. Cette exposition a contribué, semble t’il, à détruire un certain
nombre de préjugés du grand public face au musée, à estomper certains clivages. En
effet, les visiteurs ont pour beaucoup déclarés se sentir proche de l’exposition et se
reconnaître en elles.
Bien que des études aient démontré que le grand public ne considère
majoritairement plus que les musées soient réservés aux élites (en ce qui concerne des
études française, du moins130
) la fréquentation du musée est tout de même une activité
plus intellectuelle que d’autres et en ce sens, c’est davantage le discours du musée de
chercher à convaincre son public – soit par l’intermédiaire de son entendement - que de
chercher à le persuader – soit en sollicitant ses sentiments. Et c’est en cela que
l’exposition « Quartiers disparus » se distingue, car elle joue simultanément sur les
deux tableaux et ravive des souvenirs enfouis en même temps qu’elle apporte des
connaissances. De nombreuses personnes ont de plus souhaité acquérir un catalogue de
l’exposition, mais le musée n’en a pas produit.
130
D’après les études menées par le Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des Conditions de
Vie : 75% des personnes interrogées sont « peu » ou « pas du tout » d’accord avec l’idée que les musées
sont réservés à une élite.
Source : CREDOC, Enquête « Conditions de vie et Aspirations des Français », début 2005.
72
Ces témoignages et l’ensemble de l’exposition, qui ne compte que très peu d’objets
de la collection et d’objet de décors, en laissant la part belle aux photographies et aux
vidéos des témoignages oraux, a donc permis de renforcer le lien entre le musée et ses
visiteurs. Le Centre d’histoire de Montréal a par ailleurs été récompensé par le prix
d’Excellence 2010 de l’Association des musées canadiens pour le projet « Mémoire des
Habitations Jeanne-Mance » et en 2011 pour son projet « Vous Faites Partie de
l’Histoire ! ».
On peut alors se questionner quant au rôle social et communautaire du musée, et à
la place de l’immatériel dans une telle perspective de développement. Yves Bergeron,
cité par Laurier Turgeon atteste de la réussite de ce type d’initiatives au Québec,
notamment avec le « musée de la Mémoire vivante à Saint-Jean-Port-Joli: “en
recueillant les témoignages de ceux qui détiennent la mémoire d’un objet pour les
insérer dans les collections et expositions. Le rapport à l’objet est ainsi modifié car
celui-ci devient un lieu de communication et de médiation plutôt que de simple
contemplation ». La fonction d’exposition du musée est semble donc en pareilles
conditions adjointe d’un important rôle social. Cependant, il est utile de rappeler que
l’exposition de témoignages oraux n’est pas comprise de la même manière selon les
lieux. En effet, il semble que sur le continent américain, ce lien à l’immatériel soit plus
sensible et plus fort, peut-être en raison du contact avec des populations autochtones,
population n’ayant que peu valorisé l’écrit. On peut se demander si ce type de
valorisation et de transmission par le récit n’aurait pas conduit à cette incursion de
l’oralité au musée, davantage qu’il ne l’a été fait en Europe.
3.2.2. Vers un musée qui s’exporte hors les murs
En soi, l’incursion de l’immatériel dans le paysage patrimonial et son entrée au
musée témoigne d’un changement important dans le rôle même du musée. En ce sens, il
n’est pas seulement un acteur lointain et passif, qui invite le public à se rapprocher, c’est
aussi un acteur actif, qui se positionne au-devant du public, qui le recherche et
l’interpelle. Il n’est donc pas question simplement d’un nouveau lien entre le musée et
son public, mais d’une sortie littérale du musée de ses murs, comme si lui aussi
connaissait en même temps cette dématérialisation. Florence Descamps souligne la
73
multiplicité des usages qui peuvent être faits de l’immatériel et tout particulièrement des
témoignages oraux, dans et hors cadre du musée. Ainsi : « L’usage scientifique est le
plus connu ou, du moins, le plus pratiqué depuis la création des collections linguistiques
et dialectologiques des Archives de la Parole en 1911 ; mais il est bien clair qu’à l’heure
du numérique et de l’audiovisuel, bien d’autres usages sociaux et culturels vont
désormais se développer. Et sur ce point, les préoccupations du collecteur-archiviste
rejoignent les préoccupations du collecteur-producteur : conférences, auditions
publiques, ouvrages culturels, expositions, usages pédagogiques et civiques, spectacle
vivant, animation locale et touristique, entretien du lien social et intergénérationnel,
disques, cédéroms, multimédias etc. Tout ou presque reste à inventer dans le domaine
de la valorisation des corpus oraux» 131
. Les objets également ont tendance à s’exporter
hors du musée, comme par exemple lors de manifestations ou d’activités diverses132
,
mais l’immatériel permet réellement ce rapprochement à l’individu et à la mémoire dont
il est de récipiendaire.
3.2.3. Valeur documentaire et scientifique
La question se pose bien entendu quant à la valeur de telles sources et la place que
doit lui donner le musée parallèlement à ses collections traditionnelles. Forcément
contemporaines, ces sources ont parfois mauvaise presse auprès des historiens qui
parfois ne leur accordent pas la même valeur qu’à des documents écrits. D’autres en ont
pourtant fait leur source de données premières, dans un souci de préservation de cette
mémoire vivante. En soi, peut-on donc s’interroger sur la valeur scientifique des
témoignages oraux pour la recherche historique et pour le discours muséal. Ils sont bien
entendu des récits de première main, mais sont conditionnés par le vécu de la personne,
le recul qu’il a sur ses souvenirs ou encore son opinion propre. La manière dont
l’enquêteur formule ses question et le contact qu’il parvient où non à établir avec le
témoin sont autant de critères pouvant influencer le déroulement de cette « déposition
de mémoire ». Il va bien entendu de soi que ce problème est le même pour les sources
131
DESCAMPS Florence, Op. Cit., en ligne : http://afas.revues.org/1514
Consulté le 11 septembre 2012. 132 Par exemple lors de fêtes, avec des stands, directement en exposant des œuvres dans l’espace public ou
en l’apportant auprès de publics empêchés.
74
écrites anciennes. Il est aussi possible qu’un témoin mente délibérément ou que sa
perception des faits soit inexacte ou altérée en raison d’une mémoire défaillante ou
faussée. En pareilles circonstances, c’est à l’enquêteur qu’il revient de déterminer dans
un premier temps l’inexactitude des propos et de tenter de ramener le témoin vers des
données exactes. L’ensemble des membres du projet doit être en mesure de reconnaître
un témoignage inexact ou mensonger, ce pourquoi justement la première étape du projet
consistant à réunir une riche documentation est essentielle.
Il n’y pas de véritable solution permettant de définir la valeur d’une telle
collections, tout dépend de la valeur que leur donnent les personnes qui travaillent sur
ce support. Nous l’avons déjà mentionné, les témoignages d’histoire orale ont été
parfois considérés comme essentiels, et parfois déconsidérés, selon les époques. Ce qui
est néanmoins certain, est que comme pour toute forme de source, l’historien, le
chercheur ou la personne qui l’utilise doit exercer son jugement critique et impartial. Il
est cependant essentiel de noter que les principes dirigeant la collecte des témoignages
doivent comprendre une notion de sauvegarde de cette mémoire et servir un discours.
Tout comme pour la collecte des objets, on ne collecte pas pour collecter, mais parce
que ceci apporte une connaissance nouvelle, une illustration pertinente d’un lieu, d’une
époque, d’une personne.
3.3. Le musée est-il aujourd’hui en mutation ?
3.3.1. Enjeux sociaux : un accroissement du rôle social et
identitaire du musée ?
Tout d’abord, il est flagrant de constater que, contrairement aux objets matériels,
ces éléments vont mobiliser d’autres sens chez les visiteurs et d’autres modes de
compréhension et de réflexion. La question de leur utilité pour servir les intérêts et les
missions des différentes institutions muséales se pose par conséquent (exception faite
pour les musées d’art pour qui la création artistique et son pendant esthétique se
suffisent à eux-mêmes). Dans la mesure où une mutation du concept de patrimoine se
75
fait, passant d’une réalité essentiellement matérielle à une réalité englobant dans un
même ordre d’idées matériel et immatériel, il apparaît que la notion de patrimoine n’est
plus uniquement liée aux productions de l’être humain, mais à lui-même en tant que
personne, aux créations de l’esprit humain. En ceci, la muséologie de l’immatériel
semble se raccrocher à la muséologie des Lumières ou le discours du musée servait en
premier lieu celui des instances politiques en places et œuvraient à sa glorification. En
conséquence peut-on se demander dans quelle mesure le patrimoine immatériel
participe de ce qu’Anik Meunier nomme une « Muséologie citoyenne »133
.
La mission du musée, au travers du patrimoine immatériel semble en quelque
sorte perdre de sa substance : on parle bien davantage de « sauvegarde », de
« préservation » en ce qui concerne l’immatériel que de « conservation ». Peut-être est-
ce là jouer sur les mots, cependant, il est indéniable qu’avec l’arrivée de l’immatériel,
les fonctions traditionnelles des musées (les quatre principales étant la conservation, la
recherche scientifique, l’exposition et la diffusion) se font mouvantes et inégales. Avec
l’immatériel, le changement s’opère avec une montée de puissance de la fonction
sociale du musée. Ce n’est plus la production matérielle de l’homme qui est mise au
centre de ses préoccupations, mais sa pensée, sa personne elle-même, d’un point de vue
psychique. L’exemple du Centre d’histoire de Montréal en est édifiant : ce musée
d’histoire s’intéresse avant toute chose à la mémoire urbaine et sa transmission, aux
enjeux sociaux, d’une manière profondément liée à l’identité des communautés. Sa
fonction est clairement sociale et vise à une action permettant de consolider les groupes
sociaux et de les incorporer au sein de la métropole. D’ailleurs, « plusieurs observateurs
partagent de plus en plus l’idée que le musée en soi témoigne non seulement de
l’expression culturelle et intellectuelle d’une société donnée mais devient désormais un
magnifique laboratoire où l’on peut saisir, en pleine ébullition, les tenants et
aboutissants des enjeux sociaux d’une civilisation en mouvance134
». Jean-François
Leclerc est également particulièrement clair lorsqu’il mentionne les prémices des
« Cliniques de Mémoire », avec, dès 1992 « la création d’un programme éducatif
pionnier pour la francisation des immigrants par l’histoire au musée […] Par la suite, le
Centre d’histoire a exploré diverses formes de mise en valeur du patrimoine
133 MEUNIER Anik, Op.Cit. Téoros, p.55. 134 DUBE Philippe, « Les musées : témoins et éducateurs des sociétés », dans Historical Studies in
Education / Revue d’histoire de l’Education, automne 2003, p.361-370.
76
immigrant135
». La réflexion qu’à mené le musée sur cette fonction sociale du musée a
permis de répondre aux attentes des différents groupes culturels et d’apporter contact
nouveau entre les immigrants et leur ville d’accueil. Il est à noter que les « Cliniques de
Mémoire » ne concernent pas uniquement les communautés culturelles, mais sont aussi
liées aux grands évènements et aux lieux, en témoignent les projets successifs menés
par le musée avec « Les résidents du quartier Rosemont, du Centre de Réadaptation
Marie-Enfant, du complexe résidentiel pour vétérans de la Seconde guerre mondiale
Benny Farm et, tout récemment aux Habitations Jeanne-Mance »136
. Pour les plus
jeunes, ainsi que nous l’avons mentionné précédemment, le Centre d’histoire de
Montréal propose le projet « Vous Faites Partie de l’Histoire », qui de la même manière
tisse des liens entre la ville et ses nouveaux habitants.
La ville de Montréal, à l’origine de ces politiques souhaite en effet un
resserrement du tissus social, le musée ayant aussi de nombreux contacts avec d’autres
institutions et organisations œuvrant dans un même but d’intégration, afin de « réduire
les distances culturelles »137
. Bien entendu, les « Cliniques de Mémoire » se distinguent
totalement des témoignages recueillis lors des expositions, dont le recueil est plus
normalisé et professionnalisé. Cependant, chacun des projets semble apporter une
cohérence à l’ensemble. De manière générale, ce genre d’initiatives offre une réponse à
la demande toujours grandissante de participation du visiteur à la vie du musée.
Ainsi :
« Tout processus de patrimonialisation peut envisager et projeter le
patrimoine matériel et immatériel d’une population ou d’une communauté afin
de lui permettre de retrouver, de redéfinir ou de bâtir son identité, de réfléchir
sur son passé et son avenir et de développer des moyens d’engager l’action, en
vue de maintenir ou de modifier le présent. Ainsi, la notion de patrimoine est
intimement liée à la construction et à la définition de l’identité »138
.
135 LECLERC Jean-François, « Des cliniques de mémoire pour enrichir le patrimoine commun », Nos
Diverses Cités, n.7, 2010, p.105. 136 LECLERC Jean-François, Op. Cit., p.105. 137 BOUCHARD Gérard, TAYLOR Charles, Fonder l’avenir, le temps de la réconciliation, Rapport de la
Commission sur les pratiques d’accommodement liées aux différences culturelles, Gouvernement du
Québec, 2008, 256p. 138 MEUNIER Anik, « Conjuguer architecture, culture et communauté », Téoros, 27-3, 2008, pp.53-62.
En ligne : http://teoros.revues.org/84
Consulté le 20 août 2012.
77
Cette citation montre à quel point les notions de patrimoine et de mémoire
collective sont intrinsèquement liées et cette conception des choses est à raccrocher à
l’idée du patrimoine immatériel comme expression d’une culture en mouvement, qui
vient compléter parfaitement les collections matérielles, témoins et productions
tangibles de l’expression et de cette culture.
3.3.1. Une définition hypocrite ?
Le patrimoine immatériel est particulièrement difficile à caractériser, non seulement
entre la diversité de possibilités et de natures qui le structurent, mais aussi parce qu’à un
moment ou un autre, dans son processus de muséalisation, il a perdu sa fonction
d’usage, de témoignage" insaisissable, pour gagner une forme matérielle ou du moins
virtuelle. En ce sens, peut-on encore dire qu’il soit immatériel ? Le fait qu’il se retrouve
sur un support, celui-ci étant absolument nécessaire à sa conservation et sa diffusion ne
rend-il pas le terme « immatériel » caduque ? La muséalisation de l’objet ne crée t’elle
pas ici un controverse contrepoint la nature même de l’objet ? Mais ceci n’est peut être
finalement qu’un effet secondaire causé par le processus de muséalisation, qui
accompagne la perte de sens fondamentale de l’objet, l’altération inévitable que
provoque la « mise au musée ».
Ariane Blanchet-Robitaille pose aussi la question d’une « domestication de la
mémoire » qui poserait la question du statut du support numérique comme partie ou non
de l’objet139
. La question se pose aussi pour tous les objets et œuvres produites par le
biais de techniques virtuelles et numériques. Une fois encore, ces éléments ne disposent
pas de réelle matérialité, même si leur image, leur « reflet » ainsi que le mentionne
l’auteur, peuvent être réalisés, dupliquées, conservés et utilisés. Le patrimoine
immatériel semble donc particulièrement malléable, extensible et on peut ainsi se
demander dans quelle mesure le fait de le fixer sur un support matériel en altère la
nature même. En effet, il ne s’agit que d’un pâle reflet, un double altéré de l’objet
immatériel lui-même, qui s’inscrit dans un temps et un lieu précis, sans jamais pouvoir
être réitéré à l’identique. Les copies sont des copies du support et non pas des copies de
139 BLANCHET-ROBITAILLE Ariane, Le mentefact au musée : mise en scène de la mémoire, Université
Laval, 2010.
78
l’ « objet » lui-même, qui est lui furtif et éphémère. Les enregistrements ne peuvent
traduire qu’un écho de ces récits et témoignages, et dans le cas du patrimoine
immatériel en général, ils ne peuvent transmettre ni les goûts, ni les odeurs, les
émotions, ou encore la véritable réalité des sons. De plus, ces supports numériques et
magnétiques peuvent s’altérer, tant au niveau technique, avec une modification des
couleurs ou des sons, mais aussi par la main de l’homme, qui peut à son gré y couper
des morceaux ou réaliser de nouveaux montages. Il s’agit donc d’une ressource qui peut
prêter à confusion, et perdre son sens premier.
Cependant, par cette forme mouvante et somme toute insaisissable, le patrimoine
immatériel n’est il pas tout simplement le marqueur de sociétés en mouvement et en
constant renouveau ? La mémoire collective n’est pas un élément figée, mouvante, elle
se construit en parallèle des vestiges matériels du passé sur qui elle se fonde, s’appuie et
s’illustre. Pour résumer, tout comme le fait Sylvie Chanal, peut-on bien dire que le
musée se mue progressivement en un « lieu d’enregistrement d’une société en
mouvement [qui] ne sera plus seulement témoin, mais bien acteur de la compréhension
de l’histoire ? »140
. Le musée semble donc garant d’un « devoir de mémoire » sans
toutefois se substituer au rôle des chercheurs. Il s’attache à promouvoir auprès du grand
public, comme des spécialiste une mémoire collective qui a pour but de trouver une
résonnance, une réaction, en chacun des visiteurs, et de lui apporter une connaissance
plus fine, sinon nouvelle de son propre héritage culturel.
3.3.1. La fin du musée traditionnel ?
L’arrivée de l’immatériel au musée offre donc un renouveau au monde muséal,
en lui adjoignant de nouvelles responsabilités, de nouveaux axes de développement. La
question peut bien entendu se poser quant à la légitimité d’une telle démarche. En effet,
recueillir les témoignages du passé ne fait-il pas plutôt partie des attributions
traditionnelles des services d’archives ? Dans la mesure où les différentes barrières
entre les professions tendent souvent à s’estomper, cette question prend tous son sens.
140 CHANAL Sylvie, Le musée français face à la représentation de la diversité des cultures aujourd’hui :
Enjeux sociaux et muséographiques et avec quels acteurs ?, Mémoire de Master II, Université Lyon II,
2005, p.10.
79
Qu’en sera-t-il des musées de l’avenir ? Où commencent les attributions d’une structure
patrimoniale par rapport à une autre ?
La mise en œuvre de la technologie dans les musées, sans quoi l’immatériel ne
pourrait que bien plus difficilement être conservé et exposé, est un processus déjà
utilisés dans différents domaines des sciences humaines telles que l’histoire ou encore
l’ethnologie. En recherchant s’approprier ce patrimoine immatériel, le musée ne cherche
t’il pas à d’une certaine manière à concurrencer la recherche universitaire et à accaparer
des ressources qui ne lui sont pas traditionnellement dévolues ? Les points de vue sur la
question peuvent diverger, mais ce rapprochement du musée et de la discipline
scientifique peut être vu au contraire comme un rapprochement ou une collaboration. En
effet, le schéma n’est finalement pas différent de celui qui existe pour les objets
matériels : ils sont objets de science et d’étude pour les chercheurs, et objets
patrimoniaux pour les musées. Leurs buts et leurs sphères d’influence ne sont pas
similaires, aussi paraît-il exagéré d’affirmer qu’un domaine empiète sur les prérogatives
de l’autre. La prise en compte de l’immatériel au musée est singulière et ses buts
clairement patrimoniaux. En ce sens, ce n’est pas du point de vue du concept que les
musées ont à se modifier, mais plutôt du point de vue de leurs pratiques.
Dans cette perspective peut-on se poser la question du futur des musées,
notamment des musées d’histoire et de société. Serge Chaumier semble pencher vers
l’idée que le musée se transforme vers un musée aux collections immatérielles lorsqu’il
affirme que « l’objet de musée devient en quelque sorte invisible » et qu’il avance pour
exemple les musées imaginaires, les musées de papier ainsi que les collections
entièrement numériques141
. Alors, cette idée est-elle fondée et les nouveaux musées à
venir vont-ils vraiment connaître ce remaniement extrême pour devenir des espaces
entièrement consacrés aux collections dématérialisées ? Si des exemples aujourd’hui
montrent que ceci est possible d’un point de vue technique, avec par exemple le musée
virtuel du couturier Valentino Garavani qui se télécharge sur internet pour être visité par
ordinateur, cet exemple reste anecdotique142
. Bien entendu, un nouveau type de musées
pourra voir le jour, mais somme toute, la diversité même de la nature des musées et de
leur forme n’est elle pas simplement représentative des diversités que connaissent les
sociétés humaines ? Ainsi la question de la valorisation du patrimoine immatériel et
141
CHAUMIER Serge, Op. Cit., p.10. 142 Musée Virtuel Valentino Garavani, à télécharger sur le site : http://www.valentino-garavani-
archives.org/
80
notamment de toutes les ressources orales et liées à l’histoire orale n’apporte que des
richesses culturelles supplémentaires qui ne viennent en aucun cas supplanter les
collections matérielles, mais au contraire construire avec elles un discours plus juste et
plus proches des groupes des visiteurs. Cécile Tardy définit cette relation nouvelle
« comme un processus d’identification entre une collection de biens d’un côté et, de
l’autre, la collectivité qui, par elle est représentée, ou mise en représentation d’elle-
même »143
.
En définitive, le musée traditionnel n’est en aucun cas menacé par l’immatériel,
mais se voit simplement adjoindre de nouvelles collections et de nouveaux modes de
gestion qui peuvent, s’il le souhaite enrichir son discours.
143
TARDY Cécile, « Du patrimoine à la patrimonialisation », dans Construction patrimoniale d’un
territoire : Le cas du parc Livradois-Forez, thèse de doctorat, Saint-Étienne, Université Jean-Monnet
Saint-Étienne, (1999), p. 29-68.
81
Conclusion
En somme, il apparaît au terme de ce travail que la question du patrimoine
immatériel et de sa gestion en milieu muséal ouvre la voie à de nombreux
questionnements. Nous avons vu que les étapes ayant mené à la conscience et la
reconnaissance de ce patrimoine ont été longues et échelonnées sur presque trois
décennies. Les différents colloques, conférences et autres initiatives, telles que la
convention de 2003 de l’Unesco, ont tenté de donner un cadre légal et de fixer les
limites de ce type de patrimoine à la définition particulièrement floue et mouvante.
Si le patrimoine culturel immatériel, appelé couramment PCI en France est
présent sous diverses formes, l’expérience muséale du Centre d’histoire de Montréal
concernant la collecte et l’acquisition muséale de témoignages oraux apporte un
éclaircissement sur les pratiques qui peuvent être mises en œuvre. Cependant, les
processus de gestion sont encore jeunes et peu rodés et bien souvent, ce sont les
expériences qui apportent de nouvelles innovations
Enfin, apportant de nouvelles difficultés et de nouveaux modes de
fonctionnement au musée, la question de la place du PCI au musée se fait essentielle. Le
patrimoine immatériel a-t-il vraiment sa place au musée, alors qu’il en modifie les
principes de fonctionnement et de valorisation qui y sont faits depuis des décennies. Les
témoignages oraux ne relèvent-ils pas plutôt des archives, au même titre que les
archives conservées par exemple par l’institut international de l’audiovisuel (INA)?
La réponse n’est pas nette ni fixe, et se situe plutôt dans la conception qu’en ont
les dirigeants et dans la valorisation et l’utilisation qui souhaite en être faite. Les avis
des chercheurs sont aujourd’hui encore partagés, mais ce qu’en retient de manière
globale Laurier Turgeon est que « dans la mise en valeur de bâtiments, de sites et
d’objets historiques, il faudrait prendre l’habitude d’associer des ethnologues, des
historiens et des géographes à la mise en œuvre de la documentation, par des enquêtes
orales par exemple, pour mieux connaître la signification et la valeur du patrimoine
pour les populations qui l’utilisent144
”. Il prêche donc dans le sens d’une véritable
complémentarité entre objets matériels et immatériel et non pas dans le sens d’une
144 TURGEON Laurier, Op. Cit., p. 393.
82
hiérarchie des objets, leur statut muséal leur conférant à tous une valeur égale dans une
perspective patrimoniale.
Enfin, il paraît utile de mentionner les différences importantes de conception entre
les différentes régions du monde, entre les diverses cultures. Si ce mémoire s’attache
aujourd’hui à décrire des pratiques actuellement en cours, celles-ci sont des exemples
précis et sont le fait d’initiatives particulière. Le Québec, et l’Amérique du Nord par
extension, ont une conception bien précise de ce qu’est le patrimoine, conception qui se
distingue de celle des Européens. Le rapport au patrimoine matériel des Américains
n’est pas celui des Européens, qui le conçoivent dans une perspective bien plus
traditionnelle et régalienne. Mais de plus, les divergences de modes de pensées existent
aussi entre les différentes communautés culturelles, les Amérindiens, appelés
« Premières Nations » au Québec ayant un rapport à l’objet totalement différent, qui se
concentre essentiellement sur le pan immatériel rattaché aux objets, tels que les savoir-
faire et les usages qui en sont faits. Les musées sont ainsi parfois sollicités par les
autochtones pour restituer certains objets, définitivement ou provisoirement dans le
cadre de cérémonies particulières. Souvent, ces peuples n’attachent pas d’importance à
l’objet qui pour eux doit se détruire et disparaître pour achever son existence.
En guise d’ouverture, la question de l’immatériel est peut-être à étudier sous
l’angle de l’éthique muséale et de son droit face aux cultures et leurs traditions. Elle
peut se retrouver aussi dans le cadre de l’écomusée, qui est l’autre grand type de musée
à vocation communautaire. Ainsi, comme dans l’exemple du Centre d’histoire de
Montréal, les écomusées cherchent à construire leur discours au plus près des publics et
de leurs attentes.
Bibliographie commentée
Ouvrages de référence :
DESVALLEES André, MAIRESSE François, Dictionnaire encyclopédique de
muséologie, Editions Armand Colin, 2011, 724 p.
Premier dictionnaire encyclopédique de muséologie définissant de manière très
détaillée bon nombre de termes utilisés fréquemment dans le domaine de la muséologie.
TLF, Dictionnaire de la langue du 19ème
et 20ème
siècle, CNRS Gallimard, Paris, 1971-
1994.
Version informatisée.
<http://atilf.atilf.fr/>
Dictionnaire de la langue française, entièrement informatisé.
Ouvrages spécialisés :
BUCK Rebecca, GILMORE Jean, Collection Conundrums: Solving collections
Management Mysteries, American Association of Museums, 1ère
éd., 2007, 150p.
Manuel de gestion des collections décrivant de manière très précise la composition
d’une politique des collections.
KING Brad, « Chapter 5: Understanding collections », dans LORD Barry (dir.), Manual
of Museum Planning: Sustainable Space, Facilities, and Operations, 3ème
Ed., AltaMira
Press, 2012, 720p, pp.189-211.
Ouvrage spécialisé dans la gestion des collections muséales. Il présente de nombreux
tableaux récapitulatifs et accompagne les propos techniques d’exemples concrets.
DARRAS Bernard (Dir.), Éducation artistique à l'école et au musée, vol.14, Presses
Universitaires Lyon, 1999, 172 p.
Publication s’intéressant à l’éducation artistique et s’interrogeant dans ce cadre sur le
concept de mentefact.
84
DESCAMPS Florence, MARTINANT DE PRÉNEUF Jean, DE RUFFRAY Françoise,
TERRAY Aude, Les sources orales et l’histoire : Récits de vie, entretiens, témoignages
oraux, Paris, Bréal, Coll. Sources d’histoire, 2006, 287p.
Manuel d’histoire orale présentant les concepts théoriques ainsi que des méthodes de
travail pour l’historien.
PLATON, Timée/Critias, intro. trad. et notes BRISSON Luc, 3e éd. corrigée et mise à
jour, Paris, 1996, 438p.
Dialogue en grec ancien intéressant pour comprendre ce qu’est un objet dans la
philosophie platonicienne et quelle conception du matériel et de l’immatériel pouvaient
avoir les anciens.
POMIAN Krzysztof, Collectionneurs, amateurs, curieux: Paris-Venise, XVIe - XVIIIe
siècles, Paris, Gallimard, 1987, 368p.
Ouvrage du philosophe et écrivain Krzysztof Pomian qui s’intéresse au phénomène des
cabinets de curiosités et s’interroge sur la nature du collectionneur et de l’objet de
collection.
POULOT Dominique, Une histoire des musées de France, XVIIIe-XXe siècles. Paris,
La Découverte, coll. « L’espace de l’Histoire », 2005, 198 p.
Ouvrage abordant les aspects politiques, sociaux et identitaires du musée. Il s’interroge
sur le rôle et les pratiques de l’exposition en lien avec les demandes du public.
QUICCHEBERG Samuel, Inscriptions ou titres du théâtre immense comportant toutes
la matière de l'univers et des images extraordinaires si bien qu'il peut à juste titre être
appelé aussi réserve des objets fabriqués avec art et merveilleux ainsi que de tout trésor
rare, qu'on a décidé de réunir tous ensembles dans ce théâtre afin qu'en les manipulant
fréquemment on puisse acquérir rapidement, facilement et sûrement une connaissance
singulière des choses et une sagesse admirable, trad. du latin, Munich, 1565.
Ouvrage ancien (XVIème siècle) qui est l’un des premiers à décrire et définir la notion de
collection et les différents types d’objets que celle-ci englobe.
SCHÄRER Martin, « L’exposition, lieu de rencontre pour objets et acteurs », dans
MARIAUX Pierre-Alain (dir.), Les lieux de la muséologie, Ed. P.Lang, Bern, 2007,
183p.
85
Ouvrage ancien (XVIème siècle) qui est l’un des premiers à décrire et définir la notion de
collection et les différents types d’objets que celle-ci englobe.
SIMMONS John, Things Great and Small: Collections Management Policies, American
Association of Museums, 2006, 208p.
Manuel de gestion des collections en anglais, publié par l’association des musées
américains. Il donne des définitions et listes très claires des différents éléments devant
se retrouver dans une politique des collections.
SOULET Jean-François, L'histoire immédiate, PUF, Collection « Que-Sais-Je ? »,
n° 2841, 1994, 128p.
Ouvrage résumant l’essentiel des connaissances quant à ce que les chercheurs
appellent l’histoire immédiate : définitions, exemples et théories.
Articles de revues :
« Termes muséologiques de base », dans Publics et Musées, n°14, 1998, pp. 163-171.
Article de revue rédigée par divers collaborateurs et définissant les principaux termes
utilisés en muséologie, à la manière d’un dictionnaire. Datant de 1998, il présente des
différences par rapport au dictionnaire encyclopédique de muséologie cité ci-dessus et
témoigne de l’évolution des concepts.
BOURSIER Jean-Yves, « La mémoire comme trace des possibles», dans Socio-
<http://socio-anthropologie.revues.org/index206.html/>
Article présentant un questionnement sur le sens et le rapport de la mémoire humaine
par rapport aux vestiges matériels et mnésiques du passé.
DESCAMPS Florence, « La place et le rôle du collecteur de témoignages oraux »,
Bulletin de liaison des adhérents de l'AFAS, 28, hiver 2005 - printemps 2006, mis en
ligne le 14 juillet 2010.
<http://afas.revues.org/1514/>
Consulté le 11 septembre 2012.
Article de revue revenant sur la terminologie liée à la collecte des témoignages oraux et
sur le rôle pratique et théorique de l’enquêteur.
86
DESVALLEES André, « Les Galeries du Musée national des Arts et traditions
populaires : leçon d’une expérience muséologique », Musées et collections publiques de
France, 134, 1976, pp. 5-37.
Article de revue réfléchissant sur la question de la valorisation des collections au
musée, au travers d’un exemple concret et proposant un glossaire des termes de
muséologie.
DESVALLEES André, MAIRESSE François, « Sur la muséologie », dans Culture &
Musées, n°6, 2005. pp. 131-155.
<http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/pumus_1766-
2923_2005_num_6_1_1377 />
Article de revue posant les questions de base quant à la nature de la muséologie et
réfléchissant sur des questions fondamentales telles que la collection, l’objet…
DROUIN Michel, FOURCADE Marie-Blanche, « Pardon? Vous avez bien dit :
Patrimoine immatériel montréalais? », Téoros, n°26-2, 2007, p.75
Article de revue présentant la campagne de rénovation du Vieux-Montréal et
réfléchissant sur la notion de patrimoine immatériel.
DUBE Philippe, « Les musées : témoins et éducateurs des sociétés », dans Historical
Studies in Education / Revue d’histoire de l’Education, automne 2003, p.361-370.
Article s’intéressant à la place du social et de l’éducation au musée en insistant sur la
complémentarité entre musée et école.
GOB André, « Le jardin des Viard ou les valeurs de la muséalisation », CeROArt, 4,
2009.
<http://ceroart.revues.org/1326/>
Article en ligne explorant le processus de muséalisation d’un objet ou d’un lieu et
réfléchissant cette question.
Ladkin Nicola, « Gestion des collections », dans Boylan Patrick (dir.), Comment gérer
un musée : Manuel pratique, UNESCO, Paris, 2006, pp.17-30.
<http://unesdoc.unesco.org/images/0014/001478/147854f.pdf>
(Consulté le 2 mai 2012)
Article de revue revenant sur le cas des « Cliniques de mémoire » et notamment sur leur
fonction identitaire et sociale au sein de la ville.
87
LECLERC Jean-François, « Des cliniques de mémoire pour enrichir le patrimoine
commun », Nos Diverses Cités, n.7, 2010, p.104-109.
Article de revue revenant sur le cas des « Cliniques de mémoire » et notamment sur leur
fonction identitaire et sociale au sein de la ville.
MEUNIER Anik, « Conjuguer architecture, culture et communauté », Téoros, 27-3,
2008, p.55.
<http://teoros.revues.org/84/>
Article centré le patrimoine architectural mais posant la question de la place des
communautés dans la construction d’une mémoire commune.
PARRET Herman, « Vestige, archive et trace : Présences du temps passé », Protée,
vol.32, n.2, 2004, p.37-46.
Article portant sur les usages du numérique dans la conservation et la valorisation de
l’immatériel. Il s’attarde sur la question de la capacité des nouvelles technologies à
retransmettre pleinement l’immatériel.
TURGEON Laurier, « Introduction. Du matériel à l'immatériel. Nouveaux défis,
nouveaux enjeux », dans Ethnologie française, 3/2010 (Vol. 40), p. 389-399.
Article de revue s’intéressant à la question du patrimoine immatériel et notamment de
l’évolution des mentalités à son égard. Il s’attache à présenter les évolutions
institutionnelles qui ont permis sa prise en compte au niveau international.
88
Autres sources :
Dossiers et documents pratiques
Association des Musées Canadiens (AMC) Principes déontologiques, Ottawa, 2006,
18p.
Document définissant et donnant des règles de l’éthique professionnelle et de la
déontologie muséale.
BOUCHARD Gérard, TAYLOR Charles, Fonder l’avenir, le temps de la
réconciliation, Rapport de la Commission sur les pratiques d’accommodement liées aux
différences culturelles, Gouvernement du Québec, 2008, 256p.
Compte-rendu d’enquête sur les pratiques culturelles et les différences entre les
groupes culturels.
Centre d’histoire de Montréal, Politique des collections, 2012, 78p.
Document réalisé dans le cadre du stage, rassemblant l’ensemble des
recommandations pour une bonne gestion des collections, au travers de l’acquisition,
du prêt, de l’aliénation, de la conservation préventive, etc., le tout en lien avec la
mission et le mandat du musée.
Ce document comprend 12 annexes, soit 66 pages supplémentaires non numérotées
selon la volonté de la structure.
CHAUMIER Serge, Qu’est-ce qui définit un objet de musée, Musée de la vie
Bourguignonne, Dijon, Dossier documentaire dans le cadre de l’exposition « Tout
garder? Tout jeter? Et réinventer? » du 23 avril-20 septembre 2010, 12p.
Dossier documentaire réalisé dans le cadre d’une exposition temporaire au Musée de la
vie Bourguignonne, à Dijon, qui ouvre une réflexion sur la nature de l’objet, à la fois
matériel et immatériel.
CREDOC, Enquête « Conditions de vie et Aspirations des Français », début 2005.
Compte-rendu d’enquête.
DUFRESNE Sylvie, « Le Centre d’histoire de Montréal. Vocation et champs
d’interventions», Réunion du Comité permanent de l’entente, Ministère des Affaires
Culturelles – Ville de Montréal, 1988, pp. 7-8.
89
Document interne du musée précisant des missions et le mandat du Centre d’histoire de
Montréal.
FONDATION ROI BAUDOUIN et Musées et Société en Wallonie, Je gère un musée
aujourd’hui… pour demain : Questionnaire d’audit interne à l’attention des
gestionnaires d’institutions muséales, 2003, Belgique, 41p.
<http://www.repere.be/msw/images/audit/jegereunmusee.pdf> (Réf. du 18 août 2010).
Document évoquant la gestion muséale en Belgique et proposant des outils pratiques
pour l’évaluation des pratiques en interne.
ICOM – Conseil International des Musées, Code de déontologie de l’ICOM pour les
musées, Paris, 2006.
Document définissant et donnant des règles de l’éthique professionnelle et de la
déontologie muséale.
LECLERC Jean-François, Le Centre d’Histoire de Montréal : histoire d’une institution
et d’une vision du passé, Montréal, UQAM, 1991, 23p.
Travail d’étudiant rédigée en 1991 par celui qui est aujourd’hui le directeur du Centre
d’histoire de Montréal revenant sur la genèse de l’institution et sur son développement
jusqu’à 1991.
Société des Musées Québécois – SMQ, Élaborer une politique de gestion des
collections - Guide pratique, Québec : Ministère de la culture, de la communication et
de la condition féminine, 2008, 74 p.
Guide pratique de la SMQ pour l’élaboration d’une politique des collections, avec
conseils et listes de vérification.
SOMMER Barbara, QUINLAN Mary Kay, The Oral History Manual, Altamira Press;
2ème ed., 2009, 130p.
Guide pratique pour la collecte et la gestion des témoignages oraux.
UNESCO, Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, 2003.
Texte officiel de la convention.
90
UNESCO, Préserver notre patrimoine documentaire, Programme Mémoire du Monde,
2005, 22 p.7
Guide pour la gestion du patrimoine documentaire.
Sites internet
Site du Centre d’Histoire de Montréal.
<http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=8757,97305573&_dad=portal&_sche
ma=PORTAL/>
Site internet de l’UNESCO.
< http://portal.unesco.org/fr/>
Ministère de la culture, de la communication et de la condition féminine du Québec.
<http://www.mcccf.gouv.qc.ca/>
DRAC Lorraine/ Service Régional de l’archéologie.
< http://www.culture.gouv.fr/lorraine/drac/Patrimoi/archeo/protMob.pdf/>
CONSEIL QUEBECOIS DU PATRIMOINE VIVANT, définition du patrimoine
immatériel, dans Journal des débats, Assemblée nationale, Le jeudi 18 août 2011 – Vol.
42 N° 17.
<http://patrimoinevivant.qc.ca/2011/08/une-nouvelle-definition-du-patrimoine-
immateriel-dans-le-projet-de-loi-82/>
Site internet du Musée-mémorial du 11/9.
<http://www.911memorial.org/share-your-story/>
Site du Musée de la mémoire vivante.
<http://www.memoirevivante.org/>
Site internet du musée de la Mine du Livet.
<http://www.saintgermainlevasson.fr/presentation.htm/>
Site internet du musée de Bretagne.
< http://mali-feminin.musee-bretagne.fr/Les-temoignages-oraux.html/>
Site internet du Musée de la Mine de Blanzy.
<http://www.blanzy71.fr/>
Site internet du Museu da Pessoa.
<http://www.museudapessoa.net/ingles/>
Musée Virtuel Valentino Garavani,
91
<http://www.valentino-garavani-archives.org/>
Site du Centre d’histoire orale et de récits numérisés de l’Université Concordia.
<http://storytelling.concordia.ca/>
Thèses et mémoires
BLANCHET-ROBITAILLE Ariane, Le mentefact au musée : mise en scène de la
mémoire, Université Laval, 2010.
Mémoire universitaire de second cycle explorant le concept de mentefact et présentant
sa mise en valeur dans des expositions.
CHANAL Sylvie, Le musée français face à la représentation de la diversité des
cultures aujourd’hui : Enjeux sociaux et muséographiques et avec quels acteurs ?,
Mémoire de Master II, Université Lyon II, 2005, 87p.
Mémoire de Master II abordant la question de la place des différentes cultures dans les
musées français, dans une perspective ethnologique, au travers d’exemples concrets.
TARDY Cécile, « Du patrimoine à la patrimonialisation », dans Construction
patrimoniale d’un territoire : Le cas du parc Livradois-Forez, thèse de doctorat, Saint-
Étienne, Université Jean-Monnet Saint-Étienne, (1999), p. 29-68.
Thèse de doctorat s’intéressant à la question de la patrimonialisation, évoquant le rôle
social du patrimoine et l’implication des publics au musée
Communications :
AVILES FLORES Pablo, Collections d’objets merveilleux et d’objets d’art. La
propriété du roi, des particuliers et du peuple, Communication présentée aux écoles
d'été du doctorat des cultures juridiques européennes, en 2006.
Communication s’intéressant aux collections anciennes, dans le cadre des cabinets de
collectionneurs et s’interrogeant sur les collectionneurs en général.
92
BERGERON Yves, BERNIER Christine, DUBE Philippe, DUBUC Élise (organisé
par), LAMOUREUX Johanne, Muséalité et intermédialité. Les nouveaux paradigmes
des musées / Museality and Intermediality. The New Museum Paradigms, Montréal, du
28 au 31 octobre 2009
Actes du colloque évoquant la place des nouveaux médias de diffusion et de valorisation
dans les musées, avec notamment la question des nouvelles technologies.
DESVALLEE, André, MAIRESSE, François, DELOCHE, Bernard, Museology : Back
to Basics – Muséologie : revisiter nos fondamentaux, Working papers, ISS 38,
Morlanwelz, 2009, p. 36 (volume présenté lors du colloque ICOFOM 2009 à Liège et
Mariemont, juillet 2009).
Actes du colloque s’intéressant aux fondamentaux de la muséologie en insistant sur les
définitions de base.
La notion de collection ou comment lutter contre l’éparpillement des choses dans le
monde, Table ronde dans le cadre de la manifestation « Jean Cocteau, un des visages de
l’ange », organisé par la BPI au Centre Georges Pompidou, Paris, le 7 novembre 2003.
<http://editionsdelabibliotheque.bpi.fr/resources/titles/84240100384280/extras/8424010
0384280.pdf/>
Table ronde menant à des débats sur la question de la collection muséale et des
processus de collecte.
Recueil de poèmes :
CHAR René, « Feuillets d’Hypnos (1943-1944) », dans Fureur et mystère (1948),
préface d’Yves Berger, éd. Gallimard, coll. Poésie, 1962, p.121.
Recueil de poésie dédié à Albert Camus par le poète et résistant René Char durant la
Seconde Guerre mondiale.
93
94
Annexes
95
Sommaire des annexes
Annexe 1 : Procédure d’acquisition : témoignages. p.96
Annexe 2: Collecte et archivage des entrevues. p.97
Annexe 3 : Formulaire de consentement. p.99
Annexe 4: Annexe 4 : Iconographie « Cliniques de Mémoire ». p.103
Annexe 5 : Annexe 4 : Iconographie « Quartiers disparus ». p.104
Annexe 6 : Annexe 6 : Iconographie « Nous sommes ici » p.105
Annexe 7 : Questionnaire sur les modes de gestion des musées. p.106
96
NON
(Abandon de la
procédure pour les
témoins jugés non
pertinents par le
comité)
Annexe 1 : Procédure d’acquisition : témoignages
PROCEDURE D’ACQUISITION : TEMOIGNAGES
1. Recherche et sélection de témoins potentiels. Rédaction d’une liste
(Dans le cadre d’une exposition)
3. Prise de contact avec les témoins
4. Pré-entrevue téléphonique ou en personne
(Soumission d’un questionnaire)
5. Entrevues et Signature d’un formulaire de
consentement
Si le témoin ACCEPTE
6. Envoi au témoin d’une carte de
remerciement, d’une lettre et d’une copie de
son entrevue
2. Soumission de la liste au comité d’acquisition
7. Entrée du témoignage dans la collection
Si le témoin REFUSE
(Abandon de la procédure pour les
témoins n’ayant pas donné leur
accord pour participer)
OUI
97
Annexe 2: Collecte et archivage des entrevues
Collecte et archivage des entrevues
(Centre d’histoire de Montréal, 3 mai 2012)
Les grandes étapes et documents à produire
1. Entrevues
Étapes Documents
1. Recherche de contenus
2. Recherche de témoins Liste de témoins potentiels
3. Prise de contact avec les témoins Rapport(s) de communication
Envoi d’un descriptif du projet
4. Préparation à l’entrevue Questionnaire
Synopsis
5. Entrevues Fiche d’identification
Formulaire de consentement
Formule de prêt
Fiche iconographique
Fiche objet
Fiche de commentaires sur les photos
Prise de photo(s) du témoin
Liste des témoins
Compte-rendu d’entrevue
6. Entretiens complémentaires Formule de prêt
Fiche iconographique
Fiche objet
7. Remerciements Envoi au témoin d’une carte personnalisée manuscrite écrite par l’intervieweur.
98
2. Archivage des entrevues
Étapes Documents
1. Création des dossiers de témoins Dossier identifié au numéro et nom du témoin
2. Identification des enregistrements
3. Écoute des entrevues Chronologie complète ou présélection d’extraits de l’entrevue
4. Archivage Archivage des entrevues intégrales dans Stories Matters
Création d’une liste de mots clés propre au projet
5. Distribution de copies d’entrevues Envoi d’une copie de l’entrevue au témoin
Envoi d’une lettre officielle de l’institution sur papier entête de la part du coordonateur du projet.
Envoi de copies des entrevues au(x) partenaire(s)*
* Sous toutes réserves.
Matériel devant être fourni par le vidéographe
Document Format
Entrevue(s)* (remise au témoin) 1 copie DVD (qualité régulière) avec
identification réversible
Entrevue(s) (remise au CHM) 2 copies DVD OR (qualité archive) avec
identification réversible
1 copie DVD des dossiers FLV de toutes les
entrevues
Ensemble du matériel enregistré**
(entrevues, montages et prises de vue
complémentaires)
2 copies intégrales sur 2 disques durs
externes de haute qualité
*Le DVD des entrevues doit contenir un menu comportant les informations suivantes :
Numéro d’inventaire du témoin, le nom du témoin et la date.
** Les documents enregistrés doivent êtres clairement identifiés. Notamment les entrevues
des témoins seront identifiées avec le numéro d’inventaire.
99
Annexe 3 : Formulaire de consentement
Projet : ………………………………………………………
Nom du participant :
_______________________________________________________
Date:
Lieu :
Responsable :
Formulaire de consentement
BUT DE LA RECHERCHE
Code : MFS.2012.
100
101
102
Annexe 4 : Iconographie « Cliniques de Mémoire ». Photographies du Centre d’histoire de Montréal – Tous droits réservés (Autorisation d’utilisation pour ce mémoire). En ligne sur le Flickr du musée : http://www.flickr.com/photos/chmmtl/sets/72157626962108322/detail/
Clinique de mémoire aux Habitations Jeanne-Mance, 19 septembre 2010.
Clinique de mémoire, arrondissement de Saint-Laurent, 7 août 2011.
104
Annexe 5 : Iconographie « Quartiers Disparus ». Centre d’histoire de Montréal. Photographies Angélique BACH
Début de l’exposition
Espace 1 avec objets de décor et témoignages
Espace 2 avec de nombreux postes d’écoute
Espace 3 : photos d’archives
Espace 4: le « Red Light » : décor et vidéos
Espace 5: « Goose Village »
Espace 6 : le « Faubourg à M’lasse »
Espace 7 : Conclusion
105
Annexe 6 : Iconographie « Nous sommes ici », Centre d’histoire de Montréal. Photographies Angélique BACH
Dispositifs numériques mis en place pour la présentation des témoignages vidéo.
106
Annexe 7: Questionnaire sur les modes de gestion des musées
QQQUUUEEESSSTTTIIIOOONNNSSS SSSUUURRR LLLAAA GGGEEESSSTTTIIIOOONNN DDDEEESSS CCCOOOLLLLLLEEECCCTTTIIIOOONNNSSS
Nom du musée : Nom et statut de la personne interrogée :
1. LE MUSEE
Quels sont les points principaux de la mission et du mandat du musée?
Le musée dispose-t-il d’un document écrit précisant la politique de gestion des collections? Oui Non Des précisions? :
Si oui, de quand date-t-il et à quelle fréquence est-il réactualisé?
2. LA COLLECTION
De combien d’objets la collection se compose-t-elle?
Quelles en sont les catégories principales? Ethnologie/Histoire Beaux-arts/Arts décoratifs Sciences/Technologies
Archéologie Sciences naturelles Autres : …
De quels types d’objets en particulier la collection se compose-t-elle? Artefacts/ spécimens/ œuvres d’art Documents papier Iconographie, films
Supports numériques (DVD, CD) Anciens supports de données (VHS, disquettes) Collections immatérielles
Quelles sont les limites de la collection? Limites temporelles Limites géographiques
Limite liée à l’entreposage Autre
Avez-vous un centre de documentation/une bibliothèque? Oui Non Si oui, les ouvrages et documents sont-ils considérés comme des éléments de la collection ou font-ils l’objet d’un catalogage distinct?
107
333...444... LLLEEE PPPRRROOOCCCEEESSSSSSUUUSSS DDD’’’AAACCCQQQUUUIIISSSIIITTTIIIOOONNN Quels sont les critères pour qu’un objet entre dans la collection?
Quels documents et formulaires sont utilisés dans ce processus d’acquisition?
Avez-vous un comité d’acquisition? Oui Non Si oui, quelle en est la composition? Si non, qui décide?
Le musée dispose-t-il d’un budget spécifiquement consacré aux acquisitions? Oui Non Si oui, quelle part du budget total de l’institution représente t’il?
Une politique d’acquisition a-t-elle été clairement définie?
Les donateurs bénéficient-ils d’une déduction sur leurs impôts? Si oui, comment cette procédure fonctionne t’elle?
333...555... AAAUUUTTTRRREEESSS
Prêts/emprunts Le musée effectue t’il des prêts à d’autres institutions? Oui Non Réalise-t-il des emprunts? Oui Non Si oui, dispose-t-il d’une politique qui en précise les conditions? Dispose-t-il de formulaires? (Lesquels)
Comment le musée se positionne-t-il face aux dépôts et prêts à long terme?
Aliénation d’objets
Le musée procède-t-il parfois à des aliénations parmi ses collections? Oui Non
108
Si oui, quels sont ses critères de sélection?
Qui est la personne responsable de cette décision? (Une commission, un gestionnaire de collections?)
Documentation des collections
Les normes de catalogage et d’enregistrement sont-elles celles de la SMQ? Oui Non Si non, quels sont-elles?
Les objets sont-ils : Marqués Étiquetés?
- Étiquettes traditionnelles - Avec un code barre?
333...666... GGGEEESSSTTTIIIOOONNN IIINNNFFFOOORRRMMMAAATTTIIISSSEEEEEE DDDEEE LLLAAA CCCOOOLLLLLLEEECCCTTTIIIOOONNN Le musée dispose t’il d’une base de données pour l’inventaire et la gestion de ses collections? Oui Non Si oui, laquelle?
Les normes utilisées sont-elles celles voulues par la SMQ? Oui Non Si non, quelles sont-elles?
Verse-t-il ses données sur une base commune Oui Non Lesquelles? Info-muse/Artefact Canada Autres :
3. LA CONSERVATION
Le musée dispose-t-il de réserves permettant une conservation selon les normes préconisées par l’ICC? Oui Non
Les réserves se situent-t-elles dans le musée ou sont elles à l’extérieur?
Comment l’accès aux collections est-il organisé? (Qui y a accès et sous quelles conditions?)
Si un objet de la collection nécessite une restauration, où est-elle faite et par qui?
109
Le musée dispose-t-il de documents précisant les normes en matière de lutte contre la vermine (insectes…) Oui Non Si oui, lesquels?
Le musée dispose t’il d’un document précisant les contraintes de sécurité pour le musée et/ou les réserves? Oui Non