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  • LAURENT DAILLIEZ

    LES TEMPLIERS

    Ces inconnus

    LIBRAIRIE ACADEMIQUE PERRIN, 1972.

  • ma femme, mes enfants,

    Hlne, Bernard, Frdric, Hugues, Franois

    Jacques

  • Table des matires

    Introduction .................................................................................................................... 5

    CHAPITRE I Jrusalem et Troyes ................................................................................. 7

    CHAPITRE II Le Temple vagabond ............................................................................. 16

    CHAPITRE III Les Grands Matres ............................................................................. 28

    CHAPITRE IV La juridiction ....................................................................................... 40

    CHAPITRE V La vie du templier ................................................................................. 56

    CHAPITRE VI Terre Sainte et relations ...................................................................... 69

    CHAPITRE VII La nouvelle Babylone Jrusalem tombe ........................................... 85

    CHAPITRE VIII Le temple Banque et Diplomatie...................................................... 99

    CHAPITRE IX Dveloppement et juridiction ........................................................... 108

    CHAPITRE X La pninsule ibrique .......................................................................... 115

    CHAPITRE XI Les erreurs et les combines .......................................................... 121

    CHAPITRE XII Politique et diplomatie .................................................................... 130

    CHAPITRE XIII Les campagnes dgypte ................................................................ 138

    CHAPITRE XIV Frdric II, Roi de Jrusalem .......................................................... 147

    CHAPITRE XV Saint-Louis, sa croisade et le Temple ............................................... 155

    CHAPITRE XVI Les assises ....................................................................................... 164

    CHAPITRE XVII La fin du royaume .......................................................................... 174

    CHAPITRE XVIII Lentre-deux ................................................................................. 182

    CHAPITRE XIX La fin ................................................................................................185

    CHAPITRE XX La suite, les lgendes et le folklore .................................................. 201

  • Introduction

    DEPUIS prs de deux sicles, les ouvrages consacrs aux Templiers abondent. Sans parler de ceux qui retracent lhistoire de lglise, des Croisades et des principales institutions monastiques. Ils nous ont familiariss avec cette poque dite obscure laquelle sattachrent les romantiques. Cependant, ce livre nest pas une gageure, ni le fruit dune vaine tmrit. Bien quil ait fait couler tant dencre, lOrdre du Temple reste inconnu. On peut mme dire quil na jamais t aussi mystrieux que depuis sa disparition.

    Ds le VIe sicle, les Musulmans prennent pied dans les territoires chrtiens et submergent lAfrique et lEspagne. Byzance se croit menac. Ds le IXe sicle, aprs le Schisme dOrient, nat avec les ordres militaires un autre type de vie religieuse.

    Extraordinaire vocation que celle de ces ordres, o se mlent la foi, le courage et lhrosme chrtien. Leur histoire, cest dabord laffrontement de deux philosophies et de deux civilisations : celles des mondes chrtien et musulman. lorigine de lOrdre du Temple, de pauvres chevaliers qui vont bientt dvelopper leur observance et la couronner de gloire dans de magnifiques popes. Et leur suite, les Croisades et tous les peuples chrtiens droulent leur histoire devant nos yeux.

    Les Templiers ralisrent lidal dune double vocation, apparemment contradictoire, de moines et de soldats. Les ordres militaires rpondirent ainsi un besoin particulier, une poque o lglise sefforait dhumaniser la guerre et o la lutte des deux civilisations exigeait une lite.

    Que na-t-on pas crit sur les Templiers ? Pourtant, rien ne fut secret, bien au contraire. Les documents et les manuscrits existent : nous en avons collig plus de 145 000. Aussi tait-il ncessaire de remettre srieusement en question le problme du Temple. De sinterroger sur son vritable aspect et sa vritable fonction, qui fut avant tout sociale et conomique. Tout en examinant, paralllement, son gouvernement

  • synarchique, sa grandeur militaire, son influence internationale. Sans ignorer la partie exotrique que lon retrouve dans les donnes architecturales ou dans les directives internes de lOrdre.

    Pourquoi avons-nous des actes des Chapitres gnraux rcemment dcouverts dailleurs , pourquoi avons-nous des lettres de Matres, si lOrdre fut si sotrique quon le prtend ? Il fallait revoir tout cela dun regard neuf, en partant des documents.

    Ce nest pas une rhabilitation du Temple que nous entreprenons : il nen a pas besoin. travers les divers textes de la Rgle, 1 705 bulles pontificales, 145 000 documents, dix-neuf manuscrits, trois brviaires et un missel, lOrdre du Temple a le droit, aujourdhui, de sexpliquer. Et de se dfendre des accusations portes contre lui : relations secrtes avec les Musulmans, pactes avec lInfidle contre les Croiss, trsors... Sur ces questions, les Chroniques des Croisades, quelles soient dauteurs occidentaux, orientaux ou musulmans, apportent un tmoignage essentiel.

    Notre tude repose uniquement sur des documents du Temple. Si nous nous sommes servis des cartulaires dits, nous navons utilis aucune source imprime concernant le Procs, ne nous fiant quaux originaux de Paris, Florence, York, Salamanque, Medina del Campo, Lisbonne, Londres et Cologne.

  • CHAPITRE I

    Jrusalem et Troyes

    LORDRE du Temple reut le coup de grce en 1317, quand le pape Jean XXII confirma lOrdre de Montesa dans le royaume dAragon. Dans la bulle de cration, le souverain pontife reprenait la sentence provisionnelle de son prdcesseur, Clment V. Le Temple tait dfinitivement aboli. Durant prs de deux sicles, les Templiers avaient t les conseillers, les diplomates, les banquiers, les artisans sociaux et conomiques des papes, des empereurs, des rois et des seigneurs. Durant ce mme temps, avec des constitutions synarchiques1 bien eux et de puissants moyens financiers, ils avaient dfendu les idologies de lglise.

    La fondation de lOrdre du Temple remonte aux premiers temps du royaume de Jrusalem. Le 27 novembre 1095, Urbain II, chass dItalie par lantipape Guibert, convoqua devant le Concile runi Clermont, en Auvergne, la premire assemble de Croisade. Il y parla de la situation tragique de la chrtient en Espagne et en Palestine, et il fut entendu. Un lan denthousiasme traversa la foule. Les armes se levrent pour dfendre la Croix.

    Adhmar et Raymond de Saint-Gilles prirent la tte de la noblesse du Midi de la France. Hugues de Vermandois, frre du roi de France, le comte tienne de Blois, Guillaume le Charpentier, Robert de Courteheuse suivirent lexemple. Mais ce fut le duc de Basse-Lorraine, Godefroy de Bouillon, avec ses frres Baudoin et Eustache, comte de Boulogne, et les comtes de Hainaut et de Toul, qui dirigea le contingent le plus important.

    Alexis Comnne se rjouit trop vite de larrive des Croiss francs. Il croyait les transformer en simples auxiliaires, de lEmpire Byzantin et

    1 La Synarchie est une forme de gouvernement qui distingue l'autorit du pouvoir : ceux qui ont le pouvoir sont subordonns ceux qui ont l'Autorit.

  • leur faire comprendre que les territoires quils traversaient, sils taient aux mains des Turcs, avaient un matre en sa personne. Si le comte de Toulouse refusa de signer le serment Alexis, tous les autres seigneurs le firent. Nanmoins, les troupes avancrent vers Jrusalem. Les places turques tombrent les unes aprs les autres : Iconum le 15 aot 1097, Hracle le 10 septembre, Csare fin septembre. Aprs la chute de Marash, Antioche fut reprise en octobre 1097, alors que la Cilicie tait entre les mains de Tancrde et de Baudoin. Le sige dAntioche commena le 30 octobre 1097 et dura jusquau 3 juin 1098.

    Malgr la prise du chteau de Harenc, la croisade pitina dans la rgion dAntioche. Aprs une meute, le 13 janvier 1099, les croiss, suivant la promesse de Raymond de Marra, levrent le camp et partirent vers le Sud. Arriv dans la principaut dAntioche, Raymond, voyant la richesse des terres, les fit stationner nouveau. Les dtachements provenaux occuprent Maracle et Tortose. Godefroy de Bouillon, la tte des troupes wallonnes et flamandes, assigea Jabala. Dautres troupes se regrouprent aux environs dAcre (Ptolmas).

    Les Turcs perdirent Jrusalem le 26 aot 1098, laissant la Ville Sainte entre les mains des gyptiens.

    Ceux-ci, ne voulant pas abandonner cette conqute, proposrent aux croiss daccomplir leur plerinage en toute quitude. Loffre fut refuse. Le 7 juin 1099, larme Franque, avec ses 40 000 hommes, parmi lesquels il fallait compter 20 000 fantassins et seulement 1 500 cavaliers, commena un sige qui dura jusquau 14 juillet, date de lassaut final. Le 15, Godefroy de Bouillon pntrait dans la ville. Aprs cinq sicles doccupation, la Ville Sainte tait dlivre de lemprise et du joug musulmans, et revenait, pour peu de temps dailleurs, entre les mains des chrtiens.

    Bien quayant refus la couronne royale, Godefroy de Bouillon gouverna le nouveau royaume franc. Il fut remplac par Baudouin Ier, comte dEdesse, en 1100. Celui-ci reut la couronne le jour de Nol 1100 des mains de Daimbert, patriarche de Jrusalem, Bethlem. H. Claesener note que les rois de Jrusalem dateront leur rgne du couronnement de Bethlem et non de celui de Jrusalem. Cette mention semble inconnue des historiens du Temple qui datent de 1118 la fondation de lOrdre. Malgr le couronnement dun roi, le territoire ne comprenait encore quune troite bande de terre longeant la cte mditerranenne dAntioche jusqu Jaffa. Au nord, avait t form le comt dEdesse ; au sud, le royaume se terminait en pointe de lance par le chteau de Montral.

    Les plerins affluaient encore plus nombreux. Les colons, encourags par la politique dexpansion du roi de Jrusalem, sinstallaient sur les nouvelles terres. Foucher de Chartres, le chapelain royal, rappelle comment les occidentaux se placrent en Orient :

  • Considrez et rflchissez lintrieur de vous- mmes, comment, en notre temps, Die a transform lOccident en Orient. Nous qui tions des Occidentaux, nous sommes devenus des Orientaux ; celui qui tait romain ou franc est devenu ici un Galilen ou un habitant de la Palestine, et celui qui demeurait Chartres ou en Reims se voit citoyen de Tyr ou dAntioche. Nous avons dj oubli le lieu de notre naissance, dj il est inconnu plusieurs dentre nous ou du moins nous nen recevons plus de nouvelles. Tel dentre nous possde dj en ce pays des maisons et des serviteurs qui lui appartiennent par droit hrditaire, tel autre a pous une femme qui nest pas sa compatriote, une Syrienne, une Armnienne ou mme une Sarrasine qui a reu la grce du baptme, tel autre a chez lui ou son gendre ou sa bru ou son beau-pre ou son beau-fils ; celui-ci est entour de ses neveux ou mme de ses petits-neveux ; lun cultive ses vignes, lautre ses champs ; ils parlent diverses langues et sont dj tous parvenus sentendre. Les idiomes les plus diffrents sont maintenant communs lune et lautre nation, et la confiance rapproche les races les plus loignes. Il a t crit, en effet : le lion et le buf mangeront au mme rtelier. Ltranger est maintenant indigne, le plerin est devenu habitant. De jour en jour nos parents et nos proches nous viennent rejoindre ici, abandonnant les biens quils possdent en Occident. Ceux qui taient pauvres dans leur pays, ici Dieu les a faits riches ; ceux qui navaient que peu dcus possdent ici un nombre infini de Byzantins ; ceux qui navaient quune mtairie, Dieu leur donne ici une ville. Pourquoi retournerait-il en Occident, celui qui trouve lOrient si favorable ?

    La premire croisade ntait plus quun souvenir. Si les colons taient nombreux, les hommes darmes taient plus rares. Beaucoup avaient regagn leur pays ; les autres taient vieux ou morts. La croisade de 1101 fut un dsastre pour la Palestine. Plus de 100 000 immigrants furent massacrs ou faits prisonniers. Selon Jacques de Vitry, personne ne pouvait aller tranquillement visiter les Lieux-Saints, car les brigands et les voleurs infestaient les chemins, surprenaient les plerins, en dtroussaient un grand nombre et en massacraient beaucoup.

    Ainsi naquit lOrdre du Temple. Son but primitif fut de protger les plerins sur les routes. Sous linfluence dHugues de Payens, dorigine champenoise, Geoffroy de Saint-Omer et quelques autres chevaliers bien intentionns se runirent en confrrie. Les documents antrieurs lOrdre permettent de dire que son fondateur tait dj dun certain ge : lorigine du Temple, il devait avoir 55 ans. Quant aux pauvres chevaliers du Christ, la tradition na pas retenu les noms des premiers dentre eux. Ils vcurent presque dans loubli jusquen 1126, date o Hugues de Champagne vint grossir les rangs de la Milice. Cela fit grand bruit et provoqua mme la colre de saint Bernard.

  • Nanmoins une question se pose. Quelle est la date exacte de la fondation du Temple ? Les textes sont trop clairs pour ne pas en faire tat. La tradition attribue celle de 1118. Selon Guillaume de Tyr, lOrdre fut fond lanne o Baudouin devint roi. Cette prcision est juste, car il fut couronn roi de Jrusalem en 1119, dans lglise de Bethlem. Les textes de la Rgle du Temple en font tat lorsquils relatent le procs-verbal de lassemble : par les prires de Matre Hugues de Payens, sous lequel ladite chevalerie prit son commencement par la grce du Saint-Esprit, ils sassemblrent Troyes... la fte de Saint Hilaire en lan de lIncarnation de Jsus-Christ M et C et XXVIII, la neuvime anne du dbut de ladite chevalerie. Nous devons alors rtablir les faits. Lassemble de Troyes eut lieu le 13 janvier 1128. Avec les textes diplomatiques et principalement lacte de la donation du 1er octobre 1127, nous pouvons tablir que lOrdre du Temple fut fond entre le 1er novembre 1119 et le 12 janvier 1120.

    Le rcit le plus complet, le plus objectif, que nous ayons sur les dbuts du Temple est celui de Jacques de Vitry, dans son histoire de la Terre Sainte : Certains chevaliers, aims- de Dieu et ordonns Son service, renoncrent au monde et se consacrrent au Christ. Par des vux solennels, prononcs devant le patriarche de Jrusalem, ils sengagrent dfendre les plerins contre les brigands et ravisseurs, protger les chemins et servir de chevalerie au souverain roi. Ils observrent la pauvret, la chastet et lobissance, selon la rgle des chanoines rguliers. Leurs chefs taient deux hommes vnrables, Hugues de Payens et Geoffroy de Saint-Omer. Au dbut, il ny en avait que neuf qui prirent une dcision si sainte et, pendant neuf ans, ils servirent en habits sculiers et se vtirent de ce que les fidles leur donnrent en aumnes. Le roi, ses chevaliers et le seigneur Patriarche furent remplis de compassion pour ces nobles hommes qui avaient tout abandonn pour le Christ et leur donnrent certaines proprits et bnfices pour subvenir leurs besoins et pour les mes des donateurs. Et, parce quils navaient aucune glise ou habitation qui leur appartnt, le roi les logea dans son palais, prs du Temple du Seigneur. Labb et les chanoines rguliers du Temple leur donnrent, pour les besoins de leur service, un terrain non loin du palais et, pour cette raison, on les appela, plus tard, les Templiers .

    Le chroniqueur cardinal poursuit sa dissertation avec prcision : En lan de grce 1128, aprs avoir demeur neuf ans dans le palais, vivant ensemble dans la sainte pauvret, selon leur profession, ils reurent une Rgle par les soins du pape Honorius et dtienne, Patriarche de Jrusalem, et un habit blanc leur fut donn. Ceci fut fait au concile tenu Troyes, sous la prsidence du seigneur vque dAlbano, lgat apostolique, et en prsence des archevques de Reims et de Sens, des abbs de Cteaux et de beaucoup dautres prlats. Plus tard, au temps

  • du pape Eugne, ils mirent la croix rouge sur leurs habits, portant le blanc comme emblme dinnocence et le rouge pour le martyre.

    Au moment du concile de Troyes, les chevaliers du Temple taient plus nombreux quon ne la dit. Le recrutement se fit au long des annes prcdant la religieuse assemble. Guillaume de Tyr note neuf chevaliers dont il nous donne certains noms. Il y joint Andr de Montbard, alors que celui-ci nentre au Temple que vers 1140, et laisse de ct Hugues de Champagne, lequel tait dans lOrdre avant le concile. Durant la priode du concile, nous avons quatre frres connus en Terre Sainte, mais il serait bizarre que Hugues de Payens nait laiss l-bas que trois ou quatre chevaliers. Cela se confirme par les mentions diverses de noms de Templiers durant cette poque. On en compte, selon les textes officiels, quinze. Il devait bien en rester dautres !

    Ds 1126, le fondateur vint en France. Pour recruter. Et pour donner son institution une base solide, reconnue par lautorit ecclsiastique, les princes et les seigneurs.

    Le sjour en France dHugues et de ses compagnons doit se situer entre 1127 et 1130, priode la plus inconnue de lOrdre, ou tout au moins la plus dlaisse dans les tudes. Cependant, grce aux actes, elle permet de faire la liaison entre le concile de Troyes et le trait de saint Bernard. Jusqu la mort de Hugues de Payens, le 24 mai 1136, cette priode semble favorable aux Templiers, malgr la nouveaut dassociation entre la vie religieuse et la vie militaire. Assurment, et on le comprend, la fondation de lOrdre ntait pas sans inquiter les contemporains et saint Bernard lui-mme. Cela dfavorisa, avouons-le, du moins dans certaines rgions, les dbuts de linstitution.

    N vers 1092 au chteau de Fontaine-les-Dijon, Bernard se trouvait alli aux plus grandes familles de Bourgogne et de Champagne. Par sa mre Aleth, il descendait des anciens comtes de Bar-sur-Seine, et par son pre il tait parent des Grands de Bourgogne. Chez les chanoines de Chtillon, le jeune seigneur acquit les principales rgles de la rhtorique en tudiant les auteurs classiques. En avril 1112, il entra au monastre de Cteaux, fond en 1098, avec une trentaine de compagnons, parents et amis. Sous la houlette dtienne Harding, le jeune moine se formera aux exigences de la vie monastique et, en 1115, il deviendra le premier abb de la troisime fille de Cteaux : Clairvaux. Labb donna un grand essor son Ordre, dont il ne fut jamais le suprieur. sa mort, Clairvaux avait fond soixante et une abbayes.

    Durant les trente-huit ans de son abbatiat, Bernard eut des contacts avec Cluny, les monastres bndictins non clunisiens, les ermites et les groupements dermites, les chanoines rguliers, les prmontrs, la Socit civile. travers les croisades et les diffrends entre les rois et les empereurs, il eut aussi un rle politique. Mais quels furent exactement ses rapports avec le Temple ?

  • Les chevaliers, sous la protection de Baudouin II, de Garimond patriarche de Jrusalem et de son successeur tienne de la Fert, vinrent en partie sur la terre de France pour y recruter. De la Palestine, il est fort probable que le Matre se rendit Rome afin dobtenir une entrevue avec le pape Honorius II. Cet entretien fut, sans aucun doute, lorigine du concile de Troyes. Puis de Rome, Hugues de Payens rejoignit aussitt son fils Thibaud. La chronique de Sainte Colombe prcise cette gnalogie : Thibaud de Payens, fils dHugues, premier Matre du Temple Jrusalem.

    Le Grand-Matre du Temple rencontra partout de la sympathie et de ladmiration. Thibaud de Blois avait hrit des biens du comte de Champagne lorsque celui-ci tait entr au Temple. Ce retournement du comte tait d divers soupons contre son pouse, accuse dinfidlit. De ce fait, Eudes de Champagne ne fut pas lhritier lgitime ; ce fut Thibud, le neveu, le comte de Champagne ayant refus de reconnatre son fils comme enfant lgitime.

    Le 13 janvier 1128, les chevaliers du Temple taient Troyes o souvrait le concile qui allait examiner et confirmer la Rgle de lOrdre. Douze vques, quatre abbs mitres bndictins, quatre cisterciens et quelques lacs assistaient le lgat.

    Saint Bernard et les cisterciens ne semblent pas tre pour beaucoup dans les dbuts du Temple. Cela sexplique par linimiti de labb de Clairvaux vis-- vis du Temple.

    Lopinion communment admise veut que ce soit labb de Clairvaux lui-mme qui ait crit la Rgie du Temple. Michelet, Dupuy, la Chronique de Belgique, Polydon Virgile, Guillaume de Tyr mme, la lui attribuent.

    Les manuscrits de la Rgle du Temple, en liaison avec Jacques de Vitry, ne signalent aucunement la rdaction du texte par saint Bernard. La lettre dHugues de Payens, conserve la Bibliothque de Nmes, nest que le reflet de cette opinion. Dailleurs, selon le texte lui-mme, une fois quHugues de Payens eut expos les statuts, le but et la fin de son Ordre les prlats approuvrent de cette Rgle ce qui leur semblait le plus sage et en retranchrent ce qui leur semblait absurde, laissant la discrtion du pape Honorius et dtienne de la Fert, patriarche de Jrusalem, le soin dachever cette uvre incomplte.

    Aprs cette discussion, Jean Michel, par lordre du concile et celui de saint Bernard qui ce soin avait t confi donc il refusa dcrire la Rgle , mrita, par la grce divine, den tre lhumble crivain.

    Que penser alors ? Saint Bernard ne semble pas avoir eu travailler sur le texte. Ctait

    pour lui un cas de conscience. Lhsitation est sensible et ne se traduit que par une explication nette en vertu du droit canon et de la mconnaissance totale de lOrdre pour lequel il doit crire. Malgr lincitation la dfense active de la Terre Sainte contre les ennemis de la

  • foi, laction de labb fut pratiquement nulle. Il parat impensable que saint Bernard ait crit la rgle dun ordre dont il dclare lui-mme ne pas connatre les principes de base. Et puis, il ne semble pas avoir prouv de sentiments particuliers envers les Templiers et les fondations religieuses de Palestine. Ne regrette-t-il pas lentre de son oncle, Andr, dans la Milice ? Dans une lettre au pape, demandant une bndiction et date de 1141, il dclare : Il est mon parent, et, selon lavis du prophte, je nai pas d mpriser mon propre sang. Mais quelle rancur sentons-nous !

    La premire Rgle du Temple relate surtout les observances religieuses, car les pauvres chevaliers du Christ avaient suivi la rgle de saint Augustin. Celle labore du concile se rapproche de la rgle bndictine.

    Elle souvre sur le procs-verbal du concile. Soixante-douze articles, se subdivisant en plusieurs parties, font suite ce prologue.

    Les sept premiers ont trait la vie religieuse de lOrdre. Son rituel, dirions-nous. Loffice tait entendu debout ou genoux, avec beaucoup de dvotion. Si les affaires de la maison les empchaient dy assister, ils devaient rciter pour matines treize patentres, pour vpres neuf et pour les autres heures sept. Lorsquun frre mourait, un office et une messe solennelle taient clbrs pour le repos de son me ; chaque frre rcitait cent oraisons dominicales et pendant quarante jours un pauvre devait tre nourri la place du dfunt. Les chevaliers lacs, servant Dieu et le Temple pendant un temps, participaient eux aussi aux privilges spirituels de lOrdre. la mort de lun deux, les frres devaient alors trente patentres et un pauvre devait tre nourri pendant sept jours. Les chapelains qui servaient le Temple ad tempus2 avaient droit aux vtements, aux vivres, mais ne pouvaient pas prlever sur les aumnes et les offrandes faites lOrdre. On remarque que le Temple na pas encore de chapelain son service, les chapelains sont seulement temps.

    Les onze articles suivants concernent la vie quotidienne. Les frres prenaient leurs repas dans le rfectoire commun, en silence, coutant une leon gnralement tire de lcriture Sainte. On servait de la viande trois fois par semaine, le mardi, le jeudi et le dimanche. Les frres chevaliers recevaient, ce jour-l, double part, tandis que les sergents et les cuyers se contentaient de la ration ordinaire. Seul le vin tait servi en galit. Les autres jours de la semaine, le menu comportait deux ou trois mets de lgumes ou de pure. Le vendredi, du poisson. Le carme tait observ de la Toussaint jusqu Pques, except les jours de fte : Nol, les ftes de Notre-Dame et des Aptres. Aprs le repas, les frres rendaient grce et le reste du pain tait donn aux pauvres. Le soir, une collation tait servie selon le jugement et la discrtion du Matre. Mais aprs les complies, le silence tait de rigueur, sauf en cas de grande

    2 au moment de.

  • ncessit militaire ou pour les besoins urgents de la maison. Les frres fatigus taient dispenss des matines, avec laccord du Matre, mais devaient dans ce cas dire treize patentres dans leur lit (sic). La vie commune est obligatoire pour tous.

    Le texte sintresse ensuite au vtement. Les robes seront dune couleur identique, unie : blanc, noir ou brun. Dessus, les fourrures sont bannies, sauf les peaux de moutons et dagneaux. Les vtements usags seront donns aux cuyers. Les frres porteront la barbe et la moustache et les souliers nauront ni pointes ni lacets. Au dortoir, chacun aura son lit, avec une paillasse, un drap, un traversin et une couverture de laine. Le Templier se couchait vtu dune chemise et dun caleon ; une lumire devait brler toute la nuit.

    Avant daborder la discipline et les codes hirarchiques, la Rgle traite des chevaux et des armures. Le Templier pouvait avoir trois btes et un cuyer. La simplicit et la pauvret taient de rigueur : pas dtriers et de mors en or ou en argent. Dans le cas dun cadeau et que larmure soit dore, il fallait la peindre. Tout tait tudi jusque dans les plus petits dtails. Ainsi, dans le cas o un chevalier lac sengageait temps, on notait le prix de son cheval afin de lui restituer la moiti de sa valeur son dpart : pour leur part, les cuyers et les sergents taient obligs de verser des arrhes pour le respect de leur engagement vis--vis de la maison.

    Lobissance au Matre tait passive. Les frres se confessaient des fautes commises contre la Rgle afin de recevoir une pnitence proportionne la gravit de lacte. On remarquera, dans la transcription franaise de la Rgle et son complment, la sagesse des pnitences.

    Les derniers articles sont trs divers et ne comportent pas de suite. Les frres ne peuvent avoir en leur possession ni malles, ni sacs serrure. Ils ne peuvent pas recevoir de lettres de leurs parents ni dautres personnes sans permission ; dans ce dernier cas, elles seront lues devant le Matre. On demande ensuite la plus grande humilit, de ne pas se faire orgueil des pchs et des vaines folies faites alors que les frres taient encore dans le sicle. Ils ne peuvent garder de cadeaux, mme ceux de leurs parents. Ils sont dans lobligation de les remettre au Matre ou au Snchal. La chasse est interdite sauf celle du lion. Linfirmier doit faire preuve de charit et dgards pour les malades et les vieillards

    On se rend compte, la lecture des articles de cette premire Rgle, que les frres acceptrent, ds le dbut de lOrdre, des chevaliers, des sergents et cuyers maris, quils associaient la maison. Les frres in tempore ne recevaient pas lhabit blanc. Sils mouraient avant leur femme, la moiti de leurs biens revenaient lOrdre. Des surs ne pourront tre reues au Temple. Cette clause ne parat nullement avoir t respecte ni prise la lettre, car, tout au long de leur courte histoire,

  • les Templiers acceptrent des femmes en qualit doblates ou de donnes et mme de vritables moniales comme nous le verrons en Espagne.

    Les frres du Temple ne peuvent pas avoir de relations avec les excommunis, mais, par contre, ils peuvent recevoir des aumnes de personnes interdites.

    Les articles suivants rglent la vie gouvernementale de lOrdre en gnral. Le Chapitre est lautorit suprme de lOrdre. Les frres qui y assistent doivent garder le secret sur ce qui est dit. Ne voit-on pas encore, de nos jours, les moines tenir des chapitres en dehors des religieux qui nont pas prononc des vux ? Celui qui dsire devenir frre du Temple en fait la demande par devant le chapitre, sous la prsidence du Matre. Aprs avoir entendu le texte de la Rgle, le nophyte entre au noviciat dont la dure est fixe par le Matre lui-mme, en gnral un an, suivant le code de Droit Canon.

    La Rgle du concile de Troyes, en dehors de quelques donnes militaires sans grande importance, est avant tout la lgislation dune communaut religieuse. Les transformations futures, partir de 1157, ne seront apportes quen vertu de lexprience et de linfluence de lOrdre. Le code disciplinaire sera modifi au XIIIe sicle et, dans les textes qui suivront, de nombreux exemples seront cits, exemples dune grande importance qui permettront de mieux connatre le rle de lOrdre. Lexprience des Templiers se manifeste, nanmoins, dans la premire Rgle. Si les Pres du concile font tat des chevaliers lacs admis partager leur vie avec les frres, et cela pendant un certain temps, cest que srement il y eut des exemples. Dailleurs, ne voyons-nous pas Foulques dAnjou faire le plerinage en Terre Sainte o il servit comme .confrre du Temple .

    Que dire du cas dAlfonso I dAragon qui lgua chacun des trois Ordres Temple, Saint-Jean de Jrusalem et Saint-Spulcre un tiers de son royaume, par un testament rdig en 1131, moins de quatre ans aprs le concile.

    Il en est de mme du roi du Portugal, Alfonso Henriques qui se dit lui-mme frre du Temple, de Raymond Brenger IV dAragon et de bien dautres seigneurs encore.

    Toutefois on remarque dj que lautorit de lOrdre nest pas le Matre, mais le Chapitre. Ds les dbuts, le Matre na quun pouvoir reprsentatif, toute lautorit rside dans lassemble des frres.

    Cette ordonnance nest peut-tre pas trs explicite dans le texte latin, mais elle prendra une trs grande importance dans la rgle franaise.

    Durant quelques annes encore, les Templiers erreront dans les pays occidentaux, tablissant des contacts, faisant connatre leur genre de vie et recueillant dons et aumnes pour luvre de Terre Sainte.

  • CHAPITRE II

    Le Temple vagabond

    AYANT approuv la Rgle, le concile de Troyes accorda par la mme occasion le droit de porter le manteau blanc, de percevoir les dmes, de possder des terres et des vassaux. Ces clauses durent rjouir les frres : ils ne vivaient pratiquement que des maigres libralits des chanoines du Temple et du roi de Jrusalem. Aussi, ds la clture du concile, les voyons-nous partir, Matre en tte, la recherche de donations et de nouveaux compagnons.

    La Champagne eut le privilge initial de donner une partie de son sol aux premiers chevaliers du Christ. Parmi les personnages les plus illustres de la province, le comte Hugues de Troyes fut le grand bienfaiteur de lOrdre naissant. Ce qui explique la svrit de labb de Clairvaux son gard. Lattitude du comte alla jusqu lhostilit et, malgr les supplications de Bernard, il entra dans lOrdre du Temple au lieu de devenir cistercien.

    Les premiers grands domaines stablirent aux environs des annes 1126-1130. Sans contester, les patrimoines des premiers chevaliers furent lorigine des premires commanderies templires. Les choses se passrent trs probablement ainsi : le Matre fondateur cda son Ordre ses propres proprits de Payens ; les cooprateurs directs, riches seigneurs eux aussi, limitrent : Godefroy de Saint-Omer avec la maison dYpres et la commanderie de Fontaines, Payen de Montdidier avec la commanderie du mme nom. Cela semble dautant plus vrai que les premiers chevaliers, au moment de faire profession entre les mains du patriarche de Jrusalem, durent abandonner tout leur avoir lOrdre quils fondaient, car en la main du patriarche, ils vourent chastet, obissance et renoncrent toute proprit. Dailleurs, cela concorde parfaitement avec les premiers documents relatifs ces commanderies.

  • Cette pauvret monastique, ce dsintressement total lgard des biens, on les retrouve dans le document concernant la commanderie de Mont-de Soissons, et provenant de Josselin, vque de Soissons et pre du concile de Troyes. Pour la dfense du christianisme, note le prlat, les frres prodigurent non seulement leurs biens, mais galement leur vie.

    En dehors de ces premires donations, lOrdre stablit rapidement en France, Champagne, Bourgogne, Poitou, Belgique, dans les Flandres et la Pninsule ibrique.

    On ne sait pas quelles donations fit Hugues de Champagne lors de son entre dans lOrdre. Si le Temple naquit officiellement en 1128 par la confirmation et llaboration de sa Rgle, il nen fut pas de mme dans le domaine temporel. Lveil des sympathies envers les Templiers atteint son point culminant lors de la donation du 31 octobre 1127. Par cet acte, Thibaud de Champagne, comte de Blois, fit donation du domaine appel Barbonne, entre Szanne et Chantemerle, quil possdait titre hrditaire. Cette donation, qui comprenait une maison, une grange, un pr et une terre, fut lorigine de lune des grandes commanderies de lOrdre : Barbonne.

    Hugues de Payens voulut intresser les princes et les seigneurs occidentaux son institution naissante. Guillaume de Tyr, ennemi acharn de lOrdre/du Temple ds ses dbuts, affirme que le roi de Jrusalem avait donn des instructions au Matre du Temple au sujet des biens acqurir. Comme dit larchevque, il ntait pas facile dallier les circonstances politiques de lpoque une action commune entre les princes des royaumes dOccident avec les peuples de lOrient.

    Baudoin II, songeant une reconqute de Damas et ayant dcid une nouvelle croisade, aurait envoy en France le Matre des pauvres chevaliers du Christ pour provoquer llan de la chrtient. supposer que ce voyage ait eu lieu, il fut un chec. Hugues de Payens neut de succs et pour son ordre uniquement quen Anjou et en Angleterre.

    En Anjou, les dmarches aboutirent grce lappui du comte de Foulques. Ce dernier tait & Jrusalem durant les premires annes du Temple. Son action dans la Ville Sainte fut importante : il entretint, ses frais, cent hommes darmes. Devant son courage, sa charit et sa gnrosit, Baudoin II songea lui comme hritier, en lui faisant pouser sa propre fille, Mlisande.

    Hugues de Payens, comme le confirme un acte de 1127, fut lorigine de cette union. Veuf de sa premire femme, Eremburge, depuis le 26 fvrier 1126, Foulques fut dsign par Louis VI et plusieurs prlats comme futur roi de Jrusalem. En venant prendre sa part dhritage, il consolida son influence fodale et politique dans la province dAnjou en mariant son fils Geoffroy avec Mathilde dAngleterre, fille dHenri Ir.

  • Leur union fut clbre en grande pompe dans la cathdrale du Mans, au mois de juin 1129.

    De lAnjou, le Matre du Temple semble avoir voyag jusquen Poitou. Du moins, certains fragments de chartes trouvs dans le cartulaire de la commanderie majeure de Coudrie le laissent penser. On ne peut dater avec prcision le sjour dHugues de Payens dans cette dernire rgion : il se situe probablement dans le courant de lanne 1129.

    Le recrutement se poursuivit dans les Flandres o le Matre fut accueilli avec enthousiasme. Les Flandres avaient non seulement donn plusieurs Croiss, ctait aussi le pays dorigine du premier compagnon dHugues : Geoffroy de Saint-Omer. Selon la chronique de Saint Bertin, le seigneur flamand fit transformer en maison de lOrdre une demeure quil avait reue en hritage de ses anctres, dans la ville dYpres. Cela se trouve fond par le synode de Reims en 1131.

    Le comte de Flandres, Guillaume, et les seigneurs du pays encouragrent les pauvres chevaliers par dimportantes libralits. Le 27 mai 1128, peu de temps avant sa mort, le comte abandonna aux Templiers tout ce qui relevait de lui dans ses fiefs. Le 13 septembre de la mme anne, Thierry, comte de Flandres et successeur de Guillaume, renouvela les libralits par devant Jean, vque de Throuanne. Suivant lexemple, ses barons cdrent leur tour les redevances de leurs fiefs. Cette donation se fit dans lglise Saint-Pierre de Cassel, en prsence de Matre Hugues, de Geoffroy de Saint-Omer, de Paven de Montdidier et de plusieurs autres frres. Malheureusement, le texte ne cite aucun nom. Cependant, il semblerait dj que plusieurs frres du Temple, des recrues, aient t prsents.

    On ne peut donner une vue juste des chevauches dHugues de Payens en Angleterre en se bornant uniquement aux actes qui ont trait lOrdre dans les Iles britanniques. Les annales de labbaye de Wawerley indiquent quen 1128 Hugues de Payens se dirigea vers lAngleterre en compagnie de deux chevaliers et de deux clercs, et quils parcoururent le pays jusquen cosse. Toutefois, ce fait, mentionn par plusieurs chroniques anglaises, pose un problme qui ne peut pratiquement pas tre lucid.

    Le voyage du Matre, sil eut jamais lieu, a t relativement court. lAscension 1129, il se trouvait au Mans, lors des prparatifs de dpart du comte dAnjou pour la Terre Sainte. Hugues regagna la Palestine en passant par la valle du Rhne, en compagnie de plusieurs frres. Il sarrta dans la future ville pontificale dAvignon o il reut, en lglise Saint-Jean-Baptiste, une donation de Laugier et de son chapitre.

    LOrdre du Temple fut accueilli au Portugal lanne mme o il reut sa Rgle, comme nous lapprend une charte de la reine Thrse. Le 19 mars, elle donna aux chevaliers du Temple de Salomon, la forteresse de Soure, sur le territoire de Combra. Lacte fut pass entre les mains de

  • Raymond-Bernard qui serait, croit-on, dorigine catalane, tant donn que son nom est mentionn de nombreuses fois dans les documents de cette rgion. Cependant, cette charte ne signifie aucunement lentre et linstallation de lOrdre dans le royaume du Portugal.

    Les premiers chevaliers nont pas eu, semble-t-il, un recrutement important dans cette partie de la pninsule ibrique, tout au moins au dbut. Cela, bien que dans lacte du 14 mars 1129 une mention veuille faire de Don Alfonso Henriques un chevalier du Temple. Les donations daumnes continurent nanmoins. Le 26 fvrier, Godina Soarit cda aux frres la troisime part de ses biens, meubles et immeubles, sans indication de lieu. Au Portugal, on trouve effectivement trace de lOrdre entre 1138 et 1140.

    Le 28 novembre 1129, Pierre Bernard et sa femme se donnrent, avec leur honneur , au Temple de Douzens, entre les mains dHugues Rigault et Raymond Bernard, tous deux chevaliers du Temple. Il est logique de penser que par cette entremise les Templiers sinfiltrrent jusquen Espagne, par lAra- gon. Le pre Cocheril dit quils neurent aucune activit en Aragon et en Catalogne avant la prise de Monzon. Cette affirmation est un peu rapide. En effet, il savre que lAragon et la Catalogne accueillirent le Temple ds le 17 dcembre 1129 travers le diocse dHuesca. Les donations se poursuivirent et le roi encouragea lui-mme ses seigneurs recevoir favorablement les pauvres chevaliers du Christ, afin de dresser, face la monte des Maures, une vritable frontire aux limites de la Castille. Le 14 juillet 1130, Raimond-Brenger donna, entre les mains dHugues Rigault, le chteau-forteresse de Gra- nena et celui de Barbera. Cette donation fut faite aprs le premier fait darmes victorieux des chevaliers dans la Pninsule. Sur les marches sarrasines de lAragon, la nouvelle milice montrait trs tt de quoi elle tait capable.

    Un fait marquant durant cette priode : les testaments de Raimond-Brenger III, le 8 juillet 1131, et dAlfonso le Batailleur, en octobre de la mme anne. Si le premier ne donne lOrdre que son cheval et son armure, II nen est pas de mme du second. Aux trois ordres du Saint-Spulcre, de lHpital des pauvres de Jrusalem et du Temple de Salomon, il concde tout son royaume. Le Temple, en outre, se voit attribuer son cheval et ses armes.

    Quand ses biens, ils seront diviss en trois parts gales. En Aragon, lOrdre fut connu trs tt. Il nen sera pas ainsi en

    Castille. Malgr certaines possessions,, il ny eut pratiquement aucune influence, les ordres de Calatrava dans le Sud et de Santiago dans le Nord layant supplant.

    Aprs lapprobation de la Rgle par le concile de Troyes, lOrdre du Temple prit un essor relativement rapide, et le recrutement des frres sopra avec originalit. Saint Bernard lui-mme nous apprend comment

  • taient choisis les Templiers. On y trouvait tout dabord des seigneurs presss de mettre leur pe au service de Dieu. Des gens peu recommandables senrlaient galement dans la jeune milice : sclrats, impies, ravisseurs, sacrilges, homicides, adultres. Labb de Clairvaux attribue au plus grand nombre dentre eux des qualificatifs peu flatteurs. Dans le trait de la Louange la nouvelle milice , il peint lensemble des chevaliers sans faux idalisme. Pour lui, linstitution a un double avantage : Le dpart de ces gens-l est une dlivrance pour le pays et lOrient se rjouira de leur arrive, cause des prompts services que la Palestine attend... Cest ainsi que le Christ sait tirer vengeance de ses ennemis, non seulement II triomphe deux, mais II sassure, par eux, un triomphe sans prcdent. Il change ceux qui depuis longtemps Loppriment en dfenseurs de Sa cause, dun ennemi II en fait un chevalier, comme jadis dun Saul perscuteur II en a fait un Paul aptre...

    la lecture de certains articles de la Rgle et dautres passages du trait de saint Bernard, on peut dire quaucune condition de naissance ntait exige pour tre admis dans lOrdre. La Rgle dit dailleurs : Si un chevalier ou un autre homme veut sen aller de la masse de perdition ou abandonner le sicle et lire notre vie commune, ne tardez pas trop le recevoir. Et saint Bernard ajoute : Parmi eux aucune distinction de personne, on a gard la vertu et non la noblesse. Ils se prviennent dhonneur, ils portent mutuellement leurs fardeaux et accomplissent ainsi la loi de Jsus-Christ.

    Pour tre admis dans lOrdre un titre quelconque, ils ne devront faire preuve de naissance qu partir du XIIIe sicle. On leur demandera alors de rpondre cette question du rituel : Estes-vous chevalier et fils de chevalier ou tes-vous sorti de chevalier par votre pre de manire que vous deviez tre et puissiez tre chevalier ? Estes-vous de mariage lgitime ?

    Cela laisse supposer que les dbuts du Temple furent plus ou moins dsastreux. Les fondateurs devaient faire face une masse de postulants. Il ntait pas question de les emmener tous au combat : dans leur majorit, ils ntaient gure exercs aux armes et auraient t de pitres auxiliaires. Leur service tait plus utile en Occident. Nombre dentre eux connaissaient lagriculture et le commerce. Ils devenaient prcieux pour lexploitation des proprits. Cest ainsi que stablit, ds les dbuts de lOrdre, et mme chez les auxiliaires, un principe hirarchique.

    Ceux qui pouvaient combattre allrent en Terre Sainte, ou dans la pninsule ibrique, en compagnie des grands seigneurs fodaux. Les autres furent employs dans les granges et les maisons domaniales. Pour ces derniers, les Templiers rclamrent des biens et des terres en friche, comme nous le signale lacte de labb de Saint-Pierre-le-Vif. Labb

  • donna les terres de Serilly que les frres changrent, peu de temps aprs, avec labb de labbaye cistercienne de Vauluisant.

    On retrouve ce systme dans toutes les premires donations. Prs de Chlons-sur-Marne, les frres du Temple sinstallrent dans les plaines ; ils y crrent un domaine qui donna naissance Neuve-Ville, connue aujourdhui sous le nom de Neuville-le-Temple. Autre donation du mme type, celle que fit Josselin, vque de Soissons, aux Templiers de Courtil-de-Sches ; elle devint le sige de la commanderie de Mont-de-Soissons. Mme situation encore au temple de Montdoubleau. Coulours, dans lYonne, une convention fut passe entre labb de Saint-Rmy de Sens et les Templiers, dans le mme but qu la commanderie de Coudrie dont nous avons fait tat lors du voyage dHugues de Payens dans le Poitou.

    Malgr cette numration de proprits, tous les Templiers ntaient pas des agriculteurs : seuls y taient employs ceux qui ne pouvaient guerroyer. La hirarchie primitive de lOrdre prvoyait deux catgories de frres : les frres du couvent et les frres de mtiers. Nombre de mentions leur sont consacres : Nul frre de couvent ne doit aller en ville... Sil est frre chevalier ou frre sergent du couvent, quil prenne garde de son quipement, et sil est frre de mtier quil prenne garde de son travail...

    Certes, il est impensable dtablir ce principe hirarchique ds les toutes premires annes de lOrdre. Dj cependant, une classification se dessine. Les chartes qui suivent lapprobation du Temple sont une confirmation de son dveloppement temporel et, par consquent, numraire, ainsi que des possessions assurant un rapport sr. Mansuet, lrudit chanoine prmontr, crit dailleurs : peine sept ou huit ans staient couls depuis la confirmation de lOrdre, quon le vit stendre prodigieusement... Les donations quon leur fit ntaient pas des terrains incultes ou dfricher, comme ceux que recevaient les disciples de saint Norbert et de saint Bernard, ctaient des chteaux, des fiefs, des bourgades avec leurs appartenances.

    Si elle fut un fait rel, lapprobation de luvre dHugues de Payens ne suffit pas certains prlats. Beaucoup aidrent les premiers membres survivre et aussi senrichir. Lpiscopat, tant en France que dans les autres royaumes, avait une tche trs lourde : dvelopper lentreprise et intervenir en faveur des Templiers. Les vques ne firent que sassocier aux seigneurs : lire les textes, ctait un devoir auquel ils ne pouvaient se drober. Un vritable courant de charit se dessina, tout dabord en Champagne, et les prlats de la province en furent les propagateurs. En 1133, Josselin, vque de Soissons, prcisait son action, et le prambule de sa charte ne laisse aucun doute sur ses intentions : Plus gnreuse a t la charit avec laquelle frre Hugues, trs cher dans le Christ, vous et vos frres, avez prodigu pour la dfense du christianisme, non seulement vos biens, mais encore vos vies, de plus, nous et ceux qui ont

  • la charge de veiller sur les glises, nous devons pourvoir aux besoins ncessaires de votre milice. Les vques mtropolitains sengagrent soutenir la nouvelle milice. Le 19 octobre 1131, Renaud de Martigny, archevque de Reims, prit linitiative dune qute gnrale en faveur des Templiers. Le synode tant runi, tous les vques et abbs de monastres lapprouvrent. Il fut dcid que durant huit jours, lpoque des rogations, des aumnes seraient faites en faveur de lOrdre des Templiers, dans la chapelle dObstal Ypres.

    Il en fut de mme en 1132. Lors dune assemble piscopale, les prlats furent unanimes recevoir les frres du Temple. Assistaient cette runion, Milon, vque de Throuanne, Alvis, vque dArras, Rainaud ou Renaud, archevque de Reims, Geoffroy, vque de Chartres, Josselin, vque de Soissons, Barthlmy, vque de Laon, Elbert, vque de Chlon, Bernard, abb de Clairvaux. Les Templiers taient dj tablis Neuville-le-Temple lorsquen 1132, Elbert, vque de Chlon, confirma et reconnut les terres que les frres pouvaient cultiver sur ltendue de la paroisse. Par ce mme acte, lvque affranchit les chevaliers de toute dme.

    Tous les vques de la Picardie et du nord de la Champagne participrent cette propagation de lOrdre. Barthlmy de Joux, ou de Vire, avait repris le diocse de Laon dans un lamentable tat de dsastre et dabandon. Dsirant lui donner un nouvel lan de vie religieuse, il fit appel plusieurs ordres. Il favorisa la fondation de lordre de Prmontr, dveloppa Cteaux et encouragea lOrdre du Temple en lui donnant la rsidence de Puisieux-sous-Laon ; au dbut de la mme anne, Louis VII confirma les possessions du Temple Laon mme.

    Cet exemple fut suivi par les puissants seigneurs, les bourgeois, les autres personnes dglise et toute la population foncire du diocse. Une sorte de rivalit dans la gnrosit se fit jour : ce fut qui ferait des donations. Cela se traduit dans lacte de 1149 qui nest autre quun mandement et un loge pour les chevaliers du Temple. Lvque de Laon ne cite pas moins de cinquante localits o lOrdre possdait des biens et des revenus,

    La participation des vques champenois en faveur . du dveloppement et de ltablissement des maisons du Temple fut des plus importantes, du moins lors des premires annes. En dehors des archevques du nord de la province, lvque de Troyes, qui encouragea beaucoup les chevaliers, mrite une mention spciale.

    En Espagne, on rencontre le mme mouvement, les rois et les vques de la Pninsule ibrique virent dans la milice un secours fort utile contre linvasion musulmane. Dans tous les actes, la diplomatique note ce fait.

    La hirarchie ecclsiastique est trs souvent cite dans les actes de la Pninsule, mme dans ceux qui manent de simples seigneurs. Ainsi,

  • dans une donation du 17 dcembre 1129, faite par un certain Miro, trouvons-nous les vques dHuesca, de Tarazona et de Calahorra. Au mois de septembre 1137, ceux dHuesca, Calahorra, Pamplona, Tarazona, Zaragoza, et ainsi de suite dans tous les actes. Lglise est toujours reprsente. Comme nous le verrons, le Temple eut une croissance considrable dans la Pninsule. la mort du fondateur, les chevaliers taient bien implants, tant en Aragon quen Catalogne.

    Ce dveloppement rapide sexplique uniquement par un intrt politique : la dfense des frontires contre les Maures. Les princes et les seigneurs ibriques ne pensaient qu leur dfense. En France, comme dans les Iles Britanniques, le problme ne se posait pas de la mme faon.

    Ds la fin du concile de Troyes, on trouve, dans les actes relatifs aux premires donations, les noms de plusieurs chevaliers avec, dj, quelques titres : Snchal, Matre de province, Procureur, Commandeur, Prcepteur, etc.

    Dans la Pninsule ibrique et en Provence-Langue- doc, deux noms reviennent assez souvent : Hugues Rigault et Raymond Bernard. travers les documents, on peut facilement tracer leur itinraire. Hugues Rigault apparat pour la premire fois en 1128, sans aucun titre. mesure que lOrdre volue, il devient Matre en Provence. Le cas de Raymond Bernard est plus intressant. De mars 1129 novembre 1147, nous suivons sa trace dans les royaumes de Portugal, Castille, Aragon, dans les provinces du Languedoc et en Provence.

    La situation est semblable dans les autres provinces, en Picardie, Champagne, Bourgogne. Durant les dix ans qui suivent lapprobation de la Rgle, on rencontre les mmes noms, instruments actifs de la propagande. Pour la partie de la France situe entre le Rhne, les Vosges, les Ardennes et lIle de France, il sagit de Payen de Montdidier, de Guillaume le Faucon et de Guillaume de Baudemont.

    Payen de Montdidier est connu dans certains actes sous le nom de Nivard. Homme daction de lOrdre naissant, il exera dans sa propre province une influence importante. Il en fit une terre privilgie de recrutement. Quand Hugues de Payens retourna en Palestine, en 1130, il laissa son compagnon la charge des aumnes. Nous retrouvons galement sa trace en Angleterre, en 1139-1140, dans une donation faite par Alexandre, vque de Lincoln, et en 1140-1144, dans un acte de labb de Walden.

    Si Payen de Montdidier se contenta du Beauvaisis, la Champagne eut comme recruteur Guillaume le Faucon. Charg par le Chapitre de lOrdre de recueillir les aumnes doutre-mer, il voyagea, de ce fait, jusqu Nantes. Cest l que nous le trouvons avec le titre de Matre, en 1141, dans lacte de Conan, duc de Bretagne. En 1144, il est signal comme tmoin en Palestine, dans un acte du roi Baudoin, en compagnie de

  • Geoffroy, abb du Temple, de labb de N-D. la Latine et de Pierre, prieur du Saint-Spulcre.

    Guillaume de Baudemont fut dlgu en Bourgogne par Hugues de Payens lui-mme. Il porta, lui aussi, le titre de Matre, et fut lorigine de rentre de Guy de Til-le-Chtel au Temple. Un ami de Guy le suivit en Palestine, Guy de Bure qui, en 1133, abandonnas sa terre aux pauvres chevaliers de la milice du Temple de Salomon ; elle deviendra le sige de la commanderie majeure de Bure-les-Templiers.

    Le Temple ne reut pas seulement des biens. Beaucoup de gens se placrent sous sa protection. Chacun apportait son lopin de terre, ce qui permettait aux frres doccuper les non-combattants. La Rgle dfendait de recevoir des surs, mais on se demande si cela fut vraiment observ. En effet, tout au long de sa brve existence, le Temple accepta des femmes. Cependant, peut-on affirmer quelles furent des religieuses part entire ? Cela est en contradiction avec la vie du Temple dans son ensemble.

    Nous connaissons, au moins, deux cas types de femmes qui prononcrent des vux. Lune en Angleterre, vers 1190, en la personne de Jeanne, pouse de Richard Chaldefelde. Elle promit, entre les mains dAzo, archidiacre de Wiltshire, de vivre dans la chastet, suivant la Rgle du Temple, parce quelle avait pass lpoque des mauvais soupons. Elle avait donc lge canonique. Lautre, Gilotte, femme de Robert dAttichy, devint, en 1297, sur du Temple le mot est transcrit dans la maison dArras. Il existe de nombreux autres cas, mais on peut se demander si ces femmes furent de vritables templires.

    Sauf exception, ceux qui se donnaient ne prononaient que trs rarement des vux. Ils se mettaient, avec leur famille et leurs biens, sous la protection de lOrdre. On recherchait surtout participer aux privilges et aux bnfices, temporels et spirituels, du Temple. Ces sortes de donations seront plus frquentes lorsque le Temple aura obtenu lexemption.

    Les donations de corps, sans mention de profession religieuse, sont trs reconnaissables dans les actes. Les signataires disent pratiquement la mme formule : Je me donne, ou je donne mon corps et mon me Dieu, Notre-Dame et aux frres de la milice du Temple, ainsi que mes biens, honneurs... Tous ces donats ne devenaient pas des religieux. Nous sommes en prsence dune infodation camoufle. En des temps si troubls, ils obtenaient des protections gales celles des Templiers. Les bulles pontificales du XIIIe sicle ne font pas dfaut. Personne ne devait sopposer lentre dun homme ou dune femme en confraternit. Cest ce que dit une bulle dInnocent IV date du 17 aot 1245. Le 1er septembre de cette anne, le pape notifie aux vques et tous les prlats que les frres de la milice du Temple, en vertu de leurs privilges, pourront entrer une fois lan dans les glises paroissiales pour leur confraternit et

  • leur confrrie. Ceux qui refuseraient ce privilge devaient tre excommunis. Les vques ne devaient galement pas sopposer ce que les fidles lisent leurs spultures dans les cimetires templiers, sans sacquitter du droit de paroisse rclam par les curs. Ce souci dtre labri de toutes les menaces fut lorigine de la plupart des donations. Le 3 novembre 1249, Innocent IV, la demande du Matre, prohiba toutes personnes ecclsiastiques, lgats ou lacs, de nuire aux fiefs, possessions, maisons ou autres biens de la milice. Aucun prlat ne pouvait, sans permission expresse du pape, jeter linterdit ou une peine dexcommunication lencontre des frres du Temple et de leurs hommes. Dj, au XIIe sicle, Innocent II avait donn un texte semblable. Il fut renouvel par Honorius III, Alexandre III et Alexandre IV. Les animaux eux-mmes taient protgs et devaient porter la croix du Temple cousue sur un morceau dtoffe. Le pape Urbain IV voqua cette croix dans une bulle adresse lOrdre de Calatrava. Il accorda les privilges de protection aux animaux en ces termes : Ils devront porter la croix de lOrdre sur un tissu, comme ceux des frres de la Milice du Temple.

    La bulle la plus importante pour le Temple, et dont dcouleront toutes les autres, est celle accorde par Innocent II au Matre Robert de Craon, date du Latran, le 29 mars 1139 : Omne datum optimum.

    Par ce document, le Temple tait officiellement reconnu. Le pape le prenait sous la protection du Saint-Sige et de sa personne. Dix ans aprs avoir reu sa Rgle, le Temple devenait directement soumis au Saint-Sige. Ltude critique des premires bulles pontificales nest pas notre propos. Cependant, les dtails quapportent celle-ci sont si importants quil est ncessaire de sy attarder afin de mieux comprendre la suite des vnements. On peut dj se rendre compte de lamertume de Guillaume de Tyr : il reproche aux Templiers davoir t fonds par le patriarche et de stre enlevs de sa houlette.

    Le pape mancipe les Templiers de toute autorit ecclsiastique. Cela est trs important. Par son Matre, et surtout par le chapitre, lOrdre tait responsable. Une indpendance tant temporelle que spirituelle. Cela suscita dailleurs quelques scandales. Robert de Craon, deuxime Matre, renchrit et demanda lexemption totale, chose rarement accorde.

    Le dbut de la bulle est des plus intressant : Nous vous exhortons de combattre avec ardeur les ennemis de la Croix, et en signe de rcompense Nous vous permettons de garder pour vous tout le butin que vous prendrez aux Sarrasins, sans que personne ait le droit de vous en rclamer une part et [point important] Nous dclarons que votre maison, avec toutes ses possessions acquises par la libralit des princes, des aumnes, ou de nimporte quelle autre manire, demeure sous la tutelle et la protection du Saint-Sige.

  • Tous les frres doivent obissance, et aucune maison, sauf celle o lOrdre stablit lorigine, ne doit tre la tte et la matresse. Le pape intervient alors dans le droit de lOrdre, propos de llection : Nous ajoutons, en outre, qu votre dcs, cher fils dans le Seigneur, Robert, ou chacun de vos successeurs, nul ne peut tre lu sil ne soit de lOrdre, quil soit de votre habit et de votre profession et que llu soit choisi par tous les frres ensemble ou aux plus sages dentre eux. Il nest permis aucune personne, ecclsiastique ou laque, de modifier les observances. La Rgle ne peut tre change que par le Matre, avec lassentiment du Chapitre. Nous prohibons, poursuit le pape, toutes personnes dexiger de vous des serments ou des hommages tels quils se pratiquent parmi les gens du sicle. Nous dfendons aussi, vos frres, dabandonner lhabit de votre maison, ou de se rendre dans un autre ordre sans la permission du Matre et du Chapitre. Personne ne peut vous forcer payer les dmes, mais nous vous confirmons la possession et la jouissance des dmes qui vous auront t donnes avec lassentiment des vques. Afin que vous ayez la plnitude du salut et du soin de vos mes, vous pouvez adjoindre votre collge, des clercs et des prtres, pour la clbration des offices divins et pour donner le sacrement ecclsiastique. Vous pourrez les recevoir sans lassentiment des vques du diocse, mais par lautorit de la Sainte glise de Rome. Avant dentrer dans votre maison, les clercs devront faire un an de probation et, sils se montrent des fauteurs de troubles ou seulement inutiles la maison, vous pouvez les renvoyer et en choisir de meilleurs. Ils ne devront pas se mler du gouvernement de votre maison, si ce nest de lassentiment du Matre. Ils ont la charge du soin des mes. Ils ne sont assujettis personne, sinon au Chapitre. Ils te doivent obissance, cher fils Robert, ainsi qu tes successeurs. En dehors des rserves que nous formulons aux droits des vques, en ce qui concerne les dmes, les offrandes et les spultures, nous vous concdons la facult de construire des oratoires dans tous les lieux rattachs au Temple, afin que vous et vos familiers puissiez entendre les offices et y tre enterrs, car il est mauvais, pour votre conversion des murs, que les frres du peuple, en allant lglise, se mlent la tourbe des pcheurs et des frquentateurs de femmes.

    Cette bulle sera suivie de beaucoup dautres, rappelant ou dveloppant certains points particuliers. Ainsi, en 1145, Eugne III reprendra, dans sa bulle Militia Dei , le point des oratoires. Ce fut lun des plus difficiles obtenir de la part des Templiers. Les vques nadmirent pas facilement cette clause, et il fut relativement difficile aux chevaliers dimposer leur volont, mme avec lapprobation pontificale. Les luttes commencrent surtout quand le Temple dveloppa son systme temporel. Les vques profitrent de leurs droits, oubliant compltement les prrogatives pontificales. Des legs furent lorigine de nombreuses disputes, les prlats prenant le tiers des revenus lorsque des

  • personnes se faisaient enterrer dans les cimetires de lOrdre. Les papes reprendront maintes fois la bulle Dilecti FilII dAlexandre III qui obligeait les prlats ne rien exiger des aumnes faites aux Templiers par des personnes malades ou bien portantes, en cas de dcs ou de rtablissement des donateurs. Ils ne pourront exiger que le quart des biens laisss par testament par ceux qui y avaient choisi leur spulture. Urbain III dveloppera ce thme dans la bulle Sacra Templi Militia du 30 juin 1186. Pour leur part, les papes juristes du XIIIe sicle reprendront compltement les lettres de leurs prdcesseurs.

    Pour les constructions dglises, les choses ne se passrent pas si facilement quon peut le croire. Des interventions pontificales furent souvent ncessaires. Quelquefois pour empcher les Templiers daccepter des fidles et dexiger les dmes paroissiales. Cependant les fidles pouvaient aller couter loffice des Templiers aprs la messe paroissiale et donner des aumnes qui bon leur semblait. Alexandre III donnera ces prceptes dans la bulle Quoniam Dilecti FilII du 28 octobre 1187-1189.

    Ce furent surtout les cas dexcommunication et dinterdit qui intressrent les Templiers. Luttant prement pour leurs privilges, ils obtinrent daller ouvrir lglise et clbrer la messe dans les villages interdits, et cela une fois lan. Le fait le plus typique se situe en 1144.

    Geoffroy de Mandeville avait t frapp dinterdit par le pape en raison de ses nombreux crimes. sa mort, les Templiers le recouvrirent de leur manteau blanc croix rouge : ainsi, il tait reu dans lOrdre. Sans aucune crmonie, il fut enterr dans le vieux Temple de Londres, en attendant labsolution du pape. Quand ce fut fait, on exhuma son corps pour lenterrer cette fois avec toute la pompe ecclsiastique dans le Temple neuf.

    Tout au long du XIIIe sicle, les papes rappelleront les vques au respect des droits des chevaliers. Nanmoins, il faudra attendre une bulle de Grgoire IX pour dfendre officiellement quiconque de pntrer dans les commanderies de lOrdre sans autorisation des prcepteurs. De ce fait, les autels pouvaient tre consacrs par nimporte quel prlat.

    Ainsi, ltude du fonctionnement du droit templier montre combien jalousement les frres du Temple, toujours prts sassurer des appuis en cour de Rome, veillrent sur leurs privilges.

  • CHAPITRE III

    Les Grands Matres

    APRES avoir trait des origines de lOrdre du Temple et avant dentreprendre ltude approfondie de son histoire, il est utile de connatre les noms des diffrents Matres. Ils font partie intgrante de la vie de la Milice et nous allons les rencontrer chaque page.

    1 HUGUES DE PAYENS. 1119 - 24 mai 1136. Fondateur et premier Matre de lOrdre, Hugues de Payens apparat

    dans un document que signale Guillaume de Tyr, concernant une donation faite aux Vnitiens par le roi Baudoin II. Venu en France solliciter des secours, il reut, ds 1127, les dons de divers seigneurs ou personnalits rgnantes. Dans le courant de lanne 1127-1128, Foulques, comte dAnjou, partagea plusieurs biens entre Geoffroy vque de Char-, trs, Geoffroy abb de la Trinit de Vendme, Hugues de Payens chevalier du Temple de Jrusalem et actuellement Matre et Ptronille de Chemill premire abbesse de Fontevrault.

    Durant lanne qui suivit la confirmation de la Rgle, le Matre voyagea dans diverses provinces. Nous le retrouvons, en sa qualit, dans de nombreux actes de donations la Milice. Vers le 31 mai 1128, plusieurs dons furent faits dans le Poitou entre les mains de Matre Hugues, du Temple de Jrusalem. Le 13 septembre 1128, dans un acte du roi Louis VI, Jean vque de Throuanne, fait une donation au Temple en prsence de Matre Hugues et des frres Geoffroy et Payen.

    La bibliothque municipale de Carpentras conserve un manuscrit rapportant un don du 29 janvier 1130, de Laugier, vque dAvignon. cette occasion, Hugues de Payens est signal comme originaire de Viviers, dans lArdche. On ne voit pas la raison de cette mention. En 1130-1131, un acte, sign et dat de Noyon, concernant les prbendes

  • donnes aux frres du Temple, fut pass en prsence de plusieurs prlats et de Nivard, autre nom de Payen de Montdidier, chevalier du Temple, envoy par Hugues, Matre de la Milice. Ce document laisse penser que le Matre ntait plus en France. Il tait retourn en Terre Sainte, suite la lettre des chevaliers qui ntaient pas venus au Concile et dont ltat de dcouragement tait plutt alarmant. Le dernier acte o figure Hugues, est dat de 1133-1134. Il mane de lvque de Soissons et concerne la Commanderie de Mont-de-Soissons.

    Hugues de Payens mourut le 24 mai 1136, daprs les Chroniques. Cela nous parat fort plausible, tant donn ce que nous savons de son successeur.

    2 ROBERT DE CRAON. Juin 1136 dbut 1147. Au mois de juin 1136, un acte pass en faveur de la Commanderie de

    Richerenches cite Robert de Craon en qualit de Matre de lOrdre. Les documents se rapportant lactivit intensive du deuxime Matre sont beaucoup plus complets et rapprochs. En ralit, cest lui le vritable lgislateur du Temple. Il donna sa forme lOrdre, forme qui ne fera quvoluer par la suite. Son rle, lintrieur du Temple, fut des plus importants. Il fut un administrateur de premier plan et un juriste clair.

    Son influence fut grande tant sur les chevaliers que sur lentourage immdiat des prlats, seigneurs et mme des rois.

    Pour nous en tenir aux dates extrmes de son magistre, en dehors de la bulle de confirmation de lOrdre, Innocent II lui adressa la bulle Ecclesiasticis utilitatibus , date du Latran, qui confirmait certaines possessions. Il est mentionn pour la dernire fois en 1146 loccasion dune donation faite en Navarre. Guillaume de Tyr le cite en 1148 comme faisant partie des chevaliers qui se joignirent larme de Louis VII. Cette affirmation est un peu hasardeuse, puisquau mois davril 1147 son successeur tait en place.

    Lobituaire de Reims signale sa mort le jour des ides de janvier, soit le 13. Selon lacte, confirm par Garcia, comte dAragon, ce ne peut tre quen 1147.

    3 EVRARD DES BARRES. Mars 1147 avril-mai 1151. Elu Matre de lOrdre alors quil tait encore Prcepteur de France, il

    apparat avec ce titre, pour la premire fois, dans une donation dAchier de Paris, comprenant un moulin situ sous le Grand-Pont de la Seine. Le 14 mai 1150, il tint un chapitre gnral dans la capitale de la France. Du Cange, dans son tude sur les familles doutre-mer, ne dit rien sur la fin de ce troisime Matre du Temple, pas plus que lobituaire de Reims. Les actes se taisent partir de 1150. Nous le retrouvons comme moine de

  • Clair- vaux, o il mourut, suivant le mnologue de labbaye, le 25 novembre 1174.

    4 BERNARD DE TREMBLAY. Juin 1151 - 16 aot 1153. Bourguignon de naissance et ancien commandeur de Dle, dans la

    Franche-Comt, il semblerait avoir succd un Matre appel Hugues, dont lexistence est fort douteuse et que seul Du Cange cite. Suivant les chroniqueurs des croisades, Bernard de Tremblay aurait rebti la ville de Gaza. Il serait mort lors de la bataille dAscalon, avec tous les Templiers qui taient sous ses ordres, lavant-dernier assaut du 14 aot 1153. Lobituaire de Reims signale sa mort le 17 des calendes de septembre, soit le 16 aot. Cela correspond aux dates des chroniques, puisquAscalon tomba entre les mains de Baudoin III, le 19 aot de cette mme anne.

    5 EVRARD. Septembre 1153 fin 1154. Ce grand Matre du Temple nest cit par aucune chronologie de

    lOrdre et encore moins par les ordres de pseudotempliers, no-templiers, etc.

    Il aurait succd un Matre du nom de Guillaume de Chamaleilles dont lexistence parat trs incertaine. Le cinquime Matre du Temple neut pas un magistre bien long. Il nous est connu seulement par un acte du 20 avril 1154, comme tmoin, avec Andr de Montbard, lors dune confirmation faite par le roi Baudoin III des biens de labbaye de Notre-Dame de Josaphat.

    6 ANDRE DE MONTBARD. Fin 1154 - 17 octobre 1156. Oncle de saint Bernard, il fut Snchal de lOrdre de 1148 1151,

    selon les cartulaires du Saint-Spulcre et de saint Lazare. Il figure pour la premire fois comme Matre du Temple, le 27 mai

    1155, dans un acte de Baudoin III, roi de Jrusalem, et dans un acte identique dat du 27 juin 1155 concernant une confirmation dchange avec la reine Mlisande. Le 3 juillet de la mme anne, il est_ cit dans un acte dAmaury, comte dAscalon. Lobituaire de Bonlieu date sa mort du 17 octobre. Lanne ne peut tre que 1156 puisqu la fin de cette anne son successeur apparat dj.

    7 BERTRAND DE BLANQUEFORT. 1156 - 2 janvier 1169. Originaire de Guyenne, le septime Matre est mentionn pour la

    premire fois le 2 novembre 1156 lorsquil souscrit au trait de paix du roi Baudoin IV avec les Pisans.

  • Le 19 juin de lanne suivante, lors de la bataille du lac Mron, il fut fait prisonnier avec plusieurs barons et seigneurs du royaume. Il fut avec Bomond, prince dAntioche, et Raymond, comte de Tripoli et autres barons la dfaite dHarenc par Noradin en 1165 o soixante chevaliers du Temple perdirent la vie.

    Daprs les actes de Louis VII, cest lui qui annona au roi de France, en 1167, la prise de Paneas par Mouddedin. Le 19 mai 1168, il figure dans la souscription dune charte du roi Amaury accordant des avantages commerciaux la rpublique de Pise. Lobituaire de Reims fixe sa mort au III des nones de janvier, soit le 2 janvier 1169.

    8 PHILIPPE DE MILLY ou DE NAPLOUSE. Janvier 1169 - 3 avril 1170. Originaire de Picardie, le nouveau Matre naquit Naplouse en

    Terre Sainte, dont il changea la seigneurerie contre celle de Montral avec le roi Baudoin III. Entr assez tardivement dans lOrdre, il fut lu Matre aprs la mort de Bertrand de Blanquefort, puisque cette mme anne il signe un titre du roi Amaury en faveur des Pisans. Cest tout ce que nous savons sur ce magistre. Il se dmit de ses fonctions en 1170, sans autre prcision, pendant le voyage quil effectua avec le roi de Jrusalem Constantinople.

    9 EUDES DE SAINT-AMAND. 1170 - 19 octobre 1180. Dorigine limousine, Eudes de Saint-Amand avait t marchal du

    royaume avant de devenir vicomte de Jrusalem, comme le signale Du Cange. On ne peut pas avancer quEudes de Saint-Amand fut choisi par Philippe de Naplouse pour lui succder ; ctait contraire aux rgles juridiques de lOrdre, et surtout, rien ne nous le prouve. Quoi quil en soit, en 1172, lorsque Gautier de Mesnil, chevalier du Temple, se fit le meurtrier des envoys du prince des Bathniens, Eudes tait Grand-Matre, Le 18 avril 1174, il souscrit la confirmation du roi Amaury dune rente donne lHpital de Saint-Jean. Le 13 septembre de la mme anne, il est cit dans un acte de Baudoin V. En 1176, il est nouveau tmoin de la confirmation de la vente du Casai de Beit Daras. Les musulmans ayant engag de nouveaux combats, Eudes de Saint-Amand assista, en 1177, la bataille de Mongesirat. Malgr ce que lon a pu raconter sur lemprisonnement du Matre du Temple, la clbre phrase contre la libert de Saladin, la mort dEudes dans les fers, il est peu prs impossible de dater cette affaire, tant donn la succession des actes o le Matre figure comme tmoin ou signataire. Ainsi, en 1178, il reoit en donation de Renaud, seigneur de Margat, la moiti de Brahim et la moiti du Casai Albot et du Casai de Talaore. Au mois de fvrier 1179, le Matre

  • conclut un accord avec Roger de Molins, Matre de Saint-Jean de Jrusalem. Cest le dernier acte connu sous ce magistre. La lecture des actes permet de dater exactement la mort dEudes de Saint-Amand. Guillaume de Tyr dit le 10 juin, lors de la bataille du Gu de Jacob. Nous rejetons cette date ainsi que celle du 30 aot, prise du chteau du Gu de Jacob. Si Eudes de Saint-Amand mourut au Gu de Jacob, ce nest pas une de ces dates, car les vnements cits sont postrieurs la bataille du Gu. Deux bulles dAlexan- - dre III, lune du 26 fvrier 1180 et lautre du 12 avril 1180, prouvent ce que nous avanons, et les Templiers, dans leur obituaire de Reims, nous donnent la date exacte de cette mort, le VII des ides doctobre, soit le 19 octobre 1180.

    10 ARNAUD DE LA TOUR ROUGE, ou de, TOROGE ( ?). 30 septembre 1184.

    Il est difficile de dater llection de ce Matre du Temple. Arnaud de

    la Tour Rouge tait encore Matre en Provence et en Espagne le 26 novembre 1180, dans un acte o il accordait aux habitants de Miravete le privilge de ne pas payer les pages ni les usages par mer et par terre. Daprs Guillaume de Tyr, le nouveau Matre fut revtu de sa dignit en 1181 sans prcision de mois. moins de prendre en considration la mention de lauteur de la vie des archevques de Bourges signalant quun Eudes de Saint-Amand, oncle de larchevque de Bourges, le Bienheureux Philippe Berruyer, fut Grand-Matre. Ce dont nous navons aucune confirmation par les actes. Nanmoins, il fut lu au tout dbut de lanne : au mois de mars, le roi Alfonso II dAragon fait une donation au Grand Matre, (Magister Mayor), Arnault de la Tour Rouge, et Brenger dAvignon, Matre en Provence et en Espagne, de la ville de Tortosa et des chteaux dAzcon et de Ribarroya.

    Nous le retrouvons en 1183, dans un acte dHraclius, patriarche de Jrusalem, constatant laccord intervenu entre les frres du Temple et lAbbaye de Notre-Dame de Josaphat, au sujet du Casai de Maseraz. Le 5 janvier 1182, le pape Lucius III, tout en compltant les donnes par la mention : Dilectus filius Arnaldus, renouvelait les dispositions de la bulle de son prdcesseur Alexandre III.

    Grand voyageur, Arnaud de la Tour Rouge mourut Vrone, le 30 septembre 1184, lors dun voyage en France o il allait solliciter du secours pour la Terre Sainte.

    Cette date est confirme par lobituaire de Reims. 11 GERARD DE RIDEFORT. Octobre 1184 - 1er octobre 1189.

    Snchal du Temple en 1183, lors de laccord avec labbaye de Notre-

    Dame de Josaphat, il figure, en 1184, comme Matre du Temple, dans un

  • acte de donation Funes en Aragon. Cet acte nindiquant pas le mois, llection eut certainement lieu dans lintervalle rglementaire dict par les retraits du Temple. Suivant les chroniques, et principalement Guillaume de Tyr, il tait investi de sa dignit en 1185.

    Originaire des Flandres, il assista la mort du marchal du Temple, lors de la bataille dAcre, entre les troupes de Saladin et celles de Guy de Lusignan. Il aurait succd un Matre appel Thierry, quil parat difficile de situer parmi les suprieurs du Temple. En effet, cette mention proviendrait dune erreur de lecture : Thierry ou Terric fut Matre de lOrdre, mais de la maison du Temple de Jrusalem. Dailleurs, pendant la bataille de Tibriade, le Matre du Temple fut fait prisonnier et Thierry, dans une lettre au pape Urbain III, dit quil a russi schapper avec quelques chevaliers. Au dbut de lanne 1188, il adresse une autre lettre au roi dAngleterre, pour lui annoncer la prise de Jrusalem par les musulmans et le sige de Tyr. Or, dans ces deux crits, il ne sintitule pas Matre du Temple, mais bien Grand Prcepteur de la maison du Temple Jrusalem.

    On ne peut pas dire si le onzime Matre du Temple eut une influence importante en Terre Sainte. Guillaume de Tyr, ennemi jur des templiers, en fait un arrogant, responsable de la perte dinfluence de lOrdre vis--vis ds puissances sculires en Palestine, et ce, durant tout son magistre.

    En 1186, il aida au coup dtat de Guy de Lusignan avec lequel il fut fait prisonnier. Auparavant, il dclencha, avec 140 chevaliers du Temple, une attaque contre 7 000 musulmans qui aboutit la bataille de Casal Robert, le 1er mai 1187. Le Matre chappa de justesse cette folle bataille au cours de laquelle le Matre des Hospitaliers fut tu et la population de Nazareth faite, presque entirement, prisonnire.

    Peu de temps aprs, le Matre du Temple leva une arme grce aux richesses de son Ordre. Elle se concentra Saphonie, non loin de Nazareth, mais, le manque de connaissances militaires de Guy de Lusignan et lamour de la guerre du Grand-Matre, conduisirent au dsastre. Aux 60 000 soldats de Saladin sopposrent 30 000 chrtiens, dont 1200 chevaliers du Temple et 4 000 turcopoles. Girard de Ridefort fit capituler Gaza et les forteresses voisines, mais fut fait prisonnier avec Guy de Lusignan. Il ne dut sa dlivrance, ainsi que celle de nombreux chrtiens, qu une forte ranon.

    En 1189, il assista encore, en qualit de Grand Matre, au dbut du sige dAcre. Il y perdit la vie, le 1er octobre, dans un combat livr aux pieds du Toron.

    La matrise de Girard de Ridefort fut un dsastre pour lOrdre du Temple. Inconscient, il est lorigine des premiers reproches adresss aux frres. Aprs sa mort, le chapitre gnral rforma certains points de

  • la Rgle, touchant principalement aux mesures disciplinaires prendre quand le Matre manque son sens moral et sa responsabilit.

    12 ROBERT DE SABLE ou de SABLOIL. Fin 1189 - 13 janvier 1193.

    Le continuateur de la chronique de Guillaume de Tyr fixe llection

    de Robert de Sabl au dbut de lanne 1190, devant la ville dAcre. Cette mention est reprise par les auteurs de lArt de vrifier les dates . Ils prcisent que llection eut lieu larrive de Richard, roi dAngleterre. Or, lorsque le souverain dbarqua en Palestine, le Temple avait un Matre, ce qui permet de situer llection fin 1189.

    On le trouve en 1192, le 10 fvrier, en qualit de tmoin de la donation faite par Guy de Lusignan lhpital de Notre-Dame des Allemands Acre.

    Ami de Richard Cur de lion, il souscrivit, le 13 octobre 1192, une charte en faveur des Pisans.

    Il mourut le 13 janvier M 93, selon lindication de lobituaire de Reims.

    13 GILBERT ARAIL ou HORAL. Fvrier 1193 - 20 dcembre 1200.

    Grand Commandeur de lOrdre, Gilbert Arail fut lu Matre du

    Temple au mois de fvrier 1193. Le 26 mai 1194, le pape Clestin lui adresse une confirmation de la bulle Omne datum optimum dans laquelle il prend lOrdre sous sa protection et confirme les biens et les privilges accords par ses prdcesseurs. En 1196, par contre, Innocent III lui reprochera la trve de cinq ans quil encouragea, entre le roi dAngleterre et Saladin.

    Le 8 dcembre 1198, le Matre scelle un accord entre les Hospitaliers de Saint-Jean et les Templiers, au sujet de diffrents griefs concernant des biens quils possdaient dans le comt de Tripoli.

    Au dbut de lanne 1200, Gilbert Arail est cit comme tmoin dans une charte de Chypre. Cest le dernier acte signalant ce Matre.

    Lobituaire de Reims indique sa mort le 20 dcembre. Ce ne peut tre quen 1200, puisquau mois davril 1201 son successeur tait dj lu.

    14 PHILIPPE DU PLAISSIEZ ou DU PLAISSIS. Dbut 1201 - 12

    novembre 1209. Llection de Philippe du Plaissis ne put avoir lieu que dans les trois

    premiers mois de lanne 1201, puisque le 17 avril il passa un accord avec le Matre de lHpital portant sur une prise deau pour arroser les terres et pour lusage des moulins des deux ordres dans le comt de Tripoli. Le

  • 1er fvrier 1205, le pape Innocent III lui renouvela la bulle dAnastase IV Omne datum optimum .

    En 1208, il proposa au Matre des Hospitaliers, de Saint-Lazare et de Sainte-Marie des Allemands, une nouvelle trve avec les musulmans, ce quoi les prlats de la Terre Sainte sopposrent.

    Nous trouvons trace de Matre Philippe, premier de la milice du Temple, dans une confirmation dchange entre les frres de Saint-Lazare et le roi dAngleterre, date de mai 1209.

    Lobituaire de Reims fixant sa mort au II des ides de novembre, il est facile dadmettre que Philippe du Plaissis dcda le 12 novembre 1209.

    15 GUILLAUME DE CHARTRES. 1210 - 26 aot 1218. On sait peu de choses de ce Grand-Matre du Temple, sinon quil

    assista, en qualit de Magister Templi, au couronnement de Jean de Brienne en 1210.

    En 1211, il arbitra un conflit entre les Templiers et le roi dArmnie au sujet du chteau de Gastein enlev par les Sarrasins en 1190 et repris par le roi dArmnie qui refusait de le rendre.

    En 1217, daprs Jacques de Vitry, il se rendit lassemble des grands feudataires et des prlats du royaume, Acre.

    Il mourut en gypte, le dimanche 26 aot 1218, de la fivre pidmique qui ravageait larme.

    16 PIERRE DE MONT AIGU. 1219 - 1232. Le continuateur de la chronique de Guillaume de Tyr situe llection

    du Matre du Temple pendant le sige de Damiette, ce qui put avoir lieu la fin de lanne 1218.

    Mais le nouveau Matre en fut inform assez tard : en novembre de cette mme anne, il signe encore en sa qualit de Prcepteur de Provence et dEspagne.

    Selon les chroniques, il tait brave et habile au combat. De nombreux actes jalonnent son magistre, entre autres la sentence

    rendue au mois daot 1222 par Plage, vque dAlbano et lgat du Saint-Sige, au sujet des biens situs sur le territoire de Tyr, matire procs entre les chanoines du Saint-Spulcre et la maison de lHpital.

    En 1229, il refusa daccompagner Frdric II dAllemagne, souverain excommuni.

    Pierre de Montaigu mourut en 1232. Lempereur dAllemagne, devenu roi de Jrusalem, venait de sallier avec les musulmans en la personne dAl-Kmil.

    17 ARMAND DE PERIGORD. 1232 - 17/20 octobre 1244.

  • Prcepteur du Temple en Sicile et en Calabre, il succda Pierre de

    Montaigu en 1232. Le grand cartulaire de Nicosie le signale ds le mois daot 1232 dans lacte de restitution de Baruth Jean dIbelin par Richard Filangieri. Le 4 octobre de la mme anne, Chypre, il arbitra entre le clerg et les barons de lle, au sujet de dmes dues par ces derniers.

    Le 25 juillet 1233, prs dAcre, une concorde fut signe par les deux Matres, Armand de Prigord, Matre de la maison du Temple, et Gurin, Matre de la maison de lHpital, concernant les eaux et les moulins dAcre.

    En novembre 1240, le Matre du Temple, avec le consentement de plusieurs dignitaires, donna aux Matre et religieux de lordre de Saint-Lazare, un terrain situ Acre, dans le Montsumard, dans le quartier dit des Anglais.

    Le 17 octobre 1244, ce fut le dsastre de Forbie, prs de Gaza. Les pertes de larme franque furent trs importantes, daprs le patriarche lui-mme. Le Temple, lui seul, se vit amputer de trois cent douze chevaliers sur trois cent quarante-huit et de trois cent vingt-quatre turcopoles. Pendant cette bataille, le Grand Matre fut bless et fait prisonnier. Il mourut peu de temps aprs dans sa prison.

    18 GUILLAUME DE SONNAC. 1245 - 3 juillet 1250.

    Certaines listes chronologiques des Matres du Temple donnent

    Richard de Bures comme successeur dArmand de Prigord. Or, Richard de Bures tait chtelain de Chastel Blanc lorsquil fut lu Grand Commandeur de lOrdre. Il ne fut jamais Matre de lOrdre. La mort de Matre Armand ayant t apprise longtemps aprs la date relle, on a cit Richard comme suprieur des Templiers. Daprs la Rgle, une fois le Matre dcd, on devait procder llection. Il faut croire quen attendant la libration ou la mort du prisonnier des Kharismiens, un Grand Commandeur fut lu.

    Guillaume de Sonnac apparat au dbut de lanne 1245 dans un acte concernant lordre de Saint Thomas dAcre. Cet acte, dat, dans la copie du XIVe sicle, du mois de fvrier, permet de dire que llection dut se drouler au dbut de cette mme anne.

    Son magistre est surtout connu grce aux chroniques de Joinville. Nous savons quil dfendit le roi de France, et quen voulant le protger, il fut mortellement bless la bataille de Mansourah, le 3 juillet 1250.

    19 RENAUD DE VICHIER. 1250 - 19 janvier 1252.

  • Avant dtre lu Matre du Temple, Renaud Vichier fut commandeur du Temple dans la ville dAcre en 1240, puis Matre du Temple en France, o nous le trouvons ds le 19 aot 1246.

    Devenu marchal de lOrdre, il assista la bataille de Mansourah. Il fut lu Matre de lOrdre la mort de Guillaume de Sonnac.

    Selon Joinville, il fut choisi sous linfluence du roi de France. Ce dernier ayant t fait prisonnier, il refusa Joinville la quote-part de lOrdre du Temple pour payer la ranon, ce qui nempcha pas Saint Louis daimer le Matre pour sa loyaut et son courage. Il en fit dailleurs le parrain de son fils Jean-Tristan, en 1250.

    Contrairement ce que dit le continuateur de la Chronique de Guillaume de Tyr, Renaud de Vichier nest pas mort en 1257, puisquen octobre 1252 il tait dj remplac. Il mourut, en effet, le 19 janvier de cette anne, en croire lobituaire de Reims.

    20 THOMAS BERAUD ou BERARD. Dbut 1252 - 25 mars 1273.

    Nous ne pouvons prendre la date de 1256, ou de 1257, pour llection

    de Thomas Braud comme Matre du Temple, tant donn quen octobre 1252, il apparat avec ce titre dans un sauf-conduit accord plusieurs personnes devant se rendre Tripoli.

    Il eut un magistre trs agit. En avril 1257, Jean de Montfort ratifia les donations faites par son pre Renaud Vichier, Matre du Temple, son prdcesseur. Le 9 octobre 1258, un accord fut pass entre Thomas Braud, Matre du Temple, Hugues Revel, Matre des Hospitaliers et le Matre des teutoniques, concernant les contestations qui pourraient tre faites sur les biens divers dans les royaumes de Jrusalem, de Chypre, dArmnie, dans la principaut dAntioche et le comt de Tripoli.

    Ce magistre est marqu par la fin des Croiss en Terre Sainte. Sous sa matrise les Templiers acquirent la place de Sajette, le chteau de Beaufort en 1260, et, en 1262, la place dArsuf. Ces possessions dfensives seront reprises par les musulmans de Bendochar : Beaufort en 1268 et Arsuf en 1264. Nanmoins, le 27 mai 1262, un compromis fut sign entre frre Thomas Brard, Matre du Temple et frre Hugues de Revel Matre de lHpital, dans lequel les deux Matres donnaient tous pouvoirs Thomas, vque de Bethlem, lgat du Saint-Sige, frre Hermann Helderong Grand Commandeur du Temple, Geoffroy de Sergines, snchal et bailli du royaume de Jrusalem et Guillaume Botron, conntable du royaume, pour mettre un terme aux diffrents entre les deux ordres. Il en fut de mme le 21 mai et le 9 juillet 1262. Thomas Brard est cit en outre le 31 mai 1270 et le 30 septembre 1264 dans le cartulaire de Nicosie ; en 1270, il souscrit la rvocation de laccord conclu le 27 mai 1262.

  • Le continuateur de la chronique de Guillaume de Tyr signale sa mort le 25 mars 1273. Cette date se trouve confirme par la lettre du 17 mai de cette mme anne, crite par Hugues de Revel, Matre de lHpital, Guy de Dampierre, comte des Flandres.

    21 GUILLAUME DE BEAUJEU. 13 mai 1273 - 18 mai 1291.

    Originaire de la clbre famille du Forez, et non de Bourgogne ou de

    Franche-Comt comme on la cru, Guillaume de Beau jeu fut le dernier Matre siger en Terre Sainte durant toute sa matrise.

    En 1271, commandeur du Temple dans le comt de Tripoli, il tait au moment de son lection, commandeur des Pouilles. Elu le 13 mai 1273, il rsidait Acre. Avant de rejoindre la Terre Sainte, il assista, en mai 1274, au concile de Lyon dont le premier objectif fut la runion des Eglises dOrient et dOccident, et le deuxime la convocation dune nouvelle croisade.

    Les Gestes des Chypriotes prcisent quentre 1275 et 1282, il arbitra, avec charit et libralit, les diffrends entre le Temple et le comt de Tripoli. Le 27 juin, il souscrivit loffre faite par Henri de Lusignan la garnison franaise du Chteau dAcre. Respectueux des trves signes avec les musulmans, il fut un vritable chef de guerre. Sous son magistre, le pape entama des conversations dunification avec les deux grands ordres de Palestine : Temple et Saint-Jean. Laboutissement de toutes les rancunes, prpar par les habiles lgistes de Philippe le Bel, entre autres les cyniques Pierre Dubois, Nogaret et Enguerrand de Marigny, se cristallisera dans un ignoble procs contre lOrdre, accus davoir trahi la chrtient.

    Sous la matrise de Guillaume de Beaujeu se joua la dernire carte de la Terre Sainte royaume latin. Les musulmans rsistrent, malgr une nouvelle menace, plus angoissante, du ct franais. Le sultan du Caire Kalaoun Malek al Mansour sempara successivement de Margat, de Laodice, de Sidon, de Tyr. Son fils, Kabid-Achraf continua la lutte et vint menacer Acre.

    Ds le dbut du mois de mars 1291, les habitants dAcre se prparrent au combat et se rpartirent en quatre divisions : Le premire sous les ordres de Jean de Grailly et dOthon de Granson ; la seconde obissant au chef du contingent des Chypriotes et au Lieutenant des Teutoniques ; la troisime aux Matres de Saint-Jean et de Saint-Thomas ; la quatrime aux Matres du Temple et de Saint-Lazare.

    Plusieurs ordres militaires staient joints aux diverses divisions : les Chevaliers de lpe, ceux de Saint-Laurent, ceux de Saint-Martin des Bretons, ceux du Saint-Esprit.

    Le 18 mai, Guillaume de Beaujeu, mortellement bless, fut transport, par une des potern