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C h r é t i e n s p r é s e n t s d a n s l a s o c i é t é Chrétiens dans l’Enseignement Public n ° 4 Métier Et ailleurs ? Église et Foi Société Vie culturelle Vie de l’association ISSN 1969-2137 Lignes de crêtes Juillet - Août - Septembre 2009 8 €

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Chrétiens présents dans la société

Chrétiens dans l’Enseignement Public

n°4

Métier

Et ailleurs ?

Église et FoiSociété

Vie culturelleVie de l’association

ISSN

19

69

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Lignes de crêtesJu

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Site de CdEP : www.cdep-asso.org/

Éditorial....................................................................... p 3Chrétien dans notre monde (Claude Wiener) ......... p 4

MétierCommunique de rentrée............................................ p 5Le fait religieux dans tous ses états (P. Dusserrre) p 6Lire des textes bibliques en classe (J-L Gourdain) .. p 10Public et privé... (E. Vandermeersch) ....................... p 11Intériorité et engagement (Gabriel Rosset) ............. p 16Église et FoiTous concernés (Diocèse de Saint-Denis) ............... p 17Migrants et bénévoles (évêques de France) ........... p 18Accueil au Logis Saint Jean (Isabelle Tellier) ........... p 19Marc, un Évangile... (Bernard Caillierez) ................. p 20Juifs et catholiques (Madeleine Comte) .................. p 24Mieux connaître Calvin (M-F. Tinel) .......................... p 27SociétéUne autre planète (Michel Dupont) ......................... p 28Solidarités (Suzanne Cahen) .................................... p 30Équipe au service des malades (P. Marniquet) ....... p 31Être laïque ? Pas si simple ( M-I Silicani) ................. p 32Inscription chrétienne... (Guy Coq) ........................... p 33Transmettre la foi est-ce possible ? (J.M. Swerry) ... p 33Donne-nous le courage (Charles Singer) ................. p 34

Et ailleurs ?Retour de Roumanie (Maïté Martin) ........................ p 35État, Église et société en Espagne (B. Pellistrandi) p 36Au Brésil (J. C.) ........................................................... p 37Vie culturelleLivres .......................................................................... p 41Poésie et musique ..................................................... p 44Livres pour enfants ................................................... p 45Vie de l’associationÉquipes Enseignantes Internationales (P. Molinier) p 46De la formation à la citoyenneté (Gérard Fisher) .... p 46Dates à retenir ........................................................... p 46Retraités : Journées parisienne (P. Darnaud) .......... p 47Lourdes avec le CCFD (D. J. et M., M. S.) ................. p 48Nos deuils .................................................................. p 49IconographieLa charité de Saint Martin ( Christine Pellistrandi) . p 50

Sommaire

2 Lignes de crêtes 2009 - 4

Lignes de crêtesest la revue de Chrétiens dans

l’Enseignement Public, résultat de la fusion des Équipes Enseignantes et dela Paroisse Universitaire.

Elle s’adresse à ceux qui se sententconcernés par l’école et les questionsd’éducation, qui ont le souci de nourrirleur foi pour faire vivre leurs engage-ments et éclairer leur regard sur lemonde.

Drecteur de publication : Anne-Marie Marty - Commission Paritaire des Publications et Agences de Presse n° 1109 G 81752 du 8 novembre 2007Imprimerie Chauveau-Indica, 2 rue 19 Mars 1962 - 28630 Le COUDRAY. Bureaux : 24/26 rue de l’Industrie 92400 Courbevoie

Dans les prochains numérosEnseigner, un métierChoix de vie : agir, réagir Enseignants, producteurs de

richesses ? CulturesSociété de l’évaluation, intérêts et limites

Abonnement à Lignes de crêtesnormal (cotisants,

aumôniers) 25 €

soutien etnon cotisants 35 €

étranger 40 €

Cotisation à Chrétiens dansl’Enseignement Public

Merci de libeller votre chèque à l’ordre

de Chrétiens dans l’EnseignementPublic et de l’envoyer à :

Chrétiens dans l’Enseignement Public

170 boulevard du Montparnasse

75014 Paris - tél : 01 43 35 28 50

traitement mensuel cotisation

1000-1400 € 70 €

1400-2000 € 110 €

+ de 2000 € 150 € ou plus

Cotisation minimale annuelle de 30 €Cependant, nous vous proposons de dé-terminer le montant de votre cotisationen fonction de vos possibilités. Vous trou-verez ci-dessous un tableau donnant desindications de montant.

Photos de couverture : CCFD, SuzanneCahen, Didier Tardif

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Un début d’année scolaire ou de travail est tou-jours propice aux bonnes résolutions, pour peuqu’en outre l’été ait procuré la chance de pou-

voir se ressourcer ou se décentrer. Le risque seraitde se refermer sur la recherche d’un mieux-être troppersonnel ; mais la vie ne s’arrête pas pour autant, etson lot de joies comme de douleurs se charge denous écarter de l’insouciance estivale prêchée parles publicités.

Entre une recherche de plus en plus pressantede l’épanouissement personnel, parfaitementlégitime, et l’affrontement au réel qui interroge

toute vie humaine, chacun est provoqué à donner unsens à son existence.

Selon des mots de Gabriel Ringlet saisis un jourà la radio, avoir “une vie spirituelle, c’est fon-damentalement retourner son sol, au sens de

la charrue. Je n’imagine pas une vie de croyant qui neserait pas un retournement permanent”. Cependant,rappelle par ailleurs Timothy Radcliffe, “croire enJésus, ce n’est pas adopter une spiritualité privée ouun code moral”. Est-ce à cause de cette confusionqu’on ait pu regretter, comme à la Catho d’Angers1,que “beaucoup de catholiques ont un regard trèspessimiste sur notre société, on a quelquefois un pu-blic chrétien qui n’aime plus ce monde” ?

Ringlet répond : “Quand la hiérarchie, rigide, abs-traite, des valeurs devient plus importante,c’est le silence qui fait défaut. Le silence qui

pense, qui a soif de savoir, qui écoute, qui ne voit pasd’horizons vides. Il faut accepter d’entrer dans unnouvel univers dont l’histoire n’est pas écrite. Carquand l’auctoritas devient plus importante que la ren-contre avec Jésus, de cet horizon supposé vide nerestent plus qu’abstraction et pouvoir”. Le besoind’identité qui nous traverse et auquel nous nous ac-crochons parfois est2 plus de l’ordre du païen. Il estlié à un besoin de sécurité, mais le christianisme im-plique que le chrétien soit tiré hors de lui pour se dé-finir par l’autre.

Le nom de chrétien fut inventé par les autoritésromaines pour une religion reposant exclusive-ment sur l’adhésion personnelle, puisqu’on y

entre par le baptême, que les convertis viennent à la

fois des Juifs, des Grecs et des Romains, voire desEthiopiens, et que la foi se fonde sur une révélationhistorique et des témoignages, sans se confondreavec un héritage ancestral. Sa spécificité est decontester les frontières et faire tomber les murs deséparation“ et Paul en conclut que pour diffuserl’Évangile, il faut pouvoir et vouloir parler la languedes autres.

Dès la fin du 1er siècle, la réflexion théologiqueaffirmait que les chrétiens doivent travailler ausalut du monde car ils sont responsables de

son devenir. Aujourd’hui, Régis Debray exprime ainsison point de vue extérieur : “J’aime ‘l‘énergétique’chrétienne, la posture d’engagement. La force denotre Dieu unique, c’est d’être un Dieu intervention-niste, qui crée le monde et ne cesse pas de travaillerensuite. Dieu ne chôme jamais. Il pousse les hommesà prendre en main leur destin”.

Créer, écouter dans une société où tout s’exhibesous prétexte d’affirmer son identité, où la visi-bilité est parfois en contradiction avec une au-

thentique présence. Pour ce programme, je reprendsà mon compte l’aspiration de Philippe Leroux à “êtreplus levain dans la pâte que cerise sur le gâteau3 :l’enfouissement, l’obligation de réserve dans notreécole publique protègent des proclamations, des dis-cours, des slogans, souvent réducteurs et pas tou-jours entendus comme il convient. Ils poussent laparole à s’incarner et la foi à s’enraciner, en une re-cherche permanente pour nourrir toute la vie, dansle plus humble quotidien. Ils constituent un excellentrempart contre le pharisaïsme ; ils poussent à faired’abord, et éventuellement, à dire ensuite les raisonsprofondes d’une attitude, d’une ligne de conduite,d’une espérance”.

Bon travail dans l’avancée du monde, et bon cou-rage à tous…

Mireille Nicaultfin août 2009

1/ Article paru le 3 avril 2009 dans La Croix2/ propos repris d’un article de Pierre-Jean Labarrière dansTrajets n° 4, Juillet 20063/ il y a 3 ans dans le même dossier

Éditorial

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“Les chrétiens ne se distinguent pas des autreshommes, ni par le pays ni par le langage ni par lescoutumes... ils se conforment aux usages locauxpour le vêtement et le reste de l’existence, tout enmanifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur manière de vivre”. Ces expres-sions bien connues d’un chrétien du deuxième siècle(“Lettre à Diognète”) ont une valeur permanente. Leschrétiens sont “dans le monde sans être du monde”(cf Jn 17, 11-15). Tout ce qui se passe dans le mondeles concerne, et ils y apportent leur note propre, quipeut être différente. Mais les grandes valeurs humaines sont bien leurs, comme le disait déjà SaintPaul : “Tout ce qu’il y a de vrai, tout ce qui est nobleet juste, pur, digne d’être aimé, d’être honoré, ce quis’appelle vertu, ce qui mérite éloge, tout cela portez-le à votre actif” (Ph 4,8).

C’est à la lumière de ces affirmations que je vou-drais porter un regard sur l’encyclique “sur le déve-loppement humain intégral dans la clarté et la vérité”que Benoît XVI a adressé cette année à “tous leshommes de bonne volonté”.

Prenant explicitement la suite de Populorum pro-gressio de Paul VI (1967), il constate que le monde aconsidérablement évolué depuis quarante ans. S’ap-puyant visiblement sur une équipe de personnes trèsinformées et compétentes, il passe en revue tous lesdomaines de l’activité humaine, affirmant que “lesgrandes nouveautés que le domaine du développe-ment des peuples présente aujourd’hui appellentdans de nombreux cas des solutions neuves” (§32)et il indique dans ces différents domaines les lignesdirectrices d’une avancée vers un monde vraimenthumain tel que l’Église catholique le conçoit.

Il ne s’agit pas ici de rendre compte des réponsesproposées aux différentes questions d’aujourd’hui etmoins encore de porter un jugement sur ces ré-ponses, mais il m’a semblé relever dans ce long texteune tension sous-jacente, nulle part explicitement for-mulée, entre deux conceptions du rôle de l’Eglisedans notre monde.

C’est à cela que je m’attaquerai maintenant.

Sur un premier aspect, la réflexion du Pape - adres-sée, rappelons-le, à “tous les hommes de bonne volonté” - se situe dans le cadre d’un humanisme

partagé par “des hommes droits, fortement inter -pellés dans leur conscience par le souci du bien com-mun” (§71). “On doit... s’inscrire dans la continuitéde l’effort anonyme de tant de personnes fortementengagées... Parmi ces personnes, se trouvent aussides chrétiens” (§72).

Des développements de plusieurs pages se pré-sentent sans référence chrétienne explicite “De mul-tiples et singulières convergences éthiques setrouvent dans toutes les cultures” (§59). Il faut “en-courager la collaboration fraternelle entre croyantset incroyants dans leur commune intention de tra-vailler pour la justice et pour la paix” (§57). Car detelles convergences “sont l’expression de la mêmenature humaine, voulue par le Créateur et que la sagesse éthique de l’humanité appelle la loi natu-relle” (§59).

Mais en d’autres passages, la référence religieuseest affirmée comme essentielle : “La vérité etl’amour... ne peuvent être fabriqués. Ils peuvent seu-lement être accueillis. Leur source ultime n’est pas nine peut être l’homme, mais Dieu... Ce principe esttrès important pour la société” (§52). “La raison sansla foi est destinée à se perdre dans l’illusion de satoute puissance” (§74). “Sans Dieu, l’homme ne saitoù aller et ne peut même pas comprendre qui il est”.

“L’humanisme qui exclut Dieu est un humanismeinhumain” (Conclusion). Il en résulte que la religiondoit avoir sa place reconnue : “La religion chrétienneet les autres religions peuvent apporter leur contri-bution au développement seulement si Dieu a saplace dans la sphère publique, et cela concerne lesdimensions culturelle, sociale, économique et parti-culièrement politique” (§56).

Ai-je tort de percevoir ici deux cohérences diffé-rentes ?

Dans la logique de cette laïcité à laquelle noussommes viscéralement attachés, la première rejointnotre sensibilité.

Mais ne devrions-nous pas nous efforcer de dé-couvrir l’apport de la seconde et de l’intégrer ?

Claude Wiéner

Chrétiens dans notre monde

4 Lignes de crêtes 2009 - 4

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Délégués de “Chrétiens dans l’Enseignement Public“ (CdEP), réunis à Issy-les-Moulineaux, nous nous sentons solidaires de nos collègues enseignants de tousniveaux, de la maternelle à l’université, qui souffrent actuellement dans l’exer-cice de leur métier :

Enseignants qui se heurtent à la difficulté de transmettre dans uneÉcole reflet d’une société dont les repères sont bouleversés,

Enseignants qui attendent vainement de l’institution un soutien et une or-ganisation adaptée aux besoins des élèves et des étudiants.

Ces collègues, de surcroît, ont le sentiment que les réformes mises en placeou en projet, non concertées, heurtent leurs conceptions éducatives, leur déon-tologie et leurs valeurs humanistes. Face à ce déni, ils déplorent de devoir dé-penser tant d’énergie pour des avancées insignifiantes.

Désireux de construire l’École de demain, nous voyons avec espérance ceuxqui agissent sans relâche pour que, malgré toutes les difficultés, les plus dé-munis trouvent leur dignité.

Nous soutenons et rejoignons ceux qui, dans ce but, osent poser des actesexigeants et risqués.

Notre foi en Jésus-Christ nous rend attentifs à ce malaise, nous engage à agirlà où nous sommes, à prendre nos responsabilités d’acteurs impliqués et à témoigner ainsi de l’espérance qui nous anime.

Le 25/08/2009

Métier

Lignes de crêtes 2009 - 4

La rubrique “Métier” de ce dossier s’intérese d’abord à la présentation du fait religieux dans l’édu-catif, dans les manuels scolaires et à l’IUFM. Après, une réflexion sur le lien entre engagement dansl’École, Edmond Vandermeersch nous permettra d’approfondir la notion de laïcité toujours fonda-mentale aujourd’hui.

Une bonne trentaine de membres de l’association s’est retrouvée fin août à Issy-les-Moulineaux. Face aumalaise ambiant dans l’Éducation Nationale, ressenti dans les différentes régions, il leur a semblé utile derédiger et diffuser largement le texte suivant qui a été envoyé à différents journaux.

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Certes, si l’on étudie la Méditer-ranée au XIIe siècle en cours d’his-toire ou Les Pensées de Pascal enFrançais, il est clair que va se trou-ver convoqué “l’enseignement dufait religieux“ comme on a cou-tume de dire depuis le rapport deRégis Debray en mars 2002, véri-table nouvel acte fondateur en cedomaine.

Ces évidences servent d’ailleursà beaucoup de collègues pour direqu’il n’y a pas de problèmes avecles questions religieuses inscritesdans leurs programmes : ils lesont toujours traitées… Pourtant,quand on a dit cela, on est trèsloin du compte, car les questionsne sont même pas posées : qu’en-seigne-t-on ? Avec quelle posture ?Quels objectifs ? En prenant encompte quels pré-acquis chez lesélèves ?

Aussi est-il utile mais pas suffi-sant que le “Socle commun desconnaissances et des compé-tences” et des compétences (juillet2006) présente l’enseignement dufait religieux dans le pilier 5 :

C’est qu’en matière de religionson est vite conduit bien au-delàdes évidences simplistes du pre-mier abord.

Enseigner les faitsreligieux, c’est

bien plus qu’unesimple information

sur les religions

L’enseignement du fait religieuxse soucie d’abord d’une transmis-sion de savoirs, “savoirs sur lescroyances”. Mais même sur desthématiques très clairement reli-gieuses, l’enseignement n’est passimple.

La difficulté peut venir du faitque le religieux est implicite etmême détourné. Implicite commeen littérature et surtout en poésie.Pensons à Baudelaire, à PhilippeJaccottet, voire, en creux, à Pré-vert. Mais également détournécomme on l‘observe dans un ma-

nuel d’histoire1. Sur des af-fiches de propagande nazie, onvoit le Führer, en gros plan, fron-talement, avec à la main un

étendard dressé semblable à celuides représentations tradition-nelles de la résurrection de Jésus,sur fond de soleil rayonnant avecen son centre l’aigle impérialqu’on prend immanquablementpour la colombe de l’Esprit Saint…Question : tous les enseignants yvoient-ils le détournement mani-feste de l’iconographie tradition-nelle chrétienne ? Lesquels y fontréférence dans leurs cours… de-vant des élèves qui sans doute,pour la plupart, ne reconnaissentpas l’allusion à la Résurrection deJésus, ni ce que celle-ci signifie ?Comment les manuels en traitent-ils… ou plus probablement l’occul-tent-ils, comme c’est le cas pour lemanuel cité en exemple ?

Mais la difficulté est égalementd’une autre nature. Si, par exem-ple, j’ai étudié le jeûne de Kippouret énoncé quelques rites, est-cesuffisant pour comprendre le faitreligieux que constitue cette fêtejuive ? Si un manuel déploie lescinq piliers de l’islam et men-tionne le jeûne du Ramadan et lafête nocturne de sa rupture, a-t-ilvraiment fait entrer dans la com-préhension de la religion musul-mane, puisque ce mot figure dansles programmes ? Décidément,l’enseignant dans son cours nesaurait en rester à une simple in-formation objectivante : le fait reli-gieux est moins de l’ordre dusavoir que de celui de l’expérience,du vécu. Pas plus qu’une musiqueou un poème, on ne saurait ré-duire le fait religieux et son ensei-gnement à un savoir objectif àtransmettre comme “2 + 2 = 4“…En un sens, le religieux, cela nes’apprend pas d’abord comme unsavoir abstrait, cela s’éprouve.

Le fait religieux dans tous ses états :

Métier

6 Lignes de crêtes 2009 - 4

Attention aux programmes scolaires et aux manuels

Les élèves doivent (...) avoir desrepères historiques (…) permet-tant (…) de mettre en relation lesfaits politiques, économiques, so-ciaux, culturels, religieux, scienti-fiques et techniques, littéraires etartistiques…

comprendre l’unité et la com-plexité du monde par une pre-mière approche (…) du faitreligieux en France, en Europe etdans le monde en prenant notam-ment appui sur les textes fonda-teurs (en particulier des extraitsde la Bible et du Coran) dans unesprit de laïcité respectueux desconsciences et des convictions.

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À l’école, on est mis en capacité dese l’approprier intellectuellement,même s’il s’agit de la religion d’unautre ou d’une autre époque.

Une collègue irako-belge et chré-tienne a posé la question qui vientà point ici : Est-il possible de res-pecter l’autre différent si l’on n’en-tre pas un minimum dans leressenti de son expérience ? Il y aun véritable enjeu citoyen à affir-mer qu’enseigner les questions re-ligieuses, ce n’est donc passeulement informer, mais aussiéduquer, voire animer pour aiderle jeune à entrer dans la compré-hension de ce que vit l’autre enface de lui.

Sans prétendre à l’exhaustivitébien sûr, on retiendra ici quatreaxes de cette dimension éducativede “l’enseignement du religieux”,comme dit Régis Debray.

Éduquer aux différents statutsdu vrai. Le vrai dans les sciencesn’est pas le vrai en littérature… Lavérité de la raison n’est pas néces-sairement celle du vécu et récipro-quement. Une réflexion s’impose,même encore au lycée sur histoireet tradition. Raison, vécu, foi,beauté… il y a bien des visages dif-férents du vrai, cela n’a rien denouveau de le dire, mais il y a uneurgence nouvelle aujourd’hui :beaucoup de jeunes qui préten-dent refuser toute forme de reli-gieux “parce que ce n’est passcientifique” ne sont-ils pas prêtsà prendre un récit fantastique oudes esprits pour la réalité ?

Éduquer au langage symbo-lique qui est un des regards del’homme sur ce qui l’entoure etsur lui-même où travaille particu-lièrement la dimension religieuse.

Éduquer à la beauté, à l’émer-veillement et à la relecture de cesexpériences.

Éduquer à la complexité dumonde et de l’humain et donc àl’esprit critique et au questionne-ment.

Il convient également, comme lesuggère Evelyne Martini2, de s’in-terroger au sein de chaque disci-pline sur les rapports qu’elleentretient intrinsèquement avec lereligieux. Intuitivement, par exem-ple, on voit en Français (ou enlangues) les rapports entre l’actede lire en public -voire de réciter-et le religieux : récitation du Coran,lecture de la Torah, proclamationde l’Évangile… S’exercer à la re-lecture d’une activité, en EPS parexemple, peut permettre de fairel’expérience de cette pratique quel’on rencontre par ailleurs dans lesreligions (et bien sûr sans qu’il soitquestion de faire le rapproche-ment auprès des élèves !).

Comme le fait observer EvelyneMartini il y a lieu “d’examiner com-ment la dimension religieuse tra-vaille tel ou tel champ du savoir etcomment (…) le regard porté danstelle ou telle discipline éclaire au-trement notre connaissance dufait religieux”.

On mesure sans doute, à cestade, l’ampleur du travail àmener sur les disciplines scolaireset sur les programmes si l’on veutprendre en compte la dimensionreligieuse de l’homme.

Veiller sur lesmanuels

Dans le domaine du religieux,les éditeurs de manuels scolairesse trouvent confrontés à une si-tuation à bien des égards nou-velle, on le sait : déclin del’expérience du religieux chez leschrétiens, connaissances vagues

et dont le contenu tend à régres-ser à celui de l’époque desgrands-parents. Présence d’unislam multiple et souvent aussitrès peu informé de sa tradition.La mondialisation et ses consé-quences. Le changement inéluc-table aussi dans la conceptionmême de la laïcité, comme le sou-ligne le rapport Debray…

Notre propos ici n’est pas d’ana-lyser tout cela, mais d’attirer l’at-tention sur les conséquences decette situation et sur les enjeuxd’un traitement adapté des faitsreligieux dans les manuels.

Au stade où nous en sommes,on ne peut là aussi qu’ouvrirquelques pistes.

Les erreursgrossières

La première d’entre ellesconsiste certes à éviter les er-reurs grossières, parfois davan-tage évidentes pour les élèves quepour les enseignants. Ainsi puis-jeévoquer le souvenir d’un groupede professeurs au cours d’une uni-versité d’automne à Guebwillerdans le Haut-Rhin3 : tout le mondeséchait sur un manuel d’histoirede 5e dont la présentation de l’is-lam ne paraissait pas appelerd’amples commentaires, jusqu’àce que l’animatrice de l’atelierfasse observer que les citationsen arabe étaient écrites… à l’en-vers, ce qu’aucun professeur pré-sent n’était à même deremarquer… mais qui n’aurait paséchappé à la sagacité de jeunesélèves musulmans. On entrevoitl’autorité de l’enseignant s’ils’était agi d’une classe de 1e bacpro avec une proportion significa-tive d’élèves musulmans.

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Attention auxmodalités del’expression

Un autre élément simple, mais àvérifier dans les manuels, est deveiller au point de vue adopté, auxmodalités d’expression comme di-sent les enseignants en français.

A titre d’exemple, rapportons undialogue récent et réel, dans uneclasse de 1e d’un établissementcatholique. Dans un cours sur Jérusalem, une élève parle duvoyage nocturne du prophète, unélément clé de l’attachement del’islam à cette ville :

“Le prophète se serait élevé versle ciel depuis le mont Moriah à Jérusalem.

Pourquoi ce conditionnel, inter-rompt le professeur, qu’est-ce quivous permet de mettre cela endoute ?

Excusez-moi, Monsieur…c’est delà que le prophète s’est élevé…

Vous passez à l’indicatif, aumode du réel, voilà que mainte-nant vous témoignez pour l’is-lam ?”

C’était l’occasion rêvée d’entrerdans une forme utile d’éducationcitoyenne en manifestant la dis-tance laïque, nécessaire aussi ausavant pour qui il convient dedire : “Selon la tradition musul-mane, le prophète est monté…”

Omission ouoccultation

De brefs sondages, certes in-suffisants pour en tirer desconclusions, laissent apparaîtrequ’au moins jusqu’à une période

récente, c’est l’omission ou l’oc-cultation de la dimension reli-gieuse qui domine dans lesmanuels scolaires.

Pointons ici trois exemples, l’unen mathématiques, l’autre enfrançais et pour finir, en histoire,l’incontournable affiche des droitsde l’homme en 1789.

Retenons d’abord la présenta-tion de Pythagore dans un ma-nuel4 de mathématiques de 4e. Ony cherchera en vain la moindre al-lusion au fait religieux . Or peut-onséparer son travail en mathéma-tiques de la quête de vérité méta-physique qui l’habitait, ainsi queses disciples ? Et peut-on passersous silence, justement, sa viecommunautaire quasi monas-tique ? Peut-on d’ailleurs, en Occi-dent, jusqu’à Newton, séparermathématiques et religion ?

On relèvera d’autre part en Fran-çais, dans un manuel de 5e 5, unemagnifique représentation de LaVierge au chancelier Rolin, célè-bre tableau de Jan Van Eyck. Maisl’étude de l’image qui est propo-sée s’avère exclusivement tech-nique : angles de vue, différentsplans, perspective. Quant au texteen regard, il n’offre que trois lignesdescriptives pour traiter de la di-mension religieuse du tableau,l’insistance étant mise sur laprouesse de l’artiste qui a mis tantde choses dans “Un si petit es-pace” (titre du texte p. 109). Pour-tant, expérimenté dans une classeavec une minorité significatived’élèves musulmans, il a permisdans un cours de Français de 4e

une étude comparée fort intéres-sante de la prière chrétienne et dela prière musulmane, dont on re-lèvera à titre d’exemple la mise en

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évidence d’un point communentre les deux confessions : l’alté-rité fondamentale du monde divin,matérialisée sur le tableau par laligne continue de carrelage au solqui sépare l’univers du chancelierde celui de Marie et de son Fils.

Pour terminer, nous voudrionsattirer l’attention sur le traitementde la célèbre affiche des droits del’homme, qui figure dans tous lesmanuels d’histoire de secondeque nous avons consultés. On latrouve aussi dès le 1er degré.

Ne parlons ici que du versanticonographique de cette affiche :comment ne pas y relever déjà ladisposition qui évoque les tablesde la Loi ?

De façon plus pointue, et pours’en arrêter là, comment interpré-ter l’œil rayonnant inscrit dans untriangle ? L’édition 2005 du livrede Nathan y voit encore l’Etre su-prême. L’édition 2006 ne voit plusdans le triangle que l’égalité etdans l’œil que la raison et la vigi-lance : on y a effacé toute réfé-rence possible au divin. Nousn’avons trouvé nulle part la sug-gestion qu’il pourrait s’agir d’uncompromis entre un symbole ma-çonnique évident et une repré-sentation de la Trinité qu’on trouvepar exemple au fronton deséglises…

Quant à l’idée d’un fondementtranscendantal à la loi, si elle estdifficile peut-être pour des lycéensd’aujourd’hui, n’est-elle pas es-sentielle pourtant à repérer ?

Au terme de ce rapide parcours,on perçoit l’ampleur du travail àmener : d’abord la lecture desprogrammes et de leur dimensionéducative dans ce domaine desfaits religieux. Il s’agit ensuite d’yrendre sensibles de nombreux col-lègues que leur formation n’a paspréparés à traiter de cet aspect deleurs programmes.

Quant aux manuels, on mesureles enjeux de la veille à instaurer :analyse critique, commentaires,compléments à proposer, la tâcheest immense !… à commencer pardes réseaux d’observation et departage à instituer.

C’est ce qui nous a incités à fon-der dans l’enseignement catho-lique un Observatoire desProgrammes et des Manuels. Rat-taché au Secrétariat Général parle biais de la Mission nationale En-seignement et Religions que dirigeM. René Nouailhat, ce groupe enest à ses tout débuts. Mais il estfort de ses convictions : il ne s’agitpas seulement d’éviter la “rupturedes chaînons de la mémoire na-tionale et européenne” et “l’affa-dissement du quotidien” dont

parle Régis Debray au début deson rapport. Les objectifs dépas-sent aussi ceux qu’on fixe entermes d’affermissement du liensocial.

L’enseignement des faits reli-gieux est un élément constitutifde l’éducation de la personne :“Donner aux jeunes les moyens dese construire“ disait Gérald Chaix,ancien recteur de l’académie deStrasbourg6.

Pierre DUSSERE,Enseignant en lettres,

Coordinateur de l’Observatoiredes Programmes et des

Manuels pour la “MissionEnseignement et religions“

dans l’enseignement catholique

1/ Hatier 3e, édition 20032/ Evelyne Martini Le fait religieuxdans le champ littéraire, Revue del’Association française des Ensei-gnants de Français, n°3236, décem-bre 20063/ 27 au 30 octobre 2003, cette ses-sion a donné lieu à publication, sousla Direction de Jean Marie HUSSER,dans Les Actes de la DESCO, CRDPde Versailles, mai 20044/ In Manuel de mathématiques 4° Ha-chette éducation coll. Phare (p. 218)5/ Hachette Éducation, texto collège5e, 2001, pages 108-110. Sur le tra-vail possible en classe de Françaisavec ce tableau, voir le site Formiris,enseignement et religions .org6/ Pour conclure une réunion auCRDP de Strasbourg, mai 2005

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Pour la troisième année consé-cutive, j’ai animé au printempsdernier, en collaboration avec uncollègue d’histoire, un stage surce thème dans le cadre du PlanAcadémique de Formation del’Académie de Rouen.

L’étude de textes bibliques enclasse est en effet imposée par lesprogrammes : lecture des textesfondateurs en classe de françaisde 6e et cours d’histoire de 2e surles racines de la civilisation euro-péenne. Et, au-delà, il s’agit d’unenécessité culturelle évidente : quepeut-on comprendre à la visited’une cathédrale, à telle ou telleœuvre picturale (une annoncia-tion, une crucifixion), musicale(une messe ou un choral deBach), littéraire (Les Pensées dePascal mais aussi La Chute deCamus), voire cinématographique(Je vous salue Marie de Jean-LucGodard) sans un minimum de cul-ture biblique ? De plus le tissumême de notre langue est impré-gné de mots et expressions bi-bliques : “la manne”, “la paille etla poutre“, “les premiers seront lesderniers“. Enfin lire la Bible parti-cipe de cette entreprise éminem-ment laïque, dans un monde quis’interroge sur le fait religieux :connaître pour comprendre.

Notre objectif est double : mon-trer que la Bible est justiciable dela même approche que tout autretexte littéraire, qu’on peut en faireune lecture laïque sans pour au-tant sombrer dans l’apologétiqueou la propagande antireligieuse ;fournir l’arrière-plan historique in-dispensable à la compréhensiondu texte biblique.

Nous avons choisi de fonction-ner sur une journée, en duo : un

professeur de lettres (moi-mêmeen l’occurrence) et un professeurd’histoire, amenés tous deux parnos travaux universitaires de doc-torat à nous intéresser de près autexte biblique et aux mondes juifet chrétien. La matinée est consa-crée à la Bible hébraïque ou An-cien Testament, l’après-midi auNouveau Testament. On com-mence à chaque fois par l’étuded’un texte. Pour l’Ancien Testa-ment je propose une lecture dupassage de la mer Rouge (Exode13, 17-14, 31), que j’analyse commeun récit ordinaire, à l’aide des ou-tils structuraux, qui fonctionnentparticulièrement bien dans cecas : relevé des forces agissantes(sujet et objet de la quête, adju-vants et opposants) et essai d’in-terprétation, où l’on voit que gloirede Dieu et libération du peuple serejoignent et que la quête de li-berté est inséparable de la consti-tution du peuple d’Israël dans sonunité par l’action salvatrice deDieu. Ensuite l’historien fournitdes précisions sur le contexte his-torique et l’histoire du texte bi-blique en général. L’après-midi estorganisé selon le même schéma :d’abord lecture d’un texte (cetteannée, lecture synoptique de laparabole du semeur avec relevécommenté des comparants etcomparés) puis approche histo-rique du personnage de Jésus etdu texte du Nouveau Testament.

La répartition des tâches entrehistorien et littéraire n’interdit pasà chacun d’intervenir à sa guisedans la partie plus spécialementconfiée à l’autre : ce dialogue,aussi libre qu’enrichissant pourles formateurs, semble égale-ment très apprécié des stagiairesqui ne se privent pas d’interroger

voire de contester ce que nous af-firmons. L’échange se révèle ainsid’une grande richesse, certainsfaisant part au groupe de leurs dif-ficultés pour aborder devant leursélèves des questions qui restentbrûlantes. Les réactions recueil-lies à la fin du stage sont généra-lement favorables. Une formationconsacrée à la culture religieuse(en l’occurrence biblique) apparaîtcomme bienvenue, car l’ignoranceest grande en ce domaine, et onnous remercie en particulier defournir outils et points de repère

.

Jean-Louis GourdainSeine Maritime

Bibliographie sommaireLa TOB (Traduction Œcuménique dela Bible) et la Bible de Jérusalem res-tent les éditions françaises les plususitées et fournissent, dans leurs ver-sions intégrales, de bonnes introduc-tions.

Finkelstein et Silberman, La Bible dévoilée. Les nouvelles révélations del’archéologie, Bayard, Paris, 2002.(Réédition Folio Histoire n° 127). (Unouvrage décapant qu’il faut savoirconsidérer avec esprit critique).

M. Quesnel, Jésus, l’homme et le Filsde Dieu, Flammarion, 2004 (une réédition augmentée du petit ouvrageparu initialement dans la collection“Dominos” fournit une distinctionclaire entre le Jésus de l’histoire et leChrist de la foi)

Dictionnaire culturel de la Bible,Cerf/Nathan 1990 (une mine de ren-seignements avec mention d’œuvress’inspirant de la Bible).

J. Grand et L. Mellerin, L’Homme et ledivin. Aborder les religions par lestextes, CRDP de Besançon/ Descléede Brouwer, 2001 (sur chacune desgrandes religions, des mises au pointet des textes).

Lire des textes bibliques en classe

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La laïcité française se présentesous deux aspects différents dansleur nature et dans leurs impactssur la société.

La laïcité est essentiellement unprincipe juridique, inscrit dans laConstitution qui sépare les Égliseset le pouvoir politique et qui, cen’est pas la même chose, a ôtéaux religions un statut spécifiquedans la vie et l’espace public.Croyance, pratique et apparte-nance religieuses appartiennent àla sphère privée, ressortissant dela liberté individuelle, la liberté deconscience, qui est ainsi élevée auniveau du sacré. Le mot n’est pastrop fort tant il caractérise lesréactions du droit et de l’opiniondès que semble apparaître une at-teinte à cette liberté. Les grandeslois laïques font obligation à l’Étatrépublicain de protéger la libertéde conscience et de pratiques cul-tuelles avec autant d’insistanceque de respecter le caractèreprivé de ce droit. Ce qui n’interditpas que le droit individuel à la li-berté de conscience et de cultes’exprime publiquement, c’est-à-dire dans l’espace public. Pour évi-ter l’ambiguïté du terme public quiqualifie tantôt une réalité juri-dique, l’appartenance à une struc-ture définie - on parle des

“pouvoirs publics” - tantôt deslieux ouverts à la rencontre et à laconfrontation des individus sansautre règle que celles qui naissentspontanément de ces rencontreset de ces confrontations. On parleainsi de l’opinion publique, de l’es-pace public ou, substantivement,du “public” qui se presse à telspectacle ou à telle manifestation.

Les lois laïques ont dénié aux re-ligions leur statut “public” au pre-mier sens du terme mais ellesn’ont ni voulu ni pu leur interdirel’expression “publique” des actesde liberté individuelle. Dès lorsque celle-ci ne troublait pas “l’or-dre public“, notion qui est à l’in-terférence des deux sens analysésplus haut.

Cet ordre concerne l’espace pu-blic ouvert à tous et où, en raisonmême de cette qualité, personnene doit être gêné par d’autres.Ainsi de l’opinion publique : cha-cun peut y exprimer ses convic-tions, fussent-elles sacrilèges,sous réserve de ne pas violenterl’opinion d‘autrui. À la justice d’endébattre. On a vu ces principes àl’oeuvre à propos de la liberté dela presse dans l’affaire des cari-catures danoises de Mahomet. Ouencore dans le champ de la liberté

artistique à propos d’un clip deMadonna et, il y a quelques an-nées, du film de Jean-Luc Godard :Je vous salue Marie.

Le religieux, c’estprivé

Les lois laïques françaises dé-nient un statut public spécifiqueaux religions, ce qui serait recon-naître que des “croyances” peu-vent fonder des institutionsjuridiques spécifiques dans lechamp institutionnel.

Elles n’interdisent nullementaux “croyants” de se réunir et depratiquer leur “culte” dans l’es-pace public. Ces rassemblementsn’ont d’organisation légitime quesous le mode de l’association d’in-dividus. La loi de 1901 sur les as-sociations a préparé la loi de1905. Celle-ci mettait fin au statutconcordataire des Églises et duConsistoire* pour les contraindreà adopter un statut associatif. Lerefus et les résistances à la laïcitéinstitutionnelle définie par les loisde 1901 pour les congrégationsreligieuses, et celles de 1905 et1907 pour les paroisses et dio-cèses, se sont focalisés sur la di-mension associative imposée parla loi en contradiction avec lastructure hiérarchique qui, pourl’ecclésiologie catholique, estseule conforme à la révélation ;c’est la grâce, le don reçu de Dieuen Jésus-Christ qui constituel’Église.

Public et privé - Laïcité et religion1905 – 2008

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11Lignes de crêtes 2009 - 4

* Consistoire : institution fondéesous Napoléon chargée d'organi-ser le culte hébraïque dans lecadre d'une région

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Tout en restant intangible surcette position, théorique, l’Églisede France (catholique) n’a pas hé-sité à user du droit associatif pourse donner une existence publiqueet les droits qui vont avec.

Pour la vie des paroisses et lesdiocèses, l’affaire fut réglée en1924 quand le Conseil d’État re-connut conformes à la loi les sta-tuts des “associations” diosésai-nes élaborés en liaison avec lesautorités romaines pour sauve-garder la prééminence del’évêque dans la gestion de l’éco-nomie du culte.

Ces statuts recèlent une contra-diction apparente : la présidencey revient de droit à l‘évêque dulieu, mais cette disposition, qu’onpeut bien qualifier de hiérar-chique, ne déroge pas au statutassociatif puisqu’elle est acceptéeet reconnue par les associés dontle recrutement et l’adhésion sont,d’ailleurs, soigneusement contrô-lés par le président... Dans ce cas,le statut associatif “habille” desrelations qui sont en vérité hiérar-chiques. Pour le droit de la Répu-blique, le principe de laïcité étaitsauf. Dans la désignation de laprésidence, on ne faisait pas réfé-rence à une onction reçue d’un ail-leurs transcendant, mais à ladécision d’un groupe d’associés

acceptant librement le pacte so-cial inscrit dans les statuts de l’as-sociation.

Autrement dit, la réalité ecclé-siologique fondée sur la théologiecatholique était prise en comptepar l’État à travers les convictionsd’un certain nombre de citoyens.La médiation des individus croyantsest la clé des rapports entre la Répu-blique laïque et les religions. Celle-cine connaît pas les Églises et autres re-groupements en raison de leurs fon-

dements spirituels ou religieux,mais en tant qu’associations de ci-toyens porteurs de droits indivi-duels de pensée et d‘expressionde cette pensée. C’est au nom durespect radical de la liberté depensée que l’État républicain etl‘opinion laïque reconnaissent “lefait religieux” comme un élémentde la vie sociale, à partir de l’ob-servation de nature sociologiquedes comportements, et non parune quelconque reconnaissanceofficielle d’un principe ou d’unêtre transcendant.

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12 Lignes de crêtes 2009 - 4

L’Église Catholique et la laïcitédes institutions et de l’opinion sesont violemment opposés à cesujet au niveau des principes pen-dant quelque quarante années. En1946, l’épiscopat français a re-connu la légitimité du caractèrelaïque de la République qui estinscrit dans la Constitution de laIVe République. Au fil des années,l’opinion catholique s’est renducompte que cette laïcisation despouvoirs et des collectivités pu-

bliques n’était pastellement domma-geable à la vie desparoisses et desmouvements chré-tiens, dès lors queceux-ci, au nommême de la laïcité,respectaient la li-

berté de pensée et de culte etmême offraient aux citoyens lesmoyens concrets d’exercer cette li-berté. L’appropriation collective etl’entretien des édifices du cultenationalisés en 1905 ont pesé ence sens. Paroisses et diocèses ontexpérimenté qu’ils étaient plus li-bres de développer une pastoraledésintéressée à l’égard des per-sonnes, dès lors que la charge ma-térielle des immeubles du culteincombait aux collectivités pu-bliques. Certes cette responsabilitéa été plus d’une fois malmenée enraison de frictions ou de guérillasidéologiques ou de politique locale.Après un siècle de mise en œuvre,l’Église de France trouve le bilanglobalement positif alors que seseffectifs pratiquants et cotisants sesont sensiblement réduits.

Il faut en outre rappeler que laIVe République laïque a acceptéde subventionner les colonies devacances et les mouvements dejeunesse officiellement confes-sionnels, au titre de leurs activitéséducatives ou de loisirs qui, enelles-mêmes, ne sont pas de na-ture religieuse.

La médiation des individuscroyants est la clé des

rapports entre la Républiquelaïque et les religions.

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On perçoit là l’efficience du prin-cipe de laïcité qui dissocie publicet privé, en renvoyant à la sphèreindividuelle du privé tout ce qui estdu religieux pour gérer, contrôleret soutenir avec les moyens pu-blics ce qui est “public” parcequ’accessible à tous et sans lienintrinsèque avec une démarchereligieuse. La pédagogie des colo-nies de vacances est la mêmedans la colo de la paroisse et danscelle d’un comité d’entrepriseCGT. On peut dire la même chosedes activités culturelles ou huma-nitaires des mouvements de jeu-nesse catho ou de la Ligue del’Enseignement.

Un enseignementlaïque dans desécoles privées

Une distinction du même genrea permis d’apporter une réponseau lourd contentieux qui, mêmeaprès la Libération, opposait en-core l’Église et l’opinion catholiqueà la République et au mondelaïque.

Cette réponse est celle de la loiDebré du 31/12/1959, complé-tée et confirmée par les lois Joxeen 1984-1985. Depuis 1945 unebonne partie de l’opinion catho-lique et les évêques français ré-clamaient une aide financière del’État, un accès aux fonds publics,pour maintenir en activité lesécoles et établissements privésd’enseignement catholique quiscolarisaient alors entre 16 et18 % des effectifs de tous ni-veaux. Le cœur de leur argumen-tation reprenait les mots-phares,référentiels de la pensée laïque,dans une dialectique convain-cante : “Nous sommes des éta-

blissements privés mais nous yassurons une mission de servicepublic, à ce titre nous avons droità des fonds publics” .

Ce beau raisonnement n’auraitpas convaincu les politiques s’iln’avait pu s’appuyer sur descontraintes plus concrètes. À la findes années 50, l’explosion sco-laire et la demande de formationsecondaire essoufflaient tout lesystème de l’enseignement pu-blic, incapable de faire face à une

augmentation importante de lademande. C’était le moment où lepouvoir politique, empêtré dansl’affaire algérienne qui mettait encause une conception de la nationet de l’autorité de l’État républi-cain, ne pouvait s’aliéner une partimportant de l’opinion et des ré-gions très attachées aux écoles la-bellisées catholiques.

Liberté deconscience et

caractère propre

À cette époque - des débuts de laVe République - on observe ainsideux forces qui s’opposent en cher-chant à se saisir l’une l’autre. Leprivé réclame de l’argent public, lesdétenteurs de l’argent public - aunom du principe constitutionnel delaïcité - ne peuvent ni ne veulentsubventionner une activité privéede nature confessionnelle. En quoiils avaient parfaitement raison. Ladistinction qui fonde le conceptionlaïque de la société permit en1959 comme en 1905 une sortiede crise. La loi Debré, dans lesclasses sous contrat, dissocie l’en-seignement qui y est dispensé etl’environnement éducatif qui l’ac-compagne. L’enseignement, c’est-à-dire la transmission du savoir etdu savoir-faire est bien “laïcisé” ; iléchappe à l’influence, au contrôleet à une construction qui se vou-draient confessionnels puisque, autitre de l’article 4 de la loi, “Dansles classes sous contrat l’ensei-gnement est dispensé selon lesrègles et programmes de l’ensei-gnement public” et l’article 1 pré-cise “Tous les enfants y ont accès”.L’enseignement y est dispensé“dans le respect de la liberté deconscience et du caractère proprede l’établissement”.

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De longs débats furent suscitéspar ces oppositions entre carac-tère propre, liberté de conscience,enseignement ouvert à tous, dis-pensé selon les programmes etméthodes de l’éducation natio-nale, c’est-à-dire de l’enseigne-ment public. Cet enseignementpublic dont, pendant des décen-nies, les ultras de l’opinion catho-lique avaient dit le plus grand mal,puisque c’était un enseignement“neutre”, entendez sans référencereligieuse. L’histoire de la loi Debréet de sa mise en oeuvre manifes-tent ce long affrontement entreune conception traditionnelle del’enseignement catholique et la lo-gique des contrats qui permet laprise en charge financière par lespouvoirs publics de cet enseigne-ment. Les responsables catho-liques s’efforcèrent d’abord deprivilégier les contrats simples quimaintiennent l’activité ensei-gnante et les enseignants sousl’autorité privée. Puis, comme lescontrats d’association se faisaientde plus en plus nombreux, ils ob-tinrent, par la loi Guermeur en1977, un contrôle idéologique surle recrutement et la formation desenseignants contractuels. Ce dis-positif fut ruiné dans ses objectifspar l’arrêt du Conseil Constitution-nel de janvier 1985 qui définit lerespect du caractère propre del’établissement dans l’enseigne-ment comme “un devoir de ré-serve”, à l’instar de ce qui obligeles membres de la fonction pu-blique, et nullement comme uneexigence de collaboration active.Les accords Lang-Cloupet de1992, qui confient toute la forma-tion universitaire des futurs pro-fesseurs des établissementscatholiques aux UIFM publics, ontachevé cette évolution. Seule laformation pédagogique et lesstages qui la soutiennent demeu-rent une organisation privée inspi-rée par le caractère propre.

Ainsi, quelque quarante ansaprès le vote de la loi qui a sauve-gardé les établissements catho-liques d’enseignement grâce auxfonds publics, les contenus et mé-thodes d’enseignement sont glo-balement identiques dans lepublic et dans le privé. Les res-ponsables catholiques, par la lo-gique institutionnelle des contrats,ont été amenés à renoncer à ceque la déclaration épiscopale de1969 définissait comme l’apportoriginal de l’école catholique, “lierdans le même temps et le mêmeacte l’acquisition du savoir, la for-mation de la liberté, l’éducationde la foi”. Ce troisième termeéchappe donc à l’unité de l’acted’enseigner dans les classes souscontrats. Par contre, la secondepartie de la définition de l’écolecatholique “elle propose la décou-verte du monde et le sens del’existence”, reste pertinentepuisqu’il s’agit de “proposer” etque cette proposition que l’onpourrait bien qualifier d’évangé-lique n’est pas liée à l’acte d’en-seigner ni au temps de la classemais trouve à s’exercer à d’autresmoments de la vie scolaire, ce quia été explicitement prévu par letexte de la loi Debré, c’est-à-direcomme une offre laissée à la li-berté des parents et des élèves et,d’ailleurs, financée par les cotisa-tions des familles.

Ainsi apparaît que lesconfrontations entre lalaïcité, même et surtoutquand elle est incarnéedans des institutions etles pouvoirs publics, etla religion catholique,elle aussi incarnée dansdes institutions, abou-tissent à des reconfigu-rations significatives. Cequi prend la forme d’unface à face, parfoisd’une opposition etd’une lutte impitoyable,

évolue ensuite vers un nouveautype de coexistence ; on seraittenté de parler de partenariat,tant les deux mondes, loin de per-dre leur identité et le noyau dur deleur influence dans le champ so-cial, parviennent à vivre ensembleet finalement à travailler le champsocial, chacun à sa manière.

L’individualismetriomphant

La distinction privé/public et lerespect absolu de la liberté deconscience et de culte fonction-nent parfaitement pour conformerles religions et la laïcité à l’évolu-tion des mentalités et de l’espritpublic.

Dans le monde occidental, toutspécialement en France, cetteévolution se traduit par une affir-mation généralisée de l’individua-lisme et des droits attachés auxindividus. La structuration de lasociété s’opère par le rassemble-ment de volontés et de projets in-dividuels qui s’unissent dans desconditions et pour une durée défi-nies par eux. C’est bien le principedu “contrat social” qui configure lavie collective en politique, dans lavie économique et pour l’anima-tion de l’espace public ainsi quepour l’exercice des activités reli-

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14 Lignes de crêtes 2009 - 4

le principe du “contratsocial“ configure la viecollective en politique,dans la vie économiqueet pour l’animation de

l’espace public ainsi quepour l’exercice desactivités religieuses

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gieuses. La multiplicité et l’asso-ciation des droits et des volontés(convictions) privés y sont seuls re-cevables comme structures pu-bliques. C’est le fondement mêmede la laïcité. Elle récuse toute ré-férence transcendante s’imposantpar elle-même mais elle prend encompte “le fait religieux” commeréalité sociale, à savoir que des in-dividus, par une décision deconsciences libres, affirment ap-partenir à tel ou tel groupe reli-gieux et partager les “croyances”de ce groupe. Comme le souhai-tait Jaurès, c’est l’application duprincipe républicain aux institu-tions ecclésiastiques. La recon-naissance publique des religionsn’est recevable qu’à travers la jux-taposition et l’addition des convic-tions et des pratiques indivi-duelles privées. C’est la logique de“contrat social” appliquée aux re-ligions dans leur existence et re-présentation publiques.

L’Église s’était accommodée dela forme association imposée parles lois laïques à la gestion de lavie économique et des activitéssociales ou pastorales indispen-sables à l’exercice de sa mission.Elle y maintenait son autorité mo-rale, de nature hiérarchique, par lebiais d’une forme de clauses deconscience inversée. Le label “ca-tholique” appartient à l’Églisecomme tel ; une association nepeut porter cette étiquette que sielle se conforme aux normes édic-tées par l’instance détentrice dulabel, à savoir la hiérarchie catho-lique. Cette clause est juridique-ment reconnues dans le statutd’AEP (Associations d’éducationpopulaire), support légal desécoles privées catholiques. Uneclause de même nature est partieintégrante des contrats de travaildes laïcs en mission pastorale.

Concile et libertéde conscience

Ce qui a été pendant 60 ansune concession empirique à l’airdu temps a été intégré à laconception même de l’acte de re-ligion par le Concile de Vatican II.La constitution conciliaire sur la li-berté religieuse a reconnu seulevalable par la doctrine catholiquel’adhésion à une religion indemnede toute pression physique, psy-chologique, morale ou sociale.C’était, en d’autres termes, validerdu point de vue chrétien, le res-pect de la liberté de conscience in-dividuelle qui est au cœur de lalaïcité.

Les opposants au Concile ne s’ysont pas trompés. Il est significa-tif que l’opposition la plus résoluesoit née en France et qu’elle aitabouti au schisme de Monsei-gneur Lefebvre. Les lefebvristessont plus connus pour réclamer lemaintien des formes de liturgieanciennes, le latin et les célébra-tions où le prêtre se tourne versDieu plutôt que vers le peuple ;néanmoins, leur principal re-proche à la doctrine conciliaireconcerne l’affirmation absolue dela liberté de conscience qui, àleurs yeux, ruine les droits de lavérité révélée dont le catholicismeest le dépositaire et le gérant.Sans appartenir à ce courant

schismatique, on assiste depuispeu dans certains diocèses fran-çais à une critique radicale descontrats, précisément parce queceux-ci interdisent d’imprégnerl’enseignement scolaire de réfé-rences religieuses et de faire decelui-ci un tremplin de la caté-chèse. Monseigneur Cattenoz (Avi-gnon), soutenu dit-il par plusieursde ses collègues, stigmatise cette“neutralité” religieuse et réclametantôt une renégociation descontrats, tantôt le développementd’établissements catholiques horscontrat. Ces critiques d’une frac-tion limitée de l’opinion catholiquedémontrent a contrario que la loiDebré a opéré ce qu’il faut biennommer une “laïcisation” des sa-voirs qui, dans les écoles catho-liques sous contrat, fait de lacatéchèse une “proposition” de lafoi à des consciences libres, res-sortissant donc du domaine duprivé personnel ou familial, for-mellement distinct de l’activité pu-blique d’enseignement.

Ainsi, la logique des contratsd’une part et le décret conciliairesur la liberté religieuse d’autrepart, expriment chacun à leur ma-nière l’interpénétration réciproquede la logique de la laïcité et de lapermanence dans l’espace publicd’une vie religieuse, certes réduitedans son extension, mais d’autantplus vigoureuse quelle est vécuepersonnellement, privément.

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15Lignes de crêtes 2009 - 4

La suite de cet articlesera publiée dans leprochain numéro (5)

Edmond Vandermeersch24 octobre 2008

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Gabriel Rosset, homme d’uneexceptionnelle envergure a étémarqué par la rencontre de Mar-cel Légaut. Le groupe Marcel Lé-gaut dans les années 1923/1932est à l’origine de ce que G. Rossetlui-même a appelé sa conversion.

Sans bruit de paroles...Que des hommes seuls ne gè-

lent pas dehors les nuits d’hiver etque des familles ne croupissentpas avec leurs enfants dans lesimmondices d’un bidonville étaitdevenu, pour nous, une sorted’absolu. En lui obéissant, nous al-lions retrouver un peu de l’enthou-siasme que nous avions perdu aulycée. Il nous fallait désormais ensei-gner sans bruit de paroles, par desactes, dans la ligne de l’Évangile. Maisil n’était pas question pour autantd’abandonner l’enseignement. Nousne pouvions déserter le champ de ba-taille de l’école où se jouaient l’éduca-tion des enfants et l’avenir de lasociété. C’eût été lâcheté. [...]

Le foyer allait m’offrir chaquesoir une activité complémentairede ma tâche professionnelle de lajournée. L’une me reposait de l’au-tre. Elles s’équilibraient. Des tra-vaux concrets assez rudes,balayer, faire la soupe, accueillirles hôtes de passage, cela me sor-tait des livres et des leçons. Jen’avais plus le temps de couperdes idées en quatre. Il fallait cou-rir droit au but. J’avais tendancejusqu’alors à être trop abondant[…]. Mon temps étant désormaisaccaparé par le Foyer, il m’en res-tait tout juste assez pour élaguermes notes, n’en retenir que l’es-sentiel.

J’étais obligé d’improviser, cequi rendait mon cours plus rapideet plus vivant.

De plus, tout ce que je voyais auFoyer me donnait du cœur à l‘ou-vrage. C’était chaque soir, à notreporte, des épaves humaines. À tra-vers les propos de ces pauvreshères, je me représentais leur vie.Je les voyais quarante ans plus tôtparmi les collégiens à qui j’allais lelendemain expliquer Verlaine. Enclasse, je faisais le chemin in-verse, je me demandais ce que se-raient ces garçons quarante oucinquante ans plus tard. Au-jourd’hui intacts et pleins de pro-messes, que seront-ils à la fin deleur vie ? J’entrais le matin dans laclasse bien chauffée où les tablesavaient passé la nuit à l’abri tan-dis que les hommes grelottaientdehors. J’y trouvais le calme, la sé-curité, les joies les plus hautes del’esprit, mais je tremblais pour cer-tains élèves qui ne voulaient pascroire à leur bonheur, qui déjà re-fusaient des biens précieux et glis-saient mollement vers la fainéantiseet les jeux interdits. Du lycée, lematin, à l’asile de nuit, le soir, je par-courais dans un raccourci effrayantdes vies d’hommes qui allaients’égarer après être mal parties. L’ex-périence du Foyer me mûrissait, ap-profondissait l’enseignant que j’étaisen lui donnant sur la vie de chaqueélève un regard scrutateur et péné-trant. [...]

Mon souci constant était demaintenir une cloison étancheentre ma vie professionnelle etl’œuvre des sans-abri. Je ne par-lais jamais du Foyer au Lycée. Jem’efforçais d’être complètement

disponible à mes élèves. Il y avaitde temps en temps des fuites àtravers cette cloison. Un matin jetrouvai dans ma boîte aux lettresau lycée de garçons Chaponnayun message à mon nom signé desgrands élèves de la maison d’enface, le lycée de filles de la rueMazenod : “Nous savons ce quevous faites, nous sommes decœur avec vous. Quand nous au-rons notre bac, nous irons vousaider”. Au début d’une année sco-laire, je reçus un petit coup aucœur en reconnaissant parmi mesnouveaux élèves un garçon dontnous avions relogé la famille dansune cité de transit. Lui aussi avaitsa vie secrète (de sans-logis) igno-rée de ses camarades et de sesprofesseurs. Un autre élève venaitme parler de son grand frère quiallait se marier et qui ne trouvaitpas de logement. Après un brefentretien à voix basse, nous re-prenions à voix haute notre expli-cation française. À propos decertains auteurs, nous abordionsdes problèmes sociaux sur les-quels j’aurais pu ouvrir de grosdossiers : l’alcoolisme, le divorce,le droit de propriété, le logement,les bidonvilles, la faim dans lemonde. Mon expérience d’hôtelierdu Foyer Notre-Dame des Sans-Abri projetait sur ces problèmesune lumière crue. Je la tamisais etne faisais que de discrètes allu-sions à mes bouleversantes dé-couvertes afin de ne pas perturberla sérénité des études.

Gabriel Rosset1904-1974

Rencontres avec la nuée de feu

Intériorité et engagement

Métier

16 Lignes de crêtes 2009 - 4

Gabriel Rosset a beaucup marqué la P.U., en particulier à Lyon. L’Association des amis de Gabriel Rosseta entrepris les démarches en vue de la béatification du fondateur du foyer Notre Dame de Sans-Abri.Uncompte a été ouvert au titre de la “postulation Gabriel Rosset” , 85 rue Sébastien Gryphe, 69007 Lyon

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À quelques jours de Pâques,nous nous préparons à célébrer larésurrection de Jésus, victoire de lavie sur les forces de la mort.L’amour se révèle plus puissantque la haine, l’injustice et la vio-lence. Comment vivre cet événe-ment en disciple du Christ, dans lecontexte de cette année 2009,marquée par la crise économiqueet financière, avec ses gravesconséquences dans la vie sociale ?

Personne n’est à l’abri

Dans les échanges où il estquestion de la crise, beaucoup di-sent qu’ils sont touchés person-nellement et expriment leurscraintes face à l’avenir. Mais lesconséquences paraissent plusdramatiques pour toutes les per-sonnes en situation fragile : chô-mage, perspective d’un licencie-ment ou d’une fermeture d’entre-prise, maladie, sans logement ousans papiers, familles monopa-rentales, retraités aux faibles re-venus… Sans oublier les injustesdisparités entre pays.

Des enfants disent qu’à la mai-son, ce n’est plus comme avant,on s’énerve et on se dispute plusfacilement. Des jeunes s’interro-gent sur la possibilité de poursui-vre des études ou sont hésitantssur les choix à faire qui permet-traient de déboucher sur un em-ploi. Des travailleurs disent lepoids croissant du stress à causedes exigences de rentabilité, deshoraires décalés. Des membresd’associations s’inquiètent devantla multiplication des demandes

qui leur sont adressées et ladiminution des moyens quileur sont attribués. Des mili-tants syndicaux et politiqueséprouvent la dureté du com-bat qu’ils doivent mener.

Et nous, qu’entendons-nous, que voyons-nous, quedisons-nous  ? Ouvrons nosyeux à ceux qui nous entou-rent et qui vivent la crise deplein fouet.

Tous invitésà comprendre

Ce qui arrive aujourd’hui n’estpas le fruit du hasard ni de la fa-talité. C’est la conséquence dechoix politiques et économiques.Ceux qui portent des responsabili-tés dans ces domaines reconnais-sent l’emballement du système etla nécessité de réintroduire descritères humains et sociaux dansles décisions à prendre. En 1991,le pape Jean-Paul II écrivait dansson encyclique sur la question so-ciale : “Le profit est un régulateurdans la vie de l’entreprise, mais iln’en est pas le seul ; il faut y ajou-ter la prise en compte d’autresfacteurs humains et moraux qui, àlong terme, sont au moins aussiessentiels pour la vie de l’entre-prise” (n° 36).

Nous ne pouvons pas nouscontenter de constater ce qui sepasse mais nous avons à chercherà mieux en comprendre lescauses si nous voulons pouvoir yremédier : “Expliquer la crise, oui,mais il faut se redire quelle place

de l’homme on veut pour cemonde”.

Et nous, quels moyens prenons-nous pour mieux comprendre,nous informer sérieusement et de-venir ainsi des citoyens conscientset responsables ? Avec qui avons-nous l’occasion d’échanger sur lemonde que nous voulons contri-buer à bâtir ?

Tous appelésà la solidarité

Avant Noël, le Conseil de la Soli-darité du diocèse de Bordeauxadressait un appel intitulé “Lesplus pauvres et la crise”. Il décla-rait  : “Toute épreuve est uneépreuve de vérité où se révèle lefond des cœurs. Nous sommesmenacés par le fatalisme, l’enfer-mement sur soi, l’attente passivede jours meilleurs en faisant ledos rond. Mais nous pouvons faireaussi de ce temps de difficultés un

Tous concernés

Église et Foi

17Lignes de crêtes 2009 - 4

Jésus a aimé le monde jusqu’à donner sa vie pour lui. Il nous invite aujourd’hui comme hier à marcherà sa suite. Chacun selon son charisme.

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Tous réveilléspar le Christ ressuscité

Écoutons l’invitation de saintPaul : “Réveille-toi, ô toi qui dors, re-lève-toi d’entre les morts et le Christt’illuminera” (Ep 5,14). Rappelons-nous l’enseignement du Concile :“Le Fils de Dieu apporte la certitudeque la voie de l’amour est ouverte àtous les hommes et que l’effortpour instituer une fraternité univer-selle n’est pas vain… Constitué Sei-gneur par sa résurrection, le Christagit désormais dans le cœur deshommes par la puissance de sonEsprit” (L’Église dans le monde dece temps n° 38).

Au cours d’un partage,quelqu’un disait  : ”Se résignerface à la crise ? Non ! Il y a tant ettant à faire : rencontres au quoti-dien, gestes d’entraide, mots d’en-couragement, actions collectivesde solidarité. Que chacun se senteexister, reconnu pour ce qu’il est,aidé dans ses démarches : c’est

ce que Jésus faisait en son temps.Chaque personne vaut plus quetous les bons du trésor du coffredes banques. Jésus nous appelleà être attentifs à ceux qui ne sa-vent pas se défendre, ceux quipensent qu’on ne peut rien chan-ger à ce qui nous arrive”.

Et moi  ? Quel approfondisse-ment de ma relation avec le Christquand je me lance dans cetteaventure de la solidarité ? Quelleparole juste et sans haine vais-jeoser ? Comment être tisseur d’es-pérance ?

Diocèse de Saint Denisen France

L’Action Catholique des MilieuxIndépendants (ACI)

Le Conseil Diocésain de laMission Ouvrière

Le Conseil Diocésain de la Solidarité

Père Daniel Pizivinadministrateur diocésain

Et les membres de son Conseil

Le 3 avril 2009

Église et Foi

18 Lignes de crêtes 2009 - 4

temps de solidarité. Nous pouvonsdéterrer en nous et en nos voisinsdes trésors de fraternité qui som-meillent en chacun… Pourtantbeaucoup ont soif de rencontres etd’échanges. Ils veulent briser lessolitudes qui les assaillent”.

Et il concluait : “La honte socialene doit plus être le fait de ceux quisont dans la difficulté mais deceux qui, par la spéculation, ontprovoqué la crise. L’estime socialene doit plus être le fait des ga-gneurs mais plutôt des créateursde liens sociaux”.

Et moi ? Quelle réponse puis-jeapporter aujourd’hui à cet appel ?Par ma façon d’être attentif à d’au-tres et par les gestes les plus sim-ples de fraternité, par la place queje peux prendre dans telle associa-tion, par des changements dansmon comportement, dans mafaçon de consommer, par l’usageque je fais de mon argent…

Inventons des solidarités,soyons créatifs !

Migrants et bénévolesLes personnes migrantes en situation irrégulière

voient s’accentuer leur précarité en raison de la criseinternationale. Certains d’entre nous exercent à leurégard la présence humanitaire élémentaire qui s’im-pose avec conscience et fidélité. Mais ils se sententsuspectés au motif de cette proximité : contrôles fré-quents, mises en garde à vue, rappels à la loi.

Ces acteurs de terrain sont accusés d’agir par pas-sion ou naïveté, voire soupçonnés de faire le jeu de fi-lières, de passeurs. Nous ne pouvons nous résoudreà ce que ce climat de suspicion démobilise ceux pourqui la solidarité n’est pas un vain mot.

La fraternité à laquelle nous aspirons est bien unprincipe de notre République, et aussi un guide ma-jeur de la pensée sociale de l’Église catholique.

L’État et les collectivités locales ne peuvent assu-mer à eux seuls de tels engagements envers les po-pulations vulnérables. Ils doivent s’appuyer sur letissu associatif afin de servir la cohésion et le vivre-ensemble.

Nous sommes alertés et vigilants sur cette atteinteaux initiatives d’actions solidaires. Nous pensons quecette situation nécessite l’ouverture d’un débat avecnos élus. Nous demandons une réflexion qui intègretous les aspects de ce grave problème.

“L’Église se sent le devoir d’être proche, comme lebon samaritain, du clandestin et du réfugié, icônecontemporaine du voyageur dépouillé, roué de coupset abandonné sur le bord de la route”. Jean-Paul II –message pour la Journée des migrants et des réfu-giés – 15 janvier 1997.

Mgr François GarnierPrésident de la commission poula Mission universelle de l’Église

Mgr Michel SantierPrésident du conseil pour les Relations

interreligieuses et les nouveaux courants religieuxMgr Claude Schockert

Membre de la commission pourla Mission universelle de l’Église

15 mai 2009

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Ldc : Comment est né ce lieu ?

J : Cela remonte à 1998, quanddes “sans-papiers” ont été héber-gés dans une église de Nantes,puis dans divers lieux de la ville.Des associations (dont le CCFD, leSecours Catholique…) ont faitappel à la Mairie qui a pu en relo-ger plusieurs, et l’Évêché s’est oc-cupé provisoirement des autres.Finalement, un local du centre-ville a été confié au diocèse et à la“Pastorale des Migrants” pourcréer un accueil de jour pourhommes. C’est comme ça qu’estné le Logis St Jean.

Ldc : Comment ça fonctionne, queproposez-vous ?

J : La devise ici c’est “accueil,écoute, solidarité”. Actuellement,le local est ouvert de 8 h à 11 h lematin, pour servir un petit déjeu-ner, et de 14 h 30 à 17 h, avec undéjeuner. Pour beaucoup, ce sontles seuls repas de la journée. Maissur place, c’est surtout un lieud’accueil où il y a des jeux, des or-dinateurs, un téléphone, un cabi-net de toilette. On propose aussiune aide administrative, pourmonter des dossiers de droitsd’asile, et des cours de français.Mais pour moi, c’est surtout le dia-logue avec les migrants qui est in-téressant. Souvent ils se sententtraqués, ils ont besoin de parler.

Ldc : Qui vient ici ?

J : Ils viennent surtout du Ma-ghreb ou d’Afrique noire. Ils ont fuileur pays dans des conditionsépouvantables pour des raisonspolitiques ou économiques. Par-fois, ils arrivent en groupe : 30d’un même village, où une usine a

fermé. Pour connaître ce lieu, ilsse passent le mot.

Ldc : Quels sont leurs besoins ?

J : Au début, ils ont faim maistout est beau, ils sont pleins d’es-poir et d’envie, il s’inscrivent auxcours de français. Pour s’intégreren France, c’est essentiel qu’ilsmaîtrisent bien la langue. Maissouvent, six mois plus tard, ils sontpris par leurs soucis de survie aujour le jour. Leur famille leurmanque, ils essaient de leur en-voyer de l’argent. Ils squattentchez des amis ou vivent dans descaves, ils sont traqués par la po-lice. Il y en a un qui s’est retrouvéen centre de détention, menottesaux mains, parce qu’il n’avait pasde ticket de bus. Ils sont traitéscomme des assassins. Mêmeceux qui sont bien intégrés peu-vent être arrêtés. Mais la policen’a pas le droit de rentrer au Logis.

Ldc : Quelles sont les ressourcesdu Logis St Jean ?

J : On est aidé par de nom-breuses associations. Les boulan-gers du quartier et la banquealimentaire fournissent la nourri-ture, les accueillis font le service.Sinon, on vit de dons et de cotisa-tions. On met des tracts dans leséglises. Il y a aussi beaucoup d’ini-tiatives individuelles. Des béné-voles apportent une aide, fournis-sent un local pour une réunion oupour un couscous. Il y a un prêtrequi a hébergé des migrants plu-sieurs années sur son canapé.

Ldc : Et vos liens avec l’Église,alors ?

J : C’est vrai que la plupart desassociations à l’origine du Logis

sont confessionnelles et que laplupart des bénévoles sont descatholiques. Beaucoup d’entreeux sont des anciens militants del’Action Catholique. L’évêque estvenu nous voir et le vicaire épi-scopal nous soutient, mais évi-demment le lieu est laïc. À partcertains originaires d’Afriquenoire, beaucoup des accueillissont musulmans. La Pastorale desmigrants intervient surtout pourconstituer les dossiers de de-mande d’asile, et témoigner de-vant le tribunal pour lesjugements.

Ldc : Quel est le bilan de ce lieu ?

J : Le Logis St Jean cristallise ouparticipe à beaucoup d’initiativeslocales en faveur des sans-pa-piers, un véritable réseau s’estconstitué. Chaque année, les as-sociations se réunissent pour denombreuses actions : des mani-festations du “collectif sans fron-tières” devant la préfecture pourle logement pour tous, une “jour-née des migrants”, un “cercle desilence”, la caravane “Droit au lo-gement”... Mais pour moi, ce quicompte, c’est le dialogue avec ceshommes, qui sont d’une richesseextraordinaire. Ils nous disentqu’ils se sentent rejetés par la so-ciété française, mais qu’au Logis,ils sont comme chez eux. La ren-contre, c’est une action directe,concrète. Ils nous transmettentleurs inquiétudes, mais ils don-nent aussi beaucoup. Certainss’intègrent finalement très bien,ils restent en contact et reviennentnous voir.

Propos recueillis parIsabelle Tellier

Accueil au Logis Saint JeanÉglise et Foi

19Lignes de crêtes 2009 - 4

À Nantes, le “Logis St Jean“ accueille depuis 2001 des demandeurs d’asile ou déboutés. Nous avons in-terviewé Jeannette, une des bénévoles du lieu.

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Introduction

Pendant longtemps, l’Évangilede Marc n’a pas eu bonne pressedans l’Église. Elle lui préférait debeaucoup l’Évangile de Matthieu,dont les longues séquences quirapportaient l’enseignement deJésus se prêtaient mieux à sesperspectives catéchétiques. Ce futdonc cet Évangile qui fut privilégiépour les lectures du dimanche. Ilfaudra, en gros, attendre la se-conde moitié du XXe siècle pourque Marc devienne l’objet del’étude passionnée des exégètes.On le trouve maintenant d’unegrande modernité.

Je voudrais dégager quelques-unes des originalités de Marc quipeuvent expliquer ce regain de fa-veur. N’étant pas exégète de for-mation, je rapporterai ici le fruit demultiples lectures, dont surtout :

Évangile selon saint Marc - Écou-ter la Bible 16 - Avènement, ou-vrage collectif, Desclée deBrouwer, 1978.

L’Évangile de Marc, Elian Cuvil-lier, Labor et Fides (Genève),Bayard (Paris), 2002.

Marc, une théologie de la fragi-lité. Obscure clarté d’une narra-tion, Yvan Bourquin, coll. “LeMonde de la Bible 55”, Labor etFides (Genève), 2005.

Qui était Marc ?

On sait très peu de choses surMarc. La tradition la plus anciennemet son Évangile en relation avecle témoignage de Pierre, sous ladictée (?) duquel il aurait écrit.S’agit-il du Marc évoqué à trois re-prises dans les Actes ? Rien nepeut le garantir avec certitude.S’agit-il du Marc évoqué dans lesépîtres de Paul ? C’est possible.

Il n’est pas impossible, en re-vanche, de déterminer le milieuqui vit naître le deuxième Évangile.Rome semble bien correspondre

au milieu d’origine. Marc, en effet,trahit l’influence d’un milieu ro-main quand il se soucie d’expli-quer tel ou tel mot grec par unetournure latine : “deux leptes, soitun quart d’as” (12, 42) ; si, dansMatthieu et Luc, on repère septmots latins, Marc en offre trois deplus, ainsi que plusieurs tournuresde syntaxe latine (2, 23 ; 5, 23...).Marc semble, d’autre part,s’adresser à des chrétiens d’ori-gine non juive et n’habitant pas laPalestine. Il ne se soucie guère, eneffet, de situer l’Évangile par rap-port à la Loi de l’ancienne al-liance : on ne trouve chez lui quedeux ou trois mentions person-nelles de l’accomplissement desprophéties (1, 2-3 ; 14,49 ; 15,28). Par contre, il se préoccuped’expliquer les coutumes juives (7,3-4 ; 14, 12 ; 15, 42), de traduire

Marc, un Évangile de la fragilité

Église et Foi

20 Lignes de crêtes 2009 - 4

Bernard Caillierez nous a quittés au cœur de l’été, brutalement, même s’il nousavait fallu admettre que la maladie révélée au seuil de sa retraite ne le laisseraitpas profiter de celle-ci aussi longtemps que lui et nous l’aurions souhaité.

Il y a quelques mois, Bernard avait rédigé un article pour Lignes de crêtes, àgarder en réserve pour un moment opportun. Il nous a semblé que celui-ci étaitadvenu et que la publication s’imposait, en hommage à l’homme que fut Bernardet en mémoire de tout ce qu’il apporta à la PU et à Cdep.

Le texte témoigne en effet de son inlassable curiosité intellectuelle, de son goûtprofond pour la fréquentation et l’étude des textes, de sa générosité spontanéeet enthousiaste à faire partager découvertes et émerveillements dans bien des do-maines – notamment celui de l’intelligence de la foi. Toutes qualités qui, avec unhumour chaleureux et une bonne humeur communicative, ont durablement mar-qué ses compagnons de route, de longs voyages ou de courtes étapes, en mo-ments de rencontres vraies et fraternelles.

Marc se soucie d'expliquer tel ou telmot grec par une tournure latine,semble, d'autre part, s'adresser àdes chrétiens d'origine non juive et

n'habitant pas la Palestine

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les mots araméens (3, 17 ; 5, 41 ; 7,11-34 ; 10, 46 ; 14, 36 ; 15, 22-34),de donner quelques précisions d’or-dre géographique (1, 5.9 ; 11, 1) etde souligner la signification del’Évangile pour les païens (7, 27 ;10, 12 ; 11, 17 ; 13, 10). Il doit écrirepour l’Église de Rome en périodede persécution. Le thème des per-sécutions est très présent chezMarc (13, 9-13). La communautédevait garder vivant le souvenir dela mort violente de la plupart deses leaders (à Rome, martyres dePierre et de Paul lors de la persé-cution de Néron vers 65).

Date de rédaction

Si les exégètes s’accordent àconsidérer Marc comme le rédac-teur d’Évangile le plus ancien,leurs avis divergent sur la dateprécise de rédaction. L’élément deréférence est la destruction dutemple de Jérusalem par les ar-mées romaines : en examinant lechapitre 13 (ou petite apocalypse)à la loupe, certains concluent quel’auteur écrit avant 70 puisqu’iln’évoque pas directement cet évé-nement ; d’autres disent qu’il estfacile de le retrouver à travers desallusions et donc que la rédactionest postérieure à la destruction.Nous dirons avec Brown (Que sait-on du Nouveau Testament ? Ray-mond E. Brown, Bayard, 2000, p. 206) : “L’accord scientifique leplus large conclut que Marc a étérédigé vers la fin des années 60ou le début des années 70”.

Construction del’Évangile

Le premier verset de Marc a l’al-lure d’un titre : “Commencementde l’Évangile de Jésus-Christ, Filsde Dieu”. On relève déjà l’ambi-guïté féconde : qu’est-ce qui com-

mence ? L’événement Jésus-Christou le récit qu’on en fait ? En fait,c’est l’un et l’autre : le récit,puisque Marc crée en quelquesorte le genre littéraire Évangile :la bonne nouvelle, c’est un récit,ce n’est pas un texte théorique,c’est une biographie. C’est enmême temps l’événement quicommence, puisque raconter lavie de Jésus, c’est de nouveau lefaire advenir au lecteur.

Dès les premiers mots, tout estdonc dit : Évangile veut dire bonnenouvelle et cette bonne nouvelle,c’est Jésus Christ, c’est son avè-nement, c’est Dieu qui, par lui,s’est rendu proche de l’homme. Ilfaudra attendre la fin du récit pourqu’un homme reprenne cette ex-pression “fils de Dieu” à soncompte. Il s’agit du centurion aupied de la croix (15, 39) : 39Le cen-turion, qui était en face de Jésus,voyant qu’il avait expiré de lasorte, dit : Vraiment, cet hommeétait le Fils de Dieu. Comment ex-pliquer qu’il faille quinze chapi-tres, pratiquement tout l’Évangile,pour pouvoir enfin redire commeune découverte ce qui semblaitlivré dès le début ?

Plus exactement, la prise deconscience humaine se fait endeux temps, correspondant auxdeux moitiés du récit : d’abordavec Pierre (8, 29) : 29Et vous, leurdemanda-t-il, qui dites-vous que jesuis ? Pierre lui répondit : Tu es leChrist. 30Jésus leur recommanda

sévèrement de ne dire cela de luià personne. Telle est la professionde foi pour le peuple juif (Christ estla traduction en grec de l’hébreuMessie). Dans les derniers versets,le titre de “Fils de Dieu” apparaît,et telle est la profession de foipour les païens. Certes, cette iden-tité est rappelée à d’autres mo-ments clés, mais soit par labouche de Dieu (1, 11 : le bap-tême de Jésus ; 9, 7 : la Transfigu-ration), soit par celle des démons.

Tout est dit dès le premierverset, mais il faudra quinzechapitres pour le redire… C’estque Marc va déployer une stra-tégie narrative dite du “secretmessianique”.

Église et Foi

21Lignes de crêtes 2009 - 4

La bonne nouvelle, c’est un récit, cen’est pas un texte théorique, c’est une

biographie. C’est en même tempsl’événement qui commence, puisqueraconter la vie de Jésus, c’est de

nouveau le faire advenir au lecteur

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La théorie dusecret

messianique

On peut l’énoncer ainsi : ceuxqui savent que Jésus est le Christ,Fils de Dieu, tels les démons, sontappelés à se taire (1, 34) pour que

ceux qui ne le savent pas appren-nent à parler. Dès que le titre estenfin confessé par un homme,Pierre, vers le milieu de l’Évangile(8, 29), Jésus com-mande sévèrementde ne parler de lui àpersonne. Il faudraen effet tout le che-min vers la croixpour que ce titre re-çoive sa véritablesignification, qu’ilse débarrasse detoute connotationde puissance poli-tique et terrestre.

On ne peut riencomprendre à la fi-gure du Messietelle qu’elle est pré-sentée par Marc sion ne voit pas surquelle toile de fondelle se détache. Cependant,contre une compréhension deJésus fausse et trop rapide, lesavertissements et les mises engarde ne manquent pas. Per-sonne, ni la foule, ni sa famille, nises disciples, personne ne peutpénétrer le secret de Jésus. Ce

n’est pas qu’ils soient moins intel-ligents que d’autres, mais ce queJésus accomplit dépasse l’enten-dement.

La nouveauté qu’il apporte estincompatible non seulement avecles traditions des scribes, maisavec la Loi (2, 15-17 : appel deLévi et controverse sur les fré-quentations de Jésus) et avec lesplus hautes spiritualités qu’elle apu engendrer (2, 18-22 : contro-verse sur le jeûne).

En conformité avec l’idée qu’onse faisait de Dieu, on attendait unMessie tout-puissant qui écrase-rait immédiatement les ennemis,sauverait uniquement les justes,instaurerait un royaume bien visi-ble. Que le Messie se présentepauvre, sans puissance ni gloire,qu’il ne cherche à s’imposer ni parla force ni par des prodiges (8, 11-13), voilà quelque chose de dé-

concertant. Qu’il se laisse prendrepar ses ennemis, bafouer, mettreà mort, voilà quelque chose d’in-compréhensible. Tant qu’on n’apas saisi ce point de vue, on passeà côté de l’originalité de Jésus,spécialement du Jésus décrit parMarc.

Ainsi, trop souvent, on veut ré-duire cet Évangile à n’être que ladescription de la lutte grandioseentre le Messie et Satan. En réa-lité, une analyse attentive du dé-roulement du deuxième Évangilemontre qu’il y a bien une premièreétape où Jésus pourchasse lesforces démoniaques (1, 23-28). Etce sera toujours pour lui unepréoccupation certaine (5, 1-20 ;9, 14-29). Cependant, l’essentieln’est-il pas de changer le coeur del’homme ? C’est pourquoi Jésusse met à pardonner les péchés età appeler à la conversion (2, 1-17).C’est une seconde étape, plus pro-fonde que la première, mais qui serévèle encore insuffisante. Quefaire lorsque l’homme refuse lepardon proposé ? Faut-il le punir,au besoin l’exterminer ? Non, c’estle Fils de Dieu qui se laisse écra-ser par la volonté mauvaise deshommes. Voilà la troisième étape,qui est le sommet et l’essentiel decet Évangile. Voilà contrairementà toute attente, le vrai visage deDieu : celui qui aime l’homme etrespecte sa liberté au point des’en laisser mourir.

Église et Foi

22 Lignes de crêtes 2009 - 4

Le vrai visagede Dieu : celui

qui aimel’homme etrespecte sa

liberté au pointde s’en laisser

mourir

Se taire pourque ceux qui nele savent pasapprennent à

parler

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Faiblesse etpuissance du

Messie

Les miracles, les signes de puis-sance opérés par Jésus ne vontpas à l’encontre de cette présen-tation. En les rapportant, Marccherche à nous faire voir en Jésusun Messie assez puissant pourvaincre démons et maladies, mais– contraste saisissant – impuis-sant pour lui-même devant lesmauvais traitements que leshommes lui infligent (15, 31-32).Si les miracles chez Marc expri-ment ordinairement l’efficacité dela parole du Christ, leur symbo-lisme révèle souvent qu’en Jésus,comme en son Père, sont étroite-ment unies la faiblesse et la puis-sance : voir le possédé de Gérasa.

Dans cet épisode, Jésus se ré-vèle puissant, sans doute, entriomphant de toute une armée dedémons, mais il est impuissantface à la mauvaise volonté deshommes. Quand, à la fin de l’épi-sode, les habitants de Gérasa, dé-pités par la perte du troupeau deporcs, viennent le prier de quitterles lieux, Jésus se soumet, obéit etse laisse chasser. Comme Marcsouligne dans le récit que Jésusest “le Fils du Dieu Très haut” (5,7) et qu’il met en parallèle l’actionde Jésus et celle de Dieu (5, 19 et5, 20 : …il lui dit : “Va dans ta mai-son, vers les tiens, et raconte-leur

tout ce que le Seigneur t’a fait, etcomment il a eu pitié de toi. 20Ils’en alla, et se mit à publier dansla Décapole tout ce que Jésusavait fait pour lui”.), ne veut-il pasindiquer que Père et Fils ont lamême attitude : faiblesse et im-puissance devant la liberté hu-maine ?

Cette révélation, jointe à la ten-sion existant dans la vie de Jésusentre son origine divine, sonabaissement terrestre et sa glori-fication future, était particulière-ment difficile à exprimer. Marc aréussi à le faire en se servant du“secret messianique”. Pour expli-quer ce secret, il ne suffit pas, eneffet, de chercher les diverses rai-sons qui ont pu le légitimer durantla vie du Christ, il faut aussi etd’abord rendre compte de l’insis-tance de Marc sur ce point.

Tout se passe comme si Marcavait voulu, dans une présentationconcrète et vivante, concilier deuxaffirmations théologiques : Jésus,dès le début, était bien le Messie,et cependant il avait à recevoir deson Père, à travers l’abaissementde sa vie et de la croix, ce titre deMessie. L’abaissement dequelqu’un qui serait uniquement

faible n’aurait pas d’intérêt. Lapuissance de quelqu’un qui seraituniquement tout-puissant n’auraitpas plus d’intérêt. Que Jésus soiten même temps Messie et qu’il aità le devenir, qu’il soit en mêmetemps faible et puissant, voilà quidonne un sens à son action et à sarévélation. Ce n’est donc pas parhasard que Marc aime dévoiler lagrandeur de Jésus à travers l’ironieet les moqueries dont l’abreuventses ennemis : ceux-ci cherchent àle ridiculiser en le traitant de roides Juifs, de Fils de Dieu. Ils necroient pas si bien dire !

Tout ce que Marc veut dire deplus profond, il le présente ainsien creux, sous forme négative. Lit-térairement et théologiquement,l’effet est saisissant. La contradic-tion manifeste entre la gloireroyale et l’humilité de l’amour estabolie. Car c’est dans cette situa-tion humiliée, et à cause d’elle,que la vérité de ces titres apparaît.Dieu se donne à connaître dansson contraire.

Église et Foi

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En Jésus, commeen son Père, sont

étroitementunies la faiblesseet la puissance

Bernard Caillierez

La suite de cet articlesera publiée dans lenuméro 6 (2010-1)

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Les relations entre juifs et chré-tiens présentent une situation ori-ginale entre l’œcuménisme(dialogue entre chrétiens) et ledialogue interreligieux (avec lesautres religions) à cause de notresource biblique commune. Ellesne cessent d’évoluer. Aussi unbref retour en arrière s’impose.

L’épuration dupassé : de

l’antijudaïsme à larencontre

Sans que la doctrine ait jamaisété formulée officiellement par lespapes ou les conciles, “l’ensei-gnement du mépris”, selon la for-mule de Jules Isaac, a imprégné lemonde catholique pendant dessiècles. Spécifiquement religieux,il affirmait que les juifs, ayant re-fusé de reconnaître en Jésus leMessie, étaient responsables desa mort, “déicides“ et de ce faitsupplantés dans l’alliance divinepar l’Église “verus Israël”, c’est cequ’on a appelé “la théologiede la substitution“. Pour lesjuifs, le seul espoir de salutétait la conversion. “Pour lechrétien… le juif est unconverti en puissance” écri-vait André Neher en 19621.

Si certains pionniersavaient commencé à remet-tre en question cette opinioncommune, il a fallu attendreles lendemains de la Shoahpour que l’antijudaïsme com-mence à être remis encause. Saluons le rôle jouépar Jules Isaac, lui-même du-rement frappé dans ses

proches, lors de la rencontre deSeelisberg qui en 1947, dans sonMessage aux Églises, formulait dixrecommandations pour élimi-ner l’enseignement du mépris.Isaac a été à l’origine de la créa-tion en 1948 de l’Amitié judéo-chrétienne de France. Aprèsl’annonce du Concile, il a fait en1960 une démarche auprès deJean XXIII, exprimant le souhaitqu’on y parle des juifs. Parallèle-ment, le père Paul Demann a com-battu pour éliminer dans lescatéchismes les marques d’antiju-daïsme.

Le concile Vatican II, dans sondocument Nostra Aetate en 1965,est l’étape majeure de l’évolution.Ce message de l’autorité suprêmede l’Église, dont la gestation etl’aboutissement furent très labo-rieux et le texte affaibli, reconnaîtla dette des chrétiens envers leurs“frères aînés dans la foi” et la conti-nuité de la vocation d’Israël, il in-nocente le peuple juif dans sonensemble, de la responsabilité de la mort de Jésus et “déplore”l’antisémitisme. Il encourage laconnaissance et l’estime mutuelle.

Restait à mettre en pratique cesrecommandations : plusieurs do-cuments pontificaux et épisco-paux s’y sont attachés. Endécembre 1997, la déclaration derepentance à Drancy des évêquesfrançais a eu un grand retentisse-ment. Celle du Vatican en 1998 aété jugée moins percutante.

Ajoutons les nombreuses initia-tives de Jean-Paul II : visite à la sy-nagogue de Rome, reconnaissancepar le Vatican de l’État d’Israël en1994, voyage en 2000 à Jérusa-lem (sa visite au Mur des Lamenta-tions a eu un impact considérable).Son successeur, plus réservé surles déclarations de repentance, acontinué ses voyages, notammentà Auschwitz en 2006.

Côté juif, on a été très sensible àcette conversion des autorités ca-tholiques, cela s’est manifesté lorsdes réunions du Congrès juif euro-péen dans la dernière décennie. De-puis 2004, ont lieu aux États-Unisdes rencontres très chaleureusesentre des rabbins juifs orthodoxes etdes évêques européens.

S’agit-il d’un cheminsans retour ? Force estde reconnaître quedes ombres se sontglissées dans la rela-tion depuis 2007. La li-béralisation du misseltridentin (de la messedite de saint Pie V) enfaveur des lefebvristesréconciliés s’est ac-compagnée d’uneprière pour les juifs quidemande que le peu-ple d’Israël recon-naisse Jésus “commesauveur de tous leshommes”. Son carac-

Juifs et catholiques : un long chemin

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tère nettement prosélyte, même sielle n’a pas la même violence an-tijudaïque, fait ressurgir le souve-nir de l’ancienne prière “properfidis judeis”.

Autre sujet difficile : le projet debéatification de Pie XII défendutrès fortement dans certains mi-lieux romains et qui serait pour lesjuifs “une grave atteinte au dia-logue”. Si ne sont pas contesta-bles les sauvetages de juifs dus àl’action personnelle du pape, resteen cause son silence pendant etaprès la Shoah. Cette questionhistorique fait l’objet de polé-miques récurrentes tant que lesarchives du Vatican après 1939ne seront pas intégralement ou-vertes à des historiens de diversesobédiences, condition nécessaired’une appréciation fondée sur laconduite du pontife.

Enfin, dernier sujet qui fâche en2009 : les suites des efforts envue de la réconciliation desévêques lefebvristes. Au-delà ducas Williamson et de l’insuffi-sance du dialogue dans l’Égliseque l’affaire a montrée, il est ap-paru que les autres évêques encause sont pour le moins réservésà l’égard du concile, en particulierde Nostra Aetate, et qu’ils restentimprégnés de l’antijudaïsme tradi-tionnel. Que leur réintégration soitune priorité, pour une partie aumoins de la Curie, ne peut queposer question aux juifs.

Le voyage récent de Benoît XVIen Terre Sainte dépasse le cadrede notre sujet puisqu’il a fait unelarge place aux Palestiniens et auxchrétiens de la région. Concernantles juifs, le pape s’est situé dansla ligne de son prédécesseur, avecson tempérament plus réservé. Si“des mots ont manqué“ à Yad Va-shem (selon le grand rabbin GillesBernheim), son message final ex-primait un engagement plus per-sonnel qui a été apprécié.

Un dialogue quis’approfondit

Pendant longtemps, il a été àsens unique : les chrétiens se met-tant à l’écoute de leurs frèresaînés dans la foi pour puiser à lasource du premier Testament, lesjuifs estimant n’avoir rien à ap-prendre des chrétiens. C’est cequ’annonçait le cardinal Béa auxreligieuses de N. D. de Sion avecqui il avait beaucoup travaillé pourNostra Aetate : “Il faudra 50 anspour qu’on puisse aborder lesquestions de fond ; avant, nous nepourrons qu’agir ensemble”.

Signalons cependant l’engage-ment pionnier de Colette Kessler,récemment disparue ; dès 1976,elle a rencontré des chrétienspour échanger sur le fondementde leur foi2. Elle anticipait sur lanouvelle étape dans laquelle lesrelations judéo-chrétiennes sontentrées maintenant.

Les limites de cet article m’obli-gent à être très succincte. Sens, larevue de l’Amitié judéo-chrétiennede France est particulièrementriche sur le sujet3. Elle publie lestextes des rencontres au coursdesquelles chrétiens (l’AJCF -Ami-tié Judéo-Chrétienne de France-est œcuménique) et juifs font untravail de “reconnaissance mu-tuelle” qui n’est ni la tolérance, niun syncrétisme gommant les dif-férences. On voit la volonté d’aller“au coeur de nos divergences”.Parmi les auteurs juifs, Gérard Is-raël a été le premier à publier surces questions de fond4.

Une expérience a fait date : lelivre d’entretiens entre le grandrabbin Gilles Bernheim et le cardi-nal Philippe Barbarin5, qui récapi-tule en quelque sorte les donnéesdu débat.

À travers l’amitié des deuxhommes, se manifeste un accordprofond sur le patrimoine communqui les nourrit et les font se sentir“témoins d’un même amour…d’un père miséricordieux”. Richeest leur dialogue sur l’approfon-dissement de l’Écriture, l’impor-tance de puiser ensemble à lasource biblique. Quelques exem-ples de liens entre les deux tradi-tions : l’origine juive du Notre Père,les deux commandements évan-géliques reprenant le Shema Is-raël (Deut 6, 4-5 et Lev 19, 18). Onvoit combien Jésus est nourri de latradition juive. L’accord se faitaussi pour évacuer la théologie dela substitution, “un assassinat”,ainsi que sur la signification de laShoah.

Les questions qui fâchentconcernent les trois mystèreschrétiens, en particulier l’Incarna-tion et le sens du “non à Jésus”des juifs, Jésus admiré commemaître, “rabbi”, mais pas reconnucomme prophète, et encore moinscomme Messie.

La différence de nos traditionsreligieuses est soulignée : le chris-tianisme est d’abord une ortho-doxie (son fondement : la foi en laRésurrection), pour le judaïsme lafoi en Dieu passe par la traditiond’un peuple et la multiplicité desobservances (“nous ferons et nouscomprendrons” Ex. 24, 7). Si leparticularisme du judaïsme estune limite quand il s’agit de ré-pondre aux besoins spirituels dumonde contemporain, le christia-nisme, particulièrement le catho-licisme, risque par une certaineaffirmation doctrinale abrupte deconfondre histoire et eschatologie.Comme le suggère le grand rab-bin, l’affirmation doctrinale gagne-rait à s’enrichir d’un “talmudismechrétien“, à accepter la “disputa-tio”, la pluralité d’interprétation destextes.

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L’année Saint Paul a été aussil’occasion de creuser la doctrinepaulinienne et de situer ses appa-rentes contradictions lorsqu’ilparle des juifs dans l’épître auxRomains. C’est particulièrementsur ses chapitres 9-11 que s’estappuyé le changement de l’Églisecatholique.

L’approfondissement de ceséchanges amène à des constats :“il y a plusieurs maisons dans lamaison du Père”, et c’est “lesigne de l’inachèvement du des-sein de Dieu“.

Ces relations impliquent la soli-darité des chrétiens dans la dé-fense de l’existence de l’Étatd’Israël. Cela implique-t-il le sou-tien inconditionnel de toute la po-litique de cet État sous peined’être taxé d’antisémitisme ? Onpense aux implantations, à laconstruction du mur et à certainesméthodes de guerre à Gaza cesderniers mois. Lorsque le cardinalVingt Trois, sous le thème sécuritéet éthique dit que “le seul fonde-ment durable de la sécurité… estle respect de la justice”6 , sa ré-flexion me semble s’appliquer àcette question.

Où en sont lescatholiques en

France ?

Une minorité se sent assez for-tement concernée par la relation :les membres de l’AJCF, environ2 500 personnes (Sens tire à1 500 exemplaires). Engagés plusprofondément, les membres del’association Davar (en hébreu laParole, le Verbe), fondée en1985 : une centaine de juifs et dechrétiens se retrouvent chaqueannée pendant une semaine devie partagée dans le dialogue etl’écoute de la Parole de Dieu.

Le SIDIC (Service d’Informationet de Documentation judéo-chré-tienne) de Paris7 créé après leConcile et animé par des reli-gieuses de N.D. de Sion fait un tra-vail de formation à ces relations.

Qu’en est-il de la masse des fi-dèles ? Elle se sent peu concer-née. Les paroissiens actifs, s’ilssont débarrassés de l’antiju-daïsme et si certains participentvolontiers à un groupe biblique,ont d’autres investissements prio-ritaires. D’où le peu d’intérêt ma-nifesté pour le sujet dans lesactivités paroissiales.

Dans le diocèse de Lyon, (on mepardonnera de me limiter à la réa-lité locale que je connais mieux) ungros effort est fait par le servicedes relations avec le judaïsme etde l’œcuménisme dont est res-ponsable Régine Maire. Quels sontles grands axes de son action ?

C’est d’abord la recherche derencontres avec la communautéjuive locale : rencontres person-nelles, participation à des céré-monies à la synagogue. C’estaussi chaque année une rencon-tre œcuménique avec les juifs, enlien avec l’AJC de Lyon, avant la se-maine de l’unité pour signifier lavolonté commune des chrétiens.

Ce sont enfin des propositionsde formation faites aux catho-liques avec la participation d’unprêtre spécialiste du judaïsme,Jean Massonnet et d’une reli-gieuse de N.D. de Sion, BrigitteMartin-Chave. Des interventionsont eu lieu auprès des caté-chistes, des religieuses, au centrede formation des professeurs del’enseignement catholique (dansle cadre de l’enseignement de laculture religieuse) et dans uneÉcole de Commerce.

En revanche la proposition faiteaux paroisses n’a rencontré aucunécho… Manque certainement une

sensibilisation à la question don-née au séminaire, c’est une autrecause du manque d’intérêt des pa-roissiens évoqué précédemment.

Conclusion

On le voit, le bilan est contrasté.Après dix-neuf siècles de sépara-tion, d’incompréhension et parfoisde persécutions, il n’est pas éton-nant que le grand tournant de Va-tican II mette longtemps à porterses fruits.

Pourtant l’enjeu est capital pourl’identité même de l’Église. LeConcile l’avait mesuré. Rappelonsle début du titre 4 de Nostra Ae-tate concernant les juifs : “Scru-tant le mystère de l’Église, leConcile rappelle le lien qui reliespirituellement le peuple du Nou-veau Testament avec la lignéed’Abraham”.

Madeleine Comte Juin 2009

1/ L’ouvrage fondamental sur cesujet : Jean Dujardin, L’Église catho-lique et le peuple juif, un autre regard,Calmann-Lévy, 2003, 564 p.

2/ L’éclair de la rencontre, Juifs etchrétiens ensemble, témoins de Dieu,Parole et Silence, 2004, 310 p.3/ Sens, 60 rue de Rome, 75008Paris, particulièrement les nos 7/8-2007, 1 et 9/10-2008 et 3-2009.

4/ La question chrétienne, une pen-sée juive du christianisme, Payot1999 et Jésus est-il Dieu ? Payot 2007

5/ Le rabbin et le cardinal. Un dia-logue judéo-chrétien d’aujourd’hui,Stock, 2008, 304 p.

6/ Sens, 7/8 2007, p. 479-82.

7/ SIDIC 73, rue Notre Dame desChamps 75006 Paris

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Calvin - Au-delà des légendesBayard, 2009, 602 p.

Biographie par Yves Krumenackerprofesseur d’Histoire moderne,spécialiste du protestantisme duXVIe au XVIIIe.

Le point de vue pris par l’auteurde ce livre n’est ni théologique, nihagiographique. Il se veut stricte-ment celui d’un historien. L’ac-croissement des connaissancessur le XVIe siècle permet en effetde renouveler le regard sur lesfaits qui caractérisent la vie deCalvin, qui s’écoule de 1509 à1564. L’époque éclaire la vie deCalvin et inversement celle-ciéclaire la crise culturelle de sontemps.

La mutation religieuse qui se dé-ploie alors n’est, de l’avis de l’au-teur, ni une crise de l’institution niune crise de la foi, c’est une crisedu lien avec le sacré : Dieu estperçu à la fois comme de plus enplus proche et de plus en plus loin-tain. Au cœur de cette époque,l’angoisse du salut est égalementau cœur de la vie de Calvin. Onpeut comprendre la vie, la théolo-gie et la pastorale du grand réformateur comme portée parl’intention de rassurer les croyantsdans leur relation à Dieu.

L’humanisme lui ouvre la lecturedes anciens et lui permet deconcevoir une méthode exégé-tique qui rejette toute lecture litté-rale de la Bible. Il restera marquépar cette formation, mêmelorsqu’il donnera le sentiment des’en éloigner ou de la critiquer.Dans cette mouvance il participeau courant des Évangéliques qui

se méfient des rites et des pra-tiques religieuse à distance d’unevraie spiritualité. Son désir : quel’Église catholique se réforme !Désir qui lui apparaîtra de moinsen moins probable.

En 1533, à la suite de “l’affairedes placards”, Calvin quitte laFrance. Il s’établira d’abord à Ge-nève où cela se passera assezmal, puis à Strasbourg où il feral’expérience d’une Église Réfor-mée qui fonctionne bien. Ce mo-dèle lui permettra de mener unevéritable réforme à Genève où ilsera rappelé. Il instruira ses pa-roissiens de la Parole de Dieu, lesadmonestera afin qu’ils traduisentleur foi dans leurs actes, les en-serrera dans une discipline ecclé-siastique extrêmement rigoureu-se. L’enjeu n’est-il pas de réaliserune société chrétienne ? Noussommes bien loin de l’individua-lisme dans cette “société du faceà face” où chacun surveille l’autre.

L’époque est à la polémique, àl’outrance et au radicalisme despropos. Calvin est bien de sonépoque ! Son sens de l’Absolu

divin nourrit une intolérance beau-coup pratiquée alors. N’est–il pas“la bouche de Dieu” comme ilaime à se désigner, lui qui veutconstamment sauver l’honneur deDieu ? Intransigeant il a vite fait dediaboliser ceux qui n’adhèrent pasà sa façon de lire Les Écritures.Mais c’est en même temps unhomme très sensible à l’amitié quiparticipera à de nombreux col-loques, écrira de nombreuses let-tres pour partager son point devue ou le défendre, et qui aura ungrand désir d’unité entre lesÉglises de la réforme, même s’iln’aime pas les compromis !

Il écrit et complète, sa vie durant, un ouvrage intitulé L’Insti-tution de la religion chrétienne. Leplus important est pour lui laconnaissance et le partage de lagloire de Dieu. Certes il défend laprédestination, mais ce qui estcentral pour lui c’est d’accueillir lafoi qui est don de Dieu. C’est la foiqui justifie, mais les œuvres nesont pas rejetées si elles sont l’ex-pression de cette foi. Cette penséeprovidentialiste ne fait aucuneplace au libre arbitre individuel.

Exalter le libre arbitre serait en-lever à Dieu une part de sapuissance.

Ce livre très documenté per-met d’entrer dans les contradic-tions de Calvin comme danscelles de son époque. Il permetde dépasser la vision étroite quel’on a souvent de lui, commed’un homme austère et violent,et de revoir les jugements ra-pides que l’on porte sur l’in-fluence qui aurait été la siennedans les siècles qui ont suivi.

Marie-Françoise Tinel30 avril 2009

Mieux connaître Calvin dans son époque

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Elle est pourtant bien républicainecette institution, elle est bien laïqueet nous sommes cependant payéspour y être en tant qu’aumôniers. Ils’agit de l’une des 180 prisons deFrance où notre équipe évolue :Fresnes.

Environ 2 500 personnes détenues.Une autre planète, je vous dis !!!

Y sont embastillées aussi bien despersonnes en attente de jugement,que des personnes ayant à y rester1 ou 3 mois pour, on espère, soldede tous comptes ou d’autres, de pas-sage le plus souvent, mais avec d’im-menses peines allant de 5 ans àperpétuité !

Qu’est-ce qu‘on “fabrique” donc là-dedans, nous équipe d’aumônerie ?

Essentiellement une “présence”,discrète, souvent silencieuse, pleined’écoute et de respect.

Nous avons l’immense privilèged’avoir les clés des cellules donc depouvoir y pénétrer, toujours à la de-mande des personnes. Il ne s’agitpas de faire du prosélytisme, de vou-loir “profiter” de la détresse des genspour y “placer” Jésus. Mais d’être decelles et ceux qui ont le “pouvoir” dedire à tous et chacun qu’ils valentplus, infiniment plus, que leurs er-reurs, magouilles, crimes, forfaits, as-sassinats, viols…

Je ne lui demandais évidemmentrien. C’est lui qui me le dit : “J’ai prisperpétuité” – “Oui ??”. “J’ai fait troismeurtres” (In petto, au moins deuxde trop !). Oui, dans un moment defolie, j’ai égorgé ma copine et mesdeux enfants…”

C’est pas la peine de lui dire quec’est pas très bien ! Il le sait ! Tous lesjours comme toutes les nuits, ça luiest rappelé par sa présence ici, parles murs dégueulasses de sa cellule,par le jugement, et même par saconscience car, voyez-vous, il a tou-jours une conscience !

Mon, notre boulot, celui de l’Églisequi m’envoie là-dedans, c’est bien depouvoir lui dire qu’avec “ça”, quemalgré “ça”, il est toujours aimé, qu’ilreste un homme, qu’il garde sa di-gnité, qu’il n’est pas réduit à “ça”quoiqu’en pensent les nostalgiquesde la peine de mort, ou tout simple-ment les braves gens adeptes despolitiques ultra répressives de l’ac-tuel président et sa démagoguegarde des Sceaux ! Leur combat, leurplaisir ? : faire mourir les gens en lesayant enfermés dans leurs fautes !Notre combat, notre désir : faire vivreles gens en leur disant un pardon quiva au-delà de leurs fautes ! J’ajoutetout de suite pour celles et ceux quiinévitablement, posent la question :“et les victimes ?”, que d’une partnous les avons en tête et que, d’au-tre part, nous ne sommes pas “en-voyés” auprès d’elles. Et enfin, jeretourne la question (à laquelle jen’obtiens pratiquement jamais de ré-ponse !). “Et vous, que faites-vouspour elles ?”

Sur la scène de l’Humain, noustentons de réécrire, de réinterpréterl’histoire de cette femme accuséed’adultère, de ces machos qui l’ac-cusent après en avoir sans doutebien profité, et bien évidemmentl’histoire de Jésus qui… Eh bien quise tait, ne demande rien, prend biengarde de participer au jugement et àl’humiliation collective infligée, et de

son fabuleux : “va” !!! Va vers ton vé-ritable “moi”… Pas celui de tes er-reurs réelles ou supposées, pas celuiinfligé par de sanguinaires vision-naires ou juges, ou imams, ou curésou tout simplement badauds ! Maiscelui proposé par Dieu lui-même !

Les personnes que nous rencon-trons sont par définition évidemmentprivées d’indépendance mais pasforcément… de liberté ! C’est ce quenous tentons d’expliquer au fur et àmesure de nos rencontres, de nosréflexions, de nos “cultes”.

Il y a donc dans cette “société” par-ticulière, et tout à fait légalement :“de la religion” (certes catholiquemais aussi musulmane, juive, ortho-doxe, protestante !). Il me sembleque la Pénitentiaire accueille volon-tiers notre présence, la facilitemême.

Nous tentons d’avoir un minimum(ou un maximum ?) de respect pourle travail des surveillants et leurs per-sonnes. Il est si facile de les dénon-cer comme d’horribles sadiques,d’en faire des boucs émissaires dudysfonctionnement des prisons, cequi dispense évidemment de cher-cher à améliorer leurs conditions, rai-sons et finalités de travail !

Il me semble qu’essentiellement,nous sommes vus comme “faisantde l’humain”. Pas les seuls évi-demment ! Personnels péniten-tiaires, professionnels de la santé,de l’Éducation nationale, GENEPI(Groupement étudiant nationald’enseignements aux personnesincarcérées), intervenants exté-rieurs, visiteurs et j’en oublie, sontlà aussi qui font du bon boulot !

Une autre planète

Société

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Suivant les exhortations de Jésus (Mt 25, 31646), des chrétiens se font présence attentive et aimanteauprès des plus petits, des oubliés. Ils ont le souci d’accueillir l’autre, sans renoncer au discernementni à la réflexion dans l’action.

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Mais nous sommes sans douteperçus comme venant “gratuite-ment”, pour écouter, savoir donnerun “prénom”, pour reconnaître passeulement un détenu, un élève, unpatient, mais une personne, et avoirdu temps pour le faire, des moyenscomme le “culte”.

Ce n’est quand même pas rien depouvoir proposer à quelqu’un, le di-manche, de sortir de son lit, de sa cel-lule ou de sa maison et d’aller auculte, à “l’Église” finalement ; de luidonner d’expérimenter et de dire plusou moins explicitement, que sa de-meure n’est pas son lit, sa cellule, samaison, le bureau du psy ou la tabled’auscultation, mais bien le ciel !!!

Lui, leur, nous, donner finalementde tenter d’aller vers nous-mêmes enretrouvant source et achèvement denotre chemin auprès du Dieu deJésus !

Tous les 15 jours en effet, (dansd’autres détentions, tous les 8 jours)il nous est donné de célébrer lamesse avec les personnes qui enfont la demande…

Inscription, signature du “chef” dedétention, passage au secrétariat dela division, sortie des listings, le jourdit : appel par les surveillants, des-cente des personnes pour ce quel’on appelle le “placard” (espace li-mité où l’on entasse les personnesen attente de mouvement) puis enfinl’arrivée dans l’espace réservé auxmultiples activités. Ici, à Fresnes, cetespace se dénomme “fosse” : 45mètres carrés où vont s’entasser 35à 40 personnes au premier culte,parfois 60 au deuxième. Les surveil-lants sont parfois étonnés de cenombre de participants ! Plus de 100personnes inscrites sur un total de700 dont plus de la moitié relève dela foi musulmane !

L’aumônier que je suis n’est pas naïfet encore moins dupe ! Au début dechaque célébration, je redis mon res-pect pour les raisons de la présence

des gens : sortir de cellule, pouvoir dis-cuter avec un copain, se passer demain à main des objets, quelques-unsquand même pour prier !

J’exige alors le respect pour cesderniers et… pour moi ! J’obtiens engros 20 minutes d’un silence assezfabuleux pendant lequel il me fautcaser des rites !

Les liturgistes doivent alors se re-tourner dans leurs rituels ! Mais jepense profondément que les ritessont faits pour les hommes et nonpas les hommes pour les rites ! Parexemple, je devrais bien, commetout bon célébrant, commencer laprière par un rite pénitentiel : j’ai unmal fou à le faire : déjà, toute lajournée, toute la nuit, toute la se-maine, toute l’année, il leur est ditet redit leurs erreurs ! Faut-il en ra-jouter ou donner infiniment plusd’importance au partage de la Pa-role de Dieu, parole traduite en 15ou 20 langues différentes (vive l’In-ternet !), qui tente de dire la bonté,la tendresse de Dieu ?

Une personne détenue m’a dit unjour : Quand je franchis la porte decette “fosse”, je franchis la porte dema “dignité“. C’est assez fabuleuxqu’il soit permis de telles expres-sions. Que chacun alors lui donne lesens qu’il veut y voir, peu m’importeet je ne sais, ni ne veux savoir… Li-berté de chacun… Mais je sais aussique je ne vois pas beaucoup d’au-tres institutions, lieux, moments où ilest donné à des hommes de pouvoirs’exprimer ainsi !

Ce travail, cette présence, ça neressemble pas à un long fleuve tran-quille. Aumôniers ou pas, et c’est toutà fait normal, il nous faut subir lescontraintes très pesantes d’un règle-ment intérieur interprété par chacundes acteurs de façon différente et lesubir sans broncher ! Il nous faut de-mander l’autorisation pour tout : ren-trer avec un CD ou quelques fleurs,des hosties comme du vin pour la cé-

lébration, des bibles… Voire aussirentrer avec tel ou tel chrétien, copain,paroissien, qui accepte de venir le di-manche. Leur présence au culte estplus qu’appréciée par les personnesdétenues qui n’y voient pas là des visi-teurs de zoo mais des gens qui ne lesconsidèrent pas comme des parias !

En grande et même parfois totalecontradiction avec l’air irrespirablede “la société“, air vicié par des poli-tiques et des médias affligeants, aunom des choix que, chrétiens, nousavons faits et refaisons, nous disonsle pardon possible, la dignité retrou-vable tant chez les victimes que chezles personnes détenues.

Nous partageons et nous nous fai-sons l’écho des questionnementsd’un petit nombre certes “Qu’est-ceque le “mal” ? En référence à quelscritères dit-on “le mal” ou “le bien” ?Que signifie la prison, la mise àl’écart ? Qui t’a fait juge, procureur,avocat général ? Pourquoi est-ce enmajorité les plus fragiles que l’on em-bastille ? Quel prix pour parler un peusérieusement de réinsertion ? …

Nous savons bien qu’apprendre àcroire en Dieu est apprendre à voirles choses et les gens, et les per-sonnes détenues, à la manière dontDieu les voit : dignes d’un investisse-ment infini de compréhension, d’in-térêt et d’amour.

Plus facile évidemment de vilipen-der l’Église qui nous a transmis etnous transmet ces convictions de foimalgré ce qu’elle est parfois, cequ’elle dit parfois, que de mettre enœuvre réellement ces mêmesconvictions que la société, elle, nesait pas dire, ne veut plus dire.

Et ce qui est “vrai” dans ces lieux dedétention, dans ces prisons, cela nele serait pas dans le quartier, en fa-mille, dans l’École ! La foi donnant à lasociété d’accoucher de l’Homme ?

Michel DupontJuin 2009

Val de Marne

Société

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pour les personnes de pouvoirs’exprimer. Elles ont besoin detrouver un lieu pour dire leurs dif-ficultés sinon les problèmes sontaccrus.

On a besoin de s’appuyer surdes partenaires aux compétencespropres. Il est urgent de refaire letissu social, de voir ce qui en-clenche la pauvreté. Bien sûr, lesquestions concernant l’immigra-tion sont partout présentes.

Ce qui nousmotive

Il peut être pesant d’accompa-gner des personnes en difficulté.On ne repère pas toujours le mal-être des gens. Mais les voir soula-gés est motivant. Être dans uneassociation rend solidaire et dyna-mise. Le fait de travailler enéquipe, permet de se soutenir, deparler des difficultés rencontrées,nous engage à connaître les asso-ciations sur le secteur.

Notre regard change quand oncôtoie des personnes différentes

ou en difficulté. Cela décentrenos jugements, nous aide àmieux les aimer telles qu’ellessont.

À une autre rencontre, nousnous sommes dit qu’il fallaitmettre en place un pôle de vi-gilance sur les différentespauvretés, pour conscientiser,susciter quelque chose, créerdu tissu social.

En tant que chrétiens, noussommes concernés. Cela estau cœur de la foi chrétienne.

Suzanne CahenVal de Marne

Les échanges ont porté sur lepourquoi de l’engagement, les mo-tivations et ce que cela apporte àchacun. Les associations nouspermettent de voir beaucoup desituations, d’élargir et sensibilisernotre regard. Témoins de situa-tions, nous avons à soutenir lesinitiatives et à nous en faire l’écho.

Regard porté surces réalités

Beaucoup de personnes sont endifficulté psychologique, mais onrencontre d’autres formes de pau-vreté. Les femmes sont particuliè-rement touchées. Un tout petitcoup de pouce permet à des per-sonnes de se redresser et de re-trouver leur dignité.

Les situations sont diverses etcomplexes, les causes nom-breuses. Un problème dans la fa-mille provoque tout un engrenage.Des personnes se trouvent devantun cumul de difficultés. L’accom-pagnement est primordial. Celarompt l’isolement. Il est important

SolidaritésSociété

30 Lignes de crêtes 2009 - 4

Dans un monde où la richessedes riches n’a jamais été aussiscandaleuse, même si certainsont quelques soucis actuellementavec leurs capitaux, les pauvretéssont toujours aussi criantes.

On meurt toujours de faim dansbien des pays déshérités par unenature hostile, pillés ou en guerre.Dans nos pays prospères où l’ontente d’expliquer par la crise éco-nomique de profondes inégalitésqui ne sont pas d’hier, beaucoupsurvivent péniblement et sansfaire de bruit.

Le 17 mars 2008, une premièrerencontre a réuni à Saint Martind’Orly/Choisy, des personnes en-gagées dans des mouvements etassociations centrés sur la solida-rité, témoins ou attentives à dessituations de pauvreté : finan-cière, culturelle, sociale, humaine,manque de logement, sans pa-piers, femmes battues, nonconnaissance de ses droits, soli-tude devant ses problèmes...Toutes les associations ne sontpas chrétiennes, comme parexemple le Club de Prévention oula Ligue des Droits de l’Homme.

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Pour pouvoir dire qu’un serviced’aumônerie catholique dans unhôpital s’inscrit positivement dansla société qui l’entoure, il ne suffitpas que ce service soit officielle-ment reconnu par la structure hos-pitalière comme c’est le cas dansles hôpitaux publics. Depuis onzeans que j’assure, avec d’autres, ceservice dans les hôpitaux deReims, je vois mieux quelles condi-tions permettent des échanges(dans les deux sens) entre le ser-vice que nous voulons rendre aunom de notre foi et les attentes dela société à l’heure oùnous sommes.

D’abord, le fait quel’aumônerie ne se ré-duise plus à un homme-prêtre, comme cela a étéle cas très longtemps,mais soit constituéed’une équipe mandatéed’hommes et de femmesproposant une rencontreaux patients, change trèsheureusement l’image que lesgens peuvent avoir de ce service.Non seulement il n’y a plus lapeur, de la part du malade, d’unempiètement autoritaire sur sa vieintérieure, mais la diversité mêmede l’équipe permet des entretiensgénéralement plus vrais et au-thentiques. L’ambition, partagéepar les membres de l’équipe d’au-mônerie, étant de pouvoir rejoin-dre le patient là où il en est de savie “spirituelle” (distinguée, autantque possible, de ses éventuellesattentes “religieuses”...) : c’est-à-dire tout ce qui donne un sens àsa vie, à tous les plans, tout ce quipeut l’aider à affronter l’épreuvequ’est toujours la maladie, afin del’encourager, s’il l’accepte, à faireun ou deux pas de plus... Cela sup-pose, on s’en doute, une très

grande qualité d’écoute (et c’estparfois fatigant...), l’absence detout prosélytisme (même pour labonne cause !) et le respect valo-risé de tout cheminement humaindans sa vérité profonde. Cela rendévidemment nécessaire une for-mation, initiale et continue, pourles personnes qui désirent pren-dre leur place dans ce serviced’Église.

Par ailleurs, dans notre sociététrès sensible à la violence que peut générer toute affirmation

religieuse abrupte,on res sent commepositif qu’une au-mônerie catholiquepuisse travailler enbonne intelligenceavec l’aumônerieprotestante, etmême avec l’aumô-nerie israélite oumusulmane. Dansmon hôpital cen-tral, ces quatre ser-

vices ont un statut officiel etpartagent un même bureau. Troisde ces aumôneries y assurent unepermanence d’accueil pour les fa-milles des patients, à certains mo-ments définis. De plus, l’espacede prière, qui est commun, est uti-lisé très pacifiquement par cestrois aumôneries (catholique, pro-testante et musulmane). Et le cli-mat fraternel qui émane de cettereconnaissance mutuelle est trèslargement apprécié de tous ceuxqui pratiquent l’hôpital.

Enfin, l’accompagnement reli-gieux des malades qui s’appro-chent de leur fin de vie trouve uncadre réconfortant dans lecontenu de la loi Léonetti (votée àl’unanimité, il faut le souligner, enavril 2005), dont le double refus,

de l’euthanasie active d’un côté,et, de l’autre, de l’acharnementthérapeutique, réalise un miracu-leux équilibre (on peut souhaiterqu’il dure longtemps...) entre lespositions très antagonistes quis’opposent à ce sujet dans la sen-sibilité française. Cette loi n’est pasassez connue, elle n’est même pastoujours appliquée, mais elle esttrès proche de nos conceptionschrétiennes de la valeur et du res-pect de toute vie humaine.

En réalité, le service d’aumône-rie est, tout à la fois, reconnucomme un vrai “service” par la di-rection hospitalière, et, en mêmetemps, pas toujours ressenticomme tel par les personnels soi-gnants, en fonction, pour une partau moins, du caractère et du com-portement du membre de l’aumô-nerie dans ses contacts avec lesmédecins, infirmiers, aides-soi-gnants et personnels d’entretienqu’il peut rencontrer lors de ses vi-sites des patients. Dans sa singu-larité même, parfois dérangeante,le service d’aumônerie contribuelargement à créer du lien entrel’ensemble des personnels hospi-taliers eux-mêmes. À l’heure oùles progrès de la recherche médi-cale spécialisent de plus en plusles soignants, où la réforme fran-çaise actuelle de l’hôpital valorise,parfois à l’excès, la rentabilité dessoins, il me semble qu’il serait gra-vement dommageable, pour la re-connaissance et la prise encompte de la personne même desmalades dans sa singularité, ques’efface la présence reconnued’un service comme celui qu’es-saie de rendre une aumônerie.

Philippe MarniquetMarne

Une équipe au service des malades

Société

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Le désir de bien faire peut parfoisnuire à la réflexion, à tout le moins,la rendre très approximative.

Un article paru dans le bulletinde la ville dont je suis une élue,vient d’annoncer, avec un grandsatisfecit de tout le conseil muni-cipal, la mise en place d’un carrémusulman au cœur du cimetièrede la commune. Proposition adop-tée à l’unanimité ! C’est assez rarepour que cela soit souligné.

Toutefois, ces propos consen-suels ne témoignent pas du débatqui s’est déroulé en amont, aucours d’une réunion municipale.

Un lundi soir, donc, l’adjointe aumaire chargée, entre autres, desquestions de relations intercom-munautaires, présente, sûre àl’avance de remporter un grandsuccès, le projet de ce “carré”. Ledossier impeccablement traitécomprenait les comptes rendusdes différentes rencontres avec lesreprésentants des communautésmusulmane, juive et chrétienne.Rencontres qui aboutissaient à unaccord sans restriction pour cetteinstallation. Tout concourait d’ail-leurs à ce succès, puisque le ci-metière est orienté exactementcomme il le faut et que, de ce fait,la disposition des tombes musul-manes ne devrait pas se différen-cier de celle des autres sépultures.

Ces échanges ont permis égale-ment aux uns et aux autres deconnaître réciproquement les ri-tuels liés à l’ensevelissement desmorts dans leur religion.

Félicitations du maire pour cetravail rondement mené !

Oui, mais… Au milieu deslouanges, une petite voix, la

Être laïque ? Pas si simple !ou

L’enfer est pavé de bonnes intentions !

Société

32 Lignes de crêtes 2009 - 4

catégorie de la population, sur descritères religieux justement.

Au détour des informationstransmises, j’apprends égalementque chez nos frères musulmans,le rituel de l’ensevelissement estune affaire d’hommes et que lesfemmes et les enfants ne sont pasadmis sur le lieu.

La mort a ceci de bien, qu’ellenous place tous à égalité. Vraiment.

Je n’imagine donc pas que les dé-funts où qu’ils soient accueillis aprèsleur décès, reproduisent les guerresde religion et de l’intolérance, les soirsde pleine lune ! Alors, pourquoi met-tre en place cette discrimination ? Denombreux adeptes de religions diffé-rentes sont enterrés dans ce cime-tière et j’étais sensible au fait depouvoir, de tombe en tombe, parcourirle monde rien qu’en regardant lesidentités gravées dans la pierre. Lepassage dans les allées de ce secteurdédié va-t-il être interdit aux femmeset aux enfants ?

C’est, paraît-il, parce qu’ils sou-haitent se retrouver ensemble queces ressortissants musulmans ontrevendiqué l’installation de ce“carré”. S’il s’était agi de regrou-pement par nationalité, je n’auraissans doute rien opposé au projet,mais il s’agit en l’occurrence d’uncritère religieux dans un lieu ré-puté au-delà des religions.

Le cimetière est laïque.Il est ouvert à tous, il nedoit donc pas y avoir, saufsur les tombes qui sontpersonnelles et témoi-gnent de ce qui faisait lapersonne ensevelie, d’in-dication signalant que celieu est voué à un culte

mienne, s’élève et vient jeter unpeu de trouble. Bien sûr, je n’airien à dire sur la qualité du travailaccompli. Bien sûr, il est normalque tout citoyen de la communedispose d’une place au cimetièrecommunal, mais quelque choseme chiffonne. Quelque chose qu’ilme faut absolument exprimer etce, même avec le risque de memettre à dos tout le Conseil. Alorsque j’étais tout à fait disposée àapprouver cette heureuse initia-tive, juste avant le début de la réu-nion, j’apprends de la bouche d’unautre adjoint, en charge, lui, descimetières, que la croix qui sur-plombait l’entrée de celui-ci n’apas été replacée après les travauxde clôture, au prétexte que le ci-metière est laïque et qu’il n’estdonc pas autorisé de laisser unsigne religieux à l’entrée. Cela, jele conçois fort bien en considérantla diversité de la population de laville. En revanche, je comprendsmoins bien qu’à l’intérieur du ci-metière où reposent déjà, pacifi-quement et harmonieusement,des défunts d’appartenances cul-turelles diverses, un secteur soitdéfini comme étant réservé à une

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religieux particulier. Accessoire-ment, j’ajouterai qu’une telle répar-tition risque de désigner à quelquesallumés l’endroit de profanationséventuelles.

Le débat intéressant qui suivitmontra que mes arguments avaientébranlé quelques certitudes. Il ré-véla surtout à quel point nous étionsempêtrés dans les discours conve-nus (politiquement corrects) et ledésir d’être conforme à une imageidéale de “bon citoyen”, tolérant,respectueux de l’autre et surtout,surtout pas raciste !

Qui n’a pas été confronté à une si-tuation dans laquelle, pour échap-per à cet adjectif infâmant, on laissefaire, on laisse dire n’importe quoi,parce que ce n’est pas important,parce qu’il n’y a pas de danger ?Combien d’enseignants se sonttrouvés d’un coup déstabilisés parun élève, manifestement d’origineétrangère, manifestement ressortis-sant d’une religion différente, ve-nant contester une sanction (quandce n’est pas un cours) avec cette ac-cusation terrible : “Vous êtes ra-ciste” ?

Nous avons des difficultés aveccertains garnements parce que nousne savons plus nous positionner clai-rement. (Au fait, avons-nous encoreune position ?) Nous avons souvent

une attitude, dans ces situations, decoupable a priori.

De la simplicité, du bon sens, voilàce qui nous fait défaut ! Si je sais qui jesuis, d’où je viens, et, je l’espère, où jevais, je peux entrer en relation avec unautre, différent de moi.

La proposition du “carré musul-man” a été adoptée à l’unanimitéparce que, politiquement, il eût étéincorrect qu’il en soit autrement.Mais il conviendrait vraiment quenous réfléchissions à ce que nousdisons et laissons dire.

Dernièrement, je participais à uneréunion préparatoire à un séjour encamping pour des enfants d’un centresocial. Une dizaine d’adolescents, gar-çons et filles, d’origines et de culturesvariées, étaient présents avec leursparents (mamans surtout !). Deux res-ponsables du séjour présentaient leslieux, les activités, les règles de vie dece séjour. Rien que de normal.Jusqu’au moment où une maman ma-ghrébine fait remarquer à l’animateur,maghrébin lui aussi, que son fils nemange pas de porc. “Y a pas de pro-blème ! la rassure-t-il. J’ai demandéaux autres. Ils sont tous d’accord pourmanger Hallal !”…

Marie-Inès SilicaniArdennes - 2 août 2009

Société

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Transmettre la foi est-ce possible ?Histoire de l’aumônerie ca-téchuménale1971-1997Jean-Marie-SwerryAvec Christian Biot, MoniqueChomel, Pierre de Givenchy etJean PeycelonEd. Karthala, été 2009300 p. - 23 €

Comment les Aumôneries del’Enseignement Public ont-ellesfait face au changement radicalde mentalité des collégiens et ly-céens auxquels elles s’adres-saient dans les années 71-97 ?

Un petit groupe de respon-sables de ces années là qui in-titulait la dynamique de sarecherche “aumônerie caté-chuménale”, a reconstitué ladémarche et retrouvé les ar-chives qui permettent d’entrerdans la logique de sa ré-flexion. Accueillir, faire grandiren humanité, annoncer Jésus-Christ, ces objectifs en ten-sions les uns avec les autresrompent avec le catéchismetraditionnel. Mais l’Église n’estpas alors prête à prendre encompte les bouleversementsculturels. Elle semble au-jourd’hui avoir un peu bougé.Mgr Dagens dans sa lettre auxcatholiques de France avait re-pris ce terme de “catéchume-nal” que nos Évêques mettentà l’honneur aujourd’hui nousinvitant à une “initiation caté-chuménale”.

De bonnes raisons de lire celivre : pour mieux cerner cepassé récent où nous avonsété acteurs à différents ni-veaux et pour mieux compren-dre comment entrer en relationavec ceux qui sont en attentedu Christ aujourd’hui.

Inscription chrétienne dans une société séculariséeGuy Coq - Ed : Paroles et Silence 2009

213 p. - 18 €

On trouvera dans ce dernier ou-vrage de l’auteur un certain nom-bre de ses textes qu’il est bon degarder en mémoire. Notamment saconférence aux Évêques de Franceen novembre 2008, où il s’interrogesur ce que l’on entend par visibilitéde l’Église et par l’indifférence sup-posée des non chrétiens à l’endroitde l’Évangile. C’est un appel à nepas négliger la réalité de notremonde dans lequel la vie chré-

tienne s’inscrit, On y trouve égale-ment développées, les analyses queGuy Coq a partagé dans la presse surla crise de l’Église du printemps 2009: levée des excommunications des Le-febvriste, affaire Williamson, excom-munication à Recife, affaire dupréservatif. Une invitation d’un croyantà convertir la relation de défiance del’Église à l’égard du Monde, à mieuxcomprendre la culture actuelle pourmieux se faire comprendre d’elle.

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Prière

Lignes de crêtes 2009 - 4

Donne-nous le couragelà où nous vivons chaque jourde prendre position au nom de notre foi,de ne pas mettre sous le boisseaunotre attachement au Christ,même si cela doit nous amener ironie ou rejet,Seigneur, nous te le demandons.

Donne-nous le couraged’ouvrir nos yeux sur les injusticesqui viennent de l’argent, du pouvoirou de la lenteur des administrations,et de les résoudre avec nos moyens,au nom de notre foi,même si cela doit nuire à notre tranquillité,Seigneur, nous te le demandons.

Donne-nous le couragede participer activement à la communauté d’Égliseà laquelle nous appartenons,afin qu’elle devienne le lieu où notre vie,avec ses conflits et ses recherches,se trouve éclairée par notre foi,Seigneur, nous te le demandons.

Ne nous laisse pas au repos, Seigneur,tant que notre foi n’imprime pas son exigencesur l’éventail de toute notre vie.Nous t’en prions, aide-nous à être des croyantsdans la pratique de chaque jour.

Charles SingerPrière extraite de “Prier - n° 295

Donne-nous le courage

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Et ailleurs ?

35Lignes de crêtes 2009 - 4

Christine Antoine, Didier Tardifet moi sommes allés, fin avril,quelques jours en Roumanie pourrencontrer des collègues, mem-bres des Équipes Enseignantes dece pays. Au fil de nos déplace-ments et de nos rencontres nousavons essayé de comprendre,bien superficiellement sans doute,ce nouveau membre de l’UnionEuropéenne.

Un voyage en train entre Bucarestet Bacau, un déplacement en voiturevers la Bucovine, quelques heures àBucarest, quelques jours à Bacau, etnos regards sont accrochés par descontradictions. En ville, des immeu-bles neufs et de nombreusesbanques affichent leur nouveauté etcôtoient les “blocs” gris et dégradésqu’habitent nos collègues ensei-gnants, comme la plupart des per-sonnes des classes moyennes dupays. Le long des routes, des villagesanciens aux rues en terre battue seprolongent par des maisons impo-santes, neuves ou en construction,qui semblent dire la réussite de leurpropriétaire. Sont-elles construites pardes immigrés ?

Mais le plus surprenant pour nousqui venons d’un pays laïque, est l’om-niprésence des Églises dans lasphère publique. La religiosité s’ex-prime non seulement dans les lieuxde culte par des signes de croix répé-tés, des baisers aux icônes, descierges allumés… mais aussi dans lesrues, aux ronds-points où de grandesbanderoles proclament “Christ estressuscité“. Nous arrivions en Rou-manie juste après les fêtes dePâques. Pour les Roumains, c’est ungrand moment de l’année liturgiqueet l’occasion de nombreuses réjouis-sances. Ce jour-là on se salue en di-

sant “Christ est ressuscité !” et l’on ré-pond “Il est vraiment ressuscité !”.Nous avons entendu se saluer de lasorte des invités à un débat télévisé.Pâques est une fête religieuse et so-ciale. Les rues et les magasins sontdécorés comme chez nous pour Noël.

Les Roumains sont croyants et pra-tiquants. Nous avons participé à unemesse catholique un vendredi soir,l’église était pleine et c’était la troi-sième messe de la journée ! Leséglises sont trop petites pour accueil-lir tous les fidèles. Dans tout le paysnous avons vu se construire de nou-veaux édifices religieux.

Quinze cultes religieux sont recon-nus et aidés par l’État. Avec plus de86 % de croyants, l’Orthodoxie do-mine nettement. En Valachie et Mol-davie, les croyants de religionorthodoxe représentent la quasi-tota-lité de la population. L’Église catho-lique de rite latin est puissante enTransylvanie, elle concerne 5 % de lapopulation du pays, tandis que 1,5 %des catholiques sont de rite grec. Lacommunauté protestante regroupe5 % des Roumains, avec un succèsimportant pour les Adventistes, Bap-tistes et Pentecôtistes. Quelques mu-sulmans (50 000 environ) le long dela Mer Noire et une communautéjuive réduite à 20 000 personnes.

L’Église orthodoxe est en pleine re-naissance. Les vocations sont nom-breuses. Les popes et les moines,comme les prêtres catholiques, sontsouvent jeunes, toujours écoutés ettrès respectés. L’Église orthodoxecompte plus de 8 000 moines et mo-niales qui vivent à l’écart du monde.Nous avons rencontré une religieuse,grand-mère mariée, qui habite un vil-lage de moniales (450 moniales) dont

la prière est la principale activité.Contrôlée sous le régime commu-niste, l’Église orthodoxe est séparéede l’État depuis le début des années1990. Le Patriarche Daniel penseque “les cultes sont autonomes faceà l’État, mais en même temps ilscoopèrent avec l’État pour le biencommun“. C’est pourquoi l’Église or-thodoxe assure l’assistance socialeen partenariat avec les autorités cen-trales et locales et avec les ONG in-ternes et internationales. L’Égliseorthodoxe dirige de nombreuses ins-titutions sociales (établissementspour enfants, pour personnes âgées,cantines sociales, cabinets médicauxet pharmacies sociales…). Plus de10 000 professeurs enseignent la re-ligion dans les écoles publiques.Après son intronisation, le PatriarcheDaniel a créé un groupe de presse.“Cela permet d’une certaine manièreà l’Église de récupérer sa place et sonrôle naturel au sein de la société“d’après le P. Stoica.

Une nouvelle génération entre enscène ; les jeunes ont un fort désirde vivre à l’occidentale. Pour le Pa-triarche Daniel, le plus grand défi au-quel l’Église est confrontée aujour-d’hui est la sécularisation. “En d’au-tres termes, il s’agit d’une sociétéqui se construit de plus en plus sansréférence à Dieu, sans référenceaux valeurs religieuses… La sécula-risation est un vide spirituel”.

Malgré tout, la Roumanie reste unpays très religieux. Comme nous le di-sait Cécilia : “l’Église est une oasispour les gens face aux détourne-ments de fonds, à la violence, à lacrise très grave en Roumanie. L’Égliseapporte moralité, stabilité, confiance”.

Maïté Martin

Retour de Roumanie

Différentes manières de s’inscrire dans la société : un regard de collègues français sur les chrétiensorthodoxes en Roumanie, l’exemple de l’Église d’Espagne, la réflexion d’un théologien brésilien surl’Église de son pays.

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Dès que l’on évoque l’Espagneet la religion, les mythes et les cli-chés viennent à l’esprit : intolé-rance religieuse, souvenir del’Inquisition, poids de l’OpusDei… À côté de ce catholicismeintransigeant – n’a-t-on pas dit,ironiquement, que les évêquesespagnols étaient restés sansvoix à Vatican II d’avoir trop criélors du concile Vatican I, sommetde la réaction religieuse face aulibéralisme ! – , cohabitent, nonsans mal, des tenants d’une laï-cité à la française dont le sym-bole reste le président ManuelAzaña (1880-1940) qui avait dé-claré en 1931 que “l’Espagneavait cessé d’être catholique” etqui avait amorcé une politique desécularisation.

Le drame est que ces clichés,malgré leur caractère factice, ontla vie dure et contribuent à dé-terminer des positionnements etdes débats, devenant ainsi nonplus des clichés mais des don-nées du problème.

Le statut actuel de l’Église enEspagne est fixé par les accordsdu 28 juillet 1976 mettant fin auConcordat de 1953 signé parFranco. L’État espagnol aban-donne son droit de présentationdes évêques. La constitution dé-mocratique, approuvée par réfé-rendum le 6 décembre 1978,stipule, en son article 16, la libertéreligieuse. Tout en déclarant laneutralité confessionnelle del’État, elle accorde à l’Église uneprééminence de type historique.Cette rédaction suscita de vifs dé-bats au sein du Parlement où l’op-position socialiste et communistedénonça la mention explicite del’Église catholique dans le texteconstitutionnel. Cependant, animé

par le souci de ne pas réouvrir unequerelle religieuse douloureuse,l’accord se fit entre tous les partis.

Quatre accords sont signés le 3janvier 1979 entre Madrid et le Va-tican. Ils précisent le statut juri-dique de l’Église en Espagne, sasituation économique et sonmode de financement, sa placedans l’enseignement et les af-faires culturelles et enfin son as-sistance religieuse aux forcesarmées. Tout en étant devenu laïc,l’État espagnol n’est cependantpas complètement séparé del’Église catholique. En 1987, uneimportante réforme de l’impôt surle revenu a conduit le gouverne-ment à lier le financement del’Église et des œuvres d’utilité pu-blique à un acte volontaire ducontribuable. Une case, dans sadéclaration des revenus, lui per-met de destiner 0,70% de sonimpôt soit à l’Église, soit à desONG. Il peut aussi laisser cette

case vierge. La situation juridico-institutionnelle de l’Église en Es-pagne ressemble ainsi d’assez

près à celle de l’Église catho-lique en Allemagne.

Convaincu que la séculari-sation de la société espagnoleest maintenant largement ac-quise, le gouvernement socia-liste actuel entend “laïciser”définitivement l’Espagne et ilporte son combat sur lesquestions de société avec en2005 l’adoption du mariagehomosexuel. Actuellement estétudié un projet de loi portantsur l’allongement de la duréelégale pour une IVG actuelle-ment de 10 semaines. La mi-nistre de l’Égalité, BibianaAido, a déclaré récemmentqu’un fœtus de 13 semainesn’était pas un être humain,lançant une polémique danslaquelle l’Église et la confé-

rence épiscopale sont en pointe.Parmi les dispositions envisagées,la possibilité pour les filles de 16ans d’avorter sans autorisationparentale ainsi que la distributiongratuite de la pilule du lendemainsans limite d’âge !

Au cours de la dernière cam-pagne électorale en 2008, la vice-présidente du gouvernementMaría Teresa Fernandez de laVega a annoncé l’intention de “sé-parer” l’Église catholique del’État. On aura là une forte occa-sion d’affrontement social : une loisur la liberté religieuse – en faitune loi ôtant à l’Église toute pré-éminence dans l’espace social –est en voie de rédaction. En 2006,la Conférence épiscopale publiaitdes Orientations morales pourl’actuelle situation de l’Espagne.Dénonçant une vague de laïcisme

État, Église et Société en Espagne

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sans précédent qui menaçait la ré-conciliation obtenue des Espa-gnols, les évêques espagnolsportaient un jugement sévère surle pays. Ils déplorent “une sociétéqui s’affronte aux valeurs les plusfondamentales de sa culture, quilaisse déracinés la famille et lemariage, qui dissout les fonde-ments de la vie morale, de la jus-tice et de la solidarité” – maisdiscernent des “éléments positifs”dans la société actuelle – “le pro-grès matériel, les droits de lafemme, de l’enfant, des per-sonnes âgées, la sensibilité écolo-gique”. Le dialogue entre Église etsociété est en train de virer au dia-logue de sourds. La politisation extrême et le choix de la confron-tation dans l’espace public – les nombreuses manifestationsconvoquées par l’Église à partir de2005 et jusqu’en décembre 2007–, le choix de certaines pratiques– le 21 juin dernier le cardinal-ar-chevêque de Madrid a célébré fas-tueusement les 90 ans de laconsécration de l’Espagne auSacré Cœur de Jésus dont on saitla très forte connotation politique– les perversités du système mé-diatique dont on connaît les effetspar rapport aux sujets d’ordre reli-gieux, la faible capacité de l’Égliseespagnole actuelle à susciter despersonnalités médiatiques ou cha-rismatiques ainsi que l’exploita-tion électoraliste par José LuisRodríguez Zapatero de ce thèmequi mobilise la gauche expliquentcet éloignement vécu sur le modede la déchirure ou de l’exclusionentre État, Église et société.

Benoît PellistrandiParis

La nouvelle situation, provoquéepar la conquête du monde par lesystème capitaliste mondial, obligeà changer d’attitude face aumonde. L’Église paraît muette etdésorientée. Le Pape saura-t-ildonner des signes prophétiquesclairs dans ce monde néo-libéral ?Continuera-t-il à penser que lafonction de l’Église est d’offrir cequ’on appelle sa doctrine sociale ?

Le Concile Vatican II proclameque l’Église est au service dumonde et n’est pas une fin en elle-même. Sa finalité est le salut detous les peuples, de l’humanitéentière. Il reconnaît l’autonomiedu monde et que ce n’est pasl’Église qui le dirige comme auxtemps de la chrétienté. Mais lesparoles disent une chose et la réa-lité est différente. Dans la pra-tique, une grande partie del’Église agit comme s’il y avait en-core, ou comme si on pouvait re-faire, une nouvelle chrétientésemblable à celle de la premièrepartie du 20e siècle.

Quand se réalisa la séparationde l’Église et de l’État au Brésil, lesévêques ne suivirent pas les re-commandations du Père JulioMaria, ils élaborèrent un pro-gramme de reconquête du pouvoirperdu, en profitant des structuresde la société républicaine, de tellemanière que l’Église puisse, dansla pratique, refaire une chrétienté.

Ils adoptèrent comme priorité lastratégie de toujours : évangéliserau moyen des enfants et des ins-titutions d’éducation. De fait, enun peu plus de 50 ans et sous labaguette du Cardinal Leme, grandadmirateur de la nouvelle chré-tienté d’Europe, l’Église du Brésilretrouva une grande puissance.On a dit que 80 % des élites brési-liennes avaient été éduquées

dans des collègescatholiques. De nou-veau, l’Église retrou-vait une façadeimpressionnante etentre l’Église et l’Étatsubsistait une conni-vence. La classe diri-geante sentait

qu’elle avait besoin de l’Église pourmaintenir le peuple dans la sou-mission, et n’épargnait pas les fa-veurs ni même les privilèges dontfurent bénéficiaires les institutionscatholiques.

Presque tous les pays latino-américains eurent une évolutionsemblable à celle du Brésil. Lemodèle était “l’État-Providence”d’Europe occidentale : un capita-lisme limité par une législation so-ciale protectrice des travailleurs,et la conservation des valeurséthiques traditionnelles, surtoutdans la famille. Cette nouvellechrétienté n’a pas mis en questionla structure du milieu rural et lespaysans restèrent ignorés et sansinfluence. Le plan de la Commis-sion Économique pour l’AmériqueLatine s’arrangeait de ce modèleparce qu’il empêchait le grand ca-pital mondial de s’emparer del’économie nationale, bien qu’ileût déjà réalisé quelques incur-sions. Tout paraissait en paix. Les

Au Brésil : l’Église vitencore dans l’illusion

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Le Concile Vatican IIproclame que l’Église est auservice du monde et n’estpas une fin en elle-même.

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accords entre les évêques brési-liens et le président Juscelino Ku-bitschek furent le symbole desrelations harmonieuses d’une néo-chrétienté de fait, dans laquellel’Église, officiellement sans pouvoirpolitique, l’avait en réalité, grâce àdes relations cordiales entre lepouvoir religieux et le pouvoir civil,fédéral, d’État ou municipal.

Vinrent les régimes militairesqui ne changèrent pas fondamen-talement la structure de la sociétésauf au Chili, où Pinochet introdui-sit le nouveau modèle de globali-sation néo-libérale dès les années70. Au Brésil, l’Église a assumé ladéfense des libertés civiles et desdroits des citoyens, avec un cer-tain succès : la répression y a étébien moindre qu’en Argen-tine ou au Chili ou dans lespays d’Amérique Centrale etil n’y a pas eu de grand conflitlié à la structure sociale etéconomique. Dans la pra-tique, les gouvernementsmilitaires ont prolongé laphase antérieure et prati-qué un nationalisme qui lesprotégeait de la contamina-tion par le modèle néo-libé-ral ; leurs politiques s’accordaientà la doctrine sociale de l’Église etles épiscopats ayant collaboréavec les gouvernements militairesinvoquaient cet argument.

Après les régimes militaires,beaucoup, dont le clergé et l’épi-scopat, pensèrent qu’on allait re-tourner au système antérieur,aussi harmonieux, de relations pa-cifiques où la doctrine socialepourrait fournir l’idéologie des ré-gimes de “Bien-être social” etpourrait même intégrer d’autressecteurs de la population commeles paysans. On pensait que letemps de la réforme agraire étaitarrivé. Et l’Église est restée silen-cieuse : le parti démocrate chré-tien au pouvoir a pris laresponsabilité de continuer ainsi.

Dans les années 90, est arrivéela “décennie de la honte” après la“décennie perdue” des années80. Les pays latino-américains sesont ouverts au néolibéralisme ets’intégrèrent dans l’empiredu néocapitalisme des grandesmultinationales. Ce qui s’étaitpassé dans le Premier Monde de-puis les années 70 et surtout 80,entra en Amérique Latine, sanseffet sensible sur la relationÉglise-Monde.

Sous des apparences démocra-tiques, le pouvoir a été transférédes États aux grands complexes fi-nanciers et aux multinationales.Les gouvernements se proclamè-rent encore fidèles à la doctrinesociale de l’Église, mais le nou-

veau pouvoir économique mondialignore complètement cette doc-trine. Entre le projet de l’Église etle projet du grand capital il n’y aplus de contact. Le modèle éco-nomique invoque l’autorité de lascience. Et contre la science on nepeut rien.

Cela signifie que la doctrine so-ciale de l’Église a perdu toute saforce, toute pertinence, parcequ’elle est inefficace, sans effetréel dans la société. C’est commesi elle n’existait pas. Aussisommes-nous dans une situationnouvelle : une Église du silence aumilieu d’une société guidée par lavaleur suprême de l’argent, pourlaquelle les normes sont la com-pétitivité et le renforcement dupouvoir. Personne ne lit la doctrine

sociale de l’Église, parce que toussavent consciemment ou incons-ciemment qu’elle n’est plus du touten vigueur, elle est sans contenuréel et n’a pas d’application.

Alors l’Église doit exprimer sontémoignage d’une autre manière.Aujourd’hui, publier des docu-ments ou faire des discoursmanque de pertinence. Personnene lit ces documents, proclama-tions, appels et ainsi de suite. Lemonde actuel a besoin de recevoirdes messages plus concrets,plus forts, qui arrivent à mobiliserles media et éveiller l’attention etl’émotion des masses.

Ce qui porte témoignage au-jourd’hui ce ne sont pas les pa-roles, mais les gestes. Le geste de

Daniel qui refuse d’ado-rer la statue en or. Où estla statue en or ? Elle està Davos, au club deParis, au FMI, à l’OMC.Elle est dans les multi-nationales. Les effetssont innombrables : mer-cantilisation du travail,réduction du travailleuren esclave de l’entre-prise, exclusion sociale

de la moitié de la population, favel-lisation des grandes villes et ainside suite. Ce ne sont pas de petitsscandales isolés mais des faits im-menses qui affectent précisémentdes êtres humains.

Ce qu’on attend ce sont des ac-tions prophétiques de grande visi-bilité qui manifestent la parole deDieu dans l’humanité, de manièrequ’elle puisse, de fait, atteindre lesmultitudes. Un exemple : quandl’évêque de Barra a fait la grève dela faim pour appeler l’attention surles mensonges et les injustices duprojet de détournement des eauxdu Rio São Francisco, tous lesmedia communiquèrent la nou-velle. Cette simple action a réussià provoquer un débat dans l’opi-nion publique nationale, et à fairesuspendre, et peut-être annulerpour toujours, le projet. Si la Confé-

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Les gouvernements seproclamèrent encore fidèles àla doctrine sociale de l’Église,

mais le nouveau pouvoiréconomique mondial ignore

complètement cette doctrine.

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rence des évêques du Brésil avaitpublié un document, personnen’en aurait pris connaissance.

Au temps des régimes militaires,des évêques, de grande person-nalité posèrent des actes prophé-tiques semblables au Brésil, auChili et dans beaucoup de pays. Lamort de Don Oscar Romero a étéun signe extraordinaire. À l’époqueles signes étaient destinés auxpeuples dominés par des dicta-tures militaires. Aujourd’hui, l’en-nemi c’est le système économiquedictatorial mondial centré dans lespays du Premier Monde.

Avec le nouveau système decommunication mis en place dansl’Église, toute l’attention des medias’est portée sur la personne duPape Jean Paul II, qui a monopo-lisé le pouvoir des images. Il étaitl’unique catholique connu desmedia. Ce Pape avait le don de lacommunication et, consciemmentou inconsciemment, il voulait êtrel’unique étoile. Il réussit à donner àl’Église une visibilité impression-nante. Mais, globalement, sonmessage était orienté de manièreassez unilatérale. Il est impossiblequ’une seule personne concentreen elle-même toute la mission detémoignage de l’Église.

Les œuvres catholiques ne sontplus des signes forts dans lemonde d’aujourd’hui. Elles parais-sent bien plutôt être des îlots, desrefuges, des entités qui restent in-connues du reste du monde. Ellesservent aux chrétiens tradition-nels mais ne constituent pas uneannonce de l’Évangile pour lagrande masse des gens. Il nemanque pas de cas où le messagediffusé par ces œuvres est que“l’Église est riche”.

Si l’Église continue à réserverpour elle-même les meilleuresforces des religieux et des laïcs,qui sera présent et qui portera té-moignage dans les entreprises,

dans les grands ensembles d’ha-bitation, dans les favelas, dans lesuniversités, dans les collèges etailleurs ?

Aujourd’hui existent des milliersd’associations et organisations delutte contre la société néo-libérale.Toutes ont besoin d’une idéologie,de projets concrets et de diri-geants honnêtes. Il y a place pourque les catholiques s’y manifes-tent comme serviteurs les plusdésintéressés, les plus dévoués,les plus honnêtes. Ils peuvent êtrele sel de la terre, la lumière qui dansla montagne attire les regards.

Les exhortations officielles inci-tent les laïcs à porter témoignagedans le monde, mais commentpeuvent-ils le faire, s’ils sont mo-bilisés au service des institutionscatholiques ? L’institution utilisebeaucoup de personnes qui pour-raient être au milieu du monde. Ily a contradiction entre le discoursofficiel sur les laïcs et la pratiqueinstitutionnelle qui ne s’intéressepas au monde. La hiérarchie de-vrait adopter une attitude plusclaire et donner des orientationsnon contradictoires.

Le défi lancé aux chrétiens parle monde est aujourd’hui beau-coup plus grave qu’avant. Car lesystème est très fort, très autori-taire. L’économie néo-libérale a laforce des empereurs romains. Lapression psychologique qu’elleexerce est forte : dans les entre-prises la surveillance est totale.Personne ne peut contester, per-sonne ne peut protester, personnene peut critiquer. Qui ne se sou-met pas comme un esclave estsuspecté et peut être éliminé. Laliberté d’expression n’existe pas.Une campagne de lavage de cer-veau manipule les esprits et ob-tient que tous se convainquentqu’il faut obéir, qu’il n’y a pas d’al-ternative et qu’on a de la chanced’être dans l’entreprise. Les

media, les institutions, l’ambianceglobale de la société, toutconcourt à décourager une quel-conque tentative de changement.Aussi porter un témoignage chré-tien suppose de l’héroïsme. Enmême temps il faut être prudentcomme les serpents. Seules despersonnalités fortes, avec desconvictions très solides, pourrontporter témoignage. La majoritérestera silencieuse. Dans la pra-tique et de fait, la majorité cède,et perd ses convictions propres.D’où la nécessité d’une prépara-tion et d’un appui solide. Sans for-mation très profonde, personnene pourra ouvrir la bouche dans lasociété, et tous répéteront lesmensonges divulgués par lesmedia.

La paroisse ne donne pas cetteformation. Si on veut évangéliserle monde, il faut choisir commepriorité la formation de laïcs danstous les milieux. Les meilleurs prê-tres, les meilleurs religieux et lesmeilleures religieuses doivent êtreréservés pour cette formation.Assez de formation pour enfants !Et il vaut mieux laisser des pa-roisses sans curé, car les laïcspeuvent assumer quasi toutes lestâches. Une première générationde laïcs formés peut aussi être for-matrice. Mais cela exige dix ans.Si on n’a pas le courage de formerdes laïcs qui affronteront cettestructure qui soumet les esprits, il

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Si on veutévangéliser lemonde, il fautchoisir comme

priorité laformation de laïcs

dans tous lesmilieux

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n’y aura pas de présence d’Églisedans le monde, malgré tous lesjolis textes et discours.

Prenons un exemple, la corrup-tion sévit à tous les niveaux danstoutes les entreprises. C’est un faitmondial et pas typiquement brési-lien. Les media parlent des cas decorruption dans la vie politiqueparce qu’ils peuvent le faire sanspeur de la répression. Mais per-sonne n’ose dénoncer les cas decorruption dans les entreprises,l’industrie, le commerce, les trans-ports, les prisons, les écoles, leshôpitaux, les administrations pu-bliques, et jusque dans le footballqui est maintenant une grande en-treprise. Tout le monde pratique lacorruption. Comment changercela ? Les lois ne s’appliquent pasparce que tout le monde occulte lachose. Personne ne sait rien, per-sonne n’a rien vu ni entendu par-ler de rien. Qui va pouvoir êtrehonnête et refuser d’entrer dansla corruption ? Il faut une énergiesans pareille !

La vie actuelle est une préoccu-pation permanente, pour ne pasperdre son emploi dans le cas decelui qui en a un, ou pour en cher-cher un dans le cas de celui quin’en a pas, ou pour penser à despetits boulots afin de survivre pourqui a renoncé à chercher un em-ploi. Entre tous existe une compéti-tion. Pour avoir un emploi il fautplaire, flatter, et, surtout, avoir debonnes relations. Dans ces condi-tions, comment maintenir l’équili-bre ? Comment vivre sereinementdevant de telles menaces ? Seulsdes héros peuvent se le permettre.

Le clergé, vivant dans des lieuxprivilégiés, ne connaît guère lesréalités de la société et ne saitguère ce qui s’y passe. La hiérar-chie n’est pas consciente desdéfis de la société actuelle. Pen-

ser qu’avec le développement ceschoses s’amélioreront par elles-mêmes est un leurre car dans lemonde développé ces problèmessont plus durs encore.

La pression sociale est siforte que sans une profondemystique on ne peut pas agircomme chrétien dans lemonde. La formation parois-siale ne suffit pas (ceux quivont au culte sont justementles personnes qui ne subissentpas cette pression perma-nente).

Sans une vie en constanteprésence de Dieu, personne nes’en tire. Aujourd’hui la mys-tique ne peut être vécue dansun refuge loin du monde si onne veut pas être un privilégié (saufquelques vocations très excep-tionnelles). Elle doit être vécuedans la société, comme dans lespremiers temps, c’est-à-dire, dansune société contraire à l’Évangile,étrangère aux valeurs morales,dans une société sans amour oùtous sont rivaux et tous peuventêtre piétinés, renvoyés, abandon-nés.

L’économie néo-libérale, la ma-nière dont se fait la globalisation,n’est pas inévitable. Surmonter cesystème est le grand défi du 21e

siècle. Cela demandera du temps.Il y a un éveil, mais il manque en-core la participation des chrétiensà cet éveil. Des hommes et desfemmes pratiquent déjà une vieévangélique. Ils sont d’Église,mais il leur faut se reconnaître, seconnaître et se solidariser en vued’un appui mutuel. Ce sera le rôledes petites communautés. Sanspetites communautés les héros sefatigueront et se décourageront.Avec une Église vivante, les hérospeuvent se multiplier et changerce monde.

Une terrible contradiction existeentre l’aspiration à la liberté quinaît lors de la révolution culturelledes années 70 et le système éco-nomique mondial qui exerce une

dictature sur les corps et dans lesesprits. Ceux qui seront à l’avant-garde de la lutte pour surmontercette contradiction seront unsigne. Le message de Jésus nesera pas diffusé à partir du pou-voir, mais par des personnes hé-roïques qui se mettent àl’avant-garde du combat avec seu-lement la force de Dieu.

J. C., théologienBrésil

* Cet article a été publié à l’originedans la Revista Eclesiastica Brasileira265 (janvier 2007) 36-58, et genti-ment concédé par son rédacteur, Fr.Eloi Dionisio Piva, à qui nous expri-mons notre gratitude

* Traduction de “As grandes incerte-zas na Igreja atual” faite par le PèreHerve Camier avec la collaboration dumouvement “Nous aussi sommesÉglise”.

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Sans petitescommunautés les

héros se fatiguerontet se décourageront.

Avec une Églisevivante, les héros

peuvent se multiplieret changer ce monde.

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Quel beau titre !Isabelle Renaud-Chamska

Marie-Madeleine en tous ses états. Typologie d’une figure dans les arts et la littérature (IVe-XXIe siècles).

Cerf, coll. Histoire, 2008, 287 p., 27 €

C’est une véritable somme que présente IsabelleRenaud-Chamska qui, forte de sa grande érudition,n’hésite pas à commenter avec le style qu’on luiconnaît aussi bien des ivoires du haut Moyen Âge etdes miniatures des plus beaux manuscrits de nos bi-bliothèques que des peintures de toutes les époques,y compris des œuvres abstraites qu’il faut apprendreà lire et à décrypter. Déployant l’éventail de sesconnaissances pour couvrir l’exégèse et la théologie,l’histoire et la littérature, l’auteur veut montrer com-ment à tous les siècles Marie-Madeleine a excitél’imaginaire. Démonstration hardie qui prend appuiaussi sur des œuvres d’artistes contemporains pourlaisser libre cours à une pensée très diversifiée !

Justement laissons-nous donc guider depuis la dé-couverte du tombeau vide et la rencontre dans le jar-din pour entrer dans la contemplation et écouter lesexplications savantes et variées de l’auteur. Sept cha-pitres dont certains sont intitulés effusions, diffusion,intériorité, élévation, illustrent sa démarche pour pré-senter ce qu’elle nomme elle-même une petite phé-noménologie magdalénienne. Il faut donc accepterde se laisser entraîner dans ce parcours ésotériquepour saisir toutes les subtilités artistiques et litté-raires que cette sainte et ses légendes auraient sus-citées.

Félicitons les éditions du Cerf qui ont réussi l’ex-ploit de publier ce livre d’art et de culture à un prixabordable sur papier glacé et dans une typographieremarquable. Environ une centaine de reproductionsen couleur qui sont toutes d’une excellente qualitépour le plaisir des yeux et qui font de ce livre unemine de documentation pour les professeurs.

Christine Pellistrandi

Pour petits et grandsJEAN DUCHESNE

Histoire sainte racontée à mes petits enfants.

Parole et Silence-DDB, 2008, 144 p., 23 €

Ce livre rendra de grands services, car on ne saitjamais comment aborder l’histoire sainte tant elle estcomplexe. L’auteur a pris le parti de présenter 65 épi-sodes de l’AncienTestament de-puis la créationjusqu’aux hérosqui ont fait l’his-toire d’Israël, sansesquiver les as-pects étranges etmiraculeux qui po-sent problème àla logique enfan-tine. L’écriture està la fois simple etprécise et ducoup on peut souhaiter que ces histoires, une foisqu’elles auront été racontées de vive voix par unadulte, l’enfant puisse se les approprier, feuilleter lui-même ce livre pour se familiariser avec tous ces per-sonnages qui lui feront découvrir comment Dieuintervient dans l’histoire des hommes. La composi-tion du livre est d’une pédagogie remarquable : unehistoire par page accompagnée de son illustrationsuffisamment poétique pour faire rêver, les réfé-rences bibliques du passage choisi sont indiquées.Avec beaucoup d’intelligence, quelques cartes per-mettent de situer dans l’espace géographique leslieux de l’entrée en Terre promise ou bien ceux del’hellénisation. Un index des noms propres est com-mode et permet de retrouver facilement tel ou tel évé-nement. Bien que destiné aux enfants, ce livre est àrecommander à toutes les générations !

Christine Pellistrandi

À propos de la Bible, pourquoi pas un livre d’art sur Marie-Madeleine ? Et pour une fois, un ouvrage consa-cré aux enfants, mais aussi très instructif pour les adultes ! Ceci est complété par un étonnant ouvrage sousforme de BD japonaise, c’est-à-dire de mangas.Cette fois-ci encore, une page est consacrée à Simone Weil, recensions associées à l’une de ses prières.Résurrection, poésie et musique, association possible ?Les petits ne sont pas oubliés : nous leur proposons quelques albums “pour les journées qui commencentmal…”

Vie culturelle

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Chapiteaux de la cathédrale d’Autun

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Une BD étonnante !CHILAYA TSUTSUMI et collaborateursManga Le Messie.Éd. BLF Europe, 2008, 287 p., 9,5 €

La BD peut-elle exprimer le mystère du Christ ? Deplus, selon les mangas japonais ? Les auteurs, “sousla forme BD la plus populaire aujourd’hui”, ont fait lepari de “faire passer” au mieux le sens de la vie deJésus de Nazareth et de son message, en directiondes enfants (“dès 9 – 10 ans”, selon La Procure) etdes jeunes (selon Points de repère, mai 2009). Leurintention est d’éclairer la question posée dans lesous-titre : “Est-Il venu détruire le monde ou le sau-ver ?”. Pour cela, dans la Dédicace, ils se donnentpour exigence de “savoir ce qui s’est réellementpassé”. Suivant le titre, l’ensemble est centré sur larévélation de Jésus comme Messie. D’où les trois sé-quences : de la naissance de Jésus à sa manifesta-tion comme Messie lors de la pêche miraculeuse(Lc 5, p. 102-105), puis des miracles du Messie enGalilée à la résurrection de Lazare ; enfin de l’entréemessianique de Jésus à Jérusalem à sa résurrectionet son ascension. Le texte est basé sur la traductionde la Bible en français fondamental diffusée par l’Al-liance biblique universelle.

Fidèle à la tradition des mangas, Jésus Messie estincarné en un personnage jeune, vigoureux, mais par-fois austère, voire impassible. Son intériorité est ex-primée dans la prière (p. 127 ; le Notre Père, p. 133),mais parfois simplement indiquée, à côté de son vi-sage, par un terme (“sourire” p. 87…). Les apôtres,spécialement Jean, ont le dynamisme de la jeunesse(p. 129, p. 286-287). Les questions qui se posentportent sur l’utilisation des “quatre évangiles en unseul”. Les auteurs se fondent globalement sur lachronologie de saint Jean : ils placent, par exemple,la scène des marchands chassés du Temple (Jn 2) audébut du ministère de Jésus (p. 75-80), mais, avecles synoptiques, ils la reprennent à la Semaine Sainte(p. 218). Autre point, l’insistance sur le messagemoral du Messie Jésus (p. 130-135). Au repas du Sei-gneur le Jeudi Saint, autant la scène du lavement despieds est développée (p. 233-235), autant l’institu-tion de l’Eucharistie est brève, traitée en deux imagesseulement (p. 238)… De même, l’épisode eucharis-tique de la fraction du pain avec les disciples d’Em-maüs est trop elliptique (une seule image, p. 271). Lerécit s’achève sur l’interpellation : “À toi de décidermaintenant” (p. 280).

À la fin, le livre donne des “outils” utiles : une carto-graphie de la Terre Sainte, une présentation des per-sonnages (de Joseph à Ponce Pilate) et de groupes

(Pharisiens, scribes… p. 284-285), et un vivant portraitdes Douze. Ce Manga le Messie ne manque pas d’in-térêt. D’une part, pour les enfants et les jeunes, en lec-ture continue : une certaine force se dégage desimages et de la tonalité des scènes. Par ailleurs, pourse réalerter sur un certain nombre d’aspects de la per-sonne de Jésus, de son message, de ses appels. Unapprofondissement en groupe (de jeunes, d’anima-teurs…) peut s’élaborer sur cette base.

Pierre Fournier

AutobiographieSIMONE VEIL

Une vie.Stock, 2007, 399 p., 22,50 €

Une autobiographie attendue depuis longtemps,“libre, véhémente et sereine”, malgré les combatsque tout le monde connaît déjà, ceux de la juive dé-portée à Auschwitz et de la fameuse femme politiqueauteur de la loi sur l’IVG et défenseur de la femme engénéral. C’est la sérénité, la modestie et surtout unecertaine pudeur qui domine le style de l’ouvrage, sur-tout dans le récit des moments les plus dramatiques– on le comprend.

Mais aussi on aurait aimé, par exemple, en savoirplus sur sa vie au camp, sur l’énigme de cette femmekapo qui, séduite par sa jeunesse et sa beauté, latransféra avec sa sœur, en un lieu de travail un peuplus doux, qui leur sauva la vie. Mais S. Veil elle-même n’a jamais pu lever l’énigme. On admirera lesbelles photos qui illustrent l’ouvrage et surtout on ré-visera, à travers cette vie engagée, la tranche d’his-toire européenne que nos générations devenuesseniors ont vécue comme enfants, adolescents,adultes en même temps que S. Veil. Parmi les onzechapitres aux titres sobres non accrocheurs, on par-ticipera à cette “enfance niçoise”, à cette “nasse”que fut la rafle des Juifs, à “l’Enfer des camps” et sur-tout à l’effort difficile du “revivre” bien connu de tousles déportés, incapables de se faire comprendre. Puisvient la vie du “magistrat”, de la femme politique etde la Citoyenne de l’Europe et des documents commeles discours de S. Veil au Parlement européen, auxNations Unies sur la mémoire de l’Holocauste parexemple et qui sont autant de monuments histo-riques. À lire avec toute la sympathie et l’admirationpossibles, à garder dans les archives de l’Humanitécombative et peut-être “résiliente”, comme dirait Cy-rulnik… mais qui saura jamais ?

Denise Van Canéghem

Vie culturelle

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ROBERT CHENAVIER

Simone Weil, l’attention au réel.Éd. Michalon, coll. Le bien com-mun, 2009, 126 p., 10 €

Philosophe, Robert Chenavier apublié sa thèse sur “Simone Weil,une philosophie du travail”. (Cerf,2001). Président de l’Associationpour l’étude de la pensée de Si-mone Weil, il nous donne ici uneexcellente présentation de sa vieet de son œuvre, à la fois aborda-ble et très documentée.Passant de la “vie réelle”au “pays du réel”, se fai-sant “philosophe en classeouvrière” au rythme desmachines, S. Weil a élaboréune pertinente philosophiedu travail et une critique so-ciale mettant en lumière“les contradictions de Marx”.Par ailleurs, juive athée audépart, S. Weil a été critiqueenvers le judaïsme. Est-ce de“l’anti-hébraïsme, de l’antiju-daïsme ou de l’antisémi-tisme ?” (p. 81-85). Tout enétant en contact avec deschrétiens (Gustave Thibon, lePère Perrin, dominicain…),S. Weil s’est livrée à un“nettoyage philosophique du chris-tianisme”. Se questionnant sur lebaptême, elle est restée “sur leseuil de l’Église”. Approfondissantà la fois la philosophie et la spiri-tualité, S. Weil développe les élé-ments d’une authentique mysti-que et d’une “théologie des reli-gions” (p. 73). Elle reconnaît qu’onne peut “jamais trop résister àDieu si on le fait par souci de la vé-rité”. En même temps, elle vit ledéchirement de ne pas pouvoir“penser ensemble dans la véritéle malheur des hommes, la per-fection de Dieu et le lien entre lesdeux”. R. Chenavier termine surl’intuition de S. Weil de la “décréa-tion” : le Dieu Créateur se retire (la

décréation) pour que l’être humainait l’espace de s’associer à sonœuvre, en diverses voies, sans ex-clure la souffrance, pour “acheverla Création”. D’où la question ul-time : comment “signifier l’absoluen ce monde” ?  Une importantebibliographie achève ce stimulantouvrage (p. 117-123).

Pierre Fournier

JOSEPH MARIE PERRIN

Mon dialogue avec Simone Weil.Centenaire de sa naissance.Nouvelle Cité, coll. spiritualité,2009, 187 p., 20 €

On connaissait depuis longtempsla relation spirituelle intense queS. Weil noua dès 1941 avec le PèrePerrin, dominicain aveugle qui apriori n’avait rien de commun aveccette Juive agrégée de philosophie,révoquée par la loi de Pétain. Etpourtant, un dialogue très profondva se nouer entre ces deux êtresd’exception. Ce sont ces dialogueset la correspondance, qui pour lapremière fois sont publiés intégra-lement. On y sent non seulement laphilosophe perplexe, ses contacts

ambigus avec le catholicisme sinonle Christ, avec aussi le monde ou-vrier, puis rural, mais surtout lamystique qui a déjà fait une oudeux expériences de Dieu à Assise,à la lecture de l’évangile et jusquedans le malheur absolu, celui quiprive le malheureux du sentimentqu’il est un être et qui le livrecomme le Christ à la tentation dudésespoir. Simone se sentira ce-pendant toujours abandonnée, ex-clue aux portes de l’Église où par le

souci de vérité, elle n’en-trera jamais. On lira avecémotion les moments derencontre et de séparationqui ont rendu à jamais cesdeux êtres complémen-taires pour nous. À lire etméditer longuement lalongue lettre intitulée “bio-graphie spirituelle”, où l’onrencontrera la réalitéconcrète de thèmes cen-traux chez S. Weil comme lemalheur, le sentiment del’esclavage, l’obéissance in-térieure, l’attention, la pro-bité intellectuelle qui l’amaintenue hors du dogmeet des sacrements malgréleur “éclat véritablement

angélique” et les offices vécus pen-dant une semaine à Solesmes etautres lieux où “le Christ est des-cendu et l’a prise”. On sera peut-être étonné par l’importance de larécitation de certains poèmes enmême temps que son refus ascé-tique de la prière dont elle se mé-fiait du pouvoir d’auto-suggestion,contrairement à Pascal (“abêtis-sez-vous, pliez la machine”). Lepère Perrin n’a jamais pu la per-suader de pratiquer cette prièrepourtant si importante en Christ. Ilne faut rien provoquer mais atten-dre qu’il vienne – par probité.

Denise Van Canéghem

Avec Simone Weil

Vie culturelle

43Lignes de crêtes 2009 - 4

PRIER, C’EST CONTRAINDRE DIEU À SE RÉVÉLER

Astres en feu peuplant la nuit les cieux lointains, Astres muets tournant sans voir toujours glacés,Vous arrachez hors de nos cœurs les jours d’hier,Vous nous jetez aux lendemains sans notre aveu,Et nous pleurons et tous nos cris vers vous sontvains.Puisqu’il le faut, nous vous suivrons, les bras liés,Les yeux tournés vers votre éclat pur mais amer.À votre aspect toute douleur importe peu.Nous nous taisons, nous chancelons sur nos chemins.Il est là dans le cœur soudain, leur feu divin.

Simone WeilCahier IV 396

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Vie culturelle

44 Lignes de crêtes 2009 - 4

De la résurrection

MICHEL HUBAUT

Du corps mortel au corps de

lumière.

Cerf, 2009, 272 p., 22 €

L’auteur, franciscain et théolo-gien, invite les chrétiens à explorerla Résurrection, celle du Christd’abord, et, en conséquence, lanôtre, hommes du XXIe siècleconcernés par cet événementinouï d’il y a deux millénaires.

Un langage simple et précis, ac-cessible à tous et qui fait pénétrertrès profondément dans ce mystère.Page après page, les hommes quiont vécu ces journées qui ont vu lamort et la Résurrection, ces hommesqui nous transmettent la bonne nou-velle “Christ est ressuscité, nous ensommes témoins”, ces hommes-lànous deviennent contemporains. Ilsdeviennent des personnes ordi-naires, susceptibles de désespé-rance (les deux pèlerins d’Emmaüs),de lâcheté (Simon Pierre), de reculdevant les difficultés terrestres(Jacques et Jean resteraient biensur la haute montagne de la Transfi-guration) ; comme nous ils ont desréactions davantage dictées par lespréjugés de leur époque que par l’Es-prit Saint (comment croire le témoi-gnage des femmes ?).

Et pourtant, textes bibliques etévangéliques à l’appui, Michel Hu-baut nous l’affirme, nous aussinous serons transfigurés, commele Christ le fut aux yeux de deuxdisciples.

Le moins que l’on puisse direc’est que la lecture de ce livre re-nouvelle notre regard sur la signi-fication de la Résurrection.

Marie-Thérèse Drouillon

Poésie

JEAN-PIERRE LEMAIRE

Figure humaine.

Gallimard, 2008, 95 p., 13 €

La poésie n’est pas séparée del’expérience commune. Pour Jean-Pierre Lemaire, être poète c’estcomme Marcher dans la neige(titre d'un essai sur le rôle de lapoésie qu'il vient de publier chezBayard). Son recueil Figure hu-maine part de notre réalité pourl’éclairer et l’alléger : menus éclatsde la vie quotidienne ou scènes derue, comme le marché de Naples.Ses poèmes peuvent, aussi,comme “Auschwitz”, dire la foliedes hommes et la confiance enCelui qui garde “l’étoile de cha-cun”. Mais tous participent d’uncheminement dans la foi et de l’at-tention portée aux signes d’espé-rance afin d’apprendre à vivre enesprit et en vérité. Jamais la poé-sie de J.-P. Lemaire n’a été si lumi-neuse, si solaire. Il capte avectendresse les contours deschoses, les rayons éclairant lespieds d’une croix, ou, dans le jar-din, la couleur mauve des phloxplantés par son grand-père, deve-nue si vibrante qu’“un sourire âgé/remonte dans les fleurs”.

Quant à l’épreuve de la pauvretéintérieure qui sépare et dénude,elle rapproche du cœur du mondeet du cœur de Dieu. Peu à peu serestaure une connivence heu-reuse, jusqu’au moment où estenfin reçu le don de se sentir “deplain-pied avec toute la terre”, etde se fondre en “frère mineur” aupeuple des humbles et des in-firmes. Ce sont eux qui révèlent lavraie nature de la “figure hu-maine”, celle que le Christ nous apour toujours redonnée.

Jeanne-Marie Baude

MusiqueFLORENT SCHMITT

Quintette avec piano,

Hasards (quatuor avec piano).

Christian Ivaldi, piano – QuatuorStanislas - Tympani 1C 152

Florent Schmitt est sans doutel’un des plus français des musi-ciens (1870-1958), farouchementindépendant, “être soi-même”sera sa devise. Ce quintette avecpiano est une œuvre phare d’uneredoutable difficulté et rarement àl’affiche des concerts, mais quireste une remarquable leçon decomposition de musique de cham-bre : structure très serrée de l’écri-ture, un beau lyrisme bien retenuet une grande force intérieure. Lescouleurs discrètes sont ravis-santes et délicates sans qu’ellesne s’imposent. Finalement ceQuintette s’inscrit dans lesgrandes traditions de la musiquede chambre de l’école françaisede la fin du XIXe et début du XXe

siècle : Gabriel Fauré, Claude De-bussy, Maurice Ravel, CésarFranck… À ne pas manquer.

MOZART

Symphonies n°25 K.183 (sol mi-neur), N° 26 K.184 (mi bémol ma-jeur), N°29 K.201 (la majeur).

Le Cercle d’Harmonie, dir. JérémieRhorer.

Virgin classics 3486829 - Distr. EMI

Une véritable fête mozartienneofferte par le jeune ensemble“Le Cercle d’Harmonie” dirigé parle non moins jeune chef JérémieRhorer. Cela donne un Mozart ra-jeuni dans ces trois célèbres sym-phonies, qui avaient pris un coupde vieux dans des versions telle-ment classiques et usées qu’ellessemblaient avoir perdu leur âme.Du meilleur Mozart qui respire labeauté, l’élégance et la force inté-rieure. À recommander….

Claude Ollivier

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Un câlin ettout va biende Pierrick Bisinski,L’école des loisirs,2007, 8,50€

Ce matin, rien ne sepasse comme prévupour Petit ours gris. Toutva très très mal, du bolqui se renverse au chatqui le fuit, sans compterles vêtements introuva-bles... Bref, la journées’annonce vraimentmauvaise, et Petit oursgris en a les larmes auxyeux. Heureusementque Maman est là...

Cet album aborde defaçon très directe les tra-cas du quotidien quepeuvent rencontrer nostout-petits. Rien de biengrave, mais quand ças’accumule, ça faitcomme une boule dansla gorge. Facile d’accèsà la façon de Petit OursBrun, ce livre permetd’exprimer des frustra-tions et des colères avecla certitude que tout fi-nira bien grâce à un groscâlin.

Mon amourde Béatrice Alemagna, Autrement jeunesse, 2002, 12,50€

“Je suis un animal étrange. Un trucbizarre, avec les poils d’un chien et latête d’un cochon”. Bref, une sorte debête que tout le monde essaye defaire rentrer dans ses catégories ha-bituelles : un chien, un lion, un pigeonou même un rat. Sauf que c’est éner-vant, à force, de ne jamais être re-connu pour ce qu’on est. Heureu-sement qu’il existe des êtres extraor-dinaires qui n’ont pas besoin de sa-voir ce qu’on est pour nous aimer !

En quelques lignes, cet album nousmontre comme les mots peuvent en-fermer. En cherchant à tout prix àmettre l’autre dans une case, on em-pêche la rencontre et la relation vraie.Ce thème essentiel est ici abordé trèssimplement, à travers les rencontresque fait l’animal bizarre. Aucun tonmoralisateur, aucune parenthèsepour donner du sens. C’est donc àl’enfant d’analyser ce que ce texteéveille en lui, si possible avec l’aided’un adulte. Une très belle histoire ac-compagnée d’illustrations originalesà base de tissus et broderies...

Comme chaque matinde Christian Voltz, Éditions du Rouergue, 1998, 11€

Comme chaque matin, MonsieurLéon a du mal à se lever. Il n’a pasenvie d’aller travailler, mais il le fautbien... Comme chaque matin, c’est lacourse : le robinet fuit, une chaus-sette a disparu, le lait déborde etMonsieur Léon est pris dans les em-bouteillages... Comme chaque matin,Monsieur Léon est en retard, et sonpatron n’apprécie pas. Et en plus,comble du comble, Monsieur Léon amis une cravate jaune au lieu de sonhabituelle cravate grise. Il sera doncla risée de ses collègues ! Quelle mau-vaise journée en perspective...

Avec beaucoup d’humour, ChristianVoltz nous emmène dans son universfarfelu où les chaussettes ronflent surdes cintres alors que des araignéesse cachent dans les toilettes. Chaqueimage regorge de petits détails amu-sants et la mise en forme du texte(taille, couleur, situation dans lapage...) donne une réelle présence aupersonnage. En quelques pages, ons‘attache à lui et on a la gorge nouéeavec lui. Quel soulagement quand ondécouvre avec lui qu’un malheur peutcacher un coin de rêve heureux !

Des albums...pour les journées qui commencent mal

Vie culturelle

45Lignes de crêtes 2009 - 4

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C’est le parcours qui s’est dessinédevant les 123 participants à la Ren-contre du SIESC à Strasbourg, du 22au 28 juillet dernier. Venus de 15pays dans et hors-Union Européenne,ils ont exploré ce parcours entre lesinterventions1 de Paul Valadier, sj, quia débroussaillé les aspects philoso-phiques et théologiques de la ques-tion, de Jean-François Boulanger,historien à Reims, qui a décrit le pas-sage du “sujet” au “citoyen” depuis laRévolution, et Pierre-André Dupuis,qui les a fait réfléchir sur les aspectséducatifs et pédagogiques concer-nant plus directement les ensei-gnants qu’ils sont.

Une rencontre mémorable a puis-samment illustré ces réflexions,celle de Catherine Trautmann, dé-putée européenne, qui en marge dela visite du Parlement Européennous a reçus pendant une heure etfait partager à la fois l’organisationdu travail du Parlement et la re-cherche du consensus qui en est larègle (on ne s’en doute pas toujoursen France…), et son inquiétude de-vant la montée de l’abstention auxélections européennes et la crois-

sance des partis ouvertement anti-européens. Matière à réflexion…

Ajoutez à cela un programmeculturel qui nous a fait découvrirStrasbourg, Sélestat et Colmar,mais aussi la place de l’économiealsacienne dans l’Europe, des li-turgies vivantes, expressives etmultilingues qui ont intéressébeaucoup de collègues d’Europede l’Est en particulier, et une or-ganisation sans faille pour pren-dre en charge tout ce monde, etvous avez une rencontre incontes-tablement réussie.

Pour CdEP, qui en était l’organi-sateur, c’est d’autant plus impor-tant que le très bon travaild’équipe qui a rendu tout cela pos-sible a été pris en charge autantpar les ex-EE que les ex-PU, etdans une complète harmonie.C’est dans l’œuvre commune queCdEP continue de se bâtir, et nouspouvons en rendre grâce !

Gérard Fischer, Reims

1/ Les textes des interventions sontdisponibles à l’adresse :www. SIESC.eu

Outre la rencontre des responsables dont vous avez trouvé un échopage 5, nous vous parlons ici de différentes rencontres qui ont eu lieucet été et même au printemps. D’autres échos seront disponibles sur lesite ou dans un prochain numéro.

Vie de l’association

46 Lignes de crêtes 2009 - 4

Les délégués du Bureau Inter-national se sont retrouvés dans lamaison de la rue Ernest Lacostedu 13 au 25 juillet 2009. Rosa-linda Francia pour l’Asie, MirthaVillanueva pour l’Amérique Latine,Paulette Molinier pour l’Europe,Monique Judenne pour le secréta-riat de Dialogue et Coopération etle Père Hervé Morissette ont ac-cueilli le nouveau déléguéd’Afrique Thomas Kassi.

Outre les exposés sur la géopo-litique et la vie des Équipes Ensei-gnantes dans le monde, le travailde l’équipe a porté sur l’analysedes situations des enseignants etdes membres du Mouvement, enparticulier au regard de la criseéconomique et sociale générali-sée. Une réflexion a accompagnéles nombreux témoignages, no-tamment sur les moyens de réagir,avec d’autres, par des engage-ments non-violents afin de résou-dre, à plus ou moins long terme,les graves problèmes auxquels ilssont confrontés.

La prière communautaire, lepartage quotidien de la Parole etdes célébrations eucharistiquesont intensifié les relations de fra-ternité établies pour certains de-puis plusieurs années, sansoublier l’amitié chaleureuse detous les amis bénévoles (traduc-teurs, cuisinières, équipiers depassage) qu’apprécient particuliè-rement les délégués venus deloin.

Paulette Molinier

De la formation à la citoyenneté,à la citoyenneté européenne

17 - 18 avril 2010

Issy-les-Moulineaux

Assemblée Généraleet

Rencontre nationale

22 - 26 août 2010

Besançon

Session

des enseignants

en activité

26 - 28 août 2010

Besançon

Rencontre

des responsables

CdEP

Dates à retenir

Équipes EnseignantesInternationales

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Depuis de longues années déjà, les membres re-traités des Équipes Enseignantes, essentiellement dela région parisienne dans les premiers temps, se re-trouvent, en général avant Pâques, pour deux jour-nées de réflexion et d’échanges autour d’un thèmechoisi par eux et mis en œuvre par celles et ceux quiveulent bien le prendre en charge.

Fin mars dernier, les 26 et 27, la salleSaint Jean Eudes, de la paroisse du SaintEsprit, accueillait une quarantaine departicipants invités par Arlette Bailleul etHélène Vulin, au nom de Chrétiens dansl’Enseignement Public. Ces deux équi-pières avaient bien voulu, une fois en-core, se charger d’organiser la rencontreet de travailler autour du thème retenul’année précédente avec les intervenantsqu’elles avaient sollicités.

Ce préambule exprimé, le propos decette page n’est pas de donner uncompte rendu des conférences et deséchanges, mais de souligner quelques-uns des aspects marquants et particu-lièrement en phase avec l’actualité denotre vie ecclésiale dans le temps quenous vivons, aspects qui ne peuvent manquer denous interroger. En effet, le thème que nous avonsabordé se déclinait de la manière suivante :

Différentes approches du Christianisme

ŒcuménismeChacun des trois intervenants a une histoire, un

cheminement personnel et œuvre aujourd’hui sur leterrain, soucieux d’ouverture, de relations fraternelles,avec l’approfondissement de sa propre tradition.

Le Père Yves Dulac, recteur de la paroisse ortho-doxe St Jean Cassien et Ste Geneviève à Paris, se-crétaire de la Métropole Roumaine d’Europe, ad’abord témoigné de sa rencontre avec l’Orthodoxiedans son parcours spirituel. Chrétien de tradition ca-tholique romaine, il a été fortement attiré par labeauté liturgique, par l’aspect de la louange dans la-quelle tous les sens ont une grande importance etsont sollicités tant par les icônes que par le chant, lemouvement, les parfums. Pour lui, sa démarche versl’Orthodoxie lui donne le sentiment d’accomplir unemontée.

Son propos n’en est pas resté au témoignage. Il abien sûr rappelé l’Histoire et ses diverses péripétiesconduisant à la rupture de 1054. Mais, bien loin d’enrester à ce qui a divisé, et ce qui continue à diviser,surtout aux yeux de certaines des Églises autocé-phales, il a rendu grâce pour tout ce qui est communaux deux traditions orthodoxe et catholique romaine,rendu grâce également pour toutes les rencontres,

tous les gestes significatifs accomplis depuisle Concile Vatican II et le Pape Jean XXIII.

Pour lui, différents ne veut pas dire inexora-blement séparés. C’est l’Esprit qui est vie,c’est l’Esprit qui fait grandir l’unité.

Le témoignage de Julia Rafenonirina-Darsot,pasteure de l’Église Réformée de France àChoisy-le-Roi, s’il a été différent dans son ton etdans les points soulignés, a exprimé avec forcel’engagement au service d’une communautéaccueillante à tous. Le passage du monde mal-gache au monde européen ne peut manquer decolorer de manière particulière une façon devivre les diversités, de recevoir la Parole deDieu, primordiale pour tout protestant, et d’ado-rer Dieu seul. “À Dieu seul, la gloire”. En face deLui, rien n’est sacré ni absolu.

Julia a beaucoup insisté ensuite sur quelquespoints d’histoire marquants, nous rappelant au pas-sage que “protestant” n’est pas en rapport avec notreverbe “protester”, mais plutôt avec “attester”, c’est-à-dire attester de l’Évangile. Elle a également soulignéle primat de la Foi, de la Grâce, du permanent travailintérieur de l’Esprit Saint, de la nécessité d’une ré-forme incessante des Églises.

Il revenait ensuite au Père Jean Duval, aumônierd’équipe dans l’Essonne, après ces témoignages etces échanges fraternels de rappeler le cheminementde l’œcuménisme dans l’Église catholique avec desfigures, celles du Cardinal Newman, du Père Portal,du Père Couturier…, du travail du Groupe desDombes, de l’apport si fort de Vatican II.

Mais il reste à construire demain, à mieux connaî-tre la Bible, notre propre tradition, celle des autres. Ilfaut travailler sur l’essentiel, quitter le culturel, entrervraiment dans l’Incarnation et devenir ainsi, avecDieu, artisan de l’unité du monde, de l’unité de lacréation.

Pierre Darnaud

Retraités : Journées parisiennes 2009

Vie de l’association

47Lignes de crêtes 2009 - 4

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Vie de l’association

48 Lignes de crêtes 2009 - 4

N o u sé t i o n scinq deCdEP àvenir àLourdespour par-

ticiper à l’espace-rencontre duCCFD. Ce lieu d’accueil, situé dansune rue passagère un peu àl’écart des sanctuaires est unhavre de paix et de calme.

Nous étions là aussi, pour infor-mer les personnes venant de tousles pays du monde, de l’existencedu mouvement tant en Francequ’au niveau international. Nouspouvions proposer, outre des dé-pliants, les revues Lignes decrêtes et Entre-Nous en anglais,espagnol et français.

De nombreux pèlerins viennent àLourdes en groupe, en famille ouindividuellement. Les gens arriventavec tout le poids de leur vie. Ilsmarchent dans la ville en suivant letrait bleu du Jubilé de 2008, pouraller d’un lieu à l’autre.

Nous les regardons passer,beaucoup sont étrangers (surtoutitaliens et indiens). Ils ne s’arrêtentpas à nos sollicitations par peur deperdre le groupe. Leur programmeest très chargé pour tout visiter etsuivre les différents moments deculte et de célébration. Tout estprévu d’avance et il est difficile defaire une proposition d’ouverture àla solidarité internationale, mêmesi nous avons été témoin de toutela solidarité dont chacun faitpreuve à tout instant. Ils manquentde temps libre pour ajouter d’au-tres questionnements. Quant auxenseignants y en a-t-il parmi cespersonnes qui montent ou des-cendent la rue du Bourg ?

Un autre monde passe et vitdans la rue menant au sanc-tuaire : des riverains, des hôteliersou restaurateurs, des commer-çants. Tout se vend : du petitcierge au gros cierge d’un mètrecinquante et quinze à vingt centi-mètres de diamètre ! Des viergesde tous styles, aux yeux qui sui-vent le chaland, d’autres sous laneige… pour tous les goûts ! Bi-dons vides à remplir et une quan-tité d’objets qu’il serait trop long etfastidieux de décrire. Les en-seignes des hôtels et magasinssont révélatrices de l’époque et dela mentalité des propriétaires ! Onpeut vraiment se poser des ques-tions sur l’image de foi que l’Égliseenvoie à la société. Les marchandsdu Temple ne sont pas loin !

Mais à l’entrée du sanctuairetout est stoppé. Place aux dévo-tions. Que viennent chercher tousces gens à Lourdes ? Cette foi po-pulaire peut paraître fondée surdes objets (cierges, médailles, tou-cher le rocher, boire de l’eau…),mais nous ne sommes pas depurs esprits et nous avons tousbesoin de symboles, de signes quinous parlent quand les mots nousmanquent. La formation reçue parnotre génération ne nous a pasorienté vers ce type d’expressionet tous ces gestes peuvent nousheurter plutôt que de nous inviterà la prière.

Nous avons pu participer à deuxcélébrations. Les homélies ont étédes catéchèses sans lien avecl’actualité et la responsabilité decitoyen que nous sommes tous.

Cependant nous avons eu lachance les uns et les autres dediscuter avec des pèlerins. L’utili-sation d’un jeu sur les causes du

non-développement des pays duSud, a permis d’amorcer deséchanges, enfants et parents selaissant questionner. Il était diffi-cile d’aller plus loin. Pourtantquelques-uns ont bien voulu s’in-former davantage, et grâce aux ex-positions, nous avons eu unsupport pour expliquer les mis-sions du CCFD.

Grâce à des contacts pris aupa-ravant par l’animatrice de l’es-pace-rencontre il a été possible derecevoir dans les locaux un grouped’adultes et un groupe d’enfantsfaisant partie d’un pèlerinage. Uneautre animation a pu se faire au-près du pèlerinage des maladesdu diocèse de Metz dans les lo-caux de l’Hospitalité de Lourdes(20% de malades mentaux et 80%de personnes ayant des pro-blèmes physiques)… Bien que ra-pide (elle s’est faite entre unchemin de croix et le repas) ce futun temps particulièrement fort,autant du fait de l’intensité de larelation entre les malades et leshospitaliers que de la qualité del’animation du pèlerinage et del’ouverture des organisateurs.

Nous avions besoin de cette pre-mière prise de contact à l’espacerencontre du CCFD pour mieuxcomprendre la place du CCFDdans un tel lieu, et comment,CdEP, membre de la collégialité duCCFD, peut prendre toute sa placeet participer au bon fonctionne-ment de cet espace. Pour toutesces raisons et à cause du nombrede personnes qui passent là, ilnous paraît intéressant d’être pré-sents à Lourdes.

Dominique, Jean et Mireille,Michèle, Suzanne

Lourdes avec le CCFD

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Chantal, permanente auxÉquipes Enseignantes quand ilétait aumônier national, membrede l’équipe de base dont il était aumônier, évoque le souvenir de Gilbert Huissoud.

Discret, simple, vrai passionnéd’Église tu étais. Le jeudi matin 7mai 2009 tu concrétises l’expé-rience de la Rencontre en partantrejoindre l’Inconnu que tu cher-chais avec nous tous, Celui quit’avait appelé particulièrement…tu lui avais dit “oui”, ordonné le 24décembre 1961.

Aujourd’hui tu nous dis Au revoirmême si nous avons le sentimentque tu nous laisses un peu orphe-lins… tout en sachant que tucomptes sur nous pour prolongerton enseignement  ! “Quel hommede Foi tu étais !” Ceux de la pasto-rale de la santé ajouteront “Gilbert,c’était vraiment un type bien !”

La simplicité de ta foi. Gilbert vi-vait sa foi au Christ ressuscitéavec nous, simplement, profondé-ment, avec le souci de la mettre àjour régulièrement et d’y confor-mer sa vie quotidienne.

L’enracinement de ta mission.Engagé, tu étais à l’aise aussi bienauprès des jeunes collégiens, ly-céens, enseignants (aumônier decollège, de lycée et d’enseignants)que des personnes âgées et desmalades (aumônier d’hôpitaux), etdans sa mission de vicaire épisco-pal ou de curé de paroisse ; mais…là où tu te révélais le meilleurc’était dans tes relations de per-sonne à personne pendant tesdernières années en tant qu’ac-compagnateur de la pastorale dela santé et du monde enseignant.

Le sens de l’Église. À la foishomme de l’Institution et hommede la Communauté, tu souhaitaiscréer des liens entre les différentsmouvements, car ancré dans la re-lation et animé par l’espérance tucroyais en une Église diversifiée etvivante, humaine. Tu nous as faitpartager cette passion… enéquipe de base, en vie nationale.Tu avais accepté d’être aumôniernational des Équipes Ensei-gnantes de 1982 à 1986.

Le sens de l’écoute. Tu étais deceux qui savent écouter avant deparler, en conséquence de quoi onécoutait ce que tu disais car on sa-vait que c’était réfléchi. Jamais tun’étais détenteur d’un pouvoir oud’un savoir, tu cherchais avecnous tout simplement. Cette partd’humilité et de sagesse expliquele sens profond de ton humanité.

Le sens de l’homme. Il étaitconfortable de t’avoir à nos côtés

Gilbert Huissoud

Vie de l’association

49Lignes de crêtes 2009 - 4

Nos deuilsDe nombreuses personnalités qui ont marqué notre histoire et participé activement à

la vie de la Paroisse Universitaire et des Équipes Enseignantes nous ont quittés récem-ment. La place nous manque pour leur rendre ici, à tous, l’hommage qu’ils méritent. Maisnotre site publie en détail les textes qui nous sont parvenus. En particulier vous trouve-

rez certains témoignages qui ont été lus lors des obsèques de Bernard Caillierez(Lire p. 20 son article sur l’évangile de Marc).

avec toute ton humanité. En réuniontu avais le souci de nous ramenertoujours à l’essentiel : donner sensà nos actes et les éclairer de la pa-role de l’Évangile. Tu aimais travail-ler en équipe en faisant confiance àchacun d’entre nous. Tu voyais deplus ce qui pouvait faire plaisir auxuns ou aux autres, ce dont nousavions besoin.

Ta fraternité était bien concrète,prenant des nouvelles de chacunautour de la table, avec humour, fi-nesse, délicatesse, dans l’amitiépartagée.

Tu nous as appris l’attention, lepartage de la confiance dansl’écoute et le respect de chacun.

Tu nous as appris à ne pas bais-ser les bras, car tu nous encoura-geais à mener un combat toujoursplus fort au nom de la laïcité.

Tu nous as appris à nous réunirdans la prière, c’était une de tespriorités.

Merci Gilbert pour ton accom-pagnement et ta sagesse, nous lagarderons au fond de nos cœurspour continuer dans tes traces parfidélité à ce que tu étais, dans lafoi en l’homme et dans la foi auChrist ressuscité. Nous savonscombien tu as donné par ton atta-chement à l’Église (qui parfois t’afait souffrir en silence), et à l’Écolepublique respectueuse de l’éduca-tion de l’Homme. Tu croyais en cesdeux institutions que tu souhaitaisvraies, porteuses d’humanité.

Chantal de Saint Chartrier

Jacques Malandain(Voir Lignes de crêtes n° 2, p. 31)

Nous avions prévu de reptroduiredans ce numéro, un de ses textes surla laïcité. Nous en mettons deux enligne sur notre site.

Retours en arrière très instructifssur une question toujours actuelle.

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50 Lignes de crêtes 2009 - 4

“L’hiver sévissait si cruelque les gens succombaient àla violence du gel. Martinrencontra à la porte de la citéd’Amiens un pauvre nu quidemandait l’aumône. Personnene faisait attention à lui.Martin n’avait que ses armeset un simple manteau de sol-dat. Que faire puisqu’il n’avaitrien ? Il saisit son arme etpartagea sa tunique en deux,en donna un morceau aumendiant et se rhabilla avecle reste et tout le monde semit à rire en le voyant ayantsi piètre allure avec son habitmutilé”.

Ces quelques phrases ex-

traites de la Vie de Saint

Martin de Sulpice Sévère ont

suscité la floraison d’une ico-

nographie d’une incroyable ri-

chesse à travers tous les

siècles. Il est bon de contem-

pler le magnifique vitrail de la

chapelle Saint-Martin d’Orly

à Choisy-le-Roi, œuvre d’un

artiste contemporain Thierry

Chevauché qui, dans sa sim-

plicité, affirme l’essentiel.

Sur une dalle de verre

d’une couleur sable qui

permet de faire ressortir dans

tout son éclat le bleu du

manteau, l’artiste pose en

diagonale deux visages, celui

du saint et celui du pauvre,

gris et sombre, justement

celui que l’on ne voit pas.

Mais le mouvement du man-

teau bleu, qui devient pour le

mendiant l’abri bienfaisant

dans lequel il se réfugie,

oblige nos yeux aveugles à

regarder justement et précisé-

ment le malheureux enfoui

sous les plis lumineux du vê-

tement de Martin. Il y a un

côté sculptural dans le dessin

du pauvre avec son épaule

dénudée et son poing fermé.

Les traits appuyés de sa

musculature montrent en lui

un travailleur accablé, le bras

costaud replié pour soutenir

une tête lourde de soucis.

Cette image est d’une actua-

lité criante.

Al’autre extrémité, le vi-

sage de Martin apparaît

dans une jeunesse irradiante

de paix et de bonté, ce que

souligne son auréole d’or. Le

saint était d’ailleurs connu

pour sa très grande gentil-

lesse. Son grade dans l’armée

lui permettait d’avoir un ser-

viteur mais c’est Martin qui,

renversant les rôles, lui reti-

rait ses chaussures et les

nettoyait ou encore faisait le

service àe table. On admirera

le classicisme de ce visage

que l’on croirait sorti tout

droit d’un vitrail médiéval :

c’est là le grand talent de

l’artiste qui est capable de li-

vrer deux visions de l’homme,

l’une fragile dans sa transpa-

rence, l’autre assommée par

la lourdeur de l’existence. À

côté de lui, on remarque une

croix qui se détache dans le

ciel. Pourquoi ne pas voir en

elle la présence du Christ :

en effet celui-ci apparut à

Martin pendant son sommeil

et voici qu’il était revêtu de la

moitié du vêtement, cette

moitié qui avait habillé le

pauvre. “Jésus dit d’une voix

éclatante à la foule des

anges : Martin qui n’est en-

core que catéchumène m’a

couvert de ce vêtement. En

vérité le Seigneur se souve-

nait de ce qu’il avait proclamé

jadis : chaque fois que vous

avez fait quelque chose pour

l’un de ces tout petits c’est à

moi que vous l’avez fait”.

Certes le cheval n’apparaît

pas dans le récit de la vie

de Saint Martin mais il fait

partie de la légende. Son

large poitrail apporte une

touche chaude à la composi-

tion de l’ensemble.

La charité de Saint Martin

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51Lignes de crêtes 2009 - 4

Toute la force du vitrail ré-

side dans le mouvement

du manteau qui s’envole de

haut en bas, poussé par le

souffle de l’Esprit qui anime

Martin. Celui-ci tend son bras

brandissant l’épée aux reflets

métalliques et voici l’épée

comme enfermée par les plis

du tissu qui se déploient, ali-

gnant toutes les nuances del’indigo, du violet et de l’azur.Une épée qui ne donne pas lamort mais qui protège la viede l’indigent, cela valait lapeine de la faire si bien ap-paraître !

Ala suite de cet événementMartin reçut le baptême,

termina son service militaire

avant de devenir évêque deTours. Son geste reste dansl’histoire comme le témoignagele plus parlant de la charitéenvers ceux qui sont visagesdu Christ dans le monde.

Christine Pellistrandi

Les citations sont extraites de la VitaS. Martini de Sulpice Sévère dans lacollection Sources chrétiennes n°133

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Chrétiens dans l’Enseignement Public - 170 Boulevard du Montparnasse 75014 ParisTél. : 01 43 35 28 50 - site électronique : http//www.cdep-asso.org/

Collaborateurs :

Comité de Rédaction :

Anne-Marie MartyMireille NicaultCathy RéaliniMarie-Inès SilicaniIsabelle TellierMarie-Françoise Tinel

Suzanne CahenPierre DarnaudMichel DupontFrancis FilippiChantal GuilbaudMonique JudennePhilippe Leroux

Christine Pellistrandi (iconographie)Georges Million et Dominique Thibaudeau (dessins)Claude Ollivier (discographie)Christine Paoletti et Françoise Pontuer (secrétariat)Claude Wiéner et Andrée Fabre (relecture)

Bureau International rue Lacoste à

Paris - juillet 2009

Présence des CdEP à l’espacerencontre du CCFD de Lourdes

Rencontre du SIESC àStrasbourg - juillet 2009

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