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LE TOUR DU MONDE DE LA LIBERTÉ DE LA PRESSE EN 2003 Reporters sans frontières 5 — 8 CHF — 8 $ CAN avec le soutien de

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LE TOUR DU MONDE DE LA LIBERTÉ

DE LA PRESSE EN 2003

Reporters sans frontières

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LE TOUR DU MONDE DE LA LIBERTÉ DE

LA PRESSE EN 2003

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Convictions de toujourspar Pierre Veilletet

LE TOUR DU MONDE DE LA LIBERTÉ DE LA PRESSE EN 2003

AFRIQUELa presse indépendante en danger

• Côte d’Ivoire : Les responsables de la mort de Jean HélèneUn procès exemplaire sous tension

• Zimbabwe : Les six ans de lutte du Daily News• Erythrée : Trois ans sans information indépendante

AMÉRIQUES La presse victime de l'instabilité politique

• Cuba : Le journaliste Arevalo Padron enfin libre ? • Colombie : Le pays le plus meurtrier du continent

• Haïti : Les médias dans la tourmente

ASIE ET PACIFIQUE Plus de violences contre des journalistes plus audacieux

• Birmanie : Au pays de la censure implacableL’autocensure est la règle

• Pakistan : Lettre ouverte à Khawar• Chine : Du silence à la propagande. Dans les griffes des poulets

MAGHREB ET MOYEN-ORIENTLe Moyen-Orient, lanterne rouge de la liberté de la presse

• Irak : Deux meurtres pour un mensonge Un air de liberté

• Iran : Tuée pour quelques photos • Maroc : La taule des mille cauchemars

EUROPE ET EX-URSSEx-URSS : le retour des méthodes soviétiques ?

• Italie : Conflit d’intérêts dans les médias, l’anomalie italienne• Russie : La glasnost, une idée dépassée ?

• Tchétchénie : Une brèche dans le blocus de l’information Ali Astamirov réduit au silence

• Ukraine : Les médias sous contrôle

LES PRÉDATEURS DE LA LIBERTÉ DE LA PRESSE

Page 3: Libertà d\'informazione

3REPORTERS SANS FRONTIÈRES

CONVICTIONSDE TOUJOURS

h ! cette parodie de procès à La Havane ! Si Dieu et Staline se trouvent quelque partensemble, qu’en disent-ils ? A vrai dire per-sonne, peut-être pas même eux, ne pensaitrevoir ici-bas aussi grotesque et sinistremascarade, depuis ces films de la guerre

froide qu’on disait alors, bien entendu, d’un “anticommunismeprimaire”...

Dût-on être taxé d’anticastrisme secondaire, on se doit de cons-tater que, en 2003, les vieilles méthodes ont repris du servicesous les tropiques : des peines de six à vingt-huit ans de prison !Non pour avoir exercé le droit universel à la libre parole puisque,de toute façon, celui-ci n’existe guère à Cuba, mais pour avoirété soupçonné de vouloir l’exercer un jour...

2003 : On a, hélas, d’autres images en mémoire. Souvenez-vous,toutes les télévisions du monde l’ont montré à satiété : le tankaméricain s’immobilise sur un pont de Bagdad et, soudain, ouvrele feu sur l’hôtel Palestine où les mêmes télévisions, de façonégalement prolixe, nous avaientsignalé la présence d’un grandnombre de reporters. Apparem-ment, le tireur et l’officier qui aautorisé le tir étaient les seuls à nepas savoir. Jusqu’à quel degréd’ignorance peut-on remonterdans un état-major ? Une minu-tieuse enquête de Jean-Paul Mari, mandaté par Reporters sansfrontières, s’attache à démonter le mécanisme et à le faire sanspréjugé. A ce rapport, s’ajoute la plainte conjointe, déposée enEspagne, de la veuve du cameraman José Couso et de Reporterssans frontières. Ces recours inédits en matière de “bavure guer-rière”, pour reprendre l’euphémisme évasif servi à l’opinion,manifestent la détermination de notre organisation, désormaisrenforcée par une équipe de juristes, de ne pas se cantonner à sesfonctions d’alarmes et de dénonciations publiques. Il nousimporte également d’exiger réparation du crime commis chaquefois qu’il peut être démontré. Parce que si les assassins se sentent

“couverts”, leur impunité fera naître d’autres vocations et notretravail serait incomplet s’il n’était mis au service des familles devictimes...

LA FUNÈBRE LITANIE PERDURE

Et puis Jean Hélène, abattu comme un chien sur un parking d’Abidjan. Et puis... et puis... on pourrait ainsi énumérer ad nauseam ces drames de l’année écoulée où des journalistes detoutes nationalités ont perdu leur liberté, voire leur vie, parcequ’ils étaient journalistes.

Chaque fois, nous aimerions pouvoir vous annoncer que la funèbrelitanie tend, enfin, à décroître. Ce ne sera pas le cas pour 2003,année noire s’il en fut : plus de 120 journalistes sont toujoursemprisonnés et 42 ont été tués, principalement en Asie et auMoyen-Orient (guerre d’Irak) contre 25 en 2002. Par ailleurs, ceque nous appelons nos “indicateurs” affichent tous des haussessensibles : 766 journalistes interpellés, au moins 1 460 agressésou menacés, 501 médias censurés, à quoi il faudrait ajouter

un nombre significatif de symp-tômes, plus difficiles à comp-tabiliser mais sur lesquels nous reviendrons car ils traduisent, enprofondeur, une évolution pré-occupante dans les techniques derétorsion.

L’Afrique ? Le meurtre de Jean Hélène n’est malheureusementpas isolé. Couvrir un conflit s’y révèle de plus en plus périlleux,or ces conflits persistent dans de nombreux Etats. Ailleurs, parexemple au Cameroun de Paul Biya, dans le Gabon d’OmarBongo, la Guinée de Lansana Conté, la Guinée équatorialed’Obiang Nguema, le Rwanda de Paul Kagame, le Togo deGnassingbé Eyadéma et le Zimbabwe de Robert Mugabe, lesjournalistes doivent endurer les foudres de régimes vieillis etd’autant plus jaloux de leur autorité, quand ce n’est pas le res-sentiment de dirigeants agrippés au pouvoir. Tous renâclentdevant les tentatives de libéralisation, surtout lorsque celles-ci

A

Pierre Veilletet

Président de Reporters sans frontières - France

Notre travail serait incomplet s’il n’était mis au service

des familles de victimes

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REPORTERS SANS FRONTIÈRES4

concernent l’audiovisuel. En vérité, la presse indépendante seraréfie sur l’ensemble du continent africain que les journalistescontinuent régulièrement de fuir, la mort dans l’âme.

En Asie, à l’intention des professionnels de la presse qui nerenoncent pas, les dictatures disposent du plus vaste pénitencierde la planète : au moins 200 journalistes y ont été bouclés etsouvent torturés au cours de l’année passée. Ainsi au Népal et enBirmanie, où de rarissimes intrus décrivent l’univers carcéralcomme un “véritable enfer”. Faut-il rappeler que la Corée duNord ignore pour sa part la notion même de pluralisme et que laChine, si tendance ces derniers temps, décourage tout ce qui nerelève pas de la propagande. Presque partout prévaut ce qu’onpourrait qualifier de “harcèlement judiciaire” et dont on retrouveles méthodes éprouvées en Turquie - malgré un relatif assouplis-sement destiné à présenter un meilleur profil à l’Union Euro-péenne -, et dans les anciennes républiques du bloc soviétiquecomme l’impitoyable Azerbaïdjan (plus de 100 agressions)l’Ouzbékistan, le Turkménistan, contrées de censure absolue.

La guerre en Irak n’a certes pas facilité la liberté non plus que lasécurité des médias au Moyen-Orient où, selon une habitudemaintenant bien ancrée, l’Iran se distingue par sa brutalité. L’as-sassinat de la photographe Zahra Kazemi, le 10 juillet dans sageôle de Evine (Téhéran), en est la plus insupportable preuve.Au Soudan et dans les pays du Maghreb, d’encourageants signesd’émancipation sont contrebattus par les vieux réflexes absolu-tistes : contrôle à tous les échelons et méfiance de chaque instant.

Quant au continent américain, il reste inégalement partagé.Globalement respectée dans la majorité des Etats, la liberté de lapresse est quotidiennement persécutée à Cuba, en Haïti ou en

Colombie, ce dernier pays restant le moins sûr de la région.Quatre journalistes y ont trouvé la mort. En Amérique du Nord,le secret des sources est trop souvent remis en cause.

NOTRE MOBILISATION FAIT RENAÎTRE DES ESPOIRS

...Bon, incontestablement une sale année, et d’autant plus qu’onl’examine en détail. Cependant, à vous en particulier qui nousaccompagnez, et qui peut-être nous soutenez depuis longtempsen achetant les albums de photographie grâce auxquels nosactions peuvent être financées, nous devons plus que ce sinistrerecensement et les regrets qu’il inspire car il pourrait laissercroire que nous cédons au découragement. Croyez bien que cen’est pas le cas et redisons plutôt cette conviction de toujours :c’est l’aspect positif du bilan qui doit dicter notre conduite.

A ce titre, notre priorité demeure le soutien apporté aux journa-listes emprisonnés et aux médias en difficulté. Ce soutien, rendupossible par le produit de la vente des albums, des calendriers etquelques autres opérations, votre soutien donc, nous a permis dedistribuer 130 bourses, aides directes aux familles de journalistesemprisonnés, prises en charge des frais médicaux, judiciaires,etc. Cela a été fait, entre autres, pour les victimes de Cuba, deBirmanie, du Liberia, de Côte d’Ivoire, de Chine, d’Haïti, duViêt-nam. Comment céder au découragement dès lors que cettemobilisation, ce travail, parfois invisible mais toujours opiniâtre,font renaître des espoirs et a fortiori lorsqu’ils débouchent surune victoire. Et nous aimons à considérer comme telle la libéra-tion du journaliste marocain Ali Lmrabet, condamné à trois ansde prison pour caricature de lèse-majesté pour irrévérence gra-phique envers le roi ! Notre Prix Reporters sans frontières -Fondation de France 2003 a finalement été libéré en janvier2004, après sept mois de détention.

Ces interventions n’existent que par le socle sur lequel elless’appuient, c’est-à-dire la recherche et nos (formidables) cher-cheurs qui inventorient les atteintes à la liberté de la presse, lesdécryptent et approfondissent en permanence leur enquête,laquelle trouve assez souvent un prolongement indispensable

Notre priorité demeure le soutien apporté aux journalistes emprisonnés

et aux médias en difficulté

Présents à l’inauguration de la Maison des journalistes : Bertrand Delanoë, maire deParis, Danièle Ohayon, à l’origine du projet, Robert Ménard, secrétaire général deReporters sans frontières, et Jean-PaulHuchon, président de la région Ile-de-France

Sophie Marceau, marraine de “Photos de stars”, aux côtés de Smaïn, Laurent Baffie, Thierry Ardisson

Catherine Deneuve à la soirée “Cuba si, Castro no” au théâtre parisien du Rond-Point

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Convictions de toujours

5REPORTERS SANS FRONTIÈRES

dans une mission sur le terrain. Cette discrète mais parfoispérilleuse investigation, ce patient maillage (dont vous obtenez larelation sur notre site : www.rsf.org) inscrivent nos entreprisesdans la durée (ainsi nous ne lâchons pas prise sur des affaires déjàanciennes : Zongo au Burkina, Gongadze en Ukraine, Huang Qi enChine, etc.) afin de faire pièce au plus terrible de tous les dangers : l’oubli. Et nous y parvenons puisque les consultations de notresite ont été multipliées par dix en moins de deux ans !

CERTAINS MALFAISANTS DEVIENNENT PLUS MALINS

Plus visibles que ces missions lointaines, nos diverses opérationsde communication répondent en fait au même objectif : il s’agitencore d’empêcher que ne s’installe une chape de silence, de lut-ter contre la résignation ou l’indifférence progressives. Renduespossibles par différents partenariats (avec l’agence Saatchi &Saatchi ou le centre de recherche du groupe Benetton, Fabrica),ces campagnes d’affichage, de publicité, de vidéos, que vous avezpeut-être encore dans l’œil, sont destinées à alerter l’opinion,quelquefois sur un mode volontairement accrocheur, autour dethèmes qui nous tiennent à cœur : “Journalistes tués”... “Annéede l’Algérie”... Libye (à laquelle nous devons par ricochet notreubuesque suspension de la Commission des droits del’homme)... “Cuba si, Castro, no”. Cette dernière opération,toujours en cours, s’est accompagnée d’une mémorable soirée authéâtre parisien du Rond-Point, le 29 septembre.

Quoi encore ? La deuxième édition de “Photos de stars” parrai-née par Sophie Marceau : c’était en juin. En décembre, nousinaugurions à Paris la première et la seule “Maison des journalis-tes” ouverte aux confrères exilés. Reporters sans frontières agrandement contribué à rendre effectif ce beau projet de DanièleOhayon et de Philippe Spinau.

Au moment de clore ce bilan, forcément lacunaire, il nous paraîtimportant d’en souligner une constante et de pointer une sensi-ble évolution. Constante ? La liberté de la presse est d’autantplus menacée qu’il y a surabondance de pouvoir politique(potentats en tout genre) ou qu’il y a vacance excessive de cepouvoir de sorte que le droit le cède alors à la violence. Evolu-tion ? Les ennemis de la presse ne semblent pas moins nombreuxni moins résolus ; mais nous avons l’impression que, en dehorsde quelques cas pathologiques bien connus de nos services, certains malfaisants deviennent plus malins. A la répression fron-tale et sanguinaire, ils substituent volontiers le harcèlement insidieux d’apparence légale, la pression économique, la protec-tion de la vie privée, les contournements de toutes sortes, y com-pris les gages de bonne volonté, afin d’abuser l’opinion. Bref, ilscontinuent à chasser le journaliste, mais en y mettant les formes.

Enfin, il nous semble que l’intolérance ambiante facilite malheu-reusement les crispations de toutes sortes. Campagnes publici-taires, spectacles, livres, films, interdits ou menacés, faux directsà la télévision, autocensures, recours compulsifs aux poursuitesjudiciaires au moindre mot de travers, indignations de com-mande, prudences oratoires et tartufferies rhétoriques : la libreexpression ne serait-elle pas en train de perdre du terrain ?

Ceci mérite évidemment réflexion de notre part et supposed’imaginer des réponses appropriées. C’est dire que nous nesommes pas au bout de nos peines et qu’il n’existe rien de plusmobilisateur.

Pierre Veilletet

Président de Reporters sans frontières - France

A la répression frontale et sanguinaire, les ennemis de la presse substituent volontiers le harcèlement insidieux d’apparence légale,

la pression économique, la protection de la vie privée, afin d’abuser l’opinion

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REPORTERS SANS FRONTIÈRES6

es guerres et conflits qui perdurent dans certainsEtats africains sont pour beaucoup dans cettedégradation de la situation. En Côte d’Ivoire, auLiberia et à l’est de la République démocra-tique du Congo, les dangers se sont amplifiéspour les professionnels de la presse. Les armées

régulières, les nombreux mouvements rebelles ou les milices àl’œuvre dans ces pays, qui accordent une importance accrue aucontrôle de l’information, se sont montrés particulièrementmenaçants envers les reporters de la presse locale ou interna-tionale. Couvrir un conflit en Afrique s’avère de plus en plusdangereux.

Les journalistes ont, par ailleurs, fait les frais de la répres-sion systématique de régimes vieillissants et de dirigeants quis’accrochent au pouvoir. Dans le Cameroun de Paul Biya, leGabon d’Omar Bongo, la Guinée de Lansana Conté, la Gui-née équatoriale d’Obiang Nguema, le Rwanda de PaulKagame, le Togo de Gnassingbé Eyadéma et le Zimbabwe deRobert Mugabe, la presse est victime de l’immobilisme poli-tique et de l’autoritarisme. Ces chefs d’Etat, toujours plusintolérants envers la presse indépendante ou d’opposition,mettent tout en œuvre pour garder la mainmise sur l’informa-tion. Qu’ils utilisent la manière forte, comme au Zimbabwe,ou des procédés plus insidieux,comme au Gabon ou au Rwanda.Alors qu’ils ont déjà souffert,depuis le début des années 90, del’obstination des journaux indé-pendants à prôner l’alternancedémocratique, tous freinent desquatre fers, aujourd’hui, devant la libéralisation du secteuraudiovisuel. L’Etat conserve un monopole sur la radio et latélévision dans une dizaine de pays d’Afrique subsaharienne.

Ces médias d’Etat sont étroitement surveillés. Leurs journa-listes sont soumis à de fortes pressions, de la part de leurs responsables ou de représentants du gouvernement. Chaqueannée, plusieurs d’entre eux sont licenciés abusivement pour nepas s’être conformés à la ligne éditoriale définie par le ministèreen charge de l’information. Ainsi, au Swaziland, les employés dela radio-télévision nationale n’ont pas le droit de donner laparole à l’opposition ou de critiquer le roi, sous peine d’êtreimmédiatement renvoyés. Au Zimbabwe, la presse publique estaux ordres du puissant ministre de l’Information, JonathanMoyo, et n’hésite pas à attaquer avec virulence les médias privés.Dans de nombreux pays, les radios et télévisions d’Etat se montrent particulièrement dociles et favorables aux dirigeantsen place en période de campagne électorale.

LE PLURALISME DE L’INFORMATION MENACÉ

La presse indépendante se raréfie sur le continent africain. Entreautres exemples inquiétants : la fermeture du Daily News au Zim-babwe, la suspension de plusieurs médias au Gabon, le maintiende l’interdiction de la presse privée en Erythrée, le harcèlementintense du seul journal d’opposition à Djibouti ou la censuremomentanément imposée aux radios du Burundi et du Tchad.

A la censure directe et brutale,sont venues s’ajouter des métho-des plus sournoises pour fairetaire les voix discordantes. Desjournaux d’opposition ont étérachetés par le pouvoir, d’autresont été créés par ces mêmes diri-

geants pour faire croire à une diversité de la presse, des boycottspublicitaires des médias les plus critiques ont été initiés par lesgouvernements de plusieurs pays.

AFRIQUELA PRESSE INDÉPENDANTE EN DANGERL’année 2003 n’a pas été particulièrement bénéfique à la liberté de la presse en Afrique.

Deux journalistes ont été tués en Côte d’Ivoire, un troisième a probablement été exécuté en République

démocratique du Congo. Les arrestations se sont multipliées et la presse indépendante est en voie de

disparition dans plusieurs pays.

Couvrir un conflit en Afrique s’avère de plus en plus dangereux

L

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pour avoir “incité au génocide” de 1994. Ce jugement du Tribu-nal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a consacré l’a-boutissement de plusieurs années d’instruction et de procédurepour établir la responsabilité de certains médias dans la mort deplusieurs centaines de milliers de personnes. Il est souhaitableque ce verdict résonne comme un avertissement pour ceux quicontinuent de sévir sur le continent. En Côte d’Ivoire, parexemple, plusieurs journaux jettent régulièrement de l’huile surle feu, attisant les haines envers les étrangers et dressant lescommunautés les unes contre les autres. Malgré plusieursrappels à l’ordre des Nations unies et de l’Union européenne, lasituation ne s’était pas améliorée au 1er janvier 2004.

Une seule bonne nouvelle néanmoins : la lutte contre l’im-punité a porté ses fruits, pour la première fois, en Afrique. Finjanvier 2003, six personnes ont été condamnées à de lourdes pei-nes de prison, à l’issue d’un procès exemplaire, pour l’assassinatdu journaliste Carlos Cardoso, au Mozambique. Ce cas mérited’être souligné. Il doit servir d’exemple à suivre pour les autresEtats africains et montrer aux assassins de journalistes qui sonttoujours en liberté en Angola, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Nigeria ou ailleurs, que eux aussi devront, un jour,répondre de leurs actes.

Jean-François Julliard

Responsable de l’information de Reporters sans frontières

Pour plus d’informations, pays par pays: www.rsf.org

Afrique

7REPORTERS SANS FRONTIÈRES

Par ailleurs, l’exode des journalistes africains se poursuit. Ils sont chaque année de plus en plus nombreux à fuir devant lesmenaces et les représailles qui rendent leur travail impossible.Ainsi, le Cameroun ou la République démocratique du Congo sevident, peu à peu, de leurs reporters, entraînant souvent la fer-meture de journaux ou de radios.

Parallèlement, la situation de la liberté de la presse s’est dur-cie dans des pays traditionnellement cités en exemple pour leurmodernité et leur respect de l’Etat de droit. Au Niger et auSénégal, la liberté d’expression a subi de sérieux revers en 2003.L’expulsion de la correspondante de RFI à Dakar, la fermetured’une dizaine de radios privées, puis l’emprisonnement à Nia-mey de l’un des journalistes les plus connus du pays sont desindices forts de ce durcissement de la répression envers la presse.Dans une moindre mesure, au Mali, l’arrestation de trois jour-nalistes, pour la première fois depuis de longues années, estvenue rappeler que la liberté de la presse n’est jamais un acquis.

CONDAMNATION DES MÉDIAS DE LA HAINE

Les médias de la haine ont également été au cœur de l’actualitéen 2003. Pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerremondiale et les procès de Nuremberg, des journalistes ont étécondamnés pour avoir incité au meurtre et à la violence. Troisanciens responsables de médias rwandais ont ainsi été condam-nés à des peines de trente-cinq ans de prison ou à la perpétuité

De nombreux chefs d’Etat freinent des quatre fers devant la libéralisation

du secteur audiovisuel

L’exode des journalistes africains se poursuit

Page 8: Libertà d\'informazione

REPORTERS SANS FRONTIÈRES8

Côte d’Ivoire

La mort de Jean Hélène ne peut êtreappréhendée comme un cas isolé. Elle s’inscrit dans l’instauration, depuisl’année 2000, d’un climat hostile à lapresse internationale. Depuis quatre ans,les journalistes étrangers basés en Côte d’Ivoire vivent et travaillent dansl’insécurité. Ainsi, avant Jean Hélène,deux autres correspondants de RFI, se sentant menacés, avaient décidé dequitter le pays.

LES JOURNALISTES ÉTRANGERS,CES “ENNEMIS DU PAYS”

Certains médias ivoiriens ont une réelleresponsabilité dans la montée de cettehostilité. La presse notamment s’estabondamment répandue en attaques verbales, injures, accusations sans fonde-ment et appels à la violence, avec pourprincipales cibles RFI et les journalistesfrançais. Des journaux proches du pouvoir comme Le National, Notre Voieou L’Œil du Peuple ont titré à de très nombreuses reprises sur ces “autresadversaires de la Côte d’Ivoire”, ces“médias complices des rebelles”ouencore ces “journalistes impliqués dans latentative de coup d’Etat”. De son côté,

la presse d’opposition a régulièrementsurenchéri dans la violence des propos,donnant du grain à moudre aux médiasprogouvernementaux.

En quelques mois, après le début duconflit en septembre 2002, la guerre des médias est repartie de plus belle et lesjournalistes étrangers sont devenus, auxyeux d’une grande partie de la populationabidjanaise, les “ennemis du pays”. De làà en faire des cibles potentielles à élimi-ner, il n’y avait qu’un pas que le sergentSéri Dago a franchi en octobre 2003.

LES AUTORITÉS N’ONT JAMAIS RÉAGI

Jean Hélène lui-même avait été person-nellement visé par ces attaques. En octo-bre 2002, Notre Voie, le journal du Front

populaire ivoirien (FPI, le parti au pou-voir) l’avait qualifié de “négrier des tempsmodernes” et de “rapace corrompuaccomplissant sa sale besogne de destruc-tion de l’Afrique”. Autant de dangereusesaccusations auxquelles les autorités n’ontjamais réagi malgré les appels répétés deReporters sans frontières, de l’Unioneuropéenne ou encore des Nations unies.Pire, fin 2002, lors d’une allocutionreprise par la radio d’Etat, un député FPIavait incité les jeunes à aller demanderdes comptes à RFI et à l’Agence France-Presse (AFP), ces médias qui “salissent laCôte d’Ivoire”.

Interrogé par Reporters sans frontiè-res, en avril 2003, sur les mesures qu’ilcomptait prendre pour endiguer ce pro-blème, le président Laurent Gbagbo avaitrépondu : “Je pense avoir une solutionpour tous les problèmes de la Côted’Ivoire, sauf pour celui de la presse.”

Il est pourtant urgent que le chef del’Etat s’y confronte. Commencer parrappeler à l’ordre “sa” presse serait unbon début. Il resterait alors aux autresresponsables politiques du pays à suivreson exemple. Pour éviter qu’un tel dramene se reproduise.

Pour en savoir plus: www.rsf.org

“Je pense avoir une solution pour tous les problèmesde la Côte d’Ivoire, sauf pour

celui de la presse”, affirmeLaurent Gbagbo

LES RESPONSABLES DE LA MORT DE JEAN HÉLÈNE

Le 21 octobre 2003,

Jean Hélène, 48 ans,

correspondant de Radio France

Internationale (RFI) en Côte

d’Ivoire depuis plusieurs mois,

est abattu près de la Direction

générale de la police nationale.

Il projetait d’interviewer des

opposants qui venaient d’être

libérés après quelques jours

de détention. Un policier,

le sergent Séri Dago, a depuis

été reconnu coupable de ce

meurtre. Mais il n’en est pas

le seul responsable.

Jean Hélène avait été la cible des attaques de la presse progouvernementale

Page 9: Libertà d\'informazione

9REPORTERS SANS FRONTIÈRES

Côte d’Ivoire

En ce matin du mardi 20 janvier 2004, lepalais de justice situé au “Plateau”, quar-tier des affaires de la capitale économiqueivoirienne, connaît une animation parti-culière. Deux véhicules blindés prennentposition devant le bâtiment, tandis que lesunités anti-émeutes de la police et de lagendarmerie se déploient dans l’enceintedu tribunal.

A 8 heures, les envoyés spéciaux desgrands journaux français et quelques correspondants de la presse internatio-nale encore en poste à Abidjan effectuentun déplacement groupé vers le palais. Ilssont accueillis à leur arrivée par un poli-cier qui promet une organisation parfaite.“Vos places sont réservées, nous allonsvous installer”, rassure-t-il. A quelquesmètres, un petit groupe de supporters deSéri Dago arbore des T-shirts blancs surlesquels on peut lire : “Séri est innocent.Libérez Dago Séri !” Ils défient du regardles journalistes français.

LE SERGENT SÉRI DAGO PLAIDE NON COUPABLE

Dès le début de l’audience, le présidentdu tribunal, Ahmed Lanzéni Coulibaly,donne la parole au procureur militaire,Ange Kessi. “Jamais depuis 1974, date de

UN PROCÈS EXEMPLAIRESOUS HAUTE TENSIONLe procès du sergent de police ivoirien Théodore Séri Dago, poursuivi pour le meurtre en octobre 2003

du journaliste de Radio France Internationale (RFI) Jean Hélène, s’est tenu au palais de justice

d’Abidjan où un comité de soutien à l’accusé n’a cessé d’entretenir une ambiance surchauffée pendant

trois jours. Christophe Koffi, journaliste pour l’Agence France-Presse (AFP) à Abidjan et collaborateur

de Reporters sans frontières, était présent.

sa création, le tribunal militaire n’a étéaussi sollicité”, déclare-t-il avant d’insis-ter sur “la forte croissance de la délin-quance et de la criminalité militairedepuis le début de la crise ivoirienne”. Lebâtonnier de l’ordre des avocats ivoiriens,Jean Louis Métan, met l’accent sur le“rôle constructif et destructif desmédias”, avant de critiquer une déclara-tion du secrétaire général de Reporterssans frontières, Robert Ménard, quiaurait affirmé qu’il fallait “faire pressionsur Gbagbo”.

Vers 11 heures, le sergent Séri Dago, sou-riant, fait son entrée dans la salle, aprèsqu’on lui a retiré la cagoule blanche quicachait son visage. Les photographes sebousculent et le président demande rapi-dement leur évacuation. Ils sont sortismanu militari sous les acclamations ducomité de soutien à l’accusé.

Les photographes sont sortis manu militari de la

salle sous les acclamations ducomité de soutien à l’accusé

L’accusé est conduit cagoulé au tribunal.

Ses supporters arborent des T-shirts clamant

son innocence

Page 10: Libertà d\'informazione

REPORTERS SANS FRONTIÈRES10

Côte d’Ivoire

Quelques instants plus tard, le frère et lasœur de Jean Hélène, Thierry et Cathe-rine Baldensperger, le visage grave, s’ins-tallent dans la salle en compagnie del’avocat de la famille. Ils déclinent leuridentité et se constituent partie civile. Les avocats de la défense tentent alors decontester le fait que RFI et l’organisationReporters sans frontières se soient consti-tuées parties civiles. Après une courtedélibération, le tribunal rejette leur argumentaire.

Dans l’après-midi, le tribunal donnelecture de l’ordonnance de renvoi du juged’instruction en charge du dossier. Undocument accablant pour le prévenu dontla conclusion indique que le sergent “a volontairement donné la mort à Chris-tian Philippe Baldensperger, dit JeanHélène”. Séri Dago plaide non coupable.Les interrogatoires savamment menés parle juge le confondent tout comme lesdépositions d’une dizaine de témoins,parmi lesquels l’ex-directeur général de lapolice nationale, Adolphe Baby.

“IL Y AURA ENCORE D’AUTRES JEAN HÉLÈNE !”

Le deuxième jour du procès débute parles plaidoiries de la partie civile. Me Jean-Marc Delas réclame, au nom de la famille,

143,5 millions de francs CFA (environ220 000 euros) de dommages et intérêts.Les avocats de RFI et de Reporters sansfrontières demandent un franc CFA dedommages et intérêts pour préjudicemoral. Dans l’après-midi, le procureurmilitaire requiert quinze ans d’emprison-nement pour le sergent Théodore SériDago.

Le verdict tombe à 18 heures, autroisième jour du procès. Séri Dago estcondamné à dix-sept ans de prison etradié du corps de la police. “Je suis inno-cent, je suis innocent”, crie le prévenuavant de s’effondrer sur sa chaise. Leverdict a été prononcé en l’absence desparties civiles et de la famille de JeanHélène, dissuadées de se rendre au palaisde justice par les autorités consulairesfrançaises, pour “raisons de sécurité ”.

Des membres du comité de soutien ausergent Séri Dago, repoussés hors du tribunal par les forces de l’ordre, lancentau groupe de journalistes étrangers quiquitte la salle : “On va vous tuer, tous lesblancs ! Il y aura encore d’autres JeanHélène !”

Christophe Koffi

Le sergent Séri Dago est condamné à dix-sept ans de prison et radié du corps

de la police

CÔTE D’IVOIRE • BILAN 2003

2 journalistes tués1 journaliste incarcéré2 journalistes interpellésau moins 16 journalistes agressés au moins 6 journalistes menacés

“Je suis innocent”, s’écrie Séri Dago (à gauche) à la lecture du verdict

Page 11: Libertà d\'informazione

11REPORTERS SANS FRONTIÈRES

Au Zimbabwe, le monde des médiasconnaît un tournant décisif quand, début2000, le président Robert Mugabe, aupouvoir depuis l’indépendance du paysen 1980, nomme Jonathan Moyo minis-tre de l’Information. Ancien professeurde sciences politiques, Jonathan Moyo apublié, quelques années auparavant, desarticles très critiques envers le présidentMugabe, condamnant son autoritarismeet sa mauvaise gestion de l’économienationale. Aujourd’hui, après avoirretourné sa veste, il soutient de toutes sesforces le chef de l’Etat.

C’est ce même Monsieur Moyo qui,en tant que ministre de l’Information,rédige la très répressive loi sur l’accès àl’information et la protection de la vieprivée (AIPPA). Dès sa promulgation, cetexte rend la vie des journalistes impossi-ble, notamment ceux du secteur privécomme les employés de l’AssociatedNewspapers of Zimbabwe (ANZ), legroupe de presse auquel appartiennent lequotidien The Daily News et l’hebdoma-daire The Daily News on Sunday. Cette loioblige en effet les médias à demander unelicence d’exploitation à une Commissionofficielle composée de sept membresnommés par le gouvernement, et tous lesjournalistes à solliciter une accréditationindividuelle.

MENACES ET ACCUSATIONSINFONDÉES

En janvier 2003, la direction de l’ANZ,jugeant ce texte anticonstitutionnel,refuse de s’enregistrer auprès de la Com-mission. Fort contrarié, le gouvernementdéclare que le groupe de presse n’est pasau-dessus des lois. Dans les mois qui sui-

vent, plusieurs journalistes du Daily Newssont arrêtés. D’autres sont maltraités,menacés ou harcelés pour une raison oupour une autre. A chaque fois, les autori-tés invoquent l’AIPPA ou un autre textetout aussi répressif, la loi sur l’ordrepublic et la sécurité (POSA), qui n’estqu’une version amendée de l’ancienne loicoloniale appliquée pendant les annéesIan Smith.

Certains des actionnaires de l’ANZvivant à Londres, le gouvernement se faitfort d’affirmer que ce groupe de presseest dirigé par des “ennemis du pays” basésà l’étranger. Quant à son actionnaireprincipal, Strive Masiyiwa, c’est unhomme d’affaires zimbabwéen qui résideen Afrique du Sud. En raison de ses arti-cles dénonçant la corruption et la mau-vaise gestion du pays, le Daily News est

LES SIX ANS DE LUTTE DU DAILY NEWSThe Daily News est l’unique quotidien privé du Zimbabwe. Lancé en 1999, il était

lu par plus de 500 000 personnes avant sa fermeture en septembre 2003 par le

gouvernement de Robert Mugabe. Après un véritable marathon judiciaire, il a été autorisé à reparaître

le 21 janvier 2004. Au lendemain de sa réouverture, John Gambanga, directeur adjoint de la rédaction du

quotidien, est revenu sur l’acharnement des autorités à faire taire la seule voix indépendante du pays.

Le Daily News est accusé par les autorités d’être utilisé

par les Etats-Unis ou le Royaume-Uni pour déstabiliser le Zimbabwe

Zimbabwe

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REPORTERS SANS FRONTIÈRES12

Zimbabwe

accusé par les autorités d’être utilisé parles Etats-Unis ou le Royaume-Uni pourdéstabiliser le Zimbabwe et imposerMorgan Tsvangirai, leader du Mouve-ment pour le changement démocratique(opposition), à la tête du pays. Dès lors, laplupart des officiels refusent d’accorderdes interviews au quotidien. De son côté,la police intime l’ordre à ses hommes dene faire aucun commentaire aux journa-listes du Daily News.

BATAILLE DANS LES PRÉTOIRES

Dans le même temps, les attaques contrele journal s’intensifient. En 2000, desanciens combattants fidèles à RobertMugabe scandent des chants patriotiquesdevant les locaux de la rédaction.Quelques jours plus tard, des pierres sontjetées par des inconnus sur sa façade.En janvier 2001, une bombe puissantedétruit l’imprimerie du groupe. Selon denombreux observateurs, les forces del’ordre sont les seules à disposer du type

d’explosif employé. Puis l’un des fonda-teurs du journal, Geoff Nyarota, est vic-time d’une tentative d’assassinat par unindividu se disant envoyé par le gouver-nement. Ce que les services secrets s’em-pressent de démentir.

Le dernier coup est porté en septem-bre 2003 quand le gouvernementordonne la fermeture du Daily News,accusé, faute de licence, de fonctionnerdans l’illégalité. Des policiers sont alorsdéployés dans les bureaux du quotidien età l’imprimerie du groupe. L’ANZ déposeaussitôt un recours en justice. Une nou-velle bataille s’engage ; elle va se jouerdans les prétoires.

A deux reprises, cinq des directeurs,dont le directeur exécutif, Sam SipepaNkomo, sont arrêtés et doivent compa-raître devant un juge. En 2003, le DailyNews obtient gain de cause à cinq reprisesaprès avoir demandé à la justice sa réou-verture. A chaque fois, le gouvernementdéfie le pouvoir judiciaire en empêchantle quotidien de reprendre sa parution.

Finalement, le 21 janvier 2004, laHaute Cour ordonne à la police de quit-ter les locaux de l’ANZ. Et les forces del’ordre obtempèrent. Aussitôt est publiéun numéro spécial de huit pages en espé-rant que les malheurs du journal sontterminés. Au moins pour un moment.

John Gambanga

Pour en savoir plus: www.rsf.org

John Gambanga (à gauche) a reçu à Paris le Prix Reporters sans frontières - Fondation de France 2003 décerné au Daily News dans la catégorie “Médias”

En janvier 2001, une bombe puissante détruit

l’imprimerie du groupe de presse auquel appartient

le Daily News

ZIMBABWE • BILAN 2003

3 journalistes incarcérés27 journalistes interpellés6 journalistes agressés

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13REPORTERS SANS FRONTIÈRES

TROIS ANS SANS INFORMATIONINDÉPENDANTE

Les pressions de la communauté interna-tionale sont tout simplement inefficaces.Ni les organisations de défense des droitsde l’homme, ni les gouvernements occi-dentaux ne sont parvenus à faire revenirle chef de l’Etat erythréen, Issaias Afeworki,sur ses positions.

C’est une situation unique au monde :le 18 septembre 2001, le gouvernement afait fermer tous les journaux privés etemprisonner les principaux journalistes.Depuis, les Erythréens n’ont pour seulessources d’information que la presse offi-cielle et les quelques radios étrangèrescaptées dans le pays.

Au moins quatorze journalistes crou-pissent quelque part, en prison. En effet,leurs familles n’ont que très peu d’infor-mations sur leur sort et, la plupart dutemps, ne savent même pas où sont détenus leurs proches.

Les dernières déclarations des autori-tés sont particulièrement inquiétantes.En août 2003, le ministre de l’Informa-tion a prétendu que les journalistesemprisonnés étaient en réalité des “traî-tres” et des “espions à la solde de paysennemis”. Si un juge retient ces chefsd’inculpation, ils seront passibles de lapeine capitale.

Rien ne bouge en Erythrée, qui reste la plus grande prison du continent africain

pour les journalistes, et l’un des derniers pays au monde sans presse privée.

En août 2003, le ministre de l’Information

a prétendu que les journalistes emprisonnés

étaient en réalité des “traîtres” et des “espions

à la solde de pays ennemis”

Erythrée

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REPORTERS SANS FRONTIÈRES14

Cuba, le président Fidel Castro a tenté devenir à bout de la dissidence en lançant unvaste coup de filet dans ses rangs. 75 dissi-dents ont été arrêtés pour “actes contre l’E-tat”. Parmi eux, 27 journalistes indépendantsdont le plus éminent d’entre eux, Raúl

Rivero. Leur crime ? Publier des articles à l’étranger et avoirrencontré des diplomates américains. Leurs armes ? Des machi-nes à écrire et des stylos saisis à leurs domiciles. Au terme deprocès expéditifs au cours desquels leur droit à la défense a étébafoué, ils ont été condamnés à des peines allant de 14 à 27 ansde prison. Leurs collègues restés “libres” sont depuis menacésde les rejoindre en détention. Si cette vague d’arrestations adéclenché la réprobation internationale, elle a consolidé lemonopole de l’Etat sur l’information.

En Haïti aussi, la situation de la liberté de la presse resteextrêmement préoccupante. Le président Jean-Bertrand Aris-tide a choisi la stratégie de l’impunité pour faire régner la ter-reur parmi ses contradicteurs, au premier rang desquels les jour-nalistes. Ainsi, les assassins de deux journalistes tués en 2000 et2001 n’ont toujours pas été punis. En 2003, une quarantaine dejournalistes ont été menacés ou agressés par des “chimères”, desdélinquants recrutés dans les bidonvilles par le pouvoir pourexécuter ses basses œuvres. En fin d’année, la multiplicationdes manifestations réclamant ledépart du président Aristide s’estaccompagnée d’une augmenta-tion des attaques contre la presse.

Avec cinq journalistes tués enColombie en 2003, ce pays restele plus dangereux de la régionpour la profession. Quatre jour-nalistes ont été tués après avoirdénoncé des affaires de corrup-tion ou de fraudes impliquant desélus locaux, voire les collusions deces derniers avec les groupesarmés, paramilitaires d’extrême

droite ou guérillas communistes, qui contrôlent ou se disputentdes régions entières. Là, soumises à leurs pressions constantes età celles de l’armée, les rédactions n’osent plus informer. Mena-ces, agressions, enlèvements, assassinats restent le quotidien desjournalistes. Par ailleurs, après l’adoption d’un statut antiterro-riste qui remet en cause le secret des sources, le gouvernementd’Alvaro Uribe Vélez apparaît de plus en plus comme unemenace potentielle pour la presse.

Aux Etats-Unis, l’attitude de l’administration du présidentBush à l’égard de la liberté de la presse diffère selon que sonaction s’inscrit sur le territoire américain ou à l’extérieur desfrontières. Dans le premier cas, la situation reste globalementsatisfaisante. En revanche, l’armée américaine a été responsablede la mort de cinq journalistes en Irak et le travail des journalis-tes qui se rendent à la prison de Guantanamo (Cuba), où sontdétenus les suspects de terrorisme, est toujours étroitementcontrôlé.

L’IMPUNITÉ TOUJOURS À L’ŒUVRE

Au moins trois autres professionnels de la presse ont été tuésdans l’exercice de leurs fonctions au Brésil (2) et au Guate-mala (1). Si, en Colombie, l’impunité explique largement, annéeaprès année, la répétition des assassinats, au Brésil, au Costa

Rica, au Mexique, des enquêtessérieuses ont débouché sur desarrestations de suspects, voire surdes procès. Au Chili et au Pérou,certaines enquêtes sur des casanciens ont été relancées. Cesprogrès notables restent cepen-dant fragiles. En Argentine, lesassassins du photographe JoséLuis Cabezas ont bénéficié d’uneréduction de peine importante,certes légale mais incompréhen-sible au regard du traumatismesuscité par l’exécution du journa-

AMÉRIQUESLA PRESSE VICTIME DE L’INSTABILITÉ POLITIQUELe continent américain reste une terre de contraste pour la liberté de la presse. Généralement

respectée, elle est quotidiennement bafouée à Cuba, en Colombie ou en Haïti. Dans plusieurs pays,

la presse a dû faire face, en 2003, à une recrudescence des violences, souvent liée à des situations

de crise politique, parfois virulente, comme en Bolivie. Sur l’ensemble du continent, des réformes

législatives sont encore nécessaires pour garantir une totale liberté de la presse.

Aux Etats-Unis, l’attitude de l’administration du

président Bush à l’égard de la liberté de la presse diffère selon que son action

s’inscrit sur le territoire américain ou à l’extérieur des frontières

A

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15REPORTERS SANS FRONTIÈRES

Amériques

liste en 1997. Au Brésil, l’assassin d’un journaliste a bénéficiéd’une surprenante libération, trois mois seulement après sacondamnation à 18 ans de prison.

Dans plusieurs pays latino-américains, la presse a fait lesfrais de l’instabilité politique. En Bolivie, et dans une moindremesure au Pérou, elle a été victime du climat de contestation.Lors de la répression des émeutes qui ont conduit au départ duprésident bolivien Sanchez de Lozada, plusieurs médias et journa-listes ont été attaqués ou menacés, principalement par les forcesde l’ordre. Au Guatemala, la campagne pour l’élection présiden-tielle s’est accompagnée d’une multiplication des agressionscontre les journalistes - dont l’un a perdu la vie -, liées essentielle-ment à la candidature controversée de l’ancien dictateur JoséEfraín Ríos Montt. En Equateur, plutôt que de répondre sur lesaccusations de financement de sa campagne par un narcotrafi-quant, le président Lucio Gutiérrez a préféré menacé de poursui-vre le quotidien El Comercio, à l’origine des révélations.

On constate une nouvelle fois une différence entre la pressenationale, qui bénéficie d’un fort pouvoir et ne subit plus d’im-portantes pressions, et la presse locale ou régionale, encore auxprises avec des élus locaux, des fonctionnaires ou des policiersqui acceptent mal la critique. Au Mexique, en Argentine ou auPérou, la majorité des attaques visaient des médias locaux. AuBrésil, l’un des deux journalistes tués travaillait pour une radiod’une ville du nord-est du pays. Malheureusement, la pressenationale ne se montre pas toujours solidaire de ses confrères dela presse régionale et ces atteintes à la liberté de la presse passentparfois inaperçues.

La situation au Venezuela reste particulière. Plus de 80 casd’agressions ou de menaces contre des journalistes ont été

recensés, le plus souvent lors de la fin de la grande grève contrele président Hugo Chávez, en janvier et février. Si la plupartétaient imputables aux partisans du Président qui dénonçaient leparti pris antichaviste des grands médias, quelques attaquesvisaient des médias progouvernementaux. Les nombreusesmenaces brandies par le gouvernement contre la presse au len-demain de la grève de l’opposition n’ont pas été mises à exécu-tion et la situation de la liberté de la presse a retrouvé une stabi-lité précaire en fin d’année.

LE SECRET DES SOURCES MENACÉ

Les législations de plusieurs pays reflètent encore un processusde démocratisation inachevé. Au Panama, au Chili, en Equa-teur, des lois protègent encore “l’honneur” des fonctionnaireset des élus malgré une déclaration adoptée par la Commissioninteraméricaine des droits de l’homme (CIDH) qui réclame leursuppression. Au Costa Rica, la presse dénonce l’effet inhibiteurdu code pénal qui sanctionne notamment la simple reproduc-tion de propos offensants. En République dominicaine, troisjournalistes ont été arrêtés après avoir critiqué le présidentMejía. Candidat à sa propre succession en 2004, ce dernier sem-ble, par ailleurs, avoir fait main basse sur le plus grand groupe depresse privée à la faveur de la mise en faillite de son propriétaire.

En Amérique du Sud comme en Amérique du Nord, le sec-ret des sources est par ailleurs toujours menacé. Au Paraguay ouau Chili, des journalistes ont été convoqués pour livrer leurssources. Aux Etats-Unis, les juges menacent d’incarcérationpour “outrage à la cour” ceux qui refusent de révéler l’identitéde leurs informateurs. Enfin, au Canada, la police continue deconsidérer les journalistes comme des “auxiliaires de justice” etsollicite des mandats de perquisition pour saisir, dans les rédac-tions, les images qu’elle considère profitables à ses enquêtes.

Régis Bourgeat

Responsable Amériques de Reporters sans frontières

Pour plus d’informations, pays par pays: www.rsf.org

En Amérique du Sud, la presse locale est soumise

à de fortes pressions

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17REPORTERS SANS FRONTIÈRES

Une simple ramette de 500 feuillesde papier blanc. Devant ce cadeauinespéré que nous lui offrons en arrivantchez lui, le regard de Bernardo ArévaloPadrón, géant au vaste sourire, s’éclaire.Du fond de sa maisonnette d’Aguada dePasajeros, ville de 31 000 habitants, il vaenfin pouvoir s’atteler à son travail dejournaliste indépendant.

Depuis quelques semaines, cetteforce de la nature, âgé de 37 ans, dont sixpassés dans les geôles cubaines, a retro-uvé l’air libre et sa femme Libertad.

Arrêté le 18 novembre 1997,emprisonné pour avoir traité Fidel Cas-tro, le chef de l’Etat cubain, de “men-teur”, sur les ondes d’une radio, Bernardon’a pas changé. “Il est même plus fort”,lance sa blonde épouse.

“Filleul” de l’hebdomadaire Pèle-rin, via Reporters sans frontières, il areçu régulièrement les marques de sou-tien des lecteurs, lettres ou colis. “Cesmanifestations furent d’une grande aide”,assure aujourd’hui Bernardo. Car le trai-tement infligé aux prisonniers cubainsbafoue en permanence les droits essen-tiels de la personne humaine.

Incarcéré dans plusieurs centresde détention, Bernardo a vécu, durant laplus longue partie de sa peine, avec 28détenus de droit commun dans une cel-lule prévue pour 20 personnes. Unecohabitation d’autant plus insupportableque ses “camarades”, dans l’espoir d’uneremise de peine, lui volaient ses lettrespour les remettre à la police. Sans comp-ter la nourriture détestable, les punaises àfoison, l’humidité omniprésente, la vio-lence des gardes…

Bernardo porte encore sur la tête,le nez et la lèvre, les traces de coupsde matraque reçus le 11 avril 1998. Cejour-là, il avait osé crier : “A bas Fidel !”

En retrouvant ses biens les pluschers (“le soleil, ma famille et l’oxy-gène”), notre ami, taillé comme un roc,

LE JOURNALISTEBERNARDO ARÉVALOPADRÓN ENFIN LIBRE ?

L’hebdomadaire Pèlerin Magazine, qui avait accepté de parrainer Bernardo Arévalo Padrón après

sa condamnation à six ans de prison en novembre 1997, avait souhaité le rencontrer chez lui quelques

jours après sa libération, le 3 novembre 2003.

semble avoir renoué avec une forme et unmoral d’acier. Deux semaines après salibération, seuls son crâne rasé et sa voix,enrouée en permanence, trahissent les sixannées de cachot. Ses maux de dos chro-niques, ravivés lors de son passage encamp de travail forcé, ne se réveillent quepar crises.

Bernardo a retrouvé sa petite mai-son d’Aguada, où il vit avec ses beaux-parents, sa nièce de 12 ans et sa femme.Devenue son épouse cinq ans avant l’ar-restation, Libertad, 43 ans, catholiqueengagée, a attendu son mari, frêle maissolide…

Le matin de sa libération, le pre-mier coup de fil fut pour elle : “Nousnous sommes donné rendez-vous àl’église pour prier. C’était une promesseque nous nous étions faite.” Quatre joursplus tard, Bernardo partait pour la capi-tale, La Havane, à 140 km. “Il fallaitabsolument que je rende visite à lafamille, aux amis, et que je signe le projetVarela1.” En donnant ainsi sa voix à cette

initiative porteuse d’espoir, Bernardoredéfinit sa priorité : continuer à défen-dre avec acharnement les droits desopprimés.

Il y a quinze ans, le destin du jeunehomme, élevé au lait de la révolutioncubaine, semblait prendre une toutautre direction. Engagé comme policierà la sécurité d’Etat, il avait pour missionde surveiller les militants des droits del’homme pour les dénoncer au régime.Mais en 1988, son frère meurt, à 17 ans,d’un problème de cœur, faute de soins.Le policier prend alors conscience dumensonge sur lequel est construite la“révolution”. Et, sur la tombe de sonfrère, le jeune Cubain jure de “luttercontre le communisme jusqu’à (sa)mort”.

Il se branche alors régulièrementsur Radio Marti, qui émet à Cuba depuisMiami (Etats-Unis), où vivent plus d’unmillion de ses compatriotes émigrés. Moinsde deux ans plus tard, il quitte la police etdevient employé des chemins de fer.

Bernardo et son épouse Libertad, deux semaines après sa libération, dans leur maison d’Aguada de Pasajeros

Cuba

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REPORTERS SANS FRONTIÈRES18

Cuba

En 1996, il fonde l’agence de presseindépendante Linea sur (Ligne sud). Il consigne toutes les violations des droitsde l’homme et les signale à une agence depresse de Miami.

En prison, Bernardo continue d’ê-tre vigilant. Dans le Nouveau Testamentqu’il s’est procuré en soudoyant un gar-dien, il note les tracas de la vie quoti-dienne. Au fil des pages, ses annotationsse mêlent aux textes des Evangiles.Extrait : “Vendredi 27 novembre 1998.Ce matin, le détenu de droit communAlexis Gonzalez Ibanez a jeté son mor-ceau de viande par terre. Les gardiens ontalors appelé la garnison et l’ont emmenédans leur bureau. Ils lui ont fait nettoyerle sol jusqu’à l’exténuer. Le lendemain, ils’est mis en grève de la faim.”

A sa sortie de prison, Bernardo asouhaité retrouver son poste d’employédes chemins de fer. Les autorités ontrefusé. Il reprend donc sa “mission” dejournaliste indépendant. D’où sa joiede récupérer le papier venu de France,outil de travail presque introuvable àCuba. S’il pose de temps à autre sonindex sur ses lèvres pour rappeler à soninterlocuteur que les murs cubains ontdes oreilles, Bernardo, surveillé par lapolice, semble avancer bille en tête.

Prudent ? “ Je n’en suis pas sûre ”,confie Libertad en levant les yeux au ciel.L’épouse, qui vient de retrouver son marideux semaines avant leur anniversaire demariage (11 ans), tremble à chaqueinstant : “J’ai peur qu’il retourne enprison !” Seule solution : l’exil. En 1997,avant l’arrestation de Bernardo, le coupleavait déposé une demande d’exil en Espa-gne. Les événements ont interrompu l’af-faire.

Aujourd’hui, ils demandent auxEtats-Unis de les accueillir. Ils souhai-tent partir tous les deux, accompagnés dela maman de Bernardo, âgée et malade.De là-bas, le Cubain, enfin libre, pourracontinuer à apporter sa pierre au seul projet qui le motive aujourd’hui : “La liberté pour le peuple tout entier.”

Sophie Autignac

Pour en savoir plus : www.rsf.org

1 Le Projet Varela a été lancé par Oswaldo Paya Sar-diñas, président du Mouvement chrétien de libération,un parti (illégal) d’opposition. Cette pétition réclamaità l’Assemblée nationale l’organisation d’un référen-dum sur l’amnistie des prisonniers politiques et lamise en place d’une société pluraliste. En respectantune procédure d’initiative populaire prévue par laConstitution cubaine, elle a recueilli plus de vingtmille signatures.

LE “PARRAINAGE” DES MÉDIAS

Depuis 1989, Reporters sans frontièrespropose à des rédactions françaises etétrangères de parrainer des journalistesemprisonnés pour avoir exercé leurmétier. Les parrains sont ainsi invités àsoutenir un confrère afin que son cas nesoit pas oublié et que la médiatisation desa situation le protège de ses geôliers.En lui adressant du courrier en prison, ense rapprochant de sa famille, en protes-tant auprès des autorités concernées,en leur demandant régulièrement sa libé-ration, en mobilisant les lecteurs, audi-teurs, téléspectateurs et internautes surson cas, les rédactions qui parrainentsoutiennent ces hommes et femmesdont le seul crime est d’avoir voulu nousinformer. Elles sont 200 dans le mondeaujourd’hui.

Bernardo Arévalo Padron était sou-tenu par : A Nous Paris !, Amiens Métro-pole, Associacion de la prensa deMadrid, Canoa-Periodico Digital : mica-noa.com, El dorado/Isto E, El Mundo, El Pais, El Punt, Grupo Correo (El Cor-reo, El Diaro Vasco), Imagenes ameri-canas, L’Hebdo, La Dernière Heure, La Presse, La Tribune de Genève, Le Courrier Picard, La Gazette de Dijon,Le Figaro Etudiant, Mon Quotidien/L’Actu, Notre Temps, Paris Match, Pèlerin Magazine, Quo, Radio suisseRomande, RFO/AITV, RTL.

CUBA • BILAN 2003

30 journalistes incarcérés5 journalistes interpellés5 journalistes agressés

Une famille enfin réunie. Libertad, Bernardo et ses beaux-parents dans le jardin de leur maison

La déposition de Libertad, l’épouse de Bernardo, en faveur du prisonnier et les photos prises à sa sortie de prison

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19REPORTERS SANS FRONTIÈRES

LE PAYS LE PLUS MEURTRIER DU CONTINENT

Cinq journalistes tués, près d’une soixan-taine enlevés, menacés ou agressés, plusd’une vingtaine obligés de quitter leurrégion, voire leur pays … le bilan desatteintes à la liberté de la presse en 2003est particulièrement lourd. Et encore, ceschiffres ne sont pas exhaustifs, tant lesjournalistes préfèrent garder le silence surles menaces qu’ils reçoivent, de peur de seretrouver plus exposés encore.

LES FORCES DE L’ORDRE TOUJOURS PLUS INTOLÉRANTES

Plus que les années précédentes, les élusou les forces de l’ordre ont été mis encause dans les attaques contre la presse.Quatre des cinq journalistes tués avaientdénoncé la corruption et les fraudes d’éluslocaux, ou des violences commises par lesforces de l’ordre. La mort de LuisEduardo Alfonso, qui devait bénéficier duprogramme gouvernemental de protec-tion des journalistes, pose la question desefforts des autorités pour assurer la sécu-rité de ces derniers.

Une situation extrême qui s’expliquepar la totale impunité dont bénéficient lesassassins de journalistes. A ceux qui récla-ment justice, l’Etat fait valoir le manquede moyens et l’ampleur de la tâche dansun pays où les morts violentes se comp-tent par dizaines de milliers chaque année.Cependant, on peut s’interroger sur laréelle motivation des autorités à combat-tre l’impunité lorsque l’enquête sur

Les morts de cinq journalistes figurent en tête de la longue liste des attaques que subissent

les rédactions et les reporters. Tous sont aux prises avec les guérillas et les groupes paramilitaires

qui se disputent le contrôle de régions entières d’où l’information est quasiment absente.

Mais les agents de l’Etat ne sont pas en reste.

l’assassinat, en 1999, du célèbre journa-liste et humoriste Jaime Garzón s’estconclue par le procès de deux truandsdont tout porte à croire qu’ils n’étaientque de simples boucs émissaires. Aumoins dix journalistes ont par ailleurs étéinterpellés, menacés, agressés ou empê-chés de faire leur travail par des forces del’ordre toujours plus intolérantes à l’é-gard de la presse, surtout lorsque celle-cicouvre le conflit en cours.

Par ailleurs, après l’adoption d’un“statut antiterroriste” qui remet en causele secret des sources, le gouvernementd’Alvaro Uribe Vélez apparaît de plus enplus comme une menace potentielle pourla presse.

CERTAINES RÉGIONS SE VIDENTDE LEURS JOURNALISTES

Parallèlement, les atteintes à la liberté dela presse imputables aux trois groupesarmés les plus importants se sont pour-suivies. Qu’il s’agisse des Autodéfensesunies de Colombie (AUC, paramilitai-res), dont le principal leader reste CarlosCastaño, des guérillas des Forces arméesrévolutionnaires de Colombie (FARC,marxistes), dirigées par Manuel Maru-landa, et de l’Armée de libération natio-nale (ELN, guévariste), avec à sa têteNicolas Rodríguez Bautista, tous n’ontcessé de s’en prendre aux journalistesqu’ils soupçonnent de faire le jeu ducamp adverse. Dans les régions que

contrôlent ou se disputent les groupesarmés, la population n’a plus aucun accèsà une information libre et fiable. Danscertaines régions, les professionnels de lapresse doivent également composer avecl’armée, également soucieuse de contrô-ler l’information. La situation sur le ter-rain est souvent si compliquée que lesjournalistes sont dans l’incapacité de pou-voir désigner leurs agresseurs. RosaOmaira, journaliste dans le départementdu Choco (Ouest) a dû quitter sa villepour Bogotá en raison de menaces impu-tées aux FARC. Mais dans la capitale, cesont les AUC, dont elle dénonçait égale-ment les exactions, qui l’ont menacée, l’o-bligeant à changer de domicile à plusieursreprises. Les liens entre certains élus et lesgroupes armés rendent l’environnementencore plus complexe et plus dangereuxpour la profession.

En Arauca, un département pétroli-fère situé à la frontière avec le Venezuela,la situation est devenue tout simplementinvivable. Après la mort d’Efrain AlbertoVarela en 2002, un deuxième journaliste aété tué en 2003, sept autres enlevés, troisinterpellés, deux agressés, et un arrêtéet accusé de “rébellion”. Début avril,l’Arauca s’est même vidé de ses journalistesaprès l’apparition de leurs noms sur des“listes noires” émanant des groupesarmés. Sur les seize cités, treize ont décidéde quitter la région puis sont revenus etne se déplacent plus désormais qu’engroupes et accompagnés de gardes ducorps. Une situation inédite.

Colombie

Les journalistes préfèrentgarder le silence sur

les menaces qu’ils reçoivent,de peur de se retrouver plus

exposés encore

COLOMBIE • BILAN 2003

4 journalistes tués2 journalistes incarcérés3 journalistes interpellés11 journalistes enlevés8 journalistes agressés31 journalistes menacés

Des paramilitaires en patrouille

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REPORTERS SANS FRONTIÈRES20

Agressions, mitraillage de domiciles oude stations de radio, harcèlement, mena-ces ouvertes ou anonymes, les pressionsétaient multiples. La plupart des journa-listes blessés en 2003 couvraient desmanifestations. Mais d’autres attaquesavaient des cibles spécifiques. Ainsi, lesjournalistes Nancy Roc et Goudou JeanNuma de Radio Métropole ont vu des “chi-mères”, comme l’on appelait les groupesde mercenaires armés progouvernemen-taux, tirer sur leur résidence ou tenter d’ymettre le feu. A la suite de menaces demort, crédibles et répétées, contre lesjournalistes de Radio Haïti Inter et deuxmois après l’attentat de décembre 2002qui me visait et qui a coûté la vie à mongarde du corps, Maxime Seide, nousavions dû éteindre nos émetteurs, le 22 février, pour protéger des vies. Le 28 octobre encore, des individusarmés de mitraillettes ouvraient le feu surles locaux de la station privée Radio Caraï-bes, à Port-au-Prince.

LES MÉDIAS DANS LA TOURMENTEDepuis l'assassinat de son mari, le journaliste Jean Dominique, en avril 2000,

Michèle Montas, ancienne directrice de Radio Haïti Inter, est engagée dans la lutte

contre l'impunité. Contrainte de fermer la station puis de quitter Haïti après un attentat dont elle a

été victime à Noël 2002, elle dénonce les violences dont a été victime, en 2003, la presse haïtienne,

avant que les troubles qui ont secoué le pays ne débouchent sur la démission, le 29 février 2004,

du président Jean-Bertrand Aristide.

LES JOURNALISTES VICTIMES DE L’INTOLÉRANCE

Les menaces visaient à forcer la presse àl’autocensure ou au silence. Le 3 mai,Liliane Pierre-Paul, responsable de RadioKiskéya, recevait un paquet contenant unecartouche de calibre 12 mm accompagnéed'une lettre de menaces de mort. La lettreétait signée d’organisations populairesproches du parti Lavalas au pouvoir etdont l’une “Domi nan Bwa” est à l’originedu meurtre du journaliste Brignol Lindoren 2001. Ces groupes armés, en guerrecontre les manifestants antigouverne-mentaux, agressaient les journalistesaccusés d’être des têtes de pont de l’oppo-sition au président Jean-Bertrand Aris-tide. La spirale de violence qui s’étaitaccrue en fin d’année 2003 a frappé desmédias d’options politiques divergentes àtravers leurs journalistes qui payaient lesfrais de l’intolérance et de l’impunité. Le11 novembre, les locaux de la radio privéePyramide, à Saint-Marc au nord de Port-

au-Prince, considérée proche du pouvoir,étaient saccagés par des opposants armésau président Aristide. Le 17 décembre,une équipe de Radio Solidarité était atta-quée par des manifestants antigouverne-mentaux. Mais ces cas étaient rares alorsque les agressions de chimères pro-Aris-tide contre journalistes et médias se mul-tipliaient, dans un climat de violence ver-bale sans précédent des deux côtés.

Les déclarations contre la presse de mem-bres influents du gouvernement et duparti au pouvoir ont été symptomatiquesd’une nouvelle tendance. Alors que laliberté de la presse ne faisait l’objetd’aucune censure officielle ou restrictionlégale, le 21 septembre, lors d'une émis-sion diffusée sur plusieurs radios et télévi-sions de Port-au-Prince, le ministre de laJustice, Calixte Delatour, et le secrétaired'Etat à la Communication, Mario Dupuy,menaçaient d’appliquer aux médias la loisur les télécommunications adoptée le12 octobre 1977 par le dictateur Jean-Claude Duvalier, et rendue caduque parla Constitution de 1987 qui condamne lacensure, protège les sources des journalis-tes et l'entreprise privée. Le 28 septem-bre, le député Lavalas Nahoum Marcellusaccusait plusieurs stations de radio derecevoir des fonds venant de l’étrangerpour mener une campagne contre le gou-vernement et appelait les partisans dugouvernement à leur régler leur compte.Les déclarations de ces parlementaires ou

Haïti

Les déclarations de certains parlementaires oumembres du gouvernementétaient interprétées commeune légitimation des exac-tions contre les journalistes

La spirale de violence a frappé des médias des deux bords

Page 21: Libertà d\'informazione

21REPORTERS SANS FRONTIÈRES

membres du gouvernement ou les ser-mons prononcés en chaire contre la pressepar des prêtres pro-Lavalas, parfois mêmeen présence du chef de l’Etat, étaientinterprétés comme une légitimation desexactions contre les journalistes.

UNE IMPUNITÉ TENACE

Dans un pays où le verbe est tout-puis-sant, le caractère systématique des mena-ces et des agressions contre la presse étaitalimenté par une impunité tenace. Aucundes recours en justice exercés par les jour-nalistes victimes d’agressions n'a abouti.Aucune enquête sérieuse n'a été menée àterme par les instances judiciaires. Ce cli-mat d’impunité était largement favorisépar la politisation de la police. L’expertindépendant des Nations unies, LouisJoinet, a souligné “l’absence d’une réellevolonté politique de lutter contre l’impu-nité, spécialement celle protégeant les“chimères”, dont le rôle est particulière-ment inquiétant pour l’avenir du pays”.

Ce climat d’impunité était également ali-menté par l’ingérence de l’exécutif dansles affaires judiciaires. Le choix délibéré del’impunité dans les dossiers des assassinatsde Jean Dominique et Brignol Lindor estcertainement à l’origine de cette dange-reuse spirale d’agressions brutales et déli-bérées contre la presse en 2003. Les com-manditaires présumés des assassinats desjournalistes Jean Dominique et BrignolLindor, tués respectivement en avril 2000et décembre 2001, circulent librement,

certains occupant des postes importantsdans l’appareil d’Etat. En 2003, les espoirsde justice se sont encore réduits.

Dans le cas de mon mari, Jean Domi-nique, l’ordonnance du juge d’instructionest sortie quatre mois après la tentatived’assassinat qui devait me faire définitive-ment taire. Cette ordonnance, signifiéeprès de trois ans après une instructionémaillée d’obstacles et d’incidents san-glants, ne conclut qu’à la mise en accusa-tion d’hommes de main, détenus depuistrois ans. Confrontés au spectre d’un pro-cès sans justice, nous avons, le 3 avril, dateanniversaire de l’assassinat, interjeté appel,en Haïti, contre l’ordonnance, pour exi-ger la mise en accusation des commandi-taires. Le 4 août, la cour d'appel de Port-au-Prince demandait l’ouverture d'unenouvelle instruction. Elle ordonnait éga-lement que trois des inculpés soient traduitsen justice. Le cas est cependant temporai-rement bloqué en cassation par le recoursde ces trois prisonniers, suspendant defait toute nouvelle instruction.

La famille Lindor s’est elle aussipourvue en cassation, après s’être vurefuser le statut de partie civile nécessairepour contester les résultats de l’enquête.Menacés, plusieurs témoins du lynchageannoncé du jeune journaliste ont dûquitter le pays.

UNE DANGEREUSE DICHOTOMIE

Alors qu’Haïti versait chaque jour un peuplus dans l’anarchie, la presse haïtienneétait prise dans une dangereuse dichoto-mie. D’une part, une machine de propa-gande gouvernementale, avec un culte duchef de l’Etat sans précédent depuis la findes dictatures, se déployait sur les médiasd’Etat et certains médias privés subven-tionnés ou contrôlés par le pouvoir. D’au-tre part, certains médias privés étaientdevenus partie prenante du renversementdu chef de l’Etat. Cette polarisation a faitune victime importante, le droit de lapopulation à être informée. Les faits

Dans un pays où le verbe est tout-puissant,

le caractère systématique des menaces et des agressionscontre la presse est alimenté

par une impunité tenace

HAÏTI • BILAN 2003

1 journaliste enlevé18 journalistes agressés8 journalistes menacés

étaient souvent outrageusement défor-més ou soigneusement sélectionnés parnombre de médias partisans, couvrantessentiellement l’événementiel politique.Les manifestations de rues étaient cou-vertes ou ignorées en fonction des posi-tions politiques des participants. Auxenquêtes, menées encore récemment parla presse indépendante, sur les réalitéséconomiques d’un pays aujourd’huiexsangue, sur l’étendue de la corruption,sur une majorité paysanne confrontée àl’indifférence criminelle d’un Etat enfaillite de gouvernance, se substituaitmalheureusement le relais pur et simplepar la presse d’accusations lancées par telou tel responsable politique. Les tentati-ves périlleuses de certains journalistes detenter de garder, au-dessus de la mêlée,un équilibre courageux en respectant lesfaits, en faisaient les cibles de l’intolé-rance. C’est la presse en tant que corpsqui devenait cible et avec elle, la libertéd’informer.

Michèle Montas

Pour en savoir plus : www.rsf.org

Jean Dominique, directeur de Radio Haïti Inter,assassiné le 3 avril 2000

Michèle Montas (à gauche), lauréate du Prix Reporters sans frontières - Fondation de France 2003 dansla catégorie “Défenseur des droits de l’homme”

Haïti

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REPORTERS SANS FRONTIÈRES22

ux conditions de détention déplorables s’a-joute la pratique courante de la torture. AuNépal, des journalistes ont été victimes de lapratique du falanga (coups violents sur laplante des pieds), du submarino (immersionforcée dans une baignoire) ou de chocs élec-

triques (essentiellement sur les organes génitaux). Certains ontété contraints de porter pendant plusieurs semaines une cagoulesur la tête. Au total, les forces de sécurité népalaises ont arrêté,détenu au secret, torturé ou menacé près d’une centaine de jour-nalistes. Au Pakistan, Khawar Mehdi Rizvi a été torturé par desagents des services secrets qui l’interrogeaient sur un reportageréalisé à la frontière avec l’Afghanistan. En Birmanie, la tortureest pratiquée au cours des premières semaines d’emprisonne-ment. Ensuite, les journalistes, comme les milliers d’autres pri-sonniers d’opinion, sont maintenus dans des conditions terribles.Après une visite à la prison d’Insein, le rapporteur spécial desNations unies sur la Birmanie a dénoncé l’“enfer” carcéral birman.

En 2003, trois journalistes ont été condamnés à mort. EnAfghanistan, deux responsables d’un hebdomadaire indépen-dant qui avaient demandé un régime laïc pour leur pays ont étéla cible d’une fatwa lancée par des religieux. En Birmanie, ZawThet Htwe, rédacteur en chef d’un journal consacré au football,a été condamné à la peine capitale par un tribunal militaire sousla fausse accusation de “tentative d’assassinat de dirigeants de lajunte militaire”. Au Pakistan, le directeur de publication Rehmat Shah Afridi croupit depuis plusieurs années dans uneprison de Lahore après avoir été condamné à la peine de mort àl’issue d’un procès truqué.

La Corée du Nord, quant à elle, ne connaît aucune formede pluralisme de l’information. Tous les médias sont dédiés auculte de la personnalité de Kim Jong-il.

La répression s’exerce parallèlement à un essor des médias.L’Inde connaît ainsi une croissance record du nombre de télévi-sions et de radios privées. Le développement des médias indé-pendants, notamment électroniques, est une tendance lourde enAsie. Les journalistes, qui font preuve de plus de courage etadoptent des standards d’information modernes, se trouventplus régulièrement confrontés à la violence et aux menaces. Faitnouveau, en Chine, les agressions de journalistes se sont multi-pliées. Des fonctionnaires locaux, des agents de sécurité privésou des délinquants supportent mal les enquêtes de reporterspoussés par leurs rédactions à sortir des scoops dans un contextede concurrence entre médias.

Aux Philippines, sept journalistes, la plupart reporters ouchroniqueurs de radios locales, ont été assassinés par des tueursà gages, notamment sur l’île de Mindanao (Sud). Et le bilan 2003aurait pu être beaucoup plus lourd : pas moins de cinq autresjournalistes ont échappé à des tentatives de meurtre. L’impunité

ASIE ET PACIFIQUEPLUS DE VIOLENCES CONTRE DES JOURNALISTESPLUS AUDACIEUXLes dictatures asiatiques ne baissent pas la garde. Avec 200 journalistes détenus en 2003,

l’Asie a été, de loin, la plus grande prison du monde pour les professionnels de l’information.

Les régimes communistes, mais également la dictature militaire birmane, sanctionnent ainsi

les journalistes qui réclament la liberté d’expression ou dénoncent la tyrannie. D’autres pays se

réclamant pourtant de la démocratie sont également à l’origine de très nombreuses arrestations.

Au Népal, les forces de sécurité ont arrêté, détenu au secret, torturé ou menacé

près d’une centaine de journalistesA

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23REPORTERS SANS FRONTIÈRES

Asie et Pacifique

dont bénéficient les assassins ne participe pas à endiguer la vio-lence contre la presse, qui n’avait jamais atteint un tel niveaudepuis 1987.

SEIZE JOURNALISTES ASSASSINÉS

Au total, seize journalistes sont morts en Asie en 2003 dansl’exercice de leur fonction. Reporters sans frontières continue àenquêter sur une quinzaine d’autres cas. Il est en effet souventdifficile de connaître les raisons exactes de meurtres où s’entre-mêlent journalisme, politique et affaires privées. D’autant plusque la police arrive très rarement à mettre la main sur les coupa-bles. Au Japon, un journaliste indépendant a été tué, vraisem-blablement pour ses enquêtes sur les mafias chinoises. Au Cam-bodge, l’animateur d’une radio royaliste a été abattu. Il est l’unedes victimes d’une vague d’assassinats d’opposants au Premierministre Hun Sen. La police, aux ordres, n’a fait aucun effortpour arrêter les meurtriers et identifier les commanditaires.

Les conflits régionaux ont également fait des victimes dansles rangs de la presse. En Inde, deux journalistes sont mortspour leur couverture du conflit au Cachemire. L’un, directeurd’une agence de presse locale, a été assassiné dans son bureau.Un troisième journaliste a étéenlevé dans la région d’Assam(Nord-Est) par des rebelles. Ilaurait été exécuté.

La guerre en Aceh, relancéepar l’armée indonésienne en2003, a coûté la vie à un reporteret à un cameraman de télévision.Ersa Siregar a été tué par des tirsde l’armée alors qu’il étaitdétenu par les rebelles séparatis-tes depuis plus de six mois. En Birmanie, c’est un photographeproche de la Ligue nationale pour la démocratie qui a été assas-siné par des nervis de la dictature lors de l’attaque, en mai, duconvoi d’Aung San Suu Kyi.

En 2003, au moins 600 journalistes ont été agressés oumenacés. Avec plus de 200 agressions et menaces de mort, leniveau de violence a encore augmenté au Bangladesh. A traversles agissements des militants politiques, notamment du parti aupouvoir, et des délinquants, c’est la possibilité pour les journalis-tes de couvrir librement des sujets cruciaux, notamment la cor-ruption et la collusion entre les politiques et le crime organisé,qui est menacée. Dans une moindre proportion, les journalistesafghans, libérés du carcan taliban, doivent toujours affronter lesmenaces des hommes de main des chefs de guerre. En mars et enavril, dans un climat politique tendu, les conservateurs afghansont menacé de représailles une dizaine de journalistes indépen-dants. Au Népal, c’est plus particulièrement sous la menace desforces de sécurité et des maoïstes que travaillent les correspon-dants en province.

LA CENSURE, UN VÉRITABLE FLÉAU

Plus de 190 médias ont été frappés par la censure. Les gouverne-ments et la justice disposent d’un arsenal impressionnant, ren-forcé dans une dizaine de pays par des lois antiterroristes adop-tées après le 11 septembre 2001, qui leur permettent desanctionner un média coupable d’avoir diffusé une informationjugée “subversive” ou dangereuse pour la sécurité de l’Etat. En Chine, le département de la propagande ne s’embarrasse pas

de la loi. Les journalistes qui gênent, notamment ceux des grou-pes de presse libéraux du sud du pays, sont écartés des rédactions.Le régime de Pékin a de cette façon interdit à la presse de rap-porter l’épidémie de SRAS au cours des premiers mois de 2003.

En Afghanistan, la Cour suprême, bastion du conservatisme,a interdit les chaînes de télévision étrangères. En Indonésie, l’ar-mée a utilisé la loi martiale pour imposer un black-out de l’in-formation sur la guerre dans la province d’Aceh. Un hebdoma-daire local a notamment fermé suite aux menaces exercées surson directeur.

Les ondes font également peur aux dictatures. Alors que laCorée du Nord dénonce les radios étrangères qui émettent encoréen comme des “ennemis à la solde des impérialistes”, laChine continue à brouiller les fréquences des services en chinoisde la BBC World Service ou de Radio Free Asia. Les sites Internetde ces médias, et de beaucoup d’autres organisations, sont inter-dits d’accès aux internautes chinois.

L’une des mauvaises nouvelles de l’année 2003 est venue deThaïlande. Le Premier ministre Thaksin Shinawatra a tout faitpour faire taire les voix critiques, avec la complicité de l’arméequi détient de nombreux médias électroniques. La presse enThaïlande reste pourtant d’une qualité supérieure à celles des

pays voisins, notamment le Laoset la Birmanie. Dans ces deuxpays, les médias sont une carica-ture de médias de propagande. EnBirmanie, une dizaine de magazi-nes privés tentent d’informer lapopulation, mais doivent compteravec la censure préalable desautorités militaires. Au contraire,Taiwan s’affirme chaque annéedavantage comme un pays leader

en termes de liberté de la presse en Asie.En Malaisie, à Singapour et dans le sultanat de Brunéi, les

autorités appliquent avec plus ou moins d’acharnement l’idéolo-gie conservatrice des “valeurs asiatiques” qui exclut la liberté dela presse. Les médias de ces pays peuvent parler assez librementde la situation internationale ou économique, mais les sujetssensibles de politique intérieure sont proscrits. Aux Maldives, leprésident Maumoon Abdul Gayoom, réélu en octobre avec90,28 % des voix, tolère très mal les critiques de la presse.

Au Japon, le gouvernement et les grands médias maintien-nent coûte que coûte le système des kisha clubs (clubs de lapresse) qui interdit aux journalistes étrangers et indépendantsd’accéder aux sources officielles d’information. En Corée duSud, le président Roh Moo Hyun ne cesse de critiquer la presseconservatrice, sans pour autant prendre de mesures contrai-gnantes à l’égard de ses grands quotidiens.

Dans le Pacifique, la liberté de la presse a été malmenée parla monarchie des Tonga. Le roi a modifié la Constitution pourinterdire définitivement le seul hebdomadaire indépendant. EnAustralie, le gouvernement conservateur continue à empêcherles journalistes de couvrir la situation des réfugiés parqués dansdes camps sur le territoire national ou dans des pays voisins.

Le développement des radios communautaires et des stationsFM est une note d’espoir pour la liberté d’informer en Asie. EnInde, en Indonésie ou en Thaïlande, elles permettent à des millionsd’auditeurs d’être informés et de pouvoir s’exprimer librement.

Vincent Brossel

Responsable Asie de Reporters sans frontières

Pour plus d’informations, pays par pays : www.rsf.org

Le développement des radios communautaires et des stations FM est une note d’espoir pour la liberté

d’informer en Asie

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REPORTERS SANS FRONTIÈRES24

La doyenne de la presse, Ludu DawAmar, déclarait récemment au magazineIrrawaddy (publié en Thaïlande) à proposdes journalistes birmans : “Nous ne pou-vons rien écrire librement, il n’existeaucune liberté de la presse et le bureau dela censure est très restrictif.” Pour éviterde voir ses articles et ses éditoriaux dénaturés, elle a choisi d’écrire sur la culture et la société birmane. Mais làencore, la censure frappe. Récemment,un de ses articles sur l’épidémie de sida enBirmanie a été interdit.

“DESCRIPTIONS VRAIES MAISINOPPORTUNES”

La Birmanie est l’un des rares pays aumonde où s’applique la censure avantpublication, exercée par le Comité decontrôle des œuvres littéraires. Toute cri-tique de la junte est interdite. Tout sujetqui fâche les généraux aussi, et ils sontnombreux : droits de l’homme, sida, traficde drogue, corruption, etc. Pour avoirpublié des articles, voire des mots, jugés“incorrects”, au moins sept magazines ontété fermés temporairement en 2002.Selon la Loi sur l’autorisation des impri-meurs et éditeurs (Printers and PublishersRegistration Law) de 1962, peut être cen-surée toute publication qui comporte“des idées incorrectes”, “des descriptionsfausses”, “des descriptions vraies maisinopportunes”, “des écrits pornogra-phiques”, “des écrits incitant au crime, àla cruauté”, “des diffamations ou calom-nies”. Les contrevenants risquent jusqu’àsept ans de prison et plus de 5 000 eurosd’amende.

Chaque samedi, le comité de censure,dirigé par le major Aye Tun (ancien offi-cier des services secrets militaires - MIS),décide de ce qui sera ou non publié.Chaque trimestre, le comité envoie auministre de l’Intérieur et au chef du MISun rapport sur les activités des médias.Régulièrement, le comité requiert deséditeurs et des rédacteurs en chef qu’ils

lui soumettent leurs curriculum vitae,faute de quoi les journaux sont sanction-nés. En août 2003, les services secrets ontexigé des médias privés que leur soientfournies les biographies de chacun desmembres de leur rédaction. Ils suspectentdes journalistes proches de l’opposition depublier des articles sous des pseudonymes.

BLACK-OUT SUR LES SUJETS SENSIBLES

La censure est l’un des rouages du régimede terreur imposé par la junte. Elle est enmesure de décréter un véritable black-outsur certains sujets Ainsi, en février 2003,le Comité de contrôle des œuvres littérai-res a interdit tout article relatif à la gravecrise bancaire que traverse la Birmanie.Les directeurs des principaux hebdoma-daires privés du pays ont été convoqués etmenacés de représailles si la crise finan-cière était abordée dans leurs colonnes.Selon les officiels, cette décision avait

pour but “d’empêcher l’exacerbation de lacrise et d’endiguer les rumeurs”. “J’aiécrit trois articles sur le sujet. Ils ont tousété rejetés. C’est très frustrant”, avaitalors confirmé à Reporters sans frontièresun journaliste basé à Rangoon. En mai2003, le régime a également imposé auxmédias le silence sur la nouvelle arresta-tion d’Aung San Suu Kyi, dirigeante de laLigue nationale pour la démocratie, et lemassacre d’une centaine de ses militantspar des sbires du régime.

La censure a par ailleurs vocation àsanctionner les journalistes désobéissants.En mars 2003, le Comité de contrôle desœuvres littéraires a ainsi interdit la publi-cation des articles de l’historien birman

Than Tun. Cette décision faisait suite auxdéclarations de ce dernier sur le servicebirman de Radio Free Asia (basée à Was-hington) au sujet de trois éléphants blancsrécemment découverts dans l’ouest dupays. La propagande de la junte militaireaffirmait que cette découverte était unsigne très encourageant pour la prospé-rité du pays. L’historien rétorquait qu’iln’existait “aucune relation entre les élé-phants blancs et le développement dupays”. Selon le mensuel Irrawaddy (publiéen Thaïlande), la sanction infligée à ThanTun serait également liée aux articles quece dernier avait publiés, dans le mensuelKlaya, sur la gestion du pays au XVIIIe

siècle. Les censeurs leur reprochaient defaire allusion à la situation actuelle.

Les rares journaux publiés dans lesprovinces subissent un double contrôle.Après avoir obtenu le feu vert du bureaude la censure à Rangoon, l’éditeur doitpasser par l’antenne locale. Selon l’und’eux, originaire de l’Etat Mon, il fautattendre en moyenne un mois pour obte-nir l’accord définitif. “La censure localeva même jusqu’à contrôler les calen-driers”, précise ce journaliste.

Certains magazines privés de Ran-goon, notamment Sabaibhyu (Jasminblanc) et Thought (Pensée), réussissentnéanmoins à publier des articles sur lapolitique, l’économie ou la culture quitranchent avec les rengaines propagandis-tes et lénifiantes de la presse favorable à lajunte militaire.

Pour en savoir plus : www.rsf.org

AU PAYS DE LA CENSURE IMPLACABLEAgée de 88 ans, Ludu Daw Amar est la plus célèbre des journalistes birmanes.

Elle a passé plus de cinquante ans de sa vie à affronter les censeurs.

Comme tous ses confrères, elle est tenue de faire approuver chacun de ses textes avant leur parution.

Birmanie

La censure est l’un desrouages du régime de

terreur imposé par la junte

Ludu Daw Amar

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Birmanie

25REPORTERS SANS FRONTIÈRES

L’AUTOCENSURE EST LA RÈGLE Avant de fuir Rangoon pour les Etats-Unis en 2001, Tin Maung Than était directeur du magazine

birman Thinbawa (Notre vie). Pour Reporters sans frontières, il est revenu sur son expérience de la censure

exercée par les militaires.

Quelles sont les conséquences de lacensure sur la façon de travailler desjournalistes ?Aucun journaliste ou directeur de publica-tion ne veut que la diffusion de son journalsoit retardée. L’autocensure est donc larègle. Ce système est profondément ancrédans l’esprit de chacun. Avant mêmede coucher un mot sur le papier, notreinconscient, qui connaît l’existence de lacensure, fait frein à l’écriture : dans l'ap-proche, la présentation, le choix des mots,la formation des phrases, des paragraphes,etc. Parfois, même les idées avortent.Comment l'avez-vous vécu ?Le jour où j’ai pris conscience que l’auto-censure relevait d’une soumission invo-lontaire ou d’un conditionnement, j’étaissous le choc. Ma première réaction devantce constat amer de ma ressemblance avecle chien de Pavlov a été la dénégation,alors que j’avais toujours trouvé une multi-tude d’excuses pour m’abriter derrière lesillusions de l’oppression. Mais la véritéétait devenue trop dure à ignorer. Ensuite,j’ai ressenti de la colère, de la haine, et dudégoût de moi-même. Ce passage d’unparadigme à l’autre impliquait une luttecontre soi-même d’ordre à la fois intellec-tuel et émotionnel, qui nécessite de se bat-tre contre son ego, son entendement, samoralité et sa conscience. Tous les journa-listes et directeurs de publication birmansn’ont pas affronté cette expérience. Maispour certains, c’est le cas. Puis ils ontdécouvert ce que j’ai appelé la “zonegrise”, qui recouvre tout ce que la censurene juge pas “noir”, mais que les lecteursreçoivent comme tel, c’est-à-dire très cri-tique vis-à-vis du régime. C’est dans cettezone grise que les directeurs de publica-tion et les rédacteurs peuvent survivre avecfierté et bonheur contre la répressionimposée par le régime.Comment fonctionne la censure ?Une métaphore peut suffire à en expliquerle fonctionnement.Une fille passe devant un homme. Elle estsi belle que l’homme ne peut s’empêcherde s’exclamer : “Ah ! elle est si belle.” Sou-dain, il se donne une gifle. Puis il en reçoitune deuxième. Il est surpris de se retro-uver confronté à une femme étrange et encolère à qui il demande :

UN JOURNALISTE SPORTIF CONDAMNÉ À MORT

Zaw Thet Htwe, rédacteur en chef de First Eleven (Lemeilleur onze), l’hebdomadaire sportif le plus populaire deBirmanie, a été condamné, le 28 novembre 2003, à la peine demort par un tribunal militaire sous la fausse accusation de “ten-tative d'assassinat de dirigeants de la junte militaire”.

En juillet, des agents des services secrets militaires étaientvenus l'arrêter dans les locaux de sa rédaction. Après avoir été frappé et menotté, il avaitété conduit dans un centre des services secrets où il avait été torturé. Les militaires, quijalousent le succès de ce journal, très rentable, lui reprochent ses articles critiques de lagestion du football birman.

Peu avant son arrestation, Zaw Thet Htwe avait publié un article sur un don de lacommunauté internationale destiné à promouvoir le football en Birmanie. First Elevens'interrogeait sur la façon dont cet argent avait été utilisé.

- “Qui êtes-vous ? Pourquoi m’avez-vousgiflé ?- Pourquoi ? Vous n’avez pas compris ?”L’homme est troublé.- “Vous avez dit qu’elle était belle, n’est-cepas ?- Oui, je l’ai dit. N’est-elle pas belle ?”La femme lui donne une autre gifle.- “Alors vous avez voulu dire que moi, jesuis laide.”En Birmanie, la censure, c’est cette femmeen colère.La censure est arbitraire. Un jour, nousavions réalisé un reportage sur des adoles-cents birmans. La censure officielle n’ap-préciait pas ces adolescents, qui portaientdes jeans, des T-shirts, aimaient le hardrock, la bagarre et l’ouverture au monde.

Le bureau de censure a donc fait des cou-pes ici et là dans le reportage pour finir parle supprimer tout entier. Le bureau nous aalors demandé de cesser d’écrire sur lescultures étrangères, et de nous intéresser àla tradition birmane.La censure s'intéresse-t-elle seule-ment aux articles des journaux ?Non, je me souviens même qu’une publi-

cité a été censurée. Mon ami avait suivi lescours de préparation à un examen d’an-glais ouvrant l’entrée aux universités amé-ricaines (American SAT). Il en a fait lapublicité dans le journal : “SAT - l’examenpour entrer dans les universités et écolesaméricaines”. Quand le journal est paru,nous n’avons plus trouvé que trois lettressur la publicité : SAT. La raison qui nous aété donnée : les universités sont ferméesen Birmanie.Quand le censeur pensait qu’un ouvrageétait de nature politique, le livre faisaitl’objet d’un traitement particulier. En1987, un de mes amis a écrit une biogra-phie de Gorbatchev, le dernier dirigeantsoviétique de la guerre froide, et remis sonmanuscrit au bureau de censure. Ils ontconsidéré qu’il s’agissait d’un texte poli-tique et soumis le cas - chaque manuscritet chaque publication est appelé “cas” - auministère de l’Intérieur. Depuis, Gorbat-chev n’exerce plus ses fonctions ; deuxministres de l'Intérieur sont partis à laretraite ; mon ami a quitté ce monde. Maisle manuscrit est toujours au bureau decensure.Qui sont les responsables du bureaude censure ?A l’époque où je vivais en Birmanie, ledirecteur et son adjoint étaient des militai-res, des anciens commandants. Assez sou-vent, ils venaient des services secrets del’armée. En fait, la décision finale venaitdu bureau des services secrets de l’armée.

“J’ai ressenti de la colère, de la haine, et du dégoût de

moi-même”

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REPORTERS SANS FRONTIÈRES26

Où es-tu Khawar Mehdi Rizvi ? Je n’ar-rête pas de t’adresser la parole. Dans monsommeil en particulier. La dernière foisque je t’ai aperçu, tu étais assis dans unfauteuil du hall d’entrée de l’hôtel AvariTowers, à Karachi, dans le sud du Pakis-tan. C’était le 16 décembre 2003, vers20h45. Tu étais en grande discussion avecun homme ; l’un de tes amis, sans doute.Moins d’une heure plus tard, sept inconnussont entrés dans notre chambre, au 8e

étage. Ils ont emmenés mon confrèrephotographe, Jean-Paul Guilloteau, etmoi-même. Tu n’étais pas avec nous à cemoment précis. Tu as été arrêté, maisj’ignore quand et à quel endroit.

Nous savions bien qu’une visite de lapolice pakistanaise était imminente. Deuxjours plus tôt, nous avions été interpellésune première fois, le long de la route quimène à Karachi. Nous arrivions de la pro-vince du Balouchistan, à l’Ouest. Là-bas,dans la région frontalière entre le Pakis-tan et l’Afghanistan, nous avons rencon-tré un groupe de taliban actif dans larégion. Tu étais notre guide et interprète- notre “fixer”, selon le jargon du métier.Tu n’aimais pas beaucoup ça, hein,Khawar ? Seulement voilà, quand on estun journaliste pakistanais, intelligent etdébrouillard, avec des projets plein latête, l’accompagnement des confrèresétrangers est l’un des meilleurs moyensde gagner rapidement quelques dollars,tout en vivant de son métier... A l’au-tomne 2001, après les attentats du 11 sep-tembre, tu as été le “fixer“ de dizaines de

journalistes, plusieurs mois durant. Audébut de l’année suivante, cela t’a permisd’acheter, à Paris, à la Fnac de la rue deRennes, une magnifique caméra vidéo.De quoi devenir un journaliste de télévi-sion à ton tour. Ton documentaire sur lacondition des femmes pachtounes n’a-t-ilpas été diffusé par Arte ?

Plus récemment, après avoir aidé à

l’ouverture d’un hôpital pour enfantsdémunis, à Peshawar, tu cherchais àregrouper les journalistes des zones triba-les, proches de la frontière afghane. Pourle compte d’une fondation allemande, tules as réunis à Islamabad, trois joursdurant. Dans un hôtel proche de l’aéro-port, des intervenants sont venus leurparler des techniques de reportage etd’interview. D’autres ont évoqué le secretdes sources et les bases de l’éthique jour-nalistique. Ces confrères, tu les as encou-ragés à communiquer davantage entreeux, par Internet en particulier. Tu voyaisdans cette association un moyen de lesémanciper, autant que faire se peut, de latutelle des chefs tribaux. C’était aussi,pensais-tu, un bon moyen pour créer, àterme, une agence de presse spécialisée.C’est du Khawar tout craché une idée

pareille. Généreuse, pratique, ambitieuse.Très risquée, aussi : comment imaginerque les seigneurs de guerre et les puis-sants en tous genres te laisseraient faire ?Comment croire qu’ils pourraient voird’un bon œil ce projet qui revenait à saperleur autorité ? Mais tu n’es pas le genred’homme qui se laisse freiner par desconsidérations de cet ordre. “Advienneque pourra”...

Depuis la mi-décembre, alors, je nete vois plus. Tu as disparu. Avec monconfrère photographe, nous avons étéarrêtés et condamnés à six mois de prisonferme. Puis, une procédure en appel nousa valu une simple amende. Un mois aprèsnotre arrestation à Karachi, nous étionsde retour parmi les nôtres, à Paris. Toi,pendant ce temps-là, tu étais gardé ausecret pendant 40 jours, paraît-il, avant deréapparaître dans un poste de police deQuetta, dans l’ouest du pays. A un journa-liste, croisé dans un couloir, tu as confiéque tu avais été “sévèrement torturé sur leplan psychologique”. J’en déduis que dessalauds se sont succédé dans ta cellulepour t’annoncer diverses horreurs. Depuis,j’ai parfois l’impression de les entendre,moi aussi.

A Islamabad, le général Musharraf aaccordé son pardon au bon Dr Khan,“héros de la nation”, dit-il, et principalmaître d’œuvre du plus gros réseau deprolifération nucléaire jamais découvert.Un “fixer” de ton genre aura-t-il droit à lamême clémence ? Toi, tu as aidé un journa-liste étranger à faire son métier. A l’heure

LETTRE À KHAWARLe 16 décembre 2003, Marc Epstein et Jean-Paul Guilloteau, du magazine français

L’Express, sont arrêtés à Karachi à leur retour de la région frontalière entre

le Pakistan et l’Afghanistan où ils ont réalisé un reportage sur des groupes taliban.

Leur condamnation à six mois de prison est finalement commuée en amende.

Le 14 janvier 2004, ils quittent le Pakistan alors que leur collaborateur, le journaliste pakistanais

Khawar Mehdi Rizvi, est porté disparu. Kidnappé par les services secrets, il ne réapparaît que

le 25 janvier, après avoir été torturé. Les autorités l’accusent d’avoir aidé les journalistes français à

“préparer un faux reportage pour nuire au Pakistan”. Il risque la prison à vie. Fin février, Marc Epstein

lui adresse en pensée cette lettre.

Pakistan

“Accusé de sédition, tu risques la prison à vie.

C’est dégueulasse”

Page 27: Libertà d\'informazione

27REPORTERS SANS FRONTIÈRES

où j’écris ces lignes, cher Khawar, tuattends ton procès. Accusé de sédition, turisques la prison à vie. C’est dégueulasse.

L’autre jour, ton frère t’a apportéquelques couvertures. J’espère que tu n’aspas trop froid, surtout la nuit, dans ta cel-lule. Pour ma part, je compte t’envoyerun livre dont nous avons parlé ensemble,quelques heures avant notre interpella-tion. J’espère qu’il te plaira.

Je fais ce que je peux pour te sortir delà. Avec des confrères et des amis deReporters sans frontières, Amnesty Inter-national, Human Rights Watch et autres, nous avons créé un site web, www.freekhawar.org, qui abrite une péti-tion en ta faveur. Nous prenons d’autresinitiatives, aussi, plus discrètes.

Je repense souvent aux reportages quenous avons effectués ensemble. A Kaboul,sous les taliban. Le long de la vallée de laKunar, dans le nord de l’Afghanistan,quand les troupes de l’Alliance du Nordse sont emparées du pouvoir. Je ne teconnais pas si bien que ça. Nous avons lemême âge. Et une approche du reportageassez proche : nous faisons beaucoupconfiance au hasard, toi et moi, mais lehasard, ça s’organise.

Je t’ai adopté, Khawar Mehdi Rizvi.Je ne ressens aucune culpabilité pour cequi t’arrive. Tu es un journaliste adulte, ôcombien, qui savait très bien dans quellerégion nous nous rendions et à quellesfins. Je m’en veux, toutefois. Car les auto-rités pakistanaises te reprochent, pourl’essentiel, une série d’images vidéo que

PAKISTAN • BILAN 2003

4 journalistes incarcérés10 journalistes interpellés17 journalistes agressés

Pakistan

Khawar Mehdi Rizvi (au centre) aux côtés des deux journalistes de L’Express

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j’ai tournées moi-même, à mon initiativeet avec ma propre caméra. Si je n’avais pasfait ce film, destiné au site Internet deL’Express, tu serais un homme libre, sansdoute.

Voilà pourquoi cette histoire place surmes épaules une responsabilité absolue :je dois tout faire, vraiment, pour te sortirde là le plus vite possible. C’est pour moi,dans ce contexte, un devoir impératif.

Marc Epstein

Pour en savoir plus : www.rsf.org

Page 28: Libertà d\'informazione

REPORTERS SANS FRONTIÈRES28

Nanfang Zhoumo, fer de lance depuis plu-sieurs années du journalisme d’investiga-tion, a de nouveau été décapité par legouvernement pour ses articles jugés tropindépendants. Faute de pouvoir s’expri-mer dans les médias traditionnels, l’op-position démocrate a fait d’Internet sonespace d’expression privilégié. Mais larépression fait rage. Une cinquantaine decyberdissidents sont actuellement empri-sonnés pour avoir réclamé la démocratieou dénoncé les abus des autorités.

La presse, très dynamique, se moder-nise et les journalistes se risquent plusrégulièrement à des enquêtes sur les pro-

Le contrôle des médias demeure l’obsession du gouvernement chinois. Sa gestion médiatique de la crise deSRAS a été à cet égard très révélatrice. A plusieurs reprises, lors de l’épidémie, leDépartement de la publicité (ancienne-ment de la propagande) a sanctionné desjournalistes qui enquêtaient sur les men-songes et les insuffisances des autorités.Après avoir interdit pendant plusieursmois la publication d’articles relatifs à l’é-pidémie, les autorités ont, du jour au len-demain, engagé les médias dans une cam-

pagne de propagande et de mobilisationnationale pour lutter contre le fléau.Parce que la gestion gouvernementale del’épidémie a provoqué des critiques de lapresse, certains observateurs ont affirméque la presse s’était découvert de nouvel-les ardeurs d’indépendance. Un cor-respondant étranger en poste à Pékinrelativise : “Nous sommes passés, enquelques semaines, du silence à la propa-gande, en passant par l’autocritique. Rien

qui ressemble vraiment à la liberté de lapresse”. Pour preuve, en janvier 2004,Cheng Yizhong, rédacteur en chef duquotidien Nanfang Dushi Bao (Les nou-velles de la métropole du Sud), a étéinterpellé pour avoir révélé un nouveaucas de SRAS dans le sud du pays.

LES AGRESSIONS SE SONT MULTIPLIÉES

En 2003, comme jamais, les jeunes jour-nalistes ont bousculé les limites de la cen-sure et de l’autocensure. Mais le Partiveille. La rédaction de l’hebdomadaire

Une équipe de la chaîneFrance 2 a été interpellée

pour avoir tourné des imagesde vaccinations de pouletslors de la grippe aviaire

DU SILENCE À LA PROPAGANDE

L’arrivée au pouvoir de la quatrième génération de dirigeants communistes, avec à sa tête le président

Hu Jintao, n’a pas eu en 2003 un réel impact sur la liberté de la presse. Les autorités se sont engagées

dans une vaste réforme économique du secteur des médias, mais le contrôle sur le contenu de l’infor-

mation reste la règle.

Chine

Le cyberdissident Yang Zili condamné à 8 ans de prison

Page 29: Libertà d\'informazione

blèmes sociaux. Avec pour conséquencela multiplication des agressions à leurencontre. En octobre 2003, un journal arévélé que plus d’une centaine de journa-listes chinois avaient été agressés depuisle début de l’année. Des violences perpé-trées par des vigiles, des policiers ou desdélinquants, gênés par les enquêtes desjournalistes.

Le secteur de la télévision est sous latutelle de l’Etat par l’intermédiaire de laTélévision chinoise centrale (CCTV) quiexploite douze chaînes différentes. Lesprogrammes d’informations sont essen-tiellement tournés vers la politique natio-nale, les activités des dirigeants et les

campagnes idéologiques. CCTV a couverten direct le début de la guerre en Irakgrâce à des dizaines de correspondantsenvoyés dans la région du Golfe. Unepremière pour la télévision chinoise.Mais les commentaires ne reprenaientque la position officielle du gouvernementchinois, opposé à la guerre.

LES JOURNALISTES ÉTRANGERSRESTENT SOUMIS À UN STRICT CONTRÔLE

Bien que le gouvernement de Pékin aitpromis de laisser les journalistes étran-gers travailler librement lors des Jeuxolympiques de Pékin de 2008, les cor-respondants ou les envoyés spéciaux sonttoujours soumis à un contrôle très strict.Le Parti communiste chinois dénie auxcorrespondants étrangers le droit d’en-quêter librement sur la dissidence, lesmouvements religieux clandestins, la cor-ruption, le sida, les grèves ouvrières, lasituation des réfugiés nord-coréens, lescatastrophes naturelles ou les séparatismestibétains et ouighours. Un photographesud-coréen, Jae-Hyun Seok, a étécondamné à deux ans de prison pouravoir réalisé un reportage sur le sort desNord-Coréens qui fuient leur pays. Plusrécemment, une équipe de la chaîneFrance 2 a été interpellée pour avoirtourné des images de vaccinations depoulets lors de la grippe aviaire. Ils n’a-vaient pas d’autorisation…

Pour en savoir plus : www.rsf.org

29REPORTERS SANS FRONTIÈRES

A 50 kilomètres de la capitale, c’est déjàun autre monde. Ce 4 février 2004, noussommes très bien accueillis chez un pay-san qui possède douze poulets et cinqoies. Il a été informé la veille seulementde l’existence de la grippe aviaire enChine. Il n’a ni télé, ni radio, ni journaux.C’est le vétérinaire de passage qui l’aver-tit du risque et vient vacciner ses volailles.Nous filmons sans problème. L’ambiancesimple et bon enfant nous pousse àdemander au vétérinaire de le suivre danssa tournée. Il juge pourtant utile d’eninformer ses supérieurs, ce qui nous vaut,dans les minutes qui suivent, de voir arri-ver le secrétaire local du Parti, le chef duvillage et, bien sûr, la police qui nousreproche de filmer sans permission etsans être accompagnés. “Mais ça n’estqu’une vaccination de poulets !” Ils neveulent rien savoir ; notre tournage doits’arrêter là.

En fait la grippe aviaire est un phéno-mène hautement politique en Chine. Unpeu comme les inondations. “Celui quicontrôle les fleuves contrôle aussi lepays”, dit un proverbe. Alors celui qui necontrôle pas !

Direction le poste de police : télé-phone, vérification d’identités. Deuxpoliciers remplissent à notre place unquestionnaire, réponses comprises.- Aviez-vous la permission de faire cereportage ? Non !- Reconnaissez-vous avoir filmé les pou-lets ? Oui.- Reconnaissez-vous avoir réalisé unreportage clandestin ?

Les autorités ont interditpendant des mois tout articlerelatif à l’épidémie de SRAS

Nous tentons de négocier sur les ter-mes. Je n’ai pas l’impression d’être clan-destin en filmant des volailles dans lacampagne autour de Pékin. Mais le tempspasse. Ils n’ont pas confisqué les cassettes.Il reste une chance de monter au moinscette ébauche de reportage. Je signe.

L’interrogatoire recommence avec denouveaux arrivants : les représentants duministère des Affaires étrangères au seinde la police… Courtois mais fermes.Nous sommes finalement relâchés. Nousaurons perdu deux heures à cause despoulets, mais sans doute gagné l’ouver-ture de quelques portes. Le lendemain,nous sommes autorisés à filmer lescontrôles d’entrée des volailles sur Pékinet un laboratoire de recherche du vaccincontre la grippe aviaire. La Chine enrevient à sa politique d’information adop-tée durant le SRAS : donner quelquechose à voir à la presse étrangère, pouréviter qu’elle aille chercher ailleurs.

Philippe Rochot

Correspondant de France 2 à Pékin

DANS LES GRIFFESDES POULETS

La police nous reproche de filmer sans permission et sans être accompagnés

Filmer des oies et des poulets en train d’être vaccinés est-il un

acte subversif au sein de “la ferme des animaux” ? Les autorités

chinoises pensent que oui. Face au refus répété du ministère de

l’Agriculture de nous accorder des permissions de tournage

dans les régions touchées par la grippe aviaire, nous nous sommes

orientés banalement vers la campagne pékinoise.

CHINE • BILAN 2003

23 journalistes incarcérésau moins 15 journalistes interpellésau moins 100 journalistes agressés

Chine

Page 30: Libertà d\'informazione

REPORTERS SANS FRONTIÈRES30

e Moyen-Orient fait figure de lanterne rouge de laliberté de la presse en 2003. Outre l’absence demédias indépendants et une très forte autocensuredes professionnels de l’information dans plusieurspays, la guerre en Irak et la poursuite du conflitisraélo-palestinien ont mis la liberté et la sécurité

des journalistes à très rude épreuve.

QUINZE JOURNALISTES TUÉS

Quinze journalistes et deux collaborateurs des médias ont ététués dans la région en 2003. Dans les territoires palestiniens,l’armée israélienne entrave sérieusement la couverture du conflitpar les journalistes étrangers et palestiniens, et accorde peu d’at-tention à préserver leur sécurité. Ainsi, deux cameramen onttrouvé la mort sans que l’arméeisraélienne ne reconnaisse plei-nement sa responsabilité ouprenne des sanctions contre lesauteurs des tirs. Lors de la guerreen Irak, la propagande et les res-trictions imposées par le régimeirakien ont atteint des sommets.Par la suite, l’armée américaine a fait preuve d’une grande agres-sivité envers les journalistes. Cinq d’entre eux ont été tués pardes soldats américains durant ou après la guerre en Irak, maisaucune enquête digne de ce nom n’est venue faire toute lalumière sur ces drames.

LA PRESSE ÉTOUFFÉE PAR DES RÉGIMES RÉPRESSIFS

La République islamique d’Iran reste la plus grande prison duMoyen-Orient pour les journalistes. Avec plus d’une quarantained’entre eux emprisonnés au cours de l’année, des dizaines demédias censurés, des procès tenus majoritairement à huis clos et

sans avocat, et des conditions de détention très difficiles, la situa-tion de la presse n’a fait qu’empirer. Cette détérioration a atteintun sommet dramatique avec l’assassinat de la photojournalisteZahra Kazemi, le 10 juillet, alors en détention dans la prisond’Evine (Téhéran). Le procès, toujours en attente, risque de n’ê-tre qu’une mascarade, les avocats de la famille n’ayant pas accèsau dossier. Malgré un réel dynamisme de la presse appartenant àla tendance réformatrice, les journalistes iraniens restent sous lapression permanente des ministères de la Justice, des Renseigne-ments, et de la Culture et de l’Orientation islamique, ainsi quedu Conseil de sécurité national.

La presse arabe continue également d’étouffer sous le poidsde régimes répressifs et sclérosés. En Syrie, il n’existe dans lesfaits aucune presse privée indépendante. En Arabie saoudite, quia été durement frappée par le terrorisme en 2003, la radio et la

télévision demeurent le monopolede l’Etat tandis que la presse estlargement contrôlée par la familleroyale. Quelques médias se sontpourtant fait l’écho des appelsgrandissants de la société civile àréformer la vie politique du pays.Royaume de la censure, la puis-

sante Arabie saoudite exerce une grande influence pour réprimerla liberté de la presse au-delà de ses propres frontières, jusqu’enEgypte ou au Liban. La liberté de ton de la chaîne satellite arabeAl-Jazira représente un tel cauchemar pour les autorités qu’ellesont favorisé, en février, la naissance d’une nouvelle télévisionsatellite, Al-Arabiya, afin de contrer le succès de son aînée qatarie.

En Jordanie, au Yémen ou dans les territoires sous contrôlede l’Autorité palestinienne, les médias privés ne sont jamais àl’abri des menaces et de la censure. Les journalistes y sont passi-bles de peines de prison pour diffamation, offense aux autoritésou à l’islam. Dans certains pays, comme en Irak, des groupesarmés ou terroristes ainsi que des mouvements politiques fontégalement peser de lourdes menaces sur la presse libérale.

MAGHREB ETMOYEN-ORIENTLE MOYEN-ORIENT, LANTERNE ROUGE DE LA LIBERTÉ DE LA PRESSEEtre journaliste en Iran ou dans les pays arabes se résume bien souvent à respecter les lignes rouges

tracées par le pouvoir afin de ne pas subir la répression de vieilles dictatures, de régimes autoritaires

ou de démocraties de façade. Dans la région, seule la presse israélienne, dynamique et irrévérencieuse,

jouit, malgré des pressions certaines, d’une réelle indépendance et d’un environnement démocratique.

La lutte contre le terrorisme est utilisée par des régimes autoritaires

pour justifier la censure

L

Page 31: Libertà d\'informazione

31REPORTERS SANS FRONTIÈRES

Maghreb et Moyen-Orient

Dans les monarchies du Golfe(Koweït, Emirats arabes unis,Oman, Bahreïn, Qatar), l’auto-censure imposée aux journalistesdemeure très élevée malgré dessignes d’ouverture encourageantsde la part des autorités. Au Liban, longtemps le seul havre deliberté pour les médias arabes, le mépris du droit est de plus enplus inquiétant. En Egypte, la loi d’état d’urgence est en vigueurdepuis 1981. Elle permet un contrôle sur les médias, que le gou-vernement a d’ailleurs tenté de renforcer pendant la guerre en Irak.

Par ailleurs, la lutte contre le terrorisme sert de prétexte àcertains régimes autoritaires pour justifier la censure. Plusieurspays, comme la Jordanie ou le Maroc, ont ainsi adopté des loissécuritaires extrêmement sévères qui sont comme une épée deDamoclès suspendue au-dessus des journalistes.

ENTRE RÉFORMES ET VIEUX RÉFLEXES

C’est au Soudan et au Maghreb que le vent de la réforme asoufflé le plus fort en 2003, par le biais de décrets présidentielsou royaux en faveur de la liberté de la presse. Ainsi, le présidentOmar Hassan Ahmed al-Bechir a prononcé un discours réaffir-mant la liberté de la presse au Soudan, suivi d’un décret sous-trayant la presse du contrôle des services de sécurité et la plaçantsous la surveillance du Conseil national de la presse. Au Maroc,les neufs conseillers de la Haute Autorité de la communicationaudiovisuelle (HACA), créée en août 2002, ont été nommés ennovembre. Sa mission principale est d’accompagner l’ouverturede l’audiovisuel à des opérateurs privés, jusqu’alors monopoled’Etat. En Tunisie, le président Ben Ali a proclamé, le 7 novembre,jour de la célébration du 16e anniversaire de sa présidence, toutel’importance qu’il accordait à la liberté de l’information. Il amême annoncé, à la surprise générale, la fin du monopole d’Etatdes ondes hertziennes, avec le lancement, le jour même, d’uneradio privée.

Mais ce vent de liberté n’a pasbalayé les vieux réflexes. Au Sou-dan, les forces de sécurité ontgardé la mainmise sur la presse, etla valse des journaux suspenduspar ces dernières a continué, en

dépit du nouveau décret présidentiel. Au Maroc et en Tunisie,privatisation ne rime pas forcément avec indépendance. L’ouver-ture annoncée du paysage audiovisuel dans ces deux pays risquede n’être que le prolongement de l’influence du pouvoir poli-tique dans ce nouveau secteur. Ainsi, au Maroc, cinq membressur les neuf de la HACA, créée sans aucune consultation des pro-fessionnels ou du Parlement, sont nommés par le pouvoir. L’ins-titution statuant à la majorité, le Palais a l’assurance de s’assurerles réformes qu’il souhaite. En Tunisie, où la presse, publique etprivée, reste totalement sous le contrôle de l’Etat, le responsablede la première chaîne privée de radio n’est autre qu’un ancienresponsable du ministère de l’Information, proche de la familleBen Ali. Dans le même temps, la liberté de la presse a fortement régresséau Maroc et en Algérie. Au Maroc, deux journalistes ont étéemprisonnés et trois autres condamnés en première instance àdes peines de prison ferme. En Algérie, les relations se sont ten-dues entre le président Bouteflika et la presse privée, qui n’a pashésité à mettre au jour des scandales financiers éclaboussant lePrésident, ses proches et des notables locaux. Interpellations ensérie, harcèlement judiciaire et financier ont tenté d’ébranler lapresse privée hostile au clan présidentiel. Le harcèlement aatteint son paroxysme avec l’emprisonnement d’un journaliste,condamné pour diffamation à deux ans de prison ferme. LaMauritanie a connu son lot de journaux suspendus et un jour-naliste a été emprisonné. Enfin, en Libye, la presse reste auxordres du colonel Kadhafi.

Séverine Cazes et Agnès Devictor

Responsables Maghreb et Moyen-Orient de Reporters sans frontières

Pour plus d’informations, pays par pays : www.rsf.org

L’Iran reste la plus grande prison du Moyen-Orient pour les journalistes

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REPORTERS SANS FRONTIÈRES32

Une explosion fait trembler tous lesétages de l’hôtel Palestine. Il est 11h59 cemardi 8 avril 2003. Dehors, les charsaméricains attaquent. Ils sont sur le pontAl-Joumhouriya, au cœur de la ville.Vingt et unième jour de guerre : Bagdadtombe. Dans les couloirs, la panique, lescris, la douleur. Chambre 1503, un came-raman gît, couché sur le ventre. La cham-bre est dévastée, la moquette imbibée desang. Un étage plus bas, un autre journa-liste. Sa caméra noircie, à côté de lui. Onleur donne les premiers soins. Sans méde-cins, sans médicaments, sans brancards.Ils sont évacués dans des couvertures. Parun ascenseur qui s’arrête à tous les étages.Le premier, Taras Protsyuk, meurtpendant son transfert à l’hôpital ; ledeuxième, José Couso, exsangue, sur latable d’opération. Une journaliste, SamiaNakhoul, a reçu un éclat dans la tête ;Faleh Kheiber, photographe, est brûlé auvisage et aux bras ; Paul Pasquale, techni-cien britannique, est touché lui aussi.

Qui a tiré ? Un char américain, on lesait, tout a été filmé.

Pourquoi ?

LA “LÉGITIME DÉFENSE”, UN CONCEPT EN BÉTON

Taras et José sont morts. Ils n’étaient pasdes journalistes célèbres, personne nevoyait leur visage en prime time. Ilsétaient reporters, inventeurs des imagesque nous regardons sans savoir qui les aprises. La mort d’abord, le silence ensuiteet un rapport de l’armée américaine qui seveut “final” ont essayé, à coups de répon-ses rapides, de les réexpédier dans l’ano-

DEUX MEURTRES POUR UN MENSONGE

nymat, cette deuxième mort des victimes.On aurait dû les oublier, tout était fait

pour cela. Bagdad qui tombe avec la sta-tue en bronze de son commandeur, unpays en fusion, une info à traiter parminute, l’actualité qui doit continuer, desmilliers d’autres victimes, des chars amé-ricains dans les rues... la guerre, voyez-vous ! Il suffisait d’un petit mensonge etd’une grosse dose de mauvaise foi. Com-ment ? Ah ! oui, la “légitime défense”, unconcept en béton, simple et lumineux, à la

fois juridique et moral puisque “légitime”comme son nom l’indique. Du coup, voilàdes journalistes morts, armés de caméraset de jumelles, qui menaçaient des soldatsdans leurs chars Abrams.

Voilà ! On tient la “Vérité de l’ins-tant”, celle qui va occuper les titres, lesécrans et les bonnes consciences, pour unjour ou deux, le temps que le chaos de laguerre balaie la mémoire. Après tout, cene sont que deux cameramen, un Ukrai-nien et un Espagnol, dont on écrit lesnoms en les écorchant, “Protsyuk,Couso…” comment vous écrivez cela,

avec un i ou avec deux o ? Certes, ilsétaient en première ligne, debout, leurcaméra sur l’épaule, exactement là où ilfallait être, pour capter des images quiferaient ensuite le tour du monde. Riende commun, certes, avec des “stars” dujournalisme ! Imaginez la même choseavec un reporter d’un grand journalou d’une chaîne de télévision anglo-saxonne ? L’incident serait devenu une“affaire” à vous faire larmoyer un Prési-dent en direct face au Congrès.

Alors, peu importe que la thèse des“tirs venus du Palestine” soient uneinsulte à leur mort et à la foule des jour-nalistes habitant l’hôtel et qui affirment lecontraire. Allez, mentons et oublions,voulez-vous ? D’ailleurs, on les avait pré-venus, explique le Pentagone, Bagdad esten guerre et la guerre est dangereuse. Lesvictimes ? Des têtes brûlées qui auraientdû fuir ce front, se réfugier à Amman enJordanie, derrière un desk qui aurait uti-lisé des images sages et bien calibrées,envoyées par les satellites américains. Ilsont préféré rester... Têtus, ces reporters !

Taras Protsyuk de l’agence britannique Reuters et José Couso de la télévision

espagnole Telecinco ont été tués à Bagdad le 8 avril 2003 par un tir de l’armée

américaine sur l’hôtel Palestine. A l’issue d’investigations approfondies, Reporters sans frontières

a publié, en janvier 2004, un rapport d’enquête et demandé la reprise des investigations.

Jean-Paul Mari, son auteur, revient sur ce drame.

Irak

Personne, dans la haute hiérarchie militaire

américaine, n’avait trouvéutile d’informer la troupe dela présence massive de jour-nalistes à l’hôtel Palestine

Du pont Al-Joumhouriya, un char américain ouvre le

feu sur l’hôtel Palestine

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33REPORTERS SANS FRONTIÈRES

Irak

Et quand les protestations continuent, ontransforme la Vérité de l’instant en Véritéofficielle, un mensonge d’Etat, en faisantmonter au créneau les plus hauts respon-sables de l’administration américaine.

LES MILITAIRES NE SAVAIENT PASSUR QUOI ILS OUVRAIENT LE FEU

Enfin, l’été dernier, un rapport de l’arméeaméricaine présente une version plussophistiquée de la bavure où il n’est plusdu tout question de “tirs directs” mais dela menace d’un observateur d’artillerie, un“spotter” irakien, une équipe de “chas-seurs-tueurs” armés de jumelles. Ainsi, onreconnaît avoir menti ? Oui, bien sûr.L’important est que l’action reste “légi-time”, n’est-ce pas ? Puis on referme ledossier avec un petit bruit sec et définitif.Sauf que le mensonge continue.

A force de décortiquer le geste dessoldats qui ont appuyé sur le bouton demise à feu de leur canon de 120 mm, àforce de faire mine de vouloir défendrel’honneur des lampistes, on s’attache àoublier l’essentiel, à savoir que le sergentX et le capitaine Y ne savaient pas surquoi ils ouvraient le feu. Parce que per-sonne, dans la haute hiérarchie, n’avaittrouvé utile d’informer la troupe. Alors,sur le bel écran du Cinéma aux Armées,on nous projette “l’Honneur d’un capi-taine” pour nous masquer une négligencecriminelle - par mépris ? - au sein de l’é-tat-major d’une division d’infanterie.

Ah ! évidemment, c’est plus compli-qué. Expliquer que les deux soldats casqués sont des meurtriers mais pas desassassins, qu’il faut aller chercher plus

haut, à l’échelle du général responsable - c’est sa fonction -, de ses ordres, de seshommes, de leurs actes. Un militaireconforté par l’autorité du Pentagone qui asi vivement conseillé aux journalistes“non embedded” d’aller ailleurs regarderles images de la guerre au lieu de s’obsti-ner à les filmer, un Pentagone lui-mêmesoutenu par le porte-parole de la MaisonBlanche qui a si clairement expliqué qu’ilfallait toujours faire ce que les militairesdisaient. Pour la sécurité de tous évidem-ment et surtout pour “les journalistes etleurs familles”... Celles, par exemple, quipleurent la mort de Taras Protsyuk et deJosé Couso, morts d’avoir été ignorés.

Oui, le chaos de la guerre est passé.Pourtant, cette fois, elle n’a pas emportéavec elle le souvenir de ces deux hommes

et les questions que leur mort soulève.Non, elle n’a pas réussi à les banaliser.Enquêter sur leurs meurtres n’est pas -loin de là - établir toute la vérité. C’estd’abord balayer quelques gros menson-ges. Mettre des points d’interrogation à laplace de certitudes insultantes. Exiger lareprise de l’enquête officielle. Poursuivreceux - tous ceux - qui sont responsables.Tirer les leçons d’une bavure annoncée.Dire à ceux qui sont partis notre tristesseet notre infini respect. Et lutter pour queleur trou dans l’eau ne se referme pas.

Jean-Paul Mari

Pour consulter l’intégralité du rapport

d’enquête de Reporters sans frontières :

www.rsf.org

Taras Protsyuk José Couso

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REPORTERS SANS FRONTIÈRES34

Irak

Bien que la presse irakienne n’hésitepas à afficher ses prises de position anti-américaines, de nombreux journalistesrefusent de parler d’une “presse libre”dans un pays sous occupation militaire. Ilscontestent le décret adopté, fin juin 2003,par l’administrateur américain Paul Bre-mer qui prévoit une peine allant jusqu’àun an de prison pour tout journaliste quise rendrait coupable d’ “incitation à laviolence” contre les forces de la coalition,ainsi que d’incitation à la haine raciale,ethnique ou religieuse. Ne sachant com-ment ces notions - vagues - peuvent êtreinterprétées, les journalistes irakiens sedisent prudents dans leurs commentairesde la situation politique du pays et refu-sent parfois de signer leurs articles.

PREMIERS RÉFLEXES AUTORITAIRES

Si, lors de son entrée en fonctions, leConseil de gouvernement transitoire ira-kien s’est prononcé en faveur de la libertéde la presse, il n’a pas pour autant sup-primé ou amendé l’arsenal législatif del’ancien régime la réprimant. Et dans lesdeux mois suivants, il a montré les pre-miers signes de dirigisme et de paterna-lisme envers les médias, en proposantnotamment aux journalistes irakiens designer “volontairement” un code de“bonne conduite” fixant des règles édito-riales très strictes. Par ailleurs, les chaînesde télévision arabes Al-Jazira et Al-Ara-biya, accusées d’“inciter au terrorisme”,ont été, à plusieurs reprises, interditesd’activité dans le pays.

IRAK • BILAN 2003

12 journalistes tués2 journalistes disparus17 journalistes blessés1 journaliste enlevé6 journalistes incarcérés40 journalistes interpellés15 journalistes agressés

Dans les jours et les semaines qui ontsuivi, le 9 avril 2003, la prise de Bagdad,les paraboles ont essaimé sur les toits de laville. Interdites sous Saddam Hussein,elles rendaient leurs propriétaires passi-bles d’une amende et, en cas de récidive,d’une peine de prison. Abreuvés d’unepropagande renforcée depuis la guerreIran-Irak, les Irakiens s’ouvrent désor-mais au monde et plébiscitent les chaînessatellitaires arabes et occidentales.

Deuxième révolution : ils peuventsurfer librement sur la Toile. Dans lesdizaines de cafés Internet qui ont ouvert àBagdad, quasiment aucun site n’est censuré et des paravents protègent l’inti-mité des usagers. Auparavant, les agentsdu Baas (ancien parti unique) ou des Ren-seignements généraux - les Mukhabarat -veillaient, par-dessus leurs épaules, à ceque les internautes ne se connectent pasaux sites interdits tels que les messageriesprivées (Hotmail, Yahoo, etc.).

UNE INDÉPENDANCE MÂTINÉED’AUTOCENSURE

Une presse foisonnante et pluraliste arapidement comblé le vide laissé par ladisparition des quelques journaux gou-vernementaux voués, depuis trente-cinqans, à la parole officielle. Témoins de lamultitude des partis politiques et de lavivacité de la tradition écrite du pays, unecentaine de journaux religieux, sportifs,féminins, d’opinion ou de tabloïds ontremplacé les quatre quotidiens officiels

UN AIR DE LIBERTÉUn an après la chute de la dictature de Saddam Hussein, la renaissance du paysage médiatique

irakien est en marche. Cependant, entre les lointaines promesses d’instauration d’une démocratie,

les difficultés de l’après-guerre et les entraves de l’armée américaine et du Conseil de gouvernement

transitoire, l’avenir de la liberté de la presse en Irak demeure incertain.

qu’Oudaï, le fils aîné de Saddam Husseinet “doyen des journalistes”, contrôlaitd’une main de fer. Le paysage audiovisuel offre en revanchemoins de diversité. L’administration amé-ricaine a mis en place un réseau de médiasirakiens (Iraqi MediaNetwork, IMN) com-prenant une télévision nationale,quelques radios et un quotidien, Al-Sabah(Le Matin). Al-Iraqiyah TV, qui disposede fait d’un quasi-monopole sur les ondeshertziennes, a déjà changé de nom à plu-sieurs reprises et peine, après plusieursmois, à gagner la confiance des téléspec-tateurs qui la considèrent souvent comme“la voix des Américains”.

Si les journalistes irakiens jouissentaujourd’hui d’une indépendance nou-velle, ils pratiquent encore une forteautocensure alimentée par l’insécurité etles menaces de partis politiques aux pen-chants autoritaires tenaces.

Au 1er janvier 2004, une atmosphèrede guerre règne toujours en Irak. Pour lapresse locale et internationale, la couver-ture de l’après-Saddam demeure périlleuse.Attaques quasi quotidiennes contre lessoldats de la coalition, attentats et actesde banditisme rendent les routes et cer-taines zones du pays particulièrementdangereuses. En outre, des soldats améri-cains se sont souvent montrés hostiles

envers les journalistes, dont plusieursdizaines ont été interpellés, agressés ouempêchés de travailler tout au long del’année 2003.

Les Irakiens se ruent sur les paraboles

Une presse foisonnante a vu le jour

Page 35: Libertà d\'informazione

35REPORTERS SANS FRONTIÈRES

Le 23 juin 2003, Zahra Kazemi est inter-pellée par les forces de sécurité, alorsqu’elle prend des photos de familles dedétenus devant la prison d’Evine au nordde Téhéran. Battue au cours de sa détention, elle sombre dans le coma.Transportée le 27 juin à l’hôpital Baghia-tollah de Téhéran, elle décède, officielle-ment le 10 juillet, d’une hémorragie cérébrale provoquée par une fracture ducrâne. Après avoir tenté de dissimuler lescauses de la mort de la journaliste, lesautorités iraniennes reconnaissent, le 16 juillet, par la voix du vice-président AliAbtahi, qu’elle a été “battue”.

Le corps de Zahra Kazemi estinhumé dans la précipitation, le 22 juillet,à Chiraz (sud du pays), alors que les autorités canadiennes et le fils de lajournaliste, Stephan, avaient demandé lerapatriement du corps au Canada. Lamère de la journaliste, résidente en Iran,avait fait la même demande. Elle avoue,le 30 juillet, avoir été victime de pressionspour autoriser l’inhumation en Iran.

Le même jour, le vice-président AliAbtahi parle ouvertement de “meurtre”.De son côté, le 11 août, le porte-parolede l’autorité judiciaire, Gholam HosseinElham, reconnaît que la journaliste estmorte à la suite d’un coup porté à la têtemais que la faute n’incombe pas à uneinstitution, mais à des individus.

Un bras de fer s’engage alors entre lesconservateurs liés au Guide Ali Khame-nei et les réformateurs du présidentMohammad Khatami, chaque clan accu-sant l’autre d’être responsable du décès dela journaliste. Le 22 septembre, la branchecriminelle du parquet de Téhéran, prési-dée par le juge enquêteur Javad Esmaeli,rend publiques ses conclusions. La justiceiranienne écarte toute responsabilité desinstitutions étatiques dans le meurtre deZahra Kazemi. Elle désigne un agent duministère des Renseignements, Moham-mad Reza Aghdam, comme le meurtrierprésumé et l’arrête. Celui-ci est inculpé

de meurtre “quasi intentionnel”, étantentendu par cette formulation que l’accusén’a pas porté les coups à Zahra Kazemiavec l’intention de la tuer.

Son procès, fixé au 7 octobre, estajourné au 4 novembre, date à laquelle estdécidé un nouveau report sine die. L’avo-cate Shirine Ebadi, Prix Nobel de la paix2003, accepte de représenter la mère deZahra Kazemi. Depuis, plus rien ne sem-ble bouger. Les avocats de la famille de lavictime n’ont pas pu consulter le dossieret donc préparer effectivement leur plai-doirie. Le peu d’empressement des auto-rités iraniennes à établir la vérité rendplus que nécessaire aux yeux de Reporterssans frontières une enquête indépendanteet impartiale à laquelle doivent participerdes experts internationaux.

Pour en savoir plus : www.rsf.org

TUÉE POUR QUELQUES PHOTOSZahra Kazemi, 54 ans, était photographe et vivait au Canada. Pour rendre compte

de la misère et des injustices, elle avait parcouru de nombreux pays. Née en Iran,

c’est pour un reportage qu’elle avait retrouvé son pays d’origine. Ses photos lui ont coûté la vie.

Iran

IRAN • BILAN 2003

1 journaliste tuée3 journalistes agressés43 journalistes incarcérés2 journalistes interpellés

Zahra Kazemi

Le fils de la journalistedemande toujours

le rapatriement du corps au Canada

Page 36: Libertà d\'informazione

REPORTERS SANS FRONTIÈRES36

“Au nom de Sa Majesté le roi, le tri-bunal vous condamne à quatre ans de pri-son et ordonne que vous soyez immédia-tement écroué à la prison locale de Salé.Demain magazine et Doumane sont inter-dits” Le président du tribunal de pre-mière instance de Rabat, un certainAlaoui, est vert quand il prononce cettesentence, le 21 mai 2003. Sûrement laplus importante de sa carrière. En effet,c’est la première fois depuis trente-troisans que le régime marocain envoie unjournaliste en prison pour un fait depresse, et la seconde fois en treize ansqu’il applique l’article 400 du code pénal,qui permet l’arrestation sur place d’unprévenu qui s’est présenté libre à l’au-dience. Le cas précédent était celui dusyndicaliste Noubir Amaoui, le puissantsecrétaire général de la CDT (Confédé-ration démocratique du travail), aveclequel le pouvoir d’Hassan II avait uncompte à régler. A l’époque, la gauchesocialiste avait condamné l’application del’article 400. En mai 2003, cette mêmegauche applaudit bruyamment dans sesjournaux. L’un des avocats de NoubirAmaoui, Me Mohamed Bouzoubaâ, quiavait protesté avec véhémence contrel’incarcération du syndicaliste, estaujourd’hui le ministre marocain socia-liste de la Justice et... le chef du parquet.Or, c’est le parquet qui a exigé monemprisonnement.

L’ÉNORMITÉ DES ACCUSATIONSNE PRÉSAGEAIT RIEN DE BON

Un mois plus tôt, le 21 avril, j’avaisreçu la convocation au tribunal de pre-mière instance de Rabat. L’énormité desaccusations, “outrage au roi”, “atteinte àl’intégrité territoriale” et “atteinte aurégime monarchique”, ne présageait riende bon. Ce jour-là, c’est sur la base del’article 411 du code de la presse que j’aiété condamné. Un texte de loi “féodal”qui ne prévoit bizarrement aucune cir-constance atténuante. Une étrangeté dansle système judiciaire marocain. En fait,dans toute l’histoire du Maroc, cet articlen’avait jamais été utilisé. On s’en servaitpour amadouer les récalcitrants et fairepeur aux dissidents. Un épouvantail plusqu’un instrument de punition. L’article41 avait été pensé et conçu à une époqueoù il n’y avait pas de presse indépendanteau Maroc. Il servait à mater, par lamenace, la presse des partis politiques,particulièrement celle des socialistes quiappelait de ses vœux la chute du régime.Les socialistes avaient promis de l’abro-ger une fois au pouvoir. Mais, commecela arrive souvent, une fois installés augouvernement, ils l’ont simplementréaménagé, en ramenant à cinq ans aulieu de vingt ( !) la peine encourue parcelui ou ceux qui dépasseraient les fameu-ses lignes rouges.

LE “HAUT” VEUT QUE JE SOUFFRELE “BAS”

Ce mercredi 21 mai, escorté par trois voi-tures de police, je pénètre donc dans laprison de Salé, près de Rabat. La taule laplus connue du royaume aux millecontrastes. Alors que généralement, mêmedurant les années de plomb, les prison-niers politiques étaient placés dans l’aileréservée aux étrangers, cette fois-ci les“ gens d’en haut ”, c’est-à-dire les gens duPalais, ont décidé de tordre le cou à cette

LA TAULE DES MILLE ET UN CAUCHEMARSAli Lmrabet, directeur de deux journaux satiriques - Demain magazine et Douman,

sa version en arabe - est condamné en mai 2003 à quatre ans de prison. Une peine

ramenée à trois ans en appel. Il est finalement libéré le 7 janvier 2004, après deux grèves de la faim

prolongées qui ont gravement nui à son état de santé. Mais sans altérer en rien sa curiosité et son humour.

tradition. Dans l’aile où je suis détenu, iln’y a que des prisonniers de droit com-mun. Le “haut” veut que je souffre le“bas”. Et il y a de tout dans le “bas”, dansce miroir obscur de la société marocaine.Des “droit commun”, très nombreux.Des assassins, des violeurs, des trafi-quants de drogue, des voyous de toutessortes habitent cette prison, et un peuplus loin, à l’écart, les délinquants en colblanc. Les cellules de ces derniers sontjoliment peintes de couleurs vives. Deplus, on leur accorde le privilège dechoisir leurs codétenus. Généralementdu “même monde”, c’est-à-dire issus dequelque grande escroquerie financière.Ces gentlemen-taulards abreuvent lesgardiens de la prison de leur générosité.Le “bakchich”. Quand ils croisent leursgentils geôliers, ces derniers s’arrêtentnet et affichent un large sourire quisignifie : “Aboule la tune !” Bien entendu,les requérants s’exécutent.

De temps à autre, quand je le peux, jedescends dans la cour. C’est là que j’ap-prends qu’une bonne partie des islamistes

Maroc

Ali Lmrabet, dans les bureaux de Reporters sansfrontières, après sa libération

Une affiche parodique brandie lors d’une manifesta-tion de Reporters sans frontières à Courchevel

Page 37: Libertà d\'informazione

37REPORTERS SANS FRONTIÈRES

raflés dans tout le Maroc après les atten-tats terroristes du 16 mai à Casablancasont parqués dans deux ailes de la prisonque les taulards ont baptisées depuis lors“Guantánamo”. A une exception près, lesentrées et les fenêtres de “Guantánamo”sont murées, et les liaisons coupées avecle reste de la prison. A “Guantánamo” lamarocaine, c’est la DST, la police poli-tique de sinistre mémoire qui fait la loi.Mêlés à des fonctionnaires de l’adminis-tration pénitentiaire, utilisant leurs uni-formes de service, les agents secrets, quebizarrement tout le monde connaît, sontchargés de la surveillance des islamistesqu’ils tiennent pour “extrêmement dan-gereux”. Sur le papier, “Guantánamo”dépend du ministère de la Justice ; dansles faits, cette aile de la prison sert decamp de concentration dirigé par lapolice politique chérifienne.

JE SUIS LOGÉ À LA MÊME ENSEIGNE QU’UN PRINCE

Dans cette jungle, j’ai quand même eu lasacrée surprise d’apprendre que je suislogé à la même enseigne qu’un prince. Ehoui ! Un véritable prince alaouite, descen-dant direct d’Hassan Ier, l’un des grandssultans de l’ex-empire chérifien, mort à lafin du XIXe siècle. Je me suis rappelé que,durant mes recherches de doctorat, j’étaistombé sur un document exceptionnel :l’histoire d’une délégation secrète com-posée de notables marocains envoyés enEspagne par ce sultan réformateur afin derecruter 5 000 francs-maçons chargés de

1 Article 41 : Est punie d’un emprisonnement de

3 à 5 ans et d’une amende de 10 000 à 100 000

dirhams toute offense, par l’un des moyens prévus

à l’article 38, envers sa Majesté le roi, les princes

et princesses royaux. La même peine est applicable

lorsque la publication d’un journal ou écrit porte

atteinte à la religion islamique, au régime monar-

chique ou à l’intégrité territoriale.

moderniser le Maroc. La mission échoua.Je n’ai pu en découvrir les raisons, pasplus que celles qui ont amené MoulayAbdeslam, c’est le nom de ce prince cousindu roi Mohammed VI, à se retrouverembastillé dans la même prison quemoi…

J’aurais pu apprendre encore bien deschoses dans cette taule des mille et uncauchemars si, le 7 janvier 2004, aprèssept mois et demi de captivité, je n’avaisété libéré avec 32 autres prisonniers poli-tiques. L’écrivain espagnol récemmentdécédé Manuel Vásquez Montalbán, quia passé trois ans dans une geôle fran-quiste, a écrit un jour que la prison estune mine d’enseignements et de rensei-gnements. Il avait raison. Mais je com-prends qu’on préfère apprendre et se ren-seigner ailleurs que dans une prison.Surtout si elle est marocaine.

Ali Lmrabet

Pour en savoir plus : www.rsf.org

MAROC • BILAN 2003

5 journalistes incarcérés4 journalistes interpellés1 journaliste agressé

Ali Lmrabet a été détenu sept mois pour des caricatures jugées irrévérencieuses

Maroc

“Dans l’aile où je suis détenu, il n’y a

que des prisonniers de droitcommun. Des assassins,

des violeurs, des trafiquantsde drogue, des voyous

de toutes sortes”

Page 38: Libertà d\'informazione

REPORTERS SANS FRONTIÈRES38

u cœur de l’Union européenne, l’Italie,dont le chef du gouvernement, SilvioBerlusconi, est également propriétaire d’unempire médiatique, fait toujours figure d’ex-ception. Silvio Berlusconi n’a toujours pas

résolu son conflit d’intérêts et le gouvernement a tenté de fairepasser des lois servant les intérêts privés du président du Conseil,aggravant encore davantage l’ano-malie italienne et ses conséquencessur le pluralisme de l’information.

En Espagne, la menace de l’or-ganisation terroriste ETA a continuéde peser sur les journalistes ne parta-geant pas ses vues. Parallèlement, lalutte contre le terrorisme a égale-ment eu des effets néfastes pour lesmédias. Ainsi, le journal en languebasque Euskaldunon Egunkaria, dontles dirigeants sont soupçonnés decollaboration avec l’ETA, a été fermé par “mesure préventive”.

En France, le journalisme d’investigation et la protection dessources ont été menacés par le projet de “loi Perben”, dont lesdispositions les plus liberticides ont finalement été abandonnées.

DES ACQUIS FRAGILES

L’Estonie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la Polo-gne, la République tchèque, la République slovaque et la Slo-vénie, qui doivent rejoindre l’UE le 1er mai 2004, se sont montrésrespectueux de la liberté de la presse. Néanmoins, dans la plupartdes pays adhérents, les lois en matière de diffamation, d’injure etd’offense, ont trop souvent entravé l’activité des journalistes etaccordé une protection excessive aux autorités publiques.

La situation a en revanche évolué de façon inquiétante en

Roumanie, qui espère intégrer l’UE en 2007. Quatre journalis-tes qui enquêtaient sur des affaires de corruption impliquant desreprésentants locaux du parti au pouvoir ont été victimes de vio-lentes agressions. Par ailleurs, la classe politique dirigeante,soucieuse de préserver son image vis-à-vis de l’UE et à l’appro-che des élections présidentielle et législatives de 2004, a multi-plié les pressions et les poursuites judiciaires contre les journa-

listes, de plus en plus enclins àl’autocensure.

En Turquie, les condi-tions de travail restent très dif-ficiles, malgré les améliora-tions législatives apportéesdans la perspective de l’adhé-sion du pays à l’UE. Les jour-nalistes prokurdes ainsi queceux qui critiquent la politiquedu gouvernement ou le poidsde l’armée dans la vie politique

sont toujours victimes d’un véritable harcèlement judiciaire. Enfin d’année, un journaliste prokurde a ainsi été condamné à un ande prison pour avoir “offensé” le Parlement.

La liberté de la presse s’est considérablement dégradée en“République turque de Chypre du Nord” (“RTCN” - recon-nue par la seule Turquie), où les autorités ont réprimé les jour-nalistes critiques envers le régime de Rauf Denktash. Cinq jour-nalistes risquent dix à quarante ans de prison pour “outrage àl’armée”.

Dans les Balkans, les acquis en matière de liberté de lapresse restent globalement fragiles. Alors que la Bosnie-Herzé-govine et la Croatie continuent de progresser, d’importantesrestrictions à la liberté de la presse ont été constatées en Serbie-Monténégro, en particulier durant l’état d’urgence décrétéaprès l’assassinat du Premier ministre Zoran Djindjic. Les mau-

EUROPE ETEX-URSS EX-URSS : LE RETOUR DES MÉTHODES SOVIÉTIQUES ?En 2003, la situation de la liberté de la presse est restée satisfaisante dans les pays de l’Union

européenne (UE), où les cas de violation du principe de la protection des sources ou d’agressions

de journalistes ont été moins nombreux que les années précédentes. Les conditions de travail dans

les pays de l’ancien bloc soviétique sont en revanche de plus en plus mauvaises : agressions,

emprisonnements, censure, monopole d’Etat des moyens d’impression et absence de pluralisme

dans l’audiovisuel font partie du quotidien des journalistes de ces régions.

En Turquie, les journalistes qui critiquent la politique du gouvernement

ou le poids de l’armée dans la vie politique sont toujours victimes d’un véritable

harcèlement judiciaire

A

Page 39: Libertà d\'informazione

39REPORTERS SANS FRONTIÈRES

Europe et ex-URSS

vaises relations entre la presse et la classe politique ont donnélieu à une inflation du nombre de poursuites judiciaires abusivescontre les journalistes en Macédoine.

LE HARCÈLEMENT JURIDIQUE, UN OUTIL EFFICACE

Bien qu’aucun assassinat de journaliste directement lié à ses acti-vités professionnelles n’ait été à déplorer dans l’ensemble de larégion en 2003, plusieurs cas sont toujours en investigation au 1er janvier 2004. Sept journalistes sont morts dans des circons-tances particulièrement obscures en Ukraine, en Russie et auKirghizistan. En Ukraine, les assassins de Géorgiy Gongadze etd’Igor Alexandrov bénéficient toujours d’une impunité totale,tandis qu’au Bélarus, rien n’a étéfait pour retrouver les véritablesresponsables de la disparition deDmitri Zavadski. Le recours à laviolence contre des journalistesenquêtant sur des affaires de cor-ruption ou sur des scandales poli-tiques reste très fréquent enUkraine et en Russie. En Azerbaïdjan, on déplore une flambéedes agressions à l’encontre des professionnels de l’information,soit près de cent cas liés pour l’essentiel à l’élection présidentielle.

En Arménie, Géorgie et Russie, la couverture des campa-gnes électorales et des scrutins a donné lieu à de nombreusesatteintes à la liberté de la presse. Sous prétexte de lutte contre la“propagande électorale”, la libre couverture de la campagneélectorale des législatives a été entravée en Russie, en raisond’une loi qui permettait de suspendre un média après deux viola-tions du code électoral.

Le harcèlement juridique reste un outil efficace pour empê-cher la presse indépendante et celle d’opposition d’exercer leurrôle de contre-pouvoir. En Ukraine, les médias les plus critiques

envers le pouvoir en place ont continué à subir des pressions dela part de l’administration fiscale. Au Bélarus, les autorités ontsuspendu et sanctionné au moins dix journaux.

Dans la plupart des anciennes républiques du bloc soviétique,les procès pour diffamation et offense, sanctionnés par des peinesde prison ferme, ont servi à faire taire des journalistes trop cri-tiques. Au Bélarus et en Russie, quatre journalistes ont étécondamnés à des peines de travaux forcés ou de prison pour avoirdiffamé des représentants du pouvoir. En Ouzbékistan, où lacensure est toujours appliquée malgré son abolition officielle en2002, cinq journalistes sont emprisonnés. Dans ce pays et auKazakhstan, les autorités ont cherché à décrédibiliser deux jour-nalistes et défenseurs des droits de l’homme en les emprisonnant

pour des affaires de mœurs à l’issue de parodies de procès.

Restent, en ex-URSS, desrégions où aucune liberté de lapresse n’est tolérée ou presque.Au Turkménistan, le pays leplus répressif des anciennes répu-bliques soviétiques, la censure est

totale. Non content de posséder un monopole absolu sur lapresse écrite et l’audiovisuel, l’Etat tente par tous les moyensd’empêcher l’accès aux informations venant de l’extérieur, blo-quant la distribution de journaux étrangers comme les sitesInternet d’information. En Tchétchénie, où la guerre fait ragedepuis 1999, travailler hors des voies officielles est pratiquementimpossible. Un correspondant de l’Agence France-Presse, quiassurait une des rares présences d’un média étranger, a été kidnappé en juillet.

Soria Blatmann, responsable Europe de Reporters sans frontières,

et Caroline Giraud pour les pays de l’ex-URSS

Pour plus d’informations, pays par pays : www.rsf.org

En Azerbaïdjan, on a dénombré près de 100 cas d’agressions de journalistes,

liés pour l’essentiel à l’élection présidentielle

Page 40: Libertà d\'informazione

REPORTERS SANS FRONTIÈRES40

Silvio Berlusconi est à la fois chef dupouvoir exécutif et propriétaire de Mon-dadori, l’un des principaux groupes depresse et d’édition du pays, et de Media-set, qui regroupe trois chaînes de télévi-sion privées. En tant que président duConseil et leader d’une large coalitiongouvernementale, il a également unecapacité d’influence considérable sur laRAI, la télévision publique italienne.

L’entrepreneur Silvio Berlusconi,spécialisé dans la construction et l’immo-bilier, a commencé à bâtir son empiremédiatique en 1973, par l’intermédiairede sa holding Fininvest. En 2003, lemagazine américain Forbes estimait sa for-tune à près de 5,5 milliards d’euros. Dansun pays où la télévision est le média privi-légié par l’écrasante majorité des Italiens,le problème du conflit d’intérêts de Silvio

Berlusconi s’est posé dès son entrée enpolitique, en 1993. La gauche, au pouvoirensuite pendant cinq ans, n’a pas pu ouvoulu s’atteler à sa résolution.

Lors de sa campagne électorale de2001, Silvio Berlusconi s’était engagé àrégler cette question dans les cent pre-miers jours de son mandat à la présidencedu Conseil. Mais le projet de loi sur leconflit d’intérêts du gouvernement Ber-lusconi, qui doit encore être approuvé parle Sénat, est un leurre. Certes, il juge la

gestion d’une entreprise à but lucratifincompatible avec une charge gouverne-mentale. Mais il ne reconnaît pas deconflit d’intérêts si la gestion de cettepropriété est confiée à une tierce per-sonne. Or Silvio Berlusconi n’apparaîtdans aucun organigramme de ses proprié-tés, dont la gestion est confiée à sa familleou à ses proches. Dans son cas particulier,la question du conflit d’intérêts disparaîtdonc purement et simplement.

MULTIPLES INGÉRENCES

La télévision, plus que la presse écrite, estau cœur du conflit d’intérêts. La RAI est,depuis sa création, soumise à une fortepolitisation due au phénomène tradition-nel de la “lottizzazione”, qui consiste àdonner une chaîne à chaque grand cou-rant politique. Mais cette pratique quivisait, à l’origine, à garantir le pluralismedu service public, a entraîné une dépen-dance directe de celui-ci vis-à-vis du pou-voir politique, ainsi qu’une forte politisa-tion des journalistes et de la direction de

la RAI. Les membres du conseil d’admi-nistration sont nommés par les présidentsde la Chambre des députés et du Sénat,tandis que le directeur général est nomméde concert par le président du conseild’administration de la RAI et le ministrede l’Economie.

L’imbrication entre la politique et latélévision publique ne date donc pas del’arrivée de Silvio Berlusconi au pouvoir.Mais le fait que le président du Conseil

CONFLIT D’INTÉRÊTS DANS LES MÉDIAS : L’ANOMALIE ITALIENNE

Cas unique en Europe, Silvio Berlusconi cumule empire médiatique et pouvoir politique.

Que le président du Conseil soit également propriétaire des trois chaînes privées concurrentes

de la télévision publique italienne est lourd de conséquences pour l’autonomie de cette dernière.

Le président du Conseil fait peu de cas de sa “double

casquette” et ne ménage pas les journalistes

Le projet de loi sur le conflitd’intérêts du gouvernement

Berlusconi est un leurre

Italie

(Dessin de Altan, publié dans La Repubblica)- Alors, on la fait ou pas cette petite loi pourrégler le conflit d’intérêts ? - Oui, mais surtout il faut qu’elle soit bien épaulée et avec des talons bien hauts.(allusion à la façon de s’habiller de Berlusconiqui est de taille fort petite).

Silvio Berlusconi

Page 41: Libertà d\'informazione

41REPORTERS SANS FRONTIÈRES

L’année 2003 s’est conclue en Russiepar l’élection, le 7 décembre, d’uneDouma fédérale dominée par le partiEdinaya Rossiya du président VladimirPoutine, suivi du Parti communiste et dedeux partis nationalistes, l’oppositionayant été totalement étrillée. Pendant la campagne électorale, les auto-rités ont tantôt instrumentalisé lesmédias pour servir leurs intérêts, tantôtabusé de leur position pour faire taireceux qui tiraient à boulets rouges surleurs candidats. Les chaînes de télévisionRTR (d’Etat) et ORT (publique) ontouvertement soutenu le parti proKremlintandis que, fidèle à la stratégie appliquéepar Vladimir Poutine pour s’attacher lesmédias audiovisuels nationaux, le Krem-lin a repris en main l’institut de sondagespublic VTsiOM quatre mois avant lescrutin. En outre, le Conseil de la Fédé-ration a adopté des amendements au codeélectoral qui donnaient une définition silarge de la propagande électorale qu’ellepoussait à l’autocensure les journalistesqui, craignant de voir leur médiasuspendu pour avoir enfreint la loi, trai-taient des élections avec une précaution

excessive. Quelques jours avant le débutde la campagne officielle, ces amende-ments ont été jugés anticonstitutionnels.

Dans certaines régions, les potentatslocaux ne se sont pas embarrassés demoyens légaux pour faire pression sur lesmédias d’opposition ou indépendants,

sous le regard complaisant des autoritésfédérales. Au début de l’automne,quelques semaines avant l’élection del’administrateur prorusse Akhmat Kady-rov à la présidence en Tchétchénie, lasituation a encore empiré dans cetterégion du Caucase déchirée par la guerre,avec la reprise en main par les troupes du

LA GLASNOST, UNE IDÉE DÉPASSÉE ?La situation s’est encore dégradée en Russie en 2003. A l’occasion des élections

législatives, les autorités ont instrumentalisé les médias publics et entravé une libre

couverture de la campagne pour s’assurer la victoire, en particulier dans certaines républiques du Caucase.

ministère de l’Intérieur, manu militari, dela radiotélévision tchétchène et des huitjournaux encore publiés à Grozny.

Indépendamment des tensions élec-torales, dix-huit journalistes ont été victi-mes d’agressions en 2003, pour la plupartalors qu’ils enquêtaient sur des affaires decorruption ou sur le crime organisé. Surdouze interpellations, un quart a visé desjournalistes qui couvraient des sujets liésà l’environnement, autre signe que la“glasnost” (transparence) n’est toujourspas à l’ordre du jour dans la Russie deVladimir Poutine.

Pour en savoir plus : www.rsf.org

RUSSIE • BILAN 2003

3 journalistes tués1 journaliste disparu2 journalistes incarcérés2 journalistes kidnappés12 journalistes interpellés18 journalistes agressés1 journaliste menacé

Dix-huit journalistes ont été victimes d’agressions en2003, pour la plupart alorsqu’ils enquêtaient sur des

affaires de corruption ou surle crime organisé

Russie

qui, à la tête d’une large coalition gouver-nementale, détient un pouvoir politiqueimportant sur la RAI, soit également pro-priétaire des trois chaînes privées concur-rentes est lourd de conséquences pourl’autonomie de la télévision publique.

De fait, le président du Conseil faitpeu de cas de sa “double casquette” et neménage pas les journalistes. En 2002, il apubliquement jeté l’anathème sur deuxjournalistes vedettes de la RAI, très cri-tiques à son égard, dénonçant leur utilisa-tion “criminelle” du service public. Leursémissions, qui réalisaient pourtant un forttaux d’audience, ont été supprimées peuaprès ces déclarations au vitriol. Parfoisau mépris des règles constitutionnelles,

Silvio Berlusconi a multiplié les ingéren-ces dans la vie de la RAI, en perte de cré-dibilité et d’audience face à son concur-rent Mediaset.

PAS DE DÉMOCRATIE SANS PLURALISME

La situation a fait sortir de sa réservehabituelle le président de la République,Carlo Azeglio Ciampi, qui a rappelé, dansun message adressé au Parlement, qu’“iln’y a pas de démocratie sans pluralisme etsans impartialité de l’information”. Infli-geant un revers sans précédent à SilvioBerlusconi, Carlo Azeglio Ciampi arefusé, le 15 décembre 2003, de valider la

loi “Gasparri” sur la réforme de l’audiovi-suel, qui servait à l’évidence les intérêtsprivés du président du Conseil en lui per-mettant notamment de conserver ses troischaînes nationales hertziennes.

Le président du Conseil a immédiate-ment riposté en sauvant par décret l’unede ses chaînes que la Cour constitution-nelle obligeait à passer sur le satellite,avec pour conséquence une perte impor-tante de sa valeur marchande. Cette nou-velle loi sur mesure est l’illustration laplus flagrante et la plus choquante duconflit d’intérêts de Silvio Berlusconidans les médias.

Pour en savoir plus : www.rsf.org

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REPORTERS SANS FRONTIÈRES42

Ali Astamirov, correspondant de l’AgenceFrance-Presse (AFP) pour la Tchétchénie etl’Ingouchie, a été enlevé le 4 juillet 2003par un groupe d’hommes armés dans levillage d’Altievo, à trois kilomètres deNazran, la principale ville d’Ingouchie,

Tchétchénie

sous les yeux de ses confrères. Agé de 34 ans, Ali Astamirov est

tchétchène et père de deux enfants. Il col-laborait avec l’AFP depuis un an. Aupara-vant, il avait travaillé pour une radio pri-vée à Grozny et, entre 1998 et le 1er

octobre 1999, date du début des opéra-tions militaires en Tchétchénie, pour labranche tchétchène de la chaîne de télévi-sion russe NTV, alors indépendante.Dans les mois qui ont précédé son enlève-ment, le journaliste avait fait l’objet deplusieurs menaces anonymes et avait dûdéménager, craignant pour sa sécurité. Ace jour, les enquêteurs chargés du dossierà Moscou et le parquet de Nazran enIngouchie n’ont obtenu aucun résultatsignificatif. Sa famille, qui avait cru pou-

ALI ASTAMIROV RÉDUIT AU SILENCE

Tamara K.

voir affirmer, trois semaines après les faits,qu’Ali était vivant, n’en est plus aussi cer-taine aujourd’hui. Si personne ne connaîtl’identité des ravisseurs, une chose estsûre : l’un des rares journalistes qui cou-vraient ce conflit et son cortège d’exac-tions, est aujourd’hui réduit au silence.

Reporters sans frontières a engagé unesérie d’actions pour qu’Ali Astamirov nesoit pas oublié. L’organisation a notam-ment interpellé les autorités russes et ladiplomatie française, publié un appel dedix journalistes, ex-otages, demandant auprésident russe Vladimir Poutine une plusgrande mobilisation, et fait appel à la solidarité des radios russes et internationa-les pour qu’elles diffusent un message dufrère du journaliste adressé aux ravisseurs.

UNE BRÈCHE DANS LE BLOCUS DE L’INFORMATION Aujourd’hui, rares sont les journalistes qui couvrent la guerre en Tchétchénie en dehors des “convois

officiels” organisés par les autorités russes. Ces dernières font tout leur possible pour décourager

les enquêtes indépendantes. Les risques de kidnapping restent par ailleurs très élevés. D’où une difficulté

croissante pour obtenir des informations fiables. Depuis 1994, Tamara K. rédige des chroniques sur la

guerre. Jour après jour, elle filme ou photographie les crimes perpétrés par l’armée russe.

contrôles et surveillés de près par les forces armées. Le nombre d’assassinats,lui, ne diminue pas, malheureusement, et les méthodes employées ne changentpas. Les enlèvements, les meurtres, lesviols, les tortures et autres actes de violence ne cessent de se multiplier.Auprès de qui recueillez-vous vosinformations ? Dès les premiers jours de la guerre, en1994, et dans un contexte de blocus totalde l’information, la population civile,soumise quotidiennement à des fouilleshumiliantes et confrontée à l’horreur desenlèvements, s’est toujours montrée prêteà nous dire la vérité. Parce que les gensétaient respectueux du métier que nousexerçons, même si cela devait les mettreen danger. Cette attitude nous a donné àtous la force et l’envie de continuer à fairenotre travail, alors même que nous

courions d’énormes risques. Aujourd’hui,le peuple tchétchène a perdu toute foi enla justice et tout espoir de voir un jour laguerre et le génocide s’arrêter. Ce chan-gement d’attitude se répercute sur le travail des journalistes, qui ont de plus enplus de difficultés à obtenir des témoigna-ges. Il ne faut pas oublier que celles etceux qui osent témoigner le font au périlde leur vie. Que faites-vous des informationsque vous recueillez ? En quoi le tra-vail des médias est-il essentiel ?Comme tous mes confrères, je partageces informations avec des organisationsmilitant pour la défense des droits del’homme, en Tchétchénie et à l’étranger.Nous accomplissons tous la même tâche :collecter et diffuser les informations pourfaire en sorte d’arrêter l’hécatombe.

Propos recueillis par Reporters sans frontières

Depuis 1994, vous rassemblez desinformations sur la guerre en Tchét-chénie et les exactions qui s’y dérou-lent. Est-ce plus facile aujourd’hui,ou au contraire plus difficile ? Nous avons tous les jours un peu plus demal à recueillir des informations parceque nous sommes soumis à davantage de

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LES MÉDIAS SOUS CONTRÔLE

Le nombre d’agressions de journalistes n’acessé d’augmenter de manière alarmantedans tout le pays. En 2003, au moins onzed’entre eux ont été agressés alors qu’ilsenquêtaient sur des affaires de corruptionimpliquant des autorités régionales ouaprès avoir critiqué dans leurs articles deshommes politiques locaux. Deux journa-listes sont décédés dans des circonstancesparticulièrement obscures, aucun élémentne permettant toutefois d’affirmer qu’ilsont été assassinés.

L’impunité est toujours de mise pour lesassassins de Géorgiy Gongadze, journa-liste politique et rédacteur en chef dujournal en ligne www.pravda.com.ua,disparu à l’âge de 31 ans, le 16 septembre2000, et dont le corps décapité et mutiléavait été retrouvé le 2 novembre 2000. Cemeurtre est devenu une affaire d’Etataprès la diffusion d’enregistrements cen-sés avoir été réalisés dans le bureau duprésident Koutchma, et tendant à prouverl’implication des plus hautes autoritésdans la disparition du journaliste. L’en-quête, après des années de fautes graves et

de dysfonctionnements, n’a donné aucunrésultat jusqu’à l’automne 2003, avecl’arrestation d’Oleksiy Pukach, ex-chefdu renseignement du ministère de l’Inté-rieur. Pour la première fois depuis ledébut de l’affaire, un haut responsable del’Etat était arrêté. Mais une semaine plustard, le procureur général SviatoslavPiskoun, qui avait annoncé en septembreque l’enquête sur la mort du journalisteétait entrée dans sa phase finale, a étélimogé par le président Koutchma.

Le meurtre d’Igor Alexandrov, direc-teur général de la télévision TOR à Sla-viansk (région de Donetsk), battu à mortle 7 juillet 2001, reste également impuni.

Les médias sont toujours soumis à demultiples formes de pressions. En 2003,les administrations fiscales locales ontmultiplié les contrôles des médias les pluscritiques envers les autorités. Dans la per-spective de l’élection présidentielle, pré-vue pour octobre 2004, le Comité parle-mentaire pour la liberté d’expression etd’information a recommandé au gouver-nement du suspendre ces inspections du1er janvier au 30 octobre 2004. Dans unpays où la majorité des médias, en parti-culier l’audiovisuel et les agences depresse, sont contrôlés par les proches duprésident Koutchma ou par l’oligarchie,la campagne électorale devrait en effetêtre une période à haut risque pour lesjournalistes les plus indépendants.

Pour en savoir plus : www.rsf.org

Les administrations fiscaleslocales ont multiplié

les actions contre les médiasles plus critiques

envers les autorités

Ukraine

La situation de la liberté de la presse en Ukraine est préoccupante.

A l’approche de l’élection présidentielle de 2004, qui risque fort d’être

une période à haut risque pour les journalistes indépendants, le président Koutchma

et ses proches contrôlent les médias les plus influents du pays.

UKRAINE • BILAN 2003

2 journalistes tués14 journalistes agressés4 journalistes menacés

L’impunité est toujours de mise pour les assassins

du journaliste politique Géorgiy Gongadze

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LES PRÉDATEURS DE LA LIBERTÉ DE LA PRESSEDerrière les violations de la liberté de la presse se cachent des responsables et des commanditaires.

Qu’ils soient président, ministre, chef d’état-major, chef religieux ou leader d’un groupe armé,

ces prédateurs de la liberté de la presse ont le pouvoir de censurer, emprisonner, enlever, torturer et,

dans les pires des cas, assassiner des journalistes. Pour mieux les dénoncer, Reporters sans frontières

dresse leurs portraits.

LES GROUPES ARMÉS

Afghanistan, Algérie, Bangladesh, Cachemire,Pakistan, PhilippinesLes militants islamistes armésAu Pakistan, au Cachemire ou encore aux Philippines,des groupes islamistes “djihadistes” s’attaquent auxjournalistes locaux ou étrangers qui enquêtent sur leursactivités. Dans certaines régions d’Algérie, les menaces

continuent après la vague d’assassinats des années 1990. En Afghanistan,des taliban ont appelé à tuer les Occidentaux, notamment les journalistes.Au Bangladesh, les islamistes les plus radicaux s’en sont pris aux journalistesqui dénoncent les exactions contre les hindous.

ColombieCarlos CastañoCHEF DES PARAMILITAIRESParmi les cinq journalistes assassinés dans le pays en2003, trois d’entre eux pourraient l’avoir été par lesAutodéfenses unies de Colombie (AUC), un groupedirigé par Carlos Castaño, alors qu’ils dénonçaient lacorruption de fonctionnaires locaux. Une situation

d’autant plus inquiétante que les paramilitaires, engagés dans un processusde paix avec le gouvernement, ont négocié une impunité totale en échangede leur démobilisation. La trêve, en cours depuis le 1er décembre 2002,n’a entraîné aucune diminution de leurs menaces ou de leurs agressions àl’encontre de la presse.

ColombieNicolas Rodríguez Bautista et Manuel MarulandaCHEFS DE GUÉRILLASEn 2003, sept journalistes ont été enlevés par les Forcesarmées révolutionnaires de Colombie (FARC, marxistes)conduites par Manuel Marulanda. En mars, la publica-tion d’une liste noire a provoqué le départ de treizejournalistes du département d’Arauca, privant la régionde ses correspondants. Des méthodes partagées parl’Armée de libération nationale (ELN, guévariste),dirigée par Nicolas Rodríguez Bautista, qui avait déjàenlevé deux journalistes britanniques en janvier. Autotal, plus de 80 journalistes ont été enlevés ou retenuspar ces deux guérillas depuis 1997.

EspagneETAORGANISATION TERRORISTEL’ ETA a repris sa campagne de terreur en multipliantles menaces contre des journalistes ne partageant passes positions sur la guerre en Irak ou la situation au Paysbasque. En 2003, la télévision basque Euskal IrratiaTelebista (EITB) a été la cible privilégiée de l’organisa-

tion terroriste. De nombreux journalistes sont ainsi contraints de recourirà une protection officielle ou privée, et les médias ont renforcé les mesuresde sécurité à l’entrée de leurs locaux.

Népal Camarade PrachandaLEADER DES MAOÏSTESDe son vrai nom Pushpan Kamal Dahal, le CamaradePrachanda dirige d’une main de fer le Parti communistenépalais (maoïste) engagé depuis 1995 dans une “guerrepopulaire” contre la monarchie et le féodalisme népalais.Traqués par l’armée royale, les combattants maoïstesont tué au moins trois journalistes. En 2003, ils ont

égorgé un correspondant de l’agence de presse publique. Les paysans quivivent dans les zones sous leur contrôle se sont vu interdire d’écouter lesinformations des radios privées.

LES HÉRITIERS

Arabie saoudite Abdallah ibn al-SeoudPRINCE HÉRITIERDepuis 1995 et l’embolie cérébrale du roi Fahd, le princeAbdallah gère de facto les affaires du pays. Placéessous une forte pression américaine pour réformer sesinstitutions politiques après les attentats du 11 septem-bre 2001, les autorités sont également confrontées àune contestation intérieure croissante. Si bien que les

journalistes saoudiens se risquent parfois à franchir les lignes rouges fixéespar la Saudi Press Agency, qui dépend directement du ministère de l’Inté-rieur. La censure et l’autocensure n’en demeurent pas moins la règle.

Guinée équatoriale Teodoro Obiang NguemaPRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUEDepuis 1979, Teodoro Obiang Nguema, réélu en 2002avec 97,1 % des voix, dirige d’une main de fer le seulpays hispanophone du continent. Après avoir acheté ouenvoyé en prison les opposants les plus sérieux en 2002,il continue de mettre au pas une presse déjà très affaiblie

par un marché agonisant. Les médias d’Etat sont à sa botte. En juillet 2003,la radio nationale a affirmé qu’il était “le dieu de la Guinée équatoriale” etpouvait “décider de tuer sans que personne lui demande des comptes etsans aller en enfer”.

NépalGyanendra Shah DevROIDepuis le 4 octobre 2002, après avoir dissous le Parle-ment, le roi Gyanendra gouverne le pays avec le soutiende son seul parti. Incapable de rétablir la stabilité, il adonné tous les pouvoirs à l’armée royale pour anéantirles “terroristes” maoïstes. En 2003, les forces de sécu-

rité ont arrêté, détenu au secret, torturé ou menacé près d’une centaine dejournalistes. Le Népal est le pays du monde où le plus grand nombre dejournalistes ont été arrêtés au cours des trois dernières années.

Nicolas Rodríguez Bautista

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SwazilandMswati IIIROIDepuis 1986, Mswati III règne en despote absolu sur lepays. Les partis politiques sont interdits et le roi nommeles membres du gouvernement, les députés et les juges.Les médias n’échappent pas à son contrôle. L’autocen-sure est la norme et les sujets tabous nombreux. Toute

critique du monarque est interdite et, lors des conférences de presse offi-cielles, les questions sont choisies à l’avance par les conseillers du roi. Lapresse publique diffuse uniquement les nouvelles contrôlées et validées parle ministère de l’Information.

SyrieBachar el-AssadPRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUEEn juillet 2000, Bachar el-Assad succède à son père etannonce une libéralisation du régime, mais le “prin-temps de Damas” ne verra jamais le jour. La guerrevoisine en Irak a montré en 2003 que l’informationdemeure entièrement contrôlée par les autorités. Les

journalistes étrangers sont surveillés et Internet censuré, la répressionallant jusqu’à l’emprisonnement de deux internautes. Les télévisionsprivées sont interdites en Syrie et seuls les programmes musicaux ou dedivertissement sont autorisés sur les radios privées.

TongaTaufa’ahau Tupou IVROILe roi Taufa’ahau Tupou IV gouverne le royaume desTonga en monarque absolu. En 2003, il a suivi l’avis duchef du gouvernement, son fils, et modifié la Constitu-tion pour interdire les rares publications indépendan-tes, notamment le journal Taimi ‘o Tonga. Pour sa part,

la reine Halaevalu Mata’aho a qualifié d’ “insultants et d’irrespectueux” desjournalistes qui ne s’agenouillaient pas devant elle et ne gardaient pas latête baissée en présence des autres membres de la royauté.

LES DÉMOCRATES DE FAÇADE

BangladeshAltaf Hossain ChowdhuryMINISTRE DE L’INTÉRIEURLes policiers qui ont détenu puis torturé, en 2003,Saleem Samad, correspondant de Reporters sans fron-tières, agissaient sur ordre de Altaf Hossain Chowd-hury. C’est également lui qui a fait emprisonner unjournaliste de l’agence de presse Reuters, accusé d’avoir

mal retranscrit ses propos. Depuis son arrivée aux affaires, en octobre 2001,au moins 500 journalistes ont été agressés ou menacés, vingt autres arrêtés,quatre assassinés et une trentaine de rédactions ou clubs de la presseattaqués.

EthiopieMeles ZenawiPREMIER MINISTREMeles Zenawi a pris le pouvoir à Addis-Abéba en 1991,après vingt ans de lutte armée dans les rangs de la guérillatigréenne. Le chef du gouvernement éthiopien nesupporte pas les écarts de langage d’une presse localetrès virulente. Plusieurs dizaines de journalistes sont en

permanence sous le coup de poursuites judiciaires et attendent d’être jugés.Tous risquent une peine de prison et peuvent, du jour au lendemain,se retrouver dans une cellule de l’un des nombreux centres pénitentiairesdu pays.

RussieVladimir PoutinePRÉSIDENT DE LA FÉDÉRATION DE RUSSIEDepuis son arrivée au pouvoir en 2000, VladimirPoutine a rogné les libertés obtenues après la chute del’Union soviétique. Cet ancien membre des servicessecrets a repris en main les principaux médias audiovi-suels nationaux et rendu impossible une couverture

libre de la guerre en Tchétchénie. Dans les provinces, il laisse en touteimpunité les potentats locaux censurer la presse d’opposition et des violencess’exercer à l’encontre des journalistes qui dénoncent la corruption desfonctionnaires.

RwandaPaul KagamePRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUEElu en août 2003 avec 95 % des voix, le général Kagamea désormais le champ libre pour mener le pays à saguise. Malgré l’annonce de la création de radios privées,la liberté de la presse n’est toujours pas une réalité auRwanda. Les principaux titres ne font que relayer l’in-

formation officielle et les rares journaux qui adoptent une ligne éditorialeindépendante le paient cher : suspensions, saisies d’exemplaires, pressionset menaces sont monnaie courante. Deux journalistes sont détenus abusi-vement depuis une dizaine d’années et plusieurs autres sont en exil.

SingapourGoh Chok TongPREMIER MINISTREPremier ministre depuis 1990, Goh Chok Tong est éga-lement dirigeant du Parti de l’action du peuple, quicompte sur le soutien sans faille des groupes de pressepublics et privés. Si l’accès aux médias étrangers estautorisé, les informations indépendantes sur Singapour

sont rares dans la presse locale. Le ministre de l’Information a affirmé en2003 : “La censure est nécessaire pour nous préserver de la violence et dela dépravation des mœurs.” Quelques sites Internet indépendants tententd’informer librement, au risque d’être poursuivis.

TunisieZine el-Abidine Ben AliPRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUELe président Zine el-Abidine Ben Ali a tenté de donnerdes gages en matière de liberté de la presse, en relâchantde ses geôles, en novembre 2003, le jeune cyberdissidentZouhair Yahyaoui et en proclamant la création d’unechaîne de radio privée lors de son 16e anniversaire à la

présidence. Mais dans les faits, la presse publique et privée, la radio, la télé-vision et la Toile restent aux ordres du Président. Les journalistes qui tententd’exercer leur profession de manière plus indépendante sont harcelés enpermanence. Deux sont en prison.

Les prédateurs de la liberté de la presse

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Les prédateurs de la liberté de la presse

LES AUTORITAIRES

BélarusAlexandre LoukachenkoPRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUEAutocrate formé à l’école soviétique, le président Lou-kachenko s’évertue à étouffer tout contre-pouvoir. Lesautorités, spécialisées dans le harcèlement administratif,empêchent la parution de nombreux journaux et vontjusqu’à fermer des organisations de soutien aux médias.

Trois journalistes ont purgé des peines de travaux forcés pour avoir “insultéle Président” et l’impunité reste de mise pour les responsables de la dispa-rition, en 2000, du journaliste Dmitri Zavadski.

ErythréeIssaias AfeworkiPRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUEPlus grande prison d’Afrique pour les journalistes, seulpays du continent et l’un des rares au monde sans presseprivée, l’Erythrée détient de bien tristes records. IssaiasAfeworki, chef d’Etat depuis l’indépendance en 1993,en porte principalement la responsabilité et reste

totalement insensible aux pressions de la communauté internationale.“Les journalistes emprisonnés sont des traîtres”, martèlent les autorités.Détenus au secret, ils sont au moins quatorze à risquer la peine capitale.

IranAli KhameneiGUIDE DE LA RÉPUBLIQUE ISLAMIQUEEn lutte avec le président réformateur MohammadKhatami, le Guide de la République Ali Khamenei jouitde l’effectivité du pouvoir politique et judiciaire. Lapresse, qui se fait l’écho de cet affrontement, en fait lesfrais. Les journalistes vivent sous la menace permanente

d’être emprisonnés et jugés de façon arbitraire. En juillet 2003, la photo-journaliste Zahra Kazemi a été assassinée en prison. Avec 43 journalistesincarcérés en 2003, l’Iran reste la plus grande prison du Moyen-Orientpour la presse.

KazakhstanNoursultan NazarbaïevPRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUELa plupart des médias privés sont contrôlés par le clande Noursultan Nazarbaïev, dont sa propre fille, DarigaNazarbayeva. Les quelques journaux d’opposition etsites Internet qui ont publié des articles sur un scandale

impliquant le Président dans une affaire de détournement de fonds ont étépoursuivis, fermés ou bloqués. Un des plus acharnés détracteurs du régime,le journaliste et défenseur des droits de l’homme Sergueï Douvanov, a étécondamné, en janvier 2003, à trois ans et demi de prison.

OuzbékistanIslam KarimovPRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUEOfficiellement, la censure a été abolie en Ouzbékistanen 2002. De fait, elle est toujours appliquée, en particu-lier à la télévision d’Etat, qui décrit un pays à millelieues des réalités politiques et économiques. Les jour-nalistes doivent s’abstenir de toute référence à la cor-

ruption, au trafic de drogue, à la religion musulmane, et surtout de toutecritique de la politique du président Karimov. Cinq d’entre eux sont empri-sonnés, dont le journaliste et défenseur de la liberté de la presse RuslanSharipov, condamné en 2003 à quatre ans de prison.

UkraineLeonid KoutchmaPRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUEA l’approche de l’élection présidentielle de 2004, leprésident Leonid Koutchma et ses proches contrôlentles médias les plus influents du pays. La campagne élec-torale risque d’être une période à haut risque pour lesjournalistes les plus indépendants, soumis à de multi-

ples formes de pressions. L’enquête sur l’assassinat en 2000 du journalisteGéorgiy Gongadze, très critique envers le régime de Koutchma, esttoujours au point mort : la question de la responsabilité des plus hautesautorités de l’Etat dans ce meurtre reste ouverte.

LES MILITAIRES

BirmanieThan Shwe CHEF DE L’ETATLe général Than Shwe interdit toute information libre.Seize professionnels des médias sont détenus dans lepays. Un journaliste sportif, Zaw Thet Htwe, a étécondamné à mort. Des dizaines d’autres sont mis à l’in-dex. Dans un pays où les postes clés du gouvernement

et de l’économie sont occupés par des militaires, aucune critique de l’arméen’est tolérée. Enfin, près de cinquante reporters étrangers, qualifiésd’“ennemis de la Birmanie”, ont leurs noms inscrits sur une liste noire quileur ferme les portes du pays.

LaosKhamtay SiphandonePRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUEKhamtay Siphandone maintient un contrôle particuliè-rement strict sur les médias. L’agence de presseofficielle Khaosan Pathet Lao (KPL), aux ordres du Parti,est seule habilitée à donner son avis sur les sujets sensi-bles. Le journal du Parti se présente comme une “publi-

cation révolutionnaire élaborée par le peuple et pour le peuple”. En 2003,deux reporters indépendants européens, Thierry Falise et VincentReynaud, ont été arrêtés, condamnés à quinze ans de prison, puis relâchés,pour avoir réalisé un reportage sur la minorité Hmong.

PakistanPervez MusharrafPRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUELe général-président peut compter sur les agents duservice secret militaire (ISI) pour surveiller, intimider,manipuler ou arrêter les journalistes pakistanais ouétrangers gênants. Il a justifié la torture et la détentionau secret de Khawar Mehdi qui enquêtait, aux côtés de

deux journalistes de l’hebdomadaire français L’Express (eux-mêmes arrêtéspuis libérés), sur les groupes taliban à la frontière afghane. En juin 2003, unjournaliste d’investigation a été renvoyé de son journal suite aux pressionsdu Président qui l’accusait d’avoir “terni l’image” du pays. Un autre a étécondamné à mort après avoir dénoncé les agissements d’une agence gou-vernementale de lutte antidrogue contrôlée par le général Musharraf.

TurquieHilmi OzkokCHEF D’ÉTAT-MAJOR DES ARMÉESChef d’état-major des armées, Hilmi Ozkok est, à cetitre, membre du Conseil national de sécurité, uneinstance accordant aux militaires un droit de regardpermanent sur la presse. Malgré l’adoption de réformeslégislatives de grande ampleur dans la perspective de

l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne, les journalistes qui criti-quent la politique du gouvernement ou le pouvoir de l’armée sont toujoursvictimes d’un véritable harcèlement juridique. Quatre d’entre eux sontemprisonnés en raison de leur activité professionnelle.

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Les prédateurs de la liberté de la presse

LES DICTATEURS

ChineHu JintaoPRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUEAlors qu’Hu Jintao se faisait introniser, début 2003, à latête du Parti communiste chinois et de l’Etat, le dépar-tement de la propagande interdisait aux journalistes deparler de l’épidémie de SRAS qui sévissait dans le pays.Plus généralement, le pouvoir interdit les sujets sensi-

bles, tels que les grèves ouvrières, la dissidence, Falungong ou les mouve-ments séparatistes. Hu Jintao n’a en rien atténué la répression qui toucheles cyberdissidents et les internautes. Au moins 53 d’entre eux sont détenuspar la sécurité publique.

Corée du NordKim Jong-il SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU PARTI DU TRAVAIL DE CORÉEKim Jong-il, égocentrique et incontrôlable, gouverneun pays exsangue, avec le seul titre de président de laCommission nationale de défense. Il attribue à la pressele seul rôle de “diffuser la politique du parti unique et de

l’éminent camarade, Kim Jong-il, pour l’accomplissement de la dictaturedu prolétariat”. Les Nord-Coréens n’ont droit qu’à des postes de radioscellés et vérifiés tous les trois mois. Les journalistes étrangers sont proscritset très peu d’informations ont filtré sur les 200 000 personnes détenuesdans des camps de concentration.

TurkménistanSeparmourad NyazovPRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUEAucune liberté de la presse n’est tolérée au Turkménistan,où les médias sont un outil de propagande au service duprésident à vie, Separmourad Nyazov. Les journaux etles chaînes de télévision, dont le “père des Turkmènes”définit lui-même la ligne éditoriale, arborent son

visage en une ou sur le côté de l’écran. Nombreux sont ceux qui, ayant osécritiquer ce dernier, sont emprisonnés dans des conditions très pénibles. Lapression est telle que les journalistes doivent se résoudre à l’autocensure ouà l’exil.

Viêt-namNong Duc Manh PREMIER SECRÉTAIRE DU PARTISelon deux directives du bureau politique du Parti com-muniste, dirigé par Nong Duc Manh, les journalistesdissidents sont des “espions criminels” et les médiasétrangers coupables de promouvoir la “violence afin denier l’idéal socialiste”. Nong Duc Manh a renforcé la

répression contre les journalistes critiques qui sont passibles de lourdespeines de prison pour “subversion” et “propagation de fausses nouvelles”.Ainsi, Nguyen Dinh Huy, septuagénaire, est incarcéré depuis novembre1993. Il a été condamné à quinze ans de prison. Sept cyberdissidents sontégalement détenus.

LES DINOSAURES

Cuba Fidel CastroPRÉSIDENT DU CONSEIL D’ETAT ET DU CONSEIL DES MINISTRESDepuis leur arrestation lors de la vague de répressionlancée par les autorités le 18 mars 2003, une trentainede journalistes, qui purgent des peines allant jusqu’à 27ans de prison, sont détenus dans des conditions très dif-

ficiles. Cellules d’isolement remplies d’immondices, privation d’eau ou demédicaments, agressions par les gardiens, annulation des visites... le régimede Fidel Castro ne recule devant rien pour dissuader la presse indépen-dante, par ailleurs continuellement harcelée, d’exister. Cuba est la plusgrande prison du monde pour les journalistes.

LibyeMouammar KadhafiCHEF DE L’ETAT ET GUIDE DE LA RÉVOLUTIONLe colonel Kadhafi maintient une chape de plomb surl’ensemble des médias qui restent totalement inféodésau régime. Si le chef de l’Etat est parvenu à faire réinté-grer la Libye dans le concert des nations, il n’a faitaucune concession à la liberté de la presse et ne tolère

aucune indépendance des médias. On reste sans nouvelles du journalisteAbdullah Ali al-Sanussi al-Darrat qui serait emprisonné depuis plus de 30 ans.

MaldivesMaumoon Abdul GayoomPRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUELe président Maumoon Abdul Gayoom, réélu en octo-bre 2003 avec 90,28 % des voix, tolère mal les critiquesde la presse. Trois animateurs d’une lettre électroniqued’information sont toujours emprisonnés. En 2003, legouvernement a retiré leurs licences à une vingtaine de

publications. Le ministre de l’Information est le beau-frère du Président.Le quotidien Aafathis est la propriété de son gendre. La radio et la télé-vision gouvernementales n’accordent qu’une place très réduite aux voixd’opposition. Les autorités bloquent une trentaine de sites Internetbasés à l’étranger.

TogoGnassingbé EyadémaPRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUELe doyen des présidents du continent africain, à la têtedu Togo depuis 1967, connaît bien la presse et s’enméfie. Quand un journaliste se montre trop critiqueenvers lui, il est convoqué à Lomé II, sa résidence offi-cielle. Le général-président reçoit personnellement les

professionnels de la presse pour les sermonner et leur rappeler qu’on nepeut pas s’en prendre ainsi au plus haut personnage de l’Etat. Deuxreporters ont été violemment battus pendant leur détention, en 2003.

ZimbabweRobert MugabePRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUEAu pouvoir depuis près d’un quart de siècle, le présidentRobert Mugabe a décidé de faire taire définitivementtoute voix d’opposition dans son pays. Quitte à prendreparfois certaines libertés avec la loi. En 2003, aprèss’être débarrassé de la presse étrangère, le chef de l’Etat

s’en est pris au Daily News, seul quotidien indépendant. Malgré plusieursdécisions de justice ordonnant la réouverture du journal, le gouvernementn’a pas cédé d’un pouce et a tout mis en œuvre afin que le quotidien,déclaré illégal en septembre, ne puisse pas reparaître dans les kiosques.

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REPORTERS SANS FRONTIÈRES Secrétariat international5 rue Geoffroy-Marie 75009 Paris / FranceTel. : 33. 1. 44. 83. 84. 84 / Fax : 33. 1. 45. 23. 11. 51Site Internet : www.rsf.org

Directeur de publication Robert MénardRédactrice en chef Sylvie Devilette - [email protected] Anne Martinez-Saiz - [email protected]

Direction artistique Nuit de Chine / [email protected]

Traduction Greg Chamberlain / Michael Tarr

Achevé d’imprimer en mars 2004Imprimé par ROTOLITO LOMBARDA / MILAN© Reporters sans frontières Mai 2004

Reporters sans frontières remercie le magazine Télérama

pour son soutien financier à la réalisation et à la diffusion du dossier

“Le tour du monde de la liberté de la presse en 2003”.