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Elle l’avait dit, elle l’a fait. Marine Le Pen assurait que la surprise viendrait de son camp. Promesse tenue. Aucun sondage depuis l’été ne l’avait pla- cée au-dessus de 17 %. Avec un point de plus, elle déjoue la plupart des pronostics et oblige les deux finalistes à labourer des terres inconnues. Car s’il est une leçon de ce premier tour, c’est bien que près d’un tiers des Français ont exprimé en votant Marine Le Pen à la droite extrême ou Jean-Luc Mélenchon à la gauche de la gauche une exaspération grandissante à l’égard d’une démocratie parlementaire flageolante. Et sans doute une défiance vis-à-vis des politiques économiques et européennes suivies depuis trente ans. Que dire et que faire pour apaiser la colère de ces électeurs et les rassurer sur le sens de l’Histoire que les deux finalistes vont devoir écrire d’ici le deuxième tour et pendant les cinq années qui viennent ? C’est désor- mais la problématique de cette élection dont l’issue décidément restera incertaine jusqu’au bout. Ces électeurs « antisystème » sont-ils tous des anti- Européens convaincus, partisans d’une France repliée sur elle-même, fermée aux étrangers, et persuadés que la crise identitaire sera résolue par le bâton sécuritaire ? Pour une partie d’entre eux peut-être, mais la majorité des Français qui se sont massivement déplacés dimanche pour voter Le Pen, Mélenchon, mais aussi Dupont-Aignan, Poutou ou Arthaud, l’ont d’abord fait pour témoigner de leur angoisse et de leur ras-le-bol d’une société dont ils se sentent mal-aimés voire exclus. Que proposer à ces millions de Français qui se sentent voués à la précarité et à l’insécurité citoyenne ou sociale ? C’est à eux que François Hollande et Nicolas Sarkozy vont devoir parler en priorité. Le Président sortant, dès dimanche soir, a montré qu’il entendait poursuivre sur le chemin de droite choisi dès son entrée en campagne. Pour François Hollande la voie sera autre mais l’objectif identique. Ramener dans le giron des partis de gouver- nement ceux qui aujourd’hui semblent en refuser les règles du jeu. Et tenter de les convaincre qu’il y a d’autres routes que le rejet pour affronter la crise. En cela il ne s’agit pas seulement d’une médiocre « pêche aux voix », mais de la nécessité absolue de rassembler autour du prochain Président la majorité la plus large possible. C’est pour lui le seul moyen d’éviter que la rue devienne rapidement plus bruyante que les tribunes de l’Assemblée nationale ou du Sénat. Quoi qu’il en soit, au soir du 6 mai, la fête sera de courte durée et l’état de grâce, une séquence à peine plus longue que le temps de l’investiture. Les 18 % de Le Pen et les 11 % de Mélenchon l’ont sèchement signifié ce dimanche. Et aussi Édito Robert Namias Gérant-Directeur de la publication : Bruno Pelletier Directeur : Robert Namias L’HÉMICYCLE www.lhemicycle.com Face à face Hollande-Sarkozy T out est possible. Vraiment ? L’entre-deux-tours offre aux fi- nalistes une perspective à coup sûr différente de ce qu’elle a été depuis des mois. En particulier depuis que la campagne avait mis sur le même plan et au même niveau Philippe Poutou ou Nicolas Sarkozy, Jacques Cheminade ou François Hollande. La démocratie a parfois des vertus qui ressemblent à des vices. Pour autant, après ces dernières semaines de campagne, et avec cette diversité de candidatures, le premier tour a permis aux Français de s’exprimer et de dessiner au kaléidoscope la France qu’ils composent. Le 22 avril a donné au Président sortant et au candidat socialiste une photographie réelle et pas seulement sondagière de la France que l’un ou l’autre dirigera dans deux petites semaines. À eux maintenant de reconstituer le puzzle. Mais chacun sait bien que les contours de la majorité qui au final les soutiendra sont déjà tracés en filigrane dans les résultats du premier tour. Les Français ne sont pas versatiles au point pour la plupart d’entre eux de ne pas déjà avoir choisi leur camp pour le deuxième tour. Et c’est pour- quoi la période de l’entre-deux-tours est plus une période de confirmation que de bouleversement. Tout ne redevient donc pas possible et beaucoup est déjà écrit. Pour autant l’histoire n’est pas terminée, tant que le point final n’aura pas été inscrit au bas de la page élec- torale le 6 mai à 20 heures. Et c’est heureux, sinon à quoi bon une élection à deux tours ! Qui permettra notam- ment aux électeurs de Marine Le Pen de s’exprimer à nouveau et éventuelle- ment de faire pencher la balance. C’est l’espoir de l’un et la crainte de l’autre. Paul Fournier > Lire p. 2 et 3 NUMÉRO 444 — MERCREDI 25 AVRIL 2012 — 2,15 ¤ Trouble-fête FRED DUFOUR/AFP Meetings et rendez-vous télévisés, François Hollande et Nicolas Sarkozy doivent s’adresser en priorité aux dix millions de Français qui ont voté Marine Le Pen ou François Bayrou. Ce double objectif servira de toile de fond au débat qui aura lieu entre les deux candidats le 2mai. Adepte de la philosophie du « ni dieu ni maître », Malek Boutih préfère l’héroïsme des anonymes à la gloire des personnages hors du commun. > Lire l’admiroir d’Éric Fottorino p. 15 Alors que le Nord-Pas-de-Calais a annoncé le déploiement de la fibre optique d’ici 2025, pour nombre de villages, l’Internet illimité reste encore un mirage technologique. Face à la menace d’une fracture numérique déjà évoquée dans le rapport Attali, les élus ruraux improvisent. > Lire l’article de Ludovic Bellanger p. 8 et 9 Malek Boutih, chantre des héros inconnus Les régions PIERRE VERDY/AFP > Jean-Marc Lech > P. 2 Au sommaire Une majorité à géométrie variable ? par Nathalie Segaunes La victoire du peuple par Marc Tronchot > p. 4 L’après-6 mai et les dossiers qui attendent le Président par Axel de Tarlé > p. 7 ÉRIC FEFERBERG/AFP BERTRAND GUAY/AFP Les régions exposées aux déserts numériques

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l'Hémicycle numéro 444 du mercredi 25 avril 2012 Au sommaire : - Une majorité à géométrie variable ? par Nathalie Segaunes - La victoire du peuple par Marc Tronchot >p. 4 - L’après-6 mai et les dossiers qui attendent le Président par Axel de Tarlé >p. 7

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Page 1: l'Hémicycle - #444

Elle l’avait dit, elle l’a fait. Marine LePen assurait que la surprise viendraitde son camp. Promesse tenue. Aucunsondage depuis l’été ne l’avait pla -cée au-dessus de 17 %. Avec un pointde plus, elle déjoue la plupart despronostics et oblige les deux finalistes

à labourer des terres inconnues. Car s’il est une leçon dece premier tour, c’est bien que près d’un tiers des Françaisont exprimé en votant Marine Le Pen à la droite extrêmeou Jean-Luc Mélenchon à la gauche de la gauche uneexaspération grandissante à l’égard d’une démocratieparlementaire flageolante. Et sans doute une défiancevis-à-vis des politiques économiques et européennessuivies depuis trente ans.Que dire et que faire pour apaiser la colère de cesélecteurs et les rassurer sur le sens de l’Histoire que lesdeux finalistes vont devoir écrire d’ici le deuxième touret pendant les cinq années qui viennent ? C’est désor-mais la problématique de cette élection dont l’issuedécidément restera incertaine jusqu’au bout.Ces électeurs « antisystème » sont-ils tous des anti-Européens convaincus, partisans d’une France repliéesur elle-même, fermée aux étrangers, et persuadés quela crise identitaire sera résolue par le bâton sécuritaire ?Pour une partie d’entre eux peut-être, mais la majoritédes Français qui se sont massivement déplacésdimanche pour voter Le Pen, Mélenchon, mais aussiDupont-Aignan, Poutou ou Arthaud, l’ont d’abord faitpour témoigner de leur angoisse et de leur ras-le-bold’une société dont ils se sentent mal-aimés voire exclus.Que proposer à ces millions de Français qui se sententvoués à la précarité et à l’insécurité citoyenne ou sociale ?C’est à eux que François Hollande et Nicolas Sarkozyvont devoir parler en priorité. Le Président sortant, dèsdimanche soir, a montré qu’il entendait poursuivre surle chemin de droite choisi dès son entrée en campagne.Pour François Hollande la voie sera autre mais l’objectifidentique. Ramener dans le giron des partis de gouver -nement ceux qui aujourd’hui semblent en refuser lesrègles du jeu. Et tenter de les convaincre qu’il y a d’autresroutes que le rejet pour affronter la crise.En cela il ne s’agit pas seulement d’une médiocre« pêche aux voix », mais de la nécessité absolue derassembler autour du prochain Président la majoritéla plus large possible. C’est pour lui le seul moyend’éviter que la rue devienne rapidement plus bruyanteque les tribunes de l’Assemblée nationale ou du Sénat.Quoi qu’il en soit, au soir du 6 mai, la fête sera de courtedurée et l’état de grâce, une séquence à peine pluslongue que le temps de l’investiture. Les 18 % de Le Penet les 11 % de Mélenchon l’ont sèchementsignifié ce dimanche.

Et aussi

ÉditoRobert Namias

Gérant-Directeur de la publication : Bruno Pelletier Directeur : Robert Namias

L’HÉM

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LE

www.lhemicycle.com

Face à faceHollande-Sarkozy

Tout est possible. Vraiment?L’entre-deux-tours offre aux fi-nalistes une perspective à coup

sûr différente de ce qu’elle a été depuisdes mois. En particulier depuis que lacampagne avait mis sur le même planet au même niveau Philippe Poutouou Nicolas Sarkozy, Jacques Cheminadeou François Hollande. La démocratie aparfois des vertus qui ressemblent à desvices. Pour autant, après ces dernièressemaines de campagne, et avec cettediversité de candidatures, le premier toura permis aux Français de s’exprimer etde dessiner au kaléidoscope la France

qu’ils composent. Le 22 avril a donnéau Pré sident sortant et au candidatsocialiste une photographie réelle etpas seulement sondagière de la Franceque l’un ou l’autre dirigera dans deuxpetites semaines. À eux maintenant dereconsti tuer le puzzle. Mais chacun saitbien que les contours de la majorité quiau final les soutiendra sont déjà tracésen filigrane dans les résultats du premiertour. Les Français ne sont pas versatilesau point pour la plupart d’entre euxde ne pas déjà avoir choisi leur camppour le deuxième tour. Et c’est pour -quoi la période de l’entre-deux-tours est

plus une période de confirmation quede bouleversement. Tout ne redevientdonc pas possible et beaucoup est déjàécrit. Pour autant l’histoire n’est pasterminée, tant que le point final n’aurapas été ins crit au bas de la page élec-torale le 6 mai à 20 heures. Et c’estheureux, sinon à quoi bon une électionà deux tours ! Qui permettra notam-ment aux électeurs de Marine Le Pende s’exprimer à nouveau et éventuelle-ment de faire pencher la balance. C’estl’espoir de l’un et la crainte de l’autre.

Paul Fournier> Lire p. 2 et 3

NUMÉRO 444 — MERCREDI 25 AVRIL 2012 — 2,15 ¤

Trouble-fête

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Meetings et rendez-vous télévisés, François Hollande et Nicolas Sarkozydoivent s’adresser en priorité aux dix millions de Français qui ont votéMarine Le Pen ou François Bayrou. Ce double objectif servira de toilede fond au débat qui aura lieu entre les deux candidats le 2 mai.

Adepte de la philosophie du « ni dieu nimaître », Malek Boutih préfère l’héroïsmedes anonymes à la gloire des personnageshors du commun.> Lire l’admiroir d’Éric Fottorino p. 15

Alors que le Nord-Pas-de-Calais a annoncé le déploiement de lafibre optique d’ici 2025, pour nombre de villages, l’Internet illimitéreste encore un mirage technologique. Face à la menace d’unefracture numérique déjà évoquée dans le rapport Attali, les élusruraux improvisent. > Lire l’article de Ludovic Bellanger p. 8 et 9

Malek Boutih,chantre des héros inconnus

Les régions

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Jean-MarcLech> P. 2

Au sommaire • Une majorité à géométrie variable ?par Nathalie Segaunes • La victoire du peuple parMarc Tronchot > p. 4 • L’après-6 mai et les dossiersqui attendent le Président par Axel de Tarlé > p. 7

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Les régions exposéesaux déserts numériques

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Est-il exact de dire qu’au soirdu premier tour commenceune autre campagne ?C’est une autre campagne à unecondition : que les téléspectateurs-électeurs soient surpris par le résul-tat de 20 heures. Cette campagnede 2012 a été rythmée par plusieurscentaines de sondages, relativementcontradictoires. L’entourage de Ni-co las Sarkozy a exercé une pressionmédiatique pour démontrer quel’entrée en campagne du Présidentsusciterait une dynamique, que lescourbes allaient se croiser entre lecandidat de l’UMP et celui du Partisocialiste, et que le chef de l’État dé-boulerait en tête au soir du premiertour. Mais les résultats des sondagesn’ont pas tous validé ce schéma,loin de là. Autre élément importantpour établir le lien entre le scoredu premier tour et la suite : cetteannée, nous n’avons pas assisté àune campagne de supporters, maisde spectateurs. Le public s’attenddonc à un ordre d’arrivée et à desscores. Si les résultats sont différentsdes attentes, par exemple en ce quiconcerne la performance des pe -tits candidats, l’écart entre NicolasSarkozy et François Hollande oul’ordre d’arrivée entre Jean-LucMélenchon et Marine Le Pen,alors des éléments de mobilisationpeuvent varier. J’ajoute un bémolsur l’influence des surprises : ledimanche soir, à 22 heures, tom-bent les premiers sondages sur lesecond tour réalisés auprès de per-sonnes connaissant les résultatsdu premier. Ce sont ces sondagesqui fixent le tableau de bord des

deux acteurs pour les quinze joursqui suivent ; c’est à partir de cessondages que s’orientent les voixlibérées par les candidats élimi -nés, qui se rabattent alors sur unautre candidat, par discipline decamp, ou, au contraire, par indis -cipline, ou enfin par désir de neplus participer.

Connaît-on toujours le vainqueurde l’élection dès le soir du premiertour ?Cela a été le cas à chaque fois depuisplus de trente ans. Il faut remonterà 1974 pour assister à un vrai sus-pense, mais cette élection était sin-gulière : publicité politique dans larue, premier débat télévisé – c’étaitle début de la modernité. Cetteannée-là, nous avions même faitdes enquêtes après le face-à-faceà la télévision, en réunissant desgens dans des salles – les résultatsavaient été très contestés !

En quoi arriver en tête au premiertour est-il ou non un enjeu ?Cela n’a jamais été un enjeu. C’estNicolas Sarkozy qui a fait de ce casde figure une clé en 2007, parceque cela servait ses intérêts…

De 1965 à 2007, quelle typologie desentre-deux-tours peut-on établir ?En général, il ne se passe pas grand-chose, tous les entre-deux-tours se

sont ressemblé. En 2007, le débatincongru entre Ségolène Royal etFran çois Bayrou, retransmis surBFM TV, aurait pu être stratégique :je persiste à penser que si le candi -dat centriste avait clairement appeléà voter pour la socialiste, cette der-nière aurait pu l’emporter. L’excep-tion qui confirme la règle, c’est 1988,

un cas vraiment particulier : rienn’a bougé entre les deux tours, saufl’actualité, avec des événements ex-térieurs aux deux candidats trèsforts : le drame d’Ouvéa, en Nou-velle-Calédonie, et la libération desotages français retenus au Liban. Etpourtant jamais le score de FrançoisMitterrand et de Jacques Chiracn’a varié, alors qu’était réalisé, pourla première fois cette année-là, unsondage quotidien entre le premiertour et le second.

Quelles sont les lignes susceptiblesde bouger au cours des quinze jours ?Les sondages ont deux effets psy-chologiques contradictoires, maisincontestables. D’abord, une partiede l’électorat vole au secours de lavictoire, elle veut monter à bord dutrain. Ces gens-là veulent donnerde la légitimité à l’autorité. Leurnombre fluctue vraiment en fonc-tion des scrutins. L’autre effet, c’estcelui qui incite certains à allerau secours du perdant. En 2012,

Nicolas Sarkozy ne bénéficie pas desuffisamment de sympathie pouren bénéficier.

Quel rôle joue le rendez-vousdu débat télévisé ?La surprise essentielle est venue du« monopole du cœur », et ce n’estpas un hasard si c’était au cours du

tout premier débat, en 1974. À par-tir de ce moment, tout le monde vachercher des formules. Les débatssont très corsetés : pas de contre-champ, le réalisateur officiel a à sescôtés un responsable de chaquecamp. Pendant le débat entre Nico-las Sarkozy et Laurent Fabius, dansl’émission Des paroles et des actessur France 2, le 7 mars, on a vu unecaméra au-dessus du Président fil-mant les notes qu’il avait sous lesyeux, avec des phrases soulignéesau Stabilo jaune. C’est impensablependant un débat entre les deuxfinalistes. Il ne faut pas davantagecroire que cette émission mobiliseles abstentionnistes. Les téléspec -tateurs viennent voir en massel’affrontement, mais l’impact estfaible. Ce moment de télévision sertà cadrer les images pour la suite,c’est comme si on assistait à la cé ré-monie d’investiture avant l’heure,dans un studio et pas encore àl’Élysée. Cela dit, une surprise esttoujours possible. Cette année, elle

consisterait à redécouvrir un Ni co-las Sarkozy inattendu, qui prouve-rait qu’il a changé (et non qui secontenterait de l’affirmer une foisde plus) ; ou un François Hollandebeaucoup plus pétillant que pen-dant la campagne – il a un sourireenjôleur que n’a pas Sarkozy.

On se souvient de Jacques Chiracen 1981 (votant « à titre personnel »pour Giscard mais refusant dedemander à ses partisans dele faire) ou de Raymond Barreapparaissant aux côtés de Chiracen 1988. Quelle influence ontles consignes de vote donnéespar les candidats ?Normalement, les candidats sontobligés de refléter leur électorat. SiJean-Luc Mélenchon ne donnait pasune consigne en faveur de FrançoisHollande, il se mettrait dans unegrande difficulté par rapport àses pro pres partisans. Aujourd’hui,l’atti tude qu’a eue Jacques Chiracen 1981 aurait une importance plusgrande qu’à l’époque, car les médiasla décrypteraient à l’infini. De ma-nière plus générale, les consignes devote sont désormais beaucoup moinsclaires qu’avant : il y a moins d’obéis-sance vis-à-vis de celui qui donneune consigne, et le leader délivre lui-même des instructions moins clairesqu’avant. On sait par exemple que,quelles que soient les consignes,entre 15 % et 20 % des électeursdu FN votent pour le candidat degauche. Propos recueillis

par Éric MandonnetRédacteur en chef adjoint

de L’Express

2 L’HÉMICYCLE NUMÉRO 444, MERCREDI 25 AVRIL 2012

Agora

Selon le coprésident d’Ipsos, à l’exception de 1974 où l’incertitude a demeuré jusqu’au résultatfinal, on a toujours pu lire le résultat du deuxième tour dans celui du premier. Pour Jean-MarcLech, les désistements annoncés et le débat de l’entre-deux-tours n’ont que peu d’influencesur le choix des électeurs.

«Le fait pour un candidat d’arriver en tête au premier tour n’ajamais été un enjeu. C’est Nicolas Sarkozy qui a fait de ce cas

de figure une clé en 2007, parce que cela servait ses intérêts… »

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JEAN-MARC LECHPOLITOLOGUE,COPRÉSIDENT D’IPSOS

«LES TÉLÉSPECTATEURS VIENNENT VOIR ENMASSE LE DÉBAT DE L’ENTRE-DEUX-TOURS

MAIS L’IMPACT EST FAIBLE »

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Quel est l’enjeu d’un second tour ?Il s’agit pour les deux finalistes deparler directement à l’imaginairedu pays, à la façon dont il s’appro-prie le réel et de lui proposer desvoies de résolution des questionsqui le hantent au moment précisde l’élection. Cette fois-ci, il y adeux questions. La première : avecla crise de la dette souveraine et lequinquennat de Nicolas Sarkozy, safaçon d’être et de faire, notre pays,avec son modèle social et républi-cain, a-t-il encore un avenir dansle monde tel qu’il est ? La seconde :quelle est la place de chacun descitoyens au sein de la nation ? Cesdeux questions taraudent les Fran-çais, avant même la question deleur propre situation personnellesur le plan économique et social.Ils se demandent si ce ne sont pasdésormais les marchés financiersqui imposent leur loi aux peuplessouverains, si au nom de la pré -servation de ce qu’on est (et quireprésente peut-être le risque demourir à petit feu) ou au nom dela survie nous devons ou pas re-noncer à ce que nous sommes.

Peut-on généralement lire dansles résultats du premier tour lerésultat du second ? Autrement dit,connaît-on généralement le nomdu gagnant dès le premier tour ?Le second tour n’est pas une simpleprojection du premier. La présiden-tielle réactive notre imaginairepoli tique qui est une « dispute com-mune ». La diversité qui nous carac-térise doit s’encastrer par le politiquedans le commun. La campagne met

en scène la dispute. Au premier tourles choix qui traversent le pays sedéploient sur la dimension tem -porelle des candidats, leur projet,leur programme. Au second tour ladispute s’encastre dans la dimen-sion spirituelle des candidats, leurcapacité à incarner le commun.Selon les moments historiques, cesont davantage le commun ou ladiversité qui sont en avant. Depuisles dernières élections présiden-tielles, le second tour n’est pas leprolongement mécanique du pre-mier car la dimension de person -nalisation est plus importante dansles périodes où les Français pensentque demain sera pire. L’incarnationdevient alors essentielle, car ce quitient ensemble le pays n’est plusla promesse d’un avenir meilleurdont on se disputerait idéologique-ment le contenu, mais l’identifica-tion à une image commune.

Malgré cette dimensionpersonnelle, les reports de voixrestent quand même un pointessentiel ?Évidemment les logiques politi quesde reports de voix demeurent. Dece point de vue, François Hollandeest dans une meilleure situation, àtout le moins plus simple. Il peutbénéficier des reports de Jean-LucMélenchon. L’électorat de gaucheest un continuum. Celui-ci est anti -libéral et pas anticapitaliste.Nicolas Sarkozy, lui, ne peut pasbénéficier d’un tel report du FN,composé de trois familles : la droitede la droite, un courant d’extrêmedroite dure assez minoritaire et un

courant renvoyant gauche et droitedos à dos.Seules la première et une partie dela deuxième peuvent éventuelle-ment se reporter sur lui.L’électorat de François Bayrou est,lui, le plus à même de faire basculerl’élection car il est tiraillé entrela dimension temporelle du pro-gramme économique qui le rap-proche de Nicolas Sarkozy et ladimension spirituelle d’incarna-tion de la fonction présidentiellequi l’en éloigne.

Quel est l’enjeu de l’entre-deux-tourspour François Hollande ?Il doit faire la démonstration qu’ily a un autre chemin pour sortir lepays de l’ornière. Il doit montrer quela justice sociale et le rassemblementseront au service du redressementet non l’inverse, de sorte à gagnerl’électorat centriste. Il doit aussiconvaincre qu’il sera en capacité detrancher et de prendre des décisionsdifficiles au nom de l’intérêt géné-ral, au-dessus des parties prenanteset non au milieu d’elles. Le futurPrésident doit faire la preuve qu’iln’est l’otage de personne.

Et pour Nicolas Sarkozy ?Il doit donner à voir là où il veutamener le pays : quelle est la fina-lité de son énergie et de son ac-tion ? Veut-il banaliser ce que noussommes ou faire perdurer notresingularité ? Ses mots plaident pournotre modèle mais ses actes aurontsemblé être l’inverse, décrédibili-sant de fait sa parole… Ainsi a-t-ilretenu la leçon qu’on ne jouait pas

avec la symbolique présidentielleet, si oui, quelles conclusions entire-t-il ? La crédibilité de la paroleest, depuis le début, un enjeucrucial.

Leur face-à-face sera-t-ilaussi violent qu’attendu ?Je ne le crois pas. Aucun des deuxn’y a intérêt car ce face-à-face serale moment le plus attendu de lacampagne. Chacun devra aller aucœur de notre imaginaire. L’empor -tera celui qui parviendra à résoudreles tensions des Français tout enétant dans sa propre cohérence.

À quel autre face-à-facele comparer ?Au face-à-face Mitterrand/Giscardde 1981. Comme cette fois-ci, ily avait d’un côté un Président ex-périmenté et de l’autre un challen-ger menaçant. Par rapport à tousles autres duels où un Présidentsortant était l’un des deux prota-gonistes, Nicolas Sarkozy a unespécificité. Traditionnellement, lePrésident sortant porte le poids despolitiques menées, des promessestenues et non tenues. A fortiori, dansune période de crise, c’est toujoursplus difficile pour les sortants. Onleur reproche leur bilan, ce qu’ilsont fait ou n’ont pas fait. Mais àcela, Nicolas Sarkozy ajoute uneautre chose. Au-delà de son action,ce qui lui aura été avant tout re-proché est sa façon d’être et defaire, c’est-à-dire son manque deconcordance avec la dimensionspirituelle attendue de la fonctionprésidentielle.

On peut donc en déduire que cetteélection aura une dimensionréférendaire…Non. Le danger du terme « réfé-rendum », c’est de penser qu’uneprésidentielle peut se gagner parsimple rejet du sortant. Ce n’est pasaussi simple. Une présidentielle segagne uniquement si l’adversairedu sortant donne à voir ce qu’estsa personnalité, son projet et sacohérence. Nous ne sommes pasles États-Unis. On ne gagne pasune élection présidentielle uni-quement en critiquant. FrançoisHollande a d’ailleurs globalementévité ce piège, qui est souvent lepéché mignon de la gauche. AuBourget, il a fait au pays un récitintégrant sa vision de la France,sa personne, son projet.

Le débat entre les deux finalistesa-t-il une conséquence électorale ?Cela peut arriver. En 1974, ledébat Giscard/Mitterrand avaitfait bouger les lignes en faveurdu premier, alors que les résultatsétaient très serrés. À l’inverse, en1981, leur second face-à-face avaittourné à l’avantage de Mitterrandet avait joué un rôle inverse. Leplus souvent le débat de l’entre-deux-tours a un effet de consoli-dation des représentations. C’estle « baisser de rideau » de la re-présentation présidentielle dontle citoyen-téléspectateur est lejuge ultime.

Propos recueillispar Ludovic Vigogne

Chef du service politiquede Paris Match

NUMÉRO 444, MERCREDI 25 AVRIL 2012 L’HÉMICYCLE 3

Agora

STÉPHANE ROZÈSPRÉSIDENT DE CONSEILS, ANALYSESET STRATÉGIES (CAP),ENSEIGNANT À SCIENCES-PO ET HEC

Pour Stéphane Rozès, c’est la personnalité du candidat et sa capacité à démontrer la cohérencede son projet qui détermineront la décision des électeurs… après avoir vérifié que ce projet seraen adéquation avec leur vision du monde.

«Depuis les dernières présidentielles, le second tour n’est pasle prolongement mécanique du premier car la dimension

de personnalisation est plus importante dans les périodes oùles Français pensent que demain sera pire »

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S’il était élu le 6 mai prochain,sur quelle majorité FrançoisHollande pourrait-il compter

pour diriger le pays ? Au lendemaindu premier tour de la présidentielle,qui a vu émerger sur la scène poli-tique une nouvelle force à gauche duParti socialiste, le Front de gauche(11,11 % des voix), la question, quenul n’aurait imaginé se poser il y asix mois seulement, circule avec in -sistance dans les états-majors. Le PSet Europe Écologie-Les Verts obtien-dront-ils à eux deux, aux législatives

des 10 et 17 juin, la majorité abso-lue dans la nouvelle Assemblée, quiseule permettrait au nouvel exé -cutif de s’affranchir de Jean-LucMélenchon, bien décidé à mettre desbâtons dans les roues de FrançoisHollande ? Rien n’est moins sûr.Une étude réalisée à l’automne 2011par l’Observatoire de la vie politi queet parlementaire et Le Monde mon-tre qu’à l’issue du redécoupage de2010 la gauche peut envisager dé -tenir dans le nouvel hémicycle envi-ron 300 sièges, alors que la majoritéabsolue s’établit à 289. Reste à savoircomment se répartiront ces 300sièges entre les différentes compo-santes de la gauche. L’accord concluen novembre 2011 entre le PS etEELV garantit à ces derniers la pos-sibilité de constituer un groupe, soitun minimum de 15 sièges. « Onaura 22-23 députés », prédit Jean-Vincent Placé, président du groupeécologiste au Sénat. Au PS, étantdonné le faible score de la candidateécolo au premier tour (2,28 %),on calcule plutôt que le groupeéco logiste comptera entre 15 et20 députés. Car dans certaines des60 circonscriptions « réservées » auxécolos, les socialistes locaux exige-ront une « revoyure » de l’accord,que la rue de Solférino sera bienen peine de leur refuser. « Il y a desendroits où cet accord posera unedifficulté, car on n’a pas tenu comptedes réalités locales », explique DanielVaillant, fin connaisseur de la carteélectorale au PS. Reste que les éco-logistes, quel que soit leur nombreà l’Assemblée, seront dans la nou-velle majorité : ils participerontau gouvernement, afin de « peser »

sur les sujets environnementaux,et soutiendront a priori la politiquedu gouvernement à l’Assemblée,notamment au plan économique.Le cas du Front de gauche s’an-nonce bien plus complexe pour lessocialistes. Même si le score de di-manche n’est pas à la hauteur desattentes, le parti de Mélenchoncompte bien surfer sur la dyna-mique de la présidentielle pourélargir son assise parlementaire. Ildispose aujourd’hui de 19 députéssortants, dont 15 communistes.« Notre espoir, c’est de doubler legroupe, et d’avoir une quarantaine dedéputés », annonce le communisteRoland Muzeau, actuel président dugroupe de la gauche démocrate etrépublicaine (GDR) à l’Assemblée.Fidèles à leur tradition, les commu-nistes ne passeront pas d’accordavec le PS pour les législatives. Maisdans un certain nombre de circons-criptions, étant donné le score éle -vé du Front national dimanche, ily aura des triangulaires, avec unrisque fort d’élimination de la gau -che. « Nous aurons peut-être besoin deprésenter un candidat unique de gau -che au premier tour, prévoit un res-ponsable PS. Mais Mélenchon sera-t-ild’accord ? » Tout cela se discuteraaprès le 6 mai entre PS et Front degauche. Mélenchon lui-même pour -rait être candidat aux législatives,à Paris ou dans le Val-de-Marne, etprésider ensuite le groupe au Palais-Bourbon. Même si cette hypothèsene semble pas faire l’unanimité chezles communistes. « Ce sujet n’estpas à l’ordre du jour », coupe RolandMuzeau, rappelant que « ce sontles députés qui élisent leur présidentde groupe. » Or les communistes, quiauront des candidats dans 75 %des circonscriptions (les six autresformations du Front de gauche serépartissant les 25 % de circonscrip-tions restantes), pèseront lourd dansle futur groupe du Front de gauche.Mais 11 % en avril pour Mélenchonsignifie-t-il automatiquement unsuccès en juin pour son parti ? Lesocialiste Daniel Vaillant n’ima-gine pas une quarantaine de dé -putés du Front de gauche dansl’Hémicycle le 26 juin. « Je ne croispas à la durabilité du vote Mélen-chon, dit-il. L’électorat vert ou d’ex-

trême gauche qu’il a siphonné à laprésidentielle retournera sur les can-didats verts et d’extrême gauche auxlégislatives. » L’extrême personnali -sation liée à la présidentielle em-pêche en outre de décalquer lerésultat obtenu dimanche parMélenchon, qui est une moyennenationale, au niveau des circons-criptions. En 2002, malgré les4,25 % des suffrages obtenus parOlivier Besancenot à la présiden-tielle de 2002 (1 210 562 voix), laLigue communiste révolutionnaireétait retombée à 1,27 % aux légis-latives (320 467 voix), quelquessemaines plus tard.L’objectif du Front de gauche estd’obtenir à l’Assemblée une mino-rité de blocage. Il ne participeraitpas, c’est ce qu’a annoncé Mélen-chon, au gouvernement, et déci -derait « texte par texte », expliqueMuzeau, de son soutien ou non àla politique de François Hollande.« Nous serons un groupe fortementancré à gauche, avec toujours à la mainle document L’humain d’abord, affir -me Roland Muzeau. Il servira à tousnos travaux pendant cinq ans. » Lessujets sur lesquels les socialistesn’obtiendront pas le soutien duFront de gauche sont déjà parfai -tement identifiés : « Si Hollande etsa majorité gardent la même positionsur l’Europe ou la ligne de l’austérité,nous serons en totale opposition »,prévient Muzeau. Certains députéssocialistes pourraient être alorstentés de s’aligner sur la positiondu Front de gauche plutôt que surcelle de Hollande, comme l’a mon-tré l’opposition d’une vingtained’entre eux à la ratification du MES(Mécanisme européen de stabilité)en février dernier. Hollande devra-t-il alors se tourner vers la droiteou le centre pour faire passer sestextes ? On n’en est pas là, maisle scénario est déjà envisagé parcertains responsables socialistes.« Il ne faut pas une majorité prison-nière » du Front de gauche, met engarde Vaillant, tout en rappelantqu’entre 1997 et 2002, sans majo-rité absolue, le PS a réussi à gou -verner avec ses alliés « sans passerpar le 49-3 ». Mais c’était au tempsde la « gauche plurielle », aujour -d’hui défunte.

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Plan large

En politique tout comme en sport,l’essentiel est bien de participer. Pasquestion ici de détourner artificiel -lement la célèbre phrase attribuéeau baron Pierre de Coubertin. Maissimplement, en marge des analysessophistiquées et des considérationspoliticiennes, de rappeler qu’en ma -tière électorale la participation estdéjà une victoire, puisqu’elle légitime,renforce, distingue. De ce point devue, le scrutin de dimanche dernierconstitue une sorte de cadeau. Et agitcomme un révélateur. Passons sur lefait que les sondeurs sont passés àcôté de ces envies, désirs, frustrations,facteurs de mobilisation. Trop humain,trop sensible pour que cela puissese rentrer dans une calculette ou secentrifuger dans un « opiniontron ».Les Français, nous a-t-on dit, jugentcette campagne ennuyeuse. Pour enconclure trop vite qu’une forte absten-tion risquait de s’inviter à la fête. Peut-être cette campagne n’a-t-elle pas étéà la hauteur. Sans doute telle ou telleconsidération sur la viande halal et lepermis de conduire ont-elles fait unpeu déplacé dans un paysage artificielet sans âme, à peine marqué parquelques meetings plus importantsque d’autres dont on retiendra surtoutles coûts, les décors et les nombreuxfigurants ou sympathisants venus parcars entiers. L’élan, la vision, le naturelet l’ambition ont manqué, à l’évi-dence, ces derniers mois. Le contre-sens, c’est bien d’avoir tiré commeconclusion du manque d’inspirationdes candidats la probabilité que lesélecteurs eux aussi n’avaient vraisem-blablement rien à dire. Grossière er-reur. Le candidat ne fait pas l’électeur.Et les Français avaient au contraireenvie de s’exprimer. De dire, selon lescas, la déception inspirée par le sor-tant, l’espoir de changement incarnépar son principal adversaire, d’ex-primer pêle-mêle toute une gammede sentiments, d’humeurs, de ressen -timents, d’attentes, d’inquiétudes.Du lourd, comme on dit. Du ressenti.De l’humain. Des peurs nées de la dé-pression aux incertitudes de l’avenir,en passant par la colère et la volontéd’en découdre. Dont les « Fronts » degauche et de droite ont su profiter.Mais l’essentiel est ailleurs, répétons-le : dans cette participation qui de-meure y compris dans l’adversité etla crise le signe de la bonne santédémo cratique d’une nation. Même s’ilest aussi un cri, révélateur de son mal,de ses souffrances. De ses urgences.

L’opinionde Marc Tronchot

La victoiredu peuple

DR

Si Hollande est élu…

Le redécoupage électoral ne permet pas à François Hollande s’il est élud’avoir une majorité absolue socialiste à l’Assemblée nationale. Il devracomposer avec les écologistes, le Front de gauche et pourquoi passe tourner parfois vers les élus de droite.Par Nathalie Segaunes

Une majorité à géométrie variable ?

Soirée électorale : France 2confirme son leadership

La soirée électorale de France 2 présentée par David Pujadas, Élise Lucetet Laurent Delahousse a largement dominé celle de TF1 animée

par Claire Chazal et Laurence Ferrari. Pendant la période où les deux chaînesont été en concurrence frontale, c’est-à-dire entre 19h30 et 22h30, France 2a été suivie par 6 600 000 téléspectateurs tandis que 5 572 000 étaientdevant l’écran de TF1. À 20 heures, au moment de la diffusion des premièresestimations, ils étaient 8 700 000 devant France 2. C’est une première dansl’histoire des soirées électorales. En 2007, TF1 avait totalisé 37 % de partd’audience contre 20,1 % dimanche dernier.

Daniel Vaillant. L’ancienministre de l’Intérieur socialistesouhaite que la majorité degauche en cas de victoire ne soitprisonnière d’aucune de sescomposantes. PHOTO MEHDI FEDOUACH/AFP

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Depuis 1974, c’est le pointd’orgue de la campagne.Celui que les Français at-

tendent avec impatience et re -gardent en masse. Pour les deuxcandidats et leurs écuries, ce débattélévisé de l’entre-deux-tours si-gnifie une préparation intense etune tension extrême. Les plansde coupe, la longueur de la table,les lumières, l’utilisation des ca-méras, tout est âprement négocié,au millimètre près avec le CSA etl’équipe opposée. Et les pièges etles manœuvres de déstabilisationde l’adversaire mûrement pensés.Qui ne se souvient pas de la trou-vaille de Serge Moati pour le dé -bat de 1981 ? Le réalisateur avaitconseillé à François Mitterrand detapoter sur un dossier en fait vide,pour faire croire à Valéry Giscardd’Estaing qu’à tout moment ilpou vait sortir des documents surl’affaire Bokassa (voir encadré).Cette année, l’appétence des Fran-çais pour un tel exercice, prévule 2 mai, semble considérable. Lesélecteurs veulent voir le combatsur le ring, qui fait partie inté-grante de ce rituel cathodique.

Mais aussi entendre Nicolas Sar-kozy et François Hollande parlerde leurs projets. « La campagne aété tellement désarticulée que lesFrançais, inquiets pour leur avenir,se demandent s’il n’y a pas une vo-lonté de ne pas tout dire », constateJérôme Sainte-Marie, directeur dudépartement politique-opinion deCSA. Et puis pour cette édition,les rôles sont inversés. Contraire-ment à 2007, où il faisait face àSégolène Royal et bénéficiait d’unelongueur d’avance, Nicolas Sarko zyendosse aujourd’hui le brassardde challenger. À lui d’aller cher-cher François Hollande pour lepousser à la faute. À lui de réaffir-mer ses talents d’orateur face àun François Hollande qui peutaussi se révéler meilleur que ne lecroit l’UMP. Avant le premier tour,Nicolas Sarkozy a déjà ouvert leshostilités en lançant l’idée d’orga-niser trois matchs télés. « Pourquoitrois débats pour la primaire socia-liste et un seul pour l’élection prési -dentielle ? » s’interroge perfidementson entourage. Selon un sondageCSA-Direct Matin, deux tiers desFrançais approuvent, en effet, cette

idée de plusieurs débats entre lesdeux tours. À la demande formu-lée par le chef de l’État, FrançoisHollande a opposé un non impli-cite. Le can didat socialiste n’a rienà y gagner. « Il est de l’intérêt decelui qui est en tête à ce que rien nebouge et donc à limiter les risques »,soutient Éric Bonnet, directeurd’études opinion de BVA. L’enjeun’en vaut, en effet, pas la chandelle.Dans les faits, l’impact du débattélé de second tour sur les votesest faible. À l’exception de 1974,où l’élection de Valéry Giscardd’Estaing a été remportée avecmoins de 500 000 voix d’écart– et donc le débat télé a pu avoirune incidence –, ce moment deconfron tation est une instance deconfirmation. « Chaque camp croitque son candidat est le meilleur »,constate Éric Bonnet. « Il amplifieune dynamique déjà mesurable »,ajoute Jérôme Fourquet, directeuradjoint du département opinionpublique à l’Ifop. Ainsi en 2007,Ségolène Royal, déjà en mauvaiseposture, n’a pas réussi à renverserla tendance. Au contraire. En 1988,François Mitterrand a su réaffir-mer sa domination sur JacquesChirac.Seule l’erreur fatale peut rebattrevéritablement les cartes. Mais de-

puis 1974, il n’y en a pas eu. Pouréviter tout faux pas, les candidatsrestent sur leur garde. « Cette jouten’a rien du western. Toutes les vachesrestent dans l’enclos », ironise Jean-Marc Lech. Même si l’exercice esttrès contrôlé, contrairement auxapparences, il reste néanmoinsquelques piques célèbres. On sesouvient du « vous n’avez pas lemonopole du cœur » lancé en 1974par Valéry Giscard d’Estaing àFrançois Mitterrand. Mais ausside la phrase de Jacques Chiracadressée à François Mitterrand :« Ce soir, je ne suis pas le Premiermi nistre, et vous n’êtes pas le prési-dent de la République, nous sommesdeux candidats à égalité. » Et de laréponse cinglante du Présidentsortant de l’époque : « Mais vousavez tout à fait raison, M. le Premierministre. »Inefficace sur la majorité des élec-teurs déjà fixés sur leur choix, ledébat télé peut avoir néanmoinsun impact sur quelques indéciset les orphelins du second tour,comme les appelle Jérôme Four-quet. C’est sur cette catégoried’électeurs que mise Nicolas Sar-kozy pour rafler la mise. « Com-ment les voix en faveur de FrançoisBayrou et de Marine Le Pen vont-elles se reporter ? Il y a un suspense.

Tout n’est pas joué, contrairementaux voix de Jean-Luc Mélenchon, dontle report est très bon pour FrançoisHollande », constate Éric Bonnet.Pour percer, Nicolas Sarkozyva vraisemblablement attaquerFrançois Hollande sur la fiscalité,en affirmant que les classesmoyennes seront assommées encas de victoire de son adversaire.Avec le score de Jean-Luc Mélen-chon, la question « Gouvernerez-vous avec des communistes ? » nemanquera pas d’être posée sur latable. Pour Jérôme Sainte-Marie,« Nicolas Sarkozy va tenter égalementde neutraliser son rival sur la poli-tique sociale et montrer que, avec lui,il y aura la rigueur, et la fermeté surl’immigration. » Mais l’énuméréde ces thématiques montre quesi le débat s’en tient là, il n’aurarien de surprenant et pas de quoidéstabiliser le candidat socialiste,qui, de son côté, devrait gardersa ligne et la cohérence qui luia profité jusqu’ici. Seuls des évé-nements extérieurs d’im portancepourraient bouleverser le specta-cle et perturber le jeu. « Commepour un match de football, le scé na -rio n’est jamais complètement écrit,constate Jean-Marc Lech. Et c’estbien pourquoi les gens le regar dentjusqu’au bout. »

Par Pascale Tournier

Point d’orgue et point finalLe débat de l’entre-deux-tours

Ultime tentative pour les deux candidats de convaincre les indécis, ce face-à-face très attendureste d’abord un spectacle. Il a jusqu’à présent rarement changé la donne politique. Le débatqui aura lieu le 2 mai fera-t-il exception à la règle ?

Plan large

LA FRANCEQUI SE LÈVE VRAIMENT TÔT.

Patrick Chenepoltique matin

chaque matin-8h30

Le débat entre François Mitter-rand et Valéry Giscard d’Es-

taing de 1981 sert aujourd’huid’éta lon. La configuration estla même. Un Président sortants’oppose à un candidat socialiste.La partie coulisse sera-t-elle sem-blable ? En 1981, François Mitter-rand, qui avait gardé un trèsmauvais souvenir de la confron -tation de 1974, a voulu imposerles règles du jeu. Le réalisateurSerge Moati et Robert Badinter,qui le conseillaient, ont ainsi en-voyé une série de conditions dra-coniennes à l’équipe de ValéryGiscard d’Estaing. Serge Moati,qui raconte dans un livre* cet évé -nement télé, de confier : « À notregrande surprise, tout a été accepté.

Au départ, tactiques, ces règles,comme l’absence de plan de coupe,ont fait jurisprudence. Elles se sontassouplies en 2007. »Le jour dit, la tension était trèsforte. Avant, pendant et après,personne ne devait sortir de lamai son de la Radio ni croiser despersonnes du camp adverse. Pourdéstabiliser VGE, des pièges ontmême été imaginés. François Mit-terrand n’a pas serré volontaire-ment la main de son concurrent.La manœuvre a réussi. Aujour d’hui,Serge Moati joue les nostalgiques :« Les politiques passent leur vie àfaire des débats. L’exercice est deve -nu banal. »

* 30 ans après, Seuil, 2011.

Le débat écoleLe 5 mai 1981, à cinq jours du deuxième tour, le Présidentsortant Valéry Giscard d’Estaing et le candidat de la gaucheFrançois Mitterrand se sont affrontés pendant 2h17 dansun débat animé par Michèle Cotta et Jean Boissonnat.

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Cahiers de campagne

Dimanche 22 avrilFin de la course du premier touraprès une semaine de meetingsacharnés. François Hollande arrivéen tête, Nicolas Sarkozy devancé,ne retrouvant pas ses électeursde 2007, le deuxième tour, aujour-d’hui, aurait dû être simple commebonjour. Ce n’est pas le cas. D’abord

parce que le différentiel entre lesdeux hommes n’est que d’un pointet demi : suffisant pour que Fran -çois Hollande ait gagné son parid’être le premier, mais pas assezpour que Nicolas Sarkozy ait perduà coup sûr le second tour.Ensuite parce que derrière le duelSarkozy-Hollande s’en déroulaitun autre, entre Marine Le Pen etJean-Luc Mélenchon, et que cecombat-là se solde, ce soir, pardeux surprises. Consacré commerévélation de la campagne, lauréatdu concours du meilleur orateur,appelant à la Révolution citoyenneet pourtant amusant les bourgeois,le leader du Front de gauche avaitfixé lui-même son enjeu : il s’agis-sait de dépasser le Front national,de faire mordre la poussière àMarine Le Pen. Quant à MarineLe Pen, il s’agissait pour elle nonpas de tuer le père, mais de faireau moins jeu égal avec lui. À l’un,les indignés de gauche, à l’autre,les exaspérés de droite.Marine Le Pen a gagné le matchhaut la main. Les premières esti-mations, qui varient d’un institutde sondage à l’autre, la font appa-raître dans la fourchette de 17 à20 %. Tandis que Jean-Luc Mélen-chon, crédité de 11,5 % des voixseulement dès le début de la soiréealors que les sondages le créditaientavant le premier tour de 14 à 15 %des voix, apparaît comme le grandperdant.Il n’est pas le seul, puisque Fran -çois Bayrou, avec moins de 10 %

des voix, a perdu la moitié de sessuffrages par rapport à 2007.On le voit dès les premières mi -nutes de la soirée : le score deMélenchon, important mais lar -gement inférieur à ce qui avaitété prévu, affaiblit le total desvoix de la gauche tout entière.François Hollande a beau avoir

réalisé le meilleur score d’un can-didat socialiste au premier toursous la Ve République, exceptionfaite des résultats de François Mit-terrand en 1988, la gauche tout

entière représente 42 à 43 % del’électorat, et pas les 44-45 % quelui prêtaient les sondages avant lepremier tour. Nicolas Sarkozy n’estpas seul à être condamné à se trou -ver des alliés, François Hollandel’est aussi.Jean-Luc Mélenchon prend la paroleen premier, après 20h15. Il a satête des mauvais jours et commencepar un tonitruant « Honte à ceux quiont préféré nous tirer dessus ! ». De quiparle-t-il ? Sans doute de ceux qui,au Parisien, au Nouvel Observateur,ont proféré des allusions perfides àses liens supposés avec le conseillerde Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson,ou d’un déjeuner partagé il y a quel -

ques années avec Henri Guaino.De cette attaque, il ne rend appa -remment pas responsable FrançoisHollande, puisque, immédiatementaprès cette envolée, il appelle, sansréserve, ses partisans à se mobili seret à voter contre Nicolas Sarkozyle 6 mai, sans « traîner les pieds »et sans condition. Il ne nomme pasFrançois Hollande, mais chacun lecomprend : l’exhortation à la mo -bi lisation pour battre le Présidentsortant est, pour les électeurs« mélenchoniens », plus facile àavaler qu’un appel à voter Hollande,qu’ils n’ont pas ménagé depuisplusieurs semaines.Vient le tour de Marine Le Pen,triomphante, presque messianique,d’Eva Joly, appelant ses 2 % d’élec -teurs à voter Hollande, celui deFrançois Bayrou, mélancolique, sepréparant néanmoins à poser sesconditions aux finalistes pour dé-cider duquel des deux il choisira,dans les jours qui viennent, de serapprocher.Puis François Hollande apparaîtsur les écrans, depuis son fief deTulle : il est moins souriant qu’enfin de semaine, plus tendu, semble- t-il, dans la perspective des jours

qui le séparent du deuxième tour.Il souligne d’emblée – sans douteestime-t-il que cela n’a pas assezété fait par les différents commen-tateurs jusqu’ici – les « faits ma-jeurs » de ce scrutin : il est en têteau premier tour, il l’a été en sefixant comme but « de maîtriser lafinance, de réduire la dette, de pro-mouvoir les valeurs de la Républiqueet de préparer l’avenir ». Et enfin, ilvoit dans ce premier tour « la sanc-tion du quinquennat qui s’achève ».Des remerciements à Jean-LucMélenchon et Eva Joly, un clind’œil à François Bayrou lorsqu’ilse dit le candidat des citoyensatta chés à une République enfin

« exemplaire », et le candidat durassemblement file vers Paris, oùil doit retrouver ses lieutenantspour préparer en quatrième vi -tesse sa profession de foi pour lesecond tour.Enfin, dernier des cinq grands can-didats à prendre la parole, NicolasSarkozy fait front. On le sent pres -que soulagé à l’idée qu’un pointseulement le sépare de FrançoisHollande : il avait sûrement craintun sort pire encore. Le voici confiant,ou presque, dans ses chances pourle 6 mai. La partie n’est pas finie,et tant qu’elle ne l’est pas, on peutfaire confiance à l’animal politiquequ’est Sarkozy pour se battrejusqu’au bout.

Lundi 23 avrilDepuis la fin de la soirée, lesstratégies des deux finalistes seprécisent. Étant donné le total desvoix de gauche – cependant plusimportant qu’en 2007, où il étaitde 37 % seulement – FrançoisHollande devra entraîner de nou-veaux électeurs : une partie de ceuxqui ont voté François Bayrou aupremier tour, ou même ceux desélecteurs du Front national qui

ne veulent à aucun prix de NicolasSarkozy. Il fera donc campagneessentiellement sur les échecs duquinquennat et de celui qui en aété le Président : Nicolas Sarkozy.Ce dernier, qui n’a pas de réservede voix naturelle, devra, lui, allerchercher des voix essentiellementsur sa droite, puisque c’est là quese trouve, si l’on peut dire, le plusgrand « réservoir » de suffrages.D’où une campagne pour le secondtour où il abordera de préférenceles questions de l’immigration, del’identité nationale, ou de sécurité.En réalité, ses porte-parole en ontfait la démonstration ce matin surles différentes antennes, NicolasSarkozy veut un débat hommecontre homme. Il plaidera pourson expérience, et la supposée in-expérience de François Hollande ;il plaidera pour sa connaissancedu monde international, et lesliens qui l’unissent aux dirigeantsde la planète. Il souli gnera sarésis tance et son énergie face à lacrise qui est loin d’être réglée.Référendum anti-Sarkozy d’unepart, référendum anti-Hollanded’autre part, telle sera sans doute latonalité de l’avant-6 mai.

Plan large

Un soir de premier tourPar Michèle Cotta

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NUMÉRO 444, MERCREDI 25 AVRIL 2012 L’HÉMICYCLE 7

L’euphorie de la victoirepourrait vite retomber. Et lenouveau Président ne doit

pas s’attendre à un quelconque étatde grâce. Certains estiment mêmeque la France pourrait devenir rapi-dement l’épicentre de la prochainecrise de l’euro, d’autres moins pessi -mistes pensent que la monnaie eu -ropéenne est sortie des turbulen cesles plus violentes. Il reste que le cieléconomique demeure lourd voireora geux. Quel que soit le Présidentélu, les menaces existent. Revuerapide des principaux dossiers.

Le domino espagnolEn quelques semaines, l’Espagnea vu ses taux d’intérêt grimper de4,9 % à 6,1 %, une situation dan-gereuse. La question est cruciale :l’Espagne pourra-t-elle toujours em-prunter sur les marchés financiers ?Si non, il faudra dans l’urgence or-ganiser une aide internationale. Lemécanisme européen de stabilité– le fameux MES – est là pour ça. Ilest doté de quelque 500 milliardsd’euros nets. Il doit entrer en fonc-tion en juillet prochain. Devra-t-ilêtre sollicité dès le mois de juin ?Fonctionnera-t-il ? Quel est le risquede contagion ? Faut-il craindre uneffet domino ? Madrid est l’un despoints chauds que le futur Présidentdevra surveiller de près.

Le déficit françaisLa France s’est engagée à ramenerson déficit à 4,4 % cette année,après 5,2 % l’an dernier. Cet enga -gement sera-t-il tenu ? Le FMI estsceptique. Pour cette année, il tablesur un déficit de 4,6 % au lieu de4,4 %. Et pour 2013, le FMI voitle déficit français à 3,9 %, alors quela France s’est engagée sur 3 %.Faut-il craindre, au terme d’un au -dit, que le nouveau gouvernementannonce qu’étant donné la situa-tion la France ne pourra pas hono -rer son objectif de réduction desdéficits ? Attention, c’est ainsi quela crise a commencé en Espagne.Une fois élu, le nouveau gouverne-ment de Mariano Rajoy a annoncé,à Bruxelles, qu’il ne serait pas enmesure de tenir son objectif d’undéficit à 4,4 %, mais plutôt 5,8 %.Les marchés ont très mal réagi, es-timant qu’il s’agissait là d’un man -que de courage politique. Les tauxd’intérêt se sont envolés. Et Madrid

doit aujourd’hui choisir entre larigueur ou… la faillite !

L’envolée du chômageLe chômage est la priorité n° 1 desFrançais. 4,2 millions de Françaissont inscrits à Pôle emploi, dont2,8 millions sont sans emploi et1,4 million en activité partielle.Que faire si ce chiffre devait pro-gresser et tutoyer la barre des 5 mil-lions de demandeurs d’emploi ?Hollande a promis l’embauchede 150 000 « emplois d’ave nir » etla création de 60 000 postes dansl’Éducation nationale. Devra-t-ilaller au-delà pour ne pas d éce voir ?Comment réagiront les marchés ?Les dépenses publiques représen-tent déjà 56 % du PIB, à compareravec 43 % dans l’OCDE. Peut-ondépenser plus sans s’expo ser à unretour de bâton des marchés ?

Des réformes impopulairesPour résoudre le problème duchômage, le futur gouvernementprendra-t-il le risque de mesuresimpopulaires ? Dans la torpeur del’été, le nouvel exécutif pourraitfaire passer des mesures dites de« flexisécurité », comme l’a faitMario Monti en Italie, ou, avant lui,Gerhard Schröder en Allemagne ?Il s’agit d’assouplir les règles du tra-vail, en facilitant les licenciements.Et pour inciter les chômeurs à re -trouver plus vite un emploi, on di -minue les indemnités chômage(12 mois au lieu de 24). Dans unrapport intitulé Pour une croissanceriche en emplois, la Commission eu-ropéenne recommande d’instaurerces mesures de « flexisécurité »…« en accord avec les partenaires so -ciaux ». Mais, comment les syndi-cats pourraient-ils ainsi accepter uneremise en cause du sacro-saint CDIet des coupes sombres dans les in-demnités chômage ? Faut-il craindreune rentrée sociale bouillonnante,avec des grèves massives ? Et desreculades ? Comment les marchésréagiraient-ils face une France quiréclame, au printemps, « le change-ment » et qui, en automne, défilepour défendre « le statu quo » ?

Un conflit européenversion SarkozyNicolas Sarkozy veut réorienter lapolitique de la Banque centraleeuropéenne (BCE) en y incluant

un volet de croissance. L’idée étantque, comme aux États-Unis, la BCEne se focalise pas uniquement surl’inflation mais prenne en comptela croissance et l’emploi. En clair,si le chômage explose en Europe,la Banque centrale européennedoit mener une politique souple.L’Allemagne voit rouge ! Car unepolitique souple signifie baisser lestaux d’intérêt, ou prêter davantaged’argent aux banques pour relan -cer le crédit. Problème : en augmen -tant ainsi la masse monétaire, oncrée un risque d’inflation. S’il y aplus d’argent dans le circuit éco -nomique pour un même niveaude production, forcément les prixaugmentent. Or, on le sait, les Alle-mands ont une sainte horreur del’inflation.L’ironie, c’est que la BCE mèneactuel lement une politique accom-modante, avec des taux de seule-ment 1 %. Et elle vient de prêter1 000 milliards d’euros aux banquescommerciales. Mais, justement, enAllemagne, beaucoup trouvent lapolitique actuelle extrêmementlaxiste et veulent revenir à unegestion plus stricte de la monnaie,à rebours de ce que souhaite Ni -co las Sarkozy. François Hollande,lui aussi, souhaite « réorienter lerôle de la Banque centrale euro -

péenne » vers plus de croissance.La BCE sera-t-elle un casus bellientre Paris et Berlin ?

Un conflit européenversion HollandeFrançois Hollande veut renégocierle traité européen pour y inclureplus de croissance. L’idée serait delancer un grand emprunt européenpour développer des « grands pro-jets d’avenir » dans les « domainesdes technologies vertes ». En clair,il s’agit de construire des éolienneset des fermes photovoltaïquesfinancées par des eurobonds. Làaussi, l’Allemagne voit rouge ! Caril s’agirait de mutualiser les dettes.Un peu comme si, dans une colo-cation, chaque locataire acceptaitd’être caution solidaire pour toutle monde alors même que certainslocataires sont des insolvables no-toires (Grèce, Portugal, Irlande). Pasquestion pour l’Allemagne de créerune dette européenne dont elle saitbien qu’elle devrait porter le far -deau. Cette question des euro bondssera-t-elle un casus belli entre Pariset Berlin ?Certes, François Hollande peut es-pérer un changement de majoritéà Berlin avec l’arrivée au pouvoirdes sociaux-démocrates, favorablesau principe des eurobonds. Mais

les prochaines élections fédéralesn’auront lieu qu’en septembre 2013.La chancelière est candidate pourun troisième mandat. Le futur loca -taire de l’Élysée devra donc com -po ser avec Angela Merkel pendantau moins un an. Dans l’hebdoma -daire les Échos, Thomas Klau, duConseil européen des relationsétrangères (European Council onForeign Relations, ECFR), relativise :« François Hollande est issu de l’écoleDelors, et c’est par ailleurs un hommepersonnellement enclin à chercher lecompromis plutôt que le conflit. Sonapproche de l’Europe correspond sansdoute mieux à la sensibilité alle-mande que celle de Nicolas Sarkozy,notamment en ce qui concerne le rôlede la Commission et du Parlementeuropéen. »Cela fait, au final, beaucoup dedossiers sensibles. Gageons quenos responsables politiques sontavant tout des « responsables » etdes Européens. Aucun n’a intérêt àjouer la politique du pire, au risquede rester dans l’histoire commele fossoyeur de l’Europe. Après lesélections, la banque Crédit Suisseprédit une montée des taux d’in-térêt en France. L’écart entre lestaux français et les taux allemandspourraient passer de 1,3 point à2 points. Mais pas au-delà !

Des dossiers brûlantsL’après-6 mai

La situation de l’euro, le déficit, le chômage, les réformes à faire, ces dossiers au cœur de la présidentielleseront les priorités du Président élu, quel qu’il soit. Selon l’expression de François Mitterrand au soirdu 10 mai 1981, après les promesses, « c’est maintenant que les difficultés vont commencer ».Par Axel de Tarlé

Expertise

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Dans la Creuse, des panneauxen bordure de route assu-rent qu’« Ici, il y a la fibre

op tique »… Pour certains des 276ha bitants de Fleurat, surfer sanslimites sur la Toile, accéder à Twitteret Facebook semble en effet encoreun lointain rêve de citadin, commepour un tiers des foyers de la Francerurale.Sur le papier, les habitants fontpourtant partie des 98 % de Fran-çais qui peuvent se connecter grâceaux lignes de France Télécom. Maisdans les faits, l’ADSL ne fonctionnepas. Didier Bardet, maire (PS) deFleurat, explique: « Le câble entre lerépartiteur téléphonique et le villageest trop long (7 km) et, au bout de laligne, le débit ne dépasse pas 2 mé ga-bits par seconde (Mb/s) », commepour 27 % des foyers en milieurural. Insuffisant pour recevoir outransmettre de la vidéo.

Dans la Creuse, la Haute-Vienne etla Corrèze, la région Limousintente de remédier aux inégalitésnumériques en subventionnant, àtravers le syndicat mixte Dorsal*,des solutions comme le WiMax,qui distribue Internet par le biaisde pylônes diffusant le signal dansun rayon de 12 à 20 km. Mais cettetechnologie a ses limites. À Brézen -ty, la municipalité a fini par rache-ter un ancien pylône TDF quiémettra, d’ici à quelques mois, unsignal Wi-Fi, bien que « l’on ignoreà ce stade les conséquences des ondessur la santé », confie avec franchiseson maire, précisant qu’il a pris« une assurance pénale ». « On ne vapas laisser les gens sans rien jusqu’àce que la fibre optique arrive »,estime-t-il en évoquant l’actuelplan d’aménagement numériquedu territoire qui promet la fibrepour 100 % des Français en… 2025.

Polémique autourdes investissementsde France TélécomEn 2010, l’entreprise de télécommu -nications s’était engagée à neutrali-ser ses multiplexeurs, condition sinequa non pour permettre à 99 % des

Français d’avoir accès à l’ADSL en2013. Mais depuis, l’investissementprévu – 60 millions d’euros portantsur 86000 lignes – aurait subi quel -ques aménagements et reports dansle cadre d’un plan d’économies. Aupoint de déclencher la polémique.Pour le sénateur centriste de l’Eureen Haute-Normandie Hervé Mau-rey, auteur d’un rapport sur la cou-verture numérique insuffisante desterritoires: « Les espoirs suscités parles annonces de France Télécom enmatière de multiplexeurs laissent placeaujour d’hui à la déception, pour ne pasdire la colère, des élus et des habitantsde nos territoires qui, une fois de plus,se sentent sacrifiés par l’opérateurhistorique. » Le vice-président de lacommission de l’économie, du dé-ve loppement durable et de l’amé-nagement du territoire constateainsi que « seuls 77 % des foyers ontaccès à une connexion ADSL à 2 méga -bits, et seulement 50 % des foyers ontaccès à une offre triple play ». Aussi

il souligne que, en suspendant sesinvestissements sur le haut débit,« Orange amène certains territoires àse priver d’une connexion à haut débit.C’est un frein incontestable au main-tien de la vie et au dynamisme écono-mique de nos campagnes. »

Orange a certifié depuis que les in-vestissements annoncés seraientbien réalisés. « Affirmer que l’entre-prise arrête son programme ne corres-pond pas à la réalité », assure BrunoJanet, directeur des relations avecles collectivités locales. « Nous avonsneutralisé 133 sites en 2011 pour ap-por ter le haut débit sur 15000 ligneset nous prévoyons d’en neutraliser 158autres correspondant à 16500 lignes,fin 2012. » Il confirme ainsi la pour-suite du programme d’extinctiondes multiplexeurs GMux, tout enreconnaissant un certain retard.« Notre souhait est de réaliser cet ob-jectif le plus vite possible, d’ici 2013ou 2014, même si je comprends quecertains élus soient déçus que celan’aille pas aussi vite. » Bruno Janetne souhaite pas pour autant fixerd’échéance pour la suite du pro-gramme en raison « des conditionsactuelles du marché, d’un environne-ment concurrentiel et économique plustendu », qui réduisent la visibilité.Une ambiguïté et un « vrai double lan-gage », persiste Hervé Maurey. « Lo-calement, on dit aux élus que ça ne sefera pas. Nationalement, on dit qu’il n’ya pas de problèmes. C’est intolérable. »

« Les collectivités devront agir »Du côté de la téléphonie mobile,les opérateurs affichent un taux decouverture proche de 98 %, mais« les outils de mesure sont inadaptés »,tempête là encore Hervé Maurey. Ilexplique: « Il suffit qu’un seul pointd’une commune reçoive le mobile pourêtre considéré comme couvert. En outre,

les chiffres s’entendent à l’extérieur desbâtiments et sans mobilité. La réalitéest bien en deçà. » Selon son rapport,le plan France numérique 2012– bien que « peu ambitieux » par leniveau de débit visé (à 512 kbit/s) –ne sera pas atteint.

Le pays « peine à achever sa couvertureen téléphonie mobile et en Internet hautdébit » et « à déployer les réseaux à trèshaut débit qui leur succéderont, et ce,tout particulièrement dans les espacesruraux », déplore Hervé Maurey.Car si les collectivités se mobilisentdepuis plusieurs années, leurs initia -tives se révèlent « insuffisammentsoutenues par les pouvoirs publics ».Le sénateur propose donc d’élargirle champ de compétence des sché-mas directeurs d’aménagementnumérique du territoire (SDANT)pour qu’ils concernent tous les as -pects de la problématique nu mé -rique: très haut débit mais aussihaut débit et téléphonie mobile.Dans le Limousin, « Si on laisse faireseulement les opérateurs privés, seuls43 % de la population sera couverte,21 % dans la Creuse », analyse poursa part le directeur de Dorsal, YannPamboutzoglou, expliquant qu’« unefois de plus les collectivités devront agirpour éviter une fracture numérique ».L’État a promis des financementspour les départements à fort taux deruralité, comme la Creuse (77,8 %).Mais pour câbler tout le monde, leLimousin devrait dépenser 660 mil-lions d’euros.Le service universel de fibre optique,à l’image du téléphone ou de l’élec-tricité, reste donc pour le momentune lointaine utopie.

Ludovic Bellanger

* Développement de l’offre régionalede services et de l’aménagement

des télécommunications en Limousin.

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Initiatives

Alors que le Nord-Pas-de-Calais a annoncé le déploiement de la fibre optique d’ici 2025, pournombre de villages, l’Internet illimité reste encore un mirage technologique. Face à la menaced’une fracture numérique déjà évoquée dans le rapport Attali, les élus ruraux improvisent.

Les régions exposéesaux déserts numériques

«LES ESPOIRS SUSCITÉS PAR LES ANNONCESDE FRANCE TÉLÉCOM LAISSENT PLACE

AUJOURD’HUI À LA DÉCEPTION, POUR NE PASDIRE LA COLÈRE, DES ÉLUS ET DES HABITANTSDE NOS TERRITOIRES QUI SE SENTENT SACRIFIÉS »

Hervé Maurey, sénateur UCR de l’Eure

Un plan pour lutter contre les zones blanches« Il reste, comme dans tous lespays du monde, des zones blan -

ches. Même dans les grandes villes,même à Paris, on trouve des zones oùla couverture n’est pas satisfaisante »,a admis Éric Besson, ministrechargé de l’Économie numérique,lors d’une audition au Sénat finjanvier.Pour y remédier, le gouvernementa mis en œuvre, depuis 2003, un

programme « zones blanches » quia permis depuis l’installationd’environ 2000 antennes-relaisgrâce à un investissement de plusde 600 millions d’euros venant desopérateurs, de l’État et des collecti -vités territoriales.Pour la couverture en 4G, qui per-met une utilisation de services entrès haut débit mobile, le gouver-nement a attribué les fréquences

lors d’enchères, fin 2011, en tenantcompte de critères d’aménagementdu territoire.Une zone de couverture prioritairea ainsi été définie, représentant18 % de la population mais 60 %des territoires les plus ruraux dupays. « La 4G sera le premier réseauà être déployé simultanément dans lesvilles et dans les campagnes », avaitalors précisé Éric Besson.

Hervé Maurey. Le sénateur centriste s’inquiète du retard que prendla France en matière de couverture numérique. Selon lui, ce retardrisque d’être rapidement irréversible. PHOTO LUC POYET/SÉNAT

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Asphyxié par la circulation,le Vieux Port a entamé samutation. « Toutes les gran -

des villes l’ont fait : elles augmententleur espace de promenade. On n’est pastrès en avance, si l’on regarde Mont-pellier, Barcelone, Gênes, Bordeaux… »,observe Jean Viard, vice-président(PS) de la communauté urbaine Mar-seille Provence Métropole (MPM).Pour l’élu, le projet amorcé au prin-temps relève autant d’une démarched’embellissement que d’une logiqueéconomique de dé veloppement ducentre urbain. Le chantier doit êtremené tambour battant durant neufmois. Le Vieux Port devrait ainsiprésenter son nouveau visage début2013, quand Marseille accueilleranombre de festivités en tant quecapitale européenne de la culture.Sur une vaste esplanade de grès clair,une astucieuse « ombrière » abriteraalors les promeneurs, tandis qued’élégants « club houses » ravirontla myriade de clubs nautiques.Quant aux zones de carénage,munies de grues de le vage, elles per-mettront « de maintenir l’activité »qui fait le charme du lieu, souligneencore Jean Viard.Libéré de tout stationnement, le

Vieux Port s’offrira aux piétons.Tout un symbole, dans une ville oùla voiture reste reine.

La place du vélo est « dérisoire »En charge de la voirie, la commu-nauté urbaine admet d’ailleurs queles 83 km de pistes cyclables quecomptent les 18 communes de lamé tropole sont « insuffisants parrapport à d’autres grandes villes ». De-puis le début de la mandature so-cialiste en 2008, « 4 km en moyenne

de voies dédiées au vélo ont été crééespar an », précise Pascal Marchand,directeur général adjoint de Mar-seille Provence Métropole.« C’est dérisoire », s’insurge PhilippeCahn, porte-parole du collectifVélos en ville, qui a décidé de por-ter devant le tribunal administratifle cas de cinq voies en réfectionsur lesquelles aucune piste cyclablen’avait été prévue. Et d’obtenir gainde cause au titre de l’article L.228-2du Code de l’environnement.

Seul point positif, l’arrivée depuis2007 d’un millier de vélos en libre-service. L’objectif, en 2012, estd’augmenter le nombre d’abonnés(5200 à l’année aujourd’hui, ndlr)de 20 à 40 %. Une ambition mesu-rée, comparée aux 10000 abonnéstoulousains.Conscient du retard, Pascal Mar-chand reconnaît ainsi que la semi-piétonnisation du Vieux Port, « sielle est emblématique, ne doit pas pourautant servir de caution ». L.B.

Nous voulons lancer une mon-naie alternative à l’euro, qui nese veut pas un instrument de

concurrence et d’enrichissement, mais

une monnaie locale basque, écologiqueet sociale », explique Dante Sanjurjo,membre de l’association pour lacréation d’une monnaie basque,

écologique et solidaire (Ambes), àl’origine du projet.Après avoir analysé les démarchesde Villeneuve-sur-Lot et de Tou-louse, dont les monnaies localescirculent depuis quelques années,ainsi qu’en Allemagne, où de nom-breuses transactions se font grâceau « chiemgauer », Dante Sanjurjoconsidère que « Les exemples quenous avons étudiés montrent qu’unemonnaie locale sert à dynamiser lesentreprises, à relocaliser l’économie, àéviter la spéculation, à agir pour l’en-vironnement et à créer du lien social. »

Favoriser la pratique du basqueL’association proposera dans unpremier temps aux commerçants,aux artisans, aux entreprises, auxassociations et aux professionslibé rales d’intégrer le réseau de la

nouvelle monnaie. « L’éventail desprestataires peut être très large, àl’ima ge de la Bavière, où plus de 6 mil-lions d’équivalents euros s’échangenten monnaie locale, sur un territoirede 288000 habitants », comparableau Pays basque.Alors que la défense des langues ré-gionales s’est invitée dans le débatde la présidentielle, les initiateursde la future monnaie territorialesouhaitent par ailleurs que son in-troduction favorise la pratique dubasque. « Nous allons inciter et aiderles commerçants à proposer un éti-quetage en basque, et les motiver pourqu’ils pratiquent la langue », avanceencore Dante Sanjurjo.Les premiers coupons de cette nou-velle monnaie locale devraientêtre mis en circulation à partir du1er janvier 2013. L.B.

UNE MARQUE POUR LETERRITOIRE FRANCILIEN� La démarche n’en finit plus de fairedes émules. Soucieux de positionnerla région Île-de-France et Paris dansla concurrence entre les grandesmétropoles, les élus locaux ontengagé aux côtés des acteurs publicset privés une réflexion destinéeà définir, d’ici juin, une marquede territoire francilienne. Commeen Bretagne et en Alsace (qui totaliseà elle seule trois marques locales…),l’enjeu est d’attirer étudiants,chercheurs, entreprises maisaussi touristes.

LES AGENCES DENOTATION DANS LA LIGNEDE MIRE DU SÉNAT� Dans le cadre de la missiond’information qu’il mène sur lefonctionnement, la méthodologie etla crédibilité des agences de notation,le Sénat a annoncé le lancementd’une consultation en ligne*. Les troisquestionnaires, disponibles enfrançais et en anglais, sont destinésaux investisseurs, aux émetteurs etaux salariés des agences de notation.Les conclusions du rapport sontattendues à l’été.* http://blogs.senat.fr/agences_de_notation

LE LOT TESTE LA VENTEAUX ENCHÈRES EN LIGNE� Aux côtés des commissaires-priseurs traditionnels, le conseilgénéral du Lot expérimente la venteaux enchères sur Internet. Troisvoitures ont été mises en ligne surle site dédié aux collectivités locales,Agorastore. Séduit par la souplessed’un système qui permet de toucherun public plus large, le départementn’exclut pas d’étendre la démarcheà d’autres équipements (matérielsinformatiques, mobilier…).

DES « PASSEURS DEMÉMOIRE » À DIJON� Seize jeunes volontaires dijonnaisparticiperont pendant six mois à unemission de service civique destinéeà recueillir le témoignage despersonnes âgées. Le concept, né avecl’association Unis-Cité, vise à collecterleurs récits de vie et à rompre leurisolement. Des souvenirs personnels(liés à la guerre, à mai 1968, auxcongés payés…) qui seront par la suitemis en ligne. En France, 400 jeunesparticipent au projet.

ART : LE DOUBS LANCEUNE SOUSCRIPTIONPUBLIQUE� Le conseil général du Doubs a lancéune souscription publique afin definancer le rachat du tableau deGustave Courbet Le Chêne de Flagey,estimé à 4 millions d’euros,et actuellement propriété d’uncollectionneur japonais. L’œuvrepeinte en 1864 pourrait rejoindre,dès l’automne prochain, le muséeCourbet à Ornans, commune oùle peintre vit le jour en 1819.

En bref

En devenant semi-piétonnier, le cœur historique de la cité phocéenne initieune révolution culturelle.

Toulouse l’a fait, Nantes l’étudie, le Pays basque envisage à son tour de créerune monnaie locale en parallèle à l’euro.

À Marseille

La régionalisation en marche…

Le Vieux Port fait peau neuve

«

En Bavière, plus de 6 millions d’équivalents euros s’échangent en« chiemgauer ». Le Pays basque a lancé une campagne publiqueauprès de la population pour choisir le nom de sa future monnaie locale.

LENN

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Le vieux port de Marseille va être réaménagé : augmentation des espaces de promenade et multiplicationdes pistes cyclables. PHOTO BOB DEWEL/AFP

Le Pays basque crée sa monnaie locale

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Discipline budgétaire, quandtu nous tiens… ! Le gouver -nement sortant a pré venu :

pour parvenir à l’équilibre desfinances françaises en 2016, tousles secteurs des administrationspubliques devront se serrer laceinture, y compris les collectivitéslocales. Et le programme de stabi -lité, présenté successivement cemois-ci au Parlement français età la Commission européenne, estsans appel : après 1,6 milliard d’eu-ros d’économies générées en 2011et 2012 par le gel des dotations,les collectivités territoriales se ver-ront accorder 2 milliards d’eurosde crédits en moins sur la période2013-2016. Cela représente 1 % dela cinquantaine de milliards quileur sont attribués chaque année.Évidemment, l’impact de ce tourde vis va dépendre de la taille et dela santé financière d’une collecti -vité donnée. Yann Le Meur – PDGde la société Ressources Consul -tants Finances, qui conseille lescollectivités sur leur gestion – a prissa calculatrice : « Le désengagement

de l’État s’accompagne d’une péré -quation horizontale consistant à pré -lever des ressources dans les budgetsdes collectivités riches pour les redis-tribuer aux pauvres. Alors que cer-taines villes en difficulté ne serontpas affectées par la réduction des cré -dits distribués, certaines communesaisées verront leurs dotations chuterannuellement de 3 % à 5 % (en yintégrant l’effet du nouveau Fondsde péréquation des ressources inter-communales et communales). Celapeut représenter 1 à 2 % de leursdépenses courantes. »Mais le problème c’est que la si tua -tion financière de bon nombrede villes, groupes communaux,départements ou régions, est déjàextrêmement tendue et ce geldes dotations pourrait encorel’aggraver. Le but affiché du pro-gramme de stabilité est de lesinciter à réduire leurs dépenses,ou tout au moins à en limiterl’augmentation. Cette démarcheest déjà engagée, les dépensespubliques locales devraient évoluerde 0,6 % par an en vo lume d’ici

à 2016. L’heure est aux compres-sions de frais de fonctionnement,qui représentent environ les deuxtiers des dépenses. Les élus achètentmoins de fournitures, réduisentles budgets d’entretien, évitentde reconduire des CDD ou des in-té rimaires pour ne pas alourdirla masse salariale. La tendance àcontenir les investissements va

également se poursuivre, pourten ter de limiter le recours à l’em-prunt et, par voie de consé quence,dégager des soldes d’épargne suffi -sants. Des dotations de l’État enrecul induisent en effet une re -

cherche accrue d’autofinance-ment, l’endettement n’étant ja-mais bienvenu en période devaches maigres.Pour autant, travailler sur lesdépenses ne comblera pas le man -que à gagner. Il faudra trouver del’argent ailleurs… probablementdans la poche du contribuable.La pression fiscale au niveau local

va sans doute augmenter encoredans les quelques années à venir.Avec une nuance de taille,pointée par Yann Le Meur :« Dans le cas des départements, cescénario est contrarié du fait que

l’envolée de dépenses sociales nor-mées rend difficile de maîtriser ladépense et que la modulation dela pression fiscale a été gravementlimitée par la refonte de la fiscalitélocale de 2010. »Même pour les autres collecti -vités, les recettes fiscales ne serontpas aisées à trouver. Elles croî -tront, l’an prochain, à un rythmelégèrement inférieur au PIB, enraison du faible dynamisme dela cotisation sur la valeur ajoutéedes entreprises. Autre écueil : sil’investissement ralentit, la crois-sance spontanée des taxes fon-cière et d’habitation est plusfaible…Serait-on proche, alors, de laquadrature du cercle ? Les éluslocaux sont bien conscients qu’ilsdoivent participer à l’effort na-tional, mais ils s’arrachent lescheveux en essayant de combinerles compétences nouvelles quileur sont dévolues et les néces-saires compressions budgétaires.Comme entre le marteau et l’en-clume…

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Restriction des crédits affectés aux collectivités locales

Le programme de stabilité qui guide l’assainissement des comptes publics de la France doit êtreprésenté prochainement aux institutions européennes. Il prévoit 2 milliards d’euros d’économiessupplémentaires sur les crédits affectés aux collectivités locales pour la période 2013-2016.La situation financière des collectivités, déjà tendue, risque de s’aggraver encore.Par Florence Cohen

Expertise

Les communes entrele marteau et l’enclume

Que va représenter pour votre ville le pland’économies qui s’annonce ?C’est très difficile à apprécier. La difficulté,pour faire un budget, c’est qu’on ne sait ja-mais quelle sera la dotation l’an prochain.[Néanmoins] nous venons de recevoir lefonds de péréquation de ce qui était autrefoisla taxe professionnelle, et nous avons180 000 euros de moins. Toutes les autresdotations sont gelées. Or on sait bien quemême s’il n’y a une inflation que de 2,5 % paran, sur trois ans, en cumulé, ça fait déjà du8 % de diminution…

Comment ce rabot sur les dotations va-t-ilse traduire dans votre gestion de la ville ?Pour les frais de fonctionnement, nous avonsmis la barre à 1 % d’augmentation. Rienqu’avec les carburants, on sait que ce poste-là

ne tiendra pas. Embauches : zéro. On n’a mal-heureusement pas reconduit des contratsaidés qui arrivaient à expiration. Nous avionsdeux écoles à refaire, nous sommes à peu prèssûrs de ne pas trouver le financement… Pareilpour des changements de ma té riel, comme desbalayeuses, ça vaut bien 200 000 euros, nousl’avons différé.

Comment se portent vos recettes fiscales ?Nous n’avons comme recettes que la taxed’habitation et la taxe foncière. Elles sont déjàlourdes, donc nous avons décidé de nepas toucher aux taux pour la troisième annéeconsécutive. En revanche, nous cherchons àcréer des recettes nouvelles « de poche » : jusqu’àprésent, nous ne faisions pas payer l’occupa-tion de l’espace public par les terrasses descafés, nous n’avions pas de recettes sur la pu -

blicité… Je souhaite par ailleurs que nous met-tions en place le stationnement payant.

Concevez-vous que ces efforts soient nécessairespour participer au redressement national ?Nous, nos budgets, tous les ans, ils sont àl’équilibre. Alors faire des économies, sur quelplan ? Sur la sécurité ? J’ai maintenant 18 ou19 fonctionnaires de police municipale ASVP*pour compen ser un peu la mission que l’Étatn’assume plus totalement. On peut ne pasremplacer des fonctionnaires qui vont partir,mais on va diminuer une qualité de service.Pour une ville qui est ha bituée à ses servicestraditionnels depuis vingt ou trente ans, on atrès peu de marge de manœuvre.

Propos recueillis par F.C.

* Agents de surveillance de la voie publique

ALAIN CAZABONNEMAIRE MODEM DE TALENCE(GIRONDE), 42 000 HABITANTS

Questions à Une diète étouffante !

«CERTAINES COMMUNESAISÉES VONT VOIR LEURS

DOTATIONS CHUTERANNUELLEMENT DE 3 À 5 % »

Yann Le Meur, président de RessourcesConsultants Finances

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Le fait de porter une tenue,quelle que soit sa forme, quia pour effet de dissimuler le

visage et de rendre ainsi impossi-ble l’identification de la personnedans l’espace public est désormaispassible de sanctions.Selon le porte-parole du ministèrede l’Intérieur Pierre-Henry Brandet,« en un an, il y a eu 354 contrôleset 299 verbalisations ». Ce derniersouligne que le texte « s’est appliquédans la sérénité, dans le respect desconvictions des uns et de la loi par lesautres ».Ce bilan a été arrêté fin mars pourl’ensemble du territoire. Il prenden compte les quatre personnescontrôlées, dont une verbalisée,lors du rassemblement de l’Union

des organisations islamiques deFrance (UOIF), qui s’est tenu auBourget du 6 au 9 avril.La loi prévoit que les femmes quiportent un voile intégral dans la ruesont désormais passibles soit d’uneamende de 150 euros, soit d’unsta ge de citoyenneté, ou des deux.Mais aucun chiffre n’a ce pendantété donné concernant le nombrede stages de citoyenneté. Pas plusqu’il n’a été fourni d’évaluationsur l’impact de la loi et son aspectdissuasif.

2 000 femmes voilées en FranceAu moment du vote, le législateurévaluait le nombre de femmesportant le voile intégral en Franceà 2 000 personnes.

Rappelons ici que la loi définitl’espace public comme « constituédes voies publiques ainsi que deslieux ouverts au public ou affectésà un service public ». Une circulairedu 31 mars 2011 précise que« sont considérés comme des lieuxouverts au public ceux dont l’accèsest libre (parcs, plages, jardinspublics, commerces) ou les lieux dontl’accès est possible, même sous condi -tions, dans la mesure où toute per-sonne qui le souhaite peut remplircette condition ».À titre d’exemple, un lieu dontl’accès est subordonné au paie -ment d’un droit d’entrée est unlieu ouvert au public (restaurants,théâtres, cinémas…). Les lieuxaffec tés à un service public, tels

que les gares, préfectures, mairies,services publics accueillant dupublic, établissements d’enseigne-ment, tribunaux, commissariatsde police, brigades de gendar me rie,établissements de santé, musées,bibliothèques, stades et salles desports, appartiennent à l’espacepublic. Il en va de même des trans -ports collectifs.

Éviter les dérapagesDès le vote de la loi, le ministre del’Intérieur, Claude Guéant, avaitadressé ses instructions aux pré -fets et des consignes avaient étédonnées aux forces de sécuritépour éviter tout dérapage lors duconstat d’une des deux infractionspénales créées.

« Dans le cas où une personne refusede se prêter à un contrôle […], lesconséquences de ce refus devront luiêtre exposées et notamment la possi-bilité, si elle persiste, de la conduiredans des locaux de police ou de gen-darmerie pour y procéder à une véri-fication d’identité », précisait lacirculaire du ministre.Quant à l’infraction susceptiblede viser les époux, relative au faitde forcer une personne à dissi mu -ler son visage « par menace, vio len -ce, contrainte, abus d’autorité ouabus de pouvoir », elle est passibled’un an d’emprisonnement etde 30 000 euros d’amende. Lapeine sera doublée si la personnecontrainte est mineure.

Joël Genard

Fermeté et discernementL’application de la loi sur le voile intégral

Après une période « d’information, de sensibilisation et d’accompagnement particulier », la loisur l’interdiction du port du voile intégral dans l’espace public s’applique désormais. En un an,sur 354 femmes contrôlées en France pour dissimulation du visage, 299 ont été verbalisées.

Lois

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Inscrite dans l’Acte unique en1986, la politique régionalede l’Union européenne (UE)

symbolise une volonté politique :la cohésion économique, sociale etterritoriale entre les États membres.Il en résulte des limitations ap por -tées aux souverainetés étatiques,qui doivent être équilibrées par desaides économiques pour réali serles buts de l’UE. Le FEDER corres -pond à cette logique d’intégrationet intervient à la fois au niveaunational et au niveau régional. Sila plupart des programmes opé -rationnels européens 2007-2013concernent l’emploi et l’accessibi -lité territoriale, il existe une mul-ti tude de mesures – par exemple,la « Consolidation du tissu éco -no mi que et des réseaux (hors tou -risme) »… Il faut remarquer que lesÉtats membres de l’UE décidenteux-mêmes des modalités de gestionde ces très nombreux programmeseuropéens : programme d’appuistratégique en matière de techno -logies de l’information et de lacommunication (TIC), programmeÉnergie intelligente Europe… Dèslors, de nombreux programmesétant régionalisés, le gouverne-ment en confie la gestion à la pré-fecture de région ou aux autoritésdécentralisées (régions, communes,établissements publics…).Pour les élus des territoires, l’enjeun’est donc pas négligeable. Le plande cohésion 2007-2013 est dotéd’un budget de 44,7 milliardsd’euros par an, dont 14 milliardsd’euros pour la France (sur toutela période). De l’économie à l’en-vironnement, du social aux trans-ports, ils peuvent obtenir des aidesà condition de bien comprendrel’esprit du Fonds : compenser lesdéséquilibres régionaux.

Mode d’emploi pratiqueFavoriser un développement har-mo nieux de l’Union est une gran -de ambition… La demande peutdonc être très large. Il existe deuxdossiers types pour demander unesubvention. Dans le cas d’une maî -trise d’ouvrage privé, la demandepeut être déposée par une associa-tion, une entreprise ou un parti -culier. Pour une maîtrise d’ouvragepublic (nous aborderons dans nos

rubriques ce seul cas), n’importequelle collectivité locale peut porterle projet : une intercommunalité,une chambre consulaire, une uni-versité, une SEM…C’est la tâche de l’autorité de ges-tion (souvent le préfet de région)de formuler les axes et domainesd’intervention du FEDER suivantles besoins spécifiques de chaquerégion. Une fois s’être assuré, au prèsdu service compétent, que le pro-jet peut s’inscrire dans la bonnethématique, il faut accorder unegrande importance au montagedu dossier pour tenir compte, entreautres, des « priorités transversales »(environnement, innovation, TICet emploi). Le porteur de projetdoit préciser son identité et réunirtoutes les pièces administrativesnécessaires. Il doit être vigilant ence qui concerne le plan de finan -cement, l’échéancier d’exécutionet définir des résultats attendusprécis en corrélation avec les exi-gences du droit communautaire.Comme c’est souvent le cas, il faut

trouver d’autres partenaires et four -nir des attestations de cofinance-ment (qu’il s’agisse de délibérationsdes collectivités locales ou de noti -fications des aides nationales). Unefois remis au service instructeur(préfecture de département ouorganisme intermédiaire), celui-cidoit adresser un accusé de récep-tion. Et l’instruction commence.Le service vérifie d’abord le carac-tère éligible. En 2007, le CNRS deNancy a bénéficié de 3 245 280euros au titre des thématiques« Recherche & Innovation » et« Développement durable, envi-ronnement ». La région Lorraine,qui a suivi le projet, a ainsi montréson intérêt pour l’innovation scien -tifique, bien ressenti dans l’opinionpublique. En permettant de doterle CNRS d’une sonde ionique depre mier plan, qui plus est proto-type unique au monde, le pouvoirpoli tique a contribué au déve lo -ppement de la recherche fon da-mentale dans le domaine dessciences de l’univers. Le projet était

à la fois conforme aux thématiquesdu FEDER, et à la volonté politiquedes élus régionaux, ce qui le ren -dait éligible au Fonds. Précisionsque, conformément au décretn° 2007-1303, le service doit s’assu -rer du respect des règles de cumuldes aides, de la légalité des acteset de la transparence de la si tua tionfinancière du maître d’ouvrage.Au niveau de la prise de décision,l’instance souveraine est la Com-mission régionale de programma-tion (CRP), coprésidée par le préfetde région et le président du conseilrégional. Le CRP réunit les parte-naires des programmes européensune fois par trimestre et sélec-tionne les projets qui recevrontdes fonds. Les critères de sélectiontiennent compte des objectifsrégionaux par rapport aux autressituations régionales dans toutel’Union, afin d’harmoniser ledé ve loppement des territoires.Seules les dépenses totales éligiblesseront prises en compte pour lacontribution du FEDER. L’inspec-

tion régionale de l’administrationet la Datar sont également impli -quées dans la gestion du Fonds.L’engagement du FEDER se for-malise par deux actes : un arrêté(pour les subventions inférieures à100 000 euros) et une convention,qui est systématique dans le casdes subventions accordées par leconseil régional (et selon le seuilde 100 000 pour celles accordéespar la préfecture de région).

Mettre en œuvre le projetIl ne faut pas s’y tromper, l’obten-tion d’une telle subvention n’estpas aisée. De très nombreux projetssont ainsi refusés pour manquede concrétisation des objectifs (laréhabilitation du Conservatoiredu Grand Avignon n’avait pas étésoutenue, par exemple). Il faut pri -vilégier les axes les plus porteurs.Actuellement, les alternatives autransport routier sont particuliè -rement éligibles. Le FEDER a fi-nancé, pour 1 950 000 euros, lebeau projet d’aménagement duport fluvial de Gron (89) pourimplanter une plate-forme multi-modale avec de nombreuses re-tombées environnementales. Lachambre de commerce et d’indus-trie de l’Yonne a ainsi contribuéà diminuer le trafic routier et àfavoriser l’Yonne navigable.Le versement du FEDER s’effectueen fonction de l’avancement destravaux sur présentation d’unefacture (remboursement). Chaqueacompte ne saurait dépasser 80 %du montant de la subvention in-tégrale, le solde étant régulariséà la fin de l’opération une foisacquittée et vérifiées l’ensembledes factures. Le maître d’ouvragedispose de six mois à compter dela notification de décision pourtransmettre les premiers justifi-catifs, et ainsi débuter l’opération.Chaque dépense doit être for -ma lisée et justifiée. La réalisationdu projet fait l’objet de nombreuxcontrôles et le porteur doit no-tamment respecter des obligationsde publicité issues des dispositionsréglementaires du kit de commu-nication « L’Europe s’engage pourvotre projet… faites-le savoir ! ».

Richard KitaeffProfesseur à Sciences-Po Paris

Le FEDER, une arme lourdede la croissance territoriale

Le Fonds européen de développement économique et régional (FEDER) est le fonds structurelemblématique de l’Union européenne. Il finance les collectivités territoriales dans trois domainesprincipaux : développement régional, soutien aux infrastructures, aides directes pour créerdes emplois durables dans les entreprises.

Les fichesthématiquesde l’Hémicyclepar Richard Kitaeff

Pratiques

Gron (Yonne). Le FEDER a financé le projet d’aménagement du port fluvial. Il a ainsi contribué à diminuerle trafic routier et à favoriser l’Yonne navigable. PHOTO DR

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Pas de thème unique à partirde cette année, mais les ima -ges multiples de ce monde qui

vient », explique Michel Le Bris,président du festival : l’Europe, laFrance plurielle, les mers du Sud, lePrintemps arabe, le dialogue entreles littératures d’expression françaiseou encore les cultures urbaines.La Belgique sera aussi à l’honneur àtravers 40 auteurs, des expositions,des rencontres, des spectacles poé-tiques et des films qui permettrontde découvrir un pays proche maispresque inconnu et les rapports siparticuliers qu’il entretient avec lefantastique, les littératures popu-laires, le surréalisme et, bien sûr,la bande dessinée.Proposée par le Centre Wallonie-Bruxelles, une grande exposition,

« M’enfin Franquin ?! », sur lesunivers du père de Spirou et Fan ta-sio, du Marsupilami ou de GastonLagaffe, sera présentée jusqu’enjuin à Saint-Malo avant de circuleren Europe pour se poser fin no-vembre à Paris.Quelque 250 invités du monde en-tier, parmi lesquels Manon Loizeau,Stéphane Hessel, Alaa El Aswany,Arthur H, Achille Mbembe, BorisPahor, François Place, Paolo Rumiz,Luis Sepúvelda, Chantal T. Spitz,Paco Ignacio Taibo II ou Eric MilesWilliamson, participeront à desrencontres, des débats, des caféslittéraires et des projections defilms. Le cinéma prend en 2012une place très importante dansla programmation et la manièrequ’a le festival de faire découvrir le

monde, avec des films sur Tanger,la Namibie, le Makay (plateauencore inexploré de Madagascar),les Aborigènes du centre rouge aus-tralien ou encore les images inou-bliables d’une façade de banquise,gratte-ciel de glace qui s’effondrepresque au ralenti.Étonnants Voyageurs a par ailleursrejoint cette année sept des plusgrands festivals littéraires mon -diaux au sein de la Word Alliance.Édimbourg, Berlin, Pékin, Jaipur,Melbourne, Toronto et le Pen Clubde New York : ils seront tous pré -sents à Saint-Malo et rassembléspour la première fois.Le festival sera « ainsi plus quejamais à l’heure des littératures-monde », souligne Michel Le Bris.

P.-H.D.

Placée pour la première foissous la direction artistiquede Dominique Hervieu,

qui a succédé l’an dernier à GuyDarmet à la tête de la Biennale etde la Maison de la danse, la saison2012 privi légiera « l’aide à la créa-tion » et la participation accruedu public, soulignent les orga ni -sateurs.Confrontée au désengagementfinancier du conseil général, laBiennale sera « resserrée sur troissemaines ». Moins de spectaclesqu’en 2010 (35 au lieu de 57), maiselle accueillera huit compa gnieshébergées par certaines ins ti tu tionslyonnaises, une première vouluepar Dominique Hervieu.La danseuse et chorégraphe,venue en 2011 du Théâtre na-tional de Chaillot, souhaite à lafois « soutenir les artistes dans la

dernière ligne droite » et « ouvrir lesplateaux au public », invité cetteannée à découvrir les coulissesde ces créations.Accueilli à l’opéra de Lyon, lemaître du butô Ushio Amagatsuouvrira le festival le 13 septembrepar sa nouvelle pièce, hantée parla catastrophe de Fukushima, qui« renforce son intention de toucheraux émotions les plus fondamentales,comme le chagrin », selon Domi -nique Hervieu.Le metteur en scène David Bobee,le duo burlesque Defoort-Goergeret le magicien Raphaël Navarro,illustreront la « diversité des es -thétiques » déjà cultivée par GuyDarmet, ouvrant la danse authéâtre, au cirque, à la panto -mime et même à l’architecture,avec la « déambulation » de JulieDesprairies.

Figure de la danse documentaire,Rachid Ouramdane poursuivra sonœuvre de portraitiste en s’inté -ressant aux réfugiés climatiques,tandis que Maguy Marin revien-dra « sur [sa] propre histoire », mar-quée notamment par la guerred’Espagne.L’Asie, premier fil rouge du festival,sera représentée par 50 danseurset musiciens de Bali, par une séried’« autoportraits » de la surdouéejaponaise Kaori Ito, et partrois ambassadeurs du hip-hopnippon, dont l’inspiration courtde Cab Calloway à l’esthétiquemanga.« On voulait aussi montrer ces per-for mances virtuoses, qui constituentun réservoir de gestes pour les auteurscomme Mourad Merzouki », dontla dernière pièce, créée à Taïwan,occupera 16 représentations à la

Maison de la danse, souligne ledirecteur adjoint à la programma-tion, Laurent Goumarre.En s’emparant d’un livre de Lau-rent Mauvignier inspiré d’un faitdivers, Angelin Preljocaj explorerade son côté les liens entre danseet littérature. Un travail sur letexte partagé par Thierry ThieûNiang, qui a adapté avec PatriceChéreau Le Sacre du Printemps pourdes ama teurs de plus de 60 ans.Prometteurs également, un Lacdes cygnes dynamité par la Sud-Africaine Dada Masilo, La Confi-dence des oiseaux de Luc Petton,dont les danseurs cohabitentavec des pies et des étourneaux,ou encore le Panorama de PhilippeDecouflé, florilège conçu pourses 50 ans par cet amoureux del’expérimentation.

Pierre-Henry Drange

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Saint-Malo à l’heure du festival

Étonnants Voyageurs

À la Biennale de Lyon

Un parfum d’Asie

Culture

La XVe édition de la Biennale de la danse de Lyon, qui réunira du 13 au 30 septembre 35 pièceschorégraphiques dont 15 en première mondiale, tournera autour de l’Asie et de la littératureet accueillera notamment Angelin Preljocaj, Philippe Decouflé et Mourad Merzouki.

«

Le festival malouin Étonnants Voyageurs accueillera, du 26 au28 mai, 250 invités réunis autour des littératures-monde, avecdes thèmes variés allant des mers du Sud au Printemps arabe.Il fera une large place au cinéma ainsi qu’à la culture belge.

Dominique Hervieu.La nouvelle directrice de laBiennale de la danse souhaiteprivilégier l’aide à la création.PHOTO FRANCK FIFE/AFP

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Alors que la France connaîtun mouvement de dés in-dustrialisation continu de -

puis plusieurs dizaines d’années,la montée en puissance de l’éco-nomie numérique crée de nou-velles activités voire de nouvellesindustries. L’hébergement des sites

Web et des bases de données en estune, et cette industrie est en fortecroissance : le marché des équipe-ments réseaux pour « data centers »a connu une progression de 9 %,accompagnant la modernisationdes grands centres informatiquesprofessionnels.

Qu’est-ce qu’une ferme de serveurs ?C’est souvent un grand entrepôtdans lequel sont regroupées desdizaines ou des centaines d’ordi-nateurs, tous reliés à un réseau, etdont la fonction est de délivrer àla demande l’énorme masse d’in-formations qui circule sur Internet

ou sur les réseaux internes desgrandes multinationales. Ces « datacenters » sont le lieu de travaild’informaticiens dont les métiersvont de l’installation et la main -tenance de ces ordinateurs à desfonctions de supervision du réseauou de sécurité des informations.

« Data center » est aussi un motqui fait rêver beaucoup d’élus qui yvoient une possibilité de revitaliserles friches industrielles de leurscommunes et de recréer de l’em-ploi. Comment ne pas rêver sur cesbâtiments industriels à l’abandonqui, avec un coup de peinture, unbon nettoyage et une connexionau réseau global, pourraient rede-venir utiles en abritant les donnéesd’Internet ?La réalité est plus compliquée.Tout d’abord, une ferme de ser-veurs est un lieu énergivore : entrel’alimentation en électricité desordinateurs et la nécessité de re-froidir les installations, la consom-mation de ces sites se chiffre enmégawatts. Une proximité avec lescentrales de production d’électri-cité ou un emplacement sur leslignes à haute tension est donc unatout précieux. Et un accès à plu-sieurs réseaux indépendants estencore plus prisé.Ensuite, la fonction d’un « datacenter » est de recueillir et d’envoyeren permanence une masse énormede données. Sa connexion à In -ternet doit donc être calibrée enconséquence. Tous les bâtimentsdoivent bénéficier d’une liaison viafibres optiques, ce qui ne se trouvepas partout en France.En réalité, peu d’endroits sont ac-tuellement capables d’accueillir cesusines d’informations. La présence

simultanée de grosses capacitésélectriques et d’un « backbone »,ces axes majeurs du réseau Inter-net, est rare. La région parisienneest logiquement le principal lieud’implantation de ces sites. De plus,les entreprises qui opèrent sur ces« data centers » ont besoin d’avoirleurs bureaux à proximité, elles ontdonc naturellement tendance à lesregrouper géographiquement.

L’investissement dans les infra-structures de transport d’électri-cité ou d’informations est doncun enjeu majeur pour l’économiefrançaise dans les prochaines an-nées. D’autant que ces fermes deserveurs peuvent être installéesn’importe où sur la planète. Notreréseau numérique mondial sejoue en effet des frontières.

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Un exemple réussi de réindustrialisation ?

Les usines numériquesLe développement du Web passe par l’implantation d’infrastructures lourdes. De plus en plusde « data centers » (centres de traitement des données) s’implantent en France, créantdes emplois et de nouveaux revenus pour les collectivités territoriales.Par Manuel Singeot

Le chiffre

20mégawattsTelehouse 2, plus gros « datacenter » parisien, consommeautant que la ville de Melun.

Il existe plusieurs catégoriesde ces installations straté-

giques. Les plus performantesd’entre elles ont des caractéris-tiques bien précises. Situés auxcarrefours des réseaux électriqueset de fibres optiques, les « datacenters » de groupe IV sont équipésde plusieurs réseaux électriques

distincts, reliés à des transforma-teurs indépendants. Tous les équi-pements vitaux sont redondantsafin de pouvoir accepter les pannesmatérielles sans remettre en ques-tion l’activité du centre. Résultat decette exigence : les « data centers »de groupe IV affichent un taux dedisponibilité de 99,995 %.

Groupe IV, la Rolls des « data centers »

2.0

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Telehouse 2. «Data center » installé boulevard Voltaire, en pleincœur de Paris. PHOTO TELEHOUSE

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Un café de la place Pigalle,une terrasse au soleil. C’estici que Malek Boutih nous

accueille. Les idoles, il n’y croit pasbeaucoup. « Clemenceau, superchefde guerre. Mais un million de mortsn’ont pas de nom. » Le ton est donné,direct, simple, avec l’énergie spon-tanée de qui aime parler sans cal-cul. « Instinctivement, dans le champpolitique, je suis rétif à l’idée desgrands personnages qu’on admire.Je suis du fond de la gamelle, pas dudessus », dit tout sourire l’ancienprésident de SOS Racisme. « Jen’irai jamais à Jarnac pour une céré-monie en l’honneur de Mitterrand. Leshéros du peuple, les élites les volentau peuple. Quand ils sont morts, ilsredeviennent comme tout le monde :de la poussière. Ce qui compte, c’estleur énergie. Pour les honorer, ondevrait plutôt rendre hommage à desgens qui s’inspirent d’eux, des hérosinconnus. Il y en a, mais ils ne fontpas de bruit… »

Deux personnagesMalek Boutih croit beaucoup, enrevanche, « à l’histoire des anony mesque l’on n’écrira jamais ». Ou alorsqui fera l’objet d’ouvrages en auto -édition, à la diffusion confiden-tielle. Il pense au destin de JanValtin, un ancien du Kominternqui termina sa vie aux États-Unisaprès avoir connu les purges sta -liniennes, la guerre, la torture, lesattaques des meetings des sociaux-démocrates en Allemagne. « Il écritun témoignage oublié de tous pourdire : regardez ce que j’ai vu. » Plusprès de lui, il n’a pas oublié lenom de son instituteur de classeprimaire à Levallois, M. Albertini,un instituteur de la première gé-nération « post-68 », en décalageavec l’image traditionnelle desévérité. « J’avais peur de l’école.Il m’a débloqué. »Pourtant, une fois exprimée saré ticence à louer les grandshommes, le socialiste ne cachepas son admiration intellectuellepour Victor Hugo, « à cause de sonparcours à l’envers. C’est tellementfacile d’être révolutionnaire à 20 ans.Lui était conservateur et royaliste

dans sa jeunesse. Plus il a vieilli etplus il est devenu révolutionnaire. »Réflexion faite, deux personnagesont compté avant tout pour lejeune homme Malek Boutih. Lepremier, c’est Arafat, « à cause desPalestiniens ». Un attachementd’instinct mais profond : « Je nesavais pas bien qui il était. J’igno-rais la notion de terroriste. Pour moi,il incarnait les déracinés. Les gensqui n’avaient rien, qui n’étaientpas chez eux. » L’autre figure estcelle de Mitterrand. Par réaction.« Il se trouve que j’étais scolariséau lycée Saint-James de Neuilly. Jene m’intéressais pas à la politique.Pour moi, la politique c’était l’inter-national. À Neuilly, Mitterrand étaitvécu comme le représentant de lamasse profonde, celle des prolos, desouvriers, les gens qui ont au maxi-mum deux paires de chaussurespar an. J’aimais bien Mitterrand carceux de Neuilly ne l’aimaient pas. »

Sa réticence à admirer semble s’es-tomper quand il sort de la « pos-ture intellectuelle » pour privilégier« les moments forts de l’histoire » oùles valeurs de courage l’emportentsur tout le reste. « J’aime Manouchianet ceux de l’Affiche rouge », dit-ilcomme un cri du cœur, retrouvantla chanson de Léo Ferré sur untexte d’Aragon :« Vous aviez vos portraitssur les murs de nos villesNoirs de barbe et de nuithirsutes menaçantsL’affiche qui semblaitune tache de sangParce qu’à prononcer vos nomssont difficilesY cherchait un effet de peursur les passants (…) ».

Un moment décisifOui, cette histoire l’émeut. « Ceshommes avaient agi par esprit répu-blicain car ils n’étaient pas français.

Ils ont accompli un acte de résistancenon comme Français, mais commepatriotes. » C’est dans le même es-prit qu’il rend hommage à Mau-rice Audin, ce jeune professeurde mathématiques qui fut torturéet assassiné par les services fran-çais parce qu’il soutenait la causede l’indépendance algérienne. « Jeme fous de ses idées, de savoir qu’ilétait communiste. Il était patriote. »Pour Malek Boutih, plus que deshommes, c’est un moment décisifde notre pays, de notre nation, qu’iladmire par-dessus tout : la Révo -lution française. « Je ne la vois pascomme une institution mais commeun destin, explique-t-il. 1789 n’estpas 1917, c’est un événement plusimportant car cette période remplitl’histoire de l’humanité. Les révolution-naires font franchir un cap à la société.Le reste de la pensée politique mondialeest né de la Révolution française quimet en avant le peuple. » Voilà sa

boucle bouclée : les anonymes plu-tôt que les héros. Là encore cepen-dant, il distingue des visages et desnoms. Par exemple celui de Saint-Just. « Il faut lire son Discours sur laConstitution. C’est l’œuvre d’un vi-sionnaire. C’est cela qui est extraordi-naire. Dans les écrits révolutionnaires,il est question du mal français, des ter-ritoires, de l’évolution de la France.Tout cela a été pensé par ces hommes,c’est très actuel. En même temps onsouffre pour eux car ils parlent d’unmonde qui n’existe pas. »Sans transition il cite le nom de Ju-lien Dray parmi ceux qu’il admireet respecte, même s’il s’en est dés-ormais éloigné au point de le com-battre. Pourquoi ? « Pour une raisonsimple : Julien Dray prend le temps deformer les gens à la politique quandles autres ne font que s’en servir. »Comme d’autres, Malek Boutih aété pris en main par Dray qui lui aappris ce qu’est militer. Pas en gou-rou mais en éducateur.

Une inspiration profondeEt quand il se projette dans l’ave-nir, il reconnaît sans détour qu’àses yeux « la fonction politique laplus romantique, la plus porteused’histoire, c’est celle de député. »Candidat aux législatives dansl’Essonne, il voit dans ce genre demandat l’expression de son aspira-tion profonde à rendre la politiqueaux modestes, aux anonymes.« Si le Parlement n’existait pas, jene serais candidat à rien », observeMalek Boutih. « La plus grande in-justice, c’est l’homogénéité sociale etculturelle des institutions. » Ce quilui plaît, ce sont les parcours à laBérégovoy avec son CAP, à la Mo-nory dans le cambouis de son ga-rage, ou encore à la Jean Lassalle,le député bayrouiste issu d’une li-gnée de bergers des Pyrénées. « Ilmanque de gens qui s’essuient les lè-vres au revers de leur manche, commechantait Ferrat », conclut celui quise bat sans compter contre toutesles discriminations, avec à l’espritchevillée cette pensée cardinale :« Quand on vient de mon milieu, ily a des choses qu’on voit plus qued’autres : le hasard et la chance. »

Malek Boutih n’aime pas les personnages hors du commun. Il préfère l’héroïsme des anonymeset s’inspire volontiers de la philosophie du « ni dieu ni maître ». À quelques exceptions près :Victor Hugo, Arafat, Mitterrand et… Julien Dray, fondateur de SOS Racisme.

Par Éric Fottorino

L’admiroir

Malek Boutih, chantredes héros inconnus

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