Élevages et sociétés : les rôles multiples de l’élevage

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Partout dans le monde, l’élevage a marqué de son empreinte les sociétés et les espaces. Dans les pays du Sud, zones à fortes contraintes climatiques, envi- ronnementales et socio-économiques, l’élevage et ses activités dérivées struc- turent probablement de façon plus mar- quée qu’ailleurs, à la fois la vie écono- mique des ménages et des groupes de ménages, mais aussi la majorité des événements sociaux, culturels ou reli- gieux. Cependant, les changements à l’œu- vre aujourd’hui (perturbations clima- tiques, accroissement de la pression démographique, urbanisation, intensifi- cation des productions, emprise du mar- ché, internationalisation des échanges) induisent toute une série d’activités en lien avec l’élevage, et des changements notoires de l’activité d’élevage elle- même que ce soit dans les zones rura- les ou périurbaines, voire urbaines (Steinfeld et al 2010). Plus encore que dans le passé (du fait des changements évoqués ci-dessus), et de façon plus marquée sans doute que dans les pays du Nord, l’élevage assure de multiples fonctions, promouvant à la fois des acti- vités d’appoint pour assurer la couver- ture en produits alimentaires du ména- ge, la diversification des sources de revenus pour des besoins de trésorerie de la famille, la capitalisation des sur- plus sous forme d’épargne ou des activi- tés de valorisation et de commercialisa- tion des produits d’élevage (Duteurtre et Faye 2009). Un des moyens d’aborder la diversité des rôles de l’élevage est de reconnaître sa multifonctionnalité. La multifonc- tionnalité de l’agriculture a été souli- gnée par divers auteurs notamment dans les pays du Nord (Collectif groupe Polanyi 2008) mais aussi dans quelques pays du Sud comme au Brésil (Bittencourt Machado 2009). Les rôles multiples de l’élevage ont cependant été insuffisamment analysés, notamment dans les pays du Sud, dans la perspecti- ve de la défense d’une activité soumise à bien des controverses (Steinfeld et al 2006). D’ailleurs, l’identification du rôle particulièrement important de l’éle- vage dans les défis alimentaires du siè- cle à venir (Delgado et al 1999) conduit à s’interroger sur les autres fonctions de ce secteur qui connaît de fait d’impor- tantes mutations. Dans les pays du Sud, la spécificité de ces fonctions multiples tient moins à l’activité elle-même, quasi identique dans ses fondements à celle mise en œuvre au Nord, qu’aux contex- tes sociaux, culturels, économiques et climatiques qui en révèlent tout le poids dans la société. Nous aborderons dans cette synthèse successivement les fonctions environ- nementales, sociales et économiques de l’élevage, suivant en cela la typologie des fonctions multiples de l’agriculture proposée par Jean (2007 cité par Bittencourt Machado 2009). Les fonc- tions environnementales de l’élevage ne se réduisent pas à ses externalités posi- tives ou négatives, mais concernent sur- tout les capacités d’adaptation de l’acti- vité d’élevage à des conditions diffici- les. Les fonctions sociales sont considé- rées en tenant compte des contributions à la fois aux champs culturel et social des activités d’élevage. Enfin, les fonc- tions économiques doivent être abor- dées aussi bien dans l’économie des ménages que dans l’économie locale ou régionale, voire nationale. 1 / L’élevage comme activité d’adaptation à des condi- tions difficiles 1.1 / Adaptation aux conditions climatiques et environnemen- tales L’élevage occupe une grande diversi- té de milieux écologiques, agrono- miques et humains, bien qu’il reste l’ac- tivité dominante des environnements difficiles, impropres aux cultures, en raison : i) des conditions climatiques telles que les températures extrêmes ou les écarts de températures jour/nuit, le niveau d’aridité ou d’humidité, l’occur- rence des sécheresses, ii) des contrain- tes pédologiques (profondeur des sols, fertilité, texture, hydrologie, contraintes chimiques comme la salinité…) ou phy- siques telles qu’un relief accidenté. Les conditions d’aridité concernent plus des trois quarts des terres d’Afrique du Nord, d’Asie centrale et d’Ouest et plus INRA Productions Animales, 2011, numéro 1 INRA Prod. Anim., 2011, 24 (1), 145-156 V. ALARY 1 , G. DUTEURTRE 2 , B. FAYE 3,4,5 1 CIRAD, ICARDA, 15 G. Radwan Ibn El-Tabib St., Giza, Egypt, P.O. Box 2416, Cairo, Egypte 2 CIRAD, DRASEC Direction Régionale du Cirad, Bureau 102, Bât 2G, Cité diplomatique de Van Phuc, 298 Kim Ma, Hanoï, Vietnam 3 INRA, UMR0868 Systèmes d'Elevage Méditerranéens et Tropicaux, 2 place Viala, F-34060 Montpellier, France 4 CIRAD, Systèmes d'Elevage Méditerranéens et Tropicaux, Campus International de Baillarguet, F-34398 Montpellier, France 5 Supagro, Systèmes d'Elevage Méditerranéens et Tropicaux, 2 place Viala, F-34060 Montpellier, France Courriel : [email protected] Élevages et sociétés : les rôles multiples de l’élevage dans les pays tropicaux Par sa faculté à se développer dans des espaces très diversifiés (du désert à la forêt tropicale) et parfois restreints (hors-sol) ou dans des milieux agroécologiques extrêmes (haute montagne, désert), l’élevage constitue une opportunité et une sécurité alimentaire et économique pour une grande diversité de groupes sociaux. Il est aussi un marqueur socioculturel de nombreuses sociétés du Sud.

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Page 1: Élevages et sociétés : les rôles multiples de l’élevage

Partout dans le monde, l’élevage amarqué de son empreinte les sociétés etles espaces. Dans les pays du Sud, zonesà fortes contraintes climatiques, envi-ronnementales et socio-économiques,l’élevage et ses activités dérivées struc-turent probablement de façon plus mar-quée qu’ailleurs, à la fois la vie écono-mique des ménages et des groupes deménages, mais aussi la majorité desévénements sociaux, culturels ou reli-gieux.

Cependant, les changements à l’œu-vre aujourd’hui (perturbations clima-tiques, accroissement de la pressiondémographique, urbanisation, intensifi-cation des productions, emprise du mar-ché, internationalisation des échanges)induisent toute une série d’activités enlien avec l’élevage, et des changementsnotoires de l’activité d’élevage elle-même que ce soit dans les zones rura-les ou périurbaines, voire urbaines(Steinfeld et al 2010). Plus encore quedans le passé (du fait des changementsévoqués ci-dessus), et de façon plusmarquée sans doute que dans les paysdu Nord, l’élevage assure de multiplesfonctions, promouvant à la fois des acti-vités d’appoint pour assurer la couver-ture en produits alimentaires du ména-ge, la diversification des sources derevenus pour des besoins de trésoreriede la famille, la capitalisation des sur-plus sous forme d’épargne ou des activi-tés de valorisation et de commercialisa-tion des produits d’élevage (Duteurtreet Faye 2009).

Un des moyens d’aborder la diversitédes rôles de l’élevage est de reconnaîtresa multifonctionnalité. La multifonc-tionnalité de l’agriculture a été souli-gnée par divers auteurs notamment dansles pays du Nord (Collectif groupePolanyi 2008) mais aussi dans quelquespays du Sud comme au Brésil(Bittencourt Machado 2009). Les rôlesmultiples de l’élevage ont cependant étéinsuffisamment analysés, notammentdans les pays du Sud, dans la perspecti-ve de la défense d’une activité soumiseà bien des controverses (Steinfeld et al2006). D’ailleurs, l’identification durôle particulièrement important de l’éle-vage dans les défis alimentaires du siè-cle à venir (Delgado et al 1999) conduità s’interroger sur les autres fonctions dece secteur qui connaît de fait d’impor-tantes mutations. Dans les pays du Sud,la spécificité de ces fonctions multiplestient moins à l’activité elle-même, quasiidentique dans ses fondements à cellemise en œuvre au Nord, qu’aux contex-tes sociaux, culturels, économiques etclimatiques qui en révèlent tout le poidsdans la société.

Nous aborderons dans cette synthèsesuccessivement les fonctions environ-nementales, sociales et économiques del’élevage, suivant en cela la typologiedes fonctions multiples de l’agricultureproposée par Jean (2007 cité parBittencourt Machado 2009). Les fonc-tions environnementales de l’élevage nese réduisent pas à ses externalités posi-tives ou négatives, mais concernent sur-

tout les capacités d’adaptation de l’acti-vité d’élevage à des conditions diffici-les. Les fonctions sociales sont considé-rées en tenant compte des contributionsà la fois aux champs culturel et socialdes activités d’élevage. Enfin, les fonc-tions économiques doivent être abor-dées aussi bien dans l’économie desménages que dans l’économie locale ourégionale, voire nationale.

1 / L’élevage comme activitéd’adaptation à des condi-tions difficiles

1.1 / Adaptation aux conditionsclimatiques et environnemen-tales

L’élevage occupe une grande diversi-té de milieux écologiques, agrono-miques et humains, bien qu’il reste l’ac-tivité dominante des environnementsdifficiles, impropres aux cultures, enraison : i) des conditions climatiquestelles que les températures extrêmes oules écarts de températures jour/nuit, leniveau d’aridité ou d’humidité, l’occur-rence des sécheresses, ii) des contrain-tes pédologiques (profondeur des sols,fertilité, texture, hydrologie, contrainteschimiques comme la salinité…) ou phy-siques telles qu’un relief accidenté. Lesconditions d’aridité concernent plus destrois quarts des terres d’Afrique duNord, d’Asie centrale et d’Ouest et plus

INRA Productions Animales, 2011, numéro 1

INRA Prod. Anim.,2011, 24 (1), 145-156

V. ALARY1, G. DUTEURTRE2, B. FAYE3,4,5

1 CIRAD, ICARDA, 15 G. Radwan Ibn El-Tabib St., Giza, Egypt, P.O. Box 2416, Cairo, Egypte2 CIRAD, DRASEC Direction Régionale du Cirad, Bureau 102, Bât 2G, Cité diplomatique de Van Phuc,

298 Kim Ma, Hanoï, Vietnam3 INRA, UMR0868 Systèmes d'Elevage Méditerranéens et Tropicaux, 2 place Viala, F-34060 Montpellier, France

4 CIRAD, Systèmes d'Elevage Méditerranéens et Tropicaux, Campus International de Baillarguet, F-34398 Montpellier, France

5 Supagro, Systèmes d'Elevage Méditerranéens et Tropicaux, 2 place Viala, F-34060 Montpellier, FranceCourriel : [email protected]

Élevages et sociétés :les rôles multiples de l’élevagedans les pays tropicaux

Par sa faculté à se développer dans des espaces très diversifiés (du désert à la forêt tropicale)et parfois restreints (hors-sol) ou dans des milieux agroécologiques extrêmes (haute montagne,désert), l’élevage constitue une opportunité et une sécurité alimentaire et économique pour unegrande diversité de groupes sociaux. Il est aussi un marqueur socioculturel de nombreusessociétés du Sud.

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de la moitié des terres d’Afrique del’Ouest et du Sud. Pour tous cesmilieux, un facteur commun de survie etde développement socio-économiqueest bien l’élevage en tant que capital surpieds et source d’échanges et de revenuspour favoriser la vie sociale.

Le développement et le maintien desactivités d'élevage dans ces milieuxextrêmes sont principalement basés sur les mécanismes de résistance biologiques de certaines espèces ouraces (stockage d’eau chez les droma-daires, réserves énergétiques caudaleschez les brebis Barbarine de Tunisie) oula capacité à valoriser de multiples espè-ces végétales (Rutagwenda et al 1989).Les petits ruminants et dromadairesdominent largement les zones arides del’Asie de l’Ouest, d’Afrique du Nord etdu Nord Sahel (qui s’étend du Nord-Ouest de la Mauritanie au Nord-Est duTchad). Les camélidés offrent desopportunités d’activités aux limites dudésert pour les dromadaires et cha-meaux, ou aux plus hautes altitudespour les lamas et alpagas.

Dans ces zones, la mobilité a consti-tué un élément quasiment permanentd’adaptation aux contraintes du milieuet de gestion des ressources. Elle s’ins-crit autant dans l’itinérance à la recher-che de nouveaux parcours, la gestiond’une soudure entre bonne et mauvaiseannée, que dans les circuits de commer-cialisation qui se construisent sur desréseaux sociaux. Aujourd’hui, la mobi-lité de longue durée tend à se restrein-dre accompagnant le déclin du systèmenomade ou transhumant au profit desystèmes agropastoraux jusqu’auxconfins des zones arides. Les raisonssont multiples en lien avec des facteursexternes (crises climatiques ou poli-tiques qui ont obligé les éleveurs à déca-pitaliser puis se diversifier vers l’agri-culture (Arditi 2009), politiques desédentarisation plus ou moins forcées),et internes liés à la modernisation, auxaspirations des jeunes générations et àl’émancipation des dépendants (Alaryet El Mourid 2005). Ces systèmes agro-pastoraux sont multiples selon lesmilieux sociogéographiques et lesconditions agroclimatiques qui condi-tionnent l’importance des mécanismesde mobilité. Il existe ainsi un gradientdepuis les systèmes semi-nomades ettranshumants (comme certains groupesPeuls en Afrique subsaharienne, lesBédouins en Asie occidentale, ou lesBahimas en Ouganda…) aux systèmessédentaires ou encore systèmes mixtesagriculture-élevage qui englobent à lafois les cultivateurs qui investissentdans l’élevage pour conserver leur épar-gne et les éleveurs qui développent unsystème de culture, soit pour l’autocon-sommation, soit pour la vente (cultures

de rente) dans les zones pluviales. Lesprincipales différences entre ces deuxgrands systèmes concernent à la fois lataille du troupeau et le mode de gestiondes ressources. Si les semi-nomades ettranshumants restent très dépendantsdes ressources collectives, les systèmesmixtes et agropastoraux sont extrême-ment dépendants du foncier approprié.

Le développement du système agro-pastoral se traduit par une augmentationde l'utilisation des résidus de récolte dansl'alimentation animale, des céréales four-ragères et d'autres concentrés à travers lavaste zone dite semi-aride (100-400 mmde précipitations annuelles) qui s'étend duMaroc à la Mongolie (Nordblom et al1997), mais aussi dans les pays d’Afriquesubsaharienne (Corniaux et al 1999). Lescultures fourragères (orge, berseem, sor-gho, vesce, avoine) sont limitées auxzones irriguées. La majorité des agropas-teurs développe la production de céréalessur des terres marginales dont les rende-ments restent très dépendants des aléasclimatiques. En Afrique du Nord, les res-sources pastorales ne couvriraient plusque 10% des besoins (Nefzaoui et ElMourid 2008), ce qui constitue un facteurde dépendance accrue à la fois au marchémais aussi aux aides publiques en cas desécheresse et donc une fragilisation dessystèmes durant les mauvaises années cli-matiques

Ainsi, l’élevage peut être considérécomme un marqueur géographique denombreuses zones impropres à l’agri-culture, comme on peut l’observer dansles zones sahéliennes ou les zones step-piques du Maroc à la Mongolie selon ungradient Ouest/Est. Cette frange mar-quée par l’aridité est souvent le domai-

ne de sociétés dites d’éleveurs, dans lesens où l’activité d’élevage est au cœurde la structuration et l’organisationsociopolitique et spatiale des popula-tions.

1.2 / Moyen de survie ou de déve-loppement économique face auxchangements globaux

Dès que les conditions agrono-miques s’améliorent, se développentdes activités liées à l’élevage bovin etbubalin que l’on retrouve dans unebonne partie de l’Amérique du Sud,l’Afrique subsaharienne soudanaise etl’Asie du Sud. En Asie de l’Est, sousla pression démographique et foncière,le système d’élevage dominant combi-ne généralement des espèces à cyclecourt telles que les porcins et lesvolailles. En Asie du Sud (Inde) oudans la vallée du Nil (Egypte), on trou-ve des systèmes d’élevage de rumi-nants en quasi hors-sol, utilisant peude place, très proches finalement dumodèle de basse-cour (Bravo-Baumann 2000) où les animaux sontélevés dans la cour de la maison avecun modèle d’alimentation à l’auge.

Aujourd’hui, avec la segmentationdes territoires (par les frontières)notamment en Afrique, les migrationsde colonisation se sont plus ou moinstaries laissant la place à des migrationséconomiques déterminées par la pau-vreté et l’exclusion (Auclair et al2001). Cette migration a changé decontour : elle prend un caractère plusindividuel et familial que collectif, ellese complexifie sous l’effet de flux deréversibilité. Elle s’accompagne deprofonds changements des milieux,

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Photo 1. Elevage de petits ruminants dans la New Valley (Egypte).

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notamment la conversion des espacesforestiers et des savanes en terres agri-coles, avec ses conséquences directessur l’érosion des sols, la déforestation,l’appauvrissement des terres. Elles’accompagne aussi d’une évolutiondes sociétés : changements de modede vie, mutations sociales et familia-les. Dans ces mutations, on observe lerôle actif de l’élevage dans l’avancéedes fronts pionniers, notamment grâceà l’utilisation de la force animale(traction attelée). Cette activité est certes souvent décriée pour son impactdans la déforestation et la substitution ducouvert forestier par les pâturages.Toutefois, ces dynamiques environne-mentales peuvent être également luescomme des constructions paysagèresnouvelles, dans lesquelles il s’agit moinsde vilipender l’élevage que de trouver unnouvel équilibre entre les différentsagroécosystèmes (Bommel et al 2010).Ainsi, en Amazonie, l’élevage peut êtreaussi vu comme un moyen d’anthropiserdes espaces forestiers, jusqu’alors peufréquentés par l’Homme, en ouvrantla voie au développement agricole(Ickowicz et al 2010).

L’élevage joue aussi un rôle essen-tiel dans les systèmes agricoles pour lemaintien de la fertilité des sols. Oncitera, à titre d’exemple, les établesfumières du Sénégal ou du Burundi oùla production de lait devient (en ter-mes de revenu et d’intérêt agrono-mique) un produit secondaire par rap-port au fumier, principal produit pourle développement des cultures vivriè-res intensives dans des régions ruralesà forte densité.

Parfois grâce à ses produits, sesmodes de production et les formesd’organisation sociale associées, l’éle-vage peut devenir un marqueur du ter-ritoire en générant une successiond’activités économiques, comme celaest par exemple observé dans certaineszones où la production laitière s’estfortement développée. On peut citer lecas du Sénégal (Sow-Dia et al 2007)ou du Pérou (Aubron 2007). L’activitélaitière induit aussi un ensemble d’activités sociales et économiques enamont (matériel de traite, intrantsvétérinaires et aliments pour bétail…)et en aval (réseaux de transformationet de distribution, outils de valorisa-tion…), qui en font un moteur dudéveloppement local.

De fait, l’élevage ne se cantonnepas aux zones difficiles bien qu’il ensoit la principale activité quand lesconditions climatiques ou pédolo-giques ne permettent plus de cultiver.Toutefois, l’élevage grâce à sa mobi-lité et ses capacités d’adaptation auxconditions climatiques difficiles

constitue une activité essentielle desurvie, voire de développement. Ainsil’élevage s’inscrit comme un moyend’adaptation des sociétés aux condi-tions du milieu et aux changementsextérieurs. Il se situe à l’interfaceentre la société et la gestion dumilieu, répondant directement auxchangements du milieu et induisantégalement des transformations desécosystèmes (en partant ou en arri-vant).

2 / Les troupeaux : entrecontribution culturelle etcapital social

2.1 / Les dimensions sociales,culturelles et symboliques desanimaux

De nombreux travaux en anthropolo-gie et sociologie ont mis en évidencedifférentes contributions de l’élevage àla structuration politique et l’organisa-tion socioculturelle des sociétés d’éle-veurs, notamment en Afrique subsaha-rienne (voir par exemple Bernus 1975,1981 et Bonte 2007, 2008). Certains tra-vaux s’intéressent aux modes de viesdes éleveurs et mettent en exergue cer-tains traits relatifs à l’habitat, au territoi-re, aux techniques d’élevage, commeaux fonctions symboliques du bétail.D’autres insistent davantage sur l’orga-nisation socio-institutionnelle de cessociétés et sur les règles qui structurentà la fois leur mode de vie (gestion del’espace et des ressources, sécurisationd’un habitat) et sa reproduction (systè-me matrimonial, identité symbolique).Si l’approche culturelle des sociétésd’éleveurs basées sur le nomadisme, enopposition aux sociétés sédentaires, faittoujours débat en matière de facteur dedifférenciation identitaire (Bonte 2006),le système symbolique existant autourde l’élevage (Bernus 1984), qui unit etdifférencie les différentes communautésd’éleveurs, révèle bien le rôle culturelde l’élevage. Ce système symbolique seretrouve dans de nombreux domainestels que les règles matrimoniales, lesrapports économiques, le langage ou lareligion et l’animal se trouve enchâssédans des règles sociales complexes.Ainsi, au-delà de sa valeur économique,le capital cheptel constitue à la fois unhéritage culturel et un des piliers del’organisation sociale des groupes depasteurs.

A titre d’exemple, on peut citer la pra-tique du préhéritage commune à biendes peuples pastoraux (Dupire 1970)conférant au jeune pasteur un réel statutsocial et économique ou le rôle de l’éle-vage dans le système de régulationsociale de la dot et de la dette agissant

comme facteur de redistribution (Faye2009). L’élevage est souvent au centredes alliances matrimoniales : chez lesPeuls Wodaabés, le père du marié donneune génisse au père de la mariée alorsque l’époux donne à sa nouvelle femmedes animaux dont elle garde l’usage etdont le capital est réservé aux enfants ducouple (Thébaud 1988). On voit ainsicomment l’animal participe à la consti-tution de chaînes de relations socialesverticales (intergénérationnelles) ethorizontales (entre familles d’unemême tribu ou clan), ou à des mécanis-mes de redistribution qui participent à lasécurité présente et future du groupe.

Le rôle important des animaux dansles relations sociales et dans nombres decérémonies, rites ou pratiques ostenta-toires est un élément commun auxsociétés d’éleveurs, mais aussi à denombreux groupes d’agro-éleveurs oud’agriculteurs. Dans les systèmes agri-coles ou agropastoraux, l’élevage peutfaire l’objet de nombreux échangesentre membres des communautés et estsusceptible d’acquérir une dimensionsociale, symbolique, ou un rôle de mar-queur culturel. L’élevage participe ausside manière centrale aux trajectoires d’évolution des familles sahéliennes,qui peuvent prendre la forme «d’allerset retours» entre pastoralisme et agro-pastoralisme, en fonction de l’état decapitalisation des familles (Bonfiglioli1990). Enfin, l’élevage joue un rôleimportant dans les trajectoires d’accu-mulation des paysans des fronts pionniers amazoniens et il acquiert, à cetitre, un statut particulier au sein de cescommunautés agricoles (Tourrand2009).

Ce «marquage» culturel par l’élevageapparaît aussi au sein même des sociétésurbaines. En Inde, les produits laitierss’inscrivent dans un système symbo-lique multiple combinant la religion(par le biais du symbole de la vache«sacrée»), le système matrimonial (parle système de la dot) et la réussite éco-nomique nationale au travers de lacoopérative laitière, National Develop-ment Dairy Board (NDDB) (Alary1999). Dans les villes sahéliennes, lesanimaux domestiques peuvent se révé-ler être de puissants facteurs d’identitépour les populations d’origine pastoralerécemment urbanisées, mais aussi pourcertains individus à la recherche d’unenouvelle identité et d’une reconnaissan-ce sociale. Cette importance culturelles’illustre par exemple avec le dévelop-pement de l’élevage de mouton de pres-tige dans les arrière-cours de Dakar(Ninot 2010). Elle s’illustre aussi dansles modes de consommation urbains quilaissent une large part aux préparations«traditionnelles» à base de produits lai-tiers et de produits carnés, notamment

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pour les fêtes (Duteurtre 2003,Brisebarre et Kuczynski 2009).

2.2 / Élevage et capital socialLe capital social constitue un maillon

essentiel et critique des stratégies delutte contre la pauvreté et de développe-ment économique durable. Le capitalsocial est défini comme l’ensemble desnormes et réseaux, et la capacité desgens à agir collectivement (Woolcock etNarayan 2000). Il est considéré dansl’approche des «capabilités» formaliséepar Sen (1992) comme un élément essen-tiel de la réduction de la vulnérabilité.

Cependant, le capital social fait l’ob-jet de nombreux débats sur sa définitionet ses retombées. Pour Fafchamp etMintens (2002), il peut être définicomme : «a stock of emotional attach-ment to a group or society at large that facilitate the provision of publicgoods […]» ; pour Putman (1993), ils’agit principalement d’une externalitécollective et donc d’un bien public ;alors que Coleman (1988) suppose quele capital social et donc ses intérêts(revenus du capital) sont individuelsmême s’il résulte d’une interactionsociale. Pour Fafchamps (ibid.), lesbénéfices du capital sont principalementissus de la réduction des coûts de trans-action alors que, dans la conceptionbeckerienne, les revenus de cet actif sematérialisent soit comme un flux d’uti-lité perçu par des individus, soit commeune augmentation des rendements d’unefonction de production (Réquier-Desjardins 2003).

Cette notion de capital social est par-ticulièrement importante dans lecontexte africain où les liens tissés

constituent à la fois un facteur de sécu-rité (entraide en situation difficile, dimi-nution des risques par la possibilité demener, au niveau d’un groupe, des stra-tégies diversifiées), et un facteur d’opti-misation des systèmes de productionpar l’organisation de synergies, commela régulation de l’accès aux ressourcesdans les sociétés d’élevage pastoral. Lecapital social peut aussi être un facteurde domination, de dépendance, de fragi-lité, voire un facteur d’exclusion ou demarginalisation. Il est communémentadmis en Afrique subsaharienne que lafamille élargie exerce, par le jeu dessolidarités, une fonction de redistribu-tion des richesses, mais aussi un rôle departage des charges d’une descendancenombreuse (Mahieu 1989, Adjamagbo1997), qui conduit souvent à des situa-tions de dominance, de dépendance etde fragilité. Ainsi, les interactions socia-les sont des processus complexes avecdes effets négatifs (inhibition de l’initia-tive privée, faible incitation à accroîtreles gains du fait de la pression sociale,déresponsabilisation, relation de dépen-dance, voire domination) comme deseffets positifs (prise en charge familialed’une protection sociale non assurée parl’économie publique).

L’une des formes les plus connues decapital social propre aux systèmesd’élevage sont les réseaux de confiageet de redistribution du cheptel. Le donou le confiage de la vache ou de toutautre animal «de rente» est une pratiqueclassique dans la plupart des sociétéspastorales. Si le don est formellementun mécanisme d’aide au pauvre, à celuiqui a perdu tout ou partie de son bétailau point qu’il ne peut plus en vivre, leconfiage est avant tout un élément d’unestratégie de prudence par la dispersion

géographique et sociale du cheptel surla base d’une relation contractualisée(Faye 2009). Il participe aussi à unmécanisme de solidarité au sein de lacommunauté pastorale qui implique unecertaine réciprocité en cas de besoin ;tout animal confié est susceptible derevenir dans son troupeau d’origine encas de difficulté du propriétaire (séche-resse, épizooties, dépense importante).

Le transfert d’animaux par dons ouprêts peut prendre des formes très diver-ses, variant d’un groupe ethnique à l’au-tre. Chez les Peuls Wodâabe (Niger),«la vache habbanae (le «contrat» asso-cié est alors appelé habbanaaji) estcelle qui est prêtée temporairement à unparent ou un ami jusqu’à ce qu’elle aitmis bas trois fois, les produits devenantla propriété de l’emprunteur. La vachefewnaange est prêtée à un ami qui vientde perdre un animal. Le confiage pourune durée indéterminée à un cousincroisé est appelé soggarae. Lorsqu’ils’agit d’une vache prêtée à une familletemporairement privée de lait, on parlede vache diilae. Le transfert d’un mâlereproducteur pour répondre auxbesoins de reproduction d’un troupeauqui en est démuni peut également avoirlieu auquel cas l’emprunteur est géné-ralement tenu de rendre l’animal aubout de quelques temps à son proprié-taire avec une génisse. Ces transfertsdiffèrent fondamentalement du gardien-nage par les bergers de vaches joke-reeji, c’est-à-dire d’animaux apparte-nant à des étrangers (commerçants oufonctionnaires). En effet, pour ces ber-gers, le lait représente une rémunéra-tion» (Faye 2009). Dans la plupart descas, ces transferts concernent desvaches ou d’autres animaux, en âge dese reproduire, confirmant le rôle desécurisation que jouent ces mécanismes.Les transferts peuvent aussi être tempo-raires et ne concerner alors que les pro-duits (naissances et/ou produits tels quele lait).

Le confiage des animaux à un ensem-ble de parents, de relations ou de mem-bres du clan contribue à la constitutiond’un «réseau social de solidarité»(Gallais 1989). Le prêt et le don sont deséléments permettant de tisser des allian-ces, d’entretenir des liens de parenté etd’amitié. Ils contribuent surtout à la via-bilité des unités domestiques temporaire-ment non viables parce qu’affectées parune surmortalité de leur bétail (sécheres-se, épizootie) ou par un déstockage invo-lontaire ou contraint. Ils sont aussi lemoyen pour un éleveur dépassant sacapacité de main-d’œuvre de favoriser lacirculation de l’excédent du troupeau enrépartissant les charges animales dansl’espace. Au fond, ce qui confère du pres-tige au sein de ce réseau social, c’estmoins la possession de richesses en bétail

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Photo 2. Marché de Roro au Sud-Est du Tchad.

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que sa distribution (Levi-Strauss 1967).Derrière l’avantage «numérique» dedisposer d’un grand nombre d’animaux,il y a l’intérêt d’avoir un grand nombred’amis et de relations (Waller 1999). Laredistribution du bétail génère un réseau«d’obligés». Une telle construction socia-le n’est pas envisageable avec une riches-se monétaire. Chez les peuples pasteurs,l’argent ne peut être le véhicule des rela-tions sociales et identitaires et en aucuncas ne peut entrer dans des mécanismesde redistribution.

Cependant, les stratégies de redéploie-ment du capital animal n’ont pas empê-ché les risques d’épuisements biolo-giques au cours des récentes sécheresses.La surmortalité du bétail, la détériorationdes termes de l’échange pastoral (aug-mentation du prix des céréales et chutedu prix du bétail en période de sécheres-se), la péjoration des ressources en four-rages et en eau, la désorganisation desécosystèmes concourent parfois à dépas-ser la capacité de réponse du systèmebasé sur les réseaux de solidarité. Ainsi,les crises démographiques, dont ont étévictimes les troupeaux suite aux récentessécheresses, déstabilisant le système tra-ditionnel d’assistance mutuelle, se sonttraduites par des réorientations de l’acti-vité (vers l’agriculture notamment) oupar l’exil vers les centres urbains, pous-sant chacun sur des positionnements plusindividualistes, incompatibles avec larépartition du capital. Dans les cas extrê-mes de paupérisation généralisée, lamutualisation du risque conduit la redis-tribution non pas à faciliter la reconstitu-tion du cheptel des plus démunis, maissimplement à répondre à la survie immé-diate, ce qui se traduit par l’échange del’animal donné ou confié contre desgrains, voire à l’autoconsommation del’animal, abolissant par là même toutepossibilité de réciprocité (Anderson1999). Dès lors, ces mécanismes de soli-darité ne suffisent plus à sortir les pas-teurs de la marginalisation collective. Ilspeuvent aussi éroder sérieusement lacapacité de réponse du système à desstress externes.

Dans les sociétés agropastoralesd’Afrique du Nord, l’individualisme,par érosion du capital social, expliqueen grande partie les difficultés de ges-tion commune des ressources renouve-lables, comme les parcours, et l’adop-tion de technologies susceptibles defavoriser un développement durable(Dutilly-Diane et al 2005). En effet, lestechnologies relatives à la durabilitédes ressources naturelles (plantations,mise en défens…) s’inscrivent généra-lement dans le temps et nécessitent uneprise en charge par une communautéd’individus du fait de l’insuffisance del’épargne pour supporter l’investisse-ment. Les conséquences de l’absence

de capital social conduit alors les indi-vidus à privilégier les investissementsà retour rapide et de montant peu élevé,susceptibles d’éroder le capital naturel,ou encore à se réfugier dans des straté-gies défensives (logique extensive,statu quo technique) qui sont conjoin-tes à des comportements opportunistessur les ressources naturelles. De plus,l’innovation individuelle accroît lesrisques : risque technique lié à la phase de transition du système produc-tif et risque social lié aux jalousies sus-citées.

A l’instar des autres activités de diver-sification et à l’interface entre le social etl’économique, l’élevage porte aussi ensoi le risque d’un affaissement global dela formation et d’une marginalisationcroissante d’une certaine classe socialepar le jeu de la déscolarisation, comme ila été observé en Inde pour les enfants etplus particulièrement les filles (Alary2009). Ainsi l’organisation socioculturel-le autour de l’activité d’élevage n’est pasneutre dans ses effets, en termes de capi-tal humain et donc de réduction de la vul-nérabilité. Cette organisation sociale for-tement imbriquée autour de l’activitéd’élevage se retrouve à l’échelle desménages ou des familles où se concréti-sent les phénomènes de pauvreté ou d’in-sécurité alimentaire.

3 / Les fonctions éco-nomiques de l’élevage à l’échelle des familles

3.1 / Entre trésorerie (activitéproductive) et sécurité (capitalsur pieds) : des réalités qui serecouvrent au sein d’un mêmeélevage

L’élevage constitue par essence unobjet complexe ; principal mécanismed’accumulation et de transmission derichesse dans les sociétés pastorales etagropastorales, principal mécanismed’épargne dans les sociétés rurales duSud, il reste toujours un capital produc-tif plus ou moins actif selon les besoinscourants du ménage ou les événementsfamiliaux ou sociaux – qui peuventgénérer des dépenses ostentatoires – oules risques extérieurs (crise climatique,spéculation sur les marchés…). Les pro-duits sont multiples avec des pas detemps productifs très variés ce qui rendla complémentarité des espèces trèssécuritaires. On peut citer des produitsintermédiaires comme le lait, les œufs,la traction animale ou le transport, lafumure et des produits finaux commeles peaux et cuirs et la viande… ouencore la combinaison des espèces àcycles courts (volaille, porc), bisannuels

(petits ruminants) ou pluriannuels(ruminants).

Comprendre le rôle de l’élevage dansles exploitations revient à attribuer unpoids à ces différentes fonctions entreproduction et épargne et donc aux for-mes d’exploitation et de valorisationdes produits de l’élevage, reflétées dansles pratiques d’élevage. Généralementla fonction d’épargne se révèle en partiedans le croît net du troupeau et sa struc-ture démographique, alors que le degréd’investissement dépend du taux d’ex-ploitation (incluant les achats et ventesd’animaux). Les fonctions de trésoreriesont mises en évidence par l’exploita-tion des produits intermédiaires (lait,laine, mise en location, transport) ou lavente régulière de certains types oucatégories d’animaux.

Les études typologiques des systèmesfonctionnels d’exploitation que ce soitdans des sociétés agropastorales oururales mettent de façon «quasi naturel-le» en évidence le rôle différencié del’élevage selon un gradient allant desfonctions de trésorerie aux fonctions decapitalisation et d’épargne. Ce rôlevarie selon l’histoire et le stade de viedu ménage (selon l’approche des cyclesde vie de Tchayanov 1924), le degré etle type de diversification des activitésau sein du ménage (en différenciant lesactivités d’élevage, des activités cultu-rales vivrières ou de rente et de la natu-re des activités non agricoles : activitésalariale ou privée…) ou bien les événe-ments conjoncturels qui peuvent fairevarier brutalement le cursus. C’est ainsique dans des études sur les systèmes lai-tiers en Inde ou en Ouganda, on re-trouve des rôles similaires d’épargne oude valorisation des produits laitiers enfonction des formes de diversification etde l’âge du chef de ménage (Alary et al2007, Alary 2009). Mais l’identificationde ces rôles différenciés ne doit pasmasquer le rôle potentiel des autresfonctions qui varient selon les espèces.

Ces différents rôles sont bien révélésdans les approches en termes de moyensd’existence (Livelihood approach)(Ellis et Mdoe 2003, Carter et Barrett2006). Ces approches s’inscrivent enpartie sur les théories du bien-être pro-posées et formalisées par Sen (2002) quia mis l’accent sur les «capabilités» desagents comme moyen de réduire leurvulnérabilité. Ainsi, une approche desniveaux de richesses dans les systèmesoasiens de la New Valley en Egypte,basée sur les dotations en capital desménages classés selon des groupes depauvreté monétaire, montre commentl’élevage de petits ruminants peut êtreun moyen de sortie de la grande pauvre-té (figure 1).

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3.2 / Rôle différencié et complé-mentaire des espèces animalesau sein d’un ménage

Dans les régions du Sud, il est fré-quent de rencontrer des élevages mixtesdans les exploitations où chaque espècepeut jouer un rôle dominant particulier.Dans la majorité des zones aridesd’Afrique du Nord et du Nord du Sahel,les élevages sont composés générale-ment d’ovins, caprins, voire de came-lins, permettant ainsi une répartition desrisques (épidémiologiques, d’accès auxressources, de sensibilité aux aléas climatiques) entre les espèces (Faye1992). Si les ovins sont principalementdestinés à la vente sur les marchés, lescaprins sont souvent associés aux gestestraditionnels de convivialité au sein dela famille élargie ; ils permettent aussid’assurer un certain statut social (capa-cité à bien «recevoir» ses hôtes) durantles fêtes familiales ou religieuses. Lesdromadaires représentent le principalcapital sécuritaire de la famille en cas degrosses dépenses imprévues, mais aussiun moyen de déplacement et donc d’échange non négligeable. Dans leszones montagneuses des Andes, Tichitdécrit comment la viabilité des exploita-tions dépend des fonctions complémen-taires de chaque espèce au sein du trou-peau (Tichit et al 2004). Dans lesrégions des Cerrados au Brésil où sedéveloppe une activité laitière intensive,nombre de producteurs maintiennentdans la phase transitoire de constitutiondu cheptel laitier des vaches zébus pourla viande ; le maintien d’un élevage por-cin pour l’autoconsommation concernetous les ménages. Dans les régions agri-coles irriguées ou non d’Afrique, iln’est pas rare de voir se développer uneactivité d’élevage complexe, associant

des petits ruminants (ovin, caprin) poursatisfaire les dépenses courantes ou sai-sonnières du ménage et des gros rumi-nants (bovin ou bubalin) qui constituentà la fois la sécurité financière du ména-ge ainsi que sa sécurité alimentaire vial’approvisionnement en lait de lafamille (Corniaux et al 2009). Dans leszones plus densément peuplées, notam-ment en Asie, la combinaison se faitautour des élevages à cycles courts(élevages porcin et avicole).

La diversification des espèces au seindes exploitations dans les pays du Sudest complexe et répond à une multitudede facteurs à la fois agronomiques etsociaux en lien avec la gestion del’espace et des ressources (Gibon 1997),économiques (satisfaction des besoinsde trésorerie ou d’emploi), financiers(sécurité financière, absence de systèmebancaire), nutritionnels (complémentprotéinique) et socioculturels (satisfac-tion des gestes de convivialité qui assu-rent une certaine reconnaissance et participent à la construction d’un capi-tal social). Dans certaines économiesfamiliales, il peut y avoir des appropria-tions multiples du troupeau ou une com-binaison entre propriétaires et usagers ;les femmes ou les personnes dépendan-tes peuvent notamment démarrer unpetit élevage qui va leur permettre decouvrir soit leurs dépenses personnelles(amélioration du bien-être individuel)soit servir d’assurance face à un chef deménage imprudent (assurance collecti-ve). En Afrique, il n’est pas rare que lesfemmes soient aussi propriétaires dequelques têtes de petits ruminants quileur permettent de couvrir des dépensesalimentaires ou de scolarité pour leursenfants. On a vu précédemment, que lesfemmes peuvent recevoir en dot des ani-

maux dont elles ont l’usage et la pro-priété temporaire jusqu’aux descen-dants.

A ces systèmes, on pourrait attribuer«la notion de système d’activités plu-rispatiales» telle que développée parLesourd (1997). Ainsi à l’unité de pro-duction se substitue le ménage commeunité familiale globale, multi-active etplurilocalisée pour aborder les rôlescomplémentaires de chaque espèce dansla viabilité du ménage.

3.3 / L’élevage dans la diversifi-cation des activités et la sécurisa-tion des revenus

L’élevage joue aussi un rôle moteurou accélérateur de la diversificationdans le secteur agricole ou non agricole.Ce degré de diversification est particu-lièrement important dans les zones trèsvulnérables (forte variabilité climatique,baisse de fertilité des sols) comme leszones où se développe une activité com-merciale importante grâce au dynamis-me agricole (Reardon et al 1992). Maisce rôle de diversification varie en fonc-tion du nombre de travailleurs dans lesménages, des revenus issus de la princi-pale activité et bien sûr des opportunitésou options dans une zone donnée ou despossibilités d’émigrer.

Tout d’abord la diversification desactivités animales ne répond pas toujoursaux mêmes objectifs ou critères de choixque la diversification sous forme d’acti-vités culturales ou de travail de salariéagricole, par exemple. Généralement,l’acquisition des premiers animauxrépond souvent à une forme de thésauri-sation de la vente du surplus agricole etc’est souvent une fois atteint une certainetaille, que le troupeau devient alors uneactivité de diversification par la valorisa-tion des produits animaux (veaux, lait,fumier) et donc un apport de revenumonétaire régulier. Il s’agirait donc plusdu produit ou résultat de la diversifica-tion des sources de revenu, pour ensuitedevenir un facteur de contribution à cettediversification ainsi qu’un facteur d’in-tensification agricole (grâce à l’énergie etla fertilisation organique fournies par lesanimaux). Ceci est surtout vrai dans lescommunautés agricoles qui démarrentune activité d’élevage, et ce à la différen-ce des sociétés agricoles qui ont toujourspratiqué simultanément l’agriculture etl’élevage (cas des exploitations indien-nes, ou exploitations appelées «mixedfarming systems» en Afrique de l’Est).

L’élevage peut être aussi au centred’une diversification. Boutrais (1994)montre comment les Foulbé del’Adamaoua dans le Cameroun septen-trional ont su s’adonner à l’agriculturedans les périodes de crises sanitaires

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Figure 1. Profils de composition du capital en fonction du revenu moyen per capitades ménages (Source : données d’enquête, New Valley, Egypte, 2010).

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(perte de bétail suite à la trypanosomia-se bovine) ainsi que face aux change-ments sociaux et politiques (libérationdes anciens esclaves en charge des tra-vaux agricoles chez les Foulbé). Deplus, les Foulbé ont de longue date suassocier le commerce de bétail à l’éle-vage. Si certains ont su agrandir leurtroupeau grâce au bénéfice du commer-ce, d’autres ont été contraints de revenirau pastoralisme lorsque les affaires ontdécliné. Le convoyage des animaux,notamment vers le Sud du Cameroun,constitue aussi une activité très attracti-ve pour les jeunes, qui tentent parfoisleur chance dans le commerce parallèlede petits objets, de noix de cola, decommerce de vêtement, etc. Ainsi, ilexiste des liens étroits entre élevage etcommerce : la vente de bétail permet dedémarrer un commerce ou une bou-tique. Les activités religieuses, tellesque maîtres d’école coranique ou écri-vains de versets de prière, sont aussi unmoyen de se constituer un troupeau dufait que la majorité des récompensesconsistent en bétail. Ainsi, l’élevagepeut se conjuguer à de nombreuses acti-vités et le champ est d’autant plus largeque les animaux sont un excellentmoyen d’exploiter la diversité spatiale.Mais on voit qu’au travers des cycles devie, l’élevage peut être un pis-aller versune autre activité comme une activité derepli en cas de non succès ; vice versal’activité non agricole peut être unmoyen de capitaliser en bétail commeun tremplin vers un mode de vie citadin.

Suite aux sécheresses chroniques(1972, 1977, 1983-84, 1991-92) qui ontaffecté les Peuls de la vallée du Sénégal,Santoir (1994) montre que si la pluriac-tivité a constitué une stratégie de survie,elle n’a pas induit de véritables rupturessachant qu’elle a toujours fonctionnédans ce groupe social. «En 1975, onnotait déjà que la moitié des ménagesPeuls Sare de Matam et 21% des ména-ges Peuls Waalo de la basse valléeavaient recours à l’émigration pourcompléter leurs ressources. Chez cesderniers, un ménage sur cinq se consa-crait au commerce (principalement petitbétail) et à la cueillette (gomme sur-tout) ; un ménage sur trois disposait derevenus tirés d’une activité extérieureau village : travail temporaire (tâche-ron dans les périmètres ou à laCompagnie Sucrière Sénégalaise (CSS),Sardiennage des troupeaux villageois,charbon de bois, vente d’allumettes…)»(Santoir 1994). Dès lors, si la migrationet le petit commerce prennent une placede plus en plus importante, on ne peuttoutefois parler de reconversion. Onpeut aussi se demander, à l’instar deSandron (1998), si cette pluriactivitéspatiale dans les zones agropastoralesdominées par des anciens nomadesn’est pas une sorte de continuité dans la

mobilité. «L’ex-nomade, s’il est mainte-nant fixé, bénéficie d’une culture séculai-re du nomadisme qu’il ne sera pas faciled’évacuer en l’espace d’un décret»(Louis 1979, cité par Sandron 1998).

On voit bien que l’élevage est unmoyen de gérer les crises ou difficultésdans le temps. Outre son apport de pro-duits toute l’année à la différence desactivités culturales, l’élevage permet degérer des chocs climatiques et de favo-riser les opportunités grâce à sa mobili-té et à ses effets induits : transfert d’idées, changement social. Dans leszones agropastorales transfrontalièresde l’Afrique de l’Est (Ethiopie, Kenya,Somalie) ou d’Afrique de l’Ouest (Mali,Niger, Burkina Faso), le commerce debétail génère aussi une multiplicitéd’activités parallèles (commerce, res-tauration, artisanat), qui peuvent êtregarantes d’un dynamisme régional ;dans ces zones, en cas de perturbationdu commerce de l’élevage, cette plu-riactivité peut soit s’effondrer, soit, aucontraire, jouer un rôle d’appoint. Ainsi,il est difficile de comprendre l’évolutionde l’économie d’élevage sans intégrerce dynamisme spatial et économique.

3.4 / Mécanismes de gestion desrisques induits par l’élevage

Comme on l’a vu précédemment l’élevage présente en soi un potentielformidable puisqu’il est capable de sedévelopper dans des régions où touteautre activité économique semble com-promise en raison des conditions natu-relles. Mais, comme toute activité agri-cole, l’économie d’élevage est aussisoumise aux risques climatiques, agro-nomiques, sociaux, et économiques. Aces risques, se juxtaposent un ensemblede risques propres à l’activité d’élevageet qui sont en partie liés à la mobilité(risque de perte, risque de vol, risque dedivagation, risque sanitaire plus élargidu fait des déplacements…). Dans lespays en développement, les exploitations,qui dépendent le plus de l’économie del’élevage (pasteurs, agropasteurs), sesituent souvent dans des zones diffici-les, au climat peu propice à toutes acti-vités culturales ce qui les rendent trèsdépendantes du marché pour leur appro-visionnement en produits vivriers ; alorsque la diversification vers l’élevage estplus évidente dans les zones agricoles,en tenant compte bien évidemment decertaines contraintes comme la résistan-ce aux trypanosomiases. Comme toutproduit agricole, les produits animauxsubissent les risques de méventes ou demal vente (prix bas) ainsi qu’une dété-rioration des termes de l’échange(notamment avec les prix des céréales).A la différence de nombreux produitsagricoles comme les céréales, les tuber-cules, les produits animaux sont très

périssables et le stockage (à l’exceptiondu stockage sur pied qui est très coûteuxou de la viande séchée traditionnelle)est limité dans les pays du Sud. Ceciinduit une certaine rigidité de l’offre.

Face à ces risques, les producteurs ontsu développer une multiplicité de straté-gies anti-risque que l’on retrouve au tra-vers des études sur les pratiques d’éle-vage. On peut citer :

1. Les faibles densités animales surles pâturages ;

2. Les mobilités entre milieux com-plémentaires ;

3. Les troupeaux multi-espèces ayantdes rythmes de reproduction, desbesoins, des qualités différentes et com-plémentaires ;

4. La prédominance des femelles quifournissent un potentiel de reproduc-tion ;

5. La répartition sociale du cheptelentre les différentes unités d’exploita-tion (par prêts, héritages, dots) et à l’in-térieur du ménage ;

6. Le faible taux d’exploitation dutroupeau (vente, consommation) ;

7. Les échanges de biens et services(lait, mil, poisson, bétail) avec lessédentaires.

Ces mécanismes de gestion du risques’inscrivent généralement dans le tempslong pour les éleveurs. En Afrique duNord, on a pu mettre en évidence uncertain nombre de facteurs internes etexternes aux exploitations qui expli-quent l’abandon de ces modes de ges-tion des risques (Alary et El Mourid2005). Parmi ces facteurs, prédominentles politiques de sédentarisation, puisles politiques de lutte contre les séche-resses (avec la distribution gratuite ou àfaible prix de vastes stocks d’orge) quise traduisent, aujourd’hui, par l’affai-blissement des mécanismes tradition-nels de gestion des ressources pastora-les favorisant les comportementsopportunistes, individualistes au détri-ment du renouvellement des ressourceset le maintien d’un cheptel surnumérai-re en période de sécheresse par rapportà un stock de ressources naturellesaffecté par les sécheresses répétitives.Le résultat est bien un épuisement desressources pastorales et un accroisse-ment de la dépendance des éleveurs vis-à-vis du marché des céréales (notam-ment l’orge en Afrique du Nord). Desdynamiques similaires de sédentarisa-tion sont observées en Afrique subsaha-rienne en lien avec les sécheresses desdernières décennies et des perturbationspolitiques (Arditi 2009, Correra et al2009). Cette sédentarisation s’accompa-gne d’une diversification croissante desactivités et une activation plus rapidedes multiples rôles de l’élevage.

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4 / L’élevage dans la sécuri-té alimentaire et le dévelop-pement local

L’élevage recouvre ainsi une plura-lité de fonctions environnementales,sociales, culturelles et économiques.Nous avons vu que cette diversité defonctions explique que l’élevage puissejouer un rôle important dans les straté-gies de gestion des risques et de réduc-tion de la pauvreté des familles. Or,cette multifonctionnalité joue aussi unrôle primordial à l’échelle des régions,notamment dans la gestion de la sécuri-té alimentaire et le développementlocal.

4.1 / Le rôle de l’élevage dans lasécurité alimentaire

L’insécurité alimentaire constitue tou-jours un des problèmes les plus urgents,mais aussi les plus complexes auxquelsdoivent faire face la majorité des paysdu Sud. On estime qu’environ 815millions de personnes ont souffert desous-nutrition et de malnutrition entre1997 et 1999 (FAO 2001) ; ils seraientplus d’un milliard en 2009 (FAO 2009).Près de 987 millions de pauvres dans lemonde dépendent de l’élevage pour leurmoyen d’existence (Ashley et al 1999),et près de 70% des 1,4 milliard de per-sonnes en extrême pauvreté (FAO2009). D’après les travaux de Thorntonet al (2003) sur la pauvreté et l’élevagedans le monde, le nombre d’éleveurspauvres («poor livestock keepers»)seraient de 397 millions, dont 162millions en Afrique subsaharienne.Ainsi, l’élevage grâce à ses multiplesproduits et services constitue une activi-té essentielle de survie pour les ména-ges, notamment les sans-terre ou lespetites exploitations (Upton 2004) maisaussi les femmes qui représentent 70%des pauvres dans le monde (DFID2000). L’élevage joue aussi un rôledirect ou indirect fondamental dans laréduction de l’insécurité alimentaire àdes échelles plus grandes que le ménage– qui peuvent être le village, un territoi-re ou une région plus large – en lienavec ses propres caractéristiques (no-tamment mobilité, cycles de productionmultiples).

Des études réalisées au Nord Mali(zone de Gao-Kidal à la frontière algé-rienne), en Afrique centrale ou dans larégion de Somali en Ethiopie montrentcomment les sociétés d’éleveurs ont suréguler leur approvisionnement encéréales et autres produits alimentairespar la constitution de réseaux sociopo-litiques transfrontaliers très dyna-miques basés sur les flux des animaux.Dans l’espace saharo-sahélien, les prin-

cipaux convois de camions empruntenttoujours les axes transsahariens descaravanes chamelières du début duXXe siècle (Grégoire et Schmitz 2000).Les échanges sont principalement cons-truits sur des échanges anciens de mar-chandises, notamment les dattes contredu bétail (chameaux et moutons), duhenné, du sésame et de l’arachided’Afrique noire. Aujourd’hui l’Algérieinonde le marché africain de cartons delait et d’autres denrées subventionnéeset exportées en fraude en échange debétail (ibid.). Ces flux transsaharienssont essentiellement clandestins afin decontourner les législations étatiques(notamment les mesures protectionnis-tes de l’Algérie ou la Libye), de ne pasacquitter de droits de douane et d’éviterles problèmes de change liés à la nonconvertibilité des monnaies comme ledinar algérien et libyen ou l’ouguiyamauritanien. Ils sont principalementcontrôlés par les commerçants arabes,qu’ils soient algériens, libyens, maliensou nigériens. Tout au long de leur par-cours, ils ont installé, dans les principa-les localités, des petites communautésappartenant au même réseau social. Cecommerce clandestin est vital de part etd’autre de la frontière : il assure d’unepart, l’approvisionnement de l’Algérieen ovins pour l’Aïd, fête musulmanepour laquelle l’Etat ne peut se permet-tre d’avoir des ruptures d’approvision-nement, et d’autre part, l’approvision-nement en denrées de premièrenécessité (lait, céréales, pâtes alimen-taires...) des régions du Nord Mali, sanscompter l’enjeu énergétique. Au coursd’interview dans la zone sur l’améliora-tion des conditions sanitaires des ani-

maux, un chef traditionnel de la régionde Gao demandait explicitement de nepas perturber ce commerce au risqued’aggraver l’insécurité alimentaire dela zone (Alary et Nouhine Dieye 2006).On voit comment les priorités alimen-taires passent avant les priorités sanitai-res ou réglementaires. On retrouveaussi ces réseaux en Afrique centrale(Duteurtre et al 2002).

On retrouve ce dynamisme du com-merce clandestin dans la zone pastoraleentre l’Est éthiopien (Ogaden), laSomalie (Somaliland) et le Nord Kenya.Ce commerce est construit sur des liensethniques ou claniques forts entre lestrois zones. C’est ce réseau qui assure enpartie l’approvisionnement des zonespastorales en produits de première néces-sité comme les céréales (riz et blé), lesucre, l’huile, les dattes, etc. L’embargosanitaire des pays du Golfe sur les rumi-nants en provenance de la zone, durantles crises sanitaires liées à la maladie dela Vallée du Rift au début des années2000, ont largement fragilisé la sécuritéalimentaire de toute la zone (Pratt et al2005). Les conséquences sont une dété-rioration des termes d’échange entre lebétail et les biens de consommation liéeen partie à la baisse des prix des produitsanimaux qui s’est traduite par une réduc-tion de 50 à 80% du commerce de pro-duits de céréales ; cela représente uneréduction de 2 à 10 sacs de céréales parfamille, affectant ainsi la sécurité alimen-taires des ménages de la zone (ibid.).

Ces exemples montrent commentl’élevage participe à plusieurs dimen-sions spatiales des enjeux de sécurité

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Photo 3. Elevage laitier au Nigeria.

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alimentaires. A cause de sa mobilité etsa valeur marchande, il participe à l’ex-tension des réseaux marchands, notam-ment avec les zones agricoles pour l’ap-provisionnement des zones pastoralessouvent incultes pour les produits agrico-les de base. Facteur de migration, il a sufavoriser le développement de multiplesréseaux sociogéographiques qui sécuri-sent certains flux de marchandises etstructurent de véritables filières de distri-bution des produits alimentaires. Cesfilières sont principalement bâties sur desréseaux de confiance, des réseaux fami-liaux. Mais il faut noter que la nature desconventions détermine largement les ter-mes des échanges et peuvent amener desdistorsions des marchés.

L’élevage participe aussi à la dimen-sion temporelle de la sécurité alimentai-re. Il convient en effet de distinguer l’in-sécurité alimentaire conjoncturelle (quipeut être régulière ou inattendue) de l’in-sécurité alimentaire structurelle qui estsouvent localisée géographiquementet/ou socialement et qui résulte d’unensemble complexe d’éléments. Si lapremière fait appel à un système d’alerteprécoce destinée à prévoir les crises et àdéclencher les mécanismes de déstocka-ge nationaux (redistribution des surplus)ou internationaux (aide alimentaire), laseconde s’inscrit davantage dans lesdimensions sociales et politiques de lasécurité alimentaire. Selon Courade(1989), la question alimentaire doit êtreprincipalement vue comme un «faitsocial global», incluant un ensemble derégulations, d’arbitrages, de compromisou conflits aux différentes échelles spa-tiales et temporelles. Ainsi, à l’échelle duménage, l’appropriation par les femmesou les cadets de certains animaux – per-mise par le système matrimonial ousocial au sens large – permet de régulercertaines fonctions de sécurité alimentai-re à l’échelle des ménages. Les femmespeuvent soigner le système d’alimenta-tion de leur vache pour avoir plus de lait,vendre des animaux pour acheter descéréales ou produits alimentaires com-plémentaires pour le ménage, etc. Grâceaux cycles biologiques des animaux et lamultiplicité des produits, les ménagesaccroissent leur capacité de sécurisationalimentaire à court terme par la produc-tion de lait ou de viande autoconsomméeou vendus, par la facilitation des déplace-ments et à moyen terme et long terme enfavorisant les échanges marchands etdonc les réseaux sociaux, en accroissantla productivité sur les terres (par la trac-tion animale, la fumure), en créant aussiune capacité à demander un prêt en casde coup dur. Ces réseaux sociaux bâtissur les échanges d’animaux sont aussisoumis au risque de comportements desintermédiaires entre zones : ville-campa-gne, mais aussi zone rurale-zone d’éleva-ge. Et certains comportements spécula-

tifs ou opportunistes peuvent être à l’ori-gine de crises alimentaires gravescomme il est observé depuis un certainnombre d’années au Niger.

Ainsi l’élevage joue un rôle majeurdans la régulation de la sécurité alimen-taire à différentes échelles de temps etd’espace. En outre, si l’élevage ruminantest principalement vu comme un pro-duit d’échange dans les sociétés d’éle-veur, la production de lait et sa transfor-mation restent des activités majeuresdes ménages et participent à la fois à lasatisfaction des besoins nutritifs duménage (apport de protéines et vitami-nes), mais également à l’assurance desgestes traditionnels de convivialité. EnInde, près de 60% des bovins sont éle-vés par les producteurs marginaux et lespetits producteurs dont la taille de l'ex-ploitation est de 1,7 ha. Et plus des troisquarts de la production de lait en Indesont autoconsommés (Barbier et al2004). Les élevages de petits ruminantsou d’animaux à cycles courts (élevagesporcin et avicole) participent plus faci-lement à la couverture des besoins ali-mentaires du ménage sans engager unprocessus de décapitalisation.

4.2 / L’élevage dans les écono-mies locales

On estime que dans l’ensemble despays en développement, 60% des ména-ges possèdent des animaux (FAO 2009).L’agriculture en général et l’élevage enparticulier fourniraient 52,5% desemplois sur l’ensemble de l’Afrique del’Ouest (CSAO 2007). A la fin desannées 90, le système coopératif indien,NDDB, compte plus de 9,7 millionsde producteurs, membres de 75 000sociétés villageoises qui assurent laréception du lait et le paiement journa-lier des producteurs. Ces sociétés sontaffiliées à 170 Unions au niveau du dis-trict, rattachées elles-mêmes à 22Fédérations au niveau des états. LesUnions assurent la collecte du produit etson conditionnement, ainsi que l’appro-visionnement des villes au niveau dudistrict. Près d’un tiers des Unions ontinvesti dans une unité de fabrique d’ali-ments concentrés pour bétail. LaFédération se charge de la commerciali-sation du produit entre les districts et lesétats, mais aussi de la gestion des aidesfinancières et du secteur recherche/développement dans le domaine du laitet de l’élevage. Les sociétés villageoisesdéveloppent aussi des centres de santé,des écoles, etc. En outre, l’opérationFlood a permis la valorisation d’autresactivités agricoles (tabac et canne àsucre dans le Gujarat) grâce au désen-clavement des villages. Ainsi, l’élevagea réussi à lever en partie la contraintefoncière à l’échelle des villages pourrépondre à un défi national.

Si ce type d’expérience fait exception,des recherches récentes menées auSénégal, au Mali et en Ethiopie dans lecadre du projet Icare ont analysé leseffets de l’ouverture récente des mar-chés de produits animaux sur le déve-loppement local et plus particulièrementsur le développement de zones d’éleva-ge. L’analyse s’est appuyée entre autressur un éclairage croisé de l’économie,de la sociologie et de la géographie pourcomprendre la «construction sociale»des liens marchands, un facteur impor-tant du développement territorial(Duteurtre 2010). Ces travaux montrententre autres une renégociation perma-nente des éleveurs vis-à-vis du marché,des choix institutionnels qui sont opérés– susceptibles de changer selon le jeudes pouvoirs et influences – , de dyna-miques collectives d’appropriation desressources à l’échelle des territoires. Sil’élevage est un facteur moteur desdynamiques territoriales dans un certainnombre de zones agricoles en favorisantl’emploi, les transactions interrégiona-les, voire internationales, la plupart desmécanismes de régulation dépendent dela pérennité des relations sociales, elle-même sensible aux jeux sociopolitiques.

Le Millenium ecosystem assessmentoffre un cadre de prise en compte desfonctions environnementales de l’élevageet de l’agriculture, à travers la reconnaissance des services écosysté-miques à l’échelle locale. Cette approcheest notamment mobilisée pour défendrel’idée que ces services pouvaient êtreinternalisés, c’est-à-dire qu’il serait possi-ble de mettre en place des procédures depaiement pour services environnemen-taux par des mécanismes marchands.Cependant, ces types de paiement sontrestés jusqu’à présent peu mis en œuvredans le secteur de l’élevage. Aux niveauxnationaux et locaux, les politiques secto-rielles d’élevage ont jusqu’à présent peupris en compte les fonctions non écono-miques de l’élevage. Et les grands projetsd’appui à l’élevage continuent de consi-dérer les animaux comme des moyens deproduction qu’il s’agit de sécuriser en vued’améliorer la production qui en est tirée(Duteurtre et Faye 2009). D’importantsprogrammes sanitaires, hydrauliques, ouzootechniques, ou même de nombreuxprojets de microcrédit d’appui à l’élevage(crédits «vaches laitières», projets telsque «zébunet»…) ont été ainsi mis enplace dans cette optique essentiellementéconomique.

Au Burkina Faso, l’analyse de lacontribution de l’élevage dans la réduc-tion de la vulnérabilité montre par esti-mation que 60 à 90 000 personnesseraient directement concernées dansles filières animales sans inclure lesemplois indirects : gardiens, restau-rateurs sur les marchés, vendeurs

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d’aliments ou autres produits pourbétail, vétérinaires, etc. (IEPC 2001).Mais la vulnérabilité de ces petitsmétiers est évidemment particulière-ment forte et les filières de commercia-lisation des produits animaux représen-tent un autre aspect de l’élevagequ’une stratégie de lutte contre la pau-vreté doit prendre en compte et qui esttotalement indépendante de la produc-tivité des systèmes, des cheptels ou desterroirs.

Plus généralement, l’élevage est peupris en compte dans les politiques deréduction de la pauvreté (réputé par-fois comme capital pour riches) alorsqu’il est souvent le seul moyen de sur-vie, soit dans les zones agroclima-tiques difficiles, soit les zones densé-ment peuplées où l’accès au foncierest devenu trop coûteux, voire impos-sible au vu du morcellement foncier.Blench et al (2003) montrent qu’il y atrès peu de lien entre l’importance del’élevage dans un pays et sa prise encompte dans les Documents de poli-tique et Stratégies de Réduction de laPauvreté (DSRP). Seulement quatrepays d’Afrique (Guinée, Mauritanie,Mozambique et Rwanda) ont proposéune stratégie propre à l’élevage (ibid.).Toutefois, certains pays comme leKenya, le Soudan, l’Ouganda ou leBurkina Faso ont proposé une straté-gie de développement de l’élevage entenant compte de la pauvreté (Pica-Ciamarra 2005). D’autres ont pris encompte l’élevage dans les politiquesnationales comme en Ethiopie ou auMali (ibid.).

Conclusion

Dans les sociétés d’éleveurs deszones difficiles, notamment les zonespastorales d’Afrique subsaharienne etAfrique du Nord ou les zones monta-gneuses d’Amérique latine, l’élevageest au cœur du système de régulation, àla fois de l’espace, mais aussi des for-mes d’alliance (comme les règles matri-moniales), des règles d’échange (rap-ports économiques : élevage/céréales),ou des mécanismes de reproductiongénérationnelle. La mobilité incarnéedans le modèle nomade est souvent lemarqueur d’appartenance culturelle àune société d’éleveur fonctionnant surun système de valeur entièrementancrée dans le système d’élevage.

Si les conditions du milieu expliquentfortement la répartition des systèmesd’élevage selon les espèces dominanteset le mode de gestion de l’espace et desressources (mobilité permanente outemporaire…), on peut noter une largeextension de l’élevage chez les cultiva-teurs, les sans-terre, voire les salariésdes zones urbaines et périurbaines. Ducomplément de trésorerie à la constitu-tion d’un capital, cet élevage modifieprofondément le paysage environne-mental et socio-économique.

Un des grands enjeux du développe-ment de l’élevage est bien en lien avec lacroissance démographique qui se traduitpar différentes conséquences : une plusgrande demande de produits alimentaires,une pression accrue sur le foncier agrico-le, mais aussi non agricole que l’on

retrouve à la fois dans les zones arides etles zones urbaines. Or l’élevage à la dif-férence de la production culturale peut sedévelopper sans foncier ou presque… Sil’élevage a besoin du foncier pour son ali-mentation, il est capable de se développerdans les zones urbaines et périurbaines envalorisant les sous-produits humains etfacilitant le transport de biomasse entre laville et la campagne. Cette capacitéexplique que près de 1 million de ména-ges sans terre ont développé une activitéd’élevage (FAO 2009). Cette activité esttrès prisée des femmes qui peuvent laconduire depuis leur domicile (DFID2000). En revanche, dans les zones diffi-ciles, les effets de la croissance démogra-phique se traduisent souvent par unemenace de désertification sur les zonespastorales aggravant les phénomènes demigration et d’urbanisation.

De plus, si l’élevage constitue unmoyen de sortie de la pauvreté pour lessans-terre ou un instrument d’épargnepour les plus aisés ou encore une sécuri-té pour la majorité, il est aussi soumis àun ensemble de risques, notamment enlien avec le changement climatique(Narbone et al 2010). Ainsi, face à lacroissance de la demande en viande etlait, l’élevage a un rôle majeur à jouerdans les politiques de sécurité alimentai-re bien que son devenir va dépendre desmécanismes de son intégration spatiale ettemporelle dans les zones agricoles, desformes d’intégration avec les autres acti-vités (gestion de la fertilité, effet sur l’en-vironnement) et des systèmes d’assuran-ce dans les logiques d’adaptation pourdépasser le stade de stratégie de survie(coping stratégie).

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Résumé

Livestock and societies: multiple roles of livestock in tropical countries

Due to its ability to develop in confined spaces or in harsh agro-ecological environments, livestock is important for a wide variety ofsocial groups in almost all geographical locations. Livestock is part of many economic exchanges, in the form of barter or monetaryexchange. Livestock also generates social benefits in the form of gifts, inheritances or "foster care". Livestock enables the structu-ring of social networks that contribute to the solidarity and security of human groups and it is an important factor in strengtheningthe economic and social capital of families. Livestock is then a complex object with multiple roles that are essential assets or oppor-tunities for farmers. But this multi-functionality also explains that livestock is at the heart of many development issues for regions,at the interface between food security goals and objectives of human, environmental and societal development,. This review on theroles of livestock in southern societies shows how livestock is a way to fight against poverty in harsh agro-ecological environments orin zones with strong social constraints without neglecting the risks inherent to any activity in interaction with the social and ecologi-cal environment.

ALARY V., DUTEURTRE G., FAYE B., 2011. Élevages et sociétés : les rôles multiples de l’élevage dans les pays tropicaux.In : Numéro spécial, Elevage en régions chaudes. Coulon J.B., Lecomte P., Boval M., Perez J.M. (Eds). INRA Prod. Anim., 24,145-156.

Abstract