l’exercice du psychologue en hospitalisation à domicile : quel cadre thérapeutique ?

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Med Pal 2007; 6: 335-342 © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés SOINS PALLIATIFS ET PSYCHOLOGIE Médecine palliative 335 N° 6 – Décembre 2007 L’exercice du psychologue en hospitalisation à domicile : quel cadre thérapeutique ? Étienne Garand Summary Psychologist practices in home-care hospitalization: the therapeutic framework The objectives of this text are the interrogations and illustrations of the eventual psychics work with patients receiving medical care at home. It describes the way the psychologist is part of the home care structure and specificities exercise in this context. And thus the psychologist has to face some questions in term of set- ting. Therefore, a clinical experience is proposed. Key-words: home care structure, psychological interview, thera- peutic setting, palliative care. Résumé Ce texte a pour objectifs d’interroger et d’illustrer le possible travail psychique avec des patients en soins médicaux à domi- cile. Il décrit la façon dont le psychologue est inséré dans le dispositif de l’hospitalisation à domicile et les particularités de l’exercice dans ce contexte. Certaines des questions auxquelles il se trouve ainsi confronté en termes de cadre sont posées. Une situation clinique est proposée à titre d’exemple. Mots clés : hospitalisation à domicile, entretien psychologique, cadre thérapeutique, soins palliatifs. Introduction Proposer des entretiens avec le psychologue à domicile a pour objectif de permettre au patient d’accéder à un espace d’écoute thérapeutique même quand il n’est pas capable de se déplacer jusqu’à un lieu de consultation ex- térieur, c’est-à-dire la possibilité « d’y accéder facilement et égalitairement » [1]. Aujourd’hui, si certains acteurs médico-sociaux se rendent parfois à domicile (médecin généraliste, infir- mier, auxiliaire de vie, assistante sociale), pour les psy- chologues cette pratique revêt un caractère tout à fait exceptionnel. Par conséquent, les travaux publiés sur le sujet sont très rares et concernent principalement la gé- riatrie, la psychiatrie de secteur, les soins palliatifs et, plus rarement, la périnatalité. Chez les psychologues, quoique Freud ait lui-même mené des séances d’analyse lors de promenades avec ses patients ou en se rendant à leur domicile, cette possibilité suscite souvent une cer- taine réticence puisque, contrairement aux caractéris- tiques du cabinet en ville ou de l’institution, le domicile du patient est réputé manquer de neutralité et l’instau- ration d’un cadre thérapeutique y est perçue comme étant plus délicate voire impossible. La question posée ici est la suivante : l’expérience psy- chothérapique est-elle possible dans le cadre d’entretiens à domicile et, si oui, sous quelles conditions ? Cette interrogation sera développée dans le contexte spécifique de l’hospitalisation à domicile, qui sera présenté. Je décrirai la façon dont l’activité du psychologue clinicien s’inscrit dans ce dispositif puis tâcherai de préciser en quoi l’espace du domicile présente des écueils dans l’établisse- ment d’un cadre thérapeutique. Enfin, j’indiquerai quelques précautions techniques issues de mon expérience person- nelle, ainsi que les limites de cet exercice. Pour illustrer mon propos, un cas clinique sera exposé. Dispositif de l’hospitalisation à domicile L’hospitalisation à domicile (HAD) constitue une des al- ternatives à l’hospitalisation régies par les dispositions du code de la Santé publique. Elle est définie comme une « structure permettant d’assurer au domicile du malade, pour une période limitée mais révisable en fonction de l’évolution de son état de santé, des soins médicaux et para- médicaux continus et nécessairement coordonnés. Ces soins se différencient de ceux habituellement dispensés à domicile par la complexité et la fréquence des actes » [2]. Garand É. L’exercice du psychologue en hospitalisation à domicile : quel cadre thérapeutique ? Med Pal 2007 ; 6 : 335-342. Adresse pour la correspondance : Étienne Garand, Équipe référente en soins palliatifs, Santé service, hospitalisation à domicile, unité Est, 66-72, rue Marceau, 93558 Montreuil-sous-Bois cedex. e-mail : [email protected]

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Med Pal 2007; 6: 335-342

© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

SOINS PALLIATIFS ET PSYCHOLOGIE

Médecine palliative

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N° 6 – Décembre 2007

L’exercice du psychologue en hospitalisation à domicile : quel cadre thérapeutique ?

Étienne Garand

Summary

Psychologist practices in home-care hospitalization: the therapeutic framework

The objectives of this text are the interrogations and illustrations of the eventual psychics work with patients receiving medical care at home. It describes the way the psychologist is part of the home care structure and specificities exercise in this context. And thus the psychologist has to face some questions in term of set-ting. Therefore, a clinical experience is proposed.

Key-words:

home care structure, psychological interview, thera-peutic setting, palliative care.

Résumé

Ce texte a pour objectifs d’interroger et d’illustrer le possible travail psychique avec des patients en soins médicaux à domi-cile. Il décrit la façon dont le psychologue est inséré dans le dispositif de l’hospitalisation à domicile et les particularités de l’exercice dans ce contexte. Certaines des questions auxquelles il se trouve ainsi confronté en termes de cadre sont posées. Une situation clinique est proposée à titre d’exemple.

Mots clés :

hospitalisation à domicile, entretien psychologique, cadre thérapeutique, soins palliatifs.

Introduction

Proposer des entretiens avec le psychologue à domicilea pour objectif de permettre au patient d’accéder à unespace d’écoute thérapeutique même quand il n’est pascapable de se déplacer jusqu’à un lieu de consultation ex-térieur, c’est-à-dire la possibilité « d’y accéder facilementet égalitairement » [1].

Aujourd’hui, si certains acteurs médico-sociaux serendent parfois à domicile (médecin généraliste, infir-mier, auxiliaire de vie, assistante sociale), pour les psy-chologues cette pratique revêt un caractère tout à faitexceptionnel. Par conséquent, les travaux publiés sur lesujet sont très rares et concernent principalement la gé-riatrie, la psychiatrie de secteur, les soins palliatifs et,plus rarement, la périnatalité. Chez les psychologues,quoique Freud ait lui-même mené des séances d’analyselors de promenades avec ses patients ou en se rendantà leur domicile, cette possibilité suscite souvent une cer-taine réticence puisque, contrairement aux caractéris-tiques du cabinet en ville ou de l’institution, le domiciledu patient est réputé manquer de neutralité et l’instau-ration d’un cadre thérapeutique y est perçue commeétant plus délicate voire impossible.

La question posée ici est la suivante : l’expérience psy-chothérapique est-elle possible dans le cadre d’entretiensà domicile et, si oui, sous quelles conditions ?

Cette interrogation sera développée dans le contextespécifique de l’hospitalisation à domicile, qui sera présenté.Je décrirai la façon dont l’activité du psychologue cliniciens’inscrit dans ce dispositif puis tâcherai de préciser en quoil’espace du domicile présente des écueils dans l’établisse-ment d’un cadre thérapeutique. Enfin, j’indiquerai quelquesprécautions techniques issues de mon expérience person-nelle, ainsi que les limites de cet exercice. Pour illustrermon propos, un cas clinique sera exposé.

Dispositif de l’hospitalisation à domicile

L’hospitalisation à domicile (HAD) constitue une des al-ternatives à l’hospitalisation régies par les dispositions ducode de la Santé publique. Elle est définie comme une« structure permettant d’assurer au domicile du malade,pour une période limitée mais révisable en fonction del’évolution de son état de santé, des soins médicaux et para-médicaux continus et nécessairement coordonnés. Cessoins se différencient de ceux habituellement dispensés àdomicile par la complexité et la fréquence des actes » [2].

Garand É. L’exercice du psychologue en hospitalisation à domicile : quel cadre

thérapeutique ? Med Pal 2007 ; 6 : 335-342.

Adresse pour la correspondance :

Étienne Garand, Équipe référente en soins palliatifs, Santé service, hospitalisation

à domicile, unité Est, 66-72, rue Marceau, 93558 Montreuil-sous-Bois cedex.

e-mail : [email protected]

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SOINS PALLIATIFS ET PSYCHOLOGIE

Les objectifs d’une telle prise en charge consistent àaméliorer le confort du malade tout en maintenant de bonnesconditions de soins, à raccourcir voire éviter les séjourshospitaliers et à optimiser les moyens de l’assurance-mala-die. Il s’agit ici d’une HAD généraliste et polyvalente,assurant sur prescription médicale la prise en charge depatients sur la base du niveau de soins requis par leur étatde santé, quelle(s) que soi(en)t leur(s) pathologie(s). Cette

prise en charge se fonde sur unprojet thérapeutique qui comprenddes aspects à la fois médicaux,paramédicaux et psychosociaux.L’HAD a un rôle de coordinationdes différents professionnels quiinterviennent auprès du malade.Lorsqu’il s’agit d’un projet desoins continus dans le cadre depathologies évolutives, la prise encharge peut se prolonger jusqu’austade terminal.

Place du psychologue dans le dispositif

En pratique, le psychologue est amené le plus souventà rencontrer des patients de cancérologie et/ou en soinspalliatifs. Il peut recevoir le patient pris en charge ou en-core toute personne de son entourage qui le souhaite, enparticulier dans les contextes de fin de vie. Presque tou-jours, la demande émane des soignants du domicile oudes proches et il revient au psychologue d’analyser cetterequête, notamment en la discutant avec celui ou cellequi la formule. En effet, le fait de soigner et d’accompa-gner ces patients génère souvent une souffrance impor-tante et qui peut, de façon insidieuse, être à l’origine dela demande adressée au psychologue.

Quand la demande semble se confirmer, le psycho-logue prend contact avec le patient par un appel télépho-nique, au cours duquel il recueille son consentement à unentretien à son domicile et convient avec lui d’une datede rendez-vous et d’un horaire. Généralement, ce premieréchange est déjà porteur d’indications concernant la re-lation qui est en train de s’établir.

Les entretiens peuvent être ponctuels ou prendre la formed’un suivi. Il s’agit d’entretiens cliniques d’évaluation ou plussouvent à visée thérapeutique et, dans le cas présent, lesréférences théoriques sont pour l’essentiel issues de la psy-chanalyse. Le champ thérapeutique correspond à la psycho-thérapie de soutien, qui procède de la demande du patient,« à laquelle le psychothérapeute répond en visant soit l’élar-gissement du champ de sa conscience, soit le renforcementde son système de défense et, parfois même, l’un et l’autrealternés ou mélangés en proportion variable »

[3]. Selon les

capacités de mentalisation (maturité du Moi, capacités intel-lectuelles et introspectives), le psychologue peut en effet secontenter d’utiliser avec le patient le mécanisme de l’étayageou l’accompagner dans un travail d’élaboration psychiquevisant à mieux percevoir le sens latent de son discours oude ses conduites. « C’est précisément parce qu’il est sans pou-voir réel que le psychologue peut redonner le pouvoir ausujet : pouvoir de penser par lui-même, pouvoir de trouverdes solutions qui correspondent à son problème et à ses ca-pacités. Ces solutions, qui ne seront pas importées de l’exté-rieur, seront viables dans la mesure où il en sera l’uniquepromoteur » [4]. Ce type de psychothérapie n’ambitionne pasl’acquisition de remaniements psychiques profonds mais plu-tôt une amélioration symptomatique (de l’anxiété, la dépres-sion, la confusion) et une mise en œuvre plus souple desmoyens de défense.

Le paiement de ces consultations est pris en chargepar l’établissement d’HAD.

Dans le cadre du projet thérapeutique et de la prise encharge pluridisciplinaire, le psychologue est amené à par-ticiper à des réunions de synthèse et à transmettre certainséléments utiles à l’équipe médicosociale, dans le respectdu secret professionnel.

Cadre thérapeutique en psychologie clinique

L’objectif poursuivi en psychologie clinique est de« comprendre l’homme dans sa totalité, sa singularité, ensituation et en évolution, le sujet étant considéré icicomme un être unique, singulier, semblable à aucunautre » [5]. L’activité du psychologue clinicien consistedonc à se mettre à l’écoute

de la souffrance d’un être,dans une démarche compréhensive. Ce faisant, il permetune parole qui, à travers le langage, va traduire et sym-boliser ce que le patient vit et ressent. Le discours qu’ilénonce accomplit et, à la fois, révèle sa subjectivité. Or« il n’existe pas de méthode de compréhension de l’autrequi ne passe par le filtre de sa propre subjectivité » [4].De son côté, le psychologue accepte donc le risque de larelation à l’autre, c’est-à-dire ce qu’elle signifie commedanger : danger d’être atteint par sa problématique, parson angoisse, par sa demande d’amour etc. Par consé-quent, la situation d’entretien se caractérise par sa dimen-sion intersubjective, c’est-à-dire par la rencontre de deuxsubjectivités qui résonnent l’une en l’autre. Cela supposechez le psychologue une introspection rigoureuse et sin-cère, cherchant à discerner ses enjeux personnels de ceuxdu patient. Par l’observation de ses propres sentiments etmotivations dans cette relation singulière, le psychologuetâche de déjouer les pièges du narcissisme.

Le psychologue est amené le plus souvent à rencontrer des patients de cancérologie et/ou en soins palliatifs.

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Étienne Garand

La psychothérapie, quant à elle, est une « méthode detraitement des désordres psychiques ou corporels utilisantdes moyens psychologiques et, d’une manière plus précise,la relation du thérapeute et du malade [...] » [6]. Elle sus-pend l’agir pour le remplacer par un type de relation inter-personnelle à prédominance verbale, au sein de laquelle lepatient va pouvoir devenir observateur de sa vie psychique,c’est-à-dire se la représenter. Le cadre est le contenant àl’intérieur duquel se déroule le processus de la psychothé-rapie. On peut le définir comme « l’ensemble des facteursqui contribuent à en délimiter le champ d’action, aussi biendans l’espace que dans le temps. Il permet également dedifférencier l’expérience psychothérapique du champ socialet des autres domaines où se déroule la vie du patient,comme celle du psychothérapeute » [7]. Si la notion de cadrea été conceptualisée par des psychanalystes comme JoséBleger notamment [8], elle sert toutefois de référence bienau-delà du domaine strict de la cure analytique type. Desorte que, par extension, le cadre de toute psychothérapiereprésente un certain nombre d’invariants qui permettentau processus thérapeutique de se développer et au théra-peute « d’observer de manière critique et attentive les inte-ractions dans lesquelles il est pris » [4]. Parmi les élémentsqui composent le cadre, figure en premier lieu la déonto-logie du psychologue et, en outre, la règle essentielle dusecret professionnel, qui garantit au patient l’étanchéité dulieu de la psychothérapie, condition indispensable au bondéroulement de celle-ci. Le cadre comprend également lathéorie, qui concerne non seulement la conception que l’ona du psychisme mais aussi la méthode à employer pour agirsur lui et remédier à ses dysfonctionnements. Cela impliquede définir en rapport avec la demande un certain objectifet de donner au patient une consigne, si minime soit-elle.Un principe méthodologique fondamental consiste à refuserles satisfactions premières que réclame le patient, afin demaintenir chez lui besoins et désirs, sources de mobilitépsychique : c’est la règle d’abstinence, héritée de la techniquepsychanalytique. Le cadre est enfin porteur des élémentsmatériels qui caractérisent la psychothérapie : lieu, horaires,fréquence des rendez-vous, durée des entretiens, positionsrespectives, rémunération etc.

Pour résumer, « le cadre n’est pas un ornement esthé-tique : il correspond à une nécessité pratique et constituela toile de fond sur laquelle les entretiens peuvent prendresens » [4].

Écueils cliniques de l’exercice à domicile

Envisager de déplacer le lieu de la relation thérapeu-tique au domicile du patient crée une situation inédite etsoulève des questions nouvelles. Habituellement, les psy-

chologues reçoivent les patients dans un bureau, à leur ca-binet ou au sein d’une institution et le cadre est d’une cer-taine manière préétabli, puisque l’espace-temps est celuiagencé par le psychologue en vue de l’entretien : les condi-tions matérielles de la rencontre visent le calme et la neu-tralité. Le calme parce que, a priori, cet espace-temps nesubit pas de perturbations venues de l’extérieur qui vien-draient détourner les protagonistes de leur tâche, et la neu-tralité parce qu’il représente unailleurs, que le patient ne connaîtqu’à travers sa démarche psycho-thérapique. Au demeurant, lesobjectifs, la durée limitée des en-tretiens et le caractère souventdépouillé de l’environnement fa-vorisent la concentration du pa-tient sur sa vie intérieure. Au fildu temps, tous ces éléments créentune certaine permanence (on parlealors d’intériorisation du cadre)dans laquelle toute irrégularité sera à interroger.

À domicile, au contraire, le psychologue est reçu, in-troduit dans la sphère intime et quotidienne du patient,aucunement neutre et impossible à protéger de toute in-trusion, a fortiori dans les milieux très modestes où plu-sieurs personnes vivent parfois dans un logement exigu.Y mener des entretiens thérapeutiques suppose donc pourle psychologue de transposer le cadre opérationnel quiconditionne son travail.

L’ambition est à mon sens de réussir à maintenir unrelatif équilibre entre, d’une part, l’indispensable existencedu cadre et, d’autre part, la né-cessaire souplesse à concéderface à la réalité du terrain.

Ainsi, se rendre à domicilesignifie notamment « accepter lerisque que le patient, alors chezlui, transgresse les principes » [9]établis, par exemple pour répondreau téléphone. Du point de vueméthodologique donc, c’est ac-cepter de ne pas pouvoir affirmerque telle ou telle irrégularité re-présente un matériel à utiliser (par exemple un patientresté en pyjama pour l’entretien ou recevant des prochesà l’heure du rendez-vous), c’est-à-dire consentir à undoute, à une déperdition de matériel clinique.

De surcroît, à domicile l’empathie peut s’avérer plusdélicate à éprouver puisque le psychologue se trouve im-mergé dans l’univers familier du patient : en arrivant dansun quartier puis en pénétrant au domicile, la sollicitationaffective est nécessairement plus forte que dans son bu-reau. Il y a là un certain mobilier, des odeurs, des portes

Le cadre est le contenant à l’intérieur duquel se déroule le processus de la psychothérapie.

Au domicile, le psychologue est reçu, introduit dans la sphère intime et quotidienne du patient.

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qui s’entrouvrent sur des chambres d’enfants, une ambiance,autant d’éléments non verbaux qui, déjà, déclenchent chezle psychologue des réactions plus ou moins conscienteset qui commencent à façonner en lui une certaine sym-pathie, une crainte, une antipathie… Ces mouvementscontre-transférentiels sont particulièrement importants àdomicile et doivent faire l’objet d’une vigilance particu-lière puisqu’ils risquent d’interférer à son insu dans la re-

lation.En outre, le rôle du psycho-

logue et les limites de son champd’action sont peut-être plus diffi-ciles à définir, en raison de l’im-mersion dans le réel du quotidiendu malade. L’impératif d’absti-nence peut très vite se trouvermenacé et parfois même obsolète,ne serait-ce que lorsqu’un malade

alité demande qu’on l’aide à se redresser ou qu’on lui ap-proche son verre d’eau. La question des limites se poseégalement en ce qui concerne la durée du suivi : il estprobablement plus difficile de mettre un terme à une suited’entretiens lorsque le patient n’a pas la contrainte de sedéplacer jusqu’à un lieu de consultation extérieur. Le rôledu psychologue est encore à interroger lorsqu’un rendez-vous n’a pas pu avoir lieu, en raison d’une hospitalisationimprévue par exemple : à qui revient alors l’initiative dereprendre contact ? Ne perdons pas de vue qu’en cliniquepalliative, la primauté du somatique est une réalité et queles symptômes de fin de vie (troubles des fonctions supé-rieures entre autres) ainsi que leur imprévisibilité rendentfréquemment le malade incapable de respecter un agenda.

L’éthique professionnelle peut elle aussi être mise àmal, du fait surtout du contact régulier avec l’entourage,qui tente parfois de s’interposer entre le malade et le psy-chologue au prétexte de la fatigue ou, ailleurs, qui leraccompagne jusqu’à la porte et, à cette occasion, luidemande un avis ou lui confie des éléments majeurs deson vécu.

En phase avancée, il est judicieux de prendre un peude temps pour accueillir cette parole, même s’il ne s’agitpas d’un entretien à proprement parler. Lorsque manifes-tement la personne éprouve le besoin de s’exprimerdavantage, que proposer ? Exceptionnellement, un rendez-vous pour elle ? L’orienter vers un(e) collègue ? Tenteravec elle et le malade un entretien de médiation ?

La réponsen’est sans doute pas généralisable et chaque situation doitêtre examinée dans son contexte.

Les aspects matériels du cadre, du reste, méritent uneattention toute particulière. Le code de déontologie despsychologues prévoit que « le psychologue dispose sur lelieu de son exercice professionnel d’une installationconvenable, de locaux adéquats pour permettre le respect

du secret professionnel, et de moyens techniques suffi-sants en rapport avec la nature de ses actes professionnelset des personnes qui le consultent » [10]. Or, en dépit del’HAD, le malade vit chez lui et essaie de continuer à vivrele plus normalement possible, de façon à limiter le senti-ment d’envahissement par la maladie. Certains reçoiventdonc le psychologue comme ils reçoivent l’infirmière oule kinésithérapeute, en proposant un café, au milieu dessiens.

Aménager un cadre néanmoins

Dans ces conditions, c’est dans la mesure où l’on poseun cadre souple mais néanmoins défini qu’il sera possibleau patient de réaliser un travail psychique.

Une fois au domicile, le psychologue aura notammentà repréciser son identité et sa fonction, ce qui en généraln’est pas de trop pour le malade, qui reçoit chez lui desintervenants nombreux et variés (soignants, assistantesociale, diététicienne etc.).

Les échanges auront lieu en position assise, du moinslorsque l’état du patient le permet, face à face ou de troisquarts. Dans le contexte de l’HAD, la durée des entretiensest assez variable, puisqu’il faut souvent aménager letemps habituellement prévu (environ une heure) pours’entretenir également avec les proches ou parce que, enraison des déplacements, les visites ne peuvent avoir lieuaussi souvent qu’à l’hôpital. De plus, à domicile les échangessont fréquemment interrompus et donc rallongés d’autantpar l’arrivée de soignants, de livreurs de matériel ou demédicaments. Malgré cela, il convient de respecter unecertaine régularité dans la durée des entretiens. Cette exi-gence induit une forme de stabilité pour le patient, qui vautiliser à sa guise le temps qui lui est offert. Qui plus est,cela permet de mettre en évidence du matériel clinique,comme les résistances et le transfert, qui se manifestentpar exemple à travers le syndrome du pas de la porte,quand le patient exprime quelque chose d’essentiel aumoment de se dire au revoir.

Pour instaurer des conditions d’entretien favorables, ilest d’usage, dans un premier temps, de demander où l’onpeut s’installer pour pouvoir s’isoler et parler tranquille-ment. À noter que dans certains milieux culturels, cettedemande peut être mal admise et qu’il faut la manier avecprudence. Lorsqu’un proche, qui la plupart du temps estdonc chez lui, semble vouloir assister à l’entretien alorsque cela n’a pas été convenu au préalable, il est légitimede l’interroger, lui comme le patient, quant à la nécessitéde sa présence.

Lors des premiers entretiens, le contact téléphoniqueétabli au préalable suffit souvent en termes de consigne.

Les aspects matériels du cadre méritent une attention toute particulière.

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Étienne Garand

Quand apparemment ce n’est pas le cas, on peut nommerà nouveau le principe de cette rencontre, à l’aide, parexemple, d’une phrase comme « notre façon de travaillerconsiste à parler pour essayer de comprendre ce qui sepasse ». [11] On s’emploie alors à créer un climat propiceà la parole « et, souvent, c’est le malade qui nous demandede fermer la porte, d’éteindre la télévision » [12].

La fréquence des entretiens, quant à elle, est à définiravec le patient, en fonction de son désir et de ce que lepsychologue estime approprié. Bien entendu, cette fré-quence est révisable avec le temps et l’évolution de l’étatphysique et psychique du malade. La durée du suivi, quantà elle, est rarement prévisible au départ, ici commeailleurs.

Enfin, le patient peut oublier un rendez-vous et doitrester libre de refuser un entretien. En général, dans cecas, il téléphone au secrétariat ou demande à un soignantde prévenir. En se déplaçant à domicile, il existe de faitun risque pour le psychologue d’entraver la liberté du ma-lade de consentir à une rencontre, c’est-à-dire un risqued’envahir son espace réel mais aussi psychique. Afin delimiter ce risque, il est souhaitable de laisser une traceécrite des rendez-vous et d’informer le patient des moyenspar lesquels il peut décommander l’un d’eux ou reprendrecontact, quelle qu’en soit la raison.

Limites de l’exercice

Il est quelquefois impossible de réunir les conditionspour établir un cadre suffisamment consistant : absencesrépétées aux rendez-vous ou équivalents symboliques, in-trusions réelles ou fantasmatiques de l’entourage etc. Dansce cas, il faudra renoncer à mettre en œuvre un suivi thé-rapeutique à domicile et, autant que possible, organiserune prise en charge à l’extérieur.

Poser le cadre signifie également indiquer le contextedans lequel se situe l’intervention et les limites de celle-ci : un soutien lors du séjour en HAD. Une telle précisionest tout à fait nécessaire au patient puisqu’elle limite lesdéconvenues lorsque s’achèvent ses soins et qu’il souhaitemaintenir la relation. En effet, la maladie réactive presquetoujours d’autres contenus psychiques et, en ce sens, n’estsouvent qu’un prétexte pour se pencher sur son histoirepersonnelle. De plus, la temporalité psychique coïncide ra-rement avec la temporalité du réel somatique : ce n’estpas parce que les soins médicaux sont terminés que letravail psychique, lui, est achevé. Ceci est d’autant plusévident dans la prise en charge de patients en soins pal-liatifs, où les proches sont souvent suivis et pour lesquelsla période qui entoure le décès du malade s’avère parti-culièrement douloureuse et justifie le maintien d’un

soutien thérapeutique. Symboliquement, il s’agit donc de« donner les règles du jeu », étape fondamentale et combiennécessaire face à la proximité induite par la rencontre àdomicile. En effet, ce contexte singulier tend parfois à oc-culter la réalité du cadre hospitalier et le fait de travaillersans porter de blouse blanche en est un autre exemple.Quelquefois, le psychologue est amené à effectuer certainsentretiens après la fin du séjour, pour prendre le tempsde se séparer notamment, ou àétablir un relais avec un autreprofessionnel, ce qui nécessite unebonne connaissance des structureslocales de prise en charge psycho-logique (psychologues libéraux,dispensaires, associations, ré-seaux de santé, etc.).

Enfin, bien qu’il soit possiblede réaliser des soins de haute tech-nicité en HAD (chimiothérapies,traitements antidouleur, pansements complexes…), il estnécessaire dans certains cas d’urgence de faire réhospita-liser le malade. À l’heure actuelle, s’il est suivi par unpsychologue à domicile, en principe ce dernier n’est pasautorisé à lui rendre visite à l’hôpital afin de maintenir lelien, ce qui donc est synonyme de rupture.

Illustration clinique

Amélie

1

a 24 ans. Elle est atteinte d’un cancer consé-cutif à l’évolution d’une maladie de Recklinghausen. Ellea de nombreuses métastases et les thérapeutiques activesont toutes été abandonnées. Elle vit branchée à unepompe à morphine, qu’elle porte sur elle dans un petit sacbanane. Le médecin coordonnateur de l’HAD qui l’a unsoir au téléphone au sujet de ses douleurs lui propose lavisite du psychologue ; elle l’accepte. À l’origine, la de-mande émane donc du médecin et non de la patiente elle-même. Le jour de notre premier rendez-vous, je suis enretard à cause d’un accident sur l’autoroute. Je téléphonepour prévenir et m’excuser et c’est son conjoint, Damien,qui me répond : « Ce n’est rien, dit-il, ça arrive… » Appa-remment, c’est moi le plus ennuyé : l’impossibilité derespecter l’horaire convenu constitue un premier manque-ment à mon engagement vis-à-vis d’elle. En arrivant chezeux, je suis un peu surpris par leur cadre de vie : un petitappartement en rez-de-chaussée assez encombré, lesvolets sont toujours fermés et Amélie n’éclaire qu’à l’aidede quelques photophores. La banquette sur laquelle jem’assois est très inconfortable. L’inconfort que je ressens

1. Tous les noms ont été changés.

À domicile, il existe un risque d’envahir l’espace réel du malade mais aussi son espace psychique.

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SOINS PALLIATIFS ET PSYCHOLOGIE

dans cet univers inattendu me permet dans un premiertemps de me croire dans une certaine distance profession-nelle. Nous nous installons dans une pièce qui sert de sa-lon, ouverte sur la cuisine. Amélie dit qu’elle n’a rien àcacher à son ami, qu’il peut assister à l’entretien. Circons-pect, je n’en décide pas moins de lui faire confiance : sademande doit avoir du sens.

Amélie sait qu’elle va mourir. Spontanément, ellecommence à me raconter son his-toire. Elle dit avoir fait pas malde « conneries » dans sa vie puisajoute que la vie ne l’a pas épar-gnée non plus. Elle a été confiéeà des religieuses quand, à l’âge detrois ans, sa mère est morte et queson père, malade alcoolique, n’apas pu s’occuper d’elle. Depuis,elle rejette tout ce qui ressembleà une institution et l’hôpital

n’échappe pas à la règle. Lors des rares contacts avec lessiens, elle a été abusée sexuellement par un cousin. Saparole n’a pas été entendue et toute la famille a pris ladéfense de ce garçon, en la traitant d’affabulatrice. Elle aun fils de 4 ans et demi, Tom, qui vit en famille d’accueilet qu’elle reçoit le week-end. Le père de l’enfant l’a aban-donnée quand il a appris qu’elle était enceinte. « De toutefaçon, dit-elle, il était violent. » Elle a voulu garder cetenfant puisque quelques mois auparavant, elle a perdu unbébé en cours de grossesse, blessure qui ne s’est jamaisrefermée. Son adolescence turbulente l’a marginalisée et,aujourd’hui, la survenue de la maladie a progressivementéloigné tous ses copains. Elle vit très isolée. Le contactavec le personnel de l’HAD constitue l’essentiel des lienssociaux qu’elle maintient. Amélie semble apprécier cet es-pace de parole et, assez vite, nous convenons de nous re-voir régulièrement.

Au fil de nos entretiens, l’état de santé d’Amélie s’ag-grave : elle s’affaiblit et ne sort plus que très rarement.Elle doit maintenant utiliser un fauteuil roulant et me de-mande d’ouvrir moi-même la porte de son appartementlorsque j’arrive, après avoir frappé. J’en suis très gêné,pourtant j’y consens puisqu’elle se lève avec difficulté etqu’elle est seule chez elle dans la journée. C’est une en-tente entre nous qui fait dorénavant partie du cadre. De-venant dépendante, elle redoute plus que jamais le regarddes gens. La relation qui s’instaure me rend dépositairede cette souffrance qui se dit, de façon pudique certes,mais qui enfin trouve sa place. Jusqu’ici, Amélie mettaitles psychologues au même plan que les éducateurs ou lesassistances sociales à qui elle a à faire depuis des annéeset refusait leur contact. Désormais, il semble s’agir pourelle d’un « besoin de faire sens en racontant

»

[13] et je

perçois à travers la confiance inédite qu’elle m’accordedes manifestations du transfert. Quelquefois, devant l’in-tensité contenue de ce qu’elle tente de communiquer, j’aidu mal à interrompre nos entretiens. Il m’arrive de resterplus longtemps auprès d’elle, au prix d’un nouvel écart,cette fois par rapport à la dimension temporelle du cadre.Damien assiste à certains de nos échanges et c’est aussi àlui qu’elle s’adresse par ma médiation. La qualité d’écoutede ce garçon me conduit à réviser les objectifs thérapeu-tiques et à accepter cet aménagement quand je perçois ledésir de ces entretiens à trois. Amélie compte sur lui pourveiller sur son fils, à travers qui elle espère continuer àvivre. Puisqu’il travaille, il fait même le projet de deman-der la garde de l’enfant, qui n’a plus aucune nouvelle deson père, après le décès d’Amélie. Quand il arrive que Da-mien me raccompagne à la porte, son silence et son regardmalgré tout souriant me bouleversent. Je suis le témoindiscret de ce récit dramatique et, pourtant, le sentimentde sécurité induit par ma présence régulière et attentivepermet à Amélie de poursuivre. Un jour, elle me dit qu’ellen’a pas été abusée qu’une seule fois, que cela s’est déjàproduit bien plus tôt dans sa famille. Elle paraît surprisede retrouver progressivement tant de fragments de sonhistoire et d’autant plus étonnée de parvenir à les verba-liser. Ces entretiens deviennent néanmoins très éprou-vants pour moi et je m’en ouvre à une personne de monéquipe : j’en ai besoin. Quand j’analyse mes ressentis, jeme rends compte que je trouve Amélie bien plus atta-chante que je ne le pensais : nous sommes quasiment dela même génération et je me suis habitué à l’obscurité deson appartement, qui me fait penser à son histoire, que jetrouve très sombre. Je finis par le lui dire et, peu à peu,elle commence à s’interroger sur cette répétition de scé-narios dans lesquels elle se trouve maltraitée. Au fil deses associations, elle en vient à se demander si le fait quela vie l’a tant malmenée est seulement le fruit du hasardou si, à son insu, elle n’y a pas finalement contribué, dansun mouvement inconscient d’autopunition qui viendraitrépondre à des ressentis de culpabilité très précoces etqu’elle avait refoulés.

Son état se dégrade encore : elle a de très fortes dou-leurs neurogènes et reste alitée. C’est dans sa chambre quenous poursuivons désormais nos entretiens et le cadrenous y accompagne. Parfois, les morphiniques la rendenttrès somnolente et il faut alors écourter nos échanges.Dans l’intime de la relation, Amélie me confie ses envies,comme celle de voir tomber la neige et pouvoir en fabri-quer un bonhomme avec son fils, mais aussi ses cauche-mars, où la peur de la mort est très présente ainsi que sonécœurement à l’idée que, si jeune, tout va s’arrêter pourelle. Amélie est bel et bien confrontée à « cette doubleréalité de la vie et de la mort [...] avec un équilibre ex-

Après mes visites, j’écris beaucoup : c’est une façon pour moi de maintenir du pensable.

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Étienne Garand

trêmement difficile à maintenir entre une lucidité quipourrait aboutir au désespoir et un espoir qui pourraitaboutir au déni de la mort » [14].

La famille d’accueil de Tom hésite maintenant à le luiconfier et Amélie en souffre. Je m’interroge sur mon rôle :dois-je prendre contact avec l’équipe sociale qui suit l’en-fant ? Quelles sont les limites de mon champ d’action ? Età partir de quand suis-je hors cadre ? À plusieurs reprises,j’ai peur de ne pas la retrouver la fois suivante. Les méca-nismes contre-transférentiels sont particulièrement agis-sants et, face aux émotions que je ressens vis-à-vis d’elle,j’écris beaucoup après mes visites. C’est une façon pour moide maintenir du pensable dans ce lien si fort avec elle etde redéfinir nos places respectives. Si Amélie se meurt, sonpsychisme est tout ce qu’il y a de plus vivant. Je m’aperçoisde « l’intensité du travail psychique devant l’échéance dela mort » [15] : Amélie établit des liens dont l’aboutisse-ment, pour elle, sera de considérer que si elle a raté sa vie,elle ne veut pas rater sa fin. On a dit tellement de chosessur elle, son milieu, son instabilité qu’aujourd’hui Amélieveut « mourir la tête haute et dans la dignité ». Elle veutqu’on se souvienne d’elle comme une fille courageuse etresponsable. La pudeur quant à ses émotions n’y estd’ailleurs pas étrangère. Elle refuse la présence d’une aide-ménagère et, puisque l’hôpital n’a plus rien à lui proposer,elle décide qu’elle mourra chez elle, le seul endroit où ellese sente bien. Elle écrit même une lettre à son médecin dansce sens, pour éviter que les secours la réaniment inutilementou qu’elle décède pendant le transport vers les urgences. Jediscerne à travers ces décisions le maintien d’une positiondésirante et, en définitive, Amélie veut continuer à jouerson rôle de maman du mieux que possible, à recevoir Tomle week-end et lui écrit des lettres posthumes. Elle m’inter-roge : comment lui parler ? Est-ce qu’il vaudra mieux qu’ilassiste aux obsèques ? Est-ce normal qu’il se détache d’elleprogressivement ?

Après sa mort, quand je reverrai Damien ainsi qu’uneproche du couple, j’aurai du mal à m’entretenir avec euxsans dévoiler un peu du chemin qu’elle a parcouru. Aussi,la question du cadre se posera encore au-delà du décèspar cette nouvelle mise à l’épreuve de la déontologie.

Durant toute cette période où les enjeux psychiquesconcernaient la séparation, Amélie a pu établir un lienthérapeutique à travers lequel elle est devenue davantagel’auteur de son histoire, c’est-à-dire un sujet. Puisqu’ellerefusait l’hospitalisation, le dispositif de l’HAD, la possi-bilité d’y rencontrer un psychologue et les assouplis-sements concédés au cadre ne sont-ils pas ce qui lui apermis « d’aller à la recherche de son histoire » [16] et,ainsi, de finir de vivre ?

Conclusion

La clinique palliative confronte les psychologues à dessituations thérapeutiques variées, qui viennent interrogerles conceptions classiques des règles méthodologiques.L’exercice du suivi à domicile en représente une déclinai-son parmi d’autres. Il s’agit pour le psychologue d’unepratique tout à fait spécifique, peu étudiée et autour delaquelle un travail de conceptualisation est à mener.

Le contexte du domicile recèle des écueils qui lui sontpropres. De par ses aspérités, il requiert peut-être plusqu’ailleurs de se montrer attentif au cadre, ce « toujourslà (qui) ne se perçoit que quand il ne l’est plus » [8]. Enl’occurrence, il importe ici a fortiori de veiller aux méca-nismes en œuvre dans la relation, notamment transféren-tiels et, à ce titre, le travail en équipe et les séances desupervision revêtent un caractère essentiel. C’est le préa-lable du cadre qui légitime ensuite certaines dérogationsque les circonstances du domicile imposent.

Aménager un cadre en ce lieu, idée insolite pourrait-on dire, c’est faire preuve de créativité et rendre ce cadremobile, vivant, pour répondre au plus près des besoins dupatient. Cela ne peut s’envisager qu’avec sa collaborationet, dans une certaine mesure, celle de son entourage.

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Médecine palliative

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N° 6 – Décembre 2007

L’exercice du psychologue en hospitalisation à domicile : quel cadre thérapeutique ?

SOINS PALLIATIFS ET PSYCHOLOGIE

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