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L’expression digitale des marques de luxe dans l’univers du web social 1 P REMERCIEMENTS P Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont apporté leur soutien et m’ont aidée dans la réalisation de ce mémoire : tout d’abord François Guillot et Virgile Jouanneau, ainsi que l’équipe d’Angie+1, sans qui je n’aurais pas eu le même regard sur l’univers extraordinaire des médias sociaux ; mes parents, qui m’ont aidée à traverser toutes les épreuves de cette année à l’ISCOM et m’ont permis d’avoir une connexion Internet et une machine à café fonctionnelles ; mes amis, sans le soutien desquels je n’aurais sans doute pas pu terminer cette année par manque de sommeil : Anaïs Bordier pour ses conseils et le partage de sa vision de Jean Rousseau, Julie Charliac pour sa motivation à toute épreuve et son accompagnement lors de nuits blanches, Laurent François pour son soutien et son expertise, Tasnime Mounavaraly pour son aide plus que précieuse et son expertise, Jean-Pierre Nguyen pour son soutien quotidien inconditionnel, pour avoir fait patiemment à manger tous les jours et bien plus – enfin Florence Chane-Tune, Nicolas Guérin, Gaultier Laperche, Catherine Merle et Francesca Taylor pour leur aide, leur bonne humeur et leur présence. Je remercie également ceux qui ont bien voulu partager leur expertise et leurs contacts afin de me permettre de produire ce travail au mieux.

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L’expression digitale des marques de luxe dans l’univers du web social

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P REMERCIEMENTS P

Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont apporté leur soutien et m’ont aidée dans la

réalisation de ce mémoire : tout d’abord François Guillot et Virgile Jouanneau, ainsi que l’équipe d’Angie+1, sans qui je n’aurais pas eu le même regard sur l’univers extraordinaire des médias sociaux ; mes parents, qui m’ont aidée à traverser toutes les épreuves de cette année à l’ISCOM et m’ont permis d’avoir une connexion Internet et une machine à café fonctionnelles ; mes amis, sans le soutien desquels je n’aurais sans doute pas pu terminer cette année par manque de sommeil : Anaïs Bordier pour ses conseils et le partage de sa vision de Jean Rousseau, Julie Charliac pour sa motivation à toute épreuve et son accompagnement lors de nuits blanches, Laurent François pour son soutien et son expertise, Tasnime Mounavaraly pour son aide plus que précieuse et son expertise, Jean-Pierre Nguyen pour son soutien quotidien inconditionnel, pour avoir fait patiemment à manger tous les jours et bien plus – enfin Florence Chane-Tune, Nicolas Guérin, Gaultier Laperche, Catherine Merle et Francesca Taylor pour leur aide, leur bonne humeur et leur présence. Je remercie également ceux qui ont bien voulu partager leur expertise et leurs contacts afin de me permettre de produire ce travail au mieux.

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SOMMAIRE

Introduction…………………………………………………………………………………………...7 Methodologie………………………………………………………………………………………...13 Plan………………………………………………………………………………………..................16

II

L’exploitation du web social par les marques de luxe aujourd’hui : état des lieux, succès et initiatives…………………………………………………….17 A. Marques de luxe, publics cibles et problématique du digital……………………………………..17 a) Acheter un produit de luxe sur internet : descente en gamme et digital ………………………….17 b) Acte d’achat et relation personnelle avec la marque de luxe………………………………………20 c) Exclusivité et web social : idées reçues sur l’enjeu conversationnel………………………………..22 B. Exploiter l’écosystème digital en incluant la dimension sociale………………………………….24 a) Mesurer l’efficacité d’une présence sur le web social : le classement par « Digital IQ »…………..24 b) Analyse de cas : focus sur les écosystèmes Burberry et Louis Vuitton…………………………….26 1- Burberry.. ……………………………………………………………………………………………….......26

2- Louis Vuitton……………………………………………………………………………………………….29

3- Burberry ou Vuitton? Qui est le meilleur ?...................................................................................................31

c) Initiatives mobiles sociales : True Love de Tiffany & Co et Amble de Louis Vuitton…………...32 1- True Love………………………………………………………………………………………...................32

2- Amble……………………………………………………………………………………….........................34

d) L'application mobile : de l'entertainment au service……………………………………………...35

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III

Du réseau au media social : l'anticipation des usages sociaux

dans la conception d'une stratégie digitale pour le luxe……………………………...36

A. Les réseaux sociaux : plus que des points de contact, de véritables médias………………………36 a) Définir une stratégie « médias sociaux » : à chaque média social, son usage……………………...37 b) Réconcilier les marques de luxe avec les médias sociaux : opportunités…………………………..38 1- Le temps réel : opportunité d’événementialisation…………………………………………………………39

2- Diffuser des contenus audiovisuels : montrer la marque sous un angle nouveau…………………………...39

3- Des médias communautaires : agréger les retombées et abaisser les frontières……………………………..40

c) La force de l’éditorialisation……………………………………………………………………….41 B. Un storytelling digital fort pour une expérience d’exception……………………………………..42 a) Quels contenus stratégiques pour une marque de luxe ?.................................................................42 1- Nowness.com : étude d’un média social du luxe……………………………………………………………43

2- Recommandations éditoriales générales…………………………………………………………………….44

b) Le digital, un terreau pour l’innovation des marques de luxe……………………………………..45 1- Technologies récentes appliquées à l’expérience digitale…………………………..……………………….46

2- Personnaliser la relation digitale……………………………………………………………………………47

C. Reconnecter l’offline et l’online grâce au service de luxe…………………………………………48

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IIII

Recommandation stratégique pour la marque Jean Rousseau……………………….49 A. Qui est Jean Rousseau ? ………………………………………………………………………….49 a) La marque………………………………………………………………………………………....49 b) Enjeux de communication………………………………………………………………………...50 c) Audit de l’existant…………………………………………………………………………………51 B. Recommandation stratégique pour la présence digitale sociale de Jean Rousseau………………53 a) Le site Internet : storytelling et simplicité………………………………………………………...53 1- Immerger le visiteur dans l’univers de la marque…………………………………………………...………53

2- Rester centré sur l’artisanat de luxe made in France………………………………………………………..54

3- Raconter et humaniser la marque pour l’inscrire dans une temporalité…………………………………….57

b) Les médias sociaux : affirmer et pérenniser l’identité de marque de Jean Rousseau……………..57 1- Facebook : valoriser le cuir made in France et le savoir-faire durable de Jean Rousseau…………………...57

2- Twitter : toucher le public japonais…………………………………………………………………………59

3- Pinterest : connecter la présence internationale…………………………………………………………….59

Conclusion………………………………………………………………………………………......60

ANNEXES

Grille d'entretiens………………………………………………………………………………...........i Entretiens……………………………………………………………………………….....................iii Captures d'écrans………………………………………………………………………………........xxx Benchmarks pour Jean Rousseau……………………………………………………………………...xli Références Corpus documentaire………………………………………………………………………………....lx Biblio-webographie……………………………………………………………………………….....xcv

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ABSTRACT

5 Le luxe et le web social sont des univers qui peuvent sembler incompatibles tant ils

diffèrent dans leur nature et leurs usages. L’un est profondément sensoriel et exclusif, l’autre est virtuel et démocratique. Pourtant aujourd’hui, dans une société entièrement digitalisée – surtout auprès des jeunes – les marques de luxe doivent veiller à intégrer la dimension virtuelle à leur stratégie business si elles veulent rester en phase avec les nouveaux usages sociaux. Dans la conception de leur stratégie de communication, le web social est devenu une composante à part entière. Fondamentalement créatives, modernes et fortes de leurs moyens financiers, les marques de luxe ont tout intérêt à exploiter le levier digital social pour se renouveler auprès de leurs publics, qu’ils soient acquis ou potentiels. La véritable problématique des marques de luxe n’est donc plus d’aller ou pas sur le terrain digital et sur les réseaux sociaux, principaux leviers de la communication sur le web social, mais plutôt de savoir comment retranscrire l’identité du luxe online afin de faire vivre une expérience digitale aux consommateurs aussi digne de celles qu’ils vivent en boutique.

Aujourd’hui, peu de marques de luxe font un usage particulièrement efficace du web social. L’étude des marques phares ayant accordé de gros budgets à la communication online montre qu’il n’y a pas de réel « best-in-class ». On parle beaucoup de Burberry et de Louis Vuitton, qui en effet, chacun à leur manière, ont su activer des leviers du web social et innover dans les opportunités que propose le digital. Mais l’exploitation des canaux digitaux et des interfaces sociales va bien au-delà d’une problématique de plateforme : il s’agit d’apporter du contenu qui intéressera les consommateurs, afin d’aller vers eux et répondre à de véritables attentes. L’un des enjeux principaux pour les marques de luxe aujourd’hui est d’apprendre à exploiter les réseaux sociaux pour les transformer en véritables médias. Sans cette approche, la communication digitale des marques n’est rien de plus qu’une agrégation de canaux de diffusions et de carrefours d’audience. Or les médias sociaux offrent une véritable opportunité de construction relationnelle avec les différents publics, de par leur multiplicité de formats et d’usages. En effet, il est fondamental d’attribuer un usage

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spécifique à chaque média. Qui dit média, dit réflexion sur les contenus. C’est ici que la marque de luxe peut se faire véritable porte-parole de son propre univers, de ses métiers, de son savoir-faire. En apportant des contenus complémentaires qui viennent peu à peu construire l’identité de marque et renforcer le territoire du luxe, la marque s’ancre de plus en plus dans l’esprit du consommateur. Elle a plusieurs façons de le faire, du moment qu’elle veille à toujours s’appuyer sur des piliers de son identité et ses valeurs : la qualité, le savoir-faire, la temporalité du luxe – entre tradition et modernité – et surtout la beauté.

Le digital est un territoire constant d’innovation et sa dimension visuelle peut aisément servir de tremplin pour toutes les explorations audiovisuelles et interactives imaginables. Il s’agit d’un terrain de jeu et d’expérimentation pour les marques de luxe. Elle peuvent donc occuper globalement l’espace et tirer parti de cette multiplicité pour diffuser des contenus exclusifs donnant un éclairage chaque fois nouveau sur la marque. L’éditorialisation des contenus et l’attention portée à leur richesse pour convenir aux internautes sont donc de puissants leviers. Dans un monde où l’information est de plus en plus abondante et fragmentée, il est fondamental de rester cohérent dans sa communication online. Garder des codes installés, s’en servir, et surtout rendre visible ses promesses éditoriales sont les clés pour une présence efficace et qualitative sur les médias sociaux. Au-delà des interfaces conçues par des tiers – ce que sont les principaux médias sociaux aujourd’hui – les marques de luxe ont également tout intérêt à imaginer leurs propres interfaces, voire réseaux sociaux, mais surtout, elles se doivent d’imaginer de nouveaux contenus et nouvelles fonctionnalités afin de maintenir leur position de leader. Elles sont leaders économiques, mais aussi culturels. Afin de renforcer leur suprématie psychologique sur les différents marchés, elles ont tout intérêt à innover et rentrer dans les usages des consommateurs. C’est-à-dire qu’elles peuvent dépasser les rencontres ponctuelles marque-consommateurs lors de points de contacts : elles imaginent des services rendus par la marque dans la vie quotidienne du consommateur. Les applications mobiles se prêtent particulièrement à ce type d’initiative. On identifie donc deux leviers principaux liés au web social pour les marques de luxe : l’éditorialisation de la beauté de leurs univers, et l’inscription dans les usages réels, qui jalonnent la vie des consommateurs. Une telle exploitation des médias sociaux et des fonctionnalités sociales des nouvelles technologies devra permettre de conforter la marque de luxe dans son rôle de faiseuse de tendances auprès de différentes communautés auxquelles elles s’adressent, chacune étant identifiée et ciblée à travers ses usages du web social.

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INTRODUCTION

« Le luxe est un supplément d’âme. »

P. G., vice-président du Groupe LVMH.

5Juin 2012. La nécessité d’une présence sur les réseaux sociaux dans la stratégie de

communication des marques n’est plus à démontrer. A l’heure où vous lisez ce mémoire, Facebook, le réseau social le plus utilisé au monde, compte plus de 955 millions d’utilisateurs actifs mensuels, soit près d’un septième de la population mondiale.1 L’introduction de l’entreprise en bourse a eu lieu il y a quelques semaines et quelles qu’ont pu être ses conséquences, cette simple opération financière a consacré la suprématie de l’interface sociale dans l’esprit des consommateurs comme des annonceurs. En effet, Facebook a su faire valoir son intérêt grâce à ses possibilités de ciblage publicitaire.2 Grâce à l’utilisateur, qui fournit ses données personnelles de son plein gré, Facebook est un terrain fertile pour les marketeurs. Il permet la récolte de données comportementales et l’établissement de statistiques fondées sur les usages des consommateurs. Les marques se sont donc empressées d’investir cette plateforme. Mais au-delà de leurs opportunités publicitaires, les multiples réseaux sociaux – Twitter, Pinterest, LinkedIn, Instagram… ils sont légions – offrent une autre possibilité, complémentaire, aux entreprises : celle d’entrer en conversation avec les consommateurs.

Le web social, que l’on appelle « 2.0 » en référence à son évolution conversationnelle, met à disposition de l’ensemble des consommateurs une panoplie de nouveaux outils qui changent les

1 Chiffres du deuxième trimestre 2012, « Les chiffres-clé de Facebook », in LeMonde.fr, 27/07/12 [31/08/12 23:30]. 2 « Facebook IPO: social network makes stock market debut – Friday 18 May », in guardian.co.uk, 18/05/12 [31/08/12 23:30].

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usages de communication.3 Dans cet univers, nous sommes passés d’un rapport « émetteur unique – récepteurs multiples » à une logique de réseau : « plusieurs émetteurs, plusieurs récepteurs ». Les réseaux sociaux permettent aux individus de se connecter, d’échanger instantanément au sujet de leurs idées et de leurs goûts, de produire des contenus écrits, visuels et audiovisuels, et de constituer des communautés. Autre caractéristique, les réseaux sociaux deviennent parfois des médias sociaux. La différence entre ces deux termes réside principalement dans une notion de hiérarchie et d’organisation des échanges : un réseau fait référence à la fonctionnalité de connexion qu’il met à disposition des utilisateurs, alors que pour qu’un réseau social devienne un média social, il doit inclure la dimension de source d’information, qui diffuse des contenus aux utilisateurs. Ces derniers peuvent ensuite à leur tour les partager et les commenter.4

Cette dynamique a fait évoluer les différents secteurs de la communication des marques, principalement les relations publiques et le marketing. On parle aujourd’hui de « R.P. 2.0 »5 tout comme on parle de « marketing social »6, de nouvelles façons de communiquer qui s’adaptent au fonctionnement social du web. S’il existe un comportement social, c’est bien celui-ci : dialoguer. Il y a un an encore, les marques pouvaient désactiver la fonction « commentaires » sur leurs fanpages Facebook, se privant ainsi de tout contact verbal avec leurs « fans Facebook ». Aujourd’hui, l’interface ne le permet plus techniquement. L’enjeu relationnel est cher au consommateur contemporain. Exigeant et connecté, il attend d’une marque qu’elle lui accorde une place privilégiée en son sein. C’est pourquoi on parle maintenant de « social CRM », la gestion sociale de la relation client.7 Pour les marques de luxe cependant, une telle communication sur les réseaux sociaux a posé problème dès ses balbutiements. Auréolées de rêve et inaccessibles, « proches du marché de masse dans la notoriété mais distantes dans les usages »8, les marques de luxe ont longtemps perçu la tendance sociale comme trop massifiée. Tout comme la tendance du e-commerce – problématique qui continue de faire débat aujourd’hui – l’ouverture aux espaces sociaux est perçue comme un danger de vulgarisation de la marque de luxe. En cause : la définition même du luxe, sur laquelle il convient de revenir à présent.

3 Voir l’article de Tim O’Reilly, « What is Web 2.0 », considéré comme le texte fondateur qui pour la première fois tente d’expliquer l’évolution de l’Internet par ses usages conversationnels, in O’Reilly – Spreading the knowledge of innovators, 30/09/2005 [31/08/12 23:36]. 4 Ma propre définition, fondée sur les entretiens avec les experts du web social, voir annexe p. 5 L’analyste Brian Solis a défini les R.P. 2.0 il y a plus de 10 ans : « PR 2.0, as I defined it many years ago, is the realization that the Web changed everything, inserting people equally into the process of traditional influence. », « PR 2.0: Putting the Public Back in Public Relations », in briansolis.com, 28/04/08 [31/08/12 23:45]. 6 Le « marketing social » correspond aux principes traditionnels du marketing appliqués à l’environnement des médias sociaux, voir l’e-book de Brian Solis, in briansolis.com, 07/03/08 [31/08/12 23:58]. 7 « Understanding Social Customer Relationship Management », Soshable.com, 24/01/11 [24/08/12 14:12] 8 Voir entretien 12.

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Comme nous l’expliquent Vincent Bastien et Jean-Noël Kapferer dans Luxe Oblige, le terme « luxe » a été décliné au fil du temps en une « profusion sémantique [qui] n’aboutit qu’à créer de la confusion ».9 « A l’origine, le luxe est le résultat visible, volontairement ostensible et ostentatoire de la stratification sociale héritée et s’imposant à ‘tout un chacun’ car reposant elle-même sur des garants métaphysiques. » C’est ce que les auteurs désignent par « paradigme du luxe ».10 Mais la philosophie du Siècle des Lumières et la révolution industrielle qui en découle ont fini par faire disparaître « toute stratification d’ordre transcendantal ».11 Pour autant, le besoin d’une stratification sociale – pour échapper au chaos social – n’a pas disparu chez l’individu. Elle s’exprime simplement par d’autres biais, et le luxe est l’un de ces biais. Il a « cette fonction fondamentale de recréer une stratification

sociale. »12 Le luxe fonctionne donc comme marqueur social et comme signe de distinction, au sens de Bourdieu : il permet à son possesseur de se distinguer aux yeux d’autrui et par la même occasion de s’élever au-dessus de la masse. 13 Le luxe est symbole de réussite sociale dans une société de consommation matérialiste. En découle un sentiment clé : le désir d’y accéder et de le montrer. Mais le luxe comporte également une « composante personnelle et hédoniste très forte. » Comme l’expliquent très justement les auteurs, « aucune marque de luxe ne peut survivre si elle ne se fonde que sur des clients qui n’achètent que du signe et non du sens […] la marque de luxe est une culture ».14 Un consommateur est client d’une marque de luxe parce qu’il apprécie « son univers, son identité, sa culture. »15

De l’ambivalence décrite ci-dessus découle la subjectivité du concept de luxe : quelles sont les caractéristiques qui permettent d’identifier une marque de luxe ? Pour certains, un sac Louis Vuitton est déjà un produit de luxe alors que pour d’autres, le même sac sera l’équivalent d’un cabas d’usage quotidien sans prétention. Bastien et Kapferer ont mis à jour les facettes fondamentales du luxe : ce dernier est qualitatif et non quantitatif ; l’hédonisme prime sur la fonctionnalité ; le luxe doit être multisensoriel ; ce n’est pas un produit de consommation, mais une expérience ; il renferme un forte dimension esthétique, qui le rapproche de l’art ; il est inscrit dans une temporalité proche de l’Histoire ; enfin, il doit également posséder une composante humaine importante, autant dans sa conception que dans sa relation au client.16 Pourtant aujourd’hui, il devient difficile de retrouver ces

9 Vincent Bastien et Jean-Noël Kapferer, Luxe Oblige, Eyrolles, Paris, 2008. 10 Idem, p. 31. 11 Idem. 12 Idem, p. 32. 13 Pierre Bourdieu, La Distinction, Editions de Minuit, Paris, 1979. 14 Vincent Bastien et Jean-Noël Kapferer, op. cit. , p. 33. 15 Idem, p. 34. 16 Vincent Bastien et Jean-Noël Kapferer, op. cit. , Chap. 4, p. 105.

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facettes dans tout ce qui se réclame du luxe. Marie-Claude Sicard quant à elle propose de clarifier le concept de luxe appliqué aux marques en partant des marques elles-mêmes. Grâce à la méthode de l’Empreinte, elle explique dans Luxe, Mensonges et Marketing qu’une marque peut être considérée comme du luxe à condition qu’elle creuse suffisamment l’écart avec les marques de mass-market.17 L’empreinte d’une marque comprend sept pôles : « A chacun des sept pôles que j'ai définis et qui composent la méthode de l'empreinte, j'observe si le curseur est poussé au maximum. Quand c'est le cas pour quatre des sept pôles, alors on peut dire de la marque étudiée qu'elle est une marque de luxe » explique Sicard. Pourtant, cet outil se basant sur des perceptions, les résultats diffèrent selon les environnements culturels. Ainsi, deux systèmes du luxe sont identifiés : un français et un américain.

Dans une tentative d’établir une typologie des marques de luxe, Gérard Caron analyse le luxe en fonction de la pyramide des besoins de Maslow.18 Il classe alors les différents luxes en trois catégories : le luxe « d’exception », le luxe « de prestige », et le luxe « haut de gamme ». Dans cette typologie, le luxe d’exception repose avant tout sur l’artisanat et le savoir-faire qui fournissent un produit presque unique. Le luxe de prestige correspond souvent à « des marques de luxe d'exception qui ont réussi commercialement et se sont développées. » Sa communication est d’abord fondée sur l’identité de marque, bien que le produit se doive de rester de grande qualité. Enfin, le luxe haut de gamme désigne des produits et des marques qui « se réfère[nt] toujours à des performances supérieures, à une plus haute technicité par rapport aux autres produits de la gamme de la même marque ou des concurrents. » Il ne s’agit cependant pas d’une sous-catégorie : le luxe se réfère avant tout à une culture et un marché. Les produits haut de gamme ne sont pas nécessairement de moins bonne qualité qu’un produit de prestige : c’est simplement la marque qui s’adresse à un public plus ou moins large. Son accessibilité et sa désirabilité sont donc modulées en fonction de ses publics.

De la multiplicité des niveaux de marques de luxe et de leur perception par les consommateurs

découle une multiplicité d’expériences possibles. Certaines marques s’adresseront à une clientèle élargie, qui ne correspond pas à une petite communauté d’initiés, ces « Happy Few » qu’étaient originellement les clients du luxe. L’hyper-segmentation du marché a recréé presque autant de strates sociales qu’il est de micro-communautés d’individus. C’est pourquoi aujourd’hui, les marques qui veulent continuer à appartenir à l’univers du luxe originel (« d’exception » si l’on adopte la

17 Marie-Claude Sicard, Luxe, Mensonges et Marketing, Paris, Pearson Education France, 2010. 18 Gérard Caron, « Les marques de luxe, quel luxe ? », in Prodimarques, Revue des Marques, 01/06 [01/09/12 00:07].

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détermination de Caron) doivent préserver, renforcer ou recréer le lien qui les unissait à une communauté-coeur privilégiée. Il s’agit d’un enjeu crucial si elles souhaitent éviter l’écueil fatal à la marque de luxe : la vulgarisation. L’autre difficulté à ne pas négliger est l’internationalisation du marché. Pour les marques de luxe françaises, l’ensemble de l’Europe, les Etats-Unis et l’Asie sont autant de marchés à prendre en compte dans la communication. En Chine, le marché du luxe avait réalisé un chiffre d’affaires de 17,7 milliards d’euros en 2011. Il a cru d’environ 20% ces deux dernières années. 19 Ce même marché compte plus de 250 millions d’utilisateurs sur son réseau social principal, Weibo.20

Ainsi, avant d’investir le web social, chaque marque de luxe doit bien savoir à quel type de luxe elle appartient, et surtout à quelle population elle va s’adresser lorsqu’elle communique sur le web social. Une marque « d’exception » a t-elle intérêt à communiquer de la même façon qu’une marque « haut de gamme » ? Va t-elle communiquer de la même façon envers ses consommateurs de nationalités différentes ? La réponse semble évidente : s’il leur paraîtrait impensable de communiquer à niveau égal « offline », pourquoi le faire online ? Aujourd’hui, la véritable question n’est plus « d’aller ou pas sur les réseaux sociaux », car en réalité il s’agit là d’un faux problème. En effet, plus aucune marque, si exceptionnelle soit-elle, ne peut se permettre de choisir de se jeter à l’eau ou pas : que cela leur plaise ou non, l’écosystème de communication est complètement digitalisé et social.21 Les vraies questions que nous devons nous poser sont : à quels publics s’adresser et par quels biais digital ? Comment gérer les communautés en s’adaptant à leurs usages sociaux ? Comment se servir de ces fonctionnements comme leviers pour la marque ? En d’autres termes, comment les marques doivent-elles envisager le web social pour renforcer leur identité de luxe auprès de leurs publics ?

Pour des raisons d’accessibilité et de logique scientifique, notre étude porte principalement sur

la communication digitale des marques de luxe de mode, maroquinerie et joaillerie françaises qu’on peut classer dans les catégories « d’exception » et de « prestige », afin de comparer des marchés et des stratégies équivalentes. Nous tenterons d’observer les marchés européen et asiatique. D’une part, le format de l’étude ne se prête pas à une investigation plus élargie, et d’autre part, ses conclusions seront mises en application à travers une recommandation stratégique complète pour la marque de luxe Jean Rousseau. Cette marque française relève du produit de luxe personnalisé, qu’on peut donc

19 Etude de Bain & Company, 2011 China Luxury Market Study, 12/11, p. 3. 20 « Sina Weibo Over 300 Million Users Now Who Generate Over 100MM Posts Everyday », in chinainternetwatch.com, 29/02/12 [01/09/12 00:18]. 21 Voir entretiens 12 et 15.

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classer dans la catégorie du luxe « d’exception ». Elle poursuit actuellement son développement en France mais aussi en Europe (Royaume-Uni) et en Asie (Japon).

Ce mémoire a pour objectif de déterminer quels contenus de marque imaginer pour une présence sociale et quels procédés de management de la marque mettre en place dans l’univers du web 2.0. Nous cherchons à définir une stratégie capable d’anticiper les usages sociaux des consommateurs. Une telle démarche consiste en l’élaboration d’une expérience « digne d’une marque de luxe » auprès d’une clientèle privilégiée. Nous devons cependant prendre en compte l’univers du web social et exploiter ses opportunités sans prendre le risque de diluer la marque. Il s’agit tout d’abord de permettre aux consommateurs de se sentir à nouveau privilégiés, et au reste des internautes de continuer à désirer cette exclusivité par ailleurs.

L’enjeu principal est donc de renforcer la notion de luxe. Au-delà du produit – qui doit par

définition répondre aux critères de qualité exigés par les clients – il s’agit de réinventer ce que peut offrir une marque de luxe : une expérience unique dans un univers identitaire, à travers un service social innovant et ultra sélectif. Cela lui permettrait de s’ouvrir aux « happy few », sans pour autant révéler ses petits secrets constitutifs de l’aura de rêve qui la caractérise. Cet enjeu s’inscrit également dans une volonté de « reconnecter » deux univers qu’on a trop souvent séparés : l’expérience consommateur tangible doit se prolonger dans l’univers digital, et non s’arrêter à la sortie d’une boutique et recommencer aux portes du web. L’objectif sera de créer du lien de façon unique, ce en ciblant des communautés précises, en identifiant leurs usages, et en déterminant comment y répondre – par quels canaux et avec quel type de contenus.

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METHODOLOGIE

5Notre démarche méthodologique comporte trois étapes. Pour des raisons de

confidentialité, seules les fonctions professionnelles des personnes interrogées sont citées dans cette étude.

1. Les attentes des consommateurs par rapport aux marques de luxe sur le web social

Afin de cerner les profils types des consommateurs de marques de luxe, nous avons questionné

des professionnels du luxe d’une part, et réalisé une enquête auprès de consommateurs occasionnels ou réguliers d’autre part. L’objectif de cette démarche était de comprendre trois choses :

- Qui sont les consommateurs de marques de luxe, françaises le cas échéant ? Eventuellement, qui sont les consommateurs potentiels ?

- Quelles marques associent-ils au luxe, français le cas échéant, et qu’en attendent-ils en termes de produits et de services ?

- Les perceptions et attentes par rapport aux marques de luxe diffèrent-elles d’une culture ou d’un pays à l’autre ?

Les personnes interrogées ont été contactées par e-mail, puis un questionnaire ouvert leur a été envoyé. Elles ont répondu soit par téléphone, soit en ligne, sans avoir connaissance des réponses d’autres personnes.22

Puis, pour déterminer les tendances, comportements et attentes des consommateurs de luxe notamment par rapport au web social, des entretiens qualitatifs ont été réalisés. L’objectif était de rassembler des insights consommateurs sur deux sujets :

22 Tous les questionnaires et comptes-rendus sont disponibles en annexe.

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- le type de communication digitale à laquelle ils sont sensibles venant des marques de luxe ;

- ce qu’ils attendent des marques de luxe sur les réseaux sociaux en particulier. Ces personnes interrogées ont été identifiées selon le profil dressé ci-avant et contactées par e-mail. Puis nous les avons rencontrées en personne et interrogées selon un guide d’entretien. Les entretiens ont été menés par l’auteur de ce mémoire.

Limites Les échantillons de personnes disponibles et ayant accepté de répondre à l’étude quantitative

sont restreints par rapport à ce qui aurait été nécessaire pour une meilleure représentativité de la population.

2. Le benchmark des bonnes pratiques adoptées par les marques de luxe sur le web social

Le benchmark des bonnes pratiques sociales émanant de marques de luxe a été fondé sur quatre

types de contributions :

- Les résultats de l’étude auprès des consommateurs (« quelles marques suivez-vous avec plaisir sur les réseaux sociaux ? ») ;

- Des études réalisées par des experts sur la question des bonnes stratégies digitales pour les marques de luxe ;

- Des entretiens auprès de responsables de la communication digitale de marques de luxe. Cette partie des entretiens a pour objectif d’identifier les objectifs originaux et les retombées des stratégies déjà mises en place ;

- Des entretiens auprès de professionnels de la communication ayant à la fois une expertise des réseaux sociaux et une expertise luxe, qui nous ont permis d’identifier les stratégies intelligentes et durables actuellement en place.

Les marques observées ne sont pas nécessairement des marques françaises. Il peut s’agir de marques étrangères aux attributs, enjeux de communications et objectifs comparables à ceux des marques de luxe françaises. Il peut également être intéressant d’étudier la perception qu’ont les consommateurs étrangers des marques françaises, afin d’identifier les éléments de l’identité de marque à mettre en avant. Pour cela, nous avons interrogés quelques consommateurs étrangers. Ils ont été contactés par e-mail et ont répondu par écrit sans avoir connaissance des réponses de chacun.

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Limites Les stratégies des marques sont confidentielles, qui plus est dans l’univers du luxe. Il est donc

difficile d’une part d’obtenir des réponses des personnes contactées, d’autre part d’obtenir des informations sur les objectifs lors du lancement d’une stratégie sur le web social et leurs retombées par la suite.

3. Définitions des objectifs stratégiques de Jean Rousseau

Nous avons travaillé de concert avec Jacques et Anaïs Bordier, respectivement directeur et

directrice artistique de la marque de luxe Jean Rousseau, maison de création de bracelets montres en cuir personnalisés et de maroquinerie de luxe. Cette collaboration avait pour but d’identifier les objectifs et ambitions de la marque en termes de communication digitale et sociale, en accord avec leur développement international.

La recommandation stratégique proposée est basée sur l’audit de la présence digitale existante ainsi que les résultats des études citées précédemment.

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PLAN

5Dans un premier temps, nous dresserons un état des lieux du web social tel qu’il est

exploité par les marques de luxe aujourd’hui. Nous verrons comment certaines marques ont intégré les réseaux sociaux dans leur stratégie marketing, mais aussi comment elles appréhendent la transformation des usages digitaux vers une utilisation sociale. Cette première partie permettra d’identifier les meilleures pratiques ou les écueils à éviter par rapport à ce qui a déjà été fait. Nous nous attarderons également sur les initiatives récentes et innovantes des marques de luxe

En nous appuyant sur nos observations, nous tenterons d’identifier quels risques et opportunités existent sur le web social aujourd’hui pour les marques de luxe. Cette deuxième partie élargira le champ des recherches. Nous réfléchirons à la façon dont les marques de luxe peuvent anticiper les usages sociaux dans la conception de leur stratégie digitale. Nous explorerons les attentes des publics et les tendances. Nous nous emploierons également à déterminer quels types d’expériences les marques de luxe peuvent offrir à leurs consommateurs en fonction des facettes de leur identité.

Enfin, à l’aide de nos recherches, nous réaliserons une recommandation stratégique complète pour la marque de luxe Jean Rousseau, en fonction de ses objectifs de communication pour l’année à venir.

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P I P

L’EXPLOITATION DU WEB SOCIAL

PAR LES MARQUES DE LUXE AUJOURD’HUI :

ETAT DES LIEUX, SUCCES ET INITIATIVES

A. Marques de luxe, publics cibles et problématique du digital

a) Acheter un produit de luxe sur internet : descente en gamme et digital

5Comme il a été souligné dans l’introduction, le luxe est loin d’être un marché homogène et

les marques qui le composent peuvent adopter des positionnements aussi variés qu’éloignés les uns des autres. Selon leurs cibles et objectifs globaux, mais aussi selon leur activité, les marques de luxe n’adopteront donc pas le même type de stratégie sur le digital. Il nous faut tout d’abord reprendre la typologie établie par Caron : les marques de luxe dites « d’exception » sont en général peu connues et très centrées sur le produit. Leur valeur ajoutée est celle de l’artisanat, de la qualité et de l’unicité d’une pièce. Ces marques tendent à avoir une clientèle restreinte, d’un niveau de vie élevé et dont la préoccupation principale est d’acquérir un objet beau, unique et néanmoins fonctionnel. Les marques de luxe dites « de prestige » sont des marques d’exception ayant effectué une descente en gamme pour s’adresser à un public plus large.23 Celle-ci s’effectue souvent par l’intermédiaire de produits de parfumerie ou de maquillage. Prenons l’exemple de Dior ou Chanel, dont les parfums et cosmétiques ne sont presque plus considérés comme des produits de luxe, mais comme des cosmétiques haut-de- 23 Gérard Caron, « Les marques de luxe, quel luxe ? », in Prodimarques, Revue des Marques, 01/06 [02/09/12 10:10].

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gamme. Mais il peut également s’agir de petits accessoires, tels que des lunettes de soleil signées Gucci, Chanel ou Dolce & Gabanna, en vente dans des magasins d’optique grand public. Au-delà de la qualité du produit lui-même, c’est l’aura de la marque qui sert à vendre ce type de produits auprès d’une tranche plus large de consommateurs. On peut également citer Hermès, qui d’une part peut faire attendre 3 mois avant de livrer un produit fait quasiment sur-mesure pour le client, mais d’autre part propose des accessoires relativement abordables comme ses petits bracelets en cuir ou ses Carrés de base. Dans ce cas précis, ces produits sont commercialisés en France, disponibles sur le site internet et livrables immédiatement. A priori, ces différents niveaux de gamme ne portent préjudice ni à l’image ni au positionnement originel de la marque, puisque cela n’empêche pas les consommateurs réguliers d’Hermès de continuer à l’aimer sans se sentir dévalorisés. 24 En dépit de leur ciblage initial, ces produits ne s’adressent pas nécessairement à des catégories de consommateurs différents. Il serait trop simple – et simpliste – de stigmatiser l’acte d’achat et de classer les consommateurs en fonction de leur pouvoir d’achat. L’insight « les riches se rendent en magasin pour acheter des produits chers et les produits moins chers ne sont achetés que par des moins riches » reste un préjugé non vérifié par la totalité des pratiques d’achat.25

Cependant, ce n’est pas tout à fait la problématique du e-commerce. La contradiction entre digital et marques de luxe a souvent été envisagée du point de vue de la relation commerciale : fallait-il vendre sur Internet ? Cela ne massifierait-il pas le marché ? Aujourd’hui, ce type de questionnement s’avère obsolète sur bien des points. Les marques ayant fait une descente en gamme s’autorisent à commercialiser les produits d’entrée de gamme sur Internet pour plusieurs raisons. D’une part, le consommateur digital ne conçoit plus la vente sur Internet comme une barrière à l’achat d’un produit, quel qu’il soit ; d’autre part, la commande et l’achat en ligne rendent des produits accessibles aux populations ne se trouvant pas à proximité d’un point de vente. Pour les marques de luxe comme pour les autres, Internet représente une opportunité commerciale non négligeable par son taux de pénétration. Selon une étude de la FEVAD 2012, 77% des Français achètent à distance.26 On estime à 193 millions le nombre d’acheteurs en ligne chinois. 27 Les stratégies de marques observées sont souvent similaires : elles proposent une sélection de produits « accessoires » en ligne, et réservent l’accès aux pièces qui constituent le cœur de produit à une vente

24 Cet exemple de descente en gamme est cité par un consommateur régulier de produits de luxe. Voir entretien 4. 25 Voir entretiens 1 et 2 avec des responsables commerciaux de marques de luxe, annexe p. iv à vii. 26 FEVAD, Vente à distance et e-commerce aux particuliers, éd. 2012. 27 The Boston Consulting Group, « The fast and furious e-commerce market of China », in bcgperspectives.com, 11/04/12 [01/09/12 10:33].

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en magasin.28 Initialement, les marques de luxe cherchaient à toucher deux cibles principales grâce à la vente en ligne : une nouvelle clientèle, « jeune et aspirationnelle », dans une perspective d’acquisition, et sa clientèle régulière, dans une optique de fidélisation (Fig. 1).29

Fig. 1- Stratégie et clientèles cibles du luxe sur Internet

Comme l’ont révélé les entretiens, pour un consommateur, acheter un accessoire de luxe plus abordable disponible sur Internet relève simplement de l’acte « non impliquant ».30 Par ailleurs, l’étude classe la clientèle en magasin occasionnelle comme « non recrutable » sur Internet. En effet, les consommateurs occasionnels pour qui ce type de produits pourrait constituer un achat exceptionnel ont tendance à repérer le produit sur le site et à se déplacer en magasin.31 Pourquoi ? Au même titre que les consommateurs réguliers qui privilégient la relation en boutique, pour vivre une expérience physique, privilégiée, avec la marque.

28 Voir entretien 2, annexe p. v. 29 Eurostaf 2006, Les stratégies de distribution des marques de luxe sur Internet, voir résumé, in abc-luxe.com, 05/09/06 [01/09/12 10:46] 30 Voir entretiens 4, 5 et 10, annexe p. x : « Je n’achèterais pas sur Internet. Les achats sur internet sont des achats récurrents. Des chaussettes par exemple… mais non, je ne commanderais pas sur Internet, je téléphonerais. » 31 Voir entretien 10, annexe p. xiv.

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b) Acte d’achat et relation personnelle avec la marque de luxe

5On distingue deux grands types de psychologie dans l’acte d’achat chez les consommateurs

de produits de luxe, et ce, toutes marques confondues. La marque de luxe étant empreinte d’une identité forte par ses produits et son aura, elle possède une « personnalité » spécifique dans l’esprit du consommateur. Ostensible ou non, le produit est inévitablement un signe. Aux yeux de qui ? Soi ou autrui ? Ou bien les deux ? La différence de psychologie dans l’acte d’achat est, elle, souvent liée à la catégorie socio-professionnelle et/ou à la maturité du marché.32

v L’achat « statutaire » :

Dans ce cas de figure, le produit de luxe est considéré comme un signe de réussite sociale ou une déclaration de statut social. Il correspond à ce que Bastien et Kapferer décrivent lorsqu’ils abordent l’importance du logo et de la griffe sur le produit.33 Les témoignages de responsables commerciaux montrent que les consommateurs venant de pays émergents où les disparités sociales sont très prononcées (Asie, Moyen-Orient, Afrique) achètent des produits plus ostentatoires par besoin de « montrer la marque de luxe. » Ce type d’achat est répandu sur des marchés où la réussite sociale est une valeur d’auto-détermination et de distinction par rapport à autrui, en particulier en Asie. L’acquisition d’un produit de luxe de cette façon n’est parfois pas liée au goût pour le produit en lui-même. Il est déterminé par le regard que la société porte sur un objet en particulier, qui est apparu dans une campagne publicitaire ou qu’on a aperçu sur une célébrité.34 Dans cette catégorie, néanmoins, on identifie également le désir d’appartenir à une communauté, celle qui saura reconnaître – même sans le logo – l’origine du produit et la marque, les fameux « Happy Few » en d’autres termes. Un tel rapport social installe une sorte de connivence de bon aloi entre des individus qui se projettent dans l’image renvoyée par l’autre.35 32 Voir entretiens 2 et 3, annexe p. v et vii. 33 Vincent Bastien et Jean-Noël Kapferer, op. cit., p. 272. 34 Voir entretien 2, annexe p. v. 35 Vincent Bastien et Jean-Noël Kapferer, op. cit., p. 278.

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v L’achat « pour soi », qu’on appellera « hédoniste » : Cette psychologie se rapproche de celle décrite par les consommateurs réguliers de marques de luxe qui ne cherchent pas – ou plus – à se déterminer par rapport aux autres. Pour eux, il s’agit d’un mode de vie, bien qu’ils aient conscience d’évoluer dans le monde du luxe – la marque ne perd pas pour autant de son aura.36 « Je n’achète pas pour qu’on me regarde, ça me gêne presque qu’on sache que je suis consommateur de produits de luxe. Si j’aime quelque chose, je l’achète, parce que je le trouve beau. » 37 Pour les marques de luxe, ce type de rapport à l’acte d’achat est acquis lorsque le consommateur est fidélisé et a acquis une certaine maturité par rapport au marché du luxe. Mais l’achat hédoniste ne concerne pas toujours les consommateurs réguliers : d’après les responsables commerciaux, un nouveau consommateur, jeune, aspirationnel, aura tendance acheter son premier article de luxe pour se faire plaisir avant tout. Il s’agira souvent d’une pièce « dont on est tombé amoureux », un objet qu’on aura longtemps désiré et « qu’on s’offre ».38

Bien que fondamentalement différents dans l’esprit du consommateur, ces types d’actes d’achat conservent un dénominateur commun : celui de la relation avec la marque. Qu’il soit statutaire ou hédoniste, l’acte d’achat doit se faire en parfaite adéquation avec les désirs profonds du consommateur et son identification personnelle avec la marque. La relation est fondée sur le goût pour la marque en premier lieu, ce qui nous mène à poser la question du choix d’une marque de luxe par rapport à une autre. A qualité de produits égale et secteur d’activité similaire, la différence se joue sur la créativité et le style des designers, qui sied aux goûts et aux codes de certains, mais aussi à l’univers que la marque est capable de créer autour d’elle. En témoignent les dires des consommateurs, qui s’identifient à un univers qui « leur parle ». Certaines jeunes filles aspirent à se reconnaître dans les mythes véhiculés par les marques : Chanel renvoie l’image d’une femme raffinée mais forte, à l’image de sa fondatrice Gabrielle Chanel. La publicité de ces dernières années autour de cette marque, surtout à travers les films, contribue à ce type de rapport. L’attractivité d’une marque de luxe se joue donc sur trois piliers : le goût personnel du consommateur, l’univers dans lequel il prétend s’immerger lorsqu’il achète une marque en particulier et enfin, la relation d’exclusivité qu’il vit avec une marque.

36 Voire entretien 2, annexe p. v. 37 Voir entretien 4, annexe p. viii. 38 Voir entretien 2, annexe p. v.

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c) Exclusivité et web social : idées reçues sur l’enjeu conversationnel

5L’un des sentiments recherchés par les consommateurs auprès d’une marque de luxe est

fondamentalement lié à la volonté de se distinguer socialement et de sortir de l’anonymat de la masse.39 Si la mode moderne permet à ce sentiment de s’accomplir par le biais d’une distinction visuelle à l’aide de styles personnels, le luxe lui, entretient une relation avec le consommateur qui provoque un sentiment d’exclusivité. Cependant, le consommateur du luxe attend de la marque qu’elle vienne vers lui. Il considère qu’il n’a pas à faire l’effort de créer lui-même son exclusivité : « C’est calme, tout est sans conflit », « Ils me connaissent, ils savent ce que j’aime »… la marque de luxe est comme une famille.40

Pour certains, cette dialectique entre en conflit avec le principe des réseaux sociaux. Pourquoi ?

D’abord parce qu’à travers la popularité de Facebook et de Twitter, les réseaux sociaux sont perçus comme un immense creuset pour le marché de masse.41 Cependant, Facebook possède un important enjeu de visibilité et fait tout pour intégrer la présence des marques sur l’interface, notamment avec le développement des pages « Entreprise » qui soutiennent les pratiques de social CRM. Mais les marques devant s’adapter au format standardisé de l’interface – récemment, le format Timeline - elles ne disposent que d’une faible marge de manœuvre pour personnaliser leur présence. Ce mode de fonctionnement peut poser problème pour la communication des marques de luxe, qui se définissent en grande partie à travers l’expérience sensorielle personnalisée et unique procurée au consommateur, ou au visiteur-internaute dans notre cas. Aujourd’hui, seuls 13% des consommateurs de produits de luxe interagissent avec la marque sur les médias sociaux.42

Un second frein à la présence des marques de luxe sur Facebook et sur les médias sociaux de façon générale est l’enjeu conversationnel. A quoi peut bien servir une page Facebook ou un compte Twitter si l’on n’entre guère dans le dialogue avec les gens désireux de converser avec la marque ? Dans le cas particulier des marques de luxe, la problématique est de préserver la distance nécessaire à l’attractivité du luxe qu’on peut qualifier de « rêve »… Rêve d’entrer dans un monde qui nous semble

39 Au sens, à nouveau de Pierre Bourdieu, op. cit. 40 Propos recueillis dans les entretiens 4, 5 et 6, annexe p. viii-xiii. 41 Voir entretien 11. 42 Etude Empathica, Empathica Consumer Insight Panel - Analysis of U.S. & Canadian Consumer Behaviors in Luxury Purchases, 2011-2012.

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inaccessible, rêve d’appartenir à une communauté à laquelle, par ailleurs, un petit nombre de privilégiés a accès. La difficulté part de l’hypothèse que la conversation représente une menace. Pourtant, un grand nombre de marques de luxe sont aujourd’hui présentes sur les réseaux sociaux : citons à titre d’exemple Burberry, Cartier, Tiffany’s & Co, Dior, Chanel… D’après l’étude du Thinktank L2, 69% des marques de luxe sont présentes sur Facebook et 46% sur Twitter.43 La marque anglaise Burberry a dépensé 60% de son budget promotionnel en publicité sur Internet.44 C’est aussi la marque de luxe qui a fait le plus de « buzz » en 2011 grâce à des opérations social innovantes qui l’ont propulsée sur le devant de la scène sociale au premier semestre 2012.45

Or, le constat aujourd’hui est que les marques de luxe suscitent bien plus d’enthousiasme que les autres marques, précisément parce qu’elles entretiennent cette aura de rêve autour d’elles, notamment d’après les community managers de marques de luxe.46 Les consommateurs réguliers de ces marques, déjà fortement attachés à son identité, ne sont que peu sensibles à la communication sur les réseaux sociaux, sans doute en raison de leur tranche d’âge d’une part, mais aussi en raison de la profusion d’informations. En effet, aucune marque de luxe ne semble réellement aller vers les consommateurs : l’interface est-elle en cause ? ou les usages des jeunes consommateurs sur les réseaux sociaux ? Les entretiens ont montré que les consommateurs sont très peu sensibles à la mauvaise gestion d’une page Facebook ou d’un compte Twitter s’ils aiment la marque. Ils se diront peut-être : « C’est dommage », mais cette mauvaise gestion n’est en rien dommageable pour la perception de la marque elle-même. Ce type de réaction montre que dans l’esprit du consommateur, la présence digitale-sociale est encore déconnectée de l’expérience physique. En revanche, la mauvaise gestion ou l’inexistence d’un site internet, ne serait-ce que « vitrine » (sans e-shop) leur semble choquante. Les médias sociaux restent donc un levier à actionner. Le problème conversationnel est donc, en soi, un « faux » problème. L’enjeu est surtout de savoir comment se servir du web social comme tremplin dans la communication et la commercialisation des produits, à terme. Comme nous le verrons, certaines marques de luxe sont parvenues à exploiter cet écosystème de façon plus ou moins performante.

43 Etude de L2, L2 Digital IQ index Watches and Jewellery, 10/11. 44 Voir l’infographie réalisée par l’agence Tamba, « Luxury brands – Social Media Zeitgeist », in webandluxe.com, 06/16/12 [21:12]. 45 Voir l’article de référence de Jessica Noguez de Young Digital Lab, « Burberry : From a troubled perception to the social media stardom », in youngdigitallab.net, 25/02/12 [01/09/12 20:45]. 46 Voir entretien 11.

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B. Exploiter l’écosystème digital en incluant la dimension sociale

a) Mesurer l’efficacité d’une présence sur le web social : le classement par « Digital IQ »

5Dans un objectif de benchmark, le classement réalisé par le Thinktank L2 des meilleures

pratiques digitales des marques de luxe est un outil de référence. Depuis l’année 2010, L2 réalise une étude de la présence digitale des marques de luxe, afin d’établir un « Top 100 » annuel, dans différents secteurs du luxe. L’étude est fondée sur l’observation de quatre domaines – espaces et stratégies – de la communication digitale : le site internet de la marque, sa stratégie digitale (SEO, RP 2.0…), sa présence sur les médias sociaux et son marketing mobile. Les mesures prennent en compte l’efficacité de l’occupation et de l’exploitation de ces différents domaines, ainsi que la façon dont ils sont connectés entre eux. Elle a pour objectif de déterminer les points forts et les points faibles des stratégies digitales et de quantifier leur retour sur investissement.47

L’initiative de L2 a commencé en 2010, lorsque l’agence se rend compte que le nombre de fans Facebook n’est en aucun cas un indicateur fiable de l’efficacité des pratiques sociales d’une marque. En effet, il ne reflète pas réellement ce que représente l’ « engagement » d’un internaute auprès d’une marque, c’est-à-dire toutes les interactions rendues possibles grâce aux interfaces sociales : on peut suivre la marque, mais aussi aimer et commenter ses publications, les partager… autant d’actions à prendre en compte lorsque l’on mesure l’efficacité d’une campagne Facebook, et qui n’ont pas la même signification. Mais ce sont également des principes à appliquer au site internet : le nombre de visiteurs uniques n’est pas un indicateur suffisant, nous nous devons d’affiner les statistiques en prenant en compte les pages entrantes et sortantes, le temps moyen passé sur les pages etc. Il ne faut pas perdre de vue que dans l’univers du web social, l’objectif est de construire un système suffisamment instinctif et performant afin de générer du trafic vers le site internet. Cependant, L2 évalue également la capacité d’innovation des campagnes digitales, leur originalité et leur valeur ajoutée par rapport aux attentes des consommateurs. Selon ces critères, les 10 premières marques de luxe de mode en 2012 :

47 L2, Excerpt from 2012 Facebook IQ Index, 12/06/12. Pour plus de précision sur la méthodologie de l’étude, voir annexe.

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1. Burberry

2. Kate Spade

3. Coach

4. Gucci

5. Dolce & Gabbana

6. Tony Burch

7. Raph Lauren

8. Hugo Boss

9. Louis Vuitton

10. Michael Kors Dans le secteur des montres et de la joaillerie de luxe, le top 10 2012 est constitué de :

1. Tiffany & co

2. Swaroski

3. Jaeger-Le Coultre

4. David Yurman

5. Cartier

6. Omega

7. TAG Hueur

8. Longines

9. Montblanc

10. Pandora

Nous choisirons d’entrer plus en détails dans les stratégies de Burberry et Louis Vuitton, pour deux raisons : ce sont des marques qui à la fois appartiennent au top 10 et ont été citées à plusieurs reprises par les consommateurs d’une part et les experts d’autre part, de façon élogieuse ou critique.48 Leurs stratégies ont marqué les esprits, bien qu’elles n’atteignent pas le top 10 de l’étude sur laquelle nous nous appuyons. L’autre raison nous poussant à écarter certains marques pour une analyse approfondie est qu’elles ne sont très connues que sur le marché américain, auquel s’intéresse principalement L2, contrairement à nous. Les stratégies des marques étudiées plus en profondeur ont pour point commun d’être de notoriété top-of-mind en Europe et en Asie.

48 Voir entretiens 4, 7 et 13.

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b) Analyse de cas : focus sur les écosystèmes Burberry et Louis Vuitton

1- Burberry

5La marque Burberry a été citée à plusieurs reprises au cours de ces dernières années

comme un exemple d’écosystème digital performant, qui l’a faite passer de marque à l’identité incertaine à celle de superstar de la communication digitale.49 Elle s’est en effet déployée sur de nombreuses interfaces sociales : Facebook, Twitter, Pinterest, Instagram et YouTube. Elle a également mis en place des opérations « sociales » visibles sur son site Internet : Art of the Trench, sa propre « plateforme collaborative » et Burberry Acoustic, l’association de la marque avec de nouveaux jeunes talents de la nouvelle scène pop anglaise.

v La création de la plateforme native Art of the Trench : la fausse bonne idée ?

Mise en place en 2009, Art of the Trench est l’opération ayant contribué à la renommée de la marque en termes d’innovation sociale. Elle consiste en une plateforme de diffusion de photos mise à disposition des internautes acheteurs du produit emblématique de la marque : le trench. Les acquéreurs de trenchs se prennent en photo, vêtus de leur item Burberry, et uploadent leur portrait sur le site. Chaque utilisateur identifié peut ensuite commenter, aimer ou partager le « look ». Le site donne donc aux internautes l’occasion de s’exprimer et de se mettre en scène avec la marque. Grâce à la technologie du Facebook Connect, favorisant la viralité, les photos et commentaires sont partageables directement sur les réseaux sociaux et apparaissent comme une publication du fan.50 Ainsi, la marque se dote d’un formidable outil de visibilité, s’appuyant sur la force du partage et de la participation des amis de chacun. En effet, plus une publication engendre de commentaires, plus elle apparaît dans les fils d’actualités de Facebook. Grâce à son originalité et en misant sur la dimension statutaire de l’achat de nombreux consommateurs la marque a donc su tirer profit des réactions sociales en chaînes qui font la viralité d’un événement ou d’un contenu.

Cependant, les experts interrogés sont moins unanimes sur le succès réel de cette initiative. A son lancement, Art of the Trench avait « fait le buzz » car elle était pionnière dans son domaine. 49 Voir l’article de référence de Jessica Noguez de Young Digital Lab, « Burberry : From a troubled perception to the social media stardom », in youngdigitallab.net, 25/02/12 [02/09/12 15:41]. 50 David Klingbeil et Diana Leszczynski, « Art of the Trench : le réseau social de luxe de Burberry », in webandluxe.net, 23/11/09 [03/09/12 20:04].

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Aujourd’hui, presque trois années plus tard, l’engouement pour la plateforme s’est tassé. Certaines photos restent d’ailleurs sans commentaires, car toute l’émulation repose sur la participation des amis Facebook – or, si la publication n’a pas été vue, elle n’enregistrera aucun ou peu de commentaires. Avec le recul, le constat est clair : en réalité, peu d’internautes se connectent directement sur le site lui-même. De ce fait, il n’existe pas réellement de formation de communauté Burberry, car les personnes ayant posté leur photo restent simplement des anonymes aux yeux des autres acheteurs. Tout au plus, cette plateforme sert maintenant de démonstration de la popularité du trench.

v Le Tweetwalk : le must-do du temps réel.

En 2011, Burberry fait à nouveau parler de lui et se propulse sur le devant de la scène sociale, grâce à l’organisation du premier Fahsion tweetwalk lors du défilé Printemps-été 2012 en direct de Londres.51 Le principe : donner à voir en exclusivité sur Twitter chaque look juste avant que le mannequin n’entre sur le catwalk. Le défilé était également retransmis en livestream sur Burberry.com, sur leur page Facebook et disponible sur mobile. Le tweetwalk a le mérite d’avoir exploité Twitter dans sa dimension sociale et « temps réel » la plus totale. Une telle opération a décuplé les possibilités d’assister de loin au défilé. A travers cette nouvelle activité sur le web social, la marque cherchait à se repositionner et cibler une clientèle plus jeune et plus high-end, notamment suite à l’appropriation des codes de la marque par la communauté des « chavs » britanniques.52 Pari réussi puisque Burberry a atteint la notoriété d’image très British et néo-vintage qui plaît aux jeunes nouveaux riches du monde entier. En s’appuyant sur l’effet « buzz », elle devient également la référence en terme de digitalisation dans le monde du luxe.

v La présence sociale de la marque : les réseaux sociaux comme carrefours d’audience.

Sur les interfaces sociales mêmes, Burberry a pris la tête du classement en termes de nombre de fans et de followers. Aujourd’hui, sa fanpage est suivie par plus de 13 millions de membres et certaines publications sont « aimées » par des dizaines de milliers de fans. Les retombées presse sur la stratégie de Burberry sont nombreuses : un repositionnement réussi, du buzz, tout ce qu’il faut pour être reconnu leader de la présence digitale et le classement de L2 tend à le confirmer. Mais faut-il se limiter au nombre de fans et de retombées presse pour évaluer l’efficacité d’une marque ? Observons

51 Voir Lydia Tishman, « Burberry's "Tweetwalk" Delivers to the Masses and Challenges Fashion's Old Guard », in Forbes.com, 19/09/11 [04/09/12 11:24]. 52 Voir l’article de référence de Jessica Noguez de Young Digital Lab, « Burberry : From a troubled perception to the social media stardom », in youngdigitallab.net, 25/02/12 [03/09/12 20:06].

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la fanpage Facebook de plus près.53 Les onglets diponibles en haut à droite de la timeline restent peu exploités – nous verrons plus loin comment ils peuvent être optimisés. Il s’agit d’un relais des contenus de la chaîne YouTube, plateforme de stockage de vidéos qui sert principalement de hub lorsqu’il n’est pas exploité au maximum de ses possibilités. Les réseaux sociaux tendent à être utilisés comme des carrefours d’audience davantage que comme des leviers. Force est de constater que la page Facebook de la marque manque de contenu riche et durable : seules des photos de Londres l’alimentent quotidiennement, aux côtés de photos de nouveaux produits. On y retrouve parfois le relais de nouvelles campagnes mais il s’agit de publications occasionnelles.

Sur Twitter, la marque a fragmenté sa présence en fonction des pays où la marque est présente : ainsi, le Royaume-Uni (@Burberry), la France (@Burberry_France), la Turquie, L’Italie … 12 fils Twitter au total. Chaque fil diffuse les actualités de la marque pour le pays concerné, dans la langue locale, traduisant occasionnellement les informations globales telles que les nouveaux morceaux disponibles sur Burberry Acoustic ou le dernier look Burberry porté par telle ou telle star.54 Twitter est utilisé comme un point de contact avec les fans, avec la majorité des tweets relayant des produits en vente sur l’e-shop.55 Mais cette utilisation est-elle réellement adaptée aux usages de Twitter, notamment en France ? Ce réseau de microblogging est principalement utilisé par des influenceurs (journalistes, blogueurs…) qui en font un espace d’échange instantané de l’information nouvelle. Burberry utilise ce média comme un canal publicitaire qui renvoie vers un look disponible vers le site. Or, la majorité des experts recommandent d’utiliser Twitter comme un outil de RP 2.0 et de veille digitale si l’on veut se servir de cette interface comme réel levier de communication.56

De façon générale, les médias sociaux sont utilisés davantage comme des canaux de diffusion

plutôt qu’exploités dans leurs réelles capacités de partage et d’influence : « C’est le contenu qui a été rendu digital. »57 Quant au e-shop de la marque, il ressemble à s’y méprendre à n’importe quel site de vente de prêt-à-porter en ligne. 58 Où se trouve la valeur ajoutée qu’on attendrait d’une marque de luxe ? L’écosystème Burberry est donc suivi par une forte communauté, mais cette communauté en est-elle réellement une ? Et en quoi sa communication se distingue t-elle de celle d’une marque lambda ? La marque semble s’appuyer sur « l’effet buzz », mais elle s’engage ainsi dans une politique

53 Voir https://www.facebook.com/burberry [04/09/12 11:16]. 54 Voir exemples de tweets en captures d’écran, annexe p. xxx et xxxi. 55 Voir captures d’écran, annexe p. xxxi. 56 Voir entretiens 14 et 16. 57 Voir entretien 16. 58 Voir captures d’écran en annexe, p. xxxi.

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d’innovation forcée à chaque saison. L’internaute se lasse vite aujourd’hui, et ce qui pouvait sembler inovant deux ans plus tôt peut être complètement obsolète aujourd’hui. Notre objectif serait donc d’imaginer une stratégie digitale pérenne, qui ne repose pas dans son intégralité sur des actions ponctuelles qui retombent comme un soufflé après coup.

2- Louis Vuitton

5Malgré une place dans le classement « Digital IQ » largement inférieure à celle de

Burberry, Louis Vuitton est néanmoins perçu par beaucoup d’experts comme une réussite en termes de présence digitale.59 Sans doute la seule marque à connecter les expériences digitale et physique de façon convaincante, Louis Vuitton a su développer une présence sur le web social déployée et diversifiée.

v Louisvuitton.com : pas d’achat sans expérience.

Observons tout d’abord le site Internet de la marque. Au moment où nous réalisons cette étude, l’artiste japonaise Yayoi Kusama signe une collection limitée avec la marque. Le site Internet est donc habillé et habité par son œuvre.60 La marque ne s’efface pourtant pas derrière la pâte de cette artiste. Malgré l’emphase mise sur la participation de Yayoi Kusama et l’activité interactive du site qui renvoie à son travail, les autres contenus sont toujours accessibles. Point intéressant, le e-shop n’est pas la partie la plus accessible du site. Il faut d’abord passer par un lookbook animé avant d’accéder à la boutique en ligne. L’ensemble du site est organisé de façon à ce qu’avant d’arriver à l’action d’acheter, le visiteur passe par tout ce qui constitue l’univers de la marque. Il s’agit en fait d’une volonté de la marque – sinon du Groupe LVMH61 – qui refuse de donner accès au produit sans faire vivre une expérience particulière au consommateur.62 On sent ici une volonté de faire vivre une expérience de « luxe » au minimum, même lorsqu’on est acheteur en ligne. L’achat doit être presque aussi magique que lorsqu’on l’effectue en boutique, entouré des vendeurs qui prennent soin du client et veillent à son bien-être.

59 Voir entretien 14. 60 Voir captures d’écran en annexe, p. xxxii. 61 Sur d’autres sites de marques appartenant au Groupe LVMH, on remarque cette volonté de faire passer le visiteur par un univers avant de pouvoir accéder directement au e-shop. Voir par exemple Berluti (http://www.berluti.com/). 62 Voir entretien 14.

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v Louis Vuitton sur les réseaux sociaux : à chaque média social, son usage. La présence sociale de Louis Vuitton tend à se différencier des autres marques. Ciblant

principalement les consommateurs jeunes et adeptes de ces réseaux, la marque communique de façon spécifique sur chaque interface : sur Facebook, la ligne éditoriale adoptée est visible. L’internaute y retrouve des contenus exclusifs – photos de flagship stores aux couleurs des créations de Yayoi Kusama en ce moment, mais aussi films de l’espace culturel Louis Vuitton, vidéos montrant le savoir-faire de ses artisans… cette fanpage sert à valoriser la facette culturelle de la marque, sans pour autant négliger la dimension de voyage de son territoire de marque. Il n’y a pas de promotion pour les produits ni les collections et les contenus diffusés ne se retrouvent nulle part ailleurs. Pourtant, la page compte plus de 9,3 millions de fans et chaque publication est « likée » plusieurs milliers de fois. Les différents onglets Facebook sont exploités pour la diffusion de contenus inédits : une visite virtuelle de l’île de verre Louis Vuitton, une vidéo qui rappelle les valeurs de la marque… tout autant d’éléments constitutifs du territoire de marque mais orientés vers l’aspect culturel de Louis Vuitton.63 Cette ligne éditoriale répond tout autant aux consommateurs assidus qu’aux fans aspirationnels : elle révèle les coulisses de la marque et connecte les internautes avec les éléments matériels constitutifs de l’identité Louis Vuitton – les boutiques et les lieux emblématiques, mais aussi la présence culturelle.

La présence Twitter est également fragmentée par pays et chapeautée par un fil global, mais à la différence de Burberry, Louis Vuitton ne se contente pas de traduire dans toutes les langues les mêmes tweets. Chaque fil a son propre community management et est géré indépendamment. Prenons l’exemple de Louis Vuitton France (@LouisVuitton_FR) La marque interagit également avec les utilisateurs en relayant leurs tweets lors d’évènements en direct. Par exemple, le 3 septembre 2012 a eu lieu l’ouverture du pop-up store Louis Vuitton X Yayoi Kusama au Printemps Haussman à Paris. L’inauguration n’était pas livetweetée mais les internautes ayant utilisé le hashtag dédié #LVKusama étaient retweetés par le compte officiel de Louis Vuitton. De cette façon, la marque parvient à donner de l’importance à la voix des fans tout en alimentant son fil avec des contenus variés, originaux, souvent visuels. Mais au-delà de ce type d’évènements live, les tweets relaient les actualités de la marque. A raison de trois tweets par jour, la marque informe ses followers de ses activités de mécénat et de contribution culturelle. La ligne éditoriale est un peu moins grand public que sur Facebook. Des retombées presse de blogueurs influents présents sur Twitter sont également retweetée. De cette façon, Louis Vuitton montre qu’elle cherche à s’inscrire dans l’activité digitale et

63 Voir captures d’écran en annexe, p.xxxiii.

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tient compte des publications en temps réel. Twitter sert également de relais de l’actualité des autres réseaux sociaux. Le fil connecte les interfaces de l’ensemble de l’écosystème.

Louis Vuitton est également présent sur Pinterest et YouTube. S’il est encore trop tôt pour se rendre compte des usages de Pinterest à cause de la jeunesse de ce réseau en Europe, on note tout de même une utilisation originale du compte Louis Vuitton. Il ne sert qu’à « célébrer la collaboration entre Louis Vuitton et Yayoi Kusama » aux quatre coins du monde. Si l’on ne connaît pas la portée de cette présence, on notera qu’elle a au moins le mérite de connecter dans un seul espace les différentes boutiques qui se font visuellement écho bien que situées dans des villes différentes. L’utilisation de YouTube mérite également un point d’attention dans la mesure où la marque a personnalisé sa chaîne. Elle l’utilise certes comme une plateforme de stockage de toutes les vidéos, mais ce n’est pas la page sur laquelle arrive l’internaute lorsqu’il s’y connecte. A première vue, la chaîne est organisée comme un webTV, mais il ne s’agit là que d’un onglet supplémentaire, ajouté à l’occasion des Journey Awards (été 2012) sponsorisés par la marque. Cette technique, simple mais efficace, est cohérente avec l’utilisation « Un média social, un usage » : en tenant compte des spécificités de chaque interface, la marque exploite chacune comme un levier bien distinct. Il s’agit d’une stratégie digitale que l’on pourrait qualifier de « 360° ». En effet, il ne suffit pas d’adopter une posture d’occupation de l’espace digital. Encore faut-il en comprendre les codes et les optimiser.

3- Burberry ou Louis Vuitton ? Qui est le meilleur ?

Comme nous l’avons vu, les stratégies digitales de ces deux marques sont très différentes. Si les

experts ont davantage tendance à encenser les initiatives de Louis Vuitton, Burberry n’en reste pas moins l’une des marques les plus suivies et les plus appréciées par les fans. Alors laquelle prendre en exemple ? La difficulté principale posée par la stratégie adoptée par Burberry est qu’elle est similaire à n’importe quelle autre marque qui ne serait pas forcément sur un positionnement luxe. En effet, l’expérience digitale est très limitée et n’apporte aucune valeur ajoutée contrairement à un achat effectué en boutique. La communication digitale de la marque anglaise est donc très égocentrique, elle dit aux fans « Regardez comme nous sommes beaux », au lieu de les inviter cordialement à entrer dans l’univers. Les deux marques semblent ne pas s’adresser au même public. D’un côté, nous avons celle qui mise sur la communauté aspirationnelle de fans et renforce sa notoriété à coups de buzzing ; de l’autre, Louis Vuitton choisit ses contenus pour enrichir la présence de la marque sur les nouvelles

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interfaces. Elle rend visible des facettes de la marque peut-être plus discrètes sur le site, et qu’elle ne pourrait pas montrer en boutique. Le digital devient une opportunité de montrer ce qu’il y a au-delà du produit. Dans la même dynamique d’extension du territoire de marque, certaines marques de luxe ont créé des applications mobiles sociales – une façon d’exploiter au maximum les nouvelles technologies.

c) Initiatives mobiles sociales : True Love de Tiffany & Co et Amble de Louis Vuitton.

5Les utilisateurs de smartphones dans le monde sont au nombre de 1,08 milliard.64 En

France, on en compte 19, 4 millions. Depuis ce terminal – sans compter les tablettes – chaque internautes français télécharge 29 applications en moyenne, dont 10 qu’il utilise réellement. 65 De plus en plus de marques développent leur application smartphone. Les consommateurs que nous avons interrogés nous ont dit participer à des jeux sur mobile avec les marques, ou télécharger leurs applications par curiosité, simplement parce qu’ils apprécient l’univers de la marque.66 Nous avons choisi de nous intéresser à deux initiatives mobiles récentes qui intègrent une dimension sociale innovante et s’adressent de façon complètement différente au consommateur.

1- True Love (Tiffany & co.)67

L’application True Love est l’adaptation mobile de l’opération web What Makes Love True,

lancée par Tiffany & Co en juillet 2011. L’initiative a pour principe de montrer en quoi l’amour des couples s’inscrit dans des situations concrètes, des lieux, des actions. L’application mobile, développée cette année, comporte les même quatre options que celles disponibles sur le web :

v Love Stories : Dans cette partie, la marque diffuse des contenus audiovisuels exclusifs adaptés au support mobile et disponible uniquement dans ce programme. Elle intègre un dimension communautaire puisque chaque utilisateur peut raconter sa propre histoire d’amour en

64 « Smartphone users around the world – Statistics and Facts », Infographie par Go-Gulf, 02/01/12 [05/09/12 16:19]. 65 Voir dans le dossier réalisé par Flore Fauconnier, « Smartphones et tablettes : des usages e-commerce divergents », in le journaldunet.com, 10/05/12 [05/09/12 16:26]. 66 Voir entretien 7. 67 Voir les captures d’écran, annexe p. xxxiv.

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soumettant la photo légendée de son choix. Celle-ci sera intégrée à la plateforme communautaire de l’application et consultable par l’ensemble des utilisateurs. Cette opération semble similaire à Art of the Trench de Burberry, à la différence près qu’il n’est pas nécessaire d’être client de Tiffany & Co pour trouver sa place sur la plateforme. De cette façon, Tiffany & Co s’adresse à l’individu et non au consommateur. La marque lui donne la possibilité de s’exprimer sans exhiber son statut d’acheteur. L’acte est donc moins statutaire.

v Tiffany’s New York et The Art of Romance: La marque fait dans ces deux volets des recommandations à l’utilisateur, en respectant la ligne éditoriale de « Love is everywhere ». Elle devient guide, en proposant des bonnes adresses à fréquenter en couple à New York, et conseillère, en mettant à disposition des amoureux des astuces de séduction. Cette dernière initiative créée un lien de complicité entre la marque et l’utilisateur, même s’ils ne conversent pas directement. Avec The Art of Romance, l’application recommande des contenus également disponibles sur l’App Store (pour iOS) tels que musiques et films d’amour emblématique. True Love ne fonctionne donc pas en vase clos, elle intègre les usages des utilisateurs et lui propose, en réalité, un service de recommandation. Ce type d’ouverture au niveau des contenus permet également d’associer tout un imaginaire à la marque, qu’elle n’aura pas eu besoin de produire elle-même.

v Love is everywhere : Il s’agit là d’une carte interactive, qui valorise la dimension ludique et communautaire de l’application. Cette partie permet à n’importe quel utilisateur de l’application de se géolocaliser et de déposer une empreinte à l’endroit où il a vécu une histoire d’amour. Le principe est simple, voire simpliste, mais il permet à l’individu de valoriser ce qui lui est cher. Ainsi, la marque ne néglige pas cette dimension de mise en scène, nécessaire lorsqu’on pénètre sur le terrain des réseaux sociaux. Bien entendu la totalité des contenus générés sur la plateforme est partageable sur les comptes réseaux sociaux des mobinautes.

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2- Amble (Louis Vuitton)

Observons à présent l’application qui a été le plus souvent citée par les mobinautes

consommateurs : Amble. 68 Il s’agit avant tout d’un service proposé par Louis Vuitton, dont la promesse est « Take the Art of Travel to the next level ». Celui-ci promet à l’utilisateur une expérience de voyage plus agréable, plus pratique, une « autre » expérience. Son développement est fondé sur les usages – se géolocaliser à l’aide de son mobile – et la tendance – apporter une dimension culturelle aux espaces et lieux visités. Amble comporte trois dimensions : la recommandation communautaire, la recommandation par la marque et l’espace personnalisé.

v City Guides : Dans ce volet, la marque fait presque une extension de gamme. Elle propose des guides pour chaque ville, que l’utilisateur d’Amble doit acheter. La marque tire ici partie de son territoire de marque axé sur l’art du voyage. Les consommateurs tendent à faire confiance à ces city guides parce qu’ils ont confiance en la marque.

v Inspiration : L’application permettant à chaque utilisateur de produire ses propres parcours (ses « ambles ») et de les publier sur la plateforme, Louis Vuitton s’est autorisée à les hiérarchiser. Sont ainsi disponibles la totalité des ambles, mais aussi ceux qui ont été « curated » par Louis Vuitton, c’est-à-dire conçus par des utilisateurs puis lus et approuvés par la marque. Ce système est remarquable à deux niveaux : d’une part, il valorise les contenus générés par les utilisateurs, créant ainsi une relation de complicité avec certains d’entre eux, les érigeant au range d’influenceurs ; d’autre part, il renvoie à la pratique très sociale qu’est la curation, l’action de « redigérer » des contenus pour les transmettre ensuite à un autre public. Un troisième niveau de recommandation a également été mis en place par la marque : il fait intervenir des stars ambassadrices de Louis Vuitton et leurs ambles. Bien que cette initiative ne soit pas forcément du goût des consommateurs qui cherchent avant tout une histoire d’intimité avec la marque, elle ajoute à Amble la dimension de starification propre à l’identité des marques de luxe dites de prestige.

68 Voir entretiens de consommateurs en annexe.

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3- L’application mobile : de l’ « entertainment » au service.

On retient des applications mobiles True Love et Amble plusieurs points communs. Tout

d’abord, ces deux applications placent les marques de luxe au rang de conseillères dans des domaines complètement différents de leur savoir-faire d’origine. Cette prise de position est permise à la fois par leur aura de marque de luxe mais aussi la force de leur identité de marque. Un deuxième point d’importance est qu’il n’est pas nécessaire d’être un consommateur de ces marques pour utiliser leur application, et ce même lors du partage de contenus (contrairement à Art of the Trench de Burberry par exemple). Cet aspect nous mène à considérer l’atout essentiel de ces plateformes : celui de fonder leurs fonctionnalités sur les usages des consommateurs tout en y intégrant la force relationnelle de la marque. De fait, le mobinaute aurait pu trouver ce service, utile, ailleurs, mais il préfèrera celui édité par les marques de luxe – s’il est performant – parce qu’il a confiance dans la qualité de leurs recommandations.

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P II P

DU RESEAU AU MEDIA SOCIAL :

L’ANTICIPATION DES USAGES SOCIAUX DANS LA

CONCEPTION D’UNE STRATEGIE DIGITALE

POUR LE LUXE

A. Les réseaux sociaux : plus que des points de contact, de véritables médias

5Aujourd’hui, la plupart des marques utilisent les réseaux sociaux comme des carrefours

d’audience, des plateformes de contact avec la population de fans et de consommateurs potentiels. Elles sont présentes sur ces interfaces sans réel engagement. Ce déficit de stratégie provient probablement du fait que ces espaces d’expression sont nouveaux et qu’il s’est écoulé une longue période – entre leurs débuts et …presque aujourd’hui – pendant laquelle il était impossible d’en mesurer les retombées. Pourtant, à ce jour, nous avons reconnu que le nombre de fans d’une page Facebook ou d’abonnés à un fil Twitter n’était pas un indicateur fiable, et ce parce qu’il s’agit d’un moyen uniquement quantitatif d’évaluer le succès d’une page. Les experts en médias sociaux que nous avons rencontré ont tous souligné un point crucial : les réseaux sociaux ne peuvent être utilisés

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comme des médias que si l’on en respecte les usages.69 Un autre facteur à prendre en compte est que les réseaux sociaux doivent avoir comme but ultime de générer du trafic vers le site et des ventes. Nous verrons comment optimiser notre stratégie dans ce but.

a) Définir une stratégie « médias sociaux » : à chaque média social, son usage.

5Les réseaux sociaux sont des interfaces, des espaces d’expression, qu’il faut combler.

Certaines pratiques montrent qu’ils sont encore considérés comme de simples plateformes sans attribut supplémentaires ni usages différents. Nous devons faire la lumière sur un point crucial avant d’aller plus loin dans cette études : diffuser exactement les mêmes contenus sur Facebook, YouTube et Twitter n’a aucun sens. Observons les stratégies dites « 360° » des marques : ces dernières imaginent des contenus différents autour du même thème afin de pouvoir le décliner sur tous les médias. Il serait inapproprié d’utiliser les mêmes contenus à la télévision, sur des supports print ou encore sur le site Internet. Une vraie stratégie globale consiste à optimiser l’exploitation de chaque média. Il en va de même pour les réseaux sociaux. En France, Twitter est orienté influenceurs alors que Facebook est beaucoup plus grand public. Les profils d’utilisateurs sont loin d’être identiques70 et en ce qui concerne les marques de luxe, de nombreux consommateurs ne sont même pas des utilisateurs des réseaux sociaux. Il faut donc aussi se poser la question de la cible : sur les réseaux sociaux, à qui s’adresse t-on ? Où exactement et de quelle façon ?

A chaque média social, son usage et sa puissance. Il faut considérer les différences espaces du digital comme des médias aux fonctions différentes. Le site Internet, statique, est principalement dédié à la vente et aux contenus informatifs qui ne changent pas. Les réseaux sociaux eux, opèrent dans l’instantanéité, dans le temps réel. Le public attend donc que les contenus changent en permanence afin d’alimenter ce flux constant d’informations. Les consommateurs de produits de luxe en particulier s’attendent à une présence « digne » de la marque, ils attendent « que la marque viennent vers eux », qu’elle leur apporte de la valeur ajoutée. Si l’expérience n’est ni complémentaire, ni supplémentaire par rapport au site, à quoi bon suivre une marque sur les réseaux ? C’est ici que pêche la stratégie de Burberry : elle ne fait que relayer les contenus de ses collections sur les plateformes, sans grande éditorialisation, qui plus est. Les photos de Londres agrémentées d’un filtre

69 Voir entretiens 12 et 13. 70 Voir les pratiques des consommateurs dans les entretiens consommateurs en annexe.

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vintage postées sur la fanpage Facebook ne sont même pas « estampillées » Burberry. Elles auraient pu être prises par n’importe quel utilisateur. « C’est une communication qui pourrait être faite par n’importe quelle marque » nous dit un expert.71 L’enjeu principal est donc de produire des contenus riches de sens pour la marque, qui viennent soutenir son identité et la rapprochent de ses fans. Les réseaux sociaux apportent l’incroyable opportunité de converser directement avec les différentes communautés qui fréquentent chaque réseau social.

b) Réconcilier les marques de luxe avec les médias sociaux : opportunités.

5Comme nous l’explique M. B., top manager chez LVMH, « les Maisons de luxe essaient à

tout prix, dans la vie réelle, d’être dans la rareté, de cibler les bons publics et d’éviter d’être dans les mauvais voisinages. »72 C’est pourquoi leur présence sur les réseaux sociaux est si problématique. Elles ne peuvent cependant ignorer qu’on parle d’elles sur ces espaces.73 Si elles veulent s’y trouver et construire leur présence, elles doivent donc doublement s’assurer que celle-ci reflètera fidèlement leur standing de luxe aussi bien que la relation d’exclusivité et de rareté qu’elles s’efforcent tant d’entretenir avec leurs publics « hors ligne ». Nous avons vu qu’il était peu stratégique – voire inutile – de relayer l’ensemble des contenus du site, un support statique. Bien que l’un des objectifs soit de générer du trafic vers le site, il faut savoir le faire de façon à séduire l’internaute.74 La relation qu’entretiennent les marques de luxe avec leurs consommateurs et fans est fortement ancrée dans le plaisir, l’expérience, la séduction. C’est donc ce type de relation qu’il faut tenter de reproduire au cours de n’importe quelle opération de communication. Plusieurs fonctionnalités des réseaux sociaux s’offrent aux marques de luxe qui souhaitent réellement les exploiter et créer de l’émotion auprès de leurs publics.

71 Voir entretien 13. 72 Voir entretien 14. 73 Idem. 74 Voir entretien 13.

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1- Le temps réel : opportunité d’événementialisation

La relation avec une marque de luxe, beaucoup plus qu’avec une marque ordinaire, est faite de

temps forts et de temps calmes – une périodicité accentuée par la saisonnalité des collections. Au delà des sorties de collections, à chaque événement impliquant des célébrités, les marques de luxe sont présentes : elles vivent au rythme des temps forts de ce monde. Partager et diffuser ces moments fait maintenant partie de leurs missions. Les médias sociaux leur en donnent l’opportunité grâce à leur instantanéité de diffusion. S’il y a une occasion où la marque Burberry a joué une carte maîtresse et a montré sa compréhension du fonctionnement de Twitter, c’est bien lors de l’organisation de son tweetwalk. 140 caractères, des millions d’utilisateurs connectés, dont des journalistes, des rédactions, des blogueurs et des fashionistas, l’information en temps réel : tous les facteurs étaient regroupés pour optimiser les usages de Twitter et créer le buzz. Twitter est un formidable outil de diffusion de l’information en temps réel. Il convient aux relations d’influenceurs et permet aux marques de luxe de prendre soin des médias, mais aussi de leurs ambassadeurs que sont les fashionistas. Ces publics ont de l’ascendant sur les communautés de fans. Ils ont donc de l’ascendant sur les marques. Leur offrir des opportunités exclusives, c’est donc renforcer sa présence au sein d’une communauté capable de recommander la marque.

2- Diffuser des contenus audiovisuels : montrer la marque sous un angle nouveau

Les médias sociaux permettent à la marque de se placer en émetteur privilégié face aux

communautés d’internautes, de consommateurs et de fans. Grâce aux comptes officiels, l’internaute identifie clairement qui s’adresse à lui et fait confiance au contenu. Des études ont en effet montré que sur le web social, les utilisateurs avaient davantage tendance à faire confiance aux grand médias, donc aux sources sûres.75 La marque peut aisément en tirer parti et diffuser des contenus variés qui lui permettent de parler d’elle autrement. Les usages sur les réseaux sociaux montrent également que les contenus les plus populaires sont les contenus visuels et audiovisuels.76 Ce sont les plus aimés mais aussi les plus partagés, notamment sur Facebook. Cette tendance est un tremplin formidable pour les marques de luxe de mode, maroquinerie, joaillerie, qui suscitent de l’admiration d’abord visuellement 75 Voir l’étude de CNN, POWNAR, the Power of News and Recommendation, 11/10, compte-rendu par l’agence Vanksen, 23/11/10 [09/09/12 11:08]. 76 Voir l’étude du New York Times, The Psychology of Sharing, 07/11, disponible sur Slideshare.net [09/09/12 11:09].

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auprès de leurs consommateurs. L’appréciation d’une belle pièce réalisée par de telles marques passe d’abord par la vue. De fait, une marque de luxe a tout intérêt à produire des contenus adaptés aux réseaux sociaux qui stimulent ce sens. Les consommateurs apprécient de visualiser des produits sur Facebook, cela fait partie de leurs attentes. Mais ils s’attendent à autre chose qu’un catalogue. Ils s’attendent à l’histoire d’un produit, ce que les médias sociaux permettent incontestablement de mettre en œuvre. L’une des recommandations que nous ferons à une marque de luxe sur Facebook est donc d’imaginer des contenus à la fois visuels et textuels qui interpellent le consommateur sur un produit afin de susciter non seulement l’intérêt, mais aussi de provoquer le partage le cas échéant.

3- Des médias communautaires : agréger les retombées et abaisser les frontières

La dimension communautaire des médias sociaux est loin d’être négligeable. Les utilisateurs parlent de la marque, participent à ses évènements, vivent des choses avec les marques de luxe. La dimension statutaire de la relation les pousse également souvent à partager ces moments de vie sur les réseaux sociaux.77 Grâce aux interfaces sociales, les marques peuvent à la fois prendre connaissance de ces moments de vie et relayer ceux qui sont pertinents pour son image. Une telle action possède un intérêt double : celui de valoriser le consommateur, et celui de montrer la portée et le rayonnement de la marque. La seconde dimension importante des médias sociaux est qu’ils sont internationaux et permettent à la marque de communiquer au-delà des frontières. Bien entendu, les marques doivent adapter leur communication aux interlocuteurs locaux. C’est également la raison pour laquelle nous recommandons des comptes Facebook et Twitter propres à chaque pays, des playlists spécifiques sur YouTube… Les marques peuvent, en revanche, relayer des contenus d’un compte à l’autre, connecter les évènements d’un pays à l’autre – comme Louis Vuitton le fait sur son Pinterest, où la marque agrège des photos des différents flagship stores. A nouveau, les différents boards suivent un même fil rouge : celui de la collection Louis Vuitton par Yayoi Kusama. Il ne s’agit pas de relayer une présence fragmentée, mais de montrer la cohérence internationale de la marque. Ce type de communication globale est essentielle pour les marques de luxe françaises car elles sont ancrées dans deux dimensions géographiques : la France (l’Europe) et le reste du monde. Si les produits de luxe se vendent beaucoup plus aux Etats-Unis et en Asie, les marchés les plus importants en termes de chiffre d’affaires, la légitimité des marques n’en reste pas moins dépendante du territoire européen, et

77 Voir capture d’écran en annexe, p. xxxviii.

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français en l’occurrence.78 Il importe donc de connecter ces territoires et marchés sur les médias sociaux – phénomène dont on peut difficilement rendre compte sur un support print ou via le site e-commerce.

c) La force de l’éditorialisation

5Pour la marque de luxe, deux axes éditoriaux peuvent être envisagés, qui sont fortement

liés entre eux. Le premier enjeu est de renforcer la valeur du produit, le cœur de métier de la marque. Le second est de renforcer le territoire de marque cette fois, en abordant les sujets sur lesquels elle bâtit son identité et des actions qu’elle mène légitimement – notamment des actions de mécénat ou de solidarité. L’une des forces des marques de luxe est d’être profondément ancrées dans la culture.79 Parce que leurs produits sont issus originellement de l’artisanat et inscrits dans l’Histoire – ou dans des histoires – les marques de luxe ont cette facette culturelle que des marques ordinaires ne possèdent pas, ou peu. Un tel aspect constitue une remarquable force pour la communication sur les réseaux sociaux dans la mesure où la marque peut parler d’elle continuellement sans faire du marketing direct et de l’incitation à l’achat. En d’autres termes, le patrimoine culturel des marques de luxe – quel qu’il soit – est une source de contenus presque intarissable. Tout comme on distingue les journaux et magazines par leurs thèmes de prédilection et leur ligne éditoriale, on doit pouvoir distinguer clairement la promesse éditoriale d’une marque sur un média social. C’est ce qui fera son intérêt auprès des internautes et contribuera à apporter de la valeur ajoutée à l’expérience d’un consommateur qui attend d’une marque de luxe qu’elle vienne vers lui et lui apporte « plus », l’enrichisse, lui embellisse la vie.

78 Voir entretien 16. 79 Idem.

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B. Un storytelling digital fort pour une expérience d’exception.

5Comme nous l’avons vu, les médias sociaux sont des interfaces d’échange et espaces de

communication fortement orientées vers la qualité du contenu. Les marques de luxe bâtissent leur identité sur leur patrimoine et leur histoire. Elles ont souvent des liens étroits avec l’Histoire elle-même. La condition presque sinequanone pour utiliser les médias sociaux dans toute leur puissance est de renforcer cette dimension de storytelling. Mais ce n’est pas une exclusivité pour les réseaux sociaux seuls. La technologie digitale permet aujourd’hui de renforcer l’expérience sensorielle, même si l’on reste limité par la surface d’un écran. La problématique est de traduire l’expérience vécue avec la marque en expression digitale. Citons l’un des entretiens : « le luxe est la recherche d’une expérience, d’une image et de produits extraordinaires. Il impose le devoir moral d’être à tous les niveaux de l’extraordinaire, ce qui nécessite de procurer des expériences extraordinaires dans le digital. »80

a) Quels contenus stratégiques pour une marque de luxe ?

5Pour chaque plateforme, il convient d’imaginer des contenus adaptés. Chaque interface n’a

pas un unique public dédié. Ce qui importe n’est pas de s’adapter exclusivement aux publics, mais de choisir des contenus qui parviendront à passer les messages désirés par la marque. Il s’agit de trouver un équilibre entre ce que la marque veut dire et les attentes de publics qui utilisent tel ou tel média social. La marque ne doit pas se soumettre aux profils d’utilisateurs, mais les exploiter. Plus clairement, cela signifie que comme sur les autres médias, elle doit marteler ses messages et se faire entendre, d’où l’intérêt de définir une ligne éditoriale précise. Si l’on en croit les chiffres, les contenus les plus recommandés par les internautes comportent une dose d’humour ou sont liés à l’information globale immédiate.81 Concrètement pour les marques de luxe, il s’agit de produire des contenus partageables non pas pour leur humour ou pour leur lien avec l’actualité mondiale, mais impactants par leur beauté, leur originalité, leur lien fort avec une certaine facette de ce qui constitue le mythe de la 80 Voir entretien 15. 81 Voir l’étude de CNN, POWNAR, the Power of News and Recommendation, 11/10, compte-rendu par l’agence Vanksen, 23/11/10 [09/09/12 10:34].

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marque. En effet, ce que les consommateurs et fans des marques de luxe recherchent avant tout est l’immersion dans leur univers.82 Il faut donc faire un travail régulier d’édition de contenus renouvelés.

1- Nowness.com : étude d’un média social du luxe

Il nous faut à cet instant de notre analyse étudier un média online très souvent évoqué par les

fashionistas et les amoureux du luxe : Nowness.com, piloté par Kamel Ouadi, directeur du Digital chez Louis Vuitton. Unique en son genre, ce média est édité par LVMH et présente le luxe comme innovant et faiseur de tendances. Sa conception part du principe que la relation avec le luxe est fondée sur l’émotion, beaucoup plus qu’avec des marques ordinaires. Offline, les marques de luxe utilisent souvent une communication basée sur le produit. 83 Or, le digital offre bien plus d’opportunités et peut être modelé à notre guise. La plateforme de Nowness.com traite du luxe comme d’un style de vie. Ainsi, le magazine relaie des articles sur la mode, la gastronomie, la technologie, le voyage et le design, des domaines de la culture traités à travers le prisme du luxe. Les formats utilisés sont toujours des vidéos. Le sentiment de rareté est entretenu grâce à l’exclusivité des contenus d’une part et la publication quotidienne d’un seul et unique contenu. Cette unicité de publication reflète également la simplicité que l’on attend du luxe : qu’il ne soit nul besoin de partir à la recherche de l’information. Tout se trouve sur la page d’accueil, le contenu est visible immédiatement, il n’y a pas de conflit, l’accès à l’émotion est simple.84 La plateforme elle-même est visuellement cohérente avec l’univers du luxe : un fond blanc, une vidéo presque plein écran, un discours qui va droit au but. Tous ces éléments viennent mettre en scène une création, une innovation créative, qui vient soutenir l’idée que le luxe est étroitement lié à cet univers.

En plus d’être un véhicule de contenus exclusifs, la plateforme possède une dimension sociale avec les possibilités « d’aimer » ou de « ne pas aimer » les contenus proposés. Cette fonctionnalité permet de mettre en place un moteur de recherche par goûts afin que les visiteurs retrouvent les contenus qu’ils sont les plus susceptibles d’apprécier. Le média utilise donc un système de recommandation indirecte, une sorte de « vous avez aimé cet article, alors vous aimerez… », basé sur les votes des autres internautes. Ce type de classification permet également d’affiner les profils des lecteurs du magazine. L’aspect social est donc loin d’être inutile pour un média et/ou une marque : il

82 Voir entretiens 7, 8 et 10. 83 Voir entretien 15. 84 www.nowness.com

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permet aussi de dresser des profils utilisateurs et d’éclairer les éditeurs, dans le cas présent, sur leurs usages. Nous reviendrons sur cette utilité un peu plus loin dans cette étude.

2- Recommandations éditoriales générales

Afin de préserver la distance entre le public et la marque de luxe, il convient pour les marques

de luxe de s’exprimer sur des territoires poétiques, oniriques, des territoires qui s’éloignent au maximum du prix du produit – même si ce dernier reste une composante non-négligeable du produit de luxe en lui-même. Le digital a intérêt à être utilisé pour véhiculer l’identité des marques et non faire la promotion des produits. Bien entendu, il est impossible de ne pas montrer les produits, qui sont natifs. Le défi à relever est donc de renforcer la notion de luxe de la marque, pour lui permettre de se détacher du produit matériel. Dans cette perspective de consolidation mentale virtuelle, nous recommandons trois grands axes éditoriaux aux marques de luxe, à mettre en valeur sur les espaces digitaux :

v La marque de luxe comme vaisseau culturel et ambassadrice d’un art de vivre : comme l’expliquent à la fois les communicants des marques, mais aussi les consommateurs, l’ancrage culturel du luxe est une facette extrêmement importante dans la connaissance de la marque et son attractivité.85 La marque de luxe n’existe qu’à condition qu’elle s’inscrive dans un territoire et sa culture. « Lorsqu’on achète un produit Bulgari, on doit avoir l’impression d’acheter un peu d’art de vivre à l’italienne. »86

v Le savoir-faire comme preuve de la qualité des produits et versant humanisé de la marque : le luxe s’industrialise. Etre une marque d’exception et devenir une marque de prestige (pour raccourcir), c’est prendre le risque de se massifier. Il faut savoir garantir aux consommateurs que la qualité reste la même. C’est pourquoi accorder une place de choix au savoir-faire des artisans et à la technique artisanale derrière un produit – souvent au centre d’opérations publicitaires, très glamourisé – est fondamental. Ce type de démarche peut aussi avoir un autre versant : celui d’expliquer au grand public pourquoi un produit est aussi cher, et les énergies humaines qu’il nécessite. Par ailleurs, c’est une démarche fortement valorisante en interne, car il permet de mettre en valeur

85 Voir entretien 14. 86 Voir entretien 15.

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les « petites mains » des ateliers, rarement mises en lumière. On pense notamment aux Journées Particulières de LVMH, organisées en 2011, qui ont renforcé l’image de la qualité des produits des Maisons.

v La citoyenneté de la marque de luxe, son ancrage dans les préoccupations sociétales contemporaines : il peut paraître étrange de s’attarder sur une telle problématique lorsqu’on parle de produits de luxe, de fashionistas et de grandes fortunes, mais la question du développement durable est maintenant une préoccupation des marques de luxe.87 C’est surtout pour des publics corporate que cette communication est efficace, mais le grand public est de plus en plus sensibilisé à ce type de questions, par exemple la provenance du cuir, l’impact des usines sur l’environnement, ou encore l’emploi équitable… La marque de luxe a intérêt a communiquer sur ces aspects, ne serait-ce que pour prévenir une éventuellement situation de crise – à condition bien sûr qu’elle n’ait rien à se reprocher de ce point de vue.

b) Le digital, un terreau pour l’innovation des marques de luxe

5La marque de luxe a la puissance et l’aura qu’une marque ordinaire n’a pas. C’est-à-dire

qu’en plus de vendre un produit de grande qualité, elle vend un univers, une incarnation, une interprétation du monde. C’est aussi dans cette dimension que le consommateur se reconnaît. Certains fans disent même aimer les marques sans s’être jamais acheté un produit desdites marques.88 Nous avons déjà évoqué le fait qu’une plateforme codifiée – telles que celles des médias sociaux – entre en contradiction avec la nature même d’une maison de luxe faisant travailler les meilleurs créateurs et reconnues pour leur créativité. Mais les fonctionnalités techniques ne peuvent constituer une barrière pour les marques de luxe. Ces dernières doivent exploiter les interfaces à deux niveaux : respecter leurs codes pour correspondre aux usages des internautes d’une part, et innover pour être cohérent avec leur identité créative d’autre part. Comme nous l’avons très justement entendu dans l’un des entretiens, « le digital est un univers hyper créatif » et il ne devrait pas être considéré comme un espace incompatible avec l’exclusivité du luxe. Il permettrait au contraire aux marques de luxe de

87 Voir entretien 15. 88 Voir entretien 10.

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s’exprimer de façon complètement innovante.89 A la marque, donc, de savoir anticiper et innover pour dépasser le mainstream, renouveler l’expérience digitale, comme ont su dernièrement le faire Louis Vuitton et Issey Miyake.

1- Technologies récentes appliquées à l’expérience digitale

Afin d’illustrer ce point, nous avons choisi deux initiatives récentes. Pourtant très différentes,

ces marques ont su exploiter les technologies les plus récentes pour faire vivre une expérience unique à l’internaute. Louis Vuitton a collaboré avec le nageur olympique britannique Michael Phelps dans le cadre d’un film qui explore les fonds marins via un dispositif vidéo interactif unique intitulé Au-

delà des Limites. Ce film est disponible uniquement sur le site de Louis Vuitton et procure une expérience de voyage sous l’océan, dans la continuité des campagnes de la marque valorisant les voyages dans des contrées lointaines par rapport à l’Europe – notamment l’Indonésie. 90 Cette expérience est uniquement visuelle et l’interaction n’est encore possible que par le déplacement de la souris, mais les effets visuels sont tels que l’internaute vit une réelle immersion dans le film. C’est également le type de contenus particulièrement partageable dans la mesure où elle séduit, apporte de l’émotion, de l’originalité. C’est typiquement là le type d’expérience qu’un utilisateur aura envie de recommander sur les réseaux sociaux, pour des raisons souvent très différentes : se valoriser, en faire profiter ses amis qui ont les mêmes goûts…91

La seconde initiative digitale qui mérite d’être mentionnée est Pure Emotions d’Issey Miyake. Il n’y a quasiment aucun sens à décrire par écrit le site imaginé par la marque pour présenter ses parfums. Elle a imaginé une plateforme interactive qui cherche à se rapprocher un maximum du sensitif. Pour ce faire, neuf émotions sont « retranscrites » sur le site. Il s’agit en fait de neuf ambiances, si l’on désire être précis. L’internaute peut se plonger dans plusieurs « mondes » représentatifs d’un parfum, intitulés Harmony, Escape, Oasis, Equilibrium, Please the

World… des noms poétiques et qui invitent à l’escapade. Il est possible d’interagir avec le site par le biais du clavier, de la souris, du giroscope de l’ipad, de la webcam, du scroll, de la géolocalisation … autant de possibilités qui cherchent à persuader le consommateur de la multiplicité d’expérience qu’il est possible de vivre avec la marque. Il est bien sûr possible de partager chacune d’entre elles sur 89 Voir entretien 14. 90 Voir captures d’écran, annexe p. xxxix. 91 Voir l’étude du New York Times, The Psychology of Sharing, 07/11, disponible sur Slideshare.net [09/09/12 10:01].

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quatre réseaux sociaux à partir de l’intégration de l’OpenGraph : Facebook, Twitter, Google+ et Pinterest. Chaque contenu est donc étudié pour son adaptation aux interfaces sociales et à la recommandation.92

2- Personnaliser la relation digitale

La réflexion sur les contenus adaptés aux différentes plateformes est indissociable de celle

relative au pouvoir de la recommandation d’une part et au ciblage d’autre part. Les réseaux sociaux ont cette puissance de pouvoir agréger et récolter des informations sur les goûts des consommateurs, des données statistiques révélatrices de tendances – elles sont appelées « Big Data ». Ces dernières, bien traitées et bien utilisées – là est toute la difficulté – permettent de dresser un profil précis de chaque utilisateur. Nous n’entrerons pas ici dans les détails techniques de la récolte de ces données, car il ne s’agit pas de l’objet central de cette analyse. Cependant, l’analyse de ces données peut permettre de personnaliser le parcours de l’internaute en fonction de ses recherches – sous réserve que ce dernier ait activé les cookies sur son navigateur au moins une fois. Une telle personnalisation renforcerait la relation d’exclusivité avec l’internaute. Plusieurs consommateurs réguliers ont reconnu se trouver parfois face à des contenus où ils ne se reconnaissaient pas, ou qui ne leur convenaient pas.93 Une équipe a aujourd’hui les moyens techniques de suivre et d’adapter les parcours en fonction des profils. On imagine un espace personnel où l’expérience serait entièrement adaptée aux goûts et aux attentes d’un consommateur en particulier – ou à une communauté qui partage les mêmes usages et préférences. Bien entendu il s’agit d’un investissement important aussi bien en termes de contenus que d’analyse des données, mais ce sera l’une de nos recommandations, car une telle personnalisation permettrait concrètement de traduire le service personnalisé que l’on attend d’une marque de luxe.

92 Voir captures d’écran, annexe p. xl. 93 Voir entretiens 4 et 6.

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C. Reconnecter l’offline et l’online grâce au service de luxe

5Comme nous l’avons vu, le web social correspond à un écosystème dans lequel s’inscrivent

les usages du consommateur. Mais plus encore que des actions de partage propres à cette dimension et à la collecte de données personnelles, il offre l’incroyable opportunité de s’inscrire dans les usages réels des consommateurs. Le digital ne doit plus être considéré aujourd’hui comme un monde à part. Comme nous l’avons vu, les initiatives mobiles de certaines marques de luxe vont bien au-delà du service après-vente personnalisé. Elles dépassent le point de contact avec la marque qui est normalement l’acte d’achat, et apportent une véritable valeur ajoutée à la vie même de l’utilisateur. Dans un monde tout connecté, les applications mobiles sont des outils particulièrement performants pour la marque qui cherche à être au plus près de ses publics. Grâce à des applications réellement pratiques et non uniquement informative (i.e. pas seulement un catalogue consultable sur iPad) la marque procède presque à une extension de gamme puisqu’elle propose un service déconnecté de son produit. Ici, le service doit répondre à des exigences d’usage. Ce que la marque de luxe apporte en plus, c’est son univers émotionnel et de plaisir, ainsi que son sceau d’influenceur expert du style de vie de qualité. Nous recommanderons aux marques de luxe qui souhaitent réellement toucher les consommateurs ou futurs consommateurs au plus près de mener une réflexion sur le domaine de conseils sur lequel elles seraient légitimes. Louis Vuitton s’exprime naturellement sur le voyage par exemple. Une marque de parfums aurait tout intérêt à prodiguer des conseils sur les associations de senteurs en fonction des types de peaux, une marque de mode pourrait apporter ses recommandations sur les moments avant et après l’achat… les possibilités sont multiples, l’enjeu étant d’entrer en résonnance avec l’individu même, et non le consommateur grâce à ses usages digitaux sociaux.

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P III P

RECOMMANDATION STRATEGIQUE

POUR LA MARQUE

JEAN ROUSSEAU

A. Qui est Jean Rousseau ?

a) La marque

5Jean Rousseau est une marque de luxe française née en 1954, spécialisée dans la fabrication

de bracelets-montres en cuir personnalisés, son cœur de métier. D’abord centrée sur cette production en raison de son attachement à l’activité horlogère localisée autour de Besançon, sa ville de naissance, elle a vu progressivement son savoir-faire s’étendre aux ceintures et à la maroquinerie. Aujourd’hui, Jean Rousseau émerge en tant que leader sur ce marché, face à des marques telles que Camille Fournet et Vignes. D’abord propriété de M. Jean Rousseau, la marque a été rachetée en *** par M. Bordier, qui a développé et pérennisé la marque. Aujourd’hui, c’est une entreprise familiale qui emploie 300 personnes sur quatre pôles d’activité : Paris, Besançon, Tokyo, Györ et Londres. Cette

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marque s’adresse à tous les consommateurs de produits de luxe qui recherchent des bracelets-montres faits sur-mesure, personnalisables, mais bien sûr à ceux qui aiment également le beau cuir. Déjà implantée à Paris, la marque a ouvert deux nouveaux points de vente cette année, à Tokyo et à Londres. Comme nous l’a expliqué M. Bordier, elle a donc vocation à s’internationaliser.

L’une des principales forces de Jean Rousseau est la verticalisation des activités qui lui permet de maîtriser l’intégralité de la chaîne de production, de la tannerie du cuir à la réalisation du produit fini. Les produits sont faits à la main et tous « made in France ». La marque respecte également un code éthique scrupuleux, qui lui interdit d’utiliser des cuirs d’espèces protégées. Elle jouit d’une bonne notoriété auprès des consommateurs français. Sans parler d’une notoriété élargie top-of-mind, elle possède sa clientèle fidèle. Elle commence à être connue au Japon – sa boutique se situe en face d’un point de vente Louis Vuitton – mais reste encore peu connue au Royaume-Uni, où pourtant elle vient de s’installer à Crescent St., en plein cœur de la ville. Forte d’une clientèle américaine solide, la marque n’est pas encore présente physiquement aux Etats-Unis, c’est pourquoi elle a choisi de permettre la vente en ligne.

b) Enjeux de communication

5En termes de communication, la marque a plusieurs objectifs à remplir. Elle accorde de

l’importance à la présence digitale pour plusieurs raisons, la première étant une problématique de coût, conjointement à un marché de niche qui ne nécessite pas une communication print ou média renforcée. Se trouvant dans la catégorie du luxe d’exception, elle n’a pas non plus besoin de développer un dispositif « monstre ». Son point de contact avec la clientèle est essentiellement le web. La marque cherche à se faire connaître auprès de ses différentes clientèles potentielles, fidéliser ses consommateurs et attirer de nouveaux clients, notamment à l’international. Aujourd’hui, il existe un site internet dont l’équipe Jean Rousseau n’est pas satisfaite : en flash, il ne véhicule aucune émotion. Il reprend certes les codes couleurs de la marque, ce qui est un minimum, mais n’apporte rien de l’univers du luxe. « Il est en flash, on dirait un catalogue. Il s’agit du site d’une marque commune, en dehors des mots, on ne voit pas ce qui fait de Jean Rousseau une maison de luxe en particulier. »94 Au-delà de la nécessité de le refondre en utilisant la dernière technologie (HTML5) et d’abandonner 94 Propos recueillis lors de séances de travail avec l’équipe de Jean Rousseau au mois d’août 2012. Pas de retranscription.

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le flash, obsolète aujourd’hui et anti-ergonomique, la marque souhaite mettre en avant ses points de différenciation.

La marque souhaite principalement refondre son site internet et développer éventuellement une présence sur les médias sociaux, sous réserve de la pertinence de celle-ci. Elle s’est interrogée également sur l’existence du e-shop, qui demeure pratique pour la clientèle américaine mais « ne fait pas luxe ». La réflexion est donc principalement à mener sur la façon dont on pourrait renforcer la notion de luxe de cette marque sur le digital, avec pour objectif de soutenir le développement de la marque en France et à l’étranger. La direction est consciente que la communication est un vecteur de croissance crucial, mais n’a jamais mené de réelle réflexion à ce sujet, s’adaptant aux nécessités du marché. Peu de moyens y sont consacrés, il est donc impératif d’imaginer un écosystème digital astucieux pour un moindre investissement. Cependant, avec le développement au-delà des frontières françaises notamment, il émerge une volonté de faire passer plusieurs messages-clé : la qualité des produits made in France, le respect de la nature dans le cadre d’un souci d’éthique et de développement durable, l’aspect familial et pérenne de la marque et la relation personnalisée avec le client, qui, comme chez Hermès – dans une moindre mesure – doit patienter pour obtenir son produit parfaitement calibré à ses désirs. Ce sont autant de points qui méritent d’être mis en avant pour soutenir la croissance de Jean Rousseau.

c) Audit de l’existant

5A ce jour, la marque a peu de visibilité. Comme nous l’avons évoqué, le site Internet est

fonctionnel mais ne permet pas au consommateur de s’immerger dans l’univers d’une marque qui pourtant, aurait beaucoup à raconter. Il est disponible en plusieurs langues : Français, Anglais et Japonais. Il se focalise sur les produits (modèles disponibles, en long et en large), insiste sur leur qualité, permet de les commander, mais n’accorde que très peu d’importance à l’histoire de la marque et à ses valeurs. On ne raconte d’ailleurs pas l’historique de « la marque » mais celui de « la société ». Jean Rousseau est encore au stade de marque de luxe artisanale, qui met en valeur son produit avant tout. Il n’y a pas de storytelling et les points forts de la marque – évoqués ci-avant – ne sont pas vraiment visibles. C’est d’abord la fonctionnalité des produits qui est mise en avant. La marque

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possède par ailleurs une page Facebook pour le marché Japonais, mais celle-ci ne connaît guère le succès. Les publications sont très éparses et rares. Il s’agit de photos de la boutique et de produits.

En termes de contenus, nous disposons d’un certain nombre de photos, d’un film montrant le savoir-faire de l’Atelier Jean Rousseau, aujourd’hui non visible sur Internet, mais de peu de textes. La marque est peu incarnée, en raison de sa centralisation sur le produit, mais la direction est prête à produire de nouveaux contenus pour aller davantage vers l’humanisation de la marque et établir une relation plus chaleureuse avec sa clientèle. Un travail est également à faire sur la scénographie en boutique, qui n’est pas satisfaisante pour le moment : elles manquent de sensorialité, d’expérience et de plaisir, tout comme le site Internet. Cela ne constituera cependant pas le cœur de notre recommandation, la réflexion sur ce sujet étant déjà menée en interne.

La communication existante est donc assez pauvre et nous laisse tout à faire. Nous orienterons notre recommandation vers un écosystème digital connecté et social à la mesure de la marque – c’est-à-dire ni arrogante ni simpliste, en accord avec la politique de discrétion et d’éthique de la maison. L’une de nos priorités sera de proposer une stratégie efficace et moderne, ancrée dans les usages et les préoccupations contemporains, afin de montrer Jean Rousseau sous un jour moderne et résolument luxueux. Bien sûr cela nécessitera un investissement initial, mais il s’agit de concevoir un écosystème pérenne et non de « faire un coup ».

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B. Recommandation stratégique pour la présence digitale sociale de Jean Rousseau

a) Le site Internet : storytelling et simplicité95

5En accord avec les recommandations générales faites dans la partie précédente, nous

proposons un site internet visuellement attractif tout en restant fonctionnel et facile d’utilisation. Comme nous l’avons vu, la communication des marques de luxe doit répondre à des exigences de beauté tout en convergeant vers le côté très matériel qu’est l’encouragement à l’achat. Il doit faire office de vitrine, mais le tout doit répondre d’une expérience, capable de refléter l’essence même du service de luxe proposé par la marque : le sur-mesure. Notre recommandation pour le site Internet est construite selon trois grands axes de réflexion : garder le produit artisanal au centre, produire une expérience sensorielle pour l’internaute et humaniser la marque en mettant en valeur son histoire humaine. La marque doit d’abord communiquer sur un registre intimiste avec sa clientèle. Elle n’est pas – encore – mythique. Il nous faut donc nous garder de tomber dans l’écueil de la starification de ses produits et de son histoire.

1- Immerger le visiteur dans l’univers de la marque

v Utiliser des visuels plein écran : réaliser des photos de produits mis en scène, humanisés

permettre à l’internaute de voir le grain du cuir et ses teintes en gros plan, lui permettre de visualiser la matière et le travail immédiatement. Exemples : le concurrent Vignes, Mulberry,

Zegna. v Rendre ostensible le rêve promis par la marque : verbaliser la promesse, trouver les mots-clés

qui définissent la relation du client avec la marque en s’appuyant sur ses valeurs. Rendre ces mots visibles dès l’entrée sur le site. Exemples : le concurrent Camille Fournet, Coach, Zegna.

v Penser l’ergonomie comme une expérience de luxe : ne pas donner immédiatement accès au e-shop, valoriser d’abord l’univers sans pour autant complexifier la navigation. Exemples :

Montblanc, Zegna, IWC.

95 Voir tous les benchmarks en annexe, à partir de la p. xli.

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2- Rester centré sur l’artisanat de luxe made in France

v Oublier le catalogue, se recentrer sur une création phare dans chaque catégorie de produits, qui ouvrira sur le reste de la collection. Valoriser le sur-mesure, car le bracelet-montre devient presque un bijou. Exemples : Cartier, Tiffany & Co, Mac Douglas.

v Raconter l’histoire de ce produit d’un point de vue créatif : ne pas en faire un objet icônique, qui ne correspond pas à la relation qu’entretient la marque avec sa clientèle. Exemples : Coach,

Vignes, Brioni. v Raconter le made in France : l’option du blog de marque, un « Journal de la Maison Jean

Rousseau » – pour raconter le cuir, les créations, les collections… ce volet nécessite la contribution d’une tierce personne, qui rédigera des articles selon une ligne éditoriale définie. o Proposition de ligne éditoriale : A la découverte du monde du cuir et de l’art de la

tannerie chez Jean Rousseau. o Contenus : Facettes de l’histoire de Jean Rousseau (patrimoine, liens avec l’histoire locale

et l’histoire de l’horlogerie) ; vision de la marque (témoignages par les personnalités clés) ; savoir-faire (photos, mise en valeur des gestes à l’atelier, séries…) ; retombées, évènements, actualités de la marque. L’objectif est de construire le territoire de marque à partir de la vision du monde de la marque et à travers le storytelling.

o Rythme de publication : deux à trois billets par semaine. o Calendrier éditorial sur les cinq premières semaines, à titre d’exemple :

Semaine 1 Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi

Vision du monde et du métier

Pour vous, quelle est la mission de Jean Rousseau ? Interview du directeur

Histoire de Jean Rousseau

Qui était M. Jean Rousseau ? Portrait, mini-biographie.

Mise en valeur du savoir-faire

Le geste #1 Série de photos des gestes d’artisans

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Semaine 2 Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi

Vision du monde et du métier

Pour vous, qu’est-ce qui fait l’exception de la marque Jean Rousseau ? Interview de la directrice artistique.

Histoire de Jean Rousseau

L’usine à Besançon. Mini-reportage historique.

Mise en valeur du savoir-faire

Le geste #2 Série de photos de geste d’artisans

Semaine 3 Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi

Vision du monde et du métier

La beauté par Jean Rousseau. Témoignages d’artisans et de la directrice artistique.

Histoire de Jean Rousseau

La vie à l’usine dans les années 1960, un métier. Reportage d’archives.

Mise en valeur du savoir-faire

Couleurs #1 Séries de photos de pièces de couleurs, associations à des paysages…

D’où proviennent les cuirs ? Billet sur l’origine géographique des matières

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Semaine 4 Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi

Vision du monde et du métier

L’importance du Made in France par rapport à la présence internationale. Interview du directeur commercial

Histoire de Jean Rousseau

L’horlogerie à l’époque de la création de la marque. Billet d’archives, photos, textes…

Mise en valeur du savoir-faire

Couleurs #2 Séries de photos de pièces de couleurs, associations à des paysages…

Semaine 5 Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi

Vision du monde et du métier

Histoire de Jean Rousseau

La vie à l’usine dans les années 1960, un métier. Reportage d’archives.

Mise en valeur du savoir-faire

Inspirations #1 Dessins et croquis à l’origine de collections

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3- Raconter et humaniser la marque pour l’inscrire dans une temporalité

v Dresser un ou des portraits, notamment celui de Jean Rousseau, l’ériger en figure fondatrice –

inscrire la marque dans une temporalité qui dépasse les Hommes. Exemples : Burberry,

Lanvin, Helena Rubinstein.

v Raconter le savoir-faire des ateliers à travers des portrais et des gestes d’artisans. Exemples :

Hermès, Louis Vuitton. v Valoriser la charte éthique et la durabilité des produits, pour donner une teinte résolument

moderne à la marque. Ce type de communication peut servir de socle, sur le long terme, à d’éventuels partenariats solidaires ou de développement durable – qui feraient sens au vu de l’activité de la marque et de ses engagements. Exemples : Cartier, Montblanc.

Et bien entendu, on veillera à rendre partageables tous les contenus du site, en y intégrant la technologie OpenGraph.

b) Les médias sociaux : affirmer et pérenniser l’identité de marque de Jean Rousseau.

5La présence de Jean Rousseau sur les médias sociaux servira principalement à toucher des

publics jeunes et internationaux. Nous veillerons à ce que les contenus ne se télescopent pas et que chaque média social corresponde à un usage dédié et réponde à un objectif stratégique précis.

1- Facebook : valoriser le cuir made in France et le savoir-faire durable de Jean Rousseau

La page Facebook se devra d’avoir une promesse éditoriale claire, et sera complémentaire du

site et du blog. Elle sera le pendant du blog, centré sur la marque, et aura pour rôle de la replacer dans un contexte plus général grâce à des contenus complémentaires obtenus par curation. Elle pourra agréger les retombées presse et génèrera du trafic vers le site. Elle répondra également à un enjeu de gestion des publics internationaux, dont les réactions pourront être centralisées sur une seule et même page. Il faudra donc publier à la fois en français et en anglais, les fonctionnalités de Facebook permettant de gérer des pages bilingues et de cibler les utilisateurs selon les langues. On se

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mettra également en phase avec l’actualité, tels que des évènements comme le salon du Cuir à Paris par exemple, auquel participe chaque année Jean Rousseau.

v Proposition de ligne éditoriale : se placer en expert du cuir, valoriser le savoir-faire traditionnel convergent avec la créativité, et parler d’éthique à travers les réalisations de Jean Rousseau. Le ton sera pédagogique.

v Rythme de publication : une publication tous les deux jours. v Contenus : Articles du journal Jean Rousseau, photos, vidéos le cas échéant, quelques

contenus issus de la curation lorsqu’ils concernent le monde du cuir.

v Calendrier éditorial, à titre d’exemple :

Semaine 1 Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi

Histoire et savoir-faire

Qui était M. Jean Rousseau ? Relai vers l’article du blog

Actualité Le Cuir à Paris Relai vers le site avec accroche

RDV avec la DA de Jean Rousseau Dessins et innovations

Développement durable

Jean Rousseau s’engage… Vers les engagements de la marque (site)

Semaine 2 Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi

Histoire et savoir-faire

Besançon à l’époque de la naissance de Jean Rousseau. Album photo.

RDV avec la DA de Jean Rousseau Dessins, créations

Actualité Les couleurs du cuir cette saison Relai le Cuir à Paris

Développement durable

Pourquoi un produit de luxe est plus

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2- Twitter : toucher le public japonais

La deuxième langue la plus parlée sur Twitter après l’anglais est le japonais.96 La fréquentation

de Twitter a dépassé celle de Facebook au Japon.97 Il semble donc intéressant d’exploiter ce réseau social pour toucher les publics japonais. Le fil Twitter @JRousseauJapan pourra valoriser des informations exclusives de la boutique japonaise, y compris les offres, tout en relayant des contenus choisis qui reflèteront le Made in France ainsi que l’ancrage de la marque dans la culture française. On n’oubliera pas de relayer les retombées presse. Le fil Twitter a pour vocation de permettre aux consommateurs de rester en phase avec la marque.

3- Pinterest : connecter la présence internationale

Afin de montrer le déploiement international de Jean Rousseau et connecter les boutiques,

nous proposons l’ouverture d’un compte Pinterest qui, à travers plusieurs boards, pourra relayer la présence unique de chaque pays. Exemples : Louis Vuitton. 96 Benjamin Gauducheau, « Les Japonais, accros à Twitter », in japan.aujourdhuilemonde.com, 15/08/11 [10/09/12 10:37]. 97 « Facebook, détrôné par Twitter au Japon », in journaldunet.com, 11/11 [10/09/12 10:38].

durable Curation

Semaine 3 Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi

Histoire et savoir-faire

L’Histoire du Cuir Vidéo, curation

La beauté selon Jean Rousseau Relai vers l’article du blog

RDV avec la DA de Jean Rousseau Dessins

Actualité Evènement à la boutique Londonienne

Développement durable

D’où proviennent les cuirs ? Article du blog

Page 60: L'expression digitale des marques de luxe dans le web social

L’expression digitale des marques de luxe dans l’univers du web social

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CONCLUSION

5Le luxe s’industrialise, mais pour continuer de séduire ses différents publics, il doit savoir

valoriser ses fondamentaux : le produit et la beauté. Les marques de luxe ont pour mission d’embellir la vie des consommateurs et de faire rêver le monde, non pas parce que leurs produits sont chers, mais parce qu’ils portent en eux une histoire, un territoire, un art de vivre. Le territoire digital est un espace d’expression où ces marques peuvent s’exprimer en toute liberté justement parce qu’il n’est pas codifié et que la technologie n’a pas encore trouvé ses limites. La dimension sociale qui multiplie les médias digitaux est au service du luxe, et non pas incompatible avec lui, dans la mesure où elle permet de personnaliser à l’extrême la relation avec la marque. Concevoir une stratégie de communication pour les marques de luxe, c’est concevoir une expérience avec la marque qui reflète celle en boutique, c’est asseoir la marque dans la durée dans un espace mouvant. Les marques de luxe ont le pouvoir de s’inscrire dans une double temporalité que l’association entre site de marque et médias sociaux permettent d’appréhender : le premier inscrit la marque dans l’Histoire et les derniers dans l’immédiateté, la créativité et la modernité.

Bien que les marques d’exception et de prestige ne se comportent pas de la même façon sur le marché, elles peuvent suivre les mêmes recommandations générales pour s’assurer une présence solide et pérenne dans l’espace digital social. Elles n’appréhendent simplement pas la même largeur de publics, mais les objectifs sont les mêmes. Dans le cas choisi de Jean Rousseau, la marque n’a pas encore atteint la maturité nécessaire pour développer un Amble ou un True Love mais il peut dès à présent anticiper les usages sociaux dans une stratégie qui reste précisément à mettre en place. L’intérêt de travailler pour une marque à la communication bourgeonnante est qu’elle peut apprendre des bonnes pratiques et des écueils des grandes marques. Nous pourrons élargir et approfondir la réflexion en adaptant les contenus aux cibles locales (Europe, Etats-Unis, Asie) dans un deuxième temps, en se basant sur les usages de chaque communauté.

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