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L’EUROPE, NOUVELLE FRONTIERE POUR LA FRANCOPHONIE XI e SOMMET DE LA FRANCOPHONIE BUCAREST, 28 ET 29 SEPTEMBRE 2006 Dossier réalisé par mfi médias france intercontinents l'agence multimédia de radio france internationale en partenariat avec l'organisation internationale de la francophonie

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L’EUROPE, NOUVELLE FRONTIERE

POUR LA FRANCOPHONIE

XIe SOMMET DE LA FRANCOPHONIE

BUCAREST, 28 ET 29 SEPTEMBRE 2006

Do ss i e r r é a li s é pa r mfi m édias f r a n c e i n t e r c o n t i n e n t s

l'agence multimédia de radio france internationale en partenariat avec l'organisation internationale de la francophonie

XIe Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement ayant le français en partage

Bucarest, 28-29 septembre 2006

EUROPE : NOUVELLE FRONTIERE POUR LA FRANCOPHONIE • Le nouveau visage de l’Organisation internationale de la francophonie • Ouverture à l’Est : les enjeux pour la solidarité francophone • Droits de l’homme et démocratie : des valeurs communes • Promotion de la diversité culturelle : Europe et Francophonie, même combat ! • Le français dans les pays d’Europe centrale et orientale

STRATEGIES FRANCOPHONES DE SOUTIEN AU FRANÇAIS EN EUROPE • Au sein de l’Union européenne • Dans le monde universitaire • Dans le monde des affaires

LA VIE DU FRANÇAIS EN EUROPE • Roumanie : une francophonie à la fois historique et d’avenir • Pologne, Lituanie, Slovénie : une francophonie en ébullition • République Tchèque, Slovaquie : l’attrait grandissant de la langue • Italie, Portugal : comment la francophonie résiste • Allemagne, Royaume-Uni, Suède : la force des échanges

• La Francophonie a-t-elle une vocation européenne ? Cinq personnalités du monde des lettres

se prononcent • Demain, un réseau des bibliothèques numériques francophones • Politiques migratoires : la Francophonie, laboratoire d’idées Fiche : Le français en Europe Fiche : Les dix premiers sommets francophones

Dossier coordonné par Ariane Poissonnier Avec le concours d’Arlette Cirencien

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N° 500 06.08.16 Le nouveau visage de l’Organisation internationale de la Francophonie

(MFI) Vingt ans après le premier sommet réuni à Versailles, la XIe Conférence

des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage a lieu à Bucarest, en Roumanie. Un pays qui entra en contact avec la langue française voici deux siècles, et qui fut le premier des treize pays d’Europe centrale et orientale admis au sein de la Francophonie. Le fait que l’OIF se réunisse pour la première fois de son histoire dans une capitale d’Europe de l’Est met en lumière le nouveau visage d’une organisation qui a profondément évolué, du point de vue de sa composition comme de ses ambitions.

« La Roumanie est le premier pays de l’Europe centrale et orientale à avoir été choisi comme hôte

d’un Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement ayant le français en partage. Avec sa spécificité de pays à la fois membre de l’OIF et de pays qui obtiendra, le 1er janvier 2007, le statut de membre de l’UE, la Roumanie entend jouer un rôle de pilier régional dans la structure des pays francophones européens. » En quelques mots, le président roumain Traian Bãsescu, en page d’accueil du site (1) que la Roumanie consacre au Sommet de Bucarest des 28 et 29 septembre 2006, met l’accent sur le message essentiel de la Conférence, au-delà de son thème Technologies de l’information dans l’éducation : la Francophonie se vit aussi à l’est de l’Europe, et cette réalité européenne peut, du fait de la double appartenance à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et à l’Union européenne (UE) de certains des nouveaux membres, se révéler un atout majeur pour renforcer l’influence francophone.

En effet, l’événement de la XIe Conférence des chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage, c’est sa localisation : vingt ans après le premier sommet à Versailles (1986), le fait que les francophones se retrouvent dans une capitale d’Europe de l’Est met en lumière le nouveau visage d’une organisation qui a profondément évolué, du point de vue de ses membres comme de ses ambitions.

Francophonie post-coloniale et francophonie post-soviétique Forte à sa naissance, en 1970, de 21 membres dont 13 africains – le continent de trois des cinq pères

fondateurs, le Sénégalais L.S. Senghor, le Tunisien H. Bourguiba et le Nigérien H. Diori étant son berceau historique –, la Francophonie a d’abord largement recruté au sud : au 1er janvier 1990, elle comptait 39 membres dont 25 africains. La dernière décennie du XXe siècle marque un tournant pour l’organisation, qui séduit alors bien au-delà de son bassin d’origine : elle accueille désormais 63 membres, dont 29 sont africains. La Francophonie des années soixante-dix, souligne un expert de l’organisation, était « post-coloniale » au sens où elle réunissait, pas uniquement mais principalement, d’anciens colonisateurs (France et Belgique) et d’anciens colonisés, pour la plupart africains. Pendant vingt-cinq ans, la Francophonie a vécu un fait culturel – le partage de la langue française – comme un atout pour mieux coopérer, pour mieux développer les pays membres du Sud.

En 1989, la chute du Mur de Berlin suivie de la disparition de l’URSS ouvre la voie à une francophonie « post-soviétique » : les pays d’Europe de l’Est et centrale, libérés de la tutelle communiste et soucieux de se désenclaver, cherchent de nouvelles portes d’entrée pour agir à l’international. Des 24 nouveaux membres accueillis par l’OIF entre 1990 et 2005, 13 sont issus de cet espace européen où la langue française porta longtemps les valeurs humanistes. Parallèlement, le sommet de Hanoï, en 1997, en créant un secrétariat général particulièrement chargé d’affirmer la présence francophone sur la scène internationale et en le confiant à l’ancien secrétaire général des Nations unies, l’Egyptien Boutros Boutros-Ghali, marque le passage d’une Francophonie culturelle et de développement à une Francophonie politique,

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une Francophonie d’influence. Dans une même logique de rationalisation des structures et de renforcement de la visibilité internationale, la nouvelle Charte adoptée en novembre 2005 à Tananarive fait de l’OIF l’organisation intergouvernementale unique de la Francophonie.

L’OIF, un acteur politique reconnu et sollicité Aujourd’hui, nul ne songe à contester que l’OIF est désormais un acteur politique reconnu et sollicité,

particulièrement après le rôle joué dans deux épisodes récents de la vie internationale. En 2003, lors du déclenchement de la guerre en Irak tout d’abord : c’est confortée par les francophones que la France put empêcher que le recours à la force soit autorisé par le Conseil de sécurité des Nations unies. En 2005, lors de la bataille autour de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, à l’Unesco, ensuite : c’est en grande partie grâce à une mobilisation francophone de longue haleine que le texte fut enfin adopté. Une action qui s’inscrit particulièrement dans le projet francophone : « Face à une mondialisation protéiforme et déshumanisée qui anesthésie nos espérances, soulignait à Genève en février 2006 l’actuel secrétaire général, Abdou Diouf, le projet de « civilisation de l’universel » construit par Léopold Sedar Senghor, dont nous fêtons en cette année 2006 le centième anniversaire de la naissance, reprend tout son sens, sa pertinence, son actualité. Il n’est plus seulement séduisant, il est devenu nécessaire.(…) Des enceintes telles que la Francophonie peuvent être le lieu où recréer un multilatéralisme positif, suscitant des coopérations et des coordinations plutôt que des antagonismes. En effet, les problèmes peuvent s’y débattre sans faire intervenir d’emblée des relations de pouvoir et de domination. »

Les membres européens de l’OIF peuvent accroître sa capacité d’influence Si les nouveaux entrants trouvent ainsi dans la Francophonie une enceinte plus démocratique que

l’actuel système international, l’organisation peut en retour, grâce à ces nouveaux membres, accroître sa capacité d’influence. « Nous avons besoin, affirmait Abdou Diouf le 20 mars 2006 à Bucarest, d’une entrée réussie et fructueuse de votre pays dans l’Union européenne. Nous avons besoin d’une Roumanie vivante, active, créative et militante de la Francophonie dans l’Union européenne. (…) L’OIF compte actuellement 11 Etats membres de l’Union européenne (2), et bientôt 13, et pas moins de 21 membres de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Avec la Roumanie et ses voisins membres de notre organisation, membres ou proches de l’Union européenne, on mesure l’importance de la dimension européenne de la Francophonie. » Lucide sur ses moyens somme toute limités, l’OIF – et avec elle ses membres les moins développés – a tout à gagner à peser davantage au sein de l’Union européenne, notamment parce que celle-ci est le premier bailleur de fonds mondial. Mais aussi parce que l’avenir du français comme langue internationale se joue en partie au sein de l’Union.

Une promesse et un défi pour l’organisation elle-même L’élargissement européen de la Francophonie est en outre, pour l’organisation elle-même, à la fois une

promesse et un défi. Une promesse car le probable rattrapage économique des nouveaux membres devrait en faire, demain, des contributeurs conséquents au budget de l’OIF, une assise budgétaire élargie étant le gage d’une autonomie accrue. Un défi car l’OIF doit, sous peine de devenir une organisation à deux vitesses, réussir la symbiose entre francophonie post-coloniale et francophonie post-soviétique : pour l’instant, les pays du Sud sont majoritairement membres de plein droit, tandis que ceux d’Europe centrale et de l’Est ne sont pour la plupart qu’associés ou observateurs. En réfléchissant aux moyens de mieux intégrer ces derniers, de développer une cohésion accrue entre ses membres qui se connaissent peu ou mal, la Francophonie sera fidèle à son ambition, celle qu’Abdou Diouf définissait ainsi à Genève : « La Francophonie apporte, à l’universel abstrait de la norme et du droit, la richesse d’un universel concret, celui de l’échange dans le respect de l’Autre, afin que vivent et se déploient les cultures multiples de notre Humanité. »

Ariane Poissonnier

(1) http://www.sommet-francophonie.org/pag.php (2) Onze des 25 Etats de l’Union sont membres de l’OIF ; la Roumanie et la Bulgarie doivent entrer dans l’UE au 1er janvier 2007 (décision de la Commission en octobre 2006) ; la Croatie, membre observateur de l’OIF, attend que soit fixée la date d’ouverture des négociations d’adhésion; la Macédoine, membre associé de l’OIF, a été reconnue candidate le 15 décembre 2005 et l’Albanie, également membre associé de l’OIF, vient d’achever la négociation d’un accord de stabilisation et d’association, première étape de la procédure d’adhésion à l’UE. Source : Rapport d’information n°3133, Assemblée nationale française, 7 juin 2006.

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N° 501 06.08.16 Ouverture à l’Est : les enjeux pour la solidarité francophone

(MFI) L’arrivée au sein de la Francophonie de nouveaux pays, en particulier

d’Europe centrale et orientale (PECO), ne manque pas de susciter des interrogations parmi ses membres traditionnels du Sud, notamment africains, qui redoutent, comme au moment de l’élargissement à 25 de l’Union européenne, une désaffection de leurs bailleurs de fonds. Mais l’ouverture à l’Est augure davantage d’un renforcement de la capacité de négociation internationale d’un ensemble francophone qui conserve, au cœur de sa stratégie, la solidarité et le développement.

L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), qui compte 53 Etats et gouvernements

membres et 10 observateurs, est sollicitée par de nouveaux candidats comme la Thaïlande, l’Ukraine, la Serbie, Chypre, l’ordre de Malte et même le Soudan : candidatures en tant qu’observateurs qui seront examinées à son XIe sommet, à Bucarest en Roumanie, les 28 et 29 septembre 2006. « Nous sommes inquiets, mais en même temps fiers de constater que la Francophonie attire de plus en plus de monde, ce qui renforce notre capacité de négociation dans les instances internationales, politiques et économiques, souligne un haut fonctionnaire africain… A condition de mieux nous coordonner et de mieux nous connaître. »

Conscients des questions qui se posent, même si elles ne sont pas ouvertement formulées en public ni en privé, les responsables francophones promettent une « meilleure information » et une « meilleure intégration des nouveaux venus ». A ceux qui se demandent si véritablement le français est largement parlé dans ces pays, ils rappellent la tradition francophone des élites européennes depuis le XVIIIe siècle et le fait qu’en Afrique francophone même, tout le monde ne maîtrise pas forcément la langue officielle du pays.

Certains responsables soulignent aussi que la Francophonie constitue une alternative à l’hégémonie américaine et au libéralisme à tout crin qui l’accompagne, puisque la solidarité et le développement restent au centre de la stratégie de l’OIF. D’autant que certains pays d’Europe de l’Est, qui connaissent une forte croissance économique, peuvent à terme devenir des bailleurs de fonds potentiels pour les plus pauvres et qu’ils ont déjà coopéré avec certains pays du continent africain au moment de la guerre froide, en tant que « pays frères » du Pacte de Varsovie.

Les Européens, « agents d’influence pour les pays du Sud » « Le rapprochement avec l’Union européenne et celui avec la Francophonie vont de pair et

sont l’une de nos priorités », souligne Youri Pyvovarov, chargé d’affaires ukrainien à Paris. Il évoque la tradition francophone des élites de son pays et la progression de la langue française dans l’enseignement supérieur. Pour lui, l’entrée à l’OIF présente des avantages culturels, politiques et économiques. Lui aussi estime que les PECO peuvent jouer un rôle important au sein de l’Union européenne, premier bailleur de fonds des pays en développement, au même titre que d’autres nouveaux venus à l’OIF comme la Grèce, qui a demandé à passer du statut d’associé à celui de membre à part entière. « Les Européens peuvent être des agents d’influence pour les pays du Sud », souligne un responsable de l’OIF qui rappelle que la nouvelle représentante de l’organisation auprès de l’UE, à Bruxelles, est la Roumaine Maria Niculescu.

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Les Africains maintiennent toutefois la pression pour qu’on ne les oublie pas. Ainsi, le président du Burkina Faso Blaise Compaoré, qui avait accueilli le précédent sommet en 2004, a proposé que le Mozambique et le Ghana puissent avoir leur place auprès de la Francophonie. Le chef d’Etat mozambicain, Armando Guebuza, a d’ailleurs évoqué le sujet en juillet à Paris avec le secrétaire général de l’OIF.

Abdou Diouf est conscient des enjeux et des défis auxquels doit faire face l’OIF qui a décidé d’adopter une plus grande visibilité et des stratégies agressives sur tous les fronts, à la mesure toutefois de ses moyens, qui restent limités. « C’est au cœur de l’Europe (…) que la Roumanie va accueillir notre XIè Sommet. Ce sera un moment important qui montrera combien compte pour nous ce bassin historique de la Francophonie, combien la Roumanie peut y jouer un rôle majeur, combien toute notre communauté, rassemblée autour d’elle sait manifester son sens de la solidarité, la valeur de son action », a-t-il déclaré le 20 mars 2006 à Bucarest. A Genève, dans un autre discours consacré aux nouvelles ambitions de la Francophonie, il avait évoqué la voie alternative que celle-ci représente : « Dans ce nouveau monde s’affiche certes un renouveau de la revendication démocratique, mais la pauvreté y progresse, les inégalités s’y accroissent, les identités, surtout quand elles sont minoritaires, sont malmenées. La montée en puissance du terrorisme et les nouvelles formes de croisade qu’il engendre attisent les haines et les divisions, le repli sur soi. C’est dans ce contexte, où l’on oppose courageusement le multilatéralisme à l’hégémonisme, le dialogue des civilisations au choc des civilisations, la diversité culturelle et linguistique au repli identitaire, le partage maîtrisé et régulé des richesses à la loi pure et dure du marché et du profit, qu’on redécouvre aujourd’hui le discours et les valeurs des pères fondateurs de la Francophonie. »

Une coopération multi-directionnelle Depuis 2002, l’OIF, qui regroupe pays riches et pays pauvres, insiste sur l’intégration des pays

francophones en développement à l’économie mondiale, l’accès aux financements internationaux et une utilisation plus efficace des aides publiques au développement, et enfin le financement des industries culturelles. Elle a aussi multiplié la coopération non seulement avec l’Union européenne et les Nations unies mais aussi les organisations financières internationales comme le FMI et la Banque mondiale. Elle agit aussi auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) où les pays africains francophones ont réussi à faire avancer le dossier sur le coton.

Evoquant, en juillet dernier, devant les parlementaires francophones, les réformes en cours, Abdou Diouf s’est voulu optimiste mais réaliste. « Tout cela est en train de contribuer fortement au renforcement de la nouvelle OIF, de l’installer solidement sur la scène internationale comme un acteur qui compte, qui est écouté, dont on reconnaît l’apport spécifique et original, comme un partenaire crédible. L’élan est donné, nous ne relâcherons pas nos efforts pour que ce travail produise des résultats tangibles en faveur de la langue que nous avons en partage, en faveur de l’énorme enjeu que constitue la diversité culturelle, en faveur enfin de nos valeurs démocratiques, de paix et de justice économique et sociale. »

Marie Joannidis

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N° 502 06.08.17 Droits de l’homme et démocratie : des valeurs communes

(MFI) La Francophonie a tissé en Europe des liens substantiels autour du

combat pour la défense et la promotion de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme. Mais elle cherche encore ses marques pour appuyer la démocratisation en cours des pays postcommunistes.

L’ouverture sur le monde des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) s’est d’abord traduite

par une volonté d’intégration à l’Union européenne et à l’OTAN. Nombre d’entre eux ont également choisi d’adhérer* à la Francophonie, entre 1993 et 2004, pour des raisons avant tout culturelles. Ces pays, qui ont toujours lutté pour sauvegarder leurs cultures nationales face aux empires germanique, ottoman, russe puis soviétique, et porteurs du lourd héritage des démocraties populaires, apprécient la mission de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) de promotion du pluralisme culturel et linguistique dans le respect de la souveraineté des États et des valeurs de liberté et de tolérance. Les critères d’adhésion à la Francophonie, moins contraignants que ceux de l’Europe (Copenhague, 1993), évaluent d’ailleurs le degré « d’attachement aux valeurs communes » en matière de démocratisation, de respect des droits humains ou d’exception culturelle (Sommet de Cotonou, 1995).

Intégration aux réseaux francophones par les instituts de formation et les clubs de réflexion Compte tenu de la multiplicité des organismes internationaux ou européens d’appui à la

démocratisation en cours des PECO, « la Francophonie cherche encore ses marques », reconnaît Christine Desouches, déléguée à la paix, à la démocratie et aux droits de l’homme (DDHDP) de l’OIF. Elle dispose, parmi nombre de réseaux spécialisés (cours de cassation, cours des comptes et hautes juridictions, médiateurs ou instances de régulation, etc.), d’un outil précieux, le Réseau des instituts francophones des droits de l’homme, de la démocratie et de la paix, qui regroupe plus d’une trentaine d’instituts universitaires ou de formation des barreaux. Dans le cadre de la Déclaration de Bamako, ce réseau favorise la mise en place du dispositif d’observation et d’évaluation permanentes des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés. Membre du réseau dès sa création à Beyrouth en 2002, l’Institut roumain pour les droits de l’homme (IRDO) de Bucarest, dirigé par Irina Zlatescu, a obtenu en 1993 le statut de bibliothèque dépositaire du Conseil de l’Europe, l’organisation la plus ancienne du continent. Première étape de l’intégration des démocraties postcommunistes, le Conseil a en effet accueilli 18 PECO depuis 1990, apportant son assistance en matière constitutionnelle et de droit électoral, en vue d’un alignement sur les standards européens.

L’intégration aux réseaux francophones concerne également les élites culturelles qui ont pris position publiquement pour la Francophonie. Ce réflexe francophone existe par exemple au sein du Club politique des Balkans, ONG de haut niveau qui réunit les dirigeants démocrates de la région, grâce notamment à son directeur exécutif, Siméon Anguelov, délégué permanent de la Bulgarie auprès de l’Unesco. Il organise une conférence sur la démocratie en septembre 2006 à laquelle des représentants de l’OIF sont conviés. Symbolique mais significative également, la mise en valeur de

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l’action francophone par la Roumanie lors de la 61e session de la Commission des droits de l’homme de l’Onu à Genève : « Au sein de la Francophonie, nous avons aussi étudié les moyens de promouvoir d’une manière encore plus active la démocratie et les droits de l’homme », a souligné l’ambassadeur auprès des Nations unies, Doru Costea, dont l’intervention a permis de faire figurer la Déclaration de Bamako dans la Résolution Démocratie et Etat de droit.

Vers un projet d’instrument international sur les droits et devoirs des observateurs ? Outre l’appui aux centres de formation aux droits de l’homme, la Francophonie est présente à

travers ses missions d’observation électorale, qu’elle réalise à la demande des pays concernés (Albanie, Macédoine, Moldavie), en collaboration avec l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Elle envoie ses experts des PECO, notamment Pandeli Varfi, membre de la Commission centrale électorale en Albanie, Stefan Tafrov, l’ancien Délégué permanent de Bulgarie auprès de l’Onu (2001-2006) qui a assuré la présidence tournante du Conseil de Sécurité en 2004, ou encore l’ambassadeur albanais Luan Rama. Ce dernier, en novembre 2000, estimait que « la philosophie du travail dans le cadre régional, à l’intérieur de la Francophonie » doit surtout être comprise comme un « échange d’expériences ». Exemplaire à cet égard, la mission en Moldavie (législatives, mars 2005) dirigée par Yarga Larba, président de la Haute Cour de justice du Burkina Faso. Composée d’experts albanais, belge, bulgare, canadien, congolais et français, elle a préconisé dans son rapport que la DDHDP « élabore d’urgence un projet d’instrument international sur les droits et devoirs des observateurs, projet que le Secrétaire général pourrait soumettre aux autres organisations internationales engagées dans l’observation des élections ».

Au sommet de Bucarest, la DDHDP, par la voix de Christine Desouches, devrait proposer aux PECO de renouer les liens anciens avec les pays africains proches du modèle communiste et des mouvements de libération nationale, avec lesquels il existait toutes sortes de coopération, pour ouvrir des perspectives dans le cadre francophone. « Si l’ancien président béninois, Mathieu Kérékou, a renoncé au marxisme en novembre 1989 et s’est lancé dans la Conférence nationale souveraine en 1990, c’est qu’il avait vu Ceaucescu tué avec sa femme en Roumanie, et aussi la chute du mur de Berlin », rappelle la Déléguée, mettant l’accent sur cette interactivité historique. Si la volonté des PECO existe de prendre place dans l’espace mondial et solidaire qu’est la Francophonie, il reste à explorer le champ des actions à mener pour construire un échange bénéfique pour le Nord comme pour le Sud.

Antoinette Delafin

* En tant que membres à part entière (Bulgarie, Moldavie, Roumanie), membres associés (Albanie, Macédoine) ou encore observateurs aux sommets (Croatie, Hongrie, Lituanie, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Slovénie).

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N° 503 06.08.14 Promotion de la diversité culturelle : Europe et Francophonie, même combat !

(MFI) L’adoption par 148 pays, le 25 octobre 2005, d’une convention sur la

diversité des expressions culturelles est un véritable manifeste en faveur d’une mondialisation qui refuse l’uniformisation. Cette victoire est le fruit, au sein de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), d’une longue bataille politique marquée par les efforts conjoints de la Francophonie et de l’Union européenne et une forte mobilisation des pays d’Europe centrale et orientale. Le défi est désormais de convaincre le plus grand nombre d’Etats de ratifier au plus vite la convention.

La Francophonie a joué un rôle précurseur dans le combat pour affranchir la culture des règles

du commerce international. Dès 2002, au sommet de Beyrouth, elle préconise l’adoption d’un instrument juridique international sur la diversité culturelle. En amont des travaux à l’Unesco, elle entreprend tout un travail de sensibilisation des pays francophones avec le soutien actif de la France et du Canada. Elle défend les enjeux de la diversité culturelle dans les sphères économiques, au plus haut niveau diplomatique et au sein de la société civile, soutenant l’émergence de coalitions nationales réunissant associations et artistes. Véritable moteur pendant les travaux de préparation de la convention, la Francophonie met des experts juridiques à disposition des délégations francophones à l’Unesco et veille à encourager une coopération active avec les autres aires linguistiques hispanophones, lusophones et arabophones.

L’Union européenne (UE), autre pôle d’influence dans les négociations, réussit à rallier la Grande-Bretagne et s’exprime d’une seule voix en faveur de la diversité culturelle. « Beaucoup d’enthousiasme et de volonté se sont dégagés de ce travail dans le cadre de la préparation d’une position commune », se souvient Irena Moozova, délégué permanent de la République tchèque à l’Unesco. Et c’est vrai qu’il a fallu faire bloc avec ténacité pour que la Commission européenne puisse obtenir, le temps de ces négociations, un rôle plus actif que celui de simple observateur.

Un enjeu majeur pour l’équilibre des PECO Pour que la convention entre en vigueur, il faut maintenant que 30 pays au moins la ratifient.

Trois pays membres de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ont, au 1er août 2006, fait aboutir le processus : le Canada, l’île Maurice et la Roumanie. La Croatie, Djibouti, le Burkina Faso, le Mali et le Cambodge ont ratifié la convention mais n’ont pas encore déposé les instruments de ratification à l’Unesco. Le processus devrait aboutir prochainement dans d’autres pays d’Europe centrale et orientale (PECO), notamment en Bulgarie. Pour les pays membres de l’Union européenne, l’idée initialement envisagée d’un dépôt simultané des instruments de ratification semble difficilement réalisable. La France, qui a déjà fait aboutir son processus interne de ratification, hésite entre un dépôt avant le sommet de Bucarest et la solidarité européenne. D’autant que le processus est plus long dans d’autres pays de l’UE comme la Belgique, qui compte plusieurs parlements. L’essentiel reste cependant de faire vite afin d’éviter que les Etats-Unis, opposés à la convention, ne signent davantage d’accords bilatéraux neutralisant le texte.

L’enjeu pour les PECO est majeur, compte tenu de l’expérience historique de ces pays et face à l’invasion culturelle américaine menaçant leurs marchés. « La convention peut nous aider à

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promouvoir des produits culturels de qualité, à trouver un équilibre entre une culture subventionnée à 100% par "l’Etat miracle" et une culture entièrement liée à l’économie de marché », affirme Andrei Magheru, ambassadeur de Roumanie à l’Unesco, président du groupe des ambassadeurs francophones. Dans les Balkans, soutenir la diversité culturelle est également fondamental pour promouvoir une culture de paix. « Il est important que la diversité culturelle apparaisse au grand jour et qu’un travail de catharsis de la guerre et des massacres soit fait en favorisant les rencontres entre artistes », plaide Nicolas Petrovitch, directeur de l’association éditrice du Courrier des Balkans.

Le plurilinguisme, passeport pour l’autre Reconnue dans la convention comme « élément fondamental de la diversité culturelle », la

diversité linguistique est inscrite au cœur des politiques de l’Union Européenne et de l’OIF. Depuis l’élargissement du 1er mai 2004, l’UE compte 20 langues officielles ; or c’est la seule organisation au monde où s’applique le principe d’égalité des langues. Selon le traité d’Amsterdam (1997), tout citoyen peut s’adresser aux institutions de l’Union dans sa propre langue et recevoir une réponse dans la même langue. Les services de traduction doivent gérer plus de 400 combinaisons linguistiques. Comment travailler ensemble dans ces conditions ? Le règlement du Conseil du 15 avril 1958, qui pose l’égalité des langues officielles et de travail sans établir de distinction entre les deux catégories, confie à chaque institution le soin de prévoir les modalités de mise en œuvre du principe d’égalité.

La Commission et le Parlement ont généralisé le recours à trois langues de travail : le français, l’anglais et l’allemand. Le Conseil assure une traduction dans les 20 langues officielles pour les réunions politiques, favorise l’utilisation de « langues relais » – le français et l’anglais – pour les réunions de travail, et a également mis en place un système de traductions "à la demande", laissant à chaque pays le soin d’établir ses priorités de traduction dans la limite d’une enveloppe financière égale pour tous. Dans la pratique, l’anglais s’impose souvent comme l’unique langue de communication. Face à ce constat, la Francophonie s’est engagée activement dans l’application d’un plan pluriannuel en faveur du français au sein des institutions européennes, signé le 11 janvier 2002 (voir article n°505).

Au sein de l’espace francophone, la défense du plurilinguisme est également devenue depuis quelques années une priorité. En Afrique où le français cohabite avec de nombreuses autres langues maternelles, promouvoir le français à l’école sans s’appuyer sur une alphabétisation dans les langues nationales utilisées à la maison a finalement paru non seulement incohérent mais aussi inefficace. Depuis 1994, une expérimentation d’écoles bilingues français-langue nationale conduite au Burkina Faso s’est ainsi avérée très heureuse en termes de réussite scolaire. La Francophonie se range également de plus en plus à l’idée que le plurilinguisme est une clé d’accès à un meilleur développement aussi bien économique que démocratique.

Ce combat pour le respect de la diversité mené par la Francophonie comme par l’Union européenne parle à tous les hommes. Ce que l’écrivain Edouard Glissant souligne ainsi : « Le divers du monde a besoin des langues du monde. »*

Laetitia Lefaure

* In Traité du Tout-Monde, Paris, Gallimard, 1997, p.121.

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N° 504 06.08.14 Le français dans les pays d’Europe centrale et orientale

(MFI) Depuis l’effondrement des régimes communistes, le russe a perdu son

statut de langue première et obligatoire de la fin du primaire à l’université. L’offre linguistique en Europe centrale et orientale s’est donc libéralisée. Le français – qui a marqué l’histoire du continent – tire son épingle du jeu notamment grâce à la mobilisation des enseignants, des autorités qui ont lancé un Plan pluriannuel d’action et aux actions de coopération décentralisée.

Près de 10 % des 55 millions d’apprenants du français (hors de France) résident dans les pays

d’Europe centrale et orientale (PECO). Le français se maintient dans ses bastions traditionnels (Roumanie, Moldavie) et se développe dans des pays où il était moins implanté (Hongrie, Pologne, République tchèque). En Roumanie, où la tradition du français est partie intégrante du patrimoine culturel, on compte ainsi près de 8 % de francophones et 20 % de francophone partiels. En Bulgarie, où son apprentissage est en baisse, un quart des lycéens tout de même apprennent le français. Dans les pays de l’ex-Yougoslavie, le français était peu parlé. Comme en République tchèque, dont l’histoire reste liée à celle de l’Autriche-Hongrie, mais où le nombre de lycéens qui apprennent le français a triplé entre 1990 et 2000. Dans les autres pays, sa place est plus modeste. Mais leur entrée dans l’Union ou sa perspective « a puissamment stimulé leur intérêt pour la Francophonie », estime le rapport Turpin (Sénat, 2000). Le phénomène tient sans doute au statut de langue de travail du français au sein des institutions européennes, mais il procède aussi d’une aspiration à s’ouvrir sur le monde et sur les valeurs véhiculées par la Francophonie. On observe enfin un intérêt croissant pour la production culturelle francophone.

Toutefois, ces bonnes dispositions se heurtent à des difficultés du fait de l’évolution préoccupante de la place du français dans l’Union européenne. Lors des négociations relatives à l’élargissement (effectif le 1er mai 2004), les représentants des PECO s’exprimaient en quasi totalité en anglais. Et ce malgré le programme de formation au français en direction des fonctionnaires, traducteurs et interprètes des instances européennes et des administrations centrales des pays candidats que la France avait lancé lors de sa présidence de 1995. En 2002, la politique de promotion du français devient multilatérale avec la signature d’un Plan pluriannuel d’action pour le français dans l’UE adopté par la France, le Luxembourg, la Belgique et la Francophonie (voir article suivant).

La diversité de l’enseignement bilingue francophone De nombreux pays d’Europe de l’Est comme de l’Ouest ont mis en place un cursus bilingue

francophone : au total, plus de 400 sections bilingues soit près de 60 000 élèves apprennant le français. L’enseignement est dispensé en deux langues, langue locale et français. Ces filières d’excellence présentent une grande diversité selon les pays. Une, voire deux « années zéro » permettent aux élèves d’acquérir un niveau de français suffisant pour entamer un cursus dans les disciplines non linguistiques (DNL) – six ans en République tchèque, cinq ans en Hongrie tandis que la Croatie et la Macédoine n’ont pas intégré ce système dans leur structure éducative. La République tchèque ou encore l’Albanie proposent des sections bilingues francophones à dominante scientifique (physique, chimie et mathématiques). La Biélorussie mise plutôt sur l’enseignement des sciences économiques et sociales, la Lituanie sur la musique et l’éducation physique et sportive ; la Roumanie sur la géographie, l’histoire et la civilisation française. En règle générale, histoire et géographie sont au

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programme dans toutes les sections bilingues. En Bulgarie, des sections se développent aussi dans l’enseignement professionnel.

Les pays et les instances multilatérales francophones fournissent un effort important pour la promotion du français dans les PECO par le biais des jumelages, de la coopération décentralisée ou de la coopération scolaire et universitaire. Les jumelages s’étaient développés durant la période communiste avec certains pays de l’Est (Pologne, Roumanie) dans le cadre d’échanges culturels puis, à partir de 1990, d’actions à caractère économique. Le soutien à la francophonie par le biais d’actions éducatives constitue toujours l’un des moteurs des nouveaux jumelages. La coopération décentralisée a été le fait d’associations comme Initiatives France-Hongrie, la Fondation France-Pologne ou Eurom avec la Roumanie. Dans le budget français, les PECO représentaient, en 2000, 27 % des crédits consacrés par le ministère des Affaires étrangères à la coopération décentralisée (Pologne et Roumanie, environ 7 % chacun, République tchèque, Hongrie, Slovaquie).

« Les enseignants de français se mobilisent aussi pour assurer la promotion en Europe de cette langue qu’ils enseignent et chérissent », se plaît à répéter Janina Zielinska. Cette Polonaise, directrice du Collège de formation des professeurs de français à l’université de Varsovie, est la vice-présidente de la Fédération internationale des professeurs de français*, qui compte plus de 70 000 professeurs sur les cinq continents et organise, du 2 au 5 novembre 2006, son premier Congrès européen à Vienne (Autriche). Ce congrès servira de tribune aux associations d’enseignants qui débattront de la place du français, de ses particularités et de ses enjeux, en termes de pédagogie mais aussi de politique de promotion de la langue française en Europe. Pour Janina Zielinska, il faut insister sur la nécessaire synergie entre les différents partenaires impliqués dans cette promotion sur le terrain.

Antoinette Delafin * La FIPF organise un colloque international annuel, un congrès mondial tous les trois ans, et publie la revue Le français dans le monde. www.fipf.org ; www.francparler.org ; www.vienne2006.org

Le français dans l’histoire européenne (MFI) Au Moyen Age, le français voyage déjà quand Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, est

sacré roi d’Angleterre en 1066. Il passe pour une langue de prestige à Venise à la fin du XIIIe siècle, quand Marco Polo dicte en français le récit de ses aventures en Extrême-Orient, Le livre des merveilles. A partir du XVIe siècle, la prééminence de la France joue un rôle important dans la diffusion du français en Europe. Il remplace le latin, langue « internationale », dans les domaines de la philosophie, de la médecine, de la banque et du grand commerce. Langue de la diplomatie, le français est utilisé dans les traités internationaux de 1714 – un an avant la mort de Louis XIV – jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale.

Les mariages entre familles royales et aristocratiques en font une langue parlée dans toutes les Cours : près de vingt-cinq au total, de l’actuelle Turquie au Portugal en passant par la Russie, la Norvège, la Pologne et l’Angleterre. Exemple parmi tant d’autres, le mariage de Louis XV en 1725, à l’âge de quinze ans, avec Marie Leszczynska. Son père, Stanislas Leszczynski, ancien roi de Pologne devenu Duc de Lorraine en 1737, fait construire à Nancy une place destinée à glorifier son gendre.

Au siècle des Lumières, où le français est reconnu comme langue universelle, la mode saisit l’Europe aristocratique au point que ses souverains font venir à leur Cour des écrivains français, Descartes auprès de Christine de Suède, Voltaire chez Frédéric de Prusse. A Saint-Pétersbourg ou à Moscou, un aristocrate qui se respecte se doit de parler le français. En Roumanie, la diffusion de la langue française date aussi de cette époque, quand les principautés de Valachie et de Moldavie étaient sous domination ottomane et que les fils des grandes familles venaient étudier à Paris. Sous l’Empire napoléonien, les Slovènes, comme les Croates et les Dalmates, ont gardé un souvenir très positif de l’influence française. Mais les campagnes napoléoniennes ont aussi froissé bon nombre de sensibilités dans d’autres parties de l’Europe. Quoi qu’il en soit, l’affaiblissement de la monarchie marque la fin de la suprématie française en Europe, avec le début de la prépondérance anglaise, tandis que les idées révolutionnaires favorisent l’émergence des langues nationales.

A. D.

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N° 505 Stratégies francophones de soutien au français en Europe (1)

06.08.16 Au sein de l’Union européenne

(MFI) Face au recul, au profit de l’anglais, du français au sein des instances de l’Union européenne, l’Organisation internationale de la Francophonie a lancé un Plan pluriannuel d’action multiforme, destiné à favoriser sa relance auprès des fonctionnaires européens principalement. Et mobilise notamment les pays d’Europe orientale et centrale, nouveaux venus aussi bien au sein de l’UE que de l’OIF.

Depuis 2002, l’OIF qui regroupe 63 Etats et gouvernements dont 11 sont membres de l’Union

européenne, a fait de l’usage du français dans l’Union européenne un de ses champs d’activités prioritaires. Un plan pluriannuel d’action pour le français dans l’Union européenne, lancé par un accord entre la France, principal bailleur de fonds de la Francophonie, la Communauté française de Belgique (CFB) et le Luxembourg, et mis en œuvre par l’OIF à partir de 2003-2004, organise la concertation et l’articulation des politiques entre les quatre partenaires et les pays coopérants.

Il propose principalement des formations à la langue française aux diplomates et fonctionnaires, en particulier des nouveaux pays membres de l’Union ou candidats à l’adhésion, ainsi qu’au personnel des institutions européennes, interprètes et traducteurs du français et en français, aux journalistes et aux juristes. A la fois politique et technique, ce plan s’appuie sur les nouvelles technologies de l’information (site Internet : www.parlez-francais.com, logiciel correcteur d’orthographe) et sur une campagne promotionnelle (presse, affichage, Internet) déjà menée dans plusieurs pays.

Plus de 10 000 fonctionnaires formés chaque année « Le cœur de frappe de la francophonie en Europe, c’est l’action à destination des diplomates

et des fonctionnaires », souligne Stéphane Lopez, responsable des relations avec l’Union européenne au sein de la direction de la langue française, de la diversité culturelle et linguistique de l’OIF. Il précise que le Plan, doté d’un budget de 2,5 millions d’euros en 2006, concerne cette année 10 500 fonctionnaires dont 2 000 personnes à Bruxelles et 8 500 dans différentes capitales. L’OIF a choisi de travailler en amont des institutions, avec les instances gouvernementales qui ont le pouvoir politique, à Bruxelles auprès des ambassades et des missions des membres (25 pays) mais aussi des candidats (4), et dans les différents Etats partenaires, touchant 22 pays aussi bien de l’Europe de l’Ouest que de l’Est. La Francophonie agit aussi à Strasbourg auprès du Parlement européen et du Conseil de l’Europe. Elle forme chaque année des conseillers politiques et des conseillers techniques à travers des sessions trimestrielles, cherchant là où c’est possible des co-financements avec les Etats concernés.

Pour donner les cours de français, l’OIF fait appel aux Alliances françaises et aux instituts français, d’où l’importance du partenariat avec la France, la Belgique et le Luxembourg qui mettent à sa disposition un certain nombre de services, de moyens et relais d’influence. Il ne s’agit évidemment pas d’enseigner le français littéraire mais le français des relations européennes pour pouvoir se débrouiller dans des situations très précises : comprendre ou présider une réunion, défendre une position ou présenter le point de vue de son pays, faire une note de synthèse, une lecture de document

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avant une réunion, répondre à un courrier sur internet ou au téléphone. Le taux de réinscription des « élèves » est très important, de l’ordre de 50 à 60 %. L’OIF aide également à la préparation de concours européens et organise des séminaires permettant des échanges d’expérience sur les affaires européennes.

Quand la compétence francophone compte dans la promotion des fonctionnaires La Francophonie est allée plus loin sur le plan politique en concluant depuis quelques mois avec

les pays des accords de renforcement des compétences de travail en français de leurs diplomates et fonctionnaires en charge du suivi des questions européennes. « Nous avons déjà signé avec huit pays – Roumanie, Hongrie, Slovénie, Bulgarie, Lituanie, Slovaquie, Croatie et République Tchèque – et nous devons le faire avec l’Autriche et l’Estonie », indique Stéphane Lopez. Par ces accords l’Etat en question, l’OIF et ses trois pays partenaires (France, Belgique, Luxembourg) réaffirment la place qu’ils veulent accorder au français. L’Etat s’engage à former un certain nombre de fonctionnaires pendant les trois prochaines années et la majorité des signataires ont accepté de mentionner que la compétence francophone de ces fonctionnaires sera prise en considération dans leur affectation et leur promotion.

La Francophonie propose également à des personnalités politiques, ministres et ambassadeurs par exemple, de venir en France ou en Belgique pour des séjours d’immersion linguistique. Elle signe aussi des contrats de coopération pour le renforcement de l’enseignement, de l’usage et de la visibilité du français avec des écoles nationales d’administration en Pologne, en Roumanie, ou en Bulgarie, avec l’Académie diplomatique de Vienne ou encore l’Institut européen d’administration de Maastricht…

Dernière initiative en date, la signature en mai 2006 par Abdou Diouf, le secrétaire général de la Francophonie, et les maires de Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg d’une déclaration solennelle en faveur de l’usage de la langue française, visant à établir un réseau francophone des trois capitales européennes. « C’est à Bruxelles, à Luxembourg et à Strasbourg que se fait et se fera l’Union européenne. Il convient que la politique des trois capitales soit pensée avec à l’esprit ce qui peut être fait pour la promotion du français et que leur francophonie soit le lien logique qui les réunisse en un réseau pour se concerter autour des questions de leurs identités à la fois locale et européenne, et des défis à relever pour améliorer l’intégration des institutions qu’elles accueillent », a déclaré Abdou Diouf au moment de la signature.

Marie Joannidis

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N° 506 Stratégies francophones de soutien au français en Europe (2)

06.08.16 Dans le monde universitaire

(MFI) L’Agence universitaire de la francophonie (AUF) a multiplié, depuis 2001, les partenariats avec les universités et centres d’enseignement supérieurs, y compris dans des pays non francophones.

« L’élargissement de la Francophonie me semble un bon point parce qu’il prouve qu’elle

présente un pôle d’attractivité qui coïncide avec l’aspiration de pays en développement, par exemple en Europe de l’Est, à intégrer l’Europe de l’Union », souligne Michèle Gendreau-Massaloux, recteur de l’AUF. Pour elle, cet élargissement coïncide aussi avec le souhait de voir se développer la démocratie (qui est une des priorités de la francophonie politique), l’Etat de droit et la réduction de la fracture entre les pays du Nord et les pays du Sud, en Afrique mais aussi en Europe de l’Est, au Moyen-Orient et dans les Caraïbes.

Depuis 2001, avec le vote de nouveaux statuts à Québec, l’AUF qui se veut à la fois opérateur de la Francophonie et réseau associatif, a décidé d’ouvrir ses portes et d’admettre des universités de pays très différents si elles répondent à certains critères, comme l’octroi de diplômes en langue française, la présence de professeurs de français et d’étudiants qui parlent français. Ainsi, elle a admis des universités de la République dominicaine et de Cuba dans les Caraïbes, ainsi que d’Indonésie, et aucun universitaire des pays arabes ne s’est opposé à l’entrée comme membre titulaire de l’AUF de l’université de Tel Aviv. « Bien que récent, le mouvement a déjà donné des résultats remarquables. Quand je suis arrivée en 2002, le nombre de membres avoisinait les 250. Nous sommes aujourd’hui plus de 600, précise Michèle Gendreau-Massaloux. Cela nous a permis de faire rayonner la langue française à l’université dans les pays traditionnels de la Francophonie mais aussi dans d’autres tels que l’Albanie, la Serbie, la Macédoine, l’Espagne et l’Italie, et nous souhaitons faire de même en Grande-Bretagne et en Allemagne où des dossiers se constituent en ce sens. »

Privilégier la nécessaire relation entre savoir et création d’emploi En Europe centrale et orientale, l’AUF compte 69 membres dans 16 pays différents : Albanie,

Arménie, Biélorussie, Bulgarie, Géorgie, Hongrie, Lituanie, Macédoine, Moldavie, Pologne, Roumanie, Russie, Serbie-Monténegro (séparée depuis en deux pays), Slovaquie, Ukraine ainsi que Turquie. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la responsable de l’AUF pour ces pays, basée à Bucarest, docteur d’une université roumaine et parlant parfaitement le roumain, est la Malgache Liliane Ramarosoa, ancien vice-recteur de l’université d’Antananarivo.

L’AUF a trouvé dans ces pays un terrain favorable en raison du prestige traditionnel dont les universités bénéficient mais aussi du souhait de lier enseignement supérieur et création d’emplois. Car l’enseignement en français a deux volets, l’un culturel et l’autre menant au monde de l’industrie et des affaires, en liaison notamment avec les chambres de commerce. Pour les responsables de l’Agence, la nécessaire relation entre savoir et création d’emploi est déjà prise en compte par les PECO. On a par exemple à Sofia l’Institut francophone d’administration et de santé. Dans les pays de l’Est, précise la responsable de l’AUF, « on développe des filières de français comme la gestion des

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affaires à l’Académie des sciences économiques de Bucarest, parce que vous avez tout un développement de moyennes et petites entreprises qui exigent des masters de gestion en français ; beaucoup d’étudiants de la région y participent ». Autres exemples d’enseignement de français professionnalisant : une filière de gestion d’entreprises publiques à l’université de Moldova avec, comme à Bucarest, des cours en français ; des filières sur les relations économiques internationales, ou encore sur les technologies alimentaires ; l’agro-alimentaire, la médecine et la pharmacie ou le génie civil sont en effet autant de secteurs professionnalisants à développer en français.

Enseignement à distance grâce aux campus numériques Michèle Gendreau-Massaloux met aussi l’accent sur l’enseignement à distance grâce à Internet.

« Nous voulons faire en sorte que partout dans le monde où des étudiants de pays en développement parlent français, ils puissent accéder à un diplôme reconnu. Pour nous, le vecteur prioritaire, c’est l’enseignement en ligne à travers notamment des campus numériques. Aujourd’hui, ajoute par ailleurs le recteur de l’AUF, une seule langue comme l’anglais ne suffit pas, y compris en Europe de l’Est. Il faut des langues qui permettent aux étudiants d’entrer dans de nouveaux marchés car nous sommes dans un monde concurrentiel. »

Depuis 2005, l’AUF dispose d’un budget de 45 millions d’euros par an largement financé par la France – ce que déplorent les responsables francophones qui souhaitent un meilleur équilibre dans les financements, en particulier de la part du Canada. « Par rapport à la demande et à la qualité de la demande, ce qui est un point nouveau, il est vrai que notre budget est faible. On pourrait facilement multiplier par quatre ou cinq le budget que nous avons sans cesser de rester une agence associative et humaine et en répondant mieux aux demandes réelles que nous avons », admet la responsable de l’AUF. Pour le moment, seule une demande sur six est satisfaite.

Marie Joannidis

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N° 507 Stratégies francophones de soutien au français en Europe (3)

06.08.14 Dans le monde des affaires

(MFI) Une langue plus précise que le « global english », qui permet de mieux communiquer entre un siège et ses filiales, de mieux partager une même culture d’entreprise et de fidéliser les salariés étrangers… Les entreprises francophones prennent peu à peu conscience de l’importance qu’il y a à développer des relations d’affaires en français et du rôle qu’elles peuvent jouer en matière de francophilie, à terme bénéfique pour l’accueil de leurs produits. Le Forum francophone des affaires, qui les rassemble à travers le monde, appuie par exemple l’initiative « Oui, je parle français » lancée par le ministère français des Affaires étrangères.

« Les chefs d’entreprise sont généralement convaincus de la nécessité de défendre une vie

économique en français, affirme Steve Gentili, président du Forum francophone des affaires (FFA) et président de la Bred-Banque Populaire. Ce sont des pragmatiques et ils constatent par exemple qu’il est plus facile de négocier dans sa propre langue, en recourant à des concepts que l’on maîtrise, que dans la langue de l’interlocuteur dans laquelle on est en position de faiblesse et de surcroît avec un référentiel que l’on possède insuffisamment. » Steve Gentili sait de quoi il parle. Créé en 1987 au Sommet de Québec (Canada), le FFA est auprès du Sommet des chefs d’Etat et de gouvernement ayant le français en partage le porte-parole du secteur privé. Il est composé de comités nationaux – une quinzaine en Europe – qui regroupent les acteurs économiques de tous les secteurs, et d’organisations professionnelles, comme par exemple la Fondation internationale francophone finance-assurances-banques (FIFFAB).

Jusqu’à présent, on ne savait pas grand chose des pratiques des entreprises dans leur rapport au français. Pour en savoir davantage, la Sous-direction du français du ministère des Affaires étrangères a réalisé, en mars 2006, une enquête auprès de 78 filiales d’entreprises françaises diverses (transports, énergie, finances, tourisme, agro-alimentaire et bâtiment), implantées dans 33 pays sur les cinq continents, avec une forte représentation de l’Europe, de l’Asie et du Moyen Orient.

Air France en République tchèque : une prime mensuelle de langue française Il en ressort que les entreprises exigent de leur personnel local une compréhension du français

lorsque celui-ci est la langue du siège – ce qui est le cas de la moitié d’entre elles. La culture d’entreprise étant plus facile à appréhender pour le personnel lorsqu’il parle le français, sa maîtrise « entre en ligne de compte » pour 41 % des filiales interrogées lors du recrutement des salariés locaux. Elle en est même une condition expresse dans 24 % des cas. En outre, 53 % des filiales interrogées reconnaissent que la pratique du français est « un plus » pour la mobilité géographique et fonctionnelle, quand elle n’en est pas le préalable obligatoire (19 % des cas).

Si la pratique du français est ainsi un atout prouvé pour le salarié dans sa carrière, elle est également un avantage pour l’employeur francophone. Lorsque le personnel local maîtrise le français, il devient plus « performant », comme le rappelle l’expérience vécue en 2001 par le groupe Renault : lors de sa fusion avec Nissan, l’usage de l’anglais comme langue de l’alliance avec le

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groupe japonais a provoqué un rendement réduit de part et d’autre. En outre, 32 % des filiales constatent une meilleure fidélisation de leur personnel francophone. Ce qui explique pourquoi certaines, comme celle de PSA en Slovaquie, ont fait de l’apprentissage de la langue une condition d’embauche et offrent (55 %) des cours intensifs à leurs salariés ; 5 % d’entre elles rendent même ces cours obligatoires. La filiale d’Air France en République tchèque, elle, préfère le registre incitatif : la première année de stage de français est offerte et, une fois le niveau minimum atteint et le test de connaissances passé, une prime mensuelle est versée.

Former les cadres étrangers à la langue et la culture françaises L’étude de mars 2006 visait également à mesurer si ces entreprises – qui pensent pour 99 %

d’entre elles avoir « un rôle à jouer dans le rayonnement de la France » – perçoivent leur identité française ou francophone comme un atout dans la compétition mondiale. Les résultats sont complexes. Certes, 50 % d’entre elles pensent que les enjeux de la francophonie et de la francophilie sont liés et qu’ils ont un impact sur la création de marchés pour des produits français, mais seules 42 % d’entre elles mettent leur origine française en avant dans leur communication grand public.

Cet avantage concurrentiel est ainsi quelque peu négligé, à de notables exceptions près, comme celle du groupe LVMH, qui s’appuie sur l’image de la culture française dans le monde du luxe : les produits vendus à l’étranger gardent leur appellation française et le centre de formation du groupe, basé à Londres, forme les cadres étrangers à la connaissance de la langue et de la culture françaises. Un travail que la fondation Renault, créée en 1999, effectue en direction des étudiants des pays où le constructeur automobile est implanté.

L’initiative « Oui, je parle français » C’est forts des résultats de cette enquête et pour encourager les entreprises à porter haut les

couleurs francophones que le ministère français des Affaires étrangères (Sous-direction du français), l’Alliance française, la Chambre de commerce et d’industrie de Paris et le Forum francophone des affaires ont lancé l’initiative « Oui, je parle français » le 26 avril 2006. Elle repose sur l’idée que les pouvoirs publics et les entreprises françaises ont un rôle complémentaire à jouer dans le rayonnement de la francophonie et de la francophilie à l’étranger et se présente, concrètement, sous la forme d’une pochette rassemblant l’offre de formation linguistique et les certifications existantes pour évaluer le niveau en français des personnels. Les entreprises françaises sont invitées à rejoindre l’initiative en faisant de « Oui, je parle français » un véritable label.

Pour autant, s’exclame Steve Gentili, « il ne s’agit pas de ne faire des affaires qu’en français ! Il s’agit plutôt de prendre conscience que derrière la langue, il y a des conceptions, des visions du monde et si nous ne voulons pas que la vision anglo-saxonne domine et régisse sans partage la vie économique, il nous revient d’en défendre la diversité, la pluralité des approches. Le FFA promeut une vision et une pratique des relations économiques dans lesquelles se reconnaît le monde latin notamment. Ce mouvement est ouvert. » Il n’y a pas, précise un haut fonctionnaire de l’OIF, de modèle économique francophone à proprement parler, mais « une double conception : celle de la prééminence de l’économie de marché, liée au modèle des sociétés ouvertes et démocratiques ; celle de la nécessité de régulations multilatérales visant à corriger les déséquilibres historiques entre pays et les asymétries systémiques nées de leur absence ». Une vision mesurée qui devrait séduire de plus en plus d’entrepreneurs.

Ariane Poissonnier

Pour en savoir davantage : • Forum francophone des Affaires : http://www.ffa-int.org/ • « Oui, je parle français » : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/actions-france_830/francophonie-langue-

francaise_1040/langue-francaise_3094/promouvoir-francais_11827/les-actions-globales_11828/initiative-oui-je-parle-francais-dans-les-entreprises_34699.html

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N° 508 La vie du français en Europe (1)

06.08.10 Roumanie : une francophonie à la fois historique et d’avenir

(MFI) Près de deux millions d’élèves apprennent le français de la bouche de 14 000 professeurs… Mais l’anglais vient de prendre la place de première langue étrangère enseignée. Les liens forgés par l’histoire entre la Roumanie et la France, s’ils se sont quelque peu distendus, pourraient cependant être re-tissés par un partenariat économique en pleine effervescence.

Le français, une langue réservée a l’élite ? Pas si sûr… Les chiffres publiés par le ministère

roumain de l’Education contredisent cette idée reçue. Actuellement, près de 2 millions d’élèves, soit 42 % de la population scolaire, apprennent le français à l’école. Et le nombre de professeurs de français dans le pays est de 14 000 – de quoi remplir un stade de taille moyenne. Alors, pourquoi la presse « élitiste » déplore-t-elle régulièrement « ’américanisation » de la jeunesse roumaine et la perte de vitesse du français ? En regardant la même étude, on relève tout de même des motifs d’inquiétude : le français était, jusqu’à il y a quelques années, la première langue enseignée en Roumanie. Depuis 2001, il a été doublé par l’anglais. De même, on observe un vieillissement du corps professoral de français : 60 % de celui-ci est âgé de plus de 45 ans, tandis que le pourcentage pour son homologue de la langue anglaise n’est « que » de 38 %…

Pour Cristian Preda, le secrétaire d’Etat chargé de la Francophonie, il n’y a pas lieu de désespérer. « La sensibilité francophone de la Roumanie est toujours présente, et il ne serait pas possible d’effacer l’importance que le français a eu pour la Roumanie. La langue est l’outil premier de transmission d’une culture et plus de deux siècles et demi d’utilisation, de lecture et de modelage des institutions roumaines sur des modèles français et belge ont laissé des traces ineffaçables. »

Des liens forts et anciens entre Paris et Bucarest En effet, la Roumanie est de longue date attachée à la France et à la francophonie. Dès le

début du XIXè siècle, pendant les guerres russo-turques qui se déroulaient sur le territoire de la future Roumanie, l’aristocratie locale entre en contact, par le biais des Russes, avec la langue et la culture françaises. Puis l’éveil de la conscience nationale roumaine, qui fait suite au mouvement des Lumières français, se traduit notamment par deux poussées indépendantistes, vers 1820 puis vers 1848. C’est finalement avec l’appui de Napoléon III, qui intervient en ce sens lors du traité de Paris de 1856, que la Moldavie et la Valachie obtiennent la reconnaissance de leur union en un État unique, la Roumanie. Le nouvel État est officiellement reconnu en 1861 par les puissances européennes et les Ottomans, l’indépendance étant formellement proclamée le 10 mai 1877. De même, pendant la Première guerre mondiale, c’est un général français, Henri Berthelot, qui contribue de manière décisive à la reconstruction de l’armée roumaine.

Ce compagnonnage franco-roumain se poursuit au siècle suivant : ainsi, la constitution roumaine de 1923 est largement inspirée du modèle français et le célèbre écrivain et diplomate Paul Morand constate, en évoquant la même époque : « On parlait français dans les familles aristocratiques, on connaissait l’histoire et la littérature de la France, on lisait les journaux

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français, on pouvait acheter les dernières parutions littéraires mêmes dans les librairies des villes de province. » Bucarest était devenu le petit Paris !

Puis, pendant les longues années de dictature communiste, le français représente une forme de résistance intellectuelle dont l’Institut français de Bucarest est l’un des bastions. Dans son ouvrage consacré à l’histoire de l’institution, l’historien André Godin témoigne notamment : « Lorsqu’il y avait des revues litigieuses pour le régime, on les cachait, mais elles circulaient quand même… »

En entreprise, la plupart des réunions de direction se font en français Aujourd’hui, plus question de censure. Les médias francophones sont présents en Roumanie,

que ce soit avec TV5Monde (regardée par un million de personnes au moins une fois par semaine), RFI-Roumanie (qui émet en français et en roumain à Bucarest et dans d’autres grandes villes du pays) ou encore Regard, mensuel francophone d’actualités. « La Roumanie, dont le français n’est pas la langue maternelle, est l’un des pays où la francophonie est fortement représentée, avance Jean-Francois Peres, rédacteur en chef de la publication. Quand on se promène en Roumanie, on se rend vite compte que la francophonie n’est pas seulement une affaire linguistique, mais aussi historique, architecturale et, de façon croissante, économique. »

En effet, la France est l’un des principaux partenaires économiques de la Roumanie, avec plus de 325 millions d’euros investis depuis le début de l’année 2006 ; 50 000 Roumains travaillent actuellement dans des entreprises françaises. Le français est d’ailleurs un atout sur un curriculum vitae, comme le laisse entendre Patrick Gelin, PDG de la Banque roumaine pour le développement (groupe Société Générale), deuxième banque du pays : « Au niveau des cadres, en particulier ceux qui veulent faire carrière, la pratique du français est incontournable. La plupart des réunions de direction se font d’ailleurs en français. » L’Ambassadeur de France en Roumanie, Hervé Bolot, précise : « On constate que la France demeure la première destination des étudiants roumains de troisième cycle. Cela est à l’image de la dynamique économique, industrielle et commerciale des entreprises françaises dans le pays. »

Les 28 et 29 septembre 2006, Bucarest sera la première capitale européenne, hormis Paris, à accueillir un sommet de la Francophonie. Le thème de ce XIe sommet est « Les technologies de l’information dans l’éducation ». Parmi les enjeux, l’annonce possible de la création d’une université francophone dans la capitale roumaine.

Luca Niculescu

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N° 509 La vie du français en Europe (2)

06.08.17 Pologne, Lituanie, Slovénie : une francophonie en ébullition

(MFI) Dans ces trois pays membres de l’OIF, les initiatives foisonnent. Focus sur le projet de classes francophones en Silésie, les cartes postales chorégraphiques de Vilnius et la préparation de la présidence européenne de la Slovénie…

Pologne : classes francophones en Silésie Le projet « Classes francophones en Silésie » a pris forme. Cinquante professeurs de français

ont introduit un programme pilote dans leurs écoles respectives depuis décembre 2005. Le français a toujours été étudié par un grand nombre d’élèves en Silésie, où son apprentissage se maintient en 3e position après celui de l’anglais et de l’allemand, devançant le russe, tandis qu’il est passé au 4e rang dans la plupart des autres régions de la Pologne en 2005. D’une durée de trois ans, ce projet est destiné à tous les collèges, lycées et écoles professionnelles.

Son programme de français renforcé (minimum 4 h/semaine) permet de préparer le baccalauréat élargi de français en vue de poursuivre des études à l’étranger dans le cadre des programmes européens. Ses élèves doivent organiser la Journée internationale de la Francophonie, chaque année, le 20 mars, coopérer avec les clubs européens et encore participer au volontariat européen en tant que francophones. Ils sont en contact avec des écoles d’autres pays francophones à travers le monde, ce qui favorise leur correspondance en français. « Les élèves deviennent ainsi les ambassadeurs de la Pologne dans le monde francophone », explique-t-on à la Délégation Wallonie Bruxelles à Varsovie, inspiratrice du projet. Les enseignants, quant à eux, profitent d’une offre de formation continue très vaste. Ils échangent leurs expériences avec des collègues, créent leurs propres bases de données... Cette plate-forme entre enseignants de tous niveaux éducatifs est censée augmenter leur efficacité… et donc le nombre d’apprenants et de diplômés au niveau international.

Dans le cadre de la coopération décentralisée, les contacts indirects entre communautés locales en Silésie et dans d’autres pays francophones sont aussi facilités. Coordonnatrice du projet, la directrice adjointe du Collège de formation des maîtres en langues vivantes de Jastrzębie Zdrój, Renata Klimek-Kowalska, avait présenté celui-ci au Commissariat général aux Relations internationales de la Communauté française de Belgique, en février 2006, à Bruxelles, qui depuis a mis à disposition un conseiller pédagogique pour former les enseignants du réseau, élaborer le programme et assister les professeurs. Le tout dans un esprit d’ouverture à la francophonie, mettant l’accent sur les spécificités de la culture belge francophone et la promotion des relations belgo-polonaises. Co-auteure du projet et directrice de l’Alliance française de Rybnik, Elzbieta Paniczek assurera pour sa part la formation des professeurs chargés de préparer les élèves aux certifications internationales.

Lituanie : cartes postales chorégraphiques de Vilnius Dans ce pays observateur de l’OIF où le nombre de locuteurs en français est estimé à 67 520, il

n’existait jusqu’à présent qu’un modeste festival de théâtre francophone destiné aux scolaires et aux universitaires. Outre un club de débats, l’ambassade de France et le Centre culturel français de Vilnius, la capitale, viennent de lancer un projet d’éducation artistique original, créé en France sur une idée de la chorégraphe Dominique Hervieu pour le festival Francofffonies ! Selon des règles du

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jeu à la fois chorégraphiques, musicales et filmiques communes à tous, il sera proposé à des enfants, avec leurs professeurs de danse, ainsi qu’à des danseurs, de créer des duos intégrant des éléments des danses traditionnelles lituaniennes à ceux d’une création contemporaine. En 2007, certains duos seront filmés dans des lieux de rencontre de Vilnius – places, rues, musées, ponts – puis envoyés avec les commentaires des danseurs, tels des « cartes postales » audiovisuelles, sur un site Internet ouvert aux autres participants du projet disséminés aux quatre coins du monde : Mali, Cambodge, Tunisie, France… La lecture croisée de ces cartes postales tissera un « art de la rencontre », fondé sur un acte de tolérance esthétique fait de découverte et de partage, dans une authentique expérience de création, mettant en évidence similitudes et différences culturelles entre les duos du monde.

Slovénie: le Plan Présidence pour le français, sans tapage ni prétention Une longue tradition francophile a permis à la langue française de rester présente dans les

milieux culturels et politiques de Slovénie, devenue membre observateur de l’OIF en 1999. En avril 2005, elle a demandé le soutien de la France pour la préparation de sa haute administration à la Présidence européenne de 2008 – dont elle entend piloter les rencontres dans toutes les langues de l’UE, y compris le français. « La France s’est félicitée de l’ampleur de cette demande sans précédent historique », commente Dominique Geslin, directeur du Service de coopération et d’action culturelle à Ljubljana, la capitale de la Slovénie. L’ambassadrice de France en Slovénie, Dominique Gazuy, a sollicité l’appui du Secrétaire général de l’OIF, Abdou Diouf, qui s’est réjouit du fait que la langue française puisse « affirmer sa présence, sa modernité, son importance géopolitique » dans cette région de l’Europe. C’est ainsi que le 15 novembre 2005, un Memorandum intitulé « Plan Présidence pour le Français » a été signé entre la Slovénie, la Communauté française de Belgique et la France. L’accord prévoit des stages intensifs et extensifs d’ici 2008, ainsi que des sessions d’immersion en France, en Belgique ou au Luxembourg, ainsi que des simulations de conférences en langue française, à Ljubljana, dès le printemps 2006, pour quelque 600 fonctionnaires – dont près de 180 ont déjà été formés par l’ambassade de France et l’Institut français après l’adhésion de la Slovénie à l’Union européenne (mars 2003).

Depuis janvier 2006, les opérations de formation linguistique extensive (cours collectifs et individuels) ont déjà permis de former en français environ 350 fonctionnaires slovènes. Près de 1 300 heures ont été effectuées sur un volume global de 3 000 heures réparties sur toute l’année. Un séminaire de préparation se tient à Paris du 25 au 30 septembre 2006 avec les futurs partenaires français et portugais, auxquels une douzaine de fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et du Bureau des Affaires européennes slovènes participeront. Par ailleurs, l’ambassade de France en Slovénie organise à Ljubljana, à l’automne 2006, un atelier de simulation de la Présidence. Le plan OIF a attribué une subvention d’environ 60 000 euros pour ce projet, tandis que les Slovènes le financent à hauteur de 50 %.

« La langue française en Slovénie, sans tapage ni prétention, se porte plutôt bien et des promesses de développement sont là, présentes et dynamisantes ! », estime Dominique Geslin. D’autant que ce nouvel élan francophone ne se réduit pas au seul niveau européen. En amont, une politique linguistique sur la durée, en partenariat entre les deux pays, a pris appui sur la réforme du système éducatif. C’est ainsi qu’en 2005, la France a engagé en Slovénie 113 016 euros pour la coopération éducative, 180 395 euros pour la coopération universitaire, 97 240 euros pour la coopération technique et européenne et 67 004 euros pour la coopération culturelle.

Antoinette Delafin

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N° 510 La vie du français en Europe (3)

06.08.17 République Tchèque, Slovaquie : l’attrait grandissant de la langue

(MFI) Dans ces deux pays voisins qui ne faisaient qu’un jusqu’en 1993, membres de l’OIF, l’envie de français se développe et les motivations en sont aussi bien culturelles qu’économiques.

République tchèque : Brezen 2006, Frankofonni turné « C’est la première fois que les Tchèques participent aussi activement à l’organisation de la

tournée de la chanson francophone, tant financièrement qu’en termes de mobilisation », raconte Olivier Gillet, le délégué de la Communauté française de Belgique et de la Région wallonne en République tchèque. Il attribue le succès de la session de mars 2006 au concours actif de Pavel Svoboda, le vice-ministre des Affaires étrangères, soulignant que ce dernier a récemment suivi des cours de français.

Depuis six ans, les partenaires institutionnels et culturels francophones se regroupent pour organiser les Journées de la Francophonie en République tchèque, une manifestation qui se déroule sur l’ensemble du mois de mars. « Initiative unique et aventure collective, elle reflète bien et confirme l’attrait grandissant pour la langue et la culture francophone dans ce pays. » Manifestations littéraires, cinématographiques, plastiques et musicales ont lieu dans tout le pays, organisées en région par les Alliances françaises de Brno, de Bohême du Sud – Ceské Budejovice, de Liberec, d’Ostrava et de Pzlen, par le Centre français d’Olomouc, par les clubs franco-tchèques de Hradec Kralové, de Kladno, de Pribram et de Zlin, et par l’université de Hradec Kralové…

Cette année, le ministère tchèque des Affaires étrangères, la Ville de Prague, les ambassades de Canada et de Suisse, la Délégation Wallonie-Bruxelles, la Maison de Bourgogne et l’Institut français de Prague ont organisé une tournée de la chanson francophone. Des artistes de tous horizons ont conjugué les styles sur près de quinze scènes – chansons à textes, rock, pop, hip-hop –, notamment le Suisse Michel Bülher, la Canadienne Fabiola Toupin, la Belge Karin Clerq, le groupe français Lool, la formation tchèque Prago Union ou encore le rappeur sénégalais Awadi, Prix RFI Musiques du Monde 2003. Une brochure attrayante, tirée à 15 000 exemplaires, témoigne de la richesse de la programmation : certaines manifestations étaient organisées par le festival Afrique en créations, d’autres soutenues par les ambassades de Roumanie, d’Albanie, de Bulgarie... Un rendez-vous qui pourrait bien devenir incontournable.

Slovaquie : quand l’économie fait apprendre le français « Depuis son entrée dans l’Union européenne, environ 70 entreprises françaises se sont

implantées en Slovaquie, ce qui porte leur nombre à 310 aujourd’hui. » Edouard Meyer, de la mission économique française de Bratislava, énumère les noms des sociétés dont la plupart semble avoir suivi l’installation de l’unité Peugeot PSA dans la ville de Tmava. « La réputation de l’ancienne Tchécoslovaquie s’est construite sur son industrie métallurgique. Après sa scission avec la République tchèque en 1993, la Slovaquie avait beaucoup à offrir à l’Ouest. » Concrètement, il s’agissait de transformer les usines d’armement en chaînes de production automobile ou de nouvelles

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technologies. La politique libérale « à la Tony Blair » menée jusqu’à présent par le gouvernement slovaque lui permet d’afficher un taux de croissance annuel de 6 %.

L’arrivée des entreprises européennes a réveillé le goût des langues des jeunes Slovaques qui y ont vu des opportunités d’emploi plus avantageuses, et pouvant à terme les emmener à la découverte de l’Ouest. « Jusqu’à la chute du Mur de Berlin, la langue russe était obligatoire dans le cursus de l’Education nationale, l’allemand était toléré, du fait de la proximité de l’Autriche et de l’Allemagne, explique l’un des responsables de l’Institut français de Bratislava. Aujourd’hui, l’anglais tient la pôle-position. Mais de nouveaux cours de langues sont apparus : italien, espagnol, polonais, ukrainien. » Désormais, le français talonne le russe en nombre d’étudiants, et pourrait même le dépasser grâce à l’apport des entrepreneurs francophones.

« Peugeot PSA a un programme de formation initiale et permanente incluant des cours de français, ouvert à tous ses employés, du technicien au cadre, soit environ 2 500 personnes, précise Catherine Walterski, secrétaire générale de l’Institut et du service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France ; et comme le constructeur automobile a entraîné dans son sillage des sociétés sous-traitantes françaises, comme Faurecia ou Gefco, leurs employés sont venus grossir les rangs des étudiants. » La petite école primaire française de Bratislava, qui ne comptait que 9 élèves il y a trois ans, compte aujourd’hui 89 enfants de parents francophones, venus avec leurs employeurs. Un niveau collège en relation avec le Centre national de l’enseignement à distance (CNED) sera inauguré à la rentrée scolaire 2006.

Témoin vivant de ce nouveau type d’échange, Lubomir Jancok (« celui qui embrasse la paix » en slovaque), étudiant en sciences politiques et fondateur de l’association Pont Francophone : « En neuf mois, nous avons organisé une trentaine d’évènements. Nous nous sommes rendus au Parlement européen à Strasbourg et avons établi des relations avec l’Ecole nationale d’administration. » Interprète occasionnel pour la Société des Amis de Talleyrand (le ministre de Napoléon a séjourné à Presbourg – ancien nom de Bratislava – avant d’y signer le traité de paix éponyme), le jeune homme exerce aujourd’hui ses talents auprès du sidérurgiste Arcelor.

Antoinette Delafin et Marion Urban

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N° 511 La vie du français en Europe (4)

06.08.17 Italie, Portugal : comment la francophonie résiste

(MFI) L’Italie comme le Portugal ne sont pas membres de l’OIF, mais ils ont une tradition ancienne de pratique du français et restent attachés à la culture française. Les deux pays ont connu un recul sensible de l’apprentissage de la langue française chez les jeunes, au profit de l’anglais. Les dispositions européennes favorables à l’acquisition de plusieurs langues doivent permettre d’enrayer ce déclin.

Italie : un saut de génération Valentina parle, avec application, un français presque parfait. Cette jeune Italienne lit beaucoup

de littérature en français, connaît Michel Houellebecq, s’intéresse aussi aux littératures francophones et déclare avoir été très impressionnée par la lecture de Murambi, de l’écrivain Boubacar Boris Diop, roman (publié en 2004 en italien) sur le génocide rwandais. Valentina est le portrait-type de ces happy few d’Italie pour lesquels la francophonie revêt une signification plus ou moins précise. Heureux élus qui se recrutent presque exclusivement dans les milieux universitaires et aisés, qui voyagent volontiers et ont séjourné ou vécu à Paris, ont une relation presque spontanée avec la France et la culture française, et qui commencent à s’ouvrir à d’autres réalités culturelles, notamment africaines. Pour ceux-là, l’année francophone a pu être perçue avec un certain intérêt, grâce à l’effort consenti par le réseau culturel français (cinq instituts culturels – Florence, Milan, Naples, Palerme, Turin – et deux « délégations » culturelles à Bologne et Venise, ainsi que 54 Alliances françaises) pour promouvoir l’idée de francophonie au plan culturel.

Toutefois, à l’exemple de la seule enclave officiellement francophone en territoire italien, le Val d’Aoste où le français est langue officielle, on a en Italie avant tout une perception linguistique de la réalité francophone. De ce point de vue, la situation paraît à la fois satisfaisante et fragile. En raison des liens historiques et culturels très riches entre la France et l’Italie, la langue française est en bonne position parmi les langues internationales pratiquées dans le pays : on estime que l’Italie comprend 19 % de francophones (la communauté française s’élèverait à quelque 58 000 personnes), et le français est la deuxième langue vivante étudiée, en particulier dans l’enseignement secondaire où l’on compte 735 000 élèves au lycée (soit 21 % du total) en classes de français. Si l’on ne dispose pas de statistiques récentes pour le supérieur, de nombreux universitaires et intellectuels italiens pratiquent le français, ou du moins en ont acquis des rudiments.

Reste que tout le monde témoigne d’un recul du français, et d’un saut de génération constaté comme partout ailleurs en Europe : alors que la génération des plus de quarante ans montre une familiarité plus ou moins grande avec la langue française, les jeunes, eux, ont visiblement « décroché ». Les espoirs fondés sur la loi Moratti – effective depuis la rentrée 2005, elle rend obligatoire l’apprentissage de deux langues vivantes européennes –, dont on espère qu’elle consolidera la position de seconde langue du français, demandent à être confirmés. Des observateurs ne cachent pas un certain scepticisme, d’autres notent, toutefois, que le français résiste assez bien face à une poussée de l’anglais qui fut encouragée très officiellement par l’ancien gouvernement de Silvio Berlusconi.

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Portugal : le français, langue « chic »… mais difficile et démodée De « en passant » à « soi-disant », de « mon ami » à « tout court », les expressions françaises

abondent dans les pages des journaux de référence portugais. Le discours direct est souvent truffé de ces petits mots prononcés avec délice, car ils marquent l’appartenance à l’élite intellectuelle. Lorsqu’il paraît en couverture d’un magazine d’information réputé, un chef de gouvernement le fait lisant Le Monde, gage de crédibilité… Du côté des manifestations publiques, les commémorations (de Jean-Paul Sartre à Jules Verne et Georges Sand) mobilisent les foules pour des débats enflammés et des rendez-vous comme la Fête du cinéma et la Fête de la musique sont devenus incontournables.

Mais tous ces indices positifs ont leur contrepartie : on déplore alors la disparition de chaînes françaises sur le réseau câblé, la diminution des films français, la rareté des concerts d’interprètes contemporains, ou la baisse du nombre d’étudiants en français dans le supérieur. Et bien sûr le Portugal n’échappe pas à l’engouement pour l’anglais « utilitaire » au détriment d’un français autrefois dominant.

Au XIXe siècle, la bourgeoisie portugaise choisit d’adopter les us et coutumes de la noblesse, et donc apprend le français, signe d’élégance et de raffinement. La tradition perdure, et à partir de 1947, alors que l’enseignement se démocratise, le français est étudié durant sept ans au collège, et l’anglais trois ans. Vingt ans après, une première réforme accorde un statut d’égalité aux deux langues. En 1989, il n’y a plus de langue obligatoire, et les élèves ont le choix entre quatre langues : le français, l’anglais, l’allemand et l’espagnol. L’anglais est aujourd’hui la langue étrangère la plus enseignée, avec 89,8 % des élèves. Le français arrive en seconde position, avec 54,4 %, caractéristique partagée dans l’Union par l’Espagne et l’Italie.

Des 30 000 diplômés de l’université qui veulent enseigner, 8 000 sont des professeurs de langue (portugais plus une langue), dont la moitié des enseignants de portugais-français. Une situation qui résulte de la chute démographique, du manque d’intérêt des étudiants pour les sciences humaines et de la perte d’aura du français. « Désormais c’est l’anglais qui s’enseigne durant la quasi totalité de la scolarité. Le français et les profs de français se sentent un peu abandonnés », reconnaît Zelia Sampaio, présidente de l’Association portugaise des professeurs de français, l’APPF. Dans la réalité, il y a presque rupture générationnelle : si l’anglais est incontournable, le français est désormais perçu comme une langue difficile et démodée. Et le Portugal n’a pas les moyens d’offrir un choix équitable entre les 4 langues étrangères enseignées. L’option retenue de donner un caractère obligatoire à deux langues pendant la scolarité y est cependant conforme aux objectifs fixés par l’Union européenne.

Thierry Perret et Marie-Line Darcy

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N° 512 La vie du français en Europe (5)

06.08.17 Allemagne, Royaume-Uni, Suède : la force des échanges

(MFI) Bien que l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Suède ne soient pas membres de l’OIF, des initiatives visant à promouvoir la culture francophone ont été lancées avec succès dans ces pays. Focus sur le projet France Mobil en Allemagne, sur un programme de formation croisée des professeurs d’anglais et de français et sur le festival du film français de Stockholm.

Allemagne : quand les jeunes parlent aux jeunes L’idée de France Mobil est simple : sensibiliser à la langue française les jeunes Allemands au

sein de leurs écoles, grâce à de jeunes Français passionnés par l’Allemagne et bilingues. A bord de véhicules contenant des jeux, des vidéos, des cd-roms, des livres et des revues pour la jeunesse, ainsi que des brochures touristiques, douze jeunes Français sillonnent depuis septembre 2004 les seize Länder allemands en se rendant dans des établissements scolaires intéressés, de l’école élémentaire à la classe terminale. Ce projet a été lancé à l’initiative de l’ambassade de France en Allemagne et de la fondation Robert Bosch, qui œuvre pour l’amitié franco-allemande. Cette dernière finance les bourses des intervenants et prend en charge les frais inhérents aux tournées. L’ambassade de France en Allemagne forme pour sa part les intervenants et établit avec les ministres de l’éducation des seize Länder les priorités des France Mobil.

Renault Nissan Allemagne et le Conseil général de Moselle apportent leur soutien logistique en mettant à disposition les douze véhicules France Mobil et en finançant les assurances et l’entretien des véhicules. Des maisons d’édition françaises et allemandes sont également partenaires de l’opération telles Klett et Pons du côté allemand ou Bayard Jeunesse et l’Ecole des loisirs du côté français. Mais pour les promoteurs du projet, ce qui est vraiment encourageant est l’intérêt croissant des régions françaises et des Länder allemands. Des partenariats ont été ainsi conclus entre la Hesse et la région Aquitaine et les villes de Hambourg et de Marseille. L’initiative de Hambourg a permis de lancer un nouveau type de France Mobil, consacré aux établissements professionnels.

Le même genre d’opération existe aussi depuis 2000 pour promouvoir l’allemand en France avec les DeutschMobil. Et lorsqu’on fait le bilan de ces actions, on constate que le nombre d’élèves dans les établissements qui ont reçu la visite d’un France Mobil ou d’un DeutschMobil ayant choisi le français ou l’allemand en première ou deuxième langue a augmenté de façon significative (entre 25 à 30 %). Il est important de sensibiliser la jeune génération et c’est pour continuer sur cette lancée qu’a été créé, en octobre 2004, le Prix des lycéens allemands, inspiré du prix Goncourt des Lycéens. L’idée est de faire attribuer un prix littéraire lors de la Foire du livre de Leipzig par des élèves allemands qui apprennent le français dans les lycées. Le roman de Marie-Aude Murail, intitulé Simple, est le lauréat 2006.

Royaume-Uni : des échanges de professeurs Développer les échanges entre enseignants est aussi un bon moyen de faire progresser la

francophonie. C’est ce qui a été réalisé entre la France et le Royaume-Uni. A l’origine, il y a les « accords du Touquet », signés en février 2003 entre les gouvernements français et britannique, et qui permettent chaque année à 400 enseignants stagiaires français du premier degré et à autant

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d’enseignants anglais de suivre un stage pratique de quatre semaines dans le pays partenaire. Ces accords ont été prolongés et développés par un nouvel « arrangement administratif » conclu en juin 2006 lors du 28e Sommet franco-britannique. Ce texte, qui servira de cadre à la coopération éducative entre les deux pays pendant les quatre années à venir, a pour ambition de développer les échanges dans toutes les voies de l’enseignement scolaire et supérieur. Trois domaines seront privilégiés : la formation des enseignants et des personnels d’encadrement, les partenariats scolaires et universitaires et les échanges sur des thèmes d’intérêt commun, notamment dans le cadre de visioconférences appelées « café éducation », à raison de trois ou quatre fois par an.

Il reste que la Fédération internationale des professeurs de français a tiré la sonnette d’alarme quant à la situation de l’enseignement de cette langue dans les écoles britanniques. Depuis que le gouvernement anglais a décidé en 2003 de rendre l’étude des langues étrangères facultative à partir de la classe de troisième, on a déjà pu remarquer en 2004 un taux d’abandon important entre la première et la terminale, les effectifs passant de plus de 20 000 à environ 15 000 élèves.

Suède : le cinéma, vecteur de francophonie Il existe nombre de vecteurs pour le développement de la francophonie, notamment dans le

domaine artistique, comme le cinéma. C’est le cas avec le Festival du film français de Stockholm, dont la huitième édition a eu lieu en juin 2006. Pendant cinq semaines, la capitale suédoise vit à l’heure francophone et parvient à séduire un public de plus en plus large – même s’il reste encore très modeste (8 000 entrées en 2005). Ce festival est organisé par trois partenaires privés suédois : un producteur (DFM Fiktion), un distributeur de films (Triangel Film, l’un des plus gros acheteurs de films français en Suède) et un cinéma (Sture) avec le soutien de l’ambassade de France et de la Cinémathèque suédoise.

Au programme de l’édition 2006 : une invitée d’honneur, Carole Bouquet, une carte blanche proposée à Arte pour sélectionner des films que la chaîne franco-allemande a co-produit et des soirées suisse et canadienne. La programmation du festival est assez éclectique et comprend des films qui se veulent différents et vont au-delà de la propagande pour la culture française, explique son directeur, Olivier Guerpillon. Se côtoient ainsi à l’affiche des films marocains, canadiens, belges, suisses, tunisiens, thaïlandais, taïwanais, etc. En 2006, le festival s’est étendu également dans trois autres villes : Göteborg, Lund et Malmö.

Isabelle Verdier

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N° 513 06.08.10 La Francophonie a-t-elle une vocation européenne ?

(MFI) La tenue du XIe Sommet de la Francophonie à Bucarest est l’occasion de

s’interroger sur la situation de la langue française et l’imaginaire qu’elle véhicule en Europe. Cinq personnalités du monde des lettres réagissent.

Sophie Képès, écrivain, traductrice : « Une alternative à la domination d’une seule langue » De langue maternelle française, j’ai commencé mon parcours d’écrivain avant de devenir

traductrice de hongrois, ma langue paternelle. Puis j’ai découvert les littératures d’Europe centrale et balkanique, et leur fréquentation a imprégné et remodelé mon rapport à la langue française et ma poétique romanesque. A tel point qu’aujourd’hui, je me considère comme un « auteur francophone de littérature centre-européenne ».

Pendant des siècles, la Hongrie a subi le joug politique et culturel de ses puissants voisins germanique et russe. Pour échapper à leur influence et se revendiquer européens avant tout, les Occidentalistes (fin XIXe - début XXe) se sont tournés vers la France. Ecrivains, peintres, musiciens puis photographes étaient francophiles, souvent francophones. Depuis la chute du communisme, et plus encore depuis l’entrée dans l’Union européenne, la francophonie se renforce en Hongrie. Elle représente à nouveau une alternative à la domination d’une seule langue, et à ce titre, elle a un rôle immense à jouer. A l’inverse, n’oublions jamais que la langue et surtout la littérature françaises ont grand besoin de se frotter aux autres !

Jean-Marie Klinkenberg, professeur à l’université de Liège, membre du Haut conseil de

la Francophonie : « La conjoncture permet au français d’être la langue de la diversité » L’Europe ne serait pas elle-même si elle ne respectait pas la diversité dont elle a fait une de ses

valeurs. Si le français y a une mission à remplir, c’est celle-là : contribuer à faire contrepoids à la massification mondiale. Certes, il n’est pas dans l’essence du français d’être la seule langue à pouvoir endosser ce rôle, parce qu’elle serait naturellement non alignée, ou qu’elle serait « la langue des droits de l’homme ». Non seulement aucune collectivité n’est investie d’une mission messianique, mais le passé de la langue française la prépare peu à être la langue de la diversité. Il se fait toutefois qu’elle est dans une position conjoncturelle qui lui permet de l’être en ce début de millénaire : d’une part elle permet l’expression de la modernité, et d’autre part, assez forte pour être fédératrice et assez faible pour ne pas être universellement dominatrice, elle occupe une position tactique qui lui permet de mener le combat contre les hégémonies mortifères. Mais ce combat, elle ne pourra le gagner qu’en nouant des alliances tactiques avec les autres langues qui sont dans la même position : l’allemand, l’espagnol, le russe…

Sonia Ristic, écrivain croate : « Le français des Lumières pour tenter de consoler

l’inconsolable » Quand j’entends francophonie, je pense Afrique. Peut-être parce que le français, qui est depuis

quinze ans ma langue d’exil et surtout d’écriture, c’est au coeur de l’Afrique que je l’ai rencontré, à l’âge de six ans. Mais qui peut nier que la francophonie est également européenne ? En digne fille d’une diplomate yougoslave, je pense qu’aujourd’hui, alors que l’anglais reste profondément marqué

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par la logique de l’hyper-puissance, la francophonie peut servir l’idéal du non-alignement dans une Europe encore très polarisée. C’est pourquoi quand on me demande si la francophonie a une vocation européenne, pendant un instant au moins, j’ai envie de dire oui et d’y croire.

J’ai envie de me souvenir que le français fut la langue des Lumières, qu’il fit rêver de mondes meilleurs en mettant fin à un régime d’injustices, qu’il y a deux siècles il propagea ces idées à travers l’Europe et qu’il écrivit la Déclaration des droits de l’homme. J’ai envie de croire qu’il peut être à nouveau la langue du progrès et de l’universel. J’ai envie de rêver d’une Europe qui choisirait le français des Lumières pour tenter de consoler l’inconsolable, pour faire taire les bombes à Beyrouth, à Grozny, à Bagdad.

J’ai envie de rêver d’une francophonie qui ne serait plus le cousin pauvre, mais notre mère à tous, une mère accueillante, protectrice, généreuse. Oui, je rêve. Mais qui sait ? Peut-être n’est-ce pas un rêve si fou ? Peut-être... En français, il y a un si joli mot pour « peut-être », c’est Inch’Allah.

Boniface Mongo-Mboussa, critique littéraire : « Le procès de la face diurne du

colonialisme » La Francophonie peut jouer en Europe un rôle très important : devenir un espace d’échange

littéraire et intellectuel fécond, un espace de convivialité et de dialogue. Je travaille actuellement avec Lakis Prodiguis, un grand critique grec francophone : nous méditons sur la nécessité de maintenir une francophonie littéraire et intellectuelle dans un monde marqué par le communautarisme et les revendications identitaires exacerbées.

Comme l’écrit si bien l’auteur grec Théodoropoulos, « la francophonie littéraire n’est pas un projet politique, c’est, avant tout, la marque d’une attitude intellectuelle ». C’est au nom de cette attitude intellectuelle que Diderot a séduit Catherine, impératrice de Russie. C’est au nom de cet humanisme universel des Lumières que Mongo Beti, Césaire ou Senghor ont instruit le procès de la face diurne du colonialisme, prolongeant ainsi le travail de Montesquieu, de Diderot, de Voltaire ou de l’abbé Grégoire. Une telle francophonie a encore toute sa place en Europe.

Timur Muhidine, traducteur de turc : « Une francophonie thérapeutique ? » A Istanbul, à Izmir ou à Salonique autour de 1900, on parlait certainement plus français que

turc ! De nos jours, la francophonie se traduit par une présence forte du français dans l’enseignement secondaire et par un goût répandu pour les émissions de TV5.

La Turquie d’aujourd’hui connaît aussi une francophilie active dans le domaine des sciences humaines : les traductions de Braudel, Foucault, Deleuze et Derrida occupent le devant de la scène intellectuelle... La psychanalyse a aussi fait son entrée en Turquie sur la base du français : les psychanalystes turcs sont encore largement formés à Paris et l’Ecole freudienne française domine. Cette francophonie-là serait-elle thérapeutique ?

A défaut de la langue française, les Turcs ont peut-être besoin d’un modèle français puisque leur inconscient porte encore la trace de l’esprit des Lumières et de la Révolution française. Mais cette idée-là de la France pourrait, à l’image du kémalisme qui s’en est beaucoup inspiré, être mise à mal... Il est à craindre que le renouveau nationaliste mâtiné d’un islam pas toujours modéré que connaît la Turquie aujourd’hui soit moins propice à la diffusion de la francophonie.

Propos recueillis par Tirthankar Chanda

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N° 514 06.08.16 Demain, un réseau des bibliothèques numériques francophones

(MFI) Annoncée à l’occasion de la fête de la Francophonie, en mars 2006, la

création d’un réseau des bibliothèques numériques francophones soulève de nombreuses questions dont le transfert de technologie n’est qu’un aspect.

« Ce n’est pas par arrogance que nous avons débuté par une réunion des bibliothèques

nationales du Canada, du Québec, de Belgique, du Luxembourg, de la France et de la Suisse », se défend Jean-Noël Jeanneney, lorsque, le 8 juin 2006, on l’interroge sur l’absence des pays non-occidentaux du projet de bibliothèque numérique francophone, lancé trois mois plutôt. Le directeur de la Bibliothèque nationale de France participe ce jour-là à un débat organisé autour de la Table à palabres de l’OIF. « A ce stade, précise-t-il, il s’agit de commencer à travailler avec les pays les plus avancés dans la numérisation ; notre priorité est le transfert de technologie, et la bibliothèque d’Alexandrie, qui vient de nous rejoindre dans cette initiative et avec qui nous travaillons depuis quelques années dans le cadre de la BNF, constituera notre projet-pilote. »

Pour l’instant, le propos s’arrête là. Car une multitude de questions se posent dès lors que l’on évoque les bibliothèques du Maghreb, d’Asie ou d’Afrique francophones : quels formats choisir pour la mise en ligne, qui les contrôlera ; quels contenus retenir (les plus fragiles ou les plus importants) ; les documents francophones seront-ils les seuls sélectionnés ou bien y ajoutera-t-on des documents en langues nationales (et donc jusqu’où va le respect de la diversité culturelle) ; comment constituer les collections, numériser les cultures orales, s’acquitter des droits d’auteurs ; qui financera ce réseau compte tenu du manque de moyens des bibliothèques « du Sud », etc., etc. Une réunion est prévue au début de l’année 2007 pour essayer d’y voir plus clair. Quoiqu’il en soit, la constitution de ce réseau bénéficiera de l’expérience de la Bibliothèque numérique européenne. Jean-Noël Jeanneney le définit déjà comme un « complément naturel » de celle-ci.

La numérisation est moins complexe que la construction du réseau Entamée dans la plupart des pays développés au début des années quatre-vingt-dix, la

numérisation des livres dans les bibliothèques nationales et universitaires répondait avant tout aux problèmes de conservation, liés aux attaques du temps accentuées par les multiples manipulations des consultants. La lecture sur écran d’ordinateur se substituait progressivement aux parfums des reliures, mais les programmes informatiques et CD-ROMS offraient également un plus large accès au savoir et non pas seulement aux chercheurs oeuvrant à sa construction. « Rétrospectivement, je dirais que la numérisation n’est pas la phase la plus complexe », explique Lise Bissonnette, l’actuelle directrice de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, dont les nouveaux locaux ont été inaugurés en 2005 à Montréal. « La construction d’un réseau est autrement plus longue et tortueuse. Et nous devons agir vite. »

L’idée de dépasser les murs de la bibliothèque et de se raccorder à d’autres centres de ressources était inhérente à la numérisation des livres. Les premiers à s’organiser furent les centres de recherches et les bibliothèques universitaires. Cependant, la mise à disposition en ligne gratuite de textes dits

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« classiques » ou « fondamentaux » par les bibliothèques nationales, conjointement au développement vertigineux de la toile, eut tôt fait d’attirer les convoitises des marchands. En octobre 2004, la société Google (moteur de recherche de internet) annonce ainsi son intention de mettre en ligne gratuitement 15 millions de livres issus de cinq bibliothèques anglo-saxonnes, parmi les plus prestigieuses, ainsi que des extraits des livres d’auteurs contemporains, en accord avec les éditeurs.

BNUE, TEL : l’Europe contre-attaque La riposte a été rapide : non seulement du fait des concurrents de Google, mais aussi des Etats.

« Partout dans le monde, on a accéléré la numérisation. » La main sur le cœur, Lise Bissonnette assure que les bibliothèques nationales le font dans un « esprit d’enrichissement culturel ». Dès janvier 2005, Jean-Noël Jeanneney analysait cependant le défi de Google comme celui de « la domination écrasante de l’Amérique dans la définition de l’idée que les prochaines générations se feront du monde ».

La bibliothèque numérique européenne (Bnue) est aujourd’hui en marche. Quarante-cinq bibliothèques, réparties dans les 25 pays de l’Union européenne ont adhéré au projet. Beaucoup d’entre elles vont reverser au fonds commun des ouvrages déjà numérisés. Mais, dorénavant, on travaille en sélectionnant des livres et images qui peuvent présenter un intérêt pour l’ensemble de l’Europe. La décision de créer un portail spécifique Bnue n’a pas encore été prise ; pour l’heure, chaque bibliothèque propose les « classiques » sur son propre site. Suivront les dictionnaires et les ouvrages scientifiques, avant d’en arriver aux collections de journaux européens. Mais la Commission européenne souhaiterait que le projet soit plus identifiable, en utilisant le site de « The European Library » (TEL), déjà existant.

La France contribuera à hauteur de 200 000 ouvrages. En 2006, environ 30 000 ouvrages de la bibliothèque numérique française Gallica ont été « OCRisés »*, et en 2007, un budget de 10 millions d’euros sera consacré à la numérisation d’environ 120 000 ouvrages. Chaque pays européen gère ses financements de façon indépendante. Des mécènes privés y participent. Actuellement, le rythme de numérisation de l’ensemble de la BNUE est d’environ 400 000 ouvrages par an.

Marion Urban

A consulter : - La fourniture de services de bibliothèque à l’ère numérique : opportunités et menaces pour les bibliothèques d’Afrique. Kgomotso Mohai. Août 2003, http://www.ifla.org/IV/ifla69/papers/097f_trans-Moahi.pdf - www.theeuropeanlibrary.org - www.booksgoogle.com * OCR signifie Optical Character Recognition, reconnaissance optique de caractères. OCRiser signifie traiter un document préalablement numérisé avec un logiciel permettant d’obtenir sa version textuelle et non pas seulement son image. Le taux de reconnaissance est variable en fonction de l’original, mais dans tous les cas insuffisant ; il faut donc ensuite faire vérifier l’ensemble du texte obtenu par un œil humain.

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N° 515 06.08.10 Politiques migratoires : la Francophonie, laboratoire d’idées

(MFI) De par la diversité de ses membres, l’ensemble francophone peut constituer

un véritable laboratoire d’idées sur le phénomène migratoire. Les principaux pays d’accueil tels que la France, le Canada, la Belgique ou la Suisse mènent leurs propres politiques avec cependant des axes communs, tandis que les pays francophones d’Afrique et d’Europe de l’Est, eux, sont confrontés au départ ou au transit des candidats à l’émigration.

Alors que la conférence euro-africaine de Rabat sur l’immigration et le développement des 10 et

11 juillet 2006 (1) instaurait une coopération accrue entre pays d’origine, de transit et de destination, la Francophonie, qui réunit ces trois types de pays, constitue un cadre idéal d’échanges d’expériences et d’idées.

On retrouve certaines constantes dans la politique migratoire des principaux pays d’accueil francophones (Belgique, Canada, France, Suisse). Ainsi, l’idée de la sélection des candidats à l’immigration, déjà largement pratiquée. Au Canada, les ministres territoriaux, provinciaux et fédéral chargés des questions d’immigration ont, en novembre 2005, placé parmi leurs cinq priorités-clés une meilleure sélection des immigrants avec la création d’une nouvelle catégorie économique destinée à retenir les personnes qui possèdent une expérience de travail ou qui ont reçu une formation au Canada.

En France, la deuxième (après celle de novembre 2003) loi sur l’immigration présentée par le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, adoptée le 21 juillet 2006, prévoit une carte de séjour " Compétences et Talents " destinée à attirer, entre autres, des chercheurs et des étudiants. Cette loi prévoit également de nouvelles restrictions pour les migrations familiales, au contraire du Canada qui, lui, a investi en 2005 dans un programme de deux ans destiné à accélérer le traitement des demandes de parents et des grands-parents au titre du regroupement familial.

Autre constante des pays d’accueil francophones : une politique contraignante d’intégration. La Suisse a ainsi adopté fin 2005 une loi qui prévoit des « cours d’intégration » obligatoires pour l’immigrant. Selon ce texte, les autorités devront prendre en compte le degré d’intégration du demandeur pour prolonger ou accorder les permis de séjour. La même politique est suivie par la France avec la mise en place, depuis janvier 2004, des Contrats d’accueil et d’intégration (CAI). Pour sa part, la Belgique a accordé en 2004 un droit de vote aux élections communales aux étrangers non européens établis sur le territoire belge depuis cinq ans au moins.

En Europe de l’Est, de nouveaux équilibres se forment Du côté des pays francophones d’origine de l’immigration, deux grands champs géographiques

existent : l’Afrique (avec comme principaux pays émetteurs le Maroc, les deux Congo, le Mali et le Sénégal) et l’Europe de l’Est. Dans cette dernière zone, de nouveaux équilibres migratoires apparaissent à la suite de l’intégration, en 2004, de huit nouveaux pays au sein de l’Union européenne, dont six sont également membres observateurs (*) de la Francophonie : Estonie, Hongrie*, Lettonie, Lituanie*, Pologne*, République tchèque*, Slovaquie* et Slovénie*. L’intégration prochaine au sein

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de l’Europe de la Bulgarie et de la Roumanie, membres à part entière de l’OIF et grands pourvoyeurs de main d’œuvre en Europe (majoritairement en Espagne et en Grèce pour la Bulgarie et en Allemagne et en Italie pour la Roumanie), devrait bouleverser un peu plus la donne. La Bulgarie comme la Roumanie se préparent en effet à devenir les nouvelles frontières de l’Europe et adoptent des procédures beaucoup plus strictes de contrôle des flux migratoires.

Quant aux pays de transit de l’immigration, ils sont de plus en plus nombreux, étant bien souvent également pays d’origine. C’est d’ailleurs parce qu’il était confronté à cette double réalité que le Maroc a été à l’initiative de la conférence euro-africaine de Rabat. Pour pallier la fuite des cerveaux africains vers l’Europe, les participants à cette conférence ont prôné, entre autres, une intensification des échanges entre universitaires du Nord et du Sud ainsi qu’une plus grande facilité de circulation des étudiants et des hommes d’affaires : des actions déjà entreprises par les structures francophones. Les nombreuses discussions en cours au sein de l’OIF sur ces thèmes – qui sont au cœur de l’actualité internationale, comme l’illustre le Dialogue de haut niveau sur les migrations internationales et le développement des 14 et 15 septembre 2006 à l’assemblée générale des Nations unies – ne peuvent qu’être amenées à se formaliser.

Isabelle Verdier

(1) Conférence organisée à l’initiative du Maroc, de l’Espagne et de la France, avec la participation de l’Union européenne et de l’Union africaine.

Les flux migratoires dans les pays francophones (MFI) A la lecture du dernier rapport* de l’OCDE sur les migrations, on constate que dans les

principaux pays d’accueil francophones, les flux migratoires sont économiques avant d’être linguistiques. Pays d’immigration par excellence, le Canada accueille ainsi en majorité des étrangers originaires d’Asie : sur un total de 236 000 entrées étrangères en 2004, on comptait ainsi 36 000 Chinois, 26 000 Indiens et seulement 6 000 Roumains et 5 000 Français. De même, les liens linguistiques ne jouent pas pour l’immigration vers la Suisse : ce sont les Allemands et les Portugais qui arrivent en tête des entrées avec respectivement 18 000 et 14 000 ressortissants sur un total de 96 000 en 2004.

Le critère de la langue française et les liens historiques ont malgré tout une influence pour la France et la Belgique. Sur un total de 134 000 entrées d’étrangers en France en 2004, les Algériens (27 000) et les Marocains (22 000) arrivent ainsi largement en tête. On retrouve ensuite les ressortissants de Tunisie, du Congo-Brazzaville, d’Haïti, du Sénégal, du Mali et de la Roumanie. Enfin, en Belgique, qui n’a comptabilisé que 72 000 entrées d’étrangers en 2004, les Français et les Marocains font partie du trio de tête avec respectivement 9 500 et 8 000 personnes. Viennent ensuite dans une proportion moindre les ressortissants de Pologne, de Roumanie et de la République démocratique du Congo. * Perspectives des migrations internationales, Organisation de coopération et de développement économiques, Sopemi 2006.

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B 5617 LE FRANÇAIS EN EUROPE 2006.08.10

(MFI) Le nombre de francophones diminue sur le vieux continent. Au banc des accusés : la facilité du « tout-anglais », le déclin des langues vivantes dans les différents systèmes scolaires, mais aussi la moindre place de la France en Europe. Maîtriser le français constitue pourtant un atout professionnel et l’attrait culturel de l’Hexagone reste vif.

« Qu’est-ce qui fait du français la

langue universelle de l’Europe ? » Telle était la question posée au concours d’entrée à l’Académie diplomatique de Berlin… en 1784. Il serait aujourd’hui présomptueux de proposer le même sujet d’examen aux futurs ambassadeurs allemands. Mieux vaudrait les faire réfléchir à la seconde question posée au même concours : « Peut-on présumer que la langue française conservera cette suprématie ? » Aujourd’hui, la réponse est facile : elle est négative. Selon le Haut Conseil de la Francophonie en effet, ces trois dernières années un quart des élèves apprenant le français en Europe ont disparu, passant de 36 à 28 millions.

Un constat suffisamment inquiétant pour que la Fédération internationale des professeurs de français décide de consacrer un congrès à ce sujet, en novembre prochain à Vienne. Comme l’explique sa secrétaire générale, Martine Defontaine : « Dans la plupart des pays européens, on assiste à une baisse du nombre d’heures dévolues à l’enseignement du français, à une réduction des budgets pour la création de filières spécialisées, à la suppression de postes de professeurs. Une logique utilitaire favorise le tout-anglais. » Au-delà du seul cas du français, le problème est celui du statut des langues étrangères dans l’enseignement. Tous les pays n’imposent pas l’apprentissage de deux langues vivantes à l’école. Souvent la deuxième langue n’est qu’une option qui se retrouve en concurrence avec l’informatique, le théâtre ou les arts plastiques. Lorsque deux langues sont obligatoires, le français défend généralement sa place, devant l’allemand et l’espagnol. Mais lorsque les élèves n’ont qu’une seule langue à choisir, c’est presque toujours l’anglais – perçu avec raison comme la langue de communication internationale – qui a leur préférence. D’autant que – impératif budgétaire ou choix pédagogique – de nombreuses écoles à travers le vieux continent n’offrent pas d’autres possibilités.

Apprendre obligatoirement deux

langues européennes Pourtant en mars 2000, réunis à

Barcelone, les chefs d’Etat et de gouvernement de ce qui était alors l’Europe des Quinze avaient approuvé l’obligation d’apprendre dans le secondaire au moins deux idiomes européens en plus de la langue maternelle. Cela afin d’encourager les échanges culturels, la mobilité professionnelle et l’intégration régionale. Six

ans après, force est de déchanter. La seconde langue vivante est devenue optionnelle en Grèce, au Danemark, en Autriche, en Italie, dans plusieurs provinces espagnoles… Sans compter les pays où elle l’était déjà (Norvège, Irlande, Hongrie…) A chaque fois, le français en pâtit. En outre, appliquer trop strictement la déclaration de Barcelone n’a pas toujours favorisé la langue de Molière. Ainsi le gouvernement autonome de Catalogne avait décidé que les deux langues européennes obligatoires seraient l’anglais et l’espagnol, les élèves suivant leurs cours en catalan. Il a depuis assoupli sa position. Mais la revendication croissante d’une Europe des régions verra le problème se reposer à terme. L’Italie a aussi joué les trublions. Le précédent Premier ministre, Silvio Berlusconi, avait imposé un décret – le décret 25 – instituant la possibilité pour les écoles de remplacer la seconde langue par des heures supplémentaires d’anglais afin qu’au terme de leur scolarité, les enfants « parlent aussi bien anglais qu’italien » pour reprendre les termes du Cavaliere. Les protestations tant des enseignants, des parents d’élèves que des ambassades de pays francophones, ont contraint les autorités transalpines à abroger ce décret en janvier 2006. Quant au Royaume-Uni, même la première langue vivante n’est obligatoire que les deux premières années du secondaire. Le français est certes le premier choix, mais est vite abandonné.

Le français, deuxième langue

maternelle dans l’Union européenne après l’allemand

Souvent peu encourageant, le panorama du français en Europe mérite cependant d’être affiné. Tout n’est pas sombre évidemment. Le français reste, totalement ou pour partie, la langue maternelle de cinq pays européens : la France, la Belgique, la Suisse, le Luxembourg et Monaco, auquel s’ajoute le cas particulier d’Andorre. Soit environ 70 millions de personnes. Le français est ainsi la deuxième langue maternelle dans l’Union européenne, après l’allemand (92 millions de locuteurs), mais devant l’anglais (64 millions). Par contre, à en croire l’office statistique de l’UE, en additionnant langue maternelle et langue étrangère, l’anglais est parlé (plus ou moins bien) par 56,4 % des Européens, l’allemand par 32 %, le français par 28 %, l’italien par 18 % et l’espagnol par 15 %. Certains se réjouiront aussi que l’enseignement du français est obligatoire dans plusieurs pays : la partie flamande de la Belgique (alors que le néerlandais n’est pas obligatoire en Wallonie), la Roumanie, l’Albanie, Jersey, quelques länder allemands… « Il ne s’agit parfois qu’une heure ou deux par semaine, notamment en primaire. C’est satisfaisant, mais pas synonyme d’un effort à long terme en faveur du français », avertit-on au ministère français des Affaires étrangères. Enfin, à la question « Quelles sont les deux langues les plus utiles en dehors de votre langue maternelle ? », 69 % des

ressortissants de l’Union européenne répondent l’anglais, 37 % le français et 26 % l’allemand. Le français est presque toujours la deuxième langue étrangère enseignée après l’anglais dans l’UE ; en moyenne, 32 % des élèves l’apprennent.

Des pays encore très francophones… Pour les défenseurs de la francophonie,

les motifs de satisfaction existent donc. En la matière, le bon élève toujours cité est la Roumanie. On y compte 1,7 million de francophones – soit 8 % de la population – et 4,4 millions de personnes pouvant se « débrouiller » dans la langue. Record d’Europe ! Près de deux millions d’élèves apprennent le français au collège et au lycée. Soixante établissements proposent des sections bilingues et trente universités des filières francophones. La Roumanie est l’un des rares pays européens où le français peut être choisi comme première langue vivante à l’école. « Evidemment, l’anglais prend une importance croissante, surtout en ville. Mais le niveau des élèves en français reste excellent car ils commencent à l’étudier dès l’âge de 10 ans », se félicite Mariana Perisanu, professeur à l’Institut français de Bucarest.

Autre pays source de satisfaction : la Moldavie, où le quart des 4,5 millions d’habitants se déclarent francophones. Du primaire à l’université, 400 000 étudiants apprennent le français (72 % des collégiens). Dans l’ensemble du pays, 113 écoles proposent des sections de « français renforcé » avec au moins cinq heures de cours par semaine. Comme en Roumanie, c’est la tradition historique et le fait que la langue nationale soit d’origine latine qui expliquent ce succès du français.

On peut encore citer dans le peloton de tête européen de la langue française l’Albanie, la Macédoine et la Bulgarie qui, tous trois, revendiquent 10 % de francophones. Plus au nord, 3 % des Polonais – soit 1,2 million de personnes – se disent aussi totalement ou partiellement à l’aise en français. Mais dans ce dernier pays, l’effondrement du russe depuis 1989 a surtout profité à l’anglais et à l’allemand (2,3 millions d’enfants apprennent l’allemand contre 300 000 seulement le français).

Les esprits chagrins noteront que, Pologne excepté, ces pays francophiles ne sont pas de grands bassins de population, ni des sphères d’influence politique et économique déterminantes.

La deuxième langue étrangère étudiée

après l’anglais Ailleurs en Europe, le français est

quasiment partout la deuxième langue étrangère étudiée après l’anglais. Mais il doit faire face à la forte concurrence de l’allemand en Europe de l’Est (République tchèque, Hongrie) et aux Pays-Bas. Certes, certains chiffres sont impressionnants, comme ces 2 millions d’élèves au Royaume-Uni et en Allemagne, 1,6 million

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en Italie et en Espagne, plus d’1 million en Russie. Mais cela n’est pas synonyme d’études tout au long de la scolarité ni de nombre d’heures de cours conséquent. Quant à devenir parfaitement francophones… Ainsi 77 % des petits Grecs apprennent le français au collège, mais à peine 15 % au lycée. Même la Suisse – dont 20 % de la population a le français pour langue maternelle – fait de la résistance ; les cantons de Zurich et d’Appenzell ont décidé que, des deux langues non-maternelles enseignées en primaire, l’anglais serait prioritaire sur le français.

L’ouverture sur le monde de la Russie et de ses ex-satellites après 1989 n’a guère profité à la francophonie. Au contraire. L’anglais n’est plus la langue de l’ennemi, mais celle de la communication, des voyages et des affaires. L’allemand bénéficie d’une proximité historique et géographique, et de son image de langue des investisseurs. En comparaison, l’aura culturelle et artistique du français semble insuffisante à rétablir l’équilibre. On est loin de l’époque où, en Russie, il était de bon ton dans la haute société de ne parler qu’en français, même en famille et surtout pour déclarer son amour. Dans Guerre et Paix de Léon Tolstoï, un personnage affirme que « même étant né en Russie, je pense en français ». Plusieurs grands écrivains moscovites ont d’ailleurs écrit leur œuvre parallèlement en russe et en français. Cette époque est révolue. Aujourd’hui, malgré 9000 professeurs d’un excellent niveau, seuls 4,9 % des collégiens et lycéens apprennent le français, contre 74,4 % l’anglais et 20,1 % l’allemand. Il existe cependant en Russie une centaine d’écoles secondaires à horaire renforcé de français, accueillant 29 000 élèves. Ce phénomène de transfert du français vers l’anglais se constate aussi en Lituanie, en Lettonie, en Estonie, en Ukraine, en Croatie, en Slovénie, en Hongrie… Mais c’est en Scandinavie que le français est le plus mal loti. En Suède, Finlande, Danemark et Norvège, la deuxième langue enseignée – quant elle existe – après l’anglais est généralement un autre idiome scandinave. Le français est lingua incognita.

L’Union européenne, mauvais élève

de la francophonie La situation de la langue française reflète

– plus ou moins fidèlement – la place de la France en Europe. Le « non » au référendum sur la constitution, en mai 2005, n’a pas aidé les zélateurs de la francophonie. « Difficile de dire non à l’Europe, puis d’exiger des Européens qu’ils apprennent votre langue », souligne un observateur. Lorsque la Communauté économique européenne voit le jour en 1957, trois des six pays fondateurs partagent le français comme langue maternelle. Mais à chaque élargissement, la langue de l’Hexagone perd proportionnellement de l’influence. Une étude de mai 2004 a montré que seuls 4 % des décideurs (fonctionnaires, chefs d’entreprises, journalistes) des dix nouveaux Etats membres parlaient français, mais 14 % allemand et 82 % anglais. Certes le français

est, avec l’anglais et l’allemand, la langue de travail de la Commission de Bruxelles. Mais en 1996, 44 % des documents communautaires étaient rédigés directement en anglais et 38 % en français ; dix ans plus tard, ces pourcentages sont respectivement de 58 % et 28 %. Dans les couloirs de Bruxelles ou Strasbourg, on parle anglais et les réunions sont conduites dans la même langue. « C’est plus simple pour tout le monde. En 1957, la Cee avait quatre langues officielles ; aujourd’hui, l’Union européenne en compte vingt, soit 421 combinaisons de traduction. Aller trouver un interprète maltais-finnois ou polonais-suédois. Passer par l’anglais est un gain de temps et d’argent. Le multilinguisme est un beau projet, mais il se heurte au principe de réalité », insiste un haut fonctionnaire européen. Sur certains sites Internet des institutions européennes, les informations ne sont publiées qu’en anglais ; c’est notamment le cas des pages de la Banque centrale européenne. « Lorsque des émeutes éclatent dans les banlieues, que les gens affichent leur morosité et les élus leur euroscepticisme, la langue française perd des points. Par contre, lorsque l’équipe de France arrive en finale de la coupe du monde, qu’Airbus gagne des parts des marché, que des films comme Le fabuleux destin d’Amélie Poulain attirent des millions de spectateurs, alors le français séduit à nouveau », souligne le même fonctionnaire.

Défendre systématiquement le

multilinguisme Face à ce déclin du français en Europe –

déclin accentué par la faible natalité dans la région – les réactions sont multiples. Pour le député Michel Herbillon, auteur en juin 2005 d’un rapport parlementaire intitulé Les langues dans l’Union européenne : pour une Europe en VO, « le combat frontal du français contre l’anglais est inutile ; il est déjà perdu. Le déclin du français n’est pas une fatalité cependant ; il ne faut pas lutter contre l’anglais, mais promouvoir le français ». Et le député de préconiser un respect strict des règles du multilinguisme parmi les 25 en s’opposant à toute réunion sans traduction, à toute publication de documents officiels en une seule langue, en incitant les pays membres à rendre obligatoire l’apprentissage de deux langues étrangères. « Il faut dire non aux dérives, ne pas accepter la disparition progressive du français dans les institutions européennes au nom de la facilité logistique et de l’efficacité financière », plaide Michel Herbillon. La technique serait donc celle de la vigilance et du harcèlement : ne rien céder du peu de terrain qu’il reste au français, surveiller la moindre entorse, exiger toujours la présence du français quand elle est de droit et d’une manière générale le respect du plurilinguisme au sein des instances communautaires.

« On demande aussi aux pays d’Europe orientale membres de l’OIF, comme la Roumanie ou la Bulgarie, où l’intérêt pour le français est réel, de ne pas utiliser systématiquement l’anglais à l’Onu », sourit un cadre du Quai d’Orsay. De leur côté, les

maires de Bruxelles, Strasbourg et Luxembourg – toutes trois capitales européennes et toutes trois francophones – ont signé, le 24 mai 2006, une déclaration solennelle dans laquelle ils s’engagent à promouvoir l’usage du français dans leur ville, en particulier au sein des organismes européens. Comme l’avait alors déclaré Fabienne Keller, maire de Strasbourg : « La plupart des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme sont rédigés en français. Il faut faire un effort de lobbying (sic) pour le respect de cette belle tradition juridique. Ce serait un comble que le français ne soit pas défendu en Europe alors que l’Union se construit dans des villes francophones. » En la matière, un incident est resté célèbre. Le 23 mars 2006, lors d’une réunion du Conseil européen à Bruxelles, Jacques Chirac quitte brusquement la salle lorsque, à la tribune, Antoine-Ernest Sellière, président de l’Union des industries de la Communauté européenne, prononce son discours en anglais. « La langue de l’entreprise », justifie l’ancien président du Medef. « C’est une question politique, de respect de la diversité linguistique », réplique l’entourage du chef de l’Etat. La presse internationale a abondamment ironisé sur l’affaire. Mais selon les observateurs, cette histoire a constitué un formidable encouragement pour les professeurs de français qui, isolés dans des bourgades de Croatie, de Grèce ou d’Estonie, luttent au quotidien pour leurs heures de cours.

Un nouveau plan de promotion du

français Au plan gouvernemental, Philippe

Douste-Blazy, le ministre français des Affaires étrangères, a annoncé le 15 mai 2006 un vaste plan de promotion de la langue française qui prévoit notamment la rénovation ou la construction de plusieurs lycées français (Le Caire, Madrid, Londres, Tokyo, Moscou), un renforcement des échanges culturels entre l’Hexagone et les autres capitales, et un budget de 50 millions d’euros pour la formation sur trois ans de 10 000 professeurs, recrutés pour moitié en Asie et pour moitié au Maghreb. A en croire la sous-direction du français au ministère des Affaires étrangères, en Europe c’est sur la Russie que portera l’essentiel de l’effort financier. Parallèlement, un « Plan pluriannuel d’action pour le français dans l’Union européenne » a été adopté en 2002 par la France, le Luxembourg, la Belgique et l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Doté d’un budget annuel de 2,5 millions d’euros, il vise à former des fonctionnaires, diplomates et interprètes de l’UE, ainsi que des journalistes des pays membres. 8900 sessions ont ainsi été assurées en 2005, contre 7200 en 2004, notamment au sein des Alliances françaises. Enfin des nouvelles méthodes pédagogiques sont encouragées, utilisant le jeu, l’informatique, Internet… Bref un nouveau « marketing » du français.

Les autorités françaises mettent aussi l’accent sur les filières bilingues dès le collège : 450 de ces filières accueillent, à

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travers trente pays européens, plus de 50 000 élèves. C’est deux fois plus qu’il y a dix ans. En septembre 2006, de nouvelles sections devaient voir le jour en Espagne, en Bulgarie, en Russie et en Slovaquie. Ces filières bilingues bénéficient d’une réputation d’excellence dans toutes les matières, accueillant souvent les meilleurs élèves. Si elles favorisent la francophonie (voire la francophilie), elles restent évidemment minoritaires par rapport au nombre total des écoles d’un pays et se voient parfois taxées d’élitisme.

Enfin, dotés d’un budget de 1,8 milliard d’euros, les programmes de coopération de l’Union européenne – Comenius pour le niveau scolaire, Erasmus pour l’universitaire – permettent à des étudiants étrangers de poursuivre leurs cursus en France ou en Belgique. C’est le cas de 4000 Espagnols, 600 Tchèques, 900 Néerlandais, 650 Autrichiens…

Langue de la culture mais aussi

langue des affaires La Fédération internationale des

professeurs de français (FIPF) s’inquiète donc du désamour progressif de l’Europe pour la langue française. Certains de ses membres soulignent amèrement le décalage qui existerait entre un optimisme forcé des autorités françaises, leur goût pour les actions d’éclat, et ce que vivent les enseignants à l’étranger, confrontés à des réductions budgétaires, la fermeture d’instituts, le manque de moyens

pédagogiques, les emplois du temps en berne… Un décalage notamment mis sur le compte du nombre d’acteurs qui interviennent sur la francophonie : OIF, Agence pour l’enseignement français à l’étranger, Agence universitaire de la francophonie, ministères des Affaires étrangères, de la Culture, de l’Education… Chacun jugeant son action positive sans voir les trous dans les mailles du filet.

« Le point encourageant est la facilité à mobiliser les professeurs, le succès du moindre festival de cinéma, des concerts même d’artistes peu connus. Cela prouve un intérêt constant pour le français », constate Raymond Gevaert, maître de conférence à l’université de Leuven et président de la commission Europe de l’Ouest à la FIPF. Et d’ajouter : « Si l’anglais est la langue de communication internationale, la maîtrise du français est un outil de promotion sociale. C’est un « plus » incontestable dans un CV. C’est pourquoi, à côté du français langue de la culture et des arts, il faut défendre le français, langue des affaires, du tourisme, des sciences. Parler français lorsqu’on veut investir à Paris ou qu’on travaille dans la filiale d’une firme hexagonale à l’étranger constitue un énorme avantage. » Avec le soutien de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris et le Forum francophone des affaires, l’Alliance française propose d’ailleurs des modules spécialement destinés aux cadres des firmes françaises à l’étranger. Plusieurs universités européennes – à commencer,

sans surprise, par celles de Roumanie – ont également ouvert des départements de français juridique, de français des affaires, de français de gestion hôtelière…

Le français insuffisamment enseigné

dans les systèmes publics De son côté, le réseau des Alliances

françaises en Europe accueillait 84 409 étudiants en 2005. Un chiffre en progression constante. On compte ainsi plus de 8 000 inscrits en Espagne, 5 200 au Royaume-Uni, 4 660 en Pologne, plus de 4 000 en Russie et en Irlande… Le succès est aussi au rendez-vous dans de plus petits pays : 1 450 étudiants en Albanie, 1 270 en Ukraine, 1 500 en Croatie, 2 420 en République tchèque… Pour Martine Defontaine, secrétaire générale de la FIPF, « ces résultats prouvent une demande pour le français. Notre langue n’est pas vue uniquement comme la vieille langue de Voltaire, belle à écouter, mais difficile à apprendre et peu utile professionnellement ; la langue du parfum, des arts, de la bonne chair, des intellectuels exigeants. Une image que certains professeurs entretiennent peut-être avec un soupçon de fierté. Mais elle est aussi vue comme une langue valorisante humainement et professionnellement. Elle constitue évidemment un atout pour réussir dans le monde francophone, en Afrique ou au Moyen-Orient. Cependant, ces statistiques des Alliances prouvent aussi que le français n’est pas suffisamment enseigné dans les systèmes publics d’éducation ».

Estimation du nombre de francophones dans les PECO

Population en 2002 Francophones Francophones Francophones

partiels Francophones

partiels

nombre % par rapport à la population nombre % par rapport

à la population Albanie 3 100 000 310 000 10,0 - - Bulgarie 8 000 000 800 000 10,0 Lituanie 3 500 000 35 000 1,0 175 000 5,0 Macédoine 2 000 000 200 000 10,0 Moldavie 4 300 000 1 075 000 25,0 Pologne 36 600 000 1 158 000 3,0 Roumanie 22 400 000 1 792 000 8,0 4 480 000 20,0 Slovaquie 5 400 000 162 000 3,0 Slovénie 2 000 000 80 000 4,0 Tchèque (République) 10 200 000 204 000 2,0 816 000 8,0

Source : La Francophonie dans le monde (2004-2005), Larousse

L’influence des média francophones La présence de média francophones

représente aussi un moyen de défendre la langue. Ainsi, outre sa diffusion en ondes courtes, sur le câble et par satellite, Radio France Internationale dispose de fréquences FM à Berlin, Dresde, Leipzig, Prague, Budapest, Craiova, Bucarest, Sofia, Tirana, Bakou, Pristina, Skopje, Barcelone et Lisbonne. Des radios partenaires retransmettent également ses émissions quelques heures par jour. Si le nombre d’auditeurs n’est pas connu avec certitude, RFI dispose en tout cas de moyens croissants pour émettre en Europe. Les

radios suisses et belges francophones bénéficient de confortables parts de marché dans leur pays respectif. Par contre au Danemark, Radio Kultur – qui diffusait vingt heures de programmes en français par semaine – a dû cesser d’émettre en 2003, faute de moyens financiers. Idem pour Campus FM à Malte.

Côté télévision, TV5 – seule chaîne généraliste internationale en français – est reçue par 88 millions de foyers en Europe de l’Ouest (dont 8 millions au Royaume-Uni, 6 millions en Italie et 3 millions en Espagne) et 12 millions en Europe centrale et orientale (dont 6 millions en Pologne et 2 millions en

Roumanie). Pour sa part, Arte est captée non seulement en France et en Allemagne, mais aussi (via le câble ou le satellite) en Belgique, en Suisse, en Finlande, en Autriche, aux Pays-Bas et en Espagne. Ses programmes sont aussi repris sur les réseaux câblés roumain, polonais, estonien, hongrois et slovaque. Enfin Canal France International (CFI) fournit gratuitement des émissions clés en main à plusieurs chaînes en Croatie, Biélorussie, Albanie et Macédoine notamment. En attendant la future chaîne d’information continue, France 24, qui devrait commencer à émettre à la fin de l’année 2006.

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Dur combat pour la presse écrite La presse écrite connaît les mêmes

difficultés en Europe que la langue française. Les titres de l’Hexagone ont enregistré un chiffre d’affaires de 10,5 milliards d’euros à l’exportation en 2004, mais leur diffusion a chuté de 10,3 % par rapport à l’année précédente dans l’Union européenne. C’est en Allemagne, au Portugal et au Royaume-Uni que les baisses ont été les plus sensibles (respectivement - 31,9 %, - 27,3 % et - 21,4 %). Par contre, les titres français se vendent mieux en Grèce (+ 14,6 %) et en Espagne (+ 2,9 %). Le Monde diplomatique est édité, outre en français, en seize langues dont, pour l’Europe, l’anglais, l’allemand, le catalan, le croate, l’espagnol, l’italien, le norvégien, le polonais, le portugais et le russe. Il est généralement disponible sous forme de supplément à des titres locaux. A noter, pour la presse écrite, la concurrence d’Internet : l’abonnement mensuel au Monde sur la toile coûte 5 euros, soit le prix de 4 numéros papier, et la disponibilité est immédiate d’un bout à l’autre du vieux continent.

Selon Luan Rama, membre du Haut Conseil de la Francophonie, « la presse francophone dans les pays d’Europe centrale et orientale est dans une situation catastrophique. En quinze ans,

progressivement et insensiblement, les revues françaises ont disparu les unes après les autres, sans bruit, laissant place aux publications anglophones ». Certes les journaux français importés – Le Monde, Le Figaro, Paris-Match, L’Express…– voient leurs ventes augmenter de 37,4 % en Bulgarie, de 27,1 % en Slovaquie, de 15,3 % en Pologne, de 11,4 % en Roumanie… Mais les titres édités localement n’intéressent plus qu’un public confidentiel. Ainsi la Roumanie comptait autrefois vingt journaux en français ; il n’en existe plus que quatre. Et encore, hormis l’hebdomadaire Bucarest Hebdo (7 000 exemplaires, successeur de feu le quotidien Bucarest Matin), les trois autres sont-ils publiés de manière sporadique. En Pologne, les Echos de Pologne, mensuel tiré à 3 000 exemplaires, ont remplacé le Courrier de Varsovie, également mensuel. La Bulgarie et l’Albanie, autrefois réputés pour la diversité et la qualité de leurs revues en français, n’en ont plus vraiment. Quant à la Nouvelle Gazette de Hongrie, elle n’est distribué qu’à 3 000 exemplaires dans un cercle restreint d’intellectuels à Budapest. Partout le constat est le même : peu de lecteurs, pas de recettes publicitaires. Par contre, toutes les capitales est-européennes comptent aujourd’hui plusieurs journaux en anglais. Signe

encourageant cependant : la création en 2004 de L’Europe nouvelle, à l’initiative de la journaliste Cécile Vrain. Un mensuel édité à Budapest et consacré à la « nouvelle » Europe de l’Est.

La « promotion permanente d’un

environnement francophone » L’Europe compte 47 pays, 37 langues

officielles, 726 millions d’habitants, et la seule Union européenne plus de 230 régions. Face à de telles dimensions, et à une époque où l’anglais s’impose comme la langue de communication obligée, le français ne peut défendre son rang que par la « promotion permanente d’un environ-nement francophone », pour reprendre les termes du rapport du Haut Conseil de la Francophonie. Il s’agit autant de mani-festations culturelles que de présence médiatique, de soutien aux réseaux associatifs que de développement de l’enseignement, de notoriété de biens de consommation que de succès des entreprises françaises. La francophonie ne se décrète pas. Elle dépend de l’influence de la France en Europe, et de l’intérêt, du plaisir et des possibilités qu’auront les Européens à apprendre la langue.

Jean Piel

Les 21 membres européens de l’OIF

Pays Statut à l’OIF Date d’adhésion à l’OIF

Statut à l’Union européenne Date d’entrée dans l’UE

Albanie associé novembre 1999 Vocation à devenir membre reconnue par l’UE

Andorre associé novembre 2004 – – Autriche observateur novembre 2004 membre 1995 Belgique membre mars 1970 membre fondateur –

Bulgarie membre 1991 (obs.) ; 1993 candidat Adhésion prévue au 1er janvier 2007

Communauté française de Belgique

membre mars 1980 – –

Croatie observateur novembre 2004 candidat négociations d’adhésion en cours depuis le 3 octobre 2005

Ex-République yougoslave de Macédoine

associé février 2001 candidat en attente de la décision d’ouverture des négociations

France membre mars 1970 membre fondateur – Grèce associé novembre 2004 membre 1981 Hongrie observateur novembre 2004 membre 1er mai 2004 Lituanie observateur octobre 1999 membre 1er mai 2004 Luxembourg membre mars 1970 membre fondateur – Moldavie membre février 1996 – – Monaco membre mars 1970 – – Pologne observateur octobre 1997 membre 1er mai 2004 République Tchèque observateur octobre 1999 membre 1er mai 2004

Roumanie membre 1991 (obs.) ; 1993 candidat Adhésion prévue au 1er janvier 2007

Slovaquie observateur octobre 2002 membre 1er mai 2004 Slovénie observateur octobre 1999 membre 1er mai 2004 Suisse membre février 1996 – –

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B 5612 FRANCOPHONIE (MAJ. 08.2006)

LES DIX PREMIERS SOMMETS DE LA FRANCOPHONIE

1er Sommet de la Francophonie : Versailles 17/19 février 1986

Vers un Commonwealth à la française ? . Les 42 participants 16 chefs d’Etat Burundi : Jean-Baptiste Bagaza Centrafrique : André Kolingba Comores : Ahmed Abdallah Abderemane Côte d’Ivoire : Félix Houphouët-Boigny Djibouti : Hassan Gouled Aptidon France : François Mitterrand Gabon : Omar Bongo Guinée-Bissau : Joao Bernardo Vieira Liban : Amine Gemayel Madagascar : Didier Ratsiraka Mali : Moussa Traoré Mauritanie : Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya Rwanda : Juvénal Habyarimana Sénégal : Abdou Diouf Togo : Gnassingbé Eyadéma Zaïre : Mobutu Sese Seko 10 chefs de gouvernement Belgique : Wilfried Martens Canada : Brian Mulroney Luxembourg : Jacques Santer Monaco : Jean Ausseil Niger : Hamid Algabid Nouveau-Brunswick : Richard Hatfield Québec : Robert Bourassa Sainte-Lucie : John Compton Tunisie : Mohamed Mzali Vanuatu : Walter Lini 16 autres chefs de délégation Belgique : Philippe Monfils, ministre - président de la Communauté française Bénin : Girigissou Gado, ministre de l’Equipement et des transports Burkina Faso : Henri Zongo, ministre de la Promotion économique Congo : Antoine Ndinga-Oba, ministre des Affaires étrangères Dominique : Eugénia Charles Egypte : Boutros Boutros-Ghali, ministre des Affaires étrangères Guinée : Jean Traoré, ministre des Affaires étrangères Haïti : Rosny Desroches, ministre de l’Education nationale Laos : Thongsay Bodhisane, ambassadeur en France Louisiane : Darrel Hunt, commissaire adjoint au Budget Maroc : Abdellatif Filali, ministre des Affaires étrangères Maurice : Gaétan Duval, vice-Premier ministre Seychelles : Jacques Hodoul Suisse : Edouard Brenner, secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères Tchad : Gouara Lassou, ministre des Affaires étrangères Vietnam : Cu Huy Can, ministre délégué

. La conférence Pour sa première édition, c’est dans les décors somptueux du château de Versailles que s’est ouvert le Sommet des pays ayant en commun l’usage du français - communément baptisé Sommet de la Francophonie - que ses initiateurs, tel Léopold Sédar Senghor, prévoyaient comme une sorte de Commonwealth à la française. "La Francophonie est une communauté désireuse de compter ses forces pour affirmer ses ambitions" a, alors, déclaré le président François Mitterrand, en ouvrant les travaux de ce premier Sommet. Le chef de l’État français a, ensuite, fait valoir que la communauté francophone, "dont l’identité est menacée", se devait d’avoir "un réflexe vital contre la mortelle abolition des différences", sous peine d’"être très souvent condamnée à un rôle de sous-traitant, de traducteur ou d’interprète... Nous sommes là autour d’une langue porteuse d’une culture, d’une civilisation à laquelle chacun ajoute son propre apport..." Et d’appeler les participants à la conférence "à collaborer, coopérer, co-produire et à rendre plus fertile un patrimoine commun dont nous savons que la diversité est la première richesse... Nous sommes au commencement d’une oeuvre durable qui s’inscrira dans les temps qui viennent, car, au travers d’une langue commune, c’est un mouvement de la pensée, c’est toute une action qui se dessine..." Pour le Premier ministre canadien, Brian Mulroney, un des promoteurs de ce Sommet, depuis qu’il a réglé le vieux différend qui opposait le Canada et le Québec sur le niveau de la représentation : "Pour ne pas décevoir, ce Sommet doit imprimer un second souffle à la Francophonie, l’engager dans les voies de l’avenir et déboucher sur des résultats visibles et palpables..." En soulignant que son pays pensait particulièrement à l’informatique, aux banques de données linguistiques et à la traduction automatique. Entre autres intervenants, le Premier ministre tunisien, Mohamed Mzaki, a, quant à lui, rappelé que "nos cultures sont en péril" et qu’il est "vital de constituer un rassemblement économique, scientifique et technologique qui puisse, en l’absence d’un véritable dialogue Nord-Sud, établir une solidarité concrète entre pays riches et pays démunis... Dans la concertation, nous pensons pouvoir établir un front contre la pauvreté".

Pour sa part, le Premier ministre québécois, Robert Bourassa, propose d’examiner, d’une manière approfondie, la possibilité d’établir "un nouveau Plan Marshall" qui permettrait le transfert des surplus alimentaires accumulés à grands frais par les pays riches aux pays du Tiers-monde qui en ont besoin". Dans un message adressé au Sommet par le chef de l’Etat burkinabé - représenté par son ministre de la Promotion économique - le capitaine Thomas Sankara souligne que la langue française a d’abord été celle du colonisateur, et qu’aujourd’hui, son pays l’utilise "non plus comme le vecteur d’une quelconque aliénation culturelle, mais comme un moyen de communication avec les autres peuples". La langue française, doit, selon lui, "accepter les autres langues comme expressions de la sensibilité des autres peuples". Et de conclure en affirmant

que son pays "attend beaucoup de la culture des autres pour s’enrichir davantage..." Bien évidemment, des sujets plus politiques et économiques ont également été abordés. Ainsi, le président sénégalais, Abdou Diouf, président en exercice de l’OUA, a demandé "l’application effective et immédiate des sanctions économiques contre l’Afrique du Sud", seul moyen de "mettre rapidement fin à l’apartheid", et proposé la tenue d’une conférence internationale sur l’Afrique du Sud le 16 juin 1986, date du dixième anniversaire du soulèvement de Soweto.

Abordant, ensuite, le problème de la dette africaine, le chef de l’Etat sénégalais a mis, une nouvelle fois, en avant l’idée d’une taxation des activités d’armement, qui serait redistribuée au profit du développement. Le président malgache, Didier Ratsiraka, a, quant à lui, rappelé la proposition d’une conférence internationale sur la dette africaine, dont le principe avait été retenu lors du dernier Sommet franco-africain en décembre 1985.

. Les décisions pratiques

Voici le résumé des principales "décisions pratiques" – vingt-huit au total – du Sommet francophone, annoncées par M. Mitterrand mercredi 19 février. Un "comité du suivi" a été constitué pour surveiller l’application de ces mesures : il comprend la Communauté française (Bruxelles-Wallonie) de Belgique, le Burundi, le Canada, les Comores, la France, le Liban, le Maroc, le Québec, le Sénégal et le Zaïre. - Création d’une "agence internationale francophone d’images de télévision" (actuellement 98 % d’entre elles sont fournies par des agences anglo-saxonnes). Financement, 16 millions de FF par an, dont 5 millions fournis par la France ; - la télévision par câble TV5 (France, Belgique, Suisse romande, Canada et Québec) verra son champ de diffusion étendu à l’Amérique du Nord, la Méditerranée et l’Afrique (le Maroc peut déjà la capter). Mise française supplémentaire : 29 millions de FF ; - à partir de 1987, la France ouvrira à des "programmes francophones" l’un des quatre canaux disponibles sur le futur satellite de télévision directe TDF 1 ; - constitution d’un groupe de travail qui remettra en 1986 son rapport sur l’extension au monde francophone des banques de données linguistiques par vidéotexte ; - étude de l’utilisation du vidéodisque par l’enseignement médical dans dix facultés francophones, à partir de l’expérience de l’hôpital parisien de la Salpêtrière ; - tenue à Paris, tous les deux ans, en même temps que le Salon du livre, d’un "Salon du livre francophone" sur 400 mètres carrés. Coût : 3 millions de FF fournis par la France ; - lancement, à la demande expresse du Vietnam, d’une collection populaire de cent titres d’auteurs de graphie française : - réalisation d’une "maquette de fonctionnement de la langue" pour le traitement automatique des textes. Coût : 20 millions de FF dont la moitié fournie par Paris. Création d’un prix international d’innovation linguistique (part de la France : 100 000 F) ;

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- appui financier au "programme photovoltaïque" des pays du Sahel africain en faveur de la maîtrise des petites techniques énergétiques. Coût : 5 à 10 millions de FF par an ; - institution d’un baccalauréat francophone international ; - création de "centres de formation d’agronomes en milieu rural" (participation française : 8 millions de FF en quatre ans), et, sur demande tunisienne, de "centres de formation artisanale" (participation française: 15 millions de FF sur cinq ans) ; - renforcement de la concertation entre délégations francophones au sein du système des Nations unies.

2ème Sommet de la Francophonie Québec 2/4 septembre 1987

Vers une "institutionnalisation" de la Francophonie

. Les 41 participants 16 chefs d’État Bénin : Mathieu Kérékou Burundi : Jean-Baptiste Bagaza Comores : Ahmed Abdallah Abderemane Djibouti : Hassan Gouled Aptidon France : François Mitterrand Gabon : Omar Bongo Guinée : Lansana Conté Guinée-Bissau : Joao Bernardo Vieira Liban : Amine Gemayel Madagascar : Didier Ratsiraka Mali : Moussa Traoré Mauritanie : Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya Rwanda : Juvénal Habyarimana Sénégal : Abdou Diouf Togo : Gnassingbé Eyadéma Zaïre : Mobutu Sese Seko 10 chefs de gouvernement Belgique : Wilfried Martens Canada : Brian Mulroney Dominique : Maria Eugenia Charles France : Jacques Chirac Luxembourg : Jacques Santer Monaco : Jean Ausseil Niger : Hamid Algabid Nouveau-Brunswick : Richard Hatfield Québec : Robert Bourassa Sainte-Lucie : John Compton 15 autres chefs de délégation Belgique : Philippe Monfils, ministre-président de la Communauté française Burkina Faso : Djibrima Barry, ambassadeur en France Centrafrique : Jean-Louis Psimhis, ministre des Affaires étrangères Congo : Antoine Ndinga-Oba, ministre des Affaires étrangères Côte d’Ivoire : Siméon Aké, ministre des Affaires étrangères Egypte : Boutros Boutros-Ghali, ministre des Affaires étrangères Haïti : Luc Hector, membre du Conseil national de gouvernement Laos : Kithong Vougsay, ambassadeur à l’ONU Maroc : Abdellatif Filali, ministre des Affaires étrangères

Maurice : Chitmansing Jesseramsing, haut-commissaire au Canada Seychelles : Danielle de Saint-Jorre, secrétaire d’Etat Suisse : Edouard Brenner, secrétaire d’État aux Affaires étrangères Tchad : Hissein Grinky, ministre de la Culture Tunisie : Hedi Mabrouk, ministre des Affaires étrangères Vietnam : Nguyen Huu Tho, vice-président du Conseil d’Etat

. La conférence

Le Sommet de Québec a adopté, dès le premier jour, une série de neuf résolutions sur la politique internationale, qui, certes, apportent peu de nouveautés sur le plan diplomatique, mais témoignent de la vigueur du jeune mouvement francophone et de sa volonté de s’affirmer comme forum international. Ces résolutions portent sur le Tchad, le Liban, l’Afrique du Sud, la situation économique internationale, Haïti, la politique agricole, l’environnement, la guerre Iran-Irak et le Moyen-Orient. Sur ce dernier point, le Canada a fait bande à part, en émettant des réserves sur la reconnaissance du "droit des Palestiniens à l’autodétermination", expression qu’il souhaitait voir remplacer par la notion de "foyer national".

Sur le Tchad, les participants ont évité toute allusion à la situation politique et militaire, se bornant à créer un fonds pour l’éducation, qui est laissé à la générosité des pays. Le Canada a annoncé qu’il doterait ce fonds d’un million de dollars canadiens (4,60 millions de FF).

Une formule similaire a été retenue pour le Liban.

Les participants demandent à l’Iran et à l’Irak l’application "sans délai" de la résolution adoptée le 20 juillet dernier par le Conseil de sécurité de l’ONU appelant à un cessez-le-feu immédiat. L’Afrique du Sud est condamnée pour sa politique d’apartheid et les francophones demandent à Pretoria d’ouvrir, sans attendre, des négociations avec la majorité noire. Les pays francophones "s’engagent à maintenir les pressions économiques et politiques sur le gouvernement d’Afrique du Sud", précise la résolution qui demande aux autorités de Pretoria d’entamer "des négociations avec les représentants authentiques de la majorité noire et les autres composantes de la société sud-africaine".

"Le gouvernement d’Afrique du Sud doit clairement déclarer son intention de démanteler l’apartheid, mettre fin à l’état d’urgence, libérer tous les prisonniers politiques (y compris Nelson Mandela) et lever l’interdit frappant le Congrès national africain (ANC) et d’autres organisations politiques anti-apartheid", déclarent encore les participants au Sommet francophone.

Sur ce dossier de l’apartheid, une mesure concrète a été décidée par les francophones, qui consiste à mettre en place un système de "bourses d’études pour venir en aide aux victimes de l’apartheid".

Le Canada a offert 260 000 dollars pour participer à cette action de "solidarité".

La situation économique mondiale et la dette sont abordées en termes très généraux, les participants estimant que cette dernière pose des "problèmes extrêmement difficiles et nécessite un traitement spécial".

Les participants ont, enfin, adopté deux résolutions sur la lutte contre la désertification et les calamités naturelles. La résolution sur Haïti ne dit pas un mot de la difficile situation politique de

l’île, mais s’attache aux problèmes de reboisement du pays.

Au premier Sommet de Paris, les francophones avaient été nettement moins ambitieux, se contentant d’une seule résolution, sur l’Afrique du Sud. Celles de Québec prouvent que si, en raison de la diversité des régimes qui composent le mouvement, ils ne peuvent avoir de position très tranchée, ils n’hésitent plus à débattre des grands problèmes mondiaux.

. Les décisions pratiques

Contrairement au Sommet de Paris, en février 1986, où les "bonnes" résolutions des participants à la première "Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement ayant en commun l’usage du français", étaient, de l’avis général, trop nombreuses, à Québec, les dirigeants francophones se sont attachés à mettre sur pied des projets concrets et réalisables à court terme. Preuve de cet effort : alors qu’en deux ans (1986-1987), 270 millions de FF (46 millions de dollars) ont été dépensés pour la Francophonie, c’est un montant sensiblement égal qui sera affecté à des programmes pour la seule année 1988, la France et le Canada ayant décidé de doubler leur mise.

Cinq secteurs d’activité "porteurs d’avenir" ont été retenus : l’agriculture, l’énergie, la culture et les communications, l’information scientifique et le développement technologique, ainsi que les industries de la langue (technologies appliquées au français). L’accent a été surtout mis sur la formation, l’audiovisuel, les banques de données, et, d’une manière générale, toute l’informatique.

Par ailleurs, les institutions multilatérales de la Francophonie demeurent pratiquement inchangées. Ainsi, le Sommet a décidé de "maintenir l’existence et les fonctions d’un Comité du suivi chargé expressément de "transmettre systématiquement les comptes rendus des séances à l’ensemble des membres du Sommet, afin qu’ils puissent exprimer des suggestions et observations".

Comme prévu depuis la réunion ministérielle de Bujumbura, en juillet 1987, un Comité consultatif conjoint sera créé, comprenant le Comité du suivi assisté des chefs de réseau et le Secrétaire général de l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) assisté de ses directeurs généraux et du contrôleur financier.

Ce Comité consultatif sera chargé de donner des avis sur la programmation des décisions du Sommet et d’établir les modalités d’un appui technique de l’ACCT au Comité du suivi.

L’ACCT est chargée de l’exécution des actions décidées par le Sommet, soit sur son budget ordinaire, soit grâce à un financement complémentaire. Les Etats contributeurs pourront créditer soit directement leurs comptes, soit des comptes spéciaux créés auprès de l’ACCT, la préférence allant à la deuxième solution.

Le Comité du suivi est chargé, pour sa part, d’examiner avant le Sommet de Dakar, en 1989, les rôles respectifs de l’ACCT, des réseaux et des autres organismes de la Francophonie et d’étudier, notamment, la possibilité d’intégrer les réseaux à l’ACCT. Les travaux du Comité du suivi seront présidés par le Canada jusqu’au prochain Sommet, la France et le Sénégal assurant la vice-présidence.

Le Canada a aussi profité de la tribune du Sommet pour annoncer spectaculairement qu’il effaçait la totalité de la dette publique de sept pays de l’Afrique francophone sub-saharienne. Cette mesure, qui représente 246 millions de dollars américains, touche même le Cameroun qui n’est

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pas membre du mouvement, mais où les investissements canadiens sont très importants. Les autres pays sont le Sénégal, le Zaïre, Madagascar, le Congo, la Côte d’Ivoire et le Gabon.

Enfin, la Francophonie s’est dotée d’une "Déclaration de solidarité francophone", mise au point par le Canada et le Québec. Cette charte de la Francophonie affirme les grands principes de solidarité et de compréhension mutuelle entre tous les pays membres, et leur volonté de relever les défis qui s’imposent aux francophones, s’ils veulent que leur seul lien, le français, continue de jouer son rôle de deuxième langue de communication mondiale.

Avec la fixation des Sommets à un rythme désormais régulier - tous les deux ans - la Francophonie s’est, en quelque sorte, institutionnalisée. Si elle n’a pas encore d’hymne officiel, elle a désormais un drapeau. En effet, sur proposition du Niger, le Sommet a adopté, comme couleurs permanentes du mouvement, l’emblème de la conférence de Québec, formé, sur fond blanc, d’un cercle composé de parties rouge, bleu, jaune, vert et violet, symbolisant les cinq continents.

3ème Sommet de la Francophonie Dakar 24/26 mai 1989

L’enracinement en terre africaine

. Les 41 participants 17 chefs d’Etat Bénin : Mathieu Kérékou Burkina Faso : Blaise Compaoré Burundi : Pierre Buyoya Comores : Ahmed Abdallah Abderemane Côte d’Ivoire : Félix Houphouët-Boigny Djibouti : Hassan Gouled Aptidon France : François Mitterrand Gabon : Omar Bongo Guinée : Lansana Conté Guinée-Bissau : Joao Bernardo Vieira Guinée équatoriale : Obiang Nguema Mbansogo Mali : Moussa Traoré Niger : Ali Saïbou Rwanda : Juvénal Habyarimana Sénégal : Abdou Diouf Togo : Gnassingbé Eyadéma Zaïre : Mobutu Sese Seko 9 chefs de gouvernement Belgique : Wilfried Martens Belgique : Valmy Feaux, ministre-président de la Communauté française Canada : Brian Mulroney Dominique : Maria Eugenia Charles Maroc : Azzedine Laraki Monaco : Jean Ausseil Nouveau-Brunswick : Franck McKenna Québec : Robert Bourassa Tunisie : Hedi Baccouche 15 autres chefs de délégation Cameroun : Luc Ayang, président du Conseil économique et social Cap-Vert : H. Almada, ministre de la Formation, de la Culture et des Sports Centrafrique : Jean-Louis Psimhis, ministre des Affaires étrangères Congo : Jean-Baptiste Tati-Loutard, ministre de la Culture et des Arts

Egypte : Boutros Boutros-Ghali, ministre d’État aux Affaires étrangères Haïti : Yvon Perrier, ministre des Affaires étrangères Laos : Soubanh Srithirath, vice-ministre des Affaires étrangères Liban : Abel Ismail, ambassadeur auprès de l’UNESCO Luxembourg : Robert Krieps, ministre des Affaires culturelles et de la Justice Madagascar : Jean Bémananjara, ministre des Affaires étrangères Maurice : Satcam Boolell, vice-Premier ministre Seychelles : Danielle de Saint-Jorre, secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères Suisse : Klaus Jacobi, secrétaire d’Etat aux Affaires extérieures Tchad : Ibn Oumar Acheik, ministre des Relations extérieures Vietnam : Nguyen Huu Tho, vice-président du Conseil d’Etat

. La conférence

Le Sommet de Dakar, le premier en terre africaine, entend ancrer plus fortement la Francophonie dans le Sud pour illustrer sa diversité linguistique et culturelle. Pour le chef de l’Etat sénégalais, président du pays-hôte, ce Sommet est celui "de la consolidation, de l’élargissement, de la maturité et de l’enracinement en terre africaine".

Le président Mitterrand a créé l’événement, dès le premier jour du Sommet, en se proposant d’effacer la dette publique - quelque 16 milliards de FF - qui est due à la France par 35 pays africains les plus pauvres. Pour le chef de l’Etat français, "la France fait ce qu’elle peut dans son domaine, mais il y a d’autres initiatives à prendre entre pays riches pour attaquer le mal à la racine et aller à la source des difficultés des pays en développement... Il faut également que les pays du Sud veillent à ne pas retomber dans le cycle infernal de l’endettement, ils en ont conscience..."

Le Premier ministre canadien, Brian Mulroney a, lui aussi, longuement insisté sur le nécessaire élargissement du dialogue Nord-Sud pour une solution du problème de l’endettement et la promotion de la protection de l’environnement.

Le chef de l’État malien, Moussa Traoré, président en exercice de l’OUA, a, pour sa part, insisté sur les zones de conflit, qu’elles se situent en Afrique australe ou au Proche-Orient.

En ce qui concerne la crise entre le Sénégal et la Mauritanie - dont la chaise est restée vide pendant les trois jours du Sommet - le président Abdou Diouf a fait preuve d’esprit de conciliation, en affirmant fortement qu’il faut négocier, et que son pays "ne veut pas la guerre". Le président Mitterrand - dont le ministre des Affaires étrangères, Roland Dumas, a rencontré le président mauritanien à Nouakchott, le 25 mai - a appelé, lui aussi, à la négociation entre les deux pays, sous l’égide de l’OUA, et assuré que "la France ferait tout pour faire avancer les choses..."

Dans une longue intervention consacrée à l’économie, le président ivoirien, Félix Houphouët-Boigny, a notamment traité de la baisse des prix des matières premières et des préoccupations des Etats africains à ce propos. Un sujet qui, avec l’endettement et les problèmes d’environnement, a occupé la majeure partie des débats.

La condamnation de l’apartheid, le maintien en détention de nombreux prisonniers politiques, notamment Nelson Mandela, le droit à l’indépendance de la Namibie et à

l’autodétermination du peuple palestinien, la nécessité urgente de rétablir la paix au Liban, le cessez-le-feu intervenu le 20 août 1988 entre l’Iran et l’Irak ont également fait l’objet de résolutions du Sommet, tout comme l’utilisation du français dans les organisations internationales et la défense de l’environnement.

Après Paris et Québec, Dakar a incontestablement constitué un tournant : la Francophonie n’est plus ce cénacle préposé à la défense et à l’illustration de la langue française. Elle est devenue une force publique et économique qui entend désormais peser sur la balance des relations internationales.

. Les décisions pratiques

Le Sommet a décidé, sur proposition du Canada, la création d’un fonds spécial pour la protection de l’environnement. En outre, le Canada, par le biais de l’Agence canadienne de développement international, annonce qu’il consacrera 5,5 millions de dollars à la mise sur pied d’un réseau agro-forestier destiné à appuyer les services nationaux du Sénégal, du Mali, du Burkina Faso et du Niger.

Les autres domaines essentiels d’action retenus par le Sommet de Dakar concernent la formation, la communication, avec, notamment, l’extension de TV5 en Afrique et la diffusion de Canal France International, une banque de programmes française dans laquelle les télévisions des différents États peuvent choisir ce qui les intéresse.

Outre la remise des dettes publiques de 35 pays africains les moins avancés - quelque 16 milliards de FF - la France a décidé de porter sa contribution totale, pour le suivi du Sommet de Dakar, à 237 millions de FF par an, soit le double de la contribution du Canada qui est de 280 millions de FF pour deux ans et demi.

Le Sommet de Dakar s’est également attaché à institutionnaliser les instances du mouvement francophone : Le Comité international du suivi (CIS) : . il est maintenu dans l’intégralité de ses fonctions et de ses pouvoirs : assume son rôle d’arbitrage et d’évaluation des actions confiées aux opérateurs directs du Suivi du Sommet et fait rapport aux chefs d’Etat et de gouvernement ; . il demeure l’instance finale de coordination et de décision, sous l’autorité des chefs d’Etat et de gouvernement, approuve les projets et affecte les budgets. En conséquence, l’ACCT et les autres opérateurs directs, s’agissant des fonds du Sommet, doivent lui soumettre leurs propositions ; . il reflète la diversité de l’espace francophone, et assure une rotation suffisante, tout en garantissant la continuité des travaux. Le Comité international de préparation (CIP): . il constitue l’instance finale de préparation des propositions de programmation et d’affectation budgétaire à présenter aux Sommets. L’ACCT et les autres opérateurs directs lui proposent les différents projets. Tous les pays participant aux Sommets en sont membres. L’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT) : . elle constitue, par sa qualité d’unique organisation intergouvernementale de la Francophonie découlant d’une convention, une garantie institutionnelle pour la dimension multilatérale devant présider à la conception et à la

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mise en oeuvre des projets découlant des décisions des chefs d’État et de gouvernement ; . elle continue d’exercer les rôles d’animation, de consultation et de concertation du monde francophone, tels que prévus à sa charte ; . elle doit enrichir sa mission actuelle par l’intégration, en son sein, du rôle et de la fonction des réseaux du CIS. Il est entendu que la participation à ces réseaux demeure ouverte, sans restriction aucune, à l’ensemble des Etats et gouvernements présents aux Sommets ; . elle se voit, en conséquence, investie du mandat de proposition, de programmation et de suggestion d’affectation budgétaire ; propositions et suggestions à être soumises au CIS et au CIP selon le cas. En vertu de ce mandat, le secrétaire général de l’ACCT participe, de plein droit, aux séances du CIS, du CIP et au volet Coopération des Conférences ministérielles préparatoires ; . elle accueille et gère, dans une perspective de multilatéralisme et de simplification budgétaire, un fonds multilatéral unique destiné au financement des actions engagées par les Sommets. Ce fonds est distinct de son budget régulier. Les Conférences ministérielles L’ACCT assume la responsabilité de la préparation et du Suivi de toutes les Conférences ministérielles sectorielles convoquées dans le cadre des Sommets. Les Conférences ministérielles permanentes (CONFEJES – Conférence des ministres de la Jeunesse et des Sports des pays d’expression française, et CONFEMEN – Conférence des ministres de l’Education des pays ayant en commun l’usage du français), tout en conservant leur autonomie, sont invitées à collaborer étroitement avec l’ACCT dans le cas de Conférences élargies aux autres membres de l’Agence qui ne font pas partie de ces deux Conférences permanentes. Les organes subsidiaires Lorsque la mise en oeuvre de projets à long terme nécessite la création d’une structure spécialisée dotée d’une personnalité juridique, l’ACCT est invitée à examiner l’opportunité de créer des organes subsidiaires ouverts à l’adhésion de l’ensemble des participants du Sommet, comme elle l’a fait pour l’Institut de l’énergie. Les autres opérateurs Lorsque la mise en oeuvre des projets à long terme nécessite le choix d’opérateurs à mission spécialisée, le Sommet en décide, à l’exemple de ce qui a été fait à Paris et à Québec dans le cas de l’Association des Universités partiellement ou entièrement de langue française (AUPELF), de TV5 et du Centre d’échanges multilatéraux d’actualités francophones (CEMAF). Le mandat spécifique confié à l’AUPELF lui confère la qualité d’opérateur multilatéral privilégié du programme majeur UREF (Université des réseaux d’expression française) concernant la recherche universitaire et l’enseignement supérieur. Il en va de même pour TV5 et le CEMAF dans les domaines spécifiques de leur compétence. Le Comité consultatif conjoint (CCC) Créé au Sommet de Québec et réunissant le CIS et l’ACCT, le CCC est élargi aux autres opérateurs directs, afin de favoriser la concertation et l’information réciproques une fois l’an. Le monde associatif Les chefs d’État et de gouvernement reconnaissent la contribution du monde associatif

multilatéral francophone. Ils estiment qu’il doit être renforcé dans son rôle de relais. A cet effet, une réunion d’information annuelle avec le CIS lui sera réservée. De plus, le Sommet francophone souhaite que les instances de l’ACCT procèdent à l’examen d’une réforme du Conseil consultatif de l’Agence, réforme faisant de cet organe le lieu fonctionnel de rencontres et d’échanges des associations francophones multilatérales et l’instrument de coordination entre elles. Cette réforme devrait tenir compte des rôles divers de chaque catégorie d’association. Elle pourrait être complétée par la création d’un poste permanent d’agent de liaison chargé des associations, auprès du secrétaire général de l’ACCT. L’Association internationale des parlementaires de langue française (AIPLF) Le Sommet francophone tient à reconnaître le rôle éminent que l’AIPLF, seule organisation interparlementaire des pays francophones, joue dans la construction et le développement de la Francophonie. La représentation des Parlements qu’elle constitue, l’influence qu’elle exerce sur l’opinion, ainsi que les actions de coopération qu’elle a menées, sont un élément important de stimulation pour le succès des projets décidés par les Sommets. Aussi, demande-il au CIS d’organiser la consultation et l’information réciproques. Enfin, il est décidé que le prochain Sommet se tiendra, en 1991, au Zaïre.

4ème Sommet de la Francophonie Chaillot (Paris) 19/21 novembre 1991

"Elargissement et maturité"

. Les 45 participants 21 chefs d’Etat Bénin : Nicéphore Soglo Bulgarie : Jeliou Jelev Burkina Faso : Blaise Compaoré Burundi : Pierre Buyoya Cameroun : Paul Biya Centrafrique : André Kolingba Comores : Saïd Mohamed Djohar Côte d’Ivoire : Félix Houphouët-Boigny France : François Mitterrand Gabon : Omar Bongo Guinée-Bissau : Joao Bernardo Vieira Haïti : Jean-Bertrand Aristide Laos : Kaysone Phomvihane Liban : Elias Hraoui Mali : Amadou Toumani Touré Mauritanie : Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya Roumanie : Ion Iliescu Rwanda : Juvénal Habyarimana Sénégal : Abdou Diouf Suisse : René Felber Tchad : Idriss Déby 13 chefs de gouvernement Belgique : Wilfried Martens Belgique (Communauté française) : Valmy Feaux Canada : Brian Mulroney Congo : André Milongo Luxembourg : Jacques Santer Maurice : Aneerood Jugnauth Niger : Amadou Cheiffou Nouveau-Brunswick : Franck McKenna Québec : Robert Bourassa Togo : Kokou Joseph Koffigoh

Tunisie : Hamed Karaoui Val d’Aoste : Gianni Bondaz Vanuatu : Donald Kalpokas 11 autres chefs de délégation Cambodge : Khek Sysoda, membre du Cabinet du président du Conseil national suprême Djibouti : Moumin Bahdou Farah, ministre des Affaires étrangères Egypte : Boutros Boutros-Ghali, vice-Premier ministre pour les Relations étrangères Guinée équatoriale : Isidoro Eyi Monsuy Andémé, vice-Premier ministre Louisiane : Allan Barres, sénateur, ancien président du Sénat Madagascar : Honoré Rakotomanana, président de la Cour constitutionnelle Maroc : Mohammed Benaïssa, ministre des Affaires culturelles Monaco : René Novella, ambassadeur en Italie Nouvelle-Angleterre : Paul Laflamme, président de l’Action pour les Franco-Américains du Nord-Est (ACTFANE) Seychelles : Danielle de Saint-Jorre, ministre des Relations extérieures Vietnam : Nguyen Huu Tho, vice-président du Conseil d’Etat Zaïre : Buketi Bukayi, ministre des Relations extérieures

. La conférence

A Dakar, le Sommet de la Francophonie s’était donné rendez-vous au Zaïre pour sa 4ème réunion. Le rendez-vous zaïrois n’aura pas lieu : accusées, notamment, par la Belgique, la France et le Canada, de bafouer les Droits de l’homme, les autorités zaïroises ont dû déclarer forfait. Le relais fut passé à la France, et c’est au palais de Chaillot, à Paris, que s’ouvre le 19 novembre 1991, le 4ème Sommet de la Francophonie. Soulignant que ce Sommet est celui de "l’élargissement et de la maturité", le président Mitterrand constate : "L’espace francophone se déploie sur tous les continents, retrouve des solidarités anciennes, appelle des amitiés, marque le sentiment qu’un destin se partage aussi...A l’est de l’Europe, la liberté a repris ses droits avec vigueur, les nations vivent leur indépendance. Des minorités s’expriment, des peuples souvent chargés d’histoire veulent compter à leur tour, et parfois de nouveau... Tout au long des années de plomb, ils ont gardé en secret cette passion de la langue française. Sorte d’espérance à tenir, de liberté à préserver, avec le sentiment tenace qu’un jour, ils retrouveraient les nations libres qui parlent la même langue. Tel est le sens, je pense, de l’arrivée, parmi nous, de la Bulgarie et de la Roumanie..." Et de saluer également la présence du Cambodge (en soulignant "le rôle du prince Sihanouk qui était déjà, il y a trente ans, au côté des présidents Senghor et Diori Hamani pour souhaiter la création d’une Communauté d’expression française"), celle du Cameroun et du Laos "hier observateurs", ainsi que la présence du président Hraoui qui "signifie que le Liban en marche vers la réconciliation de ses citoyens, retrouve la place qui lui est due dans la reconquête de sa souveraineté..."

Le Premier ministre canadien, Brian Mulroney, affirmait, pour sa part : "La France, qui nous accueille, est le berceau de la liberté, la mère-patrie des droits de la personne. Et, ce retour aux sources devrait nous être d’autant plus salutaire que nous prenons de plus en plus conscience que, sans démocratie véritable, il ne peut y avoir de développement durable, et que, sans développement soutenu, il ne peut y avoir de

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démocratie solide. Notre hôte à Dakar, le président Diouf, avait d’ailleurs évoqué "ce ressourcement aux idéaux les plus élevés de liberté et de justice, véhiculés par le français". Le rappel de ces paroles donne un sens singulier à la participation à cette conférence du père Jean-Bertrand Aristide, le président démocratiquement élu d’Haïti "qui témoigne, avec dignité et courage, des dangers que la démocratie court encore. C’est dire que le monde a changé depuis le Sommet de Dakar, qu’il a changé rapidement et profondément, qu’il continue de changer vite et beaucoup".

Entre-temps, le président Diouf, puis le président Soglo avaient affirmé leur foi dans la démocratie en Afrique. Le chef de l’État sénégalais avait salué dans le Bénin le pays grâce auquel la démocratie était revenue en Afrique. C’est pourquoi, s’exprimant à son tour, pour la première fois devant un Sommet francophone, le président béninois devait conseiller à l’Afrique de suivre l’exemple de son pays : "Sans doute ne saurions-nous prétendre, dit-il, qu’il existe un modèle imposable à tous, quelque chose comme un prêt-à-porter démocratique. Nous n’en restons pas moins persuadés au Bénin que, si le courage, la dignité et l’esprit de responsabilité sont au rendez-vous, la conférence nationale est un cadre approprié pour opérer des mutations décisives et pacifiques dans une société en quête d’un souffle nouveau. Car elle reste à nos yeux l’alternative aux affrontements meurtriers et à la guerre civile. Telle est du moins la conviction des Béninois qui, depuis février 1990, s’efforcent patiemment de construire le renouveau démocratique. C’est le lieu pour moi d’adresser ma profonde gratitude aux pays membres de la Francophonie qui nous ont apporté, et continuent de nous apporter leur soutien dans cette difficile entreprise, de même qu’à ceux qui suivent avec tant de sympathie le processus de consolidation de la démocratie au Bénin".

Le 4ème Sommet de la Francophonie a adopté un certain nombre de résolutions de politique internationale :

- Sécurité internationale : les pays du Sommet "s’engagent à se joindre à tous les membres de la communauté internationale pour condamner la prolifération des armes de destruction massive et renforcer les instruments pour combattre efficacement la prolifération des armes nucléaires chimiques et biologiques ainsi que des systèmes balistiques".

Ils s’engagent également à "promouvoir une plus grande prudence dans le transfert des armes conventionnelles qui permettra l’affectation du plus grand nombre de ressources possible au développement social et économique de leurs pays".

Ils apportent par ailleurs "leur appui entier à l’affermissement du rôle et de l’autorité du secrétaire général" de l’ONU dont ils entendent "soutenir activement l’action" en faveur de la paix "tout en exhortant les peuples des régions en crise à résoudre leurs conflits par des moyens pacifiques".

Le mouvement francophone s’engage "à travailler au renforcement de la capacité de l’ONU à agir de manière préventive pour maintenir la paix et la sécurité".

Il s’engage enfin à "améliorer les mécanismes de coordination et d’intervention des agences humanitaires de l’ONU et au soutien d’autres organisations multilatérales tel le CICR, afin de rendre plus efficaces les actions de secours aux populations affligées".

- Conflit israélo-arabe : ils "apportent leur soutien aux efforts engagés par les Etats-Unis,

l’Union soviétique, les pays de la CEE et d’autres pays concernés et intéressés, invitent les parties à faire preuve de l’esprit constructif qui permettra de saisir cette occasion historique de parvenir à un règlement juste et durable du conflit israélo-arabe et du conflit palestinien".

Ils "les invitent à adopter les mesures de confiance équilibrées et réciproques qui permettraient de créer un climat favorable à la négociation, en particulier, la cessation de la politique d’implantation de colonies israéliennes dans les territoires occupés et du boycott arabe".

Ils "se déclarent prêts, dans la mesure de leurs moyens, à contribuer au développement de la coopération régionale qui suivra le retour de la paix".

- Haïti : "constatant le renversement du

gouvernement démocratiquement élu d’Haïti, le Sommet "condamne énergiquement ce renversement violent et illégal qui prive le peuple haïtien du libre exercice de ses droits démocratiques".

La résolution exige également "le rétablissement de l’État de droit et de l’ordre constitutionnel ainsi que la restauration du président légitime dans ses fonctions".

Elle prévoit "la suspension, jusqu’au rétablissement de l’ordre constitutionnel, de la mise en oeuvre des accords entre Haïti et l’Agence de coopération culturelle et technique".

Les pays francophones, qui "appuient les efforts déployés par l’OEA, l’ONU et d’autres instances pour restaurer et renforcer la démocratie dans ce pays", s’engagent à "respecter ou à recommander l’application des sanctions économiques arrêtées par l’OEA".

Ils affirment enfin "leur volonté, une fois l’ordre constitutionnel rétabli en Haïti, de consolider la coopération économique et financière avec ce pays, afin de soutenir son développement économique, social et démocratique".

- Afrique : les dirigeants du Sommet

francophone "se réjouissent du processus de démocratisation en cours en Afrique, expriment leur soutien aux pays africains engagés dans les réformes politiques et économiques". Ils demandent "instamment à la communauté internationale de les soutenir" et s’engagent à "oeuvrer pour la prise en compte, dans les instances internationales, des besoins du continent africain".

- Corne de l’Afrique : le Sommet francophone

appuie les efforts de plusieurs pays "et notamment de la République de Djibouti", en faveur du rétablissement de la paix en Somalie et appelle les acteurs des conflits à entamer ou poursuivre des négociations pour la paix dans la région.

- Liban : la résolution enregistre "avec

satisfaction les progrès réalisés tant sur le plan politique que sur le plan de la sécurité depuis la mise en oeuvre par le gouvernement libanais des accords de Taëf et notamment pour ce qui a trait à la dissolution des milices et à l’extension de la zone contrôlée par l’armée légale".

Elle exprime son "appui au gouvernement libanais dans la poursuite de l’application stricte et complète des accords de Taëf en vue de consolider la réconciliation nationale, de renforcer la sécurité, de rétablir la légalité sur tout le territoire national en y déployant l’armée libanaise, et de restaurer la souveraineté pleine et entière du Liban".

La résolution décide "la reconduction du fonds de solidarité créé par le Sommet de Québec (1987) pour la reconstruction des institutions culturelles, éducatives, techniques et hospitalières du Liban" et appelle "les Etats membres à renouveler le financement de ce fonds".

- L’usage du français dans les organisations

internationales : la résolution invite les gouvernements francophones à "une action inlassable et concertée" en vue de permettre l’adoption, dans les organisations où elles font encore défaut, de résolutions linguistiques à l’exemple des résolutions de l’ONU et d’assurer le recrutement optimum de fonctionnaires internationaux francophones".

Elle appelle "à la création de groupes francophones dans les organisations internationales", souligne "la nécessité de favoriser par tous les moyens et notamment par la formation de spécialistes, la qualité de la traduction et de l’interprétation".

Elle demande "la mise en place d’un réseau informatique de détection et de diffusion des termes posant un problème de définition et de traduction en français", et souligne "l’importance de la présence des livres et documents français dans les bibliothèques et centres de documentation internationaux".

Elle souhaite que le français conserve sa place de "première langue olympique" et demande "qu’une concertation régulière entre francophones s’élabore auprès des grandes organisations internationales".

. Les décisions pratiques Le 4ème Sommet de la Francophonie s’est

attaché à peaufiner la réforme de ses institutions commencée à Dakar.

Le Sommet demeure l’instance suprême au niveau politique, mais une Conférence ministérielle se réunira, désormais, à mi-chemin entre deux Sommets. D’autre part, un Conseil permanent de la Francophonie, composé des représentants spéciaux des chefs d’Etat et de gouvernement (les "sherpas"), doit être créé. Il comprendra 15 membres (France, Canada, Québec, Communauté française de Belgique, Sénégal, Maurice, Côte d’Ivoire, Bénin, Togo, Gabon, Zaïre, Maroc, Madagascar, Liban, Vietnam) et regroupera trois des structures actuelles : le CIS, le CIP et le bureau élargi de l’ACCT.

L’ACCT devrait obtenir un rôle technique de secrétariat de la Francophonie qui reste à définir dans le détail. Elle aura à sa disposition, pour appuyer ses actions de coopération, 9 comités de programmes composés d’experts gouverne-mentaux. Les représentants d’organisations non-gouvernementales (ONG) pourront également être appelés à y participer. Il a été d’autre part décidé l’extension de la chaîne de télévision cablée TV5 (reçue déjà en Europe et en Amérique du Nord) en Afrique et le soutien à la production d’images du Sud en renforçant l’action de l’ACCT. La France a décidé de doubler sa contribution à ce fonds - qui est de 30 millions de francs français au total - de 1,5 à 3 millions. Sur proposition du Canada, il a été décidé la mise sur pied d’un "réseau-pilote" de cliniques juridiques, pour répondre aux besoins des femmes dans les pays membres de l’espace francophone. Ces cliniques auraient pour mission "des tâches de vulgarisation, d’aide juridique, d’information et d’actions pédagogiques pour contribuer à une

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meilleure connaissance des codes de la famille et des codes pénaux en vigueur". Le mandat définitif de ces cliniques juridiques sera précisé lors de la tenue ultérieure, en Afrique, d’un séminaire international de juristes. Le gouvernement canadien consacrera environ 3 millions de FF (600 000 dollars canadiens) à la création de ce réseau "qui sera appelé à s’étendre si l’expérience s’avère concluante". Le Canada a par ailleurs annoncé la poursuite de son programme de bourses de la Francophonie - créé lors du premier Sommet en 1986 - auquel seront affectés près de 50 millions de FF (10 millions de dollars canadiens) par an au cours des cinq prochaines années. Ce programme, qui s’adresse aux étudiants des pays en développement membres du mouvement francophone, devrait permettre, chaque année à 350 d’entre eux (dont 50 % de femmes), de poursuivre leurs études dans des universités canadiennes.

Enfin, le Sommet a décidé la tenue de sa 5ème réunion à l’île Maurice, en 1993.

5ème Sommet de la Francophonie : Grand Baie(Maurice)6/18 octobre 1993

"L’unité dans la diversité" . Les 47 participants 19 chefs d’État Bénin : Nicéphore Soglo Bulgarie : Jeliou Jelev Burkina Faso : Blaise Compaoré Burundi : Melchior Ndadaye Cameroun : Paul Biya Comores : Saïd Mohamed Djohar Congo : Pascal Lissouba France : François Mitterrand Guinée Bissau : Vasco Cabral Laos : Nouhak Phoumsavanh Mali : Alpha Oumar Konaré Niger : Mahamane Ousmane Roumanie : Ion Illiescu Rwanda : Juvénal Habyarimana Seychelles : France Albert René Suisse : Adolf Ogi Tchad : Idriss Deby Vietnam : Nguyen Thi Binh Zaïre : Mobutu Sese Seko 13 chefs de gouvernement Belgique : Jean-Luc Dehaene Cambodge : prince Sdech Krom Luong Norodom Ranariddh Canada/Nouveau Brunswick : Frank McKenna Canada/Québec : Lise Bacon Dominique : Mary Eugenia Charles Gabon : Casimir Oye Mba Luxembourg : Jacques Santer Madagascar : Francisque Ravony Mauritanie : Sidi Mohamed Ould Boubacar Monaco : Jacques Dupont Togo : Kokou Joseph Koffigoh Tunisie : Hamed Karoui Vanuatu : Maxime Carlot Korman 15 autres chefs de délégation Canada : Benoît Bouchard, ambassadeur à Paris, représentant personnel du premier ministre Cap-Vert : Manuel de Jesus Chantre, ministre des Affaires étrangères Centrafrique : Jean-Marie Bassia, ministre des Affaires étrangères

Communauté française de Belgique : Laurette Onkelinx, ministre-présidente chargée de la Santé, des Affaires sociales et du Tourisme Côte d’Ivoire : Amara Essy, ministre des Affaires étrangères Djibouti : Abdou Bolok Abdou, ministre des Affaires étrangères Egypte : Samir Safouat, ambassadeur, représentant personnel du président Hosny Moubarak Guinée : Ibrahima Sylla, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération Guinée équatoriale : Augustin Nse Nfumu, ministre délégué chargé de la Francophonie Haïti : Claudette Werleigh, ministre des Affaires étrangères et des cultes Liban : Farès Boueiz, ministre des Affaires étrangères Maroc : Mohamed Allal Sinaceur, ministre des Affaires culturelles Maurice : Ahmud Swalay Kasenally, ministre des Affaires étrangères Sainte-Lucie : Louis George, ministre de l’Education, de la Culture et du Travail Sénégal : Moustapha Niasse, ministre d’État, ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur 4 invités spéciaux Moldavie : Ntau, ministre des Affaires étrangères Nouvelle-Angleterre : Paul Laflamme, président de l’Action pour les Franco-Américains du Nord-Est Val d’Aoste : Dino Vierin, président du gouvernement régional ONU : Boutros Boutros-Ghali, secrétaire général

. La Conférence

Le 5e sommet de la Francophonie à Maurice a consacré l’usage d’un nouvel intitulé. Il est devenu celui des chefs d’État et de gouvernement des pays "ayant le français en partage", une formule plus conviviale que celle qui avait prévalu jusqu’alors : "ayant en commun l’usage du français". La communauté francophone a accueilli à cette occasion de nouveaux participants. Le Cambodge, la Bulgarie, la Roumanie sont devenus membres à part entière. En tout 47 délégations (soit 2 de plus qu’à Chaillot en 1991) étaient présentes et 4 invités spéciaux (Moldavie, Nouvelle-Angleterre, Val d’Aoste, Organisation des Nations unies). Cette conférence a été marquée par l’absence d’un certain nombre de chefs d’État africains de premier plan. Ainsi, le président de Côte d’Ivoire Félix Houphouët-Boigny, hospitalisé, n’a pu faire le voyage, le président sénégalais Abdou Diouf a été retenu à Dakar. Quant au président du Gabon, Omar Bongo, il se trouvait en pleine campagne électorale. Le Canada, lui aussi, n’a été représenté que par son ambassadeur à Paris et non plus, comme auparavant, par son premier ministre. Un élément significatif de la crise des relations franco-canadiennes lors de la préparation de la conférence. Et enfin, le Sommet de Maurice a été la dernière réunion de chefs d’États francophones à laquelle le président François Mitterrand, alors en fin de mandat, participait.

A Maurice, les grands thèmes abordés lors des précédents sommets de la Francophonie et notamment celui de Chaillot, démocratie, droits de l’homme, sécurité, développement, solidarité Nord/Sud, ont tout naturellement été abordés et ont fait l’objet d’une mention dans le texte de la déclaration finale et de l’adoption de nouvelles résolutions. Après les avancées significatives vers

la démocratie réalisées en trois ans dans les pays d’Afrique, le temps était venu, pour François Mitterrand, de "la consolidation". "La démocratie n’est pas une rente, il faut en consolider inlassablement les acquis tout en retrouvant la voie d’une croissance durable de vos économies". La problématique démocratie/dévelop-pement durable est encore dominante à Maurice car dans le domaine économique, les résultats enregistrés depuis le sommet de Chaillot n’ont pas été aussi encourageants que sur le plan politique. Et si, pour les protagonistes, ce sommet, placé sous le thème proposé par la République de Maurice de "l’unité dans la diversité", a été celui de "l’engagement politique", c’est notamment parce qu’il a permis d’approfondir la réflexion sur la présence de la communauté francophone en tant qu’entité sur "l’échiquier mondial" (déjà esquissée lors de la préparation de la conférence internationale de Vienne sur les droits de l’homme où la concertation avait permis aux francophones de parler d’une seule voix) en élargissant le rôle politique d’outils comme le Conseil permanent de la Francophonie, créé à Chaillot.

Le débat engagé lors du sommet, autour de la notion d’exception culturelle, défendue ardemment par la France lors des négociations du GATT et pour la défense de laquelle François Mitterrand souhaitait obtenir le soutien de la "famille francophone", va dans ce sens puisque l’accord intervenu a donné à la Francophonie la dimension d’un bloc uni pour défendre des convictions communes sur la scène internationale.

Dans son discours prononcé au cours de la séance solennelle d’ouverture, le Président français s’est ainsi exprimé sur les risques d’uniformisation culturelle sur un modèle unique venu d’Outre-Atlantique : "Je pense qu’il serait désastreux d’aider à la généralisation d’un modèle unique et il faut y prendre garde. Ce que les régimes totalitaires n’ont pas réussi à faire, les lois de l’argent alliées aux forces techniques vont-elles y parvenir ? ... Ce qui est en jeu, et donc en péril, je le dis aux francophones ici rassemblés, dans les négociations en cours, c’est le droit de chaque pays à forger son imaginaire, à transmettre aux générations futures la représentation de sa propre identité". Pour François Mitterrand, la France est "menacée". Et la solidarité dont elle a fait, et fera preuve, dans l’aide aux pays du Sud, majoritaires au sein de la Francophonie - "La France est le pays qui accorde le plus fort pourcentage à l’aide au développement" -, implique une réciprocité de la part des bénéficiaires. La France "doit préserver ses intérêts, pas au détriment des vôtres, mais elle est en droit de demander que ses intérêts soient aussi protégés par vous".

Ce message très clair a été entendu par les représentants des Etats francophones. Une résolution sur "l"exception culturelle au GATT" a été finalement adoptée.

. Les résolutions

Les 47 chefs d’Etat, de gouvernement et de délégation réunis à Maurice ont adopté 21 résolutions. Elles portent sur de nombreux domaines, notamment :

- Maintien de la paix et sécurité internationale: les pays francophones se "félicitent du rôle accru des Nations unies", sont "désireux de soutenir activement l’action de l’ONU", se "déclarent prêts à s’associer selon leurs possibilités aux opérations de maintien de la paix ou humanitaires décidées par le système des Nations

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unies", acceptent de contribuer au renforcement de la diplomatie préventive", "condamnent vigoureusement les attaques dirigées contre le personnel des Nations unies chargé du maintien de la paix et contre le personnel humanitaire".

- Afrique : les pays ayant le français en partage "notent avec satisfaction la poursuite du processus de démocratisation, condition nécessaire au développement", "considèrent que les difficultés financières auxquelles sont confrontés les pays africains nécessitent une solidarité internationale accrue, notamment de la part de la communauté francophone", "appuient les efforts d’intégration régionale", demandent à la communauté internationale de poursuivre ses efforts sur les plans politique, économique et financier afin de contribuer au développement de manière à garantir la réussite du processus de démocratisation et de redressement économique et financier", s’engagent à oeuvrer au sein des organisations internationales pour l’assouplissement des conditions d’octroi de l’aide au développement". - Exception culturelle au GATT : ils "conviennent d’adopter ensemble, au sein du GATT, la même exception culturelle pour toutes les industries culturelles". - Liban : ils "décident la reconduction du fonds de solidarité créé par le sommet de Québec pour la reconstruction des institutions culturelles, éducatives, techniques et hospitalières du Liban et appellent les États membres à renouveler le financement de ce fonds". - Rwanda : ils "lancent un appel à la communauté internationale, et particulièrement aux pays francophones, afin qu’ils poursuivent et augmentent leur assistance au peuple rwandais dans son effort de reconstruction nationale". - Haïti : ils "renouvellent leur appui au gouvernement légitime de Haïti incarné par son président Jean-Bertrand Aristide". - L’unité dans la diversité : ils "déclarent que les atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales constituent un sujet de préoccupation direct et légitime, pour la communauté internationale", "décident de prendre toute mesure de nature à faciliter la pleine participation de personnes appartenant à des minorités nationales à tous les aspects de la vie politique".

- La Francophonie et les relations internationales : ils "donnent mandat au Conseil permanent de la Francophonie de continuer à oeuvrer concrètement pour renforcer la représentation des pays de l’espace francophone dans les institutions internationales... et s’engagent à le doter des moyens nécessaires pour lui permettre de remplir sa mission", "rappellent le mandat de l’ACCT aux fins de poursuivre et intensifier la coopération avec les organisations internationales", "invitent au strict respect du statut des différentes langues officielles ou de travail dans le système des Nations unies", affirment leur soutien aux actions visant à assurer une présence dynamique de la communauté francophone sur la scène internationale".

- Le français dans les organisations internationales : ils "appellent à la création de

groupes francophones dans les organisations internationales qui n’en sont pas encore dotées".

- L’économie mondiale : ils "appellent la communauté internationale à soutenir les efforts des pays en développement en vue de leur participation à un système commercial mondial stable, ouvert et équitable", "s’engagent à participer activement à la réflexion menée dans le cadre des Nations unies en vue de l’adoption d’un programme d’action pour le développement".

- La coopération économique francophone : ils "conviennent de développer entre eux une étroite concertation lors des différentes négociations multilatérales, notamment au sein du GATT ou des organismes régionaux".

- Le programme d’action des Nations unies pour le Développement : ils "s’engagent à contribuer activement à sa définition et à sa mise en oeuvre", "mandatent le Conseil permanent de la Francophonie afin de préciser la contribution spécifique que les pays francophones pourraient apporter à la mise en oeuvre du programme".

- La programmation : cette résolution "souligne la nécessité de mobiliser des crédits accrus au profit du fonds multilatéral unique". Elle définit les grands domaines d’intervention de la Francophonie dans les années à venir : promotion de l’utilisation du français au sein des organisations internationales, appui à des programmes de développement du français dans les sciences, coopération juridique, financière, interparlementaire, dans le domaine de la communication, aide à l’ancrage africain de TV5 et poursuite des études sur l’extension à l’Asie, soutien au Forum francophone des affaires pour développer le partenariat économique, mise en place de programmes mobilisateurs dans le domaine de l’enseignement du français et de l’alphabétisation, coopération scientifique et soutien à la relance de la recherche au Sud.

. Les décisions pratiques Sur le plan institutionnel, le sommet de Maurice a pris un certain nombre de décisions destinées à permettre un renforcement du rôle politique de la francophonie sur la scène internationale. Les travaux préparatoires des conférences ministérielles qui se sont tenues en décembre 1992, à Paris, et en octobre 1993, à Grand Baie, et le rapport présenté par le Conseil permanent de la Francophonie, ont dans ce domaine joué un rôle important en indiquant la direction à suivre. Le CPF, organe permanent de la Francophonie, doit développer sa capacité de rayonnement au plan international. La création d’un comité de réflexion pour le renforcement de la francophonie proposée par les ministres et adoptée à Maurice par le biais d’une résolution, va dans ce sens. Ce comité est composé de 11 représentants désignés sur une base géographique par la Conférence ministérielle de la Francophonie (Burkina-Faso, Canada, Canada/Qué-bec, communauté française de Belgique, France, Gabon, Maroc, Maurice, Roumanie, Sénégal, Vietnam).

Sa mission est : "de proposer les moyens d’assurer la réalisation des ambitions de la Francophonie sous le contrôle du CPF et sous l’autorité de la conférence ministérielle". La première tâche fixée au comité de réflexion était de présenter un rapport d’étape à la conférence ministérielle de Bamako en décembre 1993. Ses propositions finales doivent être soumises au 6e sommet de Cotonou en décembre 1995.

Depuis le Sommet de Chaillot en 1991, le débat sur l’évolution institutionnelle de la francophonie s’est poursuivi activement. N’ayant pu être définitivement réglé à Maurice, comme prévu, le dispositif défini en 1991 a continué de prévaloir selon la hiérarchie suivante : le Sommet, la conférence ministérielle de la francophonie (CMF), le Conseil permanent de la francophonie (CPF), le secrétariat des instances assuré par l’ACCT, l’ACCT, unique organisation intergouvernementale de la Francophonie et son opérateur principal, enfin les autres opérateurs. Créé à Maurice, un comité de réflexion sur les perspectives institutionnelles a présenté une série de propositions qui ont fait l’objet d’âpres discussions lors des Conférences ministérielles, de Ouagadougou en décembre 1994, puis à Paris en mars 1995.

Enfin, un autre comité créé à Maurice et chargé de réfléchir sur les programmes mobilisateurs a suggéré de regrouper les axes de l’action de la Francophonie autour de quatre thèmes (un espace de savoir et de progrès : un espace de culture et de communication ; un espace de liberté, de démocratie et de développement ; la Francophonie dans le monde), afin de donner plus de cohérence et de force à la coopération multilatérale francophone qui souffre d’une dispersion de ses secteurs d’intervention (les cinq définis à Paris en 1986 – agriculture, énergie, industries de la culture et de la communication, industries de la langue et information scientifique, développement tech-nologique – et les trois autres rajoutés à Dakar en 1989 – éducation et formation, environnement, démocratie et Etat de droit).

6ème Sommet de la Francophonie : Cotonou (Bénin) 2/4 décembre 1995

- La conférence

Le dossier le plus important qui devait être examiné par les Chefs d’État francophones (49 participants) réunis à Cotonou devait être celui de la réforme institutionnelle lancée lors du Sommet de Chaillot en 1991 et développée lors du Sommet de Maurice en 1993. Une réforme qui commençait à traîner en longueur et qui devait impérativement aboutir à Cotonou. De grandes décisions de principe ont, de fait, été prises : création d’un secrétariat général de la francophonie, nomination par le Sommet d’un secrétaire général, porte-parole politique et représentant officiel de la francophonie au niveau international, création d’un poste d’administrateur de l’Agence de coopération culturelle et technique, qui devient l’Agence de la francophonie. Ces décisions de principe ont, après le Sommet, été réexaminées en détail lors de la Conférence ministérielle de la francophonie réunie à Marrakech les 17 et 18 décembre 1996, au cours de laquelle a été adopté un projet de Charte de la francophonie, établissant le nouveau dispositif institutionnel. L’ensemble du dossier, non définitivement bouclé est renvoyé au Sommet de Hanoï en novembre 1997, au cours duquel doit être effectivement élu le nouveau secrétaire général de la francophonie. L’importance de cette réforme institutionnelle est liée à l’ambition maintes fois répétée de donner à la francophonie une visibilité et un impact politique beaucoup plus significatifs, jugés nécessaires dans le nouveau contexte de l’après-

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guerre froide. Même si, et on a bien pu le mesurer à Cotonou, cette ambition paraît avoir des limites certaines. Ainsi, sur les dossiers africains, en particulier le Rwanda, le Nigeria ou l’Algérie, les Chefs d’État ont eu quelques difficultés, non seulement à mettre en oeuvre des initiatives diplomatiques, mais aussi à prendre des positions communes. Le Canada, le Mali ou le Burkina Faso souhaitaient une condamnation du régime militaire nigérian, mais le Bénin, le Togo, le Niger et le Tchad s’y sont opposés, n’acceptant qu’« un appel aux autorités nigérianes pour oeuvrer à l’établissement de l’état de droit et de la démocratie ». Plusieurs autres résolutions ont été adoptées sur l’Afrique, le maintien de la paix, le Burundi, le Liban qui sont restés de timides compromis. Dans le domaine de la coopération juridique et judiciaire, les Chefs d’État ont adopté le plan d’action préparé lors de la réunion ministérielle du Caire du 30 octobre au 1er novembre 1995 et axé sur quatre thèmes : l’indépendance de la magistrature ; une justice efficace garante de l’Etat de droit ; le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; une justice facteur de développement.

L’appel de Cotonou

« Aujourd’hui, 90 % des informations qui transitent par Internet sont émises en langue anglaise, parce que les outils et les serveurs sont dédiés à l’usage exclusif de cette langue. L’enjeu est clair : si dans les nouveaux médias, notre langue, nos programmes, nos créations ne sont pas fortement présents, nos futures générations seront économiquement et culturellement marginalisées. Sachons demain offrir à la jeunesse du monde des rêves francophones, exprimés dans des films, des feuilletons et valorisant la richesse culturelle et la créativité de chacun de nos peuples. Il faut produire et diffuser en français. C’est une question de survie. Il faut unir nos efforts. Les pays du Sud peuvent et doivent participer à ce combat, qui n’est pas seulement celui de la francophonie. Les hispanophones et les arabophones, tous ceux qui s’expriment en hindi ou en russe, en chinois ou en japonais sont confrontés à la même menace que nous. J’appelle la francophonie à prendre la tête d’une vaste campagne pour le pluralisme linguistique et la diversité culturelle sur les inforoutes de demain. Je souhaite que cet appel de Cotonou marque fortement cette ambition et soit entendu et compris dans le monde entier ». Cette déclaration du président de la République française, Jacques Chirac, baptisée depuis l’« appel de Cotonou », aura été l’une des plus marquantes du Sommet. C’est en tout cas à Cotonou pour la première fois que les francophones ont pris la mesure de l’importance pour leur avenir des nouvelles technologies de l’information et de la communication et qu’ils ont décidé d’y accorder dans leurs activités une place prioritaire. Dans la résolution N° 18 du Sommet sur la société de l’information, les Chefs d’Etat, « conscients du défi que pose le développement très rapide de la société de l’information et des enjeux économiques, technologiques et culturels qui en découlent », décident d’organiser une mobilisation rapide du dispositif francophone dans ce domaine. Il faudra quand même attendre mai 1997 pour qu’une réunion ministérielle se tienne sur ce sujet à Montréal et produise un plan d’action, proposé aux Chefs d’Etat à Hanoï et axé sur la création d’un fonds francophone destiné à soutenir la production de contenus francophones multimédia. De fait, il restera à prouver que cette

prise de conscience de Cotonou sera suivie enfin d’effets après Hanoï.

7ème Conférence des chefs d’Etat et de

gouvernement des pays ayant le français en partage : Hanoï (Vietnam)

14/16 novembre 1997 - La Conférence

Le Sommet de Hanoï (51 participants) restera une étape importante dans l’évolution de la Francophonie institutionnelle. Engagée depuis plusieurs années, difficile à définir et à finaliser, la réforme de l’organisation générale du dispositif a finalement abouti à Hanoï. Le point essentiel concerne la création d’un secrétariat général de la Francophonie qui supervise l’ensemble des activités des opérateurs, y compris l’Agence de la francophonie, et prend en charge tout particulièrement la promotion de la Francophonie politique, nouveau volet essentiel qui doit permettre à la communauté de s’affirmer davantage et de manière plus visible sur la scène internationale.

Désormais, le secrétaire général de la Francophonie, désigné par les chefs d’Etat et de gouvernement pour une durée de quatre ans, préside le Conseil permanent de la francophonie (CPF), composé de représentants directs des chefs d’Etat, le CPF prenant lui-même le rôle de conseil d’administration de l’agence. Le CPF qui, avant Hanoï, était composé de 18 membres, est élargi aux représentants de tous les membres à part entière de la francophonie. Le secrétaire général de la Francophonie, installé à Paris avec son équipe restreinte de conseillers, dispose de pouvoirs importants, mais de moyens humains et financiers propres qui ont été volontairement limités. L’Observatoire de la Paix, de la démocratie et des droits de l’homme, lui, est directement rattaché pour le pilotage des activités politiques, juridiques et judiciaires. L’Agence, dans cette nouvelle configuration, est dirigée par un Administrateur général. C’est le Belge Roger Dehaybe, 55 ans, commissaire général aux Relations internationales de la communauté française de Belgique qui a été désigné par la conférence ministérielle à ce nouveau poste pour diriger l’agence avec un assez large consensus. Roger Dehaybe s’était précédemment distingué en dirigeant le comité de réflexion chargé d’élaborer la réforme institutionnelle et la nouvelle charte de la Francophonie adoptée lors de ce septième sommet.

Par contre, au cours des semaines qui ont précédé le Sommet, l’élection du nouveau secrétaire général a fait l’objet d’une controverse significative entre pays membres. Si la France et le Canada, avec Jacques Chirac et Jean Chrétien, se sont fortement engagés en faveur du candidat égyptien Boutros Boutros-Ghali, ancien secrétaire général des Nations unies et non reconduit dans ses fonctions en raison de l’hostilité américaine, de nombreux États d’Afrique au sud du Sahara ont ouvertement manifesté leur mauvaise humeur vis-à-vis de cette candidature, estimant que le poste devait revenir à l’un des leurs, en l’occurrence le Béninois Emile Derlin Zinsou ou le Congolais Henri Lopes. Critiquant Boutros-Ghali et insistant sur son âge (75 ans), ils ont même laissé planer sur le sommet l’idée d’un « demi-mandat » de deux ans, à l’issue duquel le poste devrait revenir à leur candidat. L’insistance active des Français et des

Canadiens a finalement abouti, à la fin de ce sommet animé, à l’élection, à l’unanimité, de Boutros Boutros-Ghali au nouveau poste de secrétaire général de la Francophonie pour quatre ans, avec la mission d’utiliser sa notoriété et son expérience diplomatique pour lancer la dynamique de la francophonie politique.

« L’après-sommet, expliquait alors Jacques Chirac à RFI, ce sera la mise en place de nos structures, le soutien à l’action du secrétaire général et la participation, chaque fois que nécessaire, à la demande des États et sans faire naturellement aucune ingérence à l’intérieur des États de la francophonie, à tout ce qui peut renforcer l’État de droit, la lutte contre les tensions, les difficultés, voire les conflits, l’organisation des élections. C’est un peu cela l’aspect politique de la francophonie ».

A Hanoï, a été décidé que deux pays, Saint-Thomas et Prince et la Moldavie passeraient du statut d’observateur à celui de membres à part entière. Tandis que la Pologne, l’Albanie et la Macédoine pourront participer au 8ème sommet de Moncton en tant qu’observateurs.

Un plan d’action pour le prochain biennum a également été adopté par les chefs d’État, articulé en cinq grands points : espace de liberté et de démocratie, espace de culture et de communication, espace de savoir et de progrès, espace économique et de développement, et, enfin, la francophonie dans le monde (en particulier la relance de l’usage du français dans les organisations internationales).

Deux décisions concrètes ont été prises relatives à la mise en œuvre de ce plan. La première concerne la création, dès 1998, d’un Fonds francophone des inforoutes destiné à promouvoir l’internet francophone, dont un premier bilan d’activité devra être dressé lors du 8ème sommet. La réunion en 1999 d’un sommet des ministres de l’Economie des pays francophones destiné à définir plus précisément les missions et les objectifs de la francophonie économique. Dans leur déclaration finale, les chefs d’Etat et de gouvernement ont insisté sur le fait que « le Sommet de Hanoï marque une étape importante dans l’évolution des institutions de la francophonie, par la mise en œuvre de la Charte révisée et l’élection du secrétaire général de la francophonie, qui renforcent la stature internationale de la francophonie ». Un défi qui, à Hanoï, paraissait encore difficile à relever. Les fortes appréhensions manifestées à cause de l’absence de Laurent-Désiré Kabila, président du pays francophone le plus peuplé d’Afrique, et ses déclarations ambiguës contre la francophonie illustraient ces difficultés. Depuis Hanoï, en se mobilisant pour le règlement politique de plusieurs conflits, dont celui qui sévit en République démocratique du Congo, la francophonie politique a commencé à montrer qu’elle comptait bien faire ses preuves.

8ème Conférence des chefs d’État et de

gouvernement des pays ayant le français en partage : Moncton (Nouveau-Brunswick), du 3

au 5 septembre 1999

- La Conférence Si le thème choisi pour la Conférence de

Moncton est celui de la jeunesse, c’est sur d’autres dossiers "chauds" que les participants ont eu à se prononcer. Il a fallu notamment confirmer

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l’émergence, encore controversée, d’une francophonie politique, et sur ce point Moncton aura permis aux chefs d’État et de gouvernement de réaffirmer et d’amplifier le rôle politique de l’organisation. Le secrétaire général Boutros Boutros-Ghali, confirmé dans ses fonctions de porte-parole politique et diplomatique de l’espace francophone, reçoit à cette occasion un mandat explicite pour poursuivre ses actions en faveur du maintien de la paix. Signe indéniable que la Francophonie est bien devenue une instance politique, la situation dans la région africaine des Grands Lacs a fait une irruption remarquée lors des débats, souvent houleux, sur la question.

En matière de démocratie et de droits de l’homme, thèmes récurrents à chaque rencontre des chefs d’État de la francophonie, des échanges vifs ont eu lieu, mais permettent d’avancer sur la proposition (française) de création d’un Observatoire de la démocratie. Cependant celle-ci, par souci de réalisme, et en tenant compte des réticences, va se faire par étapes. Le souci de développer tout un processus d’appui francophone aux processus de démocratisation va ainsi pouvoir trouver une traduction concrète avec le lancement, après Moncton, du grand chantier de l’évaluation des transitions démocratiques, expérimentées avec des fortunes diverses depuis une décennie par une partie importante des États membres ; évaluation qui doit donner lieu à une série de conférences et d’ateliers (préparatoires au symposium, en novembre 2000, de Bamako sur les pratiques de la démocratie et du droit en Francophonie). A Bamako, en préfiguration de Beyrouth, une déclaration solennelle et un plan d’action seront adoptés.

Cap sur la diversité culturelle

Les États francophones, afin de préserver l’exception culturelle et défendre leurs intérêts décident également à l’issue du sommet de se concerter pour dégager des positions communes dans les organisations et conférences internationales, avec un premier rendez-vous : l’ouverture du nouveau cycle de négociations dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce, en novembre 1999 à Seattle. La défense de la "diversité culturelle" devient ainsi un thème privilégié pour la Francophonie. Nouvelle formulation du combat pour "l’exception culturelle", lancé lors du sommet de Maurice en 1993, la bataille pour la défense de la diversité des cultures est prônée avec une particulière insistance par la délégation française à Moncton.

Pour y parvenir, une série de mesures ont été annoncées lors de ce 8e sommet : tout d’abord, valoriser la pluralité des langues mais surtout la diversité des cultures qui constituent une valeur de la Francophonie. Face à l’hégémonie croissante de l’anglais, la promotion et la diffusion de la langue française seront soutenues plus encore que par le passé, de même que les autres cultures et les langues mondiales de communication. En ce sens, les pays membres apporteront leur concours à la formation des diplomates en langue française, afin de promouvoir l’usage du français dans les organisations et les enceintes internationales. Le plan d’urgence de défense du français, mis en place à Hanoï, et qui a produit des résultats insuffisants, doit être renforcé. Les chefs d’État ont réitéré leur souci d’encourager davantage les échanges linguistiques et la formation à distance ainsi que le recours massif aux nouvelles technologies de la communication et de l’information. L’internet, en français, sera l’une des priorités des programmes de coopération

francophone menés par l’Organisation internationale de la francophonie, au travers notamment du Fonds francophone des inforoutes, qualifié de succès par les chefs d’État.

Face à la mondialisation, les pays francophones se réservent aussi le droit de définir librement leur politique culturelle et les instruments qui y concourent, de favoriser l’émergence d’un rassemblement le plus large possible à l’appui de cette diversité et d’œuvrer à la mobilisation de l’ensemble des gouvernements en sa faveur. Ils ont tenu à souligner que ces biens culturels, y compris audiovisuels, reflets des identités nationales et régionales, ne devaient pas être traités comme de simples marchandises, notamment dans le cadre des négociations commerciales multilatérales.

Dans le but de promouvoir le dialogue entre les cultures (thème du futur sommet de Beyrouth), les chefs d’État et de gouvernements de la Francophonie ont également pris des mesures afin d’encourager les échanges entre artistes et entre industries culturelles pour faciliter la circulation des œuvres. Ils entendent également aider davantage au financement de manifestations contribuant au rayonnement de la création culturelle, et poursuivre leurs actions engagées grâce au Fonds de soutien à la production du Sud (Masa et Fespaco). Le soutien au développement et à la diffusion de la presse écrite francophone est aussi réaffirmé.

Un autre dossier sensible examiné et avalisé à Moncton est celui de la réforme en profondeur de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF). L’Agence, outil de la coopération francophone dans le secteur de l’enseignement supérieur, avait fait l’objet de deux rapports d’évaluation mettant en cause le fonctionnement de cette institution, tant au niveau de la gestion qu’à celui des performances et de l’efficacité. Les chefs d’État et de gouvernement ont donc donné mandat au secrétaire général de la Francophonie de préparer rapidement la réforme de cette institution afin que, adoptée en novembre 99 par la Conférence ministérielle de la francophonie, elle s’applique dès l’année 2000.

La jeunesse, thème consensuel de Moncton, est désormais un sujet de préoccupation permanent pour la francophonie. Les programmes de coopération comprendront systématiquement un volet consacré aux jeunes et le dialogue avec eux sera institutionnalisé.

Enfin, l’Organisation internationale de la Francophonie a accueilli deux nouveaux membres : l’Albanie et la Macédoine, pour des raisons plus politiques, liées à la situation dans les Balkans, que strictement linguistiques. La Lituanie, la République Tchèque et la Slovénie sont, au sommet de Moncton devenus membres observateurs.

9ème Conférence des chefs d’Etat et de

gouvernement ayant le français en partage : Beyrouth (Liban),

du 18 au 20 octobre 2002

- La Conférence Initialement prévu en octobre 2001, le

sommet de Beyrouth s’est finalement tenu en octobre 2002 à la suite de son report au lendemain des attentats du 11 septembre 2001.

Ce sommet a été marquant à plus d’un titre. Pour la première fois, les chefs d’États et de

gouvernement ayant le français en partage se sont réunis dans un État du monde arabe. Autre événement historique : la présence du président algérien Abdelaziz Bouteflika, « en qualité d’invité personnel du président libanais Emile Lahoud ». L’Algérie a ainsi participé pour la première fois à un sommet francophone alors qu’elle n’a ni le statut de membre ni celui d’observateur. Après confirmation de la venue du président Bouteflika, quelques jours avant l’ouverture du sommet, le président de la République française Jacques Chirac a déclaré : « L’Algérie est chez elle dans la francophonie même si elle n’a pas rejoint l’organisation. »

Le thème choisi pour cette 9è Conférence, en l’occurrence le Dialogue des cultures, fut décliné sous trois angles différents dans la Déclaration de Beyrouth : politique d’abord (la première partie de la Déclaration étant consacrée au « dialogue des cultures (comme) instrument de la paix, de la démocratie et des droits de l’homme »), culturel ensuite, en attribuant à la Francophonie un rôle de « forum de dialogue des cultures » ; et enfin sous l’angle socio-économique, avec le souhait formulé par les chefs d’État et de gouvernement d’ « une Francophonie plus solidaire au service d’un développement économique et social durable ».

Beyrouth fut aussi l’occasion de confirmer l’orientation plus politique donnée à la Francophonie. La conjoncture internationale a, en effet, permis aux 55 chefs d’Etat et de gouvernement présents de se prononcer sur des questions d’ordre purement politique. A ce sujet, une innovation a été apportée avec une séance de débats à huis clos consacrée à la situation internationale.

La Déclaration de Beyrouth, adoptée à l’issue du sommet, a fait état des positions pour lesquelles un consensus a été trouvé. S’agissant de la situation au Moyen-Orient, les dirigeants francophones ont apporté leur soutien à l’initiative pour la paix du prince héritier Abdallah d’Arabie Saoudite, adoptée lors du Sommet de la Ligue arabe à Beyrouth en mars 2002. Quant à la crise irakienne, ils se sont rangés derrière la position prônée par Jacques Chirac, à savoir « la primauté du droit international et le rôle primordial de l’Onu ». Beyrouth a en outre été l’occasion d’aborder la crise en Côte d’Ivoire et de condamner ainsi « la tentative de prise de pouvoir par la force et la remise en cause de l’ordre constitutionnel ». En outre, fut réaffirmé l’attachement de la Francophonie à la démocratie ainsi qu’aux droits de l’homme, les chefs d’Etat et de gouvernement s’engageant « à lutter contre l’impunité des auteurs des violations des droits de l’homme ».

Quant à l’aspect purement culturel du dialogue des cultures, le sommet de Beyrouth confirme l’importance donnée par la Francophonie à la notion de diversité culturelle, notamment par la volonté affichée de concourir à la concrétisation du projet d’élaboration d’une convention internationale en la matière, dans le cadre de l’Unesco. Enfin, pour ce qui a trait au volet socio-économique de la Déclaration de Beyrouth, les chefs d’État réaffirment leur volonté de lutter contre « la pauvreté, l’analphabétisme, les pandémies (…), l’insécurité et le crime (…) qui maintiennent les pays et les populations les plus vulnérables à l’écart du développement ». Ils ont aussi souhaité saluer la mise en œuvre du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), et ont voulu apporter leur soutien aux programmes engagés dans le cadre des objectifs fixés par la Déclaration du Millénaire des Nations unies.

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Les chefs d’État et de gouvernement réunis à Beyrouth devaient par ailleurs désigner le successeur de Boutros Boutros-Ghali, au poste de secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie. Peu avant le Sommet, deux candidats étaient encore en lice : l’ancien président du Sénégal, Abdou Diouf, et l’ambassadeur du Congo-Brazzaville en France, Henri Lopes. Le premier, soutenu notamment par Jacques Chirac, fut longtemps confronté au « veto » de son successeur à la présidence du Sénégal, Abdoulaye Wade, qui refusait de le présenter au nom du Sénégal. Quant à Henri Lopes, déjà candidat à Hanoï en 1997 et à l’époque évincé au profit de Boutros Boutros-Ghali (au terme d’âpres négociations), il bénéficiait du soutien du président congolais Denis Sassou Nguesso, de celui du président gabonais Omar Bongo et de nombreux chefs d’État africains. S’imposant progressivement comme le candidat favori, Abdou Diouf fut finalement élu à l’unanimité le 20 octobre 2002 après le retrait d’Henri Lopes. Il a officiellement pris ses fonctions le 2 janvier 2003.

Parallèlement, un nouveau Plan d’action a été adopté lors de ce sommet. Celui-ci reprend les quatre grands axes développés dans la programmation de la Francophonie multilatérale pour le biennum 2002-2003 : paix, démocratie, droits de l’homme ; promotion de la langue française et de la diversité culturelle et linguistique ; éducation de base, formation professionnelle et technique, enseignement supérieur et recherche ; coopération économique et sociale au service du développement durable et de la solidarité. Cette programmation a été adoptée en janvier 2002 lors de la Conférence ministérielle de la Francophonie. Ce plan entérine également l’adoption d’une programmation quadriennale et non plus biennale, tout en évoquant la nécessaire mise en place d’un cadre stratégique décennal qui devrait être arrêté en novembre 2004 à Ouagadougou lors de la prochaine Conférence des chefs d’État et de gouvernements des pays ayant le français en partage.

Enfin, les chefs d’État et de gouvernement ont entériné l’admission de la Slovaquie au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie avec le statut d’observateur, ce qui porte à 56 le nombre d’États et de gouvernements membres ou observateurs.

10ème Conférence des chefs d’Etat et de

gouvernement ayant le français en partage : Ouagadougou (Burkina Faso) du 26 au 27 novembre 2004

- La Conférence Le sommet de Ouagadougou, ayant pour

thème La Francophonie, espace solidaire pour un développement durable, a permis de mettre l’accent sur les engagements pris à Johannesburg, lors du Sommet mondial sur le développement durable de 2002, d’identifier les difficultés et de définir les politiques et les actions solidaires permettant d’atteindre les objectifs du développement durable. Il s’est aussi penché sur les crises en Afrique et dans le monde, réaffirmant l’attachement du mouvement pour la paix, le développement solidaire, les valeurs démocratiques et le respect de la diversité culturelle.

L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a été rejointe à Ouagadougou par deux nouveaux membres associés – Grèce et Andorre – et cinq observateurs – Arménie,

Autriche, Croatie, Géorgie et Hongrie. Elle compte désormais 53 Etats et gouvernements membres et 10 pays observateurs, illustration du succès que connaît depuis quelques années la Francophonie à travers le monde. On a noté, pour la deuxième fois, la présence du président algérien Abdelaziz Bouteflika à un sommet francophone.

- Les résolutions La Déclaration de Ouagadougou rappelle

l’importance attachée par la Francophonie à une vision globale du développement durable. Les dirigeants francophones estiment que « le développement sera durable s’il repose sur cinq piliers, à savoir la gestion maîtrisée et saine des ressources naturelles, un progrès économique inclusif et continu, un développement social équitable faisant appel à la tolérance et s’appuyant sur l’éducation et la formation, des garanties de démocratie et d’Etat de droit à tous les citoyens et une large ouverture à la diversité culturelle et linguistique ».

Le sommet a aussi défini un Cadre stratégique décennal destiné à faciliter la définition d’objectifs à long terme pour la Francophonie afin de la rendre plus efficace sur le terrain. Il est organisé autour de quatre missions : promouvoir la langue française et la diversité culturelle et linguistique ; promouvoir la paix, la démocratie et les droits de l’homme ; appuyer l’éducation, la formation, l’enseignement supérieur et la recherche ; développer la coopération au service du développement durable et de la solidarité.

Il a également donné mandat au secrétaire général pour réformer l’organisation et mettre à jour la Charte, support juridique de l’ensemble du cadre institutionnel francophone ; elle définit notamment le rôle et les missions de l’OIF (la nouvelle charte sera adoptée par la Conférence ministérielle à Antananarivo, le 23 novembre 2005).

La crise en Côte d’Ivoire, Etat francophone et pays voisin du Burkina Faso, dont le président Laurent Gbagbo était absent du sommet, a également mobilisé les participants qui ont « fermement condamné » dans une résolution « les attaques meurtrières provoquées par les FANCI [forces gouvernementales] au nord de la Côte d’Ivoire, y compris celles contre la force Licorne (forces françaises) agissant sous mandat des Nations unies en faveur de la paix en Côte d’Ivoire » (le sommet s’est tenu moins d’un mois après le bombardement d’une position de Licorne par l’armée loyaliste ivoirienne). En outre, ils ont réaffirmé « leur conviction que les engagements consignés dans les Accords de Linas Marcoussis et d’Accra III constituent la seule voie pour une réconciliation durable en Côte d’Ivoire et exigent leur stricte application ».

Le sommet a également adopté une résolution sur le Proche-Orient et a exprimé la profonde sympathie de l’OIF au peuple palestinien à la suite du décès de Yasser Arafat et a appelé la communauté internationale à se mobiliser, afin de faciliter la tenue d’élections démocratiques auxquelles tous les Palestiniens, y compris ceux de Jérusalem-Est, pourront participer.

Pour d’autres crises ou conflits comme ceux en Irak, à Haïti, en République démocratique du Congo, au Darfour ou en Somalie ont été invoquées à Ouagadougou des solutions politiques, respectant la souveraineté des Etats et les droits de l’homme.

Le sommet, qui a permis à la communauté francophone de renouveler sa solidarité avec le continent africain, a insisté sur l’urgence de la mise en œuvre d’un consensus visant « un

financement largement amélioré du développement ». « Nous réaffirmons que la pauvreté, source inévitable de conflits, doit être au cœur des préoccupations des Etats et gouvernements. Nous sommes convaincus que notre monde possède aujourd’hui les moyens et les ressources nécessaires pour l’éliminer », souligne la déclaration.

Elle appelle à un changement d’attitude et à la définition de nouvelles priorités tant au Sud qu’au Nord pour atteindre les objectifs du Millénaire, à travers notamment « un partenariat global visant à une mondialisation équitable et à un développement durable, à tous les niveaux : international, régional, national et local ».

« Nous constatons que la mondialisation a creusé les écarts économiques et sociaux entre les pays et en leur sein, et que les moins avancés peinent à profiter de la croissance mondiale et des nouvelles technologies. La Francophonie doit, à cet égard, participer de façon toujours plus forte et plus cohérente à l’effort général visant à créer les conditions qui donneront aux pays les plus pauvres et à leurs populations les moyens d’une insertion réussie dans le système économique mondial », ont souligné les participants. Ils ont aussi réaffirmé leur attachement à la recherche, d’un partenariat accru public-privé et d’un soutien à la microfinance, en liaison avec l’Onu et les institutions financières internationales.

Point important, puisque le sommet de Ouagadougou a également adopté une résolution sur le coton, les participants ont invité les responsables gouvernementaux francophones à témoigner réciproquement d’une solidarité plus concrète à l’occasion des négociations commerciales internationales pour diminuer la vulnérabilité des producteurs du Sud sur les marchés mondiaux.

Ils ont par ailleurs beaucoup insisté sur l’émergence d’une véritable culture des droits de l’Homme dans l’espace francophone, adoptant même un texte sur la liberté de la presse.

Se déclarant convaincus du rôle primordial de l’enseignement supérieur dans la construction des sociétés, ils se sont engagés à poursuivre leur coopération en vue de généraliser l’usage des nouvelles technologies, de faciliter la mobilité des universitaires et des étudiants, de développer l’enseignement à distance et de contribuer à l’émergence de pôles d’excellence scientifiques et technologiques. « Nous sommes décidés à ce que nos sociétés progressent dans l’édification d’une société de l’information visant à privilégier la construction des savoirs et le partage des connaissances ainsi que l’appropriation des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) de manière à réduire la fracture numérique », ont-ils déclaré.

Figure également dans les préoccupations la promotion de la langue française, s’adossant au développement des langues partenaires et dans le respect de la diversité culturelle.

Les chefs d’Etat et de gouvernement francophones, dont une grande partie sont africains, ont enfin affirmé leur soutien unanime au Fonds mondial de lutte contre le VIH/sida, la tuberculose et le paludisme, dont la création a été décidée par l’Assemblée générale des Nations unies.