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Camille Tisserand

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Quelques pistes pour s'adresser aux jeunes enfants.

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Camille Tisserand

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L’Héritage des comptines

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L’Héritagedes comptinesQuelques pistes pour s’adresseraux jeunes enfants.

Camille Tisserand

Mémoire de fin d’étude à l’ESAD

Tuteur : Olivier Deloignon

Atelier de didactique visuelle dirigé par Olivier Poncer.

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Achevé d’imprimé à Strasbourg, février 2012.

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Merci à vousOlivier Deloignon

Marie JacolotCécile Bernière

Diane CaussadeFlorian Machot

Frédérique Triton

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L'Héritage des comptines

Table des matières

Introduction

I Les EnfantinesDe celles qui communiquent (presque) sans mot

Du son avant toutPremière étape, percevoir les sons de la langue maternelle.Les enfantines en structure d’accueil du jeune enfant

Lier le geste à la paroleCorps à corps, la découverte des sensationsLe visageJeux de mains, jeux de vilain ?

Les différents supports de transmissionLe livreLivre-CD, CD et DVDInternet

II Virelangues et autres mondes imaginairesDe celles qui se jouent du sens et du bon sens.

À la limite du son et du sens.Une étape particulière dans l’acquisition du langage.Utilisation des comptines en maternelle.Une représentation visuelle

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Langue étrangère ou simplement étrange ?Exemple de comptineLe cas des mots « magiques »L’étrange cas des motordus

Approche ludique d’une langue laborieuseArticuler, quand le son met au défi la langueSyntaxe et approche de l’écritRécréation

III Les Comptines qui comptentDe celles qui usent et abusent de la logique

À la découverte du mondeÉnumérerExplorer toujours plus loinUne logique rassurante

Organiser sa penséeCompter sur les doigtsMémoriserLien de cause à effet

Littérature pour enfantsLes livres qui s’inspirent des comptinesExplorer en images

Conclusion

Bibliographie

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Aujourd’hui, les comptines font bonne impression et sont allégrement diffusées sur de nombreux supports (livres, CD, etc.). Ces objets vantent la valeur didactique de ces petites formes énonciatives, qui sont considérées comme parfaitement adaptées au développement de l’enfant. La remar-quable longévité de cette tradition orale tend à aller dans la même direc-tion : si les comptines sont toujours là, c’est qu’elles plaisent aux enfants. J’ai donc décidé, à l’occasion de ce mémoire, de me pencher sur les raisons de ce succès.

Étant adaptées aux enfants, les comptines permettent d’aider, par des schémas et des mécanismes ludiques, tous ceux qui souhaitent s’adresser aux plus jeunes. En effet, il est souvent difficile pour nous, adultes, de savoir ce qui va intéresser ce jeune public. De plus, le risque est grand d’in-fantiliser un contenu lorsque l’on essaie à tout prix de se mettre à la place de l’enfant. C’est pourquoi, je vais m’intéresser aux comptines dans le but de comprendre ce qui les rend si séduisantes à l’oreille des petits. De cette manière, je souhaite mettre en lumière quelques mécanismes propres à cette tradition orale et voir de quelle manière il est possible de s’en inspirer.

Introduction

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L'Héritage des comptines

Avant d’aller plus loin, je dois d’abord préciser ce que j’entends par le mot comptine.

Lorsque je décris ce mot, le plus souvent, je donne des exemples, « Une comptine c’est un texte chantonné, c’est Une Souris verte, qui courait dans l’herbe ».

Cependant, si l’on ouvre un dictionnaire pour en savoir plus, par exemple le Larousse en ligne, on lit ceci : « Comptine : Formule que récitent les enfants pour déterminer, par le compte des syllabes, celui à qui un rôle sera dévolu dans leurs jeux1. » Cette définition s’accorde bien avec l’éty-mologie du mot latin Computare qui signifie « calculer » et, de ce fait, fait référence aux formulettes permettant de dénombrer. Cette description correspond aux formulettes dites « d’éliminations2 » comme, par exemple, la bien connue Am stram gram qui permet aux enfants de désigner, dans un groupe, celui qui devra poursuivre les autres dans le jeu du « chat ».

La Souris verte, en revanche, ne correspond pas à cette définition et possède un rôle tout à fait différent. Pourtant, en ce qui me concerne, c’est une des premières formulettes qui me vient à l’esprit en pensant aux « comptines ». Il existe ainsi un nombre incalculable d’autres petits récits qui ont des fonctions bien différentes de celle de compter. On peut penser : aux chansons, aux rondes, aux devinettes, aux rituels de jeux, autant de petits textes chantés, récités, mimés qui ont leur propre rôle pour accom-pagner l’enfant dans sa vie de tous les jours.

Tout au long de ce mémoire, le mot comptine reviendra souvent, et puisque je ne parlerai pas exclusivement du plouf, sa définition dépassera celle du dictionnaire. Je me permettrai donc de l’utiliser par extension de son sens premier, car je trouve qu’aujourd’hui ce terme a évolué dans le langage courant et paraît naturellement à sa place pour décrire tous les petits textes rythmés et chantonnés de la culture enfantine.

1- Encyclopédie Larousse en ligne, http://www.larousse.fr/encyclopedie/nom-commun-nom/comptine/35820.2- Les formulettes d’élimination fonctionnent toutes sur le même principe : les enfants se placent en cercle, un pied en avant. L’un deux va alors réciter la comptine en désignant à chaque syllabe le pied de l’un de ses camarades. Celui sur lequel la dernière syllabe tombe est éliminé et sort du cercle. Les enfants procèdent ainsi jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un, celui que le sort aura désigné pour le rôle du « chat » dans le jeu du même nom. Ce jeux avant le jeux est communé-ment appelé « plouf » car les enfants commencent toujours par pointer le centre du cercle en disant « plouf plouf » avant de continuer la formulette.

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Introduction

Enfin, pour finir les présentations avec ce mot, il faut savoir qu’il n’est pas aussi vieux que ce que l’on pourrait penser. En effet, l’objet qu’il désigne se perd dans la nuit des temps mais son entrée dans le monde lexicogra-phique ne date que de 1926 (date à laquelle il apparaît dans le diction-naire). On attribue ce terme à Pierre Roy qui l’utilise pour la première fois dans son livre Cent comptines3.

Ce peintre français, passionné par cette poésie populaire, a collecté, classé et tenté de comprendre ces petits poèmes. Il a commencé à les récolter de la bouche même des enfants sans savoir encore comment les nommer et c’est dans la préface de son livre qu’il nous livre son choix final : « J’avais réuni nombre de ces petites pièces, sans savoir encore si elles portaient un nom parmi les genres littéraires quand, posant à un enfant cette question fréquemment répétée : « Connais-tu de petites chansons qui servent à se compter quand on joue ? » Il me répondit : « C’est des comptines que vous voulez dire ? » J’ai adopté ce nom l’ayant plusieurs fois retrouvé en usage, ainsi que ceux, plus rares cependant, de comptages et comptains4 ».

Le mot comptine apparaît donc assez tardivement dans le langage écrit mais il est évident qu’il était déjà présent depuis longtemps dans la culture orale. Ce passage tardif de l’oral à l’écrit montre bien que l’intérêt porté aux comptines, et à la culture enfantine en général, est plutôt récent.

Comme toute tradition orale, les comptines se sont développées avec la parole humaine comme seul moyen de transmission et la mémoire des individus comme unique solution de stockage. « Ces petits poèmes se sont transmis oralement de génération en génération. Et, parce qu’ils s’usaient au fil du temps, mères et nourrices habiles rapiéçaient les phrases et retri-cotaient les trous de mémoire de mots nouveaux et de nouvelles asso-nances5. » Comme le dit Michel Defourny, professeur de littérature pour la jeunesse, de façon très poétique, ce sont des productions qui n’ont cessé d’être remodelées et qui ne peuvent pas être analysées de la même

3- Cent comptines, Pierre Roy, édition originale H. Jonquières, 1926. Dans ce livre Pierre Roy a illustrée 100 comptines qu’il a lui même récoltées directement auprès des enfants.4- Pierre Roy extrait de Cent comptines, op. cité, cité par Pierre Lartigue dans l’avant dire de son livre Une Cantine de comptines, édition Les belles lettres, coll. Architecture du verbe, 2001, p. 11.5- Michel Defourny, Le livre et l’enfant. Recueil de textes de Michel Defourny. Service général des lettres et du livre du ministère de la communauté française, édition De Boeck, 2009, p. 54.

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manière qu’un texte écrit. Ces petites pièces n’ont pas toujours d’origines précises mais elles témoignent d’une expérience séculaire et sont issues d’un véritable dialogue entre adultes et enfants.

La fantaisie et la grande liberté qui découlent de ces formes énon-ciatives, sont sources de plaisir pour les enfants mais c’est aussi la raison qui leur a valu d’être longtemps mises à l’écart de la « bonne littérature ». Jugées alors peu convenables, il a fallu attendre le XIXe siècle, avec l’appa-rition des folkloristes et le travail des psychologues, qui ont fait changer la perception de l’enfant dans la société, pour que les comptines soient recon-nues comme un riche patrimoine. Eugène Rolland est connu pour être le premier à avoir collecté un important répertoire de comptines françaises dans son livre Rimes et jeux de l’enfance6. Son avant-propos m’a, d’ail-leurs, confortée dans ce choix d’étude puisqu’il y qualifie cette littérature enfantine comme étant « la seule qui les amuse, la seule qui convienne à leur développement mental, et qui diffère si complètement de ce que nos pédagogues utilitaires veulent à toute force leur enseigner7. » Ainsi, les comptines ouvrent vers une autre perception de l’enfant. Cette tradition orale nous invite à redécouvrir l’enfance avec un autre regard que celui de l’adulte mais sans jamais l’infantiliser.

Dans ce mémoire, je vais donc vous parler de toutes ces formulettes, chan-sons, danses ou jeux rimés qui constituent le patrimoine oral des petits. Pour cela, il va falloir les classer. Toutes les collectes de comptines ont fait l’objet de classifications, le plus souvent fondées sur des distinctions linguis-tiques comme la structure interne des poèmes, la présence ou non de jeux de mots ou d’allitérations, etc. En ce qui me concerne, je suis plus proche de la classification faite par Eugène Rolland. Celle-ci suit les heures de la journée du réveil de l’enfant jusqu’à son coucher et elle observe l’ordre chronologique de la naissance à la fin de l’adolescence. Je trouve cette approche particulièrement intéressante car mon but est de comprendre les attentes des enfants en fonction de leur âge et la façon dont les comptines y répondent.

Afin de mieux comprendre ce qui fait le succès de ces formulettes, je les classerai donc en trois catégories que l’on peut globalement associer à

6- Eugène Rolland, Rimes et jeux de l’enfance, édition Maisonneuve & Larose, 2002. (Édition originale, Maison-neuve, 1883).7- Eugène Rolland, op. cité, p. 11.

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Introduction

l’évolution d’un enfant dans les trois grandes structures que sont la crèche, la maternelle et le primaire.

Dans la première partie, je m’intéresserai aux bébés à travers les enfan-tines. Ces formulettes proposent un double langage, à la fois oral et gestuel, propice à un dialogue adultes/enfants.

Je m’attarderai ensuite sur les jeunes enfants. À l’âge où ils développent leur expression orale, les comptines leur proposent de véritables défis de prononciation et de compréhension.

Enfin, la dernière partie sera consacrée aux comptines de logique. Ces comptines s’adaptent aux différents âges de l’enfant. Parfois très complexes, elles font néanmoins preuves d’une logique imparable pour le plus grand plaisir de leur jeune public.

Nous verrons alors qu’à travers les comptines il est possible d’avoir accès à certains aspects de la vie enfantine qui sont très éloignés de nos percep-tions d’adulte. L’analyse de ce répertoire me permettra ainsi de retenir quelques grands principes qui, je pense, seront intéressant à connaître pour tous ceux qui souhaitent s’adresser aux plus jeunes.

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Partie I

Les Enfantines

Pour commencer, je vais m’intéresser aux toutes premières comptines, celles qui sont chantonnées pour les bébés et les jeunes enfants.

Ces comptines s’adressent aux tout-petits qui ne possèdent pas le langage ; les adultes (parents et personnel de la petite enfance) sont déten-teurs de ce répertoire qui s’adapte et répond aux premiers babillages. Dans ce type de comptine, le sens s’efface au profit des sonorités et du rythme. Cependant, on remarquera qu’elles sont très souvent descriptives et qu’elles présentent, à leur manière, le monde.

Le rythme et la mélodie trouvent particulièrement leur place dans ce premier temps de l’enfance, un temps d’avant les mots, mais ce qui les distinguent des autres comptines c’est surtout l’importance de la gestuelle et les sensations tactiles qui vont de pair. Ainsi, cette première catégorie parfois qualifiée de « jeux de nourrice » offre une véritable interaction entre adulte et enfant aux travers de petites scènes chantonnées et mimées.

Je nommerai ces petites formes énonciatives « enfantines » et je décrirai, dans cette première partie, en quoi ces dernières sont particuliè-rement bien adaptées pour accompagner le bébé dans ses premiers pas vers la communication.

De celles qui communiquent (presque) sans mot.

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Du son avant tout

Première étape, percevoir les sons de la langue maternelleAujourd’hui, on sait que le bébé est sensible aux sons avant même sa nais-sance : en effet, dès la 25e semaine, le système auditif du fœtus est opéra-tionel1. Pour les nouveaux nés, les sons sont perçus de manière égale et n’ont aucun sens. Le bébé portera la même attention à un son produit par des adultes qu’au son d’une porte qui grince ainsi que l’illustre l’exemple d’Anne Bustarret « C’est Jean, dix mois, qui se traîne jusqu’à cette porte qui vient de grincer pour l’actionner lui-même, provoquant un bruit court et très aigu qu’il imite aussitôt de la voix2. ».

Ainsi, le bébé imite sans aucune distinction tous les sons qui l’en-tourent ; à ce stade, cette capacité lui permet d’apprendre n’importe quelle langue comme le fait remarquer la psycholinguiste Bénédicte Boysson-Bardies : « L’enfant au début peut apprendre toutes les langues. Donc il est sensible à toutes les marques qui existent dans les langues, puis petit à petit, qu’aux marques qui existent dans sa langue3. » Peu à peu, l’enfant ne produira donc que les sons de sa langue maternelle.

Afin d’extraire ces sons du flux constant de paroles, l’enfant doit perce-voir et distinguer les différentes syllabes qui composent le langage. C’est ce travail d’extraction qui lui permettra de mettre du sens sur le son et d’accéder ainsi à sa langue maternelle. Les enfantines vont accompagner l’enfant dans cet exercice. En effet, ces petits textes, par la façon dont ils sont scandés, aident à mieux distinguer les syllabes. De plus, on peut noter que leur courte durée est adaptée à de jeunes enfants. Il faut bien évidem-ment prendre en compte que le temps d’attention d’un bébé est plutôt court et si la comptine est trop longue il s’en désintéressera avant la fin.Anne H. Bustarret fait donc remarquer que ces courts textes de la culture enfantine sont particulièrement bien adaptés : « Les bébés et les petits handicapés, avec qui j’ai longuement pratiqué ces jeux de nourrice, m’ont

1- l’ouvrage de Bénédicte de Boysson-Bardies intitulé Comment la parole vient aux enfants. De la naissance jusqu’à deux ans, édition Odile Jacob, 1999, vous en apprendra plus.2- Anne H. Bustarret, L’Oreille tendre, pour une éducation auditive, édition Enfance heureuse, 1998, p. 58-59.3- Interview de Bénédicte de Boysson-Bardies dans le documentaire de Valerie Lumbroso, Le Langage avant les mots, 26 minutes, qui fait partie de la collection L’Enfance pas à pas, copro-duction Guilgamesh/ARTE France, 2003.

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Les Enfantines

montré de plus en plus clairement à quel point la tradition orale savait utiliser et structurer au mieux leurs temps d’attention active et de repos, qui sont courts et fluctuants d’une dizaine de secondes à l’autre4. » Les enfantines correspondent parfaitement aux jeunes enfants, de plus, ajouté aux fait d’être rythmées et concises, elles s’accompagnent de gestes. Ces mouvements produits par l’adulte offrent de véritables spectacles visuels et sonores qui bénéficieront de toute l’attention du bébé.

Les enfantines en structure d’accueil du jeune enfantLes enfantines sont un véritable repère pour le bébé, une petite forme courte et rythmée, facilement reconnaissable et qui induit un moment rassurant et plaisant d’intimité. Ainsi utilisées au sein des crèches, elles peuvent notamment faire le lien entre la maison et la structure afin de rassurer le bébé. Il y a des enfantines pour toutes les situations, pour amuser, consoler, décrire, expliquer5, ces petits textes sont donc bien utiles pour rythmer la journée du bébé et lui offrir un repère stable. Leur utilisation est aujourd’hui très répandue dans les structures telles que les crèches. Les comptines s’échangent entre collègues afin de s’accorder sur la version qui sera chantée aux enfants, toutefois cela dépend des structures et du personnel car tout le monde n’est pas forcément à l’aise pour chanter. On remarque donc l’utilisation de musique enregistrée voire dans certains cas l’intervention de musiciens professionnels.

Ainsi, les enfants sont mis très jeune au contact de la musique ; cepen-dant, s’il est facile de mettre un CD en marche, il est primordial de préparer et d’animer cette écoute.

En effet, dans son livre L’Oreille tendre6, Anne H. Bustarret met en garde contre les musiques mises en bruit de fond « lorsque l’enfant ne s’entend plus distinctement il se tait car son vrai plaisir, son besoin premier, est de s’entendre lui-même. D’où, ce commentaire fréquemment entendu :

4- Anne H. Bustarret, op. cité, p. 72.5- Lors du printemps des petits lecteurs, 2009, les bibliothécaires, de la bibliothèque municipale de Lyon, ont organisé une sélection d’enfantines en suivant l’ordre chronologique d’une journée, la nuit, le jour, se coucher, se lever, manger, jouer… Ces textes ont la capacité de tout décrire et de présenter le monde aux jeunes enfants. http://www.bm-lyon.fr/printemps-petits-lecteurs09/comptines.php6- Anne H. Bustarret, op. cité.

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« De toute façon, la musique, ça les calme un peu », un fait physiquement mesurable certes et psychologiquement désastreux7 ! » Comme on a pu le voir précédemment, le bébé ne cesse de faire l’expérience du son et pour que cela soit possible, il doit s’entendre. Écouter de la musique n’à donc d’intérêt que si c’est sur une courte durée entourée de silence. La parti-cularité des enfantines est de proposer, en plus de l’écoute, une série de sensations ou de gestes à reproduire. C’est pourquoi si l’on opte pour de la musique enregistrée Anne H. Bustarret conseille vivement de proposer une activité similaire (gestes, danse, relaxation8).

La présence d’un adulte est indispensable, il doit montrer lui-même une attitude d’écoute et partager avec les enfants ce moment d’attention. Le CD est un bon support, il peut aider les professionnels à élargir leur répertoire mais il ne doit pas faire oublier que l’essentiel réside dans le face à face entre l’adulte et l’enfant, ce que l’on retrouve dans les enfantines.

Entre le moment où l’on est un enfant et celui où l’on en a à son tour, il s’écoule une longue période durant laquelle nous sommes complètement coupés de la culture enfantine (sauf bien sûr si l’on travaille auprès de cette tranche d’âge). Ainsi, de toutes les comptines de notre enfance, il ne nous reste que peu de traces et les jeunes parents, qui souhaitent partager ces jeux avec leurs enfants, doivent trouver un moyen de se rafraîchir la mémoire. C’est pourquoi, les CD ou même les livres-CD sont particulière-ment appréciés puisqu’ils permettent de transmettre le texte et la mélodie. Les parents peuvent ainsi (re)trouver des comptines et les transmettre à leurs enfants.

Les CD offrent aujourd’hui un vaste choix musical adapté aux enfants lorsqu’ils s’inspirent de la culture enfantine mais il ne faut pas oublier le rôle essentiel de médiateur que tient l’adulte. Il est donc intéressant d’ajouter aux enregistrements, des propositions d’activités et de jeux pour aider l’adulte à animer l’écoute.

7- Anne H. Bustarret, op. cité, p. 28.8- Conseils pour l’écoute de disques, Anne H. Bustarret, op. cité, p. 52.

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Lier le geste à la parole

Les enfantines se distinguent par toute la mise en scène qu’elles induisent grâce à leur mélodie et à leur gestuelle. Nous avons vu qu’elles trouvent leur place auprès des bébés et donc naturellement dans les structures qui accueillent ces derniers, comme les crèches. Pour illustrer un peu mieux cette première catégorie de comptines et comprendre pourquoi elle sont utilisées auprès des très jeunes enfants, je vais maintenant vous présenter quelques exemples autour de trois thèmes importants : le corps, le visage et les mains.

Corps à corps, la découverte des sensationsCertaines enfantines se jouent directement sur le corps de l’enfant, il s’agit, en plus du rythme, de la mélodie et du texte, de faire vivre l’histoire physi-quement sur la peau. Par le jeu de caresses et d’effleurements, l’histoire se vit au travers de sensations, donnant l’impression réelle que les protago-nistes de ces formulettes coulent, courent ou grimpent. Par exemple, dans cette enfantine bien connue c’est la main de l’adulte qui parcours le corps de l’enfant en prenant le rôle de la p’tite bête :

« C’est la p’tite bêteQui monte qui monte qui monteEt qui fait guili guili guili »

La main de l’adulte commence par le ventre puis remonte jusqu’au cou où elle chatouille l’enfant sur l’onomatopée « guili guili guili ! »

Cette simple historiette se matérialise donc physiquement et l’enfant peut sentir que la p’tite bête monte littéralement sur lui pour son plus grand plaisir. Cette comptine participe également au travail de représentation du corps auquel le bébé est amené dès trois mois.

« Le langage corporel et le langage verbal s’étayent l’un sur l’autre permettant à l’enfant par un double jeu de représentation de donner du

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sens à ce que les mots n’ont pas encore tout à fait pouvoir de faire9. » Ce double langage permet une communication plus complexe et plus intime. L’histoire est initiée par le corps de l’enfant qui peut alors se sentir comme cause et unique destinataire du récit. Même si la compréhension n’est pas là au sens strict des mots, l’échange est intense et l’enfant perçoit ce moment d’intime complicité. Un moment où l’adulte n’est là que pour lui et communique dans un face à face ludique. Ce temps est important, il permet à la fois à l’enfant de s’approprier des sensations nouvelles et d’y associer les sons que l’adulte lui chantonne. Même s’il ne connaît pas encore le sens littéral du terme « monte » l’enfant sait, par expérience de la comptine, que la main de l’adulte va arriver dans son cou et il se prépare déjà au son de l’onomatopée « guili » qui viendra le chatouiller. L’adulte et le bébé se racontent alors la même histoire. C’est déjà en quelque sorte une première initiation au langage, une façon d’associer les sons et des gestes à une idée.

Le visageLe visage est cette mystérieuse partie de notre corps à laquelle nous n’avons jamais vraiment accès. Avant même de se reconnaître dans un miroir l’enfant s’y intéresse et c’est avec une grande concentration qu’il touche le visage des adultes qui l’entourent. C’est avec beaucoup de curio-sité qu’il met le doigt dans leur bouche ou sur leurs yeux. Cette explora-tion, les enfantines savent la ritualiser et on ne compte pas le nombre de versions à cette formulette :

« Menton rondBouche d’argentNez cancanJoue bouillieJoue rôtieP’tit œillotGrand œillotToc toc mailloc ! »

9- Marie-Claire Bruley et Marie-France Painset, Au Bonheur des comptines. Collection Passeurs d’histoires, éditions Didier Jeunesse, 2007, p. 54.

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Les Enfantines

Quelle que soit la version, le rituel reste souvent le même.Pendant que l’adulte énumère doucement les différentes partie du visage, sont doigt s’y attarde.

« Je fais le tour de mon jardin.Bonjour Papa !Bonjour Maman !Je descends l’escalierJe sonne à la porte : dring !J’essuie mes piedsEt je rentre ! »

Dans cette version, le visage de l’enfant devient sa maison, papa et maman sont les yeux, le nez se transforme en escalier, etc.

Bien sûr, ce texte est indissociable du rituel gestuel. Il s’agit à chaque fois d’explorer le visage de l’autre. Si l’adulte s’amuse à raconter son histoire sur le visage de l’enfant, c’est pour laisser ensuite à ce dernier le droit d’explorer de la même manière le sien. La comptine permet de ritualiser de façon ludique ce moment d’intimité. Cette exploration est nécessaire, elle permet à l’enfant, toujours en s’appropriant son propre corps, de comprendre que plusieurs choses nommées séparément, nez, bouche, joue, peuvent former un tout uni : le visage.

Le principe d’énumération que l’on retrouve ici (et dans de nombreuses autres comptines) initie un travail sur le langage et le vocabulaire. Si au début c’est l’adulte qui nomme les parties du visage, peu à peu l’enfant s’appropriera cette récitation et donc le vocabulaire qui va avec. Comme je l’ai mentionné plus haut, les enfantines sont souvent descriptives, elles dépeignent le quotidien. Les textes sur le visage en sont un exemple et ces énumérations vont être un point de départ pour découvrir les mots qui nomment le monde.

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Jeux de mains, jeux de vilain ?L’enfant s’intéresse dès quatre mois à ses mains, c’est la partie du corps qui est sans cesse en mouvement et qui, une fois maîtrisée, permet de faire tant de choses. La comptine va lui permettre de développer, aux travers de mises en scènes ludiques, sa dextérité et son agilité. À force de vouloir imiter les adultes dont les mains se transforment sans fin en marionnettes, papillons, girouettes, etc., les gestes de l’enfant se préciseront.

Par exemple, dans cette comptine, l’adulte fait tourner ses deux mains devant lui comme des marionnettes, il les fait disparaître dans son dos puis réapparaître en fonction des vers.

« Ainsi font, font, fontles petites marionnettes.Ainsi font, font, fonttrois p’tits tours et puis s’en vont !Mais elles reviendrontles petites marionnettes.Mais elles reviendrontquand les enfants dormirontAinsi font, font, fontles petites marionnettesAinsi font, font, fonttrois p’tits tours et puis s’en vont ! »

Cette comptine est un bon exemple de « spectacle », car ici tout y est : scénario, musique et même une sorte de scène sur laquelle les prota-gonistes entrent et sortent, sans oublier, bien sûr, le fait que ce soit des marionnettes ! La mélodie et les mains en mouvement sont deux éléments forts pour capter l’attention du bébé. De plus en se répétant ce spectacle, l’enfant développe sa dextérité. Grâce à ce langage ludique des mains, il peut très vite se rejouer ses comptines préférées sans forcément en connaître les paroles. On verra alors les enfants babiller tout en agitant les mains et grâce à la mélodie, parfois il est possible de reconnaître la comp-tine qu’ils essaient de se rejouer.

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Les Enfantines

Ces jeux, impliquant le corps tout entier de l’adulte, ou de l’enfant, se concentrent peu à peu sur la main lorsque ce dernier grandit. Les enfan-tines prennent alors comme scène, la main et comme personnages, les cinq doigts. Ce schéma est très connu puisqu’il se joue encore pendant une longue période dans la vie de l’enfant. Comme dans les enfantines précé-dentes, les gestes que l’on joue sur la main peuvent être facilement imités et l’enfant peut se rejouer l’histoire. Il porte alors toute son attention sur sa main où se déroulent de véritables scénettes, de plus en plus longues, de plus en plus construites et qui jouent sur un rythme resserré et rimé.Voici par exemple une comptine qui se joue sur les doigts de la main.

Ouvrir la main de l’enfant, chatouillerle creux de sa main avec les doigts en disant :« Sur cette petite plaineUn petit lièvre est passé »Ensuite pincer les 5 doigts l’un après l’autreen commençant par le pouce :« Celui-ci l’a vuCelui-ci l’a tuéCelui-ci l’a fait cuireCelui-ci l’a mangéEt le petit a pleuré« Il n’y a rien pour moi ! » »

Ainsi, l’enfantine propose de visualiser physiquement l’histoire racontée, bien que le langage ne soit pas totalement maîtrisé, l’enfant peut déjà comprendre visuellement l’enchaînement des actions. Comme on le voit dans cet exemple la main devient la métaphore d’un tout, une famille, où chaque individu est unique et tient une place particulière représentée par un doigt. C’est une notion importante qui permet à l’enfant de commencer à percevoir son corps différemment ainsi que sa place en tant qu’individu au sein d’un groupe, famille, crèche…

Enfin, une deuxième étape dans l’apprentissage de la communication s’amorce déjà ici. Ces enfantines, par leur structure grammaticale et leur narration, font entrer l’enfant dans une langue écrite et donc le préparent

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peu à peu pour un apprentissage de la lecture, ce que nous verrons dans la deuxième partie de ce mémoire.

Les enfantines sont donc les premières comptines du bébé. Durant cette période, il ne maîtrise pas la parole et c’est à travers la mélodie, les sons et les gestes que ces formulettes vont le familiariser au monde qui l’entoure ainsi qu’au langage. « Dès le babillage du deuxième mois, le bébé produit énormément de sons ; petit à petit, il ne produira plus que les sons de sa langue maternelle10. » comme on l’a vu, le bébé tente d’imiter tous les sons autour de lui avant d’arriver à les différencier de sa langue maternelle.

Avant même de maitriser le langage, l’enfant prend conscience de son corps et de ce qui l’entoure, toutes ces choses que les enfantines lui décri-vent. En commençant par des sensations, puis des gestes soigneusement énumérés, elles aident l’enfant à distinguer peu à peu les sons qui ont du sens et à apprendre du vocabulaire. C’est à force d’entendre les mêmes sons associés aux mêmes choses et de s’amuser à se répéter ces sons encore et encore que les bébés accèdent peu à peu au langage. Les enfan-tines s’adaptent bien à cet apprentissage car elles proposent des formules que les enfants prennent plaisir à écouter et à répéter.

Enfin, dans un second temps, par l’introduction d’un véritable récit, les enfantines préparent en quelque sorte le terrain pour les autres comp-tines, pour les histoires et bien sur pour la lecture. Les enfantines sont un outil bien rodé pour une communication adulte-enfant, elles créent un lien direct et privé qui réjouit les deux partis. Elles ont donc tout à fait leur place auprès des jeunes enfants et enrichissent la vie du bébé que ce soit à la maison ou à la crèche.

C’est pourquoi aujourd’hui les comptines sont largement diffusées de façon indirecte aux moyens de différents supports (livres, CD, ...) On peut alors se demander ce qu’une telle transmission différée implique pour cette tradition orale.

10- Marie Goëtz-Georges, Apprendre à parler avec des comptines, 30 activités pour développer les compétences langagières, édition Retz, 2007, p. 21.

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Les différents supports de transmission

Comme on a pu le voir les comptines sont utilisées en crèche et on a pu noter qu’un de leur support principal était le CD. Or, la comptine est avant tout une tradition orale et la transposer sur des supports matériels implique certains changements. C’est ce que nous allons voir dans la suite en prenant comme exemple le livre, le CD, le DVD et bien sur le dernier né : internet.

Le livreLe livre est un des grands supports de la comptine, nombreux sont les recueils à thèmes et les livres illustrés mais force est de constater que le rapport à la comptine a changé. Premièrement, parce qu’un tel support ne peut pas transmettre l’information sonore autrement que de manière codée avec une partition, ce qui demande une traduction de la part du lecteur et enlève toute immédiateté. Deuxièmement, parce qu’il implique un relation complétement différente : de part l’objet livre la comptine n’est pas récitée mais lue, ce qui enlève toute improvisation. De plus, cette lecture se fait « côte à côte » et non plus « face à face », le regard de l’en-fant n’est plus focalisé sur l’adulte mais s’attache également au livre.

Prenons l’exemple des enfantines, pour les retranscrire efficacement il faut : le texte, une partition et des schémas illustrant les gestes à faire. Or, bien que tous ces livres soient illustrés, il est rare que ces illustrations nous présentent autre chose qu’une description du contenu de la comptine. De plus, comme on l’a vu les enfantines invitent à s’exprimer au delà des mots grâce aux mimiques, changements de tons et gestes. Cette mise en scène devient compliquée lorsqu’il faut tenir un livre.

C’est pourquoi, selon moi, les recueils de comptines doivent être pensés différemment des autres livres pour enfants. Ils doivent s’adresser à l’adulte avant tout, car c’est lui qui devra ensuite retransmettre son contenu aux enfants. Il est donc important de lui décrire la façon dont il devra réciter ces petits textes. C’est d’ailleurs dans cet état d’esprit que le recueil intitulé

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Enfantines11 invite l’adulte-lecteur à lâcher le livre pour jouer plus librement avec l’enfant.

Les recueils et autres anthologies de comptines ne fonctionnent que si l’adulte médiateur sait correctement les utiliser et cela demande un inves-tissement de sa part. Ces livres deviennent donc intéressants lorsque qu’ils présentent, au delà des textes, des illustrations ou schémas de mise en pratique destinée aux adultes.

En dehors de ces recueils pour enfants, finalement destinés aux adultes, on retrouve également les comptines dans des albums. Dans ce cas, chaque comptine fait l’objet d’un livre à elle toute seule, la collection pirouette12 de l’Éditeur Didier Jeunesse est un bon exemple. Ces livres sont intéressants mais le terme de « comptine » n’est plus vraiment approprié. Même si l’on retrouve mot à mot le texte d’Une Souris verte où de Ainsi font, font, font,la mélodie, le rythme et la gestuelle sont absents. Le texte se lit alors comme une histoire et l’on est loin des caractéristiques de la comptine.

Si l’on prend l’exemple de l’enfantine Ainsi font, font, font, illustrée par Martine Bourre13 on remarque que le texte est divisé en vers et qu’il court sur neuf double pages. Le rythme rapide de ces marionnettes insaisissables est ici inexistant, car l’intérêt du livre est de s’arrêter sur chaque page pour observer les images. La gestuelle des mains qui tournent a également disparue puisque qu’il faut tenir le livre. Dans cette collection, l’importance est donnée aux images et les marionnettes de Martine Bourre mènent leur propre vie. Le livre présente tout à la fin, une partition avec les paroles pour rappeler la mélodie et le rythme de cette comptine, cependant si l’on tournait les pages en rythme il est clair que l’enfant n’aurait pas le temps d’apprécier les images. Dans le cas de cet album le texte gagne en profon-deur et en interprétation grâce à un beau travail d’illustration, mais d’un autre côté il perd la dynamique et ce qui faisait de lui une enfantine.

11- Lya Tourn et Marie-Claire Bruley (Auteurs), Philippe Dumas (Illustrations), Enfantines, édition L’École des loisirs, 2001.12- Les éditions Didier Jeunessse restant fidèle à une longue tradition éducative, sortent en 1994, le premier titre de la collection Pirouette, Une Souris Verte, illustré par Charlotte Mollet. Un album qui est salué par les libraires dès sa parution (Prix Sorcières 1994).13- Martine Bourre, Ainsi font, font, font, édition Didier Jeunesse, col. Pirouette, 2002.

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Pages extraites du livre de Martine Bourre, Ainsi font, font, font, édition Didier Jeunesse, col. Pirouette, 2002.

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En effet, dans l’exemple précédent, le texte de la comptine se plie aux contraintes de rythme de l’album illustré alors que dans le cas du livre de Bruno Munari, Il merlo ha perso il becco14, le support imprimé trouve des astuces pour transmettre au mieux la petite chanson du même nom. Ici l’artiste se sert de calques pour décomposer peu à peu l’oiseau, qui perd son bec, ses ailes et ainsi de suite au fil des refrains.

Mais le livre va plus loin en reconstruisant l’oiseau sur la page de gauche et en y ajoutant ce que l’on ne voyait pas au début : son cœur. « Le merle, ainsi recomposé, inversé, est la trace de la chanson finie, de l’échange qui a eu lieu, souvenir de la voix qui s’est tue - forme au service du sens et de l’émotion15. » C’est un cas assez rare où la forme du livre s’est pliée aux contraintes de la comptine pour en préserver au mieux le sens premier. Car au delà de l’histoire racontée, le livre présente ce qu’il y a de plus important dans cette culture orale : l’échange. Ainsi, le merle de la fin est un peu plus complet que celui du début, le cœur qui nous est montré et là pour témoi-gner de l’échange qui a eu lieu.

14- Bruno Munari, Il merlo ha perso il becco, éditions Corraini, 1987.15- Extrait d’une critique faite sur le livre Il merlo ha perso il becco par la librairie jeunesse Autrement dit, à Dijon, publié dans la revue Citrouille, n° 60, novembre 2011, p. 51.

Bruno Munari, Il merlo ha perso il becco, éditions Corraini, 1987.

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Livre-CD, CD et DVDDepuis maintenant plusieurs années16, les livres de comptines sont accom-pagnés d’enregistrements sonores (cassette audio puis CD). Ce type d’objet a un grand succès car les enfants aiment écouter les comptines et les parents en ont besoin, pour retrouver les mélodies, quand leur mémoire leur fait défaut.

Comme on a pu le voir au début de cette partie, le support enregistré est indispensable à toute personne côtoyant de jeunes enfants afin de se réapproprier ce vaste répertoire. Cependant, on a aussi vu que ce type d’outil n’est efficace sur les enfants que si l’on marque le temps d’écoute, en se relaxant, en dansant ou par des jeux de geste. Comme pour le recueil de comptines, les enregistrements demandent la présence d’un adulte qui saura en tirer tous les bénéfices. Ainsi, il est intéressant d’ajouter à ces objets des directives et conseils à l’intention de l’adulte qui en sera le médiateur.

Le livre-disque Les Jeux chantés des touts-petits17 est pour moi un exemple assez complet de ce type d’objet. De plus il se consacre uniquement aux enfantines, comptines à mimer, et doit donc transmettre toutes leurs particularités, textes, mélodies et gestes. Comme la plupart des livres-disques, chaque double page présente une ou deux comptine(s) illustrée(s) adressée(s) aux enfants. Ce livre présente également des explications péda-gogiques destinées aux parents ainsi qu’en fin d’ouvrage quelques mots sur les comptines et parfois leur origine.

Mais ce qui m’a attiré plus particulièrement dans cet ouvrage c’est que sur certaines pages, les illustrations s’adressent également aux adultes. Par le biais de petites indications textuelles et schématiques, ce livre invite à jouer avec l’enfant. Ces schémas sont le plus souvent relégués dans un coin de la page pour laisser toute la place aux illustrations destinées aux enfants, cependant, sur quelques doubles pages, on les retrouve directement incor-porées dans les collages de Martine Bourre. Le meilleur exemple est la page de la comptine Toc toc toc tortue (fig. 1) où l’on retrouve les gestes à faire illustrés dans les écailles de la tortue comme si c’était une bande dessinée.

16- 1988, avec la collection les p’tit lascard des éditions Didier jeunesse.17- Evelyne Resmond-Wenz (Ateur), Martine Bourre (Illustrateur), Les Jeux chantés des tout-petits 0-3 ans (1 CD audio), édition Didier Jeunesse, Col. les petit lascard, 2007.

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Les schémas prennent alors tout le centre de la page. Je trouve dommage que le reste des pages relèguent les schémas en second plan car à l’origine les gestes sont plus importants que les illustrations, pour ce type de comp-tine. La page de la tortue est un bon moyen d’utiliser l’illustration pour mettre en lumière la richesse gestuelle de ces comptines.

Les livres-disques ont ainsi la possibilité de réunir presque toutes les particularités de la comptine, la mélodie, le rythme, les gestes, le texte et d’y rajouter en plus une version illustrée.

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fig. 1 - Double page Toc toc toc la tortue extraite du livre Les Jeux chantés des tout-petits 0-3 ans.fig. 2 - Autres pages du même album.

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Cependant, lire les indications de gestes en se référant aux schémas sans oublier les paroles de la comptine se révèle plutôt laborieux ou en tout cas beaucoup moins immédiat que de voir quelqu’un la mimer directe-ment. C’est pour cela que Les jeux chantés des touts-petits propose, en fin d’ouvrage, de consulter des vidéos via une adresse internet18. Sur leur site, on peut alors voir mamans et enfants jouer les comptines devant nous. La vidéo se révèle extrêmement didactique pour les enfantines car tous les éléments y sont ; cela n’est en rien étonnant puisque c’est le support qui se rapproche le plus d’une transmission directe.

Pourtant, l’utilisation de support vidéo pour les comptines est relativement récente et finalement peu utilisée. On trouve essentiellement des anima-tions, destinées aux enfants, illustrant littéralement ce qu’il se passe dans la comptine pendant que celle ci est chantée, cela donne lieu également à des versions karaoké. Mais, l’enregistrement vidéo peut se révéler très péda-gogique s’il ne s’adresse pas aux enfants mais aux adultes. Le DVD Jeux de doigts19 est adressé exclusivement aux adultes (parents et professionnels de la petite enfance) qui souhaitent apprendre des comptines gestuelles afin de s’adresser aux enfants. Contrairement aux livres ou disques dont on a parlé précédemment, ce DVD n’est pas vraiment intéressant à regarder avec des enfants. L’adulte a clairement le rôle d’intermédiaire entre un savoir, contenu sur ce support, et l’enfant.

Ce DVD se concentre sur les enfantines où la main devient instrument de la narration. Par le rythme de sa voix, la musicienne et interprète Marie Frapsauce détaille l’ensemble des gestes et des assonances particulières à ces formulettes. Dans le dernier chapitre du DVD, elle joue quelques-unes de ces comptines devant un enfant. C’est un passage très pédagogique puisqu’il nous permet de voir l’effet qu’on ces formulettes sur leur public numéro un. Cela crée également une distance avec le spectateur du DVD, la conteuse ne s’adresse plus directement à nous (ce qui donnait une sensation un peu étrange à un adulte) mais à un enfant, plus réceptif aux grimaces et autre changement soudain de tons. Ainsi, ce DVD s’adresse exclusivement aux adultes pour leur donner les clés de ce mode d’expression, un langage

18- http://www.didierjeunesse.com/bonus/jeux-de-doigts19- Jeux de doigts, Alain Morenton, Geneviève Schneider, Marie Frapsauce, Au merle moqueur, 2010.

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privilégié au delà des mots pour entrer en relation avec de jeunes enfants.Le DVD devient un outil de transmission et une fois son contenu mémo-risé, le parent ou professionnel de la petite enfance n’a plus besoin de ce support. La comptine retrouve alors sa place d’origine, mémorisée et trans-mise par la voix.

InternetPour transmettre une comptine il faut allier texte, mélodie et gestes. Au delà du support du DVD nous avons vu, avec les bonus du livre les jeux chantés des tout-petits, qu’internet convient parfaitement à ce type de document multimédia. Ce qui est intéressant c’est que les comptines que l’on trouve sur internet ne dépendent plus d’un choix éditorial mais d’un véritable échange d’internaute à internaute. Cela donne lieu notamment à des échanges de versions20 plus variées, car il y a souvent plusieurs textes pour une même comptine.

Ce support est finalement celui qui se rapproche le plus de la tradi-tion orale initiale. Cependant, il n’y a pour l’instant, à ma connaissance, pas de site qui utilise au mieux la capacité du support pour échanger les comptines. La plupart se contentent d’une liste non exhaustive de textes, sans mélodie ni geste associé. Lorsqu’il y a enregistrement sonore cela va souvent de paire avec une animation illustrant littéralement la comptine21. On voit cependant des sites comme petitestetes. com22 qui commencent à proposer des enregistrements sonores sans images et même des vidéos sur lesquelles on voit des enfants effectuer les gestes qui vont avec la mélodie.

L’initiative qui me semble la plus intéressante dans ce genre est celle de la Bibliothèque municipale de Lyon23. Suite à l’événement « le printemps des petits lecteurs » en 2009, le site propose une page où l’on trouve une

20- Les internautes s’échangent leur version d’une même comptine. Le plus souvent ce genre de forum apparaît sur les sites dédiés aux mamans. Par exemple sur le site viveslesrondes. com on trouve une multitude de versions à la comptine Bateau sur l’eau http://www.vivelesrondes.com/forum/viewtopic_95466.htmcas21- On trouve assez vite plusieurs chaines de vidéo consacrées aux comptines lorsqu’on se rend sur youtube. Par exemple la chaîne comptine et chanson pour enfants http://www.youtube.com/user/comptines ou encore, HerolandTV http://www.youtube.com/watch?v=2hvnfDaqqQg&lr=1 22- Ce site consacré aux activités avec les enfants propose une petite rubrique sur les comptines. Le répertoire est encore petit mais s’agrandira avec le temps. http://www.petitestetes.com/23- la page consacrée aux printemps des petits lecteurs http://www.bm-lyon.fr/printemps-petits-lecteurs09/comptines.php

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sélection d’enfantines choisies par les bibliothécaires sur le thème de la journée d’un enfant. Ces mêmes bibliothécaires se sont filmés en train de réciter les comptines de la même manière que dans le DVD Jeux de doigts dont j’ai parlé un peu avant. Ce support vidéo est très parlant pour les parents qui souhaitent apprendre de nouvelles comptines. Le site en lui même s’adresse aux adultes précisant bien que « Les textes et les quelques vidéos jointes sont un aide-mémoire mais l’imagination et la tendresse créent la magie de ces moments24. » Les pages de ce site sont un outil, et sans un adulte médiateur elles ne sont d’aucun intérêt pour les enfants.

Pour finir ce tour d’horizon des supports modernes de transmission, je me dois de mentionner le livre numérique. Ce support est intéressant puisqu’il nous permet encore une fois de réunir textes, mélodie et gestes. Le tout peut alors être consulté de manière très instinctive.

Cependant, il existe encore peu de livres numériques sur les comptines. Un des rares exemples est une application développée par Anuman pour le iPhone. Ce livre intitulé Comptines pour enfants : les cris des animaux25 vise encore une fois l’enfant plutôt que l’adulte médiateur. Grâce au « tactile » l’enfant peut choisir la comptine qu’il veut entendre en choisissant l’animal correspondant, le livre lui présentera une animation avec les paroles qui défilent version karaoké. Enfin, les bonus dits « éducatifs » lui proposent ensuite d’entendre le cri des animaux. Je n’ai pas d’exemple de livre numé-rique s’adressant à l’adulte pourtant ce support me semble bien convenir puisqu’il propose de façon beaucoup plus directe tout ce que le livre-CD tentait de rassembler. Ici, pas besoin de faire le lien entre le livre, la musique sur le CD et les vidéos sur internet : toutes les informations sont rassem-blées dans un même petit support que l’on peut avoir sur les genoux.

Aujourd’hui, le savoir s’échange essentiellement de façon indirecte, aux moyens de supports d’enregistrements. La plupart de ces supports s’adresse uniquement aux enfants, on y retrouve le texte des comptines accompagné d’illustrations. Dans le cas très précis des enfantines, ces

24- Extrait du texte d’introduction aux répertoires des comptines des bibliothécaires de Lyon. Ce texte se trouve sur la page internet déjà cité.25- Comptines pour enfants : les cris des animaux, Anuman Interactive, 2010. Lien d’achat : http://itunes.apple.com/ne/app/comptines-pour-enfants-les/id373561255?mt=8#.

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enregistrements se révèlent pourtant très intéressants lorsqu’ils prennent en compte la médiation de l’adulte.

Puisque la valeur de l’enfantine se situe dans sa capacité à ritualiser des moments de jeu entre un adulte et un bébé il est évident que la présence du premier est indispensable. Le problème est que cette capacité à raconter des enfantines n’est pas innée, elle s’apprend. C’est pourquoi les supports des enfantines doivent être de véritables outils didactiques pour enseigner à l’adulte intéressé les astuces de cette tradition orale.

Ce que l’on peut retenir des enfantines, en cette fin de partie, c’est qu’elles décrivent le monde. Toujours associées aux gestes de l’adulte, elles ryth-ment véritablement la vie quotidienne de l’enfant et l’aident à se repérer.

En ritualisant ce temps de parole entre l’enfant et l’adulte, ces formu-lettes participent au babytalk26, cette langue intime qui lie le bébé à ses parents. Les enfantines font entrer le bébé dans un premier temps de communication à l’aide de gestes et de mimiques le tout accompagné de sons scandés.

L’enfant s’amuse à se répéter inlassablement ces petits textes et par cette répétition il s’approprie la structure même du langage.

Yak Rivais donne un exemple amusant mais plutôt parlant du rôle qu’a la répétition dans l’apprentissage de la langue. Un enfant de deux ans en rentrant de la crèche ne cesse de se répéter en boucle « il court, il court, le purée ». Le mot « furet » lui ayant échappé puisque qu’il n’évoque rien pour lui. Mais le soir, à la fin du journal télévisé, le jeune garçon dit tout haut « commerce international » deux mots qu’il ne peut pas comprendre.

« Toute l’après-midi, l’enfant avait éprouvé, mesuré, étalonné les paroles d’une comptine. […] et voilà qu’il était capable de répéter « commerce international » ?

Chantez-le : sur l’air de « Il court il court le furet ». Sept sons.

26- Pour aller plus loin que les comptines, Marie-France Castarède parle de l’importance de la voix maternelle, et donc du babytalk, dans l’apprentissage du langage. Chapitre trois « La mère et l’enfant », La Voix et ses sortilèges, édition Les Belles lettres, 2004, p. 67-100, édition originale 1987.

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« Commerce international » : un segment rythmique de sept sons.Grâce à lui je découvrais enfin le fonctionnement segmentaire du

langage oral27. »

Apprendre à parler demande d’arriver à enchainer plusieurs sons les uns à la suite des autres. C’est un exercice qui demande de la pratique et cela se fait à force de répétitions. Comme toute les comptines, les enfantines permettent une bonne perception syllabaire, ce qui aide à entrer dans les codes de segmentation du langage. De plus, les sonorités ludiques et les gestes amènent du jeu là où il pourrait n’y avoir qu’une laborieuse répétition.

Comme on l’a vu, les comptines sont présentent dans les structures dès la petite enfance (le petit garçon de l’exemple précédent à d’ailleurs appris sa comptine à la crèche) mais ce n’est pas toujours le cas à la maison car ce répertoire est souvent peu connu. Or les enfantines sont particulièrement bien adaptées aux besoins des jeunes enfants, les jouer à la maison serait donc un véritable enrichissement. C’est pourquoi bien que leur transmis-sion ait toujours été orale, les comptines sont aujourd’hui retranscrites sur différents supports. Cela permet aux adultes d’enrichir sans cesse leur répertoire, à condition que cela soit fait intelligemment. Car, comme on a pu le voir au cours de cette partie, les bienfaits des enfantines résident essentiellement dans la manière dont elles sont transmises. Cela est parti-culièrement visible pour ce type de comptine où le jeu corporel (geste et mimique) joue un rôle indissociable de la mélodie. Il est alors important de préciser que les supports (livre, CD, DVD, livres numériques) ne sont que des aide-mémoires et de donner des indications utiles à l’adulte qui aura le rôle de médiateur.

27- Yak Rivais, préface de l’Anthologie de la comptine traditionnelle francophone, éditions éveil et découvertes, 2008, p. 11-12.

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1- Programme du ministère de l’Éducation nationale, Qu’apprend-on à l’école maternelle ?, CNDP/XO Éditions, 2002, p. 63. Cité par Marie Goëtz-Georges dans Apprendre à parler avec des comptines, 30 activités pour développer les compétences langagières, édition Retz, France, octobre 2007, p. 8.2- « Un virelangue (ou casse-langue ou fourchelangue) est une locution (ou une phrase ou un petit groupe de phrases) à caractère ludique, caractérisée par sa difficulté de prononciation ou de compréhension orale, voire des deux à la fois. On parle aussi de trompe-oreilles lorsqu’une phrase est difficile à comprendre et donne l’impression d’être en langue étrangère. » Définition reportée de Wikipédia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Virelangue#cite_ref-0Jean-Hugues Malineau, poète, est connu pour être un des premiers à défendre ce terme et à rendre plus visible ce patrimoine littéraire.

Les enfants ont grandi : de la crèche ils passent à la maternelle, et pénètrent un peu plus dans le monde du langage. « Au moment de leur entrée, les tout-petits ne savent produire que de très courtes suites de mots […] Lorsqu’ils quittent l’école maternelle, ils peuvent construire des énoncés complexes […] ils sont prêts à apprendre à lire1. » Cet extrait du programme du ministère de l’Éducation nationale, montre qu’il s’agit de préparer l’enfant à la lecture, et, dans cette nouvelle phase d’apprentissage, nous verrons que la comptine se révèle être une bonne alliée.

Ainsi, aux travers de plusieurs exemples, je présenterai dans cette deuxième partie, un second type de comptines : des comptines qui font bafouiller et dont le sens n’est pas toujours là où on l’attend. Ces comp-tines, je les nommerai virelangues2.

Nous verrons ainsi les qualités qui leur sont reconnues notamment au niveau de l’apprentissage de la langue en maternelle.

Virelangueset autres mondesimaginaires

Partie II

De celles qui se jouent du sens et du bon sens.

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3- « castration vocale (apprentissage des règles de la langue orale et écrite) », Alain Delbe, Le Stade vocal, édition l’Harmattan, 1995, p. 136.4- Marie-Claire Bruley et Marie-France Painset, Au bonheur des comptines, collection Passeurs d’histoires, éditions Didier Jeunesse, 2007, p. 41.

À la limite du son et du sens

Une étape particulière dans l’acquisition du langage.Ces comptines s’adressent aux enfants à l’âge où ils commencent à parler. Les mots ne sont plus uniquement des sons ; la communication affective laisse place au sens. Cette période particulière, où la pulsion s’efface devant les règles linguistiques de la langue maternelle, est désignée comme un moment de « castration vocale3 ». C’est le phénomène que l’on a pu voir dans la première partie de ce mémoire, lorsque l’enfant n’imite plus que les sons de sa langue maternelle.

Les virelangues en déformant ou même en inventant des termes peuvent faire revivre un temps d’« avant les mots », ce temps où l’enfant répétait tous les sons sans qu’ils aient de sens pour lui. L’enfant n’est qu’au début de son apprentissage : il y a tant de mots dont le sens lui reste encore à découvrir. « Cet âge de la vie lui donne le privilège de se tenir sur une ligne de crête offrant un regard d’une part sur la matière des mots et leurs jeux sonores et d’autre part sur leur sens exact et profond et sur leur caractère polysémique4. » Les virelangues sont donc un moyen ludique de prolonger l’expérience sonore, l’enfant continue sa découverte des sons, tout en entrant dans un monde de communication.

Utilisation des comptines en maternelle.Outre l’aspect amusant des virelangues, ce sont des outils particulièrement intéressants pour initier les enfants aux codes du langage.

Arrivés en maternelle, les enfants n’ont pas une maîtrise totale du langage mais ils commencent à en percevoir le sens ; aussi est-il utile, pour préparer l’apprentissage de la lecture, de revenir sur le langage en tant que code et ainsi d’initier un travail sur la décomposition des mots. « Les jeux phoniques aident les élèves à se représenter l’écrit comme un système d’encodage de la partie sonore du langage. Ils introduisent l’écoute, la segmentation, la manipulation des petites unités phoniques de la langue. Ils réactivent une compétence que les enfants ont utilisée de façon non

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Virelangues et autres mondes imaginaires

5- Marie Goëtz-Georges, Apprendre à parler avec des comptines, 30 activités pour développer les compétences langagières, édition Retz, 2007, p. 9.6- Comme en témoigne cet exemple que donne Marie Goëtz-Georges : « à trois ans, la notion de rime est intuitive, mais elle n’est pas consciemment repérée par les enfants. À cet âge, ils restent encore fortement ancrés dans le sens. Par exemple, lors d’une séance autour de la recherche de rimes, un élève qui s’appelait Tom Lagrotte a trouvé sa rime « Tom Lagrotte de l’ours » ». Marie Goëtz-Georges, op. cité, p. 21.7- Marie Goëtz-Georges, op. cité, p. 28. Parle du programme Le Langage à l’école maternelle, CNDP, documents d’accompagnement des programmes, ministère de l’Éducation nationale, Scéren/CRDP de Paris, 2006.

consciente quand ils étaient petits, lorsqu’ils ont commencé à parler5. » Le fait que certaines comptines soient apparemment dépourvues de sens où même soient simplement formées de mots inventés, va permettre au professeur des écoles de faire travailler les enfants sur la source même du langage : les sons. En identifiant les syllabes, les phonèmes, les rimes, l’enfant prendra conscience que le langage est une suite de petites parties abstraites qui, mises bout à bout, créent du sens.

Il s’agit de travailler sur les sons en se détachant du sens comme le bébé qui n’a pas encore acquis le langage. C’est un retour nécessaire aux origines car l’enfant en maternelle est déjà imprégné par le sens des mots et ne fait plus attention aux sonorités de la langue6. Cette approche abstraite du langage est primordiale pour préparer l’enfant à l’entrée au primaire et donc à la lecture. Elle permettra de corriger les problèmes de pronon-ciations en portant davantage l’attention sur la base même du la langue plutôt que sur le sens. Ainsi « on remarquera également que les docu-ments d’accompagnement des programmes [scolaires] 2006 proposent d’amener l’élève à détacher son attention de la signification et de l’attirer vers la réalité phonique du langage en s’appuyant sur les jeux favoris des enfants7 ».

Les comptines, qui fonctionnent souvent sur une énonciation articulée de syllabes, et plus spécialement les virelangues qui semblent s’éloigner du sens, trouvent aujourd’hui leur place dans les programmes de maternelle. Ces petits textes permettent aux enfants de mettre de côté l’aspect séman-tique du langage au profit de sa réalité phonique. En les utilisant, on peut alors faire prendre conscience aux enfants des mécanismes du langage, indispensables au travail de lecture et d’écriture.

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8- Marie Goëtz-Georges, op. cité, p. 46.9- Marie Goëtz-Georges, op. cité, p. 46. Conseil n° 6.10- Jean-Hugues Malineau, Dix dodus dindons, Albin Michel jeunesse, 1999 et Quatre coqs coquets, Albin Michel jeunesse, 2005.

Une représentation visuelleComme nous l’avons vu précédemment, la comptine est ici utilisée pour étudier les aspects phonologiques de la langue et il serait donc malvenu de l’illustrer littéralement. En effet, cela aurait pour conséquence de donner plus d’importance à l’aspect sémantique de celle-ci, exactement l’inverse de ce qui est recherché. C’est pourquoi, Marie Goëtz-Georges conseille dans son livre Apprendre à parler avec des comptines8 de privilégier le texte.

Ainsi, on peut afficher le texte de la comptine étudiée dans la classe, « Il [l’enseignant] pourra grossir certaines lettres ou graphèmes reconnus des enfants afin qu’ils prennent un indice textuel et sonore pour choisir une comptine (celle où il y a beaucoup de [I], c’est la comptine du ouistiti).9 »

La reconnaissance se fera à l’aide du dessin de la lettre, et le travail du professeur serait presque de l’ordre de la typographie puisqu’il s’en servira pour mettre en avant les mots où l’on entend le son étudié.

Cette approche change radicalement de ce que l’on peut avoir l’habi-tude de voir dans la littérature enfantine. En effet, les recueils de comp-tines, destinés généralement aux enfants, sont plutôt illustrés de manière littérale. Même les albums bien connus de Malineau10, exclusivement dédiés aux virelangues, n’échappent pas à la règle et pour chaque texte, l’illustrateur Pef décrit la scène en images (fig. 1). Il faut noter que ces albums s’adressent à des enfants plus âgés (à partir de dix ans) qui savent déjà lire. Il serait pourtant intéressant, pour les plus jeunes, d’expliquer aux parents le rôle didactique que peuvent avoir les virelangues et de proposer, comme outils, ces cours textes dans leur plus simple appareil. En s’ap-puyant sur la typographie pour reconnaître les graphèmes représentant les sons entendus, l’adulte pourra alors faire entrer doucement l’enfant dans le principe de l’écriture sans oublier de s’amuser de ces textes loufoques. Cette façon de présenter les virelangues sur un support physique mettrait en avant leur particularité orale à jouer avec les sons en évitant de mettre trop l’accent sur leur contenu.

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Langue étrangère ou simplement étrange ?

Exemple de comptineNous avons vu que les comptines peuvent être utilisée en classe de mater-nelle et il serait temps d’illustrer de quelques exemples cette deuxième catégorie, ces virelangues qui font perdre aux enfants le sens même des mots au profit du plaisir des sons.

En voici un particulièrement significatif :

« PinicheauOi nich’baOulibouniche ?Ibouniche nihau nibaLibounich’pa. »

fig. 1 - Jean-Hugues Malineau et Pef, Dix dodus dindons, Albin Michel jeunesse, 1999.

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11- Colette, « Le curé sur le mur » dans La Maison de Claudine, Hachette, édition originale 1922.

J’utilise ce subterfuge qui va à l’encontre de toute règle orthographique dans le seul but transmettre ici au lecteur la sensation qu’il aurait en tant qu’auditeur à l’écoute de cette comptine, c’est-à-dire l’impression d’en-tendre une langue étrangère et totalement inconnue.

En effet, dans ce type de comptine, la version écrite et orthographiée correctement donne tout son sens au texte ce qui témoigne de sa valeur orale et de la difficulté à la transmettre par écrit. Ce virelangue nous rappelle, qu’à une époque, le sens ne nous était pas livré instantanément par les mots. Il nous invite, de nouveau, à tâtonner pour en découvrir le propos. Il s’agit là d’opérer un véritable travail de décomposition des sons entendus afin de séparer chaque syllabe. Ensuite, il faut recomposer les syllabes entre elles afin d’obtenir à nouveau du sens. À la fin de ce travail on obtient ceci :

« Pie niche hautOie niche basOù l’hibou niche ?Hibou niche ni haut ni bas,L’hibou niche pas ! »

Une fois le mystère découvert, il fait partie du jeu de répéter la formulette le plus vite possible aux autres, dans le but de les mettre au défi de faire la même analyse que nous. Une fois son secret connu, cette comptine me semble plus facile à retenir, sa logique se mémorise aisément. Cependant lorsqu’on l’écoute, c’est le son qui reprend le dessus. Ainsi donc, elle illustre particulièrement bien cette double interprétation de la langue à la fois sonore et sémantique.

Le cas des mots « magiques »Les enfants sont donc à un âge où le sens est encore vacillant et où les mots se confondent facilement. De plus, autour d’eux, circule une multitude de « mots adultes » avec, leurs sonorités étranges et leurs sens inconnus. Ainsi, la romancière Colette raconte dans sa nouvelle « Le curé sur le mur11 » une anecdote d’enfance :

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12- Colette, « le curé sur le mur », extrait du recueil Colette, Hachette, 1994, p. 158.13- Marie-Claire Bruley et Marie-France Painset, Au Bonheur des comptines, collection Passeurs d’histoires, éditions Didier Jeunesse, 2007, p. 44-46.

« Le mot « presbytère » venait de tomber, cette année-là, dans mon oreille sensible, et d’y faire des ravages. « C’est certainement le presbytère le plus gai que je connaisse… » avait dit quelqu’un. Loin de moi l’idée de demander à l’un de mes parents : « Qu’est-ce que c’est, un presbytère ? » (…) Enrichie d’un secret et d’un doute, je dormais avec le mot et je l’emportais sur mon mur, le mot sonnait en anathème : « Allez ! Vous êtes tous des presby-tères ! » Criais-je à des bannis invisibles. Un peu plus tard, le mot perdit de son venin, et je m’avisais que « presbytère » pouvait bien être le nom scientifique du petit escargot rayé jaune et noir12… »

Par cette anecdote poétique, elle témoigne de la magie des mots en tant que simples sons au delà même de leur sens exact. Les mots étranges et nouveaux à l’oreille d’un enfant ont le pouvoir de faire travailler son imaginaire et de le transporter dans d’autres mondes. Comme nous l’avons vu, les virelangues jouent de ce malentendu et aidés de la mélodie ils peuvent même transformer des mots connus en langue étrangère.

Une des auteures du livre Au bonheur des comptine13 nous raconte le souvenir qu’elle a de la comptine « les petites mains d’amour » que son grand père lui chantait. À cette époque, le dernier vers de la ritournelle, « légères elles s’en vont », se métamorphosait en « Les Gérelles s’en vont ». Les « Gérelles », étant des oiseaux mystérieux plus légers que les papillons. Ici, la jeune oreille s’est laissée abusée par la mélodie, ce qui a amené l’en-fant à une interprétation poétique.

Comme nous avons pu le voir au tout début l’enfant est à un âge d’entre deux, entre le son et le sens. Sa perception du langage est encore fragile et les mots se mêlent parfois. La langue est une suite de sons et, pour en démêler le sens, il faut les regrouper afin de former des termes connus. Or, les virelangues ont la particularité de compliquer cette opération. L’analyse en devient donc plus difficile mais l’enfant est toujours amené à résoudre ces énigmes de façon ludique. En effet, lorsque l’on joue avec ces textes, ce n’est pas grave si l’on se trompe puisque c’est le jeu de « se faire avoir » et l’enfant prendra plaisir à faire bafouiller les adultes également, car nous n’avons jamais fini d’apprendre à bien parler.

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Ainsi, la forme orale et chantée de la comptine permet de sensibiliser les jeunes oreilles au travail d’analyse et de découpage des sons en syllabes, un exercice indispensable pour maîtriser le langage.

L’étrange cas des Motordus.Comme nous l’avons vu, ce qui donne du sens aux sons, c’est le découpage syllabique que l’on en fait mais également l’orthographe. Matière redoutée d’un grand nombre d’élèves, puisqu’il s’agit d’apprendre par cœur une foule de règles et un vocabulaire complexe, mais qui reste indispensable par exemple pour différencier des homophones (mots dont le son est iden-tique mais pas le sens ni l’orthographe.)

« Si ton ton ton ton ton ton ton ton ton ton ton-du sera ! »

C’est tout ce que l’on perçoit au premier abord de cette formulette, et celui qui l’a déclamée rit devant l’incompréhension de son auditoire. Fonctionnant sur le même principe que la comptine « Oulibouniche » celle-ci montre bien l’aspect primordial de l’orthographe.

Écrite correctement, elle donne ceci :« Si ton tonton tond ton tonton, ton tonton tondu sera ! »

Un autre exemple pour le plaisir :

« Il était une foisune marchande de foiesqui vendait du foiedans la ville de Foixqui disait : Ma foic’est la première foiset la dernière foisque je vends du foiedans a ville de Foixcar les gens de foin’achètent plus de foie. »

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14- Pierre Elie Ferrier, dit Pef est un auteur-illustrateur de littérature d’enfance et de jeunesse.15,16- Thierry Mercadal, donne la parole à Pef lors d’une interview pour un film documentaire. L’univers des mots tordus de Pef, On stage, juin 2007.

Dans la littérature enfantine, il existe un personnage qui met particulière-ment bien en valeur l’importance de l’orthographe et l’idée qu’une simple lettre, en changeant de place, peut bouleverser le sens des mots : il s’agit bien entendu du prince de Motordu, célèbre personnage de Pef14 inventé en 1980. Bien sûr, on s’éloigne un peu des comptines, mais je reconnais ici la même liberté que la culture enfantine a de s’approprier le réel.

Ainsi, Pef n’a peut-être pensé qu’à amuser en envoyant « les mots en récréation15 » mais sa démarche place la langue dans cet entre-deux où l’on doute du sens et où la porte est ouverte à la fantaisie. Il le dit lui même « tu as encore la possibilité à ton âge, de choisir tout ça, de choisir où un bateau à voile, ou un râteau à voiles16. » Par le biais de ce texte, l’auteur se joue du lecteur est lui fait dire tout de travers (« boutons » à la place de « moutons ») mais ce qui apporte beaucoup de légèreté à ce « bafouillage », ce sont les illustrations qui reprennent tout ça au pied de la lettre. Le dessin nous montre un prince portant véritablement un château sur la tête et manipulant des parts de tartes, naturellement, comme si c’était des cartes (fig. 2). De la même manière que les virelangues mettent en avant les embûches sonores, la langue étrange et pleine d’humour de Pef permet finalement aux enfants de se rendre compte que l’écriture est pleine de petits pièges, qui peuvent tout changer au sens.

C’est de ce point de vue que, pour moi, ce personnage reprend très bien à son compte la fantaisie, la liberté, la poésie et la sagesse de la culture enfantine.

fig. 2 - Pef, La belle lisse poire du prince de Motordu, édition Gallimard Jeunesse, 2001, édition originale 1980.

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Approche ludique d’une langue laborieuse

Articuler, quand le son met au défi la langueComme nous avons pu le voir, le sens ne vient que si les enfants font un travail de découpage puis de recollage afin de transformer les groupes de sons en mots puis en phrases. Ils doivent également faire le travail inverse et en partant du sens, de ce que l’on veut dire, arriver aux sons. Pour s’ex-primer il faut savoir articuler et les comptines nous rappellent que cette prononciation n’est jamais totalement acquise. Ainsi, nombreux sont les virelangues et autre formulettes qui nous mettent au défi de les prononcer correctement.

« Didon dîna dit-onDe dix dos dodusDe dix dodus dindons. »

Le principe est toujours le même : arriver à dire ces comptines. Par exemple, celle ci-dessus, à un rythme toujours plus rapide sans jamais se tromper. Ces comptines sont facilement utilisées à l’école puisqu’elles font énormé-ment travailler l’articulation.

Un autre exemple, la comptine des papoux peut être utilisée lors d’une leçon portant sur le son [p]. Arriver à la réciter entièrement relève d’une bonne maîtrise de son appareil phonique mais également d’une bonne logique qui aidera à se souvenir de tout les vers.

« Au pays des Papous, il y a des Papous.Au pays des Papous,Il y a des Papous papasEt des Papous pas papas.Il y a aussi des papous à pouxEt des Papous pas à poux.Au pays des Papous,Il y a des Papous papas à pouxEt des Papous papas pas à poux.Il y a encore des papous pas papas à pouxEt des papous pas papas pas à poux. »

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17- Marie Goëtz-Georges, Apprendre à parler avec des comptines, 30 activités pour développer les compétences langagières, édition Retz, 2007, p. 45.

Les comptines qui ne veulent rien dire sont également intéressantes puisque l’aspect sémantique en est totalement absent. Ainsi, pour corriger les difficultés articulatoires liées aux sons nasalisés, au zozotement, au chuintement ou encore au bredouillement, Marie Goëtz-Georges conseille ce type de formulette. « Le maître ne devra pas nécessairement s’attacher à utiliser des comptines à la sémantique ludique. Celle-ci, en effet, à travers l’idée véhiculée ou l’histoire racontée, risquerait d’être omniprésente dans l’esprit des enfants et de faire oublier l’objectif premier qui est le fonc-tionnement de la langue. Les comptines « qui ne veulent rien dire », les mots « inventés » (ex : « fraditor ») amusent les enfants. L’humour aide à s’amuser des mots de la langue, et donc à s’y intéresser17. » Les virelangues exagèrent si bien les pièges que la langue tend aux oreilles des plus jeunes que ceux-ci se plaisent à les entendre encore et encore. La comptine arrive à transformer une réelle difficulté en jeu et par là elle permet un appren-tissage en douceur. Voici, pour exemple, une drôle de comptine de mots inventés, attribuée à Victor Hugo :

« Mirlababisurlababomirlitonribon ribettesurlababimirlababomirlitonribon ribo »

La comptine donne lieu à des jeux très ludiques, puisqu’il s’agit de « défis ». En effet, cet esprit de compétition, vouloir être celui qui récitera le plus rapidement un virelangue, est un vrai plaisir pour les enfants. De la même manière, une comptine telle qu’« oulibouniche » ou « mirlababo » est très amusante par la réaction qu’elle provoque chez le public, lorsque sa récita-tion est faite avec aisance (ce qui demande du travail). Les virelangues sont ainsi très ludiques et présentent un réel intérêt didactique dans l’appren-tissage de la langue.

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18- Citons Les livres c’est bon pour les bébés, Marie Bonnafé, collection Pluriel Hachette/Littérature, 2003 (1re édition Calmann-Levy, 1994) et les actions de l’association ACCES. Les livres pour enfants soutiennent aujourd’hui la comptine dans cette initiation au temps du récit.

Syntaxe et approche de l’écritL’enfant a appris à distinguer du sens dans les sons qu’il entend, il sait également les reproduire afin de s’exprimer. Cependant, pour construire une pensée, il faut maîtriser plus que le sens des mots, il faut être capable de les assembler et de créer des phrases. Une bonne syntaxe permet de s’exprimer plus facilement mais prépare également à l’entrée dans le monde de l’écrit.

C’est pourquoi, il est conseillé, aujourd’hui, de lire très tôt des livres aux bébés18. La comptine appartient elle aussi au langage du récit. Même si elle nous raconte des histoires à dormir debout où qui n’ont pas de sens, elle possède cette syntaxe particulière de l’écrit. Par exemple, ce petit récit bien connu :

« Une souris vertequi courait dans l’herbeje l’attrape par la queueje la montre à ces messieursces messieurs me disent :-Trempez-la dans l’huiletrempez-la dans l’eauça fera un escargot tout chaud ! »

Cette comptine n’est pas un virelangue, il n’y a pas de jeux particulier sur les sonorités mais il lui reste la fantaisie du sens, et ce qui m’intéresse surtout c’est sa construction. Bien que très courte, elle présente toutes les carac-téristiques du récit, état initial, élément perturbateur, péripéties, état final. L’enfant est entouré par la parole mais elle est toujours orale, c’est pour-quoi la comptine offre un type de construction différente qui lui permettra, par la suite, d’entamer les processus de lecture et d’écriture.

Sans plonger dans un discours soutenu, difficile à comprendre, le folklore enfantin, en se permettant toute les libertés, propose des petits récits, très ludiques, qui offrent toutes ces structures écrites à travers l’oral. « L’enfant ne construit pas sa syntaxe uniquement par imitation de ce qu’il entend ; aussi serait-il illusoire de croire que les comptines seules vont

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19- Marie Goëtz-Georges, Apprendre à parler avec des comptines, 30 activités pour développer les compétences langagières, édition Retz, 2007, p. 24.20- Paul Éluard cité par Dora François-Salsano, Découvrir le plurilinguisme dés l’école maternelle, édition l’Harmattan, 2009, p. 133.

l’aider à acquérir un langage construit. C’est en les pratiquant que l’enfant apprend à faire fonctionner les règles de grammaire19. » Ainsi, à la diffé-rence d’une histoire lue par un adulte, l’enfant, en se répétant les comp-tines, peut faire de lui même une première expérience de la langue écrite.

RécréationReconnaître du sens là où il n’y a que du son, reproduire ce sens et raconter des histoires, maîtriser le langage est une chose merveilleuse mais c’est aussi extrêmement laborieux ! Les enfants se rendent peu à peu compte de la complexité de notre langue. Ils sont de plus en plus souvent repris par les adultes et c’est un vrai plaisir pour eux de repérer des non-sens et des erreurs dans les comptines ; c’est encore plus drôle de les répéter ! Ces comptines qui disent « n’importe quoi » allègent toute cette complexité et libèrent la langue.

Paul Éluard décrit les enfants comme des créateurs qui se permettent de tout inventer, « par une comptine, l’enfant saute à pieds joints par-dessus le monde sur mesure dont on lui enseigne les rudiments ; il jongle délicieusement avec les mots et s’émerveille de son pouvoir d’invention. Il prend sa revanche, il fait servir ce qu’il sait au plaisir défendu d’imaginer20. » Les comptines accompagnent doucement les enfants dans leurs apprentis-sages sans jamais oublier que la motivation passe par le plaisir et le jeu.

Ainsi elles dépeignent des mondes imaginaires et des créatures fantas-tiques, mais également des associations improbables, comme le montrent les exemples suivants :

« Un petit bonhommeassis sur une pommela pomme dégringolele petit bonhomme s’envolesur le toit de l’école »

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« -Monsieur de Saint-Laurentla canne en argentle bouton doréqu’avez-vous mangé ?-J’ai mangé un œufla moitié d’un bœufquatre-vingt moutonsautant de chaponset des pommes de terre.J’ai bu la rivière.-Monsieur de Saint-Laurentvous êtes un gourmant. »

« Pimpanicaillele roi des papillonsen s’faisant la barbes’est coupé le mentonUn deux trois de boisQuatre cinq six de buisSept huit neuf de BœufDix onze douze de bouzeVa-t-en à Toulouse ! »

Ces comptines sont de véritables mini-récits. En se les répétant, les enfants s’approprient le langage écrit. Mais, pour les répéter, il faut que cela les amuse et ces exemples montrent bien la ressource de la culture enfan-tine lorsqu’il s’agit d’attirer l’attention des enfants. Ceux-ci commencent à comprendre le monde qui les entoure et se plaisent à entendre ces récits improbables qui les emmènent vers des mondes incertains.

Si aujourd’hui la comptine est davantage reconnue des adultes c’est grâce, en partie, aux poètes qui ont su trouver une véritable source de créa-tion dans la liberté qu’offre la culture enfantine. Ainsi « qu’on se réfère à

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21- Jean Baucomont, « Comptines et formulettes enfantines » dans Vie et language, n° 73, 1958, p. 178-179.22- Marc Soriano « Contes d’animaux, contes d’avertissement, formulettes : L’Enfance de l’art » dans La Revue des livres pour enfants n° 107-108-Printemps 1986, p. 38.

tels poèmes de Paul Fort, d’Apollinaire, de Fargus, de Max Jacob, d’Henri Michaux, de Prévert, de Philippe Soupault et de la plupart des écrivains surréalistes, et l’on constatera de surprenantes analogies de mètres, de coupes, de rythmes et de vocabulaire avec les comptines (dont ils ont contribué à étendre le renom), comme si ces lettrés étaient revenus consciemment à l’une des sources de la magie poétique, se remettant en état d’enfance pour se livrer sans contrôle au pouvoir « enchanteur » des mots21. » La comptine se révèle ainsi un support de poésie sans limite.

C’est dans cet esprit et afin de laisser toute liberté aux mots que les poètes surréalistes se sont intéressés à l’inconscient ainsi qu’à l’écriture automatique. Cette tradition orale est une vraie source d’inspiration. « Les surréalistes l’ont compris : ils sont parvenus à fournir aux enfants des poèmes qu’ils ont vraiment acceptés et assimilés, comme Desnos et Queneau, en utilisant et en renouvelant les procédés même de la poésie populaire22 » la comptine est une invitation à jouer avec la langue et à créer. Comme nous l’avons vu depuis le début de ce mémoire, ces petits textes font le plaisir des enfants. C’est pourquoi, il est très intéressant de s’en inspirer lorsque l’on veut s’adresser aux plus jeunes.

Voici quelques exemples de comptines dont les auteurs ne sont pas anonymes :

« Violette de la chandeleur,Perce, perce, perce-neigeAnnonces-tu la chandeleur,Le soleil et son cortègeDe chansons, de fruits, de fleurs ?Perce, perce, perce-neigeÀ la chandeleur »

Robert Desnos, Chantefables et chantefleurs, édition Gründ, 1995 (édition originale Trente chan-tefables pour les enfants sages, édition Gründ, 1944).

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« Musique acidulée

Boum ! Dame ! Amsterdam.Barège n’est pas Baume-les-Dames !Papa n’est pas là !L’ipéca du rat n’est pas chocolat.Gros lot du Congo ? oh ! le beau Limpopo !Port du mort, il sort de l’or (bis).Clair de mer de verre de terreRage, mage, déménageDu fromage où tu nagesPapa n’est pas là.L’ipéca du Maradjah de Nepala.Pipi, j’ai envieHi ! faut y l’dire ici.Vrai ? Vrai ? »

Max Jacob, Le laboratoire central, Gallimard, 1980, (édition originale,édition Au sans pareil, 1921).

« La rondeun deuxje dit adieutrois quatre cinqmontre-moi tes saintssix sept huit neufles mariés comme les veufsdix onze douze treize quatorzeque je leur donne un sucre d’orge. »

Raymond Queneau, Bucolique, Gallimard, 1947

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23- Par exemple, l’auteur-illustrateur Tomy Ungerer a dû fortement insister auprès de ses éditeurs pour que ceux-ci conservent dans le texte d’un de ses livres pour enfants, Les trois brigands, le terme « tromblon ». En effet, le considérant « trop compliqué » pour des enfants, ils souhaitaient le remplacer par un mots plus générique comme « fusil ». Cela aurait été dommage car l’apport de nouveau vocabulaire est toujours intéressant et comme on a pu le voir un peu avant avec l’anecdote de Colette (p. 47) les mots inconnus sont sources de création dans l’imaginaire des enfants.

« Le papillon empailléDevient un papapillon empapailléLe papapillon empapailléDevient un grandpapapillon grandempapaillé »

Jean Arp, écrit en 1940, « bestiaire sans prénom », dans Jours Effeuillé, poémes, essais, souvenirs, 1920-1965, Gallimard, 1966.

Lorsqu’une comptine est adoptée et commence à vivre au sein des commu-nautés d’enfants, son auteur disparaît. La comptine est avant tout orale et la culture enfantine n’a que faire d’une version « originale » et d’un auteur « singulier ». Si la comptine est de qualité, elle appartiendra à tout le monde. Le dernier exemple que je donne m’en a d’ailleurs apporté la preuve, je l’ai en premier lieu trouvé attribué à Robert Desnos avant d’apprendre que ces quatre vers n’étaient en réalité qu’un paragraphe au sein d’un poème plus long intitulé « bestiaire sans prénom » de l’artiste Jean Arp.

Ces auteurs reprennent les codes de la comptine, une forme courte, rythmée, rimée et qui se permet tous les scénarios. Ces codes sont la preuve que la comptine est une forme de poésie avec peu de contraintes ce qui offre toutes les libertés. Il est toujours difficile de savoir ce que les enfants vont apprécier, aussi je trouve très intéressant de s’approprier les mécanismes des comptines lorsque l’on veut écrire pour eux. La culture enfantine et riche d’enseignements pour cela.

Les comptines sont une véritable source d’inspiration lorsqu’il s’agit de s’adresser aux plus jeunes. Il est très difficile, pour des adultes qui maîtrisent le langage, de se rendre compte du rapport qu’entretiennent les enfants avec la langue et le plus souvent on a tendance à infantiliser les produits qu’on leur destine23. Or, les enfants sont capables d’apprendre

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24- Marie Goëtz-Georges, Apprendre à parler avec des comptines, 30 activités pour développer les compétences langagières, édition Retz, 2007 (quatrième de couverture).

beaucoup et sont d’ailleurs amené à manipuler des choses complexes comme le langage. Cet apprentissage comporte plusieurs étapes : l’enfant doit d’abord apprendre à segmenter ce qu’il entend puis à manipuler les petites unités phoniques de la langue afin de reconstituer des mots et ainsi du sens. Il s’agit donc des compétences auditives acquises naturellement lorsqu’il était bébé, et la comptine va lui faire refaire ce travail d’analyse de façon plus consciente.

Ensuite, il doit être capable d’émettre à son tour ces sons qu’il entend. Une bonne prononciation est le résultat d’un entraînement mais également d’une conscience de la phonétique. La comptine qui est le plus souvent scandée en détachant bien les syllabes va aider à cette prise de conscience, tout comme les défis qu’elle lance vont exercer la dextérité de la langue par le jeu.

Enfin, il ne reste plus qu’à mettre en ordre les mots ainsi prononcés et, une fois de plus, la comptine va aider les enfants à acquérir cette compé-tence syntaxique. Par le biais de véritables petites narrations, elle lui permettra de s’approprier, à force de répétitions, les structures du langage écrit.

« La connaissance du fonctionnement de la langue orale et le bon emploi de celle-ci sont des préalables indispensables à tout autre savoir concernant le langage, et la condition fondamentale de la réussite de l’ap-prentissage de la lecture et de l’écriture. La comptine, à mi-chemin entre le langage verbal et le langage musical, se prête tout particulièrement à l’acquisition des compétences langagières préconisée par les programmes officiels de l’école maternelle24. » Toutes ces raisons font de la comptine un véritable allié pour les adultes qui souhaitent accompagner les enfants dans cet apprentissage. Il faut cependant souligner que, malgré ses nombreuses qualités, la comptine est loin de suffire en elle-même et ce sont les activités qu’elle engendre, proposées par l’instituteur, qui lui donne cette valeur didactique25. En effet, il ne faut pas oublier le rôle important de l’adulte, les enfants ne sachant pas encore lire, il est un médiateur indispensable. Il faut donc savoir pourquoi on choisit une comptine plutôt qu’une autre, et ce que l’on souhaite apprendre aux enfants avec.

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25- Dans leur mémoire professionnel, Camille Esposito et Saskia Quarello donnent plusieurs exemples d’activités réalisées à partir d’une comptine. Par exemple, la comptine pomme d’api :« Pomme de reinette et pomme d’apiD’api d’api rougePomme de reinette et pomme d’apiD’api d’api gris. »« Le choix de cette comptine a été d’une part généré par deux couleurs le rouge et le gris, couleurs exploitées au travers de manipulations plastiques ainsi que d’autre part par l’utilisa-tion de la pomme dans des activités appartenant à la découverte du monde » La comptine est choisie car elle s’inscrit dans la vie de la classe, ensuite grâce à cette formulette les deux auteures veulent apprendre aux enfants à « distinguer et reproduire forte et piano dans une comptine » et donc à jouer de leur voix sur les variantes d’intensité. Cette comptine les amènera également à travailler la prononciation car certains enfants confondent le [P] et le [b].Mémoire professionnel, les comptines : un outil dans les apprentissages, Institut Universitaire de Formation des Maîtres de l’académie d’Aix-Marseille, site d’Aix-en-Provence, Année universitaire 2005/2006, Sous la direction de Pascale Bonjean.

Les virelangues sont une invitation aux jeux de la langue : grâce à leur fantaisie, ils séduisent les enfants et les incitent à goûter la liberté des phrases et des mots. Ils entretiennent le plaisir de créer pour que, plus tard, ceux ci inventent une langue bien à eux. Cette inspiration est également un atout majeur pour tous ceux qui cherchent à intéresser les plus jeunes et la culture enfantine regorge de petits mécanismes parfaitement adaptés qu’il est intéressant d’étudier.

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Les enfants ont appris à parler, à lire et à écrire et pendant tout ce temps d’apprentissage, ils se sont familiarisés à leur environnement et ont emma-gasiné une grande quantité d’informations.

Les comptines dont je vais parler dans cette troisième partie sont omni-présentes dans la vie de l’enfant et l’accompagnent dans les différentes étapes d’acquisition du langage que nous avons pu voir. Nous retrouverons ainsi dans cette partie des comptines pouvant être reliées aux enfantines (partie I) ou aux virelangues (partie II).

Pour faire court, les comptines qui m’intéressent ici sont celles qui énumèrent. Que ce soit les parties du visage, des actions, des séries d’évé-nements où plus littéralement des chiffres, elles ont toutes, cette logique de listage. Ce type de comptine donne déjà l’intuition d’une valeur péda-gogique puisque qu’elles sont littéralement une liste de choses que l’enfant va apprendre par cœur. Il s’agit bien là de mémorisation et nous verrons les mécanismes qui sont mis en œuvre pour aider l’enfant à se souvenir et à mieux organiser sa pensée.

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Partie III

De celles qui usent et abusent de la logique.

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À la découverte du monde

ÉnumérerLes enfantines sont les premières comptines de l’enfant et comme nous avons pu le constater dans la première partie elles sont reconnaissables (en dehors du fait qu’elles s’accompagnent toujours de gestes) à leur valeur descriptive :

« Je fais le tour de ma maisonJe ferme la porte du jardinJe ferme la porte de la niche du chien, clic, clacJe ferme la porte de la maisonJe monte l’escalierJe ferme un voletJe ferme l’autre voletEt je vais me coucher sous ma couvertureChut la maison dort »

« J’ai deux mains,elles sont propres,elles se regardent,Se tounent le dos.Elles se croisent,elles se tapent,elles nagent,elles s’envolent,et puis s’en vontcachées derrière mon dos.

Ces exemples présentent clairement, par une forme très répétitive, une énumération d’actions. Or, c’est exactement ce que fait le jeune enfant chaque jour : il énumère et répertorie ce qu’il voit afin d’assimiler le monde qui l’entoure. « Le jeune enfant dénombre, inventorie, recense un élément puis un autre, puis un autre encore et, dans ce monde qu’il découvre si bien ordonné, vérifie l’identité et la place de chaque chose. Il puise là l’assurance

1- Au Bonheur des comptines, Marie-Claire Bruley et Marie-France Painset. Collection Passeurs d’histoires, éditions Didier Jeunesse, 2007. P. 26.

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que comme chaque chose identifiée est bien une, lui aussi est un ; et, si chacun est unique, c’est dans la mesure où tous les autres le sont aussi1 » Les enfants sont donc en permanence en train de redéfinir le monde qui les entoure, mais également le rapport qu’ils entretiennent avec ce dernier.

C’est pourquoi les mécanismes d’énumération présents dans les comp-tines correspondent bien aux jeunes enfants. Cela les aide à classer et a ordonner, peu à peu, le savoir qu’ils accumulent. De plus, comme nous avons pu le voir avec les enfantines, ces formulette ont un rôle rassurant ; elles les aident à décrire le monde qui les entoure. Voici par exemple une comptine que les enfants chantent lorsqu’il pleut :

« Il pleut, il mouillec’est la fête à la grenouille !Quand il ne pleuvera plusce s’ra la fête à la tortue. »

Ces petits textes s’adaptent ensuite à l’âge et notamment à la capacité d’at-tention de leur public, en variant la longueur et la complexité du vocabulaire utilisé. Cependant, le principe reste le même : les comptines proposent des listes, une collecte simplifiée d’éléments définie clairement par des mots. Pour l’enfant qui apprend à parler, le langage a quelque chose de magique, il confère un pouvoir immense sur les choses. En nommant, on peut faire exister. Il s’agit donc pour lui de collectionner et d’ordonner toujours un peu plus de noms, de vocabulaire.

Explorer toujours plus loinLorsque l’on énumère, on pense tout de suite aux chiffres. Les comptines numériques sont nombreuses et souvent utilisées en maternelle pour commencer l’apprentissage des chiffres. Ces derniers sont habituellement associés à de petits scénarios dirigés par les rimes :

« Un, deux, trois, nous irons au boisQuatre, cinq, six, cueillir des cerisesSept, huit, neuf, dans mon panier neufDix, onze, douze, elles seront toutes rouges. »

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2- Jean Château, psychologue, cité par Marie-Claire Bruley et Marie-France Painset, dans Au Bonheur des comptines, Collection Passeurs d’histoires, éditions Didier Jeunesse, 2007. p. 73.3- Partie 2 du mémoire, P. 47.

« Un et un, deuxUn lapin sans queueDeux et deux, quatreUn lapin sans pattesQuatre et trois, sept.Un lapin sans têteEt voilà une bêteQui n’a ni queue ni tête »

« Chez l’enfant, la sympathie des nombres est telle qu’il en vient parfois à jouer à compter2 ». Si l’enfant aime autant jouer avec les chiffres c’est que ces derniers symbolisent bien l’enjeu de possession du monde. Puisqu’ils en marquent le début et la fin, ils donnent le pouvoir de se projeter dans le temps, dans la vie. Ils permettent de se situer vis à vis des autres. Par exemple, les jeunes enfants attachent beaucoup d’importance à leur âge ; c’est pourquoi, on les entend souvent reprendre les adultes à ce propos : « et demi, j’ai trois ans et demi ! ».

Savoir compter, c’est prendre possession d’un monde de la pensée, d’un monde abstrait qui se révèlera peu à peu infini. Pour explorer cet univers, il faut apprendre toujours un peu plus, un chiffre après l’autre et c’est la curiosité qui les pousse toujours un peu plus loin. Après dix qu’est ce qu’il y a ? Et après cent ?

Une logique rassuranteLes enfants sont curieux et c’est naturel étant donnée la quantité de choses qu’ils ont encore à apprendre. D’ailleurs, toutes ces choses inconnues peuvent parfois faire peur. Dans l’anecdote que Colette nous livre3, on se rend bien compte que le mot « presbytère » est puissant et inquiétant, tant qu’elle ne lui a pas donné un sens. C’est pourquoi, les comptines ont un rôle rassurant car elles décrivent clairement les choses et leur construction logique les rend prévisibles.

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4- Marie-Claire Bruley et Marie-France Painset, op. cité, P. 27.

Marie-Claire Bruley et Marie-France Painset ont coécrit l’ouvrage Au Bonheur des comptines4 dans lequel elles nous font part de leur propre expérience sur le terrain. Elles y décrivent une courte comptine mécanique qui, mise en scène, fascine les enfants. Cette comptine fonctionne comme une énumération très simple et pourtant elle symbolise bien cette explora-tion que doit faire l’enfant chaque jour.

La comptine est la suivante :

« Dans la petite maison verteIl y aUne petite maison jaune

Dans la petite maison jauneIl y aUne petite maison brune

Dans la petite maison bruneIl y aUne petite maison blanche

Dans la petite maison blancheIl y aJuste un petit cœur qui bat, qui bat, qui batPour toi, pour moiPour toi, pour moiPour toi, pour moi. »

Dans ce rituel, l’écoute est intense et le suspense à son comble. Loin de se lasser d’une mécanique répétitive, les enfants sont émerveillés par ce qui arrive ensuite. Même s’ils peuvent deviner le mystère à venir, rien dans ce monde mouvant ne peut leur assurer une réponse exacte. C’est donc la surprise et le soulagement que l’on entend dans les « oh ! » et les « ah ! » que les enfants lancent à la conteuse, lorsque la porte de feutrine s’ouvre sur la maison suivante. L’enfant a exploré loin, dans l’incertitude, mais fina-lement l’univers ordonné de la comptine le ramène vite à lui-même et à

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5- Odile Kolp -Trémouroux, Le chemin des comptines, édition Labor Éducation, 1998, p. 139.6- Partie 1 du mémoire, P. 25.

la sécurité de son entourage. Il s’agit de donner le vertige un court instant pour mieux savourer le retour à la maison.

Ces comptines s’adressent aux jeunes enfants puisque certaines sont des enfantines. On a vu qu’elles correspondent bien à leur besoin : celui de comprendre le monde qui les entoure. Leur façon d’énumérer et leur logique les rendent également très faciles à retenir. Je vais donc m’inté-resser maintenant aux mécanismes mnémotechniques des comptines.

Organiser sa pensée

Compter sur les doigts.Comme on l’a vu précédemment, les enfants sont curieux, notamment des chiffres. Or, c’est une notion complexe et plutôt abstraite, c’est pourquoi tout le monde commence par compter sur ses doigts. « La construction des nombres entiers naturels passe par la médiation sensorimotrice, en se servant des doigts de la main. Grâce aux gestes moteurs, les quantités s’im-priment dans la mémoire kinesthésique5 » Ce mécanisme sensoriel permet de visualiser physiquement les quantités et commence avant même de savoir le nom qui est donné aux chiffres.

« Ma main, elle brillec’est le soleilregarde.Un rayon pour y voir plus clair.Un rayon pour faire cuire les pommes de terres.Un rayon pour bronzer à la mer.Un rayon pour se chauffer l’hiver,et le plus petit pour me tenir comptagniequand je suis dans mon lit »

Cette enfantine reprend le même schéma que celle du petit lièvre6. On énumère cinq événements, chacun étant lié à un doigt de la main.

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7- Germaine Forges et Alain Braun, Didactique des langues, traductologie et communication, éditions De Boeck Université, 1998, p. 168.

C’est exactement le même geste qui sera fait lorsque l’enfant apprendra les chiffres de un à cinq en touchant tour à tour ses doigts. Ce geste physique aide bien la mémoire car il permet à l’enfant de s’auto-corriger dans sa réci-tation. S’il finit la comptine, ou son énumération de chiffres au quatrième doigt, c’est qu’il a oublié quelque chose ! Il ne lui reste plus qu’à recom-mencer en cherchant dans sa mémoire les bouts manquants !

MémoriserLe fait d’associer des gestes à la parole n’est pas le seul atout des comp-tines pour favoriser la mémorisation. En effet, étant à l’origine une tradition orale, les comptines sont façonnées pour survivre dans la tête des enfants.

La première astuce se trouve dans leur nature même : les comptines se distinguent du langage parlé par une mélodie et un rythme bien à elles. « Il [le rythme] sollicite l’anticipation des éléments postérieurs de la comptine à partir des éléments initiaux, et il se trouve par le fait même à faciliter leur intériorisation et leur mémorisation. En empruntant l’heureuse expression de Ingvar, le rythme se trouve être une sorte de « mémoire du futur7 ». » C’est pourquoi, lorsque les paroles d’une chanson nous échappent, nous avons le réflexe de la rechanter depuis le début. La mélodie fait prendre à notre mémoire d’autres chemins qui nous aident alors à récupérer ce qui nous manquait. Les comptines jouent sur le même principe et pour favo-riser la mémorisation elles ont un rythme très répétitif.

La répétition est ainsi sa deuxième grande astuce. En effet, dans les comptines beaucoup de chose se répètent : les assonances et rimes, les mots et parfois même les phrases entières. C’est ce que l’on peut observer dans cette comptine anglaise :

« Jelly in the dish,Jelly in the dish,Wiggle waggle, wiggle waggle,Jelly in the dish. »

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8- Andy Arleo, « Les concepts darwiniens et l’étude de la tradition orale chez les enfants : méta-phore ou modèle ? » dans L’Héritage de Charles Darwin dans les cultures européennes, sous la direction de Racisme et eugénisme, édition l’Harmattan, 2011, p. 96.9- « By combining the multiple contraints of rhyme, metrics, grammar and meaning, the search can be narrowed down and the missing word more easily retrieved. » Andy Arleo, « Do children’s rhymes reveal universal metrical patterns ? » Bulletin de la Société de Stylistique Anglaise 22 (2001) : 125-145, p. 142. Pour différentes raisons liées à un manque de données comparatives, l’article ne répond pas par l’affirmative à la question posée par son titre. Cependant, Arleo donne quelques pistes. Une grande partie des comptines étudiées présentent une symétrie, et de façon très récurrente une construction en quatrain. Ce mécanisme se retrouve ainsi dans plusieurs langues avec le même but : faire perdurer les comptines dans la mémoire.

De plus ces répétitions sont le plus souvent réalisées de façon symétrique et logique. Avec une construction du type abba comme pour la comptine anglaise la plus populaire :

« Eeny, meeny, miny, moe,Catch a tiger by the toe.If he hollers let him go,Eeny, meeny, miny, moe. »

Ou alors ab ab ab etc. comme dans cette comptine où l’on retrouve le prin-cipe d’énumération :

« Quand je mets mon chapeau gris,c’est pour aller sous la pluie.Quand je mets mon chapeau vert,c’est que je suis en colère.Quand je mets mon chapeau bleu,c’est que je vais mieux.Quand je mets mon chapeau blanc,c’est que je suis très content. »

« La symétrie favorise la mémorisation des textes, et ensuite leur trans-mission, car elles introduisent un élément de prévisibilité8. » En effet, dans ce dernier exemple, on peut facilement déduire ou même inventer une suite logique. Puisqu’à chaque couplet, en suivant la même construction grammaticale, la comptine met en relation une couleur et un sentiment, le dernier mot « content » peut se déduire du mot précédent « blanc ».

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10- Wikipédia http://fr.wikipedia.org/wiki/Randonnée_(conte)

Ainsi, le chercheur et linguiste Andy Arleo conclut qu’en combinant les contraintes de rythme, de pieds, de grammaire et de sens, les mots manquant peuvent plus facilement être retrouvés9. Cette mémorisation est indispensable pour cette tradition orale, puisqu’elle disparaît si elle n’est pas transmise. Ce système est également à l’origine des multiples variantes que connaissent les comptines. En effet, certaines fois plusieurs mots trouvent leur place dans l’espace manquant.

Pour exemple, une deuxième version de la comptine anglaise Eeny, meeny, miny moe que nous avons vu précédemment.

« Eeny, meeny, miny, moe,Catch a spider by the toe.If she wiggles let her go,Eeny, meeny, miny, moe. »

Ces mécanismes permettent de rendre automatique certaines formes grammaticales qui auraient été plus longues à assimiler autrement. Comme nous avons pu le voir dans la partie 2, c’est en se répétant les comptines que l’enfant fait l’expérience du langage et de ses structures. Ainsi, en rete-nant une comptine pour jouer, il mémorise également des structures gram-maticales propres à sa langue maternelle.

Lien de cause à effetNous avons vu quelques exemples de comptines usant de l’énuméra-tion et de la répétition mais je vais m’intéresser maintenant aux cas les plus extrêmes dans ce jeu là. Ces textes s’éloignent un peu du format de la comptine pour se rapprocher de celui du conte. C’est pourquoi, on les nomme conte-randonnée ou plus simplement randonnée. « La construc-tion du récit est simple et linéaire : la route parcourue en est le fil direc-teur. Le déroulement limpide d’événements qui s’enchaînent les uns aux autres selon leur rythmique propre s’apparente à d’anciennes chansons traditionnelles du répertoire enfantin10. » Les personnages de ces histoires enchainent les rencontres qui se déclinent toujours de la même manière.

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11- Ce classement est repris du site de l’association Croclivre.Pour chaque catégorie une sélection d’albums est proposée http://www.croqulivre.asso.fr/spip.php?rubrique41&var_recherche=randonn%E9e

Ces répétitions qui favorisent la mémorisation se retrouvaient, en dehors du folklore enfantin, dans les ballades pour adultes. Aujourd’hui, on trouve ces récits dans une grande partie de la littérature pour enfant.On les a classé généralement en cinq différents types11.

En premier lieu, les randonnées par énumération sont les plus simples, proches de la liste comme par exemple les jours de la semaine.

Les randonnées par élimination, quant à elles, racontent l’histoire d’un groupe qui perd un membre à chaque couplet. Cette enfantine qui se joue sur les cinq doigts de la main (un doigt se fermant à chaque couplet répété) est un bon exemple. En général dans les livres qui reprennent cette construction, le groupe commence à dix personnages.

« Ils étaient cinq dans le nidet le petit dit :-Poussez-vous, poussez-vous !Ils se poussèrent tousEt l’un tomba du nid.Ils était quatre dans le nidetc… »

Les randonnées par remplacement racontent l’histoire d’un personnage qui va de rencontre en rencontre à la recherche de quelque chose où de quelqu’un.

Les randonnées par accumulation se présentent comme une longue énumération dont le premier motif est repris lorsqu’apparaît le second, puis les deux premiers avec le troisième, et ainsi de suite jusqu’à la fin du récit.

Refrain :« Biquette ne veut pas sortir du chou :Ah ! tu sortiras, Biquette, Biquette,Ah ! tu sortiras de ce chou-là !

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12- Marie-Claire Bruley et Marie-France Painset, Au Bonheur des comptines, Collection Passeurs d’histoires, éditions Didier Jeunesse, 2007, p. 181.

On envoie chercher le chien,Afin de mordre Biquette.Le chien ne veut pas mordre Biquette.RefrainOn envoie chercher le loup,Afin de manger le chien.Le loup ne veut pas manger le chien,Le chien ne veut pas mordre BiquetteRefrainOn envoie chercher l’bâton,Afin d’assommer le loup.Le bâton n’veut pas assommer le loup,Le loup ne veut pas manger le chien,Le chien ne veut pas mordre Biquette.[...]On envoie chercher le diable,Pour qu’il emporte le boucher.Le diable veut bien emporter l’boucher,Le boucher veut bien tuer le veau,Le veau veut bien boire l’eau,L’eau veut bien éteindre le feu,Le feu veut bien brûler le bâton,Le bâton veut bien assommer le loup,Le loup veut bien manger le chien,Le chien veut bien mordre Biquette,Biquette veut bien sortir du chou :Ah ! Tu es sortie de ce chou-là !

« La reprise un peu lancinante de chacun des éléments à la suite les uns des autres lorsqu’apparaît un nouveau crée la rengaine dont la mono-tonie fatigue les adultes alors qu’elle stimule les enfants par son imparable logique, l’effort de mémoire qu’elle exige, et son effet très sécurisant12. » Ce type de randonnée use et même abuse tellement de la répétition qu’il en est presque insupportable pour les adultes. Cependant, il relève du défi

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de le réciter dans son intégralité et c’est justement ce jeu qui amuse les enfants. « Il y a dans la répétition un plaisir assez actif qui consiste à faire sienne une chanson, globalement voix et musique dans un ordre inchangé qui est le principe même de la transmission orale13. » Comme pour les virelangues de la partie 2, c’est le désire de maîtriser ces jeux qui stimule les enfants et leur donnent la patience de se répéter encore et encore les mêmes choses jusqu’à les connaître sur le bout des doigts.

Enfin, il nous reste le dernier type de randonnée dont voici un exemple attribué à Paul Eluard :

« Dans Paris, il y a une rueDans cette rue, il y a une maisonDans cette maison, il y a un escalierDans cet escalier, il y a une chambreDans cette chambre, il y a une tableSur cette table, il y a un tapisSur ce tapis, il y a une cageDans cette cage, il y a un nidDans ce nid, il y a un œufDans cet œuf, il y a un oiseau.L’oiseau renversa l’œufL’œuf renversa la cageLa cage renversa le tapisLe tapis renversa la tableLa table renversa la chambreLa chambre renversa l’escalierL’escalier renversa la maisonLa maison renversa la rueLa rue renversa Paris, la grande ville ! »

Ceci est une randonnée par emboîtement. À l’instar des poupée gigognes, les différents éléments s’emboitent les uns dans les autres et la randonnée nous fait faire un aller-retour. Encore une fois, cette mécanique fait la joie des enfants et on peut les observer dans une grande concentration lorsqu’ils se lancent dans ces récitations.

13- Anne H. Bustarret, L’Oreille tendre, pour une éducation auditive, édition Enfance heureuse, France, 1998, p. 48.

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14- Marc Soriano « Contes d’animaux, contes d’avertissement, formulettes : L’Enfance de l’art » dans La Revue des livres pour enfants n° 107-108-Printemps 1986, p. 35.15- Andy Arleo, « Un jeu de domino verbal : Trois p’tits chats, chapeau d’paille… » dans Chants enfantins d’Europe, L’Harmattan, 1997, p. 53.

Ces randonnées, par leur complexité, s’adressent à des enfants plus âgés qui maîtrisent le langage. Comme nous avons vu ces jeux demandent de la concentration et un grand effort de mémorisation. Leur usage de la répé-tition lasse très vite les adultes : c’est pourtant là que réside leur efficacité. « Autre type de poèmes « fonctionnels » : ces « randonnées » cumulatives qui rappellent sans cesse des causes et des effets dont le nombre ne cesse de grandir puis de décroître et qui apprennent à l’enfant sans qu’il s’en rende compte que les événements ou les idées sont en général liés logi-quement14. » En effet, les randonnées exercent un aspect essentiel dans la mémorisation : le lien entre les différents éléments. Comprendre les liens de cause à effet, c’est commencer à organiser sa pensée et cela est indis-pensable pour mener ses propres réflexions.

La comptine Trois p’tit chats est un bon exemple. « Trois p’tits chats, comme beaucoup de textes de tradition orale, est une formidable école de la mémoire. Par son système d’appels et d’échos, la structure domino permet à l’enfant de recréer des textes assez longs15 ». Elle permet de retenir une longue série de mots dans un ordre précis grâce à un jeu de répétition des sonorités.

« Trois p’tit chatTrois p’tit chatTrois p’tit chat, chat, chatChapeau d’pailleChapeau d’pailleChapeau d’paille, paille, paillePaillassonSomnambuleBulletinTintamarreMaraboutBout d’ficelleSelle de chevalCheval de course

Course à piedPied à terreTerre de feuFeu folletLait de vacheVache de fermeFerme ta gueuleGueule de loupLoup des boisBoîtes aux lettresLettre de Troyes

Et on recommence !Trois p’tit chat… »

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16- Cela donne Mercure Venus Terre Mars Jupiter Saturne Uranus Neptune Pluton, bien que cette formule soit un peu dépassée puisqu’aujourd’hui Pluton n’est plus considéré comme une planète tandis que de nouvelles sont découvertes !

Cette segmentation par syllabes (Trois p’tit chats/chapeau de paille) aide également au travail d’analyse des sons de la langue que nous avons vu lors de la première partie de ce mémoire. Un apprentissage indispensable dans l’acquisition de la langue maternelle.

Les comptines sont issues d’une longue tradition orale, de ce fait elles ont dû trouver des formes faciles à retenir pour perdurer dans la tête des enfants de générations en générations. Les mécanismes mis en jeu, gestes, rythmes, rimes et répétitions, sont aujourd’hui identifiés. Le fait qu’elles soient orales, tout en empruntant à la syntaxe écrite, permet également aux enfants de retenir et de s’approprier les formes grammaticales de leur langue maternelle.

Enfin la logique, en particulier dans les randonnées, permet aux enfants de retenir des choses parfois complexes et les aident à penser par association d’idées. C’est d’ailleurs ainsi que fonctionnent les principes mnémotechniques : on remplace un concept abstrait par des mots chargés émotionnellement. Par exemple, la petite formulette « Mais où est donc Ornicar » utilisée pour se souvenir des conjonctions de coordination ou encore « Mon Vieux Théâtre Me Joue Souvent Une Nouvelle Pièce » pour se rappeler de toutes les planètes du système solaire16.

On peut noter que ces formulettes sont très proches des comptines par leur forme. C’est pourquoi, il est intéressant de s’inspirer de ce folklore enfantin lorsqu’il s’agit de fait apprendre quelque chose de façon ludique.

Littérature pour enfants

Les livres qui s’inspirent des comptinesCertains livres pour enfants s’inspirent des mécanismes que nous avons vus précédemment. À la différence des albums que nous avons étudiés dans la première partie ceux-ci ne reprennent pas une comptine à la lettre : ils en utilisent les principes pour mieux s’adapter à leur jeune public.

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17- Margaret Wise Brown, (auteur), Clément Hurd (illustrateur), Goodnight Moon, édition HarperCollins, 1947

Par exemple, l’album Goodnight Moon17 de Margaret Wise Brown reprend le principe d’énumération que nous avons vu au début de cette partie. Dans ce livre, un petit lapin va se coucher et avant de s’endormir il dit « bonne nuit » à tout ceux qui l’entourent. Publié aux États-Unis en 1947, ce livre a ensuite été traduit en français et reste encore aujourd’hui une référence dans la catégorie des livres pour le coucher. La version originale est encore plus proche des comptines car elle est écrite en rimes ce qui n’est malheu-reusement pas le cas dans la traduction française.

« Goodnight room. Goodnight moon.Goodnight cow jumping over the moon.Goodnight light, and the red balloon...»

Le texte de Margaret Wise Brown reprend les principes d’énumération, de rythme et de rime que nous avons repéré dans les comptines. La répétition du mot « goodnight » donne au texte un rythme rassurant et doux et l’on comprend mieux pourquoi il est autant apprécié au moment du coucher.De plus, pour les petits anglais, les illustrations de Clement Hurd font réfé-rence directement à une comptine qu’ils connaissent bien. En effet, le tableau au dessus de la cheminée montre une vache sautant par dessus la lune (le héros lui souhaite d’ailleurs bonne nuit aussi). Ce ruminant est le protagoniste de la comptine suivante :

« Hey diddle diddleThe cat and the fiddleThe cow jumps over the moonThe little dog laughed to see such sportAnd the dish ran away with the spoon »

Ce qui donne en français à peu près ça :« Digue digue donLe chat et le violonLa vache par-dessus la lune a fait un bondLe petit chien a ri de cette fantaisieEt le plat avec la cuiller s’est enfui. »

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Enfin, bien que la scène se passe en continue dans la même chambre, Clément Hurd a pris soin de marquer le temps qui passe au travers de petits détails comme la pendule qui avance, le ciel qui s’assombrit, etc. L’enfant est amené à chercher dans l’image ce que le petit lapin énumère mais également ce qui change (fig. 1).

Ce livre s’inspire des mécanismes des comptines au niveau du texte mais également, et j’y reviendrais plus loin, au niveau de l’image. C’est pour moi, ce qui en fait son succès auprès des jeunes enfants.

fig. 1 - Pages extraites de Goodnight Moon, Margaret Wise Brown, (auteur), Clément Hurd (illustrateur), édition HarperCollins, 1947

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18- Elzbieta, Petit lapin Hoplà, édition l’école des loisirs, 2001.

Autre exemple, dans son album intitulé Petit lapin Hoplà18, Elzbieta précise qu’elle s’est inspirée librement de la comptine anglaise Cock Robin. Cette comptine est composée de quatorze couplets tous construits de la même manière. Elle raconte la mort du rouge gorge Cock Robin et des différents hommages que lui rendent les autres animaux de la forêt.

« Who killed Cock Robin ?I, said the sparrowWith my little bow and arrowI killed Cock Robin

Who saw him die ?I, said the flyWith my little eyeI saw him die.

Who caught his blood ?I, said the fishWith my little dishI caught his blood.

Who’ll make his shroud ?I, said the beetleWith my thread and niddleI’ll make his shroud.

Who’ll dig his grave ?I, said the owlWith my spade and trowelI’ll dig his grave.

… »

Sans la traduire littéralement, Elzbieta a su garder dans son livre la profon-deur de cette comptine et c’est avec la même gravité qu’elle nous raconte

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la mort tragique de petit lapin Hoplà. Le rythme et la répétition qui préva-lent dans cette formulette lui permettent de parler d’un sujet dur avec beaucoup d’humanité.

« Qui a fauché petit lapin Hoplà ?C’est moi, dit le renard.Avec ma petite auto,c’est moi qui ai fauché petit lapin Hoplà.

Qui a conduit à l’hôpital petit lapin Hoplà ?C’est moi, dit le chien.Aussi vite que j’ai pu,j’ai conduit à l’hôpital petit lapin Hoplà.

Qui a vu mourir petit lapin Hoplà ?C’est moi, dit la souris.Avec mon petit œil,J’ai vu mourir le petit lapin Hoplà.

Qui va annoncer la mort de petit lapin Hoplà ?C’est moi, dit le coq.Depuis le haut du clocher,j’annoncerai la mort de petit lapin Hoplà.

…. »

On retrouve dans ce texte la même composition que Cock Robin. Le couplet commence par une question, à laquelle répond un animal différent à chaque fois et le nom de la victime est répété deux fois. La seule différence est qu’Elzbieta n’a pas fait rimer le nom de l’animal avec l’action qu’il fait.Les douze couplets sont accompagnés d’illustrations aux couleurs très douces (fig. 2) donnant la sensation que tout est calme, comme figé dans ce temps de deuil. De plus le fait de tourner la page à chaque fois fonc-tionne très bien avec ce type de texte, cela va dans son sens en le rendant plus lent et contemplatif.

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Elzbieta a su ici s’inspirer d’une comptine pour créer un livre sensible est à même d’exprimer simplement le deuil.

fig. 2 - Pages extraites de Petit lapin Hoplà, Elzbieta, édition l’école des loisirs, 2001.

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Enfin, je terminerai cette série d’exemples avec l’album intitulé Alboum19. Celui-ci reprend le principe de la randonnée par accumulation. Le livre donne au lecteur le point de vue d’un enfant qui joue. Ce dernier s’amuse à empiler des jouets les uns sur les autres. À chaque page un jouet s’ajoute dans l’illustration tandis que le texte énumère à chaque fois tous les jouets présents dans la pile en commençant par le plus récent.

On commence par un canard :« Il s’appelle Bernard »et l’on finit cinq doubles pages plus loin par« Ballon s’appelle Ballon !Il n’a pas d’autre nom,ni devant, ni derrière,la poupée à l’envers,qui ne voit pas la mer,perchée sur un ourson !Ils s’en vont à la plageavec pelle et râteauinstallés dans un grand seauoù était le gâteaudu lapin qui s’endortsur Bernard le canard.

Le texte énumère chaque objet et l’image nous montre la pile en train de se construire et, même si à la fin, les fondations de cette tour nous sont invisibles, de petits schémas sur la gauche permettent de visualiser la progression dans son ensemble (fig. 3). Ce qui est intéressant ici c’est que le principe de la randonnée par accumulation est représenté visuellement. Ces petits pictogrammes s’accumulent à chaque page et permettent avec le texte de se souvenir des jouets qui ont disparus de l’illustration principale. Ces doubles pages sont très didactiques et permettent à l’enfant de tisser des liens entre les pictogrammes, l’illustrations, le texte qu’il entend, et ce que sa mémoire a conservé des pages précédentes.

19- Christian Bruel (auteur), Nicole Claveloux (illustratrice), Alboum, éditions Etre, 1998.

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En dehors de la construction du récit, cet album a gardé la malice des comptines car lorsque la pile de jouets s’écroule dans un grand Boum, sur la page suivante il est noté « on recommence ? ».

Ce livre reprend bien à son compte les principes de la randonnée qui même une fois finie n’est en fait pas terminée ! C’est ce qui en fait encore aujourd’hui un livre apprécié des plus jeunes.

fig. 3 - Pages extraites de, Alboum, Christian Bruel (auteur), Nicole Claveloux (illustratrice) éditions Etre, 1998.

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20- Margaret Wise Brown, (auteur), Clément Hurd (illustrateur), Goodnight Moon, édition HarperCollins, 1947.21- David McKee, Elmer, édition Kaléidoscope, 1993 (édition originale anglaise 1989)22-23- Martin Handford est l’auteur de la célèbre collection Où est Charlie ? qui est une série de livre jeu où l’on doit retrouver Charlie (un personnage toujours habillé de vêtements rayés rouge et blanc) au milieu d’une foule. Édité chez Günd.

Comme je l’ai mentionné lorsque je parlais des comptines du type randonnée, ces dernières se sont particulièrement bien adaptées aux livres pour enfants. Les textes énumératifs et leur rythme plus long sont assez appropriés pour courir sur plusieurs pages. C’est pourquoi, beaucoup de récits dans la littérature pour enfants reprennent ses mécanismes.Nous avons pu le voir, les comptines sont adaptées aux besoins des enfants et elles leur plaisent. C’est pourquoi, il est très intéressant de s’inspirer de ces principes lorsque l’on s’adresse à eux.

Explorer en imagesComme nous l’avons vu, les comptines jouent sur la curiosité des enfants et leur besoin de classer et d’énumérer ce qui les entoure. On peut aperce-voir ce même comportement lorsque l’on voit de jeunes enfants s’amuser à classer des objets par formes, couleur, taille ou encore chercher une forme familière dans les défauts de peintures au plafond. Il n’y a pas que pour le texte, que les comptines peuvent nous inspirer et ces mécanismes d’énu-mération peuvent se transposer à l’image.

C’est pourquoi, les images qui fourmillent de détails sont très apré-ciées des enfants. On a pu remarquer que les images de l’album Goodnight Moon20 donnent à chaque relecture de nouvelles découvertes grâce aux petits détails que l’illustrateur a malicieusement glissés.

Bien sûr, la notion de détails peut varier entre une page de l’album Elmer21 et les illustrations de Martin Handford22. Cependant, l’attention que peut leur porter un enfant reste du même ordre. Si je vous citais Elmer juste avant c’est parce que j’ai le souvenir d’avoir passé, enfant, de longs moments à détailler chaque éléphant de la double page 20-21 (fig. 4), les gros, les petits, ceux avec de longues oreilles, etc. Ils ne sont que quarante et un mais à l’époque j’avais l’impression que je ne pourrais jamais tous les répertorier. Ce goût du détail est connu et l’on trouve beaucoup de livre-jeux où le but est de retrouver quelqu’un ou quelque chose au milieu d’une illustration complexe. Le Où est Charlie23 ? n’a, à mon avis, jamais été battu à ce petit jeu !

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24- Les albums de Delphine Chedru : La Petite bête qui monte, édition hélium, 2009 et Cherche la petite bête, édition Naïve, 2008.

Dans un registre un peu différent, les motifs répétitifs reprennent visuellement l’idée d’énumération répétitive que l’on trouve dans les comp-tines. L’enfant peut ainsi trouver facilement ses repères dans un enchai-nement constant et être agréablement surpris de voir qu’une erreur s’est glissée dans ce monde parfait. Les livres de Delphine Chedru24 prennent ce parti pris de cacher, au milieu d’une série de formes géométriques récur-rentes, une toute petite exception (fig. 5). Les enfants, à partir de trois ans, prennent alors beaucoup de plaisir à chercher et surtout à trouver ces petites anomalies.

L’aspect visuel de ces exemples s’éloigne un peu des comptines, mais de la même manière que dans ces dernières, les enfants énumèrent, plusieurs fois de suite, pour bien retenir l’enchainement et savourer les mots. Sur une image ils s’arrêtent pour chercher et dénombrer, en savourant, leurs propres découvertes.

fig. 4 - Page extraite de Elmer, David McKee, édition Kaléidoscope, 1993 (édition originale anglaise 1989)

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fig. 5 - Pages extraites de Cherche la petite bête, Delphine Chedru, édition Naïve, 2008.

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Ces quelques exemples montrent que la littérature pour enfant s’inspire déjà beaucoup des comptines. Cela n’est pas étonnant, si l’on remonte aux premiers livres pour enfants, ils s’inspiraient déjà du folklore enfantin avec les contes. Que cela soit fait intentionnellement ou pas, lorsqu’un livre plaît aux enfants, on y retrouve souvent l’héritage des comptines.

Ce que l’on peut noter à la fin de cette partie, c’est que les comptines sont d’une grande logique. Au cœur de la comptine, les choses ont une place définitive, suivant des règles immuables, et dans ce rythme régulier l’enfant peut puiser la sécurité intérieure dont il a besoin. Les caractéris-tiques descriptives de ces petits textes en font de véritables repères pour les enfants et leur façon d‘énumérer est en parfaite adéquation avec les découvertes qu’il font à cet âge. La façon dont ces textes décrivent le quoti-dien, ce que nous avons vu dans la première partie avec les enfantines, répond parfaitement à la curiosité des jeunes enfants. Ainsi d’eux-mêmes, ils pourront énumérer ce qui les entoure en reprenant les schémas gram-maticaux des comptines.

Nous avons également vu que ces formulettes présentent des structures et mécanismes faciles à retenir ce qui rend aisée leur appropriation par les enfants. En tant que tradition orale, Ces formes énonciatives n’existent que si on les mémorise. Du coup, elles jouent des gestes, du rythme, des rimes et des répétitions pour rassembler un maximum de moyens mnémotech-niques. Ces mécanismes sont particulièrement apparents dans les comp-tines puisque ces textes souvent courts nous arrivent dans une forme très simple. Il est donc facile de les étudier pour comprendre leur fonctionne-ment et donc de créer des formulettes sur le modèle des comptines, à des fins pédagogiques.

Pour revenir sur la logique imparable des comptines, outre l’aspect rassurant pour les plus petits, elle est également une des clés de la mémori-sation pour les plus grands. Comme nous l’avons vu avec le cas des randon-nées, c’est la logique qui permet de reconstruire le texte : chaque pièce amenant la suivante. Ce type de comptine est très formateur sur le plan

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de la pensée, il permet de construire des liens de cause à effet qui seront, plus tard, indispensables à l’enfant pour mener sa propre réflexion. C’est ainsi que la comptine forme et ordonne de véritables chemins, des connec-tions indispensables à la mémoire pour enregistrer tout ce qui lui reste à apprendre.

Enfin, nous avons vu que la littérature pour enfants s’est déjà largement inspirée de tous ces mécanismes. Cela est flagrant pour les textes du type randonnée car ils se sont particulièrement bien adaptés au support du livre illustré. La littérature enfantine a hérité de la culture orale ; en premier lieu par les contes, mais on peut remarquer qu’elle doit également beaucoup aux comptines.

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1-Marc Soriano « Contes d’animaux, contes d’avertissement, formulettes : L’Enfance de l’art » dans « La Revue des livres pour enfants » n° 107-108-Printemps 1986, p. 37.

Tout au long de ce mémoire, nous avons pu voir que les comptines pouvaient jouer un rôle dans l’acquisition du langage et sa maîtrise, dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture ainsi que dans le développe-ment de la mémoire et de la logique. Ces formes énonciatives accom-pagnent l’enfant dans chaque étape de son développement et s’adaptent à son âge tout en lui proposant toujours quelque chose d’extrêmement ludique. « L’expérience séculaire du peuple a découvert depuis longtemps, de longs siècles avant les pédagogues, l’astuce éducative qui consiste à associer l’acquisition des actions indispensables à des jeux1. » C’est bien ce caractère ludique qui fait toute la force didactique des comptines. Nous avons vu, par exemple, à quel point les enfants sont capables de se concen-trer pour relever les défis de prononciation et de mémorisation des virelan-gues ou des randonnées, parce que cela les amuse.

Les comptines sont ainsi utilisées dans les crèches pour initier des temps de jeux qui accompagnent l’enfant lorsqu’il s’approprie son corps et sa voix. En maternelle, leur utilisation est inscrite au programme ; les comptines

Conclusion

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sont alors propices à des exercices de prononciation, de mémorisation et de vocabulaire. Enfin, lors de l’entrée en primaire, les comptines favorisent l’apprentissage de la lecture et sont utilisées pour faire travailler la mémoire des enfants. Cependant, ces qualités dites éducatives que l’on attribue aux comptines sont surtout le fruit d’une bonne médiation. Les comptines, comme nous l’avons vu, n’opèrent pas toutes seules : au niveau des enfan-tines déjà, la médiation d’un adulte est indispensable ; au niveau des comp-tines utilisées en maternelle, c’est encore plus vrai. En effet, les comptines sont utiles pour initier le travail de façon ludique, ensuite lorsque l’intérêt et l’attention des enfants sont obtenus, c’est à l’instituteur de proposer une activité pédagogique liée à la formulette. Associées aux comptines, ces acti-vités permettent de mettre en lumière, toujours de façon divertissante, les points que l’instituteur souhaite aborder.

Comprendre ce qui fait véritablement la valeur de nos comptines tradition-nelle est donc important pour arriver à les retransmettre au mieux. Comme nous l’avons rappelé juste avant, pour que la comptine apporte quelque chose aux enfants, il faut savoir ce qui la rend intéressante et dans le cadre scolaire savoir en tirer partie aux travers d’activités.

Ainsi, même au niveau des enfantines, où il s’agit en premier lieu de rythmer des moments ludiques entre enfants et adultes, il est important que ce dernier sache transmettre la comptine dans toute sa complexité (rythme, gestuelle, …) Or, justement savoir conter des comptines n’est pas quelque chose de forcément inné et le jeune parent, tout comme le profes-sionnel, est amené à enrichir son répertoire à travers les différents supports existants (Livre, CD, DVD, internet). En effet, aujourd’hui, l’apprentissage de nouvelles comptines par les adules se fait davantage par l’intermédiaire de supports physiques plutôt que par échange oral. C’est pourquoi, il est important de penser les recueils de comptines, quel que soit leurs supports, comme des outils complets destinés aux adultes, médiateurs de ces formes énonciatives. Cela permettra, à ceux qui le souhaitent, d’apprendre de nouvelles comptines et de savoir les retransmettre au mieux à leur premier destinataire : l’enfant.

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2- Marc Soriano « Contes d’animaux, contes d’avertissement, formulettes : L’Enfance de l’art » dans La Revue des livres pour enfants n° 107-108-Printemps 1986, p. 37. 3- Andy ARLEO et Julie DELALANDE, Culture(s) enfantine(s), universalité et diversité, Presse universitaire de Rennes, 2011, quatrième de couverture.

« Pour parvenir à ces réussites, l’expérience populaire a continuellement confronté l’intention éducative des parents et les possibilités de compré-hension et d’assimilation des enfants, ce qui lui a permis de profiter du pouvoir d’invention des uns et de la fraîcheur d’imagination des autres2. » Si les comptines ont, aujourd’hui, leur place dans le système éducatif, c’est parce qu’elles se révèlent parfaitement adaptées aux plus jeunes. Les comp-tines peuvent ainsi nous donner un angle de vue différent sur la culture enfantine et donc nous aider à mieux comprendre les enjeux de cet âge.

Par exemple, au cours de ce mémoire, l’étude des comptines nous a donné un aperçu de ce que peut être l’apprentissage du langage pour un enfant. Ce temps où les mots sont encore compliqués à cerner et donc à extraire d’un flot de syllabes, est difficile à concevoir pour un adulte. « Si certaines pratiques enfantines, de la cour de récréation à la rue, sont connues depuis longtemps, c’est récemment que les chercheurs les ont prises au sérieux en tant qu’objet d’étude. […] Par leur conséquences psychologiques, linguistiques et sociales, ces pratiques sont susceptibles non seulement de nous renseigner sur les aspects les plus profonds de la vie des enfants, mais aussi de nous aider à penser nos relations éducatives avec eux3 […]. » Par conséquent, Les comptines donnent des clés pour comprendre le monde des plus petits. Cette compréhension est indispen-sable lorsque l’on veut s’adresser aux enfants. Comme il est impossible de se mettre complétement à leur place, je pense qu’il est particulièrement intéressant de s’inspirer de cette tradition orale afin de créer de véritables échanges avec les plus jeunes.

Nous avons vu à travers plusieurs exemples que la littérature enfan-tine a déjà emprunté pour ses albums, des textes dont la forme s’inspire très clairement des comptines. Percevoir les mécanismes des comptines et donc comprendre un peu mieux ce dont les enfants ont besoin et ce qui leur parle, et enfin s’inspirer de tout cela afin de créer de nouveaux supports d’échanges, voilà pour moi ce qui fait « l’héritage des comptines ».

Aujourd’hui, les comptines séduisent toujours autant leur public et, c’est pourquoi, les recherches autour de la culture enfantine me paraissent

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4- Françoise Carecchio, La culture des jeux, une poétique enfantine : La socialisation des jeunes enfants en milieu scolaire. édition l’Harmattan, 2011, p. 108.5 - Iona et Peter Opie, The Lore and Language of Schoolchildren. Oxford : Oxford University Press, 1959, p. 21-36.

essentielle. Au cours de ce mémoire je n’ai pu explorer qu’une infime partie de ce champ de recherche qui recoupe de multiples disciplines et profes-sions (ethnologues, folkloristes, littéraires, linguistes, psychologues, socio-logues et spécialistes de l’enfance). Ces recherches autour de la culture enfantine ont permis un nouveau regard sur le monde de l’enfance et ouvrent ainsi la voie vers une nouvelle compréhension de cet âge de la vie. Analyser ainsi cette tradition orale a permis de la faire entrer dans les lieux d’éducation et c’est pourquoi on retrouve aujourd’hui toujours plus de comptines dans les crèches ou les maternelles. « Ainsi l’institution se fait pourvoyeuse de ce folklore auquel l’enfant s’initie sous l’œil approbateur d’adultes dépositaires d’une tradition qu’ils entretiennent pour mémoire autant que pour leur vertu pédagogique : nous puisons allègrement dans ces répertoires de chants et comptines traditionnels qui jouent de rimes et de répétitions, d’allitérations ou de virelangues, autant d’atouts pour mémoriser ces formulettes […] un savoir à acquérir et dont l’adulte atteste et assume le passage. Un savoir devenu patrimoine4. » Les comptines dont nous avons parlées dans ce mémoire prennent un nouvel aspect. Collectées et utilisées par les adultes, comme nous avons pu le voir avec les enfantines, les virelangues ou les randonnées, ces formes énonciatives ont aujourd’hui un statut reconnu dans la littérature pour enfant ainsi qu’une valeur patrimoniale.

Cependant, ce mémoire se devant d’être concis et ne pouvant prétendre à l’exhaustivité, il ne fait pas état de la grande adaptation des comptines à leur époque. Les comptines étudiées ici tendent, aujourd’hui, à faire partie de ce que les chercheurs britanniques Iona et Peter Opie nomment les nurserie lore5. C’est à dire des éléments que l’adulte adresse à l’enfant pour l’amuser, l’éduquer ou l’endormir ; à la différence des productions circu-lant entre les enfants eux-mêmes, que ces chercheurs qualifient de folklore enfantin. La différence fondamentale entre ces deux folklores étant que celui des enfants évolue plus vite puisqu’il est beaucoup moins codifié par l’écrit.

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6- Pierre Lartigue, Une Cantine de comptines, édition Les belles lettres, coll. Architecture du verbe, 2001, p. 394.7 - Andy Arleo, « Le folklore enfantin peut-il contribuer à la sensibilisation précoce aux langues étrangères ? », p. 2, 2012. Version auteur d’un article paru dans Jacqueline Feuillet (dir.). « Les enjeux d’une sensibilisation très précoce aux langues étrangères en milieu institutionnel. » Nantes, Ed. du CRINI, pp. 219-234.

En effet, dans les cours de récréation des comptines bien moins vieilles (voire bien moins sages !) s’échangent, témoignant d’une culture enfantine bien vivante. Véritables complices d’une génération, les comptines accom-pagnent la vie de groupe dans les sociétés d’enfants et rythment les jeux. Les enfants les enrichissent en fonction de leur époque pour donner toujours de nouvelles formes d’amusement, comme en témoigne cette comptine reprise par Pierre Lartigue dans son livre Une Cantine de comptines6 :

« Un deux troisjambe de boisles droits de l’hommele roi de Romequoi ? trois pommesw w point com. »

Cet autre exemple décrit Par Andy Arleo7, est une comptine librement inspirée par l’émission télévisée Spiderman.

« L’araignée, l’araignéeEst tombée dans les WCJ’ai tiré la chass’d’eauElle est passée dans le tuyauBanga car l’araignée est là. »

Ainsi les médias, et la télévision et particulier, nourrissent le folklore enfantin.

Ces comptines dites « sauvages » que l’on retrouve exclusivement dans les cours de récréations, et qui organisent les jeux lorsque plusieurs enfants sont impliqués, sont particulièrement intéressantes car elles permettent de comprendre les structures de la société enfantine. C’est à ces jeux et enjeux de la récréation que je m’intéresse dans mes projets plastiques. Je réalise

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ainsi une série de petites animations à destination des parents pour expli-quer les règles et la vie de la société enfantine.

La collecte des comptines est finalement assez récente et la culture enfan-tine n’a pas encore livré tous ses secrets. Mais en attendant, les comptines sont en perpétuelle évolution et ne sont pas prêtes de disparaître comme pouvait déjà le laisser entendre les premiers folkloristes.

Fin

« Une balle en ortu sors ! »

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OUVRAGES

Andy ARLEO et Julie DELALANDE, Culture(s) enfantine(s), universalité et diversité, Presse univer-sitaire de Rennes, 2011.

Andy ARLEO, André-Marie DESPRINGRE, Chants enfantins d’Europe, édition l’Harmattan, 1997.

André BAY, Trésor de Comptines, édition Christian de Bartillat, 1986.

Jean BAUCOMONT et Philippe SOUPAULT, Comptines de langues française, édition Seghers, 1961. Enquête radio, analyses et commentaires (1957).

Patrick BEN SOUSSAN, Anne H. BUSTARRET, Marie-Hélène CAZALET, Mimi CONTESSE, Michèle MOREAU, 1, 2, 3... comptines ! édition Erès, 2005 (édition originale 2001).

Marie BONNAFÉ, Les Livres c’est bon pour les bébés, collection Pluriel Hachette/Littérature, 2003 (édition originale Calmann-Levy, 1994).

Bénédicte de BOYSSON-BARDIES, Comment la parole vient aux enfants. De la naissance jusqu’à deux ans, édition Odile Jacob, 1999.

Marie-Claire BRULEY et Marie-France PAINSET, Au Bonheur des comptines, éditions Didier Jeunesse, coll. Passeurs d’histoires, 2007.

Anne H. BUSTARRET, L’Oreille tendre, pour une éducation auditive, édition Enfance heureuse, 1998.

Françoise CARECCHIO, La Culture des jeux, une poétique enfantine : La socialisation des jeunes enfants en milieu scolaire édition l’Harmattan, 2011.

Bibliographie

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L'Héritage des comptines

Marie-France CASTARÈDE, La Voix et ses sortilèges, édition les Belles lettres, 1987.

COLETTE, « Le Curé sur le mur » Colette, recueil de textes édition Hachette, 1994. Édition origi-nale La Maison de Claudine, Édition Hachette, 1922.

Alain DELBE, Le Stade vocal, édition l’Harmattan, 1995.

Michel DEFOURNY, Le Livre et l’enfant édition De Boeck, 2009.

ELZBIETA, L’Enfance de l’art, édition de Rouergue, 2005 (édition originale 1997).

Germaine FORGES et Alain BRAUN, Didactique des langues, traductologie et communication, édition De Boeck & Larcier, 1998.

Dora FRANÇOIS-SALSANO, Découvrir le plurilinguisme dés l’école maternelle, édition l’Harmattan, 2009.

Claude GAIGNEBET, Le Folklore obsène des enfants, édition maison neuve & Larose, 2002 (édition originale, 1980).

Marie GOËTZ-GEORGES, Apprendre à parler avec des comptines, 30 activités pour développer les compétences langagières, édition Retz, 2007.

Rémy GUICHARD, Anthologie de la comptine traditionnelle francophone, édition Eveil et Découvertes, 2008.

Odile KOLP -TRÉMOUROUX, Le Chemin des comptines, édition Labor Éducation, 1998.

Pierre LARTIGUE, Une Cantine de comptines, édition Les belles lettres, coll. Architecture du verbe, 2001.

Iona et Peter OPIE, The Lore and Language of Schoolchildren. Oxford : Oxford University Press, 1959.

Evelyne RESMOND-WENZ, Rimes et comptines une autre voix, édition Érès, collection mille et un bébés, les bébés et la culture, 2005 (édition originale 2003).

Eugène ROLLAND, Rimes et jeux de l’enfance, édition Maisonneuve & Larose, 2002. (Édition origi-nale, Maison-neuve, 1883).

Pierre ROY, Cent comptines édition originale H. Jonquières, 1926.

Joëlle TURIN, Ces Livres qui font grandir les enfants, édition Didier jeunesse, collection passeurs d’histoire, 2008.

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Bibliographie

ALBUMS

Delphine CHEDRU, La Petite bête qui monte, édition hélium, 2009.

Delphine CHEDRU, Cherche la petit bête, édition Naïve, 2008.

Martine BOURRE, Ainsi font, font, font, édition Didier Jeunesse, coll. Pirouette, 2002.

Christian BRUEL (auteur), Nicole CLAVELOUX (illustratrice), Alboum, éditions Etre, 1998.

ELZBIETA, Petit lapin Hoplà, édition l’école des loisirs, 2001.

Martin HANDFORD, Où est Charlie ? édition Günd, 1987.

David MCKEE, Elmer, édition Kaléidoscope, 1993 (édition originale anglaise 1989).

Jean-Hugues MALINEAU (Auteur), Quatre coqs coquets, édition Albin Michel jeunesse, 2005.

Jean-Hugues MALINEAU (Auteur), PEF (illustrateur), Dix dodus dindons, édition Albin Michel jeunesse, 1999.

Bruno MUNARI, Il merlo ha perso il becco, éditions Corraini, 1987.

Evelyne RESMOND-WENZ (Auteur), Martine BOURRE (Illustrateur), Les Jeux chantés des tout-petits 0-3 ans (1 cd audio), édition Didier Jeunesse, Col. les petit lascard, 2007.

Lya TOURN et Marie-Claire BRULEY (Auteurs), Philippe DUMAS (Illustrations), Enfantines, édition L’École des loisirs, 2001.

PEF, La Belle lisse poire du prince de Motordu, édition Gallimard Jeunesse, 2001, édition originale 1980.

Margaret WISE BROWN (auteur), Clément HURD (illustrateur), Goodnight Moon, édition HarperCollins, 1947.

Livre numérique, Comptines pour enfants : Les Cris des animaux. Anuman Interactive, 2010.

ARTICLES ET REVUES

Andy ARLEO, « Les concepts darwiniens et l’étude de la tradition orale chez les enfants : méta-phore ou modèle ? » dans L’Héritage de Charles Darwin dans les cultures européennes, sous la direction de Racisme et eugènisme, édition l’Harmattan, 2011.

Andy ARLEO, « Do children’s rhymes reveal universal metrical patterns ? » Bulletin de la Société de Stylistique Anglaise 22 (2001) : 125-145.

Andy Arleo, « Le folklore enfantin peut-il contribuer à la sensibilisation précoce aux langues étrangères ? », 2012. Version auteur d’un article paru dans Jacqueline Feuillet (dir.). « Les enjeux d’une sensibilisation très précoce aux langues étrangères en milieu institutionnel. » Nantes, Ed. du CRINI, pp. 219-234.

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L'Héritage des comptines

Jean Baucomont, « Comptines et formulettes enfantines » dans Vie et language, n° 73, 1958.

Joëlle TURIN « Quand les livres grandissent avec les bébés », dans Parole n° 3 La revue de l’insti-tution suisse jeunesse et médias, AROLE, 2010.

Marc SORIANO « Contes d’animaux, contes d’avertissement, formulettes : L’Enfance de l’art »dans La Revue des livres pour enfants n° 107-108-Printemps 1986.

CITROUILLE, la revue des librairies sorcières.

HORS CADRES, Observatoire de l’album et des littératures graphiques.

SITES INTERNET

Wikipédia.http://www.wikipedia.org/

l’Encyclopédie universalis.http://www.universalis.fr/.article : « Comptine », Nicole Quentin-Maurerarticle : « Formulette », Marc Sorianoarticle : « Tradition Orale », Pascal BoyerJuin 2010

Encyclopédie Larousse en ligne.http://www.larousse.fr/encyclopedie/nom-commun-nom/comptine/35820

Bibliothèque municipale de Lyon.Page spéciale à l’occasion du printemps des petits lecteurs 2009.http://www.bm-lyon.fr/printemps-petits-lecteurs09/comptines.php

Site du Label Au merle moqueur.http://www.enfancemusique.com/

Petitestêtes. comDécouvrir et inventer le monde. Le site des enfants et de leurs parents.http://www.petitestetes.com/

ACCES, Action Culturelle Contre les Exclusions et les Ségrégations.http://www.acces-lirabebe.fr/actu.php

La Grande oreille, La revue des arts de la parole.http://www.lagrandeoreille.com/

Site du salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denishttp://www.salon-livre-presse-jeunesse.net/accueil.html

Site de l’institut Suisse Jeunesse et Médiashttp://www.isjm.ch/isjm.html

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Bibliographie

Site critique sur la littérature jeunesse.http://www.ricochet-jeunes.org/sommaire

Citrouille : site des librairie sorcière (littérature jeunesse).http://lsj.hautetfort.com/

l’association croclivre.http://www.croqulivre.asso.fr/

Édition Didier jeunesse.http://www.didierjeunesse.com/

DVD

Marie DESMEUZES, Les Livres c’est bon pour tous les bébés, documentaire sur les actions de l’ACCES, 2009.

Valérie LUMBROSO, Le Langage avant les mots, 26 minutes Collection documentaire L’Enfance pas à pas. Coproduction Guilgamesh/ARTE France, 2003.

Thierry MERCADAL, L’Univers des mots tordus de Pef. Documentaire. Production On stage, 2007

Alain MORENTON, Geneviève SCHNEIDER, Marie FRAPSAUCE, Jeux de doigts. Production Au merle moqueur, 2010.

MÉMOIRES ET THÈSES

Camille ESPOSITO et Saskia QUARELLO, Les Comptines : un outil dans les apprentissages. Institut Universitaire de Formation des Maîtres, de l’académie d’Aix-Marseille, Site d’Aix-en-Provence. 2005-2006.

Fanny VAILLAT, Rôle et fonction de la comptine à l’école maternelle, octobre 2010.Consultable sur le site http://www.lelutin.com/spip.php.

Pour aller plus loin, la Bibliographie : jeu et folklore enfantins (aires francophones) de l’univer-sitée de Nantes, regroupe tout les ouvrage de recherche autout de la culture enfantine.Elle est disponible à l’adresse suivante : http://nantilus.univ-nantes.fr/slide/files/projects/nantes/doctype/doc-pdf/doc-pdf-1202977103457-193.52.101.167.pdf

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L’Héritagedes comptinesQuelques pistes pour s’adresseraux jeunes enfants.

Il est particulièrement difficile de comprendre les enfants et donc plus encore de créer des objets à leur intention. C’est dans cette optique que ce mémoire s’intéresse aux comptines. Ces formes énonciatives sont les premières créations destinées exclusive-ment aux plus jeunes. Elles sont spécifiquement adaptées aux enfants et les jeux qu’elles proposent sont de véritables outils didactiques pour faire entrer ces derniers dans les codes de la communication orale et écrite. Le plus souvent sous la forme de jeux, les comptines vont aider l’enfant à prendre possession du langage, à organiser ses idées et à les communiquer aux autres.

En partant de la naissance jusqu’à la fin du primaire, nous verrons que ces formulettes s’adaptent à chaque étape de l’apprentissage de la communication : apprendre à parler, apprendre à lire et à écrire et enfin apprendre à organiser sa pensée. Autant d’étapes indispensables et complexes que les comptines aident à traverser avec rigueur et légèreté.

Les comptines ont déjà trouvé leur place dans les structures telles que les crèches et les maternelles. De plus, la littérature pour enfants s’en nourrit et si l’on se penche sur ses mécanismes, cette tradition orale est une source d’inspiration qui peut réellement nous aider à mieux cerner les préoccupations des plus jeunes.