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© ANNE BRéHIER le troupeau alimenter 40 l juin 2009 l numéro 170 l L’éleveur laitier I NCORPORÉ DEPUIS LONGTEMPS PAR LES FABRICANTS D’ALI- MENTS DANS LEURS MÉLANGES, le tanin de châtaignier (com- posé d’extraits de bois de châ- taignier) est commercialisé, en France, sous le nom de Proten- sil par la société Caribou TG (1) . Composé pour l’essentiel de su- cres simples et de polyphénols (tanins hydrolysables), ce pro- duit aurait pour propriétés de ralentir le transit intestinal des laitières (les bouses sont plus fermes), mais aussi d’améliorer le TP (1 g/kg environ sur une ration hivernale), sans pénali- ser la production laitière. UN VIEUX PRODUIT REDÉCOUVERT GRÂCE AU WEB La châtaigne est un vieux pro- duit que des éleveurs curieux ont redécouvert avec internet. C’est le cas dans la Loire où elle est utilisée avec succès depuis deux ans, dans au moins cent cinquante élevages. « À l’épo- que, des éleveurs des monts du Lyonnais et de la plaine du Forez essayaient de substituer au soja, le tourteau de colza, moins cher, précisent Gilbert Relave et Yves Alligier, du contrôle laitier. la population de bactéries protéo- lytiques, qui dégradent l’azote, se traduit par une augmentation de la valeur PDIE de l’aliment et une réduction de l’écart PDIN- PDIE. Riche en sucres (50 % de la matière sèche) et en tanins (près de 30 % de lamatière sèche), le produit a de plus un effet conservateur sur les ensilages (2) que l’on a découvert Les données scientifiques et indépendantes manquent pour juger ces extraits naturels végétaux. Pour autant, dans la Loire, les éleveurs redécouvrent les vertus des tanins de châtaignier comme conservateurs d’ensilage ou en complément à la pâture. Mais, trop riche en azote soluble, le colza provoquait un déséquili- bre de la ration (excès de PDIN/ PDIE). Nos recherches nous ont amenés au tanin de châtaignier. » « En modifiant la composition de la flore du rumen, ce dernier agit indirec- tement sur le métabolisme de l’azote, explique Yves Alligier, nutritionniste. La réduction de par la suite. »Peut-on mesurer précisément l’action du pro- duit sur la valeur alimentaire des fourrages ? Que penser des 3 700 g de PDIE (3) par kg de Protensil annoncés par la société Caribou TG ? En vérité, les données scientifiques ré- centes et indépendantes font défaut. Les seules informa- tions disponibles remontent à vingt ans. Des essais sur des ensilages, réalisés par l’Inra de Theix sur des moutons, avaient alors montré que la proportion d’azote retenue par l’animal doublait avec le Propensil (14,5 % de l’azote ingéré contre 7 %). Les études pilotées par J.-P. Jouanny, en 1991, avaient aussi indiqué que la produc- tion et la qualité du lait étaient équivalentes à celles obtenues avec un ensilage traité au for- mol. Des essais réalisés dans le Sud-Ouest concluaient à un Ph abaissé de 0,4 point, une augmentation de 50% d’acide lactique, ainsi qu’une forte diminution de l’alcool et de l’acide propionique. ABSENCE DE NOCIVITÉ D’UN PRODUIT 100 % NATUREL Dans la Loire, les observations en élevage confirment l’intérêt du produit, aussi bien dans l’ensilage que dans la ration… à condition qu’elle soit suffi- samment riche en protéines. En ensilage, les tanins de châ- taignier semblent améliorer la conservation des espèces four- ragères, même celles pauvres en sucre. Comme les acides, ils paraissent avoir une action po- sitive sur l’herbe de montagne et la luzerne. Avec une odeur LES TANINS DE CHâTAIGNIER POUR MIEUX VALORISER LES PROTéINES DE LE REGARD DE... « Pour être efficace, le tanin de châtai- gnier doit s’utiliser sur une ration assez riche en protéines. Plus c’est soluble, plus c’est utile. En ration maïs, pauvre en azote soluble, il pré- sente peu d’intérêt. Pour la même raison, il n’est pas conseillé sur des en- silages de plaine à base de ray-grass, sauf en tant que conservateur. A contrario, le tanin de châtaignier est utile sur une herbe de montagne ou des légumineuses. Il est aussi intéressant pour rendre appétant et plus digestible un foin de moyenne qualité. Il doit alors être liquéfié avant d’être mélangé au foin. » « PEU D’INTéRêT EN RATION MAïS » GILBERT RELAVE, technicien au contrôle laitier de la Loire Un intérêt particulier pour les rations herbe- tourteau de colza La nouvelle présentation en paillettes du Protensil convient bien aux éleveurs pour l’utilisation en mélangeuse, ainsi que pour l’incorporation dans des mash (ration sèche).

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incorporé depuis longtemps

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ments dans leurs mélanges,

le tanin de châtaignier (com-posé d’extraits de bois de châ-taignier) est commercialisé, en France, sous le nom de Proten-sil par la société Caribou TG(1).Composé pour l’essentiel de su-cres simples et de polyphénols (tanins hydrolysables), ce pro-duit aurait pour propriétés de ralentir le transit intestinal des laitières (les bouses sont plus fermes), mais aussi d’améliorer le TP (1 g/kg environ sur une ration hivernale), sans pénali-ser la production laitière.

un vieux produit redécouvert grâce au webLa châtaigne est un vieux pro-duit que des éleveurs curieux ont redécouvert avec internet. C’est le cas dans la Loire où elle est utilisée avec succès depuis deux ans, dans au moins cent cinquante élevages. « À l’épo-que, des éleveurs des monts du Lyonnais et de la plaine du Forez essayaient de substituer au soja, le tourteau de colza, moins cher, précisent Gilbert Relave et Yves Alligier, du contrôle laitier.

la population de bactéries protéo-lytiques, qui dégradent l’azote, se traduit par une augmentation de la valeur PDIE de l’aliment

et une réduction de l’écart PDIN-PDIE. Riche en sucres (50 % de la matière sèche)

et en tanins (près de 30 % de lamatière sèche), le produit a de plus un effet conservateur sur les ensilages(2) que l’on a découvert

Les données scientifiques et indépendantes manquent pour juger ces extraits naturels végétaux. Pour autant, dans la Loire, les éleveurs redécouvrent les vertus des tanins de châtaignier comme conservateurs d’ensilage ou en complément à la pâture.

Mais, trop riche en azote soluble, le colza provoquait un déséquili-bre de la ration (excès de PDIN/PDIE). Nos recherches nous ont amenés au tanin de châtaignier. » « En modifiant la composition de la flore du rumen, ce dernier agit indirec-tement sur le métabolisme de l’azote, explique Yves Alligier, nutritionniste. La réduction de

par la suite. »Peut-on mesurer précisément l’action du pro-duit sur la valeur alimentaire des fourrages ? Que penser des 3 700 g de PDIE(3) par kg de Protensil annoncés par la société Caribou TG ? En vérité, les données scientifiques ré-centes et indépendantes font défaut. Les seules informa-tions disponibles remontent à vingt ans. Des essais sur des ensilages, réalisés par l’Inra de Theix sur des moutons, avaient alors montré que la proportion d’azote retenue par l’animal doublait avec le Propensil (14,5 % de l’azote ingéré contre 7 %). Les études pilotées par J.-P. Jouanny, en 1991, avaient aussi indiqué que la produc-tion et la qualité du lait étaient équivalentes à celles obtenues avec un ensilage traité au for-mol. Des essais réalisés dans le Sud-Ouest concluaient à un Ph abaissé de 0,4 point, une augmentation de 50% d’acide lactique, ainsi qu’une forte diminution de l’alcool et de l’acide propionique.

absence de nocivité d’un produit 100 % naturelDans la Loire, les observations en élevage confirment l’intérêt du produit, aussi bien dans l’ensilage que dans la ration… à condition qu’elle soit suffi-samment riche en protéines. En ensilage, les tanins de châ-taignier semblent améliorer la conservation des espèces four-ragères, même celles pauvres en sucre. Comme les acides, ils paraissent avoir une action po-sitive sur l’herbe de montagne et la luzerne. Avec une odeur

Les tanins de châtaignier Pourmieux vALoriser Les Protéines de L’herBe

Le regard de...

« Pour être efficace, le tanin de châtai-

gnier doit s’utiliser sur une ration assez riche en protéines. Plus c’est soluble, plus c’est utile. en ration maïs, pauvre en azote soluble, il pré-

sente peu d’intérêt. Pour la même raison, il n’est pas conseillé sur des en-silages de plaine à base de ray-grass, sauf en tant que conservateur. a contrario, le tanin de châtaignier est utile sur

une herbe de montagne ou des légumineuses. il est aussi intéressant pour rendre appétant et plus digestible un foin de moyenne qualité. il doit alors être liquéfié avant d’être mélangé au foin. »

« Peu d’intérêt en ration maïs »

giLbert reLave, technicien au contrôle laitier de la Loire

un intérêt particulier pour les rations herbe-tourteau de colza

la nouvelle présentation en paillettes du protensil convient bien aux éleveurs pour l’utilisation en mélangeuse, ainsi que pour l’incorporation dans des mash (ration sèche).

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L’éleveur laitier l numéro 170 l juin 2009 l 41

« À L’HERBE, LES VACHES NE SE VIDENT PLUS »Olivier Marcoux utilise le tanin de châtaignier à la pâture, pour limiter les diarrhées, et dans l’ensilage d’herbe, comme conservateur.

«J’ai d’abord utilisé le tanin de châtaignier au pré comme complément

alimentaire. Sur l’exploi-tation où les vaches pâturent jour et nuit dès la mi-avril, nous essayons de suivre les regains courts. Nous avions beau donner du foin, il y avait des diarrhées. Avec le tanin, les déjections sont plus régulières, les bouses sont plus fermes », explique Olivier Marcoux, de Saint-Bonnet-le-Courreau (Loire).Autre avantage mis en avant : les risques de météorisation liés au trèfl e, abondant dans certaines parcelles, ont été sup-primés. « Alors que nous implan-tons des mélanges complexes suisses sur les prairies, cela me tranquillise. » La quantitéjournalière distribuée est de 80 g/VL. Elle n’était initiale-ment que de 30 g. C’était insuffi -sant : deux vaches avaient gon-fl é. Le tanin est apporté toute la saison de pâturage, et pas seulement à la mise à l’herbe. Il est donné une fois par jour au cornadis, le matin ou le soir, selon la proportion de trèfl e des parcelles à pâturer. Les laitières se sont vite habituées à ce pro-

duit riche en sucre, appétant, au goût de caramel. Mi-mai, les vingt-huit vaches traites affi chaient une production moyenne de 23 kg/VL. À noter que seules les dix vêlées depuis moins d’un mois et demi rece-vaient du concentré au Dac.Depuis 2008, le produit est aussi incorporé au silo. « Le conservateur chimique était désagréable à manipuler et cher. Nous ne mettions pas la quantité nécessaire, les résultats s’en res-

sentaient. » La dose de Protensil (20 à 30 kg/ha) est ajustée selon le type et la qualité des parcelles (richesse en trèfl e). « Je répartis deux ou trois seaux sur l’herbe qui vient d’être bennée et je rajoute une dose avant de bâcher le silo. Avec le tanin, l’ensilage d’herbe se conserve mieux. Distribué tous les deux ou trois jours seulement pour des questions d’organisa-tion du travail, le fourrage ne

s’échauffe pas et garde une bonne odeur. » Outre l’ensilage d’herbe, la ration préparée à la mélan-geuse se compose de 4 à 5 kg de foin de prairie naturelle, 5 kg de maïs-grain inerté, 1 kg de céréa-les et 2 kg de tourteau (moitié soja, moitié colza). Tout l’hiver, le TP a évolué entre 33,5 et 34,5. L’ensilage d’herbe, réalisé avec des prairies à base de dactyle avec un peu de trèfl e violet et de ray-grass d’Italie, était par-ticulièrement bon : réalisé le 14 mai 2008 juste avant la pluie, il titrait 98 UFL.« Avec le tanin de châtaignier, j’ai noté un impact positif sur les butyriques. Avec l’ensilage 2008, nous n’avons jamais dépassé les 500 spores. En revanche, en fi n d’hiver, quand nous sommes repassés sur l’ancien silo 2007 réa-lisé, il est vrai, dans de mauvaises conditions mais bien conservé, les butyriques sont montées à 9 500 spores. Le Protensil est un produit économique (1 euro/kg), naturel, agréable à utiliser sur l’ensilage et sans danger. Contrai-rement aux produits chimiques, on ne craint pas de s’en mettre partout quand on l’épand rapide-ment sur le silo. » ■

Les données scientifi ques et indépendantes manquent pour juger ces extraits naturels végétaux. Pour autant, dans la Loire, les éleveurs redécouvrent les vertus des tanins de châtaignier comme conservateurs d’ensilage ou en complément à la pâture.

LES TANINS DE CHÂTAIGNIER POURMIEUX VALORISER LES PROTÉINES DE L’HERBE

améliorée et un effet antimois-sissure, les éleveurs pointent l’impact positif sur la conser-vation du fourrage et l’absence de nocivité d’un produit 100 % naturel. Apporté à raison de 20 à 40 kg/ha selon la prairie, ce dernier est épandu sur le fourrage vert. Au pâturage, les diarrhées paraissent diminuées et le potentiel laitier optimisé, en particulier sur des vaches en début de lactation.

« 50 À 100 G PAR JOUR POUR DES LAITIÈRESÀ L’HERBE »« Les quantités à apporter dans la ration varient suivant les ob-jectifs recherchés en matière de PDIE, précise Yves Alligier. S’il s’agit de protéger plus les protéi-nes, on en mettra davantage. À l’herbe sur laitières, les meilleurs résultats sont obtenus avec une quantité journalière de 50 à 100 g/jour. Au-dessus, c’est du gaspillage. En dessous de 50 g, cela ne sert à rien. La dose peut être régulée en fonction de l’état des bouses et de l’urée du lait. »L’apport de tanin de châtai-gnier dans des rations herbe-colza apparaît très intéressant. Rééquilibré, le tourteau de colza initialement pauvre en PDIE peut être utilisé en l’état dans le cadre de rations herba-gères riches en azote soluble (PDIN). Livré en sac de 20 kg et en palette de 560 kg, le tanin de châtaignier est un produit très bon marché. Son coût d’utilisation comme conser-vateur d’ensilage varie de 30 à 40 €/ha. À l’herbe, il s’élève à environ 15 €/VL et par an. ■ANNE BRÉHIER

(1) www.cariboutg.eu. Tél. : 05 63 31 09 39. (2) Homologué au milieu des années 90 comme conser-vateur d’ensilage (n° 9 400 068), vendu comme extrait végétal. (3) De 1 000 g PDIN et de 0,55 UFL.

« C’est un produitéconomique, naturelet plus agréableà utiliser qu’unconservateurchimique »

L’EXPLOITATION

À 950 m d’altitude en système tout herbe50 ha, dont 6 ha de céréales226 000 l de quota, (AOC fourme de Montbrison)30 prim’holsteins à 7 800 kgde lait, 33 de et 40 de TB300 canards/an transformés et vendus en direct (foie gras)