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  • Murray N. ROTH BARD

    L'HOMME L'CONOMIE

    & L'TAT Traduit par

    Herv de Quengo

    dition en cinq tomes sous la direction de Guido Hlsmann

    TOMEI CONTENANT LES CHAPITRES 1 - 4

    Introduction de Guido Hlsmann Professeur agrg l 'U niversit d'Angers

    INSTITUT CHARLES COQUELIN PARIS

  • Remerciements

    Les Editions Charles Coquelin tiennent remercier Herv de Quengo pour la traduction et la numrisation de cet ouvrage, ainsi que pour les conseils judicieux qu'il a gnreusement fournis. Elles remercient galement le Professeur Guido Hlsmann pour avoir conu cette dition en cinq tomes et avoir su mobiliser une quipe de jeunes chercheurs pour la raliser. Nous remercions galement pour leurs prfaces Renaud Fillieule, Matre de Confrence l'Universit de Lille II, Nikolay Gertchev, Economiste la Commission Europenne de Bruxelles, Laurent Carnis, Chercheur associ au Centre d'Economie de la Sorbonne et Xavier Mra, Chercheur indpendant, Paris; pour ses relectures et nombreux conseils Guillaume V uillemey; pour sa coordination ditoriale le Professeur Philippe Nataf et pour son autorisation de publication le Mises Institute.

    Cet ouvrage est publi par les Editions Charles Coquelin

    Dpt lgal du Tome 1: 4me trimestre 2007

    I.S.B.N. : 2-915909-11-1

  • Charles Coquelin (1802-1852) Surtout connu pour son fameux Dictionnaire de l'Economie Politique, Charles

    Coquelin a contribu de faon dcisive au progrs de la science conomique au 19me sicle.

    N Dunkerque le 25 novembre 1802, il fait ses tudes au lyce de Douai et part terminer Paris ses tudes de Droit. Avocat inscrit au barreau, il dcide de se consacrer l'Economie Politique. Il crit deux livres sur l'industrie du lin dans laquelle, J'instar de ],B. Say, il a travaill quelques annes, Essai sur la filature mcanique du lin et du chanvre (1840) et Un nouveau trait complet de la filature du lin et du chanvre (1846).

    II donne d'excellents articles conomiques une srie de revues telles que Les Annales du Commerce, Le Temps, Le Monde, Le Droit, Le Libre Echange, Jacques Bonhomme, La Revue des Deux Mondes et le Journal des Economistes et publie deux autres ouvrages consacrs aux banques, Des banques en France (1840) et Du crdit et des banques (1848). Puis Gilbert Guillaumin lui confie la tche difficile de diriger l'dition du Dictionnaire de l'Economie Politique.

    Sa contribution la plus originale et la plus durable concerne l'analyse de la conjoncture conomique. Vingt-quatre ans avant Clment Juglar celui-ci lui succda au Journal des Economistes, il constate l'aspect rcurrent et priodique des crises commerciales.

    II explique que ces crises caractre industriel et priodique ne sont pas inhrentes au systme du libre march, mais au contraire qu'elles trouvent leur source dans l'intervention de l'Etat en matire montaire. En attribuant des privilges et des monopoles exclusifs certaines banques, celui-ci perturbe les acteurs conomiques par des fluctuations intempestives du crdit bancaire. De l provient le double dfaut de la cration d'injustices et de J'instabilit conjoncturelle.

    Fond le 3 mars 1984, l'Institut Charles Coquelin a pour but de faire connatre non pas telle ou telle uvre de cet auteur mais l'ensemble de ses contributions et l'influence considrable qu'elles eurent sur la thorie moderne de la monnaie, du crdit et de la conjoncture. Ses analyses l'amenrent, dans sa recherche de la prosprit pour tous, demander le libre-change, une profonde rforme du droit des socits menant l'extension des investissements, et donc la croissance conomique, ainsi que la suppression des privilges et monopoles exclusifs freinant et perturbant l'industrie bancaire. Libre-change, droit des socits et libert d'tablissement des banques, telles furent inlassablement ses demandes. Huit ans aprs sa mort, survenue brutalement le 12 aot 1852, elles furent largement adoptes (1859-63) et ouvrirent la France le progrs conomique que la Grande Bretagne connaissait dj depuis longtemps.

    L'Institut Charles Coquelin publiera les ouvrages des principaux conomistes antrieurs ou contemporains de Charles Coquelin ainsi que les travaux modernes qui prolongent et compltent ses analyses.

    L'Institut remercie l'avance ceux qui apporteront critiques, commentaires et suggestions.

    Site: www.freewebs.comlinstitutcharlescoquelin{ E-mail: [email protected] (envoi de bons de commande par e-mail sur demande)

  • Editions Charles Coquelin

    Ouvrages dj parus

    Ludwig von Mises, La Bureaucratie, 2003 Jacques de Guenin, Attac ou J'intoxication de personnes de bonne volont, 2004 Grard Minart, Jean-Baptiste SAY (J 767-1832) Matre et pdagogue de l'Ecole franaise d'conomie politique librale, 2005 Henry Hazlitt, L'conomie politique en une leon. 2006 Ludwig von Mises. Les problmes fondamentaux de l 'conomie politique. 2006 Ludwig von Mises. Politique conomique. 2006 Jacques de Guenin. Logique du libralisme, 2006 Murray Rothbard. La Monnaie et le gouvernement. 2006 Ludwig von Mises. Le Libralisme. 2006 Murray N. Rothbard. L 'Homme, J'Economie et J'Etat (Tomes 1 et II)

    Collection Dbats

    Jean-Luc Migu. Sant publique. sant en danger, (conu par l'Institut Turgot). 2005 Florence Guernalec. Panorama de la pense unique 2006

    Ouvrages paratre

    Jss Huerta deSoto L'Ecole Autrichienne march et crativit entrepreneuriale Murray N. Rothbard. L 'Homme. J'Economie et J'Etat (en cinq tomes) Ludwig von Mises, Le Fondement ultime de la science conomique Grard Minart. Actualit de Jacques Rueff. Le Plan de redressement 1958 Ludwig von Mises, La thorie de la monnaie et du crdit Gustave de Molinari. Ultima verba Boris Brutzkus, UR.S.S. terrain d'expriences conomiques Charles Coquelin. Les Crises Commerciales Ludwig von Mises, Le Socialisme Charles Coquelin. Les Crises Commerciales Ludwig von Mises. L'Action Humaine Gustave de Molinari. Economie de 1 'Histoire, Thorie de l'Evolution Dictionnaire de l'conomie politique Edit par Ch. Coquelin et G. Guillaumin

  • Les uvres compltes de Ludwig von Mises

    La Thorie de la Monnaie et du Crdit (1924, [1912]) Nation, Etat et Economie (1919) Le Socialisme (1938, [1922]) Le Libralisme (1964, 1985 [1927]) Stabilisation montaire et politique cyclique (1928) Critique de J'interventionnisme (1929) Les Problmes fondamentaux de J'conomie politique (2006, [1933]) Les IIIusions du protectionnisme et de J'autarcie (1938) Souvenirs d'Europe (1978, [1940]) L'Interventionnisme (1940) Le Gouvernement omnipotent (1947, [1944]) La Bureaucratie (2003, [1944]) Le Chaos du planisme (1947) Notes sur le mouvement coopratif (194 7) L'Action humaine (1985, [1949]) Planifier la libert et autres essais (1980, [1952]) La Mentalit an ti-capitaliste (1956) Thorie et Histoire (J 957) Les Dbuts historiques de J'Ecole conomique autrichienne (1962) Le Fondement ultime de la science conomique (1962) Le Choc des intrts de groupe et autres essais (1978) Politique conomique (2006, [1979]) Monnaie, mthode et march (1990) Libert conomique et interventionnisme (1990)

    Les titres en gras indiquent les traductions dj publies par les Editions Charles Coquelin

  • Murray N. ROTH BARD

    L'HOMME L'CONOMIE

    & L'TAT Traduit par

    Herv de Quengo

    dition en cinq tomes sous la direction de Guido Hlsmann

    TOMEI CONTENANT LES CHAPITRES 1- 4

    Introduction de Guido Hlsmann Professeur agrg l'Universit d'Angers

    INSTITUT CHARLES COQUELIN PARIS

  • Introduction

    Le prsent ouvrage est l'un des plus grands traits d'conomie. Vri-table somme des principes conomiques, il examine tous les sujets tradi-tionnels de cette science: choix, change, monnaie, consommation, pro-duction, distribution, cycles, organisation industrielle et politique co-nomique. Il propose une discussion des grandes approches contemporai-nes et fournit une critique de fond de la modlisation en micro-conomie et macro-conomie.

    L'auteur nous fait comprendre que la science conomique n'est pas une simple bote outils intellectuelle dans laquelle se juxtaposent des modles et hypothses souvent sans rapport, voire contradictoires. Elle est la science des lois conomiques - des relations invariables entre cause et effet dans les actions individuelles et dans les rapports sociaux. Ces lois admettent une description exacte, cohrente et systmatique. L 'Homme, j'conomie et j'taten fournit la preuve.

    N le 2 mars 1926 New York City d'une famille d'immigrants juifs, Murray Newton Rothbard poursuit des tudes de mathmatiques et d'conomie l'universit Columbia.! Bien qu'il s'intresse beaucoup l'conomie politique aucun systme thorique ne lui parat pleinement satisfaisant. Il accepte la critique que l'orthodoxie anglo-saxonne (Ernest Nagel, George Stigler) fait de l'institutionnalisme amricain ryv.C. Mit-chell, Arthur Burns, ].M. Clark) et, inversement, la critique que cet insti-tutionnalisme fait de l'orthodoxie. Mais il ne peut accepter leurs concep-tions positives.

    En 1948, dans les sminaires organiss par la Foundation for Econo-mic Education (FEE), il rencontre Ludwig von Mises, clbre reprsen-

    ! Voir les informations biographiques dans Justin Raimondo, An Enemy of the State: The Life of Murray N. Rothbard (Amherst, New York: Prometheus Books, 2000) ; David Gordon, The EssentiaJ Rothbard (Auburn, Ala. : Mises Institute, 2007).

  • L'HOMME, L'ECONOMIE ET L'ETAT

    tant de l'cole autrichienne, qui un an plus tard publie son uvre magis-trale, L'action humaine, un trait de 900 pages. Mises y prsente une thorie gnrale qui inclut l'analyse de l'conomie de march comme tant un cas particulier. 2 Rothbard y trouve l'approche systmatique et cohrente qu'il avait recherche en vain pendant ses tudes.3 Il rejoint le sminaire de Mises la New York University et est trs heureux lorsque la FEE lui demande d'crire un manuel d'conomie qui reprendrait les ides de Mises sous une forme plus accessible au grand public.4 Roth-bard commence ces travaux en 1950 et les poursuit avec tnacit, rdi-geant en parallle une thse de doctorat sur la crise bancaire amricaine de 1819.

    En 1956 il soutient sa thse sous la direction de Joseph Dorfman la Columbia University.s Trois ans plus tard, il achve le manuscrit com-missionn par la FEE. Cependant, ce dernier n'est plus la simple popula-risation des ides de Mises. Avec l'encouragement de son matre pen-ser, Rothbard s'est lanc dans les recherches originales qui l'ont conduit revoir toute la littrature conomique moderne et dvelopper la tho-rie du march bien au-del de l'analyse de Mises. Il dvie de ce dernier sur des points importants, notamment dans la thorie du monopole et dans sa conception du rle de l'Etat. Rothbard insiste que, d'un point de vue conomique, l'Etat moderne est inefficace et nuisible. Puisqu'il est inefficace on pourrait se passer de lui ; puisqu'il est nuisible on devrait le faire. La place de l'Etat devrait selon Rothbard tre reprise par la so-cit civile : des citoyens individuels, des associations sans buts lucratifs et des entreprises. Ainsi, mme les missions rgaliennes les plus essen-tielles, telle que la protection des citoyens, seraient mieux accomplies.6

    Le manuscrit de Rothbard compte 1900 pages et provoque un m-lange d'admiration et de consternation de la part de ceux qui l'avaient financ; surtout ils le trouvent trop radical sur le plan politique. Finale-

    2 Voir Mises, Human Action (New Haven: Yale University Press, 1949); tr. franaise par Raoul Audouin: L'action humaine (Paris: Presses Universitaires de France, 1985).

    3 Voir J,G. Hlsmann, Mises: The Last Knight of Liberalism (Auburn, Ala. : Mises Institute, 2007), pp. 893-895, 935-942.

    4 Ce projet est financ par la fondation William Volker qui entre 1944 et 1963 soutient des recherches d'inspiration librale.

    S Voir M.N. Rothbard, The Panic of 1819: Reactions and Policies (New York: Columbia University Press, 1962).

    6 Aussi reprend-il une thse dveloppe au 1ge sicle par Gustave de Molina-ri, un conomiste belge et prsident de la Socit d'conomie Politique Paris. Voir Molinari, De la production de la scurit Journal des conomistes (15 fvrier 1849) ; rimprim dans Molinari, Questions d'conomie Politique et de Droit Public (Bruxelles: Lacroix, Van Meenen et Cie, 1861).

    iv

  • INTRODUCTION

    ment, la partie la plus vivement conteste est limine avant la publica-tion. Ce qui subsiste est toujours une uvre impressionnante de presque 1000 pages. Elle parat en 1962 en deux tomes. 7 Un an plus tard, Roth-bard sort encore deux autres ouvrages: une analyse magistrale des cau-ses de la Grande Dpression des annes 1930 aux Etats-Unis et une in-troduction l'conomie montaire.8 Huit ans plus tard, enfin, il publie la partie de son trait qui n'tait pas publiable en 1962, dans un ouvrage intitul Power and Market-le pouvoir politique et le march.9

    Rothbard trouve ~u'il a maintenant suffisamment contribu la science conomique. 1 Dornavant il poursuit ses tudes dans d'autres domaines, partageant son temps entre la recherche, l'enseignement (au Brooklyn Polytechnic Institute) et l'activisme politique. Il dirige plu-sieurs journaux de philosophie politique et publie, en 1973, For a New Liberty, un manifeste politique qui plaide pour l'abolition complte de l'Etat. Puis il rdige une d'histoire de l'Amrique du Nord prrvolu-tionnaire en quatre tomes II avant d'laborer une grande synthse de sa pense politique qui parat en 1982: L'thique de la libert. 12 Quand il meurt en janvier 1995 il laisse un grand nombre de manuscrits inache-vs. Sa monumentale Histoire de la pense conomique d'un point de vue autrichien est publie encore la mme anne, d'autres ouvrages pos-thumes sont parus depuis. 13

    7 Voir M.N. Rothbard, Man, Economy, and State (Princeton: van Nostrand, 1962). L'dition amricaine la plus rcente est idem, Man, Economy, and State - with Power and Market (Auburn, Ala. : Mises 1nstitute, 2004), avec une intro-duction trs longue et trs utile par Joseph Stromberg.

    8 Voir M.N. Rothbard, America 's Great Depression (se d., Auburn, Ala. : Mises 1nstitute, 2000 [1963]); idem, What Has Government Done to Our Money? (Se d., Auburn, Ala. : Mises 1nstitute, 2005 [1963]) ; tradition fran-aise: La monnaie et le gouvernement (Paris: Editions Charles Coquelin, 2006).

    9 Voir Rothbard, Power and Market (Menlo Park, Cal. : 1nstitute for Humane Studies, 1970). L'dition la plus rcente (2004) est celle que nous avons cite dans la note 7.

    10 Seule exception: le sujet de la monnaie. Il y revient dans plusieurs ouvra-ges ultrieurs, notamment dans The Mystery of Banking (1983) et The Case Against the Fed (1995).

    II Voir Rothbard, Conceived in Liberty, 4 t. (2e d., Auburn, Ala. : Mises 1n-stitute, 1999 [1975-79]).

    12 Voir Rothbard, The Ethics of Liberty (2e d., New York: New York Uni-versity Press, 1998 [1982]) ; tr. Franaise L'thique de la libert (Paris : Les Belles Lettres, 1991).

    13 Voir Rothbard, An Austrian Perspective on the History of Economie Thought, 2t. (Aldershot : Edward Elgar, 1995); idem, Wall Street, Banks, and American Foreign Policy (Burlingame, Cal. : Center for Libertarian Studies,

    v

  • L'HOMME, L'ECONOMIE ET L'ETAT

    Paralllement, ds la fin des annes 1960, Rothbard devient un des leaders intellectuels du nouveau mouvement libral aux Etats-Unis. Il est un des co-fondateurs du Libertarian Party, ainsi que de l' Institute of Humane Studies (IHS) et du Cato Institute. Ces alliances chouent assez rapidement et son impact sur la politique amricaine est demeur ngli-geable. Les treize dernires annes de sa vie, il est le directeur acadmi-que du Ludwig von Mises Institute qui, fond en 1982, poursuit un but ducatif et ne cherche pas influencer la politique Washington.

    Vers la fin de sa vie, Rothbard regrette d'avoir pass trop de temps dans des associations politiques. Pourtant sa rputation d'universitaire de tout premier ordre ne cesse de crotre. En 1985, il obtient une chaire l'Universit du Nevada Las Vegas. Aprs sa mort (1995) il est com-mmor dans des numros spciaux du Journal of Libertarian Studies, du Journal des conomistes et des tudes Humaines et de la Review of Austrian Economies. Ses articles les plus importants paraissent alors, dans une collection de quelques 800 pages, dans la srie conomistes du sicle sous la direction du professeur Mark Blaug.14

    Dans son uvre, le prsent trait occupe une place de choix. Qua-rante-cinq ans aprs sa premire parution il n'a perdu ni fracheur ni va-leur. L'on pourrait penser que ces pages datent en raison des progrs de l'analyse conomique. Mais l'apport de Rothbard se place sur le plan des lois fondamentales - ou principes conomiques - un domaine dans le-quel les vritables progrs ont t peu nombreux. Encore les parties de son ouvrage qui sont consacres la critique des approches noclassique et keynsienne n'ont rien perdu de leur actualit, puisque ces mmes thories sont toujours enseignes de nos jours en premire et deuxime annes universitaires.

    L 'Homme, l'conomie et j'tat dveloppe l'analyse conomique de l'cole autrichienne qui remonte Carl Menger (1840-1921), professeur l'Universit de Vienne. Ses principaux reprsentants avant Rothbard sont Eugen von Bhm-Bawerk (1856-1914), Ludwig von Mises (1881-1973), Friedrich August von Hayek (1899-1992). En France, elle est au-jourd'hui reprsente par des universitaires tels que Pascal Salin, Grard

    1995) ; idem, Education: Free and Compulsory (Auburn, Ala. : Mises Institute, 1999); idem, The Irrepressible Rothbard (Burlingame, Cal. : Center for Liber-tarian Studies, 2000); idem, A History of Money and Banking in the United States: The Colonial Era to World War II (Auburn, Ala. : Mises Institute, 2002).

    14 Voir M.N. Rothbard, The Logic of Action, 2t. (Cheltenham : Edward Elgar, 1997). Voir galement Clifford F. Thies (d.), The Contributions of Murray Rothbard to Monetary Economies (Winchester: DureIl Institute, 1997) ; Walter Black (d.), Man, Economy, and Liberty: Essays in Honor of Murray N. Rothbard (Auburn, Ala. : Mises Institute, 1988).

    vi

  • INTRODUCTION

    Bramoull, Philippe Nataf, Franois Facchini, Antoine Gentier, Renaud Fillieule, Pierre Garello, Elisabeth Kreck, Pierre Garrouste et Thierry Aimar, ainsi que par des chercheurs comme Nikolay Gertchev, Laurent Carnis, Nathalie Janson, Franois Guillaumat, Ccile Philippe et Xavier Mra.

    La particularit de cette cole est son souci de ralisme. Tandis que les autres conomistes contemporains tendent se concentrer assez ex-clusivement sur la modlisation de la ralit par des constructions ma-thmatiques ou conomtriques, les Autrichiens les considrent en gnral comme une perte de temps. En effet, la modlisation, loin de rendre l'analyse conomique plus exacte, doit s'appuyer sur des hypo-thses restrictives et fictives. Les modles quantitatifs sont par cons-quent moins fiables que l'analyse logique et verbale. Mieux vaut donc ngliger cet art strile pour se consacrer entirement l'analyse logico-verbale de la ralit elle-mme.

    Pour cette premire dition franaise, il a t ncessaire de dcouper les quelques mille pages de L'Homme, l'conomie et l'tat en cinq to-mes, afin d'en rendre la publication possible. Chaque tome est prfac par un spcialiste qui explique les circonstances de la rdaction du texte, son impact sur les auteurs ultrieurs et ses particularits par rapport aux autres thories qui sont aujourd'hui enseignes.

    Tome Chapitres Contenu Prfacier 1 1 4 Concepts de base, thorie des Guido Hlsmann

    prix, monnaie, consommation II 59 Thorie de la production Renaud Fillieule III 10 Organisation industrielle, Xavier Mra

    monopoles et cartels IV 11 Thorie montaire Nikolay Gertchev V 12 Politique conomique Laurent Carnis

    Dans le tome prsent, Rothbard discute d'abord les phnomnes lis n'importe quelle action humaine: moyens et fins, temps, facteurs de production, loisir, travail, valeur et utilit marginale, ainsi que la forma-tion du capital. Il reprend trs largement les conceptions dveloppes par Mises en les prsentant de manire minemment claire.

    Puis, dans le chapitre 2, il prsente une thorie du troc, pralable l'tude de l'conomie de march - le thme principal de son trait. 15 Ici

    15 Seul le chapitre 12 est consacr un thme diffrent: celui des interven-tions de l'tat.

    vii

  • L'HOMME, L'ECONOMIE ET L'ETAT

    Rothbard se distingue trs nettement de ses prdcesseurs par l'accent mis sur le rle analytique de l'appropriation des ressources rares. Son expos est bien plus dtaill et structur que celui de ses prdcesseurs et n'a pas son gal dans la littrature rcente.

    Dans le chapitre 3, Rothbard introduit l'change montaire. Au-jourd' hui tous les conomistes s'accordent sur le fait que l'on ne peut pas bien parler d'une conomie de march sans tenir compte de l'influence de la monnaie. Mais ces mmes conomistes discutent les choix des mnages et des entreprises sans rfrence aucune la monnaie. Ce n'est finalement que dans les cours de macroconomie montaire - et bien sr dans les cours d'conomie montaire - que l'on aborde ce sujet prtendument fondamental. Par contre, Rothbard dcoupe la thorie mo-ntaire traditionnelle en deux chapitres. Il prsente ses lments les plus importants dans le chapitre 3, discutant l'origine, la nature et les cons-quences gnrales de la monnaie. Il est alors en position de se livrer, dans les chapitres suivants, une analyse montaire des choix des consommateurs (chap. 4), de la production, de l'intrt et des revenus productifs d'un point de vue macroconomique (chap. 5 9) et des pro-blmes de l'organisation industrielle (chap. 10). Enfin, dans le chapitre Il, Rothbard reprend encore la thorie montaire pour la prsenter en grand dtail.

    L'tude de L 'Homme, J'conomie et J'tat est aujourd'hui une des meilleures manires d'apprendre les principes conomiques. Mais l'auteur nous a donn bien plus qu'un manuel d'introduction ; il a cr un ouvrage de rfrence d'une profondeur et d'une clart exceptionnel-les, qui profite aux tudiants avancs et mme aux enseignants et cher-cheurs. Bonne lecture !

    viii

    Guido Hlsmann Septembre 2007

  • Prface de l'auteur l'dition de 1993

    L'une des malheureuses victimes de la Premire Guerre mondiale fut, semble-t-il, le vieux trait portant de principes conomiques. Avant la Premire Guerre mondiale, la mthode classique, la fois pour prsen-ter et pour faire avancer la pense conomique, tait d'crire un trait donnant sa vision du corpus de la science conomique. Un travail de ce type possde de nombreuses vertus, qui sont totalement absentes du monde moderne. D'un ct le profane intelligent, avec peu de connais-sances pralables, voire aucune, en conomie pouvait le lire. De l'autre l'auteur ne se limitait pas, la manire d'un manuel, des compilations chaotiques et simplifies l'excs de la doctrine la mode. Pour le meil-leur et pour le pire, il sculptait dans la thorie conomique une construc-tion architectonique - un difice. Cet difice tait parfois noble et ori-ginal, parfois erron; mais au moins il y avait un difice, que les dbu-tants pouvaient voir, que les collgues pouvaient adopter ou critiquer. Les sophistications pousses portant sur des dtails taient gnralement omises, considres comme des obstacles l'analyse de la science co-nomique dans son ensemble et taient relgues dans les journaux. L'tudiant universitaire, lui aussi, apprenait l'conomie dans un trait sur les principes ; on ne pensait pas qu'il fallait des ouvrages spcifiques, avec des chapitres d'une longueur correspondant aux exigences d'un cours et ne comprenant aucune doctrine originale. Ces ouvrages tait alors lu par les tudiants, les profanes intelligents et les conomistes de pointe, tous en tirant profit.

    Leur esprit est fort bien illustr par un extrait de la prface de l'un des derniers reprsentants de l'espce :

    J'ai essay dans ce livre d'noncer les principes de l'conomie sous une forme telle qu'ils puissent tre compris par une per-sonne instruite et intelligente n'ayant jamais tudi le sujet aupa-ravant de manire systmatique. Bien que conu dans ce sens pour les dbutants, l'ouvrage ne passe pas les difficults sous si-

  • L'HOMME, L'ECONOMIE ET L'ETAT

    lence et il n'vite pas le raisonnement rigoureux. Personne ne peut comprendre les phnomnes conomiques ou se prparer tudier des problmes conomiques sans tre dispos suivre des enchanements de raisonnements ncessitant une attention soute-nue. l'ai fait de mon mieux pour tre clair et pour noncer avec soin les bases dont dpendent mes conclusions, ainsi que les conclusions elles-mmes, mais n'ai pas eu la vaine prtention de simplifier les choses.1

    Depuis la brillante salve qui nous a donn les ouvrages de Wicksteed (1910), Taussig (1911) et Fetter (1915), ce type de trait a disparu de la pense conomique et l'conomie s'est fragmente de manire pouvan-table, se dissociant un point tel qu'on peut difficilement dire que l'conomie existe encore ; sa place nous trouvons une myriade de pi-ces et de bouts d'analyse non coordonns. L'conomie ad' abord t fragmente par domaines d'application - conomie urbaine , conomie agricole , conomie du travail , conomie des comptes publiques , etc., chaque division ne se souciant en grande partie pas des autres. La dsintgration de ce qui relevait de la catgorie de la thorie conomique a t encore plus grave. La thorie de l'utilit, la thorie du monopole, la thorie du commerce international, etc., jusqu' la pro-grammation linaire et la thorie des jeux - chaque partie voluant dans son compartiment strictement isol, chacune avec sa littrature ultra-sophistique. Rcemment, une prise de conscience croissante de cette fragmentation a conduit de vagues changes interdisciplinaires avec les autres sciences sociales . La confusion en a t plus grande encore, avec pour rsultat l'incursion intrusive de nombreuses autres dis-ciplines dans l'conomie, au lieu d'une diffusion de l'conomie ailleurs. Quoi qu'il en soit, il est un peu tmraire d'essayer d'intgrer l'conomie avec autre chose avant qu'elle ne soit elle-mme unifie. Ce n'est qu'aprs que la place de l'conomie au sein des autres disciplines pourra apparatre.

    Je pense qu'il est juste de dire qu' une seule exception (L'Action humaine de Ludwig von Mises), pas un trait gnral de principes co-nomiques n'est paru depuis la Premire Guerre mondiale. Peut -tre que ce qui s'en est le plus rapproch est l'ouvrage de Frank H. Knight, Risk, Uncertainty, and Profit, et sa publication remonte 1921. Depuis lors il n'y a plus eu de livre couvrant un domaine peu prs aussi tendu.

    Le seul endroit o nous pouvons trouver l'conomie traite de ma-nire assez tendue est dans les manuels lmentaires. Ces manuels sont

    1 Frank W. Taussig, Principles of Economies (New York: Macmillan, 1911), p. vii.

    x

  • PRFACE DE L'AUTEUR

    cependant de pitres substituts un authentique ouvrage de Principes. Comme ils ne doivent, de par leur nature, prsenter que la doctrine ac-cepte du moment, leur contenu n'a pas d'intrt pour l'conomiste pro-fessionnel. En outre, comme ils ne peuvent que se ramener la littrature existante, ils doivent ncessairement prsenter l'tudiant un mlange confus de chapitres fragments, qui n'ont que peu ou pas de liens entre eux.

    De nombreux conomistes pensent que rien n'est perdu dans cette volution; ils saluent ces dveloppements comme les signes des formi-dables progrs que la science a fait sur tous les fronts. La connaissance a pris de telles proportions qu'aucun homme ne peut l'assimiler dans sa totalit. Toutefois les conomistes devraient au moins se soucier de connatre J'conomie - les fondamentaux du corpus de leur discipline, Ds lors, ces fondements auraient certainement pu tre prsents de nos jours. La vrit est tout simplement que l'conomie est fragmente prci-sment parce qu'elle n'est plus considre comme un difice; comme elle est considre comme un amas de mille clats isols, elle est traite comme telle.

    La cl de ce changement est peut-tre qu'autrefois l'conomie tait regarde comme une structure logique. Fondamentalement, quelles que soient les diffrences de degr, ou mme de mthodologie revendique, l'conomie tait considre comme une science dductive utilisant la logique verbale. Sur la base de quelques axiomes, on dduisait alors petit petit l'difice de la pense conomique. Mme lorsque l'analyse tait primitive ou que la mthodologie annonce tait bien plus inductive, cette pratique reprsenta l'essence de l'conomie au cours du dix-neuvime sicle. D'o le trait sur les principes conomiques - car si l'conomie procde par une logique dductive fonde sur quelques axiomes simples et vidents, alors le corpus conomique peut tre pr-sent comme un tout intgr au profane intelligent sans y sacrifier la ri-gueur. Le profane est amen pas pas de vrits simples et videntes vers des vrits plus complexes et moins videntes.

    Les conomistes autrichiens ont le mieux compris cette mthode et l'ont applique de la manire la plus complte et la plus cohrente. Ils taient les pratiquants classiques, en rsum, de la mthode praxolo-gique . De nos jours, cependant, l'pistmologie dominante a rejet la praxologie en faveur de mthodes trop empiriques ou trop thori-ques . L'empirisme a dsintgr l'conomie tel point que personne ne pense chercher un difice complet; et, paradoxalement, il a fauss l'conomie en donnant aux conomistes l'envie d'introduire des hypo-thses simplificatrices reconnues fausses afin de rendre leurs thories plus testables . Le peu de got qu'avait Alfred Marshall pour les

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  • L'HOMME, L'ECONOMIE ET L'ETAT

    longues chanes de raisonnement , ainsi que toute l'impulsion de Cambridge en faveur de tels raccourcis, a contribu en grande partie cet effondrement. Par ailleurs, la logique verbale a t remplace dans la thorie conomique par les mathmatiques, apparemment plus prcises, et jouissant par contrecoup de la gloire des sciences physiques. La ban-che conomtrique dominante des conomistes mathmaticiens cherche de plus des vrifications empiriques et cumule ainsi les erreurs des deux mthodes. Mme au niveau de l'unification thorique pure, les mathma-tiques sont un outil totalement inadquat pour les sciences de l'action humaine. Les mathmatiques ont en fait contribu la compartimenta-tion de l'conomie - des monographies spcialises prsentant un labyrinthe hyper-sophistiqu de matrices, d'quations et de diagrammes gomtriques. Mais la chose vritablement importante n'est pas que les non mathmaticiens ne peuvent pas les comprendre ; le point crucial est que les mathmatiques ne peuvent pas contribuer la connaissance co-nomique. En fait, la rcente prise de pouvoir de l'conomtrie dans l'conomie mathmatique est un signe dmontrant la strilit de la tho-rie mathmatique en conomie.

    Le prsent ouvrage est donc une tentative visant remplir une partie de l'norme vide en place depuis 40 ans. Depuis le dernier trait de principes conomiques, l'conomie a grandement avanc dans de nombreux domaines et sa mthodologie a t immensment amliore et renforce par ceux qui ont continu travailler dans la tradition praxo-logique. Il existe en outre encore de gros trous dans le corpus praxolo-gique, en raison du nombre si faible d'conomistes qui ont travaill le btir. Par consquent ce livre tente de dvelopper l'difice de la science conomique la manire des vieux ouvrages de principes - lente-ment et logiquement en vue de construire un difice intgr et cohrent de vrits conomiques sur la base des axiomes fondamentaux. Les hy-per-sophistications ont t vites autant que possible. Bref, la dclara-tion d'intention du professeur Taussig a galement t la mienne; j'ai de plus jug ncessaire d'y inclure, certains moments pertinents, une rfu-tation des principales doctrines concurrentes. Cela tait particulirement ncessaire parce que les sophismes conomiques sont bien plus rpandus aujourd'hui qu' l'poque de Taussig.

    J'ai brivement indiqu qu'il n'y avait eu qu'un seul trait gnral depuis la Premire Guerre mondiale. Le professeur Samuelson a crit de manire dithyrambique sur le bonheur d'avoir trente ans au moment o Keynes publiait sa Thorie gnrale. Je puis en dire autant pour la publi-cation de L'Action humaine de Ludwig von Mises en 1949. Car dans ce

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  • PRFACE DE L'AUTEUR

    cas l'conomie tait enfin redevenue un tout intgr, nouveau un di-fice. Et pas seulement cela - on y trouvait une structure de l'conomie comprenant les nombreuses contributions nouvelles du professeur Mises lui-mme. Il n'y a pas assez de place ici pour prsenter ou exposer les grandes contributions de Mises la science conomique. Cela devra tre fait ailleurs. Il suffit de dire que depuis lors, peu de travaux constructifs ont t faits en conomie qui ne partent de L'Action humaine.

    L'Action humaine est un trait gnral, mais ne se prsentant pas sous la vieille forme des Principes. Au contraire il suppose une connaissance pralable considrable de l'conomie et comprend dans ses vastes limites de nombreuses rflexions philosophiques et historiques. En un sens le prsent ouvrage essaie d'isoler l'aspect conomique, de combler les in-terstices et de prciser les implications dtailles, telles que je les vois, de la structure missienne. Il ne faudrait toutefois pas croire que le pro-fesseur Mises est d'une quelconque faon responsable de ces pages. En fait, il peut fort bien avoir des opinions fort diffrentes sur de nombreu-ses parties de ce volume. ]' espre pourtant que cet ouvrage russira ajouter quelques briques cette noble structure de la science conomique qui a atteint sa forme la plus moderne et la plus dveloppe dans les pa-ges de L'Action humaine.

    Le prsent ouvrage dduit la totalit du corpus de l'conomie de quelques axiomes simples et apodictiquement vrais: l'Axiome Fonda-mentale de l'action - le fait que les hommes emploient des moyens pour parvenir des fins, et deux postulats subsidiaires: le fait qu'il existe une grande varit de ressources humaines et naturelles et que le loisir est un bien de consommation. Le chapitre 1 part de l'axiome de l'action et en dduit ses implications immdiates; puis ces conclusions sont appliques l'conomie de Cruso - cette analyse tant dcrie mais fort utile qui place l'individu isol carrment face la Nature et qui tudie les actions qui en dcoulent. Le chapitre 2 introduit d'autres hommes et, par consquent, les relations sociales. Diffrents types de relations interpersonnelles y sont analyss et l'conomie de J'change direct (du troc) y est prsente. L'change ne peut pas tre analys de manire adquate avant que les droits de proprit n'aient t entire-ment dfinis - le chapitre 2 analyse par consquent la proprit dans une socit libre. Le chapitre 2 marque en fait le dbut du corps du livre - l'analyse de l'conomie de l'change volontaire. Il tudie l'conomie de march dans le cadre du troc et les chapitres suivants traitent de l'conomie de l'change indirect - de l'conomie montaire. Ainsi, sur le plan analytique, le livre traite intgralement de l'conomie de march, des relations de proprit qui y rgnent jusqu' l'conomie de la mon-naie.

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  • L'HOMME, L'ECONOMIE ET L'ETAT

    Le chapitre 3 introduit la monnaie et prsente le tableau de l'change indirect sur le march. Le chapitre 4 traite de l'conomie de la consom-mation et du prix des biens de consommation. Les chapitres 5 9 analy-sent la production sur un march libre. L'une de caractristiques de cette thorie de la consommation et de la production est la rsurrection de la thorie brillante et compltement nglige du professeur Frank A. Fetter au sujet de la rente - c'est--dire du concept de rente comme prix de location d'une unit de service. La capitalisation devient alors le proces-sus de dtermination de la valeur prsente des rentes futures attendues d'un bien. La thorie de Fetter et Mises, expliquant l'intrt par la prf-rence temporelle pure, est synthtise avec la thorie de la rente de Fet-ter, avec la thorie autrichienne de la structure de production et avec la sparation entre facteurs de production originels et facteurs de produc-tion fabriqus. Une caractristique radicale de notre analyse de la production est la rupture complte avec la thorie court terme de la firme, actuellement la mode, pour lui substituer une thorie gnrale de la productivit marginale en valeur et de la capitalisation. Il s'agit d'une analyse de type quilibre gnral , au sens dynamique et autrichien du terme et non au sens walrasien et statique actuellement en vogue.

    Le chapitre 10 expose une thorie compltement nouvelle du mono-pole - selon laquelle le monopole ne peut tre correctement dfini que comme l'octroi d'un privilge par l'tat, et qu'un prix de monopole ne peut tre atteint que suite un tel octroi. En rsum, il ne peut y avoir de monopole ou de prix de monopole sur un march libre. La thorie de la concurrence monopolistique y est galement tudie. Et le chapitre Il prsente la thorie de la monnaie sur un march libre, ainsi qu'une ana-lyse pousse des thories keynsiennes.

    Ayant achev la thorie de l'conomie d'un march parfaitement li-bre' je suis alors pass, dans le dernier chapitre, l'application de l'analyse praxologique une tude systmatique des diverses formes et des divers degrs d'intervention coercitive et de leurs consquences. Les effets de l'intervention coercitive ne peuvent tre tudis qu'aprs avoir pleinement analys la construction d'une conomie de march parfaite-ment libre. Le chapitre 12 prsente une typologie de l'intervention, tu-die ses consquences directes et indirectes ainsi que ses effets sur l'utilit, et prsente une analyse ncessairement brve des diffrents ty-pes majeurs d'intervention, comprenant le contrle des prix, l'octroi de monopoles, la taxation, l'inflation ainsi que l'entreprise et les dpenses tatiques. Le chapitre et le livre se terminent par un court rsum du march libre, par opposition au systme interventionniste et aux autres systmes coercitifs.

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  • PRFACE DE L'AUTEUR

    Pour cette nouvelle dition [1993], j'ai dcid de laisser intacts le texte original et les notes de bas de page, et de n'apporter de change-ments que dans cette nouvelle prface. Le professeur Mises est mort en 1973 et l'anne suivante, comme par miracle, l'cole autrichienne d'conomie que Mises avait maintenue en vie dans une existence pres-que souterraine connut un spectaculaire renouveau. Ce n'est pas par ac-cident si ce renouveau concida avec le quasi effondrement du paradigme keynsien pralablement dominant. Les Keynsiens avaient promis de conduire aisment l'conomie hors d'atteinte des piges rcurrents du boom inflationniste, ainsi que de la rcession et du chmage; la place ils garantissaient une prosprit permanente et stable, nous apportant le plein emploi sans inflation. Et pourtant, aprs trois dcennies de planifi-cation keynsienne, nous avons d affronter un nouveau phnomne qui n'existait mme pas (et qu'il expliquait encore mOins) dans le paradigme keynsien: l'inflation combine avec la rcession et un chmage lev. Ce spectre malvenu apparut pour la premire fois au cours de la rces-sion inflationniste de 1973-1974 et s'est rpt depuis, la dernire fois tant lors de la rcession de 1990- ?

    Le renouveau autrichien de 1974 fut galement aid par l'attribution cette anne-l du prix Nobel d'conomie F.A. Hayek, premier cono-miste libral et non mathmaticien recevoir cet honneur. L'obsession de la profession conomique vis--vis du Nobel rveilla l'intrt port Hayek et l'cole autrichienne. Mais cette rcompense attribue Hayek n'est elle-mme pas une concidence, car elle reflte les dsillu-sions des conomistes par rapport aux modles macroconomiques keynsiens.

    Depuis 1974 le nombre d'Autrichiens, de livres et d'articles crits par des Autrichiens et l'intrt port cette cole se sont grandement multi-plis. Une indication de la diffrence de qualit du systme universitaire entre la Grande-Bretagne et les tats-Unis nous est donne par le fait que, mme s'il y a proportionnellement moins d'conomistes de l'cole autrichienne en Grande-Bretagne qu'aux tats-Unis, les conomistes autrichiens y font l'objet d'un respect bien plus grand. Dans les manuels et les histoires de la pense britanniques, l'conomie autrichienne, bien qu'elle ne rencontre pas souvent les suffrages, est traite de manire ob-jective et honnte comme une tendance respectable de la pense cono-mique. Aux tats-Unis, au contraire, alors qu'ils reprsentent un nombre plus important de sympathisants et d'adhrents dans la profession, les Autrichiens sont encore marginaliss, et ils ne sont ni reconnus ni lus par la majorit des conomistes.

    La curiosit intellectuelle a cependant l'habitude de percer, particuli-rement parmi les tudiants des lyces et des universits. Rsultat, l'cole

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  • L'HOMME, L'ECONOMIE ET L'ETAT

    autrichienne a prospr ces vingt dernires annes, malgr de svres obstacles institutionnels.

    En fait, le nombre des Autrichiens est devenu si grand et le dbat si vaste, qu'il est apparu des diffrences d'opinion et des branches spa-res, qui en sont arrives dans certains cas de vritables conflits d'ides. Mais toutes ces branches ont t confondues et regroupes par les non-autrichiens, et mme par certains membres de cette cole, don-nant lieu une grande confusion intellectuelle, un manque de clart et de franches erreurs. Le bon ct de ces dbats en cours est que chaque camp a clarifi et prcis ses hypothses et sa vision du monde sous-jacentes. Il est devenu en fait vident ces dernires annes qu'il existe trois paradigmes trs diffrents et conflictuels au sein de l'conomie au-trichienne : le paradigme missien ou praxologique initial, auquel ad-hre l'auteur de ces lignes; le paradigme hayekien, qui met l'accent sur la connaissance et la dcouverte plus que sur l'action et le choix praxologiques, et dont le principal partisan est aujourd'hui le professeur Israel Kirzner ; et la vision nihiliste de feu Ludwig Lachman, approche institutionnaliste oppose toute thorie et emprunte au keynsien subjectiviste anglais C.L.S. Shackle. Heureusement, il existe maintenant un journal acadmique, The Review of Austrian Eco-nomies, o le lecteur peut rester au courant des dveloppements en cours au sein de l'conomie autrichienne, ainsi que les autres publications, confrences et cours du Ludwig von Mises Institute. Le Mises Institute, fond lors du centime anniversaire de sa naissance, maintient en vie l'esprit de Mises ainsi que le paradigme qu'il a apport la thorie et au monde. Au sujet du dernier des trois paradigmes autrichiens, le lecteur est renvoy l'article de l'auteur de ces lignes The Present State of Austrian Economics (Mises Institute Working Paper, novembre, 1992 [repris comme chapitre 7 dans Murray N. Rothbard, The [ogic of Action 1: Method. Money. and the Austrian School (Cheltenham, u.K.: Edward Elgar, 1997).]).

    Ma plus grande dette intellectuelle est bien sre envers Ludwig von Mises. Mais en dehors de cela, je ne dirai jamais assez ma dette person-nelle envers lui. Sa sagesse, sa gentillesse, son enthousiasme, son hu-mour et ses encouragements indfectibles envers le plus petit signe de productivit chez ses tudiants taient une source ternelle d'inspiration pour tous ceux qui l'ont connu. Il fut l'un des plus grands enseignants de l'conomie, en plus d'tre l'un des plus grands conomistes, et je suis reconnaissant d'avoir eu l'occasion d'tudier pendant de nombreuses annes son sminaire de thorie conomique de l'Universit de New York.

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  • PRFACE DE L'AUTEUR

    Je ne dirai jamais non plus assez ma gratitude envers Llewellyn H. Rockwell, Jr., qui, alors que l'conomie missienne tait au plus bas, et sans appui, sans grands gages de soutien, et arm uniquement d'une ide, a fond et ddi sa vie au Ludwig von Mises Institute. Lew a fait un tra-vail remarquable en btissant et en dveloppant cet institut et en consa-crant sa vie au paradigme missien. De plus, Lew est un ami proche et apprci ainsi qu'un collgue intellectuel depuis plusieurs annes. Il est vident que sans ses efforts cette nouvelle dition n'aurait jamais vu le jour.

    Pour finir je dois au moins essayer de dire quel point je suis redeva-ble un autre collgue de longue date, Burton S. Blumert, du Mises Ins-titute et directeur du Center for Libertarian Studies Burlingame, en Ca-lifornie. Effac et indispensable, Burt est toujours l - avec son esprit, sa sagesse, sa gentillesse et son amiti.

    Il est impossible de donner la liste de tous les amis et de toutes les connaissances qui, au cours de ces nombreuses annes, m'ont appris quelque chose et m'ont inspir dans le domaine de l'conomie autri-chienne, ou dans l'arne plus vaste de l'conomie politique, et sur la na-ture de la coercition et de la libert. Je leur suis tous redevable. Aucun d'eux n'est bien entendu responsable des erreurs contenues dans cet ou-vrage.

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    MURRAY N. ROTHBARD Las Vegas, Nevada

    Mai 1993

  • 1 Les fondements de l'action humaine1

    1. Le concept d'action

    Le point spcifique l'tude de l' homme, le point crucial. c'est le concept d'action. L'action humaine est dfinie de faon simple comme un comportement intentionne1. Elle se spare donc nettement de ces mouvements que l'on observe et qui, du point de vue de l'homme, n'ont pas de but. Ces derniers regroupent tous les mouvements de la matire inorganique ainsi que les types d'actions humaines qui ne sont que de purs rflexes et qui ne constituent que des rponses involontaires cer-tains stimuli. L'action humaine, au contraire, peut tre interprte comme ayant un sens par d'autres hommes, car elle est rgie par un cer-tain but que l'agent a en vue.2 Le but de l'acte d'un homme est sa fin. Le dsir de parvenir cette fin est le motif qui pousse l'homme entrepren-dre l'action.

    1 Pour une discussion plus longue sur ce sujet, la meilleure source est l'ouvrage magistral de Ludwig von Mises, Human Action New Haven: Yale University Press, 1949, pp. 1-142 et suivantes [Traduction franaise: L'Action humaine, Presses Universitaires de France, 1985, pp. 1-149].

    2 Cf. ibid., p. Il ; F.A. Hayek, The Facts of the Social Sciences, in lndi-vidualism and Economie Order (Chicago: University of Chicago Press, 1948), pp. 57-76 ; Hayek, The Counter-Revolution of Science (Glencoe, Ill. : The Free Press, 1952), pp. 25-35; et Edith T. Penrose, Biological Analogies in the Theory of the Firm. American Economie Review, dcembre 1952, pp. 804-819, en particulier les pages 818-819.

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  • L'HOMME, L'ECONOMIE ET L'ETAT

    Tous les tres humains agissent en vertu de leur existence et de leur nature d'tre humain.3 Nous serions incapables d'imaginer des tres hu-mains n'agissant pas de manire intentionnelle, n'ayant pas en vue des fins qu'ils dsireraient et auxquelles ils essayeraient de parvenir. Des choses qui n'agiraient pas, qui ne se comporteraient pas de manire d-libre, ne seraient plus classes comme humaines.

    C'est cette vrit fondamentale - cet axiome de l'action humaine -qui constitue la cl de notre tude. La totalit du champ de la praxologie et de sa partie la mieux dveloppe, l'conomie, se fonde sur une analyse des consquences logiques et ncessaires de ce concept.4 Le fait que les hommes agissent en raison de leur nature humaine ne peut tre disput et est irrfutable. Supposer le contraire serait une absurdit. Cette hypo-thse contraire - l'absence de comportement motiv - ne s'appliquerait qu'aux plantes et la matire inorganique.5

    2. Les premires consquences de ce concept

    La premire vrit dcouvrir quant l'action humaine est qu'elle ne peut tre entreprise que par des agents individuels. Seuls les indivi-dus ont des fins et peuvent agir pour les atteindre. Il n'existe pas de fins poursuivies ou d'actions entreprises par des groupes , des entits collectives ou des tats , qui ne se droulent pas sous la forme d'ac-tions menes par divers individus spcifiques. Les socits ou les groupes n'ont pas d'existence indpendante des actions de leurs membres individuels. Ainsi, dire que les gouvernements agissent n'est qu'une mtaphore; en fait certains individus entretiennent une rela-tion avec d'autres individus et agissent d'une manire qu'eux et les au-

    3 Cf. Aristote, L'thique Nicomaque, livre 1 et plus particulirement le cha-pitre VII.

    4 Ce chapitre ne s'occupe que du dveloppement des consquences logiques de l'existence de l'action humaine. Les chapitres suivants - les parties ultrieu-res de la structure - sont dvelopps l'aide d'un petit nombre d'hypothses supplmentaires. Voir l'annexe de ce chapitre ainsi que Murray N. Rothbard, Praxeology: Reply to Mr. Schuller, American Economie Review, Dcembre 1951, pp. 943-46 et In Defense of "Extreme Apriorism" , Southern Econo-mie Journal, Janvier 1957, pp. 314-20.

    5 Il n'est nul besoin d'aborder ici le dlicat problme du comportement ani-mal, depuis les organismes les plus simples jusqu'aux primates les plus volus, qui pourraient tre considrs comme tant la frontire entre le rflexe pur et le comportement intentionnel. De toute faon les hommes ne peuvent compren-dre (et non simplement observer) un tel comportement que dans la mesure o ils peuvent attribuer aux animaux des motifs qu'ils peuvent comprendre.

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  • FONDEMENTS DE L'ACTION HUMAINE

    tres reconnaissent comme gouvernementale .6 La mtaphore ne doit pas tre comprise comme signifiant que l'institution collective elle-mme possderait une quelconque ralit dtache des actes des divers individus qui la composent. De faon similaire, un individu peut se ac-cepter d'agir en tant qu'agent, en reprsentant un autre individu ou pour le compte de sa famille. Mais seuls les individus peuvent dsirer et agir. L'existence d'une institution comme le gouvernement n'a de sens qu' travers l'influence qu'elle exerce sur les individus considrs comme en faisant partie et sur les autres. 7

    Pour entreprendre une action, il ne suffit pas que l 'homme individuel ait des fins non satisfaites auxquelles il dsirerait parvenir. Il faut aussi qu'il s'attende ce que certains modes d'action lui permettent d'atteindre ses fins. Un homme peut souhaiter un temps ensoleill, mais s'il se rend compte qu'il ne peut rien faire pour l'obtenir, il n'agit pas en fonction de ce dsir. Il doit avoir certaines ides sur la manire de parve-nir ses fins. L'action consiste ainsi en un comportement d'individus orients vers des fins avec des moyens dont ils croient qu'ils accompli-ront leurs objectifs. L'action ncessite l'image d'une fin dsire et d' ides techniques, de plans, pour y arriver.

    Les hommes se trouvent dans un certain environnement, dans une cer-taine situation. C'est cette situation que l'individu dcide de modifier d'une certaine faon afin d'arriver ses fins. Mais l'homme ne peut tra-vailler qu'avec les nombreux lments qu'il trouve dans son environne-ment, en les rarrangeant pour parvenir satisfaire ses fins. Pour tout acte donn, l'environnement extrieur l'individu peut tre divis en deux parties: les lments qu'il estime ne pas pouvoir contrler et devoir laisser inchangs et les lments qu'il peut modifier (ou plutt qu'il pense pouvoir modifier) pour parvenir ses fins. Les premiers peuvent tre appels les conditions gnrales de l'action et les seconds les moyens utiliss. L'agent individuel fait ainsi face un environnement qu'il aimerait changer pour atteindre ses fins. Pour agir il doit avoir des ides techniques sur la faon d'utiliser certains lments de son environ-nement en tant que moyens, en tant que voies, pour arriver ses fins. Tout acte doit par consquent impliquer l'usage de moyens par des agents individuels en vue d'essayer d'arriver certaines fins dsires.

    6 Dire que seuls les individus agissent ne signifie pas nier qu'ils soient in-fluencs dans leurs dsirs et dans leurs actions par les actes d'autres individus, qui peuvent tres leurs camarades au sein de diverses socits ou de divers groupes. Nous ne supposons pas du tout, comme l'ont accus certains critiques de l'conomie, que les individus sont des atomes isols les uns des autres.

    7 Cf. Hayek,Counter-Revolution of Science, p.34. Voir galement Mises, Human Action, p. 42 [Traduction franaise: L'Action humaine, p. 47].

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  • L'HOMME, L'ECONOMIE ET L'ETAT

    Dans l'environnement extrieur, les conditions gnrales ne peuvent pas faire l'objet d'une quelconque action humaine: seuls les moyens peu-vent tre employs au cours de l'action.8

    Toute vie humaine doit se drouler dans le temps. La raison humaine ne peut mme pas concevoir une existence ou une action ne se droulant pas au cours du temps. Lorsqu'un tre humain dcide d'agir afin de par-venir une fin, son but, ou sa fin, ne peut tre finalement et entirement atteint qu' un moment donn du futur. Si les fins souhaites pouvaient toutes tres satisfaites instantanment dans le prsent, les fins de l' homme seraient toutes ralises et il n'aurait pas de raison d'agir; or nous avons vu que l'action est ncessaire la nature de l'homme. Un agent choisit par consquent des moyens dans son environnement, conformment ses ides, pour arriver une fin attendue, ne pouvant tre compltement atteinte qu' un certain instant futur. Pour toute action donne, nous pouvons faire la distinction entre trois priodes temporel-les: la priode prcdant l'action, le temps pris par l'action et la priode aprs que l'action ait t termine. Toute action vise rendre la situation d'un certain temps venir plus satisfaisante pour l'agent que celle qui aurait prvalu sans l'intervention de l'action.

    Le temps d'un homme est toujours rare. L'homme n'est pas immor-tel: son temps sur terre est limit. Chaque jour de sa vie n'a que 24 heu-res pendant lesquelles il peut parvenir ses fins. Toutes ses actions doi-vent en outre se drouler au cours du temps. Le temps est par consquent un moyen que l' homme doit utiliser pour arriver ses fins. C'est un moyen omniprsent dans toute action humaine.

    L'action s'effectue en choisissant quelles fins doivent tre satisfaites par l'emploi de moyens. Le temps n'est rare pour l'homme que parce que, quelles que soient les fins qu'ils choisit de satisfaire, il y en a d'autres qui doivent demeurer insatisfaites. Quand nous devons utiliser un moyen de sorte que certaines fins restent non satisfaites, la ncessit d'un choix entre les fins survient. Jones, par exemple, est en train de re-garder un match de baseball la tlvision. Il doit choisir de passer 1 'heure suivante : (A) continuer regarder le match de baseball, (B) jouer au bridge ou (C) sortir se promener. Il aimerait faire ces trois cho-ses mais son moyen (le temps) est insuffisant. Il doit en consquence choisir: une fin peut tre satisfaite mais les autres doivent tre abandon-nes. Supposons qu'il dcide de retenir le choix A. Nous avons l une indication prcise qu'il a class la satisfaction de la fin A au -dessus de la satisfaction des fins B ou C. De cet exemple d'action il est possible de

    8 Cf. Talcott Parsons, The Structure of Social Action (G1encoe, Ill. : The Free Press, 1949), pp. 44 et suivantes.

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  • FONDEMENTS DE L'ACTION HUMAINE

    dduire de nombreuses consquences. En premier lieu, tous les moyens sont rares, c'est--dire limits vis--vis des fins pour lesquelles ils pour-raient tre employs. Si les moyens sont en abondance illimite, alors il n'ont pas besoin d'tre un objet d'attention pour une quelconque action humaine. L'air, par exemple, est dans la plupart des situations en abon-dance illimite. Il n'est par consquent pas un moyen et n'est pas utilis comme moyen permettant de parvenir des fins. Il n'est pas ncessaire de l'allouer, comme on le fait pour le temps, la satisfaction des fins les plus importantes car il est suffisamment abondant pour tous les besoins humains. Bien qu'indispensable, l'air n'est ainsi pas un moyen mais une condition gnrale de l'action humaine et du bien-tre humain.

    Deuximement, ces moyens rares doivent tre allous par l'agent en vue de servir certaines fins tout en laissant les autres insatisfaites. Cet acte de choix peut tre appel conomiser les moyens afin de servir les fins les plus dsires. Le temps, par exemple, doit tre conomis par l'agent pour servir les fins les plus dsires. On peut interprter l'agent comme classant ses diffrentes fins possibles en fonction de la valeur qu'elles ont pour lui. L'tablissement de cette classification peut tre dcrit comme une attribution par l'agent de niveaux de valeur aux diff-rentes fins, ou comme un processus d'valuation. Supposons ainsi que Jones ait class ses fins concernant l'utilisation d'une heure de son temps comme suit:

    Continuer regarder le match de baseball (en premier) Sortir se promener (en deuxime) Jouer au bridge (en troisime) Il s'agissait de son chelle de valeur ou de son chelle de prfrence.

    La quantit de moyen (de temps) disponible n'tait suffisante que pour la satisfaction d'une seule de ces fins et le fait qu'il ait choisi le match de baseball montre qu'il le classait la plus haute place ( la premire). Supposons maintenant qu'il alloue deux heures de son temps et qu'il puisse dpenser une heure pour chaque activit. S'il dpense une heure regarder le match puis une heure pour se promener, cela montre que le classement de ses prfrences est tel que dcrit plus haut. La fin la plus mal classe - jouer au bridge - reste insatisfaite. Ainsi, plus la quanti-t de moyen disponible est grande, plus nombreuses sont les fins pouvant tre satisfaites et plus le rang des fins devant demeurer insatisfaites est bas.

    Une autre leon dduire est que l'action ne signifie pas ncessaire-ment que l'individu soit actif , en opposition passif au sens usuel. Une action ne veut pas forcment dire qu'un individu doive s'arr-ter de faire ce qu'il faisait pour faire quelque chose d'autre. Celui qui,

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  • L'HOMME, L'ECONOMIE ET L'ETAT

    qui, comme dans le cas prcdent, choisit de continuer ce qu'il faisait, agit galement, mme si la possibilit de faire autre chose lui tait ou-verte. Continuer de regarder le match est tout autant une action que de sortir se promener.

    En outre, l'action ne signifie nullement que l'individu doive prendre une grande part de son temps pour rflchir quant sa dcision d'agir. L'individu peut prendre la dcision d'agir en toute hte ou aprs mre dlibration, selon son propre choix. Il peut dcider d'une action froide-ment ou chaud: aucun de ces cas ne modifie le fait qu'une action soit entreprise.9

    Une autre consquence fondamentale dcoulant de l'existence de l'action humaine est J'incertitude vis--vis du futur. Cela est ncessaire-ment vrai parce que le contraire nierait totalement la possibilit d'une action. Si l'homme connaissait parfaitement le cours des vnements futurs, il n'agirait jamais, car aucun de ses actes ne pourraient changer la situation. Ainsi, le fait que l'action existe signifie que l'avenir est incer-tain pour les agents. Cette incertitude vis--vis des vnements futurs dcoule de deux sources fondamentales: le caractre imprvisible des actes de choix humains et une connaissance insuffisante des phnomnes naturels. L'homme ne connat pas assez de choses sur les phnomnes naturels pour prvoir tous leurs dveloppements futurs et il ne peut pas connatre le contenu des choix humains futurs. Tous les choix humains subissent des changements continuels en raison du changement des ju-gements et du changement des ides concernant les moyens les plus ap-propris pour arriver aux fins. Ceci ne veut pas dire, bien entendu, que les gens n'essaient pas de faire de leur mieux pour estimer les dvelop-pements venir. En fait, tout agent, lorsqu'il emploie des moyens, es-time qu'il arrivera ainsi au but dsir. Mais il n'a jamais une connais-sance certaine de l'avenir. Toutes ses actions sont par ncessit des sp-culations bases sur son jugement du cours des vnements futurs. L'omniprsence de l'incertitude introduit la possibilit toujours prsente de l'erreur dans l'action humaine. L'agent peut se rendre compte, aprs avoir termin son action, que le moyen tait inadquat pour parvenir sa fin.

    Pour rsumer ce que nous avons appris jusqu'ici sur l'action hu-maine: Le trait caractristique des tres humains est que tous les hu-mains agissent. L'action est un comportement intentionnel orient en vue d'atteindre des fins dans une priode future, priode qui comprendra la satisfaction de besoins qui resteraient sinon insatisfaits. L'action im-

    9 Certains auteurs ont cru sans raison que la praxologie et l'conomie sup-posent que toute action est froide, calculatrice et soigneusement rflchie.

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    plique l'espoir d'un tat de satisfaction moins imparfait suite l'action. L'agent individuel choisit d'employer des lments de son environne-ment comme moyens en vue de la ralisation attendue de ses fins, en les conomisant pour les diriger vers les fins auxquelles il attribue le plus de valeur (laissant insatisfaites les fins d'une valeur moindre) et de la ma-nire que sa raison lui dit tre la plus approprie pour y parvenir. Sa m-thode - les moyens qu'il choisit - peut ou non se rvler tre inad-quate.

    3. Autres consquences: les moyens

    Les moyens destins satisfaire les besoins de l'homme sont appels des biens. Ces biens constituent la totalit des objets de l'action cono-misante. lO De tels biens peuvent tous tre classs dans l'une des deux catgories suivantes: (a) ils peuvent immdiatement et directement aider la satisfaction des besoins de l'homme ou (b) ils ne pourront tre trans-forms en biens rendant des services directs que dans le futur - c'est --dire qu'ils constituent des moyens rendant des services indirects. Les premiers sont appels biens de consommation ou biens de premier ordre, Les seconds sont appels biens de production, facteurs de production ou biens d'ordre suprieur.

    Retraons les relations entre ces biens en considrant une fin humaine typique: J'ingurgitation d'un sandwich au jambon. Dsirant un sand-wich au jambon, un homme dcide qu'il s'agit l d'une volont devant tre satisfaite et entreprend d'agir d'aprs son analyse des mthodes sui-vant lesquelles un sandwich au jambon peut tre fait. Le bien de consommation est le sandwich au jambon au moment d'tre mang. Il est vident que ce bien de consommation est rare, comme c'est le cas pour tous les moyens directs; sinon il serait toujours disponible, comme l'air, et ne ferait pas l'objet d'une action. Mais si le bien de consommation est rare et qu'il n'est manifestement pas disponible, comment le rendre dis-ponible? La rponse est que l'homme doit rorganiser les divers l-ments de son environnement afin de produire le sandwich au jambon l'endroit voulu - le bien de consommation. Dit autrement, l'homme doit utiliser divers moyens indirects comme facteurs de production coo-prant en vue de parvenir au moyen direct. Ce processus ncessaire, pr-sent dans toute action, est appel production: c'est l'usage par l'homme

    10 La distinction courante entre biens conomiques et biens libres (comme l'air) est errone. Comme il est expliqu plus haut, l'air n'est pas un moyen mais une condition gnrale du bien-tre humain et n'est pas l'objet d'une action.

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  • L'HOMME, L'ECONOMIE ET L'ETAT

    des lments disponibles de son environnement comme moyens indirects - comme facteurs coopratifs - pour arriver au bout du compte un bien de consommation qu'il peut utiliser directement pour parvenir sa fin.

    Examinons le tableau offert par certains des nombreux facteurs coo-prant, dans une conomie dveloppe moderne, la production d'un sandwich au jambon, envisag comme bien de consommation l'usage d'un consommateur. Typiquement, en vue de produire un sandwich au jambon pour Jones, qui est assis dans son fauteuil, sa femme doit dpen-ser de l'nergie afin de sortir le pain de son emballage, de dcouper une tranche de jambon, de la placer entre deux tranches de pain et de l'apporter Jones. Tout ce labeur peut tre appel le travail de la mna-gre. Les facteurs cooprant ensemble et directement ncessaires pour arriver au bien de consommation sont ds lors: le travail de la mnagre, le pain dans la cuisine, le jambon dans la cuisine et un couteau pour cou-per le jambon. Il faut aussi disposer du sol sur lequel vivre et mener ces activits. De plus, ce processus doit bien entendu prendre un certain temps, qui constitue un autre facteur coopratif indispensable. Les fac-teurs ci-dessus peuvent tre appels biens de production du premier or-dre, car, dans ce cas, ils participent la production du bien de consom-mation. Cependant, de nombreux biens de production du premier ordre sont galement indisponibles dans la nature et doivent eux-mmes tre produits, l'aide d'autres biens de production. Ainsi, le pain dans la cui-sine doit tre produit avec la coopration des facteurs suivants: du pain-chez-J'picier et du travail de la mnagre pour aller le chercher (plus l'omniprsent sol-sous-les-pieds et du temps). Dans cette procdure, ces facteurs sont des biens de production du deuxime ordre car ils partici-pent produire des biens du premier ordre. Les biens d'ordre suprieur sont ceux qui participent la production de facteurs d'ordre infrieur.

    Ainsi, tout processus (ou structure) de production peut tre analys comme se produisant suivant diffrentes stades. Aux stades initiaux, ou suprieurs , il faut produire des biens de production qui participeront plus tard produire d'autres biens de production qui coopreront en d-finitive produire le bien de consommation dsir. Ainsi, dans une co-nomie dveloppe, la structure de production d'un bien de consomma-tion donn peut tre trs complexe et comprendre de nombreux stades.

    Des conclusions gnrales importantes peuvent nanmoins tre tires, qui s'appliquent tous les processus de production. En premier lieu, chaque stade de la production prend du temps. Deuximement, les fac-teurs de production peuvent tous tre rpartis en deux classes : ceux qui sont eux-mmes produits et ceux qui sont dj disponible dans la nature - dans l'environnement de 1 'homme. Les seconds peuvent tres utiliss

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  • FONDEMENTS DE L'ACTION HUMAINE

    comme moyens indirects sans tre produits au pralable; les premiers doivent tout d'abord tre produits avec l'aide d'autres facteurs afin d'aider les stades de production ultrieurs (ou infrieurs ). Les pre-miers sont les facteurs de production produits; les seconds sont les fac-teurs de production originels. Les facteurs originels peuvent, leur tour, tre diviss en deux classes: la dpense d'nergie humaine et J'utilisa-tion d'lments non humains fournis par la nature. Les premiers sont ce qu'on appelle le Travail, les seconds la Nature ou le 501. 11 Ainsi, les classes de facteurs de production sont le Travail, le Sol et les facteurs produits, que l'on appelle Biens du Capital.

    Le Travail et le Sol, sous une forme ou sous une autre, se retrouvent tous les stades de la production. Le Travail aide transformer les graines en bl, le bl en farine, les cochons en jambon, la farine en pain, etc. Non seulement le Travail est prsent chaque stade de la production, mais il en va de mme de la Nature. Du Sol doit tre disponible pour offrir un lieu chaque tape du processus et du temps, comme il a t dit plus haut, est ncessaire chaque stade. En outre, si nous voulons faire re-monter chaque stade de la production suffisamment loin en arrire, jus-qu'aux sources originelles, nous devons parvenir un point o seul le travail et la nature existaient et o il n'y avait aucun bien du capital. Cela doit tre vrai pour des raisons logiques, car tous les biens du capital doi-vent avoir t produits au cours de stades prcdents, l'aide de travail. Si nous pouvions faire remonter chaque processus de production assez loin dans le temps, nous devrions pouvoir arriver au point - au tout premier stade - o l'homme combina ses forces avec la nature sans l'aide de facteurs de production produits. Il n'est heureusement pas n-cessaire aux agents humains d'accomplir cette tche, car l'action utilise les matriaux disponibles au temps prsent pour parvenir des buts dans le futur, et il n'est nul besoin de se soucier du dveloppement qui a eu lieu dans le pass.

    Il est un autre facteur de production d'un type unique, qui est indis-pensable tous les stades de tous les processus de production. Il s'agit de l'ide technique sur la faon de passer d'un stade un autre pour ar-river au bout du compte au bien de consommation dsir. Ce n'est qu'une application de l'analyse prcdente, savoir que pour toute ac-tion l'agent doit avoir un certain plan ou une certaine ide sur la manire d'utiliser les choses comme moyens, comme voies, vers les fins dsires. Sans ces plans ou ces ides, il n'y aurait aucune action. Ces plans peut tre appels des recettes: ce sont des ides de recettes que l'agent utilise

    11 Le terme de sol risque d'tre trompeur dans ce contexte parce qu'il n'est pas utilis dans le sens usuel du mot. Le terme comprend les ressources naturelles comme l'eau, le ptrole et les minraux.

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  • L'HOMME, L'ECONOMIE ET L'ETAT

    pour parvenir son but. Une recette doit tre prsente chaque stade de tout processus de production d'o l'agent part pour passer un stade ul-trieur. L'agent doit avoir une recette pour transformer le fer en acier, le bl en farine, le pain et le jambon en sandwichs, etc.

    Le trait caractristique d'une recette est que, une fois apprise, elle n'a en gnral pas besoin d'tre apprise de nouveau. Elle peut tre note et on peut s'en souvenir. Quand on s'en souvient, elle n'a pas besoin d'tre produite: elle demeure pour l'agent comme un facteur de production illimit, qui ne s'use jamais et qu'il n'est pas ncessaire d'conomiser par l'action humaine. Elle devient une condition gnrale du bien-tre humain, la faon de l'air. 12

    Il devrait tre clair que l'objectif du processus de production - le bien de consommation - a de la valeur parce qu'il s'agit d'un moyen direct pour satisfaire les fins humaines. Le bien de consommation est consomm, et cet acte de consommation constitue la satisfaction de d-sirs humains. Ce bien de consommation peut tre un objet matriel comme du pain ou un objet immatriel comme l'amiti. Sa qualit pri-mordiale n'est pas d'tre ou non matriel mais d'tre considr par l 'homme comme un moyen de satisfaire ses dsirs. On appelle cette fonction du bien de consommation le service qu'il rend pour rpondre aux besoins humains. Le pain matriel est ainsi jug avoir de la valeur non pour ce qu'il est mais par le service qu'il rend pour satisfaire des besoins; de mme une chose immatrielle, comme la musique ou les soins mdicaux, est videmment juge avoir de la valeur pour un tel ser-vice. Tous ces services sont consomms pour satisfaire des dsirs. conomique n'est nullement synonyme de matriel .

    Il est galement clair que les facteurs de production - les divers biens de production d'ordre suprieur - n'ont de valeur qu'en raison de leur utilit anticipe pour ce qui est d'aider produire des biens de consommation futurs ou de produire des bien de production d'ordre in-frieur qui aideront crer des biens de consommation. La valeur don-ne aux facteurs de production dcoule de l'valuation par les agents de leurs produits (les stades infrieurs), la valeur de tous ces produits d-coulant au bout du compte du rsultat final - du bien de consomma-tion.13

    De plus, la ralit omniprsente de la raret des biens de consomma-tion doit se reflter dans la sphre des facteurs de production. La raret des biens de consommation doit impliquer une raret de leurs facteurs. Si

    12 Nous n'avons pas traiter ici des complications associes l'apprentissage initial d'une recette par l'agent, qui fait l'objet d'une action humaine.

    13 Cf. Carl Menger, Grundsatze, [Principles of Economies (Glencoe, Ill.: The Free Press, 1950), pp. 51-67].

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  • FONDEMENTS DE L'ACTION HUMAINE

    les facteurs taient illimits, alors les biens de consommation seraient galement illimits, ce qui ne peut pas tre le cas. Cela n'exclut pas la possibilit que certains facteurs, comme le savoir-faire, puissent tre il-limits et tre par consquent des conditions gnrales du bien-tre plu-tt que des moyens indirects rares. Mais chaque stade de production d'autres facteurs doivent se trouver en quantit limite et ceci doit rendre compte de la raret du produit final. La qute incessante par l'homme de moyens pour satisfaire ses dsirs - c'est --dire pour accrotre sa pro-duction de biens de consommation - prend deux formes: accrotre la quantit de facteurs de production sa disposition et amliorer ses recet-tes.

    Bien qu'il semble vident qu'il y ait plusieurs facteurs cooprant en-tre eux chaque stade de la production, il est important de comprendre que pour chaque bien de consommation il doit toujours y avoir plus d'un facteur de production rare. Ceci dcoule de l'existence mme de l'action humaine. Il est impossible d'imaginer une situation o un seul facteur de production produirait un bien de production ou mme donnerait nais-sance un bien de consommation partir du stade de production ant-rieur. Ainsi, si le sandwich dans le fauteuil ne ncessitait pas la coopra-tion des facteurs du stade prcdent (travail de prparation, course, transport, jambon, temps, etc.), il aurait dj accd au statut de bien de consommation - sandwich-dans-le-fauteuil. Pour simplifier l'exemple, supposons que le sandwich soit dj prpar et soit dans la cuisine. Alors, la production d'un bien de consommation partir de ce stade r-clame les facteurs suivants: (1) le sandwich; (2) le transport jusqu'au fauteuil; (3) du temps; (4) le sol disponible. Si nous supposons qu'un seul facteur soit ncessaire - le sandwich - alors nous devrions suppo-sons que le sandwich se dplace de faon magique et instantane de la cuisine au fauteuil, sans effort. Mais dans ce cas le bien de consomma-tion n'aurait pas besoin d'tre produit du tout et nous devrions faire l'hypothse impossible d'tre au Paradis. De mme, chaque stade du processus productif, le bien doit avoir t produit par au moins plus d'un facteur coopratif rare (d'ordre suprieur) ; dans le cas contraire ce stade de la production ne pourrait pas exister.

    4. Autres consquences: le Temps

    Le temps est omniprsent dans l'action humaine en tant que moyen devant tre conomis. Toute action est associe au temps comme suit :

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  • L'HOMME, L'ECONOMIE ET L'ETAT

    Temps A B

    Figure 1

    [ ... A} est la priode avant le dbut de l'action; A est le moment au-quel commence l'action; [AB} est la priode durant laquelle se produit l'action ; B est le moment o l'action se termine et [B .. .} est la priode aprs la fin de l'action.

    [AB} se dfinit comme la priode de production - priode allant du dbut de l'action jusqu'au moment o le bien de consommation est dis-ponible. Cette priode peut tre divise en divers stades, chacun oc-cupant une priode temporelle. Le temps pass au cours de la priode de production consiste en temps durant lequel on dpense une nergie en travail (ou du temps de travai~ et du temps de maturation, par exemple un temps requis sans qu'il soit ncessaire de dpenser galement du tra-vail. Un exemple vident nous est donn par l'agriculture. Il peut se pas-ser six mois entre le moment o le sol est sem et celui o la rcolte est faite. Le temps total au cours duquel du travail doit tre dpens peut durer trois semaines, alors que le temps restant, soit plus de cinq mois, constitue le temps pendant lequel la rcolte doit grandir et mrir suivant les processus naturels. Un autre exemple d'une longue dure de matura-tion est le vieillissement du vin, destin amliorer sa qualit.

    Il est clair que chaque bien de consommation possde sa propre p-riode de production. Les diffrences entre le temps pass au cours des priodes de production des diffrents biens peuvent tre, et sont, innom-brables.

    Il y a un point important qu'il convient de souligner propos de l'ac-tion et la priode de production: c'est que l'homme qui agit ne fait pas remonter les processus de production leurs sources originelles. Dans les paragraphes prcdents nous avons fait remonter les biens de production et de consommation leurs sources originelles, dmontrant que tous les biens du capital ont t initialement produits uniquement avec la nature et du travail. L'homme qui agit, toutefois, ne s'intresse pas aux processus passs mais se proccupe seulement d'utiliser les moyens disponibles l'instant prsent pour parvenir aux fins futures an-ticipes. A tout instant, lorsqu'il commence l'action (disons en A), il dis-pose de travail, d'lments fournis par la nature et de biens du capital pralablement produits. Il commence l'action l'instant A en esprant

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  • FONDEMENTS DE L'ACTION HUMAINE

    atteindre son objectif l'instant B. Pour lui, la priode de production est [AB}, car il ne se soucie pas de la quantit de temps coule lors de la production passe de ses biens du capital ou au cours des mthodes grce auxquelles ils ont t produitS. 14 Ainsi, le fermier sur le point d'utiliser son sol pour faire pousser la rcolte de la prochaine saison ne se proc-cupe pas de savoir si et dans quelle mesure son sol est un facteur origi-nel, fourni par la nature, ou s'il rsulte d'amliorations de prcdents dfricheurs et fermiers. Il ne se soucie pas du temps rvolu pass par ces amliorateurs d'autrefois. Il se soucie seulement des biens du capital (et des autres biens) du prsent et de l'avenir. Il s'agit de la consquence ncessaire du fait que l'action se passe dans le prsent et vise le futur. Ainsi, l'homme qui agit prend en compte et donne de la valeur aux fac-teurs de production disponibles l'instant prsent, en fonction des servi-ces qu'on s'attend ce qu'ils rendent dans la production future de biens de consommation, et jamais en fonction de ce qui est arriv ces fac-teurs dans le pass.

    Une vrit fondamentale et ternelle de l'action humaine est que l'homme prfre parvenir sa fin dans le temps le plus court possible, tant donne une satisfaction particulire, plus tt elle arrive, mieux c'est. Ceci rsulte du fait que le temps est toujours rare et est un moyen conomiser. Plus tt une fin est atteinte, mieux c'est. Ainsi, pour toute fin donne atteindre, plus la priode d'action, c'est dire de produc-tion, est courte, mieux cela vaut pour l'agent. Ceci est le fait universel de la prfrence temporelle. A tout instant, et pour toute action, l'agent pr-fre d'abord voir sa fin atteinte dans le prsent immdiat. Puis il prfre juste aprs qu'elle soit atteinte dans le futur immdiat, et plus l'obtention de sa fin lui semble loigne dans le futur, moins il est content. Plus le temps d'attente est court, plus il est content. 15

    14 Pour chaque agent la priode de production est donc quivalente son temps d'attente - temps qu'il doit s'attendre passer pour atteindre son objec-tif aprs le dbut de son action.

    1 La prfrence temporelle peut tre qualifie de prfrence pour une satis-faction prsente par rapport une satisfaction future ou pour un bien prsent par rapport un bien futur, pourvu qu'on se rappelle qu'il faut que ce soit la mme satisfaction (ou le mme bien ) que l'on compare entre les diffrentes prio-des temporelles. Ainsi, un type d'objection courant l'affirmation de l'universalit de la prfrence temporelle est qu'en priode hivernale, un homme prfre la livraison de glace l't suivant (dans le futur) la livraison de glace sur l'instant. Ceci confond cependant le concept de bien avec les proprits matrielles de la chose, alors qu'il se rfre en fait des satisfactions subjecti-ves. Comme la glace-en-t offre des satisfactions diffrentes (et plus grandes) que la glace-en-hiver, elles ne sont pas un mme bien mais des biens diffrents.

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  • L'HOMME, L'ECONOMIE ET L'ETAT

    Le temps entre en jeu dans l'action humaine non seulement dans le temps d'attente au cours de la production mais aussi dans la dure pen-dant laquelle le bien de consommation satisfera le consommateur. Cer-tains biens de consommation satisferont ses dsirs, c'est--dire attein-dront ses fins, pendant une courte priode, d'autres pendant une priode plus longue. Ils peuvent tre consomms pendant des priodes plus ou moins longues. Ceci peut tre reprsent par le diagramme valable pour toute action et montr par la figure 2. Cet intervalle temporel, {BG}, est la dure de vie des biens de consommation, pendant laquelle ils peuvent rendre des services. C'est l'intervalle de temps pendant laquelle la fin que remplit le bien de consommation continue tre atteinte. Cette dure de vie est diffrente pour chaque bien de consommation. Elle peut tre de quatre heures pour le sandwich au jambon, priode aprs laquelle l'agent dsire une autre nourriture ou un autre sandwich. Celui qui cons-truit une maison peut s'attendre ce qu'elle rponde ses souhaits pen-dant 10 ans. A l'vidence, la capacit durer du bien de consommation pour ce qui est de rpondre cette fin entrera dans les plans de l'agent. 16

    Temps A B c

    Figure 2 : Priode de production et de consommation

    Il est clair que, toutes choses tant gales par ailleurs, l'agent prfre-ra un bien de consommation d'une dure de vie plus grande un autre de dure de vie plus faible, car le premier rendra davantage de services au total. D'un autre ct, si l'agent value pareillement le service total ren-du par deux biens de consommation, il choisira, en raison de la prf-rence temporelle, le bien le moins durable parce qu'il retirera la totalit de ses services plus rapidement qu'avec l'autre. Il aura moins attendre pour obtenir la totalit des services d'un bien moins durable.

    Les concepts de priode de production et de dure de vie sont pr-sents dans toute action humaine. Il existe encore une troisime dure qui

    Dans ce cas ce sont des satisfactions diffrentes qui sont compares, malgr le fait que les proprits physiques de la chose puissent tre les mmes.

    16 Il est devenu habituel de dsigner les biens de consommation d'une dure de vie longue sous le nom de biens durables et ceux ayant une dure de vie plus courte sous le nom de biens non durables. A l'vidence toutefois, il y a d'innombrables degrs de durabilit et une telle sparation ne peut tre que non scientifique et arbitraire.

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  • FONDEMENTS DE L'ACTION HUMAINE

    entre en jeu dans l'action, Chaque personne a un horizon temporel gn-ral, s'tendant du prsent jusque dans le futur, pour lequel il planifie di-vers types d'action. Alors que la priode de production et la dure de vie se rfre des biens de consommation spcifiques et diffrent entre les diffrents biens, la priode d'anticipation (l'horizon temporel) est la du-re de temps futur pour laquelle chaque acteur prvoit de satisfaire ses dsirs. La priode d'anticipation comprend donc des actions planifies pour une varit considrable de biens de consommation, chacun ayant sa propre priode de production et sa propre dure de vie. Cette priode d'anticipation varie d'un agent l'autre selon les choix de chacun. Cer-taines personnes vivent au jour le jour, ne se souciant nullement des p-riodes ultrieures; d'autres se prparent non seulement pour toute leur vie mais aussi pour celle de leurs enfants.

    5. Autres consquences

    A. Fins et valeurs Toute action comprend l'emploi de moyens rares pour parvenir aux

    fins ayant le plus de valeur. L'homme a le choix d'utiliser les moyens rares pour diverses fins possibles et les fins qu'il choisit sont celles qu'il considre comme ayant la valeur la plus leve. Les dsirs moins urgents sont ceux qui demeurent insatisfaits. Les agents peuvent tre interprts comme classant leurs fins suivant une chelle de valeurs, une chelle de prfrences. Ces chelles sont diffrentes pour chaque personne, la fois par leur contenu et par l'ordonnancement des prfrences. En outre, elles diffrent pour le mme individu diffrents instants. Ainsi, un autre moment l'agent mentionn dans la section 2 (plus haut) peut choisir d'aller se promener, ou aller se promener puis jouer au bridge plutt que de continuer regarder le match. Dans ce cas, le classement de son chelle de prfrence se modifie pour prendre l'ordre suivant:

    1. Sortir se promener (en premier) 2. Jouer au bridge (en deuxime) 3. Continuer regarder le match de baseball (en troisime)

    De plus, une nouvelle fin peut avoir t introduite entre-temps, de sorte que l'agent souhaite aller un concert, ce qui peut changer son chelle de valeur comme suit :

    1. Sortir se promener (en premier) 2. Aller au concert (en deuxime) 3. Jouer au bridge (en troisime) 4. Continuer regarder le match de base baIl (en quatrime)

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  • L'HOMME, L'ECONOMIE ET L'ETAT

    Le choix des fins inclure dans l'chelle de valeur de l'agent et l'assignation d'un classement aux diffrentes fins constituent le proces-sus de jugement de valeur. Chaque fois que l'agent classe et choisit entre diverses fins, il met un jugement sur la valeur qu'elles ont pour lui.

    Il est trs utile d'associer un nom cette chelle de valeur que poss-dent tous les agents humains. Nous ne nous soucions pas le moins du monde du contenu spcifique des fins des hommes, mais uniquement du fait que les diverses fins soient classes par ordre d'importance. Ces chelles de prfrence peuvent tre appeles bonheur ou bien-tre ou utilit ou satisfaction ou contentement. Le nom que nous choisissons de leur attribuer n'est pas important. En tout cas, cela nous permet de dire, chaque fois qu'un agent a atteint une certaine fin, qu'il a accru son tat de contentement ou sa satisfaction, ou son bonheur, etc. Inversement, quand quelqu'un considre que sa situation empire et qu'il parvient un plus petit nombre de fins, sa satisfaction, son bonheur, son bien-tre, etc. ont diminu.

    Il est important de comprendre qu'il n'y a jamais la moindre possibi-lit de mesurer les augmentations ou les diminutions de bonheur ou de satisfaction. Non seulement il est impossible de mesurer ou de comparer des changements de satisfaction entre diffrentes personnes, mais il n'est pas possible de mesurer les changements de bonheur de quiconque. Pour pouvoir mesurer, il doit exister une unit fige pour l'ternit et donne de manire objective, avec laquelle d'autres units peuvent tre compa-res. Il n'existe pas de telle unit objective dans le champ de l'valuation humaine. L'individu doit dterminer de manire subjective en ce qui le concerne s'il se retrouvera mieux ou moins bien suite un changement donn. Sa prfrence ne peut tre exprime qu'en termes de simple choix ou de classement. Il peut ainsi dire: je suis mieux ou je suis plus heureux parce qu'il est all un concert au lieu de jouer au bridge (ou je serai mieux en allant au concert), mais il n'y aurait aucun sens pour lui attribuer des units sa prfrence et dire: je suis deux fois et demi plus heureux en raison de ce choix que je ne l'aurais t en jouant au bridge. Deux fois et demi de quoi? Il n'y a pas d'unit pos-sible pour le bonheur que l'on puisse utiliser en vue de comparer et donc d'ajouter ou de multiplier. Ainsi, les valeurs ne peuvent pas tre mesu-res; les valeurs ou les utilits ne peuvent pas tre ajoutes, soustraites ou multiplies. Elles ne peuvent tre que classes comme meilleures ou pires. Un homme peut savoir s'il est ou sera plus ou moins heureux, mais pas de combien , pas d'une quantit mesurable.17

    17 En consquence, les nombres avec lesquels les fins sont classes sur les chelles de valeur sont des nombres ordinaux et non cardinaux. Les nombres ordinaux sont uniquement classs: ils ne peuvent pas faire l'objet d'un proces-

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  • FONDEMENTS DE L'ACTION HUMAINE

    Toute action est une tentative visant changer un tat de choses moins satisfaisant par un tat plus satisfaisant. L'agent se trouve (ou s'attend se trouver) dans un tat imparfait et, en essayant d'atteindre les fins qu'il dsire le plus ardemment, espre se retrouver dans une meil-leure situation. Il ne peut pas mesurer le gain de satisfaction mais sait quels sont ses objectifs les plus urgents et sait quand sa situation s'est amliore. Par consquent, toute action comporte un change -change d'un tat de choses X contre Y, nouvel tat que l'agent anticipe tre plus satisfaisant (et donc plac plus haut sur son chelle de valeurs). Si son espoir se rvle correct, la valeur de Y sur son chelle de prf-rence sera plus leve que celle de X, et il aura obtenu un bnfice net pour ce qui est de son tat de satisfaction, de son utilit. S'il a commis une erreur et que la valeur de l'tat auquel il a renonc - X - est plus leve que celle de y, il aura subi une perte nette. Ce bnfice (ou profit) et cette perte psychiques ne peuvent pas tre mesurs avec des units, mais l'agent sait toujours s'il a fait l'exprience d'un profit ou d'une perte psychique suite une action-change. 18

    Les agents humains valuent les moyens en conformit stricte avec leur valuation des fins que servent, selon eux, ces moyens. A l'vidence les biens de consommation sont classs sur l'chelle de valeur d'aprs les fins que les hommes attendent qu'ils satisfassent. Ainsi, la valeur at-tribue au plaisir qu'apporte un sandwich au jambon ou une maison d-terminera la valeur qu'un homme donnera au sandwich au jambon ou la maison eux-mmes. Pareillement, les biens de product