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Les symboles de l’engagement dans les rites nuptiaux, de l’Antiquité à nos jours par Marion JACQUET sous la direction de M. Christophe COUPRY Colloque 2011 de l’Institut Albert le Grand

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Les symboles de l’engagement dans les rites nuptiaux, de l’Antiquité à nos jours

par Marion JACQUETsous la direction de M. Christophe COUPRY

Colloque 2011 de l’Institut Albert le Grand

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SOMMAIRE  

INTRODUCTION 3

1. UN ENGAGEMENT MORAL ET SPIRITUEL 6 1.1. L'Échange des consentements : sens et histoire 6

1.1.1. Le consentement : accord et serment 6 1.1.2. Le consentement des familles 7 1.1.3. Le consentement des époux 8

1.2. Les mains : figuration de l'engagement 11

1.2.1. La symbolique de la main 11 1.2.2. La main dans l'histoire du mariage 13

1.3. Les dieux dans le mariage 16

1.3.1. La présence des dieux dans le mariage : la symbolique d'un engagement plus fort 17 1.3.2. L'histoire des dieux dans le mariage 18

2. UN ENGAGEMENT PHYSIQUE 21 2.1. Le voile nuptial 21

2.1.1. Le symbole de l'oblation 22 2.1.2. Le voile dans le mariage 24

2.2. De l'anneau a l'alliance : sens et histoire du symbole clé du mariage 27

2.2.1. La symbolique de l'anneau 28 2.2.2. Des sens variables, un symbole unique 29

2.3. Les rites de partage entre les époux 31

2.3.1. Une préfiguration d'un partage plus profond 31 2.3.2. Histoire des rituels de partage dans le mariage 32

3. UN ENGAGEMENT MATERIEL ET SOCIAL 34 3.1. L'engagement matériel : sens et histoire de la dot et du douaire 35

3.1.1. Dot et douaire, des dons et des échanges qui engagent 35 3.1.2. Histoire de ces gages matériels 36

3.2. L'engagement social : la présence d'autrui dans le mariage 40

3.2.1. Les témoins, des symboles de la société 41 3.2.2. Les témoins et autres marqueurs sociaux dans l'histoire du mariage 41

CONCLUSION 46

BIBLIOGRAPHIE 49

TABLE DES ILLUSTRATIONS 51

  3  

INTRODUCTION

Grande robe blanche, voile sur les yeux, au milieu de l'allée une jeune femme s'avance. Arrivée devant le maire, devant le prêtre, elle va prononcer des paroles qui l'uniront à un autre, pour l'éternité.

Le mariage, tout comme le hèmes en Mésopotamie, le qiddusin pour les juifs de l'Antiquité, le synokein grec, le matrimonium romain, a pour but de marquer non seulement le passage de la jeune fille à l'état de femme mariée, mais également, l'union spirituelle et physique de deux êtres, condition sine qua non à la création d'une famille.

Le Pape Jean-Paul II l'a dit lui-même : « Sans le mariage, le fondement même de la société, la famille, est miné1 ». C'est probablement le besoin de marquer cette union et de protéger ainsi l'institution de la famille, qui rend le mariage aussi central dans la vie des hommes. En effet les êtres n'ont jamais cessé de se questionner sur le mariage : Comment choisir son conjoint ? Le mariage est-il religieux ? Est-il civil ? Doit-il être indissoluble ? À quel âge doit-on se marier ? Peut-on se marier avec une personne du même sexe ?

Différentes civilisations ont trouvé à ces questions des réponses diverses. Mais tout au long de l'histoire de l'humanité une question a reçu l'unanimité : "Le mariage est-il un engagement ?"…Et puisque la réponse est invariablement oui, il s'agissait de trouver un moyen de montrer cet engagement dans la cérémonie même du mariage, dans les rites nuptiaux.

C'est d'ailleurs tout le sens du rite, qui est « un ensemble d'actes formalisés, expressifs, porteurs d'une dimension symbolique. Il est caractérisé par une configuration spatio-temporelle, par le recours à une série d'objets, par des systèmes de comportements et de langages spécifiques, par des signes emblématiques dont le sens caché constitue l'un des biens communs du groupe2.»

Le mariage est avant tout un rite de passage3, ce qui est particulièrement perceptible dans les civilisations antiques : le rite nuptial marque le passage de l'enfance à l'âge adulte, l'abandon des attributs de l'enfance, le passage d'une famille à une autre, le changement de foyer…

En effet, que ce soit en Grèce, à Rome, ou dans les autres civilisations, le mariage dans l'Antiquité est jalonné de références à l'enfance : en Grèce, les jeunes filles doivent abandonner leurs poupées, consacrées à des divinités vierges, ainsi qu'une mèche de leurs cheveux ; à Rome, le mariage est l'occasion pour la future mariée d'abandonner son habit d'enfant, à bordures rouges, et de quitter sa 'bulle' d'or, un pendentif destiné à éloigner le mauvais œil.

Le mariage marque également la fin d'une vie aux côtés de ses parents, dans sa famille et l'entrée dans une nouvelle maison : la jeune fille grecque change d'oikoi (foyer, maison) et est

                                                                                                               1  Discours  du  Pape  Jean  Paul  II,  aux  prélats  auditeurs,  officiels  et  avocats  du  Tribunal  de  la  Rote  Romaine,  à  l'occasion  de  l'inauguration  de  l'année  judiciaire,  le  28  janvier  2002.  Disponible  sur  :  http://www.vatican.va/,  rubrique  Archives  des  Papes.  2  C'est  la  définition  donnée  par  MARTINE  SEGALEN,  Rites  et  rituels  contemporains,  Armand  Colin,  2009  (2°  éd.),  p.  25.  3  C'est  principalement  à  ce  titre  qu'Arnold  Van  Gennep  en  parlera  dans  son  ouvrage  d'anthropologie  Les  Rites  de  passage  (Emile  Noury,  1909).  

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accueillie dans celui de son mari, par sa belle-mère. Elle doit alors s'agenouiller devant l'autel de la famille, et on verse sur sa tête des noix, des fruits secs…c'est une cérémonie d'accueil rituelle (le katachysmata), pour montrer que la femme fait à présent partie de la maison. La mariée romaine devait reproduire le comportement des Sabines, lors des premiers mariages de l'histoire romaine. Elle quittait donc sa mère, et sa maison en pleurant et hurlant, pour mimer l'enlèvement des Sabines perpétué par les Romains, avant de rejoindre sa nouvelle maison. On tente à travers la cérémonie de représenter l'importance de ce changement de statut sur la vie des futurs époux, et sur la vie de leur famille.

Cette première dimension est essentielle pour ne pas froisser les dieux. En Grèce on considère que le mariage engendre une rupture avec l'ordre naturel (puisque la jeune fille perd sa virginité) et une rupture avec l'ordre social (elle change de lieu de vie). Ces ruptures étaient des causes de colère divine, et nécessitaient de nombreux rites de purification, qui faisaient également partie du cérémonial. Dans cette double dimension du rite nuptial sont perceptibles deux des 'magies' que Roger Pinon décrit dans son ouvrage, Aspects de la vie populaire en Europe : Amour et Mariage4 : la magie apotropaïque (effrayer les mauvais esprits) et la magie de rupture (quitter le foyer, l'enfance).

Le rite nuptial célèbre également le but du mariage, la création de la famille. Cette dimension est principalement perceptible à travers tous les symboles représentant la fécondité qui sont présents lors des cérémonies : en accueillant sa bru, sa belle-mère lui offre des coings, des pommes ou une grenade, qui sont en Grèce, les symboles de la fécondité, à Rome, des enfants lancent des noix sur le trajets entre les deux maisons. Il n'est pas rare que les époux soient accompagnés jusque dans leur lit, par exemple par un chant (c'est l'épithalame grec) et au XIe siècle, on trouve encore des prêtres qui mènent les jeunes époux jusque dans leur chambre, et bénissent le lit.

Certains lits nuptiaux étaient placés dans des étables, la proximité des animaux étant censée favoriser la fécondité, comme les œufs par exemple. Aujourd'hui, en lançant du riz sur les mariés, c'est également cette fécondité que l'on encourage. C'est ce à quoi Roger Pinon fait référence dans le même ouvrage, sous le nom de 'magie fécondante'.

Vue d'abord comme un rite de passage, la cérémonie doit donc favoriser la réalisation du but du mariage, la fécondité. Mais ni cette première dimension (qui ouvre souvent la cérémonie, avec les rites de purification par exemple), ni cette seconde (qui la ferme en général) n'est au centre du rite nuptial. Car le mariage est avant tout un rite d'union, avec sa 'magie unissante'. Un rite qui célèbre donc une union tantôt définitive, comme le mariage chrétien (le mariage est alors dit 'indissoluble'), mais qui peut également être dissoluble, par un divorce (déjà présent chez les Romains et légal en France depuis 1792) ou par une répudiation.

Si l'union peut être brisée ad libitum, l'engagement des époux est-il le même ? Il ne faut pas oublier qu'au moment de leur mariage, centrés sur l'union, les futurs époux décident de s'engager l'un envers l'autre, d'engager leur futur. Dans la mesure où ils choisissent cette démarche, il semble absurde d'imaginer que les époux envisagent déjà de briser ce couple qu'ils sont en train de construire. Le rite nuptial, quelles que soient les possibilités de revenir

                                                                                                               4  Liège,  Musée  de  la  vie  wallonne,  1975,  p.  22-­‐24  in  MELCHIOR-­‐BONNET  S.  ET  SALLES  C.,  Histoire  du  mariage,  Paris,  Robert  Laffont,  2009,  p.  781.  

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sur son engagement, marque avant tout l’union de deux individus. Mais comment symboliser, au cours du rituel, cette union morale, physique, matérielle, sociale…?

Les symboles sont nombreux et certains survivent encore aujourd'hui : l'engagement moral des époux l'un par rapport à l'autre est signifié par un serment, tout comme l'engagement physique représenté par l'anneau.

Mais qu’est-ce qu’un symbole ? Quelle histoire, quel sens se cachent derrière ce terme ? Le symbole tient une grande place dans l’Histoire, grecque en particulier. Le terme symbole provient du verbe grec sumballein (sun- : avec, ballein : jeter) qui signifie littéralement « jeter avec », mais est également traduit par les expressions « mettre ensemble », « joindre » ou encore « comparer ». Une évolution sémantique nous fait parvenir au terme symbolon, qui est en fait un tesson de poterie cassé en deux, traditionnellement partagé entre deux contractants. Il servait de signe de reconnaissance : on rapprochait les deux parties de poterie, qui se correspondaient parfaitement.

Le mot grec est repris par le latin, quasiment tel quel, symbolus, qui donnera notre terme de symbole, tout en gardant la signification de signe de reconnaissance. Le mot symbole lui-même apparaît en français aux alentours du XIVe siècle. On le définit comme un ensemble qui lie deux représentations dans la même signification. Ainsi le symbole est le terme visible d’une comparaison dont l’autre terme est invisible (le chiffre 3 est ainsi le symbole de la perfection dans la tradition biblique) « Le symbole implique quelque chose de vague, d'inconnu, ou de caché pour nous5 » nous dit Carl Gustav Jung (psychanalyste) et il ajoute « Un mot ou une image sont symboliques lorsqu'ils impliquent quelque chose de plus que leur sens évident et immédiat6. » Le symbole a toujours eu une importance particulière pour les Hommes ; par exemple, le Credo, profession de foi que les chrétiens récitent chaque semaine à la messe, est également appelé le 'symbole des apôtres'.

Quelle est l'histoire de ces symboles qui sont omniprésents au cours des mariages ? Quelle est leur signification ? Existe-t-il un nombre infini de façons de prouver son engagement envers autrui ou bien ce nombre est-il limité ? Et dans ce second cas, y a-t-il une permanence des symboles utilisés lors des mariages ?

En étudiant l'histoire des symboles de l'engagement de l'Antiquité à nos jours, et quelles que soient la civilisation, la région, l'époque, la religion observées, nous ferons apparaître des permanences dans les symboles qui marquent l'engagement, tout en expliquant leur sens : nous montrerons qu’ils marquent véritablement l’engagement que représente le rite nuptial. Un engagement qui est tout d'abord moral et spirituel, marqué en particulier par l'échange des consentements, et la présence des divinités. Mais un engagement physique, comme le montre aujourd'hui l'anneau ou le voile. Un engagement, enfin, qui est également matériel et social.

                                                                                                               5  L'homme  et  ses  symboles,  Robert  Laffont,  1964,  p.  20-­‐21.  6  Ibid.    

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1. UN ENGAGEMENT MORAL ET SPIRITUEL

Le mariage est la quintessence de l'engagement qu'une personne peut prendre envers une autre : c'est l'engagement humain le plus entier. Le mariage engage deux personnes dans une union morale, spirituelle, physique, matérielle et sociale.

Chacune de ces dimensions est perceptible dans la cérémonie. Ainsi, les dimensions morale et spirituelle sont symbolisées en trois 'moments' du mariage : par l'échange des consentements, par la position des mains des futurs époux et par la présence fréquente des divinités au moment de l'union.

1.1. L'ECHANGE DES CONSENTEMENTS : SENS ET HISTOIRE

L'étymologie du mot consentement indique bien le sens qu'il convient de lui donner : consentir, (du latin cum sentire) signifie littéralement 'sentir ensemble', 'penser ensemble'. Dans le vocabulaire juridique, on définit le consentement comme un « accord de deux ou plusieurs volontés en vue de créer des effets de droit7 » ou comme la « rencontre de ces volontés qui est la condition de la formation du contrat8 ».

Aujourd'hui encore, l'échange des consentements demeure le point culminant de la cérémonie de mariage : la seule expression "ils se sont dit oui" suffit à résumer l'union, comme si toute la cérémonie se limitait à ce simple échange entre les époux.

Comment expliquer que de simples mots aient acquis une telle force ? Cet échange de consentement n'existe-t-il que dans les mariages occidentaux ou a-t-il une résonnance dans les mariages de l'Antiquité ?

1.1.1. Le consentement : accord et serment

Le consentement est donc un accord de volonté. C'est tout d'abord pour cette raison que les paroles prononcées lors de l'échange des consentements ont une telle importance dans le rite nuptial. Les mots échangés deviennent une parole qui engage, car ils symbolisent et expriment la volonté des époux. Leurs mots se font l'expression de leur volonté profonde et les engagent donc moralement l'un envers l'autre.

Et en réalité, bien plus qu'un accord, le consentement se fait serment. Au cours du mariage, les époux ne font pas qu'accepter leur statut d'époux, ou donner leur accord à l'union, ils font bien plus. Ils se font des promesses. Les époux se 'jurent' fidélité, ils se 'jurent' un amour éternel : le consentement n'est pas simplement un accord. Dans le mariage, c'est un

                                                                                                               7  CORNU  GERARD,  Vocabulaire  juridique,  8e  éd.,  p.  204.  8  Ibid.  

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serment. Ainsi les époux engagent-ils non seulement leur volonté, mais également leur parole. Cette seconde dimension, qui fait du consentement un serment, est justement ce qui le rend aussi important, et aussi fondamental.

Qu'est-ce qui fait du serment un symbole ? La parole est un signe invisible certes, mais matériel, qui permet de figurer la volonté invisible et immatérielle des deux époux. Le serment est donc véritablement un symbole selon la définition de Jung : il implique plus que la simple parole, il implique nécessairement cette volonté invisible et immatérielle.

Surtout que la cérémonie du mariage, le rite lui-même, fournit ce que Dell Hymes appelle une speech situation9 (ou situation de parole). Ainsi, les mêmes paroles prononcées dans un autre contexte n'auraient pas le même sens. De la même façon que le consentement fait le mariage, le mariage donne son sens au consentement.

Enfin les termes utilisés lors de l'échange des consentements, "jurer", "promettre", sont des termes forts. Certains linguistes (dont John L. Austin) reconnaissent à ces verbes une particularité : ce sont des verbes dits performatifs, c'est à dire qu'ils ont la capacité de réaliser l'action qu'ils énoncent10. Bien entendu, comme Pierre Bourdieu le souligne, leur performativité est soumise à certains critères extralinguistique11 (la sincérité, le statut, et le contexte – et en effet, un mariage dans lequel un des époux aura 'menti', où l'une des personnes prononçant le consentement ne serait pas le/la concerné(e), où le maire, le prêtre ne serait pas présent, ne serait pas valide). Mais ces verbes possèdent malgré tout cette propriété linguiste toute particulière.

De par le sens du consentement même, mais également de par son extension (le serment) et enfin grâce à la situation et aux mots employés, l'échange des consentements lors du mariage est réellement engageant, au sens le plus fort du terme. C'est donc d'abord par les mots, qui expriment leur volonté et la réalisent, que les époux s'engagent.

Mais comme nous allons le voir, l'engagement des époux n'a pas toujours été nécessaire, c'est parfois celui des familles qui a primé.

1.1.2. Le consentement des familles

C'est au Ve siècle a.C., en plein apogée de la période hellénique, que démarre l'histoire du consentement. Dans la civilisation grecque, il n'y avait pas de réelles cérémonies de fiançailles, simplement une cérémonie de dation qui précédait le rite nuptial. Pour expliquer la pérennité du symbole, nous avons choisi de prendre en compte ces cérémonies, qui montrent bien l'importance du consentement. Au cours de cette cérémonie officielle, appelée engyé (caution) ou ekdosis (action de livrer), le kyrios (tuteur) de la jeune fille et le futur mari échangent leur consentement. Cette cérémonie se déroule en présence de la jeune fille et de plusieurs témoins. Elle est décrite dans de nombreuses pièces de théâtre,

                                                                                                               9  GUMPERZ  AND  HYMES,  Directions  in  Socio-­liguistics,  Holt,  Rinehart  and  Winston,  New  York,  1972,  p.  35-­‐71  in  BOUTET  JOSIANE,  Le  pouvoir  des  mots,  La  dispute,  Paris  2010,  p.  55-­‐66.  10  BOUTET  JOSIANE,  op.  cit.,  p.  59-­‐60.  11  Ibid.,  p.  61.  

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par exemple dans des comédies de Ménandre. Ce dialogue est issu d'une de ces pièces, et relate le moment du consentement :

PATAÏKOS : je te donne cette fille, pour que tu la fécondes et que tu aies d'elle des enfants légitimes… POLEMON : Je la reçois. PATAÏKOS : et une dot de trois talents. POLEMON : Je la reçois aussi, de bon cœur12.

Au cours du rite nuptial lui-même, le consentement de la jeune fille est symbolisé par son attitude de soumission lors du trajet qu'elle fait entre l'oikoi paternel et l'oikoi de son mari : en se soumettant au choix de son père, et en montrant cette soumission, elle consent au mariage qu'il a choisi pour elle. Dans l'Antiquité romaine, c'est encore la famille de la jeune fille qui donne son consentement à l'union, au cours d'une cérémonie précédant le mariage. Cette cérémonie, non officielle, constitue la première étape de l'engagement oral (ou stipulatio). L'accord est conclu entre les deux pères des fiancés, c'est le consilia. Le consentement de la jeune fille, ou du jeune homme ne semble pas nécessaire à la cérémonie. La volonté de la jeune fille, en particulier, ne semble pas engagée dans le mariage : elle ne peut toucher le sol en pénétrant dans la maison de son époux, montrant ainsi que, n'y étant pas entrée de sa propre volonté, elle ne pourra pas en sortir de sa seule volonté (c'est l'interprétation qu'en fait Plutarque13). Il faut néanmoins se souvenir que les Romains ont « historicisé leur légende14 » : le mariage romain est un rappel incessant de l'enlèvement des Sabines et il est fort probable que ce rite de la cérémonie y fasse référence. Pour les Romains, le consentement est une donnée absolument centrale du mariage : « consensus fecit nuptias » (le consentement fait les noces) comme le dit le droit romain. Et c'est justement parce que la dimension juridique du mariage prime dans le rite romain, que le consentement se fait entre les pères. La société romaine est patriarcale, seul le père détient la capacité juridique (ou patria potestas). Une fois intégrée dans la maison de son mari (au terme de nombreux rituels d'intégration), la jeune femme prononce une formule rituelle, qui ne marque que son acceptation de l'union : « Ubi tu Gaius, ego Gaia » (c'est-à-dire : "Là où toi tu es Gaius, je suis Gaïa"). Par ces mots, la jeune femme accepte son statut d'épouse ; elle et son mari partageront dès lors, fortune et autorité.

1.1.3. Le consentement des époux

Les consentements sont donc souvent formulés par les parents, en particulier en ce

qui concerne la jeune femme, dont l'avis ou l'opinion à propos du mariage ne semble pas fondamentale. Néanmoins et cela dès l'Antiquité, le consentement des deux époux est parfois nécessaire au mariage. Et cette tendance s'est diffusée peu à peu, jusqu'à devenir une norme dans le mariage actuel.

                                                                                                               12  La  Perikeiroméné,  in  MELCHIOR-­‐BONNET  S.  et  SALLES  C.,  op.  cit.,  p.  76.  13  SALLES  C.,  Le  Mariage  dans  l'Antiquité,  in  ibid.,  p.  131.  14  L'expression  de  George  Dumézil  est  reprise  dans  ibid.  in  ibid.,  p.  136.  

  9  

Dans l'Égypte antique, le mariage tient plus de l'état de fait. Il ne donne pas lieu à de réelle cérémonie, et n'est pas encadré par un déroulement formel. Néanmoins, à partir du VIe a.C. apparaît un échange des consentements, qui se produit au moment de l'union des deux époux. Le jeune homme dit à sa jeune épouse : « je t'ai prise pour femme » ; puis elle lui répond : « je t'ai pris pour mari ». Dans cette civilisation où le mariage n'avait de dimension ni juridique, ni religieuse, l'échange des consentements est donc le premier ersatz de rite nuptial qui est apparu. Dans le cas de l'Égypte, cet échange oral n'est donc pas une partie de la cérémonie, il fonde le rite. Cela montre bien que l'engagement formulé au cours de la cérémonie est un symbole fort, voire essentiel.

Les mariages des premiers chrétiens ressemblent fort à ceux des Romains, comme nous le verrons par la suite. En ce qui concerne l'échange des consentements néanmoins, la situation a évolué avec l'avènement du christianisme. Comme le rappelle saint Paul dans plusieurs épîtres, chaque mariage a vocation à rappeler l'union de Dieu avec son peuple, l'union de Jésus avec son Église15. Avec une telle image du mariage (qui est d'ailleurs devenu indissoluble avec les premiers chrétiens), un échange de promesses devient nécessaire, et on l'inclut dans le rituel des fiançailles.

Entre le VIe et le IXe siècle, malgré les invasions barbares sur l'ancien territoire de l'Empire Romain, le Code Justinien prime sur le droit de l'envahisseur. On le voit donc transparaître dans la législation nuptiale de cette époque. Le consentement qui n'était jusqu'alors pas nécessaire dans les mariages germaniques (Muntehe, Friedelehe, etc.) devient une condition de la validation du mariage. Le code remet en effet le consentement mutuel au centre du mariage : « nuptias enim non concubitus sed consensus facit16. »

Puis l'échange des consentements s'installe au sein du mariage même. Une partie de la cérémonie (dont l'échange des consentements) se déroule devant l'Église. Le consentement mutuel n'est alors pas essentiel, celui du mari suffit durant la cérémonie. Ce n'est qu'à partir du XIIe que la réciprocité devient essentielle (une dimension sur laquelle Pierre Lombard et le pape Alexandre III insisteront particulièrement). Le célébrant interrogeait alors le mari, qui déclarait accepter la jeune femme pour épouse ; puis il interrogeait la jeune femme. Il était tout aussi fréquent qu'il commence par interroger la mariée.

Depuis le XIIe siècle, le mariage chrétien n'a pas énormément évolué, bien que quelques coutumes diffèrent selon les pays. Aujourd'hui l'échange des consentements est beaucoup plus ritualisé, et nous reproduisons ci-après un exemple :

                                                                                                               15  Par  exemple  :  «  Maris,  aimez  vos  femmes  comme  le  Christ  a  aimé  l'Église  »  (Ephésiens,  21,  23-­‐33).  16  «  Ce  n'est  pas  la  consommation  du  mariage  qui  fait  les  noces,  mais  le  consentement  »,  c'est  l'adage  du  juriste  romain  Ulpien,  repris  dans  le  Code  Justinien,  dans  le  Digeste.    

 10  

LE CÉLÉBRANT : Mes frères, avec .............et ..............nous avons écouté la Parole de Dieu, qui a révélé tout le sens de l'amour humain. Le mariage suppose que les époux s'engagent l'un envers l'autre sans y être forcés par personne, se promettent fidélité pour toute leur vie et acceptent la responsabilité d'époux et de parents. ...........et................, est-ce bien ainsi que vous avez l'intention de vivre dans le mariage? LES FIANCÉS : Oui LE CÉLÉBRANT : Afin que vous soyez unis dans le Christ, et que votre amour, transformé par lui devienne pour les hommes un signe de l'amour de Dieu, devant l'Église ici rassemblée, échangez vos consentements. FIANCÉ : - ....... veux-tu être ma femme? FIANCÉE : - Oui (je veux être ta femme). Et toi...... veux-tu être mon mari? FIANCÉ : - Oui (je veux être ton mari) FIANCÉE : Je te reçois comme époux et je me donne à toi FIANCÉ : Je te reçois comme épouse et je me donne à toi. ENSEMBLE : Pour nous aimer fidèlement dans le bonheur ou dans les épreuves, et nous soutenir l'un l'autre, tout au long de notre vie17.

Probablement à cause de cet héritage chrétien, mais également en référence à l'idée de liberté, la loi française n'accorde pas le mariage sans qu'il y ait un consentement mutuel : « [l'officier d'État civil] recevra de chaque partie, l'une après l'autre, la déclaration qu'elles veulent se prendre pour mari et femme : il prononcera, au nom de la loi, qu'elles sont unies par le mariage, et il en dressera acte sur-le-champ18 ».

 Mais la religion chrétienne n'est pas la seule à inclure cette preuve d'engagement dans le rite du mariage. Dans la loi islamique, il est également stipulé que l'homme et la femme doivent consentir au nikâh ('mariage').

Dans le cas d'une jeune fille vierge, le silence vaut consentement au moment de l'union, mais doit être clairement exprimé au préalable (il ne peut être suggéré ou sous-entendu). Lors de la célébration du mariage, il est uniquement exprimé par le wali (tuteur) de la jeune femme. C'est d'ailleurs ce que souligne ce hadith19 :

`A’icha (qu’Allah soit satisfait d’elle) a dit : Je demandai à l’Envoyé d’Allah (pbAsl) si les vierges doivent être consultées par leurs parents au sujet de leur mariage. "Oui", répondit le Prophète. - "Mais, répliquai-je, si l’on demande son consentement à la vierge, elle aura honte et gardera le silence." - "Eh bien, reprit-il, son silence sera un consentement"20

                                                                                                               17  Disponible  sur  :  http://www.mariage-­‐idf.fr/livret/echange_de_consentements.doc  (21/03/2011).  18  Article  75  du  Code  Civil.  19  Les  hadiths  ('conversations'  en  arabe)  sont  «  issus  des  traditions  orales  fondées  sur  les  sentences  et  les  prescriptions   à   la   communauté,   les   observations   et   les   jugements   sur   les   situations   rencontrées,   la  manière  d'accomplir  les  devoirs  religieux  de  Mohammad  »  in  LEVY  ISABELLE,  Pour  comprendre  les  pratiques  religieuses  des  juifs,  des  chrétiens  et  des  musulmans,  Pocket,  Spiritualité,  2010,  p.  70.  20  SAHIH  MUSLIM  2544.  Disponible  sur  :  http://www.portail-­‐religion.com/islam/le-­‐mariage-­‐musulman.html  (21/03/2011).  

  11  

La jeune femme vierge a la possibilité de ne pas assister à son propre mariage : elle peut être représentée uniquement par son wali, qui agira selon sa volonté.

Dans le cas d'une femme divorcée, ou veuve, la présence du wali n'est pas obligatoire : elle formulera alors seule le consentement, qui demeure une condition sine qua non.

 

 

1.2. LES MAINS : FIGURATION DE L'ENGAGEMENT

Tout comme la parole, la main se fait expression de la volonté : là où l'esprit est lié à l'idée, la main symbolise l'action, la réalisation. Elle est également une représentation de l'humanité des personnes. Mais bien au-delà de cela, et nous le verrons, elle est l'expression par excellence du serment. Aujourd'hui encore, les mains demeurent un symbole central du mariage. Ne dit-on pas d'un jeune homme qu'il a demandé la main de sa future épouse ?

Il est donc légitime de se demander ce qui fait de la main un tel symbole de l'engagement, et surtout de l'engagement moral. Comment, de par leur position, parviennent-elles à montrer l'engagement des époux l'un envers l'autre ? D'où cette tradition des mains jointes vient-elle ? Comment est-elle perceptible aujourd'hui encore, à travers les différentes cultures ?

1.2.1. La symbolique de la main

La symbolique de la main remonte à des périodes pré-antiques. En effet, le symbole que nous connaissons actuellement sous le nom de 'main de Fatma21', remonte à des temps bien plus anciens. La Khamsa (ou Hamsa), puisque c'est le véritable nom de la 'main de Fatma', est en fait l'attribut de la déesse phénicienne, Tanit, déesse symbolisant la fertilité, la croissance et les naissances. Dans ces périodes anciennes déjà, la main était donc liée à la fertilité, la croissance et la naissance, des conséquences du mariage. Si cet objet n'est plus aujourd'hui qu'un simple porte-bonheur, il avait alors un sens profond, qui montre bien la force significative qui était attribué à la main.

Mais cette signification est plus forte encore chez les Romains, qui attribuait à la main un pouvoir bien plus grand : le pouvoir de faire le serment. Le peuple romain était un peuple très religieux, comme le souligne Marcel Le Glay, en reprenant des paroles de Georges Dumézil :

On peut affirmer, en nuançant un propos de Georges Dumézil, qu' "en un certain sens, tout le droit, tout acte de droit, avec ou

                                                                                                               21   La   'main   de   Fatma'   est   aujourd'hui   un   porte-­‐bonheur   répandu   dans   l'Afrique   du   Nord   et   le   Moyen-­‐Orient.   Il  n'est  pas   lié  à  une  religion  en  particulier.  Cette  amulette  représente  une  main,   tournée  paume  vers  le  haut,  au  centre  de  laquelle  on  trouve  un  œil  ouvert.    

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sans serment, tout contrat, tout engagement sont sous la garantie" des dieux22 .

Cette dimension est en effet avérée depuis la période romaine elle-même. Comme nous le révèle Servius, à de nombreuses parties du corps sont attachées des dieux et déesses : le corps prend donc une dimension religieuse à travers le genou (Misericordia), l'oreille (Memoria) ou encore le front (Genius),…sans oublier la main droite. Pline l'ancien nous dit d'ailleurs : « Inest est aliis partibus quaedam religio : sicut dextra osculis aversa appetitur, in fide porrigitur23. » La main est en effet le siège d'une divinité, la divinité du serment : Fides.

Fides était omniprésente dans les contrats, dans les serments : Pierre Boyancé, reprenant l'idée de Bayet, définit la fides comme la « notion d'obligation juridique réciproque24 ». C'est cela même qu'évoque Tite-Live, « dextrae dextras iungentes fidem obstrinximus25 » : le contrat se fait par la jonction des mains, le serment se réalise par un geste de la main.

Bien que la divinité ait depuis longtemps disparu, on remarque d'ailleurs que cet emploi de la main droite s'est poursuivi jusqu'à aujourd'hui : on se sert de la main droite pour se saluer, on l'utilise également pour sceller un contrat, conclure un marché.

Pourquoi donner un tel sens à la main ? Il semblerait que chez les Phéniciens, comme chez les Romains, la main ait été un moyen de symboliser la force d'un individu. Mais, et en particulier pour les Romains, la main apparaît avant tout comme le symbole de la confiance que l'on peut apporter à un individu : c'est ce qui fait que l'on peut compter sur cette personne.

Dans la Bible, et dans la chrétienté, la main a un sens particulier. Pendant des siècles, d'ailleurs, les représentations de Dieu se sont concentrées sur ses mains. Dans la chapelle Sixtine, elle donne vie au premier homme.

                                                                                                                 22  La  Aeiaxric  dans   les  mystères  de  Mithra,   in  Études  Mithriaques,  Acta   Iranica,  Liège,  1978,  p.  282,  citant  GEORGES  DUMEZIL,  Idées  Romaines,  Paris,  1969,  p.  43.  23  «  D'autres  parties  sont  aussi  l'objet  d'idées  religieuses  :  on  baise  le  dos  de  la  main  droite,  on  étend  cette  main  pour  engager  sa  foi.  »  in  :  Histoire  naturelle,  livre  XI,  CIII.  24  Histoire  politique  et  psychologique  de  la  religion  romaine,  Paris,  1957,  p.  59,  in  BOYANCE  PIERRE,  Études  sur  la  religion  romaine,  École  française  de  Rome,  Rome,  1972,  p.  94.  25  «  En   joignant   la  main  droite  à   la  main  droite,  nous  avons  noué  la   fides  »   in,  Ab  Urbe  Condita,  XXIII,   IX,  disponible  sur  :  http://neptune.fltr.ucl.ac.be/bcs/tite-­‐live/ligne05.php?numligne=675&mot=a#debut  (10/04/11)  

  13  

 On retrouve le mot main près de 1 500 fois dans la Bible, et certains passages témoignent de l'action des mains de Dieu : « La main du Seigneur qui avait été sur moi le soir précédent la venue du rescapé, m’ouvrit la bouche au moment où il arriva vers moi. Ma bouche s’ouvrit et je ne fus plus muet26.» Enfin, dans la sphère chrétienne les références à la main sont nombreuses ; elle est toujours symbole de puissance et de bienfait : l'imposition des mains en est un bon exemple. Les mains se font intermédiaire entre Dieu et le malade, comme c'est écrit dans les actes des apôtres :

Et Dieu faisait des miracles extraordinaires par les mains de Paul, au point qu’on appliquait sur les malades des linges ou des mouchoirs qui avaient touché son corps, et les maladies les quittaient, et les esprits malins sortaient27.

La main recouvre finalement un certain nombre de réalités : c'est un symbole qui exprime la fides, c'est-à-dire qui réalise un contrat ; elle exprime également la puissance, l'action, quand l'esprit est passif. Finalement, on peut la considérer comme un moyen de concrétiser, d'actualiser, l'engagement moral que les personnes prennent.

Alors comment les mains se comportent-elles dans le mariage ? Comment signifient-elles l'engagement moral qui se produit entre les époux au moment du mariage ?

C'est ce que nous allons nous attacher à observer à présent.

1.2.2. La main dans l'histoire du mariage

Il semblerait que cette tradition soit un héritage de la Grèce antique. Nous parlions précédemment d'un des rituels du mariage grec, l'engyé. Le nom lui-même est particulièrement révélateur, puisqu'il signifie littéralement 'la paume de la main'. Au cours de cette cérémonie, le père de la mariée met la main de sa fille dans les mains de son futur mari. Cela symbolise d'une part le geste de dation du père : il remet sa fille 'entre les mains' de son mari, il la place sous son autorité ; mais cela symbolise également l'union qui a été réalisée par les consentements (que nous évoquions plus haut) et qui se concrétise par ce geste.

Dans la Rome antique, la cérémonie de jonction des mains prend une place encore plus importante. Lors de la cérémonie du mariage, la pronuba, une femme mariée une seule fois et dont le mari est encore vivant, joignait les mains droites des deux époux. Ce geste d'union avait vocation à prouver leur consentement au mariage leur « promesse de ne faire désormais qu'un28.», et donc l'engagement qu'il prenait l'un envers l'autre. Il semblerait, à la lecture de certaines pièces de Térence, que ce geste pouvait même suffire pour marier deux jeunes gens. En effet, dans sa pièce L'Andrienne, l'auteur présente une femme mourant, et exécutant ce geste de dextrarum junctio, en prononçant ces paroles :

                                                                                                               26  Ezéchiel,  33,  22.  27  19  :  11-­‐12.  28  SALLES  C.,  op.  cit.,  in  MELCHIOR-­‐BONNET  S.  ET  SALLES  C.,  op.  cit.,  p.  128.  

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Aussi par ta main droite, par ton génie, par la foi jurée, par son isolement, je te conjure de ne pas te séparer d'elle et de ne point l'abandonner. S'il est vrai que je t'ai chéri à l'égal d'un véritable frère, si elle t'a toujours placé seul dans son cœur au-dessus de tout, Si elle s'est montrée pour toi complaisante en toutes choses, je te donne à elle pour mari, pour ami, pour tuteur et pour père. Je te laisse tous les biens que nous possédons et les confie à ta loyauté29.

Par la simple dextrarum junctio, c'est à dire simplement en joignant les mains de sa fille et de Pamphile, cette femme les marie l'un à l'autre.

Le sens symbolique est particulièrement fort : comme nous l'avons vu, pour les Romains, la main droite représente la divinité Fides, qui fait le contrat. En unissant les mains des deux époux, on marque leur engagement dans cette « obligation juridique réciproque30 » qu'est le mariage, ils s'engagent l'un envers l'autre. On remarque également que pour l'héroïne de Térence il s'agit également de remettre la jeune fille sous l'autorité de son mari : « pour mari, pour ami, pour tuteur et pour père. »

La dextrarum junctio a été très souvent représentée, comme nous le voyons ici, sur le bas-relief d'un sarcophage (IIe siècle) : la pronuba entoure les deux époux, qui se tiennent la main droite. Les alliances de mariage elles-mêmes, étaient parfois ornées de deux mains jointes, ce qui montre l'importance symbolique de la dextrarum junctio pour les Romains.

Cette tradition s'est transmise aux premiers chrétiens, et la cérémonie de dextrarum junctio fait donc partie de leurs mariages.

On la retrouve également plus tard, entre le XIIe et le XIVe siècle dans le mariage chrétien. Le prêtre a pris la place de la pronuba romaine, et du père grec ; il joint les mains droites des deux époux. Jusqu'au XIVe/XVe siècle, ce geste conserve cette double signification : non seulement il montre que la jeune fille sort de la sphère d'autorité de son père, et pénètre celle de son mari, mais également qu'on la lie à son mari.

Entre le XIVe et le XVe siècles, le symbole change de sens, progressivement, pour n'en conserver qu'un, conformément à l'évolution des mentalités qui se produit à l'époque : « Il signifie […] l'engagement réciproque des époux, leur donation mutuelle31 » comme nous le dit Philippe Ariès.

Ainsi, dans l'Église apostolique arménienne, dont le rituel de mariage est proche de l'Église orthodoxe, cette jonction des mains existe également au moment du mariage. Alors qu'il joint les mains des deux époux, le prêtre dit :

Dieu prit la main d'Ève, la mit dans la main droite d'Adam et Adam dit : Voici maintenant l'os de mes os et la chair de ma

                                                                                                               29  Vers  289  à  291,  in  ibid.  in  ibid.,  p.  129.  (Nous  soulignons).  30    BAYET  J.,  op.  cit.,  p.  59,  in    BOYANCE  PIERRE,  op.  cit.,  p.  94.  31  Le  mariage  indissoluble,  in  Communications,  35,  1982,  p.  134-­‐135.  

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chair. Elle sera appelée femme parce que c'est de son mari qu'elle a été prise32.

À la fin du Moyen-âge, en Écosse et dans le nord de l'Angleterre, la main était également au centre de la cérémonie du mariage. En effet, au terme de la cérémonie de Beweddung, durant laquelle les époux échangeaient leurs consentements, et s'accordaient sur les termes du contrat de mariage, ils échangeaient une poignée de main, comme pour chaque contrat. Comme nous le dit Anton :

This joining of hands was called a handfæstung in Anglo-Saxon, and the same word is found in different forms in the German, Swedish and Danish languages. In each it means a pledge by the giving of the hand33.

Progressivement le terme handfasting, devient plus spécifique : il n'est plus utilisé pour décrire la poignée de main qui clôt n'importe quel contrat, mais uniquement dans le cadre du mariage. Le symbole devient tellement important que le mot betrothal, utilisé pour nommer cette cérémonie jusqu'alors, est remplacé par le terme handfasting. Et le symbole change peu à peu de nature : il ne s'agit plus d'une poignée de mains, mais de lier les mains l'une à l'autre, avec un foulard, un ruban, …

Cette cérémonie est encore utilisée dans des mariages 'néo païens'.

                                                                                                               32  Le  mystère  du  mariage  dans  l'Église  d'Arménie.  Disponible  sur  :    http://www.eglise-­‐armenienne.com/Liturgie/Sacrements/Sacrement_mariage.pdf  (13/04/11)  .  33  Handfasting'  in  Scotland  in,  The  Scottish  Historical  Review  37,  n.  124,  octobre  1958,  p.  89-­‐102,  in  KROSSA  SHARON,  Historical  Handfasting.  Disponible  sur  :  http://www.medievalscotland.org/history/handfasting.shtml  .  

 16  

1.3. LES DIEUX DANS LE MARIAGE

Pendant des millénaires le mariage était avant tout religieux. Comme nous le verrons, les mariages grecs ou romains de l'Antiquité étaient peuplés de divinités. Aujourd'hui encore les dieux président au mariage : c'est le cas du mariage juif, du mariage chrétien.

Néanmoins, en France, depuis la loi du 20 septembre 1792, le mariage civil prime sur le mariage religieux. En effet, depuis que les registres d'état civil ont été transférés à l'État, on ne peut se marier religieusement sans être marié civilement, comme le stipule le code Pénal :

Tout ministre d'un culte qui procédera, de manière habituelle, aux cérémonies religieuses de mariage sans que ne lui ait été justifié l'acte de mariage préalablement reçu par les officiers de l'état civil sera puni de six mois d'emprisonnement et de 7500 euros d'amende34.

Le mariage religieux devient aujourd'hui de plus en plus rare, voire marginal, comme on le voit sur le graphique suivant35, qui met en parallèle le nombre de mariages civils et le nombre de mariages chrétiens entre 1990 et 2009. Ainsi, en France, alors que 51,3 % des mariages étaient célébrés à l'Église en 1990, il n'y en avait plus que 30,8 % en 2009.

Et pourtant la présence divine donne un sens au mariage : il donne à l'engagement une dimension supplémentaire, comme nous allons nous attacher à le démontrer à présent.

                                                                                                               34  Article  433-­‐21.  35  Graphique,  et  calculs,  réalisés  à  partir  des  "Statistiques  de  l'Eglise  catholique  en  France",  disponibles  sur  http://www.eglise.catholique.fr/ressources-­‐annuaires/guide-­‐de-­‐l-­‐eglise/statistiques-­‐de-­‐l-­‐eglise/statistiques-­‐de-­‐l-­‐eglise-­‐catholique-­‐en-­‐france-­‐guide-­‐2011.html  (13/04/11)  

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50000  

100000  

150000  

200000  

250000  

300000  

350000  

1985   1990   1995   2000   2005   2010  

Évolution  du  nombre  de  mariages,  civils  et  religieux  

Nombre  de  mariage  civils  

Nombre  de  mariages  chré9ens  

  17  

1.3.1. La présence des dieux dans le mariage : la symbolique d'un engagement plus

fort

Si la présence des dieux dans le mariage, lui confère une solennité supplémentaire et rend l'engagement plus fort, c'est tout d'abord du fait même de la religion. Mais également parce qu'en s'unissant devant Dieu, les hommes ont l'occasion de le faire juge de leur amour, et ils ont la possibilité d'obtenir son accord, et son soutien pour cette union : tout cela ne prend du sens, que si les futurs époux sont croyants, c'est-à-dire s'ils ressentent un "sentiment religieux".

Le mot religion a une double étymologie : tout d'abord le verbe latin religare, qui signifie littéralement "lier", c'est du moins ce que pense Lactance, mais pourrait également provenir (selon Cicéron) du verbe relegere, "relire".

Pour Cicéron, la religion doit être opposée à la superstition, comme il l'explique dans son ouvrage De Natura Deorum :

Ceux qui, des journées entières, adressaient des prières aux dieux et leur immolaient des victimes pour que leurs enfants leur survécussent (superstites essent) on les a qualifiés de superstitieux (superstitiosi) […]. Ceux qui en revanche s’appliquaient avec diligence au culte des dieux, en le reprenant et en le relisant, méritaient le qualificatif de religieux qui vient de relire (religiosi ex relegendo) comme élégant d'élire (elegantes ex eligando), diligent d’être zélé (ex diligendo diligentes), intelligent d'entendre (ex intelligendo intelligentes). On retrouve dans tous ces mots l'idée d'un legendi comme dans religieux36.

Pour Lactance, qui écrit au moment où la religiosité change de nature, avec l'avènement du christianisme, la religion est donc un lien particulier entre dieu et le croyant. Comme le dit Pierre Gisel en interprétant l'étymologie de Lactance :

Dans l'Antiquité tardive, la nouvelle forme du religieux dont participe le christianisme est donc centrée sur l'humain, l'individu ou la personne, et le divin lui est directement rapporté ; réciproquement d'ailleurs : l'humain est polarisé par le divin37.

Par ces deux notions, on trouve l'importance des dieux dans la vie humaine : le dieu est celui à qui on célèbre des cultes dans l'Antiquité tardive, et comme nous le verrons, le mariage est organisé à cette époque comme une célébration aux dieux ; mais le dieu est également lié à l'homme, intimement, comme c'est le cas dans la religion chrétienne. « L'humain est polarisé par le divin38» nous dit Pierre Gisel et s'il est croyant sa vie, ses décisions, ses choix, et donc l'engagement qu'il prend au moment de son mariage, sont également polarisés par le divin.

                                                                                                               36  2,  28,  71  (nous  soulignons).  37  Qu'est  qu'une  religion  ?,  Vrin,  Chemins  philosophiques,  Paris,  2007,  p.  54-­‐57.  38  Ibid.  

 18  

Dire que l'humain est polarisé par le divin, c'est donc dire qu'il existe en l'homme un sentiment religieux. Et pour définir ce sentiment religieux, prenons une expression du célèbre sociologue, Emile Durkheim : « Quand l'homme vit de la vie religieuse, il croit participer a une force qui le domine, mais qui, en me me temps, le soutient et l'e! le" ve au-dessus de lui-même39.»

C'est ce qu'est le sentiment religieux, sentiment d'être à la fois dominé et soutenu, et c'est cette double dimension qui rend l'engagement encore plus profond dans le mariage religieux. Les époux, par la présence de Dieu lors de leur union, comptent non seulement sur son aval, mais également sur son soutien pour pérenniser cette relation, sur son aide pour demeurer fidèles à l'engagement qu'ils prennent l'un envers l'autre. Sans oublier une dernière dimension du sentiment religieux, le caractère numineux40 de la religion : face au mystère, s'exprime d'une part une fascination mais aussi une peur. Une peur qui va s'exprimer dans certains rites du mariage.

Dans la Bible, comme dans le Coran, ou la Torah, et même dans les religions antiques, les dieux codifiaient les rapports entre hommes et femmes : en matière de statut par exemple, ou encore en matière de sexualité, et bien sûr en ce qui concerne le mariage, le divorce, etc. Comment alors, un croyant pourrait-il suivre ces préceptes de la vie à deux sans se marier devant son Dieu, sans obtenir son accord, son soutien ? Conformément à cette idée, on peut lire dans le code du droit canon : « entre baptisés, il ne peut exister de contrat matrimonial valide qui ne soit, par le fait même, un sacrement41.»

Grâce à la religion, le mariage ne demeure pas dans sa seule dimension horizontale (une union entre deux personnes ici-bas) mais il acquiert une verticalité : le lien qui est créé horizontalement est accepté, soutenu, par Dieu. Le mariage est donc une double union, quand il est célébré devant Dieu : de l'union horizontale des hommes, naît un lien vertical entre le couple et Dieu.

1.3.2. L'histoire des dieux dans le mariage

Dans la Grèce antique, les dieux ne sont pas au centre du mariage lui-même (gamos), mais ils sont présents durant les cérémonies préliminaires (proteleia). Les Grecs étaient persuadés que le mariage provoquait des ruptures, qui pourraient provoquer des souillures et donc engendrer la colère divine. La jeune fille devait donc faire de multiples sacrifices à de nombreux dieux pour passer du statut de jeune fille à celui de femme, sans provoquer la colère des dieux. On perçoit ici le caractère numineux du sentiment religieux : la peur du divin et de la colère des dieux, poussent les Grecs à les honorer, pour obtenir leur assentiment.

La jeune fille va donc faire des sacrifices aux divinités vierges : elle leur remet les jouets

                                                                                                               39  L'avenir  de  la  religion,  in  Le  sentiment  religieux  à  l'heure  actuelle,  Vrin,  1914,  p.  97-­‐105.  40   Le   terme  est   utilisé  pour   la  première   fois   par  Rudolf  Otto   (dans   son  ouvrage  Le   Sacré).   Il   propose   le  terme  numineux  pour  «  qualifier  cette  catégorie  spécifique,  manifestant  la  sphère  au-­‐delà  de  l'éthique  et  du  rationnel,  et  qui  se  présente  sous  le  double  aspect  de  mystère  effrayant  et  fascinant  »    (Disponible  sur  :  http://fr.wikipedia.org/wiki/Numineux)  41  Canon  1055.  Disponible  sur  :  http://www.vatican.va/archive/FRA0037/_INDEX.HTM  .  

  19  

de son enfance, une mèche de ses cheveux et sa ceinture. Les rites diffèrent selon les cités : les Athéniennes sacrifient leur ceinture à Athéna, à Trézène les jeunes filles consacrent leur mèche de cheveux à Hippolyte, le héros vierge. C'est le premier rite de rupture, la jeune femme se sépare de sa vie d'enfant, et entre dans le monde adulte.

Puis elle fait des sacrifices aux divinités protectrices du mariage : Héra Teleia, la protectrice des femmes mariées et Zeus Teleios. Enfin, elle honore Aphrodite, la déesse qui règne sur la sexualité, la passion…

Durant le mariage lui-même, les dieux semblent oubliés. Ils ont accepté le passage de la jeune fille de l'enfance à l'âge adulte et ne réapparaissent qu'après le mariage, quand la jeune fille est introduite dans l'oikoi de son époux. Elle y est présentée aux dieux de la maison, devant l'autel familial (au cours du rite d'accueil, le katachysmata).

À Rome, la journée du mariage est placée sous le patronage de Juno Pronuba : comme son nom l'indique, elle est chargée de présider au mariage.

Dans la Rome archaïque, d'autres dieux sont présents, comme Tellus (Terre), Cérès (Croissance) et les esprits Pilumnus et Picummus (protecteurs de la mariée et de la femme qui accouche). Mais finalement, ne demeurent que Junon, Jupiter, Vénus, Fides, et Diane42.

Les dieux sont présents avant la célébration du mariage. En effet, dans la Rome archaïque, on procédait à des sacrifices aux dieux : un sacrifice43 leur était offert et des prêtres étaient chargés d'inspecter les entrailles des victimes pour y lire le futur. Peu à peu cette pratique sanglante est remplacée par une simple invocation aux dieux, accompagnée d'offrandes (du lait et du vin miellé, symbolisant la douceur et la fécondité). Il s'agit par cette pratique d'obtenir l'accord des dieux sur cette union, de vérifier que la date était bien choisie. D'après les Romains, le mariage était mal perçu par les dieux, qui y voyaient une rupture avec l'ordre naturel ; ils craignaient des représailles (c'est le caractère numineux dont nous parlions précédemment) et avaient donc besoin d'un accord, d'un assentiment.

Comme nous l'avons vu dans la partie précédente, au moment de la dextrarum junctio, qui suivait ces sacrifices, c'était la divinité Fides qui était invoquée. Puis, dans certains types de mariage, les deux époux offraient à Jupiter un gâteau d'épeautre (far) : on les dit alors unis « par l'eau et par le feu, par le blé et la farine sacrée44 ».

Enfin, quand elle est dans la chambre nuptiale, la jeune fille adresse des prières à diverses divinités, destinées à faciliter le premier rapport sexuel des deux époux : c'est Juganitus qui préside à l'union conjugale, puis elle invoque successivement Domidicus ('celui qui conduit à la maison'), Domitius ('celui qui est dans la maison'), Manturna ('qui reste à la maison'), Virginensis ('qui dénoue la ceinture'), Subigus ('se placer dessous'), Prema ('ne pas bouger'), Pertunda ('pour percer'), ou encore Vénus et Priape…45

Les dieux sont donc présents à toutes les étapes du mariage romain : ils sont présents d'une part pour accepter l'union, et d'autre part pour faciliter la réalisation des différentes

                                                                                                               42   En   l'occurrence   il   ne   s'agit   pas   de   Diane   la   chasseresse,   mais   de   la   divinité   de   la   femme   et   des  accouchements.  43  Le  plus  souvent,  un  cochon  était  sacrifié.  44  SALLES  C.,  op.  cit.,  in  MELCHIOR-­‐BONNET  S.  ET  SALLES  C.,  op.  cit.,  p.  129.  45  On  trouve  cette  énumération  dans  l'œuvre  de  SAINT  AUGUSTIN,  La  Cité  de  Dieu,  VI,  9.    

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étapes. Leur présence est une condition sine qua non à la réalisation du mariage : non seulement ils témoignent de l'engagement des époux, mais ils permettent et autorisent l'union.

Le mariage des premiers chrétiens ressemble, sous certains aspects, au mariage romain. En l'occurrence, toutes les prières et les sacrifices adressés aux dieux romains sont remplacés par des prières chrétiennes.

Parallèlement, le mariage juif, tel qu'il est décrit dans les évangiles, acquiert une dimension profondément religieuse. Son nom change d'ailleurs pour devenir le qiddusin, terme qui signifie littéralement, 'sanctification'. Par rapport à l'ancien testament, le changement est énorme : on passe d'un contrat purement juridique à une union à caractère sacré.

En ce qui concerne le mariage chrétien, il obtient officiellement sa dimension sacramentelle en 1215, et requiert la présence d'un prêtre depuis le concile de Trente (1536). Depuis, c'est bel et bien Dieu qui fait le mariage pour les chrétiens. Il est omniprésent dans le mariage chrétien, et les époux n'hésitent pas à échanger devant lui le "baiser de paix".

En effet, en signe d'amour et de paix, les époux échangeaient un baiser au moment de la communion. Un théologien analyse ce geste au XIII° siècle : « l'époux fait à sa femme, en présence du corps du Seigneur, la promesse de l'aimer46 ». On comprend bien que le sens de ce geste est décuplé par la présence du corps du Seigneur au moment de l'eucharistie. À la communion, c'est en effet Jésus qui est présent, et c'est devant lui que le couple échange cette marque d'amour : l'engagement se fait donc littéralement sous les yeux de Dieu, devant lui.

La présence de Dieu est clairement signifiée durant le mariage dans l'Église apostolique arménienne. En effet, juste avant de procéder à l'union des mains, le prêtre rappelle ceci : « Témoin de cette parole est Dieu, présent de manière invisible au-dessus de ce saint autel. Aussi, nos anges gardiens, cette sainte église, cette sainte Croix et ce saint Évangile, l'ordre des prêtres et le peuple présent47 ». Ainsi, Dieu est présent au moment de l'échange des consentements, plus que présent, il est "témoin". Ainsi Dieu constate l'union, c'est le premier rôle du témoin, mais il l'accepte, la valide et la garantie, comme les témoins du mariage.

Mais plus que ça, car dans le mariage chrétien, la seule phrase « Ce que Dieu a uni, que l'homme ne les sépare pas48 », nous montre le dernier rôle de Dieu, et surtout la raison pour laquelle l'engagement pris est beaucoup plus profond. Tout d'abord, on comprend que c'est Dieu qui "fait" le mariage, il n'est pas qu'un simple témoin, il est un acteur. De plus l'engagement ne peut être, ne doit pas être brisé par les hommes : il n'est pas humain, il n'est pas civil, il est divin, et c'est ce qui donne à l'engagement sa dimension indissoluble.

                                                                                                               46  LA  RONCIERE  (DE)  CHARLES  M.,  Rites  et  idéaux  chrétiens  face  aux  pratiques  séculaires,  in  MELCHIOR-­‐BONNET  S.  ET  SALLES  C.,  op.  cit.,  p.  291.  47  Le  mystère  du  mariage  dans  l'Église  d'Arménie,  art.  cit.  48  Évangile  de  Matthieu,  19,  3-­‐6.  

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Il est important de dire que dans certaines religions (par exemple l'islam), la présence d'un représentant de Dieu n'est pas obligatoire pour la célébration du mariage. Ainsi, il n'est pas nécessaire pour des musulmans de célébrer leur mariage devant un Imam : ils sont quand même mariés devant Dieu.

2. UN ENGAGEMENT PHYSIQUE

A présent, nous allons nous concentrer sur une seconde dimension du mariage, sur l'engagement physique que prennent les deux époux : ils doivent se donner l'un à l'autre, entièrement et sans retenue. Cet engagement physique, inhérent au mariage, est rappelé dans la Bible, « l'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à sa femme et ils deviendront une seule chair49 » ; cette parole sera rappelée par Léon XIII, dans une encyclique sur le mariage : « Des deux il se forme comme une seule chair, et le lien nuptial est, de par la volonté de Dieu, si intimement et si fortement noué, qu'il n'est au pouvoir de personne de le délier ou de le rompre50. »

Comment cette réunion des époux en une seule chair se réalise-t-elle ? Comment l'engagement physique est-il symbolisé dans la cérémonie du mariage ? C'est que nous allons voir à travers trois grands symboles du mariage : le voile tout d'abord, puis l'anneau et enfin les moments de partage d'actions, de mets,…qui existent au cours de la cérémonie.

2.1. LE VOILE NUPTIAL

Aujourd'hui le voile est bien entendu un symbole important du mariage, en particulier du mariage chrétien. Et déjà chez les Romains, le voile était un symbole fondamental : le verbe nubere, qui signifie littéralement 'voiler' était un synonyme de se marier pour les jeunes filles romaines. Mais le voile est aujourd'hui présent dans bien d'autres contextes : "prendre le voile", c'est également entrer dans les ordres ; sans oublier le voile islamique, qui a tant défrayé la chronique. Serait-il possible que tous ces voiles aient une origine commune ?

Plus que possible, c'est envisageable, comme nous le verrons dans notre première sous-partie, qui se concentrera sur les origines de ce symbole et sur son sens. Nous nous attarderons ensuite sur la présence du voile dans les mariages à travers le temps et l'espace.

                                                                                                               49  Genèse,  2,  24.  50  Arcanum  Divinae.  Disponible  sur  :    http://www.vatican.va/holy_father/leo_xiii/encyclicals/documents/hf_l-­‐xiii_enc_10021880_arcanum_fr.html  (20/04/11).  

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2.1.1. Le symbole de l'oblation

Le voile a toute une histoire très éloignée du mariage et de ses symboles, mais c'est finalement cette histoire qui va expliquer le sens du voile dans le mariage, comme nous allons le voir à présent.

On le rencontre tout d'abord dans l'Énéide de Virgile. En effet, voilà ce que le bon devin, Helenus, dit à Énée :

Drapé dans un tissu de pourpre, tu te voileras la chevelure De peur que, entre les feux sacrés allumés en l'honneur des dieux, N'apparaisse une face ennemie qui vienne troubler les présages. Que tes compagnons retiennent ces rites sacrés ; et toi aussi, retiens-les, Et que tes fils perpétuent fidèlement cette pratique religieuse.51

C'est par cette anecdote, considérée historique par le peuple romain, que s'explique une habitude de leur vie quotidienne : en effet, les hommes se voilaient la tête au moment de faire des sacrifices aux dieux, et toutes les divinités (à l'exception de Saturne, Hercule et l'Honneur) étaient adorées la tête couverte52.

Plutarque tente de donner des explications à cet usage, qu'il ne comprend pas. Il mentionne bien entendu l'épisode de l'Énéide sus-cité, mais il propose trois autres explications :

1° on adore les dieux la te te couverte, par humilite! ; 2° on agit ainsi pour ne pas entendre, pendant la prie" re, des paroles de mauvais augure; 3° on veut signifier que l'a# me qui adore les dieux en dedans de nous est couverte et comme cachée par le corps53.

Comme le démontre Salomon Reinach, l'auteur latin se trompe. Tout d'abord parce que cet usage n'est pas d'origine latine. On trouve en effet des exemples de voilement de la tête chez les Grecs. Par exemple, l'auteur Pausanias, mentionnant le culte rendu à un dieu, écrit : « Sosipolis est adoré dans la partie intérieure ; personne ne peut y entrer que la femme qui le sert ; alors elle se couvre la tête et le visage d'un voile blanc54.»

   

                                                                                                               51  III,  v.  405-­‐  409.  (Nous  soulignons).  52  REINACH  SALOMON,  Le  voile  de  l'oblation,  in  :  Compte  rendu  des  séances  de  l'académie  des  inscriptions  et  des  belles  lettres,  41e  année,  N.  6,  1897,  p.  646.  53  Ibid.,  p.  647.  54  Periegesis,  VI,  XX,  3.  Disponible  sur  http://remacle.org/bloodwolf/erudits/pausanias/elide2.htm#XX  (19/04/11).  Nous  soulignons.  

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On retrouve un autre témoignage de voilement, sur un vase en marbre retrouvé à Rome. Il représente une scène d'initiation aux mystères de Demeter55 et Kora56. Comme on le voit sur la photographie, l'initié est assis sur un siège, la tête entièrement voilée, alors qu'une prêtresse se tient derrière lui.

Salomon Reinach constate que « le voilement complet de la tête est bien là un rite religieux, et n'admet par d'autres interprétations57.» Il en voit l'origine dans un passé plus reculé de l'Italie, qui repousse la deuxième hypothèse de Plutarque. En effet, l'auteur grec Festus, relate l'épisode suivant :

Les Italiens, lorsqu'ils étaient pressés par de grands périls, promettaient aux dieux d'immoler tous les êtres vivants qui naîtraient parmi eux au printemps. Mais, comme il parut cruel de tuer des petits garçons et des fillettes innocentes, on les laissait parvenir à l'âge adulte, puis on les couvrait d'un voile et on les chassait du territoire58.

Il ne s'agit donc pas d'éviter des paroles de mauvais augure, Plutarque a donc tort.

« Les enfants ne sont plus sacrifiés, mais consacrés aux dieux. L'imposition du voile est une rite essentiel de cette consécration59» en conclue Reinach.

Le voile semble donc être un symbole de consécration : en se couvrant avec le voile, l'homme accepte de se donner à Dieu, d'où le fait que Reinach l'appelle le voile de

                                                                                                               55  Déesse  grecque  de  l'agriculture  et  des  moissons.  56  Autre  nom  de  Perséphone,  femme  d'Hadès,  reine  des  enfers.  57  REINACH  SALOMON,  op.  cit.,  p.  648  (nous  soulignons).  58  Non  réf.,  in  ibid.,  p.  650.  59  Ibid.,  p.  650  (nous  soulignons).  

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"l'oblation60". Ainsi, chez les Romains, le voilement va devenir un symbole de devotio61. Cicéron mentionne ainsi la devotio des Decius :

Chez nos ancêtres, le respect des pratiques religieuses était tel que des chefs d'armée, la tête voilée et prononçant les formules rituelles, se sont offerts en sacrifice aux dieux immortels pour le bien de l'État62.

Remonter à une origine plus ancienne semble difficile. Les pistes sont, en effet, nombreuses : couvrait-on les victimes des sacrifices d'un voile avant de les consacrer aux dieux ? Ou bien le voile était-il simplement utilisé pour "mettre de côté" ce qui était consacré aux dieux ? On ne peut le savoir. Quelle que soit cette origine, le voile est devenu un emblème de la consécration religieuse, qu'il est resté jusqu'à aujourd'hui !

Comme nous le verrons, le voile apparaît dans le mariage à la période romaine. Seule la jeune fille est voilée, et cela parce que le mariage romain peut en fait être considéré comme le rite d'initiation au « culte domestique de son époux63». Cette idée est également présente dans l'œuvre de Fustel de Coulanges :

La famille antique, écrit-il, est une association religieuse plus encore qu’une association de nature. Aussi verrons-nous plus loin que la femme n’y sera vraiment comptée qu’autant que la cérémonie sacrée du mariage l’aura initiée au culte64

Finalement, le voile nuptial est donc un symbole d'oblation envers l'époux : tout comme la religieuse prend le voile pour se donner à l'époux Divin, la fiancée revêt le voile pour se donner à son mari.

Par le voile, signe visible de son intention de se donner à son époux, la fiancée montre qu'elle désire se consacrer à son mari, se donner entièrement à lui : le voile est donc un symbole, marqueur de l'engagement de l'épouse envers son mari, engagement qui se doit total, immuable et irréversible.

2.1.2. Le voile dans le mariage

Dans l'Antiquité, le voile est présent dans de nombreuses civilisations. On le trouve ainsi dans les mariages en Mésopotamie. Le mariage n'est pas très codifié dans cette région et le voile y apparaît comme le symbole révélateur de l'union. C'est le père du marié qui,                                                                                                                60   D'après   le   dictionnaire   de   l'Académie   Française,   l'oblation   est   "offrande,   action   par   laquelle   on   offre  quelque  chose  à  Dieu."  C'est  donc  par  extension,  "Ce  qu'on  offre  à  Dieu."  L'auteur  voit  ici  le  voile  comme  le  signe  de  l'oblation  de  l'homme  :  l'homme  s'offre  à  Dieu,  à  une  divinité  en  revêtant  le  voile.  61   La   devotio   est   "l'abandon   d'une   ou   plusieurs   vies   humaines   aux   dieux   infernaux   sans   sacrifice  proprement   dit",   comme   on   peut   le   lire   dans   Le   Dictionnaire   des   Antiquités   Grecques   et   Romaines   de  Daremberg  et  Saglio.  Une  devotio  pouvait  être   faite  pour  autrui  mais  aussi  pour  soi.  Dans  ce  second  cas,  l'homme  qui   se   livrait   au   dieu   se   voilait   la   tête,   comme   l'ont   fait   les   frères  Decius,   qui   ont   fait   les   plus  célèbres  devotio.        62  De  Natura  Deorum,  II,  3  (nous  soulignons).  63  REINACH  SALOMON,  op.  cit.,  p.  657.  64  La  cité  antique,  II,  1.  Disponible  sur  :  http://www.scribd.com/doc/8589529/Fustel-­‐de-­‐Coulanges-­‐La-­‐cite-­‐antique  (19/04/11),  p.  54.  

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après avoir oint d'huile la tête de sa future bru, place un voile sur sa tête. À partir du moment où elle est voilée, le mari devient le baal de son épouse, son seigneur.

Dans cette civilisation, comme dans de nombreuses à cette époque, les hommes étaient autorisés à avoir des concubines (appelées esirtu) ; si l'on peut considérer le voile comme un symbole central de l'union c'est parce que dès l'instant où un homme voilait, publiquement, une de ses concubines, elle devenait sa femme 'attitrée'. Les lois assyriennes sont très claires à ce propos :

Si un homme veut voiler son esirtu, il mandera cinq ou six de ses prochains et la voilera devant eux, disant "Elle est mon épouse." Elle sera alors son épouse. Une esirtu qui n'a pas été voilée devant les gens et dont le mari n'a pas dit : "Elle est mon épouse.", n'est pas une épouse mais toujours une esirtu65.

On retrouve ce procédé de voilement dans l'antiquité biblique. Dans l'Ancien Testament, au 29e chapitre de la Genèse, on peut lire :

Ainsi Jacob servit sept années pour Rachel : et elles furent à ses yeux comme quelques jours, parce qu'il l'aimait. Ensuite Jacob dit à Laban : Donne-moi ma femme, car mon temps est accompli : et j'irai vers elle. Laban réunit tous les gens du lieu, et fit un festin. Le soir, il prit Léa, sa fille, et l'amena vers Jacob, qui s'approcha d'elle. Et Laban donna pour servante à Léa, sa fille, Zilpa, sa servante. Le lendemain matin, voilà que c'était Léa. Alors Jacob dit à Laban : Qu'est-ce que tu m'as fait ? N'est-ce pas pour Rachel que j'ai servi chez toi ? Pourquoi m'as-tu trompé66 ?

Pour Odon Vallet, historien, cet épisode biblique montre que les femmes étaient voilées lors de leur mariage, ce qui explique que Jacob n'ait pas pu reconnaître Léa67. Et en effet, il semblerait que la coutume ait été d'emmener la mariée entièrement voilée, la nuit de son mariage, pour que le mariage soit consommé. On retrouve donc ce symbole de soumission complète au mari, symbole également d'engagement physique total (en particulier en voilant la mariée au moment de la consommation du mariage).

Saint Pierre, dans sa première épître aux Corinthiens, confirme ce sentiment :

L'homme ne doit pas se couvrir la tête, puisqu'il est l'image et la gloire de Dieu, tandis que la femme est la gloire de l'homme. En effet, l'homme n'a pas été tiré de la femme, mais la femme a été tirée de l'homme ; et l'homme n'a pas été créé à cause de la femme, mais la femme a été créée à cause de l'homme. C'est pourquoi la femme, à cause des anges, doit avoir sur la tête une marque de

                                                                                                               65  Lois  assyriennes,  §  41,   in  SALLES  C.,  Le  Mariage  dans   l'Antiquité,   in  MELCHIOR-­‐BONNET  S.  ET  SALLES  C.,  op.  cit.,  p.  31  (nous  soulignons).  66  29,  20-­‐25.  67  Comme  l'explique  l'auteur  dans  le  treizième  numéro  du  Monde  des  religions  :  «  Le  voile  pouvait  parfois  masquer   le   visage   comme   l'atteste   un   passage   biblique   (Genèse   29,   25)   :   en   croyant   épouser   la   belle  Rachel,  Jacob  se  trouve  marié  avec  Léa.  »    

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l'autorité dont elle dépend68.

La femme est voilée pour montrer sa soumission à son mari, et en voilant la mariée au moment de l'union physique, c'est bien l'idée d'un engagement physique total que l'on cherche à promouvoir.

On retrouve le voile sur la tête de la mariée grecque. Il est rouge à présent, comme toute sa tenue, symbolisant la joie et la fécondité.

Il garde une couleur peu ou prou similaire dans le mariage romain, où il est rouge-orangé, ou comme les Romains le disent, 'couleur d'aurore'. Cette couleur doit porter bonheur à la mariée. Le flammeum, tombe sur le haut du visage et le cache à moitié, comme on le voit ci-dessous

Sur le voile, on rajoute une couronne de fleurs, symbole profondément païen qui sera critiqué par Tertullien et conséquemment abandonné (provisoirement) par les chrétiens. La couronne de fleurs était un sacrifice aux dieux, pour lesquels les fleurs étaient une offrande. On apercevra quelques résurgences, fugaces, de ce symbole, qui prend le même sens oblatif                                                                                                                68  Chapitre  11,  verset  17  (nous  soulignons).  

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que le voile.

Le mariage chrétien a poursuivi cette tradition du voilement de la mariée, qui au bras de son père descend vers l'autel. On perçoit bien l'héritage, la transposition du rituel : le père remettra sa fille à son futur gendre, elle est voilée et donc sous l'autorité de ces deux hommes. Elle passe en fait de l'autorité de l'un à celle de l'autre. La soumission reste la même, l'engagement aussi.

Dans certains rites, néanmoins, les deux époux sont placés sous un voile. Comment expliquer cette différence dans le rituel ?

Parfois, le symbole semble conserver un sens similaire. Par exemple, au Moyen-âge, il arrivait que les deux époux soient placés ensemble sous un voile, dont la couleur variait selon les régions69, pour être bénis. Ce voile les recouvrait tous les deux, parfois uniquement les épaules de l'homme et la tête de la femme, ou intégralement. Il est fort possible que le voile serve alors à symboliser le fait que les deux époux s'engagent et se livrent l'un à l'autre, avec l'accord de Dieu, et en soumission au Seigneur.

Mais le symbole change parfois de sens : la houpa juive (ou dais) sous laquelle les époux sont également bénis, n'est pas un simple voile, il a vocation à représenter leur maison future, leur foyer.

Il est également possible que le voile ait alors vocation à cacher leur âme, telle une nouvelle enveloppe corporelle (et selon la troisième hypothèse de Plutarque). Le voile masque alors le moment crucial du mariage : il cache aux yeux de tous le moment où les âmes des deux époux se lient l'une à l'autre. Il ne se relève qu'une fois l'union de leurs âmes réalisée.

2.2. DE L'ANNEAU A L'ALLIANCE : SENS ET HISTOIRE DU SYMBOLE CLE DU MARIAGE

Le digitus annularis, le ring finger en anglais, gyűrűsujj en hongrois, l'annulaire en français,… Si le quatrième doigt de notre main tire son nom de l'anneau qu'il porte, voilà une preuve de la force et de l'importance du symbole dont nous allons parler à présent.

L'anneau semble avoir toujours existé, tant et si bien qu'il est difficile de dire avec précision quand il est apparu, et quel était le sens qu'on lui donnait à ce moment précis. Ainsi, on a retrouvé des anneaux taillés dans la roche, datant du néolithique, dans la vallée du Draa (Sahara occidental). Et pour cause, parmi la multitude de sens qui ont été donnés à l'anneau, il est difficile de trouver le plus ancien, et de déterminer son origine.

                                                                                                               69  Il  était  blanc  dans  la  plupart  des  cérémonies,  mais  parfois  rouge  et  blanc  (à  Sens,  dans  les  années  1300)  ou  encore  vert  et  or  (en  Picardie,  aux  alentours  de  1390).  

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Comme nous le verrons par la suite, son usage a lui aussi évolué au cours du temps : sa place (sur la main droite ou la main gauche), le moment auquel on le remettait, sont autant de paramètres qui ont changé, alors que le symbole, lui, ne variait pas.

2.2.1. La symbolique de l'anneau

L'anneau est un objet qui revêt de multiples significations comme nous allons le montrer dans cette première partie : il est un symbole d'infini et de totalité, un symbole de protection, mais également d'autorité et d'appartenance, il est enfin un symbole de reconnaissance.

L'anneau, de par sa forme représente à la fois l'infini et la totalité. Depuis des millénaires, c'est en effet le sens que l'on attribue au symbole du cercle. L'anneau n'a ni début, ni fin, il est donc infini et pourtant entier. Le centre même du cercle a vocation à représenter une porte, une sortie, qui mène à des événements connus, ou inconnus : c'est le symbole de la destinée, du destin à poursuivre.

Il représente donc la volonté d'un amour infini, indissoluble et entier. Il n'a pas vocation a être détruit, et s'il est tout d'abord fabriqué en ivoire ou en cuir, il devient au fil des siècles de plus en plus précieux, d'abord avec le fer, puis avec l'argent ou l'or.

Dans l'Égypte ancienne, d'où l'anneau est issu, il représentait également le soleil, grand symbole d'adoration puisqu'il était le signe de Râ, dieu du soleil.

Avec les invasions grecques (332 a.C.) l'anneau trouve une place particulière. Les Grecs étaient persuadés qu'une veine (ou un nerf70) reliaient le cœur à l'annulaire de la main droite. On trouve mention de cette veine sous le nom de vena amoris (la 'veine de l'amour' en latin) ce qui montre bien l'importance qu'elle avait dans l'esprit grec : elle était responsable du sentiment amoureux. Pour protéger l'amour, et garantir le mariage, il fallait donc à tout prix protéger cette veine, et c'est avec l'anneau issu d'Égypte que les Grecs le feront. Il peut donc être un symbole de protection, en l'occurrence le protecteur de l'amour que porte l'épouse à son mari.

Mais il ne faut pas oublier que l'anneau est un objet qui relie, en même temps qu'il isole : il lie la femme à son époux, mais la place également sous l'autorité de son époux. Elle lui appartient, l'anneau autour de son doigt en est la preuve.

Les Romains considéraient d'ailleurs que l'anneau (au même titre semble-t-il que la ceinture) empêchait celui qui le portait d'agir de lui-même : ainsi, les flamine dialis, des prêtres de Jupiter, ne pouvaient porter qu'un anneau percé, pour éviter que leurs actions ne soient entravées. L'historien romain, Aulu Gelle, mentionne cet usage, lu dans un ouvrage de l'historien Quintus Fabius Pictor :

Le flamine de Jupiter était obligé à un grand nombre de cérémonies

                                                                                                               70  Les  auteurs  sont  en  désaccord  sur  ce  point  :  certains  parlent  d'une  veine  fine  (Aulu-­‐Gelle),  d'autre  d'un  nerf  fin  (saint  Isidore).  Néanmoins,  il  semblerait  que  cela  relève  plus  de  la  croyance  populaire  que  d'une  véritable  certitude,  même  à  l'époque  :  très  peu  d'écrits  parlent  de  cette  veine.    

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et de rites, que nous trouvons dans les livres qui traitent du sacerdoce public, et dans le premier livre de Fabius Pictor […] . L'anneau qu'il porte doit être ouvert et creux71.

On trouve de nombreuses mentions de l'anneau dans la mythologie grecque. Il revêt ce double sens de grandeur et de soumission. Ainsi Prométhée, une fois délivré par Hercule, dut porter un anneau, qui en guise de chat portait un morceau du roc auquel il avait été enchaîné par Zeus. L'anneau représentait à la fois la soumission qu'il devait avoir vis à vis du dieu, mais rappelait également à tous, le châtiment qu'il avait subi.

Plus proche encore de la définition antique du symbole, l'anneau peut également être un signe de reconnaissance entre individus. Pensons par exemples aux étudiants qui appartiennent à une fraternité ; il n'est pas rare qu'ils portent tous une même bague, frappé du même sceau, qui leur permet de se reconnaître. Tout comme le port de la chevalière indique l'appartenance à une catégorie sociale.

Ainsi, l'anneau devient un moyen de distinguer les personnes mariées, mais également un moyen de se reconnaître entre époux. Depuis la seconde guerre, les deux époux s'échangent des alliances, ce n'est plus uniquement le mari qui en offre une à sa femme. Elle est donc devenue une preuve d'amour, un signe de reconnaissance entre les deux époux, qui en choisissent très souvent des similaires ou des ressemblantes.

Finalement, l'anneau engage en un don total de la personne, et définitif. Un don qui servira de symbole de reconnaissance entre les époux, mais aussi de reconnaissance par la société.

2.2.2. Des sens variables, un symbole unique

Lors de la cérémonie de fiançailles romaines (ou sponsalia) le fiancé passait à l'annulaire de la main gauche de sa promise un anneau de fer, sans chaton. La simplicité montre bien le sens qu'ils y donnaient : il fallait protéger la vena amoris, pour s'assurer que l'amour de la jeune femme demeurerait intact. L'anneau était également un moyen pour le futur mari de marquer que la jeune fille lui appartenait ; tout en fournissant un gage monnayable de sa promesse de mariage.

L'anneau apparaît donc comme une promesse d'union. Il est une promesse qui marque le corps de la jeune fille, puisqu'il enferme son amour. Il y a derrière cet anneau, une promesse d'amour charnel, entier et absolu. Juridiquement néanmoins, l'anneau faisait partie des arrhes que l'homme versait à sa femme… Et pourtant dans les faits ce n'était pas véritablement le cas : contrairement au reste des arrhes, l'anneau nuptial demeurait la propriété unique de la femme mariée.

Avec l'apparition du christianisme semble-t-il, l'anneau nuptial change de nom et devient l'annulus fidei, ou 'anneau de la foi', de la foi en la parole donnée. Il devient également de plus en plus coûteux (il est de plus en plus fréquemment fabriqué en or) et de plus en

                                                                                                               71  Les  nuits  attiques,  Livre  X,  chapitre  XV.      

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plus élaboré : on y grave parfois une inscription telles que Bonam vitam (bonne vie), amo te (je t'aime), ama me (aime moi), ou un symbole comme deux mains entrelacées (symbole de la dextrarum junctio). Il est toujours un gage de confiance, la promesse d'une union future.

Au début du XIIIe siècle, on ne sait plus si le port d'un anneau est la marque de fiançailles ou d'un mariage. Le concile de Trente recentrera l'union des époux sur le mariage, faisant tomber en désuétude la cérémonie des fiançailles : le moment du don de l'anneau change ! On le voit bien dans la description du rite pratiqué à Évreux au XIIIe siècle :

Que l'époux prenne l'anneau et que le prêtre et lui l'enfilent à trois doigts de la main droite de l'épouse, en disant au premier doigt : "Au nom du Père.", au second : "Et du Fils…", au troisième: "Et du Saint-Esprit". Et qu'il enfile de la même manière ledit anneau à un doigt de la main gauche, et qu'il l'y laisse72.

On remarque surtout que la scène s'est largement christianisée : il n'est plus question de protéger la vena amoris, mais de marquer l'appartenance de la jeune femme à son époux, au "nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit". Cette scène se déroulait alors sur le parvis de l'Église, avant que les époux ne se trouvent devant l'autel. Il semblerait qu'alors l'anneau nuptial soit placé à la main gauche, pour ne pas le confondre avec « l'anneau épiscopal, qui se porte à la main droite, en signe de parfaite chasteté73.» Dans certaines régions, le marié prononçait une formule après avoir donné la bague à son épouse, comme dans la région d'Avranches, au XIIe siècle : « De cet anneau je t'épouse, de mon corps je t'honore, et de cette dote je te dote74.» Il rappelle donc la dimension charnelle du mariage, en passant l'anneau à la main gauche de sa future épouse, ce qui prouve que leur mariage ne sera pas chaste.

La main sera néanmoins sujette à débat et laissée à l'appréciation des différentes cultures. En effet, les Romains passaient l'anneau à la main droite, et il semblerait que pendant des siècles, les chrétiens aient fait de même. Mais cet usage est très probablement dû à la préférence des Romains pour la main droite.

On le voit aujourd'hui encore dans certains pays : en Espagne, en Angleterre, de même dans les pays nordiques, la Russie, ou encore la Pologne. En Allemagne, et aux Pays-Bas c'est encore plus particulier, puisque les protestants portent leur alliance à droite, alors que les catholiques la portent à gauche. En France, l'alliance semble s'être définitivement fixée à gauche vers le XVIIe siècle après avoir subi des passages successifs.

Dans le mariage juif, le marié passe la bague au doigt de sa femme, et récite la formule rituelle du mariage : « HARE AT MEKOUDECHET LI BETABBATH ZOU KEDAT MOCHE VEYISRAEL », c'est-à-dire « par cette bague, tu m'es consacrée selon la Loi de Moïse et d'Israël ». La bague pouvait autrefois être remplacée par une pièce de monnaie : elle est donc dans la sphère juive avant tout le symbole d'un acte d'acquisition, dont chacun (y compris les témoins) doit connaître la valeur pécuniaire. Elle est donc traditionnellement très simple, sans pierre, en or ou en argent massif, pour que sa valeur soit facile à déterminer. La jeune femme ne doit rien répondre à la phrase de son mari, elle reçoit la bague en silence, et doit

                                                                                                               72    Citation  non  référencée  in  LA  RONCIERE  (DE)  CHARLES  M.,  op.  cit.,  in  :  MELCHIOR-­‐BONNET  S.  ET  SALLES  C.,  op.  cit.,  p.  290.  73  Ibid.  in  ibid.  74  Ibid.  in  ibid.  

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dès lors la conserver.

Traditionnellement, seule la femme reçoit une alliance lors de son mariage, mais à la fin de la seconde guerre mondiale, on a vu apparaître (en particulier en Europe et aux États-Unis) la cérémonie de la double bague : la mariée donne elle aussi une bague à son époux, en récitant la même formule.

Cette cérémonie de la double bague ne se cantonne pas aux mariages juifs. Cette pratique, qui relève donc de l'échange et plus du don, semble être la concrétisation dans le mariage du changement de statut de l'homme à l'issue de la seconde guerre mondiale :

Crise du modèle masculin a-t-on dit, aiguisée par la place prépondérante qu'ont prise des femmes en menant durant cinq ans la barque familiale […]. Le mariage arrangé, le calcul des dots, la domination patriarcale ont vécu. On parle désormais de sexualité épanouie et d'amour partagé. Le mariage s'inscrit sous le signe de la liberté et de la sincérité75.

Et le sens du symbole évolue avec cette crise : la cérémonie de la double bague devient une norme, quels que soient la religion ou le pays. L'anneau nuptial devient un signe de reconnaissance par la société du statut des époux, un signe d'appartenance et de don mutuel. Les époux s'offrent l'un à l'autre, comme ils s'échangent ces anneaux, ils s'offrent entièrement et s'engagent pour toujours. Retirer un anneau de mariage, ou le perdre est souvent considéré comme un mauvais présage.

2.3. LES RITES DE PARTAGE ENTRE LES EPOUX

Dans de nombreuses cérémonies, les époux sont amenés à partager tous les deux, un geste, une action, ou bien un met, un breuvage.

Nous verrons tout d'abord ce que peuvent signifier de tels rituels, puis nous explorerons le monde et le temps pour voir où et quand ces rites sont nés, et comment ils ont évolué.

2.3.1. Une préfiguration d'un partage plus profond

Les époux partagent souvent dans les mariages des actions, comme par exemple la découpe du gâteau, ou encore une coupe de saké dans le mariage shinto. Comment expliquer ces rituels, qui ne semblent pas réellement représenter un quelconque engagement des époux l'un envers l'autre ?

                                                                                                               75  FEYDEAU  GHISLAINE  et  MELCHIOR-­‐BONNET  SABINE,  Le  mariage  à  l'épreuve  des  guerres,  in  :  MELCHIOR-­‐BONNET  S.  ET  SALLES  C.,  op.  cit.,  p.  911.  

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Le partage est une division en plusieurs parties : c'est donc un moyen à partir d'une unité, de faire profiter à plusieurs des bienfaits ou méfaits d'un objet. Il s'agit donc de permettre aux époux de découvrir, au moment de leur mariage ce partage, qui sera le centre de leur union. Ils partagent un moment privilégié qui leur permet tout d'abord de découvrir le rôle d'époux (-se) auquel ils viennent de consentir.

Cela leur permet également de réaliser que ce premier partage n'est justement que le premier : ils partageront les moments de tristesse, et ceux de bonheur, ils partageront jusqu'à leurs vies, jusqu'à ce qu'elles ne soient plus qu'une.

Enfin, ce moment de partage inséré dans le rituel nuptial, leur réserve un moment de partage à deux uniquement, et pas avec tout le reste de l'assemblée : ils s'isolent au milieu de tous les gens présents lors de l'union.

Le partage apparaît donc comme un moyen pour les époux de découvrir le sens du partage, qu'ils devront faire dans toutes les actions de leur vie, mais aussi de partager un moment privilégié. Ils apprennent donc à se donner entièrement, à créer une intimité par ce partage.

Si le partage est un symbole c'est parce qu'il représente un acte caché : il est fait en référence à tout ce que le couple va devoir partager tout au long de sa vie, et comme nous le verrons dans notre étude des différents rites, il fait en particulier référence à l'acte sexuel.

2.3.2. Histoire des rituels de partage dans le mariage

Nous avons parlé des préliminaires du mariage grec, nous nous attarderons à présent sur le dîner qui suit le gamos : plusieurs rites se déroulent au cours de celui-ci. À la fin du banquet organisé en leur honneur, les mariés sont invités à partager le sésamous (ou sésamé), un gâteau fait à partir de graines de sésame et de miel, tandis que les invités dégustaient, eux, un autre gâteau, le plakous.

Le fait que les époux partagent un gâteau constitué de miel, symbole de douceur et de fécondité (et qui constituaient fréquemment la nourriture des dieux de l'Olympe) et de graines de sésame, autre symbole de fécondité, montrent bien l'importance de l'engagement physique au centre de la cérémonie. D'ailleurs, ce n'est qu'après avoir enfanté que la jeune femme trouvera sa place définitive au sein de l'oikoi de son époux, comme le suggère Catherine Salles : « La naissance plus ou moins rapide d'un enfant consacrera sa fonction dans l'oikoi de son mari76.» Il fallait représenter l'importance de la fertilité, et donc de l'engagement physique des deux époux, et il semblerait que le partage de ce gâteau soit justement un symbole de cet engagement.

                                                                                                               76  Contr.  cit.  in  ibid.,  p.  129.  

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La symbolique est forte en effet, et on la retrouve dans de nombreux mariages. On peut également exposer le rituel du mariage shinto, basé sur trois coupes de saké. C'est le rituel du san san kudo, ou "trois fois trois neuf". La première coupe de saké est remplie à partir d'un pot dit 'masculin', et présentée à la femme qui y boit trois gorgés, puis à l'homme qui fait de même ; puis la deuxième, remplie à partir d'un pot dit 'féminin', est présentée à l'homme puis à la femme, qui boivent selon le même procédé ; la troisième, enfin, est utilisée comme la première. D'après Laurence Caillet, « l'échange des coupes est interprété comme le symbole de l'accord de mariage entre les deux époux qui partageront désormais joies et souffrances comme ils ont partagé le saké77.»

Mais ce rituel semble avoir d'autres sens comme l'indique sa double origine. Tout d'abord, le chiffre "trois", san en japonais, signifie également naissance : n'est-ce pas dans ce cas également une invitation à la fécondité des époux ? Surtout quand on souligne que les pots qui remplissent les coupes partagées sont dits successivement 'masculin' et 'féminin'. De plus, l'auteur rappelle l'histoire de la Cour, au XIe siècle : à cette époque, les jeunes filles devaient, pour épouser leur amant, le retenir trois nuits de suite.

Ainsi, le symbole des coupes de saké, semble inviter le couple à s'engager dans une union physique, comme on le faisait au XIe siècle (date à laquelle l'échange de saké était d'ailleurs la seule célébration de mariage) et cela pour inviter à la naissance, autre signification de san.

On retrouve cette symbolique dans une autre boisson, le balche, partagé dans les mariages maya. Le balche était une boisson sacrée, répartie dans quatre récipients qui étaient disposés selon les quatre points cardinaux. Il semblerait donc que cet acte de partage ait été utilisé pour replacer les époux au centre du monde, pour les réunir.

De la même façon, dans le mariage orthodoxe, il est fréquent que les époux partagent un verre de vin, non pas pour la communion (et pourtant il s'agit bien de créer une alliance nouvelle et éternelle entre les deux époux) mais surtout pour le sens même du partage. Ce rituel se situe juste après la lecture de l'Évangile des noces de Cana.

Voilà comment la scène est décrite, telle qu'elle se déroule dans l'Église arménienne :

Ensuite, le prêtre prend dans sa main une coupe de vin et il dit : Prière (prière de la bénédiction du vin) Seigneur Dieu qui as créé toute chose avec sagesse et qui as établi l'univers et embelli les noces de Cana de Galilée, toi, Seigneur, bénis cette coupe dans ta miséricorde et nous, à toute heure, nous te remercierons pour tes dons et nous élèverons louanges et gloire vers toi, Père, et vers le Fils et vers le Saint-Esprit, amen. Ensuite, le prêtre offre le vin aux mariés et au parrain en disant : Bénédiction, action de grâces et gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit, amen78.

Le partage existe également dans des sociétés plus embryonnaires. Ainsi, comme le décrit l'anthropologue Charles Macdonald, durant la cérémonie de mariage (ou bulun) des

                                                                                                               77  Le  mariage  dans  le  Japon  contemporain,  in  ibid.,  p.  1068.  78  Le  mystère  du  mariage  dans  l'Église  d'Arménie.  Disponible  sur  :                                                                                                http://www.eglise-­‐armenienne.com/Liturgie/Sacrements/Sacrement_mariage.pdf  (13/04/11).  

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Palawan79, les époux partagent la « cigarette nuptiale80». Cette cigarette, allumée par une femme mariée, qui n'a jamais divorcé (tout comme la pronuba romaine), est le « signe que les époux ne se sépareront jamais81».

Dans le mariage juif également, on retrouve cette notion de partage. En effet, les époux se tiennent durant toute la célébration du mariage, sous le dais nuptial, la houpa. Celle-ci a vocation à symboliser leur maison, leur futur foyer. Ils y partagent également une coupe de vin tous les deux. Puis, immédiatement après les bénédictions sous la houpa, les époux doivent s'isoler et partager un moment uniquement tous les deux, c'est le yiquoud.

C'est ce qui explique que dans certains mariages juifs (uniquement chez les Ashkénazes, le rite n'existe pas chez les Séfarades) on prévoit une petite pièce à côté de la houpa, où les deux époux pourront s'isoler quelques instants : c'est la hadar ha yiquoud (ou 'chambre d'union'). Et cela pour « pour terminer toutes les formes d'acquisition82». Néanmoins une « union complète83 » n'est pas fondamentale, ce qui compte c'est l'isolement en lui-même, ce moment partagé.

Après avoir partagé le dais nuptial, ils sont donc invités à concrétiser leur union et à se donner physiquement l'un à l'autre.

3. UN ENGAGEMENT MATERIEL ET SOCIAL

Nous terminerons cette étude sur les symboles de l'engagement dans les rites nuptiaux avec la troisième dimension de l'engagement des époux, l'engagement matériel et social. Il ne faut pas oublier en effet, que le mariage a pour vocation principale de créer un nouveau foyer, une nouvelle cellule familiale. Dieu dit à Adam et Ève : « Soyez féconds, multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la84 », les enjoignant donc à créer une famille. Il ne faut pas oublier que dans toutes les religions, et ce quels que soient l'époque ou le lieu, toutes les cultures, mettent à la base de la société la cellule familiale.

Pour créer cette famille néanmoins, il faut s'engager : fonder un foyer, trouver une maison, en construire une, la meubler, l'habiter… et c'est en cette dimension que le mariage est un engagement profondément matériel, comme nous le verrons dans notre première partie. Mais en créant cette nouvelle famille, tout d'abord tous les deux, mais qui sera amenée à grandir, les époux engendrent un changement dans l'ordre social : c'est une nouvelle cellule familiale qui se crée dans la société, et qui doit donc être reconnue. Il y a donc un

                                                                                                               79  C'est  le  nom  d'une  des  trois  tribus  qui  habitent  l'île  de  Palawan,  située  dans  les  Philippines.  80  MACDONALD  CHARLES,  Le  Mariage  Palawan,  in  :  L'Homme,  1972,  tome  12  n°1,  p.  10.    81  Ibid.  82  Disponible  sur  :  http://www.modia.org/etapes-­‐vie/couple/pratiquemariage.html  §  2  (21/04/11).  83  Ibid.  84  Genèse,  1,  28.  

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engagement social, public, qui est fait par le mariage, comme nous le verrons dans notre seconde partie.

3.1. L'ENGAGEMENT MATERIEL : SENS ET HISTOIRE DE LA DOT ET DU DOUAIRE

Comme nous allons le voir, la dot et le douaire sont des symboles très anciens de l'union d'un homme et d'une femme, qui symbolisent également l'union entre deux familles. Ils permettent de donner aux deux époux fraichement mariés les moyens de créer une famille, d'établir la cellule familiale, mais les lient également.

Quels sens peut-on donner à ces dons d'objets, de biens, d'argent ? Quelle est la différence à faire entre la dot et le douaire ? Quel sens peut-on donner alors à un échange85 ? C'est ce que nous verrons dans notre première sous-partie.

Puis, nous verrons d'où ce symbole est issu, comment il a traversé les siècles et tenterons d'expliquer pourquoi il a aujourd'hui presque totalement disparu.

3.1.1. Dot et douaire, des dons et des échanges qui engagent

Nous parlerons ici de dot dans le sens européen classique de don fait par la famille de la jeune fille qui se marie, soit à son futur époux, soit à la famille de celui-ci. Nous l'opposerons donc à la notion de douaire, définie comme la « dos ex marito », dot provenant du mari. Le mot douaire peut avoir un autre sens, nous lui préférerons néanmoins ce sens, qui simplifiera la compréhension de l'étude. Quel est le sens de ces dons ?

La dot apparaît comme un encouragement par la famille de la mariée à fonder un foyer. Elle est d'ailleurs très fréquemment composée de biens comme des meubles, du linge de maison, et pas uniquement d'argent : la jeune femme possède donc le nécessaire pour débuter sa vie avec son époux et pour s'installer.

Mais la dot peut également compenser une hausse des dépenses du mari : la femme va certes travailler dans la maison, mais également coûter de l'argent à son époux, qui devra la nourrir. Elle est donc considérée dans une certaine mesure comme un poids financier, la dot servirait alors à compenser ces dépenses supplémentaires.

La dot est donc un moyen pour les parents de s'assurer que leur fille sera installée confortablement dans ce nouveau foyer. C'est également un appui, qui marque leur accord : ils n'auraient probablement pas payé pour un mariage qu'ils auraient refusé.

                                                                                                               85   Nous   appelons   'échange'   le   cas   où,   la   dot   et   le   douaire   sont   respectivement   donnés   au  mari   et   à   la  femme.    

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Le douaire quant à lui, est donc le cadeau fait par le marié ou ses parents, à la mariée ou à sa famille. Dans certaines civilisations, comme dans les mariages décrits dans la Bible, le douaire semble compenser pour les parents de la mariée la perte de leur fille. En revanche, dans d'autres cultures, le douaire est dû directement à la femme et demeure sa propriété exclusive. Il agit comme une garantie au mariage. Le mari s'engage également à assumer et à prendre en charge les besoins financiers du couple ; il apporte le douaire comme une preuve. Enfin, le douaire agissait comme une compensation au transfert de l'autorité patriarcale : elle passait du père au mari, et celui-ci validait ce transfert avec le douaire.

L'échange de biens, c'est-à-dire l'échange d'une dot et d'un douaire semble réellement basé sur la notion de construction du foyer. Il revêt parfois un sens imagé, comme nous le verrons avec le mariage romain, mais témoigne réellement de l'engagement des deux époux et surtout bien au-delà d'eux de toute leur famille. L'échange a réellement vocation à créer un foyer : il n'y a pas de notion de compensation ou de preuve de richesse. De temps à autre, le douaire est remis au père de la mariée, ce qui prouve bien la volonté du mari de lier sa famille à celle de son épouse, mais toujours dans l'idée de s'unir à sa femme.

En engageant des biens ou de l'argent, les époux se prouvent la confiance qu'ils ont dans leur union. Ils montrent également la volonté qu'ils ont de fonder un foyer, une famille. Ils créent également un lien entre leurs deux familles, ce qui pour les anciens, était une prérogative du mariage. Ces dons, ces échanges sont bien la réponse à une question de leur engagement matériel.

Ils sont véritablement des symboles en cela qu'ils révèlent la volonté des époux, de leurs familles, mais également leur implication, même matérielle, dans cette union.

3.1.2. Histoire de ces gages matériels

Nous verrons tout d'abord l'histoire de la dot, puis celle du douaire, et enfin les existences de l'échange à travers les âges.

La dot

Comme nous le verrons par la suite, à l'époque homérique, il semblerait que dot et douaire soient échangés au moment du mariage. Mais à l'époque de la Grèce classique, seule la dot (proïx ou pherné) a subsisté, le douaire a lui disparu.

L'existence de cette dot est certaine, et elle est mentionnée dans plusieurs pièces, par exemple dans cet extrait de Ménandre, qui relate une scène d'engyé (dation) :

PATAÏKOS : et une dot de trois talents. POLEMON : je la reçois aussi, de bon cœur86.

                                                                                                               86  La  Perikeiroméné,  in  :  MELCHIOR-­‐BONNET  S.  et  SALLES  C.,  op.  cit.,  p.  76.  

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Le rituel de la dot est tellement répandu qu'à l'époque classique, elle devient le « signe du mariage légitime87.» Solon avait tenté de limiter le montant de la dot pour que le mariage ne devienne pas une « affaire lucrative et un trafic, mais qu'il soit une union de vie entre l'homme et la femme en vue d'avoir des enfants et de goûter la douceur d'une tendresse mutuelle88.» Mais au Ve siècle a.C. ces lois sont oubliées…

Théoriquement, la dot doit compenser pour la jeune fille, l'héritage qui reviendra à son frère. Les dots les plus basses avoisinent les 500 drachmes, les plus importantes atteignent 60 000 drachmes, et en moyenne, elles semblent osciller entre 2 000 et 6 000 drachmes. Mais à ces sommes d'argent s'ajoutent souvent des vêtements, du linge de maison, des parures, de la vaisselle, des objets en or, des bijoux, des meubles…, voire des biens immobiliers, fonciers ou des esclaves.

Dans l'Antiquité romaine, la dot est également un symbole important du rituel nuptial. Au cours de la stipulatio, le montant de la dot est fixé soit entre les deux pères de famille, soit entre le père de la jeune fille et le futur époux. Plaute relate une scène de sponsalia (fiançailles) au cours de laquelle la dot est fixée :

CHARMIDÈS : J'entends dire que ma fille t'a été promise. LYSITÉLÈS : Si tu ne t'y opposes pas. CHARMIDÈS : Mais non ! Je ne m'y oppose pas. LYSITÉLÈS : Tu t'engages à me donner ta fille pour épouse ? CHARMIDÈS : Je la promets avec une dot de mille Philippes d'or89.

Une fois l'accord passé oralement, il sera gravé sur des tablettes, les tabulae dotales ou tabulae nuptiales, qui fixent toutes les conditions du paiement de la dot et de son devenir en cas de séparation des époux.

Comme nous le verrons par la suite, les époux romains procédaient également à un échange de biens, mais beaucoup plus symbolique.

Dans le judaïsme, la dot a toujours été une coutume de mariage. Il arrivait fréquemment que la jeune fille arrête tôt ses études pour travailler et ainsi faire grossir la dot composée par ses parents. Le montant de la dot était inscrit dans la kétouba, le contrat de mariage. Comme le dit Freddy Raphael, l'argent était alors compté :

Au retour de la synagogue, après la cérémonie nuptiale qui avait eu lieu dans l'après-midi, on allumait les chandelles devant le rabbin et on lui apportait la dot déposée jusque-là en mains sûres. Il la comptait avec soin et la remettait au fiancé en déclarant, selon une formule consacrée, que l'honneur était satisfait90.

Néanmoins, la dot n'est pour les juifs qu'une coutume, et pas une prescription religieuse. Ainsi, à partir de 1870, la situation commence à évoluer :

Des hommes de la bourgeoisie ont commencé à épouser des

                                                                                                               87  SALLES  C.,  contrib.  cit.,  in  ibid.,  p.  72.  88  PLUTARQUE,  Solon,  20.  89  Trinummus,  v.  1156-­‐1158.  90  Le  mariage  juif  dans  la  campagne,  disponible  sur  :  http://www.judaïsme.sdv.fr.  

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femmes dépourvues de dot. Mais il faut attendre véritablement la fin de la Grande Guerre pour voir reculer l'importance de la dot, au profit des revenus venant d'une activité professionnelle de la femme91.

Cela montre bien que dans le judaïsme, la dot avait pour but de compenser l'inactivité de la femme : lorsque celle-ci commence à travailler, la dot disparaît.

Et ce fut de même pour le mariage chrétien, dans lequel la dot fut pendant longtemps une coutume (bien que jamais entérinée par une loi ou un document officiel, contrairement à la dot juive, qui est inscrite dans la kétouba).

Le douaire

L'histoire du douaire débute quant à elle dans l'Antiquité biblique, où il porte le nom de Mohar. La famille du fiancé ou le fiancé lui-même, donne à la famille de sa future femme soit une certaine somme d'argent, soit lui offre ses services en tant que travailleur pour un certain laps de temps. Ce douaire est donné pour compenser la perte de leur fille, qui fournissait un travail, mais qui partira s'installer chez son mari. C'est pour cette raison que Jacob travaille 7 ans pour Laban : il veut compenser le départ futur de la fille de Laban, Rachel. C'est ce douaire qui scelle définitivement le mariage.

On retrouve le douaire dans le mariage des Francs, entre le VIIe et le Xe siècles. On l'appelle alors le Muntehe. C'est en effet une pratique enracinée dans la coutume germanique ; le code Wisigothique l'a rendu explicitement obligatoire en 681. Il n'avait rien d'une formalité : les deux époux n'étaient pas mariés avant le versement du Muntehe, et surtout, le douaire concernait jusqu'à un tiers, voire 50 %, de la valeur des biens du mari. Il n'était pas donné en totalité à l'épouse dès les noces. La seconde partie du douaire, le Morigéna (ou don du matin), ne lui était remis qu'au terme de la nuit de noce, ou une fois le mariage consommé.

Le marié musulman donne lui aussi un douaire à son épouse. Contrairement au Judaïsme, ce douaire relève d'une prescription religieuse, que l'on trouve dans deux sourates du Coran :

Et donnez aux épouses leur dot, de bonne grâce. Si de bon gré elles vous en abandonnent quelque chose, disposez-en alors à votre aise et de bon cœur92.

Puis, de même que vous jouissez d’elles, donnez-leur leur dot, comme une chose due. Il n’y a aucun péché contre vous à ce que vous concluez un accord quelconque entre vous après la fixation de

                                                                                                               91  Marion  Kaplan,  "Judishes  Burgertum.  Frau,  Familie  und  Identität   im  Kaiserreich",  Studien  zur   judishen  Geschichte,  III,  Dölling  une  Galitz,  Hambourg,  1997,  traduction  de  Ingrid  Strobl,  in  :  LEVY  ISABELLE,  op.  cit.,  p.  70.  92  Coran,  Sourate  4,  les  Femmes,  An-­Nisâ’,  verset  4.  

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la dot93.

Les musulmans l'appellent le mahr. Selon la charia, le montant du mahr doit être déterminé en fonction de la situation financière du mari, du moment, et du lieu ; quoiqu'il arrive il doit toujours rester raisonnable. D'après le docteur Muzammil Siddiqi, le mahr est « un droit qui revient à l'épouse, et qui symbolise l'amour et la reconnaissance de son mari. Dans le Coran, ceci est appelé sadaq, et a le sens de gage d'amitié94.»

L'homme ne doit pas s'engager au-delà de ses moyens : cela serait considéré comme un manque de respect pour sa femme. Surtout, il est illicite de jouir de relations conjugales puis de refuser de verser à son épouse la dot qui lui a été promise.

La dot traduit donc également « l'engagement d'un homme à prendre en charge les besoins financiers de sa femme95.»

L'échange

Dans l'Égypte ancienne, les familles des époux dotaient leurs enfants, qui échangeaient des biens. Rien de surprenant puisqu'un des mots pour désigner le mariage est hemesy, qui signifie littéralement 's'asseoir avec'. Cette expression montre bien l'idée que les Égyptiens d'alors avaient du mariage : il correspondait à la création d'un foyer, 's'asseoir avec' c'était bien sûr 's'installer ensemble'. Ainsi, le mari donnait à sa femme la 'dotation pour la femme', et il recevait en échange 'l'argent pour devenir épouse'. Cet échange, d'argent et de biens, était la première pierre de leur foyer en construction. La femme venait s'installer dans la demeure de son époux en apportant avec elle les 'biens de l'épouse'.

En Mésopotamie, de la même façon la femme apporte avec elle une dot, composée de vaisselle, de vêtements, des bijoux, des meubles, du bétail, des servantes… dot qui lui est donnée par son père, et qui lui appartient personnellement. En cas de répudiation, elle conservera sa dot, et pourra quitter son foyer avec. C'est donc une assurance pour la famille de la mariée : répudiée, elle ne sera pas dans le besoin, mais elle dispose également de tout le nécessaire pour s'installer.

Le père du futur marié, apporte une 'contre-dot' le terhatum, qui revient au père de la futur marié. Le terhatum est le symbole de l'engagement définitif. On ajoute parfois à ce don le biblu, témoignant du rang social et de la fortune de la famille du jeune homme.

Dans cette civilisation, la dot montre que le père se soucie avant tout du futur de sa fille ; le douaire lui semble être une compensation donnée au père de la jeune fille, suite au départ de sa fille.

Dans la Grèce de l'époque homérique, il y avait également un échange de biens. En effet, le futur marié offre à son beau-père des hedna ('troupeaux') et des dora (cadeaux couteux, tels que des étoffes ou des bijoux). Le père de la mariée donne en retour une dot,

                                                                                                               93  Ibid.,  verset  24.  94  Réponses  par  le  docteur  Muzammil  Siddiqi  à  des  questions  concernant  l'Islam  et  ses  pratiques.  Disponible  sur  :  http://www.islamophile.org.  95  Réponses  par  le  docteur  Muzammil  Siddiqi  à  des  questions  concernant  l'Islam  et  ses  pratiques.  Disponible  sur  :  http://www.islamophile.org.  

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dont le montant varie, selon sa fortune.

Ainsi, les deux familles sont liées l'une à l'autre par cet échange de biens. Pour les Grecs cette dimension est fondamentale : il fallait lier les deux familles avant d'unir les deux époux. Le mariage pouvait donc être conclu après cet échange de biens.

Les Romains avaient une coutume qui se rapproche beaucoup dans le sens qui s'en dégage d'un échange de dot et de douaire. Quand l'épouse arrive dans la maison de son mari, qui devient la sienne, il lui offre l'eau et le feu. Ces deux éléments, contraires et complémentaires, symbolisent la vie, et le culte communs ; alors que l'eau est un principe dit féminin, le feu est un principe masculin.

En échange, la femme va montrer à son époux qu'elle accepte de bâtir son foyer avec lui, dans cette maison. Pour cela, elle va lui remettre, une pièce qu'elle a dans sa main ; puis elle va déposer sur l'autel des lares96 de la famille une deuxième pièce qui est dans sa chaussure ; enfin, elle dépose sur l'autel des lares du carrefour voisin, une pièce qui est dans sa bourse.

Ils se montrent donc l'un à l'autre, par de petits présents, leur volonté de construire leur vie ensemble, en partageant un toit, et un culte commun.

Cette tradition décrite par Catherine Salles97 est hautement symbolique : la femme prend possession par un 'achat' de sa position de femme, de son foyer et de son quartier. Mais elle est également acceptée ainsi par les dieux auxquels elle fait ce sacrifice, son mari (on parlait plus haut de 'culte domestique', il semblerait qu'on y trouve ici une résonnance), les dieux du foyer, et ceux du quartier. Étant acceptée elle proclame son union avec son époux, union qui se poursuit jusque dans le culte. L'homme, quant à lui, lui ayant offert l'eau et le feu, a reconnu cette union dans son principe le plus trivial, et le plus profond.

3.2. L'ENGAGEMENT SOCIAL : LA PRESENCE D'AUTRUI DANS LE MARIAGE Comme nous le verrons par la suite, les mariages ont toujours été l'occasion de grands rassemblements familiaux, de grandes fêtes. Comment expliquer un tel engouement ? Pourquoi mettre en avant des témoins dans les mariages ? Quel est leur rôle ? En quoi changent-ils la nature de l'engagement des époux ? C'est ce que nous allons étudier dans cette partie, en voyant tout d'abord le sens que prend la présence d'autrui dans le mariage, puis en recherchant dans l'histoire du mariage, la présence des témoins ainsi que les autres participants, qui font que le mariage prend cette dimension d'engagement social.

                                                                                                               96  Petit  autel  domestique,  que   l'on   trouvait  dans  chaque  maison  romaine.  Les  membres  de   la   famille  s'y  réunissaient  pour   faire   leurs  dévotions  (voir   la  définition  de   la  devotio,  2.1.1).  C'est  d'ailleurs  à  cela  que  correspond  le  geste  de  la  jeune  femme.  97  Contrib.  cit.,  in  :  MELCHIOR-­‐BONNET  S.  et  SALLES  C.,  op.  cit.,  p.  82.  

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3.2.1. Les témoins, des symboles de la société

Nous allons donc tout d'abord voir ce que symbolise la présence des témoins. Quel engagement cette présence représente-t-elle pour les époux ?

Tout d'abord, force est de constater que, sans témoin, l'échange des consentements n'aurait pas beaucoup de sens pour les époux. En effet, s'ils échangeaient les consentements uniquement tous les deux, personne ne pourrait rendre compte de l'engagement qu'ils ont pris l'un par rapport à l'autre. Donner sa parole devant témoin, c'est réaliser qu'on ne peut pas revenir dessus : sans témoin, les époux pourraient mentir sur cet engagement, dire qu'il n'a jamais eu lieu. Mais la présence d'autrui empêche cela : une tierce personne qui n'a aucun intérêt à mentir sera là pour rétablir la vérité. De ce point de vue la présence d'autrui oblige à un engagement plus vrai. Les témoins sont en quelques sortes la mémoire du mariage.

Comme nous le verrons, les témoins sont avant tout des symboles de la société. Cela explique d'ailleurs que les conditions pour être témoins soient parfois sévères : ils doivent être sains d'esprit, majeurs,… Ils sont de véritables représentants de la société, souvent un équivalent du citoyen, et agissent comme des observateurs à son compte. Ils témoignent de l'amour que se portent les époux, ils s'assurent de leur sincérité et de leur consentement à cette union. Ils sont souvent amenés à signer les contrats de mariage ou les documents à propos des dots, et pourront donc révéler une supercherie le cas échéant.

Surtout que dans la plupart des sociétés, on ne fait pas de contrat (oral ou écrit) sans témoin. C'est ce que nous dit l'auteur grec Démosthène : « Personne ne concluant une transaction importante ne la fait sans témoins98. » Mais c'est également le cas dans les religions juives et musulmanes.

Le mariage est donc, grâce aux témoins, reconnu par la société, mais aussi connu de la société. Et c'est également pour cela que pendant des siècles, une bruyante procession traversait la ville : il fallait qu'un maximum de personnes soient mises au courant du mariage qui venait d'avoir lieu. D'ailleurs on voit encore cela aujourd'hui avec les rangées de voitures qui traversent les villes, à grand renfort de klaxon, lorsqu'un mariage vient d'être célébré.

Finalement, la foule présente pour le mariage et les témoins agissent comme des révélateurs de l'engagement : sans eux, il n'aurait pas de sens. En symbolisant la société, les personnes présentes lors du mariage montrent également la reconnaissance de l'union par la société entière.

3.2.2. Les témoins, et autres marqueurs sociaux, dans l'histoire du mariage

En Mésopotamie déjà, les témoins font partie intégrante du mariage. L'homme doit voiler une femme devant des témoins pour qu'elle devienne son épouse. Les mêmes paroles, et le même geste n'ont pas le même pouvoir sans la présence des témoins. Ni leur nombre,                                                                                                                98Contre  Onétor,  21,  in  ibid.,  in  :  ibid.,  p.  77.  

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ni leur statut vis-à-vis des époux ne sont précisés, ils n'ont pas non plus de fonction particulière : leur présence suffit pour rendre le mariage valide.

Dans la Grèce antique, le processus est semblable. Durant l'engyé, au cours duquel on établit les termes du contrat de mariage, les témoins sont nécessaires. En effet, le contrat réalisé est un contrat oral : il n'y a aucune trace écrite ; pour en garder une trace, il faut donc que des témoins soient présents, comme pour toute autre transaction. C'est ainsi que Démosthène explique l'importance des témoins lors de cette cérémonie de dation :

Personne ne concluant une transaction importante ne la fait sans témoins. Pour cette raison, nous célébrons les mariages et convoquons nos proches, parce que nous ne traitons pas d'affaires secondaires. C'est la vie de nos sœurs et de nos filles que nous confions à autrui. Ce pour quoi nous recherchons la sécurité la plus grande possible99.

Puis, arrive le moment de la cérémonie. La mariée est assistée d'une femme plus âgée (appelée nympheutria), qui va l'aider à chaque étape de la cérémonie (de la tenue, jusqu'à la procession vers l'oikoi de l'époux). Son rôle est important, puisque durant la procession entre les deux oikoi, alors que la mariée est précédée par son mari qui la tient par la main, la nympheutria la pousse à le suivre, en lui posant une main sur l'épaule. Mais le marié est lui aussi accompagné, par le paranymphe (littéralement celui qui est auprès du fiancé), choisi parmi les hommes de sa famille. Il est le pendant masculin de la nympheutria. Ces deux témoins seront présents à toutes les étapes du rite. Il est difficile de dire s'ils sont des représentants de la société, mais ils semblent en tout cas appuyer ce mariage et avoir un rôle d'observateur pour s'assurer que tout se déroule conformément au rite.

Comme dans de nombreuses cultures, une fête est organisée. Et on remarque bien que, comme la procession, cette fête est l'occasion de faire connaître à un maximum de personnes, le mariage qui vient d'être célébré. Ainsi, un citoyen d'Akragas « pour le mariage de sa fille, envoie à tous ses concitoyens un repas à prendre dans leur maison100.»

Le lendemain matin, après avoir été réveillés par les jeunes gens de la ville (par un exeghertikon, ou chant du matin), les deux époux reçoivent les épaulia (ou cadeaux de mariage). Ces cadeaux, offerts après la nuit de noce, montrent que leurs proches reconnaissent le mariage. Enfin, et c'est le dernier rituel du mariage grec, le jeune marié organise pour sa phratrie un grand banquet, pour faire reconnaître par eux que son mariage est légitime.

Dans le mariage romain la pronuba reprend le rôle de la nympheutria grecque. Elle est néanmoins encore plus importante que cette première puisqu'elle est chargée d'unir les mains des deux époux lors de la dextrarum junctio. Elle est donc un témoin actif du mariage.

Par ailleurs, et encore une fois comme chez les Grecs, une procession à travers la cité est organisée à l'issue du mariage. Celle-ci se doit d'être bruyante : de jeunes garçons chantent,

                                                                                                               99  Ibid.  100  Non  réf.,  in  SALLES  C.,  op.  cit.,  in  :  MELCHIOR-­‐BONNET  S.  et  SALLES  C.  ,  op.  cit.,  p.  77.    

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d'autres lancent des plaisanteries égrillardes (pour détourner le mauvais œil) et de jeunes enfants courent autour d'eux en lançant des noix (symbole de fécondité). Ainsi, toute la cité est mise au courant du mariage qui a été célébré.

Il ne faut pas oublier une dimension fondamentale du mariage romain : il est un renouvellement du mariage des Sabines et de leur enlèvement. En reproduisant l'enlèvement des Sabines, les Romains entendaient certainement rendre leur mariage conforme à la tradition et donc valide aux yeux de tous.

En France, le mariage civil implique au moins deux témoins. L'article 75 du Code civil stipule cela très clairement : la présence des témoins est obligatoire, contrairement à celle des parents, qui est entièrement facultative. Alors qu'auparavant ils avaient un rôle prégnant, du choix du mari à la prononciation du consentement, ils deviennent accessoires, contrairement aux témoins…

Le jour désigné par les parties, après le délai de publication, l'officier de l'état civil, à la mairie, en présence d'au moins deux témoins, ou de quatre au plus, parents ou non des parties, fera lecture aux futurs époux des articles.

Mais les époux ne peuvent pas choisir n'importe qui, la loi fixe également un certain nombre de conditions pour être témoin :

Les témoins produits aux actes de l'état civil devront être âgés de dix-huit ans au moins, parents ou autres, sans distinction de sexe ; ils seront choisis par les personnes intéressées101.

Ainsi les témoins sont de véritables citoyens, ils en possèdent tous les attributs et sont donc de réels représentants de la société.

Mais ces représentants ne suffisent pas : l'annonce du mariage doit être publique, d'où la nécessité de publier les bans. Il faut que la totalité de la communauté, la totalité de la société ait accès à l'information.

Aussi les articles 63 et 64 du même code fixent-ils des conditions pour cette publication :

Avant la célébration du mariage, l'officier de l'état civil fera une publication par voie d'affiche apposée à la porte de la maison commune. Cette publication énoncera les prénoms, noms, professions, domiciles et résidences des futurs époux, ainsi que le lieu où le mariage devra être célébré102.

L'affiche prévue à l'article précédent restera apposée à la porte de la maison commune pendant dix jours.

Le mariage ne pourra être célébré avant le dixième jour depuis et non compris celui de la publication.

Si l'affichage est interrompu avant l'expiration de ce délai, il en sera                                                                                                                101Article  37.  102  Article  63.  

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fait mention sur l'affiche qui aura cessé d'être apposée à la porte de la maison commune103.

Pour le mariage catholique, qui a certainement influencé ici encore la rédaction du Code civil, les deux époux doivent également être accompagnés de deux témoins. Ceux-ci devront signer l'acte de mariage sur le registre. L'Église les considère comme les témoins de l'amour qui vient de se concrétiser dans le mariage, mais également les témoins du reste de leur vie à deux.

Sans la présence des témoins, le mariage ne peut pas être valide, comme le stipule le canon 1108 :

Seuls sont valides les mariages contractés devant l'Ordinaire du lieu ou bien devant le curé, ou devant un prêtre ou un diacre délégué par l'un d'entre eux, qui assiste au mariage, ainsi que devant deux témoins (…) Par assistant au mariage, on entend seulement la personne qui, étant présente, demande la manifestation du consentement des contractants, et la reçoit au nom de l'Église104.

Dans le mariage musulman, deux témoins sont également nécessaires. Contrairement aux mariages catholiques dans lesquels des non baptisés peuvent être témoins, les musulmans ont fixé des conditions : les témoins doivent être pubères, musulmans, masculins, et sains d'esprit. Le sens du témoignage est complètement différent : « les témoins ne sont ni pour le marié ni pour la mariée. Ils sont plutôt requis pour la validité du mariage du couple pour lequel ils ont accepté de témoigner105. » En effet, le nikâh est une cérémonie légale : comme pour les Grecs, il s'agit d'un contrat important, qui nécessite donc la présence de deux témoins.

Mais le nikâh doit également être une cérémonie publique : il nécessite la présence de plusieurs personnes (ou au moins, ces deux témoins) et cela pour que « le plus grand nombre d’individus sache que cet homme et cette femme sont unis par un mariage légal106.»

Ainsi, les deux témoins agissent comme des observateurs de la réalité du mariage pour la société entière. Sans eux le mariage n'existe pas, car il n'est pas légal.

Dans le mariage juif, comme nous l'avons dit précédemment, les fiancés sont accompagnés sous la houpa par leurs parents. Ils y pénètrent ainsi avec leur famille, et en ressortiront unis l'un à l'autre par un lien nouveau, en ayant créé une nouvelle famille. La présence des parents, qui accompagnent leur enfant jusqu'à la houpa (c'est-à -dire dans son nouveau foyer), est donc un signe d'acceptation. Ils encouragent la création de cette nouvelle famille, en acceptant le départ de leur enfant. Cette procession est d'ailleurs très solennelle.

Mais au-delà des parents, le mariage juif requiert la présence de deux témoins et de dix adultes, comme le montre un passage de la Bible : « Va yiqa'h âssara anachim107 » ('Boaz prit alors dix hommes')

Les deux témoins doivent être des adultes, pratiquant le judaïsme ; ils ne peuvent pas être de la famille de l'un des mariés. Lors de la cérémonie, ils se placent face à la kala (fiancée) et                                                                                                                103  Article  64.  104  Code  de  droit  canonique.  Disponible  sur  :  http://www.vatican.va/archive/FRA0037/_INDEX.HTM  (nous  soulignons).  105  Docteur  Muzammil  Siddiqi.  Disponible  sur  :  http://www.islamophile.org.  106  Docteur  Muzammil  Siddiqi.  Disponible  sur  :  http://www.islamophile.org.  107  Ruth,  4,2.  

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au hatane (fiancé), car ils doivent voir les époux, et être vus d'eux. Le Rav messader (le rabin officiant au mariage) les présente aux époux en tant que leur témoin ; il rappelle ensuite aux témoins leur obligation d'entendre et de voir. Ils ont un rôle absolument fondamental dans ce rituel : « s'ils n'ont pas pu voir, ni entendre, il faut recommencer telle phase108 ».

Ils doivent donc être particulièrement attentifs à tout ce qui concerne le don de la bague, la formule employée par le hatane, toutes les bénédictions, aux conditions de la kétouba (le contrat de mariage)…

Ils doivent d'ailleurs signer la kétouba, qui est ensuite lue à toute l'assemblée réunie pour le mariage. La kétouba a elle aussi un réel rôle social : le contrat, qui est généralement magnifique, car décoré, sera exposé dans une pièce de la maison des époux. Il faut, là encore que le plus de gens possibles soient au courant de l'union, et des termes dans lesquels elle a été réalisée.

Enfin, en rappelant à la fin du mariage la destruction de Jérusalem, en brisant un verre, les mariés s'inscrivent dans la tradition du judaïsme, et marquent leur intention d'en perpétuer les traditions. Ils rappellent ainsi leur appartenance à un peuple, et veulent faire valider leur union par la société à laquelle ils s'intègrent. L'assemblée répond d'ailleurs à ce geste en s'écriant Mazal Tov, c'est à dire…'bonne chance' !

                                                                                                               108  Article  sans  auteur.  Disponible  sur  :  http://www.modia.org/etapes-­‐vie/couple/pratiquemariage.html.  

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CONCLUSION

Nous avons donc observé successivement trois dimensions de l'engagement dans le mariage.

L'engagement dans le mariage se fait d'abord moral. Le premier symbole dont nous avons traité, l'échange des consentements, est comme nous l'avons vu un symbole absolument fondamental depuis l'Antiquité ; celui-ci s'est perpétué jusqu'à nos jours sans faiblir, faisant de la parole donnée et de la promesse, une base du mariage actuel. Le deuxième symbole de cet engagement moral est la position des mains. Ce symbole, central dans le mariage romain, connaît aujourd'hui encore une résonnance dans de nombreuses sociétés, bien que son sens profond se soit perdu. Nous avons enfin évoqué l'omniprésence des dieux dans les mariages depuis l'Antiquité, jusqu'à ce que la révolution, mais aussi une crise sociale ne remette en question l'importance du divin dans la vie, et donc dans le mariage.

L'engagement des époux se fait ensuite physique. Le voile, symbole de l'oblation, représente très bien ce total don de soi qui est nécessaire à la réalisation du mariage : la femme se voue au culte de son mari, comme elle se serait vouée au culte d'un dieu en entrant dans les ordres. Si le symbole s'est perpétué, c'est bien sûr au détriment de ce sens que revêtait le voile pour les mariées antiques. L'anneau, second symbole de cet engagement physique, est également omniprésent dans l'histoire des rites nuptiaux. Il est une réelle marque de possession, imposée physiquement sur son épouse. Mais encore une fois, le sens de ce symbole a évolué, pour devenir aujourd'hui un symbole de reconnaissance mutuelle, un symbole d'amour pur, qui explique que les époux s'échangent aujourd'hui les alliances. Enfin, comme nous l'avons vu les époux sont souvent amenés à partager tous les deux une action durant leur mariage. Ce premier partage préfigure ou encourage souvent l'union sexuelle, mais également le partage de la vie entière.

L'engagement se fait finalement matériel et social. En se mariant, les époux s'engagent à une communion de vie : ils s'installeront ensemble, et cela dans la société. Ainsi, la dot et le douaire montrent bien, au sein du rite, cette union matérielle des deux familles qui mène à l'union matérielle des deux époux. Ce symbole s'est lui aussi éteint, avec le féminisme et après la seconde guerre mondiale, probablement remplacé par la vulgarisation des listes de mariage (dont le but principal est de fournir aux époux ce dont ils ont besoin pour s'installer ensemble) et la démocratisation du travail des femmes. Enfin, la présence d'une large audience pour célébrer un mariage, est le dernier symbole sur lequel nous nous sommes penchés. En symbolisant la société entière, souvent par le biais de témoins privilégiés, la foule permet aux époux de s'engager socialement. Ce dernier symbole est lui, toujours actuel, comme nous l'avons vu.

Au cours de cette étude, nous avons pu constater que des permanences dans les symboles se dégageaient largement. On peut même parler dans certains cas de filiation : le mariage chrétien est ainsi largement inspiré du mariage de l'Antiquité romaine.

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Plus surprenant, le fait que certains symboles aient changé de sens, ou que leur sens soit devenu obscur, méconnu. Le voile fait partie de ceux-ci : il n'a plus du tout le sens qu'il avait pour les mariées grecques, et plus impressionnant, rares sont les personnes qui connaissent ce sens. On le rattache plus fréquemment à la pureté, ou à la virginité de la mariée, qui la pousserait à cacher son visage. Ainsi, certains symboles ne se sont perpétués que par tradition, par coutume, et pas à cause du sens profond qui leur était attaché.

Mais peu importe le mode de transmission des symboles ; peu importe qu'elle soit due à leur sens ou à une tradition. Le simple fait que ces symboles, vieux de parfois plus de vingt-cinq siècles, se soient transmis jusqu'à nous montre bien l'importance de l'institution du mariage dans la vie humaine. Peu d'institutions se sont transmises à travers l'Histoire en étant si peu altérées, ce qui nous conforte dans l'idée que le mariage est véritablement l'engagement humain le plus entier qui soit.

Mais dans le contexte actuel, alors que le nombre de divorces augmente chaque année, que reste-t-il du sens de l'engagement du mariage ? En effet, comme le montrent les études réalisées par l'INSEE, et reproduites sur le graphique ci-dessous, le taux de divorce a largement augmenté dans les trente dernières années.

Nous le savons, l'entrée dans la société postmoderne a provoqué une évolution dans les mentalités. Alors que dans les sociétés antiques le sacré s'imposait aux hommes, chacun est aujourd'hui laissé libre de définir ce qui est sacré pour lui. Le rite nuptial a bien entendu subi

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cette évolution des mœurs. Dans l'Antiquité, le recours au sacré est permanent, que le sens de ce sacré soit compris par les époux ou pas. La société postmoderne, menée par le relativisme, et l'individualisme hérités des idées des Lumières, n'a plus de réel lien avec le sacré : chacun choisit ce qui est sacré pour lui. D'où la naissance du néo paganisme, qui s'insère lui aussi dans les rites nuptiaux comme nous l'avons vu.

On assiste donc à une réelle perte de sens du sacré. Ayant abandonné le rite nuptial, la notion de sacralité n'est pas plus présente dans le mariage lui-même. Les gens n'hésitent plus à divorcer parce qu'ils ne sont "pas heureux" ou "pas satisfaits" de leur situation, alors qu'auparavant la sacralité inhérente au mariage les en empêchait (dans une certaine mesure).

Alors quel rempart face à l'invasion de divorces ? Où tirer le sens sacré du mariage aujourd'hui ?

Ce qui rend le mariage sacré chez nos ancêtres c'est le recours permanent à la divinité, au religieux. Ainsi le mariage religieux semble être un moyen d'endiguer la vague des divorces qui déferle sur l'occident. Bien entendu le divorce est toléré par le judaïsme et l'islam dans quelques rares cas, mais ces deux monothéismes luttent malgré tout contre son expansion. Le troisième monothéisme, à travers la voix de l'Eglise, s'oppose quant à lui catégoriquement au concept même du divorce.

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TABLE DES ILLUSTRATIONS Page 1 : Anneau de mariage en Or, montrant deux mains jointes, Rome IIe ou IIIe siècle British Museum Page 13 : Sistine Chapel, fresco Michelangelo, 1509 Agrandissement disponible sur : http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/d/d8/Hands_of_God_and_Adam.jpg Page 14 : Bas relief sur un sarcophage Rome, IIe siècle British Museum Page 15 : Photographie par Larissa Cleveland lors d'une cérémonie de mariage Disponible sur : http://www.stylemepretty.com Page 22 : Urna Lovatelli Museo Nazionale Romano Roma Page 25 : Scène nuptiale, Rome antique. ©RMN / Droits réservés, Rome antique. Page 26 : Bracelet néolithique en roche verte Vallée du Draa, Sahara occidental Photographie disponible sur : http://a6.idata.over-blog.com/4/25/41/68/Parrures/parrure-031.jpg