l'exécution des décisions de la justice administrative

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L’exécution des décisions de la justice administrative. Mourad AIT SAKEL. Juge au tribunal administratif de Rabat. Spécialiste du contentieux des marchés publics. Introduction : Le principe de la légalité, caractéristique majeur de l’Etat de droit, implique que l’administration doit, non seulement se conformer à l’objectif de l’intérêt général, mais aussi et surtout respecter le corpus normatif établi pour encadrer son action. Dans ce cadre, les décisions de la justice sont considérées comme un élément constitutif de ce corpus normatif surtout en matière de droit administratif qui est par nature un droit prétorien. Dans ces sillages, la jurisprudentialisation sans cesse croissante du droit administratif marocain ne peut que rejaillir sur la structuration ainsi que sur l’articulation du système de contrôle juridictionnel de l’administration 1 qui puise sa logique fonctionnelle dans le modèle français construit sur les fondements d’un lourd legs de l’histoire et façonné sur les séquelles du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, un principe qui a eu pour effet majeur de soustraire l’administration au prisme du juge ordinaire et à l’application des règles de droit civil 2 . Or, pour cerner les ramifications du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, dans le cadre du droit marocain, il faut remonter dans l’histoire pour mettre en exergue l’article 8 du Dahir sur l’organisation judiciaire du 12 août 1913 3 qui a consacré le principe, reproduit par la suite par l’article 25 du Code de procédure civile, de l’interdiction faite aux tribunaux 1 V. - Rivero (J.), « Le juge administratif français : un juge qui gouverne ? », D. 1951, chron. P.23. - Groshens (J.-C), « Réflexion sur la dualité de juridictions », AJDA, 1963, p.526. - Debbasch (Ch.), « Déclin du contentieux administratif », D. 1967, chron. P.95. - Weil (P.), « Le conseil d’Etat statuant en contentieux : politique jurisprudentielle ou jurisprudence politique ? », Ann. Fac. Dr. Aix-en-Provence, 1959-281. - Prétot (X.), « Réflexion sur la juridiction administrative », D. 1986, chron. P.271. -Bazex (M.), « L’implosion du dualisme de juridiction », Rev. Pouvoir, 1988, n°4, p.35. - Le juge administratif français à l’aube du XXIe siècle, collectif, PUG, 1995. 2 Loschak (D.), La justice administrative, Montchrestien, Paris, 1994. 3 Cet article charnière de l’histoire juridictionnelle marocaine donne aux tribunaux compétence de connaître « de toutes les instances tendant à faire déclarer débitrices les administrations publiques » toute en leur interdisant, en même temps, d’ordonner toute mesure dont l’effet serait d’entraver l’action des administrations publiques ainsi que de connaître de toute demande tendant à faire annuler un acte d’une administration publique. 1

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L’exécution des décisions de la justice administrative.

Mourad AIT SAKEL. Juge au tribunal administratif de Rabat. Spécialiste du contentieux des marchés publics. Introduction : Le principe de la légalité, caractéristique majeur de l’Etat de droit, implique que l’administration doit, non seulement se conformer à l’objectif de l’intérêt général, mais aussi et surtout respecter le corpus normatif établi pour encadrer son action. Dans ce cadre, les décisions de la justice sont considérées comme un élément constitutif de ce corpus normatif surtout en matière de droit administratif qui est par nature un droit prétorien. Dans ces sillages, la jurisprudentialisation sans cesse croissante du droit administratif marocain ne peut que rejaillir sur la structuration ainsi que sur l’articulation du système de contrôle juridictionnel de l’administration1 qui puise sa logique fonctionnelle dans le modèle français construit sur les fondements d’un lourd legs de l’histoire et façonné sur les séquelles du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, un principe qui a eu pour effet majeur de soustraire l’administration au prisme du juge ordinaire et à l’application des règles de droit civil2. Or, pour cerner les ramifications du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, dans le cadre du droit marocain, il faut remonter dans l’histoire pour mettre en exergue l’article 8 du Dahir sur l’organisation judiciaire du 12 août 19133 qui a consacré le principe, reproduit par la suite par l’article 25 du Code de procédure civile, de l’interdiction faite aux tribunaux 1 V. - Rivero (J.), « Le juge administratif français : un juge qui gouverne ? », D. 1951, chron. P.23. - Groshens (J.-C), « Réflexion sur la dualité de juridictions », AJDA, 1963, p.526. - Debbasch (Ch.), « Déclin du contentieux administratif », D. 1967, chron. P.95. - Weil (P.), « Le conseil d’Etat statuant en contentieux : politique jurisprudentielle ou jurisprudence politique ? », Ann. Fac. Dr. Aix-en-Provence, 1959-281. - Prétot (X.), « Réflexion sur la juridiction administrative », D. 1986, chron. P.271. -Bazex (M.), « L’implosion du dualisme de juridiction », Rev. Pouvoir, 1988, n°4, p.35. - Le juge administratif français à l’aube du XXIe siècle, collectif, PUG, 1995. 2 Loschak (D.), La justice administrative, Montchrestien, Paris, 1994. 3 Cet article charnière de l’histoire juridictionnelle marocaine donne aux tribunaux compétence de connaître « de toutes les instances tendant à faire déclarer débitrices les administrations publiques » toute en leur interdisant, en même temps, d’ordonner toute mesure dont l’effet serait d’entraver l’action des administrations publiques ainsi que de connaître de toute demande tendant à faire annuler un acte d’une administration publique.

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judiciaires d’entraver l’action administrative. Mais ce n’est qu’en 1957, avec la création de la Cour suprême, que la justice administrative marocaine a conquis de nouvelles ères avec l’instauration d’une matière administrative par le truchement de la transposition des principes de l’arrêt Blanco4 rendu par le Tribunal des conflits le 8 février 1873, la juridictionnalisation du recours pour excès de pouvoir et la consécration de l’unité juridictionnelle. Avec l’avènement des tribunaux administratifs, institué par la loi 41-90 et la mise en place des cours d’appel administratives5 par la loi 80-03, le système du contentieux administratif a subi des bouleversements profonds à tel point qu’il a commencé à changer même de visage avec la disparition de l’un de ses traits caractéristiques, celui de l’unité juridictionnelle. Certes, l’ambition des instigateurs du mouvement de la réforme de la justice administrative était à la fois d’introduire une profonde mutation dans la nature des rapports entre les pouvoirs publics et le citoyen et d’inscrire ce mouvement dans la continuité. Toutefois, l’efficacité opérationnelle de cette réforme se prête à caution vue la multiplication des questions qui se pose à ce niveau : La première question a trait à l’existence même d’une juridiction administrative, est elle à l’heure actuelle un élément favorisant la confection, l’application et le développement d’une règle juridique contraignante pour l’administration ? L’effroyable complexité des règles de compétence et de procédure ne peut que conclure au fiasco prématuré d’un ordre juridique en voie de dualisation. La seconde question porte sur l’efficacité du système de protection de l’administré orchestré par la justice administrative. Une fine analyse du carcan institutionnel, normatif et procédural existant nous permet d’affirmer que le citoyen est toujours livré à l’administration sans réelle protection juridictionnelle, et lorsqu’il l’invoque, la censure reste confiner dans un cadre théorique et surtout onéreux. Le point culminant de cette situation est constitué par l’inexécution des décisions rendues par le juge administratif6. Ainsi, on ne peut que s’interroger, 4 T.C. 8 févr. 1873, Blanco, Rec. 1er supplt 61, concl. David 5V. - Feuer (G.), Contribution à une théorie de l’appel dans la procédure contentieuse administrative : RD publ. 1958, p.19. - Gjidara (M.), La fonction administrative contentieuse, thèse, Paris, LGDJ, 1972. - Letourneur (M.), L’effet dévolutif de l’appel et l’évocation dans le contentieux administratif », EDCE, 1958, p.59. - Le foyer (Y.), Les effets de l’appel, Thèse Lyon, 1974. - Rozos (N.), L’appel devant le Conseil d’Etat, Thèse, Aix-en-Provence. 6 V.

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en toute légitimité, sur « la valeur réelle d’une décision juridictionnelle si son application n’est pas garantie, sur la crédibilité même de la justice administrative si au bout d’un certain temps, la décision dotée de l’autorité de la chose jugée est ignorée par une administration convaincue de son invincibilité »7. Or, présenté comme la plate forme charnière du respect de la chose jugée, le dispositif normatif et procédural d’exécution des décisions juridictionnelles fait l’objet d’un lacis de critiques quasi unanimes quant aux conditions de sa mise en mouvance. Faut il ainsi en conclure que le législateur s’est trompé dans la conception et l’orchestration d’un mécanisme qui se voulait être un séisme radical dans le processus de structuration des rapports qu’entretiennent l’administration avec l’administré ? Ses instigateurs ont-ils, tout simplement, sous estimés les embûches de toute nature qui ébranlent, aujourd’hui, gravement son exercice ? Douze ans de fonctionnement des tribunaux administratifs offre, certainement à l’aube de la création des Cours d’appel administratives, un recul expérientiel suffisant pour constituer une vision plus lucide sur ce volet décisif qui conditionne l’efficacité de la justice administrative. Cette justice est elle aussi novatrice, aussi consecratrice du respect des droits et des libertés qu’en a pu le penser, le rêver et le présenter dans la période du grand enthousiasme de la réforme du début des années quatre vingt dix. Pendant longtemps, la seule solution qui s’offrait au justiciable consistait à intenter une nouvelle action en justice tendant à faire annuler le refus d’exécution ou à mettre en jeu la responsabilité de l’administration si un préjudice en était résulté. Mais, même, à ce niveau, on conçoit facilement les difficultés que le juge peut rencontrer et la déception que l’administré peut sentir lorsque l’administration continue à rechigner à exécuter la décision juridictionnelle. Une telle situation n’est, certes, pas admissible parce que, - Fayolle, La force exécutoire des décisions de justice vis-à-vis des administrations publiques, Thèse Nancy, 1926. - Boulard, Le respect par l’administration active des décisions du Conseil d’Etat, Thèse, Paris, 1932. - Laurent, L’indépendance de l’administration et les décisions du Conseil d’Etat, Thèse Aix, 1941. - Josse, L’exécution forcée des décisions du juge administratif par la mise en jeu de la responsabilité pécuniaire du service public, EDCE, 1953. 50. - Jaquignon, L’exécution forcée sur les biens des autorités et services publics, AJDA, 1958.1.71. - Autin (J.-L), « Le refus d’ordonnancer une dépense publique », AJDA, mars 1979.3. -Delvolvé (P.), « L’exécution des décisions de justice contre l’administration », EDCE, 1983-1984, n°35. - Favoreu (L.), L’efficacité des décisions de justice en droit public français. Trav. Assoc. H. Capitant, tome XXXVI, 1985, 601. - L’exécution des décisions de la juridiction administrative, Section du rapport et des études du Conseil d’Etat, EDCE, 1987, 193. - Guettier (Ch.), « L’administration et l’exécution des décisions de justice », AJDA, n°spécial, juill. – août 1999,66. 7 Benabdellah (M.-A), « Justice administrative et inexécution des décisions de justice », REMALD, n°25, 1998, p.9

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d’abord, elle sape les soubassements justificateurs de l’Etat de droit et parce que, ensuite, elle prive de toute portée concrète le contrôle juridictionnel de l’administration8. Dans ces sillages, une jurisprudence administrative qui se veut être progressiste, issue de l’ordre juridictionnel inférieur, a produit l’effort nécessaire pour changer cette situation on proposant des moyens coercitifs à même à assurer l’exécution de leurs décisions. Toutefois, la chambre administrative, dans sa fonction régulatrice, jugée, parfois, très conservatrice, n’a pas hésité, souvent, à tuer dans l’œuf toute velléité réformatrice. Suite à cette situation, on peut se demander si la conception initiale du législateur relative au système d’exécution des décisions du juge administratif ne réitère par l’esprit d’une confiance excessive, par sa référence quasi exclusive à la régulation juridictionnelle des rapports conflictuels qu’entretiennent l’administration avec l’administré. Ce type de régulation implique, en effet, « une stabilité, une pertinence, une perfection de la règle juridique qui sont un mythe et dont l’ensemble des observateurs s’accordent à reconnaître qu’elles n’en sont pas la caractéristique principale »9. Dans cette optique, le glissement fonctionnel du mécanisme d’exécution des décisions de la justice administrative de sa phase contentieuse à une phase consensualiste, de la prééminence de la solution juridictionnellement imposée à la quête de la solution administrativement négociée ne pourrait être s’analyser que comme une réaction de sagesse de la part du décideur politique. Sur le plan méthodologique, approcher scientifiquement le problème de l’inexécution des décisions du juge administratif implique d’opter pour un champ d’analyse, une boite à outils de nature à appréhender la complexité des facteurs qui agissent sur le système du contentieux administratif. Dans ce cadre, trois référentiels d’analyse sont proposés :

- Le référentiel textuel. - Le référentiel jurisprudentiel - Le référentiel doctrinal.

A partir de cette trilogie référentielle, et on optant pour une approche différentielle qui fait recours aux analyse statistique et comparatiste en vue d’assurer une représentation assez fidèle de la réalité, nous essayerons de décortiquer, dans une première partie, l’apport de la judiciarisation des

8 V. Leulmi (S.), « Exécution des décisions des juridictions administratives », Rep. du cont. admi. , Dalloz, mise à jour 1994, p.2 et s. 9 Parker (R.-W), « Du contrôle du pouvoir administratif aux Etats-Unis d’Amérique », AJDA, 20 oct. 1999, p.751.

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mécanismes d’exécution des décisions de la justice administrative, avant de s’atteler, dans un second point, sur la portée réelle de leur déjudiciarisation.

Partie 1ère : L’apport de la judiciarisation des

mécanismes d’exécution des décisions de la justice administrative.

La question de l’exécution des décisions de la justice se pose avec une acuité particulière dans la mesure où la personne de droit public devant exécuter détient le monopole de la contrainte étatique et jouit de certains privilèges tels que l’insaisissabilité de ses biens ou l’inapplicabilité à son encontre des voies d’exécution du droit commun10. Ainsi, dans ces sillages, il n’est pas sans intérêt de décortiquer, dans un premier point, les ramifications juridiques de l’obligation d’exécution de la décision du juge administratif avant de s’atteler, dans un second point, sur une analyse succincte des mécanismes contentieux sanctionnateurs de la violation de cette obligation.

I- Les ramifications juridiques de l’obligation d’exécution des décisions du juge administratif :

L’administration a l’obligation d’exécuter les décisions de la justice ; cette obligation constitue le credo central du principe de l’autorité de la chose jugée. Toutefois, l’obligation d’exécution des décisions de la justice n’est ni générale ni absolue, elle a ses règles spéciales qui riment avec l’éclosion d’un

10 T.C, 9 déc.1899, Association syndicale du canal de Gignac, Rec. CE, p. 731. En réalité, l’exécution des décisions de la justice administrative n’est inhérente uniquement au dualisme juridictionnel, mais il est lié à la séparation des fonctions juridictionnelles et administratives, et des privilèges qui en résultent pour l’administration. Autrement dit, c’est la nature de l’administration qui justifie le principe de l’insaisissabilité des biens de l’administration et non la nature de la juridiction qui l’a condamnée. V. Costa (J.-P), « L’exécution des décisions de justice », AJDA, 1995, n° spécial, p.227. V. également dans une perspective plus générale : - Chapus (R.), Droit du contentieux administratif, Montchrestien, 1998. - Peiser (G.), Contentieux administratif, Dalloz, 1997. - Venezia (J.-C), Gaudemet (Y.), Traité du droit administratif, LGDJ, 1999. - Rivero (J.), « Le Huron au palais royal ou réflexion naïves sur le recours pour excès de pouvoir », D. 1962, chron. 37. - Braibant (G.), « Remarques sur l’efficacité du recours pour excès de pouvoir », EDCE, 1961, p.53 -Delvolvé (P.), « L’exécution des décisions de justice contre l’administration », EDCE, 1983-1984, p.14

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lacis de limites ayant pour objectif de dispenser l’administration du strict respect de la chose jugée.

A- Le principe juridique de l’obligation d’exécution des décisions de la justice administrative.

Le principe de la soumission de l’administration aux décisions de justice doit être analysé tant sur le plan de son soubassement justificatif que sur le plan de ses prolongements normatifs.

a. Le soubassement justificatif de l’obligation d’exécution des décisions de la juridiction administrative :

L’obligation d’exécuter les décisions de la juridiction administrative repose sur un double fondement lié tantôt à l’effet matériel tantôt à l’effet formel sécrété par la décision rendue.

1- Le caractère exécutoire de la décision : Il est à signaler, de prime abord, que l’obligation d’exécuter ne découle pas du caractère de la chose jugée qui peut s’attacher à une décision de justice. L’obligation d’exécution peut s’imposer même si la décision juridictionnelle n’a pas passé en force de chose jugée ou n’est devenu définitive. C’est de la force exécutoire de la décision de justice que résulte l’obligation d’exécution pour l’administration comme pour les particuliers. La formule exécutoire en est l’expression11. Dans ce cadre, il y a une différence de taille entre le système juridique marocain et certains systèmes juridiques étrangers, notamment le système juridique français : En France, du fait de l’existence de deux ordre de juridictions distinctes, il y a deux formules exécutoires : celle des jugements de l’ordre judiciaire qui prévoit l’usage des voies d’exécution de droit commun et celle des jugements de l’ordre administratif qui exclut l’usage de la force publique contre l’administration. 11 V. La contribution du Conseil d’Etat français au congrès de l’association internationale des hautes juridictions administratives sur le thème de l’exécution des décisions de la juridiction administrative, 2004, p.9, doc. Non publié. V. également Harsi (A.), « Le problème de l’exécution des décisions de justice condamnant l’administration au paiement des indemnités », in Tribunaux administratifs et Etats de droit, Colloque de la Fac. des Sc. Jur. Eco. Soc. De Marrakech, série « Séminaires et colloques », n°5, 1996, p.52.

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Au Maroc, les textes institutifs des tribunaux administratifs et des cours d’appel administratives n’ont pas prévu une formule exécutoire spécifique pour les jugements rendus en matière administrative ce qui implique d’opérationnaliser la technique de renvoi institué par l’article 7 de la loi 41-90 qui dispose que les règles du code de procédure civile12 sont applicable devant les tribunaux administratifs, sauf disposition contraire prévue par la loi13. Toutefois, le caractère général de cette disposition ne doit pas laisser entendre que l’on puisse faire exécuter les jugements à l’encontre de l’administration par la force.

2- La qualité de la chose jugée14 : La chose jugée est « la qualité de la décision juridictionnelle qui tranche avec force de vérité légale les questions soumises au juge »15. La doctrine opère une distinction fondamentale entre les décisions qui ont l’autorité de la chose jugée et les décisions qui ont passées en force de chose jugée. Ainsi, la décision qui a l’autorité de la chose jugée s’impose entant que vérité légale qui lie les parties tenues de l’exécuter et le juge qui ne peut plus la réformer16. Le principe de l’autorité de la chose jugée est soumis à un régime juridique orchestré sur la base de trois règles générales17 : - l’autorité de la chose jugée ne produit ses effets qu’à l’égard de ceux qui ont été parties ou représenté dans l’instance. - la chose jugée n’est pas méconnue si, une décision ayant été annulée pour des raisons de violation de la légalité externe, l’administration édicte la même décision, mais cette fois, en respectant les règles légales de compétence ou de procédure.

- Il y a autorité de la chose jugée dés lors qu’il y a une identité d’objet concernant la chose demandée.

12 La formule exécutoire prévue par l’art. 433 du CPC est la suivante : « En conséquence, sa Majesté le Roi mande et ordonne à tous agents à ce requis de mettre le dit jugement (ou arrêt) à exécution, aux procureurs généraux du Roi et procureur du Roi près des diverses juridictions d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main forte lorsqu’ils en seront requis ». 13 Terrab (M.), « La problématique de l’inexécution des décisions de justice », REMALD, 1999, n°27, p.111 (en arabe). 14 Wartin, « L’autorité de la chose jugée en droit administratif français », Annales Fac. Dr. Istanbul, 1958. 29. 15 Leulmi (S.), op. cit, p.3. 16 Idem 17 V. l’analyse développée par Leulmi (S.), op. cit

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De même, l’autorité de la chose jugée « ne s’attache, en règle générale, qu’ au dispositif des décisions juridictionnelles, mais elle s’attache aussi aux motifs de ces décisions lorsqu’ils constituent le soutien nécessaire, le support inséparable du dispositif parce qu’il sont indispensables pour en déterminer le sens exact »18. En outre, la spécificité d’une décision revêtue de l’autorité absolue de la chose jugée est d’avoir un effet erga omnes .Cette particularité est inhérente aux jugements rendus dans le cadre du recours pour excès de pouvoir. Autrement dit, elle s’explique par le fait que « ces décisions sont rendues sur une question de droit objectif et non dans un litige subjectif »19. Cette distinction opératoire sécrète un autre intérêt orchestré par la jurisprudence ; ainsi, lorsque la décision juridictionnelle a l’autorité absolue de la chose jugée, le moyen tiré de la chose jugée est d’ordre public et la méconnaissance de la chose jugée doit donc être soulevée d’office par le juge contrairement au moyen tiré de la chose jugée qui est imprégné d’une autorité relative, ce moyen n’est pas d’ordre public et il incombe aux parties à l’instance de soulever le fait que le juge administratif est à nouveau saisi20. Pour ce qui est des décisions qui sont passées en force de chose jugée, il est à relever que « toutes les décisions juridictionnelles qui tranchent un litige sont revêtue de l’autorité de la chose jugée. Parmi elles, les décisions qui sont devenues définitives sont dites passées en force de chose jugée, il en est ainsi lorsque les voies de recours ordinaires sont fermées, lorsque les délais de recours sont expirés sans avoir été utilisés, ou lorsque les recours ont été formés et rejetés »21.

b. Les conséquences juridiques de l’obligation d’exécution des décisions de la juridiction administrative :

L’administration est tenue de prendre toutes les mesures nécessaires pour l’exécution des décisions rendues par le juge administratif. Dans ce cadre, et à l’instar du juge administratif marocain22, le Conseil d’Etat juge avec constance que la chose jugée s’impose sans restriction ni

18 CE, Sect. 29 nov. 1974, Epoux Gevrey, Rec. P.600, in Leulmi (S.), op. cit. 19 Leulmi (S.), op. cit. p.4 20 CE, 22 mars 1961, Simonet, Rec. P.211, cité in Leulmi (S.), op. cit. 21 Leulmi (S.), op. cit. 22 T.A de Rabat 29 nov. 2004, Khelfaoui c. le Directeur général de la sécurité nationale.

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réserve à l’administration et à ses agents23. De même la jurisprudence refuse d’admettre comme faits justificatifs de la méconnaissance de la chose jugée l’existence de difficultés d’exécution24, ou de difficultés financières25, ou de faits ignorés du juge à l’époque où il a statué26 ; de même, l’obligation d’exécuter ne peut être écartée en raison de considérations d’opportunité27 ou des droits acquis par les tiers28. Ne fait pas plus obstacle à cette obligation d’exécuter la circonstance que le juge administratif se soit prononcé à titre provisoire en application d’une procédure de référé29. Toutefois, le Conseil d’Etat pose comme principe jurisprudentiel que pour s’acquitter de son obligation d’exécuter la décision rendue par le juge administratif, l’administration dispose d’un délai raisonnable variable selon la nature du litige et la complexité de la procédure de mise en conformité avec la décision juridictionnelle30, une procédure de mise en conformité variable selon la nature du contentieux. 1- Le contentieux de pleine juridiction : En plein contentieux, le juge administratif prononce une condamnation qui consistera, pour la personne publique condamnée, à s’acquitter de l’obligation pesant sur elle de verser la somme à laquelle elle a été condamnée. Le juge administratif ne dispose pas, en principe, du pouvoir d’adresser des injonctions à l’administration, il ne peut la condamner à des obligations de faire en lui prescrivant un acte précis comme il ne peut se substituer à elle. Dans les sillages de cette conception traditionnelle, le juge administratif ne peut qu’exercer des pressions sur l’administration par le truchement de moyens indirects. C’est ainsi que le Conseil d’Etat a, souvent, suggéré aux parties des modes de règlement sur la base desquels elles peuvent se mettre d’accord31.

23 V.CE. 23 juill. 1909, et 22 juill. 1910, Fabrégues, S. 1911, cité in Leulmi (S.), op. cit. 24 V. - CE, sect. 25 sep.1970, com. de Batz sur mer c. veuve Tesson, Rec. P.504, cité in, Leulmi (S.), op. cit. - CE, 11 juill. 1978, Ministre de l’agriculture c. Terrier, T. p.609, cité in La contribution du Conseil d’Etat au VIIIème congrès de l’Association internationale des hautes juridictions administratives, op. cit, p.9 25 CE, 11 oct. 1961, Ministre des travaux publics et des transports c. Seveyras, Rec. p.515, cité in La contribution du Conseil d’Etat…, op. cit. 26 CE, 12 oct. 1939, Fradet, Rec. p. 539, Cité in La contribution du Conseil d’Etat, op. cit. 27 CE, 8 fév. 1961, Rousset, Rec. p.85, cité in Leulmi (S.), op. cit 28 CE, ass. 10 déc. 1954, Cru et autres, Rec. p.659, cité in Leulmi (S.), op. cit 29CE, sect. 5 nov. 2003, Association, convention vie et nature pour une écologie radicale, Association pour la protection des animaux sauvages, n° 259339, cité in La contribution du Conseil d’Etat…, op. cit. p.11 30CE, 21 déc. 1977, Brimon, Rec. p. 532, cité in Leulmi (S.), op. cit 31 CE, 5 déc. 1932, Tramways de cherbond, D. 1939, p.17

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Avant la création des tribunaux administratifs, la Cour Suprême refusait d’adresser des injonctions à l’administration en se basant sur une interprétation littérale et restrictive de son texte constitutif qui ne prévoit pas expressément cette compétence32 alors que les tribunaux de l’ordre inférieur se contentaient d’avancer qu’ils ne pouvaient, en vertu de l’article 25 du code de procédure civile, entraver l’action de l’administration33. Après la création des tribunaux administratifs, la Cour Suprême a opéré un revirement jurisprudentiel en procédant à une interprétation plus extensive de l’article 25 lorsqu’ elle a commencé à considérer que l’action administrative que le juge n’a pas le pouvoir d’entraver est l’action administrative légale34. 2- Le contentieux de l’excès de pouvoir : La décision rendue sur recours pour excès de pouvoir présente un caractère spécial étroitement lié à la définition et à la nature même de ce recours objectif. En effet, le juge de l’excès de pouvoir ne peut qu’annuler l’acte attaqué lorsqu’il se révèle illégal ou, au contraire, rejeter la requête, ce qui revient à confirmer la légalité intrinsèque de l’acte attaqué35. Lorsque le juge de l’excès de pouvoir prononce l’annulation de l’acte administratif illégal, cette annulation a une portée rétroactive et purgative imposant de considérer que l’acte annulé, non seulement a été écarté de l’ordonnancement juridique, mais encore qu’il n’y jamais véritablement entré. L’acte administratif annulé disparaît ex tunc. C’est la raison pour laquelle l’autorité des annulations pour excès de pouvoir a un caractère d’ordre public et doit être, en conséquence, soulevée d’office par le juge36. De cette annulation erga omnes et ab initio, trois conséquences juridiques majeurs peuvent être tirées37 :

- La substitution de la décision annulée :

32 Certes, en droit français, aucun texte juridique n’a jamais interdit au juge administratif le pouvoir d’injonction. De même, la reconnaissance au profit du juge administratif d’un pouvoir d’injonction ne peut nullement porter atteinte à l’indépendance de l’administration puisque le juge ne se substitue pas à cette dernière, il crée seulement une obligation à sa charge V. Gaudemet (Y.), « Réflexions sur l’injonction dans le contentieux administratif », Mélange Burdeau, Paris, LGDJ, 1977, p. 812 33 CSA, 18 fév. 1963, Sieur Guénin, RACSA, T.3, 1961-1965, p. 115 CSA, 24 nov. 1967, Abou hacen alaoui c. Ministre de l’intérieur, RACSA, T.4, 1966 – 1970, p.112, cité in Harsi (A.), op. cit. 34 CSA, 27 juill. 2000, l’agent judiciaire du Royaume c. Benani. 35 V. Weil (P.), Les conséquences de l’annulation d’un acte administratif pour excès de pouvoir, thèse, Paris, 1962. 36 V. La contribution du Conseil d’Etat…, p.5 37 Voir, dans ce cadre, l’analyse pertinente développée dans le cadre de la contribution du Conseil d’Etat… op. cit

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Primo, l’annulation pour excès de pouvoir « n’impose pas de procéder à une reconstitution du passé mais, plus simplement, de combler le vide normatif crée par l’annulation contentieuse »38. La personne publique condamnée sera, alors, tenue d’assurer le remplacement de la décision annulée. La nouvelle décision sera prise en fonction, non pas des circonstances de droit et de fait qui existaient à la date de la décision annulée, mais de celles existant à la date de la nouvelle décision39. Secondo, l’exécution de la décision d’annulation prononcée par le juge administratif n’impose pas de procéder au remplacement de la décision annulée et dans ce cas, L’annulation pour excès de pouvoir suffit à elle seule à rétablir l’ordonnancement juridique tel qu’il doit être40. Tertio, la décision d’annulation prononcée par le juge administratif peut avoir pour effet de faire revivre l’état de droit ex ante41.

- La reconstitution fictive du passé : La censure pour excès de pouvoir impose souvent à l’administration, outre la substitution de la décision annulée, d’opérer « une reconstitution théorique du passé »42. C’est le cas notamment lorsque la décision annulée a arrêté ou modifié le déroulement d’une situation administrative. L’exécution de la décision du juge administratif « supposera, alors pour l’administration, de reconstituer le passé en s’efforçant de le restituer tel qu’il se serait déroulé si la décision annulée n’était pas intervenu »43.

38 Idem 39 Dans ce cadre, le Conseil d’Etat a jugé que, s’agissant de l’annulation des opérations d’un concours administratif, l’exécution de la chose jugée n’imposait pas au ministre d’ouvrir un nouveau concours de recrutement. V. CE, Sect. 8 juin 1990, Université de Clermont – Ferrand I c. Rougerie, Rec. p. 147 ; CE, 10 oct. 1997, Lugan, Rec. p. 346. En outre, le Conseil d’Etat a posé la règle selon laquelle l’administration n’a l’obligation de combler le vide juridique crée par l’annulation et de se replacer à la date de l’acte annulé que si, d’une part, elle avait l’obligation de prendre une nouvelle décision et, d’autre part, si les intéressés avaient un droit acquis à ce que cette décision intervienne à une date déterminée. V. La contribution du Conseil d’Etat…, op. cit. p.5 40 C’est le cas notamment lorsque l’administration a adopté une mesure entachée d’incompétence. Aucune mesure d’exécution propre n’est nécessaire. 41 C’est le cas notamment lorsque la décision annulée a été prise à la demande d’un administré : l’annulation rétroactive a pour effet de ressaisir de plein droit l’administration de la demande initiale à laquelle elle est réputée n’avoir jamais répondu. Or, le Conseil d’Etat a considéré que l’administration, en exécution de la décision du juge administratif, doit statuer sur cette demande après nouvelle instruction si des circonstances nouvelles de droit et de fait l’exigent, de même que la nouvelle décision doit prendre en considération la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle l’administration se prononce de nouveau. V. CE, sect. 8 mars 1963, Pradel, Rec. p. 145, cité in La contribution du Conseil d’Etat…, op. cit. 42 In La contribution du Conseil d’Etat…, op. cit. p.7 43 C’est le cas notamment de l’annulation d’un tableau d’avancement dans la fonction publique. V. CE, 26 déc. 1925, Rodière, Rec. p. 1065, cité in La contribution du Conseil d’Etat…, op. cit.

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Les mesures de reconstitution du passé ont, de ce fait, un caractère rétroactif. Elles ne peuvent intervenir qu’en application de la législation et de la réglementation en vigueur à la date à la quelle elles doivent prendre effet et après accomplissement des procédures alors prescrites par ces législations et réglementation44.

- La production d’effets indirects sur d’autres décisions : L’annulation d’une décision peut entraîner l’annulation d’une ou plusieurs autres décisions. Le juge administratif, saisi de conclusions en ce sens, ne peut que prononcer l’annulation, par voie de conséquence, des autres décisions dont l’illégalité est emportée par celle de la première et ce en application de la théorie des actes liés45. Or, en droit français, le mécanisme de « l’annulation par voie de conséquence » peut être utilisé dans les cas où un acte administratif est un acte d’exécution d’un autre acte, ou bien dans le cas où un acte administratif est tellement lié à un autre acte qu’ils ne peuvent pas être dissociés. Le juge polonais a des prérogatives encore plus élargies conférées par l’article 135 de Loi sur le Contentieux Administratif, en vertu duquel le juge peut réviser tout acte si cela est nécessaire « pour parachever la légalité de l’affaire ». De même les juges autrichiens et belges peuvent se prononcer sur la légalité des actes subordonnés ou accessoires même si la nullité formelle de ces actes ne peut être déclarée qu’après un nouveau contentieux. En droit belge, La justice a établi une période de deux mois pour pouvoir introduire un recours contre les actes subordonnés ou accessoires et le système juridique autrichien a adopté une solution semblable lorsqu’ il a considéré que les actes peuvent devenir illégaux par conséquence, mais ils ne perdront pas leur validité immédiatement. Toutefois, le rigidisme de cette solution a incité la jurisprudence autrichienne à faire miroiter une exception admettant la nullité des actes accessoires et subordonnés s’ils sont réputés étroitement liés à l’acte principal46.

Toutefois, des considérations inhérentes à la prise en compte de la sécurité juridique des administrés ainsi que de souci de ne pas bouleverser déraisonnablement l’ordonnancement juridique tendent à limiter la portée de

44 CE, 11 juill. 1958, Fontaine, p.433. Toutefois, si les mesures de reconstitution imposent de saisir des organismes consultatifs, la jurisprudence du Conseil d’Etat admet que ces organismes consultatifs sont valablement consultés dans leur composition existante à la date à laquelle sont prises les mesures de reconstitution, alors même que les règles de composition ont changé, sous réserve que l’organisme, dans sa nouvelle composition, présente des garanties équivalentes. V. CE, sect. 14 fév. 1997, Colonna, p.38, cité in La contribution du Conseil d’Etat…, op. cit. p.8 45 V. Rapports généraux des congrès de l’Association internationale des hautes juridictions administratives, VIIIème Congrès sur L’exécution des décisions des juridictions administratives, Madrid 2004, doc. non publié, p. 11. 46 Idem

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l’effet boule de neige produit par la fiction de la rétroactivité de l’annulation contentieuse47.

Ainsi, l’annulation ab initio d’une décision administrative ne peut imposer à l’administration de revenir sur d’autres décisions qu’à la condition que ces dernières ne sont pas devenues définitives et que cette révision ne porte pas atteinte aux droits acquis que les bénéficiaires ont pu en tirer48. Dans ces sillages, la mise en jeu du principe de sécurité juridique ne peut que restreindre les conséquences de la décision administrative en vue d’éviter ce que le Conseil d’Etat belge a décrit dans l’affaire Tibax lorsqu’il a précisé qu’ « en effet, un arrêt du Conseil d’Etat ne peut fonctionner comme une espèce de machine à remonter le temps pouvant recréer un moment passé dans le commerce juridique et dans les rapports sociaux (…) Plus particulièrement, un rétablissement intégral de la légalité pourrait causer bien du préjudice à un nombre de personnes qui ne sont pas responsables de la perturbation juridique initiale et qui, pour ce motif, ne peut pas non plus dés lors se voir imposer la charge de la faute commise par d’autres »49.

En définitive, les considérations de sécurité juridique ne peuvent que cantonnées les conséquences de la décision du juge administratif dans des limites raisonnables, une situation qui se greffe sur l’éclosion d’un lacis d’exceptions au principe de l’obligation d’exécution.

B- Les exceptions juridiques au principe

de l’obligation d’exécution des décisions de la justice administrative :

Orchestrées soit par le législateur soit par le juge, les exceptions à l’obligation d’exécution des décisions de la justice administrative sont sécrétées par le jeu de trois régimes juridiques différents :

- Le régime suspensif. - Le régime restrictif. - Le régime limitatif légal.

a- Le régime suspensif :

47 La contribution du Conseil d’Etat…, op. cit 48 Ainsi, dans l’hypothèse de l’annulation par le juge de l’excès de pouvoir de la délibération d’ un jury d’un concours de recrutement de la fonction publique, le fait pour les décisions ultérieures, notamment les candidats admis, d’être devenues définitives fera obstacle à leur retrait. V. CE, 10 avr. 1997, Lugan, Rec. p. 346, cité in La contribution du Conseil d’Etat…, op. cit 49 V. Les rapports généraux des congrès…, op. cit, p. 10

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Deux mécanismes juridiques peuvent justifier la suspension de l’obligation d’exécution des décisions du juge administratif :

1- L’exercice d’une voie de recours à effet suspensif : L’obligation d’exécuter la décision du juge administratif est suspendue lorsque celle-ci est susceptible d’une voie de recours à effet suspensif. La décision juridictionnelle est, alors, privé de son caractère exécutoire, soit jusqu’à l’expiration du délai de recours soit, si celui-ci est exercé, jusqu’à la décision de la juridiction supérieure50. Dans le cadre du droit marocain, seules les voies de recours ordinaires sont suspensives de l’obligation d’exécution des décisions du juge. Toutefois, il est à signaler que même si les voies de recours extra ordinaires n’ont pas d’effet suspensif, il reste que l’article 1 du Dahir du 14 juin 1944 relatif à l’exécution des décisions de justice ayant fait l’objet d’un pourvoi en cassation dispose que les jugements ou arrêts en vertu desquels un paiement doit être fait par le trésor public ou par la caisse d’une administration publique de l’Etat ne peuvent être exécutés lorsqu’ils ont fait l’objet d’un pourvoi en cassation - désormais possible devant la Cour suprême, après la création des Cours administratives d’appel - qu’à charge pour les parties qui les ont obtenus de donner caution.

2- Le sursis à exécution de la décision du juge administratif : L’obligation d’exécuter la décision juridictionnelle peut être suspendue lorsque la juridiction supérieure saisie d’un recours contre celle-ci et d’une demande à cette fin, ordonne qu’il soit sursis à son exécution. Dans le cadre du droit français, l’article R 811 du Code de justice administrative après avoir rappelé, dans son paragraphe 14, que le recours en appel n’a pas d’effet suspensif s’il n’en est autrement ordonné par le juge d’appel, prévoit, dans le paragraphe 15, que lorsqu’il est fait appel d’un jugement de tribunal administratif prononçant l’annulation d’une décision administrative, la juridiction d’appel peut, à la demande de l’appelant, ordonner qu’il soit sursis à l’exécution de ce jugement si les moyens invoqués par l’appelant paraissent, en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l’annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à la fin d’annulation accueillies par ce jugement.

50 Leulmi (S.), op. cit

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De même, le paragraphe 16 du même article ajoute que lorsqu’ il est fait appel par une personne autre que le demandeur en première instance, la juridiction peut à la demande de l’appelant, ordonner sous réserve des dispositions des articles R 533-2 et R 541-6 qu’il soit sursis à l’exécution du jugement déféré si cette exécution risque d’exposer l’appelant à la perte définitive d’une somme qui ne devrait pas rester à sa charge dans le cas où ses conclusions d’appel seraient accueillies. L’article R 621-17 ajoute que dans les autres cas, le sursis peut être ordonné à la demande du requérant si l’exécution de la décision du première instance attaquée risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables et si les moyens énoncés dans la requête paraissent sérieux en l’état de l’instruction51. Sur le plan juridique, donc, la possibilité de surseoir à l’exécution d’un jugement est subordonnée, au fond, à une double condition :

- que l’exécution risque d’entraîner des conséquences irréversibles. - que la requête comporte un moyen sérieux.

b- Le régime restrictif : Les restrictions de l’obligation d’exécution des décisions du juge administratif découlent de deux considérations majeures :

- La nécessité de préserver l’ordre public. - La survenance de facteurs juridiques ou factuels qui rendent difficile voire

même impossible l’exécution de la décision de justice.

1-L’éclosion de considérations d’ordre public :

La jurisprudence a souvent considéré que le respect de l’ordre public52 s’érige en un facteur qui permet à l’administration de méconnaître, provisoirement, l’autorité de la chose jugée. Ainsi, le tribunal administratif de Meknes53 a considéré que le Gouverneur dispose du pouvoir d’appréciation des circonstances exceptionnelles qui lui permettent de refuser la réquisition de la force publique en vue d’exécuter un 51 Pour plus de détails V. Pacteau (B.), « Paradoxes et périls du principe de l’effet non suspensif de l’appel en contentieux administratif », Mélange Chapus, 1992, p.493 et s. 52 Comme l’a parfaitement souligné le doyen Pequignot, « la notion d’ordre public, comme celle de service public, d’intérêt général ou d’utilité publique apparaissent d’abord comme essentiellement contingentes, mouvantes et subjectives, tenant aux circonstances de temps et de lieu, aux idées politiques, philosophiques ou morales ». V. Pequignot (G.), Préface à l’ouvrage de Bernard (P.), La notion d’ordre public en droit administratif, LGDJ, 1962, p.1. Pour ce qui est du droit marocain V. Ben Abdallah (M.-A), La police administrative dans le système juridique marocain, APREJ, 1987, p.121 53 T.A de Meknes, 23 nov 1995, Les héritiers EL menouni c. le gouverneur de la province Ismailiya, jugement inédit. V. également, T.A de Meknes, 27 août 1998, Dehna c. le Wali de Meknes, jugement inédit

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jugement revêtu de la formule exécutoire si cette réquisition risque de troubler l’ordre public. Toutefois, la présentation d’une plainte pour s’opposer à l’exécution d’un jugement ne constitue pas une circonstance exceptionnelle pouvant justifier le refus de réquisitionner la force publique pour l’exécution de ce jugement54. Le juge administratif français n’a pas fait exception à ce principe. Le Conseil d’Etat considère que le refus d’exécution est justifié lorsque l’exécution d’une décision de justice est de nature à provoquer un trouble certain à l’ordre public55.

2- Le surgissement d’une difficulté d’exécution :

Les difficultés d’exécution peuvent être soit des difficultés provisoires soit des difficultés qui touchent le fond du litige de telle sorte qu’elles concernent la validité juridique des procédures d’exécution. Sur le plan procédural, si l’une des parties soulève une difficulté factuelle ou juridique dans le but d’arrêter ou de suspendre l’exécution d’un jugement, le juge des référés est saisi de la difficulté, soit par la partie poursuivie, soit par la partie poursuivante, soit encore par l’agent chargé de la notification et de l’exécution de la décision juridictionnelle56. Dans ce cadre, le juge apprécie si les difficultés soulevées ne constituent pas un moyen dilatoire pour porter atteinte à la chose jugée auquel cas il ordonne qu’il soit passé outre. Toutefois, si la difficulté lui apparaît sérieuse, il peut ordonner qu’il soit sursis à l’exécution jusqu’à le règlement définitif du litige. Mais, il est à signaler que les difficultés peuvent, parfois, participer seulement de la nécessité de préserver la stabilité de l’ordre juridique. Cette considération « explique les limites fixées à l’obligation qu’à l’administration de réviser certaines situations ; c’est ainsi que les décisions individuelles, prises sur le fondement de dispositions réglementaires ultérieurement annulées, ne peuvent pas être mises en cause, nonobstant cette annulation, s’elles ont conféré des droits, dés lors qu’elles n’ont pas été attaquées ou retirées dans les délais de recours contentieux, bien que l’annulation du règlement les prive de leur base légale »57.

54 V. T.A de Oujda, 12 juill. 2000, Amrou c. le gouverneur de la préfecture de Nador, in REMALD, n° 38-39, 2001, p.252 55 V. CE, 30 nov. 1923, Couitéas, Rec. p. 789, in Ricci (J.), Mémento de la jurisprudence administrative, Hachette, 1995, p.37. V. également, CE, 3 juin 1938, Sté de la cartonnerie et imprimerie St Charles, in Ricci (.), op. cit, p.48 56 Article 436 du CPC. 57 Leulmi (S.), op. cit

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La nécessité de garantir la stabilité des situations juridiques justifie le repositionnement de la jurisprudence française sur le créneau de la préservation des droits définitivement acquis par les tiers lorsqu’il s’agit d’une mesure individuelle annulée. Or, « en cas de reconstitution de carrière d’un fonctionnaire illégalement évincé, celui-ci n’a de droit à retrouver son poste d’origine que si ce poste n’a pas été, entre temps, attribué à un tiers par une décision devenue définitive. Dans le cas contraire, si un tiers a été nommé dans ce poste par une décision devenue définitive, le fonctionnaire illégalement évincé n’a que le doit d’être nommé dans un poste équivalent, il ne peut prétendre qu’à un emploi de son grade dans son cadre »58. Dans d’autre cas, la jurisprudence considère qu’il y a purement et simplement exécution impossible du fait du changement des circonstances intervenues entre-temps59. Le droit espagnol est plus créatif, dans ce cadre, dans la mesure où l’article 105 de la Loi sur la Juridiction Administrative prévoit des procédures spéciales dans le cas où les décisions butent sur une impossibilité juridique ou matérielle pour leur exécution. Ainsi, une procédure contradictoire est prévue et qui doit être conclue avec une résolution du juge qui déclare « les mesures nécessaires pour garantir l’exécution la plus complète possible »60. Plus préoccupante encore est la situation dans laquelle l’exécution peut devenir impossible du faut de la lenteur des procédures juridictionnelles. Or, dans cette hypothèse, la décision juridictionnelle est dépourvue d’effet ; elle n’apporte au requérrant qu’une satisfaction de principe mais ne change pas sa situation réelle. L’annulation d’une mesure de refus d’admission d’un élève en classe intervenue après la fin de l’année scolaire considérée, reste sans effet sur la situation de l’enfant. Par delà la satisfaction morale, la décision de justice n’a pas vraiment d’intérêt. Une telle situation n’est pas admissible, maîtrisant la durée de l’instance, le juge doit veiller à l’effectivité de ses décisions ; il y va de la crédibilité de la justice administrative »61.

c- Le régime limitatif légal : La technique de la validation législative62 a pour objet de faire disparaître les conséquences d’une décision juridictionnelle et, par ricochet, de dispenser l’administration de son obligation d’exécution. Par elle « le législateur immunise des actes administratifs contre toute contestation contentieuse, les couvrant de sa 58 CE, sect. 16 oct. 1959, Guille, Rec. p. 516, in Leulmi (S.), op. cit 59 CE, sect. 13 juill. 1965, Min. des postes et télécommunication c. marketing, Rec. p.424, in Leulmi (S.), op. cit 60V. Rapports généraux des Congrès…, op. cit. p. 9 61 Leulmi (S.), op. cit 62 Schramak (O.), « La validation législative », AJDA, 1996, p.369

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propre autorité et interdisant, désormais, au juge leur mise en cause. Par elle, au besoin il ressuscite des actes annulés, rétablissant, alors, ce que le juge avait condamné. Pareil sauvetages législatifs peuvent, alors, résulter de l’attribution de ses actes d’une valeur législative, de leur incorporation directe dans une loi, ou plus simplement, encore, de l’affirmation législative que tels actes sont validés, toujours avec l’objectif de les rendre définitivement incontestables »63. Ainsi, cette technique juridique vise à prononcer la validation rétroactive des mesures prises sur la base d’une décision annulée64. Toutefois, la validation législative génère un problème juridique dans la mesure où elle porte atteinte au principe de la séparation des pouvoirs comme elle viole la règle de l’autorité de la chose jugée même si ce procédé parait, parfois, guidé par des considérations d’intérêt général, et il s’érige, parfois, même en une solution inévitable « face aux embûches nés de certaines annulations au point qu’on l’a vu préconisée par la Section du rapport et des études du Conseil d’Etat afin d’éviter des troubles plus graves que le non respect de la chose jugée »65. Pratiquement inconnue en droit marocain, cette technique a suscité la réaction du juge administratif, du juge constitutionnel ainsi que du juge européen.

1- La position du juge administratif :

Naturellement, les validations s’impose ipso jure au juge administratif même si le Conseil d’Etat a essayé de contenir ce procédé et de cantonner ses implications juridiques lorsqu’il a adopté le principe de la responsabilité sans faute de l’Etat législateur66. En outre, lorsque le juge administratif procède à l’annulation d’une nomination irrégulière avant que le législateur ne procède au vote de la loi validatrice, la victime de l’annulation de la nomination ne peut, en vue d’obtenir réparation du préjudice, invoquer la faute inhérente à l’irrégularité commise puisque cette irrégularité a été validé suite à l’intervention du législateur67.

2- La position du juge constitutionnel :

63 Pacteau (B.), Le contentieux administratif, PUF, 1994, p.363 64 Venezia (C.), Gaudemet (Y.), op. cit. p.494 65 Pacteau (B.), op. cit. V. également, le rapport de la Section du rapport et des études du Conseil d’Etat, EDCE, n°34, p.124 66 CE, 1er déc. 1961, La combe, in AJDA, 1962, p.24, chron. jur. Galabert. 67 CE, 11 mars 1979, Boulenger, in AJDA, 1980, p.253, concl. Théry (J.-F).

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Devant l’essor du contrôle de la constitutionnalité des lois en France depuis 1958, il était nécessaire de s’interroger sur la question de l’admissibilité constitutionnelle des validations législatives. Dans ce cadre, le Conseil constitutionnel français a rendu le 22 juillet 1950 une décision sur une loi validant des nominations menacées par l’annulation, déjà prononcée, des règles constitutives d’un organisme consultatif qui y avait participé. Dans ces sillages, le juge constitutionnel a érigé le principe de l’indépendance des juridictions au rang des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République « de sorte qu’il n’appartient ni au législateur ni au gouvernement de censurer les décisions des juridictions, d’adresser à celles-ci des injonctions et de se substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leurs compétences, (sous cette réserve, rien ne s’oppose à ce que le législateur,) sauf en matière pénale par la voie de dispositions rétroactives, modifie les règles que le juge a mission d’appliquer et que compétent, aux termes de l’article 34 de la constitution pour fixer les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires pour des raisons d’intérêt général (…) d’user de son pouvoir de prendre des dispositions rétroactives afin de régler les situations nées d’une annulation »68. Dans la pratique, seules devenaient admissibles des validations préventives d’actes non encore annulés et justifiées par des impératifs d’intérêt général et, par ricochet, la seule considération d’ un intérêt financier est insuffisante pour autoriser le législateur à faire obstacle aux effets d’une décision de justice69 . La loi de validation doit, également, respecter les exigences d’un procès équitable70. Le juge administratif français est, désormais, compétent pour examiner la question de la compatibilité de la loi de validation avec les exigences du procès équitable de même qu’il est compétent pour examiner la question de savoir si la loi de validation est justifiée par un but d’intérêt général. S’il la juge incompatible, il en écartera l’application redonnant, alors, toute sa portée à l’obligation d’exécuter la chose jugée71. Le Conseil d’Etat italien a développé une jurisprudence similaire et le Conseil d’Etat grec a confirmé une ligne argumentative semblable sur la base de l’article 26 de la Constitution grecque qui prévoit le principe de la séparation des pouvoirs. Mais, fort pertinent est le système juridique belge qui propose une stratification fort pragmatique des lois de validation. Le droit belge considère que l’intervention du législateur peut constituer une ratification par transposition 68 V. Pacteau (B.), op. cit. p. 366 et s. 69 Conseil constitutionnel, 28 déc. 1995, Loi de Fin. pour 1996. 70 Au sens des stipulations de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droit de l’homme et des libertés fondamentales. 71 CE, ass. 5 déc. 1997, Mme Lambert, Rec. p. 460. V. La contribution du Conseil d’Etat…, p.11

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du texte de la décision administrative dans une loi, une substitution par le truchement d’une nouvelle décision adoptée par une loi ou une autorisation par le biais d’une attribution de pouvoir à l’exécutif pour se délier de l’effet de la chose jugée72.

3- La position du juge européen : L’impact direct du droit communautaire sur la structuration des ordres juridiques administratifs des Etats membres de l’Union européenne a sécrété ses effets substantifs sur la reconsidération de la norme législative comme moyen pour la relégalisation d’une action administrative préalablement illégalisée. Dans les sillages de cette affirmation, la Cour de Justice des Communautés Européennes a considéré que les arrêts des juges des Etats membres passés en force de chose jugée peuvent être révoqués, dans les cas où la Cour Européenne prend une décision après le juge national, mais dans des termes qui contredisent cette dernière73. Il est à signaler, en définitive, que c’est dans l’optique préventive de la validation législative que s’insère directement l’attitude du législateur marocain quand il a modifié les dispositions de l’article 515 du code de la procédure civile dans le sens d’ajouter un paragraphe qui pose comme principe procédural que le Directeur des impôts est le représentant de la Direction des impôts dans le cadre du contentieux fiscal. Cet amendement constitue une réaction préventive contre les effets juridiques d’une décision rendue par la chambre civile de la Cour suprême74 qui a considéré que sur la base de l’article 5 du Dahir portant loi n° 1-74-447 du 28 septembre 1974 approuvant le texte du code de procédure civile, les règles d’assignation de l’Etat marocain devant les juridictions, prévues par l’article 515, ont abrogé les dispositions antérieures contenues dans le Dahir du 3 avril 1917 sur l’exercice des actions inhérentes au patrimoine immobilier de l’Etat en justice et, sur cette base, elle a conclu que le Chef de la Direction des domaines n’a plus la qualité requise pour protester en justice au nom des intérêt du domaine privé de l’Etat. Ainsi, il apparaît clairement que si l’administration est obligée d’exécuter les décisions rendues par le juge administratif, il reste que cette exécution ne peut être, en principe, que spontanée dans la mesure où il n’existe pas, en droit administratif marocain, des mécanismes juridiques et institutionnels spécifiques à même à garantir l’exécution forcée contre l’administration. Or, c’est justement l’absence d’un dispositif législatif sui generis destiné à garantir l’exécution des 72 V.Rapports généraux des Congrès…, op. cit, p.15 73 Kuhne & Heitz, C- 453/00, 13-1-2004, cité in Rapports généraux des Congrès…, op. cit. p.15 74 C.S.C, 29 mai 2001, Bouziane c. l’Etat marocain, arrêt non publié.

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décisions de la justice administrative qui a forcé la jurisprudence administrative à faire miroiter un faisceau de mécanismes procéduraux en vue d’assurer l’effectivité du principe de l’obligation d’exécution des décisions des juridictions administratives.

II- La structuration des mécanismes d’exécution des décisions des juridictions administratives :

Loin de déplorer la régression de la jurisprudence et la démission du juge75, on ne peut que valoriser l’effort résolument constructif dont font preuve les tribunaux administratifs pour briser le carcan de la personnalité morale qui résiste encore à l’adoption des procédés d’exécution forcée contre l’administration. De même, l’essor de la voie forcée dans le processus d’exécution des décisions du juge administratif est corroboré par la mise en place d’un mécanisme institutionnel extra juridictionnel.

A- Les mécanismes juridictionnels : La violation de la chose jugée constitue, traditionnellement, à la fois un excès de pouvoir justifiant un nouveau recours tendant à l’annulation de l’acte contraire à une décision de justice et une faute sécrétant la responsabilité de la personne publique condamnée. Toutefois, ce faisceau contentieux, tissé traditionnellement par la jurisprudence et qui s’inspire des vieux principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires et son corollaire de l’impossibilité d’adresser des injonctions à l’administration, a été renforcé par le recours à des mécanismes de contrainte.

a- Les mécanismes contentieux de garantie de l’effectivité de la chose jugée :

La méconnaissance de la chose jugée constitue, dans la conception classique du droit administratif, un excès de pouvoir justifiant un nouveau recours et une faute entraînant la responsabilité de l’administration. 1-L’annulation pour la commission d’un excès de pouvoir : 75 Le professeur Aziman écrivait, il y a plus de vingt ans, que « enfin, on doit ajouter que le juge marocain manque d’audace dans l’interprétation des textes et qu’il se montre excessivement respectueux de la lettre des lois même quand elles sont manifestement inadaptées Si on théorie le juge est doté d’un pouvoir créateur, on fait, la part de créativité est infime ». V. Aziman (O.), « Dépendance et connaissance du droit marocain : un nouveau plaidoyer pour la sociologie juridique du droit », RMDE, n°10, 1981, p. 183

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D’après une jurisprudence constante, l’acte contraire à une décision de justice exécutoire constitue un excès de pouvoir justifiant son annulation76. En outre, la mesure prise dans le but de faire échec à la chose jugée constitue un détournement de pouvoir77, et l’exécution d’un acte annulé constitue une voie de fait78. De même, le bénéficiaire d’une décision de justice a intérêt d’attaquer, par la voie du recours pour excès de pouvoir, le refus d’exécution et toutes les mesures prises par l’administration en violation de celle-ci, « pour éviter de laisser se créer à son détriment des situations définitives ».79 Sur un autre plan, le juge administratif s’arroge la compétence de contrôler le pouvoir discrétionnaire dont dispose l’administration pour justifier son refus d’exécuter une décision de justice notamment pour des considérations du respect d’ordre public. C’est ainsi que le juge administratif a mis en exergue un faisceau de mécanismes de contrôle du pouvoir discrétionnaire pour éviter l’excès d’arbitraire. C’est dans les sillages de cette grille actionnelle que le juge s’est lancé, d’abord, dans un contrôle minimum qui ne lui a pas mis en posture de substituer son appréciation à celle de l’administration, avant de pousser plus loin ses prérogatives dans le but, non pas de réduire le champ d’application du pouvoir discrétionnaire, mais de modérer ou rationaliser son usage. Dans ces sillages, le juge administratif a exploré une double démarche :

- L’usage raisonnable du pouvoir d’apprécier l’opportunité d’agir via la jurisprudence de l’erreur manifeste.

- Le choix raisonnable du contenu de la décision par le truchement de la jurisprudence du bilan coût - avantages80.

Mais, comme l’a parfaitement souligné P. Delvolvé, le paradoxe demeure : «Toute décision juridictionnelle d’annulation exécutoire doit être exécutée, mais l’absence d’exécution ne permet pas à elle seule d’engager une procédure garantissant l’exécution. En soi, cette situation est une invitation à ne pas exécuter spontanément »81. 76 CE, sect. 28 Déc. 1949, Sté des automobiles Berliet, Rec. p. 579, cité in Leulmi (S.), op. cit p.6 77 CE, ass. 13 juill. 1962, Bréart de boisanger, Rec. p. 484, cité in Leulmi (S.), op. cit 78 TC, 28 fév. 1952, Dame veuve Japye c. Kahn, Rec. p. 619, cité in Leulmi (S.), op. cit 79 Leulmi (S.), op. cit 80 En droit marocain, le juge administratif s’est contenté d’utiliser la jurisprudence de l’erreur manifeste essentiellement dans le droit disciplinaire (V.CSA, 13 fév.1997, Ajdah Rachid), et la jurisprudence du bilan coût – avantages exclusivement dans le domaine de l’expropriation pour cause d’utilité publique (V.CSA, 10, déc.1992, Sté agricole Mimoza). 81 Delvolvé (P.), « L’exécution des décisions de justice contre l’administration », EDCE, 1983-1984, n°35, p.111.

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2-La responsabilité pour la commission d’une faute : La jurisprudence a, traditionnellement, considéré que l’inexécution d’une décision de justice constitue une inégalité sécrétant une faute engageant la responsabilité de l’administration qui devra réparer le préjudice causé82. Dans ce cadre, le préjudice résulte tant du retard dans l’exécution83 que du refus d’exécution84. Pour évaluer l’indemnité à même à réparer le préjudice subi, le juge administratif tient compte, notamment, de la gravité de l’illégalité commise par la personne publique. De même, s’agissant du refus d’exécution d’une condamnation pécuniaire, le juge peut estimer que le retard de l’administration dans l’exécution traduit un « mauvais vouloir manifeste » et la condamner à des dommages intérêts distincts des intérêts moratoires85. Le juge administratif peut, également, prendre en considération, lors de l’évaluation de l’indemnité, « le refus persistant, au mépris de la chose jugée, de procéder au redressement de la situation administrative »86. Dans ces sillages, on ne peut qu’affirmer que « ces voies juridictionnelles peuvent comporter des limites lorsque l’administration se montre décidée à ignorer les décisions du juge. Dans ce cas, le contentieux se greffe sur le contentieux et la juridiction administrative tourne à vide. Le bénéficiaire de la décision doit, alors, mettre en œuvre les procédures spéciales destinées à assurer l’exécution des décisions de justice au besoin par la contrainte »87.

b- Les procédures spéciales de contrainte pour l’exécution des décisions de justice :

La spécificité du système d’exécution des décisions des juridictions administratives au Maroc s’inspire du fait que ce système s’insère dans un continuum inseparatum édifié initialement par le législateur de 1974 via les règles du code de procédure civile. S’inscrivant ainsi dans la continuité, la spécificité du système marocain s’insère, également, dans la rénovation qui puise son fondement dans l’effort jurisprudentiel du juge administratif qui se réfère constamment à l’article 7 de la loi 41-90. Or, cet article, véritable clef de voûte de la procédure devant les juridictions administratives, le juge a fait 82 CE, sect. 27 fev.1948, Peyriguey, Rec. p.97, cité in Leulmi (S.), op. cit 83 CE, ass. 27 mars 1949, Véron Reville, Rec. p.246, cité in Leulmi (S.), op. cit 84 CE, 29 juill.1953, Soubir, Rec. p.717, cité in Leulmi (S.), op. cit 85 CE, 2 mai 1962, Couchetaux et Desmonts, Rec. p.291, cité in Leulmi (S.), op. cit 86 CE, ass. 4 janv.1952, L’homme, Rec. p.15, cité in Leulmi (S.), op. cit 87 Leulmi (S.), op. cit

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recours à trois mécanismes pour contraindre l’administration à respecter l’autorité de la chose jugée :

- Le mécanisme de l’astreinte. - Le mécanisme de la saisie. - Le mécanisme de l’exécution d’office.

1-Le mécanisme de l’astreinte :

Grosso modo, l’astreinte peut être définie comme une « mesure de contrainte consistant en la condamnation de la personne à qui incombe l’exécution de la décision de justice au versement d’une somme d’argent dont le montant augmente chaque jour jusqu’à exécution de la décision. Elle est l’accessoire d’une condamnation à une obligation de faire, prononcée par le juge, dont elle a pour but d’assurer l’exécution »88. Le fondement normatif du pouvoir reconnu au juge administratif de condamner sous astreinte une personne publique résulte des dispositions de l’article 448 du Code de procédure civile89 applicable devant les tribunaux administratifs par référence au mécanisme de l’article 7 de la loi 41-90. Avant la création des tribunaux administratifs, le juge marocain allègue que le refus de prononcer une astreinte à l’encontre de l’administration participe de l’impossibilité de lui adresser des injonctions. C’est ainsi que la Cour d’appel de Rabat a considéré que l’action en paiement d’une astreinte contre l’Etat se heurte à l’impossibilité pour le juge de prononcer des injonctions contre les administrations publiques, par application des dispositions de l’article 8 du D.O.J90. Après la création des tribunaux administratifs, le juge a affranchi un pas décisif lorsqu’il s’est déclaré compétent pour prononcer l’astreinte, d’abord, contre l’administration et, ensuite, contre la personne responsable de l’inexécution de la décision juridictionnelle renvoyant, ainsi aux calendes grecques les derniers vestiges de l’article 25 du Code de procédure civile.

- Le prononcé de l’astreinte contre la personne publique : La chambre administrative de la Cour Suprême a confirmé, dans un arrêt rendu le 25 sep. 199791, le jugement du tribunal administratif de Rabat statuant 88 Leulmi (S.), op. cit p. 16 89 L’article 448 du CCP dispose que « lorsque le poursuivi se refuse à accomplir une obligation de faire ou contrevient à une obligation de ne pas faire, l’agent chargé de l’exécution le constate dans un procès verbal et rend compte au président lequel prononce une astreinte si cela n’avait été fait ». 90 CAR, 15 nov. 1955, Cohen Pierre c. Etat chérifien et société Dalmas, RACAR, 1955, p.271 91 CSA, 25 sept. 1997, Agent judiciaire du Royaume c. Héritiers El Achiri, REMALD, n°23, 1998, p.139

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sur sa compétence matérielle pour prononcer une astreinte contre l’administration92. Le tribunal administratif de Rabat s’est fondé sur l’article 7 de la loi 41- 90 qui renvoie aux règles de la procédure civile, et notamment l’article 448, pour affirmer qu’aucun texte juridique n’exclut l’administration du champ d’imposition d’une astreinte comminatoire s’elle refuse d’exécuter une décision de justice sans motif légitime. Dans ce cadre, la pratique jurisprudentielle s’est montrée, plus ou moins, élastique au niveau de la détermination du régime juridique de l’astreinte. Ainsi, le juge de fond s’est reconnu compétent pour joindre au dispositif de son jugement, la possibilité d’imposer à l’administration une astreinte en cas de refus d’exécution. Dans ces sillages, le mécanisme de l’astreinte s’érige en un moyen dissuasif efficace à même à garantir l’exécution et qui fait l’économie de la complexité des procédures juridictionnelles postérieures. De même, le juge des ordonnances sur requête, statuant sur la base de l’article 148 du Code de procédure civile et des articles 7 et 19 de la loi instituant les tribunaux administratifs, s’arroge, lui aussi, le pouvoir d’imposer une astreinte à l’administration postérieurement au prononcé du jugement sous condition de la consignation, dans un procès verbal, du refus d’exécution. Toutefois, le juge administratif ne peut se servir de ce procédé de contrainte que dans le cadre du recours de pleine juridiction. Autrement dit, dans le cadre du recours pour excès de pouvoir, étant donné que le juge administratif se contente d’annuler l’acte administratif illégal sans pour autant pouvoir le remplacer par un autre ou adresser des injonctions à l’administration, le procédé de l’astreinte perd son champ d’application93. Dans les sillages de ces développements jurisprudentiels, un courant lucide de la doctrine n’a pas hésité à affirmer que si « une condamnation doit être prononcée pour inexécution, elle ne doit pas l’être contre l’administration car ce serait alors le contribuable qui la paierait, mais contre le responsable à son origine qui doit savoir à l’avance que, en vertu de la loi, s’il veut se permettre de s’opposer d’une manière ou une autre à l’exécution d’une décision de justice revêtue de l’autorité de la chose jugée, il devra payer ce luxe sur ses deniers propres et non sur le compte du Trésor public, c'est-à-dire des administrés et des justiciables »94, d’où l’intérêt de l’astreinte prononcée à titre personnel.

92 TA de Rabat, 1 mai 1997, Héritiers El Achiri, REMALD, n° 20- 21, 1997

93 CSA, 21 fév. 2002, Commune Ida Oukerd c. Hiksaoui, arrêt non publié. 94 Benabdellah (M.-A), Note sous le jugement du tribunal administratif de Rabat, héritiers El achiri, REMALD, n° 20-21, 1997, p.243.

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- Le prononcé de l’astreinte contre la personne physique responsable de l’inexécution :

Le juge administratif, lorsqu’il a prononcé l’astreinte contre le poursuivi personnellement95, a entamé le processus d’ouverture d’une brèche sur la voie de la reconnaissance de la responsabilité de l’auteur du refus d’exécuter pour faute personnelle. Toutefois, une question cruciale se pose à ce niveau. Il s’agit de savoir si le juge administratif est compétent pour prononcer l’astreinte contre l’auteur du refus d’exécution personnellement. Signalant, de prime abord, que dans l’affaire Attaoui le juge s’est contenté de spécifier que c’est en l’absence de tout moyen pour contraindre le poursuivi pour inexécution à se soumettre au jugement que l’astreinte est prononcée contre le poursuivi personnellement, alors que dans l’affaire Alaoui le juge a purement et simplement fait référence à l’article 7 de la loi 41- 90 qui permet de faire recours à l’article 448 du Code de procédure civile caractérisé, notamment, par la globalité voire même l’imprécision de terme « poursuivi ». Or, par référence à une démarche interprétative extensive, cet article vise justement le « poursuivi » qui peut être l’administration ou le responsable administratif, « c’est dire que dans la mesure où le texte n’était pas destiné au juge administratif, involontairement le législateur a ouvertement offert à celui-ci la possibilité d’user de tout moyen qu’il estimerait adéquat, tantôt contre l’administration tantôt contre le responsable administratif, mais selon l’objet de la requête »96. A vrai dire, cette position jurisprudentielle sécrète des implications plus profondes qui concernent la compétence de la juridiction administrative pour statuer sur la responsabilité personnelle des agents publics. Certes, le texte de 1913 donne compétence au juge ordinaire, dans le cadre d’un système d’unité de juridiction et de dualité de droit, pour statuer sur la responsabilité personnelle des agents publics. Toutefois, après la création des tribunaux administratifs, « ces dispositions sont totalement dépassées pratiquement et théoriquement : dès lors que la faute commise par l’agent est étroitement liée à l’exercice des fonctions publiques confiées à ce dernier et constitue l’exercice abusif de celle-ci, le juge naturel de ces faits, compétent pour connaître la faute, la qualifier et pour prononcer la condamnation de son auteur, ne peut être que le juge administratif. Celui, en effet, qui est le mieux

95 TA de Meknes, Ordonnance de référé, 3 avr.1998, Attaoui et 23 juin 1998, Alaoui, REMALD, n°27, 1990. 96 Benabdellah (M.-A), « L’astreinte contre le responsable administratif opposant le refus d’exécution d’une décision de justice contre l’administration », note sous TA de Meknes, Ord. De référé, 3 avr. 1998, Attaoui, et 23 juin 1998, Ismaili Alaoui, REMALD, n°27, 1999, p.111 et s.

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placé pour se livrer à cette appréciation, à cette évaluation de la nature et de la gravité des fautes reprochées à l’agent par comparaison avec ce qui implique la loi du service public ; c’est lui, en effet, le juge spécialisé dans le traitement des litiges nés de l’action administrative »97. Reste à soulever que la Chambre administrative a infirmé, en appel, l’ordonnance du président du tribunal administratif de Meknes98. La Cour suprême, dans ce cadre, a opéré une distinction entre le recours pour excès de pouvoir et le recours en indemnité lorsqu’elle a affirmé qu’il n’était pas possible de contraindre le responsable administratif, en l’occurrence le président du Conseil communal de Tounfit, à exécuter la décision de justice par le prononcé de l’astreinte tant que cette décision a été rendue dans le cadre du recours pour excès de pouvoir. De même, la Chambre administrative a estimé que l’agent illégalement révoqué qui n’a pu obtenir satisfaction du fait du refus du président de la Commune de le réintégrer n’a qu’à engager une nouvelle action en justice pour demander réparation du préjudice résultant du comportement fautif de la personne publique concernée99.

2- Le mécanisme de la saisie : Le juge administratif a fait recours, pour contraindre l’administration à exécuter ses décisions, tant au mécanisme de la saisie - exécution qu’au mécanisme de la saisie - arrêt.

- La saisie - exécution :

Depuis longtemps, le juge marocain n’a pas hésité à affirmer que les biens des personnes publiques sont insaisissables. Ainsi, la Cour d’appel de Rabat a décidé que les jugements ne peuvent donner lieu à exécution forcée contre l’Etat en raison des règles particulières qui régissent le patrimoine de l’administration100.

La Cour d’appel de Rabat s’est fondé sur deux arguments pour écarter l’exécution forcée d’un jugement à l’encontre de l’Etat :

97 Rousset (M.), « Le prononcé de l’astreinte à titre personnel : un moyen dissuasif propre à obtenir le respect des décisions de justice rendues contre l’administration », note sous TA de Meknes, Ord. De référé, op. cit, p. 105. 98 CSA, 11 mai 1999, Commune rurale de Tounfit c. Alaoui, REMALD, n°31, 2000. 99 V. Rousset (M.) et Benabdallah (M.-A), « Sommes nous en 1913 ? Remarques consternées sur une erreur de siècle. Le refus de l’astreinte et le privilège de l’administration de ne pas respecter l’autorité de la chose jugée », note sous CSA, 11 mai 1999, Commune rurale de Tounfit, REMALD, n°31,2000, p.127 et s. 100 CAR, 2 mars 1965, Agent judiciaire du Royaume c. Guerra, GTM, 1975, p.28, cité in Harsi (A.), op. cit.

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- Le premier argument est d’ordre technique dans la mesure où il serait inutile au créancier d’ordonner l’exécution forcée du jugement contre les personnes publiques parce que celles – ci sont par nature solvables.

- Le second argument est juridique tiré des règles spéciales du bloc normatif constitutif du carcan du droit public.

La Cour a motivé sa position en ces termes : « Attendu que l’Etat ne peut faire l’objet d’une saisie parce qu’il est présumé solvable et parce qu’il ne peut payer ses dettes que conformément aux règles de la comptabilité publique ; Attendu que l’exécution provisoire ne saurait être ordonnée quand l’exécution forcée n’est elle-même pas possible101. Toutefois, cette règle générale d’insaisissabilité des biens du domaine de l’Etat et de ses démembrements territoriaux et fonctionnels subit un rétrécissement lorsqu’elle touche les biens du domaine privé. La jurisprudence administrative s’est fondée sur la distinction entre le domaine privé de l’Etat et son domaine public pour ordonner la saisie exécutoire sur les biens meubles municipaux102. Dans ce cadre, le juge administratif a fait recours au critère de l’affectation à l’usage du service public pour ordonner ou rejeter la saisie exécution103.

- La saisie – arrêt : Par référence aux dispositions de l’article 488 du Code de procédure civil, le juge administratif n’a pas hésité à prononcer des saisies – arrêts sur les deniers des établissements publics. Ainsi, dans le cadre de la procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique, la Cour Suprême a considéré que l’affectation préalable des indemnités d’expropriation fait que ces indemnités ne sont plus des deniers publics ce qui justifie leur saisissabilité104. De même, le juge administratif a considéré que l’insaisissabilité des établissements publics participe du fait que ces établissements sont par nature solvables et non du fait que leurs biens sont des biens publics. Toutefois, cette

101 Idem. 102 V. Quasri (M.), « Le recours aux procédés de l’astreinte comminatoire et la saisie à l’encontre de l’administration refusant l’exécution des jugements des tribunaux administratifs », REMALD, n°94, 2000, p.11, et s. (en arabe). 103 Pour une vue d’ensemble sur le domaine privé, V. Eddahbi (A.), « Le domaine privé de l’Etat au Maroc », REMALD, n°34, 2000, p.41 et s. 104 CSA, 22 mai 1997, L’ANHI c. Sté Hay Allh, décision non publiée.

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solvabilité n’a plus d’effet en cas de refus d’exécution ce qui justifie le recours aux procédés d’exécution forcée contre les biens de ces établissements105. En outre, la jurisprudence administrative a considéré que les deniers des établissements publics déposés auprès des établissements financiers sont généralement affectés au remboursement de leurs dettes et à la couverture des indemnités qu’ils doivent verser sur la base des jugements rendus par les tribunaux ce qui justifie que ces deniers ne sont plus des deniers publics et, par ricochet, ils peuvent faire l’objet de saisie – arrêt106.

3- L’exécution d’office : Le juge administratif s’est montré plus efficace lorsqu’il a ordonné l’exécution d’office de ses décisions. Ainsi, dans l’affaire Laraki107, le juge a ordonné la levée des scellés par voie d’huissier sur un local que l’administration communale refusait de restituer à son légitime propriétaire malgré la décision du juge annulant la mesure de fermeture du local prise par le président du Conseil communal de Fes – Agdal. Le juge administratif s’est référé à un raisonnement juridique logique lorsqu’il s’est fondé sur l’existence d’un état d’urgence inhérent aux dommages difficilement réparables qui risquent d’être générés si la fermeture du local du demandeur persiste sans aucun droit pour se déclarer compétent pour ordonner la levée des scellés et restituer le local au demandeur. Mais, il demeure, désormais, que l’exécution d’office « n’est pas un procédé facilement utilisable chaque fois que l’exécution du jugement suppose une action matérielle ou juridique positive de la part de l’administration »108

En guise de conclusion, il apparaît clairement que, malgré ces avancées jurisprudentielles, l’administration demeure abritée derrière ce carcan de la personnalité morale d’où l’intérêt porté aux systèmes administratifs orchestrés sur la base de procédures plus incitatives que contentieuses.

B- Le mécanisme extra juridictionnel :

105 TA de Rabat, 17 sep. 1997. Ord. de référé n° 174. 106 TA de Rabat, 22 fév. 2006 Ord. de référé n° 41. 107 TA de Fes, 23 sep. 1997, Ord. de référé n° 289/97 in REMALD, n°29, 1998. 108 Rousset (M.), « Le prononcé de l’astreinte à titre personnel… », op. cit

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L’opportunité de mettre en place une institution indépendante au sein de l’architecture institutionnelle marocaine participe directement d’une double justification109 :

- d’abord, une bureaucratisation sans cesse accrue de l’administration basée sur une tendance lourde à la centralisation des décisions, à la hiérarchisation des responsabilités et l’impersonnalisation des rôles.

- ensuite, une insuffisance patente des institutions de protection existantes.

Or, la prolifération de ces zones grises dans le paysage administratif marocain a rendu nécessaire la création d’une institution indépendante dotée de pouvoirs suffisants pour participer, notamment, à la résorption du problème de l’inexécution des décisions de justice. La création de Diwan Al madhalim s’insère dans la perspective de se doter « d’une institution ayant compétence pour rechercher, dans les limites qui s’impose, le respect des compétences des autorités publiques, les moyens de réparer les injustices imputables à des situations incompatibles avec les impératifs d’équité et préjudiciables aux usagers des services publics et afin de compléter les missions remplies par l’appareil judiciaire dont les procédures sont nécessairement complexes »110. La logique d’intervention de cette institution est basée sur la nécessité d’observer une conciliation subtile entre « la mission de redressement des torts en présentant aux administrations concernées des propositions et des recommandations visant à faire prévaloir le droit et la mission de l’optimisation du fonctionnement de l’appareil administratif »111.

a- L’organisation de Diwan Al madhalim : Les prérogatives dévolues à Diwan Al madhalim sont exercées par Wali Al madhalim, nommé par dahir royal, pour une période de six ans renouvelable112. Wali Al madhalim est membres, es qualité, avec voix délibérative au Conseil consultatif des droits de l’homme113. Wali Al madhalim peut procéder, avec autorisation royale, à la désignation ou la révocation de délégués auprès du département du premier ministre et des

109 V. El yaagoubi, « L’opportunité de l’institution du Médiateur au Maroc », REMALD, coll. « Thèmes actuels », n°2, 2000, p.17 110 L’exposé des motifs de la création de l’institution de Diwan Al madhalim par le dahir n°1-01-2998 du 9 déc.2001. 111 Idem. 112 Article 2 du dahir de 9 déc. 2001 instituant Diwan Al madhalim. 113 Article 4 du dahir n°1-00-350 portant réorganisation du Conseil consultatif des droits de l’homme.

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autres départements ministériels. Il peut même désigner des délégués régionaux dans les chefs lieux des régions. Il dispose d’un pouvoir de regard sur ses délégués et il s’assure qu’ils remplissent leur mission en toute indépendance et impartialité114.

b- la compétence de Diwan Al madhalim : Instituée auprès du Roi pour assurer une intermédiation efficace entre les citoyens et tout organisme disposant de prérogatives de puissances publiques115, l’institution de Wali Al madhalim est chargée, dans ce cadre, d’examiner les plaintes et doléances des citoyens qui se considèrent victimes de décisions ou d’activités jugées contraires aux règles de primauté de droit et de l’équité. Toutefois, elles ne peuvent être examinées ou instruites par Wali Al madhalim :

- les plaintes concernant des questions pour lesquelles la justice est saisie. - Les doléances visant la révision d’une décision de justice irrévocable. - Les requêtes relatives à des questions qui relèvent de la compétence du

parlement. - Les questions relevant de la compétence du Conseil consultatif des droits de

l’homme.

Par ailleurs, compétence essentielle, Wali Al madhalim, dans le cas où il constate que la persistance de l’organisme concerné dans son refus d’exécuter une décision de justice exécutoire est due aux agissements d’un fonctionnaire ou agent de l’administration à l’encontre duquel le jugement a été prononcé, établit un rapport à ce sujet dont il saisit le Premier ministre116.

c- La procédure de saisine de Diwan Al madhalim : Le requérant ou son représentant dument mandaté ne peut saisir Wali Al madhalim qu’après épuisement des recours prévus par les lois et règlements en vigueur pour faire cesser l’inéquité ou le préjudice ou le préjudice allégués ou rétablir le droit violé117.

114 Article 4 du dahir de 9 déc. 2001 instituant Diwan Al madhalim. 115 Article 1 du dahir de 9 déc. 2001 instituant Diwan Al madhalim. 116 Article 6 du dahir de 9 déc. 2001 instituant Diwan Al madhalim. 117 Idem.

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Pour être recevable, les plaintes et les doléances doivent être écrites, motivées et signées par le requérant en personne. Elles doivent préciser les démarches effectuées par le requérant préalablement à la saisine de Diwan Al madhalim. Toutefois, lorsque le requérant se trouve dans l’impossibilité de présenter sa plainte par écrit, le requérant peut la formuler oralement, assortie de preuves justificatives118. Il reste que le recours au Diwan Al madhalim n’a pas d’effet interromptif ou suspensif des délais de prescription et de recours prévus par la loi119.

d- les pouvoirs de Diwan Al madhalim : Wali Al madhalim est habilité pour entreprendre les investigations nécessaires afin d’établir la réalité des faits portés à sa connaissance, l’étendue des préjudices et l’appréciation qu’il convient de leur donner. Dans ce cadre, les organismes saisis par Wali Al madhalim ou ses délégués doivent ordonner aux fonctionnaires et agents ainsi qu’aux organes de contrôle placés sous leur autorité de faciliter ses investigations. Ainsi, les délégués de Wali Al madhalim peuvent se faire communiquer les documents relatifs à la plainte objet de l’enquête, à l’exception de ceux couverts par le secret d’Etat120. A l’issue de ces investigations, Wali Al madhalim peut adresser des recommandations, des suggestions et des observations aux administrations concernées. Celles-ci doivent prendre, dans les délais fixés par Wali Al madhalim, les initiatives et les mesures nécessaires pour le règlement des affaires dont il est saisi. De même, Wali Al madhalim est tenu de communiquer par écrit au requérant la suite réservée à sa plainte121. En outre, Wali Al madhalim présente au premier ministre des suggestions de portée générale sur les mesures de nature à faire justice aux doléances qui lui sont soumises, il lui informe également sur le refus des administrations concernées de donner suite à ses recommandations. Il fait rapport au Conseil consultatif des droits de l’homme sur les questions concernant la promotion des droits de l’homme dans ses domaines de compétence.

118 Article 7 du dahir de 9 déc. 2001 instituant Diwan Al madhalim. 119 Article 8 du dahir de 9 déc. 2001 instituant Diwan Al madhalim. 120 Article 9 du dahir de 9 déc. 2001 instituant Diwan Al madhalim. 121 Article 10 du dahir de 9 déc. 2001 instituant Diwan Al madhalim.

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De même, il soumet au Roi un rapport annuel sur le bilan de ses activités. Ce rapport peut être publié, sur instruction royale, au bulletin officiel122. Mais, en définitive, il reste que la mise en place d’un mécanisme extra juridictionnel n’a contribué que partiellement à la résorption du problème de l’inexécution des décisions de la justice administrative123. Dans ce cadre, ‘la crise de la justice’124 caractérisée par l’explosion de la demande judicaire et l’encombrement des prétoires des juridictions qui en résulte a favorisé l’éclosion d’un processus latent vers la déjudiciarisation du contentieux administratif, un processus qui ne peut que s’amplifier avec l’engouement apparent pour le recours aux modes alternatifs de règlement des différends, un recours qui peut être parallèle ou concomitant au recours juridictionnel à condition de revoir l’articulation interne des mécanismes d’exécution des décisions de la justice administrative. Certaines solutions orchestrées par certains systèmes juridiques étrangers peuvent être pertinentes pour amorcer le processus de réforme du mécanisme d’exécution des décisions de la juridiction administrative.

122 Article 15 du dahir de 9 déc. 2001 instituant Diwan Al madhalim. 123 Le nombre des cas d’inexécution confirme ce constat. V. infra 124 V. Badara Fall (A.), « Le juge, le justiciable et les pouvoirs publics : Pour une appréciation concrète de la place du juge dans les systèmes politiques en Afrique », Revue électronique Afrilex, n°3, 2003.

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Partie 2éme : La portée de la déjudiciarisation des mécanismes d’exécution des décisions du juge administratif. Rendre une décision de justice est, certes, bien mais « pouvoir et savoir la rendre effective est mieux et garantit l’efficacité d’un état de droit qui pourrait n’avoir qu’un aspect virtuel aux yeux des administrés si les illégalités de l’action administrative ou ses conséquences dommageables reconnues par le juge administratif ne devaient pas être sanctionnées ou réparées »125. Dans les sillages de cette affirmation, certains systèmes juridiques étrangers ont montés des solutions juridiques à même à résoudre le problème de l’inexécution. Toutefois, malgré la pertinence intrinsèque de ces solutions qui peuvent, à certains égards, constituer une référence pour une éventuelle réforme des mécanismes d’exécution des décisions de la justice en droit marocain, il reste que l’explosion du contentieux administratif et l’allongement des délais de résolution des conflits ainsi que les délais d’exécution des jugements justifient l’enclenchement d’un processus de déjudiciarisation non seulement du contentieux de l’exécution mais de tout le contentieux administratif.

I- Les solutions orchestrées par les systèmes juridiques étrangers :

La conviction du fait que l’exécution des décisions de la juridiction administrative s’érige en une manifestation du droit à une protection juridique efficace et une garantie du principe de sécurité juridique126 a sécrété l’adoption, par les systèmes juridiques étrangers, de mécanismes tant juridictionnels qu’extra juridictionnels à même à assurer le respect de l’autorité de la chose jugée.

A- Les mécanismes juridictionnels : En vertu d’un vieux principe de droit administratif, les personnes publiques ne peuvent faire l’objet de voies d’exécution du droit commun. Toutefois, les systèmes juridiques étrangers n’ont pas resté désarmer devant cette situation, ils se sont efforcés de tisser un habillage normatif et procédural à même à prévenir, à inciter et à contraindre l’administration à exécuter les décisions de la justice.

125 Berthoud (J.), Coent-Bochard (E.), Haim (V.) et Yeznikian (O.), « L’exécution des décisions de justice. Bilan de l’activité des cours administratives d’appel », AJDA, 20 oct. 2001, p.864. 126 L’exception du droit malien doit être signalée à cet égard. La spécificité du contexte social du Mali a fait que les responsables politiques de cet Etat considèrent que « l’exécution des décisions de justice est sources de perturbations sociales et d’atteinte grave aux droits individuels et collectifs (…) et constitue une vraie menace pour l’Etat de droit et la démocratie elle-même ». V. Rapports généraux des congrès de l’Association internationale des hautes juridictions administratives, op. cit, p.17

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a- Le système préventif : Le juge administratif peut prévenir les risques d’inexécution de ses décisions par l’établissement d’un système d’aide à l’exécution constitué de trois mécanismes majeurs : 1-se prononcer dans des délais raisonnables : Le fait pour la justice administrative de se prononcer dans des délais raisonnables ne peut que contribuer à assurer l’exécution de ses décisions. Or, « la pratique juridictionnelle peut être, dans cette hypothèse, elle même responsable en partie des difficultés d’exécution. Les annulations tardives sont souvent dépourvues de toute utilité réelle ou accroissent encore les difficultés d’exécution »127.

La mise en place des procédures d’urgence s’insère dans le sens d’une plus grande efficacité de la justice administrative. Les procédures d’urgence « répondent à l’inévitable divergence entre le moment dans lequel un droit existe et le moment dans lequel ce droit est déclaré par le juge, et, plus encore, le moment dans lequel la déclaration de ce droit est exécutée »128. En droit français, les procédures prévues par la loi du 30 juin 2000 sont fort intéressantes à cet égard. Ainsi, la procédure du référé-suspension129 permet au juge administratif, statuant en référé, de suspendre une décision administrative, même de rejet, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. De même, la procédure du référé-liberté fondamentale permet au juge administratif d’ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale130. Le droit grec prévoit les mécanismes du sursis à exécution et le référé administratif précontractuel pour prévenir les risques d’inexécution131. Les systèmes juridiques allemand et finlandais prévoient des mesures provisoires

127 Par exemple, le fonctionnaire dont la révocation a été annulée ne pourra plus être réintégré si, entre temps, il a atteint l’âge de la retraite. V. La contribution du Conseil d’Etat… op. cit, p.12 128 Rapports généraux des congrès de l’Association internationale des hautes juridictions administratives, op. cit, p.22 129 V. l’article L. 521-1 du Code de justice administrative. 130 V. l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. 131 Rapports généraux des congrès de l’Association internationale des hautes juridictions administratives, op. cit, p.22

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visant la suspension automatique de toute décision administrative attaquée devant la justice132.

2- motiver et publier les décisions de la juridiction administrative : La motivation des décisions de la juridiction administrative peut constituer un moyen efficace de prévention de l’inexécution. Le Conseil d’Etat français a pris l’habitude d’insérer dans les considérants de ses décisions des éléments d’explication voire même d’orchestrer un véritable guide pour aider l’administration à exécuter133. Dans la décision Titran134, le Conseil d’Etat, rappelant que les arrêtés fixant le régime des fichiers informatiques ont été jugés illégaux au motif qu’il ne prévoyait pas l’effacement des condamnations ayant fait l’objet d’une amnistie ou d’une réhabilitation, précise la motivation de sa décision en affirmant que cette annulation contentieuse « a nécessairement pour conséquence l’obligation pour le ministre de la justice de prendre, dans un délai raisonnable, un arrêté modifiant les arrêtés du 18 juin 1986 et du 13 avril 1993 afin de prévoir les conditions et les limites dans lesquelles ces fichiers devront être mis à jour pour tenir compte des amnisties et réhabilitations ; qu’il lui incombe de prévoir explicitement que cette modification devra consister en l’effacement de toutes les mentions de nature à rappeler l’existence des condamnations, sanctions, interdictions, déchéances ou incapacités et que ne pourra subsister dans le fichier que la référence à la loi d’amnistie ou à la décision portant réhabilitation »135. En outre, la publicité des jugements ne peut que contribuer à accroitre l’efficacité des annulations contentieuses et les condamnations prononcées par la justice administrative136.

3- mettre en exergue un mécanisme d’aide à l’exécution :

132 V. Rapports généraux des congrès de l’Association internationale des hautes juridictions administratives, op. cit, p.22. Dans les autres systèmes juridiques, deux conditions sont requises pour l’adoption d’une mesure provisoire : un préjudice grave et irréparable qui peut être causé aux droits et aux intérêts impliqués, dans le cas où la mesure n’est pas adoptée, et l’existence de doutes sérieux quant à la légalité de l’acte attaqué. 133 V. CE, ass. 29 juin 2001, M. Vassilikiotis, cité in La contribution du Conseil d’Etat… op. cit, p. 13 134 V. CE, 5 mars 2003, Titran, cité in La contribution du Conseil d’Etat… op. cit, p. 13 135 En fait, le Conseil d’Etat a pris l’habitude de préciser dans les motifs de ses décisions les mesures que l’administration est tenue de prendre dans un délai raisonnable, sauf à commettre une illégalité. V. CE, ass. 28 juin 2002, Villemain, n° 220361. De même, le Conseil d’Etat a adopté la pratique d’ajouter dans le dispositif de ses décisions prononçant l’annulation d’un acte administratif une mention rappelant à l’administration que cette « annulation comporte les obligations annoncées aux motifs de la présente décision ». V. CE, Section, 25 juin 2001, Sté à objet sportif Toulouse Football Club, cité in La contribution du Conseil d’Etat… op. cit, p. 14. 136 C’est ainsi qu’en France la mise en ligne des décisions rendues par la juridiction administrative sur un site internet va dans le sens d’une meilleure connaissance de la chose jugée et d’une exécution de ses décisions. V. La contribution du Conseil d’Etat… op. cit, p. 14

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Le dispositif de l’article R 931-2 du code français de justice administrative permet aux parties à un différend de saisir le juge administratif d’une demande d’aide à exécution de la décision rendue dans ce cadre. Cette saisine peut être opérée au terme d’un délai de 3 mois, sauf s’il s’agit d’une décision ayant ordonné une mesure d’urgence ou d’un cas de refus explicite d’exécuter. Le président du tribunal administratif, le président de la cour administrative d’appel ou le président de la Section du rapport et des études au Conseil d’Etat accomplira, alors, « toutes diligences utiles » pour exécuter la décision juridictionnelle en cause137. De même, le code français de justice administrative permet à toute autorité administrative intéressée de demander au Conseil d’Etat de l’éclairer sur les modalités d’exécution d’une décision de justice. Or, après examen approfondi de la demande d’aide à l’exécution présentée par une administration qui se trouve face à une difficulté d’exécution, la Section du rapport et des études du Conseil d’Etat fournira ainsi à l’administration concernée un guide de la bonne exécution de la décision de justice concernée138. Le juge administratif français a, en outre, mis en exergue une nouvelle voie d’accès à son prétoire en décidant que les parties ayant conclu une transaction peuvent, alors même qu’elles n’ont engagé aucune procédure juridictionnelle pour trancher un litige, saisir la justice administrative d’une demande tendant à homologuer cette transaction. Cette possibilité est ouverte à toute transaction visant à remédier à une situation telle que celle créée par une annulation ou par la constatation d’une illégalité, lorsque cette situation ne peut donner lieu à régularisation, ou lorsque l’exécution de cette transaction se heurte à des difficultés particulières139.

b- Le système dissuasif : Les systèmes juridiques étrangers ont fait miroiter des dispositifs jurisprudentiels et législatifs à même à inciter l’administration à se conformer à l’autorité de la chose jugée. 1- L’exécution directe :

137 En 2002, le Conseil d’Etat a été saisi à ce titre de 149 demandes d’aide à l’exécution, les cours administratives d’appel 500 et les tribunaux administratifs 824. V. La contribution du Conseil d’Etat… op. cit, p. 16. 138 Dans ce cadre, la Section du rapport et des études a enregistré 7 demandes en 2002, contre 10 en 2001. V. La contribution du Conseil d’Etat… op. cit, p. 16. 139 CE, 6 déc.2002, Syndicat intercommunal des établissements du second cycle du second degré l’Hay-Les-Roses. V. La contribution du Conseil d’Etat… op. cit, p. 16.

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Le juge administratif procède à l’exécution directe de ses jugements. C’est ainsi que le Tribunal d’Appels Administratifs australien dispose du pouvoir de prendre des décisions substituant, s’il est nécessaire, la décision prise par l’administration même si ce tribunal ne peut pas contraindre l’administration à respecter cette décision. Le juge administratif colombien admet cette possibilité et le juge administratif polonais peut même fixer un délai pour l’exécution et imposer des obligations dans ce cadre140.

Le système juridique espagnol autorise le juge à se substituer à l’action administrative en exécutant le jugement lui-même. De même, le juge peut requérir la collaboration d’autres personnes pour assurer l’exécution et ce conformément à la constitution espagnole qui prévoit que l’exécution des jugements doit être vérifiée par les juges, qui peuvent opter pour l’exécution directe par l’administration, ou bien pour une exécution accomplie par d’autres organes141. D’autres systèmes juridiques, par application du principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, interdisent au juge administratif de se substituer à l’administration ou même de lui adresser des injonctions. Toutefois, certains systèmes juridiques ont tempéré la rigueur de ce principe et, à l’instar du système juridique belge, ont accepté d’insérer, dans les motifs du jugement, des indications concrètes sur les mesures d’exécution qui doivent être prise par l’administration142. 2- la mise en place d’un système de responsabilité administrative pour inexécution :

La jurisprudence administrative comparée considère que toute décision méconnaissant la chose jugée est illégale et tout refus d’exécution ou de lenteur dans l’exécution de la chose jugée est constitutif d’une faute administrative de nature à engager la responsabilité de l’entité administrative concernée. La victime du refus d’exécution ou de la lenteur dans l’exécution est fondée pour demander réparation du préjudice subi devant la juridiction administrative qui condamnera la collectivité publique récalcitrante aux dommages-intérêts143.

140 V. Rapports généraux des congrès de l’Association internationale des hautes juridictions administratives, op. cit, p.24 141 Idem, p.27. V. egalement : Cuchilloi (M.), « Le contrôle juridictionnel de l’administration dans l’ordre juridique espagnol », AJDA, 1999, p.757 et s. 142 Idem, p.24. Toutefois, ces quasi injonctions du système belge n’ont pas le caractère de titre exécutoire. 143 V. La contribution du Conseil d’Etat… op. cit, p. 17. Il est à signaler que certains systèmes juridiques posent des limites à ces condamnations pécuniaires. C’est ainsi que le système juridique du Mali considère, par application de la jurisprudence du « 300.000 », que l’Etat ne peut pas être condamné à payer plus de 300.000 francs. De même le système juridique du Bénin incite les parties au différend à parvenir à une transaction si l’Etat risque d’être condamné au paiement d’une somme d’argent. V. Rapports généraux des congrès de l’Association internationale des hautes juridictions administratives, op. cit, p.28.

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3- la mise en place d’un dispositif législatif relatif au taux d’intérêt légal : Dans le cadre du système juridique français, le taux d’intérêt légal est majoré de cinq points à compter de l’expiration du délai de deux mois suivant la notification d’un jugement prononçant une condamnation pécuniaire. Or, en cas d’un mauvais vouloir administratif, le juge administratif est légalement fondé pour condamner l’administration à des dommages intérêts distincts des intérêts moratoires144.

4- l’instauration d’un régime administratif d’injonction :

Dans certains systèmes juridiques, la loi a accordé au juge administratif lui-même le pouvoir d’adresser à l’administration des injonctions en vue d’assurer la bonne exécution des décisions de la juridiction administrative. C’est ainsi que l’article L.911-1 du Code français de justice administrative dispose que « lorsque (l)a décision (du juge administratif) implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution »145. En outre, il est à signaler que l’utilisation par le juge administratif de ses pouvoirs d’injonction a contribué à l’évolution du droit administratif dans ses composantes substantielles. C’est ainsi que, s’agissant du principe d’intangibilité de l’ouvrage public, le Conseil d’Etat français a confirmé un arrêt de la Cour

144 Ces dommages intérêts peuvent représenter, dans certains cas, une somme six fois plus élevée que celle constituée par les dommages intérêts dus à titre principal. V. CE. 2 mai 1962, Caucheteux et Desmonts, Cité in La contribution du Conseil d’Etat… op. cit, p. 18 145 Le juge administratif français n’a pas hésité à faire une pleine application des pouvoirs donnés à lui par le législateur en enjoignant, ainsi, à l’Etat de prendre un décret permettant l’accès des ressortissants des communautés européennes à un corps de la fonction publique (CE, 4 avril 2001, Mme Larsen-Bocquet), de prendre les mesures nécessaires à l’organisation d’élections au sein d’un ordre professionnel (CE, 9 juin 1999, M. Macquet), de prendre les mesures réglementaires nécessaires à la revalorisation de la base de calcul des prestations familiales (CE, ass. 28 mars 1997, Union nationale des associations familiales), de prendre les décrets indispensables à l’application d’une loi ( CE,13 janvier 1997, Viscontini), ou encore de procéder au réexamen d’une demande de titre de séjour déposée par un étranger (CE, Sec. 22 fév. 2002, M. Dieng). V. La contribution du Conseil d’Etat… op. cit, p. 19. V. également : - Gaurdou (J.), « Les nouveaux pouvoirs du juge administratif en matière d’injonction et d’astreinte »,

RFDA, 1996, p.333. - Cammilleri (A.), « Le pouvoir d’injonction du juge administratif : une révolution avortée ? », JCP, 1997, p.

3992. - Malvaris (F.), « Les nouveaux pouvoirs d’injonction du juge administratif », LPA, 1997, n° 18, p.4

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administrative d’appel qui ordonnait à une commune de déposer une ligne électrique illégalement implantée146.

c- Le système coercitif : Les ordres juridiques étrangers, qui prévoient la possibilité de faire recours aux mesures d’exécution forcée contre l’administration147, disposent, dans ce cadre, de deux mécanismes : l’astreinte et la saisie. 1-Le mécanisme de l’astreinte : L’astreinte peut être imposée à l’administration ou au fonctionnaire qui a été chargé de prendre les mesures d’exécution de la décision de justice concernée. C’est ainsi que, dans le cadre des systèmes juridiques autrichien, bulgare et colombien, l’astreinte est prononcée directement contre le fonctionnaire qui refuse d’exécuter la décision juridictionnelle148. Par contre, le droit belge et le droit grec disposent que l’astreinte ne peut être imposée qu’aux personnes morales de droit public et non aux fonctionnaires à titre individuel. Mieux encore, l’imposition de l’astreinte, en droit belge, doit être demandée par le requérant et peut être accompagnée d’une injonction où le juge condamne l’administration à exécuter une obligation de faire149. En droit français, l’article L.911-3 du code de justice administrative prévoit la possibilité pour le juge administratif de prononcer une astreinte contre les personnes morales de droit public ou les organismes de droit privé chargés de la gestion d’un service public pour assurer l’exécution, et ce en cas d’inexécution d’une décision rendue par une juridiction administrative. L’astreinte peut être soit prononcée dans la décision même qui statue sur le fond du litige, ou d’une manière séparée après celle-ci. Or, dans le premier cas, la partie au litige concernée doit avoir assorti ses conclusions au fond de conclusions tendant à la condamnation de l’administration au versement d’une astreinte en cas d’inexécution, dans le second cas, la possibilité est reconnue aux

146 CE, Sec. 29 janv.2003, Syndicat départemental de l’électricité et du gaz des Alpes maritimes et commune de Clans, Cité in La contribution du Conseil d’Etat… op. cit, p. 19 147 Il est à signaler que certains ordres juridiques ne prévoient pas la possibilité de faire recours aux mesures d’exécution forcée des décisions des juridictions administratives, comme c’est le cas notamment du droit congolais, alors que d’autres admettent cette possibilité uniquement dans le cadre de certains contentieux, comme le cas du droit malien qui prévoit exceptionnellement cette possibilité lorsqu’il s’agit de l’exécution d’un jugement rendu dans le cadre du contentieux électoral et contractuel. V. Rapports généraux des congrès de l’Association internationale des hautes juridictions administratives, op. cit, p.31. 148 V. Rapports généraux des congrès de l’Association internationale des hautes juridictions administratives, op. cit, p.33. 149 Idem.

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parties aux litiges ou à toute autre personne directement intéressée de saisir le juge administratif de l’inexécution de ses décisions. Sur le plan procédural, le juge administratif peut, d’abord, en cas d’inexécution, prononcer une astreinte provisoire. Dans ce cadre, il condamne la personne publique ou la personne privée chargée de la gestion d’un service public, à défaut pour elle de justifier de l’exécution dans un délai fixé, en général, entre quinze jours et deux mois, à verser une certaine somme par jour de retard. Le délai court à compter de la notification du jugement se prononçant sur le principe de l’astreinte, et celle-ci est encourue jusqu'à la date à laquelle le jugement aura reçu exécution. L’astreinte ne sera liquidée effectivement qu’en cas de refus persistant d’exécuter. Si celle-ci n’a pas eu l’effet escompté, le juge administratif pourra décider d’en majorer le taux150. En droit espagnol, l’astreinte qui s’impose à la personne responsable de l’inexécution doit obéir au principe de la proportionnalité. Ainsi, le juge espagnol, avant de prononcer l’astreinte, doit tenir compte de l’importance de l’activité que l’administration doit accomplir pour exécuter le jugement, de la gravité du retard et des effets dommageables et des possibilités économiques de l’obligé151. 2-Le mécanisme de la saisie : Le principe de l’insaisissabilité des biens de l’administration a subi un lacis de tempérament dans les systèmes juridiques étrangers. Ainsi, la loi grecque n°3068/2002 prévoit un mécanisme d’exécution forcée des obligations pécuniaires dérivé d’un jugement de saisie de biens appartenant au patrimoine privé de la personne publique concernée par l’exécution152. De même, la justice constitutionnelle espagnole a identifié les biens de l’administration qui peuvent faire l’objet d’une saisie aux effets de l’exécution d’un jugement de condamnation. Ainsi, les biens du domaine public, les biens communaux, les ressources financières et les biens patrimoniaux qui sont affectés à un usage public ou un service public ne peuvent faire l’objet d’une procédure de saisie153. La loi des juridictions administratives allemandes énumère les biens qui ne peuvent être saisis et opère un mécanisme de renvoi, pour ce qui est des cas

150 V. La contribution du Conseil d’Etat… op. cit, p.21. La première décision du Conseil d’Etat faisant recours aux dispositions de l’article L.911-3 du code de justice administrative porte sur une affaire dans laquelle a été prononcée une astreinte de 200F par jour jusqu’à ce qu’une commune exécute le jugement annulant le refus d’inscrire le non d’un « mort pour la France » sur le monument aux morts de la commune. V. CE, Sect. 17 mai 1985, Menneret. 151 V. Rapports généraux des congrès de l’Association internationale des hautes juridictions administratives, op. cit, p.34. 152 Idem, p.29 153 Idem

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douteux, à la justice pour statuer sur la question, après consultation avec l’autorité administrative concernée154. En droit français, la jurisprudence s’est efforcée d’expliquer la règle de l’insaisissabilité soit, dans une optique générale, par les prérogatives de puissance publique dont dispose la personne publique, soit, dans une optique plus spécifique, par le fait que les biens, objet de saisie, sont des biens du domaine public ou du domaine privé de la personne publique concernée ou encore par la mise en exergue du critère de la personnalité publique comme critère exclusif à même à justifier le principe de l’exclusion des voies d’exécution de droit commun contre les biens des personnes publiques155. Toutefois, la règle de l’insaisissabilité s’est accouchée d’un lacis d’exceptions. Ainsi, la Cour de cassation a admis la non extension de la règle de l’insaisissabilité aux fonds d’un organisme privé chargé d’une mission de service public156, et le Conseil d’Etat a admis la saisie des créances devenues liquides et exigibles d’un établissement public, pourvu que cela n’affecte ni la régularité ni la continuité du service public concerné par la mesure d’exécution157. Outre les mécanismes d’astreinte et de saisie, les sanctions disciplinaires et l’emprisonnement sont aussi des sanctions prévues. Pour ce qui est de l’emprisonnement, certains ordres juridiques qui se trouvent dans l’orbite du droit anglais, notamment l’ordre juridique colombien, prévoient l’arrestation comme une action alternative aux amendes établies pour dissuader l’inexécution dans les cas des actions constitutionnelles dites de « Tutelle de l’accomplissement et actions populaires »158. Le code pénal autrichien sanctionne le fonctionnaire qui utilise ses pouvoirs d’exécution pour porter atteinte, d’une manière consciente ou négligente, aux droits individuels159. De même, en Espagne, en Bulgarie et en Grèce la justice peut engager la responsabilité pénale du fonctionnaire responsable de l’inexécution d’un jugement160. Quid maintenant des mécanismes extra juridictionnels ? 154 idem 155 Leulmi (S.), op. cit. p.18 156 Cass. Civ, 15 nov. 1995, Cusset c. CRAVAM, Courrier Jur. Fin. 1996, n°64, p.6 157 CE, avis, 30 jan. 1992, EDCE, 1992, p.401. V. également sur la question de la saisissabilité des biens des établissements publics, Gaudemet (Y.), « La saisie des biens des établissements publics : nouveaux développements de la question », Gaz. Pal. 1984. 158 V. Rapports généraux des congrès de l’Association internationale des hautes juridictions administratives, op. cit, p.34. 159 Idem 160 Idem, p.35.

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B- les mécanismes extra

juridictionnels : La quête de la résolution du problème de l’inexécution des décisions de la justice administrative ne se fait plus exclusivement sur le terrain juridictionnel caractérisé par l’extrême complexité des procédures et l’excès, parfois injustifié, du formalisme. L’intervention des autorités administratives indépendantes et le contrôle parlementaire sont les mécanismes les plus représentatifs de ce courant extra juridictionnel161.

a- L’intervention des autorités administratives indépendantes : L’instauration progressive d’une catégorie spéciale d’organismes qualifiés d’Autorités Administratives Indépendantes162 constitue un trait majeur du paysage institutionnel européen. Ces institutions participent directement au processus de régulation163 et de contrôle de l’action publique164. Le Conseil constitutionnel français, dans une décision rendue le 17 jan. 1989165, a établit trois traits pour caractériser les Autorités Administratives Indépendantes :

- Ce sont des organismes administratifs sans personnalité juridique qui évoluent dans la sphère de l’Exécutif et sont dotés, pour assurer leur indépendance, d’importants pouvoirs dont celui de confectionner des règles générales.

- Ce sont des organismes dépourvus de tout contrôle juridictionnel. - Elles sont soumises au contrôle du juge administratif ou juridictionnel selon

les cas.

Parmi ces Autorités, une place de choix est réservée à l’institution du Médiateur166 qui, dans la tradition scandinave, reçoit le nom de l’Ombudsman.

161 Le droit américain a développer d’autres solutions basées sur le renforcement du droit du citoyen à l’information. La Cour Suprême a considéré, dans l’arrêt Citizens to preserve overton Park v. Volpe, que la rationalité et la légalité d’une réglementation devraient être appréciées sur la base des explications fournies par l’administration et du dossier constitué par elle à l’époque de la décision. V. Parker (W.-R.), « Du contrôle du pouvoir administratif aux Etats-Unis d’Amériques », AJDA, 20 oct. 1999, p.751 et s. 162 V. Sabourin (A.), « Les autorités administratives indépendantes », AJDA, 1983, p.275 et s. 163 Tannugi (C.), « Une doctrine pour la régularisation », Le Débat, nov.-déc. 1988, n°52, pp : 56-66. 164 Pacteau (B.), op. cit, p.373 165 Cité in Ricci (J.-C.), op. cit. 166 Le Conseil d’Etat, statuant sur le régime juridique des actes des Autorités Administratives Indépendantes, a considéré que celles-ci prennent des actes unilatéraux qui ont la nature des actes administratifs et, de ce fait, ils peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ou ouvrir droit à réparation du préjudice subi suite à l’exécution d’un acte administratif illégal. V. - CE, ass. 10 juil. 1991, Retail, Cité in Ricci (J.-C.), op. cit. - CE, sec. 8 oct. 1993, Hudin, Cité in Ricci (J.-C.), op. cit. - CE, ass. 29 déc. 1978, Darmant, Cité in Ricci (J.-C.), op. cit.

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En France, le Médiateur ne peut intervenir dans une procédure engagée devant une juridiction ni remettre en cause le bien fondé d’une décision juridictionnelle, mais il a la faculté de faire des recommandations à l’organisme mis en cause de se conformer à l’autorité de la chose jugée dans un délai qu’il fixe. Si cette injonction reste sans effet, le Médiateur peut jouer la carte de la pression de l’opinion publique par le truchement de l’invocation du refus d’exécution dans un rapport spécial publié au Journal Officiel167. Dans les systèmes juridiques autrichien, belge, finlandais, malien, espagnol, sénégalais et suisse168 les Médiateurs jouent un rôle prépondérant dans la garantie de l’exécution des décisions des juridictions administratives par le biais de la recherche d’une base d’entente commune entre le citoyen et la personne de droit public concernée par l’exécution sans, pour autant, pouvoir prendre des décisions contraignantes. Seuls les Médiateurs suédois et grec peuvent engager des procédures dans ce sens169.

b- Le contrôle parlementaire : Dans les systèmes politiques anglais et gallois, le Parlement joue un rôle primordial dans le contrôle de l’exécution des décisions des juges administratifs, en particulier, grâce aux prérogatives attribuées au Commissionnaire du Parlement pour l’Administration170. Le système politique nord-irlandais dispose d’une institution semblable sur le plan organique mais plus puissante sur le plan fonctionnel : Le Commissionnaire des plaintes qui est compétent pour demander à l’Attorney General de s’adresser à la High Court en vue d’obtenir une injonction contre l’administration ou d’intenter un recours juridictionnel171. En outre, dans le cadre des systèmes juridiques allemand et espagnol, le droit de pétition permet aux citoyens de poser directement des questions aux membres du Gouvernement qui siègent au Parlement172. Il est à signaler, en définitive, que les systèmes juridiques étrangers ont développé des mécanismes alternatifs de règlement des différends pour absorber les difficultés suscitées par les solutions juridictionnelles. Ainsi, la loi espagnole n°41/1999 s’insère dans cette perspective dans la mesure où elle prévoit la

- CE, 6 juil. 1990, Cie diamantaire d’Anvers, Cité in Ricci (J.-C.), op. cit.

167 Leulmi (S.), op. cit, p.15. 168 V. Rapports généraux des congrès de l’Association internationale des hautes juridictions administratives, op. cit, p.37. 169 Idem. 170 Idem. 171 Idem, p.38. 172 Idem.

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possibilité de faire recours à des formules alternatives aux recours juridictionnels, telles que l’arbitrage, la médiation et la conciliation173, reconnaissant, ainsi, la pertinence du mouvement de la déjudiciarisation du contentieux administratif.

II- La déjudiciarisation du contentieux de l’exécution des décisions des juridictions administratives.

Dans un contexte caractérisé par une crise du système de régulation juridictionnelle des rapports conflictuels qu’entretient l’administration avec l’administré174, la réforme de la justice administrative ne peut que s’imposer en toute légitimité et doit être marquée essentiellement par la volonté de passer « d’un ordre juridique imposé à un ordre juridique négocié »175. Dans ces sillages, le recours aux modes alternatifs de règlements des différends176 se justifie par le constat d’une justice administrative encombrée, caractérisée par une explosion du contentieux de l’exécution. Or, dresser l’état des lieux du contentieux de l’exécution permet de mesurer l’ampleur des difficultés rencontrées par la justice administrative marocaine dans la résolution des litiges administratifs et ce pour justifier le nécessaire recours aux mécanismes alternatifs de règlement des différends dont il faut décortiquer la logique interne qui préside à leurs structuration substantielle.

A- les justifications du recours aux modes alternatifs de règlement des litiges en droit administratif marocain :

L’efficacité des mécanismes d’exécution des décisions de la juridiction administrative ne peut pas résister devant la prolifération des cas d’inexécution ou de mauvaise exécution et qui portent atteinte à l’édification d’une justice administrative crédible condition sine qua non de la constitution d’un Etat de droit effectif. Dans ce cadre, les statistiques officielles disponibles confirment l’ampleur du problème, pour ne pas dire du phénomène, de l’inexécution des décisions du juge administratif. 173 V. Cuchilloi (M.), op. cit. 174 V. Parker (W.), op. cit, p. 751 175 Cadiet (L.), Découvrir la justice, Dalloz Orientation, Dalloz, 1997, p.66 176 V. Gaudemet (Y.) : - « Des modes alternatifs de règlement des litiges », AJDA, N° spécial, 1997, p.3 - « Le juge administratif et les modes de alternatifs des conflits », RFDA, 1996, 86

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Ainsi, et dans un souci pragmatique, il n’est pas sans intérêt de décortiquer les causes de la violation de l’obligation d’exécution de la décision de justice, avant de s’atteler sur ses manifestations.

a- Les causes de l’inexécution des décisions de la justice administrative :

La prolifération sans cesse croissante des cas d’inexécution des décisions des juridictions administratives a conduit les responsables politiques à décréter moult circulaires pour inciter les administrations publiques, les collectivités locales et les établissements publics à respecter l’obligation d’exécution qui leur incombent177. Les atteintes portées à l’obligation d’exécution des décisions des juridictions administratives peuvent être expliquées, d’abord, par une raison quantitative qui permet de constater que l’accroissement du nombre des affaires portées devant le juge administratif génère d’une manière quasi mécanique un accroissement quasi proportionnel du nombre des atteintes à la chose jugée. Toutefois, il ne faut conclure que le juge administratif est un juge parfaitement accessible. Certes, l’accès à la justice administrative a été considérablement amélioré notamment suite à l’élargissement constant de l’intérêt pour agir, mais il reste que le caractère écrit de la procédure greffé sur les limites congénitales du système de l’aide judiciaire rend l’accès au juge plus malaisé. A cela s’ajoute la durée excessive de l’instance sécrétée par l’incapacité de la justice administrative à maitriser l’inflation galopante des domaines d’intervention de l’administration et la complexité croissante des textes juridiques178. Les atteintes portées à l’obligation d’exécution des décisions des juridictions administratives peuvent, également et surtout, être expliquées par des raisons plus structurelles inhérentes à l’enracinement de ce mal bureaucratique qui grève l’action administrative. Or, touché par une crise protéiforme adaptative, identitaire, institutionnelle et légitimatrice, le système administratif marocain est toujours fondé sur une conception unitaire et monolithique du pouvoir, caractéristique majeure de l’organisation bureaucratique. Le professeur A. Sedjari a bien précisé les caractéristiques distinctives de l’administration marocaine179 . Pour lui l’administration marocaine est :

177 V. les circulaires du Premier ministre n° 94/14 et 99/36. 178 V. Loschak (D.), La justice administrative, Montchrestien, Paris, 1994. 179 V. Sedjari (A.), Etat et administration : tradition ou modernité, éd. Guessous, Rabat, 1994.

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- Une administration différente de la société dans la mesure où elle incarne le pouvoir normateur et son corollaire sanctionnateur. Par le biais de ses privilèges exorbitants de droit commun, elle relègue l’administré à une situation de subordination et de soumission. - Une administration inaccessible caractérisée par une inflation normative, justifiée par l’explosion de la production des textes juridiques, et par une accentuation aigue des distorsions dans l’application de la règle juridique dues à un déséquilibre entre les prescriptions et les moyens mis en œuvre. Cette non effectivité juridique génère, d’une part, la prolifération des tolérances, phénomène de non respect communément accepté de la règle juridique, et, d’autre part, l’éclosion des circuits de dérivation, des circuits parallèles qui facilitent aux administrés d’inscrire leurs relations dans des référentiels qui se développent en marge du système juridique normal180. - Une administration secrète dans la mesure où des notions comme le devoir de réserve et le secret professionnel forgent les jalons qui dessinent la voie devant un cortège de normes de déontologie administrative à même à entretenir des rapports opaques entre l’administration et l’administré.

- Une administration autoritaire caractérisée par la survivance du comportement makhzanien.

Ainsi, en guise de conclusion, c’est un truisme que d’affirmer que le mal bureaucratique dont souffre l’administration marocaine s’est manifesté essentiellement par la prolifération des structures, le chevauchement des compétences et l’enchevêtrement des circuits procéduraux ce qui a eu une incidence directe sur l’exécution des décisions de la justice.

b- les manifestations de l’inexécution des décisions de la justice administrative :

Si, en France, les cas d’inexécution concernent, surtout, le contentieux de l’annulation181, au Maroc, c’est la tendance inverse qui semble dominer. Avant la création des tribunaux administratifs, M. Ngassi arrive à la conclusion que les cas d’inexécution se rapportent essentiellement aux condamnations pécuniaires et il a mis l’accent sur sept cas d’inexécution dont la Cour Suprême a été saisi de 1957 à 1977182. Quid de la situation après la création des tribunaux administratifs ? 180 V. Chevalier (J.), Vers la fin de l’Etat de droit, RDP, 1977. 181 Le cas le plus célèbre, en France, est celui de l’affaire Caucheteux et Desmonts dans laquelle l’administration a pris 18 ans de retard pour payer une indemnité. V. CE, 2mai 1962, RDP, 1982, p.285. 182 Cinq cas se rapportent à des condamnations à payer des indemnités, un cas relatif au refus de concours de la force publique et le dernier cas au refus de réintégrer un fonctionnaire illégalement révoqué. V. Ngassi (S.-M.),

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1- Le refus d’exécution : Sur le plan statistique, la Direction des affaires civiles du Ministère de la Justice a procédé à un recensement des jugements gelés au stade de l’exécution. Désormais, ce qui d’ailleurs va certainement faire plaisir à notre Professeur M.-A. Benabdallah, en dispose d’une « classification des causes qui sont à la base de l’inexécution et, ainsi, au bout d’une certaine période, en pourrait disposer d’un ensemble d’éléments reflétant la réalité de l’issue des décisions de justice et à partir de là, en pourrait avancer les solutions nécessaires à la résorption ou, du moins, à la diminution du phénomène »183. C’est en chiffres que se traduit, tout d’abord, une activité. Les tableaux ci-dessous permettent immédiatement de saisir que les demandes se sont, en général, accrues depuis 1996. Le bilan décennal de l’exécution des décisions des juridictions administratives :

Les tribunaux administratifs

Les demandes d’exécution

Les jugements exécutés

Renvois

Rabat 1457 1057 400 Casa 1413 1337 56 Marrakech 737 652 85 Agadir 2159 1530 629 Fès 686 337 349 Meknès 571 420 151 Oujda 355 243 112 Le total 7378 5576 1782

Le contrôle juridictionnel de l’administration marocaine : contribution à une étude socio juridique du contentieux administratif de la Cour Suprême, Thèse de Doctorat, Paris, 1982, p. 471, in, Harsi (A.), op. cit. p.49 183 Benabdallah (M.-A.), « Justice administrative et inexécution des décisions de justice », REMALD, n°25, 1998, p. 9 et s.

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La situation de l’exécution des jugements du tribunal administratif de Rabat :

L’année Les demandes d’exécution

Les jugements exécutés

Renvois

1994 04 04 00 1995 08 08 00 1996 25 24 01 1997 86 80 06 1998 135 124 11 1999 178 158 20 2000 284 261 23 2001 236 211 25 2002 271 210 61 2003 230 154 76 2004 211 105 106 2005 314 69 245

Le total 1982 1408 574 La situation de l’exécution des jugements rendus par les autres tribunaux administratifs du Royaume dans le cadre des commissions rogatoires :

L’année Les demandes

d’exécution

Les jugements exécutés

Les refus d’exécution

Renvois

1994 00 00 00 00 1995 02 02 00 00 1996 38 38 00 00 1997 245 170 75 00 1998 89 70 15 04 1999 12244 114 851 279 2000 219 96 104 19 2001 176 146 11 19 2002 252 173 00 79 2003 188 115 15 58 2004 174 87 00 87 2005 271 17 53 201

Le total 2898 1028 1124 746

Sources : Le tribunal administratif de Rabat.

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L’ensemble de ces chiffres ne donne évidemment qu’une image partielle de l’activité des juridictions administratives en matière d’exécution des jugements. Ils ne prennent, en effet, en compte que l’exécution a posteriori permise par les dispositions du Code de procédure civile, alors que dans d’autres cas l’administration peut procéder directement à l’exécution.

2- La lenteur dans l’exécution : La lenteur dans l’exécution est souvent due à la complexité des opérations comptables et financières nécessaires pour procéder à l’exécution de la décision juridictionnelle. En France, le Conseil d’Etat évoque régulièrement le cas de l’éducation nationale qui « lourdement empêtrée dans la complexité d’une administration forte d’un million d’agents et déconcentrée sur plusieurs niveaux…, même quand sa bonne volonté n’est pas en cause, a les plus grandes peines à assurer l’exécution des jugements dans des délais simplement raisonnables »184. En droit marocain, l’administration invoque souvent l’insuffisance des crédits pour se soustraire au paiement de l’indemnité objet de la condamnation. La Cour Suprême rejette constamment cette justification et souligne que « l’absence de crédit pour payer ces sommes ne saurait modifier les droits que les intéressés tiennent » des décisions juridictionnelles intervenues en leur faveur185. Ainsi, on peut, en définitive, affirmer que lorsque « la puissance publique fait prévaloir des considérations partisanes et politiques ou d’opportunité administrative sur le respect de la légalité, l’administré ne peut que se sentir trahi ou, pire, persécuté par une administration sensée être à son service »186. Dans ces sillages, « le moment est venu de réfléchir sérieusement aux mesures qui s’imposent et sans lesquelles la justice toute entière risque de devenir la zone d’ombre de nos institutions »187. C’est dans ces sillages que la logique de la déjudiciarisation des modes de règlement des litiges s’éclore.

B- La logique de la déjudiciarisation188 des modes de règlement des litiges administratifs :

184 EDCE, 1987, n°38, p.200 185 CSA, 18 mai 1961, Consorts Madeleine c. Ministère des Finances, RACSA, T.2, 1960-1961, p.62, cité in Harsi (A.), op. cit. 186 Leulmi (S.), op. cit. p.8 187 Benabdellah (M.-A.), op. cit 188 V. Bonafe-Schmitt (J.-P.), « La part et le rôle joués par les modes informels de règlement des litiges dans le développement d’un pluralisme judiciaire. (Etude comparative France-USA) », Droit et Société, N°6, 1987, pp : 253-275.

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Outre l’objectif de désengorger les juridictions administratives, le développement des modes alternatifs de règlement des litiges s’insère dans les rouages d’une logique contractualiste qui vise à régenter autrement le différend administratif. Or, dans ces sillages, il n’est pas sans intérêt méthodologique de définir, d’abord, et de dresser une typologie, ensuite, des modes alternatifs de règlement des différends.

a- La définition des modes alternatifs de règlement des différends : On considère, généralement, que l’expression « modes alternatifs de règlement des différends » recouvre tout mécanisme permettant de trouver des solutions acceptables par des parties en différend en dehors des procédures juridictionnelles traditionnelles189. Ces modes ont pour point commun la présence d’un tiers neutre, distinct des parties en conflit, et dont la mission est de faciliter le dialogue ou de résoudre le différend190. Ils s’insèrent, par là, dans un « état d’esprit qui pousse à la recherche d’une solution des litiges qui soit acceptée, voire négociée entre les parties, directement ou non, plutôt qu’imposée par le juge institué par l’Etat »191. De ce fait, ils se caractérisent par leur caractère non juridictionnel étant donné que le conflit prend fin par l’accord des parties et non au moyen d’une décision juridictionnelle et par leur indépendance par rapport à l’institution juridictionnelle étatique. Toutefois, « un règlement alternatif ne doit pas se comprendre comme une voie concurrente au recours traditionnel de la justice, mais comme une nouvelle opportunité offerte aux citoyens de résoudre des différends préalablement ou concomitamment au recours à la voie judiciaire traditionnelle »192. Cette voie alternative de règlement des différends s’individualise par sa souplesse, sa rapidité et son caractère peu couteux et dont « la vocation est plus de vider le conflit de sa substance que de réellement déterminer qui a tort ou raison par rapport au droit »193. En outre, cette voie n’est pas contraignante, dans la mesure où la mise en mouvement de ce processus requiert l’acceptation libre et volontaire des parties en litige, ce qui pose, en fait, le problème plus profond de la place du droit dans les mécanismes alternatifs de règlement des différends. Ces mécanismes s’éclorent – non pas dans une zone de non droit- mais plutôt dans une zone grise où la règle juridique est marquée par sa flexibilité et sa

189 V. Le rapport du Forum des droits sur internet sur « les modes alternatifs de règlement des différends », 17 juin 2002, p. 4, disponible sur le site web du Forum : www.foruminternrt.org 190 Idem. 191 Cadiet (M.), Découvrir la justice, Dalloz, 1997, p.67 192, V. Le rapport du Forum des droits sur internet sur « les modes alternatifs de règlement des différends », op.cit p.11 193 Idem

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différence par rapport au droit applicable devant l’appareil judiciaire étatique194. Les mécanismes de règlement des différends appartiennent à l’infra - droit, le para – droit, le quasi droit ou le pré - droit195 En somme, les modes alternatifs de règlement des différends reposent sur un certains nombres de principes196 :

- Ils sont des outils de paix sociale qui doivent permettre de renouer un dialogue qui a été rompu.

- Ils prévoient dans tous les cas la présence d’un tiers distinct des parties, dont la mission est de faciliter le dialogue.

- Ile sont des compléments naturels des procédures juridictionnelles traditionnelles.

- Ils apparaissent particulièrement pertinents dans les cas des conflits transnationaux, et peuvent également offrir des solutions très pertinentes pour des différends dits de ‘proximité’.

- Ils ne doivent pas faire l’objet d’un encadrement juridique mais être laissés libres de se développer dans leur diversité.

Ces solutions alternatives de règlement des différends « sont autant de circuits de dérivation dont on soupçonne sans peine la séduction qu’elles peuvent exercer sur les justiciables, singulièrement sur les entreprises. Mais, dans l’affirmation du phénomène, il y’ a sans doute plus, qui touche à l’évolution des modes de régulation sociale »197. L’essor de ces mécanismes réalise une forme de déréglementation du secteur de la justice sous l’impacte de la logique du marché

b- La typologie des modes alternatifs de règlement des différends :

En fait, il existe différents modes alternatifs de résolution des conflits où la tierce partie, conciliateur, médiateur ou arbitre dispose d’un pouvoir décisionnel et interventionniste différent même si leurs caractéristiques communes se ressemblent et résident en leur vocation extrajudiciaire et leur nature volontariste.

194 Sériaux (A.), « Questions controversées : la théorie du non – droit », RRJ, 1995, p.13 Dauchy (M.), « La notion de non droit », RRJ, 1992, p.433 195 Olivier (J-M.), « Les sources administratives du droit des obligations », in Le renouvellement des sources du droit des obligations, LGDJ, 1997, p.109. 196 Cité in le rapport du Forum des droits sur internet, op. cit 197 Cadiet (L.), op. cit V. également : - Chevallier (J.), « Vers un droit post – moderne ? », in Les transformations de la régulation juridique, s/d de Martin (G.), LGDJ, Coll. Droit et société, 1998. - Timsit (G.), « La régulation : naissance d’une notion », in Archipel de la norme, PUF, 1997, p.161 - Frisson – Roches (M-A.), « Le droit de la régulation », D. 2001, p.610

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1- La conciliation :

La conciliation est la technique par laquelle un tiers neutre, le conciliateur, est chargé de proposer une solution à des personnes en conflit198. Or, « contrairement au médiateur qui ne donnera pas son opinion, le conciliateur pourra dire aux parties que s’il avait à décider sur la base des faits de leur litige, il le fera de telle façon »199. Mais cette solution, à la différence de la sentence arbitrale, ne s’impose pas d’elle-même ; les parties achèveront éventuellement le litige par une transaction200 . Le recours à la conciliation peut être facultatif ou obligatoire comme il peut être prévu au contrat ou improvisé après la naissance du litige ou encore imposé par un texte. Traditionnellement, le Conseil d’Etat ne frappe, en tout cas, pas d’une complète inefficacité les clauses des contrats administratifs par lesquelles les parties s’engagent à soumettre à un conciliateur d’éventuels litiges201.

2- La médiation202 : La médiation implique l’intervention d’un tiers neutre, le médiateur203, pour aider les parties en conflit à négocier dans le but de trouver une solution mutuellement acceptable. Elle se distingue de la conciliation du fait que le médiateur n’intervient pas pour proposer une solution mais uniquement pour permettre aux parties d’en trouver une. En fait, « le médiateur est un conciliateur de types interventionniste qui se permet de poser des questions directives, de critiquer les positions, d’émettre des opinions, de faire des suggestions et d’utiliser sa capacité de persuasion pour pousser, si non forcer les parties à réduire l’écart qui les sépare jusqu’aboutir à un accord. Il prend plus d’initiatives qu’un conciliateur type »204. Les parties au différend sont libres dans le choix du médiateur à condition de se soumettre d’accord sur les critères d’embauche. La convention de médiation détermine, en outre, l’ensemble des conditions de la médiation ainsi que son déroulement.

198 V. Munoz (F.), « Pour une logique de la conciliation », AJDA, 1997, p. 41 199 Trudel (P.), Abran (F.), Benyekhlef (K.), Hein (S.), Droit du Cyberespace, Montréal, Editions Thémis, 1997, p.10 200 Desdevises (y.), « Les transactions homologuées : Vers des contrats juridictionnables », D. 2000, chr. P. 284 201 Le Conseil d’Etat a précisé dans ce cadre que : « Considérant que les dispositions précitées ont seulement pour effet d’obliger les parties, lorsqu’elles se trouvent en désaccord, à soumettre se désaccord à l’appréciation de conciliateurs, et ne font pas obstacle à ce que les parties saisissent, ensuite, le juge compétent dans le cas où un accord n’a pu être réalisé ». V. C.E 6 déc. 1935, Ville de Bergerac, Rec. p.1148 202 Jarrosson (CH.), « La médiation et la conciliation : Essai de présentation », Droit et patrimoine, 1999 203 Six (J-F.), Le temps des médiateurs, le Seuil, 1990 204 Antaki (N.), Le règlement amiable des litiges, Cowansville, Editions Yvon Blais, 1998, N°147, p. 83

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L’accord final des parties s’érige en un contrat soumis à des exigences de forme et de fond, surtout lorsqu’il prend la forme d’une transaction205. En effet, la transaction est un contrat en vertu duquel « les parties préviennent une contestation à naitre, tiennent un procès ou règlent les difficultés qui surviennent lors de l’exécution d’un jugement, au moyen de concessions ou de réserves réciproques »206. Longtemps considérée, en France, comme des contrats de droit privé, les transactions ont été qualifiées de contrats administratifs lorsqu’elles interviennent en matière de travaux publics207. Hors cette matière, la transaction peut être considérée comme un contrat administratif, soit par application du critère de la clause exorbitante, soit par application de la théorie de l’accessoire. La transaction est conclue en vue d’éviter le recours au juge. Sa signature fait donc obstacle à ce que le juge statue, si elle a été déjà signée au moment du recours, celui-ci est irrecevable208, si elle est signée au cours d’instance, il y a non lieu à statuer209.

3- L’arbitrage : L’arbitrage210 est la forme la plus contraignante des modes alternatifs de règlement des litiges. Il s’agit d’une « justice privée dont l’origine est normalement conventionnelle »211 En effet, c’est le seul mode où le tiers, l’arbitre, a le pouvoir, pour ne pas dire le devoir, de rendre une décision qui sera juridiquement contraignante. Le champ d’application de l’arbitrage à l’action administrative est traditionnellement assez restreint en raison de l’interdiction de principe qui est

205 V.- Auby (J.-M.), « La transaction en matière administrative », AJDA, 1956, 1 - Conseil d’Etat, Régler autrement les conflits, Doc. Fr, 1993, p.49 et s. - Lyon Caen (A.), « Sur la transaction en droit administratif », AJDA, 1996, p.48 206 Article 2631 du Code civil du Québec. L’article 2044 du Code civil français définit la transaction comme « le contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naitre ». 207 V : - CE, 23 oct. 1970, Clot, Rec. 617 - CE, 5 mai 1971, Ville de Carpentras, AJDA, 1971, p.403 208 V. CE, 8 fév. 1956, Germain, Rec. 69 209 V. CE, 26 juil. 1935, Moussempes, Rec. 902 210 V :- Auby (J.-M.), « L’arbitrage en matière administrative », AJDA, 1955, I, 81 - Delvolvé (P.), Rapport sur l’arbitrage et le droit administratif, Assoc. Fr. d’arbitrage, 1990. - Foussard (D.), « L’arbitrage en droit administratif », Rev. Arb., 1990, 14 - Gaudemet (Y.), « L’arbitrage : aspects de droit public », Rev. Arb. 1992, 241 - Jarosson (C.), « L’arbitrage en droit public », AJDA, 1997, 16 - Teboul (G.), « Arbitrage international et personnes morales de droit public », AJDA, 1997, 25 - Patriacol (A.), L’arbitrage en matière administrative, LGDJ, 1997

211Motulsky (H.), Ecrits, T.2, Etudes et notes sur l’arbitrage, 1974, Dalloz, p.6

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faite aux personnes administratives de compromettre212. La raison principale de l’existence du principe de l’interdiction du recours à l’arbitrage par les personnes publiques réside dans le fait que l’arbitrage bouleverserait un système normal de répartition de compétences instauré par la garantie de l’intérêt général213. La nullité qui est susceptible de frapper la convention d’arbitrage est une nullité absolue dont l’une et l’autre partie peuvent se prévaloir puisqu’il s’agit d’une atteinte à la répartition des compétences214. Toutefois, ce principe de l’interdiction du recours à l’arbitrage par les personnes publiques est assorti, dans le cadre de certains systèmes juridiques étrangers215, d’exceptions qui visent à désencombrer la juridiction administrative. C’est dans ce cadre que le Code français des marchés publics prévoit la possibilité de faire recours à l’arbitrage216. La sentence arbitrale a un caractère juridictionnel, mais son exécution forcée implique un exequatur délivré par le tribunal administratif217. Conclusion : En définitive, c’est désormais un truisme que d’affirmer que le législateur doit prendre conscience de l’efficacité opérationnelle des techniques non contentieuses protectrices des administrés comme mode alternatif de règlement des litiges administratifs. Mais, dans l’attente de cette intervention législative, il est impératif de « renoncer au suivisme aveugle d’une jurisprudence ancienne et désormais inappropriée et, sans céder à l’attrait d’une innovation téméraire, il faut contribuer au développement d’une jurisprudence constructive »218 qui ne peut que conforter l’autorité de la justice administrative. 212 Ce principe a été affirmé par le juge administratif français avec une particulière rigueur. V. CE. sur conflit, ord. du 15 mars 1829, Bernardin cité par Rials (S.), « Arbitrage et règlement amiable », Juris- class. du Cont. adm. 1994. 213 Idem, p.4 214 V. C.E, 19 mai 1993, Ville d’Aix- les- Bains et 22 jan. 1994, Ducastaing cité in Rials (S.), op. cit. 215Au Maroc, le projet de loi sur les modes alternatifs de règlement des différends, actuellement devant le parlement, prévoit la possibilité de faire recours à ce mécanisme pour régler les litiges relatifs notamment aux marchés publics. 216 Articles de 247 à 361 du Code français des marchés publics. 217 Il est à signaler qu’il existe d’autres modes alternatifs de règlement des litiges comme la med-arb, le mini-trial et le baseball arbitration. Toutefois les modes que nous avons énumérés ci-dessus sont les plus courants et les plus privilégiés par les instances nationales et internationales. V. Roussos (A.), « La résolution des différends », Lex Electronica, vol. 6, n°1, 2000, http://www.lex-electronica.org/articles/v6-1/roussos.htm. 218 Rousset (M.), « La plénitude de compétence des tribunaux administratifs à l’égard de l’administration et les insuffisances de l’article 8 de la loi 41-90 », REMALD, n°27, 1999, p.26

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