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Philippe Doucet et Roger ouellette Cevolution de la structure de gestion des affaires intergouvernementalesau Nouveau-Brunswick : 1960-90 Sommaire : Les relations intergouvernernentales du Nouveau-Brunswick ont-elles connu au cours des trois dernitres dtcennies des transformations de fond? Presque inexistant au dtbut des anntes 1960, ce secteur de l’activitt gouvernementale s’est dtveloppt graduellement pour devenir, apres la victoire des Libtraux de Frank McKenna en 1987, un ministere 2 part entitre. Le prtsent article se propose de dtcrire l’tvolution et de dtterminer les principaux facteurs susceptibles d’expliquer l’absence de structures autonomes de gestion des affaires intergouvernementales de la province. Pourtant, les gouvernements Robichaud des anntes 1960 et Hatfield des anntes 1970 et 1980 ont souvent 6tC les initiateurs de projets de modernisation de I’activitt gouvernementale. Comment expliquer alors qu’ils aient autant tardt B organiser la gestion des relations intergouvernementales? Ces decisions reltvent-elles davantage de la sociCt6 nto-brunswickoise que de ses dirigeants politiques? En plus d’avoir consultt litttrature et documentation sur le sujet, nous avons interrogt plusieurs hauts fonctionnaires et hommes politiques des anciens et du present gouvernements. Un large consensus se degage parmi eux : la direction des relations intergouvernementales, Ctroitement contrblte par les premiers ministres, leur Bureau et, P l’occasion, le SecrCtariat du Conseil des ministres, n’a pas souffert outre mesure de I’absence d’une bureaucratic plus structurte. En dtpit de la rtcente crtation du rninisttre des Affaires intergouvernernentales, on constate que la gestion de ces affaires n’aurait pas beaucoup change pour autant. C’est toujours au Bureau du Premier ministre que sont prises les decisions clCs en la matihre. Abstract: Did New Brunswick intergovernmental relations undergo fundamental changes over the last three decades? Virtually non-existent in the early 1960s, this government activity sector developed gradually, emerging as a full-fledged ministry following the victory of Frank McKenna’s Liberals in 1987. The purpose of this article is to describe that change and to determine the main factors that could explain the lack of autonomous structures for managing the province’s intergovernmental affairs. However, the Robichaud government in the 1960 and the Hatfield government in the 1970s and 1980s often launched projects to modernize government activities. How should one therefore explain the fact that they were so late in organizing the management of intergovernmental relations? Do these Les auteurs sont professeurs au dkpartement de science politique de 1’Universitk de Moncton. Cette etude a 6tC rCalisCe gr%ce i une subvention de la FacultC des etudes supkrieures et de la recherche de I’Universitk de Moncton. CANADIAN PUBLIC ADMINISTRATION / ADMINISTRATION PUBLIQUE DU CANADA VOLUME 36, NO. 1 (SPRING/PRINTEMPS), PP. 24-37.

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Philippe Doucet et

Roger ouellette

Cevolution de la structure de gestion des affaires intergouvernementales au Nouveau-Brunswick : 1960-90

Sommaire : Les relations intergouvernernentales du Nouveau-Brunswick ont-elles connu au cours des trois dernitres dtcennies des transformations de fond? Presque inexistant au dtbut des anntes 1960, ce secteur de l’activitt gouvernementale s’est dtveloppt graduellement pour devenir, apres la victoire des Libtraux de Frank McKenna en 1987, un ministere 2 part entitre.

Le prtsent article se propose de dtcrire l’tvolution et de dtterminer les principaux facteurs susceptibles d’expliquer l’absence de structures autonomes de gestion des affaires intergouvernementales de la province. Pourtant, les gouvernements Robichaud des anntes 1960 et Hatfield des anntes 1970 et 1980 ont souvent 6tC les initiateurs de projets de modernisation de I’activitt gouvernementale. Comment expliquer alors qu’ils aient autant tardt B organiser la gestion des relations intergouvernementales? Ces decisions reltvent-elles davantage de la sociCt6 nto-brunswickoise que de ses dirigeants politiques?

En plus d’avoir consultt litttrature et documentation sur le sujet, nous avons interrogt plusieurs hauts fonctionnaires et hommes politiques des anciens et du present gouvernements. Un large consensus se degage parmi eux : la direction des relations intergouvernementales, Ctroitement contrblte par les premiers ministres, leur Bureau et, P l’occasion, le SecrCtariat du Conseil des ministres, n’a pas souffert outre mesure de I’absence d’une bureaucratic plus structurte.

En dtpit de la rtcente crtation du rninisttre des Affaires intergouvernernentales, on constate que la gestion de ces affaires n’aurait pas beaucoup change pour autant. C’est toujours au Bureau du Premier ministre que sont prises les decisions clCs en la matihre.

Abstract: Did New Brunswick intergovernmental relations undergo fundamental changes over the last three decades? Virtually non-existent in the early 1960s, this government activity sector developed gradually, emerging as a full-fledged ministry following the victory of Frank McKenna’s Liberals in 1987.

The purpose of this article is to describe that change and to determine the main factors that could explain the lack of autonomous structures for managing the province’s intergovernmental affairs. However, the Robichaud government in the 1960 and the Hatfield government in the 1970s and 1980s often launched projects to modernize government activities. How should one therefore explain the fact that they were so late in organizing the management of intergovernmental relations? Do these

Les auteurs sont professeurs au dkpartement de science politique de 1’Universitk de Moncton. Cette etude a 6tC rCalisCe gr%ce i une subvention de la FacultC des etudes supkrieures et de la recherche de I’Universitk de Moncton.

CANADIAN PUBLIC ADMINISTRATION / ADMINISTRATION PUBLIQUE DU CANADA VOLUME 36, NO. 1 (SPRING/PRINTEMPS), PP. 24-37.

STRUCTURE DE GESTION DES AFFAIRES INTERGOUVERNEMENTALE

decisions result more from New Brunswick society than from its political leaders? In order to consult the relevant literature and documentation, we interviewed

several high officials and politicians from current and past governments. There is a broad consensus among them: the management of intergovernmental relations, closely controlled by the premiers, their offices and, occasionally, the secretariat of cabinet, has not been particularly affected by the lack of a more structured bureauc- racy.

In spite of the recent creation of the Ministry of Intergovernmental Affairs, the management of those affairs would not appear to have changed a great deal. It is still within the premier’s office that the key decisions in this field are made.

Le degrC de dkveloppement des appareils chargts de la gestion des relations intergouvernementales varie beaucoup au Canada. Tandis que certaines provinces, comme le QuCbec et l’Alberta, ont opt6 assez t8t pour des ministkres distincts, d’autres, comme le Nouveau-Brunswick, se sont long- temps contentees de structures et de personnels beaucoup plus limit&. L’administration chargCe des relations intergouvernementales au Nouveau- Brunswick ne beneficiait pas de dispositions ICgislatives ou reglementaires particulikres. C’Ctait un secteur livrC 2 la volontC des chefs de gouvernement et des Cvenements conjoncturels’. En definitive, I’autoritC publique favorisait en ce domaine l’approche ponctuelle.

RCcemment, soit en 1987, le Nouveau-Brunswick a choisi de crCer un ministkre des Affaires intergouvernementales. Cette decision plut8t tardive peut s’expliquer diversement.

I1 y a tout d’abord la justification principale proposee par Donald Smiley une dizaine d’annCes plus t6t, et qui semble toujours pertinente, B savoir, en ses propres terrnes : ..the need to co-ordinate policies within government in order to speak with a single voice in intergovernmental dealings.))*

De son c8t6, Timothy Woolstencroft estimait que d’autres facteurs perniet- tent d’expliquer 1’Cmergence de ces agences centrales, notamment athe growing complexities of federal-provincial affair^..^ D’autres facteurs, de nature interne et externe, peuvent Cgalement intervenir.

Les facteurs internes concernent la dimension de la province, l’ampleur des ressources financikres et humaines, ainsi que la propension des organisations 2 croitre en importance. Par consequent, la prCsence d‘agences centrales fortes est surtout rCservCe aux provinces mieux nanties. Une province dont la capacitC financikre est limitCe peut difficilement s’offrir le luxe d’une struc- ture souvent coGteuse.

1 Timothy Woolstencroft, Organizing Intergovernmental Relations, Kingston, Institute of Inter- governmental Relations, 1982, p. iii. 2 Richard Sinieon (sous la direction de) , Confrontation et collaboration - Les relations intergouuerneinentales duns le Canada d’aujourd’hui, Toronto, L’Institut d’administration publique du Canada, p. 113. 3 Woolstencroft, op. cit . , p. 75.

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Les facteurs externes sont l i b au milieu politique et peuvent donner lieu A des relations fkdkrales-provinciales et interprovinciales compktitives ou conflictuelles. Pour certaines provinces, la dkfense de leur compktence et de leurs intkrCts peut constituer la raison d’etre d’un ministkre des Affaires intergouvernementales. Afin de faire face P la pousske centrip6te du fkdkra- lisme depuis la Seconde Guerre mondiale et inspirkes par les nombreuses revendications du Qukbec, ces provinces ont voulu disposer des outils leur permettant de traiter avec Ottawa sur un pied d’kgalitt. La combinaison de ces facteurs internes et externes incite habituellement les gouvernements A constituer des organisations intergouvernementales plus structurkes.

Enfin, pour Donald Wallace, la grande diversitk des agences responsables des dossiers intergouvernementaux peut Ctre attribuke B une ou plusieurs variables.

There is considerable diversity in the intergovernmental process ... the influence of central agencies for intergovernmental relations is likely to be a function of one or more variables including the number of players involved, the relevant personalities, the magnitude of the issue, the relative sophistication (or lack thereof) in terms of intergovernmental relations in line ministry, and changes over time and traditional patterns of interactions4.

Le succhs d u n ministhre des Affaires intergouvernementales serait, P son avis, dG en bonne partie P l’appui accord6 par le premier ministre de la province P ce dkpartement ministkriel et A son sous-ministre, de mCme qu’P la crkdibilitk de ce dernier par rapport aux autres sous-ministres de la province5.

De nos jours, deux facteurs principaux justifient le maintien et le dkvelop- pement des structures intergouvernementales existantes et leur crCation dans les provinces qui n’en avaient pas : premigrement, la nouvelle crise constitu- tionnelle entrainke par la non-ratification de 1’Accord du lac Meech, le rejet de 1’Entente de Charlottetown et toute l’incertitude quant B l’avenir du Canada; deuxihmement, l’importance croissante accordke au dCveloppement kconomique dtcoulant, d’une part, du traitk de libre-kchange avec les Etats- Unis et le Mexique, et, d’autre part, de la nkcessitk pour notre pays d’Ctre plus compktitif sur la scene internationale. D b 1985, Donald Wallace ktait d’avis que le Canada aurait besoin prochainement de dkvelopper des mCcanismes intergouvernementaux appropriks pour faire face B ces nouveaux dCfis6.

L’kvolution de la structure de gestion des affaires intergouvernementales au Nouveau-Brunswick durant la pkriode de 1960 P 1990 sera examinee P l’aide de cette grille d’analyse. Le 27 juin 1960, aprhs huit annkes de gouvernement

4 Donald Wallace, Provincial Central Agenciesjorhtergovernmental Relations and the Policy Process (doctorate thesis), Toronto, York University, 1985, p. 30. 5 Ibid., p. 32 et 33. 6 Ibid., p. 40.

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STRUCTURE DE GESTION DES AFFAIRES INTERGOUVERNEMENTALE

conservateur dirigC par Hugh John Flemming, le Nouveau-Brunswick Clisait le Parti liberal de Louis J. Robichaud qui allait, pendant la prochaine dkcennie, faconner la destinCe de la province. Cette pCriode fut marquCe par de nombreuses rkformes de l’administration provinciale, dont la mise en place du programme de <<Chances Cgales)>. Ce programme de rCformes fiscales et administratives modifia profondkment le partage des responsabilitts entre la province et les municipalitts au profit du gouvernement provincial. Dot6 d’une structure administrative plus moderne, il devait assurer une meilleure repartition des biens et des services sur tout le territoire. Plusieurs auteurs et observateurs n’ont pas manque d’analyser les incidences de cette rCforme. Presque tous s’accordent pour dire qu’elle a transforme en profondeur l’administration interne de la province.

Mais qu’allait-il advenir des relations du Nouveau-Brunswick avec le reste du Canada? La province mettrait-t-elle en place des structures et des mecanismes modernes comparables P ceux qu’elle avait dCveloppCs pour son administra- tion interne? Plus tard, les gouvernements Hatfield et McKenna, ?i l’instar du reste du pays, accorderaient-ils aux relations intergouvernementales la meme importance en termes de structures et de personnel?

Les annees Robichaud Cornmencons par la pCriode Robichaud (1960-1970). Un mois B peine aprks son Clection, le nouveau premier ministre Louis J. Robichaud prenait part, le 25 juillet 1960,B une conference ftdkrale-provinciale prCsidee par le premier ministre federal John Diefenbaker’. Quelques mois plus tard, soit en dCcem- bre 1960, cette fois-ci P la demande de Jean Lesage, premier ministre du QuCbec, il participait P une conference interprovinciale, devenue depuis lors une activitC annuellea.

Le nouveau gouvernement Robichaud disposa donc de peu de temps pour se prCparer P ces premieres confkrences de premiers ministres. De plus, son prCdCcesseur, Hugh John Flemming, ne lui avait apparemment pas fourni de documentation nCcessaire pour faciliter la passation des pouvoirs. Au dire de Louis J. Robichaud, H. J. Flemming avait nCgligC entikrement les relations intergou~ernementales~. I1 fallait donc partir de ztro. Aussi dCcida-t-il de rencontre Jean Lesage pour discuter longuement de ces confCrences. I1 fit aussi appel a m connaissances de l’avocat montrkalais bien connu, Carl Goldenberg, pour la prCparation des mCmoires. Le chef libCd recut Cgalement l’aide de son ministre des Finances, Doug DesBrisay, de son sous-ministre des Finances, Doug Rouse, et de son premier conseiller Cconomique, Fred Drummie.

7 Secretariat des confkrences intergouvernementales canadiennes, Confirences fidirales- provinciales des Premiers ministres, 1906-1985, Ottawa, 1986, p. 28. 8 Secretariat des conferences intergouvernementales canadiennes, ConJkrences des Premiers ministres provinciaw, 1887-1986, Ottawa, 1986, p. 1 . 9 Entrevue en fevrier 1990 avec le trhs honorable Louis J. Robichaud, Premier ministre du Nouveau-Brunswick, de 1960 ii 1970.

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Mais, pendant toute la d u d e de son mandat, Louis J. Robichaud gCra lui- mCme tous les dossiers intergouvernementaux. Comme il le reconnait B juste titre, il ttait self-appointed et responsable de toutes les relations de son gouvernement avec celui des autres provinces, du Canada et des autorites internationales, ces questions Ctant trop importantes pour les dClCguer P qui que ce fGt. Bien qu’il consulta certains fonctionnaires et conseillers clCs, chaque decision devait etre entCrinCe par le Bureau du Premier ministre et celui-ci se rkservait en tout un droit de regardlo. D’une certaine facon, la direction assurCe par Louis J. Robichaud favorisa 1’Cmergence d’une structure de coordination, sinon de contrAle, des relations intergouvernementales dans la mesure oh toute question concernant ce secteur lui Ctait soumise.

Louis J. Robichaud fut le promoteur d’importantes initiatives dans le domaine intergouvernemental. En 1964, il insista sur la nCcessitC d’Ctudier, avec la Nouvelle-Ecosse et l’le-du-Prince-Edouard, la question de l’union des provinces Maritimes. D’aprhs lui, la grande rivalit6 qui animait ces trois provinces, surtout le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-kcosse, pour l’obten- tion de nouvelles industries, Ctait improductive. Une plus grande cooptration devenait urgente. Quant aux Acadiens, il les considCrait assez forts pour se defendre dans 1’CventualitC d‘une intkgration des Maritimes”.

En ce qui concerne le QuCbec, le Premier ministre du Nouveau-Brunswick sut maintenir des contacts assez Ctroits avec la abelle province.. D’abord avec les Cquipes de Jean Lesage et Paul GCrin-Lajoie, puis avec celles de Daniel Johnson, Jean-Jacques Bertrand et Claude Morin. Tout fier Acadien qu’il Ctait, il ne se laissait pas convaincre facilement par les nouvelles aspirations nationalistes du Quebec, du moins pas en ce qui concernait une prCsence outre-frontikre trop marquee. Lorsqu’il signa 1’Entente de coopCration Quebec- Nouveau-Brunswick, il s’opposa B la presence d’un bureau du Quebec dans sa province. FCdCraliste convaincu, Louis J. Robichaud fut 1’alliC du gouverne- ment central dans ses nombreux dCm2lCs avec un Qutbec de plus en plus autonomiste et une France plus interventionniste. I1 fut, par exemple, choquC par le cri du .Vive le QuCbec libre. de Charles de Gaulle en 196712. Deux ans plus tard, B la demande d’Ottawa, il accepta que sa province prCsid5t la dClCgation canadienne 2 une ConfCrence internationale des ministres d’Cdu- cation francophones au CongoI3. I1 espCrait ainsi que les relations culturelles internationales du Nouveau-Brunswick amenuiseraient quelque peu 1’Cclat des relations France-Q~Cbec‘~.

10 Ibid. 11 Ibid. 12 Entrevue en octobre 1989 avec un ancien haut fonctionnaire du gouverneinent Robichaud. 13 T. A. Levy, <<Le rBle des provinces*, dans P. Painchaud (sous la direction de), Le Canada el le Quebec sur la sdne internationale, Montreal, Les Presses de 1’Universite du Quebec, 1977, p. 140. 14 Ibid., p. 140.

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STRUCTURE DE GESTION DES AFFAIRES INTERGOUVERA‘EMENTALE

L‘Cmergence de la francophonie internationale vers la fin des annCes 1960 fut pour le Nouveau-Brunswick, contrairement P la majorit6 des autres provinces canadiennes, l’occasion d’entretenir de nouvelles relations intergouvernementales sur la scene extkrieure. Faute de structure provinciale pour s’occuper de ce nouveau domaine, le Nouveau-Brunswick faisait souvent appel pour diriger ces dossiers, P des fonctionnaires cadres francophones comme le sous-ministre de l’Educationt5. Mais le Premier ministre veillait toujours P ce que sa province fGt reprksentke B l’extkrieur comme il l’enten- dait. Le gouvernement Robichaud devait m&me commencer participer sur une base ad hoc P des conferences ministkrielles de la francophoniet6.. Ce faisant, il jetait les bases d’une future institutionnalisation de la cooptration francophone internationale.

Sur la scitne canadienne, tout en privilkgiant une approche plutat informelle, Louis J. Robichaud avait aussi pris des mesures susceptibles de deboucher sur le dkveloppement de nouvelles structures d e coopCration intergouvernementale. Son initiative en faveur d’une Ctude de l’union des Maritimes aboutira plus tard B la creation du Conseil des Premiers ministres des Maritimes. Ses contacts faciles avec les reprksentants des diffkrents gouvernements qukbtcois et l’appui enthousiaste qu’il accordera au premier ministre de I’Ontario, John Robarts, pour sa CcConfCrence de la confCdCration de demain., lui permirent de convaincre Ottawa d’engager un meilleur dialogue (appelC fkdkralisme coopCratif) avec les provincest7.

En dCpit de ses nombreux contacts avec les autres gouvernements, Louis J. Robichaud avait B peine rkussi B donner a sa province, B la fin de son mandat, un embryon de structures intergouvei-nementales. L’importance qu’il avait accordke 5 la modernisation de l’appareil gouvernemental provincial et municipal n’avait pas entrain6 une rCforme structurelle des relations intergouvernementales. I1 favorisait les contacts directs avec ses homologues provinciaux et federal et ne sentait pas le besoin de crker de nouveaux organismes pour s’en occuper. De plus, la reprksentation de son gouverne- ment P l’extkrieur de sa province Ctait trop importante pour qu’elle filt d6lCguCe P qui que ce filt.

Esprit pragmatique d’abord et avant tout, Louis J. Robichaud tenait B garder la haute main sur tous les dossiers importants. I1 surveillait trks Ctroitement le fonctionnement interne de son administration; les reunions du Conseil des ministres se faisaient m&me habituellement sans la prksence de fonctionnai- res18. Aussi, comment un gouvernement n’ayant pas encore de SecrCtariat du Conseil des ministres aurait-il pu justifier la creation d’un Secrktariat des affaires intergouvernementales?

15 Entrevue en novenibre 1989 avec un ancien sous-ministre des gouvernements Robichaud et Hatfield. 16 Egulitd, no 26, automne 1989, p. 55. 17 Entrevue en aoGt 1989 avec un ancien haut fonctionnaire du gouvernement Robichaud. 18 Ibid.

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Les annees Hatfield Aprks trois mandats successifs et dix annees de pouvoir, le gouvernement liberal de Louis J. Robichaud fut remplack le 26 octobre 1970 par les conservateurs de Richard Hatfield. Contrairement &son prCdecesseur, Richard Hatfield put compter sur les conseils et les dossiers du gouvernement sortant avant la passation des pouvoirsig. Toutefois, en ce qui concerne la structure et le fonctionnement interne du Conseil des ministres, le gouvernement Robichaud ne lCguait pas grand-chose P son successeur, surtout pas dans le domaine des relations intergouvernementales.

Les nouveaux gouvernements veulent gCnCralement se donner de nouvelles structures, afin de consolider leur pouvoir et de signaler des changements de direction dans leurs politiques gouvernementales. Le changement organisationnel le plus important au debut du premier mandat du gouverne- ment Hatfield fut sans doute la creation du SecrCtariat du Conseil des ministres. Le Secretariat Ctait dirigk, entre autres, par quatre sous-ministres adjoints, dont le premier directeur des affaires intergouvernementales, Barry TooleZ0. Tout au long des dix-sept annCes du gouvernement Hatfield, il fut, sauf pour la francophonie, le principal fonctionnaire responsable des grands dossiers intergouvernementaux. I1 relevait directement du premier ministre Hatfield, qui, comme son prCdCcesseur, continua P s’interesser de t r b prks aux relations intergouvernementales de sa province et P diriger tous les dossiers.

En effet, de par son style de gouvernement et ses intCrCts personnels, Richard Hatfield fit des affaires intergouvernementales, dans presque tous leurs domaines, son fief privilCgiC. Grand voyageur et analyste minutieux du fCdCralisme canadien, il s’intkressa d’une facon particulikre ii la question de la reforme constitutionnelle, P la reconnaissance de la spCcificitC du Quebec et du fait franqais en gCnCral, dont le prolongement accordait au Nouveau- Brunswick une plus grande prCsence sur la sckne de la francophonie interna- tionale. Cependant, les premikres preoccupations intergouvernementales importantes auxquelles le nouveau gouvernement Hatfield dut repondre ne concernaient ni la question internationale ni la sckne fCdCrale comme telle, mais plut6t un sujet B la fois local et regional. I1 s’agissait pour le Nouveau- Brunswick de se prononcer sur le contenu du rapport Deutsch et l’union des provinces Maritimes.

Ardent dkfenseur d’une plus grande intkgration des Maritimes, le Premier ministre devint rapidement l’un des partisans les plus convaincus de la philosophie du rapport, laquelle allait meme jusqu’a prkconiser l’union politique des Maritimes. Politiquement inacceptable comme rkforme 5 court terme, cette option fut remplacte par la crkation du Conseil des Premiers

19 L. J. Robichaud, op. cit. 20 Entrevue en aofit 1989 avec un sous-ministre des gouvernements Hatfield et McKenna.

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STRUCTURE DE GESTION DES AFFAIRES INTERGOUVERNEMENTALE

ministres des Maritinies en 1971. Richard Hatfield appuya fortement ce Conseil et ses differentes activitks d’intkgration regionale, dont il confia la responsabilitk P son nouveau directeur des affaires intergouvernementales, Barry Toole. Ce dernier s’en occupa jusqu’a la fin de son mandat sous la direction immtdiate du Premier ministre.

Mais le secteur intergouvernemental auquel le chef conservateur accorda le plus d’importance fut sQrement celui des relations fCdCrales-provinciales, plus spkcialement les projets de rkforme constitutionnelle. Le rttgne de son gouvernement, durant les annCes 1970 et la premicre moitit des annkes 1980, coincida avec I’apogCe du fCdCralisme exkcutif. Cette pCriode fut caractkriske par une forte concentration de pouvoir au sein de l’extcutif, permettant ainsi aux porte-parole gouvernementaux, en particulier aux premiers ministres, de formuler pour leurs provinces respectives leur vision du fCdCralisme canadien de demain.

L’avhement au pouvoir du Parti qutbkcois, suivi du rCfCrendum qukbkcois sur la souverainett-association, avait f o r d le reste du Canada 2 s’interroger sur son avenir. Le gouvernement Hatfield participa intenskment 2 ce dCbat, servant souvent de conciliateur entre la rigidit6 du gouvernement fCdkral et celle de certaines provinces.

Pour mieux coordonner la gestion de ses affaires intergouvernementales, le Quebec avait crCC, dtts le debut des annCes 1960, un ministttre des Relations fCdCrales-provincialeszL. Au milieu des annCes 1970, le gouvernement fCdkral et la majoritk des autres provinces en avaient fait autantzz. Le Nouveau- Brunswick, protagoniste dans plusieurs dossiers intergouvernementaux, ne crut pourtant pas opportun de crCer une telle structure. Comment peut-on expliquer cela?

I1 faut se rappeler que le Nouveau-Brunswick s’ktait effectivement donnk une structure de coordination gouvernementale avec la creation du SecrCta- riat du Conseil des ministres depuis le dkbut de 1971. Compare au gouverne- ment Robichaud qui devait se fier au ministttre des Finances et i un Conseil du TrCsor renforcC, le nouveau Secretariat representait une innovation importante pour la coordination de l’administration gouvernementale de la provincez3. De cette facon, le Premier ministre pouvait, par exemple, dClCguer 2 diffkrentes directions du Secretariat des questions de politiques sociales ou Cconomiques, qui seraient ensuite saisies par les ministttres concernts. Mais dans le domaine des affaires intergouvernementales, le directeur Barry Toole n’avait pas d’autre interlocuteur officiel que Richard Hatfield lui-m&me. Ce dernier Ctait, en effet, de plein droit le ministre des Affaires intergou~ernementales~~. Son prCdCcesseur, Louis J. Robichaud, ktait d’avis que le chef du gouvernement devait s’occuper directement des questions qui

21 T. B. Woolstencroft, op. ci t . , p. 2. 22 Entrevue en aoCt 1989 avec un ancien sousministre du gouvernement Hatfield. 23 Ibid. 24 Ibid.

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touchaient B la reprksentation de la province auprks d’autres gouverne- m e n t ~ ~ ~ . Richard Hatfield avait un intCr&t marquk pour ce domaine, plus particulikrement pour la rCforme de la Constitution canadienne et pour une plus grande reconnaissance de la spkcificitk du Canada francais au pays26.

L’absence de ministkre des Affaires intergouvernementales permit B Richard Hatfield de s’occuper de ces questions sans avoir B gkrer une structure bureaucratique comme telle. C’Ctait B la fois une question de style et d’Ccono- mie2’. Le chef conservateur prCfCrait consulter diffkrentes personnes au sein de son administration, et B l’extkrieur, avant d’engager son gouvernement. De plus, il considCrait sa province trop petite pour justifier les dkpenses supplC- mentaires qu’occasionnerait la crkation d’un nouveau ministh-e2s. I1 avait constate que les gouvernements qui avaient constituk d’importantes agences centrales dans le domaine des affaires intergouvernementales finissaient presque tous par entretenir des relations encore plus conflictuelles avec l’autre palier de gouvernement29. Le Nouveau-Brunswick ne cherchant pas B polariser davantage le rapport de forces entre Ottawa et les provinces, il n’Ctait pas convaincu de la nCcessitC d’un tel ministkre pour sa province.

A part les relations fCdCrales-provinciales et inter-provinciales, le Nouveau- Brunswick avait aussi un autre type de relations intergouvernementales qui, au fil des annkes, prenait de plus en plus d’importance, soit celui d’une participation grandissante 2 la francophonie internationale. Rappelons que vers la fin des annkes 1960, le gouvernement Robichaud, B la demande &Ottawa qui cherchait B chapeauter les nouvelles interventions nationalistes du QuCbec sur la sckne internationale, avait fini par accepter une reprksenta- tion de la province au sein de la francophoniegO.

Grand dkfenseur des droits des Acadiens et partisan d’une plus grande ouverture de sa province sur le monde extkrieuf“, le premier ministre Richard Hatfield continua l’engagement de son prCdCcesseur. En 19’7’7, il fit un pas dCcisif dans ce sens, en acceptant que le Nouveau-Brunswick devienne membre de 1’Agence de cooperation culturelle et technique (I’ACCT) B titre de gouvernement participant3‘. Le dossier de la francophonie, peut-&re encore plus que les autres doniaines des relations intergouvernementales, fut administrC de faGon ponctuelle pendant cette ~ C r i o d e ~ ~ . I1 faut bien reconnai- tre que, pour la trks grande majoritk des anglophones de la province, la

25 Louis J. Robichaud, op. cit. 26 Entrevue en aoQt 1989 avec un sous-ministre des gouverneinents Hatfield et McKenna. 27 Entrevue en aoct 1989 avec un ancien sous-ininistre du gouverneinent Hatfield. 28 Ibid. 29 Entrevue en aoQt 1989 avec un haut fonctionnaire des gouvernenients Hatfieldet McKenna. 30 Egaliti, op. cit . , p. 56. 31 *En noveinbre 1972, Richard Hatfield devint le premier chef du gouverneinent du Nouveau- Brunswick a effectuer une visite officielle en France., T. A. Levy, op. cit., p. 139. 32 &gal&!, op. cit., p. 58. 33 Entrevue en novembre 1989 avec un ancien sous-ininistre des gouvernenients Robichaud et Hatfield.

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STRUCTURE DE GESTlON DES AFFAIRES INTERCOUVERNEMENTALE

francophonie ne constituait pas une prior it^?^. De plus, le directeur des relations intergouvernementales ne fut pas invite 2 s’en occuper. Le gouver- nement se contenta dattribuer les nombreuses questions touchant au sujet P des fonctionnaires francophones cadres, par exemple au sous-ministre de l’kducation ou 2 des hauts fonctionnaires dans l’entourage du Secretariat du Conseil des ministres. A partirdu milieu des annCes 1970, avec la creation d’un nouveau ministkre des Loisirs et des Ressources culturelles dirige par deux francophones, le ministre Jean-Pierre Ouellet et le sous-ministre Normand Martin, la plupart des questions touchant a ce secteur leur furent confi15es~~. A toutes fins utiles, Jean-Pierre Ouellet devenait le ministre provincial de la francophonie.

Au terme du gouvernement Hatfield, le Nouveau-Brunswick, compte tenu surtout de sa participation aux sommets francophones et P 1’Agence de coopCration culturelle et technique, avait donc acquis une certaine place dans la francophonie internationale. Dans le cadre gCnCral des relations fCdCrales- provinciales et intergouvernementales, il avait aussi jou t un r61e assez impor- tant avec ses differents interlocuteurs. Mais, un peu 2 l’instar du gouverne- ment precedent, Richard Hatfield ne laissait 2 son successeur aucune struc- ture Ctablie pour l’administration quotidienne des dossiers inter- gouvernementaux.

Les premieres annees McKenna Peut-on attribuer A la gestion des questions intergouvernementales une part de la defaite cuisante du gouvernement Hatfield en 1987? A premikre vue, ce n’est peut-&re pas evident. L‘usure entrainCe par dix-sept annCes de pouvoir, les problkmes personnels de Richard Hatfield durant les dernikres annCes de sa direction, la presence d’un Parti liberal renouvelC ayant i s a tGte un nouveau chef, Frank McKenna, peuvent sGrement mieux expliquer cette victoire sans prCcCdent des LibCraux. Toutefois, 1’Clection de 1987 Ctait peut-Gtre diffC- rente dans la mesure oh la question du leadership du Premier ministre sortant Ctait au coeur de tout le dCbat Clectoral. Rappelons, P ce sujet, que Richard Hatfield Ctait accuse d’avoir negligC sa province souvent au profit de ses activitks 2 I’extCrieur du Nouveau-Brunswick.

I1 est vrai que l’opposition ne contestait pas tellement les politiques fondamentales des Conservateurs dans les grands dossiers inter- gouvernementaux (sauf les reserves des LibCraux concernant 1’Accord du lac Meech). Cependant, les LibCraux entrevoyaient dCjA dans leur plate-forme electorale la creation d’un nouveau ministkre des Affaires inter- gouvernementales. Aussitat port6 au pouvoir, Frank McKenna nommait

34 D’aprPs T. A. Levy, op. cit., -... i titre de gouvernement de provinces ou les francophones sont au mieux le groupe minoritaire le plus large, la reprksentation du fait francais ne peut gukre constituer une preoccupation P temps plein.. 35 Entrevue en aoiit 1989 avec un sous-ministre des gouvernenients Hatfield et McKenna.

33 ADMINISTRATION PUBLIQUE DU CANADA

PHILIPPE DOUCET. ROGER OUELLETTE

l’ancienne prCsidente du Parti libCral, AldCa Landry, responsable du ministhe des Affaires intergouvernementales. L‘un des principaux collaborateurs du chef libCral, Francis McCuire, Ctait nommC sous-ministre de ce nouveau ministtre. Le nouveau Premier ministre tenait B se dCmarquer de son prCdCcesseur en choisissant d’innover par la crkation de cette structure.

Indtpendamment des motifs de politique partisane, plusieurs autres rai- sons militaient sans doute en faveur de ce nouveau ministkre, la principale &ant sfirement le besoin d’assurer une meilleure coordination des relations intergouvernementales de la province. Cette proposition avait CtC faite auparavant, quoique jamais de faqon officielle, sans pour autant convaincre Richard Hatfield et ses principaux con~ei l lers~~. A vrai dire, l’absence d’un tel ministtre ne l’avait pas emp&chC apparemment de tirer son Cpingle du jeuS7. Comment peut-on alors expliquer le changement d’attitude de son succes- seur?

Une combinaison de facteurs internes et externes incita le Nouveau- Brunswick et son nouveau Premier ministre P se doter d’une structure intergouvernementale mieux dCfinie. Rappelons qu’une trentaine d’annkes plus t8t, le QuCbec avait innovC en Ctant la premitre province B crCer un ministtre des Affaires intergouvernementales. Une dCcennie plus tard, 1’Alberta imitait le modtle qutbtcoiss8. Dans les deux cas, la taille des provinces en cause et la nature de leurs revendications auprts des autorites fCdCrales avaient convaincu ces gouvernements de la ntcessi t t de structures intergouvernementales fortes.

Quelques annees plus tard, soit en 1975, Terre-Neuve, province beaucoup moins peuplCe, optait en faveur d’une fonction intergouvernementale sem- blable P celle du Quebec et de 1’Albertas9. MalgrC sa dimension rtduite et des ressources financieres et humaines modestes, Terre-Neuve considtrait que certains de ses dossiers, comme les ressources pCtrolitres marines, nCcessi- taient un appareil gouvernemental complexe. Depuis lors, d’autres provinces, 1’Ontario notamment, ont elles aussi restructurk leur gestion des affaires intergouvernementales, souvent en fonction de facteurs internes ou externes, ou d’une combinaison des deux.

Au Nouveau-Brunswick, 1’arrivCe au pouvoir des LibCraux coincidait avec un accroissement constant de I’activitC intergouvernementale dans la pro- vince. En matikre constitutionnelle, 1’Accord du lac Meech constituait une question particuliikement importante pour le gouvernement McKenna. Sur le plan Cconomique, la nouvelle politique canadienne de libre-Cchange avec les &tats-Unis pourrait avoir des retombees considkrables pour la province, car

36 Ibid. 37 Ibid. 38 Bruce Pollard, Managing Ihe Znterjace, Kingston, Institute of Intcrgovernnicntal Relations,

39 Ibid., p. 9. 1986, p. 8-9.

34 CANADIAN PUBLIC ADMINISTRATION

STRUCTURE DE GESTION DES AFFAIRES INTERGOUVERNEMENTALE

le nouveau gouvernement misait beaucoup sur un dCveloppement Cconomi- que de plus en plus liC aux march& internationaux. Le deuxikme Sommet de la francophonie, qui venait d’avoir lieu QuCbec, avait aussi sensibilisC le gouvernement B l’importance de ce dossier et au besoin d’un meilleur encadrement. Sur la sckne regionale, finalement, l’avenir du Conseil des Premiers ministres des Maritimes Ctait, ici et 15, remis en question. DCfenseur d’une plus grande integration pour la region, Frank McKenna voulait s’assu- rer que son gouvernement fClt bien prCparC pour faire valoir son point de vue.

Le Premier ministre Clu se laissa donc facilement convaincre, lors des discussions qui entourkrent la passation des pouvoirs, de la nCcessitC de donner a la province son premier ministkre des Affaires intergouvernementales, imitant en cela Ottawa et plusieurs autres provinces canadiennes.

Cette dCcision, 2 l’automne 1987, de mettre en place une structure distincte pour les relations intergouvernementales aurait CtC like P celle d’un rCamCnagement majeur du SecrCtariat du Conseil des m i n i ~ t r e s ~ ~ . Celui-ci Ctait probablement percu comine trop assirnil6 au gouvernement Hatfield pour &re retenu comme tel par son successeur; d’autant que l’opposition libCrale avait pretendu que le Secrttariat et les autres agences centrales avaient plus ou moins dirigt le gouvernement durant les deux dernikres annCes du rtgime Hatfield4’.

La creation du ministkre des Affaires intergouvernementales ne fit pas l’objet d’une loi particulikre. Le gouvernement se contenta de modifier la Loi sur le Conseil exkcutifpour ajouter a la liste des ministkres celui des Affaires intergouvernementales. Faut-il y voir l’existence d’une certaine rivalit6 entre le nouveau ministkre, les autres agences centrales et les ministkres tradition- n e l ~ ~ ~ ? Ou s’agit-il seulement d’un dCtail dont le nouveau gouvernement n’avait pas jug6 bon de s’occuper? La seconde hypothkse semble Etre plus plausible, car depuis sa creation, il ne semble pas y avoir eu beaucoup de friction entre ce ministkre et les autres, du moins pas au sein du Conseil des mini st re^^^. De plus, beaucoup de ministkres sont crCCs par une simple modification legislative.

I1 est permis de se demander si, dans les faits, la prksence de ce nouveau ministkre a apportt beaucoup d’innovation dans les mecanismes de prise de dCcision et dans l’administration des affaires intergouvernementales. En ce qui concerne le personnel administratif, on remarque une certaine continuit6 avec le passe. Par exemple, le sous-ministre actuel, Don Dennison, fut durant toute la pCriode Hatfield l’adjoint du directeur, Barry Toole. Mais, chose plus importante, en depit d’une ministre assez influente 2 la t$te de ce ministkre, c’est encore au Bureau du Premier ministre que sont acheminees toutes les

40 Entrevue en aoiit 1989 avec un sousministre des gouvernements Hatfield el McKenna. 41 Ibid. 42 Ibid. 43 Entrevue en noveinbre 1989 avec i i i i aiicien sous-ministre du gouveriieiiienl McKenna.

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PHILIPPE DOUCET, ROGER OUELLETTE

questions intergouvernementales importantes comme durant les gouverne- ments,Robichaud et Hatfield44. Quant au style de Frank McKenna, la plupart des observateurs pensent qu’il dirige davantage encore les principaux dossiers gouvernementaux, y compris ceux du secteur intergouvernemental. Dans une province de la taille du Nouveau-Brunswick, le Premier ministre est contraint de s’occuper lui-mCme de ces questions import ante^^^.

Les gouvernements et leurs modes de fonctionnement reflktent souvent le milieu et les coutumes de 1’Cpoq~e~~. La deuxicme moitiC des annCes 1980 reprksentait en quelque sorte l’apogke du fCdCralisme exCcutif, caractCrisC par la predominance du r61e des premiers ministres. Le fait qu’il dirige un parti sans opposition ii 1’AssemblCe legislative a peut-Ctre pousst le chef 1ibCral P s’occuper hi-mCme des principaux dossiers intergouvernementaux, comme ceux du lac Meech et de l’union Cconomique des Maritimes.

I1 n’est pas certain que cette concentration du pouvoir 5 l’intkrieur du Bureau du Premier ministre ou la pratique d‘un fCdCralisme exCcutif soient encore valables pour diriger la federation canadienne. Bien que certains auteurs pensent que nos gouvernements contemporains sont assez puissants pour modeler la sociCtC B leur il y a sans doute des limites P cette tendance. Pareil au pendule qui finit toujours par osciller dans l’autre direction, le fCdCralisme inter-Ctatique ckdera-t-il Cventuellement du terrain au fkdkralisme intra-Ctatique? Dans cette nouvelle optique, les differents comitCs parlementaires, une assemblke constituante, un SCnat Clu et un recours plus gkntralisC au rCfCrendum pourraient fort bien rCduire considCrablement les larges pouvoirs discrktionnaires dont jouissent les premiers ministres au Canada.

Conclusion Pendant que le QuCbec connaissait sa a-holution tranquille, du debut des annCes 1960, le Nouveau-Brunswick vivait, B la mcme Cpoque, des transforma- tions importantes au sein de son administration gouvernementale. La partie principale de ce processus de modernisation fut certes le programme de Chances Cgales; celui-ci visait une plus grande standardisation des services offerts 3 la population de la province. Mais, au delh des questions internes, le Nouveau-Brunswick dut aussi s’ouvrir davantage au reste du Canada et mCme a la sckne internationale (principalement 21 la francophonie). On assista donc, entre 1960 et 1990, a une Cvolution de la structure de gestion des affaires intergouvernementales, qui s’est dernikrement concrCtisCe sur le plan formel lors de la crkation d’un ministcre des Affaires intergouvernementales par le gouvernement McKenna.

44 Entrevue en aoct 1989 avec un sous-ministre des gouvernernents Hatfield et McKenna. 45 Entrevue en aoct 1989 avec un ancien sous-ministre du gouvernement Hatfield. 46 Entrevue en aoct 1989 avec un sous-ministre des gouvernernents Hatficld et McKenna. 47 A. Cairns, “Governments and Societies of Canadian Federalism”, Revue canadienne descience politique, vol. X., no 4, dCcembre 1977.

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STRUCTURE DE GESTION DES AFFAIRES INTERGOUVERNEMENTALE

Toutefois, ce minist6re n’a pas CtC crCC par une loi constitutive habilitante. I1 est plut8t le rCsultat d’un rCamCnagement important du Secretariat du Conseil des ministres Ctabli par le gouvernement Hatfield, SecrCtariat dont il regroupe d’ailleurs les principales composantes.

Qui plus est, le Bureau du Premier ministre continue P jouer un rBle tres important dans les dossiers des affaires intergouvernementales, comme ce fut le cas auparavant. Meme si la pkriode Hatfield a CtC caractCrisCe par un petit Bureau du Premier ministre, il faut savoir que celui-ci Ctait couplC P un SecrCtariat du Conseil des ministres puissant que d’aucuns voyaient comme le prolongement du Bureau du Premier ministre. Pour ce qui est du gouver- nement McKenna, le nouveau ministhe des Affaires intergouvernementales n’a toujours pas le pouvoir nCcessaire pour s’imposer rkellement aupres des autres ministkres, et encore moins devant le Premier ministre lui-meme.

En definitive, I’holution de la structure de gestion des affaires inter- gouvernementales au Nouveau-Brunswick n’a jamais connu de changements profonds et rCels. C’est toujours le Premier ministre actuel et son Bureau qui dirigent les dossiers clCs comme ce fut le cas pour ses deux prCdCcesseurs. Au demeurant, la personnalitk de ces trois premiers ministres, leur intCrGt pour les affaires intergouvernementales et la dimension rCduite du Nouveau- Brunswick et de son appareil gouvernemental peuvent sans doute expliquer en bonne partie cette situation.

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