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1 Année Universitaire 2013/2014 Master I – Semestre I DROIT MATERIEL DE L’UNION EUROPEENNE Cours de Mme Anne Rigaux, Maître de conférences, Ecole de droit de la Sorbonne, Université Paris I Panthéon Sorbonne Travaux dirigés de Mlle Ruxandra Bancu, chargée d’enseignement, avocat Séance 2 et 3 Les particularités du champ d’application des libre-circulations L’identification des différents éléments relatifs au champ d’application des règles relatives aux quatre libertés permet de tirer un certain nombre de règles générales communes, applicables aux marchandises, aux personnes et aux capitaux. En premier lieu a été identifié un champ d’application territorial de principe des règles du traité, défini comme l’espace où s’exercent les compétences de l’union. Il faut ensuite clarifier la question du champ d’application matériel de ces différentes situations. L’enjeu était de définir, au sens du droit de l’Union, et aux fins d’application des règles du traité, ce qu’il convenait de considérer comme une marchandise ou un produit, ce qu’était un travailleur au sens du traité, ce que recouvraient les notions d’établissement, de prestation des services et de capitaux. Sur le terrain du champ d’application fonctionnel, il est apparu que les marchandises, les personnes ou les capitaux couverts par les règles du traité devaient, pour pouvoir bénéficier des règles de libération consacrées par le traité, à la fois présenter un lien de rattachement avec le droit communautaire (provenance ou origine pour les marchandises, nationalité en ce qui concerne les personnes physiques ou morales) et se trouver dans une situation de circulation entre deux ou plusieurs États membres, c’est à dire que la situation sous examen présente ce qu’il est convenu d’appeler un «élément d’extranéité». S’agissant du champ d’application personnel, il a été identifié qu’en première ligne, spécialement en matière de libre circulation des marchandises, ce sont les réglementations des États membres qui établissent des entraves aux différentes libres circulations qui sont visées en première ligne. Il faut en effet normalement établir que la violation alléguée est « imputable » aux autorités publiques au sens large. Ce n’est qu’exceptionnellement et dans le domaine de la libre circulation des personnes, que peuvent être contestées par les bénéficiaires des règles communautaires, des entraves aux libres circulations qui émanent de particuliers. Enfin, s’agissant du champ d’application temporel des règles communautaires, il a été relevé que la question de l’application différée dans le temps d’une règle du traité, si elle était une question centrale au début de la construction communautaire, du fait de la généralisation de la technique de la «période de transition», ne se pose plus que de manière limitée en l’état actuel de l’intégration. Elle peut éventuellement être réactivée dans des domaines limités, en fonction de certains aménagements ponctuels sur l’exigibilité de l’acquis communautaire, que des États nouvellement adhérents auraient négocié, et qui figurent explicitement dans le texte des Actes d’adhésion, ou dans une application différée de la libre circulation, notamment des personnes, négociées par les anciens Etats membres pour l’ouverture de leur marché du travail aux ressortissants des Etats nouvellement entrés dans l’Union. Sur ces différents points, les règles de principe applicables au champ d’application général de la libre circulation au sens large sont susceptibles de présenter un certains nombres de particularités, dans la mise en œuvre de la libre circulation, qui ont donné lieu à des précisions ou à des avancées jurisprudentielles. L’objet des deux séances consacrées à ce thème visera à identifier ces différentes particularités, notamment en ce qui concerne le champ d’application matériel, personnel et fonctionnel des libre- circulations. - S’agissant du champ d’application matériel, on se posera la question de savoir si les règles applicables aux différentes libertés sont d’application alternative ou cumulative. - Il s’agit en deuxième lieu de celles relatives au champ d’application personnel des règles communautaires, liées à l’imputabilité de la violation alléguée aux autorités publiques. Sur ce point, la jurisprudence de la Cour est venue apporter un certain nombre d’infléchissements, spécialement dans le domaine de la libre circulation des marchandises, dont il faudra analyser les contours et la portée. - Enfin, et c’est sans doute l’innovation la plus importante, et celle qui a suscité le plus d’interrogations, on ne peut que constater que la Cour est venue relativiser de manière assez profonde l’exigence de l’«élément d’extranéité», normalement indispensable, du point de vue fonctionnel, pour pouvoir prétendre à l’applicabilité des règles de circulation à une situation donnée. Elle a en effet accepté d’appliquer certaines règles du traité à des situations qui ne pouvaient cependant pas s’analyser autrement, compte tenu du cadre factuel du litige, que comme des « situations purement internes ». C’est ce « bloc jurisprudentiel qu’on étudiera de manière approfondie en dernier lieu, en essayant d’établir le cadre de cette jurisprudence, et d’identifier les raisons pour lesquelles le juge a accepté, de manière pour le moins extensive, de consacrer une approche ignorant délibérément dans certains cas, l’exigence « normale » d’un élément d’extranéité, caractéristique de la libre « circulation ». on constatera aussi que cette extension assez étonnante ne vaut, en l’état actuel de la jurisprudence que dans le bloc libre circulation des marchandises. L’application des règles de libre circulation des personnes à un litige, dans le cadre de la libre circulation des travailleurs et de l’exercice des activités indépendantes semble en effet résister à cette extension.

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Page 1: Libertés de circulation

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Année Universitaire 2013/2014

Master I – Semestre I

DROIT MATERIEL DE L’UNION EUROPEENNE Cours de Mme Anne Rigaux, Maître de conférences, Ecole de droit de la Sorbonne, Université Paris I Panthéon Sorbonne

Travaux dirigés de Mlle Ruxandra Bancu, chargée d’enseignement, avocat

Séance 2 et 3 Les particularités du champ d’application des libre-circulations

L’identification des différents éléments relatifs au champ d’application des règles relatives aux quatre libertés permet de tirer un certain nombre de règles générales communes, applicables aux marchandises, aux personnes et aux capitaux. En premier lieu a été identifié un champ d’application territorial de principe des règles du traité, défini comme l’espace où s’exercent les compétences de l’union. Il faut ensuite clarifier la question du champ d’application matériel de ces différentes situations. L’enjeu était de définir, au sens du droit de l’Union, et aux fins d’application des règles du traité, ce qu’il convenait de considérer comme une marchandise ou un produit, ce qu’était un travailleur au sens du traité, ce que recouvraient les notions d’établissement, de prestation des services et de capitaux. Sur le terrain du champ d’application fonctionnel, il est apparu que les marchandises, les personnes ou les capitaux couverts par les règles du traité devaient, pour pouvoir bénéficier des règles de libération consacrées par le traité, à la fois présenter un lien de rattachement avec le droit communautaire (provenance ou origine pour les marchandises, nationalité en ce qui concerne les personnes physiques ou morales) et se trouver dans une situation de circulation entre deux ou plusieurs États membres, c’est à dire que la situation sous examen présente ce qu’il est convenu d’appeler un «élément d’extranéité». S’agissant du champ d’application personnel, il a été identifié qu’en première ligne, spécialement en matière de libre circulation des marchandises, ce sont les réglementations des États membres qui établissent des entraves aux différentes libres circulations qui sont visées en première ligne. Il faut en effet normalement établir que la violation alléguée est « imputable » aux autorités publiques au sens large. Ce n’est qu’exceptionnellement et dans le domaine de la libre circulation des personnes, que peuvent être contestées par les bénéficiaires des règles communautaires, des entraves aux libres circulations qui émanent de particuliers. Enfin, s’agissant du champ d’application temporel des règles communautaires, il a été relevé que la question de l’application différée dans le temps d’une règle du traité, si elle était une question centrale au début de la construction communautaire, du fait de la généralisation de la technique de la «période de transition», ne se pose plus que de manière limitée en l’état actuel de l’intégration. Elle peut éventuellement être réactivée dans des domaines limités, en fonction de certains aménagements ponctuels sur l’exigibilité de l’acquis communautaire, que des États nouvellement adhérents auraient négocié, et qui figurent explicitement dans le texte des Actes d’adhésion, ou dans une application différée de la libre circulation, notamment des personnes, négociées par les anciens Etats membres

pour l’ouverture de leur marché du travail aux ressortissants des Etats nouvellement entrés dans l’Union. Sur ces différents points, les règles de principe applicables au champ d’application général de la libre circulation au sens large sont susceptibles de présenter un certains nombres de particularités, dans la mise en œuvre de la libre circulation, qui ont donné lieu à des précisions ou à des avancées jurisprudentielles. L’objet des deux séances consacrées à ce thème visera à identifier ces différentes particularités, notamment en ce qui concerne le champ d’application matériel, personnel et fonctionnel des libre-circulations.

- S’agissant du champ d’application matériel, on se posera la question de savoir si les règles applicables aux différentes libertés sont d’application alternative ou cumulative. - Il s’agit en deuxième lieu de celles relatives au champ d’application personnel des règles communautaires, liées à l’imputabilité de la violation alléguée aux autorités publiques. Sur ce point, la jurisprudence de la Cour est venue apporter un certain nombre d’infléchissements, spécialement dans le domaine de la libre circulation des marchandises, dont il faudra analyser les contours et la portée. - Enfin, et c’est sans doute l’innovation la plus importante, et celle qui a suscité le plus d’interrogations, on ne peut que constater que la Cour est venue relativiser de manière assez profonde l’exigence de l’«élément d’extranéité», normalement indispensable, du point de vue fonctionnel, pour pouvoir prétendre à l’applicabilité des règles de circulation à une situation donnée. Elle a en effet accepté d’appliquer certaines règles du traité à des situations qui ne pouvaient cependant pas s’analyser autrement, compte tenu du cadre factuel du litige, que comme des « situations purement internes ». C’est ce « bloc jurisprudentiel qu’on étudiera de manière approfondie en dernier lieu, en essayant d’établir le cadre de cette jurisprudence, et d’identifier les raisons pour lesquelles le juge a accepté, de manière pour le moins extensive, de consacrer une approche ignorant délibérément dans certains cas, l’exigence « normale » d’un élément d’extranéité, caractéristique de la libre « circulation ». on constatera aussi que cette extension assez étonnante ne vaut, en l’état actuel de la jurisprudence que dans le bloc libre circulation des marchandises. L’application des règles de libre circulation des personnes à un litige, dans le cadre de la libre circulation des travailleurs et de l’exercice des activités indépendantes semble en effet résister à cette extension.

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Documents fournis Pour la séance no 2 1. La question de l’application alternative ou cumulative des règles sur la libre circulation

- Doc. 1 – CJCE 23 novembre 1978, Thompson, aff. 7/78 - Doc. 2 – CJCE, 11 juillet 1985, affaires jointes 60 et 61/84, Cinéthèque - Doc. 3 - CJCE 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, aff. C-390/99

2. Le champ d’application « personnel » : les problèmes d’imputabilité de la violation des règles sur le marché intérieur - Doc. 1 – CJCE, 24 Novembre 1982, Commission / Irlande, 249/81 - Doc. 2 – CJCE, 11 août 1995, Edouard Dubois et fils SA et Général Cargo Services SA contre Garonor, aff. C-

16/94 - Doc. 3 – CJCE, 9 Décembre 1997, Commission / France « guerre des fraises », C-265/95 - Doc. 4 - CJCE, 12 déc. 1974, Walrave et Koch, 36/74

Pour la séance no 3 3. Élément d’extranéité et situations purement internes A. - Le domaine de la libre circulation des marchandises

- Doc. 1. - CJCE, 9 août 1994, Lancry , C-363/93, C-407 à 411/93 - Doc. 2 - CJCE, 7 mai 1997, Pistre, C-321/94 à C-324/94 - Doc. 3 - CJCE, 5 décembre 2000 , Guimont, C-448/98

B.- Situations purement internes et libre circulation des personnes - Doc. 1 - CJCE, 27 octobre 1982, Morson Jhanjan, aff. Jointes 35 et 36/82

C. – Exercice – cas pratique Travail à faire (au choix): Pour la séance no 2 - Commentaires d'arrêt – plan détaillé (deux parties – deux sous-parties) - pour les arrêts suivants, reproduits

ci-dessous : o Arrêt CJCE 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital ; ou o Arrêt CJCE, 9 Décembre 1997, Commission / France « guerre des fraises », C-265/95 ;

Pour la séance no 3 - Commentaire comparé des arrêts – plan détaillé (deux parties – deux sous-parties) - pour les arrêts suivants,

reproduits ci-dessous : CJCE, 7 mai 1997, Pistre, C-321/94 à C-324/94 et CJCE, 5 décembre 2000 , Guimont, C-448/98

- Cas pratique (dernier document de la fiche) sans demande de plan, mais avec présentation détaillée et structurée des arguments juridiques.

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1.- La question de l’application alternative ou cumulative des règles sur la libre circulation

- Doc. 1 : CJCE 23 novembre 1978, Thompson, aff. 7/78 - Doc. 2 : CJCE, 11 juillet 1985, affaires jointes 60 et 61/84, Cinéthèque - Doc. 3 : CJCE 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, aff. C-390/99

Document 1. CJCE, 23 novembre 1978, Thompson, aff. 7/78, Rec. p. 2247

(…) 18 Attendu que, dans ces conditions, la Court of Appeal a posé les questions suivantes : 1. Les pièces de monnaie suivantes doivent-elles, en principe être considérées comme « capitaux » au sens de la deuxième partie, titre III, chapitre 4, du Traité de Rome : A) Pièces d’or telles que les « Krugerrands » qui sont produites dans un pays tiers mais circulent librement à l’intérieur d’un Etat Membre; B) Pièces en alliage d’argent qui ont cours légal dans un Etat Membre ; C) Pièces en alliage d’argent d’un Etat Membre qui ont eu cours légal dans cet Etat qui, bien qu’elles n’aient plus cours, sont, en tant que pièces de monnaie, protégées de la destruction dans cet Etat? (…) 19 Attendu qu’un examen des questions posées révèle que, même si de manière à mettre l’accent sur la qualification de « capitaux » des pièces en cause, elles visent en réalité à savoir si ces pièces ont la qualité de marchandises tombant sous les dispositions des articles 30 à 37 du Traité, ou des moyens de paiement tombant sous d’autres dispositions; 20 Que ces dispositions, ainsi comprises, doivent être envisagées dans le cadre du système général du Traité ; 21 Qu'il apparaît d’une analyse de ce système que les règles relatives à la libre circulation des marchandises, et, plus particulièrement, les articles 30 et suivants concernant l’élimination des restrictions quantitatives et de toutes mesures d’effet équivalent sont à envisager non seulement par rapport aux règles spécifiques relatives aux transferts de capitaux, mais par rapport à l’ensemble des dispositions du Traité relatives aux transferts monétaires, lesquels peuvent en effet s’effectuer aux fins les plus diverses, et dont les transferts de capitaux ne forment qu’une catégorie particulière ; 22 Que si les articles 67 à 73 du Traité, concernant la libéralisation des mouvements de capitaux revêtent une importance particulière en ce qui concerne l’un des buts énoncés à l’article 3 du Traité, à savoir l’abolition des obstacles à la libre circulation des capitaux, les dispositions des articles 104 à 109, qui ont pour objet la balance globale des paiements et qui sont à ce titre relatives à l’ensemble des mouvements monétaires, doivent être considérées comme essentielles pour atteindre la libération des échanges de marchandises, de services et de capitaux, fondamentale pour la réalisation du marché commun ; 23 Qu'en particulier, l’article 106 prévoit que « chaque Etat Membre s’engage à autoriser, dans la monnaie de l’Etat Membre dans lequel réside le créancier ou le bénéficiaire, les paiements afférents aux 25 Qu'on doit en déduire que, dans le système du Traité, les moyens de paiement ne sont pas à considérer comme marchandises tombant sous l’empire des articles 30 à 37 du Traité; 26 Attendu que les pièces en alliage d’argent qui ont un cours légal dans un Etat Membre sont par leur nature à considérer comme moyens de paiement, et qu’il s’ensuit que leur transfert ne tombe pas sous les dispositions des articles 30 à 37 du Traité ; 27 Attendu que, s’il peut exister des doutes sur la question de savoir si les Krugerrands doivent être considérés comme moyens de paiement légal, on peut cependant constater que, sur les marchées monétaires de ceux des Etat Membres qui admettent leur négociation, ces pièces sont considérées comme équivalent à une monnaie ; 28 Que leur transfert doit, dès lors, être qualifié de transfert monétaire, ne tombant pas sous les dispositions desdits articles 30 à 37 ; 29 Attendu qu’au vu des considérations ci-dessus, il n’est pas nécessaire d’aborder la question de savoir dans quelles conditions le transfert de ces deux catégories de pièces pourrait éventuellement être qualifié, soit de mouvement de capitaux, soit de paiement courant ;

30 Attendu que la première question sous C) se réfère aux pièces en alliage d’argent d’un Etat Membre qui ont eu cours légal dans cet Etat, mais qui, bien qu’elles n’aient plus de cours, sont, en tant que pièces de monnaie, protégées contre la destruction ; 31 Que de telles pièces ne sauraient être considérées comme moyens de paiement dans le sens ci-dessus exposé, de sorte qu’elles peuvent être qualifiées de marchandises tombant sous le régime des articles 30 à 37du Traité ; 32 Attendu qu’il appartient aux Etats Membres de frapper leur propre monnaie et de la protéger contre la destruction ; 33 Qu’il ressort du dossier qu’il existe au Royaume-Uni une interdiction de fondre ou de détruire les pièces de monnaie nationale, même si elles n’ont plus cours légal ; 34 Qu'une interdiction d’exporter de telles pièces, en vue d’empêcher que la fonte ou la destruction ait lieu dans un autre Etat Membre, est justifié par des raisons d’ordre public au sens de l’article 36 du Traité, parce qu’elle tient à la protection du droit de frappe traditionnellement considéré mettant en cause des intérêts essentiels de l’Etat (…).

Document 2. CJCE, 11 juillet 1985, affaires jointes 60 et 61/84, Cinéthèque SA

1 Par deux ordonnances du 15 février 1984, parvenues à la Cour le 7 mars suivant, le tribunal de grande instance de Paris a posé, en vertu de l’article 177 du traité CEE, trois questions préjudicielles, identiques dans les deux cas, relatives à l’interprétation des articles 30, 34, 36 et 59 du traité, en vue d’apprécier la compatibilité, avec ces dispositions, de la législation française sur la diffusion des œuvres cinématographiques. 2 La loi française n• 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle (JORF du 20.7.1982, p. 2431) comporte un article 89, d’après lequel aucune œuvre cinématographique exploitée dans les salles de spectacles cinématographiques ne peut faire l’objet d’une exploitation simultanée sous forme de supports destinés à la vente ou à la location pour l’usage privé du public, et notamment sous forme de vidéocassettes ou de vidéodisques, avant l’expiration d’un délai à fixer par décret et compris entre six et dix-huit mois. Cette disposition prévoit que le délai courra à compter de la délivrance du visa d’exploitation en salle et qu’il pourra faire l’objet de dérogations accordées dans des conditions fixées par décret. 3 Le délai ainsi prévu a été fixé à un an par un décret d’application, intervenu le 4 janvier 1983. Selon les ordonnances de renvoi, il ressort de la combinaison de cette législation avec les dispositions prises antérieurement en matière de programmation des films à la télévision, un échelonnement dans le temps des modes de diffusion des films, dans l’ordre suivant: d’abord les salles de spectacles, ensuite les vidéocassettes et vidéodisques, enfin la télévision. Les ordonnances précisent que cette réglementation est assouplie par la faculté donnée au ministre de la Culture d’accorder des dérogations au délai d’un an, après avis d’une commission composée de huit membres dont deux représentants des éditeurs de vidéocassettes et de vidéodisques. Les dérogations sont accordées, aux termes du décret d’application, en fonction des résultats de l’exploitation commerciale de l’œuvre cinématographique en salles. 4 Dans l’affaire 60/84, le litige au principal concerne la diffusion du film Furyo produit par la société de droit anglais Glinwood Films Ltd établie à Londres. Celle-ci a concédé la distribution et l’exploitation exclusive de ce film en salle de cinéma à une société française, AAA, en mars 1983; le film a obtenu un visa d’exploitation en salle, au sens de l’article 89 de la loi n• 82-652, le 28 juin 1983. Un mois plus tard, Glinwood a concédé à une autre société française, Cinéthèque SA, une licence exclusive de fabrication et de commercialisation de la vidéocassette du même film à partir du 1er octobre 1983, licence applicable pour les territoires belge, français et suisse; Cinéthèque s’engageait à verser à Glinwood une redevance de 500 000 FF. Après avoir obtenu également l’autorisation de la société AAA, Cinéthèque a effectivement entamé la production et la commercialisation de la cassette du film à partir de la date convenue. En octobre 1983, l’exercice de ces activités a été entravé à la suite d’une ordonnance de référé autorisant la Fédération nationale des cinémas français, à sa

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demande, de faire saisir tous les supports vidéo du film Furyo commercialisés par Cinéthèque et proposés à la vente au public par des revendeurs et détaillants. Cinéthèque et Glinwood se sont adressées au tribunal de grande instance de Paris pour demander la mainlevée des mesures prises ainsi qu’une déclaration que les dispositions de l’article 89 de la loi n• 82-652 et du décret d’application du 4 janvier 1983 sont contraires aux articles 30 à 36 et 59 du traite CEE. 5 Dans l’affaire 61/84, le litige au principal concerne la diffusion du film Le Marginal produit par deux sociétés françaises, Cérito Films et Films Ariane. Celles-ci ont confié à la société française Éditions René Chateau SARL l’édition, l’exploitation et la distribution en vidéocassette de ce film à partir du 15 janvier 1984 au plus tard, en contrepartie d’une rémunération de 1,5 millions de francs outre des royalties de 20 % au-dessus de 20 000 vidéogrammes vendus. Ce contrat était valable pour les territoires belge, français, luxembourgeois et suisse. Le 27 octobre 1983, le film est sorti en exclusivité dans les trois salles de cinémas parisiennes appartenant à la société Hollywood Boulevard Diffusion — Michel Fabre; il a reçu un visa d’exploitation à la même date. Le 20 décembre 1983, Cérito Films a cependant autorisé Éditions René Chateau à diffuser la vidéocassette du film dans les plus brefs délais, compte tenu de l’existence, en France, de cassettes pirates du film. René Chateau a effectivement commencé l’exploitation de la cassette du film depuis lors, en collaboration avec Hollywood Boulevard. A la demande de la Fédération nationale des cinémas français, une ordonnance en référé du 27 décembre 1983 a fait défense aux deux sociétés de procéder à la diffusion du film sous forme de supports vidéo destinés à la vente ou à la location pour l’usage privé du public, sous peine d’astreinte. Éditions René Chateau et Hollywood Boulevard se sont adressées au tribunal de grande instance de Paris pour demander la mainlevée des mesures prises ainsi qu’une déclaration que les dispositions de l’article 89 de la loi n• 82-652 et du décret d’application du 4 janvier 1983 sont contraires aux articles 30 à 36 et 59 du traité CEE. 6 C’est pour résoudre ces problèmes que le tribunal de grande instance de Paris a posé à la Cour, dans les deux affaires, les questions préjudicielles suivantes: 1) Les dispositions de l’article 89 de la loi française du 29 juillet 1982 complétées par le décret du 4 janvier 1983, réglementant la diffusion des œuvres cinématographiques, en instituant un passage d’un mode de diffusion à l’autre, par interdiction d’exploitation simultanée des œuvres dans les salles de cinéma et sous forme de vidéocassettes pendant un délai d’un an, sauf dérogation, sont-elles compatibles avec les dispositions des articles 30 et 34 du traité de Rome sur la libre circulation des marchandises? 2) Ces mêmes dispositions de droit interne sont-elles compatibles avec les dispositions de l’article 59 du traité de Rome sur la libre prestation de services? 3) En cas de réponse négative à l’une ou l’autre de ces deux premières questions, la réglementation édictée par l’article 89 de la loi du 29 juillet 1982 et le décret du 4 janvier 1983 est-elle compatible avec les dispositions de l’article 36 du traité de Rome prévoyant des dérogations aux articles 30 et 34 du même traité? 7 Par ces questions, la juridiction nationale veut savoir comment interpréter les articles 30, 34, 36 et 59 du traité pour déterminer la

compatibilité avec ces dispositions d’une législation nationale qui réglemente la diffusion des œuvres cinématographiques en instituant un échelonnement dans le temps pour le passage d’un mode de distribution à l’autre par l’interdiction d’exploitation simultanée, pendant un délai d’un an, de représentation dans les salles de cinéma et de diffusion de vidéocassettes. 8 Il convient de considérer d’abord si les dispositions du traité relatives à la libre prestation de services, en particulier celles de l’article 59, sont pertinentes en vue de l’appréciation de la compatibilité d’une telle législation nationale avec le droit communautaire. 9 L’œuvre cinématographique appartient à la catégorie des œuvres artistiques qui peuvent être communiquées au public, soit directement comme dans le cas de la diffusion du film à la télévision ou de sa projection en salle, soit indirectement sous la forme de supports matériels tels que les vidéocassettes. Dans le second cas, la communication au public se confond avec la mise en circulation du support matériel de l’œuvre. 10 La disposition de la loi française qui a donné lieu aux deux litiges au principal interdit l’exploitation d’une œuvre cinématographique sous forme de supports, en particulier de vidéocassettes; le problème pourrait donc se poser de savoir si cette interdiction, tout en ne s’appliquant pas à la simple concession d’une licence qui ne serait pas immédiatement suivie de la fabrication des vidéocassettes en cause, s’étend néanmoins à la commande de fabriquer de tels produits. A cet égard, il faut souligner qu’ on ne saurait qualifier de services , au sens du traité, les travaux de fabrication de vidéocassettes, dès lors que les prestations du fabricant de tels produits conduisent directement à la fabrication d’un objet matériel qui fait, d’ailleurs, l’objet d’une classification au tarif douanier commun (position 37.07). Selon l’article 60 du traité, sont en effet considérées comme services, les prestations fournies contre rémunération qui ne sont pas régies par les dispositions relatives à la libre circulation des marchandises . 11 Il résulte de ces considérations que les problèmes soulevés par la juridiction nationale doivent être considérés sous le seul aspect des articles 30 à 36 du traité. 12 La discussion entre les parties s’est concentrée sur l’effet de la législation nationale en question sur les importations des vidéocassettes et sur la commercialisation des vidéocassettes importées sur le territoire national. Le gouvernement français a déclaré que l’interdiction prévue par la loi française ne s’étend pas à l’exportation de vidéocassettes, l’objectif même de la loi n’étant pas touché si des vidéocassettes de films représentés en salle sur le territoire français étaient exportées vers d’autres États membres. Pour autant que la juridiction nationale aurait, dans une des affaires au principal, autorisé la saisie de vidéocassettes destinées à l’exportation, elle aurait, selon l’avis du gouvernement français, appliqué la loi de façon incorrecte; le gouvernement français rappelle, à ce sujet, que la loi est de date récente. 13 Dans ces conditions, il y a lieu de limiter l’examen de la législation nationale litigieuse aux effets qu’elle peut avoir sur l’importation de vidéocassettes et sur la commercialisation de vidéocassettes importées.

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Document 3. CJCE, 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, aff. C-390/99, Rec. p. I-607.

(…) 16. Éprouvant des doutes en ce qui concerne l'interprétation correcte du droit communautaire applicable en la matière, le Tribunal Supremo a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes: «1) L'article 30 du traité CE, lu en combinaison avec les dispositions des articles 1er à 5 de la directive 95/47/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à l'utilisation de normes pour la transmission de signaux de télévision [...] fait-il obstacle à une réglementation nationale qui ne permet aux opérateurs de services d'accès conditionnel de commercialiser des appareils, équipements, décodeurs ou systèmes de transmission et de réception numérique de signaux de télévision par satellite, y compris ceux qui sont fabriqués ou commercialisés légalement dans d'autres États membres, que s'ils remplissent les deux conditions cumulatives suivantes: - l'obligation de prendre pour eux-mêmes et pour ces appareils, équipements, décodeurs ou systèmes une inscription dans un registre officiel obligatoire, inscription pour l'obtention de laquelle ils doivent non seulement déclarer qu'ils s'engagent à respecter les spécifications techniques, mais également obtenir un avis ou rapport technique préalable établi par les autorités nationales attestant que les normes techniques et autres prévues par la réglementation nationale sont respectées; - l'obligation d'obtenir, après avoir accompli cette procédure d'inscription dans le registre, l''homologation‘ administrative préalable certifiant que les normes, techniques et autres, prévues par la réglementation nationale sont respectées? 2) Une réglementation nationale qui impose aux opérateurs de services d'accès conditionnel les conditions administratives susvisées est-elle compatible avec les dispositions combinées de l'article 59 du traité CE et des articles 1er à 5 de la directive 95/47/CE? Sur l'existence de restrictions aux libertés fondamentales garanties par le traité 29.L'obligation imposée à une entreprise qui souhaite commercialiser des appareils, équipements, décodeurs ou systèmes de transmission et de réception numérique de signaux de télévision par satellite de s'inscrire, en tant qu'opérateur de services d'accès conditionnel, dans un registre et de déclarer dans celui-ci les produits qu'elle se propose de commercialiser restreint la libre circulation des marchandises et la libre prestation des services garanties respectivement aux articles 30 et 59 du traité (voir, par rapport à l'exercice des activités artisanales, arrêt Corsten, précité, point 34). 30.La nécessité d'adapter, le cas échéant, les produits en question aux règles en vigueur dans l'État membre de commercialisation exclut en outre qu'il s'agisse de modalités de vente au sens de l'arrêt du 24 novembre 1993, Keck et Mithouard (C-267/91 et C-268/91, Rec. p. I-6097, point 16). Sur la justification des restrictions constatées 31. Lorsqu'une mesure nationale restreint tant la libre circulation des marchandises que la libre prestation des services, la Cour l'examine, en principe, au regard de l'une seulement de ces deux libertés fondamentales s'il s'avère que, dans les circonstances de l'espèce, l'une de celles-ci est tout à fait secondaire par rapport à l'autre et peut lui être rattachée (voir, par rapport aux activités de loterie, arrêt du 24 mars 1994, Schindler, C-275/92, Rec. p. I-1039, point 22). 32. Cependant, en matière de télécommunications, il est difficile de constater de manière générale si c'est l'aspect de la libre circulation des marchandises ou celui de la libre prestation des services qui prévaut. En effet, les deux aspects sont, comme le démontre l'affaire au principal, souvent intimement liés. La livraison d'équipements de télécommunication est parfois plus importante que les services d'installation ou autres qui s'y rattachent. En revanche, dans d'autres

circonstances, ce sont les activités économiques de mise à disposition de savoir-faire ou d'autres services fournis par les opérateurs concernés qui dominent, tandis que la livraison des appareils, équipements, dispositifs ou systèmes de télécommunication d'accès conditionnel qu'ils offrent ou commercialisent n'est qu'accessoire. 33. En conséquence, la question de la justification des restrictions mentionnées au point 29 du présent arrêt doit être examinée simultanément au regard des deux articles 30 et 59 du traité, afin d'apprécier si la mesure nationale en cause au principal poursuit un motif d'intérêt général et respecte le principe de proportionnalité, c'est-à-dire si elle est propre à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu'il soit atteint (voir, notamment, arrêts du 25 juillet 1991, Säger, C-76/90, Rec. p. I-4221, point 15; du 23 novembre 1999, Arblade e.a., C-369/96 et C-376/96, Rec. p. I-8453, point 35, et Corsten, précité, point 39). (…)

43. Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première et deuxième questions que: 1) Une réglementation nationale qui soumet la commercialisation des appareils, équipements, décodeurs ou systèmes de transmission et de réception numérique de signaux de télévision par satellite ainsi que la prestation des services y afférents par des opérateurs de services d'accès conditionnel à une procédure d'autorisation préalable restreint tant la libre circulation des marchandises que la libre prestation des services. Partant, pour être justifiée au regard de ces libertés fondamentales, une telle réglementation doit poursuivre un motif d'intérêt général reconnu en droit communautaire et respecter le principe de proportionnalité, c'est-à-dire être propre à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour qu'il soit atteint. (…)

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2.- Le champ d’application « personnel » : les problèmes d’imputabilité de la violation des règles sur le marché intérieur

Doc. 1 : CJCE, 24 Novembre 1982, Commission / Irlande, 249/81 Doc. 2 : CJCE, 11 août 1995, Edouard Dubois et fils SA et Général Cargo Services SA contre Garonor, aff. C-16/94 Doc. 3 : CJCE, 9 Décembre 1997, Commission / France « guerre des fraises », C-265/95 Doc. 4 : CJCE, 12 déc. 1974, Walrave et Koch, 36/74

Doc. 1 : CJCE, 24 Novembre 1982, Commission/Irlande « buy Irish », 249/81

Dans le même sens que la jurisprudence « Buy Irish », on pourra se reporter également à la jurisprudence CJCE, 5 novembre 2002, Commission c/ Allemagne, C-325/00. Un label de qualité octroyé aux produits agro-alimentaires allemands par un organisme privé peut constituer une mesure d’effet équivalent, CJCE, 5 novembre 2002 Commission c. Allemagne, aff. C-325/00.

1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 15 septembre 1981, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l’article 169 du traité CEE, un recours visant à faire reconnaître qu’en organisant une campagne pour la promotion de la vente et de l’achat de produits irlandais sur son territoire, l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité. L’objet du litige 2 Dans son avis motivé, adressé à l’Irlande le 25 février 1981 au sujet de la campagne menée sur le thème Achetez irlandais (Buy Irish), la Commission a relevé qu’en janvier 1978, le gouvernement irlandais avait mis en place un programme de trois ans en faveur de la promotion des produits irlandais. Cette campagne aurait été déclenchée le 18 janvier 1978 par un discours du ministre irlandais de l’industrie, du commerce et de l’énergie. A cette occasion, le ministre aurait déclaré que l’objectif de la campagne consiste en une substitution de la production irlandaise aux importations jusqu’à concurrence de 3 % de l’ensemble des dépenses de consommation et que la campagne serait un ensemble soigneusement étudié d’initiatives formant un programme intégré de promotion des produits irlandais et comportant des propositions spécifiques à l’adresse des producteurs, des distributeurs et des consommateurs. 3 Conformément à ces déclarations, le gouvernement irlandais aurait pris, et continuerait de prendre, une série de mesures en faveur de la promotion des produits irlandais. L’avis motivé a cité les mesures suivantes: a) l’organisation d’un service d’information gratuite des consommateurs désireux de savoir quelles sont, pour une certaine catégorie de marchandises, celles de fabrication irlandaise et où l’on peut se les procurer (Shoplink-Service); b)la mise à la disposition, aux fins de faire exposer les seuls produits irlandais, de facilités d’exposition dans un grand centre d’exposition à Dublin géré par l’Irish Goods Council qui serait une autorité publique irlandaise; c)la promotion de l’utilisation d’un label garanti irlandais (guaranteed Irish) pour les produits de fabrication irlandaise et l’organisation concomitante par l’Irish Goods Council d’un système particulier pour examiner des réclamations concernant les produits munis de ce label; d)l’organisation d’une grande campagne publicitaire en faveur de produits irlandais par l’Irish Goods Council, notamment par la publication et la distribution, par cet organisme, de documents incitant les consommateurs à l’achat des seuls produits nationaux. 4 Dans sa requête, la Commission indique que les activités relatives au Shoplink-Service et aux facilités d’exposition à Dublin ont, entre-temps, été abandonnées par le gouvernement irlandais. En

revanche, les deux autres activités auraient été poursuivies, même au-delà de la fin de la période de trois années prévue pour la durée de la campagne. De plus, la campagne publicitaire se serait progressivement étendue, en particulier par une publicité importante, en faveur de produits irlandais, dans la presse et à la télévision. 5 Le gouvernement irlandais admet qu’un programme triennal en faveur de l’achat en Irlande de produits irlandais a eu lieu. Après l’abandon, à la demande de la Commission, du Shoplink-Service et des facilités d’exposition à Dublin, ce programme ne se composerait que d’une campagne publicitaire, par la presse et la télévision, par la publication d’affiches et de brochures, et par le biais de l’utilisation du label garanti irlandais, en vue d’améliorer les connaissances des consommateurs irlandais relatives aux produits fabriqués en Irlande et de provoquer une prise de conscience parmi le public irlandais des liens existant entre la commercialisation de ces produits en Irlande et le problème de l’emploi dans ce pays. 6 Quant à la campagne publicitaire, le gouvernement irlandais allègue qu’elle fait partie des activités de l’Irish Goods Council. Cet organisme ne saurait cependant être considéré comme une autorité publique irlandaise; il ne serait rien d’autre qu’un groupement permettant aux différentes industries irlandaises de coopérer dans leur intérêt commun. Aucune réglementation officielle ne serait à la base des activités de l’Irish Goods Council qui, d’ailleurs, ne bénéficierait d’aucun autre concours de la part du gouvernement que l’octroi d’une aide financière et d’un encouragement moral. 7 Pour la Commission, il ne fait pas de doute que les actes de l’Irish Goods Council sont imputables au gouvernement irlandais. Elle relève en particulier que les membres du conseil de direction de ce Council sont nommés, en vertu des statuts de cet organisme, par le ministre de l’industrie, du commerce et de l’énergie. 8 La Commission estime que la campagne pour la promotion de la vente et de l’achat de produits irlandais en Irlande doit être considérée comme une mesure d’effet équivalant à une restriction quantitative à l’importation. L’Irlande fait valoir, premièrement, que le gouvernement irlandais n’a jamais pris des mesures susceptibles de relever de l’article 30 du traité et, deuxièmement, que le concours financier accordé à l’Irish Goods Council doit être apprécié par rapport aux articles 92 et 93 du traité, et non pas par rapport à l’article 30. 9 Avant d’évaluer ces arguments, il y a lieu d’examiner d’abord la position de l’Irish Goods Council. L’Irish Goods Council 10 Il ressort du dossier que l’Irish Goods Council a été créé le 25 août 1978, quelques mois après que la campagne litigieuse fut lancée, sous la forme d’une société à responsabilité limitée à la garantie fournie par les associés et sans capital-actions; il a été enregistré conformément à la loi irlandaise sur les sociétés (Companies Act, 1963). Le Council résulte en fait de la fusion de deux organismes, le National Development Council, une société à responsabilité limitée et enregistrée conformément à la Companies Act, et le groupe de travail sur la promotion et la vente des produits irlandais. 11 Selon le gouvernement irlandais, la création de l’Irish Goods Council a été parrainée (sponsored) par le gouvernement en vue d’encourager l’industrie irlandaise à surmonter ses propres problèmes. Le Council aurait été institué pour créer un cadre dans lequel les diverses industries pourraient se regrouper afin de coopérer dans l’intérêt commun. 12 Le comité directeur de l’Irish Goods Council est composé, d’après les statuts de cette institution, de dix membres nommés à titre individuel par le ministre de l’industrie, du commerce et de l’énergie; le même ministre désigne le président parmi les membres du comité directeur. Ces membres, ainsi que le président, sont nommés pour une période de trois ans, leurs mandats étant renouvelables. En pratique, les membres du comité directeur sont choisis par le ministre de façon à représenter les secteurs intéressés de l’économie irlandaise. 13 Il résulte des renseignements donnés par le gouvernement irlandais à la demande de la Cour que les activités de l’Irish Goods Council sont financées par des subventions octroyées par le gouvernement irlandais et par l’industrie privée. Les montants respectifs des subventions étatiques et privées sont respectivement de 1 005 000 IRL et 175 000

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IRL pour la période d’août 1978 à décembre 1979, de 940 000 IRL et 194 000 IRL pour l=année 1980, et de 922 000 IRL et 238 000 IRL pour l’année 1981. 14 Le gouvernement irlandais n’a pas contesté que les activités de l’Irish Goods Council consistent notamment, après l’abandon du Shoplink-Service et des facilités d’exposition offertes aux producteurs irlandais à Dublin, à organiser une campagne publicitaire en faveur de la vente et de l’achat de produits irlandais, ainsi qu’à promouvoir l’utilisation du label garanti irlandais. 15 Il apparaît ainsi que c’est le gouvernement irlandais qui nomme les membres du comité directeur de l’Irish Goods Council, lui accorde des subventions publiques qui couvrent l’essentiel de ses dépenses et, enfin, définit les finalités et les contours de la campagne en faveur de la vente et de l’achat de produits irlandais mise en œuvre par cette institution. Dans ces circonstances, le gouvernement irlandais ne saurait se prévaloir du fait que la campagne a été mise en œuvre par une société de droit privé pour se dégager de la responsabilité qui pourrait lui incomber en vertu des dispositions du traité. (…) L’application de l’article 30 du traité 20 La Commission soutient que la campagne Achetez irlandais et les mesures prises pour la mise en œuvre de cette campagne doivent, dans leur ensemble, être considérées comme des mesures qui incitent à l’achat des seuls produits nationaux. De telles mesures seraient contraires aux obligations incombant aux États membres en vertu de l’article 30. La Commission rappelle à ce sujet la disposition de l’article 2, paragraphe 3, lettre k, de la directive 70/50 de la Commission, du 22 décembre 1969, fondée sur les dispositions de l’article 33, paragraphe 7, portant suppression des mesures d’effet équivalant à des restrictions quantitatives à l’importation non visées par d’autres dispositions prises en vertu du traité CEE (JO L 13, p. 29), aux termes de laquelle les mesures qui incitent à l’achat des seuls produits nationaux doivent être considérées comme contraires aux interdictions du traité. 21 D’après le gouvernement irlandais, l’interdiction des mesures d’effet équivalent que comporte l’article 30 ne frappe que des mesures, c’est-à-dire des actes qui ont un effet contraignant et qui émanent d’une autorité publique. Aucun acte relevant de cette catégorie n’aurait cependant été pris par le gouvernement irlandais, celui-ci s’étant limité à donner un encouragement moral et un concours financier aux activités développées par les industries irlandaises. 22 Le gouvernement irlandais souligne ensuite que la campagne litigieuse n’a pas eu d’effets restrictifs sur les importations, la proportion des marchandises irlandaises vendues sur le marché irlandais, par rapport à l’ensemble des marchandises vendues sur ce marché, étant tombée de 49,2 % en 1977 à 43,4 % en 1980. 23 Il convient de constater d’abord que la campagne litigieuse ne peut être assimilée à une action publicitaire, de la part d’entreprises privées ou publiques, ou d’un groupement d’entreprises, en faveur de l’achat de marchandises qu’elles produisent. Elle reflète, quelles que soient les méthodes employées pour sa mise en œuvre, la volonté délibérée du gouvernement irlandais de substituer, sur le marché irlandais, les produits nationaux aux produits importés et de freiner ainsi les importations en provenance des autres États membres. 24 Il y a lieu de rappeler, à cet égard, que le porte-parole du gouvernement irlandais a indiqué, au moment où la campagne était déclenchée, que celle-ci consisterait en un ensemble soigneusement étudié d’initiatives formant un programme intégré de promotion des produits nationaux; que l’Irish Goods Council a été institué, à l’initiative du gouvernement irlandais, quelques mois plus tard; et que la mise en œuvre du programme intégré tel qu’envisagé par le gouvernement a été confiée ou laissée aux soins de ce Council. 25 S’il est vrai que les deux éléments du programme qui ont été poursuivis, à savoir la campagne publicitaire et l’utilisation du label garanti irlandais, n’ont pas eu pour effet de contribuer de façon notable à la conquête du marché irlandais par des produits nationaux, on ne saurait cependant méconnaître que ces deux activités, quelle qu’en soit l’efficacité, font partie d’un programme gouvernemental qui a pour objet d’effectuer la substitution des produits importés par les produits

nationaux et qui est de nature à affecter le niveau des échanges intracommunautaires. 26 En effet, la campagne publicitaire en faveur de la vente et de l’achat de produits irlandais ne saurait être isolée, ni de son origine dans le cadre du programme gouvernemental, ni de sa relation avec l’introduction du label garanti irlandais et l’organisation d’un système particulier pour examiner les réclamations concernant les produits munis de ce label. La mise en place de ce système d’examen des réclamations relatives aux produits irlandais confirme effectivement le degré d’organisation de la campagne Achetez irlandais et le caractère discriminatoire de celle-ci. 27 Dans ces conditions, les deux activités en cause reviennent à instaurer une pratique nationale, introduite par le gouvernement irlandais et exécutée avec son concours, dont l’effet potentiel sur les importations en provenance d’autres États membres est comparable à celui résultant d’actes gouvernementaux à caractère obligatoire. 28 Une telle pratique n’échappe pas aux interdictions prévues par l’article 30 du traité du seul fait qu’elle n’est pas fondée sur des décisions ayant un effet obligatoire pour les entreprises. En effet, même des actes d’un gouvernement d’un État membre dépourvus de force contraignante peuvent être de nature à influer sur le comportement des commerçants et des consommateurs sur le territoire de cet État et avoir ainsi pour effet de mettre en échec les finalités de la Communauté telles qu’énoncées à l’article 2 et élaborées par l’article 3 du traité. 29 Tel est le cas lorsque, comme en l’espèce, une telle pratique restrictive constitue la mise en œuvre d’un programme défini par le gouvernement qui touche l’ensemble de l’économie nationale et qui vise à freiner les échanges intracommunautaires par la promotion de l’achat de produits nationaux moyennant une campagne de publicité à l’échelle nationale et par l’organisation de procédures spéciales applicables aux seuls produits nationaux, et lorsque l’ensemble de ces activités est imputable au gouvernement et fonctionne de façon organisée sur tout le territoire national. 30 Il en découle que l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du traité en organisant une campagne pour la promotion de la vente et de l’achat de produits irlandais sur son territoire.

Document. 2 : CJCE, 11 août 1995, Edouard Dubois et fils SA et Général Cargo Services SA contre Garonor, aff. C-

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1. Par arrêt du 4 janvier 1994, parvenu à la Cour le 17 janvier suivant, la Cour de cassation française a posé, en vertu de l’article 177 du traité CE, une question préjudicielle portant sur l’interprétation des articles 9, 12, 13 et 16 du traité CEE, devenu traité CE. 2. Cette question a été soulevée dans le cadre d’un litige opposant la société Garonor exploitation (ci-après "Garonor"), gérante d’une gare routière internationale, à la société Edouard Dubois et fils et à la Société Général cargo services (ci-après "Dubois et Cargo"), deux de ses utilisateurs, au sujet du non-paiement par ceux-ci d’une redevance prévue contractuellement et intitulée "taxe de passage". 3. Garonor est une société privée qui exploite à Aulnay-sous-Bois, dans la périphérie parisienne, une gare routière internationale dans l’enceinte de laquelle sont offerts des services tant privés que publics nécessaires au transport routier. Des services douaniers y sont notamment implantés, auprès desquels peuvent être effectuées toutes les opérations de dédouanement qui sont habituellement accomplies aux frontières des Etats. 4. Dubois et Cargo sont des commissionnaires de transport, agréés en douane. Elles font transporter, sous leur responsabilité et en leur nom propre, des marchandises pour le compte de clients, et se chargent, entre autres, de l’accomplissement des formalités douanières. Afin d’exercer ces activités, elles louent à Garonor des bureaux et des installations sanitaires et utilisent les quais routiers et ferroviaires de la gare.

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5. Outre un loyer, Dubois et Cargo versent depuis l’origine à la société Garonor une "taxe de passage" forfaitaire pour chaque véhicule en transit international entrant ou sortant de leurs bâtiments et qui effectue des opérations de dédouanement dans la gare routière. Cette "taxe de passage", dont le calcul est établi à partir des déclarations mensuelles des commissionnaires, est prévue dans les conditions générales de Garonor. 6. En 1984, Dubois et Cargo ont refusé de payer cette taxe, arguant qu'elle couvrait les frais occasionnés à Garonor par la construction et l’entretien d’un parc de stationnement TIR qu’utilisaient les services de douanes. Comme ceux-ci acceptent d’effectuer les opérations de dédouanement dans les locaux privatifs des sociétés commissionnaires de transport depuis le début de l’année 1981, la "taxe de passage" aurait, selon eux, perdu sa raison d’être. 7. Le 10 mai 1988, Garonor a assigné Dubois et Cargo devant le tribunal de commerce de Paris. Celui-ci a désigné un expert afin notamment d’examiner les conditions générales de Garonor relatives à la "taxe de passage" au regard des usages constatés dans d’autres gares routières. L’expert a relevé que des taxes de ce genre avaient été instaurées par toutes les gares internationales créées antérieurement à Garonor et qu’elles constituaient un mode de financement usuel des frais et débours non couverts autrement. Par jugement du 12 juin 1990, le tribunal de commerce de Paris a déclaré Dubois et Cargo débitrices de la "taxe de passage" et les a condamnées au paiement des arriérés de taxe ainsi qu’à des dommages-intérêts. 8.Par un arrêt du 27 juin 1991, la cour d’appel de Paris a confirmé ce jugement, tout en majorant le montant des condamnations. Les sociétés Dubois et Cargo ont alors formé un pourvoi en cassation, à l’appui duquel elles n’ont invoqué que des moyens tirés du droit national. 9.La Cour de cassation française envisage de soulever un moyen d’office, tiré de la violation des articles 9, 12, 13 et 16 du traité CE. Relevant que, "à l’exception des frais relatifs à l’entretien d’un parc de stationnement, la “ taxe “ litigieuse est destinée à compenser la prise en charge par la société Garonor de frais résultant de l’accomplissement par les services des douanes et les services vétérinaires de leur mission de service public", elle se demande si cette “ taxe ” constitue une taxe d’effet équivalent au sens de ces dispositions. 10.Soulignant que, à ce jour, la Cour de justice ne s’est pas prononcée sur un cas où la charge financière n’a pas été instituée par l’Etat ou par une autorité étatique mais découle d’une convention entre particuliers, elle a sursis à statuer et a posé à la Cour de justice la question suivante: “ Les articles 9, 12, 13 et 16 du traité instituant la Communauté économique européenne s’appliquent-ils à une “ taxe de passage ” qui, destinée à compenser la prise en charge par une entreprise privée de frais résultant de l’accomplissement par les services des douanes et les services vétérinaires de leur mission de service public, n’a pas été instituée par l’Etat mais résulte d’une convention conclue par cette entreprise privée avec ses clients ? ” 11.A titre liminaire, il y a lieu de relever, d’une part, que les dispositions visées par la juridiction de renvoi concernent uniquement les produits originaires des Etats membres ainsi que les produits en provenance de pays tiers qui se trouvent déjà en libre pratique. 12.D’autre part, les faits du litige au principal étant postérieurs à l’expiration de la période de transition, il suffit d’aborder la question déférée par la juridiction de renvoi sous l’angle des articles 9 et 12 du traité. 13.Il ressort de l’arrêt de renvoi qu’une partie significative de la taxe litigieuse vise à couvrir des frais résultant de l’accomplissement par les douanes et les services vétérinaires de leur mission de service public. 14.Or, les articles 9 et 12 du traité obligent les Etats membres à prendre en charge les frais des contrôles et des formalités qui sont effectués en raison du franchissement des frontières. La Cour a ainsi dit pour droit que les frais occasionnés par des contrôles sanitaires

devaient être supportés par la collectivité publique, puisque celle-ci bénéficie, dans son ensemble, de la libre circulation des marchandises communautaires (voir arrêt du 5 février 1976, Bresciani, 87/75, Rec. p. 129, point 10). 15. Certes, selon une jurisprudence constante, une charge frappant les marchandises en raison du fait qu’elles franchissent la frontière échappe à l’application des articles 9 et 12 du traité, si elle constitue la contrepartie d’un service déterminé, effectivement et individuellement rendu à l’opérateur économique d’un montant proportionné audit service (voir arrêt du 26 février 1975, Cadsky, 63/74, Rec. p. 281). 16.Toutefois, rien ne laisse supposer que la taxe en cause remplit ces conditions. 17.En effet, d’une part, elle frappe de manière générale tous les véhicules en transit international dont le chargement est dédouané dans l’enceinte de la gare routière. 18.D’autre part, même si l’accomplissement des procédures douanières à l’intérieur des pays procure aux opérateurs économiques certains avantages, ceux-ci sont liés aux formalités douanières qui, quel qu’en soit le lieu, constituent toujours une obligation. D’ailleurs, ces avantages résultent du régime de transit communautaire, qui a été institué par les règlements (CEE) nos 542/69 et 222/77 du Conseil, du 18 mars 1969 (JO L 77, p. 1) et du 13 décembre 1976 (JO L 38, p. 1), en vue d’accroître la fluidité des mouvements des marchandises et de faciliter le transport à l’intérieur de la Communauté. Dès lors, il ne saurait être question de frapper de charges quelconques des facilités de dédouanement accordées dans l’intérêt du marché commun (voir arrêts du 17 mai 1983, Commission/Belgique, 132/82, Rec. p. 1649, point 13, et Commission/Luxembourg, 133/82, Rec. p. 1669, point 14). 19.Dans ces conditions, un Etat membre manque aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 9 et 12 du traité si, à l’occasion du commerce intracommunautaire, il met à charge des opérateurs économiques le coût des contrôles et formalités administratives effectués par des bureaux de douane (voir arrêt du 30 mai 1989, Commission/Italie, 340/87, Rec. p. 1483, point 17). 20.A cet égard, la nature de l’acte mettant à charge d’un opérateur économique une partie des frais de fonctionnement des services douaniers est indifférente. Que la charge pécuniaire frappe l’opérateur en vertu d’un acte unilatéral de l’autorité ou bien par le biais d’une série de conventions privées, comme c’est le cas en l’espèce au principal, elle découle toujours, directement ou indirectement, du manquement de l’Etat membre concerné aux obligations financières lui incombant en vertu des articles 9 et 12 du traité. 21.Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question de la juridiction de renvoi que les articles 9 et 12 du traité CE s’appliquent à une "taxe de passage" destinée à compenser la prise en charge, par une entreprise privée, de frais résultant de l’accomplissement par les services des douanes et les services vétérinaires de leur mission de service public, même si elle n’a pas été instituée par l’Etat mais résulte d’une convention conclue par cette entreprise privée avec ses clients. (…)

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Document 3. CJCE, 9 Décembre 1997, Commission / France, C-265/95

Dans le même sens que la jurisprudence « Guerre des fraises », voir aussi CJCE, 12 juin 2003, Eugen Schmidberger, C-112/

1.Par requête déposée au greffe de la Cour le 4 août 1995, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE, un recours visant à faire constater que, en ne prenant pas toutes les mesures nécessaires et proportionnées afin que des actions de particuliers n'entravent pas la libre circulation des fruits et légumes, la République française a manqué aux obligations qui découlent des organisations communes de marchés des produits agricoles et de l'article 30 de ce traité, en liaison avec l'article 5 du même traité. 2.La Commission expose avoir été régulièrement saisie depuis plus d'une décennie de plaintes dénonçant la passivité des autorités françaises face à des actes de violence commis par des particuliers et par des mouvements revendicatifs d'agriculteurs français à l'encontre de produits agricoles en provenance d'autres États membres. Ces actes consistent notamment dans l'interception de camions transportant de tels produits sur le territoire français et la destruction de leur cargaison, dans des violences à l'encontre des camionneurs, dans des menaces proférées contre des grandes surfaces françaises mettant en vente des produits agricoles originaires d'autres États membres ainsi que dans la dégradation de ces marchandises mises à l'étalage dans des magasins en France. 3.La Commission a constaté que, à partir de 1993, certains mouvements d'agriculteurs français, parmi lesquels une organisation dénommée «Coordination rurale», avaient lancé une campagne systématique de contrôle de l'offre des produits agricoles en provenance d'autres États membres, se caractérisant en particulier par des intimidations à l'égard des grossistes et des détaillants pour les inciter à s'approvisionner exclusivement en produits français, par l'imposition d'un prix minimal de vente des produits concernés ainsi que par l'organisation de contrôles destinés à vérifier si les opérateurs économiques se conformaient aux consignes données. 4.C'est ainsi que, d'avril à juillet 1993, en particulier des fraises originaires d'Espagne furent la cible de cette campagne. En août et septembre de cette même année, un sort identique fut réservé à des tomates en provenance de Belgique. 5.En 1994, notamment les fraises espagnoles firent l'objet du même type d'actions de menaces à l'encontre de centres commerciaux et de destruction de marchandises et de moyens de transport, des incidents violents survenant à deux reprises au même endroit en l'espace de deux semaines sans que les forces de l'ordre présentes n'interviennent pour protéger efficacement les camions et leur cargaison. 6.La Commission fait encore état d'autres cas de vandalisme qui ont gêné en France la libre circulation de produits agricoles originaires d'Italie et du Danemark. 7.Après que la Commission fut intervenue à plusieurs reprises auprès des autorités françaises, elle a estimé que la République française, en ne prenant pas toutes les mesures nécessaires et proportionnées afin que des actions de particuliers n'entravent pas, par des actes délictueux, la libre circulation des produits agricoles, avait manqué aux obligations qui découlent des organisations communes de marchés des produits agricoles et de l'article 30 du traité, en liaison avec l'article 5 du même traité. En conséquence, par lettre du 19 juillet 1994, la Commission a, conformément à l'article 169 du traité, mis le gouvernement français en demeure de lui présenter, dans le délai de deux mois, ses observations sur le manquement reproché. 8.Le gouvernement français a répondu, dans une lettre du 10 octobre 1994, qu'il avait toujours fermement condamné les actes de vandalisme commis par des agriculteurs français. Il a souligné que les mesures préventives de surveillance, de protection et de recueil d'informations avaient permis une diminution notable des incidents entre 1993 et 1994. Par ailleurs, le fait pour les parquets de faire

systématiquement procéder à des enquêtes judiciaires montrerait la détermination des autorités françaises à réprimer tous les comportements délictueux visant à entraver les importations de produits agricoles d'autres États membres. Toutefois, ces opérations de type commando menées de manière imprévisible par de petits groupes très mobiles rendraient extrêmement difficile l'intervention des forces de l'ordre et expliqueraient le caractère souvent infructueux des procédures judiciaires diligentées. Enfin, les pratiques de la «Coordination rurale» tendant à réguler le marché des produits agricoles par le recours à des menaces et à des destructions feraient l'objet d'une procédure devant le Conseil de la concurrence. 9.Cependant, le 20 avril 1995, de nouveaux incidents graves se sont produits dans le sud-ouest de la France, au cours desquels des produits agricoles en provenance d'Espagne furent détruits. 10.La Commission a alors émis, le 5 mai 1995, un avis motivé conformément à l'article 169, premier alinéa, du traité. Dans cet avis, elle a considéré que la République française, en ne prenant pas toutes les mesures nécessaires et proportionnées afin que des actions de particuliers n'entravent pas la libre circulation des fruits et légumes, avait manqué aux obligations qui découlent des organisations communes de marchés des produits agricoles et de l'article 30 du traité, en liaison avec l'article 5 du même traité, et l'a invitée, en application de l'article 169, deuxième alinéa, du traité, à prendre les mesures requises pour se conformer dans un délai d'un mois à cet avis. 11.Le 16 juin 1995, le gouvernement français a souligné qu'il avait adopté toutes les mesures à sa disposition pour garantir la libre circulation des marchandises sur son territoire et que les moyens dissuasifs mis en place avaient permis de limiter très nettement les violences commises en 1995. Au niveau national, une action commune de lutte contre la répétition des actes de vandalisme aurait été définie entre les ministères concernés, comportant en particulier une surveillance renforcée et des instructions de fermeté données aux préfets et aux forces de l'ordre. En outre, au niveau local, un dispositif d'alerte comportant un régime de surveillance étroite des installations sensibles aurait permis d'éviter de nombreux incidents. Même si tout risque de destructions ne peut être écarté, du fait qu'il s'agit d'actions ponctuelles imprévisibles dont il est très difficile d'identifier les auteurs responsables, le tribunal correctionnel de Nîmes aurait, en 1994, condamné 24 agriculteurs du chef de dégradation de biens d'autrui. Depuis l'entrée en vigueur, le 1er mars 1994, de l'article 322-13 du nouveau code pénal, la répression des menaces d'atteinte aux biens aurait été rendue plus efficace. Enfin, les dommages causés seraient pris en charge par l'État et des instructions auraient été données pour accélérer le règlement du préjudice subi par les opérateurs économiques concernés. 12.D'après la Commission, le ministre de l'Agriculture français a cependant déclaré, en 1995, que, s'il désapprouvait et condamnait les actes de violence des agriculteurs, il n'envisageait nullement l'intervention des forces de l'ordre pour y remédier. 13.Le 3 juin 1995, trois camions transportant des fruits et légumes en provenance d'Espagne ont fait l'objet d'actes de violence dans le sud de la France, sans que les forces de l'ordre n'interviennent. Au début du mois de juillet 1995, des fruits italiens et espagnols ont à nouveau été détruits par des agriculteurs français. 14.La Commission a alors introduit le présent recours. (…) 16.A l'appui de son recours, la Commission fait valoir que l'article 30 du traité et les organisations communes de marchés des fruits et légumes, lesquelles se fonderaient sur le même principe de l'élimination des obstacles aux échanges, interdisent les restrictions quantitatives à l'importation entre les États membres ainsi que toutes mesures d'effet équivalent. En outre, conformément à l'article 5 du traité, les États membres seraient tenus de prendre toutes mesures propres à assurer l'exécution des obligations découlant de ce traité. 17.Dès lors, les interceptions de moyens de transport et les dégradations de produits agricoles originaires d'autres États membres, de même que le climat d'insécurité résultant des menaces proférées par diverses organisations agricoles à l'encontre des

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distributeurs de fruits et légumes de cette provenance, constatés en l'espèce sur le territoire français, constitueraient un obstacle aux échanges intracommunautaires de ces produits que les États membres seraient obligés d'empêcher en adoptant les mesures appropriées, y compris à l'encontre de particuliers qui mettraient en péril la libre circulation des marchandises. 18.En l'occurrence, le fait que des incidents graves ont continué, d'année en année, à entraver l'importation et le transit en France de fruits et légumes originaires d'autres États membres montrerait que les mesures préventives et répressives dont le gouvernement français a fait état pour sa défense ne sont ni suffisantes ni proportionnées pour dissuader en pratique les auteurs des infractions de les commettre et de les répéter. De surcroît, il apparaîtrait à la lumière des éléments de fait dont dispose la Commission que, de façon persistante, les autorités françaises se sont abstenues d'intervenir pour prévenir et réprimer efficacement les actes de violence d'agriculteurs en France. 19.Les gouvernements espagnol et du Royaume-Uni soutiennent les conclusions de la Commission. 20.Le gouvernement français prétend, en revanche, que le recours de la Commission n'est pas fondé. 21.Ainsi, il aurait mis en œuvre, dans des conditions analogues à celles applicables aux violations comparables du droit national, tous les moyens nécessaires et adéquats pour prévenir et réprimer les actions de particuliers enfreignant la libre circulation des produits agricoles. Les mesures de surveillance mises en place en 1993 auraient permis de limiter très nettement les actions de violence commises pendant les années ultérieures. 22.Toutefois, compte tenu du nombre important de camions transportant des produits agricoles sur le territoire français et de la multiplicité de leurs destinations, d'une part, ainsi que du caractère imprévisible des manifestations d'agriculteurs agissant par petits groupes de type commando, d'autre part, tout risque de destructions ne pourrait être écarté. Cette dernière raison expliquerait également qu'il est très difficile d'identifier les auteurs responsables et d'établir leur participation personnelle aux actes de violence pour les réprimer de façon systématique. Depuis 1994, six personnes supplémentaires auraient cependant été condamnées ou mises en examen. Par ailleurs, il conviendrait de reconnaître aux autorités de police un pouvoir d'appréciation pour décider s'il y a lieu d'intervenir en vue de sauvegarder l'ordre public. De toute façon, l'État indemniserait les victimes des infractions sur le fondement d'une responsabilité sans faute de la puissance publique. Ainsi, pour les années 1993, 1994 et 1995, une somme supérieure à 17 millions de FF aurait été versée à titre de dommages-intérêts. 23.Le gouvernement défendeur ajoute que le mécontentement des agriculteurs français est dû à l'augmentation sensible des exportations de produits espagnols depuis l'adhésion du royaume d'Espagne qui aurait entraîné une chute considérable des prix, renforcée par la dévaluation compétitive de la peseta ainsi que des prix de dumping pratiqués par les producteurs espagnols. Le marché français des fruits et légumes aurait été gravement perturbé du fait que la période transitoire prévue lors de cette adhésion n'avait mis en place aucun mécanisme de surveillance des prix pratiqués à l'exportation par les producteurs espagnols. Le gouvernement français souligne encore que, loin d'avoir adopté une attitude protectionniste, il aurait en l'espèce fait preuve d'un comportement constructif en prenant l'initiative de démarches au Conseil tendant à résoudre les difficultés du marché des fruits et légumes et en se concertant avec les autorités espagnoles. 24.Afin d'apprécier le bien-fondé du recours de la Commission, il convient de rappeler, à titre liminaire, que la libre circulation des marchandises constitue l'un des principes fondamentaux du traité. 25.A cet égard, l'article 3, sous c), du traité CE dispose que, aux fins énoncées à l'article 2, l'action de la Communauté comporte un marché intérieur caractérisé par l'abolition, entre les États membres, des obstacles, notamment à la libre circulation des marchandises. 26.Aux termes de l'article 7 A, second alinéa, du traité CE, le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel

la libre circulation des marchandises est assurée selon les dispositions du traité. 27.Ce principe fondamental est mis en œuvre par les articles 30 et suivants du traité. 28.En particulier, l'article 30 prévoit que les restrictions quantitatives à l'importation, ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, sont interdites entre les États membres. 29.Cette disposition, placée dans son contexte, doit être comprise comme tendant à l'élimination de toutes entraves, directes ou indirectes, actuelles ou potentielles, aux courants d'importation dans le commerce intracommunautaire. 30.En tant que moyen indispensable à la réalisation du marché sans frontières intérieures, l'article 30 ne prohibe donc pas les seules mesures d'origine étatique qui, en elles-mêmes, créent des restrictions au commerce entre les États membres, mais peut également trouver à s'appliquer lorsqu'un État membre s'est abstenu de prendre les mesures requises pour faire face à des entraves à la libre circulation des marchandises dues à des causes qui ne sont pas d'origine étatique. 31.En effet, le fait pour un État membre de s'abstenir d'agir ou, le cas échéant, de rester en défaut d'adopter les mesures suffisantes pour empêcher des obstacles à la libre circulation des marchandises, créés notamment par des actions de particuliers sur son territoire à l'encontre de produits originaires d'autres États membres, est de nature à entraver les échanges intracommunautaires tout autant qu'un acte positif. 32.L'article 30 impose donc aux États membres non seulement de ne pas adopter eux-mêmes des actes ou des comportements susceptibles de constituer un obstacle aux échanges, mais également, en liaison avec l'article 5 du traité, de prendre toutes mesures nécessaires et appropriées pour assurer sur leur territoire le respect de cette liberté fondamentale. 33.Dans cette dernière hypothèse, les États membres, qui restent seuls compétents pour le maintien de l'ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure, jouissent certes d'une marge d'appréciation pour déterminer quelles sont, dans une situation donnée, les mesures les plus aptes à éliminer les entraves à l'importation des produits. 34.Il n'appartient pas, dès lors, aux institutions communautaires de se substituer aux États membres pour leur prescrire les mesures qu'ils doivent adopter et appliquer effectivement pour garantir la libre circulation des marchandises sur leur territoire. 35.Toutefois, il appartient à la Cour, en tenant compte des pouvoirs d'appréciation ci-dessus mentionnés, de vérifier, dans les cas dont elle est saisie, si l'État membre concerné a pris des mesures propres à assurer la libre circulation des marchandises. (…) 37.S'agissant plus précisément de la présente affaire, force est de constater que les faits à l'origine du recours en manquement que la Commission a engagé contre la République française ne sont pas contestés. 38.Or, les actes de violence commis sur le territoire français à l'encontre de produits agricoles originaires d'autres États membres, consistant notamment dans l'interception de camions transportant de tels produits, la destruction de leur cargaison et des violences faites aux chauffeurs, ainsi que dans des menaces adressées aux commerçants de gros et de détail et des dégradations de marchandises mises à l'étalage, créent incontestablement des obstacles aux échanges intracommunautaires de ces produits. 39.Il convient dès lors de vérifier si, en l'espèce, le gouvernement français s'est conformé à ses obligations au titre de l'article 30 du traité, en liaison avec l'article 5, en prenant des mesures suffisantes et appropriées pour faire face aux actions de particuliers qui causent des obstacles à la libre circulation de certains produits agricoles. 40.A cet égard, il importe de souligner qu'il résulte des mémoires de la Commission que les incidents mis en cause par cette institution dans le cadre du présent recours se produisent régulièrement depuis plus de dix années. 41.Dès le 8 mai 1985, la Commission a adressé une première lettre de mise en demeure à la République française l'invitant à prendre les

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mesures préventives et répressives nécessaires pour mettre un terme à des actes de ce type. 42.Par ailleurs, la Commission a en l'espèce rappelé à maintes reprises au gouvernement français que le droit communautaire impose l'obligation de veiller au respect effectif du principe de la libre circulation des marchandises en éliminant toutes restrictions à la liberté des échanges des produits agricoles en provenance d'autres États membres. 43.Les autorités françaises disposaient donc en l'occurrence d'un délai suffisamment long pour adopter les mesures indispensables en vue de se conformer à ses obligations au titre du droit communautaire. 44.Ensuite, en dépit des explications fournies par le gouvernement défendeur, selon lequel toutes les mesures auraient été prises pour éviter la poursuite des violences et pour réprimer les coupables, il est un fait que, année après année, des incidents graves ont mis sérieusement en cause les échanges de produits agricoles sur le territoire français. 45.Il ressort à cet égard de l'exposé des faits présenté par la Commission et non contesté par le gouvernement français que ce sont avant tout certaines périodes de l'année qui sont concernées et qu'il existe, en outre, des endroits particulièrement exposés où des incidents se sont produits à plusieurs reprises au cours d'une même année. 46.Depuis 1993, les actes de violence et de vandalisme n'ont pas visé les seuls moyens de transport des produits agricoles, mais se sont étendus au secteur de la distribution de gros et de détail de ces produits. 47.De nouveaux incidents graves du même ordre se sont du reste reproduits en 1996 et 1997. 48.Il convient de relever encore qu'il n'a pas été contesté que, lors de tels incidents, les forces de l'ordre françaises soit n'ont pas été présentes sur les lieux, malgré le fait que, dans certains cas, les autorités compétentes avaient été prévenues de l'imminence de manifestations d'agriculteurs, soit ne sont pas intervenues, même dans des cas où elles étaient beaucoup plus nombreuses que les fauteurs de troubles. De surcroît, il ne s'agissait pas toujours d'actions rapides de manifestants procédant par surprise et prenant aussitôt la fuite, puisque, dans certains cas, les troubles se sont poursuivis pendant plusieurs heures. 49.En outre, il est constant qu'un certain nombre d'actes de vandalisme ont été filmés par les caméras de la télévision, que les manifestants ont souvent agi à visage découvert et que les groupements d'agriculteurs, auteurs des manifestations violentes, sont connus des services de l'ordre. 50.Néanmoins, il est constant que seul un très petit nombre de personnes ayant participé à ces troubles graves à l'ordre public a été identifié et poursuivi. 51.Ainsi, s'agissant des nombreux actes de vandalisme commis durant la période d'avril à août 1993, les autorités françaises n'ont été en mesure de ne citer qu'un seul cas de poursuites pénales. 52.Au vu de tout ce qui précède, la Cour, sans méconnaître les difficultés des autorités compétentes pour faire face à des situations du type de celles en cause en l'espèce, ne peut que constater que, compte tenu de la fréquence et de la gravité des incidents énumérés par la Commission, les mesures que le gouvernement français a adoptées en l'occurrence n'ont manifestement pas été suffisantes pour garantir la liberté des échanges intracommunautaires de produits agricoles sur son territoire, en empêchant et en dissuadant efficacement les auteurs des infractions en cause de les commettre et de les répéter. 53.Cette constatation s'impose d'autant plus que les dégradations et les menaces évoquées par la Commission non seulement mettent en cause l'importation ou le transit en France des produits directement touchés par les actions violentes, mais sont de nature à créer un climat d'insécurité ayant un effet dissuasif sur les courants d'échanges dans leur ensemble. (…)

65.Au vu de l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que, en l'espèce, le gouvernement français s'est abstenu, de manière manifeste et persistante, de prendre des mesures suffisantes et appropriées pour faire cesser les actes de vandalisme qui mettent en cause sur son territoire la libre circulation de certains produits agricoles originaires d'autres États membres et empêcher le renouvellement de tels actes. 66.En conséquence, il convient de constater que, en ne prenant pas toutes les mesures nécessaires et proportionnées afin que des actions de particuliers n'entravent pas la libre circulation des fruits et légumes, la République française a manqué aux obligations qui découlent de l'article 30 du traité, en liaison avec l'article 5 de ce traité, et des organisations communes de marchés des produits agricoles. (…)

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Document 4. CJCE, 12 déc. 1974, Walrave et Koch, 36/74

1 Attendu que, par jugement du 15 mai 1974, parvenu au greffe de la Cour le 24 du même mois, le Arrondissementsrechtbank de Utrecht a posé, en vertu de l'article 177 du traité CEE, différentes questions relatives à l'interprétation des articles 7, alinéa 1, 48 et 59, alinéa 1, de ce traité ainsi que du règlement du Conseil n° 1612/68 du 15 octobre 1968 (JO n° L 257, p. 2) relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté ; 2 qu'il est, en substance, demandé si ces textes doivent être interprétés en ce sens que serait incompatible avec leur teneur une disposition du règlement de l'Union cycliste internationale, relatif aux championnats du monde de courses cyclistes de demi- fond derrière entraîneur à motocyclette, selon laquelle "l'entraîneur doit être de la même nationalité que son coureur" ; 3 que ces questions sont posées dans le cadre d'une action dirigée contre l'Union cycliste internationale, ainsi que les Fédérations cyclistes néerlandaise et espagnole, par deux ressortissants néerlandais, participant habituellement en qualité d'entraîneurs à des courses du type décrit, qui considèrent comme discriminatoire la disposition citée du règlement de l'UCI ; 4 attendu que, compte tenu des objectifs de la Communauté, l'exercice des sports ne relève du droit communautaire que dans la mesure où il constitue une activité économique au sens de l'article 2 du traité ; 5 que, lorsqu'une telle activité a le caractère d'une prestation de travail salarié ou d'une prestation de service rémunérée, elle tombe, plus particulièrement, dans le champ d'application, suivant le cas, des articles 48 à 51 ou 59 à 66 du traité ; 6 que ces dispositions, qui mettent en oeuvre la règle générale de l'article 7 du traité, interdisent toute discrimination fondée sur la nationalité dans l'exercice des activités qu'elles visent ; 7 qu'à cet égard la nature exacte du lien juridique en vertu duquel ces prestations sont accomplies est indifférente, la règle de non-discrimination s'étendant, en des termes identiques, à l'ensemble des prestations de travail ou de service ; 8 que, cependant, cette interdiction ne concerne pas la composition d'équipes sportives, en particulier sous forme d'équipes nationales, la formation de ces équipes étant une question intéressant uniquement le sport et, en tant que telle, étrangère à l'activité économique ; 9 que cette restriction du champ d'application des dispositions en cause doit cependant rester limitée à son objet propre ; 10 qu'il appartient à la juridiction nationale de qualifier, au regard de ce qui précède, l'activité soumise à son appréciation et de décider en particulier si, dans le sport en cause, entraîneur et coureur constituent ou non une équipe ; 11 attendu que les réponses sont données dans les limites, ci-dessus définies, du champ d'application du droit communautaire ; 12 attendu que les questions posées se rapportent à l'interprétation des articles 48 et 59, et, subsidiairement, de l'article 7 du traité ; 13 qu'en substance, elles concernent l'applicabilité des dispositions citées à des rapports juridiques ne relevant pas du droit public, la détermination de leur sphère d'application territoriale au regard d'une réglementation sportive émanant d'une fédération d'envergure mondiale, ainsi que l'applicabilité directe de certaines d'entre elles ; 14 attendu qu’il est demandé, en premier lieu, à propos de chacun des articles visés, si les dispositions d'un règlement d'une fédération sportive internationale peuvent être considérées comme incompatibles avec le traité ; 15 qu'il a été allégué que les interdictions de ces articles ne viseraient que les restrictions trouvant leur origine dans des actes de l'autorité et non celles résultant d'actes juridiques émanant de personnes ou associations ne relevant pas du droit public ; 16 attendu que les articles 7, 48 et 59 ont en commun de prohiber, dans leurs domaines d'application respectif, toutes discriminations exercées en raison de la nationalité ;

17 que la prohibition de ces discriminations s'impose non seulement à l'action des autorités publiques mais s'étend également aux réglementations d'une autre nature visant à régler, de façon collective, le travail salarié et les prestations de services ; 18 qu'en effet l'abolition entre les Etats membres des obstacles à la libre circulation des personnes et à la libre prestation des services, objectifs fondamentaux de la Communauté, énoncés à l'article 3, lettre c), du traité, serait compromise si l'abolition des barrières d'origine étatique pouvait être neutralisée par des obstacles résultant de l'exercice de leur autonomie juridique par des associations ou organismes ne relevant pas du droit public ; 19 qu'en outre, les conditions de travail étant dans les différents Etats membres régies tantôt par la voie de dispositions d'ordre législatif ou réglementaire, tantôt par des conventions et autres actes conclus ou adoptés par des personnes privées, une limitation des interdictions en cause aux actes de l'autorité publique risquerait de créer des inégalités quant à leur application ; 20 que, sans doute, les articles 60, alinéa 3, 62 et 64 concernent spécifiquement, dans le domaine des prestations de services, la suppression de mesures d'ordre étatique mais que cette circonstance ne permet pas de faire échec à la généralité des termes de l'article 59, lequel ne fait aucune distinction en ce qui concerne l'origine des entraves à éliminer ; 21 que, par ailleurs, il est constant que l'article 48, relatif à l'abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne les activités salariées, s'étend également aux conventions et règlements n'émanant pas des autorités publiques ; 22 que, par voie de conséquence, l'article 7, paragraphe 4, du règlement n° 1612/68 prévoit que l'interdiction de discrimination s'applique aux conventions et autres réglementations collectives du travail ; 23 que les activités visées à l'article 59 ne se distinguent pas de celles visées à l'article 48 par leur nature mais seulement par la circonstance qu'elles sont exercées en dehors des liens d'un contrat de travail ; 24 que cette seule différence ne saurait justifier une interprétation plus restrictive du champ d'application de la liberté qu'il s'agit d'assurer 25 qu'il en résulte que les dispositions des articles 7, 48 et 59 du traité peuvent être prises en considération, par le juge national, en vue d'apprécier la validité ou les effets d'une disposition insérée dans le règlement d'une organisation sportive ;

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3. Élément d’extranéité et situations purement internes

A.- Le domaine de la libre circulation des marchandises Doc. 1 : CJCE, 9 août 1994, Lancry , C-363/93, C-407 à 411/93 Doc. 2 : CJCE, 7 mai 1997, Pistre, C-321/94 à C-324/94, Doc. 3: CJCE, 5 décembre 2000 , Guimont, C-448/98

Doc. 1 : CJCE, 9 août 1994, René Lancry et Société Dindar Confort, aff. jtes C-363/93, C-407 à 411/93

(Octroi de mer)

Pour comprendre la portée de la solution retenue dans cette affaire, on comparera les données du litige à celles de la jurisprudence CJCE, 16 juillet 1992, Legros e.a., C-163/90, rendue à propos de la même taxe, mais dans un champ d’application différent. Pour d’autres applications des règles relatives à l’interdiction des taxes d’effet équivalent dans des situations purement internes, on pourra se reporter aussi à CJCE, 9 sept. 2004, aff. C-72/03, Carbonati. Pour une analyse plus approfondie de la problématique, voir A. Rigaux, « Situations purement internes vs. élément d’extranéité : 5ème set…Jeu, set et match pour les situations purement internes » ; CJCE, 9 sept. 2004, aff. C-72/03, Carbonati, Europe, Novembre 2004, Comm. 350.

(…) Sur les faits des affaires C-407/93 à C-411/93, Dindar Confort, Ah-Son, Chevassus-Marche, Conforéunion et Dindar Autos 14.Par acte du 26 janvier 1993, la société Dindar Confort a saisi le tribunal d’instance de Saint-Denis d’une demande de remboursement avec intérêts de certaines sommes qu’elle avait versées à titre d’octroi de mer. Ces sommes avaient été perçues sur des importations effectuées postérieurement à l’arrêt Legros e.a. 15.Par acte du 21 décembre 1992, M. Christian Ah-Son a saisi ce même tribunal d’une demande de restitution d’une somme acquittée en novembre 1992, représentant le montant d’une taxe d’octroi de mer qui lui avait été imposée à la suite de l’entrée sur le territoire de la Réunion d’un véhicule fabriqué en République fédérale d’Allemagne et acquis par lui en France métropolitaine. 16Par actes des 11 et 12 février 1993, M. Paul Chevassus-Marche a saisi ce même tribunal d’une demande de remboursement d’une taxe d’octroi de mer acquittée le 3 décembre 1992 et perçue sur une livraison de bière en provenance de France métropolitaine. 17.Par acte du 10 mars 1993, la société Conforéunion a saisi ce même tribunal d’une demande de remboursement d’une somme, versée par elle à titre d’octroi de mer, perçue sur des marchandises introduites sur le territoire de la Réunion en novembre 1992. Certaines de ces marchandises provenaient d’autres régions de France, certaines d’autres Etats membres de la Communauté et d’autres, enfin, directement de pays tiers. 18.Par actes des 26 janvier et 23 février 1993, la société Dindar Autos a saisi ce même tribunal de demandes de remboursement de certaines sommes correspondant au paiement de la taxe d’octroi de mer pour des marchandises introduites sur le territoire de la Réunion entre juillet et décembre 1992. Certaines de ces marchandises provenaient d’autres régions de France, certaines d’autres Etats membres de la Communauté et d’autres, enfin, directement de pays tiers. 19.Saisi de ces litiges, le tribunal d’instance de Saint-Denis a sursis à statuer et posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes: " 1) Les dispositions des articles 9 et suivants du traité CEE, en ce qu’elles fondent un principe d’unicité du territoire douanier communautaire, doivent-elles être interprétées comme prohibant la perception par un Etat membre d’une taxe proportionnelle à la valeur en douane des biens, sur des marchandises en provenance

d’autres régions de ce même Etat, du seul fait de leur introduction dans une région de l’Etat, étant précisé qu’en tant qu’elle frappait également les marchandises introduites dans cette région en provenance d’autres Etats membres, cette taxe a été jugée comme constituant une taxe d’effet équivalant à un droit de douane à l’importation ? 2) L’article 4 de la décision du Conseil des Communautés européennes du 22 décembre 1989 (89/688/CEE), en ce qu’il autorise la République française à maintenir jusqu’au 31 décembre 1992 au plus tard le régime actuel de l’octroi de mer, dans les conditions qu’il énonce, a-t-il été valablement pris, alors que l’octroi de mer résultant du régime alors en cours constituait une taxe d’effet équivalant à un droit de douane à l’importation, et alors qu’il résulte de l’article 227, paragraphe 2, premier alinéa, du traité que les dispositions du traité mentionnées dans ce premier alinéa, parmi lesquelles celles relatives à la libre circulation des marchandises, ont été applicables dans les DOM dès l’entrée en vigueur du traité ? " (…) 21.Il convient d’examiner, d’abord, la question de savoir si une taxe telle que l’octroi de mer constitue une taxe d’effet équivalant à un droit de douane, en tant qu’elle frappe les marchandises en provenance du même Etat membre et, ensuite, la validité de la décision octroi de mer, en tant qu’elle autorise le maintien en vigueur de cette taxe jusqu’au 31 décembre 1992. Sur l’interprétation des articles 9 et suivants du traité (première question préjudicielle du tribunal d’instance de Saint-Denis) 22.Par sa première question préjudicielle, le tribunal d’instance de Saint-Denis demande si une taxe proportionnelle à la valeur en douane des biens, perçue par un Etat membre sur toutes les marchandises introduites dans une région de son territoire, constitue une taxe d’effet équivalant à un droit de douane à l’importation en tant qu’elle frappe les marchandises introduites dans cette région en provenance d’une autre partie de ce même Etat. 23.Le Conseil estime que, dans la mesure où le régime de l’octroi de mer est applicable aux marchandises en provenance d’autres parties du territoire français, la situation est totalement cantonnée à l’intérieur de cet Etat membre et que, dès lors, les dispositions de droit primaire qui imposent aux Etats membres certaines interdictions pour ce qui concerne les relations entre eux ne sont pas applicables. Plus particulièrement, selon le gouvernement espagnol, le fait que le commerce intracommunautaire soit affecté est un élément essentiel pour l’application des dispositions du traité sur la libre circulation des marchandises, de sorte que les articles 9 et suivants du traité ne s’appliquent pas quand les marchandises en question circulent entre deux points du territoire d’un seul Etat membre. 24.Cet argument ne saurait être retenu. 25.En effet, en premier lieu, il est de jurisprudence constante que la justification de l’interdiction de droits de douane et de taxes d’effet équivalent réside dans l’entrave que des charges pécuniaires, appliquées en raison du franchissement d’une frontière, constituent pour la circulation des marchandises (voir notamment arrêt du 1er juillet 1969, Sociaal Fonds Diamentarbeiders, 2/69 et 3/69, Rec. p. 211, point 14). 26 Dans l’arrêt Legros e.a., précité, la Cour a relevé (point 16) qu’une taxe perçue à une frontière régionale en raison de l’introduction de produits dans une région d’un Etat membre porte atteinte à l’unicité du territoire douanier communautaire et constitue une entrave au moins aussi grave à la libre circulation des marchandises qu’une taxe perçue à la frontière nationale en raison de l’introduction des produits dans l’ensemble du territoire d’un Etat membre. 27.Or, l’atteinte portée à l’unicité du territoire douanier communautaire par l’établissement d’une frontière régionale douanière est égale, que ce soient des produits nationaux ou des produits en provenance d’autres Etats membres qui sont frappés d’une taxe en raison du franchissement de cette frontière. 28.En outre, l’entrave à la libre circulation des marchandises constituée par l’imposition, sur les produits nationaux, d’une taxe

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perçue en raison du franchissement de cette frontière n’est pas moins grave que celle constituée par la perception du même type de taxe sur les produits en provenance d’un autre Etat membre. 29.En effet, le principe même de l’union douanière s’étendant à l’ensemble des échanges de marchandises, telle qu’elle est prévue par l’article 9 du traité, exige que soit assurée de manière générale la libre circulation des marchandises à l’intérieur de l’union et non uniquement le commerce interétatique. Si les articles 9 et suivants ne visent expressément que les échanges entre Etats membres, c’est parce qu’ils ont présupposé l’inexistence de taxes présentant les caractéristiques d’un droit de douane à l’intérieur de ces Etats. L’absence de telles taxes étant une condition préalable indispensable à la réalisation d’une union douanière couvrant l’ensemble des échanges de marchandises, les articles 9 et suivants impliquent également leur interdiction. 30.En deuxième lieu, le problème ne se présente pas comme une situation dont les éléments sont totalement cantonnés à l’intérieur d’un Etat membre. En effet, ainsi que le gouvernement français l’a fait remarquer à juste titre, la perception d’une taxe ayant les caractéristiques de l’octroi de mer ne pourrait être qualifiée de situation purement interne que si elle était exclusivement perçue sur des produits en provenance du même Etat membre. Or, il est constant que l’octroi de mer s’applique à tous les produits introduits dans le DOM concerné, indépendamment de leur origine. Dans ces circonstances, il serait incohérent de juger, d’une part, que l’octroi de mer constitue une taxe d’effet équivalent en tant qu’il est perçu sur les marchandises en provenance d’autres Etats membres, et d’admettre, d’autre part, que cette même taxe ne constitue pas une taxe d’effet équivalent lorsqu’elle est perçue sur des marchandises en provenance de la France métropolitaine. 31. Enfin, sur un plan pratique, puisqu’une taxe telle que l’octroi de mer frappe tous les produits indistinctement, il serait très difficile, voire impossible, d’opérer une distinction entre les produits d’origine nationale et les produits originaires d’autres Etats membres. Par exemple, un produit qui comporterait des éléments en provenance d’un autre Etat mais qui serait fabriqué sur le territoire national, ou un produit qui serait importé sur le territoire national et, plus tard, acheminé dans un DOM, ne devrait pas être qualifié de produit national. Cela entrainerait la nécessité de déterminer dans chaque cas, même dans celui de livraisons de produits en provenance du même Etat, si ceux-ci ne seraient pas en réalité originaires d’un autre Etat membre de la Communauté. Une telle procédure de vérification engendrerait des procédures administratives et des retards supplémentaires qui en soi constitueraient des entraves à la libre circulation des marchandises. 32. Il convient, dès lors, de répondre à la première question du tribunal d’instance de Saint-Denis qu’une taxe proportionnelle à la valeur en douane des biens, perçue par un Etat membre sur toutes les marchandises introduites dans une région de son territoire, constitue une taxe d’effet équivalant à un droit de douane à l’importation, non seulement en tant qu’elle frappe les marchandises introduites dans cette région en provenance d’autres Etats membres, mais également en tant qu’elle est perçue sur les marchandises introduites dans cette région en provenance d’une autre partie de ce même Etat. (…)

Document 2 : CJCE, 7 mai 1997, Jacques Pistre e. a., C-321/94 à C-324/94, Rec. p. I-2343

Pour une application du même type à une réglementation autrichienne régissant les livraisons à domicile, dans une situation purement interne, voir également CJCE, 13 janvier 2001, TK Heimdienst Sass, aff. C-254/98. 1.Par arrêts du 3 octobre 1994, parvenus à la Cour le 9 décembre suivant, la Cour de cassation française a posé à la Cour, en vertu de l'article 177 du traité CE, une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 2 du règlement (CEE) 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d'origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO L 208, p. 1), et des articles 30 et 36 du traité CE. 2. Cette question a été soulevée dans le cadre de poursuites pénales exercées à l'encontre Mme Michèle Barthes ainsi que MM. Jacques Pistre, Yves Milhau et Didier Oberti (ci-après les «prévenus»), du chef d'étiquetages de nature à induire le consommateur en erreur sur la qualité ou la provenance de produits. 3. Les prévenus sont des ressortissants français, gérants de sociétés établies à Lacaune, dans le département du Tarn en France, qui fabriquent et commercialisent des produits de salaison. Ils ont été poursuivis pour avoir commercialisé, en 1991, de la charcuterie sous un étiquetage faisant mention des dénominations «montagne» ou «Monts de Lacaune», alors qu'ils n'avaient pas reçu, pour ces produits, l'autorisation d'employer les mentions spécifiques aux zones de montagne requise par l'article 34 de la loi 85-30, du 9 janvier 1985, relative au développement et à la protection de la montagne (JORF du 10 janvier 1985, p. 320, ci-après la «loi 85-30»), et le décret 88-194, du 26 février 1988, fixant les conditions d'utilisation pour les produits agricoles et alimentaires de l'indication de provenance «montagne» (JORF du 27 février 1988, p. 2747, ci-après le «décret 88-194»). 4. Par jugements du 26 mai 1992, le tribunal de police de Castres a relaxé les prévenus des fins de la poursuite, estimant que la réglementation relative à l'indication de provenance «montagne» était contraire au principe de la libre circulation des marchandises prévu par le traité CEE, devenu traité CE, et qu'elle ne pouvait être appliquée même aux producteurs nationaux, en raison d'un risque de discrimination à rebours. 5. Sur appel du ministère public, la cour d'appel de Toulouse a infirmé les jugements du tribunal de police de Castres et a déclaré les prévenus coupables. Ils ont été condamnés à différentes amendes. La cour d'appel de Toulouse a considéré que les dispositions en cause, qui réservaient l'utilisation de l'indication de provenance «montagne» à certains produits nationaux et visaient à assurer la sauvegarde des intérêts des producteurs contre la concurrence déloyale ainsi que celle des consommateurs contre des indications susceptibles de les induire en erreur, n'étaient pas, malgré la différence de traitement qui en résulte entre produits nationaux et produits importés, de nature à entraver les importations. 6. Les prévenus se sont pourvus en cassation contre ces arrêts. Devant la Cour de cassation, ils ont notamment fait valoir que les dispositions en cause, du fait qu'elles subordonnent la mise en vente d'un produit à une autorisation administrative préalable, constituent des mesures d'effet équivalant à des restrictions quantitatives au commerce entre États membres contraires aux articles 30 et 36 du traité. 7.Dans ses décisions de renvoi, la Cour de cassation observe, d'une part, que les textes pertinents de la loi 85-30 et du décret 88-194 prévoient que la délimitation des aires de montagne s'étend aux zones montagneuses, aux zones présentant une certaine déclivité et aux zones des départements d'outre-mer situées au-dessus de 100 mètres, et qu'ils comportent d'importantes dérogations à l'obligation de localisation du processus de production, en admettant notamment que la matière première entrant dans la composition du produit ne

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provienne pas de l'aire géographique ou que le produit n'y soit pas totalement fabriqué. 8.D'autre part, elle renvoie au règlement 2081/92 et relève que celui-ci, entré en vigueur le 26 juillet 1993, limite la protection des indications de provenance aux seuls produits originaires d'une région délimitée, dont une qualité déterminée ou une autre caractéristique peut être attribuée à l'origine géographique et dont la production a lieu sur place, et organise une procédure particulière d'agrément communautaire des dénominations existantes. 9.Estimant que se pose, par suite, la question de la compatibilité de la loi 85-30 et du décret 88-194 avec les dispositions, apparemment plus restrictives, du règlement 2081/92, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante: «Les dispositions combinées des articles 30 et 36 du traité CE et 2 du règlement (CEE) 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, s'opposent-elles ou non à l'application d'une législation nationale comme celle issue de la loi 85-30 du 9 janvier 1985 et de son décret d'application 88-194 du 26 février 1988?» 10.Pour répondre à la question du juge de renvoi, il convient d'abord, après avoir rappelé les dispositions principales de la réglementation nationale en cause, de s'interroger sur l'interprétation du règlement n°2081/92 qui, quoique entré en vigueur après les faits à l'origine des poursuites au principal, pourrait avoir une incidence sur leur issue en application du principe connu du droit national en cause de la rétroactivité de la loi pénale la plus favorable. Si, au terme de ce premier examen, il apparaît que ce règlement ne s'oppose pas à l'application d'une réglementation nationale telle que celle en cause dans les litiges au principal, il conviendra de vérifier s'il en va de même pour les articles 30 et 36 du traité. La réglementation nationale en cause 11.Selon l'article 1er de la loi 85-30, «La montagne constitue une entité géographique, économique et sociale dont le relief, le climat, le patrimoine naturel et culturel nécessitent la définition et la mise en oeuvre d'une politique spécifique de développement, d'aménagement et de protection...». La loi envisage différentes actions à cet égard dont l'établissement d'une protection de la dénomination «montagne». 12. Les articles 3 à 4 de la loi 85-30 délimitent les zones de montagne. Ainsi, l'article 3 dispose: «Les zones de montagne se caractérisent par des handicaps significatifs entraînant des conditions de vie plus difficiles et restreignant l'exercice de certaines activités économiques. Elles comprennent, en métropole, les communes ou parties de communes caractérisées par une limitation considérable des possibilités d'utilisation des terres et un accroissement important des coûts des travaux dus: 1 Soit à l'existence, en raison de l'altitude, de conditions climatiques très difficiles se traduisant par une période de végétation sensiblement raccourcie; 2 Soit à la présence, à une altitude moindre, dans la majeure partie du territoire, de fortes pentes telles que la mécanisation ne soit pas possible ou nécessite l'utilisation d'un matériel particulier très onéreux; 3 Soit à la combinaison de ces deux facteurs lorsque l'importance du handicap, résultant de chacun d'eux, pris séparément, est moins accentuée; dans ce cas, le handicap résultant de cette combinaison doit être équivalent à celui qui découle des situations visées aux 1 et 2 ci-dessus. Chaque zone est délimitée par arrêté interministériel.» 13.L'article 4 délimite les zones de montagne dans les départements d'outre-mer. 14.L'article 34, qui se trouve dans la section IV du titre III de la loi, relative au développement des produits agricoles et alimentaires de qualité, prévoyait, dans sa rédaction applicable à l'époque des faits: «L'indication de provenance « montagne » et les références géographiques spécifiques aux zones de montagne au sens de la présente loi, telles que les noms d'un massif, d'un sommet, d'une vallée, d'une commune ou d'un département, sont protégées. Cette

indication de provenance et ces références ne peuvent être utilisées, pour tous les produits mis sur le marché, que dans des conditions fixées par décret en conseil d'État pris après avis des organismes professionnels représentatifs en matière de certification de qualité. Ce décret détermine notamment les techniques de fabrication, le lieu de fabrication et la provenance des matières premières permettant l'utilisation des références géographiques susmentionnées.» 15.Le décret 88-194 précise les conditions auxquelles doivent satisfaire les produits, leurs matières premières et leurs méthodes de fabrication, afin de bénéficier d'indications faisant référence à la montagne ou à une zone géographique déterminée. 16.Selon l'article 2 de ce décret, l'aire géographique de production, d'élevage, d'engraissement, d'abattage, de préparation, de fabrication, d'affinage et de conditionnement des produits en cause de même que le lieu de provenance des matières premières entrant dans la fabrication des produits transformés doivent être situés dans les zones de montagne définies dans les conditions prévues aux articles 3 et 4 de la loi. 17.L'article 3 du décret 88-194 prévoit des exceptions à l'article 2. Il en résulte que l'obligation de provenance de zones de montagne ne s'applique pas aux matières premières qui, pour des raisons naturelles, ne sont pas produites dans ces zones et que le lieu d'abattage des animaux entrant dans la fabrication des produits carnés transformés et le lieu d'abattage et de conditionnement des viandes vendues à l'état frais peuvent ne pas être situés dans les zones de montagne telles que définies par les articles 3 et 4 de la loi 85-30. 18.Selon l'article 4 du décret 88-194, les produits en cause doivent être produits, préparés ou élaborés en respectant les procédés de fabrication déterminés par arrêtés conjoints du ministre de l'Agriculture et du ministre de la Consommation, pris sur l'avis de la Commission nationale des labels et des commissions régionales des produits alimentaires de qualité. 19.L'article 5 du décret 88-194 dispose que «L'autorisation d'utiliser l'indication ‘provenance montagne’ ou toute référence géographique spécifique aux zones de montagne est délivrée par arrêté conjoint du ministre de l'agriculture et du ministre chargé de la consommation après avis de la commission régionale des produits alimentaires de qualité». Il est ajouté que «Le bénéficiaire de l'autorisation doit apposer sur ses produits un signe distinctif défini par le ministre de l'agriculture». 20. Les intervenants à la procédure devant la Cour, et notamment les prévenus, le gouvernement français et la Commission, se sont exprimés sur la qualification de la réglementation nationale en cause. 21. Les prévenus font valoir que les conditions auxquelles est subordonnée l'utilisation de la dénomination «montagne» sont trop lâches et trop souples pour que celle-ci puisse être considérée comme une indication géographique au sens de l'article 2 du règlement 2081/92. Cette dénomination ne serait pas justifiée par les qualités intrinsèques des produits; il s'agirait seulement d'une mention informative faisant référence à la forme d'un relief caractérisé par une altitude plus ou moins élevée. Le terme serait purement descriptif, générique et non délimité. Les prévenus ajoutent qu'en réalité la réglementation nationale a pour but d'assurer un débouché aux produits issus de la montagne en leur réservant une protection par une dénomination de fantaisie. 22. Le gouvernement français observe que la dénomination «montagne» s'apparente plus à une dénomination de qualité qu'à une indication de provenance. Il souligne que les conditions objectives et assez strictes relatives à la préparation et à la fabrication des produits alimentaires susceptibles de comporter sur leur étiquetage la mention «montagne» indiquent que le but de la réglementation est de garantir au consommateur, par cette mention, le respect de certaines prescriptions relatives à la qualité des produits. Les conditions posées par l'article 2 du décret n°88-194 viseraient, en particulier, à assurer au consommateur que le produit portant la dénomination «montagne» présente effectivement les qualités attachées par le consommateur aux produits provenant des zones de montagne. La réglementation nationale subordonnerait donc l'octroi de

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l'autorisation d'emploi de la dénomination aux caractéristiques intrinsèques des produits. Il s'agirait en réalité d'une réglementation qui vise à une information loyale du consommateur tout en recherchant une certaine promotion des produits en provenance des zones de montagne. 23.La Commission partage en substance l'opinion du gouvernement français relative à la qualification de la réglementation nationale. Selon elle, la dénomination «montagne» peut être assimilée à une indication de provenance simple qui, au vu des dispositions du décret 88/194, constitue un label de qualité visant à promouvoir les produits des zones montagneuses, cette origine étant de nature à valoriser les produits aux yeux des consommateurs. (…) Les articles 30 et 36 du traité 41.Quant à la seconde partie de la question, le gouvernement français et la Commission observent, à titre liminaire, que les faits des litiges au principal se limitent au territoire national, étant donné que les poursuites ont été engagées contre des ressortissants français et qu'elles concernent des produits français commercialisés sur le territoire français. Selon le gouvernement français, ces poursuites ne relèvent donc pas des articles 30 et 36, relatifs à la libre circulation des marchandises entre États membres, de sorte qu' il n'y a pas lieu de répondre à la question de la compatibilité d'une réglementation nationale comme celle en cause dans les litiges au principal avec ces dispositions. 42.Cette argumentation ne saurait être accueillie. 43.En effet, selon une jurisprudence constante (arrêt du 11 juillet 1974, Dassonville, 8/74, Rec. p. 837, point 5), l'interdiction édictée à l'article 30 du traité vise toute réglementation commerciale des États membres susceptible d'entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire 44.Dès lors, s'il est vrai que l'application d'une mesure nationale n'ayant effectivement aucun lien avec l'importation des marchandises ne relève pas du domaine de l'article 30 du traité (arrêt du 15 décembre 1982, Oosthoek's Uitgeversmaatschappij, 286/81, Rec. p. 4575, point 9), cette dernière disposition ne peut toutefois pas être écartée pour la seule raison que, dans le cas concret soumis à la juridiction nationale, tous les éléments sont cantonnés à l'intérieur d'un seul État membre. 45.En effet, dans une telle situation, l'application de la mesure nationale peut également avoir des effets sur la libre circulation des marchandises entre États membres, notamment lorsque la mesure en cause favorise la commercialisation des marchandises d'origine nationale au détriment des marchandises importées. Dans de telles circonstances, l'application de la mesure, serait-elle limitée aux seuls producteurs nationaux, crée et maintient par elle-même une différence de traitement entre ces deux catégories de marchandises entravant, au moins potentiellement, le commerce intracommunautaire. 46.En l'occurrence, le gouvernement français souligne que la législation nationale en cause dans les litiges au principal n'est pas appliquée par ses autorités aux produits importés des autres États membres. Depuis son entrée en vigueur en 1988, aucune poursuite n'aurait été engagée à l'encontre de produits importés des États membres portant la mention «montagne». Dans ces conditions, il ne saurait être soutenu que la réglementation en cause constitue actuellement une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative au sens de l'article 30 du traité. Le gouvernement français concède cependant que le texte de l'article 34 de la loi 85-30 n'exclut pas explicitement de son champ d'application les produits importés d'autres États membres et que, par conséquent, on peut émettre l'hypothèse que des produits importés, portant des mentions faisant référence à la montagne, soient considérés comme ayant été mis sur le marché en contradiction avec la réglementation en cause, dès lors qu'ils n'ont pas obtenu l'autorisation visée. 47.Le gouvernement français ajoute que, dans la mesure où l'application de la réglementation nationale serait susceptible de constituer une entrave à la libre circulation des marchandises, celle-ci

serait justifiée par des raisons touchant à la protection des consommateurs et à la loyauté des transactions commerciales. 48.Le gouvernement français ayant admis que la réglementation nationale en cause est susceptible d'être appliquée aux produits importés d'autres États membres, il convient d'abord de constater qu'elle constitue une entrave aux échanges intracommunautaires au sens de l'article 30 du traité. 49.Il y a lieu de relever ensuite qu'une réglementation telle que celle en cause dans les litiges au principal est discriminatoire à l'encontre des marchandises importées des autres États membres dans la mesure où elle réserve l'utilisation de la dénomination «montagne» aux seuls produits fabriqués sur le territoire national et élaborés à partir des matières premières nationales (voir, en ce sens, arrêt du 12 octobre 1978, Eggers, 13/78, Rec. p. 1935, point 25). 50.En effet, il résulte de l'article 2 du décret 88-194 ainsi que des articles 3 à 5 de la loi 85-30 que, pour qu'un produit puisse bénéficier de la dénomination «montagne» ou des références géographiques spécifiques aux zones de montagne, sa production, sa préparation, sa fabrication et son conditionnement doivent être effectués dans des zones de montagne situées sur le territoire français. Il apparaît donc que la réglementation exclut que les produits importés puissent remplir les conditions auxquelles est subordonnée l'autorisation d'utiliser la dénomination «montagne». 51.De même, l'octroi de cette autorisation est subordonné, selon l'article 2 du décret 88-194, à l'utilisation, lors de la fabrication des produits transformés, de matières premières provenant de zones de montagne situées sur le territoire français. Selon les termes de la réglementation, les produits importés ne peuvent donc pas entrer dans la fabrication des produits transformés portant la dénomination «montagne». 52.Selon une jurisprudence constante, une telle réglementation nationale, dès lors qu'elle revêt un caractère discriminatoire, ne peut trouver sa justification que, le cas échéant, dans l'un des motifs énoncés à l'article 36 du traité (voir, en ce sens, arrêt du 17 juin 1981, Commission/Irlande, 113/80, Rec. p. 1625, points 8 et 11). 53.En l'occurrence, il y a lieu de constater qu'aucun des motifs énumérés à l'article 36 ne permet de justifier la réglementation concernée. En effet, parmi ces motifs, seule la protection de la propriété industrielle et commerciale, à savoir en l'espèce la protection des indications de provenance, peut être prise en considération. Or, il résulte du point 36 du présent arrêt que la dénomination «montagne» telle que protégée par la réglementation nationale en cause ne peut être qualifiée comme une indication de provenance. 54.Il convient donc de répondre à la seconde partie de la question posée que l'article 30 du traité s'oppose à l'application d'une réglementation nationale, telle que celle prévue par l'article 34 de la loi 85-30 et le décret 88-194, qui réserve l'utilisation de la dénomination «montagne» aux seuls produits fabriqués sur le territoire national et élaborés à partir de matières premières nationales. 55.Dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'examiner la question de savoir si et, le cas échéant, à quelles conditions une réglementation nationale semblable à la législation française concernée, mais qui ne comporterait pas de discrimination à l'encontre des produits importés des autres États membres, pourrait être conforme aux exigences des articles 30 et 36 du traité. (…)

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Document 3: CJCE, 5 décembre 2000 , Guimont, C-448/98.

1 . Par jugement du 24 novembre 1998, parvenu à la Cour le 9 décembre suivant, le tribunal de police de Belley a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 3, sous a), du traité CE [devenu, après modification, article 3, paragraphe 1, sous a), CE], ainsi que de l'article 30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE) et des articles suivants. 2. Cette question a été soulevée dans le cadre d'une procédure pénale engagée à l'encontre de M. Guimont du chef d'avoir détenu pour vendre, vendu ou offert une denrée alimentaire, en l'occurrence de l'emmenthal, à l'étiquetage trompeur. Les règles nationales en cause 3. L'article 3, premier alinéa, du décret français n° 84-1147, du 7décembre 1984, portant application de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et falsifications en matière de produits ou de services (ci-après le « décret de 1984 »), dispose : «L'étiquetage et les modalités selon lesquelles il est réalisé ne doivent pas être de nature à créer une confusion dans l'esprit de l'acheteur ou du consommateur, notamment sur les caractéristiques de la denrée alimentaire et plus particulièrement sur la nature, l'identité, les qualités, la composition, la quantité, la durabilité, la conservation, l'origine ou la provenance, le mode de fabrication ou d'obtention. » 4. Les « caractéristiques de la denrée alimentaire » dénommée « emmenthal » au sens de la réglementation française sont définies par l'article 6 et l'annexe du décret n° 88-1206, du 30 décembre 1988, portant application de la loi du 1er août 1905 sur les fraudes et falsifications en matière de produits ou de services et de la loi du 2 juillet 1935 tendant à l'organisation et à l'assainissement du marché du lait en ce qui concerne les fromages (JORF du 31 décembre 1988, p. 16753, ci-après le» décret de 1988 »). L'article 6 du décret de 1988 édicte que « les dénominations énumérées à l'annexe sont réservées aux fromages répondant aux prescriptions relatives à la fabrication et à la composition qui sont décrites dans ladite annexe ». Dans cette annexe, l'emmenthal est décrit comme un produit présentant les caractéristiques suivantes : « pâte ferme, cuite, pressée et salée en surface ou en saumure ; de couleur ivoire à jaune pâle, présentant des ouvertures de dimensions allant de la grosseur d'une cerise à celle d'une noix ; croûte dure et sèche, de couleur jaune doré à brun clair ». Les faits et la procédure devant le juge national 5. Par ordonnance du 6 janvier 1998, M. Guimont a été condamné au paiement de 260 amendes de 20 FRF chacune, du chef d'avoir détenu pour vendre, vendu ou offert une denrée alimentaire à l'étiquetage trompeur, en l'occurrence de l'emmenthal, ce qui constitue une infraction prévue et réprimée par l'article 3, premier alinéa, du décret de 1984. 6. Lors d'une audience au cours de laquelle le tribunal de police de Belley a examiné l'opposition formée par M. Guimont contre ladite ordonnance, il a été rappelé qu'un contrôle avait été opéré le 5 mars1996 par la direction départementale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du département du Vaucluse au sein d'une société spécialisée dans le découpage et le conditionnement de fromages préemballés sous film plastique destinés plus particulièrement à la grande distribution. Au cours de ce contrôle, ont été découvertes 260 meules d'emmenthal provenant de la société « laiterie d'Argis », dont M. Guimont est le directeur technique. 7. Lors du contrôle évoqué au point précédent, la direction départementale a constaté l'absence totale de croûte dans les meules examinées, ce qui contrevenait aux dispositions de l'article 6 et de l'annexe du décret de 1988. 8. M. Guimont a soutenu, notamment, pour sa défense devant la juridiction de renvoi que l'article 6 du décret de 1988 est incompatible avec les dispositions des articles 3, sous a), 30 et suivants du traité.

9. Il a rappelé devant la juridiction de renvoi que l'appellation » emmenthal » est générique et qu'elle est largement utilisée dans plusieurs pays de l'Union européenne sans aucune condition liée à la présence d'une croûte. Il a fait valoir que le décret de 1988, en réservant la dénomination « emmenthal » aux seuls fromages présentant une» croûte dure et sèche, de couleur jaune doré à brun clair », institue une restriction quantitative aux échanges intracommunautaires ou une mesure d'effet équivalent. 10. Dans son jugement de renvoi, le tribunal de police de Belley a notamment formulé les considérations suivantes : - Le prévenu ne peut être retenu dans les liens de la prévention que dans la mesure où le décret de 1988 ne contrevient pas aux normes supranationales ; -M. Guimont a démontré, par les pièces produites, que de l'emmenthal sans croûte est fabriqué ou commercialisé dans d'autres pays de la communauté européenne; - Le Codex alimentarius de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture et de l'Organisation mondiale de la santé contient une norme qui fait référence à la consommation d'emmenthal sans croûte ; -La disparité des réglementations nationales et, en particulier, la position restrictive adoptée par la réglementation française par rapport à d'autres réglementations européennes sont susceptibles d'entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire, alors qu'aucun droit à protection de l'appellation générique dite « emmenthal » n'est reconnu par la réglementation communautaire ; -Une telle discrimination ne paraît justifiée par aucun des motifs que l'article 36 du traité CE (devenu, après modification, article 30 CE) autorise à invoquer. 11. Dans ces circonstances, la juridiction nationale a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante : «Les articles 3.a, 30 et suivants du traité instituant la Communauté Européenne modifié doivent-ils être interprétés de telle sorte que la réglementation française résultant du décret n° 88-1206 du 30 décembre1988 qui prohibe la fabrication et la commercialisation en France d'un fromage dépourvu de croûte sous la dénomination 'emmenthal devrait être considérée comme constituant une restriction quantitative ou une mesure d'effet équivalent aux échanges intracommunautaires? » Observations liminaires 12. Il convient, en premier lieu, de rappeler que l'article 3 du traité détermine les domaines et les objectifs sur lesquels doit porter l'action de la Communauté. Cet article énonce ainsi les principes généraux du marché intérieur, qui sont appliqués en combinaison avec les chapitres respectifs du traité destinés à les mettre en œuvre( voir arrêt du 14 juillet 1998, Bettati, C-341/95, Rec. p. I-4355, point 75). L'objectif général inscrit dans l'article 3, sous a), du traité a été explicité par les dispositions de ses articles 30 et suivants. Dans ces conditions, la référence faite dans la question préjudicielle à l'article 3, sous a), du traité n'appelle pas de réponse distincte de celle qui sera faite au sujet de l'interprétation des articles 30 et suivants du traité. 13. Il convient, en second lieu, d'examiner l'argumentation du gouvernement français selon laquelle l'article 30 du traité n'est pas applicable dans un cas tel que celui de l'espèce au principal. (…) 18. …le gouvernement français, soutenu en cela par le gouvernement danois, fait valoir que, dans le cas particulier de l'espèce au principal, la règle en cause n'est pas constitutive d'une entrave, même indirecte ou potentielle, aux échanges intracommunautaires au sens de la jurisprudence de la Cour. En effet, selon ces gouvernements, les faits à l'origine du renvoi préjudiciel devant la Cour auraient trait à une situation purement interne, le prévenu étant de nationalité française et le produit en cause étant entièrement fabriqué sur le territoire français. 19. M. Guimont, les gouvernements allemand, néerlandais et autrichien ainsi que la Commission relèvent que, selon la

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jurisprudence de la Cour, l'article 30 du traité ne peut pas être écarté pour la seule raison que, dans le cas concret soumis à la juridiction nationale, tous les éléments sont cantonnés à l'intérieur d'un seul État membre (voir arrêt du 7 mai 1997, Pistre e.a., C-321/94 à C-324/94, Rec. p. I-2343, point44). 20. À cet égard, il y a lieu d'observer que l'arrêt Pistre e.a., précité, concernait une situation où la règle nationale en cause n'était pas indistinctement applicable mais créait une discrimination directe à l’encontre des marchandises importées d'autres États membres. 21. S'agissant d'une règle telle que celle en cause au principal, qui est, selon son libellé, indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits importés et qui vise à imposer aux producteurs certaines conditions de production afin de leur permettre de commercialiser leurs produits sous une certaine dénomination, il découle de la jurisprudence de la Cour qu'une telle règle ne relève de l'article 30 du traité que dans la mesure où elle trouve à s'appliquer à des situations ayant un lien de rattachement avec l'importation de marchandises dans le commerce intracommunautaire (voir arrêts du 15 décembre 1982, Oosthoek'sUitgeversmaatschappij, 286/81, Rec. p. 4575, point 9, et Mathot, précité, points 3 et 7 à 9). 22. Toutefois, cette constatation n'implique pas qu'il n'y a pas lieu de répondre à la question préjudicielle soumise à la Cour dans la présente affaire. En principe, il appartient aux seules juridictions nationales d'apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d'une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu'elles posent à la Cour. Le rejet par cette dernière d'une demande formée par une juridiction nationale n'est possible que s'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation sollicitée du droit communautaire n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal (voir arrêt du 6 juin 2000, Angonese, C-281/98, non encore publié au Recueil, Point 18). 23. En l'espèce, il n'apparaît pas de manière manifeste que l'interprétation sollicitée du droit communautaire ne serait pas nécessaire pour le juge national. En effet, une telle réponse pourrait lui être utile dans l'hypothèse où son droit national imposerait, dans une procédure telle que celle de l'espèce, de faire bénéficier un producteur national des mêmes droits que ceux qu'un producteur d'un autre État membre tirerait du droit communautaire dans la même situation. 24. Dans ces circonstances, il y a lieu d'examiner si une réglementation nationale telle que celle en cause au principal constituerait, dans la mesure où elle serait appliquée aux produits importés, une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative contraire à l'article30 du traité. Sur l'interprétation de l'article 30 du traité 25. À titre liminaire, il y a lieu de relever, ce qui n'est pas contesté dans la présente procédure, qu'une règle nationale telle que celle en cause dans l'espèce au principal constitue une mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative à l'importation au sens de l'article 30 du traité, dans la mesure où elle est appliquée aux produits importés. 26. En effet, une législation nationale soumettant des marchandises en provenance d'autres États membres, où elles sont légalement fabriquées et commercialisées, à certaines conditions pour pouvoir utiliser la dénomination générique communément utilisée pour ce produit et imposant ainsi le cas échéant aux producteurs l'utilisation de dénominations inconnues ou moins appréciées par le consommateur n'exclut certes pas, de façon absolue, l'importation dans l'État membre concerné de produits originaires d'autres États membres. Elle est néanmoins susceptible de rendre leur commercialisation plus difficile et, par conséquent, d'entraver les échanges entre les États membres (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 1988, Smanor, 298/87, Rec. p. 4489, point 12). 27. Quant à la question de savoir si une telle règle peut néanmoins être conforme au droit communautaire, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, une réglementation nationale, adoptée en l'absence de règles communes ou harmonisées et indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits

importés d'autres États membres, peut être compatible avec le traité dans la mesure où elle est nécessaire pour satisfaire à des exigences impératives tenant, notamment, à la loyauté des transactions commerciales et à la défense des consommateurs (voir arrêt du 20 juin 1991, Denkavit, C-39/90, Rec.p. I-3069, point 18), où elle est proportionnée à l'objectif ainsi poursuivi et où cet objectif n'aurait pas pu être atteint par des mesures restreignant d'une manière moindre les échanges intracommunautaires (voir, notamment, arrêt du 26 juin 1997,Familiapress, C-368/95, Rec. p. I-3689, point 19). (…) 32. Dans le cas de l'espèce au principal, il y a lieu de rappeler que, selon le Codex alimentarius mentionné au point 10 du présent arrêt, qui fournit des indications permettant de définir les caractéristiques du produit concerné, un fromage fabriqué sans croûte peut recevoir l'appellation « emmenthal » puisqu'il est fabriqué à partir de matières et selon une méthode de fabrication identiques à celles employées pour l'emmenthal comportant une croûte, sous réserve d'une différence de traitement au stade de l'affinage. Par ailleurs, il est constant qu'une telle variante du fromage « emmenthal » est légalement fabriquée et commercialisée dans des États membres autres que la République Française. 33. Dès lors, à supposer même que la différence dans la méthode d'affinage entre un emmenthal comportant une croûte et un emmenthal sans croûte soit susceptible de constituer un élément de nature à induire le consommateur en erreur, il suffirait, tout en maintenant la dénomination « emmenthal », d'accompagner cette dénomination d'une information adéquate au sujet de cette différence. 34. Dans ces conditions, l'absence de croûte ne peut pas être considérée comme une caractéristique justifiant le refus de l'utilisation de la dénomination « emmenthal », pour des marchandises en provenance d'autres états membres où elles sont légalement fabriquées et commercialisées sous cette dénomination. 35. Il convient donc de répondre à la question préjudicielle que l'article30 du traité s'oppose à ce qu'un État membre applique aux produits importés d'un autre État membre, où ils sont légalement produits et commercialisés, une réglementation nationale qui prohibe la commercialisation dans cet État membre d'un fromage dépourvu de croûte sous la dénomination «emmenthal».

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B.- Situations purement internes et libre circulation des personnes

- Doc. 1 - CJCE, 27 octobre 1982, Morson Jhanjan, aff. Jointes 35 et 36/82

Morson Jhanjan, 27 octobre 1982, aff. Jointes 35 et 36/82

Sur la seconde question 11 La seconde question vise en substance à savoir si et, le cas échéant, dans quelles circonstances le droit communautaire interdit à l’Etat Membre de refuser l’entrée ou le séjour sur son territoire à un membre de la famille, au sens de l’article 10 du Règlement no 1612/68 précité, d’un travailleur employé sur le territoire de cet Etat, lorsque ce travailleur possède la nationalité de cet Etat et le membre de la famille concerné la nationalité d’un pays tiers. 12 En vertu de l’article 48 du Traité, la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la communauté implique l’abolition de toute discrimination fondée sur la nationalité entre les travailleurs des Etats Membres. Aux termes de l’article 10 du Règlement no 1612/681612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, précité, certains membre spécifiés de la famille du travailleur, dont les ascendants à la charge, « ont le droit de s’installer avec le travailleur ressortissant d’un Etat Membre employé sur le territoire d’un autre Etat Membre, quelle que soit leur nationalité ». 13 Les termes du Règlement précité ne couvrant pas les membres de la famille à la charge d’un ressortissant de l’Etat Membre sur le territoire duquel il est employé, la réponse à la question préjudicielle dépend de savoir si un droit d’entrée et de séjour de leur chef peut être inféré à la lumière du contexte de la réglementation et de sa place dans l’ensemble du système du droit communautaire. 14 A cet égard, les requérantes au principal se prévalent du principe de non-discrimination en raison de la nationalité, lequel principe, énoncé de façon générale à l’article 7 du Traité, a trouvé une expression spécifique à l’article 48 du Traité. 15 Il est toutefois apparent que lesdites dispositions ne peuvent être invoquées que dans la mesure où la situation en cause relève du domaine d’application du droit communautaire, à savoir en l’occurrence celui de la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté. Cette conclusion ressort non seulement du libellé de ces articles, mais est aussi conforme à leur objectif, qui est de contribuer à l’élimination de tous les obstacles à l’instauration d’un marché commun dans lequel les ressortissants des Etats Membres ont la possibilité de se déplacer librement sur le territoire des Etats Membres en vue d’exercer leurs activités économiques. 16 Il s’ensuit que les dispositions du Traité, et la règlementation adoptée pour leur exécution, en matière de libre circulation des travailleurs ne sauraient être appliquées à des situations qui ne présentent aucun facteur de rattachement à l’une quelconque des situations envisagées par le droit communautaire. 17 Tel est certainement le cas des travailleurs n’ayant jamais exercée le droit de libre circulation à l’intérieur de la Communauté. 18 Il y a donc lieu de répondre à la seconde question posée par le Hoge Raad que le droit communautaire n’interdit pas à un Etat Membre de refuser l’entrée ou le séjour sur son territoire à un membre de la famille, au sens de l’article 10 du Règlement no 1612/68 du Conseil, du 15 octobre 1968 , relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de la Communauté, d’un travailleur employé sur le territoire de cet Etat, qui n’a jamais exercé le droit de libre circulation à l’intérieur de la Communauté, lorsque ce travailleur possède la nationalité de cet Etat et le membre de famille la nationalité d’un pays tiers.

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Exercice – Cas Pratique (Séance no 3)

Le jeune Johnny D. est un ancien étudiant en droit qui a quitté la faculté en sa 4e année d’études pour monter son affaire et qui détient à présent un sex-shop au 18e arrondissement de Paris, proposant aux clients également la vente et la location des films X. En septembre 2013 Johnny D., qui est de nationalité française, et son épouse Adriana, de nationalité roumaine, ont passé un week-end à Amsterdam. Au retour, ils subissent un contrôle policier dans le train, juste après le passage de la frontière, en France. Les policiers trouvent à cette occasion dans leurs bagages, à côté des dvd originaux, aussi d’autres dizaines des dvd piratés, reproduisant le même film pornographique, dans la catégorie de ceux qui sont commercialisés dans la boutique de Johnny, ce qui les conduit à la conclusion qu’ils sont tous destinés à la commercialisation. De même, ils trouvent dans le sac d’Adriana une quantité considérable de pilules à fort contenu de cannabis, sachant que la commercialisation du cannabis est permise aux Pays Bas, mais non pas en France. Adriana prétend souffrir d’une maladie qui la force de recourir à ces drogues thérapeutiques pour pallier ses douleurs, mais elle n’avait pas sur elle les ordonnances prescrivant les médicaments. Tout le matériel pornographique (dvd originaux et piratés) et les drogues sont confisqués par la police, tandis que Johnny et Adriana sont placés en garde à vue. La situation des deux jeunes n’est pas facile, d’autant plus que Johnny a été déjà interné une fois par le passé pour désintoxication, et Adriana avait été déjà mise en examen pour prostitution à Paris, sans pour autant être condamnée à l’époque. Adriana vit en France depuis 2007. Elle n’a jamais eu un travail stable, enchaînant des contrats à temps partiel et à durée déterminée ; à présent elle travaille à temps partiel pour une association, donnant des cours de musique, pour une rémunération faible qui ne dépasse pas le salaire minimum (SMIC). Elle a épousé Johnny l’année dernière. Se voyant poursuivis en correctionnelle, les deux vous appellent, en tant qu’avocat, ancien collègue de promotion avec Johnny, pour vous demander l’aide. Vos amis s’inquiètent quant aux risques de se voir confisquer tous les dvd comportant du matériel pornographique, ainsi que les pilules à base de cannabis que transportait Adriana et de subir par la suite une mise en examen pour trafic d’objets illicites, mais également sur le risque que la jeune femme soit frappée d’une sanction d’interdiction au territoire français. Johnny est convaincu qu’il pourrait invoquer les dispositions de droit garantissant la liberté de circulation des marchandises et des personnes à l’intérieur de l’Union Européenne, en sa faveur. Il vous revient de lui expliquer en quelle mesure ces dispositions peuvent et seraient pertinentes à être invoquées ou non en l’espèce, en motivant chaque fois vos réponses par des dispositions légales et en appuyant, le cas échéant, votre réponse sur la jurisprudence de la CJUE (CJCE) que vous connaissez.