l’expÉrience d’un couple mixte À tunis - un site de...
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Année scolaire : 2012 - 2013
Lycée Pierre Mendès France
Institut de Recherche pour le Développement
PROJET PARCOURS MIGRATOIRES
L’EXPÉRIENCE D’UN COUPLE MIXTE À TUNIS :
RÊVE OU DÉSILLUSION ?
Quelle est l’expérience d’un couple mixte à Tunis,
ses difficultés individuelles, la perception de la société ?
SCIENCES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES
Lilia ABDMOULAH
Iness GARROUM
Mélissa ZORIC
Camilia HABIB
2
SOMMAIRE
I) Introduction
II) L’expérience migratoire, ou le début d’une vie
nouvelle
Un parcours individuel…
… ayant rapidement été partagé
Vivre au quotidien avec une personne
différente : source de conflits ou
d’enrichissements ?
III) Couples mixtes et formes de sociabilité
La(es) réaction(s) de la société d’accueil
Le(s) rapport(s) dans le cadre familial
La famille du couple
Le couple : les enfants
IV) Conclusion
V) Bibliographie
VI) Annexe
3
Introduction
Dans nos sociétés actuelles, à l’heure de la globalisation, de la libéralisation des
échanges de produits de toutes sortes, les flux migratoires se sont eux aussi
considérablement intensifiés. De ce fait, il n’est guère surprenant de comprendre l’intérêt
que peut recéler une étude portant sur les relations interculturelles, dont les couples mixtes,
en particulier.
La mixité, un nouvel enjeu de nos sociétés…
La mixité peut alors se voir comme l’alliance de deux individus d’ethnies ou de
nationalités différentes issus de cultures distinctes, dont les différences reposeraient sur la
religion, les mœurs et les traditions, ainsi que la langue.
Dans plusieurs pays du Monde, le nombre des unions mixtes ne cesse d’augmenter,
comme l’atteste Caroline FORGET-GALIPEAU dans son mémoire1 de maîtrise en sociologie.
Les mariages qui en résultent se font alors de plus en plus nombreux. Toutefois, la question
de ces mêmes unions est souvent associée à quelque chose d’assez négatif, puisque l’on
vient parfois à les rapprocher à des intérêts cachés, à un facteur de risque pouvant justifier
un divorce, et plus simplement encore, à toutes sortes d’obstacles pouvant avoir des
répercussions directes dans la vie du couple, voire, de la famille concernée.
Avant de débuter nos recherches, nous partagions un certain nombre de ces
préjugés. Nous avons donc décidé d’aborder cette problématique principalement pour
vérifier si ces derniers étaient fondés, ou non. Mais plus encore, nous souhaitions également
montrer que la vie d’un couple mixte pouvait rimer avec enrichissement et épanouissement.
Ainsi, nous nous sommes demandées dans cette étude quelle pouvait bien être l’expérience
d’un couple mixte à Tunis, ses difficultés individuelles, et la perception de la société.
Quelques mots sur notre démarche expérimentale…
Afin de mener à bien notre recherche, nous avons voulu interroger des couples
mixtes en Tunisie. Pour ce faire, nous avons, chacune de notre côté2, essayé de chercher
dans notre entourage des couples répondant à ce critère3. Nous connaissions un grand
nombre de couples composés d'un homme tunisien et d'une femme française (ou le
contraire, c’est-à-dire un couple constitué d’une femme tunisienne et d’un homme français),
mais nous voulions sortir un peu de cette « relation classique4 » du couple mixte. C'est
pourquoi nous sommes allées plus loin dans nos relations, et nous avons pu trouver des
collègues travaillant avec nos parents, des amis d'amis, ou encore, des enfants de vieilles
connaissances. Nous avons finalement pris contact avec ceux qui nous paraissaient être les 1 Rédigé en Septembre 2008
2 Le travail de recherche était conduit par entretiens semi directifs.
3 La mixité, ce qui est mixte : « se dit d'un mariage entre personnes de race, de nationalité ou d'appartenance
religieuse différentes », d’après le ©Larousse.fr 4 Nous avons choisie de qualifier la relation entre une tunisien et une française (ou le contraire) de « relation
classique » du fait de l’importance du poids historique entre les deux pays et des échanges économique, sociales et culturels et de l’importance du poids de la migration entre les deux pays qui rend les possibilités d’union d’un couple Tuniso-Franco plus importante que pour d’autres types d’union.
4
plus intéressants, et puis nous les avons interrogés, une à plusieurs reprises, en suivant la
technique de l’entretien semi-directif.
Néanmoins, avant même de contacter les couples choisis avec soin, nous avons dû
réaliser un guide d’entretien5 nous ayant permis de structurer les axes de nos interviews et
donc d’avancer de manière efficace dans nos recherches et réflexions. Nous avons construit
ce guide d’entretien en fonction de notre problématique. Il s’agit alors des questions que
l’on pouvait se poser au sein même de notre groupe par rapport aux couples mixtes, et
d’autres portants directement sur leur parcours migratoire, ainsi que sur leur quotidien.
Après avoir réalisé l’intégralité de ce guide que nous avons voulu structurer, nous sommes
passées à la réalisation des différentes interviews. Pour ce faire, nous sommes allées à la
rencontre de plusieurs couples mixtes, que ce soit à leur domicile, ou même par
l’intermédiaire de Skype©. Nous avons enfin restitué ces différentes interviews très
enrichissantes pour notre projet, sous la forme d’un texte. Par la suite nous avons choisie un
couple qui nous paraissait répondre plus à notre problématique de travail pour creuser plus
son parcours migratoire.
Le couple dont nous allons présenter le récit de vie n’est autre que celui ayant donné
lieu à un mariage singulier entre un Tunisien et une Russe. Singulier parce qu’il est peu
commun de voir s’unir deux personnes issues de pays aussi lointains ! Si nous avons décidé
de parler d’eux, c’est parce que les détails de leur histoire, dont nous avons pris
connaissance à l’occasion de nos différentes rencontres, nous ont aidés dans notre
démarche.
Au sein de cette étude, nous nous sommes donc demandées quels pouvaient bien
être le parcours migratoire et l’expérience d’un couple mixte à Tunis, ses difficultés
individuelles, ainsi que son intégration dans la société tunisienne. Cette même intégration
désigne le processus par lequel un individu devient membre d'un groupe social ou d'une
société par l'adoption de ses valeurs et des normes de son système (environnement) social,
dans la société tunisienne. Elle ne peut se faire si la personne n'a pas la volonté de s'insérer
et de s'adapter ni si la société d’accueil ne le permet pas. C'est un point très important dans
la vie de personnes immigrantes, notamment celles qui viennent s’installer en Tunisie.
5 Voir l’Annexe en fin de dossier
5
L’expérience migratoire, ou le début d’une vie nouvelle
Afin de répondre à nos multiples interrogations, nous nous sommes entretenus avec
Mohamed et Irina6 au sujet de leur parcours migratoire en tant qu’individu dans un premier
temps, puis en tant que couple dans un second temps.
Un parcours individuel… ayant rapidement été partagé
Une brève présentation…
Mohamed est tunisien. Il est né en 1943,
et est donc âgé de 70 ans. Après avoir vécu son
enfance dans un foyer modeste de Matmata situé
dans le sud Tunisien, Mohammed s’est rendu à
Gabès puis à Sfax afin de poursuivre ses études au
collège, qu’il n’y avait pas à Matmata, avant de
suivre ses années de lycée à Sousse. Cependant, il a
passé toutes ces années loin de sa famille, en
internat, ses parents agriculteurs ne pouvant
malheureusement pas le suivre. Cela lui a alors
permis d’être aujourd’hui en possession d’un
diplôme en droit international, en plus d’une
maîtrise et d’une thèse. Cependant, pour acquérir
ces nombreux diplômes, Mohamed a bénéficié
d’une bourse d’études supérieures qui lui a permis
d’accomplir son rêve : se rendre en Europe, et en
URSS plus précisément. C’est ainsi que Mohamed
s’est retrouvé en 1963 à Moscou.
6 Pseudonymes utilisés afin de garantir leur anonymat
Source : Enquête de terrain Réalisation cartographique : Milissa Zoriac
6
À Moscou, Irina y a vécu toute sa jeunesse. Elle y est née en 1945, et y a vécu toute
sa vie de jeune femme célibataire, aux côtés de ses trois sœurs, mais surtout de son père et
de sa mère, de laquelle elle était très proche. Aujourd’hui âgée de 68 ans, Irina nous raconte
la soirée qui l’a menée à la rencontre de son futur mari.
La rencontre… (URSS, 1963)
C’est en effet lors d’une soirée à l’Université de Moscou que Mohamed et Irina se
sont rencontrés. Mohamed ayant prolongé la durée initiale de son séjour en URSS, lui et Irina
ont pu continuer à se fréquenter. Ils sont ainsi restés dix ans à Moscou (en concubinage), dans
un modeste appartement de la capitale. Durant cette brève période de leur vie, Irina occupait
un emploi dans l’éducation. Ayant fait des études de langues, en allemand et russe, elle a fait
étudier le russe à ses élèves du supérieur. Mohamed, pendant ce temps-là, s’est attelé à la
rédaction de sa thèse. Tâche harassante, mais qu’il n’a pu concrétiser en URSS. La finalisation
d’une telle entreprise étant en effet irréalisable par un étranger vivant en URSS, à une époque
où les tensions politiques étaient très présentes. Avec Staline, puis Khrouchtchev au pouvoir,
les étrangers n’étaient effectivement pas les bienvenus.
(URSS - Tunisie, 1973 - 1975)
C’est pourquoi le couple, pour permettre à Mohamed de se réaliser
professionnellement d’une part, et surtout pour faire enfin découvrir à Irina le pays de
l’homme qui allait partager son quotidien d’autre part, a décidé de quitter l’URSS en 1973,
pour se rendre en Tunisie. Ainsi débute la première expérience migratoire d’Irina (n’ayant
jamais voyagé jusque-là), mais aussi celle d’un couple de deux individus prêts à tout pour être
heureux.
De retour en Tunisie suite à de longues années dans l’ancienne URSS pour les études,
Mohamed et Irina ont choisi d’habiter la capitale tunisienne et plus précisément sa banlieue
nord. En effet, Mohamed avait donc décidé de vivre cette fois auprès de ses parents qui y
avaient déménagée. La dame nous confie que cette phase de retour dans le pays d’origine de
son mari a été une période particulièrement difficile de sa vie. Elle explique qu’elle a
rencontré des difficultés d’adaptation aux nouvelles conditions de vie au quotidien, durant
cette époque qu’elle juge « sommaires » et qu’elle qualifie même de « moyenâgeuses en
raison du manque de produits disponibles dans les magasins, de l’absence de machines à
laver… ». Par ailleurs, elle avance des difficultés pour trouver un travail qui corresponde à son
profil en tant qu’enseignante de la langue russe dans l’enseignement secondaire, en plus du
refus de son mari du travail féminin et qui préférait qu’elle reste à la maison pour s’occuper
du foyer. Ce changement brutal du cadre de vie a conditionné la volonté de quitter le pays
d’origine de son mari (la Tunisie), vers une nouvelle destination qui semble offrir de
meilleures perspectives économiques et sociales pour les deux conjoints. Irina va alors passer
8 mois en URSS pendant que son mari se trouvait en Hollande pour un stage. Elle en profitera
pour acheter de nombreux produits indispensables selon elle et manquants en Tunisie...
7
(Tunisie - France, 1975 - 1981)
Faute de trouver en Tunisie un mode de vie qui leur correspondra, notre couple
décidera en 1975 de s’installer dans le Sud de la France, à Aix-en-Provence. Mais dans un
contexte de Guerre Froide, les conditions de vie des immigrés laissent encore à désirer alors
même que des précautions sont prises vis-à-vis d’eux par le président Giscard d’Estaing
(première mesure pour restreindre la migration de travail et politiques d’aides au retour…).
Malgré cela, le couple tuniso-russe pourra séjourner en France grâce au poste dans la justice
nationale de Mohamed. Irina, elle, profitera de vivre en France pour découvrir sa
gastronomie, et c’est ainsi qu’elle enchaînera plusieurs emplois dans la restauration ainsi que
des contrats à durée déterminée, en dépit de sa formation en enseignement langagier. Par la
suite, le couple décidera de retourner vivre en Tunisie en 1981, ne trouvant pas sa place en
France.
(Retour définitif en Tunisie en 1981)
De retour en Tunisie, le couple se rend bien compte que les mentalités sont restées
inchangées, et qu’il existe toujours autant de différences par rapport à celles des Soviétiques :
en URSS, plus de libertés sont accordées aux jeunes femmes, contrairement à la Tunisie, pays
dans lequel les jeunes filles voient leur vie rythmée par l’école et les tâches ménagères qui
leur sont confiées dès leur plus jeune âge.
Échelle chronologique de la vie du couple
1943 : Naissance de Mohamed 1945 : Naissance de Irina
1973 - 75 : Séjour en Tunisie
TUNISIE… TUNISIE…
1963 : Rencontre en URSS ! 1975 - 81 : Séjour en France
1940 1960
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Carte du parcours migratoire du couple
La flèche noire indique le parcours migratoire suivi par Mohamed.
La flèche rouge pourpre indique le parcours migratoire suivi par le couple.
La vie est faite de rencontres, d’unions et de projets. Aujourd’hui, tous les peuples,
même s’ils vivent aux quatre coins du monde, sont amenés à se croiser. Des relations
peuvent alors naître et durer, d’autres ne parviendront pas à résister à l’usure du temps.
Dans le cas où la relation perdure, l’union mixte ne reste tout de même pas une simple
affaire. Elle est une preuve d’amour suprême dans ce cas, mais est souvent confrontée à
un certain nombre d’obstacles. Ces obstacles concernent principalement la distance : rien
d’étonnant pour un couple dont les deux individus le composant viennent souvent de deux
mondes diamétralement éloignés et opposés. Dans ce cas, que faire ? Quel pays choisir ?
Quelle culture adopter ? Ces choix ne sont pas simples, et ils ne sont d’autant pas facilités
qu’il existe des barrières pouvant freiner toutes tentatives de rapprochement. Elles
peuvent être d’ordre administratif, politique, économique ou encore social. En ce qui
concerne le couple sur lequel nous nous sommes appuyées dans ce projet, les difficultés
qu’il a rencontrées ont été multiples. Mais il a réussi à les surmonter, nous montrant ainsi
que cela est possible. Toutefois, des couples n’ont pas cette chance, et de par des
démarches administratives souvent très longues et complexes, un contexte géopolitique
tendu, ou tout simplement la volonté de retrouver son pays d’origine plus que toutes
Source : Enquête de terrain Réalisation cartographique : Milissa Zoriac
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autres choses, une histoire d’amour, même prometteuse, peut brutalement prendre fin.
L’expérience migratoire peut alors se révéler être un « cauchemar ». Mais si elle ne l’est,
elle est le signe de l’amour inébranlable que deux individus de différentes cultures
peuvent se porter l’un pour l’autre.
Vivre au quotidien avec une personne différente : source de conflits
ou d’enrichissement ?
S’imaginer partager ses jours avec une personne, qui au préalable, est différente de
soi, peut paraître farfelu pour certains, mais totalement conventionnel pour d’autres. C’est
le cas d’Irina qui n’avait jamais pensé ne pas se marier avec un étranger. Originaire de
l’ancienne URSS, soit de l’union d’une quinzaine de Républiques7, se marier avec une
personne dite « étrangère » lui a toujours paru naturel. De plus, ses parents et ses grands-
parents étaient déjà tous les quatre d’origines différentes (père ukrainien / mère russe,
grand-père paternel allemand / grand-mère paternelle ukrainienne). Elle était donc
accoutumée à la mixité. Toutefois, le couple nous confie avec détermination que « c’est
l’amour qu’il porterait pour leur prochain qui passerait avant toutes les barrières, toutes les
frontières ».
Toutefois, cet amour a été soumis à rude épreuve. En effet, notre couple a du évincer
de nombreuses barrières afin que chacun puisse découvrir la culture de l’autre. C’est
pourquoi Irina a été contrainte à s’investir socialement pour réussir à s’intégrer dans les
nouvelles sociétés auxquelles elle a été confrontée tout au long de son parcours migratoire8.
C’est en partie son tempérament volontaire et direct qui lui a permis de se frayer une place
en France et en Tunisie, malgré la barrière d’une langue arabe, notamment, difficilement
assimilable pour des Européens en peu de temps. Mais grâce au soutien permanent de son
mari, qui l’a aidée à s’intégrer dans la société en lui présentant de nombreuses
connaissances, elle a tout de même pu se faire accepter, dans le cadre restreint de la famille
de son mari, du moins.
Au regard de ces difficultés9 pouvant parfois entraver durablement le quotidien d’un
couple mixte, nous nous sommes demandées pour quelles raisons deux individus à l’origine
aussi différents tiennent tant à vivre ensemble. La réponse nous est finalement apparue : la
différence. En effet, si cette différence peut être synonyme d’obstacles, elle peut tout aussi
bien signifier une forme d’enrichissement incontestable. Une telle union ne peut en effet
être qu’enrichissante dans la mesure où deux individus issus de cultures différentes, et donc
de traditions et de modes de vies différents, décident de s’unir. La mixité peut se voir
comme une sorte d’apprentissage, d’ouverture et d’échange. L’apprentissage d’une langue,
7 États indépendants actuels : Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Estonie, Géorgie, Kazakhstan, Kirghizistan,
Lettonie, Lituanie, Moldavie, Russie, Tadjikistan, Turkménistan, Ukraine et Ouzbékistan 8 Rappelons que Irina a vécu deux expériences migratoires en France et en Tunisie
9 Langues, coutumes, cultures…
10
qui peut alors constituer un plus dans nos sociétés actuelles, mais aussi l’assouvissement
d’une passion qui est celle de s’ouvrir sur de nouvelles cultures (c’est le cas d’Irina).
L’apprentissage mais aussi l’échange de nouvelles expériences et de petits gestes au
quotidien, comme l’élaboration de certains plats. Cette ouverture est source d’une riche
forme d’acculturation10 repérable par l’apprentissage, à titre d’exemples, de nouvelles
traditions, avec un mariage célébré dans les règles de l’art : la belle-famille de Mohamed
souhaitait initialement un mariage traditionnel, et a fini par l’avoir. Cette proposition a été
reçue par tout le monde avec un grand enthousiasme. Après avoir été mal accueillie en
Tunisie, Irina ne s'attendait pas à vivre un mariage aussi agréable. En effet, même si seule sa
mère était présente pour représenter sa famille, la cérémonie du mariage lui a permis de se
rapprocher de sa belle-famille, avec laquelle elle s'entend désormais très bien, même
maintenant. Elle y a découvert toutes sortes de traditions, comme le changement de robes…
Et enfin, l’apprentissage de nouvelles valeurs, qui pourraient se traduire pour Irina par le
combat qu’elle a livré pour affirmer sa place de femmes dans un monde majoritairement
constitué d’hommes…« Les couples mixtes sont donc tout, sauf banals » !
On pourrait croire que la cohésion d’un couple mixte est longue et difficile. Pourtant,
dans notre couple, elle a été immédiate. En effet, puisque le choix du conjoint n’a pas été
imposé, ils se sont mariés par amour, et cela en connaissance de cause. Pour eux, la
nationalité ne devrait pas être une barrière aux unions. Ainsi, si la cohésion n’est pas
atteinte, la culture n’en est pas la cause. Selon eux, ce serait plutôt une question de
caractère qui pourrait être la cause d’un divorce.
10
Selon le dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, l’acculturation « désigne les processus complexes de contact culturel au travers desquels des sociétés ou des groupes sociaux assimilent ou se voient imposer des traits ou des ensembles de traits provenant d’autres sociétés », de Pierre BONTE et Michel IZARD, 1991, Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Presses Universitaires de France, Paris, 751p.
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Couples mixtes et formes de sociabilité
Nous sommes à une époque où les mentalités sont censées avoir évolué, quant au
métissage et à la mixité. Pourtant, aujourd’hui encore, on se rend compte que les couples
mixtes peuvent souffrir du regard et des critiques des autres. Nous aborderons cette analyse
sous l’optique de l’échelle de la société et celle de la famille.
La(es) réaction(s) de la société d’accueil
Dans nos sociétés, les couples mixtes sont de plus en plus nombreux. La question des
« amours mixtes » est alors souvent présentée comme non-pérenne. Car évidemment, qui
dit mariage mixte aborde souvent le problème avec beaucoup de réserves en ce qui
concerne les questions relatives à la religion, la culture, et l’intégration de manière plus
générale. La société, qui ne voit pas trop de mal à ce qu’un Tunisien épouse une étrangère
quelle que soit sa nationalité, risque de bouder la fille qui pense à faire sa vie avec un
homme d’une autre nation (culture) non-musulmane. Certes sa conversion à l’Islam est de
toute façon obligatoire pour que le mariage soit reconnu par les autorités tunisiennes, mais
rien ne garantit une vie de couple en conséquence. Mohamed et Irina, étant tous les deux
athées, n’ont pas rencontré de difficulté particulière en rapport direct avec leur obédience
religieuse.
Cependant, ils ont tout de même eu une adaptation assez difficile, au regard des
Tunisiens de l’époque ayant une mentalité différente de la leur. La jeune femme a insisté sur
le fait que les Tunisiennes étaient « soumises »à leur homme (un vrai manque de marge de
manœuvre était à déplorer), alors qu’en Russie, elles pouvaient profiter de davantage de
liberté. Irina a également été la cible de critiques durant sa deuxième grossesse. Elle dit avoir
été choquée par la mentalité tunisienne vis-à-vis de l’égalité entre garçons et filles,
notamment lorsqu’on lui a adressé des remarques telles que : « J’espère pour toi que c’est
un garçon ! ». En Tunisie, l’homme s’est également vu être la cible de nombreuses
remarques venant surtout de ses amis : « Pourquoi t’es-tu embêté à trouver une femme
étrangère, elles ne sont pas assez bien chez nous ?». Toutefois même si le mari est tunisien, il
n’a pas hésité à soutenir sa femme. Il a même pris la décision de s’éloigner de ses proches,
en l’occurrence ses amis. Ainsi, ils ont préféré vivre leur histoire d’amour loin des critiques.
Le désir de protéger ou de valoriser son partenaire qu’il sent en position de faiblesse (en
raison du regard négatif de la société) a permis de rendre leur histoire plus solide. En effet,
le couple mixte se caractérise par une vulnérabilité spécifique en pouvant être victime de
remarques désobligeantes, et peut donc traverser des crises. Celles-ci, successives mais
surmontées, ont donc permis au couple de renforcer sa capacité à faire face aux obstacles
tout en s’adaptant aux normes socioculturelles locales.
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Malheureusement, les familles respectives de chacun n’ont pu aider leur enfant de
par la distance qui les séparait. Ils ont été en contact avec d’autres couples mixtes car ils sont
jugés très intéressants. Mais avec l’âge, les contacts se perdent. Les couples alors rencontrés
étaient principalement constitués de femmes étrangères (françaises notamment), et
d’hommes tunisiens. Ces rencontres pouvaient avoir lieu grâce aux contacts pris au temps
où la femme travaillait dans la restauration en France, mais aussi grâce aux connaissances du
mari qui, lorsqu’il travaillait encore, voyageait énormément. Ils se voyaient assez
régulièrement, une à deux fois par mois, pendant plusieurs années.
Ainsi, malgré la réaction de la société (souvent négative à l’égard des couples mixtes),
le désir d’être différent et de s’enrichir de cette même différence finit souvent par triompher
sur tous les obstacles rencontrés, qu’ils soient internes au couples ou non.
Le(s) rapport(s) dans le cadre familial
La famille du couple…
La belle-famille, comme nous l’évoquions brièvement quelques lignes plus haut, est
souvent synonyme de tensions dans les couples, qu’ils soient mixtes ou non. Toutefois, dans
notre cas, elle n’a jamais été un souci majeur. Cependant, l’acceptation de ce mariage mixte
par les familles a été plus difficile pour la famille russe. En effet, il a fallu du temps à la mère
d’Irina pour accepter le départ de sa fille vers la Tunisie, pays qu’elle ne connaissait pas.
Mais son inquiétude s’est vite dissipée, et elle s’est même rendue en Tunisie pour voir sa
fille. Malheureusement, elle n’a pu renouveler ce voyage, en décédant d’un cancer au début
des années 90.
Le couple : les enfants…
Dans un couple mixte ayant des enfants, il arrive toujours un moment où les parents
se doivent de déterminer ce qui est le mieux pour leur progéniture, en ce qui concerne leur
éducation, leur langue officielle, leur religion... Mohamed et Irina ont choisi de scolariser
leur fille dans un lycée privé afin qu’elle puisse apprendre la langue paternelle, c’est-à-dire
l’arabe. Mais elle n’y a appris que les bases grammaticales et lexicales, ce qui ne lui a pas
permis de maitriser complètement la langue comme elle l’aurait dû. Cela l’a en effet
beaucoup handicapée, en particulier lors de ses études. C’est ainsi qu’elle a elle-même
préféré donner plus d’importance à l’enseignement des langues pour ses propres enfants.
De bas âge (4 et 6 ans), ils parlent déjà le français et le russe à la maison, l’arabe à l’école, où
ils commencent déjà à apprendre l’anglais et l’italien. Parler plusieurs langues étrangères
s’est avéré être un véritable besoin pour cette famille, et un outil indispensable d’ouverture
sur le monde. C’est pourquoi leurs enfants et petits-enfants ont reçu une éducation
essentiellement basée sur l’apprentissage des langues étrangères.
La plupart des individus voient d’un mauvais œil les personnes d’une nationalité
différente à la leur car ils ont peur de l’inconnu. C’est également pourquoi les unions
13
mixtes ne sont pas majoritaires. Cela s’est passé d’une autre façon pour Mohamed et Irina.
Ils ne se sont posés aucunes questions quant à la nationalité de la personne qui allait
partager leur vie car « l’amour comme la cohésion ne passe pas par cela mais par la
personnalité de l’autre » !
Conclusion
Avec l’intensité des échanges économiques et des flux humains qui traversent
l’espace international mondial fortement soumis au divers courants de la globalisation, le monde actuel est plutôt porté à la mixité, ce qui ne fait que favoriser l’éclosion de couples de toutes nationalités, à l’inverse de ce qui pouvait se produire il y a encore quelques années. De plus, à l’heure actuelle, il est très difficile de trouver quelqu’un ayant une seule origine.
Pourtant, certains individus profitent de ce phénomène afin d’obtenir des papiers qui leur permettraient de régulariser son titre de séjour et vivre légalement sur le sol européen ou étranger, d’une manière générale, en simulant un amour éternel.
Dans le cas de notre couple, Irina a été protégée par son mari de tous ces actes malfaisants et profiteurs. Mais la protection exercée était à double tranchant : sa vie sociale s’est vue réduite, et elle n’a plus eu de contacts avec ses anciens amis ou d’autres couples mixtes (ou non). Néanmoins, cela lui a tout de même permis de se cultiver un peu plus et par la même occasion, d’apprendre la langue française, mais surtout l’arabe !
La conduite de cette recherche nous a permis prendre connaissance des détails les plus invraisemblables de l’histoire d’un couple tuniso-russe, mais surtout de voir que malgré des difficultés souvent nombreuses, les couples mixtes ont de l’avenir!
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Bibliographie
www.hommes-et-migrations.fr
www.cairn.info
BARBARA Augustin, 2002, Le problématique retour des couples mixtes, In
Hommes et Migrations, N°1236, Mars-Avril, pp 26 – 28.
BONTE Pierre et IZARD Michel, 1991, Dictionnaire de l’ethnologie et de
l’anthropologie, Presses Universitaires de France, Paris, 751p.
FORGET-GALIPEAU Caroline, 2008, Les couples mixtes interreligieux
catholiques/musulmans au Québec, mémoire de sociologie, 130 p.
BOUBAKER Dalil, La Famille musulmane, 4 p.
NEYRAND Gérard, 2006, Le divorce des couples mixtes, in Hommes et
Migrations, N° 1262, Juillet-Aoüt, pp 70-75.
Un numéro de la revue spécialisée « Hommes et Migrations » sur la
thématique migratoire qui a consacré un numéro intitulé « Le couple,
attention fragile », N° 1262, Juillet Aout 2006. Et un autre dossier intitulée
« Mariages mixtes », N°1167, Juillet 1993
POINSOT Marie, 2006, Le divorce des couples mixtes, In Hommes et
Migrations, n°1262, pp 70 - 75
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Annexe
4Guide d’entretien
À la femme…
À l’homme…
Âge
Nationalité(s)
Profession
En Tunisie,
mais depuis combien de
temps ?
Pourquoi y êtes-vous venu(e) ?
Études Travail Autres
Votre état civil,
avant de partir à l’étranger ?
Célibataire Marié(e) Veuf(ve)
Votre situation administrative,
au moment de votre
rencontre ?
Étudiant Exerçant une activité professionnelle
Chômeur En irrégularité
1) Quelle a été votre première expérience migratoire ?
- Où ?
- Quand ? (Âge + Époque)
- Dans quel but ?
- Durant combien d’années ?
2) Quelles étaient les circonstances de votre rencontre ?
- Où ? (Pays + Circonstances particulières : faculté ? Travail ? Autres ?)
- Quand ? (Âge + Époque)
- Comment ?
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3) Comment avez-vous vécu cette(ces) mobilité(s) géographique(s)(= changement de
culture, d’habitudes)?
- Quelles ont été les phases temporelles et géographiques de votre(vos) migration(s),
quels sont la(les) raison(s) de(s) départ(s) ?
- Comment cela s’est-il passé ? (Quel pays avez-vous choisi ? Quelle(s) raison(s)
expliqueraient cela ?Combien de temps y êtes-vous restés ?
- Pourquoi avez-vous fini par choisir la Tunisie comme « dernière
destination » ?Depuis combien de temps y vivez-vous, en tant que couple ?
- Avez-vous rencontré des difficultés ? (Administratives, culturelles, sociales,
économiques….)
4) Étant jeune, pensiez-vous un jour vous marier avec une personne d’origine différente ?
Pourquoi ?
5) Cette différence d’origine a-t-elle changé votre vison sur l’autre, et sur la vie d’un couple
en général ? Comment ?(Éléments positifs négatifs…)
6) Votre union aurait-elle pu constituer un obstacle, pour son épanouissement ?
- Pour quelle(s) raison(s) ? (Non-acceptation, non-intégration de la famille, ou de la
belle-famille ? Pourquoi ?)
7) Quelles types de relations vous maintenez-vous avec vos familles et belles-familles
respectives ? (Liens forts, constants, faibles ?)
- Ont-elles changé ? (Avant, pendant, et après…)
- Ont-elles des conséquences sur votre vie de couple? Comment?
8) Pensez-vous que vos différences culturelles constituent un avantage, un handicap, ou
qu’elles n’ont tout simplement pas d’importance ? Pourquoi ?
9) Et les enfants, dans tout ça ?
- En avez-vous ? Combien ? (Âge + Sexe)
- Où sont-ils nés ?
- Ont-ils la double nationalité, ou bien seulement celle du père ? De la mère ?
- Pensez-vous qu’ils sont conscients d’évoluer dans un cadre marqué par deux
cultures différentes ?
- Tenez-vous à qu’ils s’enrichissent de vos deux cultures ? Pourquoi ?
- Comment y parvenez-vous ? En terme, de : scolarisation (école tunisienne, ou
autre ? Pourquoi ?) + langue (apprentissage de l’arabe ? Pourquoi ? La langue parlée au
quotidien ?) + religion ?
10) Pensez-vous que la société a un regard différent sur vous en tant qu’un un couple
mixte ?
- Remarques + Jugements ? (Positifs ou négatifs ?)
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11) Sentez-vous que la vie d’un couple mixte est différente d’un couple ordinaire ?
Pourquoi ? (Expérience enrichissante, ou au contraire, assez banale ?)
12) Croyez-vous en la pérennité des couples mixtes ? Pourquoi ?
Pour finir, voici une photo du couple (accompagné de leur fille)
qui a bien voulu répondre avec franchise à toutes nos questions, et
que nous remercions encore une fois !
Mélissa Nadia
(la fille) Mohamed Irina
Iness Camilia Lilia