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L'habitat antique et médiéval dans le bassin de Salernes et le problème de Salernes - Vieille Au cours de nos recherches communes sur les habitats de plaine et de hauteur dans l'Antiquité et le haut Moyen Age, dans la zone calcaire comprise entre l'Argens et le Verdon, nous avons été conduits à aborder un problème précis : celui de la localisation de Salernes-Vieille - Saiernas ve/uias - mentionnée dans une charte de 1043. Cette investigation ponc- tuelle trouve son intérêt et son sens dans le cadre de recherches plus éten- dues : celles concernant l'habitat antique et médiéval dans une unité géographique bien délimitée : le bassin de Salernes 1. On sait que l' étude de l'habitat antique et médiéval en Provence et dans le Midi méditerranéen pose des problèmes complexes et difficiles à résou- dre; les raisons en sont multiples 2, Les solutions, ou du moins leur approche, dépendent tout d'abord d'étud es régionales précises, faites en quelque sorte au ras du sol et, dans la mesure du possible, de fouilles sans lesquelles on ne saurait fonder une chronologie. Avant de proposer une solution au problème de Salernes-Vieille, nOl1S brosserons rapidement un tableau de l'habitat préhistorique, gallo-romain et médiéval (XIe siècle) dans le bassin de Salernes. Pour provisoire et incomplet qu'il soit, ce tableau marque une étape dans une recherche de 1. Var, arr. de Draguignan, ch,.}. de canton. Plan directeur au 1/ 20.<X:&. feuilles Salernes nO 6 et Draguignan n° 2. 2. Cf. P.-A. Problèmes de l'habitat du Midi méditerranéen à la fin de l'Antiquité et dans le haut Moyen Age, dans Les relations entre l'empire romain tardif. et ses voisins, U.l.S.P.P., IXc congrès, colloque XXX, Nice, 1976, Gap. 1976,

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L'habitat antique et médiéval dans le bassin de Salernes et le problème

de Salernes - Vieille

Au cours de nos recherches communes sur les habitats de plaine et de hauteur dans l'Antiquité et le haut Moyen Age, dans la zone calcaire comprise entre l'Argens et le Verdon, nous avons été conduits à aborder un problème précis : celui de la localisation de Salernes-Vieille - Saiernas ve/uias - mentionnée dans une charte de 1043. Cette investigation ponc­tuelle trouve son intérêt et son sens dans le cadre de recherches plus éten­dues : celles concernant l'habitat antique et médiéval dans une unité géographique bien délimitée : le bassin de Salernes 1.

On sait que l'étude de l'habitat antique et médiéval en Provence et dans le Midi méditerranéen pose des problèmes complexes et difficiles à résou­dre; les raisons en sont multiples 2, Les solutions, ou du moins leur approche, dépendent tout d'abord d'étud es régionales précises, faites en quelque sorte au ras du sol et, dans la mesure du possible, de fouilles sans lesquelles on ne saurait fonder une chronologie.

Avant de proposer une solution au problème de Salernes-Vieille, nOl1S

brosserons rapidement un tableau de l'habitat préhistorique, gallo-romain et médiéval (XIe siècle) dans le bassin de Salernes. Pour provisoire et incomplet qu'il soit, ce tableau marque une étape dans une recherche de

1. Var, arr. de Draguignan, ch,.}. de canton. Plan directeur au 1/ 20.<X:&. feuilles Salernes nO 6 et Draguignan n° 2.

2. Cf. P.-A. F~VRIER, Problèmes de l'habitat du Midi méditerranéen à la fin de l'Antiquité et dans le haut Moyen Age, dans Les relations entre l'empire romain tardif. ~~1f;~~1.ranc et ses voisins, U.l.S.P.P., IXc congrès, colloque XXX, Nice, 1976, Gap. 1976,

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longue haleine, sert à orienter des démarches ultérieures ct apporte une contribution à l'étude de l'habitat rural en Provence.

:. Encastré dans les plateaux varois supérieurs, le bassin de Salernes

constitue une cellule particulièrement favorable à l'implantation humaine:

lerres cultivables, nombreuses sources karstiques, situation d'abri, altitude relativement faible des hauteurs adjacentes J.

I~a dépression (fig. 1) est limilée par des collines dont l'altitude varie entre 300 et 450 mètres. Au nord el à l'esl, la bordure du bassin est cons­tituée par un escarpement formé d'éléments composites du Jurassique dolomitique. Sur les hauteurs du Défens et du plateau de la Huchane, le modelé du terrain présente des caractères karstiques assez accentués : petiles valtées sèches, reliefs ruiniformes (au nord-ouest de Vill ecroze), petits canyons (Roque-Rousse, Saint-Barthélemy), avens (à Croix-Soliès, l'aven du Fouquet, au sud-es t de Saint-Jean-de-Villecroze), ébauches de lapiés, et de nombreuses grottes. Cetles-ci, généralement peu impor­tantes, peuvent se classer en troi s catégories fondées sur la nature des roches et l'origine de la cavité :

- dans les calcaires jurassiques, grottes en bordure d'un thalweg et en surplomb (baume du Pin, Fontbrégoua, Saint-Barthélemy) ;

- grotte tectonique déterminée par une faille localisée (baume de Goulon, à l'est de la colline du Serre) ;

- cavités creusées dans les tufs, par dissolution rapide du calcaire.

Le rebord méridional et occidental du bassin, très sinueux, résulte du déblaiement d'une série de cheva uchements; les reliefs sont orientés est­ouest : l'ubac de Babadié, le Serre et l'éperon de Croix-Soli ès, avancée du plateau de Corrllero, qui sépare de la dépression principale le petit bassin de Gaudran. La dépression proprement dite, synclinal f1uvi o-lacustre, est bossuée d'éminences médiocres séparées par des thalwegs.

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Le bassin de Salernes est entièrement drainé par la Bresque, affluent de rive gauche de l'Argens, qui reçoit à son tour trois affluents principaux;

la Braque, issue de la résurgence puissante et pérenne de Saint-Barthé­

lemy ; le Pelcourt, qui draine la moitié nord-est de la dépression; le vallon

de Gaudran, entre Croix-Soliès et le Serre. Une circulation souterraine

importante, liée à la morphologie karstique, alimente de nombreuses

sources et ruisseaux secondaires. L'ensemble constitue un réseau hydro­

graphique très ramifié.

Un des traits caractéristiques du paysage réside dans le contraste qui existe entre la dépression bien irriguée, verdoyante, aux sols profonds et humides, et les hauteurs marginales, sèches, couvertes de forêts de chênes \'erts et de pins ou de garrigues et, çà et là, presque dénudées.

Un milieu écologique aussi favorable explique l'importance et le carac­tère ininterrompu de l'habitat préhistorique; celui-ci se présente sous deux formes: cavernicole et de plein air (vestiges de fonds de cabanes). Les sta­tions de plein air se situent notamment au nord, au nord·est, à l'est et vers le centre du bassin principal, puis dans la ptaine de Gaudran, aux abords de sources, encore actives ou maintenant taries, et des ruisseaux qui en dépendent (fig. 1). Les phases du peuplement du bassin de Salernes et des zones adjacentes peuvent se résumer ainsi (recherches A. Taxil, puis J . Courtin).

Paléolithique moyen. Moustérien . Représenté par des silex épars en surface (sites de la Baume, de Gaudran, des Espèces, des Faïsses, de Saint­,Jean-de-Villecroze et de l'Aire de l'Eouvé) et en grotte (baume de Coumbo­Malo).

Paléolithique supérieur. Gravettien final (vers - 15.000 à - 13.000 ?) :

en groUe, à la baume de Goulon. Paléolithique supérieur indéterminé (Gra­vettien?) : à la baume du Pin.

Mésolithique. Montadien récent: à la baume de Fontbrégoua, -7.600 à - 5.600 (sondage Courtin, 1973-74).

Néolithique ancien cardial : à la baume de Fontbrégoua (entre - 4.500 el - 4.000), à la baume de Goulon et à Sainl-Jean-de-Villecroze.

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Néolithique moyen. Chasséen ancien et récent : à la baume de Font­brégoua (entre - 3.800 et - 3.000), à la baume du Pin et aux stations de plein air des Espèces, de Font-Marthe, de Saint-Jean-de-Villecroze et de l'Aire de l'Eouvé.

Néolithique final et Chalcolithiqne : à la baume de Fontbrégoua (de - 3.000 à - 2.500) , aux stations de plein air de Villecroze et à la tholos de la Lauve. Chalcolithique final et campaniforme (vers - 2.000) : à Font­brégoua et à la baume du Défens.

Age du Bronze. Le Bronze ancien (-1.800 à - 1.500) n'est représenté que par quelques traces dans les stations de plein air. Le Bronze moyen (- 1.500 à - 1.200) est attesté à la baume de Coumbo-Malo et dans les stations de Villecroze (traces), et le Bronze final (-1.200 à - 750), dans les baumes de Coumbo-Malo et du Défens, ainsi que dans les gisements de plein air de Saint-Jean-de-Villecroze, de Croix-Soliès (Bronze final III) et de l'aire de l'Eouvé.

L'habitat protohistorique semble avoir été moins important. Mais il se présente sous des formes diverses : habitat de plaine dispersé (groupes de cabanes), surtout en bordure nord et est de la dépression ; habitat de hauteur fortifié : ce sont les oppida qui surveillent des passages obligés : Gandelon (ou Bertoir), au nord du bassin principal ; Croix-Soliès, à l'ouest ; la Bouissière, au sud; le petit éperon barré de Saint-Jean, à l'est; enfin, habitat de hauteur non fortifié : groupes de cabanes à l'aire de l'Eouvé, au nord-est du bassin de Salernes, et à la Bouissière, à proximité de l'oppi­dum du même nom. Le matériel trouvé dans ces divers habitats situe lem principale période d'occupation au second âge du Fer.

A l'époque romaine, l'habitat de plaine dispersé se retrouve encore surtout dans la zone marginale nord et est de la dépression ainsi qu'aux abords du ruisseau de Gaudran, dans le bassin annexe. Jusqu'ici, aucune villa n'a été reconnue, à l'exception de celle de Saint-Jean, à l'est, en grande partie détruite, et de celle, très probable, de Notre-Dame de Pitié, au nord­est, près de Villecroze; ces deux derniers sites étaient toujours occupés à la fin de l'Antiquité (céramique grise estampée abondante). Les autres

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habitats de plaine semblent avoir été des constructions très modestes, voire de simples casae de cultivateurs. A cette même époque, il n'y a pas de

véritable habitat de hauteur; seuls quelques oppida ont été épisodiquement

fréquentés à la fin de l'Antiquité.

Et puis, comme partout ailleurs en Provence, ce sont les « siècles

obscurs » du haut Moyen Age. Rares sont les documents archéologiques,

et les textes font complètement défaut.

Dans les deux premiers tiers du XI' siècle, une série de chartes de l'abbaye de Saint-Victor de Marseille apporte quelques lueurs sur le pay­sage rural. Ces textes concernent surtout la zone centrale et orientale du bassin principal de Salernes, de la colline du Défens, au nord, jusqu'au ruisseau du Pelcourt, au sud, soit sur une superficie de 9 ou 10 km', Sans doute, le laconisme et le caractère stéréotypé de ces chartes nous laissent dans l'ignorance de la nature des terres acquises par la grande abbaye mar­seillaise 4 ; du moins percevons~nous le morcellement du terroir en de nom­breuses parcelles de surfaces variables, comme le suggèrent parfois les descriptions de leurs limites. De rares précisions apparaissent çà et là : mentions de vignes, en particulier au nord et au centre de la dépression, à Font-Marthe 5 et à Frigouret 6, ainsi qu'à la Comba Vital 7, difficile à localiser; mentions, également, d'un bois de frênes 8 et d'un ferrage 9.

Que sait-on sur la condition des terres? Certaines sont des alleux10 ;

une dizaine de manses figurent parmi les acquisitions de l'abbaye de Saint­Victor 11 ; de même, de nombreuses bracerie, cultivées chacune par un seul

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l~ BASSI N DE SALERNES 113

manouvrier, à cause de leur faible superficie 12. On constate, à ce propos, que la politique foncière de l'abbaye marseillaise a consisté à former un domaine compact, autant que possible sans enclaves, par des acquisitions en série, en particulier vers le milieu du XIe siècle (vers 1050 et surtout vers 1055) 13.

Dans le bassin de Salernes, les textes du XIe siècle nous font connaltre l'existence de deux domaines agricoles importants : une villa appelée ValUs 14, que nous n'avons pu locali ser, et la villa de Saint-Jean 15, "héri~

tière" de l'exploitation gallo-romaine mentionnée plus haut, et dont les confronts suggèrent une superficie assez considérable 16.

Disséminées dans la dépression principale et dans celle, annexe, de Gaudran, voici sept églises rurales : Saint-André, Saint-Jean-Baptiste, Saint­Martin, Saint-Michel, Saint-Pierre, Saint-Romain, Saint-Trophime, avec les terres qui leur sont rattachées, possédées tantôt par l'abbaye de Lérins, tantôt par la collégiale de Barjols, puis par l'abbaye de Saint-Victor 17 ;

certaines d'entre elles ne peuvent être localisées 18. Il faut ajouter, à l'extrémité sud-est du bassin, dans un site abrité et bien irrigué, une implantation plus tardive : la commanderie templière de Ruou, fondée vers 1156 19•

n0 51\~' p.A5n~isitions simultanées de plusieurs bracerie. vers 1060 : ibid., n° 501, p. 500 ;

13. Voir supra, notes 4·7 et 11.

lt ~gi~:: ~:. ~6-4K9. ~ 4~iJ3lJ: 1007. lOlO. 1012). 16. Ibid., nO 488, p. 492 (v. 1012 ; parmi ces confronts, la villa de Saint-Domnin de

Tourtour et la villa de Levedone. 17. Cartulaire de l'abbaye de Lérins, éd. H. MORIS et E. BLANC, I. Paris, 1883,

~~i!~r!~!! r ~~v~iF.I~.J4J\1~fr~M~~ 1~~9È~p~~~IW'~~~f: ~I~~~)~: ~~~~~ib~~~ II. 0 ' 1082. p. 550 (v. 1046-1101).

18. La chapelle de Saint-Pierre aurait reçu ultérieurement Je vocable de Saint-Loup ; l'édifice subsiste toujours, et le quartier porte encore le nom de Saint·Pierre ; voir infra. note 26.

19. J.-A. DURBEC, Les Templiers en Provence. Formation des commanderies et répartition géographique de leurs biens, dans Provence historique, t. IX. 1959, p. 101-104; P. SlGAL, Une seigneurie ecclésiastique au Moyen Age : la commanderie du Ruou (XIIe -xv· siècles), D.E.S., dactyl., Aix-en-PrQvence, 1960.

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Au nord-est du bassin de Salernes, une agglomération : le village de Villecroze, connu au XI' siècle 20, dont le prieuré a appartenu à l'abbaye de Saint-Victor 21; l'église du vill age fut-elle longtemps extra-muros, comme il en existe d'autres exemples, et était-elle l'église Sainte-Marie 22,

auj ourd'hui Notre-Dame de Pitié, au sud-ouest de l'aggloméra tion ? La carte de Cassini (feuille n ' 154) la qualifie en tout cas d'ancienne paroisse ».

A l'opposé, au sud-ouest de la dépression principale, près du confluent de la Braque et de la Bresque. se dresse sur une éminence 2J le castrurn de Salernes. Il est mentionné dès 1007, date à laquelle le seigneur du lieu, Atanoux, de la famille de Castell ane, donne à l'abbaye de Saint-Victor ses parts de la villa de Saint-Jean et l'église Sainte-Marie 24. Le village médiéval de Salernes était accroché aux pentes sud et est de la butte actuellement occupée par les vieux quartiers. Le tracé du rempart est reconnaissable à mi-pente grâce à quelques vestiges; mais on peut le lire sur le cadastre du XIX' siècle. Du château, rien ne subsiste de visible; les ruines qui se dressent sur le sommet de la butte sont celles d'un châ teau reconstruit au XVI' siècle. L'église paroissiale, dont nous ignorons le vocable, se trou­vait au pied du château; l'un de nous (A. Taxil) en a reconnu des vesti­ges. Cette église, mentionnée dès le XI' siècle 2', est distincte de celle, de même époque ou en tout cas du XII', qui se dresse au pied de la butte, donc extra-muros : l'actuelle égli se paroissiale Sain t-Pierre. Celle-ci es t très probablement identifiable avec l'une, de même vocable, des sept égli ses rurales citées plus haut 26. La présence de cette égli se aux abords du vil-

20. Cartulaire de Saint-Victor, 1. n° 499, p. 499 (1064··1079); mention du prieur de Villecroze.

21. Ib id., II , n° 843, p. 211 ( 1079) ; n° 844. p. 226 (1135) : confirmations de possessions

de l'ifb'lbid., l , n ' 486. p. 490 (1007) ; n' 497, p . 498 (v. 1055) 23. Ibid., l , n° 516, p. 511 (v. 1055) : podium Sallernas.

~: ig:~:: lt.n~, 4~,Pj,4~ (f095)s~in~' I~~: ~:4~~9~~8In0'46?;1~?~' p. 492 (1012) ; etc. 26. Selon V . SAGLTETIO, Salernes, notice historique, Toulon, 1934, p. 17. la chapelle

rurale Saint-Loup (cf. fiç:. 1), dont le nom n'apparaît dao!!, aucun texte médiéval, se serait d'abord appelée Saint-PIerre; ce vocable aurait é té ensuite attribué à l'église située au pied du castrum de Salernes. Un lieu dit Saint-Pierre avoisine, au N.-E., la chapelle Saint-Loup; il est difficile d'en tirer un argument pour étayer l'affirmatio n de V. SAGLlET­ro, qui est d'ailleurs dépourvue de preuve.

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lage pose des questions : se trouvait-elle en relation avec des hahitation. hors les murs? ce n'est pas absolument certain ; l'extension du village vers la plaine était-elle si importante pour justifier la construction d'une nouvelle église 7:1 ?

La vie de relation est assurée par des chemins. Des pistes préhisto­riques et protohistoriques ont dû emprunter la vallée de la Bresque ou des passages ohligés, tel le vallon de la Braque. Nous ne savons rien des chemins d'époque romaine, sans doute ici des viae terrenae qui n'ont pas laissé de trace apparente ni d'ouvrage d'art. Quelques chartes de Saint­Vidor mentionnent des voies à l'occasion de descriptions de limites des terrains. Une voie est-ouest passait probablement au sud du bassin prin­cipal ; elle r eliait Salernes à Draguignan par les villages de Lorgues ou de Flayosc, d'une part, et à Barjols par Sillans, d'autre part. Une autre via publica transversale, l'aduel • chemin des Espèces >, longeait la dépression au nord pour assurer la liaison entre Salernes et Villecrozc. Enfin, un chemin nord-sud : de Salernes à Aups et Riez par le vallon de la Braque, et de Salernes par Entrecasteaux en direction de l'ancienne voie romaine qui passait par Fréjus et Aix. Peut-être un autre chemin reliait-il Villecroze à la route de Salernes à Draguignan ; son tracé com­porte trop d'incertitudes pour être représenté sur la carte de la figure 1.

Malgré son caractère sommaire, ce tableau serait incomplet si nous passions sous silence le problème de Salernes-Vieille.

L'existence d'un habitat de hauteur appelé Salemas velulas est r évé­lée par une charte de l'abbaye de Saint-Victor, de l'an 1043; à notre connaissance, c'est le seul document qui en fas se état. Bertrand, évêque de Riez, son frère Foulque et sa belle-sœur Acceline, donnent à l'abbaye marseillaise ecclesiam sancli Romani sive sancti Martini cum illorum lerminis vel affronlacionibus 28. L'ade décrit ainsi les limites de la dona­tion : El est hec omnia in comi/atu Forojuliensi, infra terminum de castrllm que vocant Salernas ; et affrontat de parte orlentis sive de merl-

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j .3 1

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die $icut discurrit aqua que vacant Peduculum Curtum, de acdduo vero de ponto que vacant Longum, sicut diseurrit aqua que vacant Penganaria usque in Peduculum Curtum ; de parte vero aquilonis, de Pan/a Longo in ipsa serra in transversum sicu! aqua vergitur a meridie sive ad orien­tem asque in Peducu/um Curtum.

n ressort d'abord de ce texle que sur le territoire du cas/rum de Salernes, et distinct de ce village, se trouve un site de hauteur (poium), appelé Sa/ernas vetu/as.

Où situer Salernes-Vieille? La solution dépend à la fois des données scripturaires et archéologiques. Essayons de reporter sur une carte les limites décrites par la charte (fig. 2). Si l'église rurale Saint-Martin, dispa­rue, n'est pas localisable, celle de Saint-Romain subsiste, ou du moins l'édifice qui a remplacé celui détruit en 1793. Il faut donc admettre une situation identique ou très voisine de celle de la chapelle actuelle de Saint­Romain, à 2.400 mètres environ à vol d'oiseau à l'E.S.E. du village de Salernes.

Le cours d'eau appelé Peducu/um Curtum n'est autre que le Pelcourt, affluent de la rive gauche de la Bresque. Selon le texte, il passe au sud et à l'est de Saint-Romain, car il constitue la limite méridionale et orien­tale du territoire délimité. Seule la limite sud n'offre aucune difficulté, puisqu'elle s'identifie avec le Pelcourt actuel. Il est plus difficile de déter­miner à quel ruisseau formant la limite orientale s'applique aussi le nom de Peducu/um Curium, le Pelcourt actuel résultant de la réunion de plu­sieurs petits cours d'eau; l'hydronymie moderne ne permet aucune iden­tification. De toute manière, le cours supérieur du Peducu/um Curium ne peut être qu'un des ruisseaux à l'est de la chapelle Saint-Romain: soit l'actuel vallon de Saint-Jean, soit ceux de l'Hôpital ou de la Fey ou des Mandins, qui se rejoignent pour former le vallon de Saint-Romain. Il semble que l'on doive exclure les vallons de Saint-Jean (trop éloigné et de direction N.E.-S.O.) et de l'Hôpital, car le village de Villecroze pour­rait alors être englobé dans la donation, ce qui est à exclure. La limite orientale de cette donation suivait plus probablement le vallon de la Fey ou celui des Mandins, puis celui de Saint-Romain.

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La limite ouest du territoire va d'un certain Pont-Long jusqn'au Pelcourt en suivant un ruisseau appelé Penganaria. Une charte datée de 1055 environ précise que le Pons Longus est un cours d'eau et le situe à l'ouest de la terre de Saint-Romain 29. Les indications qui suivent dans la description des limites nous conduisent à identifier le Pont-Long avec le ruisseau de la Braque JO, plus précisément avec son cours supérieur.

Le cours d'eau de Penganaria ne peut être, topographiquement, que

le ruisseau de Combe-Amère. Il ne saurait être question d'un autre ruis­seau situé plus à l'ouest de celui-ci, car la limite occidentale de la dona­tion engloberait alors le castrum de Salernes, ce qui est à exclure.

La limite septentrionale passe par une colline : per ipso serra. Cette colline est celle du Défens qui domine la dépression de Salernes. La limite court per transversum dans cette colline, d'ouest en est; elle s'infléchit ensuite, sur la pente sud, vers le cours supérieur du Pelcourt (vallons de la Fey ou des Mandins et de Saint-Romain ?).

Une fois définies les limites de la donation faite à l'abbaye de Saint­Victor, nous pouvons tenter de localiser Salernes-Vieille. La limite nord va du Pont-Long (cours supérieur de la Braque) vers la colline du Défens en passant subtus poium que vocant Salernas vetu las. La zone de recher­che se trouve réduite à la haute vallée de la Braque, vallée encaissée dans le relief marginal, au nord du village de Salernes " . Existe-t-i! des vestiges d'un habitat de hauteur (poillm), antérieurs au XIe siècle?

Deux sites retiennent l'aUention : celui de Gandelon et celui des Mures, qui domine la chapelle de Saint-Barthélemy (édifice postérieur au Moyen Age).

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Gandelon (ou Bertoir) est le site d'un oppidum, à l'extrémité sud­ouest de la colline du Défens 32. Protégé par un avant-mur, à une centaine de mètres au nord-est, et par des escarpements au sud et à l'est, il occupe une superficie de 150 sur 100 mètres environ. Les fouilles (A. Taxil) ont mis en évidence une fréquentation peu importante du site au Bronze final et au début du premier âge du Fer, puis une occupation au Fer II, enfin une nouvelle mais faible fréquentation à la fin de l'Antiquité . Aucun ves­tige d'époque ultérieure n'a été découvert.

Le site des Mures (en provençal lei Muro) , sur la rive droite de la Braque, est un petit éperon rocheux enchâssé dans une gorge qui l'abrite des vents. En pied de pente, une source très abondante, une faible étendue de terre alluviale au bord du ruisseau, et la chapelle de Saint-Barthélemy qui a donné son nom au quartier. Le toponyme de Mures indique habi­tuellement la présence de ruines. En efTet, l'accès à l'éperon rocheux, par le nord, est défendu par un fossé sec et par une tour carrée. A l'intérieur d'un mur d'enceinte en pierres sèches, d'épaisseur médiocre, subsistent des ruines de cinq ou six maisons et de cabanes, le tout construit en appaM

reil irrégulier (calcaire local) avec mortier de chaux. Les fouilles effec­tuées par l'un de nous (A. Taxil) permettent de fonder la chronologie suivante 33 : au second âge du Fer, fréquentation du site, qui a pu servir de poste de guet dans l'étroite vallée de la Braque, en liaison avec l'oppi­dum voisin de Gandelon. A la fin de l'Antiquité, faible occupation tempo­raire. Fin du haut Moyen Age et début du Moyen Age : occupation impor­tante (céramique abondante, fragments de verrerie, nombreux rejets de cui­sine). Le site a di! être simplement fréquenté par la suite : rares sont les formes céramiques attribuables aux XII'-XIII' siècles, ainsi que les tessons vernissés.

32. Déjà répertorié par F. MIREUR, dans Bull. de la soc. d'ét. scient. et arch. de

r.;:~~!~~~~~a~~~:r;;~f:!ft~~~~~e ;~~Jr~;El~~~1:e s~JFie~~~~~X~~~i~1!fcc:~1d des Mures) ; A. GUÉlHARD, Essai d'inventaire des enceintes préhistoriques du Var, dans Congr. préhist. de France, Périgueux, 1905 (pub!. 1906), p. 389·91 ; L. LAFLOTTE, Découvertes

~~~~e~~~. e:rlt1~r.af~~~~.,i~~d1tx. t,' e19~~n~~s26sr~. l ~~, $~~~~~S;3;!q~;:htoïoiiJûe~a~:r1!su;:: Enceintes préhistoriques et protohistoriques du Var, 2" sér., dans Bull de la soc. d'ée. scient. et arch. de Dra~uignan, t. XXXVI, 1926-27, mém. XVIII. p. la et pl. XIV.

33. Fondée essentiellement sur le matériel céramique mis au jour.

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120 R. BOYER ET A. TAXIL

Des deux sites voisius, Gandelon et les Mures, c'est ce dernier qui peut raisonnablement être identifié avec Sa/ernas velu/as de la charte de 1043)4.

Quelle a été la fonction - de courte durée, semble-t-il - du petit habitat fortifié de Salernes-Vieille ? Le site est très engagé dans le relief et en marge de la dépression. Cette situation n'a pu constituer un pôle d'attraction. Nous pensons que cet habitat a pour rôle essentiel de contrô­ler l'étroit passage obligé qu'est le vallon de la Braque, passage conduisant

vers le plateau d'Aups, les plans voisins du Verdon et la voie antique qui menait à Riez : rôle de surveillance très probable à l'époque du Fer II, comme nous l'avons noté, repris vers la fin du haut Moyen Age avec implantation d'un petit habitat lié à la source et à l'étroite bande de terre cultivable qui longe le ruisseau.

Cet habitat s'est-il réellement appelé Salernes et est-il antérieur au caslrum? ou bien l'a-t-on qualifié au XI" siècle de Salernes-Vieille après un abandon total ou partiel, pour le distinguer du caslrum? Seules des fouilles, en particulier sur la butte du village de Salernes, pourraient four­nir des éléments de réponse. La fonction de surveillance a-t-elle été dévo­lue plus tard à la tour carrée, avec chainage de tuf aux angles, partielle­ment conservée dans une maisonnette à l'entrée du vallon de la Braque, en aval du site des Mures? ou bien les deux dispositifs étaient-ils contem­porains? Ici encore. des fouilles seraient nécessaires.

:.

Les recherches dans le bassin de Salernes révèlent la permanence d'un habitat de plaine dispersé, aux époques préhistorique, protohisto­rique et gallo-romaine. L'occupation est très marquée en bordure du relief, au nord et à l'est de la dépression, c'est-à-dire à proximité des résur­gences et des ruisseaux qu'elles alimentent.

34. Une charte du XIe siècle mentionne une villa vetus : Cartulaire de Saint-VictoT, I. n° 518. p. 512 ; serait-elle à identifier avec Salernes-Vieille?

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LE BASSIN DE SALERNES 121

Deux formes d'habitat de hauteur coexistent deuxième âge du Fer : oppida et groupes de cabanes sans fortifications.

Pour l'époque romaine, on a reconnu jusqu'ici une villa à Saint-Jean et une autre, probable, à Notre-Dame-de-Villecroze. Mais plusieurs petits habitats sont dispersés dans la plaine, peut-être sans liaison avec une villa. Car il n'est pas certain qu'en Provence la villa ait été le seul cadre d'un système d'exploitation du sol et que le {undus ait été mis en valem par une population réunie autour de l'habitation du maître.

Ici, comme ailleurs, nous ignorons ce que sont devenus les paysans à la fin de l'Antiquité. La villa de Saint-Jean et le sile de Notre-Dame-de­Villecroze sont toujours occupés à cetle époque, ainsi qu'en témoigne la céramique grise estampée trouvée en abondance. Les paysans se sont-ils regroupés auprès des villae ou se sont-ils dispersés dans la campagne? Nous ne le savons pas.

La dispersion de l'habitat de plaine est toujours présente au Moyen Age. Nous avons noté, au début du XI' siècle, la « survivance> de la villa de Saint-Jean, qu'avoisinent deux autres villae, et l'existence d'une villa nommée Vallis (mais y a-t-il continuité véritable entre elles et les villae gallo-romaines 1), d'une dizaine de manses, de nombreuses petites par­celles de terre (bracerie) et de sept églises rurales, qui n'ont peut-être pas toutes une origine cléricale.

Dans le courant du XI' siècle, l'abbaye de Saint-Victor se constitue assez rapidement un patrimoine foncier compact, en partie par le moyen de donations pieuses faites par le seigneur de Salernes et sa famille. Plus des trois quarts de la dépression principale constituent ce domaine, avec les sept chapelles rurales et leurs terres allenantes. Celle nouvelle struc­turation de la campagne n'ira pas sans tensions et oppositions entre les deux pouvoirs en présence. La lutle se poursuivra aux XII' et XIII' siècles en revêtant une autre forme, sans doute plus économique que politique.

Raymond BOYER et t André TAXIL.

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ADDENDUM

La villa de Villecroze, connue peu avant 960, paraît former un groupe avec celle de Vérignon et la curtis de Valuègne-Saint-Domnin, à Tourtour; c'étaient probablement des aïeux de la famille Bénézet de Fréjus 1. Au début du Xl ' siècle, cette villa de Villecroze fait partie du territoire du castrum de Salernes 2; c'est en effet vers cette époque, où les domaines ont déjà commencé de se « militariser :., que les villae voisines d'un château nouvellement construit tendent à se grouper pour former son territoire ou, plus exactement, son mandement J.

(1) Dom Chantelou, HistoÎre de Montmajour, éd. du Roure, dans Rev. hist. Je Provence, t. l, 1890-91 , p. 32.33.

(2) Cartulaire d e Saint-Victor, l, n° 486, p. 490 (1007). (3) Cf. J.-P. Poly , La Provence et la soci~té féodale, 879-1166, Paris, 1976, p. 128.