lieux interdits

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L’a

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L'a 9, il n’est pas interdit de le lire, il n’est plus interdit de le laisser traîner, il est interdit de ne pas le feuilleter. C’est désormais dit. A tous. Inter-dit.

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Page 1: Lieux interdits

L’a

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2. L’a

L’atelier.

ACTUALITÉS

Calendrier News et béNédictioNs . 4

Quizz Les pieds daNs L’eau . 5

Archinews survivre à La première aNNée . 8

Migros scaNNez votre camipro . 10

Correspondance boire et déboires . 12

Enac soLar decathLoN . 13

Archizoom retour a vaLparaiso . 14

Réclame ageNt doubLe . 16

Invité sébastieN marot . 25

LIEUX INTERDITS

3 . edito

6 . eNfermé dehors !

6 . Que peNsez-vous... ?

7 . dL-airLiNes

17 . pris daNs La Nappe

18 . iNfiLtré

20 . abobo

22 . au deLà de La barrière

24 . Là-haut au derNier étage

L’atelier est mis en boîte par : Hadrien Tricaud, Marion Vuachet, Guillaume Bolle-Reddat, Diana Brasil, Bérénice Pinon, François Rougeron

et grâce à la collaboration de : Félix Parpoil, Hélène Chavamal, Antoine Prokos, Raphaël Bach, Emile Mermillod, Francis Laffreux, Clémence Beghini, Thomas Lepelletier, Catherine Seiler, Grégoire Guex-Crosier, Olivier Di Giambattista

https://www.facebook.com/revuelatelier

Page 3: Lieux interdits

L’a 3.

Edito

28 octobre, fin de journée. Ciel saturé, horizon moiré, cumulus dégradés... palette spontanée mais costume noir foncé, bien porté. 28 octobre, abords du Rolex. Montre du même nom -au poignet, objet sur talons -au bras, chevalière à blason -au doigt... la panoplie d’une réussite pour soi. Cet homme questionne : le forum ? Il tient bien -dans la main, ce foutu plan du campus mais visiblement son déchiffrage ne fait pas encore consensus. Sourire de sa Vénus... ah oui, paraît qu’Al Gore donne une lecture. Indiquer poliment le spectacle et sa direction, comprendre qu’ils sont passés devant le fanion, proposer une rétroaction. Et repérer le rictus du crésus : Ils ont du tirer les rideaux noirs de l’auditorium pour l’occasion, dissimulant le podium et les indications, obscurcissant l’aquarium et ses gros poissons. Et de constater que si le lieu est pour lui confus et inattendu... ce soir, il en est devenu défendu, derrière l’étoffe du tissu et les buffles de Sécus. Mais point d’un journal en récital, du local. Du difficile compromis éditorial, fédérateur et inspirateur, nous avons pour ce nouveau numéro choisi : “lieux interdits”, comme pour parler de ces oublis. Excusez, pour parler de ces libertés. Ces libertés oubliées. L’interdit, c’est bien plus l’ouverture des possibilités, qu’un quelconque défendu. Un lieu interdit ? Un lieu où l’envie est d’abord l’alibi, mais certainement pas l’anéanti. Ce numéro traite donc de lieux inaccessibles, imparticables ou encore illegal : ici en archi, parfois là-bas en pays fribourgeois, plus loin en terrain ivoirien, ou encore ailleurs dans un cocagne agitateur. Au dessus des barrières et sous les dalles, il se glisse et cavale. Ce numéro : il n’est pas interdit de le lire, il n’est plus interdit de le laisser traîner, il est interdit de ne pas le feuilleter. C’est désormais dit. A tous. Inter-dit.

Ici donc, quelques mots, un bref édito, des news folklos, des jeux d’eau, un poème Migros, un retour à Valparaiso, l’invité Marot, des articles rigolos et des paroles de prolos. Pour vous dire qu’en ce numéro, nous n’avons rien interdit, mais plutôt assouvi quelques écrits, quelques croquis, pas forcément aboutis mais privé d’ennui. Pour lors, écarter les stores et retourner écouter Al Gore ? Peut être juste pour la faune (et la flore) alors. A l’aurore, plutôt partir en offshore. Et derrière les palissades, tenter de discerner. Faire parler les vieillards des bancs ensoleillés, les concierges de quartier, les professeurs d’atelier et loin du regard à la ronde, balayer. Là où personne ne va, aller. N’oubliez pas. L’interdit c’est la curiosité, alors partons vadrouiller. Si ce n’est pas expressément interdit, c’est permis.

Lieux interdits.TexTe : Marion VuacheT

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4. L’a4. L’a

News et BénédictionsCe qui remue l’actualité du Vatican et de la section d’architecture.TexTe : François rougeron pour asar - carTe posTale : henri Vázquez

etit calendrier des diverses activités proposées par l’ASAR ces prochaines semaines.

Le 25 novembre, vernissage de l’exposition Shared - Lisboa. Les meilleurs projets de l’école d’architecture de Lisbonne s’affichent à l’EPFL.Suite à la présentation des projets réalisés par nos étudiants en Erasmus dans plusieurs écoles, Shared vous offre la possibilité de découvrir l’ensemble du travail d’une grande école européenne.

Fin novembre, nous prévoyons une exposition de mobilier dans le hall du SG. Les tables réalisées par les étudiants de première année seront exposées, ainsi que divers meubles dessinés par des étudiants de l’ECAL.

Nous installons un mur de dessin entre les ateliers AAC et AAD. Vous êtes tous invités à venir exprimer vos talents artistiques.

Mi-décembre, sortie des pulls de section. L’ASAR édite pour vous de chauds lainages pour les rudes nuits d’hiver, à porter à l’atelier comme en dehors.

Pour connaître et faire connaître les travaux des divers ateliers, l’ASAR met à disposition un espace d’affichage, vous permettant d’exposer vos projets. Actuellement entre la salle info et la SPG, et bientôt déplacé au niveau 1, dans l’entrée principale du bâtiment SG.

Début décembre, InSitu vous invite à visiter l’Ecole Internationale GEMS à Etoy, construite par le bureau d’architecture et design lausannois CCHE. Puis, fin décembre, le centre artistique de l’Ecole Le Rosey à Rolle, réalisé par Bernard Tschumi.

P

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L’a 5.L’a 5.

Les pieds dans l’eauPour introduire le nouveau cours de master du prof. Jakob «Les voies de l’eau», un quizz flop. Iphones interdits.quizz : Diana Brasil

1. Laquelle de ces mers existe ?

a. la mer Michèleb. la mer Blanchec. la mer de Khapard. la mer Pourpre

2. Qu’est-ce qu’un bisse ?

a. un vent du nord qui souffle sur le plateau suisseb. une commune de Roumaniec. un canal d’irrigation typique du Valaisd. une embarcation traditionnelle de la côte bretonne

3. Quel film ne parle pas de la mer ?

a. Speed 2b. La Jetéec. Les Dents de la Merd. Le Monde du Silence

4. Combien d’eau contient le corps humain ?

a. 45%b. 60%c. 78%d. 23%

5. Quelle traduction d’« eau gazeuse » en italien n’est pas correcte ?

a. acqua frizzanteb. acqua gassatac. acqua petulanted. soda

6. Lequel de ces fleuves est le plus long ?

a. le Danubeb. le Rhinc. la Volgad. l’Oural

Ô

7. Lequel de ces hommes ne dirige pas de navire ?

a. Capitaine Crochetb. Capitaine Flamc. Capitaine Haddockd. Commandant Cousteau

8. Quel est l’équivalent de la consommation d’eau mensuelle de la ville de New-York ?

a. le lac de Constanceb. le lac Lémanc. le lac de Jouxd. le lac de Bienne

9. Quel bateau n’a pas participé à l’expédition de Christophe Colomb ?

a. la Virgenb. la Niñac. la Santa Mariad. la Pinta

10. Dans la mythologie grecque, à quelle déesse s’unit Océan pour donner naissance aux dieux-fleuves ?

a. Déméterb. Téthysc. Rhéad. Artémis

Hannibal traverse le Rhône, Henri Motte, 1878

1.B/2.c/3.B/4.B/5.c/6.c/7.B/8.B/9.a/10.B

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6. L’a

Coups de gueule

2. L’a L’a 3.

DIYDIY

FETARDS LIGNE

JAMAIS DISPOS MAQUETTES

CETACESTABLE

BAL D’ARCHI CACAHUETESROLEX RIEN

PROJET BIERESUICIDAIRES ARCHIVES

CREATIFS CREATIFS

CHARETTE CERNESDANS LES NUAGES

OUVERTS D’ESPRITSTRUCTURE:2/6 EN ORBITE

CHEVELUS CHEVELUSBETON

APPARENTCONSCIENCEUX

BARBUS JALLUT

FILLES PASSION

MAC OBI

BLEUS CONS

TAUPES SHELAC

POUFS BOIREINVISIBLES BRICOLAGE

JAMAIS VUS APPLIQUES

COURAGEUX

PLANS

CASTORSNO-LIFE

TRAVAILLEURS SUPERIEURS

SECTAIRES CONCEPTUELS

MANUELS LUNETTES

OEUVRE D’ART

TRAVAIL

SNOBS SEXYSSACOCHE EFFICACESARTISTES MARGINAUX

Que pensez-vous des archis? Que pensez-vous des archis?Par les autres Par les archis

2. L’a L’a 3.

DIYDIY

FETARDS LIGNE

JAMAIS DISPOS MAQUETTES

CETACESTABLE

BAL D’ARCHI CACAHUETESROLEX RIEN

PROJET BIERESUICIDAIRES ARCHIVES

CREATIFS CREATIFS

CHARETTE CERNESDANS LES NUAGES

OUVERTS D’ESPRITSTRUCTURE:2/6 EN ORBITE

CHEVELUS CHEVELUSBETON

APPARENTCONSCIENCEUX

BARBUS JALLUT

FILLES PASSION

MAC OBI

BLEUS CONS

TAUPES SHELAC

POUFS BOIREINVISIBLES BRICOLAGE

JAMAIS VUS APPLIQUES

COURAGEUX

PLANS

CASTORSNO-LIFE

TRAVAILLEURS SUPERIEURS

SECTAIRES CONCEPTUELS

MANUELS LUNETTES

OEUVRE D’ART

TRAVAIL

SNOBS SEXYSSACOCHE EFFICACESARTISTES MARGINAUX

Que pensez-vous des archis? Que pensez-vous des archis?Par les autres Par les archis

- Voilà, tout y est, le dossier est complet.- Merci bien. ...elle récupère le Dossier, le FeuilleTTe pour coMpléTer une Fiche récapiTulaTiVe. Ah mais, vos coordonnées... Je suis désolée, mais je dois vous avertir, vous ne pourrez pas être retenu. ...sans plus D’aTTenTion elle reFerMe le Dossier eT le pose à l’écarT.- Pardon? De quoi parlez-vous ? Le dossier n’a pas encore été étudié !- Eh bien, je n’y peux rien, vraiment... navrée, c’est que vous ne remplissez pas les conditions...

... perDu, DépiTé, l’éTuDianT resTe DeVanT le guicheT.- C’est une blague ? Ici aussi ? Mais, comment... il n’y a pas de moyen de faire autrement ?- Pas à ma connaissance. Je peux malgré tout essayer de faire suivre, mais n’ayez pas trop d’espoir...... l’éTuDianT salue l’hôTesse eT sorT. au Dehors, l’aTTenD Face à la rue un Des ses aMis.- Bon alors ? Ça a marché ?- Non rien ! Pas les conditions, pas l’argent, pas d’accès... il y a toujours quelque chose, une excuse pour te faire comprendre que tu n’y auras pas droit.- Et tu prévois quoi du coup ? T’as une idée pour la suite ? ... l’éTuDianT De plus en plus éxéDé. - Là tu vois, je ferais bien demi-tour pour aller lui expliquer en face ma façon de penser ! J’ai l’impression de me faire avoir à chaque fois !- Non mais sérieusement, tu vas faire quoi ?- Là ? Je sens que ça va se finir en camping cette affaire. Mon dieu, au milieu des hollandais, t’imagines... Ou je trouve quelqu’un de sympa ou des copains, enfin un plan B quoi.... après quelques pas, plongé Dans ses pensées, il lâche résigné.- Mais c’est dingue quand même ! Tout est bloqué ! Ils en profitent et arrivent à t’imposer leurs conditions. Bah de toute façon c’est la conjoncture...- Ouais, peut être... mais en attendant tu le trouves comment ton logement ?

l’éTuDianT secréTaire

l’éTuDianT secréTaire

l’éTuDianT secréTaire

l’aMi l’éTuDianT

l’aMi l’éTuDianT

l’aMi l’éTuDianT

l’aMi

l’éTuDianT

Enfermé dehors !texte : thomas LepeLLetier, catheriNe seiLer

Que pensez-vous... des architectes ? Par les ingénieurs - Par les architectes.TexTe : raphaël Bach

Page 7: Lieux interdits

L’a 7.

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8. L’a

ela fait maintenant deux mois que vous, premières années, foulez le linoleum sacro-saint des ateliers, bénis par notre Père le Plâtre et la Mère Picassa. Nombre de générations vous ont précédées. Oui, eux aussi ont tailladé leurs mains sur ces mêmes tables, ils ont noyé leur chagrin dans ces mêmes bouteilles de shellac et séché leurs larmes d’un geste rageur, la main blanche de plâtre, dans ces mêmes toilettes. D’autres ont triomphé de cette terrible année avant vous, c’est pourquoi vous y arriverez aussi.

Nombreux sont ceux qui se demandent quels sont les secrets pour sortir vainqueur de cette épreuve. Nous allons tâcher aujourd’hui de répondre à cette question qui taraude votre esprit, clins d’oeils, coups de pouces, jalons qui vous aideront à vérifier que vous êtes sur la bonne voie. Et qui vous feront redresser le cap si tel n’est pas le cas. Mais notre vrai but, c’est voir naître un sourire sur vos lèvres et ensoleiller votre quotidien stressé.

Survivre à la première annéeDes difficultés de l’entrée à l’EPFL en section architecture.TexTe eT Dessin : hélène chaVaMal - BD : grégoire guex-crosier

Comment passer sa première année d’architecture ? Contrairement à ce que vous espériez peut être, il n’y a pas de formule magique. Il ne sert à rien de réciter des incantations sur vos planches de dessin les nuits de pleine lune ou d’humer avec avidité du plâtre. À rien. On ne le répètera jamais assez : la clef, c’est d’être à jour sur tous les plans, pour ne pas se faire couper l’herbe sous le pied. Penser aux réserves de café Marsala, acheter le hamac de la charrette et avoir investi dans un traducteur du Javinien.

Ou plus modestement, mais non moins efficacement :petit a) venir en cours de construction ;petit b) avoir le manuel de cours de construction ;petit c) faire les exercices de construction (ndlr : nous avons conscience que seuls les plus consciencieux parviendront à ce niveau, mais ce n’est pas parce que les utopies sont intangibles qu’on ne peut les concevoir).

Dans la même lignée, il est fortement recommandé d’être à jour sur les exercices de physique du bâtiment, de mathématiques et de géométrie (non, ces quelques heures passées sur ces matières ne vous empêcheront pas de finir à temps votre projet, et vous passerez des révisions nettement plus sereines).

L’architecte est heureux avec ses semblables. Les week-end sont une occasion de développer ses idées et non une corvée hebdomadaire. Répétez cette phrase plusieurs fois par semaine, faites en votre mantra absolu et vous ne verrez plus jamais un dimanche aux ateliers de la même manière…Le prochain conseil que je tiens à donner risque d’en déranger plus d’un. Loin de moi l’envie de faire vaciller le mythe de l’architecte super-héros, mais si vous pouvez éviter la nuit blanche, faites-le. Premièrement, une nuit ce n’est pas si long, et le temps passé debout devra être rattrapé allongé à un moment ou à un autre. De plus, vous risquez fort après coup de vous transformer peu à peu en zombie entre les mains duquel le moindre cutter se transforme en arme de destruction massive. Les

C

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L’a 9.

Actualités

journées marathon et le moins de pauses cigarette possible permettent de pouvoir conserver ces quelques heures de répit au cours desquelles on peut abandonner enfin le projet. Cette fuite de la nuit blanche aura en outre l’avantage de faire de vous des êtres frais pour votre critique, et non des amas de plâtre aux yeux de poissons morts et au taux de réactivité proche du zéro absolu.

Quand vous ne pourrez néanmoins pas vous dérober à la valse nocturne du cutter et du fix-pencil, tâchez de vous souvenir des douches

disséminées dans les sous-sols de l’EPFL, qui vous donneront en vingt minutes l’illusion d’avoir bénéficié de quatre heures de sommeil.Car au fond le plus grand secret réside peut être là-dedans : prendre le temps de s’occuper de soi et de sa santé. Un architecte sain, c’est peut être un rêve, mais les plus brillants ont prouvé que c’était possible. Il suffit juste d’un peu d’organisation…

Bonne chance à tous !

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10. L’a

Scannez votre Camipro ... Bienvenue à la Migros. Caisse 3 de libre, avancez en rangs serrés.TexTe : Marion VuacheT - illusTraTion : guillauMe Bolle-reDDaT

ous ces étudiants déambulant dans les rayons blancs en quête d’un petit plat pour leur plateau repas

de la réclame à chaque arrêt de tram, jusqu’à vingt heures c’est ouvert et puis y’a Denner pour aller boire des bières

fini le temps du caddie du samedi à Migros-Chailly, la portugaise de la Pontaise, le rasta du Maupas,

l’armoricain de Sévelin, la bouchère de Bergières, le blondinet du Closeleton appelait ça mixity, la petite dame qui côtoyait le dandi, la poussette et le papy : fini

y’a EPFL-Migros à dispoet le Négoce n’est déjà plus qu’un sacerdoce

alors c’est sûr, c’est pratique, efficace et loquaceet la caissière la plus jolie va bientôt gagner le miss-campus-prix

dans sa file, des pâtes et de la Panzanipour les masters plus de saveurs, de couleurs : t’as grandi, tu varies

mais jamais le pot Blédina tu achèteras, le Fixodent tu auras

fini ces expéditions à la pronto d’Renens où voir les genspas que des étudiants, de vrais habitants

fini ces verres dans les bistrots d’la ville, du Flon,maintenant dans le pavillon, tu peux te mettre rond

aller chercher du salé, pour accompagner devant le SG, ton son et ton houblon

désormais, après une journée sur les bancs, te voilà au rayon des flans, puis après, direct devant ton écran

tout est pensé, programmé, calculé, commercialiséde quoi tu t’plains : tu gagnes du temps

même ta coupe du coiffeur peut être aux allures de geekeuret cette armée de micro-ondes collectionnés,

une peinture de Warhol à eux seuls, tous alignéssi tu cours vite avec ton plat tout juste payé,

t’arrives encore à ce qu’il soit chaud pour l’déguster en cours de biode quoi tu t’plains : tu gagnes du temps et de l’argent

dans cette histoire sans fard, un peu d’étonnement pour le payement :tu peux donner ta carte Cumulus en remboursement, mais ta Camipro elle bizarrement,

est à réserver aux bornes rondes et bipant, de l’autre côté du pont surplombantsi elle fonctionne avec le My-print-abonnement, le My-Migros n’est pas encore efficient

ouf. une faille au système. un truc où les planificateurs sont en dilemmealors tant pis. ou plutôt merci

pour vaincre cet ennui, et pour la poésie, j’irai au marché du lundi…y’aura des fleurs et un peu de douceur, ou bien l’producteur et avec lui mon bonheur

T

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12. L’a

Boire. «Grüß Gott» ou «Que Dieu te bénisse», moi qui ne comprends pas l’allemand, ce n’est finalement pas très important, mieux vaut apprendre directement l’autrichien ! Me voilà donc arrivée au septième ciel à Vienne, ville magnifique où les soirées commencent à 19h, où les cocktails coûtent 50 cts, et où les transports en commun passent toutes les 15 minutes la nuit. Oui, cela ressemble au bonheur parfait, surtout quand on nous apprend que notre week-end commence le mercredi midi. C’est donc très raisonnablement que j’ai décidé de parfaire ma culture de la bière et de tester ma résistance à une fatigue un tout petit peu différente de celle engendrée par la charrette. Erasmus me voilà, ta réputation n’est plus à faire et je compte bien en profiter. On m’a expliqué qu’avec de l’alcool dans le sang, on parlait mieux allemand, faux, mais ça aide à rencontrer les locaux. Locaux qui se feront un plaisir de t’aider, une fois sobre, à parler la langue de Mozart. Vienne, on t’aime aussi pour ton architecture, de Wagner à Hundertwasser en passant par Loos ou Zaha Hadid. La TU est bien placée, sur Karlsplatz, et les bâtiments d’architecture sont une leçon d’histoire à eux seuls. Ils ont la chance d’avoir un «espace Eve» plutôt bien fait, les rencontres y sont faciles et on peut y boire le premier et dernier coup de la journée !

Déboires. Début octobre, il faut s’enregistrer sur le TISS, sorte d’IS-Academia viennois. Et bien je crois n’avoir jamais autant aimé la rigueur suisse. Le site est incompréhensible et les gens qui le tiennent ne comprennent pas beaucoup mieux comment il fonctionne. Après un combat acharné et une cinquantaine de mails envoyés, j’ai quand même réussi à accéder à la liste des cours. Ils ont tous lieu en même temps, mais pas vraiment régulièrement. On peut avoir de 5h à 35h selon les semaines… Pratique me direz vous, de checker tous les lundi sa semaine ! De plus, il y a un nombre limité de place. Donc pour faire simple, on attend devant notre ordinateur plusieurs heures, jours, aussi idiotement que les epfliens désireux de suivre la shs design industriel. Ouf, 15 octobre, me voilà inscrite. Le projet commence, je me fais une joie de travailler. Le professeur arrive à 14h, nous demande de faire la maquette terrain pour le lendemain. À 30, c’est possible, on y passera peut être pas toute la nuit. On s’active donc. 17h, le professeur revient et nous prie de rentrer chez nous, je demande alors comment on s’organise pour finir la maquette si on est chacun de son côté. Explosion de rire générale. Que suis-je bête, c’était une blague, on a un mois pour la faire, on ne va donc pas se presser ! Pour le travail, on repassera, cette année ce sera plus boire que déboires...

Boire et DéboiresCarte postale de Vienne par une étudiante de l’école, en échange dans la capitale Autrichienne.TexTe : cléMence Beghini

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L’a 13.

Soleil au beau fixeA propos du Solar Decathlon, concours inter-universitaire.TexTe : ThoMas lepelleTier

uel serait, à votre avis, le point commun entre le réchauffement climatique, un parc à thème, la célébrité, et quelques personnes disséminées qui s’ignorent ? L’équation ne parait pas évidente à résoudre, et relève même plutôt du challenge, même pour ceux qui sont encore sur les bancs de l’école. Aucun chauvinisme de mise, puisque beaucoup d’autres institutions, parmi les plus cotées par delà le monde, souhaitent aussi proposer leur solution et leur manière de voir les choses.

Le Solar Decathlon réunit précisément tous les deux ans les meilleures universités autour d’un défi d’actualité : “concevoir et construire une maison solaire totalement indépendante”. Créé il y a un peu plus de douze ans aux États-Unis, ce concours a su trouver une forme européenne depuis quelques années. La troisième édition se tiendra tout prochainement, courant 2014. De tous les candidats, vingt participants seulement sont retenus pour réaliser grandeur nature leur projet lors d’une exposition de clôture. L’impact est gigantesque : il faut imaginer près de deux cent milles personnes se pressant pour découvrir les avancées technologiques et architecturales que proposent les équipes universitaires. Les enjeux sont nombreux : faire progresser la recherche, démocratiser les technologies associées aux énergies renouvelables, etc. Bien entendu, cet aspect éthique-responsable ne saurait échapper à personne. Doit-on mentionner les retombées financières, les éventuels partenariats et la visibilité accrue qu’offre la victoire de ce challenge ?

Plus que cela, le Solar Décathlon propose un projet complet ! Concevoir et construire une maison autonome, bien pensée, qui réponde en outre à une certaine esthétique et comportant toutes les installations courantes, devrait attirer l’attention de quelques architectes, interpeller l’ingénieur fluide et questionner le spécialiste cherchant à repousser les limites de l’énergie solaire. L’addition faite - à défaut d’une solution à l’équation - le polytechnicum de Lausanne s’est inévitablement emparé de l’évènement.

La doyenne de l’enac, Marilyne Anderson voit là un axe de développement de la faculté. La faculté enac réunit l’essentiel de ces précieuses compétences, mais répondre à un tel challenge nécessite une équipe, nombreuse, coordonnée. Il s’agit là pour la Doyenne d’un levier supplémentaire pour promouvoir via des projets de master l’interdisciplinarité des étudiants de la faculté, d’en la ligne droite du programme bachelor de la semaine enac.

L’école réunit aujourd’hui beaucoup de conditions en faveur d’une participation à ce challenge environnemental et a su convaincre la majorité des éventuels organisateurs. Reste à savoir si les exécutants sauront conserver leur motivation à toute épreuve ; cette conviction que tout est possible, sans même regarder sa montre.

Q

Solar Decathlon, http://www.solardecathlon.gov/

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14. L’a

Retour à ValparaisoRetour sur le Taller «Penser en construisant», ayant réuni à Lausanne des étudiants du Chili, de l’ETHZ et de l’EPFL, du 3 au 16 septembre dernier.TexTe : François rougeron - phoTos : seBasTian Milla gallarDo

uels ont été les moments marquants de ces deux semaines?

Le premier moment fort, le premier jour, a été de jeter notre ego dans le lac, c’était très émouvant. C’est un peu l’acte fondateur de notre travail, notre individualité disparaît au profit du groupe, et Patricia (Guaita) nous l’a répété : “Ici, on se fiche que vous vouliez apprendre individuellement”. Après ça on ne savait pas trop à quoi s’attendre. C’est très différent de la manière de penser, d’apprendre dans cette école, ça fait vraiment plaisir de voir ça. Quand l’espace commence à se remplir, à bouger, quand la structure commence à prendre forme, c’est très fort aussi, mais l’évolution est très naturelle, on ne peut pas parler d’un moment précis. Impossible de choisir un moment plus fort qu’un autre, tout ce taller était très fort. Il y a eu beaucoup de beaux moments, le travail avec des chiliens, parler espagnol à Lausanne, écouter un poète te réciter de la prose espagnole le soir... C’est un tout. On a tous une vision différente de ce qu’on a fait. Par exemple, la sculpture s’appelle Extension Américaine, elle a été dessinée par un sculpteur chilien à Valparaiso. Pour certains, ce nom vient du fait que la base soit faite au chili et les extensions sont faites ici, pour d’autres il vient du fait que ce soit importé du Chili, une extension de ce pays.C’est le cas aussi pour la structure de la place Nord, pour certains c’est un seuil, pour d’autres un kiosque, ou encore un pavillon. Couvert, ou pas, l’interprétation est laissée libre, et c’est ce qui fait aussi la force de ce qu’on construit. Chacun se l’approprie comme il le sent.Dans tous les cas, une des choses qui est très agréable, c’est d’avoir vécu deux semaines en Amérique du Sud alors qu’on était ici, à Lausanne.

- A propos de cette rencontre avec le Chili, que vous a apporté l’échange avec les Chiliens ?

Au niveau humain c’est énorme, ce sont des gens très chaleureux, très ouverts, très différents. C’est pas juste du travail, c’est un véritable échange de culture, ils ont apporté avec eux leur rythme de vie et de travail. C’est un véritable apprentissage, d’autres manières de voir. Au niveau de la communication c’est assez varié, des fois on parle en français, ou en espagnol et français, vu que les deux langues sont assez proches. Avec certains Chiliens, il n’y a pas de langue de référence, ils ne parlent pas tous anglais. Heureusement qu’il y a le dessin. Le dessin reste le meilleur truc pour expliquer des choses compliquées. Le dessin, tout le monde comprend.C’est super cool de construire des choses qu’ils ont pensées et dessinées là-bas ; c’est un peu de chez eux qu’on construit, leur façon de travailler

Q

http://blogs.epfl.ch/taller-ciudad-abierta

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L’a 15.

Actualités

- Quelle est la place de l’acte poétique dans votre travail ?

L’acte poétique est un moment de clôture du travail, à la fin de la journée, où le poète nous lit des poèmes en espagnol. Ils sont traduits par quelques-uns en français aussi. Parfois, il nous demande d’écrire un mot chacun, qui résume notre journée, notre état d’esprit, et il en fait de la poésie. C’est vraiment très émouvant comme moment. L’acte poétique casse les barrières. C’est un moment qui fait beaucoup de bien, comme si on te racontait une histoire. C’est un moment de calme et de réflexion aussi, un moment où il est plus facile pour nous de prendre du recul sur notre travail de la journée. Pour certains c’est également un instant d’inspiration.C’est quasiment le seul moment tous ensemble, alors que pendant la journée, nous sommes répartis en groupes. Cet instant nous permet de former un collectif et pas juste des personnes qui travaillent ensemble. Le rapport n’est plus juste un rapport professionnel, c’est une façon de dire “on construit ensemble”, de partager un moment avec tous. Je ne mesure pas l’impact sur notre façon de travailler, mais pour moi c’est très important pour le groupe, pour la cohésion. C’est presque un prétexte. C’est ce qui raconte notre travail.

qu’on met en pratique. Le travail du bois au 1:1 c’est vraiment chouette, on est confronté à chaque petit problème, on est obligé de tout le temps s’interroger sur ce qu’on fait, comment on le fait, son impact sur la construction, il ne faut pas oublier qu’on a un cerveau. Il faut comprendre la matière, la tester. C’est vraiment “Penser en construisant”,

penser tous ensemble. On a l’impression de maîtriser notre architecture. Les Chiliens nous apportent aussi une expérience de la construction qui est très forte, quand on commence à se prendre la tête pour des questions constructives, ils te disent “laisse, ça tient, c’est bon”. La rencontre avec les Chiliens c’est aussi une rencontre avec d’autres sensibilités architecturales, ça permet de se faire sa propre palette d’architecture. Ça permet de se situer dans l’architecture d’aujourd’hui. J’ai vraiment été touché par cette sensibilité de l’école de Valparaiso. Ce taller, c’est quelque chose qui peut apporter beaucoup à l’EPFL. Cette manière de voir et de construire manque dans notre école et c’est dommage, le bénéfice serait énorme pour notre section.

« cette maNiere de voir et de coNstruire maNQue daNs

Notre ecoLe»

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L’a 17.

Pris dans la nappeConsidérations sur l’intégration des différentes parties du campus. TexTe : haDrien TricauD

n professeur que je vois régulièrement pour mon diplôme me disais l’autre jour en regardant par la fenêtre nord du bâtiment BP : “C’est drôle la Suisse; ils reconstruisent tout; ils cassent rien…”. L’année dernière j’en avais entendu un autre fustiger l’architecture du Swisstecenter comme “the disgusting and basic expression of power”. Je partage les deux critiques mais la première est à mon avis plus fondamentale; le campus s’étale et l’intégration de ses parties est un problème pressant.

Les panneaux de tôle thermoformée sympathiquement vintage de la première phase du campus n’ont plus la côte. On casse et on reconstruit progressivement les ailes du premier mille-feuille de l’école. Monsieur Perrault nous a choisi une jolie palette de couleurs. Les treillis de la grande nappe ne serviront plus à étayer les cours de structure. Cette première opération est pourtant la mieux conçue. Excellent exemple de l’urbanisme de nappes, elle n’en partage pourtant pas tous les travers. Malgré la multiplication des plans horizontaux, et cette forme de station orbitale, elle parvient tout de même à entretenir un rapport au sol intelligent. Bien-sûr, c’est plutôt l’étage des voitures, mais il est quand même possible d’aller d’un endroit à un autre en marchant au rez de chaussée. La trouée nord-sud de l’avenue Piccard - en plus d’être un témoignage précieux du spatialoromantisme de ces années là - est aussi un effort réussi de porosité : l’entrée est un passage.

La suite est moins réussie. La seconde phase de développement du campus s’organise autour d’un nouveau centre, l’Esplanade et la Diagonale, dorsale d’accès aux nouveaux bâtiments. Ces deux éléments constituent le nouveau niveau 0 de l’EPFL. La première phase multipliait le sol. La seconde décide que le premier sera le rez. On est pris dans la nappe. Incapable de se libérer du système mis en place précédemment, on l’étire. On développe un système distributif arborescent qui n’imagine qu’un seul mouvement général : direction Sud-Ouest. La Diagonale constitue une passerelle absolument infranchissable au niveau du rez; c’est un tube.

La place nord et les bâtiments qui la bordent acceptent les mêmes règles. Avec ses grands portiques et ses façades régulières on pourrait dire qu’il s’agit d’une architecture urbaine. Mais cette ville a un corollaire souterrain qui pose un sérieux problème de limite. La continuité du sol est détruite et les transitions avec l’extérieur sont inopérantes. Les bords de la dalle s’écrasent contre le TSOL et on accède au bâtiment d’rchitecture par un parking. Les cyclistes qui se rendent de l’autre coté du campus passent par un tunnel de service principalement dédié aux camions de livraison. La dalle proposait de séparer la circulation automobile de la “mobilité douce”. Elle produit l’exact inverse et empêche d’intégrer la principale entrée du campus : la station de métro. Le Rolling Center évite le piège. Son implantation à l’écart du reste des bâtiments le dispense de gérer la dalle esquissée dès la première phase. Le pattern de cercles engazonnés qui borde son coté Ouest est agaçant mais c’est un problème de mobilité superficiel. On doit dribbler pour passer la grande étendue devant l’esplanade mais, finalement, on passe, et on peut espérer que lorsque les travaux seront terminés on pourra atteindre la bibliothèque à pied sec.

Il reste à examiner le nouveau centre de l’école, le nouveau cœur du campus : la Migros du Swissteccenter. Comment Richter et Dahl Rocha ont-ils raté ça !? Il y a un train qui boucle le nouveau centre des congrès. L’autre jour sur les quais les contrôleurs des TL se frottaient les mains : tous les jours ils remplissent les caisses en distribuant des amendes à des étudiants qui traversent les voies… Bien sûr on ne se plaint pas. Tout va bien à l’EPFL. On a des ordinateurs, des CNC, les professeurs sont excellents et chacun a un beau bureau pour travailler. Désormais on a aussi une rampe d’un rayon de 25 m qui constitue le premier aperçu du campus pour tous les illustres conférenciers qui ne manqueront pas de venir discourir dans notre nouvel auditoire. Est-il absolument impossible d’éviter de construire des grand-huit aussi absurdes ? Tout de même, on ne peut pas s’empêcher de penser qu’on pourrait faire les choses un peu mieux.

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InfiltréUn petit tour dans une école d’archi pas très loin de chez nous, la HES Fribourg...TexTe eT phoTos : eMile MerMilloD

ujourd’hui en route pour Fribourg, uneautre école d’archi à même pas une heure de Lausanne. Vous la connaissez sans doute de nom, de réputation. Je vais essayer de savoir si ce qu’on dit est vrai, si on y travaille moins, si la bière est moins chère, si les filles sont plus jolies…Bref, pour démêler le vrai du faux sans à priori et sans influences, j’ai décidé de pénétrer dans « l’école d’ingénieurs et d’architectes de Fribourg» discrètement, et en me faisant passer pour un élève de première année. La phase infiltration ne me semble pas trop compliquée : ça fait quand même 4 ans que je me fais passer pour un étudiant à l’EPFL. Sinon, appareil photo, carnet de croquis, lunettes à grosses montures, habits noirs devraient compléter mon déguisement. 48CHF l’aller-retour Lausanne/Fribourg, j’espère que la rédaction me remboursera le billet et mes frais de bouche sur place. Mais je ne me fais pas trop d’illusions sur les finances du journal. Ce qui frappe, c’est que Fribourg c’est la campagne. Fribourg c’est verdoyant. Fribourg c’est des collines. Fribourg c’est des vaches... Je suis tenté de faire une turbo-sieste dans le train. Je me ravise en réalisant que la fatigue sur mon visage sera sans doute mon meilleur camouflage !

En traversant la ville, je vois qu’on y trouve les mêmes bars sympas et les mêmes papeteries hors de prix qu’à Lausanne. Il semblerait que comme chez nous, tout un tas de sections se partagent un immense enchevêtrement de bâtiments. Entrer dans le monument de briques, qui accueille entre

autres les étudiants en architecture, n’est vraiment pas très facile. Je me dis que, finalement, Fribourg est peut être aussi sectaire que l’EPFL. Je constate assez rapidement qu’on est bien dans une école d’ingénieurs : des expositions étranges dans les couloirs, et peu de filles. Je monte les étages les uns après les autres pour comprendre que la section d’architecture se cache tout en haut. Je m’attendais presque à reconnaitre les ateliers à l’odeur. Cette atmosphère (aussi dérangeante que collée à nos corps) de poussière de carton, de sueur, et de café froid. Finalement c’est simplement la présence de maquettes nombreuses et plutôt jolies qui m’a fait comprendre que j’étais chez des COLLÈGUES. Je constate de manière tout à fait rassurante qu’il y plein de gens dans les ateliers vers 5-6 heures du soir. Bon, les mauvaises langues me diront que nous sommes encore en cours à cette heure-là, passons… Les ateliers sont très chouettes en fait. Vraiment très chouettes. Plus je m’y balade, plus je me dis que les nôtres sont tristes et peu pratiques. Ceux-ci sont grands, lumineux, segmentés de manière à ce qu’il n’y ait pas trop de circulation à travers… Le rêve quoi. Quand aux équipements, je dois dire que j’ai été très impressionné par la présence de nombreuses zones de détente. Je ne parle pas d’un hamac solitaire ou d’un frigo/micro-ondes caché de manière plutôt malhabile. Je parle de magnifiques canapés design, de nombreuses machines à café, de petites bibliothèques, de frigos biens garnis dans CHAQUE atelier. Loin de l’austérité monacale de l’EPFL, tout semble fait pour que les étudiants se sentent bien. Il paraitrait que comme chez nous, les engins électriques sont

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Les ateliers, surplombant les salles de cours

Scène banale dans un atelier de 15 personnes

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capables de «dessiner une coupe de détail réaliste d’une petite maison courante avec une toiture en tuiles». Et effectivement, enquête faite, il semblerait qu’ils sont bien meilleurs que nous ! De manière générale, la construction est un axe d’enseignement privilégié à Fribourg. Le lien entre le projet et les autres branches est sensiblement plus développé que chez nous. Ensuite il ne faut pas oublier la différence de taille entre les 2 écoles. Les effectifs de la HES de Fribourg bien qu’en constante augmentation, sont maintenant de 80 étudiants environ en première année. On est loin des 300 âmes de l’EPFL. La relative petite taille offre un certain nombre d’avantages. En première, il y a ainsi trois enseignants de projet qui tournent sur l’année, de manière à ce que chaque élève reçoive l’enseignement de chaque prof. Le nombre réduit favorise les échanges entre les élèves et les assistants. J’apprendrais plus tard que j’avais en réalité discuté avec une légende vivante de l’EPFL, connue sous le nom de Sokolov ! Les plus jeunes d’entre vous ne le connaissent peut-être pas. Mais je peux vous dire qu’il y avait une certaine émotion de pouvoir mettre un visage sur le plus connu des noms d’utilisateur de MyEpfl.prohibés. Mais le sentiment qui domine, c’est

celui d’avoir affaire à une institution bien en place, difficile à remettre en cause. L’atelier maquette est sans surprise plus petit que le notre puisqu’il y a moins d’élèves. Sinon, il semble assez semblable. Les matériaux sont un poil plus chers, l’arrivée d’une découpeuse à lame type Zünd va sans doute révolutionner le fonctionnement de l’atelier. La différence la plus marquante est sans doute l’accessibilité TOUTE la nuit aux machines !Comme chez nous avant, me direz-vous... Quand au coulage du plâtre, on me confie que finalement personne ne sait vraiment où le couler. Une

situation qui n’est pas sans rappeler… brefPlus loin dans les ateliers, je discute un peu avec un mec à la chevelure flamboyante. Il me confie avoir fait échec-def à l’EPFL. Il a donc pas mal de choses à me dire sur les différences entre l’EPFL et la HES de Fribourg. Il m’explique que les deux écoles ont des approches fondamentalement différentes. Même s’il ne faut pas croire qu’il n’y pas de maths, de physique, d’histoire de l’architecture, la HES de Fribourg est une école orientée avant tout vers la pratique. Le travail manuel, l’exploration des détails et des matières, voilà le quotidien des étudiants. Pour preuve, les nombreux échantillons de matériaux qui parsèment les tables. Avant d’arriver je me demandais si les étudiants étaient

« Je m’atteNdais presQue a recoNNaitre Les ateLiers a

L’odeur.»

Un canapé rose étalant son confort obscène

Je demande comment les étudiants voient l’EPFL depuis Fribourg. Une étudiante amusée : «Ah! vous venez encore nous rabaisser ?» Plus tard, un étudiant au port altier me confie que, pour lui: «l’EPFL vit sur sa réputation d’il y a 10 - 20 ans». Je cherche un café : «Le café ici c’est de la merde. Sinon à la cafèt de l’uni en face y’a une chiée de poules.» Il n’y a pas de débit de boissons dans l’enceinte de l’école, pas de Sat donc pour oublier ses malheurs et fêter ses réussites. Il ne faut pas oublier que l’on est dans une ÉCOLE et que la présence aux cours y est donc théoriquement obligatoire(!). Néanmoins la vie sur le campus et en particulier dans les ateliers semble assez enviable. Je rentre finalement un peu jaloux, même s’il m’est bien sûr difficile de juger une école sur un après-midi de balade.

L’atelier maquette vu dans sa plus grande longueur

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ABOBO** ‘‘A Bor Bor’’ = ‘‘ C’ est beaucoup? ’’TexTe : anToine prokos

ly Sanogo a 27 ans, il est Ivoirien, Djoula1, musulman et Abobolais. Ses amis du cours de Tae-kwon-do le surnomment Zen-Lee pour sa sérénité et sa souplesse. Avec une certaine honte j’avoue qu’Aly est mon chauffeur, mais avec grande fierté j’affirme que c’est mon ami. Nous avons passé des heures à tourner en rond dans Abidjan pour discuter de nos vies et débattre sur l’avenir de l’Afrique, de la Côte d’Ivoire, sur la religion musulmane, l’existence de la magie blanche2, la vie en Europe, la neige et, ce qui nous intéresse ici, les quartiers d’Abidjan.

Aly est né dans la région de Man, au nord ouest de la Côte d’Ivoire, vers la frontière du Mali et de la Guinée-Conakry. Il a suivi l’exode rural avec ses parents quand il était ‘’très petit’’, et il a grandi au quartier d’Abobo, surnommé ‘’Baghdad’’ dans le langage très inventif des Abidjanais. C’est un des deux grands quartiers populaires de la métropole Ivoirienne, l’autre étant Yopougon , comme dans ‘’Aya de Yopougon’’. Aly a une femme de 19 ans, avec qui ils ont fait un enfant qui a maintenant 18 mois. Comme il l’explique, il ne veut pas faire d’autres enfants, pour pouvoir bien prendre soin de celui-ci et lui donner la chance de faire des études.

Ghetto

Un terme récurrent dans nos discussions sur cette ville est le terme ‘’ghetto’’. Abobo est un ghetto, mais il y a plusieurs échelons dans cette catégorie. Tous les quartiers de la ville - même les plus riches - ont des parties ghetto, pour la plupart des ghetto tranquilles. Le ghetto n’existe pas dans les campagnes, ni vraiment dans les autres villes du pays, seulement à Abidjan. Pourquoi les gens viennent au ghetto ? Pour trouver du travail, et quand ils en trouvent, ils commencent à en gravir les échelons. A la campagne, la vie est encore plus difficile qu’au ghetto... Quand les gens arrivent à

Abidjan - au ghetto - ils s’installent à plusieurs, souvent avec des gens de leur village ou de leur famille, dans des maisons bricolées. Le sol est en terre battue, les toilettes, si elles existent, sont communes à des dizaines des personnes et la cuisine se fait dehors. Avec du travail instable, on attend patiemment la stabilité en essayant d’avoir une vie sexuelle sans avoir des enfants. Dès que la stabilité arrive (généralement sous forme de salaire mensuel fixe), il s’agit de s’installer dans des maisons de typologie ‘cours-communes’, construites en parpaings et avec un sol en béton. La version de luxe de ces typologies, pour les gens vraiment stables selon Aly, c’est les maisons ‘cours-communes-chacun-chez-soi’, où on dispose là d’une salle de bain privative et d’une devanture couverte faisant office de cuisine/buanderie à peu près aménagée. La réussite pour quelqu’un du ghetto, c’est d’emménager dans un appartement, dans des immeubles très mal entretenus bordant les rues principales des quartiers. Après ça, c’est les villas.

Visiter BaGhdad

Pourquoi ne pas visiter Abobo ? Crimes, agressions ? Pas du tout, dit Aly et les statistiques le confirment. Le plus grand quartier de la ville d’Abidjan est fréquenté tous les jours par des ‘’visiteurs’’, blancs ou noirs. Pour des rendez-vous, un déjeuner ou simplement aller au marché, le tout sans incident. Il faut démêler les statistiques... Elles indiquent que le quartier est habité par des riches autant que des pauvres, des ‘stables’ comme des ‘débrouilleurs’. L’apparence du quartier coïncide à cette structure, dans un univers infiniment plus nuancé que les images de ‘’National Geographic’’.Les taches de constructions hasardeuses remplissent les vides entre des bâtiments plus solides de toute sorte. Les avenues, places et autres héritages de Felix Houphouët-Boigny3 structurent le tout en concentrant les activités commerciales. Mêmes les parties les plus défavorisées du quartier ont leur placette, animée par le petit café qui ne vend pas d’alcool mais offre aux habitants l’accès à une télévision. Que peut-il y avoir d’aussi dangereux dans un cadre, certes délabré, mais

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« Le ghetto N’existe pas daNs Les campagNes, Ni

daNs Les autres viLLes »

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culturelle et narrative. Le ghetto n’est ghetto que par l’indisponibilité de son mythe à l’être humain extérieur, sans même parler de l’homme blanc. Voilà la limite qui interdit au voyageur l’accès à l’univers du ghetto, en rendant impossible d’être-là’, c’est à dire d’intégrer une telle expérience à notre existence de manière éloquente, loin des clichés superficiels.

En guise de conclusion, tentons une extrapolation, fascinante mais hasardeuse, de ce discours à tout voyage. L’extrapolation s’autorise par une observation : Abobo est un endroit qui n’est jamais visité à des fins autres que professionnelles. Dans une ville assez peu touristique, Abobo est en plus le secteur à éviter, moche méchant et dangereux. En cela il n’a pas développé la moindre trace de fausse authenticité à emporter, et comme expliqué plus haut, il est impossible d’y être-là. Dans un monde en général très visitable, c’est un échantillon rare de lieu interdit au voyageur, ce qui pourrait bien témoigner d’une situation autrefois généralisée, mais désormais cachée sous le tapis du développement touristique6. Nous sommes donc face à une part d’absurdité dans notre manière de voyager, si ouverte et sensible soit-elle. Nous voyageons pour ramener avec nous des choses, des preuves matérielles ‘Made in China’, ou des photos de monuments avec illusion d’optique , mais surtout des ‘expériences’ (les touristes plus évolués les préféreront à l’artisanat local). Ces ‘expériences’ sont en fait bien souvent fabriquées de toute pièce, tout simplement parce qu’il est impossible de ‘visiter’ un univers de mythes, de traditions et d’imagination - comme le ghetto - à moins que cela ne soit, sans le savoir, déjà le nôtre. Au-delà du spectacle, du dépaysement, et de la gaieté des vacances, nous nous déplaçons sans cesse, sans jamais voyager. Le voyage présuppose d’ être-là et cet être-là se trouve uniquement chez soi.

d’une normalité frappante? Les ‘cours-communes’ répondent pourtant avant tout à un besoin de sécurité : l’accès à la cour est fermé la nuit par une porte métallique, et, en cas de problème, une dizaine de voisins sont toujours là pour aider. Aly lui-même assure ne s’être jamais servi d’une arme, mais je peux imaginer qu’il en circule une autour de chaque cour, une protection sûrement plus efficace que les high-kicks de notre ami taekwondoiste. Si l’insécurité s’est inscrite dans les ‘gênes typologiques’ des habitations, elle ne semble pourtant pas d’actualité : on en parle pas, on ne la ressent pas.

Je me suis baladé dans des endroits autres qu’Abobo, qu’Aly qualifie de ghettos. A Williamsville, on a voulu explorer ce qui se trouvait au fond d’une ruelle qui semblait étonnamment étroite. Suivis par le Bruce Lee africain, nous nous sommes ‘aventurés’. La ruelle débouchait sur une petite placette très intrigante d’où partaient pas moins de cinq ou six ruelles de taille semblable. Ce labyrinthe sorti des clichés du bidonville était particulièrement calme. La plupart des habitants étaient absents - au travail, au marché, ou à l’école - mais une ‘Mama’4 a bien voulu discuter avec nous et nous a expliqué qu’ils habitaient tous là depuis quelques années, mais qu’ils avaient maintenant des problèmes avec l’Etat qui voulait restructurer le quartier. En allumant le générateur de pipeaux, j’ai noté que ce refus de l’amélioration pourrait signifier qu’ils se plaisaient bien ici. Après une vingtaine de minutes dignes d’un documentaire sur l’Afrique, nous sommes remontés dans la voiture, trop heureux d’avoir vécu ‘’un vrai moment africain’’ (sic). Le ghetto ne nous a rien montré de plus que la télé.

Le dépLacement sans VoyaGe

L’étude d’Abobo confronte l’imaginaire de la visite du ghetto, monté de toutes pièces par le visiteur étranger, au mythe authentique de la vie urbaine au quotidien. Le mythe du ghetto n’est pas ouvert aux visites. La narration du ghetto sur lui-même, dont les contours sont apparus pendant ce processus, rend palpable la vraie raison de son inaccessibilité, son vrai interdit fondamental... Par définition, le ghetto est qualifié de tel par sa fermeture au monde, sa capacité d’emprisonner des gens à l’intérieur et d’autres en dehors. Cette fermeture n’est pas (ou n’est plus) physique, mais surtout

1 groupe ethnique du nord de la Côte d’Ivoire, le mot signifie ‘commerçant’, Aly appartient à la sous-éthnie des Maoka2 En Côte d’Ivoire la magie est blanche et non pas noire3 Yop-city, si vous voulez avoir l’air stylé4 Premier président (dictateur, or as close as it gets...) de la Côte d’Ivoire, ayant éffectué un investissement exceptionnel dans les infrastructures et le développement des villes. 5 Mama: dame respectable6 Et par développement touristique je ne parle pas seulement de Paris ou d’Ibiza, mais aussi du Vietnam, de la Patagonie et même d’une certaine manière de la Corée du Nord.

« cette fermeture N’est pas physiQue, mais surtout cuLtureLLe et Narrative »

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Au delà de la barrière...Souvenir de la villa Le Sextant aux Mathes et aparté sur la visite de logements contemporains.TexTe : guillauMe Bolle-reDDaT

« La curiosité n’est pas un goût pour ce qui est bon ou ce qui est beau, mais pour ce qui est rare,

unique, que les autres n’ont point ; ce n’est pas un amusement mais une passion. »

François de La Rochefoucauld

ous le soleil estival, ils arpentent les routes du sud ouest de la France. Ils rythment leurs journées entre océan, vagues, jeux de plage et visites architecturales. Elle leur a concocté un programme au poil. “Une maison de vacances de Le Corbusier pas loin. On y fait un tour ?”. Ni une, ni deux : ils montent dans le combi Vw à la recherche de la villa Le Sextant. Une fois trouvée, ils descendent, s’en approchent, l’appréhendent sous toutes ses coutures, ou presque.

Tous distinguent le mur de pierre en ‘L’ avec son prémice de fenêtre en longeur, les stores abaissés de la cuisine et du séjour, le même mur en ‘L’ symétrique dans lequel se loge la terrasse.

Certains passent la barrière, s’introduisent dans la propriété privée : sécrétion d’adrénaline et soulagement lorsque le pied désinvolte touche le gazon. Ces flâneurs déambulent dans le jardin : ils inspectent la coursive en bois donnant sur la pinède environnante, les petites lampes en forme de globe accrochées au mur, les menuiseries bleues et rouges de la façade cachée, les chambres protégées par les épais murs de pierre du regard du passant mises à nues.

Le muret surmonté de sa barrière a séparé le petit groupe en deux ; entre ceux qui ont vu et ceux qui n’ont pas vu.

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Villa Le Sextant, les Mathes, Le Corbusier

Au commencement de son apprentissage, un des premiers conseils donné à l’étudiant-architecte est d’être curieux ; de ce qui l’entoure, de ce qui l’a précédé, de ce qui a pu être écrit, théorisé, de ce qui a été projeté, réalisé, détruit : une attention de tous les moments comme méthode personnelle intrinsèque à son apprentissage. Cette qualité plus ou moins naturellement développée, apprise, perfectionnée, renferme son alter ego : l’indiscrétion. Histoire de nuances : le juste pas, le pas de trop...

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A la recherche d’images expérimentées, l’étudiant-architecte peut rester posté plusieurs heures devant la porte d’entrée d’un bâtiment, espérant inlassablement qu’un résident la pousse. Si son voeu se réalise, il s’y engouffre. Premier pas accompli : il découvre la cour, la cage d’escalier, l’empilement des boîtes à lettres. Fort de l’exploit réalisé, il déclenche les sonnettes de tous les appartements en attendant qu’un des locataires lui réponde et lui offre la clé du sésame tant attendu: l’entrée dans “l’habiter”. Il passe la porte, se laisse guider par le locataire dans les méandres du logement, l’écoute parler de sa pratique quotidienne de cet espace personnel ; des prises électriques, de la place de l’évier et des revêtements de sol : l’intrusion dans l’intimité d’un inconnu afin de faire l’expérience de l’espace domestique. Une fois le tour du propriétaire effectué, quelques photograhies furtives prises à la sauvette pendant la visite, l’étudiant-architecte remercie bien chaleureusement l’habitant, le salue et rentre chez lui afin de charger les clichés qu’il était venu chercher.

Au cours de son périple touristique, l’étudiant-architecte s’est octroyé le droit, au nom de son expérience spatiale de l’espace privé, de forcer la palissade qui tient tout un chacun à distance de l’individualité. Pourtant, l’étudiant-architecte sait qu’il existe d’autres moyens de comprendre l’architecture domestique. Les architectes ont à leur disposition des documents qu’ils savent lire. Aujourd’hui nombreux sont les bureaux d’architecture mettant à disposition, sur leurs sites internet, esquisses de projet, plans de mise à l’enquête, coupes de détails, photographies réalisées par des professionels lors de la livraison du bâtiment, etc. Sans parler des articles de

publication, des monographies et autres supports papiers.

Et si l’étudiant-architecte n’avait pas pu entrer chez cette famille lambda, il aurait protesté n’avoir vu “que des façades”. C’est toutefois ce rapport que toute personne perçoit du logement dans la ville :l’espace collectif se forme par le dialogue des peaux vivantes abritant l’intériorité du quotidien. Derrière ces rideaux tendus, il est des choses qu’on garde dissimulées. Le passant, au niveau du sol, lève la tête, observe la relation entre les pleins et les vides des façades, entre l’intérieur et l’extérieur des appartements, entre deux bâtiments d’une même rue. Il essaie de se figurer ce qui lui est caché, s’invente une histoire qui pourrait s’y dérouler. Il abat sa dernière carte : celle de l’imagination. Il puise dans ses expériences lentement acquises, répétées jour après jour. Il refuse l’immersion furtive. Il attend de pendre la crémaillère de ses voisins, de dîner le dimanche chez ses grands-parents, de boire un café avec des amis : la formation de son catalogue de références prend du temps. Il en saisit l’espace et les ambiances.

Mais l’étudiant-architecte impatient, lui, est plus curieux, ou plus indiscret. Il veut les vivre, ces espaces domestiques contemporains dont on lui parle tant pendant les cours de théorie et critique du projet ; les saisir, ces seuils, ces imbrications d’échelles, ces parcours du hall d’entrée à la salle à manger ; parce qu’il les comprend par leur caractère inné et ne les comprend pas par leurs spécificités, sans cesse re-visitées : il lui faut les acquérir, physiquement. Tant pis si braver l’interdit en est le prix.

A lui de choisir si le jeu en vaut la chandelle.

l’étudiant-architecte en visite

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Mais qui connaît les Archives de la Construction Moderne ? De leur petit nom : les ACM... Ô poussiéreux documents, loin de tout étudiant. TexTe : Marion VuacheT

Là-haut au dernier étage

n lieu de stockage. Par essence un lieu mystérieux, un bunker hors douane interdit au public. Le troisième étage du SG. L’étage pour pouvoir s’assoupir en fin de nuit charette, pour s’en aller relire ses notes avant les examens, l’étage pour s’isoler, ou encore pour se retrouver... le troisième étage. Celui où, depuis le couloir, l’escalier au loin continue mais pourtant, ne jamais le gravir, comme une limite à ne franchir. Perte de temps, plutôt retourner travailler à l’atelier. Aller visiter Florence, Berlin ou partir le temps d’un week-end à Tartanpoint mais ne jamais monter jusqu’au dernier d’un bâtiment où passer ses journées. Curiosité limitée.

Il est vrai que le ground floor des apéros ou le premier de la cafet’ sont d’avantage pratiqués, terrains familiers, conquis, connus, mais ce fichu dernier, jamais vu. Une excuse justifiée : il faut bien admettre que ces archives ne sont pas très communicatives auprès des étudiants... endormies, elles semblent avoir tout archivé puis sombré. Oser. Monter. Une lumière d’aquarium tamise les conversations feutrées, un second jour et des rideaux baissés, tout est assourdi, on ne peut plus parler.

Mais vouloir la conter : c’est ici le charme d’une vieille bibliothèque, ça contraste avec cette lumière de verre du Rolex. Ce n’est plus un espace éthéré, léger, transparent. Ce sont des archives qui soupirent, des diapos alignées qui cherchent à la lumière un chemin où se frayer, un lieu noir, au dernier étage, devant des maquettes d’un autre âge et des caisses de bois, comme l’impression d’un départ, un quai de gare du siècle passé. Un lieu obscur, rocailleux, encombré : c’est l’espace d’en haut, l’espace des cimes et dommage qu’il semble inaccessible. Fixé, figé. Peut-être même quelque chose de sacré : la réserve reste silencieuse, calme, et ses reliques, somnolantes.

Une odeur d’alcool de fer et de poussière… ici, il faut prendre rendez-vous et respecter les règles. Il est d’un protocole auquel se plier, ne dérange

pas l’immuabilité des particules qui veut : montrer patte blanche, prendre un ton solennel, remplir une fiche, inscrire son nom, révéler son identité, justifier son motif, décliner et parafer, bientôt de son empreinte imprimer. Certes, ce n’est pas le règne des moyens modernes, la classification des données numériques semble si complexe, les fichiers aux noms similaires composent parfois la toile d’un joyeux bordel... l’archive serait elle devenue une denrée à ne plus consommer? Pourtant un véritable enjeu se dessine : l’accès à ces fonds, ces précieux documents que les écoliers pourraient exploiter. Mais aucune façade sur rue, des publications pour sauver le front, mais surtout éloigner cette masse trop moderne d’étudiants... perturbateurs du calme centenaire. Un si beau lieu pourtant. Avec certains de ses personnages presque empaillés, mais un lieu où aller. Il y avait bien cette affiche démesurée, aposée derrière là où les larges escaliers métalliques desservent boxs et ailes AAC...

Une entrevue furtive, en fugitive. Et contre une signature : sur clé, un scannage des données filées au compte goutte. Repartir... l’odeur de la poussière ne nous quitte pas des yeux, le pas s’accélère, il dévale l’escalier pour bientôt retrouver la terrasse du SG. Regard de nouveau panoramique sur l’estuaire de l’atrium : le lieu éthéré est de retour, la foule, le bruit, le soleil des beaux jours, la lumière de l’espace. Respirer : plus d’odeur.

Entre le temps de l’écriture et la publication, surprise : une exposition. Longue série du nom. Pier Luigi Nervi, images sous verre : photographies d’une belle collection, toutes parées en noir et blanc. Comme des trophées à exhiber, qui semblent être tout droit sortis des cartons. Une communication ? Premier pas entraînant et d’espérer que le suivant, prochainement, sera au delà de la transparence affichée du foyer d’exposition. Qu’il se glissera entre les volutes de poussière. Qu’il deviendra public et accueillant.

En attendant. Prochaine fois, depuis le hall du SG, laissez l’ascenseur filer. Et montez au dernier.

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L’invité

n termes de politique globale, un des grands changements de l’après guerre froide semble être l’échec de la politique consumériste depuis que l’on sait les ressources limitées. Certains estiment que l’on peut mener une vie tout aussi confortable, plus simple, en consommant beaucoup moins. Estimez-vous que la décroissance, opposée au «développement durable», soit une réponse viable aux crises environnementales et économiques actuelles ?

La fortune du concept de développement durable a en gros vingt-cinq ans. Il a en effet été mis en circulation par le rapport Brundtland pour promouvoir l’idée d’un développement qui permette aux générations actuelles de satisfaire leurs besoins “sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs”. En clair, ce rapport soulignait la nécessité où se trouvait le monde d’adopter enfin une “économie de bon père de famille”, qui vive des intérêts sans dilapider le capital. Ainsi comprise, la notion de “développement durable” me conviendrait assez bien. Le problème, c’est que l’expression a été dévoyée en mot valise, pour véhiculer l’idée qu’à condition de favoriser l’innovation et de changer quelques habitudes ou quelques circuits dans la plomberie, notre économie pourrait continuer à “croître” encore et mieux qu’avant, ce qui est parfaitement déraisonnable : à une époque où nous consommons globalement les revenus d’une planète et demie, l’idée de “croissance durable”

est un pur et simple oxymore. C’est ce que les avocats de la décroissance, beaucoup plus réalistes, ont raison de souligner. Maintenant, même si je suis tout prêt à considérer la frugalité comme une vertu, je crois surtout que la décroissance est une condition, un processus inévitable, que

nous n’aurons pas la liberté de refuser, ni même d’ignorer. L’immense mérite du rapport Meadows est d’avoir dès 1972, soit 15 ans avant le rapport Brundtland, très bien modélisé l’ensemble de cette problématique, en intégrant l’évolution démographique, la consommation des ressources, la croissance du PIB mondial, la “pollution”, etc. Sur cette base, le scenario “business as usual” que ses auteurs obtinrent en projetant l’évolution des tendances d’alors jusqu’à 2100 aboutissait à un effondrement global de l’économie mondiale au cours de la première moitié du 21e siècle.

- C’est à dire maintenant...

Oui. Et du reste, tous les autres scénarios qu’ils construisirent en agissant à chaque fois sur une seule des variables du problème (contrôler la démographie, démultiplier l’efficacité énergétique, etc) allaient tous dans le mur, même s’ils pouvaient arrondir un peu le basculement. Le principe est simple : quand l’écart se creuse entre l’envolée de la production et de la démographie d’une part, et la diminution ou l’appauvrissement des ressources de l’autre, l’essentiel des surplus, plutôt que d’alimenter le système éducatif ou le système de santé, sont mobilisés dans la quête toujours plus chère de nouvelles ressources ou dans la lutte contre l’effet des pollutions. Jusqu’au moment où le

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«Nous N’auroNs pas La Liberté de refuser Ni même d’igNorer La décroissaNce»

L’architecture comme art d’espérer, entrevue avec Sébastien Marot, théoricien de l’environnement et professeur invité à l’EPFL. inTerView : Félix parpoil

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système, à l’issue de crises de plus en plus violentes, se stabilise à un niveau bien inférieur. La question de la quantité des ressources n’est donc elle-même qu’une composante de la problématique. Dans l’un de leurs scenarii, les auteurs du rapport doublaient par hypothèse le stock global censément disponible, toutes choses restant égales par ailleurs. Le résultat était un effondrement retardé de quelques années, mais d’autant plus raide et brutal.

- Que pensez-vous de la viabilité d’un tel modèle ?

Soyons clair, je ne suis pas expert en dynamique des systèmes, et je serais incapable de juger de la façon dont ce modèle a été élaboré. En revanche, je suis frappé par la clarté et la cohérence de l’exposé exotérique que ses auteurs ont donné de leur recherche dans The Limits to Growth, et par les clefs de lecture qu’il nous offre pour comprendre les crises qui agitent la chronique aujourd’hui. La leçon que l’on en tire confirme une conclusion accessible au bon sens, à savoir que la seule stratégie valable pour affronter une telle problématique doit agir simultanément sur toutes ses variables : contrôle démographique, diminution des émissions, innovation et efficacité énergétique, frugalité volontaire, etc. Il faut souligner que les auteurs ont publié deux mises à jour de leur travail, l’une en 1992, significativement intitulée Beyond the Limits, et l’autre en 2004 Limits to Growth, the Thirty Year Update, en améliorant à chaque fois les données et l’architecture du modèle. Pour l’essentiel, leurs conclusions n’ont pas varié, sinon pour souligner que le retard à réagir ne fait qu’aggraver la situation. Il y a quelques années, un institut de recherche australien a systématiquement comparé les prévisions globales du rapport de 72 avec l’évolution qui s’est effectivement produite depuis, et la mauvaise nouvelle est que cette évolution concorde parfaitement avec le déroulé du scénario “Business as usual”.

- La principale variable des scénarii de l’association française NegaWatt (manifeste NegaWatt), proposant des solutions complètes pour tous les secteurs d’activité afin de réduire la consommation d’énergiem, est la volonté politique... Que diriez-vous de l’état et du futur de cette volonté politique ?

Je viens de lire le livre de Paul Gilding, The Great Disruption, qui est entièrement consacré à cette question. Gilding, qui est assez proche de Jørgen Randers, l’un des auteurs de The Limits to Growth,

considère que le processus d’effondrement est amorcé et que la crise économique de 2008 en est un clair symptôme avant-coureur. Il se focalise sur la problématique du changement climatique qui a récemment donné une dimension globale aux préoccupations environnementales, et qui devrait à son avis jouer bientôt le rôle de levier politique international. Cette éventualité n’a d’ailleurs pas échappé à ceux qui remettent en cause les rapports du Giec, en dénonçant une pseudo-science, instrumentalisée par les avocats d’un nouvel ordre mondial, fossoyeur de la démocratie et du marché, etc. A l’inverse, je fais partie de ceux qui estiment que la démocratie a beaucoup plus à craindre de l’ignorance des bouleversements en cours que de la prétendue surestimation de leurs dangers. Pour en revenir à Gilding, il est persuadé que la mobilisation politique va finir par se produire, et vite, parce qu’elle doit se produire, et que face à l’aggravation de la crise, il se trouvera bientôt des Churchill pour faire valoir qu’on a trop longtemps débattu de la question de “ce qu’il serait possible de faire”, et qu’il faut désormais s’attaquer à celle de “ce qu’il est nécessaire de faire”.

- Pensez-vous que certains effets mal estimés du réchauffement auront des rétroactions qui pourraient précipiter l’espèce dans sa chute, comme la disparition des abeilles ? Y a-t-il des aspects de la crise qui vous préoccupent particulièrement ?

D’abord, en mettant de côté le changement climatique, ce ne sont pas les préoccupations qui manquent. Et ensuite, ce n’est pas l’espèce humaine qui semble menacée ou risquer la disparition, du moins à court voire même à moyen terme. Quelle que soit l’ampleur des crises à venir, des individus et des sociétés leurs survivront probablement. Mais dans quelles conditions, et à quel prix ? C’est plutôt la violence potentielle des bouleversements à venir, et de leurs conséquences économiques,

sociales et politiques, qui me paraît inquiétante : on peut s’attendre à l’établissement de pouvoirs autoritaires. La question de l’épuisement et de la pollution des eaux est primordiale, tout comme celle de l’érosion et la dégradation des sols ; en plus de la problématique énergétique, qui est double,

«d’après giLdiNg, La mobiLisatioN poLitiQue va fiNir par se produire, et

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puisqu’elle concerne à la fois l’approvisionnement et les émissions de CO2. Alors que l’urgence devrait être d’accélérer la transition, et de trouver les moyens de se passer des stocks fossiles existants avant l’épuisement, le fait que plusieurs économies, censément éclairées, se jettent tête baissée dans l’exploitation des gaz de schistes n’a évidemment rien de rassurant. On peut se demander combien de drames se produiront avant que nos sociétés sortent du déni, c’est-à-dire commencent à croire à ce qu’elles savent, et à agir en conséquence.

- Au niveau territorial, la réponse à la crise peut-elle être autant centralisée, depuis la tête d’un état, ou est-ce que l’on assisterait à la naissance d’une organisation au niveau local apportant des éléments de réponse ? La décentralisation ne serait-elle pas la tendance ?

On peut distinguer deux grandes esthétiques ou sensibilités environnementales dont je veux croire qu’elles ne sont pas incompatibles : les ingénieurs ou “polytechniciens” ont souvent celle du bon système (smart grid, etc), ou du nouveau réseau, bien pensé, qui dégagera des économies d’échelle. Le projet de Roadmap 2050, auquel OMA a collaboré, et qui imagine une nouvelle carte énergétique de l’Europe, en est une assez bonne illustration. Instinctivement, je penche plutôt vers l’esthétique localiste, c’est à dire vers l’ambition de re-territorialiser autant que possible localement la gestion et la consommation des ressources : la conscience et la responsabilité environnementales me semblent nécessairement liées à une certaine intelligibilité locale. Mais ni l’une ni l’autre de ces deux esthétiques ne détient aujourd’hui la clef de la transition : les méga-systèmes manquent de souplesse et le localisme aura beaucoup de peine à résoudre la situation au vu de la démographie.Il faut se rendre compte que la transition énergétique en question appelle une considérable décélération et une singulière réorganisation. Jean-Marc Jancovici, un expert de la problématique énergie-climat, utilise la notion ‘d’esclave énergétique’ pour expliquer que dans le monde de l’énergie fossile bon marché où nous vivons encore, nous disposons chacun de 20 à 1000 esclaves énergétiques entièrement à notre service. Cyniquement, on peut se demander si l’abolition de l’esclavage humain n’a pas d’abord été amenée par la chute de compétitivité de ce dernier, et s’inquiéter par conséquent du renversement de tendance que pourrait entraîner, dans bien des régions, un renchérissement brutal du coût de l’énergie, et par conséquent de toutes sortes de choses, la nourriture en premier lieu. De toute

évidence, l’obligation de diviser notre train de vie énergétique par 2, 5 ou 10 en relativement peu de temps va réclamer beaucoup d’anticipation, d’intelligence et d’engagement…

- Quels sont les rôles, les responsabilités et les moyens d’action des architectes ? Nos bâtiments devant représenter notre culture au sens large, l’environnementalisme devrait en faire partie. Bien que des électrons libres du localisme et de la décroissance en architecture soient de plus en plus visibles, on ne distingue pas de discours global, contrairement au discours high-tech, qui pourtant semble déjà derrière nous.

Bien que les études d’histoire de l’environnement nous fournissent une intéressante jurisprudence, nous sommes un peu tous des apprentis sorciers dans ce domaine. Quand ils ne se contentent pas d’appliquer les cahiers des charges environnementaux qui leurs sont imposés de l’extérieur (en termes de niveaux de performance attendus) beaucoup d’architectes - je citais tout à l’heure l’étude prospective de superstructure énergétique européenne à laquelle OMA a récemment participé - semblent toujours portés par une confiance plus ou mois explicite dans les super-modèles. L’optimisme fait partie de

l’ADN professionnel des architectes, et c’est à la fois normal et salutaire. L’optimisation appelle l’optimisme. Cela dit, optimistes et pessimistes partagent souvent la même idée paresseuse: que l’espoir serait quelque chose que l’on a ou que l’on n’a pas. Or de nos jours, ça ne se trouve pas sous le pas d’un cheval, l’espoir ! C’est plutôt une ressource qu’il faut faire naître, qu’il faut ménager, cultiver et faire fructifier. L’expression anglaise “to raise hope” le dit bien : l’espoir est un art, tout comme l’était la mémoire lorsque l’humanité ne disposait pas d’outils et de supports pour la stocker. Ma conviction est que l’histoire et la théorie de l’architecture, du paysage et de l’urbanisme sont pleines d’enseignements à cet égard, si l’on veut bien prendre la peine de les revisiter et de leur poser de nouvelles questions.

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sociétés sorteNt du déNi?»

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