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COMMENT ETUDIER L ISLAM AUJOURDHUI EN HISTOIRE ET SCIENCES DES RELIGIONS Les étudiants d’histoire et de sciences des religions intéréssés par l’islam sont quelquefois surpris d’apprendre que la plupart des cours concernant cette religion sont donnés à Genève, du moins en première partie de leur cursus. Cette situation est due à une convention lémanique qui a attribué les études touchant l'islam à l’Université de Genève. N’y voyons là aucune décision arbitraire: en Suisse romande, l’apprentissage de l’arabe ne peut s’effectuer qu'à l'UniGE, et cette langue est indispensable à une fine compréhension de la culture musulmane. Cependant, bien que les cours d’introduction à l’islam soient assurés par des professeurs genevois, Lausanne n’est pas inactive de son côté: en plus d'un enseignement régulier prodigué par le chargé de cours J.-C. Basset, l'UNIL propose également des enseignements ponctuels sous forme de cours-bloc (cf. le cours de Pierre Lory pour l'été 1998). Pour 1999, nous attendons le professeur L. Addi, qui présentera, en été, un séminaire d’anthropo-logie politique sur la question de l’islamisme. D'autre part, le DIHSR organise régulièrment des colloques et des conférences sur l'islam et bénéficie, avec le professeur Mondher Kilani, d'un enseignement d'anthropologie enrichi de terrains en contexte musulman. Nous pensons qu’il est important, à travers cette nouvelle lettre d'information, de rendre compte des efforts de collaboration entre l'Unité des études arabes et islamiques de Genève et le DIHSR de Lausanne. Cette association aboutit, en effet, à une approche diversifiée de la religion islamique, ce qui ne peut que contribuer à la juste perception d’un phénomène religieux complexe, trop souvent mal compris par les médias occidentaux. L’ ISLAM A L’UNIVERSITE DE GENEVE Les enseignements portant sur la religion et la culture islamiques sont regroupés à Genève au sein de l’Unité des études arabes et islamiques. C’est dire que l’étude de l’islam comme religion ne peut être dissociée d’une approche globale de l’ensemble des faits historiques et culturels innervés par la révélation coranique et son exégèse, et que la voie d’approche prioritaire en est la langue arabe. Il est vrai de toute religion que l’on peut difficilement en pénétrer l’esprit sans une connaissance approfondie de la langue qui lui sert de véhicule, mais c’est sans doute particulièrement vrai de l’islam, religion du Livre par excellence qui confère à la langue dans laquelle le Coran est écrit (ou récité) le statut de langue divine. Les juifs n’ont pas hésité à traduire la Torah en araméen et en grec dès que ces langues leur furent devenues plus familières que l’hébreu, et le christianisme a fait de la traduction de la Bible dans le plus grand nombre de langues l’arme principale de sa volonté d’évangélisation universelle. Tout au contraire, l’islam a toujours considéré que traduire le Coran était non seulement impossible, mais impie, et ce n’est que LETTRE D'INFORMATION DU DIHSR Département Interfacultaire d' Histoire et de Sciences des Religions Rédaction: DIHSR. Responsables de ce numéro: Yvan Bubloz, Galina Rousseva-Sokolova N° 6 - décembre 1998 Il est possible de s'abonner à la Lettre du DIHSR, en téléphonant au 021/692 27 20 ou en écrivant à notre centre de coordination: DIHSR, UNIL, BFSH 2 - Bureau 5011, 1015 Lausanne-Dorigny (fax. nº: 021/692 27 25)

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COMMENT ETUDIER L’ISLAM AUJOURD’HUIEN HISTOIRE ET SCIENCES DES RELIGIONS

Les étudiants d’histoire et de sciences des religions intéréssés par l’islam sont quelquefois surprisd’apprendre que la plupart des cours concernant cette religion sont donnés à Genève, du moins enpremière partie de leur cursus. Cette situation est due à une convention lémanique qui a attribué lesétudes touchant l'islam à l’Université de Genève. N’y voyons là aucune décision arbitraire: enSuisse romande, l’apprentissage de l’arabe ne peut s’effectuer qu'à l'UniGE, et cette langue estindispensable à une fine compréhension de la culture musulmane. Cependant, bien que les coursd’introduction à l’islam soient assurés par des professeurs genevois, Lausanne n’est pas inactive deson côté: en plus d'un enseignement régulier prodigué par le chargé de cours J.-C. Basset, l'UNILpropose également des enseignements ponctuels sous forme de cours-bloc (cf. le cours de PierreLory pour l'été 1998). Pour 1999, nous attendons le professeur L. Addi, qui présentera, en été, unséminaire d’anthropo-logie politique sur la question de l’islamisme. D'autre part, le DIHSR organiserégulièrment des colloques et des conférences sur l'islam et bénéficie, avec le professeur MondherKilani, d'un enseignement d'anthropologie enrichi de terrains en contexte musulman.Nous pensons qu’il est important, à travers cette nouvelle lettre d'information, de rendre compte desefforts de collaboration entre l'Unité des études arabes et islamiques de Genève et le DIHSR deLausanne. Cette association aboutit, en effet, à une approche diversifiée de la religion islamique, cequi ne peut que contribuer à la juste perception d’un phénomène religieux complexe, trop souventmal compris par les médias occidentaux.

L’ISLAM A L’UNIVERSITE DE GENEVE

Les enseignements portant sur la religion et laculture islamiques sont regroupés à Genève ausein de l’Unité des études arabes et islamiques.C’est dire que l’étude de l’islam comme religionne peut être dissociée d’une approche globale del’ensemble des faits historiques et culturelsinnervés par la révélation coranique et sonexégèse, et que la voie d’approche prioritaire enest la langue arabe. Il est vrai de toute religionque l’on peut difficilement en pénétrer l’espritsans une connaissance approfondie de la languequi lui sert de véhicule, mais c’est sans doute

particulièrement vrai de l’islam, religion du Livrepar excellence qui confère à la langue danslaquelle le Coran est écrit (ou récité) le statut delangue divine. Les juifs n’ont pas hésité à traduirela Torah en araméen et en grec dès que ceslangues leur furent devenues plus familières quel’hébreu, et le christianisme a fait de la traductionde la Bible dans le plus grand nombre de languesl’arme principale de sa volonté d’évangélisationuniverselle. Tout au contraire, l’islam a toujoursconsidéré que traduire le Coran était nonseulement impossible, mais impie, et ce n’est que

LETTRE D'INFORMATION DU

DIHSRDépartement Interfacultaire d'Histoire et de Sciences des Religions

Rédaction: DIHSR. Responsables de ce numéro: Yvan Bubloz, Galina Rousseva-Sokolova N° 6 - décembre 1998

Il est possible de s'abonner à la Lettre du DIHSR, en téléphonant au 021/692 27 20 ou en écrivant à notre centre decoordination: DIHSR, UNIL, BFSH 2 - Bureau 5011, 1015 Lausanne-Dorigny (fax. nº: 021/692 27 25)

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très récemment qu’il a reconnu du bout deslèvres la validité pratique de certaines versionsétrangères de son livre saint.Malgré la prééminence accordée à l’arabe,l’unité offre également des séminaires de niveauavancé destinés aux étudiants non-arabisants,notamment ceux qui ont choisi l’islam commel’une de leurs trois options dans le cadre desprogrammes d’histoire des religions de Genèveou Lausanne. Cette approche pour ainsi direextérieure de l’islam agit d’ailleurs souvent sur lesétudiants comme un aiguillon pour se mettre àl’étude de la langue.En outre, l’islam, dans une large mesure à traversl’arabe, a imprimé sa marque sur l’ensemble deschamps culturels qui se sont développés depuisquinze siècles sous son égide, qu’il s’agisse delittérature, de philosophie, de politique ou d’art.Dans ces conditions, il serait hautement artificielde vouloir dissocier l’étude de la religionmusulmane de ces autres formations culturelles.C’est à dessein que le terme «islamologie», quidonne l’illusion d’une discipline autonome etauto-suffisante, a été évité.De ces deux principes découle l’organisation desétudes arabes et islamiques à Genève. Les deuxpremières années sont consacrées à unapprentissage de l’arabe aussi intensif que lepermet aux étudiants la structure à trois disci-plines de notre licence. Parallèlement, un coursd’introduction vise à leur donner le cadre général,historique et conceptuel, dans lequel viendront

s’insérer les connaissances plus spécifiques. Laseconde partie des études, au cours destroisième et quatrième années, débouchant sur lalicence, permet d’aborder, dans le texte, lalittérature classique et moderne ainsi que leCoran. Elle offre aussi des possibilités d’ap-profondir certains domaines spécifiques commele chiisme, le soufisme, la philosophie ou lescourants de pensée de l’islam moderne. Parmi lessujets communément abordés figurent aussil’histoire des rapports entre le monde musulmanet l’Occident et la problématique de l’Etatislamique. Beaucoup reste à faire pour diversifierl’offre de ces enseignements spécifiques etéveiller les étudiants à la richesse et à la diversitéde ce que le terme d’«islam» réunit dans uneunité quelque peu trompeuse. Parmi les projetsde la Faculté des lettres dont on peut espérer laréalisation dans un avenir point trop distant, il fautmentionner en premier lieu un enseignement sur lemonde iranien, dont on oublie trop qu’il s’étendjusqu’au nord de l’Inde, avec une ouverture surl’art islamique. La jonction serait ainsi faite avecles études indiennes bien représentées àLausanne. La répartition de tâches entre les deuxuniversités, mise en place depuis bien des années,fournit un exemple réussi de coordinationlémanique.

Charles GenequandProf. à l’Université de Genève

PRESENTATION DE L'ENSEIGNEMENT DONNE EN 1997-98PAR SILVIA NAEF, CHARGEE DE COURS A GENEVE

La religion et la civilisation musulmanes ne faisantpas partie du programme de maturité,l’enseignement destiné aux étudiants débutantsdoit tout d’abord fournir des notions de basedans ce domaine. C’est dans ce but qu’ont étéconçus le cours Introduction à l’histoire de lacivilisation islamique et le séminaire Intro-duction à l’islam. Le cours vise à donner unaperçu global de l’évolution historique de lacivilisation islamique, avec une concentration surla première époque (de la naissance de l’islam enArabie aux premiers siècles «d’or» abbassides,c’est-à-dire de 570 à 950 environ) et sur lapériode moderne (depuis 1798). Les différentsaspects rituels de la religion islamique sontégalement traités. Ainsi, afin de permettre à desétudiants qui, pour la plupart, ne viennent pas

d’un contexte familial musulman, de se faire uneimage plus concrète de la pratique quotidienne dela religion musulmane, une visite à la mosquée duPetit-Saconnex à Genève a été effectuée dans lecadre du cours le 4 mai 1998.Le séminaire Introduction à l’islam (qui s’inti-tulait Introduction au texte coranique l’annéedernière) a pour but de permettre à des étudiantsfrancophones et n’ayant pas de connaissances del’arabe d’acquérir une première familiarité avec lelivre saint de l’islam et, dans une moindre mesure,avec la tradition musulmane. Pour des raisonspratiques, c’est avec la traduction du Coran deDenise Masson, parue en édition de poche, quenous avons travaillé. Après une introductiongénérale à la religion musulmane et au textecoranique, ainsi qu’à leur perception en

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Occident, suivie de la lecture en commun dessourates 69 – «Celle qui doit venir» – et 6 «Lestroupeaux» – (au semestre d’hiver), les étudiantsont présenté, au semestre d’été, des exposésportant sur les principaux thèmes coraniques(Dieu, la création, enfer et paradis, les anges et lediable, les rapports avec les autres religionsmonothéistes, etc.).Le séminaire destiné aux étudiants avancés aporté l’année dernière sur L’islam moderneentre réformisme et fondamentalisme. Aprèsune brève introduction historique, des textes deRifâ‘at al-Tahtâwî (L’Or de Paris), ErnestRenan («L’islamisme et la science»), Jamâl al-Dîn al-Afghânî («Réponse à Renan»),Muhammad ‘Abduh (Risâlat al-tawhîd), Rashîd

Ridâ (sur le califat) ont été lus en traductionfrançaise, cet enseignement s’adressantégalement à des non-arabisants. Au semestred’été, des exposés sur des livres récents, écritspar des spécialistes de l’islam ayant des points devue contradictoires, ont été présentés par desétudiants. Il s’agissait des ouvrages suivants:Bernard Lewis, La formation du Moyen-Orientmoderne, Paris, 1995; Olivier Carré, Lenationalisme arabe, Paris, 1993; Gilles Kepel,La revanche de Dieu, Paris, 1992; FrançoisBurgat, L’islamisme en face, Paris, 1995.

Silvia NaefChargée de cours à l’Université de Genève

LE SOUFISME: AMOUR SACRE, AMOUR PROFANE(Cours proposé à l'UniGE en 1997-98 par A. Meddeb)

Notre point de départ est la préface qu’avaitécrite Ibn ‘Arabî (Murcie, 1165 – Damas, 1240)pour introduire son divân «Tarjumân al-Ashwâq» (traduit sous le titre l’Interprète desDésirs, par Maurice Gloton, Albin Michel éd.,Paris, 1996). Là, apparaît la figure de la dameinspiratrice, Nidhâm, au nom symbolique(Nidhâm = Harmonia) tout comme sa soeurcadette Béatrice. Nous saurons d’abord – àtravers la tante de Nidhâm, Fakhr an-Nisâ’ («LaGloire des femmes») –, que l’humanité féminineest présente dans la voie de l’initiation, qu’elle estle témoin de l’expérience, qu’elle participe à lamaîtrise et à la transmission. Nous entrons par lasuite dans la dialectique de l’un et du multiplepour ce qui a trait à la présence de la figureféminine dans la conversion de sa diversité: toutautre nom féminin invoqué dans les poèmes dudivân renvoie à Nidhâm, laquelle constitue lesupport qui accueille l’épiphanie divine. Nousassistons de suite à la première «métamorphose»de la dame persane et musulmane en jeune fillegrecque et chrétienne, révélant au cheminant seserrements et ses manques. Cette pluralité dansl’unité s’avère être la métaphore qui légitimeral’apparition dans les premiers poèmes de thèmeset de motifs empruntés à d’autres croyances.Cette référence aux autres religions culmineradans les derniers vers du onzième poème («Moncoeur est capable d’accueillir toute forme/ Il estpâturage pour gazelles, couvent pour moines/Temple pour idoles, Caaba pour pèlerin/ Table

de Torah, feuilles de Coran/ Ma religion est cellede l’amour/ Je vais où que me mènent sesmontures»). Et c’est tout naturellement ques’épanouit dans le douzième poème l’éloge de laTrinité, dans sa vérité dogmatique comme danssa réalisation cultuelle et esthétique. Nousretrouverons Ibn ‘Arabî dans le dernier chapitredes Fuçûç al-Hikam («Les Gemmes desSagesses», partiellement traduits par TitusBurckhardt sous le titre de La Sagesse desProphètes, Albin Michel éd., Paris, 1955). Lethéosophe andalou y commente le dit prophé-tique suivant: «De votre monde trois choses mefurent rendues dignes d’amour: les femmes, lepar-fum et consolation me fut trouvée dans laprière.» Dans l’acte de chair se réalise l’épipha-nie divine dont le support est la femme enjouissance: la relation à deux (entre homme etfemme) aide à déchiffrer la présence du Tiers(Dieu).Pour situer cette théorie dans un cadre islamiqueplus vaste, nous la confrontons à deux autrespropositions: celle de Bistami (777–848) quisitue le désir dans le nihilisme du corps, hors durapport sexuel (ce qui le rapproche d’uneposture «christique»); et celle d’Abû HâmidGhazâli (1058–1111) qui réclame le dû de lachair afin de désencombrer le corps et y instaurerla vacance qui le rendra apte à l’expérience.

Abdelwahab MeddebProf. à l’Université de Genève

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ISLAM EN EUROPE: APPROCHE DIALOGIQUE

Ô gens du Livre! Venez à une parolecommune entre nous et vous: nous n'adoronsque Dieu; nous ne lui associons rien; nulparmi nous ne se donne de Seigneur, endehors de Dieu. («La famille d'Imran», Coran3, 64)

Depuis la rencontre de Muhammad avec leschrétiens de Najran jusqu'à la récente immi-gration des musulmans en Occident, en passantpar des siècles de coexistence le plus souventconflictuelle autour de la Méditerranée, rares ontété les heures de véritable compréhensionmutuelle. Au mieux l'apologétique, au pire lapolémique, ont façonné l'islam et le christianismeen «systèmes d'exclusion mutuelle», selonl'expression de Mohamed Arkoun. Pournécessaire qu'elle fut et demeure, l'étude his-torico-critique de l'islam, développée par lesorientalistes à partir du 19e siècle, n'a pas permisde combler le fossé entre l'islam et l'Occident.L'approche dialogique, développée depuisplusieurs années dans le cadre d'une charge decours, vise à concilier l'étude extérieure des faitset des textes, requise de tout enseignementuniversitaire, avec l'attention portée au témoi-gnage interne des croyants, en l'occurrence desmusulmans confrontés en cette fin de 20e siècleau défi de la modernité et du pluralisme. Distancecritique et parole engagée se corrigent et secomplètent mutuellement dans le souci de mieuxcomprendre l'islam en tant que religion vivantequi oriente la pensée et l'engagement de plus d'unmilliard de nos contemporains. A ce titre,l'approche dialogique s'inscrit dans le concertinterdisciplinaire qui caractérise le DIHSR depuissa création.Le cours d'hiver 97/98 a été consacré à un as-pect particulier de l'islam (le shi'isme en 96/97,

les grands courants de pensées classi-ques en98/99) à savoir la situation contemporaine desmusulmans en Europe. L'immi-gration de 8millions de musulmans en Europe occidentale aété successivement perçue d'un point de vueéconomique (Gastarbeiter en Allemagne), social(scolarisation des enfants, rôle des femmes) etplus récemment religieux (protestations contreLes Versets sataniques, querelle du foulardislamique, appel public à la prière, revendicationde la shari'a). Avec près de 18 millions demusulmans, l'Europe orientale a vu la coexistencemulti-séculaire de populations indigènesbouleversée par la fin du pouvoir communiste. Ils'en suit des réajustements souvent meurtrierscomme dans les Balkans ou dans le Caucase. Depart et d'autre, nous assistons à la naissance d'unislam européen, traversé par de multiplescourants qui vont de l'abstention religieuse aupiétisme et au radicalisme politique, susceptiblede prendre en compte le contexte européencomme l'a illustré l'intervention de TariqRamadan.Comme chaque année, le cours/séminaire duprintemps 98 a traité d'un thème plus explici-tement interreligieux en proposant une approchecomparée de concepts clés du vocabulairechrétien et musulman tels que Unicité/Trinité,Prophète, Ecriture, Prière, Communauté ouMission/Appel. Du fait de leur patrimoinecommun, chrétiens et musulmans partagent uncertain nombre de termes auxquels ils ne donnentsouvent pas le même sens ou la mêmeimportance. Un travail de clarification visant àmettre en lumière les similitudes et les différencesapparaît dès lors un préalable requis pour toutdialogue authentique.

Jean-Claude BassetChargé de cours à l’Université de Lausanne

ENSEIGNEMENT SUR LES DOCTRINES DE L’ISLAM(Cours proposé à l'UNIL en été 1998 par P. Lory)

La série de conférences que j’ai données auDIHSR en 1998 visaient à une initiation à l’accèsaux textes fondateurs de l’islam (Coran, hadîth)ainsi qu’à éclaircir certains concepts de baseapplicables en théologie, en droit et en mystique,en sorte que les étudiants puissent par après se

piloter dans les bibliographies plus spécialiséesdu domaine islamologique. Elles ont débuté parun exposé sur les principaux événements ayantmarqué les débuts de l’islam, et sans lesquels lesdifférents éléments de cette religion seraientradicalement incompréhensibles: soit la

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biographie même du prophète Muhammad,l’expansion de l’état musulman sous ses premierssuccesseurs, l’éclosion des premiers schismes(chiisme principalement), l’établissement del’empire musulman à l’époque dite abbasside.Plusieurs conférences ont ensuite été consacréesau texte coranique, à l’étude de sa composition,à ses principaux thèmes (points de foi et demorale; histoire des prophètes; eschatologie). Asuivi l’exposé sur la nature et le rôle desenseignements attribués au Prophète (leshadîths), qui constituent le pivot de la démarchethéologique et juridique du sunnisme classique.Puis ont été évoqués les différents courants depensée en islam, qui se ramènent finalement à desprises de position exégétiques différentesconcernant le Coran et le hadîth: la théologie ausens large (incluant les attitudes littéralistesrécusant les spéculations) et au sens étroit(kalâm mu`tazilite; ash`arisme), la philosophied’inspiration hellénique, la mystique enfin dontl’importance historique a été soulignée.L’opposition doctrinale entre sunnisme et chiismea également été l’objet d’un exposé complet.L’étude des points de contact et d’affrontementavec le judaïsme et le christianisme rentraientbien sûr également dans ce panorama de lapensée musulmane classique.

Enfin, le deuxième grand volet des conférencesportait sur les données du droit musulman: sesfondements théoriques (scripturaires et dog-matiques), les principales écoles juridiques… Leséléments essentiels du culte (prière, pèlerinage…)ont été décrits et leur contenu spirituel pour lesmusulmans rappelé. Les règles de droit les plusprégnantes, dans le domaine du droit de la famillenotamment, ont été étudiées dans leur grandeslignes. Même s’il était hors de propos d’aborderles incidences sociales passées ou actuelles desrègles de droit, faute de temps, il en a bien sûrété question lors des échanges avec les étudiantsdurant les cours.En conclusion de ces différentes conférences, onpeut noter combien le discours sur l’islam ausingulier est une commodité de langage; qu’ilexiste en fait une grande pluralité de courants,d’interprétations au sein de la pensée musulmane;que chaque musulman, à la limite, est mis endemeure de choisir et de vivre sa propre exégèsedu Texte sacré. D’où la complexité de cettediscipline protéiforme appelée faute de mieux«islamologie».

Pierre LoryEcole Pratique des Hautes Etudes

Prof. invité à l’Université de Lausanne, 1998

EXTRAIT DES PUBLICATIONS DES MEMBRES DU DIHSR

KILANI, Mondher (éd.), Islam et changement social, Lausanne: Payot, 1998.