lilian silburn - le vijnana bhairava, texte traduit et commenté (1961).pdf

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. . PUBLICATIONS DE L'1NSTITUT DE CIVILISATION INDIEllNE 81tRIE IN-a• FASOIOULK 115 LE VIJNANA BHAIRAVA TÈXTE TRADUIT ET COMMENTÉ PAR LILIAN SILBURN DIRECTEUR DE AU C.N.R.S. . PARIS · Éditeur: ConlmE DE FRANCE INSTITUT DE CIVILISATION INDIENNE 1999 Dépositaire exclusif: D1FFus10N E. DE BoccA"RD 11, Rue de· Médicis - Paris 6e

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Lilian Silburn's classic translation and commentary of the Vijnana Bhairava Tantra. In French.

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  • . .

    PUBLICATIONS DE L'1NSTITUT DE CIVILISATION INDIEllNE 81tRIE IN-a FASOIOULK 115

    LE ~-

    VIJNANA BHAIRAVA TXTE TRADUIT ET COMMENT

    PAR

    LILIAN SILBURN DIRECTEUR DE R~CHERCHES AU C.N.R.S .

    . PARIS diteur: ConlmE DE FRANCE

    INSTITUT DE CIVILISATION INDIENNE

    1999

    Dpositaire exclusif: D1FFus10N E. DE BoccA"RD 11, Rue de Mdicis - Paris 6e

  • PUBLICATIONS DE L'INSTITUT DE CIVILISATION INDIENNE Srie in-8

    Fasc. 1. RENOU (L.). - tudes 1diques et piil.1ine1111es. Tome 1, 1955. 132 p. (rimpression 1980).

    Fasc. 2. RENOU (L). - tudes 1diques et pii11i11e1111es. Tome II. 1956. 154 p. (rimpression 1986).

    Fasc. 3. MINARD (A.). - Trois nigmes sur les celll chemins. Reclzerclzes sur le Satapatha-Briihma11a. Tome Il, 1956. 423 p. (rimpression 1987).

    Fasc. 4. RENOU (L.). - tudes 1diques et pii1.zine1111es. Tome III, 1957. 136 p. (rimpression 1986 ).

    Fasc. 5. SILBURN (L.). - Le Paramiirthasra. Texte sanskrit dit et traduit, 1957, 106 p. (rimpression 1979).

    Fasc. 6. RENOU (L.). - tudes 1diques et pc1.zine1111es. Tome IV. 1958. 138 p. Fasc. 7. SEYFORT RuEGG (0.). - Co111ihutions /'histoire de la philosophie linguis-

    tique indienne, 1959, 135 p. Fasc. 8. SILBURN (L.). - Viitiilaniitha-Siitra, avec le commelllairc d'Anantasakti-

    piida, 1959, 109 p. (2e dition corrige 1995). Fasc. 9. RENOU (L.). - tudes vdiques et p1.zinen11es. Tome V, 1959, 116 p. Fasc. 10. RENOU (l.). - tudes \cliques et p1.zi11e1111es. Tome VI. 1960. 86 p. Fasc. 11. VARENNE (J.). - La Mah-Nriiym.za-Upani~ad, avec, en annexe, la

    Prii11iignil10tra-Upa11i.~ad. Tome 1 : texte, traduction et notes. 1960. 156 p. (rimpression 1986).

    Fasc. 12. RENOU ( L.). - tudes vcliques et p1.zi11e1111es. Tome V 11. 1960, 106 p. Fasc. 13. Y ARENNE (J.). - La Mahii-Niiriiyw1a-Upa11i.~ad. Tome II : tude. tables.

    index et appendices. 1960. 146 p. (rimpression 1986). Fasc. 14. R~:!"ou (l.). -- tudes \clique.\ et pii11inh.1111cs. Tome VI Il. 1961. 134 p.

    (rc1mpress1on 1980). Fasc. 15. SILBURN (l.). - Le Vijiiiina-Bhairarn. Texte traduit et comment. 1961.

    223 p. (rimpressions 1976, 1983). Fasc. 16. RENOU (L). - tudes l'l~diques et pii11i11e1111es. Tome IX. 1961. 134 p.

    (rimpression 1980). Fasc. 17. RENOU (l.). - tudes vdique.\

  • PUBLICATIONS DE L'INSTITUT DE CIVILISATION INDIENNE 8tRIE IN-Io FA8010ULE 115

    LE ~ -

    VIJNANA BHAIRAVA '-..

    TEXTE TRADUIT ET COMMENT

    PAR

    LILIAN SILBURN CHARGEE DE RECHI::RCHES ,l\{J c. N. R. S.

    Rimpression de l'dition de 1983

    PARIS DITIONS E. DE BOCCARD

    11, RUE DE MDICIS, 11

    1999

  • ISBN: 2-86803-015-7 Institut de Civilisation lndienne, Paris, 1961.

  • Au Swami Lakshman Brahmacarin mon matlre en Bhairav
  • AVANT-PROPOS

    La version franaise du Vijfianabhairava que nous publions ~ujourd'hui fait partie d,une srie de traductions entreprises Srinagar voici de nombreuses annes et dont plusieurs sont acheves, entre autres : la SivastravimarsinI, la Spandakarik avec les deux commentaires de K~emaraja, la Maharthamafijarl de Mahesvarananda, la Sivastotrva1i d'Utpaladeva, la Stavacin-1.amaI)i de Bhattanarayal)a, la Virpak~apaficasik, Lallvakhyani ; nous terminons aussi actuellement un ouvrage sur la kur:u/.alinl qui contient une traduction du Sktavijiiana attribu Somananda ainsi que des extraits de l'Amaraugha Ssana de Gorak~anatha. Mais notre effort a plus encore port sur l'tude du Tantraloka d'Abhinavagupta - sorte de libre commentaire du Malinlvijaya Tantra - pour la comprhension duquel ce nous est une joie rl'exprimer notre gratitude envers le Swmi Lkshman Brahma-crin qui, inlassablement interrog au cours de sjours rpts au Kashmir, nous . a inlassablement prodigu claircissements et explications. cest la chance inestimable que nous avons eue de puiser ainsi dans la science de ce grand mattre, le dernier possder la clef d'une doctrine profonde et mystrieuse entre toutes, qui nous a permis de commenter le difficile Vijfianabhairava.

    Nous avons aussi une grande dette de reconnaissance envers M. Louis Renou qui nous a fait bnficier de ses conseils et a bien voulu revoir cette traduction comme il l'avait fait pour celles que nous avons dj publies dans la mme collection.

    Enfin nous voudrions remercier tout particulirement Mlle Anne-Marie Esnoul d'une aide qui nous est constamment si prcieuse en ma,ints domaines, ainsi que M. et Mme Jean Bruno dont le vif intrt pour la mystique indienne fut un puissant stimulant et rlont nous mtmes profit les remarques averties.

    L. S.

  • INTRODUCTION

    ... -

    LE VI.JNANABBAIRAVA TANTRA

    Le Vijiianabhairava 'la discrimination de la Ralit ultime ' est un livre sacr dont se rclame l'cole Sivate moniste du Kashmir 1 Il fait partie des plus anciens Tantra ou Agama, textes rvls qui furent probablement codifis au dbut de notre re quoique leurs lments constituants remontent une poque plus lointaine. Les adorateurs de Bhairava le tiennent en haute estime et le mettent, avec le Malinlvijayatantra 1 le Rudrayamala et la Paratrirpsika, au premier rang des Tantra. Ds qu'il est question d'expriences spirituelles, ils en citent de nombreux versets. Pour lui tmoigner son respect, Abhinavagupta le nomme mme Sivavijnanopanif?ad , 2.

    Notre trait se donne comme la quintessence du Rudraya~ala tantra dont le titre signifie ' union intime de Rudra et de son nergie ', la Desse Rudri.11. Le texte publi sous ce nom Travancore3 n'en est probablement qu'un fragment, car il se prsente comme un recueil de formules ainsi que d'initiations et de crmo-nies n'ofTrant qu'un intrt mdiocre ; notons qu' l'inverse des autres Agama, Siva y apparait comme Je disciple que la DesRe ParvatI initie.

    Si l'tude du Tantrisme n'est qu'bauche 4 et celle des gama

    l. Systme dsign encore par les termes 'Trika ', la triple (science}. ' Pratynbhi-ji\' la Reconnaissance (du Soi comme identique l'absolu), mais de prfrence Suatantryaviida, systme de l'autonomie ou de Ja Libert, celle-ci formant son trait caractristique.

    2. I. P. V. v., 11. p. 405. 3. Rudrayamalatantra {Uttaratantrn) corrjg et compos par Jivnandavidyiisa-garabha~~iitcyyena. Calcutta. Vacaspati Printing Press 1937.

    4. Sur le Tantrisme en gnral voir ditions et traductions de divers tantra par Arthur Avalon et l'article de M. Eliade, lnlroduclion au Tantri8me1 Cahiers du Sud. Approehes de l'Inde, p. 132 et la bibliographie qu'il y donne. Nous consacrons un ouvrage au systme Trika et ses iigama qui paratra bientt.

  • -8-

    kashmiriens pas mme aborde en orient ni en occident, on peut en donner plusieurs raisons : ces textes portent sur une doctrine secrte tran.smise par une initiation de matre disciple et qu,il ne faut pas divulguer. Aussi, rares sont dans l'Inde actuelle les mattres qui en dtiennent le secret, car il faut la fois tre des yogin et des pandil1 bien afTermis dans la tradition, disciples de bons matres et prts impartir leur savoir d'autres. Sans l'aid_e d'un pandit initi, les difficults demeurent insurmontables 2

    De plus ces ouvrages sont crits dans une langue obscure3 hrisse de termes techniques afin de dcourager la curiosit du lecteur. En ce qui concerne le Vijiianabhairava, une autre difficult s'ajoute celle-ci : la trs ancienne tradition laquelle il appartient s'est perdue depuis des sicles et aucune glose ne demeure sauf celle, inacheve, de l\!?emaraja' qui s'arrte au dix-huitime verset. Quant au commentaire de Sivopadhyaya 5 , auteur tardif du xvme sicle, on ne peut se fier lui car il accueille sans discerne-ment diverses explications possibles avec une prfrence marque pour l'interprtation vdntine. La glose d'Anandabhatta intitule I

  • -9-ultime se divise en un couple cleste : Siva et son nergie ; Siva le Matre confre la science mystique (vidy) sa propre nergie. la cause universelle devenue son disciple, ce qui lui permet de se rvler, Lui et son systme sotrique (rahasyalanlra). Puis des ges ultrieurs, tout spcialement notre poque tnbreuse (kaliyuga}, c'est elle, l'illustre Dame, qui transmet son tour cet enseignement aux matres spirituels.

    Selon Abhinavagupta 1 l'gama, parole divine qui forme la vie des autres moyens de connaissance , est l'activit intrieure d'Isvara, la pure conscience. Il consiste essentiellement en une ferme prise de conscience ( drr/.havimar5a) et doit son nom ce qu'il permet de connatre (gam-) l'objet sous tous ses aspects ()~ d'o le terme agama 2 On appelle donc agama un ensemble de telles prises de conscience ou croyances exprimes en paroles. Mais les Agama ne suscitent de fortes convictions que sous certaines conditions, en des lieux et des poques dtermins, chez de3 hommes qualifis pour les suivre et qui leur accordent crance3

    lJ ne faut pas considrer les Tantra comme des traits de philo-sophie abstraite ; ngligeant les problmes mtaphysiques, ils s'intressent avant tout l'obtention de la fin dernire et indiquent les meilleurs moyens pour y parvenir. Ils comportent habituel-lement des descriptions trs dtailles de pratiques rituelles, formules sacres, diagrammes mystiques, gestes, postures, initia-tions, etc. Mais leurs auteurs s'efforcent de dissminer leurs rv-lations dans les diverses parties d'un tantra donn ou encore dans plusieurs tantra de faon les rendre inaccessibles au public qui n'en a pas la clef, si bien que mme un lecteur attentif ne saurait y dcouvrir la voie de la libration seul, sans l'aide d'un matre.

    Ce que les gama nous offrent de plus profond et de plus original relativement l'exprience mystique, se trouve condens dans le Vijfianabhairava. Celui-ci, distinguant nettement rituel et mystique, ne cache pas son mpris pour le premier qui convient aux dvotes: aux enfants, tous ceux qui attendent aussi bien la satisfaction de leurs dsirs durant leur vie que les jouissances clestes aprs leur mort, et il s'attache la seconde, exprience personnlle intime rserve qui veut s'identifier Siva. Dans cet esprit,

    1. (igamas lu citsvubhvasya [~varasya anl1ira1'1ga ria vyp

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    il laisse de ct rite et thologie, et se contente d'exposer de faon concise les tats mystiques ainsi que les pratique5 ou les circons-tances qui en favorisent l'apparition.

    En fait, il synthtise toutes les techniques traditionnelles de la mystique indienne : souffle, ku~1

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    dans son acte que tout objet se trouve limin ; connaissance, agent et objet connu ne forment plus qu'une masse indivise de Conscience ( cidghana). En d'autres termes on retourne \'ers l 'Acte ou la pure nergie consciente dpouille de ses diffren-ciations. Perue alors du sommet de l'Acte (spanda), la dualit prend l'aspect d'un relchement de l'activit consciente : la vie ordinaire double ple ' moi et non-moi ', sous quelque forme qu'elle se prsente, dvotion ardente, pratique rituelle, rve, hallucination, concentration des yogin, uvrc des arlistes, contem-plation de la nature, etc., ne ressemble en rien la Ralit que dcouvre le mystique lorsqu'il se replie dans la profondeur du Soi et repose en lui-mme ; ainsi, compare la vraie paix qu'il prouve, une srnit d'ordre moral ou religieux ne serait pour lui que tourment. Cette Ralit qui chappe la dlerrpination et ne renferme aucune des modalits habituelles de la conscience est ici nomme bhairava, existence brahmiquc, cur ( hrdaya ), ambroisie ( amrla), ralit ultime (lallva ou mahiisalla ), essence (svarpa), Soi (atman), vacuit (snyata); elle demeure essen-tiellement ineffable et peu importe qu'on la qualifie de plnitude ou de v.acuit, tout vocable perdant ncessairement son sens normal lorsqu'il s'applique au contenu de l'exprience mystique; en raison de son infinie simplicit, on ne peut ni l1imaginer ni la penser, ni la suggrer; il est donc ncessaire de l'prouver par soi-mme 1

    C'est l'accs cette exprience que notre trait a pour but d'enseigner, ou plus prcisment sa fin est l'identification l'absolu Bhairava par la mdiation de l'nergie (sakli) discriminatrice (vijiiana), (

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    MTAPHYSIQUE

    Dfinition du Dieu, Bhairava et de la Desse~ BhairavI

    Bhairava est la Conscience indiffrencie universelle et sans-second dans son rapport avec le cosmos, sa manifestation, sa conservation et sa rsorption.

    Pour dsigner la Ralit, le systme Trika ainsi que les Agama plus anciens se servent de trois dnominations du Dieu suprme : Bhairava. Rudra 1 et Siva qui situent clairement les trois niveaux de toute exprience possible. En Bhairava il n'existe pas encore de diffrenciation entre nergie et dtenteur de l'nergie (akti et Siva) tandis qu'en Rudra cette difTrencc commence poindre et qu'elle se dessine nettement en Siva.

    De son ct. Abhinavagupta distingue trois plans df: la voie de Siva 2 auxquels correspondent trois ralisations successives du Bhairava 3

    1 Bhairauiilmat, la nature du Soi de Bhairava dans laquelle l'ensemble des phonmes allant de A HA se manifcste perptuelle-ment et sans dualit mentale. Elle concide avec la cration et, sur le plan phonmatique 1 avec l'manation des lettres (paramarsa) qu'illus~re la roue des lettres-Mres (miilrkucakra). Celui qui ralise ce ~hairava reconna1t que l'univers entier procde de son propre m01. A!fAM (A+HA+bindu) sert donc exprimer cet aspect du Bhairava dfini comme une prise de conscience du Je absolu n. Les ver~ets 2 et 3 de notre tantra y font une brve allusion.

    2 V tfoarpalii, Bhaira va en son essence cosmique dans la conscience duquel l'univers difTrcnci en six cheminements (adhvan) se reflte~; Abhinavagupta le rattache la conservation du monde (slhiti)5. Jouissant pleinement de sa nature de conscience cosmique infinie, le Bhairava-protecteur est sup-rieur au Bhai-rava-cralcur qui ne considre le Soi qu'en lui-mme. Notre

    1. )) se lrouve dans l'expression rtldray

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    tantra offre de lui maintes illustrations : Ce monde apparat comme un reflet dans l'intellect l'image du soleil dans les eaux 1

    3 Bhairava apais qui rabsorbe le monde. Sa dcouverte appartient qui trouve l'apaisement en s'immergeant dans la plnitude du Je {prl)iihanta) au moment o l'univers est consum par la flamme de la grande illumination (mahbodha) ternellement jaillissante. L'tat apais du Bhairava se rvle lorsque le yoglndra engloutit l'univers en lui-mme, la dissolution cosmiquc 2

    On ne devient un digne adepte de Bhairava qu'aprs avoir matris cr.s trois niveaux d'exprience spirituelle, en allant de Bhairava-le-crateur Bhairava-lc-destructeur par l'intermdiaire de Bhairava-le-protecteur, puis on retourne au premier et ainsi de suite. Tel est le vritable sens de la triplicit que mentionne notre Vijfinabhairava et qui donnera son nom au systme Trika.

    En commentant Ja Partrisik 3 , Abhinavagupta prcise que Bhairava ne saurait tre diffrent de la ralit double ple : prakasa-vimarfo ou bhairava-bhairaul: 1< A I7origine, la Ralit consiste uniquement en une Lumire (pralcii8a) qu'anime l'acte de prise de conscience d'elle-mme (vimarsa); elle n'est autre que l'essence du Bhairava pleine de la modalit du Je transcendant fait de la conscience de la libert absolue. ))

    K!?emaraja dfinit clairement le terme ' bhairava ' dans sa glose aux Sivasutra : ' udyamo bhairava ', l'acte d'extase, c'est le Bhairava. Udyama, dit-il, est le jaillissement de la suprme illumination, essor imprvisible de la conscience, c'est--dire, acte de prise de conscience de soi. Puis il ajoute : (( Lorsque cet acte se confond totalement avec l'nergie universelle, on le nomme Bhairava parce qu'il remplit de faon intgrale l'univers et qu'il engloutit toutes les imperfections des constructions mentales 5 ''

    Bhairava dsigne donc Paramasiva en lequel s'unissent indissolublement Siva et sakti : mais pour qu'un dialogue devienne possible, ces deux aspects de la ralit doive__nt se diffrencier en prakiisa et vimarfo: prakiifo, l'anultara ou Siva-Bhairava est la

    l. Sl. 135. Voir aussi le 124. Cf. ~J. 86. 100. 102. 108-109. 130 et 132 sui l'tymologie fantaisiste de bhairaua au sens d'~cho ou de reflet.

    2. T. A. Ill. ~l. 270. 285. Cet aspect c>st clrhrl! par notre si. 12. Cf. f>2-54. 57-58 (\t 85.

    3. P. 901 l. 12. 4. Pralhamala eua talhci vimarfojf111l

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    lumire indivise de la Conscience qui brille toujours identjquc elle-mme ; vimarfo, sakti ou la Desse-bhairavI, est l'nergie qui prend conscience d'elle-mme en rvlant cc la batitude du Soi, sa plnitude indiffrencie et sa Beau l qui remplit l'univers 1 En dernire analyse, le Bhairava est identique BhairavI comme le feu son pouvoir de brlerz et si la Bhairav, qui ne peut se concevoir comme diffrente de Siva 3 1 semble s~ distinguer de lui en l'interrogeant, c'est pour le bien des hommes que le Dieu instruira par ses rponses.

    Qu'on se garde surtout de considrer l1ncrgic et son dtenteur sous le biais de l'appartenance en faisant d'elle l'attribut d'une substance, parce que le systme Trika se refuse toute distinction entre substance et attribut. D'autre part, c'est sur le plan de la connaissance et nullement sur celui de l'tre que se pose pour lui le problme de la manifestation du cosmos : lumire indiffrencie de la Conscience (prakfo) et sa rflexion (vimar5a) rvlatrice de_ la diffrenciation ne forment qu'une seule et mme Conscience qw est acte par nature et ne demeure jamais inerte. Il s'ensuit que Paramasiva n'a rien d'un crateur qui, aprs avoir fait voluer une multiplicit contenue en son sein, resterait inactif ct de son uvre une fois celle-ci accomplie. Il n'est pas non plus un substrat passif de qualits qui de temps autre manifesterait ses ~nergies en devenant actif, position incompatible avec le lD.orus~e de cett~ cole selon lequel l'advaya, dfini comme (( ce en quoi apparat en mme temps dualit et non-dualit 4 est un

    T~ut dont rien ne se trouve exclu n. Paramasiva qui embr~sse en lm-mme la transcendance et l,immanence - savoir Siva et saldi parfaitement indiffrencis - est la conscience absolue qui a pour caractre essentiel la libert (svalanlrya), ternelle vibration

    (s~anda) ou Cur du Seigneur. Cette Conscience rvle sa toutc-pmssante libert en se niants, c'est--dire en se voilant elle-mme et c!1 ~~ ca~hant elle-mme. A l'aide de sa propre nergie d'illusion (mayasaklz), elle suscite la diversit dans l'unit et l'unit dans la diversit 5 Mais afin de manifester un univers vari qui serait comme spar de Lui-mme, Paramasiva fulgure d'abord en tant

    1. V. B. sl. 15-16. 2. Id. I. 18-21. 3. Na hi 'akti~ Sivad bhedam marsayel. P. T. p. 3, I. IO. ,1, M. V. v. si. 628630. 5. I. P. I. 5. 13-14 et comm. d'Abhinavagupla p. 205, 1. 1. 6. I. P. v. I. 1. I. vol. I fin de ln p. 31. Cette manifestation revt l'apparence chez

    les tres purs d'un libre jeu de la Conscience infinie qui, travers penses el manlru. ee ralise comme un mouvement autonome et unique. Mais elle est perue par les tres impurs comme une multiplicit asservissante parce que spare de la Conscience.

  • - 15 -

    que vide absolu (siinytisnya)1. Ce vide se prsente comme une phase ncessaire de la manifestation, car si le Je absolu n'obscurcissait pas sa plnitude, il ne pourrait dployer catgories et mondes ni entrer dans des corps en prenant l'apparence de sujets limits 2

    L'nergie (kal) semble ainsi fragmenter la totalit indivise de la conscience absolue en la faisant miroiter en reflets varis - intellect, souffie, corps, - puis, s'opposant eux comme sujet limit ( griihaka) des objets galement limits ( grhya), elle engendre les notions de moi et de non-moi. Le centre (madhga) unique se ddouble et l'alternative3 qui en rsulte dtermine un trouble et une fluctuation incessants ; mais la plnitude remplit en fait les interstices de la dualit. Il suffit donc que la Conscience ou Centre 4 s'affranchisse de ses processus dualisants pour qu'elle recouvre sa puret native dans laquelle l'univers se refltera en son intgrit et non plus dans sa fragmentation mutile 5 Rien, en effet, ne doit tre ni dans la vritable conscience de soi, car rien ne s'oppose elle 6 , tout n'tant que conscience.

    L'effort de yoga consistera rintgrer les deux aspects de Siva et sa/di dans l 1unit indivise de Paramasiva, en rabsorbant l'univers en Siva avec l'aide de l'nergie - celle de la grce - travers laquelle Paramasiva se rvle en sa plnitude absolue (pilrrpihanli).

    Pour atteindre Paramasiva il est donc indispensable que l'nergie ait surgi de Siva et qu'ensuite, embrassant le monde distinct, son uvre, elle s'engloutisse nouveau en Lui. Immanence et transcendance, ne formant plus qu'un, se trouveront alors dpasses.

    Pour mieux comprendre te Bhairava, la Ralit indivise, et ses rapports avec les structures difirencies que la pense lui impose, comparons le Rhairava un ciel ,aste, lumineux et sans limite 7

    1. Vide qui ne dillre pas de la Lumire Consciente : SrlparamaAiual) ... pruaT[l ... fnyafnylmalay prakAiibhedena praksamnalayii sphurati. P. H. Dbut du comm. ou sutra 4.

    2. P. H. p. 9t 1. 1. 3. Vikalpa. Voir cc sujet p. 21. Cf. bindu, point unique qui l.lirurque en c.leux

    points, visarga. 4. Comme Je V. B. se plait la nommer madhya, vide interstitiel entre deux objets

    ou plnitude indUTrencie sous-jacente rsidant au cur des choses. 5. Notre image pche, elle aussi, par son dualisme. En fait l'univers ne se reflte

    plus dans la conscience, il s'identifie elle ds qu'on parvient ln suprme tape. 6. Voir 1. P. v. 1. VI. -t-5. . Akiisa ou uiyat de notre texte. Cette comparaison qui correspond celle Ure

    des gama o ~iva fait miroiter sur l'cran de son Moi l'universelle fantasmagorie, n'est pas exacte car la nalit lumineuse et sans brisure n'est pas extrieure nous comme l'espace; nous ne pouvons la flaisir qu'en nous-mmes et c'est de notre moi profond que le rseau nous spare.

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    qui ne serait perceptible qu' travers un fin rseau de dcoupures barioles, varies l'infini et de surcrot constamment agites ; n'ayant jamais vu le ciel autrement qu' travers cet cran, on le confondrait avec la multitude de dcoupures tangibles et mou-vantes, alors qu'en fait le ciel - l'image de la pure conscience -reste intact en son essence inaltrable et indivise.

    C'est ainsi que, pousss par notre dsir de limit dans tous les domaines (connaissance, activit, plaisir), nous dcoupons perptuellement la ralit unique en d'innombrables objets et impressions, nous puisant passer sans trve de l'un l'autre sans plus pouvoir saisir l'ensemble.

    Nanmoins tout plaisir prouv, toute lueur de connaissance jaillissent du fond de la flicit et de la conscience infinies qui demeurent sous-jacentes aux structures, tout comme le bleu .dcoup par l'cran, malgr la fragmentation qui l'obscurcit, appartient au vrai ciel. La connaissance que nous avons des objets n'est autre que la lumire du soleil de la conscience qui claire tout1; et il en va de mme en ce qui concerne activit, amour, elc., car il n'existe pas d'action ni d'amour autres que cette ralit. Malheureusement, une fois prises dans l'troit rseau d'engrenages et de relations imaginaires, ces formes de l'nergie

    no~s apparaissent si tronques, si endigues qu'elles perdent leur unit, leur sens et leur grandeur.

    Totes les fois pourtant que nous regardons une image dcoupe par les mailles du rseau, c'est la ralit lumineuse qui nous permet de la percevoir, car sans elle le rseau en soi obscur nous demeure-rait invisible. Mais nous nous plaisons aux silhouettes que celui-ci profile sans jamais nous soucier du fond lumineux sur lequel eHes se dtachent .

    . On voit ainsi en quel sens la vie ordinaire conditionne par le reseau des notions semble factice et arbitraire, tandis que la Ralit apparat libre d'artifices.

    Poursuivant la comparaison, on peut dire que les yogin minents et 1.es, ~ystiques la dvotion ardente (bhakli) aperoivent la r~aht~ a travers un rseau immobile aux grands dcoupages sunph~s, alors qe les hommes gostes dont les dsirs sont mesqums et multiples, se contentent d'une partie restreinte d'un rseau compliqu et tellement agit par leurs passions qu'il leur cache presque entirement le ciel. Le monde visible masque la troisime dimension par sa prsence mme.

    1. H. Suso se plaint que l'homme esl si occup regarder tel ou tel objet ou la varit des couleu" qu'il ne peroit pas la lumire par laquelle il voit tout le reste ou, s'il voit la lumiere, il ne le remarque pas (Vie, chapitre L l ).

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    tant donn que S;iva indivis ( ni~kala) et l'univers diffrenci de nature composite (sakala) ne sauraient coexister, l'homme face la ralit ne peut prendre que deux attitudes qui s'excluent mutuellement : dans l'une, extravertie, il tisse continuellement pour les besoins de la vie pratique le rseau qui spare le sujet et l'objet; nous reconnaissons l l'uvre des cuirasses (kancuka) qui font de l'activit infinie et libre par essence des activits fragmentatriccs limites par le temps, l'espace et la causalit. Dans Pautre, introvertie, l'homme plonge dans la ralit, bhairava. Que le regard perce - ne ft-ce qu'une seconde - cet cran, celui-ci s'efface et il ne reste plus que le grand ciel et sa lumire blouissante.

    L'homme ne peut donc jouir un moment donn que de l'une ou l'autre de ces deux visions : ou bien vision intriorise d'une Ralit totale (Siva nikala), ou bien vision extriorise qui dcoupe artificiellement cette mme ralit (jeu de l'nergie se manifestant de faon varie~ sakala).

    DIFFRENCIATION DE LA RALIT FAITE DE PARTIES

    (BHAIRAVA SAJ\ALA)

    Aprs avoir examin les rapports du Dieu indivis, Bhairava, et de 1 'nergie Bhairav1, nous voudrions dcrire la _procession partir de l'unit fondamentale en faisant quelques emprunts au systme Trika, mais sans trop insister, car notre Tantra appar-tient une cole ancienne qui, d'aprs les bribes demeurant ici et l, semble avoir nglig les questions mtaphysiques au profit de la seule exprience mystique 1

    Nous n'envisagerons la diffrenciation de Siva que sous l'angle de l'nergie du souffie laquelle Je Vijnanabhairava fait de frquentes allusions, puis sous celui des cheminements et des facteurs de la ralit qu'il mentionne galement.

    La Conscience absolue, en vue d'animer le corps, se manifeste l'origine comme l'nergie du grand souffie de vie (prii.r.zasakti). Elle descend jusqu' )'tape de l'intellect, puis celle de corps en suivant le cours de milliers de conduits ( na

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    l'articulation des sons, on l'examine sous l'aspect d'une procession de rsonances subtiles ( nida et var~w) partir du brahman-Son (fabdabrahman). Celui-ci quitte le centre le plus lev (le bralzma-randhra), traverse en tant que rsonance le centre des sourcils (bhr) et s'ache.mine par la voie mdiane jusqu'au centre infrieur (mliidhiira) o l'nergie tout entire gt endormie et inconsciente sous forme de la love (kur;u/.alinl). C'est de cette voie centrale que toutes les fonctions procdent, en elle aussi qu'elles trouvent leur repos 1

    I .. es cheminements ( adhoan)

    ~i l'on se place maintenant du point de vue cosmique des cheminements, l'nergie absolue et autonome (sviilanlrgaJakli) assume la fonction d'une nergie fragmentatrice (kalii.Sakti) qui dploie par sa propre volont (non par celle d'un autre comme le brahman du Vedanta), et sur sa propre paroi l'infinie varit des reflets innombrables qui forment l'univers" tel qu'il se dcouvre nos yeux en tant que 'aspect diffrenci (sakala)' du Bhairava selon l'expression de notre trait. Lorsque cette nergie se spcialise en six cheminements au fur et mesure de sa descente jusqu' son ultime palier~ la terre, le Tout se rvle comme partiel et prdicable.

    La classification en adlwan offre la plus vaste des synthses, celle 9ui englobe tous les aspects de la ralit et permet de passer du ruveau suprme au niveau subtil et, de ce dernier, au plan grossier de l'univers sensible.

    Ordre subjectif temporel manifestation phonmatique

    Ordre objectif spatial manifestation cosmogoniqu.-

    Indiffrenci .......... phonme ............ nergie fragmentatricc et ~uprme (varr;ta) (kala) lnd1fTrenci- ......... mot ............... facteur de ralit difTrerici (mantra) (laltva) difTrenci ............ phrase .............. monde et non-suprmc (pada) (bhuvww)

    au s. 17, P 38, 1. 15. Nous verrons que cette descente prend encore l'aspect du man/ra A_JI AM: A, le transcendant (anulfara) ou Bhairava ni!lkala devient Panimateur (Jlvana) des nergies fragmentaires (kalc); il accde ensuite l'nergie pure (uuarga) et grce HA, la kuf)

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    Les nergies cratrices ultimes, phonmes (varr;a) et h:ala du plan le plus haut, amnent respectivement l'existence les formules mystiques (mantra) et les facteurs ou substances simples (lallva) du plan subtil (sk~ma). Puis, leur tour, les mantra donnent naissance aux phrases ordinaires ( pada) associes la pense dualisante (vikalpa) tandis que les lalfoa engendrent les substances composes que sont les mondes sensibles (bhuvana).

    Plutt que lettres ou phonmes, varl)a dsigne la vibration primordiale (spanda) qui les suscite ; au mme titre que les nergies fragmentatrices (kala}, ils ne sont pas encore scinds du Tout. Par contre, formules et facteurs de ralit (mantra et tallva) sont pourvus de caractristiques spcifiques bien qu'ils relvent de l'nergie subtile, au-del de l'univers tangible et visible. Le tattva apparait comme une base princpielle qui trouve sa vritable expression dans la formule mystique (mantra).

    Enfin, sur le plan infrieur1 l'chelle des sens (apara et sthla), se situent les mondes tangibles ainsi que les relations conceptuelles ( l 1ikalpa) exprimes en mots ( pada) et qui s'interposent entre la Ralit ultime et la ralit phnomnale qu'ils dterminent.

    Notre texte envisage les six cheminements non pas comme le processus d'manation que nous venons d'esquisser, mais comme les paliers d'une ascension vers l'unit, depuis le plan ordinaire des paroles et des formes vers le plan subtil des fo~ules et des catgories jusqu'au plan suprme des phonmes (uarl)a) et des pures nergies (kal), au sommet desquelles rside unmanasakli1.

    Les catgories (tallva)

    Les Sarp.khya en analysant la personnalit humaine n'avaient dnombr que vingt-cinq facteurs qu'ils appelrent lallva. Les partisans des gama, par contre, pntrant plus avant dans les profondeurs du Soi, remontent jusqu'aux facteurs spirituels, ces ralits ultimes qui ouvrent la voie de l'exprience mystique, et atteignent le facteur essentiel de la personnalit, Siva lui-mme.

    En dpit des trente-six tailva 2 qu'ils reconnaissent, il n'existe leurs yeux qu'une seule ralit vritable (lallva), Siva. Mais, de par sa libre volont, cette Ralit se cache et, ce faisant, rvle

    1. Sur cette nergie, voir le comm. du V. B. p. 47, 1. 8. Les sloka 56-57 font brive-ment allusion la mditation sur les adhvan.

    2. Les tattva ne doivent pas tre considrs comme des bases ontologiques stables mais comme les apparitions successives des aspects divers de l'nergie divine. N'tant constitus que par l'assemblage d'nergies subtiles (kal), ils ne sont pas indestructibles oomme cellesci.

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    tour de rle une succession d'aspects qui s'engendrent les uns les autres selon une squence causalP-, l'un devenant visible lorsque l'autre s'obscurcit. Bien que le latfva-cause semble prcder le taffoa-effet, cause et effet sont simultans, la succession ne surgissant qu' un niveau bien in(rieur, lorsque le temps fait son apparition.

    Au cours des cinq purs facteurs de la ralit (sphre du nirvi-kalpa), l'extriorit ou l'univers objectif (idanl) demeure iden-tique l'intriorit ou conscience unique ( ahanl) et se prsent.e comme un jeu de reflets sa surface. Mais, parce qu'il ne s'agit encore que d'une simple tendance se voiler, la ralit est conue telle qu'elle est en son essence 1

    Les tres qui appartiennent 1a dernire des pures catgories baignent dans l'unit du Quatrime (tat, turya). L'activit du principe de vie assume en eux la forme du souffie udana qui s'lve le long de la voie mdiane. Ignorant le plaisir et la douleur, ils reposent en leur propre Soi, au sein de la masse indivise d'une trs haute flcit i. . Puis la libre volont de Siva projette son reflet .dans le miroir immacul de l'nergie suprme-non-suprme (parpara)3 en renversant la relation entre intriorit et extriorit ; la conscience purement fotrieure (cil) .perd sa suprmatie aux dpens de

    l'e~triorit (idam) qui la masque. Miiya5akti, l'nergie d'illusion, voile la plnitude du Soi et la diffrenciation commence poindre.

    L~ sujet limit (puru~a) s'encombre de cinq cuirasses (kancuka): vidyiiiallva, le savoir limit morcelle l'omniscience en connaissances

    fi!1i~s ; kalalaliva, le dynamisme parcellaire rduit la toute-puissance div!ne e~ humaine faiblesse ; ragaialtva transforme la parfaite satisfaction du Soi en aspiration dtermine kalalallva' le temps f . ' ' ' ait de l'tre ternel un tre soumis la succession des poques ; enfin, niyalitattva restreint la libert absolue et omniprsente un objet dtermin.

    La manifestation infinie par nature s'extriorise alors et on aboutit au domaine impur et infrieur ( apara)' de la dlimitation conceptuelle et verbale, tandis que l'nergie de Siva prend l'aspect de la Nature primordiale (pradhiina) qui contient tous les objets

    J. 1. P. V. VOL 11, p. 197 ou Il 1. 1. sl. 4 corn m. el p. 248, l. 3. 2. 1. P. v. vol. IJ, p. 247, 1. 2. Quant aux laltua, nous te.nvoyons a la description

    que nous en avons faite P. S. Jntrod. p. 27-34 el J. P. v. le chapitre lallvasa,,.graha qui leur est consacr.

    a: l!:tant pur-impur, il correspond la voie de l'nergie que nous allons 'bientt. examiner.

    4. Propre la voie infrieure, celle de l'individu ; \'Oir Inlroct. p. 26.

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    {}Jl elle-mme. Elle forme une catgorie qui s'oppose au puru~aialtua comme l'objet de jouissance au sujet qui en jouit.

    De la nature procde la catgorie suivante, buddhilaltva, l'intellect impersonnel et exempt d'gocentrisme qui apprhende l'objet en son caractre gnrique et non comme une chose particulire. Bien qu'il confre la connaissance certitude et clart, il apparat comme le substrat de la conscience errone de soi en engendrant rahatflkra, l'agent du moi qui se cristallise en un sentimr.nt ~goste l'gard de l'objet qu'il fait sien.

    Puis succde le sens interne (manas) qui, ragissant aux donnes des sens, les fixe de faon dfinitive en des constructions mentales (kalpanii.) et faonne artificiellement, pour les besoins de l'utilit pratique, des objets individuels, extrieurs au sujet, soit qu'il discrimine l'objet en le sparant de tout le reste (activit vikalpa), soit qu'il effectue une synthse de la multiplicit des donnes sensorielles (activit sal!zkalpa). Aprs avoir volu en trois organes internes, l'nergie de connaissance se manifeste sous forme d'organes des _sens et l'nergie d'activit en cinq organes d'action; viennent en fin les dix derniers lallva: lments subtils et lments grossiers, ce qui porte au nombre de trente-six les facteurs du systme Tri ka.

    Ainsi, travers les phases de son manation, le Soi prend de Jui-mmc une vision toujours plus fragmente, toujours plus limite jusqu' ce qu'il s'identifie erronment au corps et ses organes en imaginant que les actes l'entravent. Rendu prisonnier des chanes du devenir phnomnal, il transmigre en consquence.

    Ayant perdu le sentiment de sa propre ralit intime et de ses nergies toutes-puissantes l'homme existe en autre chose, pour , . autre chose et non plus en soi (svaslhili) et pour soi. Sans rpit il se projette vers l'extrieur, l'objet devenant sa raison d'tre. Victime des vikalpa, pris dans une constante alternative, il oscille entre les deux ples du pensant et du pens qui, dans l'tre total, ne se diffrencient pas.

    Pourtant la vie divine - l'existence brahmique - ne se trouve jamais lse ; elle reste la souple plnitude dbordant toutes les relations arbitraires et .rigides qu'on prtend lui imposer. Il suffit que la conscience limitante (cilla) se reconnaisse comme l'auteur du processus dcrit ci-dessus pour qu'elle recouvre sa vraie nature de conscience indtermine et absolue ( cili) en s'levant la phase de celana 1, au cours de laquelle, grce un acte de profonde intrio-

    1. Tatparijriine ciliam eua anlarm11kflll.Jl1c1vena celanapaddhyaroht citil;i. P. H. Sil lra ] 3.

  • -22-risation, elle retourne au Bhairava, la totalit dpouille de ses accidentst de ses grincements et de ses asprits ( asamya), masse indivise de flicit cosmique (jagadinanda) dont la douceur est telle que la pense s'y engloutit sans tre plus capable de fonc-tionner.

    Il faut donc se garder d'imaginer la vie mystique comme une succession de rares extases qui se dtacheraient sur le substrat de la vie ordinaire 1 Bien au contraire, c'est du fond du rel -cette homognit compacte de conscience ( cidghana) - que les impressions de l'existence morcele surgissent tout moment. Il s'ensuit qu'une impression quelconque, en dpit de son insigni-fiance, peut devenir l'expdient qui nous fait basculer de faon imprvue dans Je flot mystique. C'est pourquoi le Vijfinabhairava. en subordonnant tout l'acte d'intriorisation, tire parti de n'importe quelle circonstance susceptible de faire atteindre l'intimit du cur. Il n'est rien qui, en cette fin, ne lui semble bon. C'est ce que dit clairement Abhinavagupta au risque de choquer ses contemporains : Au moment de pntrer dans la Ralit

    ~uprme, on considre comme un moyen tout ce qui se trouve a porte, ft-ce licite ou illicite ; parce que, d'aprs le systme Tri ka, on ne doit alors se soumettre aucune restriction. 2

    Cet acte de l'tre intgral qui fait vaciller les couches superficielles du moi peut se produire tous les niveaux de vie, condition q_ue la personnalit bien unifie soit apte se dlivrer de sa dialcc-bque d'cartlement (vikalpa).

    LES VOIES DU RETOUR

    Caracti~res des cent douze moyens

    Le cadre mtaphysique que nous venons d'esquisser dtermine les modalits particuli1cs des voies du retour vers l'Un. Le Vijfinabhairava qui se consacre entirement aux mthodes de dcouvertes de la vie spirituelle nous ofirc un trs grand choix de moyen~, dans tous les domaines imaginables, a fin de supprimer

    1. Dans ces conditions, sl les myslitiucs accordent quelque importance leurs expriences spirituelles, simples tlus de paille que charrie le fleuve puissant de la vie mystique, c'est que ce fleuve est indescriptible tandis que les tats et les pratiques peuvent prter des rcits permettant de suggrer quelque peH la plonge dans la merveilleuse essence de Ilhairnnt.

    2. Paralatluaprave~~ lu gum eta 11ilia/am yad upaya111 uelli sa yrhyas lad tyijyo' lha va kr.oacil / na yanlra~atra lairyeli prnklaf?1 srllrikasasa11c. T. A. I\' ~l. 273-275.

  • -23-

    1'cran des structures mentales que la rigidit de l'ego (ahaTfllrrz) a plaqu sur la Ralit absolue.

    Les cent douze moyens se ramnent deux types : ceux du premier visent tarir l'activit qui tisse le rseau, soit par un retour la source de l'nergie, soit par une plonge dans la vacuit rendue possible par la destruction du processus qui engendre les notions double ple (vilmlpa). Les autres s'attachent percer le rseau lui-mme : si l'on se concentre sur rune de ses dcoupures, par ce seul interstice on percevra le ciel de la Conscience tandis que le rseau dans son ensemble (tout le dessin compliqu du temporel) s'effacera. Tel est le sens profond du vide interstitiel qui revient si souvent dans nos versets. Pareille vision ne dure d'abord qu'un

    instant~ car le rseau se remet onduler et cacher le ciel 1 ; nan-moins l'image entrevue laisse une impression incflaable d'blouissement serein ; et, l'issue de cette premire aperception, l'homme sera constamment aux aguets, prt saisir au vol toute nouvelle occasion de percer nouveau cet cran.

    Les mthodes que propose le Vijnanabhairava en vue d'anantir les structures mentales abstraites et artificielles - pense rigide et son verbalisme - revtent des aspects varis : les unes aiguisent la vigilance de l'attention ou de la sensibilit, d'autres brisent l'automatisme des fonctions naturelles ou dissocient les impressions en les privant de leur environnement habituel, moins qu'elles ne les vident systmatiquement de leur substance ou de leur forme spcifique.

    Certaines concentrations cherchent transformer notre vision coutumire l'aide d'impressions aussi banales que la lumire tamise, l'obscurit qui, en brouillant les structures, peuvent nous prcipiter dans un domaine nouveau et insolite, cc brusque change-ment de perspective mettant nu la grande ralit ineffable, l'en-soi dpouill de ses notions.

    D'autres versets nous enseignent la manire de nous emparer de l'essence des choses, au premier instant de la vision ou du dsir, alors que l'objet est sur le point de pntrer dans la conscience ; ou au dernier instant, quand il va s'y rsorber aprs s'tre mani-fest ; moins que, dlaissant le mouvement perptuel qui nous pousse d'une chose une autre, nous freinions brusquement en nous arrtant sur la chose mme, coupe de tout le reste, ou sur le vide qui spare les choses (madhya).

    1. Comme le reflet de la lune se meut dans une eau mouvante el reste tranquille dans une eau tranquille, ainsi en esl-il du Soi. .. le grand Seigneur, dans l'ensemble des mondes, dee organes et des corps 11 P. S. ~I. 7. Nous verrons que seul le Centre (madhya), calme miroir des profondeurs, est apte rflchir toutes choses en leur harmonie originelle.

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    Chaque verset du Vijfianabhairava condense lui seul une pratique nuance de yoga qui prsente plusieurs phases successives. Mais l'auteur, s'astreignant la dcrire en deux vers, ne peut tenir compte des transitions qui mnent d'une phase l'autre ; c'est ce qui explique l'allure elliptique et abrupte de nos stances.

    Tous ces moyens ne se diffrencient pas seulement selon le mca-nisme psychologique qu'ils mettent en jeu, mais aussi en fonction du niveau de l'exprience laquelle ils se rfrent : les uns conduisent l'apaisement de la pense tandis que les autres touchent aux plus hautes acquisitions spirituelles. Pour en com-prendre la porte et les situer au long de l'itinraire vers Pabsolu, il est ncessaire de les replacer au sein des trois voies dont ils relvent ; ces voies concident, en effet,. avec les tapes de la pro-gression mystique et rpondent aux divers niveaux des aspirants.

    1. Au niveau infrieur ( apara), celui de la vie ordinaire ou de l1individu (m;zu) asservi par son identification aux organes et aux lments, il arrive qu'au cours d'expriences futiles comme l'ter-nuement, la faim, la fatigue, etc., on prouve la surprise d'un contact, fugitif il est vrai mais nanmoins inoubliable, avec le Soi apais ( aham ).

    2. Le niveau de vie subtile ( parpara) appartenant la r~lit de l'nergie se dveloppe chez le yogin qui se purifie et qui perp-tuellement absorb en lui-mme, s'attache l'illumination (pratibha) . Celui-ci ne se concentre pas sur un objet mais sur ~a c?nnaissance qu'il en a ou sur des impressions purement sub-1ect1ves, motions violentes, adoration intens~, amour, colre, etc. !o?jours l'afft des mouvements les plus secrets de son tre

    1~t1me dont il est capable quelquefois de se rendre mattre, il s empare de l'acte mme de connaissance ou d'amour, acte peine dgag de la conscience indiffrencie d'o il fuse. Malheureusement il ne jouit que d'une ill~mination instantane et ne peut faire du Soi sa demeure permanente .

    . 3. Au niveau supr~eur (para) propre Siva, ne rgne que le v1d~ aprs l'effondrement des couches superficielles de la person-nalit. Seul y accde le grand yogin qui s'aventurant jusque dans la chute mme de l'nergie se dlivre de l'ocan du devenir et s'identifie Siva n1 Le Soi cosmique se rvle lui en toute sa plnitude, alors qu'extriorit et intriorit fusionnent jamais dans le Bhairava universel et apais.

    l. Ces diverses citations sont extraites d'un passage d'Abhinavagupta qui caractrise ainsi brivement les trois plans de la voie spirituelle : l;lhlendriyadiyogena baddho'J)ul) sal]'laaret dhruvam /Sa eva pratibhyukfa~ 8aklilalluarn nigadyale Il TalptUaudato

    mukta~ siua eva bhaviirryaual JI T. A. XI Il I. 186-188.

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    Avant d'aborder l'tude dtaille des voies de la libration, quelques remarques s'imposent pour justifier notre prsentation d'une part, et d'autre part, lucider des implications trs claires pour le lecteur indien d'autrefois mais moins videntes pour le public occidental moderne. Si nous avons choisi la division en trois voies pour schme d'tude, c'est qu'elle a eu la faveur de toute la tradition sivate du Kashmir commencer par les Sivastra jusqu'aux nombreux volumes du Tantrloka 1 d'Abhinavagupta qui adoptrent cette triple perspective en rpartissant la ralit en trois plans nettement diffrencis : Siva, nergie et individu, division laquelle le systme Trika doit son nom.

    On peut se demander pour quelle raison l'adepte suit telle voie plutt que telle autre. Les partisans d Trika sont unanimes rpondre que la grce divine fournit la seule explication possibl~ : une grce (sakiipla) intense correspond la voie de Siva; une grce moyenne la voie de l'nergie et une grce plus faible la voie de l'individu. Mais comme le Vijfinabhairava ne fait qu'une brve allusion la faveur de Siva, nous rservons ce problme pour un expos ultrieur 2

    Le souci de laisser chacune des expriences dcrites la fois sa spcfficit et son entire porte a entran des rptitions que le lecteur voudra bien nous pardonner ; ces rptitions sont aggraves du fait que certaines expriences, mme si elles paraissent identiques un il peu averti, offrent des diffrences notables selon la voie emprunte, l'exercice prparatoire, l'-enchalnement des phases et le but atteint. Mieux encore, une mme strophe peut tre diversement interprte selon le niveau o l'on se place; ainsi deux exercices de- souille apparemment semblables ont une tout autre porte si l'on se concentre sur les souffies en s'efforant de les quilibrer - plan ordinaire - ou si, progressant sur ~a voie de l'nergie, la respiration quasi impersonnelle surgit des pro-fondeurs de l'nergie indiffrencie tandis qu'on s'ab!J:.~donne au grand souffie de la vie cosmique. Si des exercices prparatoires sont indispensables dans la voie infrieure, il suffit, dans la voie de l'nergie, d'une orientation entirement nouvelle de la conscience pour que la transmutation d'un acte quelconque devienne soudain un moyen d'accs la Ralit. Nous verrons que la stimulation de l'nergie et l'accroissement de la puissance du cur jouent un

    1. Le premier ahnika est consacr l'expos comparatif des trois voies; le second l'anupaya, la non-voie; le troisimP. la voie de Siva ; le quatrime celle de l'nergie; le cinquime et une grande partie des suivonts la voie de l'individu.

    2. Dans notre Sivaisme du Kashmir en prparation. Quant la gr='\cc, voir T. A. Ch. XIII enlier et P. S. lntrod. p. 41-rl2.

  • -26-rle primordial au moment de l'veil de la Conscience. Mais un acte, aussi intense et exceptionnel soit-il, n'unit l'homme son origine que si ce dernier est adonn une contemplation ininter-rompue et demeure vigilant et apais ; ou dfaut - sur la voie de Siva - si l'amour divin atteint en lui une telle acuit qu'il l'entraine au-del de lui-mme.

    Dissipons enfin une dernire quivoque : il ne faut pas croire que ce trait est au seul bnfice des asctes ou des yogin. Le mot yogin que les ncessits de la traduction nous ont amene intro-duire un certain nombre de fois y est trs rare. A l'exclusion des curs endurcis et des pusillanimes, il s'adresse tous les hommes indiffremment sans tenir compte de distinction d~ castes, de sexe, de force corporelle, etc.1. Abhinavagupta prcise mme qu'on ne doit pas donner l'ultime initiation, celle d~carya, matre, celui qui dploie des signes extrieurs de pit, celui qui couvre son corps de cendres ou accomplit des actes asctiques (lapas), car elle est l'intention du saint cach 21, et selon notre tantra, du hros au cur gnreux exempt d'gosme et dont la facult

    d'.i~tuition est profonde et pntrante 3 Qu'on la donne sans hes1tcr, conclut Abhinavagupta, ceux qui ont reu la grce ou sont pleins de piti (krpa) et de maiirT, amour universel'.

    VOIE DE L'INDIVIDU (A1~''AVOPY...t) ET ABSORPTION DANS L'OBJET (LAYA)

    , Nous avons dit comment l'nergie de la Conscience (cili) assume l apparence d'une pense borne et instable (cilla) qui, sous la pousse des dsirs, vise un but en utilisant la pure conscience ses fins personnelles ( arlhakr.iya ). Elle engendre ainsi par ses remous une zo~e mouvante et disperse o rgne un conflit perptuel. Alourdie de structures adventices, de raisonnements, de relations et d'expressions verbales conventionnelles, la pense se trouve, en 0~1tre, encombre d'expriences accumules durant les vies

    ant~1eures, ces tendances inconscientes qui s'agglutinent autour de l attachement au moi. Il s'ensuit que le processus psychique norm~l s'ancre dans le pass et, en rponse au pass, cre l'avenir; le present n'est plus qu'un pont de dsir jet entre le pass et, l'avenir. Obissant de la sorte une ncessit inexorable, l'homme

    1. :Mme aux eunuques. T. A. XXIII st. 21, voir sl. 16 et 20-21. 2. Id, sl. 8-10 el 20. :i. V. B. ~l. 157-160. 4. T. A. XXIII, sl. 22-23.

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    perd sa 1ibert native ; enchan par se~ cxperiences antrieures et se projetant aussi sans arrt vers ravenir immdiat, il ne peut vivre le moment prsent, le seul o pourrait jaillir la connaissance vraiment dsintresse, l'IHumination.

    A tin de porter remde cet tat dplorable, la voie de l'individu s'efforce d'abord de librer la pense de son agitation et de ses structures en la fixant sur un objet pris en son individualit eoncrte, puis de s'absorber en lui. Parce qu'elle comporte un effort puissant de la pense (manas) et de l'attention: on la nomme ' voie de l'activit' (lriyopiiya).

    Elle commence par mettre en uvre une concentration de 1 'tre tout entier : exercice des organes des sens, articulation sonore, vision, audition, mouvement et attitudes du corps, discipline des souffles, rcitation des formules, etc. Les actes les plus simples deviennent l'objet d'une pratique ininterrompue et offrent l'occa-sion d'acqurir l'attitude spcifiquement mystique, la fois oubli de l'ego et conqute de la vritable condition humaine1 grce la disparition de l'intentionnalit ou centralisation sur soi-mme. Sous l'effet d'une vigilance constante, tout ce qui est rigide et automatique s'imprgne nouveau de conscience ; n'importe quel objet peut ainsi devenir le thme d'un exercice de concentration. Que cette concentration atteigne une certaine intensit et l'objet demeurera seul au centre de la conscience ; celui-ci n'tant, plus reli aux autres objets, les structures de la ralit phnomnale s'aholissent et on le saisit dans son tre sans limite. Paralllement, mesure que la personnalit entire du sujet converge sur un point uniquei l'excitation qui accompagne l'effort ainsi que l'agitation du corps, du souffie et de la pense se calment. Si le sujet arrive se confondre avec l'objet de mditation, il ralise l'absorption ardemment recherche mais celle-ci ne dure qu'un moment.

    ' . Le plus haut stade atteint en parcourant cette voie est donc 1 'apaisem_ent de la pense ( ciilavi~rtinli) 1 : tout en accompli:sa~t ses devoirs et ses tches journalires dans un monde obJecbf qu'il peroit encore en sa dualit, l'homme y vaque r.n grande tranquillit d'esprit. Mais dj il s 1agit, notons-le, d'une paix substantielle qui est bien autre chose que l'absence de bruit ou d'excitation, autre chose qu'un simple quilibre physique et. mental ; et pourtant ce n'est pas encore la quitude indescriptible de la voie de l'nergie dont on jouit jusque dans le plus vif tumulte et au paroxysme de l'motion, car cette quitude provient, en ce cas. de l'apaisement du conflit qui oppose sujet et objet.

    1. V. B. sL 100 et 5:t 2. T. A. 111si.211.

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    Mais si la voie de l'activit embrasse des initiatives orientes vers un idal et substitue un effort unique aux efforts disperss et aux tiraillements de la volont et de la pense, elle n'est pas exempte des inconvnients d'une progression qui, mettant en uvre l'effort, le vouloir ou la mditation, implique toujours ,choix, tnacit, toutes oprations de la volont tendue vers une fin raliser. Elle n'chappe donc pas la dualit de penseur et pens, de Siva et de son nergie. Nanmoins elle n'est pas dpourvue d'utilit parce qu'elle conduit la voie de l'nergie et mme aussi directement l~ voie de Siva lorsque la faveur divine ( 5aklipiia) intervient avec intensit en cours de route. Notre Tantra dcrit en cfiet maintes pratiques qui, aprs un bref exercice de concentra-tion, s'orientent vers la vacuit de la voie suprieure. On notera la fascination de l'attention 1 parmi elles : il arrive qu'un dtail insignifiant ou un objet qui n'veille par lui-mme aucun intrt, le fond d'un vase, d'un puits, des taches de lumire, etc.: accaparent sans motif dcelable toute l'attention. Rien n'existe plus que cette unique sensation : le regard devient fixe, le corps immobile ; perdant son point d'appui sur le monde ambiant, le yogin s'en isole et cesse en mme temps de savoir qui il est ; puis la chose qui

    l~ fascinait s'vanouit son tour. C'est alors que, sa pense tant bien apaise, il sombre dans le vide de dualit (nirvikalpa) propre la pure Conscience. A la voie de l'individu succde ainsi sans intermdiaire la voie de Siva, l'absorption de la pense ayant conduit sa disparition.

    Vorn DE L'NERGIE tS.AKTOP.AYAJ ET ABSORPTIOI" DANS LA PURE NERGIE

    Cette voie subtile de la connaissance qui sert de transition entre les voies infrieure et suprieure - d'o sa qualification de parpara - est plus courte et plus directe que la voie prcdente.

    l.. tant donn qu'Abhinarnguplu dsigne par une mme expression intuition mystique el intuition esthtique (pralibha), il ne sera pas arbitraire de citer un extrait du conte 'Dfat!nice' d'E. A. Poe dans lequel il note les conditions favorables au jaillissement de l'inspiration potique. Tout ce qui sert endormir momentanment sens et pense provoque un retour vers la vie intrieure, vers le Soi pour le myslique kashmirien el vers la r\'erie proronde pour l'cri\'ain : e Rflchir infatigablement de longues heures: l'attention rive quelque citation purile sur la marge ou dans Je texte d'un livre. - rester absorb la plus grande partie d'une journe d't dans une ombre bizarre s'allongeant obliquement sur la lnpisserie ou sur le plancher - m'oublier une nuit entire surveiller la namme droite d'une lampe ou les braises du foyer ... - rpter d'une faon monotone quelque mot vulgaire jusqu' ce que le son, n force d'('lrc r>ptc\ cc~srit de prsenter l'esprit une id

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    Elle ne rpond pas comme ce1le-l un effort dlibr de la volont, mais l'intensit d'nergie que suscitent spontanment l'amour envers Siva ( bhakli) ou des motions violentes telles la passion, la stupfaction~ la terreur 1 1a f.reur 1 etc.~ qui uni fient soudain l'tre tout entier.

    La sublimation y joue un rle prpondrant : le yogin ne s'ancre plus dans le concret immdiat, mais travaille sur un concept ou une image (uilwlpa) qu'il purifie en le portant son paroxysme jusqu' ce qu'un seul vikalpa finisse par absorber exclusivement son attention. L'nergie dont il fait alors preuve n'est autre que l'nergie la forme prmitive, saisie en la nudit de son acte, encore profondment immerge dans ia flicit et dans la conscience indivises 1 , celles du pur sujet illimit.

    Afin de ranimer cette nergie subtile! l'adepte dlaisse la concentration sur des objetsz pour assumer une attitude spcifique-ment mystique sur laquelle nous reviendrons longuement : il s'agit de bh

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    Le vide se creusant ainsi tout coup, PintuiLion affranchie de dualit fulgure inopinment. Tel est l'tat d'illumination de la pense (cillasambodha) propre la troisime tape, la vacuit (sinyala) et disparition momentane de la pense dualisante (tat nirvikalpa).

    Le yogin essaie ensuite d'affermir cette intuition instantane en utilisant nouveau l'nergie universelle sous sa forme de bhavanii.

    En effet, l'intuition mystique ne peut transformer la personne entire ni l'apaiser dfmitivcment. Seule une suggestion puissante 1 qui pntre graduellement jusqu'aux sources de la libre nergie dont la cristallisation a engendr les croyances nocives qui confondent le Soi et ses appartenances (corps, pense, etc.) est apte faire chec aux suggestions engendres de longue date par les tendances subconscientes (saq1skiira ou 8aga), dnouer les complexes et oprer la refonte de la personnalit (quatrime tape, bhavan).

    Tout l'tre peut alors se ramasser et s'unifier de faon perma-nente dans la flicit et la tranquillit auxquelles il est parvenu. A la suite de contacts rpts avec la Ralit, ce qui n'tait qu'un tat passager (avaslha) se rvle peu peu comme l'essence durable du Sujet connaissant (pramlrla) et l'on atteint le Bhairava en son immanence (cinquime tape). Ainsi, dans cette voie, on ~e ~ranscende pas l'existence, comme dans la voie de Siva 2 , mais

    ~existence attire spontanment le yogin dans ses profondeurs Jusqu'aux sources de la vie, l o tout conflit se rsorbe ..

    Aprs avoir retrac brivement les phases principales de la voie ~e, l'nergie, nous nous proposons de consacrer quelques pages al tude de bhiivana, l'actualisation de la pure nergie qui constitue le trait majeur de cette voie. Puis comme bhavana ouvre le chemin du cur, ou madhya, le centre identique la conscience intime sour~e d'une nergie infinie, nous examinerons ensuite en dtails l~s cmq moyens qui y donnent accs. Enfin, en manire de conclu-s1on, nous traiterons de l'ascension de la kuTJ.

  • -Sl-

    obstine qui se tourne vers la fo/iii ou vers le Dieu Siva, vit l'tre en son immdiatet. Si elle s'allie toujours une conviction intime et sincre, c'est qu'elle plonge direc.tement ses racines dans la pure nergie.

    Il faut donc se garder de 1a confondre avec la concentration de la voie infrieure qui s'attache un ou plusieurs objets particu-liers et que notre Tantra dsigne par les racines verbales k~ipet cinl-, fixer la pense ou encore par sarkalpa, reprsentation image ou dhyna, mditation intellectuelle, ces diverses fonctions impliquant toutes un ddoublement de l'tre concentr et de l'objet sur lequel il se concentre. Par contre, en ce qui concerne bhivan, thme et objet demeurent imprcis, 1a pense peine bauche et l'expression verbale relgue ou dfaillante.

    C'est pour cette raison que la voie de l'nergie, dans laquelle bhvana rgne en matresse en tant qu'nergie cratrice de la conscience, forme la transition entre la pense conceptuelle soumise la dualit (vikalpa) que connote clairement le langage conventionnel de la voie infrieure et l'intuition inexprimable (nirvikalpa) de la voie suprieure. Bhavan est une nonciation purement intrieure, une simple indication qui prcde 1a parole. mais o l'on peut dceler dj un rythme semblable celui du langage dont elle est l'origine et le substrat interne. On compr~nd ainsi qu'elle mne indiffremment de l'une l'autre de ces voies, allant du multiple l'unit indiffrencie propre la vie mystique ou retournant de cet indiffrenci au domaine de l'expression sans perdre pour autant l'intriorit retrouve 1

    Nos auteurs comparent l'lan de bhvanii 1a prcipitation haletante d'un homme qui s'lance vers son but - sauver la vie de son enfant par exemple - sans trop savoir quel moyen il emploiera, sans se soucier ni de son corps ni de rien d'autre que du seul danger couru par l'enfant. Sa pense, submerge par le tumulte des motions, ne stencombre pas de mots.

    Abhinavagupta ~'efforce d'claircir l'aide d'exemples cette zone intermdiaire et silenciel)se dans laquelle les mots mme se forment et qui relve d'une conscience subtile (vimarSa ou pra-lyavamarfo): Il existe, dit-il, dans la connaissance immdiate

    (srk~iilk

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    court a conscience du lieu o il se trouve, du dsir de marcher, etc. et ]e rcitant a (galement} une certaine conscience du contact de la langue avec les points d'articulation, en un mot, des activits d'unification et de sparation (saf!lyojana et viyojana). Si, dans ces divers exemples, on insiste sur la prcipitation, c'est parce qu'on n'y a pas (alors) de pense dualisante grossire mais nan-moins une prise de conscience subtile faite d'une tendance intuitive obscure vers l'expression verbale, le processus dualisant ordinaire n'tant que le dveloppement ~;ous forme bien dfinie de cette tendance vers la connotation verbale, fobdabhavana 1

    On dcle cette mme tendance subconsciente en tant qu'lan rpt de la conscience chez l'homme qui cherche se souvenir d'un mot oubli et qui aprs chaque chec reprend obstinment contact avec l'nergie nue de sa conscience. Bien qu'obscure, cette tendance se dirige nanmoins avec prcision vers le terme exact qu'elle cherche, puisqu'elle carte sans hsiter les divers mots qui se prsentent elle et bande tout son effort vers le seul qui lui conviendra et qu'elle reconnaitra lorsqu'il jaillira dans la conscienct~ comme un produit direct du cur .En effet, d'aprs Somananda 2 ~ au cours de cette attente - qui dans la vie mystique s'accompagne de ferveur - le premier branlement de la volont n'est vraiment perceptible que dans le cur, au moment o le souvenir merge.

    Bhvan n'est au fond qu'une forme de la pure nergie considre en son indtermination ; c'est pourquoi elle rside dans les aspects les plus varis de cette nergie : sur le plan de la connaissance, elle se .manifeste comme la saisie intuitive globale et non dveloppe qui annonce l'illumination; ou, un niveau infrieur, comme une reprsentation dynamique et vague de l'acte accomplir. Sur le plan de la volont, elle est intention premire, bauche de l'acte~ : propension vers 1 ; sur le plan de l'imagination, conscience imagmante dans l'exercice de son acte, alors que l'image va surgir. Enfin sur le plan mystique, bhavana n'est pas sans prsenter des ressemblances avec la contemplation infuse des chrtiens dont il ne faut pas faire une contemplation passive mais un acte d'un caractre affectif et pratique. Le but qu'elle poursuit n'est jamais,

    l. Tathuiuu tvaritaluam ili sk~me1J.U pralyauamarAena su1!1Uarlita .-iabdahiiuu11ii-n~ayena bhvyam eua saqwarlitii Ili sabdabhavan pra:JaraQena viuarlyamanli slh1lo v1kalpa~. 1. P. v. 1. \'. 19. vol. 1, p. 2::\0, 1. 1. Les logiciens bouddhistes font !?alemcnt. de bhvanli une tendance obscure de l'nergie vitale qui oriente dans une direction donne le flot de la conscience. C'est elle qui fournil la clef de l'association des ictecs che.z diffrentes personnes, cette associalion n'tant pas la mme chez un nscte, un fils et un mari la vue d'une m~me femme. Al>hirlhormakofa J X. p. 27:J lt-act. la VaJle Poussin.

    2. Ce passage de Som~nandn est donni plus loin in extenso, p. 3~1.

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    en cfTet, un exercice du raisonnement mais l'identit au Bhairava , la connaissance spirituelle y est acquisc 1 non par l'effort de l'intelli-gence, mais par rtat mme o l'on accde spontanment : on connat ainsi l'immutabilit ou l'ternit de Siva en se tenant imperturbable au Centre de soi-mme, n'prouvant plus qu'une tranquillit parfaite l'image de l'immutabilit et de l'ternit divines.

    On ne rencontre cette contemplation que chez quelques rares personnes favorises par la grce et qui, doues d'une capacit exceptionnelle d'intriorisation, sont ravies jusqu' l'alination des sens et jusqu' la suspension des facults intrieures.

    Bhvanii se situe au mme niveau de la voie de l'nergie que mali 1 intelligence pure et libre de l'esprit qui pntre de toutes parts les choses connatre. Cette fotuition intellectuelle se rattache la buddhi 1 parce qu'elle surmonte l'effort intentionnel de l'ego tendu vers une fin prcise ainsi que les fluctuations motives qui en dcoulent. Comme bhavan, elle rside mi-chemin entre la dualit mentale (vikalpa) et l'absence de toute dualit (nirvikalpa); elle n'est faite en consquence que de purs vikalpa, les seules penses dont jouisse un homme qui s'est identifi 1 'nergie divine prise en sa source. Le monde qu'il peroit est commun tous et non spcifique chacun et sa pense, dgage des entraves ordinaires, ralise par son efficience ce qu'elle dsire 2

    Avec mali et surtout bhiivanii nous atteignons la zone spcifique-ment mystique, zone obscure. silencieuse et calme de l'mergence, frange d'intuition qui borde la pense o rien n'est encore cristaqis. Contemplation, ravissement, paix, parole intrieure qui se cherche, intrt passionn et balbutiant, attirance irrsistible vers ce qu'on aime, don de soi irrflchi, lan de tout l'tre, ces divers lments se trouvent parfaitement fondus dans cette forme dynamique de la conscience 1 mais qui est trop simple et trop indtermine pour faire l'objet d'une claire dfinition.

    La bhiiuanii est l'uvre dans certains versets du Vijnanabhai-rava qui recommandent la simultanit de l'attention afin de triompher de l'espace et du temps, soit qu'on envisage l'espace

    1. Gau(,lapada lui aussi, dans son commenlAire aux Siiqlkhyakflrik, 22, donne l'quivalent buddhi-mali. Vofr Introd. p. 21 le rle assigne buddhi dont mali constitue une forme spciale lorsqu'elle s'achve en un mouvement afJeclir du cur, car elle s'allie troitement. la dvotion (bhakli) si. 121 et 147. ll arriv~ que l'id6e examine at.lenlivement prenne tout coup un tel clat qu'elle suspend l'activit mentale et ;1hsorbe le dvot dans l'enivrement de l'amour.

    2. Nanmoins elle ne pourra apprhender le Soi qu'en renonant tout vikalpa, mt~me li:' plus pur, au profit d'une intuit.ion indi!Trencie, J'illuminalion niruikalpa.

  • -M-dans toutes les directions la fois, soit qu'on adhre sans rserve au vide ou la flicit, apprhends dans toutes les parties de son propre corps ou dans celles de l'univers et toujours sans la moindre squence (yugapat). Lors de ces concentrations si difficiles raliser1, il arrive que la pense, dchire le temps d'un clair par ces orientations divergentes de l'attention~, ne puisse se fixer sur aucune d'elles et le yogin, sombrant dans l'entre-deux (madhya}, se trouve prcipit dans la Ralit globale qu'il saisit en une vision intuitive (nirvikalpa) exempte de choix et de dualit. Il perd alors toute relation avec le temps et l'espace ; il ne pense plus le pass et l'avenir mais vit dans un ternel prsent; de mme, il ne conoit plus le haut et le bas en suivant les directions spatiales, mais se contente de vivre l'immensit sans limite ou la flicit sans bornes parce que, dans ce coexistcntialisme, le cur devient le centre de tout l'espace ou de toute la bat.itudc3

    C'est cette mme puissance de l'imagination qui brise les attaches avec le pass en secouant les automatismes qui donnent naissance la pense dualisante. Dressant un obstacle la projection du rel hors du Soi, elle met un terme aux impr~ssions errones qui font du Soi infini un soi confin au temps et l'espace. C'est pourquoi bhavan joue frquenunent dans notre tantra le rle d'une actualisation en vue d'une sublimation absolue : la limitation qu'il convient de dpasser tant solidaire de son expression, bloque sur ses images de morcellement et d'incompltude, il est

    nces~aire d>opposer celles-ci pour les contrebalancer des images cos~1ques de l'illimit. A cet efTet, le yogin se reprsente l'immensit

    ~pat1ale_ ou l'omniscience et s'en imprgne jusqu'aux couches mc~ns~1entes (

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    ment intense fait de Pimage une ralit ; sa conviction ayant supprim les limites qu'il s'attribuait erronment, il retrouve son infinit et sa puissance originelles.

    LES ClNQ MOYENS DE PNTRER DANS LE CUR

    En dcrivant le Tout qui se diffrencie (bhairava sakala), on a vu de quelle manire l'nergie vitale indtermine (priQa ou pril)ana) descend le long des conduits du corps jusqu'au centre infrieur {mliidhara) o elle demeure assoupie. Elle ne retrouve sa condition primitive qu'en effectuant une perce travers la voie mdiane (madhyana

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    Madhya tant la fois -moyen et fin ultime, on s'explique les nqmbreux emplois du terme : il dsigne le conduit du Centre ( madhyan

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    (hrdaye nihilacitla), c'est.:-dire au cur mme des choses. La seconde propose d'carter tout souci, bannissant ainsi la tendance dualisante qui fait obstacle au repos en soi-mme 1 La troisime, en fin, est considre comme radicale : par la prise de conscience de ] 'absence de dualit ( avikalpa), on contemple son propre tat de sujet conscient que ne souillent plus le corps et ses appartenances 2 : Si on se dtourne de la pense dualisante, par concentration sur l'Un, on parvient peu peu la condition de suprmatie divine3

    Mais si l'cole plus tardive de la ({Reconnaissance du Soi s'en tient exclusivement la destruction des vikalpa, le Vijiianabhairava fait appel bien d'autres procds et Abhinavagupta numre lui aussi dans son Tantrloka cinq moyens en vue de percer le Centre et de s'introduire dans son propre cur : 1( Il faut, dit-il, que le sage pntre dans son cur au moment o son nergie est fortement stimule, quand il s'absorbe dans la pure nergie subjective ; quand il accde l'extrmit de tous les conduits nerveux; lorsque l'ner-gie .se rtracte dans le Soi universel ou encore s'panouit (en s'int-grant) tout l'univers.'

    Bien qu' Abhinavagupta ne donne aucune explication, son glossa-teur Jayaratha, en vue d'claircir chaque procd, cite abondam-ment notre Tantra. C'est pour cette raison que nous donnons l'tude dtaille de ces divers moyens qui serviront de schmes dassificateurs nombre de nos Rloka.

    Effervescence de l'nergie et absorption en ku/a

    Nous traiterons ensemble des deux premiers moyens qui relv~nt principalement du commerce des sexes. Le premier met en Jeu une puissante agitation ou effervescence de l'nergie ( saklik~obha) que suscite la prsence d'une femme avec excitation gale du sujet et de l'objet : Cette jouissance (prouve) au moment o s'achve la pntration dans l'nergie fortement agite par l'union avec une femme (fokli) est celle de la ralit du brahman qu'on appelle ' jouissance intime ' n (si. 69). Le second nomm ' absorptio.n dans ! 'nergie sexuelle pure ' ( kuliive.fo) par la simple vocation d 'u.ne femme dont on se souvient, intensifie l'nergie vitale du seul sujet

    1. P. H. corn m. au sO. 18 Suaslhilipralibanrlhakal]i 11ika/pam aki1iciccinlakalvma p. 40, 1. 2.

    2. Avikalpaparmarsma ... s11adtpram

  • -38-en l'absence de l'objet : L'affiux de la flicit se produit mme en l'absence d'une nergie (femme) si l'on se remmore intensment la jouissance ne de la femme grce des baisers, des caresses, des treintes )) (si. 70).

    D'une part, la tension exceptionnelle et l'unification de toutes les tendances au ,cours do l'union sexuelle suppriment les oscilla-tions de la pense et les proccupations ordinaires ; de l'autre, la volupt qui assouvit l'tre entier peut inaugurer l'exprience d'une flicit plus haute.

    Abhinavagupta revient souvent au cours de ses dernires uvres sur Jes effets que provoque l'effervescence de l'nergie : De beaux sons, des touchers et des gots agrables se prsentent comme 11ne forme du dploiement de l'nergie divine et expriment l'unicit du sujet qui' jouit. Par l'affiux de la virilit1 qu'ils suscitent soudain, se produit un largissement de la conscience chez -les tres dont Ja pense se recuei1le sans inteITUption 2

    Dans son commentaire la Paratriip.sika, ce mme philosophe do~e quelques explications complmentaires ce sujet3 : tout ce qui pntre dans un organe interne ou externe et rside en tant que conscience ou souffie de vie ( priil)a) dans la voie mdiane en ani-mant toutes les parties du corps grce une efficience virile (vlrya), c'est l ce qu'on appelle vitalit ( ojas p. Intensifie ensuite par son contact avec les organes des sens, vue, oue ou formes et son.s, celle-ci veille en s'accroissant ainsi le feu du dsir et revt l'aspect d'une effervescence ou d'un choc de l'nergie {foldik~obha). Chez ceux qui sont intensment pourvus d'efficience virile (vlry.

    l. Que Jayaralha idenlifle parabrahman. T. A. III, p. 218 fin comm. au ~l. 229. Ylrya rappelle uir lat.in, efficience au sens humain et transcendant . . ~ Sabdo'pi madhuro yasmd ulryopacayakrakal) / Taddhi ulryar11 paraf[I foddlrarJt vmsrk~alma1'a'!l malam JI T. A. Ill ~l. 229, Voir comm. p. 218-219.

    3. P. 45-~6. 4. Ojas reste concentr dans le corps; c'est une puissance virile qui ne se rl>pand

    pas au dehors. 5. Viryauik-!lobhe... ade8akalakalilaspandamayama1u'iuimarlarpam eva paripli1-

    {1abhairauaaa1rwidilmakaf!l sualanlryam iinandaAalrlimauaf!l srikhapra.rnuahhLh. P. T. Y. p. 17, L :l,

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    Seul l'homme dont le cur sensible s'alimente cette vitalit infinie est dou de la capacit de s'merveiller : il pntre dans la grande voie du Centre et russit se confondre avec l'nergie ainsi excite lorsqu'il porte leur plnitude toutes les nergies vitales qui emplissent les conduits des organes sensoriels; alors, toute dua-lit s'tant vanouie, il plonge dans l'merveillement - intriorit de la prise de conscience de soi o sa propre nergie atteint sa plnitude. C'est en cet instant et lorsqu'il s'enfonce au cur de runion de Rudra et de RaudrP que se rvle lui la modalit du Bhairava, flicit d'une pleine crativit 2

    Font encore partie de ces deux premiers moyens d'accs dans la conscience intime d'autres tats -psychiques qu'numrent la Spandakarika 3 et la Sivadr~ti, la suite du .Vijfianabhairava : joie excessive au retour d'un parent aprs une longue sparation (V. B. si. 71) ou la vue de la bien-aime qui surgit inopinment ; furie dchane lors du combat ; frayeur et affolement quand on fuit le champ de bataille pour sauver sa vie ou lorsque surgit un animal terri-fiant3. Vertige d'effroi quand on surplombe un prcipice et qu'on ne peut ni avancer ni reculer; vive dception lorsqu'un dsir ou u~e curiosit extrmes se trouvent tout coup frustrs. Surprise ravie au spectade d'une jonglerie ou d'un tour de magicien. Notons encore le dbut et la fin de l'ternuement, les premires et les dernires heures de Ja faim au moment o ces tats atteignent 1 :mr maximum 4

    Somananda donne aussi les prcisions suivantes : On peroit, dit-il, le premier branlement de la volont dans la rgion du cur au moment o l'on se souvient soudain de quelque chose qu'on doit accomplir (mais qu'on avait oubli), l'instant prcis o l'on apprend une nouvelle qui cause un grand bonheur ; lorsqu'un prouve une peur inattendue ; quand on peroit de faon imprvue une chose que l'on n'avait jamais vue ; l'occasion de l'panc~ement du sperme ou lorsqu'on en parle ; et aussi quand on rcite d'une faon trs prcipite ou lors d'une course (chevele). Dans ces multiples circonstances, toutes les nergies de la conscience sont frmissantes (vilolalii) et -- selon la glose d'Utpaladeva - elles

    1. De cette union nomme rudrayamala dcoule ln flicit du brahman. Voir appendice sur le sens de ces termes.

    2. P. T. v p. 49, I. 14 Yadci sakalendriyanilbhlamarudiidipariprar;ie lu mah

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    sont brasses les unes ave~ les autres en un seul acte vibrant 1 . Comment, se demande-t-on, l'nergie brusquement excite ou

    intcnsi fie peut-elle dclencher un tel retournement d'ordre pure-ment spirituel cl rvler l 'actc vibrant indtermin et primordial (spanda)?

    Abhinavagupta en fournit l'explication : si ces mouvements de colre et autres fluctuatio!'ls mentales permettent d'atteindre l'essence mme de la conscience, c'est, dit-il, qu' l'instant prcis de leur apparition, ils ne revtent que l'aspect unique d'indifren-r.iation 2 Vritables ' rayons ae soleil de Siva , ' ils correspondent un saisissement tonn de la conscience ( camaikiira); reco~nus comme les nergies divines, animatrices des organes, ces mouve-ments forment le jeu spontan de cette Conscience, mais ceux qui

    i~norent leur vritable nature deviennent curs esclavcs 3 Une fois clirc la nature du rapport entre l'intrusion subite

    d'une nergie puissante et l'illumination qui lui succde, il reste ?ncore comprendre de quelle manire un homme peut transfrer a sa conscience la force instrumentale qu'il dcouvre tout coup en lui-mme. Nous allons essayer en ce but d'analyser 1 'instant-choc ou le saisissement de l'motion que nous dcomposerons, non sans quelque arbitraire, en facteurs, les uns simultans, les autres ?uc?essifs qui se montrent particulirem~nt favorables l'intuition md1fTrencie ( niruikalpa): , 1. Au moment de l'explosion d'motions violentes ou dans

    l urgence de certaines circonstances, toutes les nergies, excites et portes leur paroxysme, se trouvent puissamment brasses. L'acclration des processus de la pense et de ses images est te1le

    l. Wiavaly unmukltil cilla secchcyii~ prallwnui luJi~ JI 8 ~ii ca drsy lirduddeSe. kiiryasmaraf)akdlalal:r /

    prahar~civedasamaye. darasaqidarAanak,al)t. If 9 aruilocanalo dr!ffe visargapra~ar$pade / visargokliprasange ca vcane dhavane lalh

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    que les impressions tourbillonnantes et frmissantes paraissent simultanes et n'ont pas le temps de se fixer en un conept dfini ou en une expression verbale. Il en va de mme si l'on rcite un pome de faon trop rapide : la pense ne pouvant suivre la la parole~ les limites du sujet et de l'objet tendent se confondre. on demeure momentanment suspendu dans un tat qui n'est ni la claire formulation propre au concept (vikalpa}, ni l'intuition inexprimable (nirvikalpa)1, suspension qui mnerait d'ailleurs directement au nirvikalpa si l'agitation que dclenche } 'motion n'y faisait obstacle.

    2. Accroissement de puissance virile et unification : toutes les forces vitales (vlrya) se haussent un degr prodigieux d'inten-sit sous l'effet de l'unification spontane de l'ensemble des nergies, l'homme n'tant plus que terreur, amour, ternuement.

    3. Il arrive que lors de ce dbordement des processus.psychiques le fil qui les relie se rompe soudain ; tout s'croule en lui et autour de lui : le sentiment qu'il a du moi s'vanouit ainsi que sa conscience normale avec ses proccupations gostes ; il oublie son corps et se trouve sans point d'appui sur le monde.

    4. Succde alors l'instant de dpossession o l'homme dsempar: raidi de saisissement, reste immobile et sans dsir. Un silence tonnant remplace le tumulte des passions ; un vide se creuse tout coup en lui et il vit le seul moment prsent coup du pass et de l'avenir, cet instant de paix profonde o s'abolit la dualit tendue du sujet et de l'objet 2

    5. Mais tandis que l'homme ordinaire laisse passer ce prcieux moment, l'habitu de l'extase qui vit toujours en plonge se rfu-gie dans la profondeur de son cur et, parvenant aux sources d'u~e nergie infiniment subtile, prouve une impression de parfait dtachement. Plus encore, la lucidit de son esprit est dcuple ~t ses facults portes leurs extrmes limites ; il puise au rservoir secret des ressources latentes intrieures, en vlrya qu'anime le sixime souffle ( prar.:zana) - _vie mme de la ralit sans tache (niranjana) et de l'ambroisie-(amrla)3 - et s'lve en consquence au-del de la condition humaine.

    Voici en quels termes Jayaratha parle de cette exprience qu'il attribue au plein panouissement de l'nergie de la conscience :

    I. Quant cet tat lransiloire de l'nergie mcrgeulo~ voir bhuan p. 30 sqq. 'l. D'un a\iateur en grand pril, A. de Sainl-Ex.upry crit : Il baignait dans une

    sorte de loisir infini. Et point par point je reconnaissais cette extraordinaire sensalion qui nccomp:igne parfois l'imminence de la mort: un loisir inattendu ... Saf?On demeurait ln sur son aile, comme rejet hors du temps ~. Pilote de guerre p. G 1.

    3. T. A. 1 Il si. 70. Se reporter quant ce sou me p. 180.

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    ( (p. 174}, Saint-Exupry retrouve, lui aussi. les sources de la vle au moment du pril - lorsque son avion tra...-ersant un Ur de barrage est secou d'une srie d'explosions: Je n'ai pas eu le temps d'proU\er la peur autrement qu~ comme une contraction physique ... que dj il m'est accord le soupir de la-dhvranee. Je devrais prouver le saisissement du choc. puis la peur, puis la dte_nte. Pensez-vous l Pas le tempe 1 j'prouve le saisissement, puis la dtente .. il manque une tape: la peur. Et Je ne vis point dans l'attente de la mort pour la seconde qui suit, je vis dans la rsurrection, au sortir de la seconde qui prcde. Je vis dans une sorte de traine de Joie. Je vis dans le sillage de ma jubilation. Et je commence d'prouver un plaisir prodigieusement. inattendu. C'est comme si ma vie m'tait, chnque seconde, donne. Je vis. Je suis vivant. Je suis encore vivant ... je ne suis plus qu'une source de vie. L'ivresse de la vie me gagne. On dit l'ivresse du combat ' ... c'est l'ivresse de la vie J .

    3. Yad k1obha~ pratryeta lad 3yil poramafll padam. S. K. 9. 4. T. A. V. p. 378, l. 11.

  • -43-exLrme des canaux en un endroit particulirement sensible du corps: comme les aisselles qui c< chatouilles avec les doigts devien-nent, dit-il, Je sige d'un grand plaisir 1 Et il cite ceLte occasion la strophe 66 de notre Tantra que. nous traduirons selon son inter-prtation : Au moment du chatouillement (kuhana), 0 Belle aux yeux de gazelle [ il arrive que jaillisse tout coup une grande flicit et, par elle, la Ralit se rvle. Mais l'extrmit par excellence est le brahmarandhra ou dvdasania du sommet de la tte et Jayaratha allgue notre sloka 51 dans lequel il est recommand de fixer tout instant la pense sur cc point, afin que, l'agitation se calmant, on acquire l'indescriptible.

    La Ralit ne se manifeste que si la conscience se rpand jus-qu'aux conduits les plus subtils du corps, partir du Cur ou du dvadasanla. Il est ncessaire que les nerfs (narJ,l) soient vivifis et pntrs d'nergie. Tel est selon nous le sens vritable de l'expres-sion sarvniitj.fnm agragocara.

    Ce moyen concide avec la contemplation des deux pointes extrmes {iidyanlakofinibhalana) qui, d'aprs K~emarja, sert ouvrir la voie du milieu afin d'entrer dans la conscience intime, la pointe initiale tant le cur et la pointe finale, le dvadaSanla. On les contemple au moment o, la pense tant arrte, le jeu des souffies cesse galement 2 Et, la suite de Jayaratha, K!~emaraja donne notre sloka 51 comme exemple d'exercice sur le centre sup-rieur et le- sloka 49 afin d'illustrer la contemplation de l'extrmit initiale, celle du cur : ~ Si celui dont les sens s'absorbent dans l'espace du cur pntre jusqu'au centre des coupes entrelaces du lotus et chasse tout objet de sa conscience, ... il obtiendra la ha titudc suprme.

    Relvent de ce moyen les plaisirs des sens, les joies artistiques et toutes les autres satisfactions que dcrivent les sloka 72-74 de notr~ Tantra ;. d'une part ils affinent la sensibilit qu'ils tiennent en veil et 1 d'autre part, ils permettent d'acqurir une joie dbordante; or la pense s'arrtant volontiers ce qui lui plait ou lui procure du plaisir, une dtente en rsulte et l'apaisement de l'agitation se montre favorable l'ouverture du centre3 C'est pourquoi le Vijiia-nabhairava prconise maintes fois la dtente : dtente provoque si l'on s'tend comme mort' ou dtente naturelle prcdant le som-

    l. Ya

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    meil ou accompagnant la fatigue, la dbilit 1 , car cette dtente prpare le repos du cur et la quitude mystique ( stnla ).

    Abhinavagupta aborde la question avec sa profondeur habituelle : N'est un bonheur, en vrit, que ce qui s'absorbe dans l'nergie ergente, cette sphre de la srnit propre la grande flicit. (Le bonheur) n'a subi de limites que dans le mesure o l'on ignore cela 2 Les partisans du Tantrisme, et Abhinavagupta leur suite, ont toujours fait une place importante la jouissance, ce qui s'entend aisment puisque le Soi, fond du rel, leur apparait comme conscience et batitude denses et indivises ( cidinandagha-na ). Le Je, essence intime de la Conscience, tant flicit et conte-nant l'univers entier du fait que tout procde de sa libert infinie ne saurait rien dsirer d'autre que lui-mme; en sorte qu'il ne peut jouir de sa conscience sans jouir de sa propre flicit 3

    Le moindre plaisir est au fond un reflet de la flicit divine du Soi et la jouissance prouve quand on parvient la fin dsire procde de la conscience de soi avec -laquelle on a pris momenta-nment contact. L'tre entier, apais et satisfait, se ramasse dans son bonheur au cours des jouissances profanes et ressent la plni-tude {prl).afii). Puis, si la jouissance s'approfondit et envahit toute la conscience, l'objet, cause du plaisir s'vanouit sous le flot montant de la flicit mystique (tape amrla) et, par celle-ci, on se perd dans l'nergie mme de la flicit'.

    Ainsi la jouissance telle que Abhinavagupta la dfinit devient la meilleure des voies d'accs vers l'intriorit : Ce qu'on appelle batitude suprme, srnit, merveillement, dit-il, n'est qu'une dtermination de la conscience de soi dans laquelle on savoure de faon indivise la libert fondamentale qu'on ne peut sparer de l'essence de la conscience5.

    Et BhattanrayaQa s'crie de son ct : Quelle que soit la flicit examine ici-bas et dans les trois mondes eux-mmes, elle ?e semble qu'une goutte de ce Dieu, Lui, ocan de flicit auquel Je rends hommage r 116.

    l. SI. Il I et 112. 2. A ~avoir que la balllude la plus haute est le fondement e tout honheur. Yal

    yat kila sttkhari1 lat mahnandanirvrfiparamadhtimni visarga8aklou anupraue:Uil lalhiictlyamnatay kiyadrpatrri prptam. P. T. v. p. 69. 1. l.

    a. Voir ALhinavabhfirati 1, p. 293. 4. Il s'agit du sixime soume prii')ana, ralit sans tache. Voir p. 180 el si. 69. 5. Saf!1vedanarlipaliinanlarlyalvena avasthilasya svlanlryasyaiua rasanaikag/m-

    nalay parlimar:Sal] paramiinando nirt1rlis camalkara rtryale. J. P. v. , .. p. 179, 1. 5 tome I 1. Vnir aussi p. 177-178 ce sujet.

    6. Trailokye'py aira yo yivan nanda~ ka.frid lk~yale / Sa bind11r yasya fa1[1 rande del'am ii11andusiignram. Stu\:ir:inlfmn1.1i si. 61.

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    Cette glorification de la jouissance n'exclut pas nanmoins un renoncement radical car on n'accde la flicit indiffrencie qu'en se dtournant de toutes les. jouissances particuf~res. Aban-don ou dpossession doit tre total.

    Contraction de l'nergie dans le Soi universel

    Sarvlmasaf{lkoca 1

    Ce quatrime moyen, cher aux V cdntin, ~onsiste on une contrac-tion, l'intrieur du Soi, de l'nergie et de toute l'extriorit sa suite. Repli sur lui-mme, prenant son repos dans le Cur, le mystique dlaisse ses multiples activits tandis que l'univers assume ses yeux l'apparence d'une illusion.

    K~emaraja explique cette contraction comme une intriorisation (unmukhlkarar;ia) produite par la rtraction progressive de l'ner-gie qui, dans la vie ordinaire, s'coule spontanment par la voie des organes sensoriels, ainsi que le chante la Kathopani~ad: cc Svayam-bhu a perc les ouvertures (du corps) vers l'extrieur ... C'est pourquoi l'on voit vers l'extrieur, non vers soi. Un certain sage qui voulait l'immortalit a regard au dedans de soi... z. Et K~emaraja commente : L'nergie qui s'tait chappe par les sens se ramasse toute entire dans le cur comme une tortue effraye qui se retire l'intrieur de sa carapace. Puis il cite un vers : Extrait et arrach (de l'extrieur), on s'implante dans l'ternel3 l>

    Cette contraction apparat clairement lorsque, sous I7efTet de la terreur ou de la stupfaction, le souffic s'arrte soudain et l'on est comme mur en soi-mme. Pour en expliquer la nature, Jayaratha, de son ct, recourt une mditation que prconise notre Tantra : on y cherche bien se convaincre que l'univers est aussi irrel qu'une jonglerie, une peinture, un mirage et que toute connaissance qui s'y rapport.c est dnue de cause et de support, et fallacieuse en consquence 4

    1. Bien que le terme qui les dt':signe soit identique, la Cnlraction (saqlkoca) ou intriorisation de la conscience universelle qui alternf' de faon rpte avec son expan-sion au moment o Siva et son nergie s'unisse11t., ne doit pos t\t rc confoudue avec IR contraction individuelle due :i la diversit des corps lorsque la Conscience assume librement, au cours de sa thophanie, l'apparence d'une srrie de contractions de plus en plus limileg.

    2. IV, J. 3 .... prasrlyii api va krmfigasa111kocaval lrti!asamaue hrlprave8avac ca sarualo

    llivarlanafll. / Talhoklaf']l tadapoddhrte nilyodit11sll1ilif,I. P. H. stro 18 comrn. p. 41, 1. 6.

    4. T. A. V p. 379, 1. l:l. Il y donne les ~l. 102 et 99 de notre Tnnlra.

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    panouissement de l'nergie Vyiipli, pntration universelle

    Grce ce moyen que nos auteurs considrent comme le meilleur des cinq, la Conscience cosmique envahit la conscience limite. Vyiipli, fusion au Tout qui s'achve en un prodigieux pouvoir d 1ubiquit spirituelle, n'est que l'nergie parvenue au terme de son panouissemc~t .(saklivikiisa). Jayaratha dfinit cette vyipli comme une extase panouie (samdhi) qui redploie le cosmos apr