les super-héros dans la publicité
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Le mythe des super-héros dans la publicité, le phénomène d’héroïsation des consommateurs comme reflet du marketing participatif.TRANSCRIPT
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UNIVERSITE DE PARIS IV – SORBONNE
CELSA
École des hautes études en sciences de l’information et de la communication
MASTER 1e année
Mention : Information et Communication
Spécialité : Marketing, Publicité et Communication
Le mythe des super-héros dans la publicité,
le phénomène d’héroïsation des consommateurs comme reflet du marketing
participatif.
Préparé sous la direction du Professeur Véronique Richard
Nom, Prénom : Mougenot Mickaël
Promotion : 2010-2011
Option : Marketing et Communication
Soutenu le : 4 juillet 2011
Note du mémoire :
Mention :
2
Sommaire
Introduction ............................................................................................................ 4
1. Le super-héros : un mythe de notre société...................................................... 7
A) De l’âge d’or des comics à l’après-11 septembre........................................................... 7
1. La naissance des super-héros de comics .................................................................................................... 7
2. L’âge d’or des comic books ......................................................................................................................... 8
3. De l’âge d’argent à l’âge moderne ...........................................................................................................10
4. L’après 11 septembre ...............................................................................................................................13
B) Le pouvoir mythique des super-héros ........................................................................... 15
1. Les super-pouvoirs....................................................................................................................................15
2. Costume et double identité ......................................................................................................................18
3. Le mythe au service du soft power américain..........................................................................................21
C) Une hypermédiatisation des super-héros ...................................................................... 22
1. La marchandisation des super-héros .......................................................................................................23
2. Mainstream et blockbusters .....................................................................................................................26
2. Une banalisation du super-héros, signe de déclin ........................................... 29
A) L’omniprésence de super-héros dans la publicité rassure le consommateur .................. 29
1. Le besoin de rassurance ...........................................................................................................................29
2. Le personnage du super-héros dans la publicité ......................................................................................31
B) La fin du pouvoir mythique des super-héros ................................................................. 33
1. Les super-héros critiqués en dehors de la publicité .................................................................................34
2. Les super-héros n’ont plus de pouvoir dans la publicité ..........................................................................35
C) Des super-héros aux héros de pub ................................................................................ 36
1. Les personnages publicitaires : entre symbolisation et héroïsation ........................................................36
2. Les personnages publicitaires inspirés des super-héros ..........................................................................38
3
3. L’héroïsation des consommateurs : éloge du marketing participatif ............... 40
A) Des héros sans pouvoir .............................................................................................. 40
1. Kick-Ass, symbole de la démocratisation de l’héroïsme ..........................................................................40
2. Les Real-Life Super-Heroes .......................................................................................................................42
B) Quand les consommateurs deviennent les nouveaux héros ........................................ 44
1. La transformation de Monsieur Tout le Monde en surhomme ...............................................................44
2. Les consommateurs, nouveaux héros de la publicité ..............................................................................45
C) Le consommateur au cœur de la sphère communicationnelle et participative ............ 47
1. Le consommateur-entrepreneur ..............................................................................................................48
2. Le marketing participatif ..........................................................................................................................49
Conclusion ............................................................................................................ 52
Bibliographie ......................................................................................................... 57
Annexes ................................................................................................................ 59
Résumé ................................................................................................................. 80
Mots-clefs ............................................................................................................. 80
4
Introduction Assis devant sa télévision, un enfant regarde avec fascination les images d’une comète qui s’écrase sur la terre
sur fond d’aurore boréale. L’image se met alors en pause et le jeune garçon se tourne vers son père qui tient la
télécommande dans sa main tout en cuisinant de l’autre, avec un chiffon rouge sur l’épaule. En le regardant, son
fils s’exprime avec admiration : « Mon Papa, il maîtrise l’électricité et le gaz naturel de tout l’univers, et il peut
arrêter le temps aussi. » A la suite de ces mots, un courant d’air vient soulever le chiffon posé sur l’épaule du
père pour former derrière lui une cape rouge. Dans le même temps, une voix off explique que DolceVita permet
de faire des économies d’énergie, et donc, de préserver les énergies renouvelables.
Cette publicité a suscité mon intérêt car elle aborde un thème actuel de notre société, la protection de la
planète, tout en reprenant un imaginaire et des codes symboliques issus de l’univers des super-héros de comics.
En effet, ce père de famille est un héros aux yeux de son fils. Il possède des super pouvoirs dignes de Superman,
puisqu’il peut maîtriser l’énergie et le temps, et possède également un signe fort et symbolique : la cape, qui fait
plus généralement référence au costume du super-héros. Mais surtout, ce père de famille protège
l’environnement et le futur de son fils. La figure mythique du super-héros apparaît dans cette publicité afin de
rassurer et de répondre à un besoin de confiance du consommateur. La campagne DolceVita de GDF Suez1
reprend un thème omniprésent dans les médias depuis quelques années : la protection de l’environnement. La
publicité s’inspire d’ailleurs toujours de l’art, de tendances sociales ou de la culture d’une société pour pouvoir la
représenter de manière idéale. Si la publicité reprend un sujet qui intéresse les consommateurs pour se
l’approprier, elle est plus généralement le reflet de la société de consommation.
Les comics eux aussi s’inspirent de la société… Comme en atteste le dernier numéro du Batman Annual2 paru en
ce début d'année et qui a créé la controverse dès sa sortie. Le scénariste britannique David Hine a été beaucoup
critiqué à cause d’un scénario et un nouveau personnage un peu trop fidèles à la réalité. Reprise et diffusée
immédiatement par les médias, en Europe comme aux Etats-Unis, la polémique est liée à la venue de Batman en
France, où ce dernier recherche un nouvel allié pour combattre le crime : "Quand je suis arrivé à Paris, j'ai
entendu l'histoire d'un homme qui dansait au-dessus de la ville et se déplaçait avec une telle grâce que
beaucoup se demandaient s'il était véritablement humain". II s'agit de Nightrunner, alias Bilal Asselah, un jeune-
homme de 22 ans habitant Clichy-sous-Bois qui vit dans le souvenir traumatisant de la mort de son meilleur ami
1 Campagne DolceVita de GDF Suez, visible sur le site www.dolcevita.gazdefrance.fr, consulté le 3 mars 2011
2 Cf annexe 1 : Batman Annual #28, David Hine, Augustin Padilla, Andres Guinaldo, Lorenzo Ruggiero (DC Comics, février
2011)
5
Aarif, lors des émeutes de 2005 en banlieue parisienne. Outre son passé, ce qui a surtout provoqué la polémique
est le fait que ce jeune homme d’origine franco-algérienne soit musulman, ce qui dérange les fans de comics
conservateurs.3
De manière générale, les comics ont toujours reflété une certaine image de la société américaine, et ont même
participé à la diffusion d’une idéologie dominante à travers le monde : le capitalisme et le conservatisme.
Captain America en est la plus belle preuve : en 1941 la couverture du premier numéro4 de ce comics représente
notre super-héros donnant un coup de poing à Hitler. Quoi de plus symbolique ? Autre prophète de l'idéologie
américaine, Superman se bat depuis les années 50 pour "la vérité, le juste et l'American Way". On s'intéressera
donc au pouvoir communicationnel des comics, l'image de l'Amérique qu'ils véhiculent à travers le monde, mais
surtout comment les personnages issus de ces bandes dessinées américaines sont devenus des marques hyper-
médiatisées.
Forts de leur succès, les super-héros sont devenus l’objet de fascination de certains fans, au point que ces
derniers veuillent à leur tour revêtir le costume, même sans super pouvoir… J’ai ainsi récemment découvert les
Real Life Super Heroes5 : des citoyens américains qui ont décidé de s’inventer un personnage de super-héros afin
de combattre les injustices et le crime à leur manière. Directement inspirée de comics comme Kick Ass de Mark
Millar6, cette tendance explique en partie le mouvement qui s’est ensuite instauré dans la publicité : les super-
héros ont progressivement laissé la place à des personnages plus communs, des héros du quotidien sans
superpouvoir particulier, à l’instar du père de famille de la publicité DolceVita. On peut ainsi évoquer un
processus d’héroïsation du consommateur dans la publicité, qui fait partie d’une tendance un peu plus large,
celle du marketing participatif. Afin de mieux comprendre ce processus nous tenterons de répondre à la
problématique suivante :
Dans quelle mesure l’omniprésence de super-héros dans la publicité répond-elle à un besoin de confiance des
consommateurs et comment cela a-t-il entraîné une héroïsation de ces derniers dans une logique de
marketing participatif ?
3 Source : Article Un Super-héros de Clichy-sous-Bois, Elsa Vigoureux, Le Nouvel Observateur N°2414, 10 février 2011
4 Cf annexe 2 : Captain America #1, Joe Simon et Jack Kirby (Timely Comics, mars 1941)
5 Traduction : « Les super-héros de la vraie vie »
6 Cf Annexe 3 : Kick Ass #1, Mark Millar et John Romita Jr. (Marvel, 2010)
6
Nous tenterons d’y répondre en rappelant tout d’abord que le choix de ce sujet de mémoire est basé sur un
constat simple : les super-héros sont partout, surtout dans la publicité ! Nous tenterons donc de confirmer notre
première hypothèse : les super-héros ont été banalisés par leur hypermédiatisation, leur omniprésence dans la
publicité et leur marchandisation. Pour ce faire, nous analyserons l’évolution des super-héros des comics aux
blockbusters et nous nous appuierons sur une bibliographie composée notamment de Mainstream de Frédéric
Martel7 afin de comprendre leur entrée dans la culture populaire. Trois ouvrages essentiels nous permettront
quant à eux de définir le mythe du super-héros : De Superman au Surhomme d’Umberto Eco8, Mythologies des
Marques de Georges Lewi9 et bien sûr Mythologies de Roland Barthes10.
Ensuite, les super-héros répondent à un besoin de confiance de la part des consommateurs dans une société en
crise. Pour confirmer cette hypothèse nous nous appuierons sur l’évolution des comics corrélée à celle de la
société américaine, où nous verrons que les super-héros connaissent un plus grand succès en période de crise. -
Nous essaierons ensuite de définir le besoin de rassurance des consommateurs, auquel répondent les super-
héros, à partir de La Société des Consommateurs de Robert Rochefort11 et Ces Marques qui nous gouvernent de
Cécile Cloulas12.
Enfin notre dernière hypothèse complète la réponse à notre problématique : Les super-héros ont laissé leur
place dans la publicité à des héros plus communs, les consommateurs, dans une logique de marketing
participatif où ces derniers sont placés au cœur du processus de consommation. Pour démontrer cette
hypothèse, nous nous appuierons sur l’étude sémiologique de la publicité « Superhero » d’Innocent, et l’analyse
d’un corpus de publicités avec entre autres les spots et affiches publicitaires pour Dolce Vita de GDF Suez ou
pour WWF. Héros de Pub de Michel Jouve13 nous permettra de faire un parallèle entre les personnages
publicitaires et les super-héros, qui sont représentés de diverses manières dans la publicité, tandis que Le
Consommateur Entrepreneur de Robert Rochefort14 et Le Marketing Participatif de Ronan Divard15, seront des
portes d’entrée pour définir la logique de marketing participatif.
7 Mainstream, Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde, Frédéric Martel (Flammarion, 2010)
8 De Superman au Surhomme, Umberto Eco (Grasset, 1993)
9 Mythologies des Marques, Quand les marques font leur storytelling, Georges Lewi (Pearson, 2009)
10 Mythologies, Roland Barthes (Editions du Seuil, 1957)
11 La Société des Consommateurs, Robert Rochefort (Editions Odile Jacob, 2001)
12 Ces Marques qui nous gouvernent… Comment se servent-elles de notre psychologie pour nous faire céder ?, Cécile Cloulas
(Ellipses, 2010) 13
Héros de Pub, Quand les marques s’inventent un visage, Michel Jouve (Editions Chronique, 2009) 14
Le Consommateur Entrepreneur, Les nouveaux modes de vie, Robert Rochefort (Editions Odile Jacob, 1997) 15
Le Marketing Participatif, Ronan Divard, (Dunod, 2010)
7
1. Le super-héros : un mythe de notre société
A) De l’âge d’or des comics à l’après-11 septembre
Les comics sont apparus durant l'entre deux-guerres aux Etats-Unis, et comme nous allons le voir, leur évolution
est une histoire de la société américaine. Les comic books, plus communément appelés « comics » par
anglicisme, sont des revues composées de bande dessinées américaines destinées aux adolescents et aux jeunes
adultes. Après des débuts difficiles, elles connaissent le succès à partir des années 1930 grâce à l’apparition de
super-héros sur leurs couvertures. Dans une société en crise, en manque de repères et de confiance, les super-
héros vont perdurer pour devenir de véritables figures mythiques. De la grande dépression, à la seconde guerre
mondiale, en passant par la crise pétrolière et les années Reagan jusqu’au 11 septembre, la société américaine a
traversé de nombreuses crises sociales et économiques, qui ont marqué l’histoire des comics : l’âge d’or des
comics, apogée des super-héros, puis l’âge d’argent, ont fortement contribué au mythe tel que nous le
connaissons. Ils précèdent deux ères un peu moins glorieuses que sont l’âge de bronze, et surtout l’âge sombre
(aussi appelé l’âge moderne). L’après 11 septembre a ensuite de nouveau bouleversé les choses dans le monde
entier et par conséquence dans l’histoire des comics…
Analyser l’évolution des comics est indispensable pour comprendre comment et pourquoi les super-héros sont
devenus des mythes de notre société et pourquoi ils sont omniprésents aujourd’hui dans les médias,
notamment dans la publicité.
1. La naissance des super-héros de comics
Historiquement, The Adventures of Obadiah Oldbuck16 du suisse Rudolf Topffer (Histoire de M. Vieux Bois en
français) paru en 1842 aux Etats-Unis, est considéré comme le premier comic book. Le terme "comic book"
définit des revues, ou des magazines composés essentiellement (voir uniquement) de bandes dessinées
américaines qui peuvent provenir de plusieurs auteurs différents. Ces revues sont avant tout destinées aux
jeunes adultes, mais peinent à trouver leur public jusque dans les années 1930 lorsque apparaissent les super-
héros. Elles sont publiées par des éditeurs comme Detective Comics Inc. ou Timely Comics. Ce dernier est
maintenant plus connu sous le nom de Marvel, il a été créé en 1939 par Martin Goodman, et a notamment
publié les aventures de Captain America dès 1941, puis plus tard, de Spiderman, l'un des plus grands super-
16
Cf annexe 4 : The Adventures of Obadiah Oldbuck, Rudolf Topffer (1842)
8
héros de l'histoire des comics. Detective Comics Inc. ou DC Comics, est l'autre principal éditeur de comics dans le
monde, créé en 1935 par Malcolm Wheeler-Nicholson, le principal fait d'arme de cet éditeur reste la parution du
tout premier Action Comics en 1938 avec en couverture, le premier super-héros de comics : Superman.
Créé en 1933 par Jerry Siegel (scénario) et Joe Shuster (dessin) le personnage de Superman fait une rapide
apparition dans la revue Science-Fiction : The advance guard of the future civilisation. A partir de cette même
année, ses auteurs proposent alors un comic book The Superman (qui ne sera jamais publié) racontant les
aventures extraordinaires de cet extra-terrestre doté de superpouvoirs. Malheureusement l’histoire est refusée
par de nombreux éditeurs, et il faudra attendre 1938 pour que Jerry Siegel et Joe Shuster se voient proposer
d’intégrer une nouvelle revue de DC Comics : Superman apparaît en couverture du premier numéro d’Action
Comics en juin 193817. Cet exemplaire est aujourd’hui estimé à près de 1,5 million de dollars.
Umberto Eco fait une description très pertinente du personnage dans son essai « Le Mythe de Superman » 18. Il
est le premier super-héros de l'histoire des comics, son succès ouvre ainsi la voie à d'autres dès la fin des années
1930, alors que la Seconde Guerre Mondiale débute et va inspirer la création de personnages protecteurs de
l’humanité, au moment où les inquiétudes face à l’avenir ne cessent de croître.
2. L’âge d’or des comic books
L'arrivée des super-héros à partir de 1938 marque le début de l'âge d'or des comics, qui se terminera au début
des années 1950. C'est en effet entre 1939 et 1941 que sont créés de nombreux super-héros comme Batman et
Robin, Wonder Woman, The Flash, Green Lantern, Aquaman, Human Torch ou encore Captain America.
L'archétype du super-héros est défini dès cette époque par les auteurs de comics : courageux, il agit pour le bien
de tous, et veille à l'ordre public. Il est doté de pouvoirs surhumains, ou tout du moins de capacités dépassant
celles de l'être humain. Il porte la plupart du temps un costume et possède une double identité afin de ne pas
être démasqué. "Dès le premier numéro d'Action Comics affichant en couverture Superman soulevant une
voiture, le succès est immédiat. L'homme au collant bleu et à la mèche rebelle s'impose comme l'un des plus
puissants mythes des Etats-Unis, ce pays sans nom condamné à se réinventer sans cesse" résume Philippe Nassif
pour Beaux-Arts magazine19.
17
Cf annexe 5 : Action Comics #1, Jerry Siegel et Joe Shuster (Detective Comics, juin 1938)
18 Cf annexe 39 : Extrait du Mythe de Superman, De Superman au Surhomme, Umberto Eco (Grasset, 1993)
19 Article « Le mythe du super-héros. Super ou ordinaire ? » de Philippe Nassif, Beaux-Arts Magazine, Hors-série : Un siècle
de BD Américaine (TTM Editions, 2010)
9
C'est surtout la Seconde Guerre Mondiale qui participera à l'énorme succès des super-héros de comics. Ces
revues ne sont pas très chères (10 cents), elles sont mobiles, faciles à lire et à comprendre et racontent des
histoires ou le bien triomphe du mal. Les super-héros de comics défendent des valeurs occidentales, celles de
l'Amérique, de liberté, de justice et de capitalisme. Les auteurs ne vont pas hésiter à les mettre en scène face
aux forces de l'Axe à l'image de Captain America : Créé par Jack Kirby et Joe Simon, ce super-soldat aux services
de l'armée américaine apparaît donnant un coup de poing à Hitler pour la première fois en couverture d'un
comics en mars 1941. Les super-héros soutiennent la propagande antinazie, Superman en tête, dans une
planche de 1940, on peut ainsi le retrouver tenant Hitler à la gorge et le menaçant d'un « coup de poing
strictement non-aryen »20. Anne-Hélène Hoog, commissaire de l’exposition Héros, monstres et super-rabbins :
Des BD aux couleurs juives21, revient sur le fait que beaucoup d’auteurs de comics américains étaient d’origine
juive, ce qui expliquerait la récurrence du nazisme comme thème de prédilection dans les comics : « Il est
évident que des jeunes gens (surtout parmi les enfants d'immigrants, des gens pauvres, des réfugiés) ont été
choqués par la misère, la peur, la violence, l'injustice et finalement l'extermination qui se déroulait alors dans le
monde. Dans les années 30 on avait bien besoin de super héros ! »22.
« Les ventes sont décuplées par la guerre et les comics connaissent leur âge d'or : ce temps oublié où les super-
héros étaient bons, magiques, héroïques et sans nuance. »23 Cette période va participer au mythe fondateur du
super-héros. Cependant, la fin de la guerre annonce déjà le déclin de cette figure emblématique. L’année 1945
est marquée par le traumatisme des bombes atomiques d’Hiroshima et Nagasaki, naissent par la suite des
personnages qui se voient dotés de pouvoirs à la suite d’accidents nucléaires. Alors que les super-héros de
comics étaient à leur apogée aux Etats-Unis, la fin de la guerre va freiner leur succès populaire. Les lecteurs ne
ressentent plus le besoin d’être rassuré ou de rêver, les auteurs vont alors chercher à se diversifier en proposant
un nouveau genre de comics comme les comics d’horreur. Puis c’est surtout la parution du livre de Fredric
Wertham Seduction of the Innocent24 en 1954, qui va définitivement entraîner la fin de l’âge d’or des comics.
Wertham, psychiatre d’origine allemande, révèle que Batman et Robin seraient homosexuels, Wonder Woman
20
Cf annexe 6 : Superman contre Hitler
21 Exposition Héros, monstres et super-rabbins : Des BD aux couleurs juives, Musée juif de Berlin, 2010.
22 Sources : Article « L’ascendance juive des super-héros exposée à Berlin », sur le site www.actualitte.com, posté le 4 mai
2010 et consulté le 7 mai 2011.
23 Article « Le mythe du super-héros. Super ou ordinaire ? » de Philippe Nassif, Beaux-Arts Magazine, Hors-série : Un siècle
de BD Américaine (TTM Editions, 2010)
24 Cf annexe 7 : Seduction of the Innocent, Fredric Wertham (1954)
10
lesbienne et fan de bondage, et que Superman ne serait pas américain mais un simple fasciste. Il avance que les
« crime comics » (dont les comics de super-héros) sont une source d’influence néfaste pour les jeunes lecteurs.
Ils favoriseraient la délinquance juvénile, la violence, le sexe et la consommation de drogues ! De quoi effrayer
les parents et provoquer un véritable boycott. Seduction of the Innocent va entraîner la création du Comics Code
Authority, forme d’auto-censure des éditeurs de comics, qui craignent l’interdiction totale dans tout le pays
suite à la polémique créée par Wertham25.
3. De l’âge d’argent à l’âge moderne
L’âge d’or laisse place à une période moins faste pour les super-héros de comics à partir du milieu des années
1950. A leur apogée durant la Seconde Guerre Mondiale, les comics ont été ébranlés par l’apparition du Comics
Code Authority et la critique populaire après la parution de Seduction of the Innocent. Les éditeurs ne se laissent
pas abattre : Marvel lance le premier numéro des Quatre Fantastiques26 en 1961. Cette série créée par Stan Lee
(scénario) et Jack Kirby (dessin), auteurs de légende, est la plus longue éditée par Marvel à ce jour (elle s’est
terminée 50 ans plus tard en février 2011 avec le numéro 588). A la suite de cet énorme succès que fut Les
Quatre Fantastiques, Stan Lee lança dans les années 1960 de nombreux autres super-héros encore très
populaires aujourd’hui grâce aux blockbusters et séries dérivés : Hulk27, Thor28, Spiderman29, X-Men30. Pour
revenir sur ces personnages, Spider-Man est certainement celui qui restera le plus gravé dans les esprits des
jeunes adolescents : « Dès le premier numéro, Spider-Man comprend que la vie de super-héros n’est pas si
facile : « Avec de nouveaux pouvoirs viennent de nouvelles responsabilités » lit-on sur la couverture. Oublié le
temps de l’innocence : ce qu’il y a de plus passionnants dans les aventures de Spider-Man, c’est la vie chaotique
de Peter Parker. Et pour cause, il est l’exacte métaphore de l’adolescent » peut-on lire dans Beaux-Arts
magazine31. Cependant, les super-héros ne permettent pas seulement aux adolescents de s’identifier à eux, ils
25
Cf annexe 40 : Article « Comic Books et Délinquance Juvénile » de Philippe Nassif, Beaux-Arts Magazine, Hors-série : Un siècle de BD Américaine (TTM Editions, 2010)
26 Cf annexe 8 : Fantastic Four #1, Stan Lee et Jack Kirby (Marvel, 1961)
27 Cf annexe 9 : The Incredible Hulk #1, Stan Lee et Jack Kirby (Marvel, 1962)
28 Cf annexe 10 : Journey into Mystery #83, Stan Lee et Jack Kirby (Marvel, 1962)
29 Cf annexe 11 : Amazing Fantasy #15, Stan Lee et Jack Kirby (Marvel, 1962)
30 Cf annexe 12 : X-Men #1, Stan Lee et Jack Kirby (Marvel, 1963).
31 Article « Le mythe du super-héros. Super ou ordinaire ? » de Philippe Nassif, Beaux-Arts Magazine, Hors-série : Un siècle
de BD Américaine (TTM Editions, 2010)
11
vont s’engager dans des causes sociales pour continuer à défendre leurs valeurs de justice. Après les belles
années 1950, les Etats-Unis vont devoir faire face à de multiples crises sociales dès 1960, dont le Civil Rights
Movement, la lutte des droits civiques des minorités. Les comics vont refléter les travers d’une société
américaine en pleine révolte alors que la jeunesse a du mal à se faire entendre et que l’exclusion sociale ronge
un pays en manque de repère, comme le souligne Philippe Nassif32 : « En 1965, Spider-Man est surtout une
icône du Civil Rights Movement : une enquête du magazine Esquire révèle que les jeunes Américains le citent
volontiers aux côtés des révolutionnaires Malcolm X, Che Guevara et Bob Dylan. C’est un temps où l’esprit du
monde bascule sur ses gonds : le spectacle marchand, la politique révolutionnaire, la rock attitude, et la
désorientation existentielle composent l’indémêlable figure de l’excès de la société de luxe. »
C’est en 1966, que fait son apparition le premier super-héros de comics noir : Black Panther33, créé par Jack Kirby
et Stan Lee. Et en 1968, on peut voir l’homme-araignée voler au secours d’une jeunesse en pleine révolte en
couverture de The Amazing Spider-Man de John Romita34 ! Les comics sont donc plus que jamais un reflet de la
société américaine. L’âge d’argent des comics se termine au début des années 1970 avec les nombreux départs
d’auteurs emblématiques comme Jack Kirby de Marvel. La révision du Comics Code en 1971 et la suppression de
nombreux comics en manque de ventes, vont les faire passer dans une nouvelle ère, celle de l’âge de bronze.
L’assassinat de Martin Luther King en 1968 est encore dans toutes les mémoires alors que naissent justement
des comics privilégiant les super-héros noirs ou issus des minorités ethniques comme Black Lightning, Bronze
Tiger ou Blade. L’évènement principal de l’âge de bronze restera cependant le meurtre de Gwen Stacy, la petite-
amie de Spiderman, tuée par le Bouffon Vert35. Cet évènement illustre bien la tendance des comics à devenir de
plus en plus sombres, plus violents et plus subversifs quitte à sacrifier des personnages dits « intouchables », ce
qui n’était pas le cas de comics comme Superman ou Batman durant l’âge d’or voir l’âge d’argent. Après le
départ de Kirby, Les X-Men vont être repris par de nouveaux auteurs comme Chris Claremont ou Len Wein,
créateur du personnage ambigu de Wolverine en 1974. Il devient rapidement le X-Man favori des lecteurs. Avec
ses griffes et son cynisme en titane, ce mutant complexe et torturé permet aux lecteurs qui se sentent
persécutés de s’identifier à leur héros. Ces personnages de plus en plus nuancés laissent entrevoir l’âge sombre
des super-héros à partir des années 1980 : « le super-héros se définit de plus en plus par ses aspérités plutôt que
32
Article « Le mythe du super-héros. Super ou ordinaire ? » de Philippe Nassif, Beaux-Arts Magazine, Hors-série : Un siècle de BD Américaine (TTM Editions, 2010)
33 Cf annexe 13 :Fantastic Four #52, Stan Lee et Jack Kirby (Marvel, 1966)
34 Cf annexe 14 : The Amazing Spider-Man #68, John Romita (Marvel, 1968)
35 Cf Annexe 15 : Amazing Spider-Man #123 (Marvel, 1973)
12
par l’héroïsme lisse du Golden Age » explique Cyril Durr dans Geek magazine36.
A partir des années 1980, les comics passent alors dans l’âge moderne appelé aussi l’âge sombre car il
correspond justement à une période plutôt trouble sur le plan social, économique et politique aux Etats-Unis : la
présidence de Ronald Reagan, le désespoir politique, la guerre froide, la peur du nucléaire, mais aussi la crise
pétrolière, puis la guerre du Golfe au début des années 1990… Vincent Julé rappelle que « pendant les Golden et
Silver Ages des comics, environ de 1938 à 1970, il est acquis, voire imposé par les éditeurs, que chaque super-
héros a un sens de la justice, un esprit sain dans un corps sain »37 ce n’est plus le cas pendant le Dark Age (âge
sombre) où les super-héros doivent faire face à leurs psychose, à leur côté obscur. « Frank Miller, scénariste et
dessinateur de 300 et Sin City injecte du roman noir dans le genre de super-héros, et pousse encore plus la
machine. Il fait de sa première série, Daredevil, une vaste parabole sociale. Son héros est avocat, il doit faire
respecter la loi, mais en tant que justicier, il passe outre bien souvent. Matt Murdock et Daredevil représentent
une double façon d’appréhender la loi. Le premier étant le garde-fou du second. » indique Alex Nikolavitch,
auteur de Mythe et Super-héros38. « Maintenant plus personne ne peut croire qu’un guignol en costume joue les
héros par pur esprit de générosité. » conclue Philippe Nassif39 en évoquant l’âge sombre des comics.
Viennent ensuite deux chefs d’œuvre de l’âge sombre : les Watchmen du britannique Alan Moore40 et le Dark
Knight de Frank Miller41. Ce dernier titre possède un scénario atypique où se retrouvent Batman et Superman
dans une ambiance noire loin des comics de super-héros de l’âge d’or. Après quelques années de retraite, Bruce
Wayne encore tourmenté par la mort de ses parents, décide de revêtir son costume pour combattre le crime à
Gotham City. Malheureusement son retour va inciter ses pires ennemis comme le Joker à revenir eux aussi,
mettant la ville à feu et à sang. Sur fond de guerre froide et alors que la violence ne cesse d’augmenter
Superman finira par s’opposer à Batman dans un combat épique. Présentant un Batman controversé, sombre et
presque fou, Dark Knight changera définitivement la donne dans l’univers des comics.
36
Extrait de l’article « Les super-héros tombent le masque » de Cyril Durr, Geek le mag : Spécial Super-héros (Editions Dinausor Cyborg & Fish Consulting, S03E02, avril-mai 2011)
37 Ibid.
38 Ibid.
39 Article « Le mythe du super-héros. Super ou ordinaire ? » de Philippe Nassif, Beaux-Arts Magazine, Hors-série : Un siècle
de BD Américaine (TTM Editions, 2010)
40 Cf annexe 16 : Watchmen, Alan Moore et Dave Gibbons (DC Comics, 1986)
41 Cf annexe 17 : Batman : The Dark Knight Returns, Frank Miller (DC Comics, 1986)
13
Watchmen eut un énorme succès critique et commercial lors de leur parution de 1986 à 1987. L’histoire de ces
gardiens de l’ordre est un peu particulière puisqu’ils évoluent dans un univers parallèle à celui de DC Comics.
L’un d’entre eux et le moins controversé sans doute, est le Docteur Manhattan, personnage omniscient doté de
pouvoirs presque illimités à cause d’un accident nucléaire en 1960. Il représente une arme absolue pour les
Etats-Unis et participe à la victoire (fictive) de son pays lors de la guerre du Viet-Nam, permettant la réélection
continue de Richard Nixon jusqu’en 1985. Totalement inspirée de l’histoire des Etats-Unis et de la société
américaine, ce comics aborde les thèmes de la guerre froide et de la menace nucléaire, tandis que les « gardiens
de l’ordre » sont pour la plupart des héros très controversés (voir des anti-héros comme Rorschach) dont la
légitimité est fortement remise en cause : « Ils sont la deuxième génération, vieillissante, de justiciers en collants
que les premiers succès des comics de super-héros avaient inspirés. Watchmen est un passionnant roman
graphique, il marque la fin des super-héros tels que nous les connaissions, et l’émergence d’une sensibilité
nouvelle. » décrypte Philippe Nassif42.
Enfin, c’est durant l’âge sombre que se produisit ce qui restera certainement le plus grand évènement éditorial
de l’histoire des comics : la mort de Superman43. Le mythe qui semblait intouchable prend fin à une période où
les comics ont gravement besoin de faire parler d’eux alors que les ventes sont en chute libre. Comme un
symbole, la mort de Superman eut un écho médiatique retentissant au-delà de l’univers des comics. De là à dire
qu’il s’agissait de la mort des super-héros, il n’y a qu’un pas… Ce qui ne serait pas totalement injustifié tellement
Superman représente à lui-seul le mythe des super-héros. Mais l’histoire des comics ne s’arrête pas là. En effet,
la mort de Superman ne fut que temporaire, puisqu’il ressuscita quelques épisodes plus tard, ce qui semble
logique car nous le verrons par la suite, un mythe est inusable.
L’âge sombre aura donc profondément changé l’histoire des super-héros de comics. Plus controversés et
ambivalents qu’à leur début, les super-héros ont perdu de leur aura d’en temps et révèlent bien des faiblesses.
Cependant, un évènement va changer la face du monde et par la même créer une nouvelle rupture dans
l’histoire des comics…
4. L’après 11 septembre
Spiderman se tient debout, les épaules tombantes, impuissant devant les ruines du World Trade Center après les
42
Article « Le mythe du super-héros. Super ou ordinaire ? » de Philippe Nassif, Beaux-Arts Magazine, Hors-série : Un siècle de BD Américaine (TTM Editions, 2010)
43 Cf annexe 18 : Superman #75 : The Death of Superman (DC Comics, 1993)
14
attentats du 11 septembre 2001. Cette planche célèbre44 illustre une nouvelle fois l’insertion de la réalité dans
l’imaginaire des comics. Dans ce numéro Spécial 11 septembre de Spider-Man, c’est un double symbole qui
s’écroule : celui du super-héros incapable de sauver la vie de milliers de personnes malgré ses pouvoirs, et celui
de la puissance américaine et ses 2 tours auxquelles se raccrochait Spiderman par ses toiles d’araignée. Les
super-héros n’ont plus le pouvoir, ils sont progressivement rentrés dans le réel à force d’intégrer dans les récits
de comics de nombreux éléments historiques. C’est maintenant le réel qui dépasse la fiction : « Georges Bush
avec son axe du bien se prend pour une caricature de Superman. Ben Laden avec ses apparitions spectrales, fait
un parfait super-vilain. *…+ L’excès a définitivement quitté le territoire de l’imagination : il s’est inscrit dans le
réel. » selon Beaux-Arts magazine45.
Les nouveaux comics reflètent ainsi ce changement de paradigme : les super-héros sont humains, trop humains,
alors pourquoi de simples humains ne seraient pas des super-héros à leur tour ? C’est là qu’apparaît le
surprenant Kick Ass de Mark Millar et John Romita Jr46 : un adolescent sans pouvoir qui rêve d’être un super-
héros décide un jour d’enfiler un costume vert pour faire régner l’ordre. Dès sa première intervention, il se fera
corriger par la mafia locale pour un dur retour à la réalité, mais l’intention est là et elle va perdurer, l’apprenti-
héros va se relever et surmonter cet échec, pour devenir à son tour un justicier. Il va même inspirer de nouveaux
prétendants, qui ne vont pas hésiter à revêtir le costume pour combattre le crime dans la vie réelle. Il s’agit des
Real-Life Superheroes, ils sont présents un peu partout autour du monde et nous verrons à quel point ils
reflètent l’influence des comics sur le monde réel.
De manière générale, les diverses évolutions des comics leur ont permis de survivre, comme nous venons de le
voir ils ont suivi l’histoire de la société américaine de manière plus ou moins consciente. Reflets de la puissance
d’une nation pleine de confiance durant l’âge d’or, les comics de super-héros ont ensuite illustrés les angoisses
d’un peuple parfois déboussolé par des guerres inutiles (Guerre du Viet-Nam) et psychologiques (Guerre Froide)
ou luttant contre les injustices et les inégalités sociales (Civil Rights Movement). Les années 1980 ont vu
apparaître des comics plus sombres et plus violents, dans lesquels les super-héros manquent de morale, et
remettent en cause des dirigeants politiques douteux durant les années Reagan. La mort de Superman en 1993
fut un véritable symbole pour une industrie des comics ayant du mal à se renouveler dans une période de flou.
44
Cf annexe 19 :Spiderman #32 : Spécial 11 Septembre (Marvel, 2001)
45 Article « Le mythe du super-héros. Super ou ordinaire ? » de Philippe Nassif, Beaux-Arts Magazine, Hors-série : Un siècle
de BD Américaine (TTM Editions, 2010)
46 Cf annexe 3 : Kick Ass #1, Mark Millar et John Romita Jr. (Marvel, 2010)
15
L’après-11 septembre a néanmoins entraîné un certain renouveau dans cette industrie, et l’arrivée de nombreux
blockbusters va permettre une importante médiatisation des super-héros, dont le mythe ne s’est finalement pas
épuisé au fil des années… Car s’il y a bien une chose qui ne se consume pas avec le temps, c’est bien le mythe.
B) Le pouvoir mythique des super-héros
Le succès populaire des super-héros et la notoriété qui en découle sont fortement liés à leur pouvoir mythique.
Les super-héros sont rentrés dans la culture populaire car ils représentent un mythe, celui d’une société
occidentale en manque de repères qui cherche ses héros. Mais avant d’aller plus loin, arrêtons-nous un instant
sur la définition du « mythe ». Voici comment le définit simplement Roland Barthes dans Mythologies47 : « Le
mythe est une parole. *…+ Ce qu’il faut poser fortement dès le début c’est que le mythe est un système de
communication, c’est un message. On voit par là que le mythe ne saurait être un objet, un concept, ou une idée ;
c’est un mode de signification, c’est une forme. » Le mythe est donc un message, mais c’est surtout la forme du
message qui importe. Mais Roland Barthes rappelle aussi que le mythe est social (« réinvestir en elle [la forme]
la société ») et que si le mythe est parole, il est forcément culturel (car le langage est culturel). Après avoir défini
cette notion, il nous faut préciser pour notre analyse que nous étudierons toute forme de langage autour du
mythe du super-héros et que par langage nous entendrons « toute unité ou toute synthèse significative, qu’elle
soit verbale ou visuelle » comme le préconise Roland Barthes. Nous nous intéresserons donc autant à la
personnalité du super-héros, qu’à son costume ou le logo qui le représente afin de définir le mythe du super-
héros dans son ensemble. Enfin, il est nécessaire de remarquer que nous utiliserons le système sémiologique
signifiant-signifié-signe établi par Roland Barthes pour illustrer et expliciter notre analyse.
1. Les super-pouvoirs
Bien sûr tous les super-héros ne sont pas des personnages mythiques au sens fort du terme et certains
connaissent la notoriété et le succès sans pour autant faire figure de symbole. Cependant nous verrons qu’un
seul personnage représente aujourd’hui à lui-seul le mythe du super-héros dans son ensemble, puisqu’il s’agit
du premier d’entre eux : Superman. Ce personnage, décrit comme un mélange de Zorro, Hercule et Moïse par
47
Le mythe aujourd’hui, in Mythologies, Roland Barthes (Editions du Seuil, 1957)
16
Mikaël Demets48, a participé dès son origine au mythe fondateur des super-héros, et permis leur médiatisation
ainsi que leur présence sur les écrans publicitaires.
Avant d’aborder le thème de la double identité, revenons sur la principale caractéristique définissant notre
personnage : Superman possède des super-pouvoirs, des capacités surhumaines (ce qui est normal puisqu’il
n’est pas humain) et c’est ce qui définit avant tout les super-héros. Cela lui permet de venir en aide aux
personnes en danger, de lutter contre la criminalité, et protéger les plus faibles. Grâce à ses pouvoirs, il va faire
régner le bien et lutter contre le mal - en tout cas à l’origine des comics, durant l’âge d’or et l’âge d’argent car
comme nous l’avons vu, au fil des années, les comics ont peu à peu laissé place à des super-héros plus nuancés,
controversés, tourmentés et parfois moins légitimes.
Joe Schuster et Joseph Siegel, créateurs de Superman se sont inspirés de la mythologie greco-romaine et de ses
héros : Superman jouit de la force légendaire d’Hercule, demi-dieu fils de Zeus, connu pour ses 12 travaux. Il a le
courage de Persée ou Ulysse, héros de l’Odyssée, puisqu’il n’hésite pas à sacrifier sa vie pour le bien de son
peuple. Enfin, Superman a son talon d’Achille, tout comme le héros de la guerre de Troie et guerrier presque
invulnérable, puisqu’il est sans défense face à la kryptonite (fragment de météorite imaginaire). Nous pourrions
par ailleurs prendre l’exemple d’autres super-héros inspirés de la mythologie : Flash et Captain America ont tous
les deux un casque ailé comme Hermès, Dieu des voyageurs et guide des héros, Hulk possède une force de
« Titan »(fils d’Ouranos et de Gaïa), enfin Thor, super-héros pouvant contrôler la foudre, est directement inspiré
du Dieu du tonnerre dans la mythologie germanique.
Cependant Superman ne serait pas un super-héros sans son code moral et sa devise : « Truth, Justice and
American Way » (que l’on peut traduire par : « vérité, justice et American way »). En effet, avec ses pouvoirs,
Superman pourrait très bien dominer le monde et non pas protéger un peuple qui n’hésite pas à le critiquer.
Umberto Eco évoque ainsi la morale des super-héros de comics : « Chacun d'eux est doué de pouvoirs tels qu'il
pourrait en fait s'emparer du gouvernement, battre une armée, altérer l'équilibre des affaires planétaires. *…+
D'un autre côté, il est clair que chacun des personnages est profondément bon, moral, respectueux des lois
naturelles et humaines; il est donc légitime (et aussi beau) qu'il utilise ses pouvoirs seulement à des fins
bénéfiques.»49
48
Cf annexe 41 : Extrait de l’article « Les super-héros ont 70 ans : Une histoire américaine » Mikaël Demets, sur le site www.evene.fr, posté en septembre 2008, consulté le 12 avril 2011
49 Le mythe de Superman in De Superman au Surhomme, Umberto Eco (Grasset, 1993)
17
Voici quelques-uns des super-pouvoirs ou capacités surhumaines recensés en 75 ans de comics : Spiderman est
doté d’une force et d’une agilité incroyables ainsi que d’un « sens d’araignée » lui permettant de prévenir le
danger, Hulk déploie une force spectaculaire lorsqu’il se met en colère, Flash se déplace à la vitesse de la
lumière, Mr Fantastique est d’une élasticité démesurée, Green Lantern peut matérialiser tout ce qu’il veut grâce
à son anneau vert, Wolverine est doté de griffes d’acier et d’une force féroce, Captain America est un super-
soldat capable de combattre toute une armée, Human Torch peut s’enflammer, voler, lancer des boules de feu
et générer une explosion équivalente à une Nova, Tornade contrôle les éléments et peut déclencher tempête et
orage à tout moment, enfin Dr Manhattan est sûrement le plus impressionnant de tous tellement il cumule les
pouvoirs et semble invincible : il est omniscient et tout-puissant, capable de se métamorphoser, se téléporter,
transmuter ou déplacer la matière à distance, il possède le don d'ubiquité, ne ressent pas la douleur et ne vieillit
pas…
A noter que Batman ou Iron Man sont deux des seuls super-héros classiques à ne pas posséder de pouvoirs :
Batman se contente d’une belle agilité et de sa maîtrise du combat pour lutter contre le crime50 à l’aide de ses
nombreux équipements (Batmobile, Batmoto, Batgun etc…), alors qu’Iron Man est doté d’une armure d’acier
presque indestructible qui lui permet notamment de voler et tirer des missiles.
Infaillibles (ou presque) les super-héros ont donc choisi de faire le Bien, alors qu’ils pourraient se servir de leurs
pouvoirs à des fins illégitimes, devenant ainsi des super-vilains comme Lex Luthor ennemi juré de Superman, un
scientifique fou devenu au fil des années patron de multinationale puis Président des Etats-Unis durant l’âge
sombre des comics. Autre exemple, Le Bouffon Vert, ennemi emblématique de Spiderman, dont la véritable
identité est Norman Osborn51 pourtant ami de Peter Parker. Enfin, Le Joker, fou furieux au sourire de l’ange,
principal ennemi de Batman reste certainement le plus populaire des super-vilains. La plupart des super-vilains
font office d’alter-ego indispensable au développement du personnage de super-héros. Alex Nikolavitch revient
sur la mort du Joker lors de sa première apparition : « Les auteurs s’en sont vite mordu les doigts quand ils ont
compris le potentiel qu’avait le Joker comme image inversée de Batman. L’un sombre et rationnel, l’autre
bariolé et fou à lier. »52 Il poursuit son analyse : « Tout vise à repousser le chaos, voire même à le dominer.
Combattre l’ennemi, c’est imposer des idées, un langage, un mode de vie, un ordre ». Les super-héros véhiculent
50
Ce qui ne l’empêche pas d’être l’un des super-héros les plus populaires depuis sa création en 1939.
51 Dans les premiers épisodes, car d’autres personnages vont ensuite incarner le Bouffon Vert.
52 Extrait de l’article « La Loi c’est pas moi » de Vincent Julé, Geek le mag : Spécial Super-héros (Editions Dinausor Cyborg &
Fish Consulting, S03E02, avril-mai 2011)
18
un message, portent des valeurs, même si leurs actions sont parfois critiquées par la population. “With great
power comes great responsibility” (à savoir « avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités ») est
une devise qui résume assez bien la posture du super-héros envers ses pouvoirs. Issue du tout premier récit de
Spiderman créé par Stan Lee, elle est dictée par Ben l’oncle de Peter Parker, alias Spiderman. Il vient alors de se
faire tuer par un cambrioleur, et notre super-héros se remémore les conseils moralisateurs de celui-ci. C’est ce
qui forgera par la suite toute la personnalité de l’homme-araignée (mordu par une araignée radioactive lors
d’une expérience), qui va ressentir un fort sentiment de culpabilité et choisira de lutter contre le crime plutôt
que d’utiliser ses pouvoirs à mauvais escient. Les super-pouvoirs représentent la possibilité de faire des choses
au-dessus des capacités humaines, et par conséquent d’accéder au rang de surhomme. « Sans maîtrise la
puissance n’est rien » titre le slogan de la marque de pneu Pirelli, ce qui résume bien la situation des super-
héros, qui ont besoin d’une morale et d’un sens des responsabilités irréprochables, sans quoi ils n’accèderaient
pas au mythe du super-héros. Cependant les super-héros ne pourraient pas exercer leurs pouvoirs, même au
service du Bien, si leur véritable identité était connue de tous.
2. Costume et double identité
Le costume est un autre élément indispensable de la figure symbolique des super-héros, c’est d’ailleurs
l’élément le plus repris dans la publicité afin de les représenter. Pour reprendre le schéma de Roland Barthes
dans Mythologies53, le costume est le signifiant. « Toute sémiologie postule un rapport entre deux termes, un
signifiant et un signifié. » dont la corrélation aboutit au signe, qui est le total associatif des deux premiers
termes. « Le signifiant est vide, le signe est plein, il est un sens. » Le costume du super-héros exprime de
manière formelle les super-pouvoirs. Les super-pouvoirs sont donc le signifié et le super-héros, le signe, dans le
schéma sémiologique primaire.
Les costumes sont un véritable moyen d’identification des super-héros, ils ont participé au succès des comics par
leur forme originale et leur généralisation. Un super-héros doit porter un costume, c’est un moyen de
représenter le fait qu’il possède des super-pouvoirs mais aussi, et surtout, de s’assurer de ne pas être reconnu
par la population qui admire ses exploits. Si son identité était révélée au grand jour, le super-héros ne pourrait
pas être intégré à la société, il serait certainement exclu, considéré comme un être dangereux et différent. C’est
d’ailleurs ce que sous-entend la série des X-Men : les mutants sont exclus pour la menace qu’ils représentent et
luttent pour leurs droits dans une société qui les renie. La série des X-Men a d’ailleurs souvent fait écho à
53
Le mythe aujourd’hui, in Mythologies, Roland Barthes (Editions du Seuil, 1957)
19
l’exclusion subie par les minorités ethniques aux Etats-Unis et le Civil Rights Movement. Autre cas, celui des
Watchmen de l’âge sombre des comics, qui ont eu eux un traitement plus rude que leurs prédécesseurs selon
Vincent Julé : « Le rapport du super-héros à la société, et son intégration, est une question qui a souvent été
traitée, parfois directement à l’instar du Keene Act de Watchmen et de la Loi de recensement des Sur-Hommes
dans la série Civil War de Mark Millar. La première interdit les justiciers et vengeurs masqués, tandis que la
seconde impose à tout super-héros de s’enregistrer, de révéler son identité secrète et de travailler pour le
gouvernement. »54
Le costume permet donc la double identité des super-héros : Clark Kent est un simple journaliste qui devient
Superman lorsqu’il enfile sa combinaison bleu et rouge, Peter Parker un photographe minable qui devient
Spiderman lorsqu’il porte le costume de l’araignée, Bruce Wayne un milliardaire respecté qui revêt le costume
de Batman la nuit tombée… La double-identité est le seul moyen pour ces personnages d’exercer leur activité
protectrice. Dans le Dark Knight de Frank Miller, le Joker cherchera d’ailleurs à connaître l’identité de Batman à
tout prix, sacrifiant pour cela plusieurs innocents. Les super-héros ne sont pas la loi, ils tentent de la faire
respecter à leur manière, et doivent parfois l’enfreindre pour faire respecter l’ordre.
Selon Umberto Eco, le costume permet également un processus d’identification au héros de la part des
lecteurs 55 et la double identité permet au lecteur de comics de rêver, et nous le verrons par la suite, c’est
souvent pour cela que l’on fait appel aux super-héros dans la publicité. Outre la figure rassurante, le super-héros
fait rêver, il fait fantasmer et sa double identité permet au lecteur d’espérer être un jour à son tour un super-
héros.
Rentrons un peu plus en détail sur la description des costumes typiques des super-héros : la cape, les collants,
les vêtements moulants colorés, les bottes, le masque, entre autres, tous ces éléments participent au mythe. Le
super-héros et sa combinaison sont indissociables. Prenons encore une fois l’exemple de Superman, précurseur
du style atypique des super-héros : il porte une ceinture jaune, une cape, des bottes et un slip rouges par-dessus
une combinaison en collant moulante bleue. Sur son torse figure un logo56 en forme de pentagone (triangulaire
à l’origine), cadre rouge, fond jaune avec un S rouge au centre. Grâce à ce logo, ce costume est devenu une
icône du pop art : A la fin des années 1950, Superman rentre dans la culture populaire et son costume est
54
Extrait de l’article « La Loi c’est pas moi » de Vincent Julé, Geek le mag : Spécial Super-héros (Editions Dinausor Cyborg & Fish Consulting, S03E02, avril-mai 2011)
55 Cf annexe 42 : Extrait du Mythe de Superman in De Superman au Surhomme, Umberto Eco (Grasset, 1993)
56 Cf annexe 20 : Logo de Superman
20
identifié par tous aux Etats-Unis. A la même époque apparaît un nouveau mouvement artistique : le pop art
américain. Ce courant critique la société de consommation, c’est un art éphémère, populaire et consumable, il
est initié par des artistes comme Andy Warhol ou Roy Lichtenstein dans les années 1960. Superman, super-héros
de comics, produit de consommation commercial et populaire, est en totale adéquation avec ce courant
artistique, son costume siglé d’un logo pop art va alors devenir un symbole. Par ailleurs le but recherché par ce
logo est de faire vendre, nous sommes dans une logique mercantile, il nous rappelle que les comics se
consomment comme tout autre livre, magazine, revues… Superman est donc profondément ancré dans le
mouvement pop art et va devenir une icône artistique participant au mythe du super-héros.
Les créateurs de Superman ont inventé un style vestimentaire remarquable, permettant d’identifier les super-
héros, de mettre en avant leur côté unique, les différencier du reste de la population, du commun des mortels.
Ainsi la plupart des super-héros portent une tenue basée sur ce classique, nous comptons 3 éléments clés :
- La combinaison moulante, saillante, faisant ressortir leurs muscles, symbole de puissance.
- La cape, qui flotte dans les airs dès que le héros s’envole, ce qui renforce son charisme.
- Le masque permettant de garder secrète l’identité du héros.
Batman porte un masque en forme de chauve-souris sur le haut du visage, Spiderman revêt une cagoule pour
compléter sa combinaison en toile d’araignée, Flash et Captain America portent tous les deux un casque ailé
(rouge pour le premier, bleu siglé d’un A sur le front pour le second), Green Lantern et Robin ont un bandeau
noir sur les yeux, quant à Superman il porte des lunettes à l’état civil, mais les retire et change de coiffure
lorsqu’il porte son costume, ce qui le rend méconnaissable.
D’autres personnages gardent leur identité secrète par d’autres moyens comme Hulk qui se métamorphose en
géant vert dès qu’il se met en colère, ce qui simplifie d’ailleurs le choix du costume puisqu’il déchire ses
vêtements en se transformant. Le Dr Manhattan57 des Watchmen, est quant à lui connu du grand public, il ne
porte donc pas de costume, il apparaît même totalement nu aux yeux de tous, ce qui renforce son caractère
divin.
Nous verrons par la suite que le costume (facilement identifiable) est souvent repris dans la publicité comme
signe représentant le super-héros. Un seul élément du costume va souvent faire référence à l’entité, par
l’intermédiaire d’une métonymie (une partie pour le tout) mais l’image du super-héros sera souvent dégradée…
57
Cf annexe 21 : Dr Manhattan in Watchmen, (DC Comics, 1986)
21
3. Le mythe au service du soft power américain
Les super-héros ne sont pas seulement devenus mythiques grâce à leurs super-pouvoirs et leurs costumes, les
comics ont été considérés dès leur début comme un parfait outil de propagande pour les Etats-Unis. Outre
l’Oncle Sam qui encourage les jeunes américains à s’engager dans cette affiche célèbre58, Superman et Captain
America ont participé à l’effort de guerre : ces revues figuraient dans la liste des fournitures obligatoires dans
l’US Navy. A l’image du super-soldat qui n’hésitera pas à aller affronter Hitler lui-même, les comics ont ensuite
été le vecteur du soft power américain durant et après la Seconde Guerre Mondiale. « Le soft power consiste
pour une nation à faire accepter ses valeurs afin de structurer une situation de telle sorte que les autres pays
fassent des choix ou définissent des intérêts qui s’accordent avec les siens » selon la défintion de Joseph Nye59.
Les comics vont ainsi servir plus ou moins volontairement de moyen de diffusion à l’idéologie américaine, qui
deviendra dominante. Cette idéologie basée sur le capitalisme et l’individualisme prône des valeurs de libertés
et de démocratie que l’on retrouve régulièrement dans les comics. Voici quelques exemples de super-héros
défendant les intérêts des Etats-Unis, montrant à quel point les comics sont profondément américain :
Superman se bat pour sa devise : « Vérité, justice et American Way », Batman représente parfaitement la notion
d’individualisme politique, par son indépendance et sa non-ingérence dans la vie politique de Gotham City,
Captain America est le super-soldat de l’Amérique, Iron Man fournit aux Etats-Unis des armes de haute
technologie. Tous défendent un idéal américain renforçant un peu plus le mythe du super-héros, mais aussi celui
de leur pays, comme l’analyse Alex Nikolavitch : « L’Amérique des super-héros est mythifiée, c’est l’Amérique
qui fait rêver, un lieu irréel sur lequel tout le monde projette ses fantasmes. Et sous la surface de problèmes en
apparence purement américains, le super-héros peut véhiculer des valeurs universelles. »60
L’Amérique des comics qui fait rêver envoie donc une image positive au monde entier, même si au fil du temps,
cette image va perdre de sa superbe. Mais comme nous l’avons répété précédemment le mythe fondateur du
super-héros se situe durant l’âge d’or et l’âge d’argent des comics, et à ce moment-là, l’impérialisme américain
était à son comble.
A en croire le texte de présentation sur la couverture actuelle des revues Captain America, le super-héros n’a
rien perdu de son pouvoir patriotique : « Le premier super-soldat du monde, né d'une expérience secrète et
58
Cf annexe 35 : Affiche “I want you for U.S Army” de James Montgomery Flagg
59 Bound to Lead, The Changing Nature of American Power, Joseph Nye (1990)
60 Extrait de l’article « Les super-héros vecteur du soft power américain » de Julia Coulibaly, Geek le mag : Spécial Super-
héros (Editions Dinausor Cyborg & Fish Consulting, S03E02, avril-mai 2011)
22
forgé pour le combat. Perdu pendant des décennies, mais toujours le plus grand héros américain. » Malgré une
période de creux où Captain America était laissé pour mort, bloqué dans la glace, le super-soldat à la bannière
étoilée est toujours présent au premier plan, un blockbuster lui étant consacré sera même diffusé cet été dans
les salles de cinéma du monde entier. Pour rappel, sa période d’interruption correspond aux sombres années
politiques et militaires des Etats-Unis (Reagan, Guerre du Golfe), où le héros ne trouvait plus sa place aux yeux
de ses auteurs. Outre le cinéma, il est aujourd’hui présent dans la série des Secret Avengers61 où il s’est
dernièrement expliqué avec USAgent, qui porte les traits de Bradley Manning, l’un des fondateurs de Wikileaks.
L’image idéalisée des Etats-Unis et la diffusion de l’idéologie dominante américaine ont participé à la figure
mythique du super-héros tel qu’on le connaît aujourd’hui. Le mythe du super-héros tel que nous l’avons
présenté à partir du schéma sémiologique primaire, celui de la langue (signifiant : costume - signifié : super-
pouvoirs - signe : super-héros) ne correspond qu’à une partie du mythe comme l’explique Roland Barthes62 :
« On retrouve dans le mythe le schéma tridimensionnel : le signifiant, le signifié et le signe. Mais le mythe est un
système particulier en ceci qu’il s’édifie à partir d’une chaîne sémiologique qui existe avant lui : c’est un système
sémiologique second. Ce qui est signe dans le premier système, devient simple signifiant dans le second. » Ce
qui veut donc dire que le signe super-héros devient signifiant, étroitement lié au signifié que l’on appellera
Amérique et tous deux aboutissent au mythe de l’idéologie dominante américaine. Le mythe du super-héros est
donc celui sous-jacent de l’Amérique, la devise de Superman résonne alors un peu plus comme une parole de
propagande, lorsque l’on sait que le mythe du super-héros a été diffusé à travers le monde et est aujourd’hui
hyper-médiatisé.
C) Une hypermédiatisation des super-héros
Porté par l’impérialisme culturel américain dont ils sont devenus un vecteur de diffusion peu après leur
apparition, les comics ont eu un énorme succès populaire aux Etats-Unis, mais aussi de manière moindre à
l’étranger, notamment en Europe. Les comics sont des objets de consommation, ils sont bien entendu publiés
dans un intérêt commercial, ce qui mène logiquement à une marchandisation des super-héros en tant que figure
symbolique des histoires de comics.
61
Secret Avengers #12.1, Nick Spencer et Scott Eaton
62 Le mythe aujourd’hui, in Mythologies, Roland Barthes (Editions du Seuil, 1957)
23
1. La marchandisation des super-héros
Cette marchandisation correspond à la transformation progressive des super-héros en véritable marque. Nous
allons en particulier nous intéresser aux personnages issus des univers DC Comics et Marvel qui représentent la
part la plus importante des franchises aujourd’hui. « La marque est un repère mental sur un marché » selon
Georges Lewi63 c’est plus généralement un nom, un ensemble de signes et de représentations graphiques, qui
permettent d’identifier les produits ou les services d’une personne physique ou morale. La plupart du temps une
marque est représentée par un logo, et une majorité des super-héros en portent un : Batman et sa chauve-
souris noire sur fond jaune, Superman et son S pop art, Captain America et son bouclier étoilé, Spiderman et son
araignée etc... Le logo du Flash64 est certainement le plus intéressant : au premier plan figure un éclair jaune qui
devance un disque blanc, le tout sur fond rouge. Le Flash se déplace à la vitesse de la lumière, l’éclair allié au
rouge représente donc parfaitement l’idée de vitesse mais aussi de force, de puissance. Le Flash peut également
traverser la matière grâce à la fusion de ses molécules, ce qui explique que le disque blanc soit transpercé par
l’éclair, le disque représentant l’unité de la matière. Le logo est un signe, plein de sens, et au-delà de la simple
représentation graphique, il signifie quelque chose.
Aujourd’hui, le logo de Superman représente à lui-seul les super-héros dans leur ensemble, ce qui semble
logique puisqu’il est le mythe fondateur des super-héros. Le logo participe donc à leur entrée dans le monde des
marques, leurs devises apparaissent alors comme des slogans, l’univers dans lequel ils évoluent correspondent à
leurs univers de marque. Gotham City, une ville sombre et violente où le logo de Batman apparaît dans le ciel la
nuit lorsque l’on fait appel à lui. Les super-héros sont des marques à part entière, créés dans le but de vendre le
plus de comics possibles. L’intérêt commercial pousse donc les auteurs à inventer des histoires et des
personnages toujours plus attractifs. Ainsi, tout comme les romans feuilletons, les histoires de comics sont
séquencées en plusieurs épisodes, et la fin de chaque épisode laisse entrevoir la suite de l’histoire, à lire dans un
prochain numéro…
Superman est le personnage le plus populaire et ayant vendu le plus de comics en près de 75 ans d’existence,
mais c’est un personnage complexe d’un point de vue scénaristique. Umberto Eco analyse ainsi la difficulté pour
les auteurs de renouveler l’histoire d’un personnage qui ne peut pas mourir : « Superman, qui est, par définition,
le personnage que rien ne peut entraver, se trouve dans la situation narrative préoccupante qui fait de lui un
63
Branding Management, Georges Lewi (Pearson, 2007)
64 Cf annexe 22 : Logo de Flash
24
héros sans adversaire et donc sans possibilité de développement d'intrigue. En plus, pour des raisons
commerciales précises, ses aventures sont vendues à un public paresseux qui serait terrifié par un
développement indéfini d'événements, sujet à investir la mémoire pendant plusieurs semaines de suite ».
Excepté la kryptonite, Superman ne connaît aucune faiblesse, il va donc être opposé à une série d’obstacles qui
ne laissent que peu de marge de manœuvre aux scénaristes. Umberto Eco poursuit son analyse et remarque un
point clé qui constitue le mythe du super-héros, il est inusable : « Une fois l'obstacle surmonté, dans un terme
fixé par les exigences commerciales, Superman a cependant, toujours accompli quelque chose; par conséquent,
le personnage a accompli un geste qui s'inscrit dans son passé et qui pèse sur son avenir; en d'autres termes, il a
fait un pas vers la mort, il a vieilli, ne fût-ce que d'une heure, il a accru de façon irréversible l'ensemble de ses
expériences. Donc agir signifie pour Superman, comme pour tout autre personnage (et pour chacun de nous), se
consumer. Or, Superman ne peut pas se consumer, car un mythe est inusable. »65
Superman n’est pas immortel - sinon il serait érigé au rang de divinité, et non de super-héros si c’était le cas -
mais il est inaltérable, il n’évolue pas dans le temps. Pour comprendre que le mythe de Superman est inusable,
nous allons analyser le contrat de lecture établi (implicitement) entre les lecteurs de comics et les
auteurs/éditeurs, car c’est également un moyen d’expliquer son succès marchand.
Tout d’abord chaque comics possède plusieurs histoires différentes et indépendantes les unes des autres d’un
point de vue scénaristique. Ces histoires sont d’ailleurs signées par des auteurs différents et ils ont d’ailleurs
souvent un style graphique bien différent les uns des autres. Prenons l’exemple du numéro #900 d’Action
Comics66 pour analyser ce contrat de lecture. Superman combat Lex Luthor dans la première histoire co-écrite
par Paul Cornell et Pete Woods, intitulée « The Black Ring Finale Reign of Doomsday ». Cette histoire est
d’ailleurs une sorte de retour aux sources puisqu’elle contient le personnage de Doomsday qui a tué Superman
en 1993. La seconde histoire principale a pour titre « The Incident », elle est signée David S. Goyer et Miguel
Sepulveda. Dans cet épisode, Superman annonce qu’il est prêt à renoncer à sa nationalité américaine pour
pouvoir être complètement libre de ses actes sans altérer à l’équilibre géopolitique mondial. Ces deux histoires
n’ont rien à voir l’une avec l’autre et ne sont que des épisodes d’histoires plus larges. Les comics sont des
œuvres romanesques, on peut même les considérer comme des romans-feuilletons, mais la trame scénaristique
originelle définie par les auteurs n’intègre pas d’indices temporels. La fin d’une histoire (complète) n’a pas de
65
Le mythe de Superman in De Superman au Surhomme, Umberto Eco (Grasset, 1993)
66 Action Comics #900 (DC Comics, juin 2011)
25
répercussion sur la prochaine et aucun scénario n’interagit avec les autres. Tout cela permet aux héros de
survivre indéfiniment.
Cependant les scénaristes n’hésiteront pas à sacrifier Superman en 1993 pour tenter de relancer la série et créer
un écho médiatique sans précédent. Pour la mort du super-héros, toutes les histoires étaient rassemblées en
une seule, par souci de cohérence. Il ressuscitera quelques semaines plus tard mais l’évènement suscité par sa
mort montre bien à quel point Superman est un mythe de notre société. Certes le personnage est mort le temps
d’un épisode, mais pas le mythe car « le mythe est inusable ». Le schéma narratif original utilisé dans les comics
a donc pour but de perpétuer l’histoire des super-héros, sans les faire avancer dans le temps, afin de ne pas
causer leur mort.
Autre point qu’il est intéressant d’analyser dans le contrat de lecture : les auteurs ont conscience de ne pas
écrire un drame mais bien une comédie. Le style graphique des comics de super-héros, la mise en scène de
chaque histoire, les personnages et univers fantastiques dans lesquels ils évoluent, constituent le fondement du
récit. On note par ailleurs une évolution du schéma scénaristique au fil des années – ce qui explique en partie
que Superman soit mort une fois - mais ce qui nous intéresse est l’âge d’or des comics, période où s’établit le
mythe fondateur. Il est également entendu entre les auteurs et les lecteurs que la double identité des super-
héros est un moyen d’identification à ces personnages hors du commun qui ont pourtant une vie quotidienne en
dehors de leur activité super-héroïque. Si Superman était uniquement un super-héros et ne portait pas les traits
de Clark Kent dans son autre vie, il n’aurait certainement pas connu un tel succès commercial. Superman est un
extra-terrestre qui est pourtant semblable aux humains, davantage que Lex Luthor, le plus puissant d’entre eux.
A noter d’ailleurs que la dernière histoire du numéro 900 d’Action Comics (écrite par Richard Donner lui-même,
réalisateur de Superman en 1978) s’intitule « Only Human ». Les super-héros ont donc besoin d’être rattaché à
des choses plus communes, de la vie quotidienne, pour représenter un mythe.
L’intérêt commercial des comics assure la survie des super-héros, qui ne peuvent pas mourir dans le récit, sans
quoi le comics prendrait fin. Réciproquement, lorsque le super-héros devient une marque mythique, il permet la
pérennisation des ventes de comics. La marchandisation des super-héros renforce un peu plus le mythe, tout en
participant à leur succès populaire et commercial. Les comics sont des objets de consommation, en tant que
marques les super-héros vont ainsi être diffusés et médiatisés au fil des années. Les franchises de super-héros
font aujourd’hui l’objet de nombreux blockbusters, entrant encore un peu plus dans la culture mainstream.
26
2. Mainstream et blockbusters
Grâce à leur succès populaire, les super-héros sont entrés dans la culture mainstream dès leur apparition à la fin
des années 1930. Ils vont ainsi participer à la diffusion de l’idéologie dominante américaine comme nous l’avons
vu précédemment, mais surtout, les super-héros vont faire partie d’une culture commune grâce au mainstream
dont Frédéric Martel donne la définition suivante : « mot d’origine américaine : grand public, dominant,
populaire. L’expression "culture mainstream" peut avoir une connotation positive, au sens de "culture pour
tous", ou négative, au sens de culture hégémonique. »67 De ce fait, l’accès à cette culture mainstream va
entraîner leur hypermédiatisation, et participer à la diffusion du mythe des super-héros. Par hypermédiatisation,
nous entendons médiatisation excessive, nous évoquons ainsi leur présence récurrente dans les médias.
Un moment jugés trop violent, les comics ont choisi l’auto-censure par l’intermédiaire du Comics Code comme
nous l’avons vu précédemment, plutôt que de risquer le boycott ou la censure tout court. Les comics se sont mis
au service du soft power américain, et ont participé à la diffusion de l’idéologie dominante américaine pendant
la Seconde Guerre Mondiale puis la guerre froide. Le succès populaire et commercial des super-héros dès leur
début permet un constat simple aujourd’hui : tout le monde connaît Superman, Batman ou Spiderman, et
pourtant, tout le monde ne lit pas des comics… Les super-héros sont « sortis » des comics pour être déclinés en
séries télévisées (comme Smallville ou Lois et Clark pour Superman), en dessin animé (Batman et Robin,
Superman, X-Men etc…), et surtout en longs métrages pour le cinéma.
Les super-héros sont mainstream, ce n’est donc pas étonnant qu’ils appartiennent à des géants d’Hollywood,
principaux diffuseurs de cette culture grand public. En effet, les deux principaux éditeurs de comics
appartiennent à des conglomérats des médias et du divertissement. Marvel a été racheté par Disney en 2009 et
DC Comics appartient à Time Warner qui possède notamment les studios Warner Bros Production. Ces
entreprises, appelées « industries créatives », participent à la diffusion de la culture mainstream en proposant
des blockbusters, des films qui s’adressent à tous les publics et à toutes les générations à travers le monde, et
qui assurent un succès au box-office mondial à partir d’histoires « larger than life *…+ des personnages qui
dépassent leurs conditions, les âges, les pays et qui deviennent universels et mainstream. »68 Il s’agit la plupart
du temps de films à « happy end », qui ne comptent pas forcément d’acteurs connus dans leur casting (pour des
raisons de budget) et qui mettent en place des plans marketing gigantesque dans le monde entier afin de
67
Mainstream, Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde, Frédéric Martel (Flammarion, 2010)
68 Ibid.
27
promouvoir la sortie du film. A noter cependant que l’arrivée d’Internet a quelque peu changé la donne selon
Frédéric Martel car le spectateur est maintenant intelligent. Ce qui force les adaptations cinématographiques de
super-héros à être de qualité, afin d’assurer leur succès.
Après quelques adaptations de mauvaise facture, paraît en 1978 Superman réalisé par Richard Donner avec
Christopher Reeve dans le rôle-titre. Il est considéré aujourd’hui comme le premier grand film de super-héros
car il connut un succès planétaire et appela la sortie d’autres films de super-héros issus de comics. De 1978 à
aujourd’hui, les recettes cumulées des films de super-héros atteignent plus de 7,7 milliards de dollars69, on
retiendra notamment le film Batman réalisé par Tim Burton en 1989 avec Michael Keaton et Jack Nicholson,
mais c’est réellement à partir des années 2000 que tout va s’accélérer… Les premiers blockbusters à ouvrir la
voie dans les années 2000 sont deux films issus des comics Marvel : X-Men en 2000 réalisé par Bryan Singer et
produit par la 20th Century Fox et Spiderman en 2002 réalisé par Sam Raimi et produit par Sony Pictures
Entertainment. Ces films prévus de longue date par Marvel vont intervenir à une période clé de l’histoire des
Etats-Unis puisque surviennent les attentats du World Trade Center le 11 septembre 2001. Spiderman que l’on
avait vu défait devant les ruines des tours va revenir à l’écran pour combattre le mal dans sa tenue rouge et bleu
(même s’il ne pourra pas tirer ses fils autour des 2 tours comme le prévoyait une scène du film). Les blockbusters
vont participer au renouveau des super-héros dans une période critique pour les Etats-Unis sur le plan
international : cible du terrorisme, guerre en Afghanistan, puis guerre en Irak… Les Etats-Unis ont plus que
jamais besoin de leurs super-héros et ce n’est pas un hasard si Captain America fait son grand retour en 2004
après quelques années d’absence… Mais au-delà du pays de l’Oncle Sam, les blockbusters s’adressent à un large
public dans le monde entier, et il va répondre présent dans les salles de cinéma pour voir les super-héros
triompher, preuve que le mythe des super-héros est universel.
On compte aujourd’hui 33 films de super-héros sortis (ou prochainement) dans les salles de cinéma entre 2002
et 201270, cette liste permet de comprendre pourquoi les super-héros ont été hyper-médiatisés ces dernières
années, les blockbusters hollywoodiens y sont pour beaucoup. Il y a eu un effet de mode, provoqué par le succès
des premiers films de super-héros et la logique des industries créatives qui ne veulent produire que des films qui
s’adressent au plus grand nombre, sans risque financier. Certes, le fait que les super-héros fassent partie de la
culture mainstream est à prendre en compte, mais il faut noter que le public a souvent été au rendez-vous, et
69
Sources : Site www.boxofficemojo.com, consulté le 4 avril 2011
70 Cf annexe 23 : Liste de films de super-héros
28
pas seulement à cause des campagnes marketing qui entourent ces films : la demande croissante de films de
super-héros s’explique notamment par la peur et les angoisses d’une population mondiale qui découvre un
ennemi presque incontrôlable dans une situation géopolitique instable : le terrorisme. Ce qui explique les
besoins de protection, de sécurité et de rassurance exprimés par les spectateurs du monde entier, et auxquels
répondent les films de super-héros. Spiderman protège les rues de New York, Tony Stark alias Iron Man invente
des armes de guerre pour les Etats-Unis et Superman revient sauver Smallville pendant que Batman lutte contre
le joker à Gotham City. En une dizaine d’années, les films de super-héros se sont ainsi succédés, ne laissant
aucun répit aux spectateurs, ce qui ne laisse rien présager de bon au genre :
« C’est la fin des films de super-héros, ils sont destinés à mourir. Il ne reste plus beaucoup d’opportunités de
faire un film de super-héros à gros budget, encore deux ou trois et c’est tout. Le filon a été trop pressé, il
s’épuise, surtout que la qualité n’était pas toujours ce qu’elle aurait dû être. Le public va s’en lasser. Le genre va
être laissé pour mort pendant un temps. » confiait Matthew Vaughn, réalisateur de X-Men : le Commencement
(sorti cette année) et de Kick-Ass (sorti en 2010), lors d’une interview au Los Angeles Times71.
Nous le verrons par la suite, les super-héros ont fini par lasser, et pas seulement dans le cinéma, puisqu’ils ont
également été omniprésents dans la publicité ces dernières années, ce qui peut sembler logique. Les films de
super-héros ont répondu à un besoin de confiance, et de protection des spectateurs en période de crise, ce qui
répond à notre première hypothèse. Cela s’est traduit par l’énorme succès de ces blockbusters en une dizaine
d’années qui ont surtout participé à l’hypermédiatisation des super-héros partout dans le monde, entraînant par
la même leur banalisation avant leur déclin…
71
Interview de Matthew Vaughn pour le Los Angeles Times, août 2010
29
2. Une banalisation du super-héros, signe de déclin
A) L’omniprésence de super-héros dans la publicité rassure le consommateur
Comme nous l’avons vu précédemment, le mythe est intégré à la société dans laquelle il s’est construit, il est
culturel, inusable, et inaliénable. Il a participé à leur succès commercial, les faisant ainsi entrés dans la culture
mainstream, dominante et populaire. En tant que marque, les super-héros ont également été hyper-médiatisés,
surtout ces dernières années avec la sortie de nombreux blockbusters. L’objet de ce mémoire est d’ailleurs tiré
d’un constat simple : les super-héros ont été omniprésents dans la publicité durant les années 2000. Nous
n’allons pas énumérer toutes les publicités qui comptent des super-héros dans leur rang (la liste serait longue)
mais nous allons nous attarder sur quelques publicités qui représentent bien l’intérêt de présenter des super-
héros dans la publicité : rassurer le consommateur.
1. Le besoin de rassurance
L’image classique du mythe super-héroïque est reprise dans la publicité pour rassurer le consommateur, le
mettre en confiance dans son acte d’achat et dans sa relation à la marque. Depuis les années 1990, les super-
héros ont été présents dans des publicités pour tous types de produits et de services partout dans le monde :
banques et assurances, automobile, mode, boissons, produits laitiers, associations ou ONG etc...
Le terme de « rassurance » est employé pour la première fois par Robert Rochefort dans La Société des
Consommateurs72, il introduit la société de la rassurance comme suit : « Assailli par des inquiétudes de toutes
sortes, l’individu cherche dorénavant à être rassuré. Cela entraîne des changements dans ses choix de
consommateurs. Tel est le basculement des années 1990. Quel contraste avec le temps des années 1980 au
cours desquelles la consommation exaltait la toute-puissance de l’individu triomphant et lui proposait d’oublier
ses soucis grâce au plaisir éphémère et superficiel ! »
Pour aller plus loin, la société de la rassurance influence la consommation de la manière suivante : « C’est le
durable qui remplace l’éphémère, le recyclable qui remplace le jetable, le familial qui remplace l’individuel, le
solidaire qui remplace l’égoïste, le personnalisé qui remplace l’anonyme et enfin, la précaution (l’épargne) qui
72
La Société des Consommateurs, Robert Rochefort (Editions Odile Jacob, 2001)
30
remplace le risque (l’endettement). »73 Les consommateurs ont besoin d’être rassurés, leur inquiétude est
durable, leur comportement face à l’avenir change, leur consommation aussi. Ce qui rassure se vend, et ce n’est
pas l’offre qui a changé précise Robert Rochefort, mais bien les consommateurs qui se sont tournés vers
d’autres produits. Les marques ont toujours proposé des produits du terroir ou des formats familiaux, mais ce
n’est qu’à partir des années 1990 que les ventes de ces produits se sont multipliées. Les thèmes de
consommation dans la société de rassurance sont maintenant la santé, l’écologie, le terroir, la famille,
l’ethnisme, la culture ou encore l’humanitaire et la solidarité. Qui de mieux que les super-héros pour
représenter ces valeurs dans la publicité ?
« L’immatériel de la rassurance se prolonge au-delà des années 2000 » remarque Robert Rochefort. Bien au-delà
même, puisque les évènements du 11 septembre vont marquer les consommateurs. L’ère du consommateur-
entrepreneur présenté par l’auteur commencera tardivement dans les années 2000, alors que le thème de la
rassurance reste omniprésent. Comme nous l’avons vu précédemment, les films de super-héros connaissent un
incroyable succès dans les années 2000 notamment grâce à ce besoin de protection et de confiance ressentis
par les spectateurs. Dans cette même logique, la montée du terrorisme et les guerres vont influencer les
consommateurs de manière psychologique, ils vont alors se tourner vers des produits qui les rassurent, encore
et toujours, et la publicité va jouer sur cette fonction immatérielle.
La rassurance est un thème universel, elle s’applique également à la société américaine, en manque de
confiance et de repères, marquée par des temps de crises. Rappelons que l’évolution des super-héros est liée à
celle de cette société où les jeunes citoyens ont trouvé en ces personnages une échappatoire, un moyen de
rêver, de s’identifier. Cécile Cloulas évoque elle aussi le besoin de réassurance (il est important de noter la
différence d’orthographe mais pas de sens) : « Le besoin de réassurance est universel et légitime, nous avons
besoin de nous sentir en confiance lorsque nous prenons une décision, même s’il ne s’agit que du choix d’un
produit de consommation. Le besoin de réassurance est d’autant plus important qu’il concerne des éléments
intimes de sa personnalité, comme le pouvoir de séduction ou la capacité à être de bons parents. »74 Mais à quoi
sert ce besoin de réassurance dans la publicité ? Cela permet aux marques de créer une relation avec le
consommateur, jouant sur la compréhension et la connivence. Mais pas seulement : « En nous rassurant, les
marques nous fidélisent » La fidélisation est le facteur-clé pour les marques car cela leur permet de pérenniser
les ventes et l’activité de l’entreprise.
73
La Société des Consommateurs, Robert Rochefort (Editions Odile Jacob, 2001)
31
Les marques vont donc faire appel aux super-héros pour rassurer le consommateur, le conforter dans ses
décisions, son acte d’achat, mais aussi pour créer une relation avec le consommateur. Tout se joue ici sur la
fonction immatérielle de la consommation, et non pas sur la fonction matérielle qui correspond aux capacités
réelles d’un produit ou d’un service. L’immatériel de la rassurance va envahir la publicité car les consommateurs
ont besoin d’être rassuré, d’être en confiance lorsqu’ils achètent, et la publicité est excellent moyen pour les
marques de tisser une relation avec le consommateur.
Dans ce cas, qui de mieux qu’un super-héros brave, juste, et fort pour conseiller le consommateur en manque de
repère ? En effet, les super-héros sont entrés dans la culture commune, la culture mainstream. Nous parlons
bien sûr des personnages les plus célèbres, connus par un large public à travers le monde, notamment
Spiderman, Batman, Superman, Hulk ou encore Iron Man. Si les super-héros font partie de notre culture, il est
inévitable qu’ils soient repris dans les spots publicitaires. La publicité est ancrée dans notre société, elle est
sociale autant que culturelle. Elle se référencie dans notre culture afin d’être comprise par tout le monde. Elle
évolue au gré des tendances culturelles et artistiques et se veut forcément dans l’ère du temps. Quel intérêt
d’acheter un produit dont la publicité (et donc l’immatériel) semble dépassée ? La publicité s’inspire de l’art et
s’en rapproche même parfois. Utiliser des personnages de comics figures du pop art comme Superman semble
logique, qui plus est lorsque les valeurs de ces personnages sont en adéquation avec celle de la société de
consommation.
Le mythe du super-héros, comme nous l’avons décrit plus haut, est porté par des valeurs de courage, de justice,
de liberté et de vérité. Les super-héros protègent le peuple opprimé grâce à leurs super-pouvoirs, ils tentent de
faire régner la paix, viennent en aide aux familles en danger et n’hésitent pas à se sacrifier pour la planète. Leur
présence dans une publicité ne peut donc que rassurer le consommateur.
2. Le personnage du super-héros dans la publicité
Dans la publicité les super-héros peuvent rassurer le consommateur de diverses manières, mais nous verrons
qu’ils font plus souvent acte de présence, leur image se suffisant à elle-même. Il y a plusieurs types de publicités
avec des super-héros, nous allons analyser dans un premier temps celles qui reprennent fidèlement l’image des
super-héros tels qu’ils sont présentés dans les comics et les blockbusters. Il s’agira de publicités contenant les
74
Ces Marques qui nous gouvernent… Comment se servent-elles de notre psychologie pour nous faire céder ?, Cécile Cloulas (Ellipses, 2010)
32
codes de la figure mythique super-héroïque. Ces publicités font appel aux marques de super-héros : Spiderman,
Captain America, Thor, Hulk, Wolverine etc.
Comme nous l’avons vu précédemment, les super-héros sont présents dans des publicités pour tous types de
produits et de services, pour preuve ces trois exemples : les super-héros Marvel pour Got Milk ? (produits
laitiers), Batman pour McDonald’s (restauration rapide), et Superman pour Volkswagen (automobile). Cette
dernière est une affiche75 illustrant le logo Volkswagen de façon un peu particulière puisqu’elle reprend les
couleurs du logo Superman. Les contours du logo Volkswagen et les lettres V et W qui le composent sont rouges.
L’intérieur est jaune et le reste de l’affiche est bleu comme le costume de Superman. Il n’y a pas de logo en bas à
droite de l’affiche (il est déjà au centre) mais une simple signature « Golf R32. 241 Bhp ». En reprenant les
couleurs de Superman, Volkswagen s’attribue les capacités extraordinaires du super-héros. La publicité signifie
la puissance de la voiture par les couleurs de Superman, qui font référence à l’ensemble du personnage.
Autre exemple, celui de Batman qui apparaît dans une publicité McDonald’s dans les années 1990 pour vanter
les mérites du « Superhero Burger ». Ici, tout l’univers de Gotham City (ville où évolue Batman) est repris. Il se
faufile avec sa Batmobile entre les différents ingrédients qui composent le sandwich avant de le commander
dans un restaurant futuriste. La publicité s’adresse avant tout aux enfants et aux familles, le super-héros est
garant d’un sandwich de qualité.
Le spot publicitaire pour Got Milk ? réalisé par l’agence Goodby and Partners date de 1997. On y voit un laitier,
chapeau et costume blancs, qui vient livrer en sifflant une demi-douzaine de bouteilles à un manoir ;
l’atmosphère semble un peu étrange. En sonnant à la porte, il tombe dans une trappe et se retrouve nez à nez
autour d’une table ronde avec les super-héros Marvel : Captain America (au centre), Hulk, Spiderman, Iron Man,
Scarlet Witch, Thor et Œil de Faucon. Le décor est planté, le laitier a à faire aux super-héros « officiels », il se
trouve en réalité dans la cave des Vengeurs76. Les super-héros font ensuite subir au laitier un interrogatoire pour
connaître sa véritable identité, son pouvoir et savoir contre quoi il se bat. Le laitier va alors répondre qu’il n’est
qu’un livreur de lait qui lutte contre le manque de calcium ! La fin de la publicité présente une photographie
avec les super-héros et le laitier qui tendent un verre de lait en une d’un journal qui a pour titre « The New
75
Cf annexe 24 : Affiche Volkswagen : Superman, DDB New Zealand (2007)
76 Il faut préciser qu’il est inutile de connaître tout cela pour comprendre l’intégralité de la publicité, le spectateur a juste
besoin de savoir qu’il s’agit de super-héros, ce qui est simple puisqu’un message s’affiche en bas de l’écran lorsqu’ils apparaissent en gros plan : « All comic book characters, names and likenesses TM and ©Marvel Characters, Inc - All Rights Reserved ». De plus, chaque personnage porte son plus beau costume et leurs noms sont inscrits sur un présentoir devant eux, pour être sûr qu’on les reconnaisse.
33
Superhero ». Le laitier est donc le nouveau super-héros, il n’a pas de pouvoir mais répond à un besoin naturel et
rend les os solides.
Il était indispensable d’analyser cette publicité pour Got Milk ? tellement elle est pertinente pour notre
argumentation : Tout d’abord elle reprend fidèlement l’univers des comics Marvel. Le scénario publicitaire est
calqué sur la trame scénaristique classique des comics : L’écran de fin fait référence aux clichés de Peter Parker
qui illustrent les exploits de Spiderman en guise de clôture de chaque aventure (et plus généralement dans de
nombreux comics, on peut retrouver le cliché d’un super-héros en une d’un journal).
Ensuite, le mythe du super-héros est parfaitement illustré : le spectateur ne connaît pas forcément tous les
super-héros autour de la table, mais chaque personnage porte un costume original et renvoie un certain
charisme, l’effet de groupe fait donc comprendre qu’il s’agit de super-héros. Le mythe super-héroïque va ainsi
aider à promouvoir le lait en intégrant le laitier au groupe des super-héros. Le contraste du cliché de fin est
saisissant : le laitier est petit, il porte un costume blanc et ne possède pas de pouvoir contrairement aux super-
héros derrière lui qui sont tous dotés de capacités surhumaines et portent des costumes colorés. Le lait et sa
couleur blanche représente la pureté et la transparence, les super-héros l’approuvent, et on sait qu’ils disent la
vérité, ils ont une morale (car ils sont rattachés au mythe super-héroïque). Les consommateurs peuvent donc
faire confiance au laitier (et donc acheter du lait) car les super-héros le soutiennent. Enfin, si le laitier est le
nouveau super-héros, cela sous-entend qu’un individu sans pouvoir particulier peut être élevé à ce rang
supérieur ou alors que les super-héros n’ont plus de pouvoir… Cette publicité ouvre la voie à une tendance qui
va se généraliser dans la publicité : la fin du pouvoir mythique des super-héros.
Leur hypermédiatisation et leur marchandisation ne vont pas être forcément très appréciées au fil du temps et
les marques vont alors s’emparer du mythe pour se le réapproprier. Elles vont ainsi créer leurs propres super-
héros… L’hypermédiatisation ne doit pas forcément être perçue de manière positive, En effet, comme le
soulignait Matthew Vaughn réalisateur de Kick Ass, les spectateurs vont se lasser progressivement des super-
héros, auxquels ils ne croient déjà plus dans la publicité... Le désenchantement de la publicité s’applique aussi à
ces personnages qui ne font plus rêver mais qui sont de plus en plus moqués et critiqués.
B) La fin du pouvoir mythique des super-héros
Les publicités que nous allons présenter maintenant reprennent les codes des super héros pour mieux les
détourner, et c’est une tendance forte de la publicité qui illustre la fin des super-héros en tant que stars
publicitaires. Car les temps sont durs pour ceux qui ont été hyper-médiatisés et omniprésents dans la publicité
34
depuis quelques années, ils sont de plus en plus moqués, critiqués voir détournés… Finalement, les super-héros
n’ont peut-être plus de pouvoir.
1. Les super-héros critiqués en dehors de la publicité
Avant de nous intéresser au paysage publicitaire, reprenons l’évolution des comics telle que nous l’avons
présenté dans la première partie. De manière générale, les super-héros sont entrés progressivement dans le
réel, leurs pouvoirs sont de plus en plus réduits et ils peuvent parfois restés impuissants lorsque le danger les
dépasse. Les super-héros sont progressivement déchus de leurs pouvoirs. Et c’est dans cette logique de
déchéance que sont apparus des comics comme Watchmen présentant des héros illégitimes et controversés, ou
Kick-Ass qui illustre l’histoire d’un héros sans pouvoir. Ces deux comics sont d’ailleurs sortis tous les deux très
récemment au cinéma, après les nombreux films de super-héros que nous avons énuméré. Ainsi, la figure
mythique des super-héros a quelque peu été remise en cause, car si les super-héros n’ont plus de pouvoir, c’est
tout le mythe qui s’écroule…
L’art contemporain présente aussi des super-héros déchus de leurs pouvoirs : L’Hospice de Gilles Barbier77
exposée en 2002 représente des super-héros du 3e âge : Mr Fantastique n’a plus la force de rétracter ses
membres élastiques, Catwoman semble incapable de se relever de son fauteuil, Wonder Woman est au chevet
d’un Captain America mourant, Hulk semble inoffensif dans sa chaise roulante tandis que Superman s’appuie sur
son déambulateur et ne peut plus voler78… Gilles Barbier s’attaque ici à la temporalité du mythe du super-héros.
En effet, un mythe est inusable, il ne peut pas se consumer dans le temps. Cependant, l’image du mythe peut
être transgressé et utilisé afin de représenter avec force le temps qui passe. C’est ce que fait Gilles Barbier en
nous présentant des héros vieillissants dans un hospice. C’est l’exact opposé de l’âge d’or des super-héros qui
représentait la jeunesse éternelle à son apogée.
La publicité suit l’évolution du mythe des super-héros tel qu’il est représenté que ce soit dans les comics ou dans
l’art, car tous deux sont un reflet de la société. Si les super-héros sont représentés sans pouvoir, la publicité les
représentera de la même manière pour suivre la tendance.
77
Cf annexe 31 : L’Hospice de Gilles Barbier (2002, Collection privée, Courtesy G.P & N.Vallois, Paris) - Exposition Vraoum ! à la Maison Rouge (Paris, 2009)
78 Cf annexe 43 : Extrait de l’article « BD et art contemporain : histoire d’une rencontre », Aurélia Vertaldi et Oliver Delcroix,
sur le site www.lefigaro.fr le 3 août 2009, consulté le 5 avril 2011.
35
3. Les super-héros n’ont plus de pouvoir dans la publicité
De nombreuses publicités mettent en scène des super-héros sans pouvoir, paresseux, désinvolte, voir même un
peu gros, et n’hésite pas à s’attaquer au mythe connu de tous. Mais c’est justement en essayant de casser le
mythe du super-héros que la publicité le renforce, car elle va faire appel aux codes symboliques du super-héros
pour le représenter. Le mythe existe toujours, il est inusable, mais pas son image, qui peut être détournée.
Voici quelques exemples qui illustrent que les super-héros n’ont plus de pouvoir. Tout d’abord commençons
avec une publicité Redbull79 qui met en scène un super-héros qui est censé boire une boisson énergétique avant
d’aller sauver une femme en détresse, car « Redbull donne des ailes ». Malheureusement il n’a plus de Redbull
dans son frigo donc il n’ira sauver personne (ce qui est loin de la logique de rassurance présentée plus haut).
Autre exemple, celui de cette publicité pour WWF80 qui nous présente un monde où les super-héros seraient
plutôt déprimés et désinvoltes. Ils regardent les désastres se dérouler sous leurs yeux sans bouger le petit doigt.
La signature de la publicité rappelle alors à l’internaute « Vous n’avez pas à être un super-héros pour sauver la
planète » et l’invite à se connecter sur connect2earth.org (un site de l’association WWF). Quant à Yahoo !81, le
service de recherche en ligne illustre un super-héros qui a des idées à défaut d’avoir les super-pouvoirs et le
physique de Superman. Il se rend sur Yahoo ! pour acheter un sac aux victimes de vol à la tire, plutôt que de
courser le voleur, trop rapide pour lui.
Autre types de réflexion autour des super-héros, les publicités pour AIDES82 nous présentent Superman et
Wonder Woman sur leur lit de mort à l’hôpital, atteints du Sida : « Le Sida nous rend égaux » nous dit l’accroche.
L’idée de cette publicité pour AIDES a été reprise dernièrement pour la nouvelle campagne de l’association
UNISEP83 (Unis contre la Sclérose En Plaque) où l’on peut voir Wonder Woman incapable de se tenir debout à
son réveil (spot SEPas Wonder Woman) ou Superman titubant avec des troubles de la vue alors qu’il tentait de
s’envoler pour vaincre le danger (spot SEPas Lois et Clark).
79
Spot publicitaire Redbull donne des ailes, visible sur www.redbull.fr, consulté le 9 mai 2011
80 Connect2earth.org, WWF, Royaume-Uni, (Agence Escape Partners, 2008)
81 Yahoo!, Etats-Unis (Black Rocket San Francisco, 2002)
82 Cf annexe 25 : Affiches AIDS makes us equal, AIDES, France (TBWA Paris, 2004)
83 Campagne SEPas, UNISEP visible sur le site www.sepasducine.org, consulté le 8 mai 2011
36
Nous sommes tous égaux devant les dangers de l’alcool, c’est cette fois ce que nous dit la publicité Drunk
Superhero84 (super-héros ivre) pour les bières Bud qui préviennent des risques liés à l’alcool en présentant un
super-héros évanoui au pied d’un lampadaire qu’il vient semble-t-il de percuter après avoir trop bu.
C) Des super-héros aux héros de pub
Après avoir utilisés les super-héros comme stars publicitaires, les marques s’en inspirent pour créer leurs
propres super-héros, parfois directement inspirés de l’univers des comics, d’autres reprenant plus ou moins les
codes du super-héros pour créer un personnage publicitaire, voir un personnage de marque.
1. Les personnages publicitaires : entre symbolisation et héroïsation
Les « héros de pub » constituent un genre à part parmi les personnages publicitaires, ce sont ceux qui
représentent le mieux la marque, comme les introduit Michèle Jouve dans Héros de Pub85 : « Espace de création
et d’imagination, la publicité enchante le quotidien par ses histoires, grâce aux personnages réels ou fictifs
qu’elle fait vivre. Qu’ils soient humains, animaux ou monstres, qu’ils se nourrissent exclusivement de chocolat
ou de petits pois, pèchent par gourmandise ou s’abonnent à Internet, ils restent dans notre mémoire, allant
parfois jusqu’à voler la vedette aux marques qu’elles représentent. » La publicité nous (a) fait rêver grâce aux
personnages mythiques et les univers féériques qu’elle a créés même si elle semble en pleine (r)évolution
comme nous le verrons par la suite. L’auteure poursuit son introduction en précisant que « dans une société en
mouvement, où tout est instable, éphémère, la publicité arrête la course du temps, nous rassure à coups de
clichés stéréotypés. »86 Le héros de pub rassure, il fidélise le consommateur, et ce n’est sûrement pas un hasard
si certains héros de pub portent les traits de super-héros : Bibendum Michelin, Mr Propre ou encore Ronald
McDonald.
Le Bibendum Michelin a beaucoup évolué depuis sa création en 1899, et mérite qu’on s’y intéresse car il a été
élu meilleur logo de tous les temps. Il débute sur les chapeaux de roue avec son slogan « le pneu Michelin avale
l’obstacle » : « Sous son air débonnaire se cache un conquérant ! Quand les Français commencent à sillonner
l’Hexagone en voiture, il est leur partenaire fiable et astucieux. Sa silhouette rassurante surgit là où on l’attend,
dans les stations-service, les garages. » Plutôt rond à ses débuts, le bonhomme Michelin s’est affiné au cours des
84
Cf annexe 26 : Drunk Superhero, Budweiser, Republique Tchèque (Kaspen Prague, 2005)
85 Héros de Pub, Quand les marques s’inventent un visage, Michel Jouve (Editions Chronique, 2009)
86 Héros de Pub, Quand les marques s’inventent un visage, Michel Jouve (Editions Chronique, 2009)
37
années et a progressivement bombé le torse, fier de sa notoriété. Dans la dernière campagne publicitaire
mondiale de Michelin87, Bibendum vient en aide à une famille en danger sur la route dans plusieurs situations :
« Il était une fois dans une vie pas si lointaine, une voiture dont les pneus s’épuisaient face à une route longue et
agressive. C’est alors qu’arriva Bibendum qui rappela que le bon pneu peut tout changer.» En voici une autre :
« Il était une fois une forêt perdue au milieu de nulle part. Les gens racontaient qu’elle était hantée par des
créatures qui transformaient la route hivernale en un véritable cauchemar. C’est alors qu’arriva Bibendum qui
rappela que l’adhérence d’un pneu peut tout changer. » Bibendum intervient à chaque fois tel un super-héros
pour secourir la famille en danger alors que ses pneus s’usent à toute vitesse ou n’adhèrent pas suffisamment.
Racontée comme un conte, l’histoire présente le personnage publicitaire de la marque en héros, c’est ce que
l’on appelle plus communément le storytelling : « il consiste à utiliser une histoire plutôt qu’à mettre
classiquement en avant des arguments marque ou produit. La technique du storytelling doit normalement
permettre de capter l’attention et de susciter l’émotion. Elle peut également être utilisée pour élever la marque
à un rang de mythe »88 ou ce que Christian Salmon appelle « la machine à fabriquer des histoires et à formater
les esprits. »89. Mais le ton est donné, en faisant appel au storytelling, les marques cherchent à accéder au
mythe : « Le storytelling au sens noble du terme s’applique ainsi merveilleusement aux marques. Les plus
grandes l’ont bien compris ; elles sont devenues des mythes et cultivent et entretiennent très régulièrement leur
espace narratif. Voilà pourquoi on peut réellement parler de mythologie des marques. »90 Les héros de publicité
participent à cette mythologie en s’inspirant du mythe des super-héros. Le Bidendum Michelin s’est héroïsé au
fil des années pour devenir l’un des personnages publicitaires les plus connus de tous les temps. Les héros de
publicité se sont ainsi symbolisés, ils sont devenus les symboles de la marque qu’ils représentent. Mais cela va
même plus loin, que ce soit le Bibendum Michelin, Mr Propre ou Ronald Mc Donald, tous sont devenus des
symboles de la société de consommation par leur héroïsation. Car le phénomène sous-entend que la marque
devient mythique autant que son personnage publicitaire. Le court métrage d’animation primé aux Oscars
Logorama91 est une critique de la société des marques et de la consommation en général, il raconte l’histoire
délirante d’un kidnapping de l’enfant Haribo par Ronald McDonald poursuivi par deux Bibendum Michelin dans
un monde rempli de logo : Les héros de pub sont donc bien des symboles de la société de consommation.
87
Campagne Michelin, visible sur les sites Youtube ou Dailymotion
88 Définition de storytelling dans Le Glossaire marketing sur le site definitions-marketing.com, consulté le 15 mai 2011
89 Storytelling la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, Christian Salmon (La Découverte, 2007)
90 Mythologie des marques, Quand les marques font leur storytelling, Georges Lewi (Pearson, 2009)
91 Logorama, realisé par le studio français H5, 2010
38
Autre exemple de personnage publicitaire, celui de Pepsiman92, qui est directement inspiré des super-héros de
comics : il court à une vitesse extraordinaire et peut répondre au besoin (en boisson gazeuse) de n’importe quel
enfant. Il ressemble beaucoup à un personnage emblématique des comics : le Surfeur d’Argent93 (issu de
l’univers des Quatre Fantastiques). Pepsiman ne se déplace pas sur une planche mais en courant à toute vitesse,
il est totalement argenté avec une bande rouge et bleu, et bien sûr le logo Pepsi sur la poitrine. Ce héros de pub
symbolise fidèlement sa marque mais il se rapproche du super-héros de comics classique, dont les codes sont
repris plus subtilement par d’autres marques…
2. Les personnages publicitaires inspirés des super-héros
En s’appropriant les codes du mythe super-héroïque, que ce soit ironique, humoristique ou féérique, les
marques s’attribuent certaines valeurs de ce mythe, c’est ce que nous allons voir maintenant.
La dernière campagne Fresh and Bright Superheroes de Diesel94 est sûrement la plus aboutie. Les différentes
affiches présentent chacune un personnage directement inspiré de l’univers des comics de super-héros : Iron
Boy, Dr Score, Mistress of Puppies, Visible Woman, Miss Dismiss, Mr Naker, Lalalady, Supperman sont les super-
héros frais et éclatants de Diesel. La campagne est déclinée sur le web95 où défilent tous les super-héros avec
leurs costumes colorés, qu’il est possible de retirer puisqu’il s’agit en réalité de promouvoir la nouvelle collection
de sous-vêtements de la marque. Les couleurs pop-art très flashy et la typographie utilisées dans l’animation du
site (et les affiches) rappellent bien sûr le style classique des comics avec un léger ton ironique. Le concept
créatif choisi par la marque est d’ailleurs plutôt drôle : Nos sous-vêtements sont tellement beaux/originaux que
nous voulons qu’ils se voient. C’est pour cela qu’ils portent leurs slips/caleçons/culottes par-dessus leurs
costumes moulants, pour mieux mettre en avant leurs sous-vêtements colorés… Tout comme Superman ! Cette
campagne pleine d’humour illustre ainsi parfaitement la volonté des marques de créer leurs propres super-
héros tout en s’inspirant des personnages mythiques des comics. Ici Diesel se détache des valeurs des super-
héros en ne gardant que le style vestimentaire original des super-héros et en caricaturant les personnages.
92
Cf annexe 27 : Pepsiman
93 Cf annexe 28 : Surfeur d’argent
94 Cf annexe 29 : Affiches Fresh and Bright Superheroes, Diesel (Double You Spain, 2010)
95 www.diesel.com/freshandbright/ (consulté le 12 mai 2011)
39
Autre exemple, la publicité pour les parfums Ricci Ricci de Nina Ricci96 a imaginé un univers féérique dans lequel
l’héroïne incarnée par Jessica Stam porte les traits de Catwoman – elle est coiffées de deux oreilles et une
ombre de chat apparaît même au début du spot publicitaire. Très élégante, elle disparaît et réapparaît plusieurs
fois sur les toits de Paris et semble être très agile (comme un félin ?). Cependant notre personnage n’emprunte
les codes de la super-héroïne uniquement dans le but de séduire tout en restant mystérieuse. Encore une fois la
marque se réapproprie le personnage sans tenir compte des valeurs du mythe du super-héros, pour mieux s’en
détacher, car le mythe est lourd à porter.
Dans sa dernière publicité97, la marque Innocent joue encore une fois la carte de l’authenticité en présentant un
super héros un peu original : une bouteille de smoothie ornée d’une cape rouge suspendue à 2 câbles ou à une
perche qui vole devant des fruits médusés pour toujours arriver au bon moment : celui du petit creux. La
signature « Here to save the peckish » reprend le ton ironique et humoristique de cette publicité. Innocent n’est
pas là pour sauver l’humanité, juste le petit creux. Et la bouteille ne va pas venir toute seule à vous (d’où les
câbles et la perche), c’est un smoothie sans super pouvoir car sans additif, ni conservateur : Super authentique !
Cette publicité reprend de manière simple deux codes du super-héros les plus connus : la cape du costume et la
capacité de voler. Elle est basée sur un ton humoristique afin de privilégier la connivence et la relation de
proximité avec le consommateur. Les effets spéciaux sont grossiers afin de mettre en avant le fait que la
bouteille ne vole pas et que le super-héros ce n’est pas le smoothie, mais bien le consommateur ! Innocent a
poussé un peu plus loin le concept de super-héros en développant une application de réalité augmentée où
l’utilisateur peut intégrer la bouteille en train de voler (accrochée par 2 fils) dans sa propre vidéo. L’application
créée par Innocent permet au consommateur d’entrer dans la communication participative que nous allons
développer par la suite.
96
Film Ricci Ricci, Nina Ricci (Mlle Noï, 2010)
97 Cf annexe 30 : Analyse sémiotique du spot publicitaire Super Fruit de Innocent, Royaume-Uni (RKCR/Y&R, 2011)
40
3. L’héroïsation des consommateurs : éloge du marketing
participatif
A) Des héros sans pouvoir
Comme nous l’avons vu précédemment, si les super-héros n’ont plus de pouvoir dans la publicité, c’est parce
qu’ils n’en avaient déjà plus dans certains comics ou au cinéma. Nous verrons les exemples des films Kick-Ass de
Matthew Vaughn et Super de James Gunn qui illustrent l’héroïsation de personnes banales sans super-pouvoir et
qui ont inspiré un mouvement original initié aux Etats-Unis, celui des Real-Life Super-Heroes. Le même
processus s’est mis en place dans la publicité : une fois les super-héros déchus de leur pouvoir physique et
symbolique, d’autres vont prendre le relais pour être considérés à leur tour comme de véritables héros du
quotidien, il s’agit des consommateurs. L’art illustre d’ailleurs ce phénomène, prenons par exemple l’exposition
Superheroes de Dulce Pinzon98 qui présente des citoyens mexicains qui travaillent aux Etats-Unis : Un nettoyeur
de vitre en costume de Spiderman, Un jeune homme rentrant du travail en Superman, un démolisseur sur les
ruines du World Trade Center déguisé en La Chose des Quatre Fantastiques. Car ces travailleurs sont les vrais
super-héros ! Des super-héros du quotidien, qui n’ont certes pas de super-pouvoirs mais le courage et le sens
des responsabilités. La figure emblématique de l’héroïsme a été démocratisée, et avec elle le mythe du super-
héros.
1. Kick-Ass, symbole de la démocratisation de l’héroïsme
Comme nous l’avons vu précédemment, les super-héros ont progressivement perdu leurs super-pouvoirs et un
peu de leur pouvoir mythique, notamment dans les comics avec la parution en 2008 de Kick-Ass de Mark Millar.
Ce comic book un peu à part raconte l’histoire d’un étudiant qui veut devenir un super-héros alors qu’il ne
possède aucun pouvoir. Le sous-titre sur la couverture de la version française semble alors paradoxal : « Le
premier vrai super-héros »99. Intéressons-nous alors de plus près à ce scénario « très autobiographique »100 de
Mark Millar : Dave Lizewski est un jeune étudiant de dix-sept ans fan de comics qui veut devenir un super-héros
98
Cf annexe 32 : Exposition photo Superheroes de Dulce Pinzon, visible sur le site www.dulcepinzon.com/superheroes.htm, consulté le 20 mai 2011
99 Cf annexe 3 : Kick Ass #1, Mark Millar et John Romita Jr. (Marvel, 2010)
100 Interview de Mark Millar par Ahmad T. Childress sur le site www.craveonline.com le 5 avril 2010, consulté le 10 mai 2011
41
même s’il ne possède aucun pouvoir ni aptitude physique particulière (Pour rappel, Batman ne possède pas de
super-pouvoir non plus). Il décide quand même d’acheter sur Ebay une combinaison de plongée verte qui fera
office de costume et de s’équiper de deux matraques pour aller combattre le crime. Lors de sa première sortie
en tant qu’apprenti super-héros, Dave se fait poignardé par un délinquant puis renversé par une voiture. Après
plusieurs mois de rééducation, il décide de revêtir à nouveau son costume et finit par sauver la vie d’un homme
poursuivis par des délinquants. Son combat filmé par des témoins va ensuite être diffusé sur YouTube,
déclenchant alors une énorme popularité pour ce super-héros nommé Kick-Ass. Mark Millar raconte finalement
dans le tome 1 de Kick-Ass ce qui lui serait arrivé s’il avait réalisé son rêve de devenir un super-héros : il aurait
fini à l’hôpital ou serait peut-être mort. Par la suite, le comic book introduit d’autres super-héros du quotidien
comme Hit Girl, une fille de 10 ans surentraînée aux arts martiaux et au maniement des armes par son père Big
Daddy, ou encore que Red Mist dont la devise est explicite : « I can’t read your mind but I can kick your ass »101.
On comprend mieux le sous-titre « Le premier vrai super-héros » définissant Kick-Ass car au final, tout ce que
raconte le comic book est possible ! N’importe qui peut enfiler un costume et se prendre pour un super-héros,
Kick-Ass est très proche de la réalité, il ne s’agit pas d’un univers fantastique comme dans d’autres comics, mais
bien réel : acheter un produit sur Ebay ou diffuser une vidéo sur YouTube n’ont rien d’incroyable. Nous l’avons
vu précédemment, les comics sont un reflet de la société américaine et s’inspirent des évènements qui ont
marqué son histoire. Ici, fiction et réalité sont très proches, ce qui permet encore plus facilement aux lecteurs de
s’identifier aux personnages et d’adhérer au récit. Mais le phénomène Kick-Ass va même plus loin, outre la
sortie du film réalisé par Matthew Vaughn en 2010 qui a permis de médiatiser encore un peu plus le comic book
(et sa parution en France), il va inspirer de nombreux fans de comics qui ne vont pas hésiter à franchir le cap :
apparaissent alors les Real Life Super-Heroes, symboles d’une tendance générale d’héroïsation de personnes
banales.
Selon Romain Blondeau, journaliste des Inrocks, Kick-Ass a inspiré un autre genre de film, celui des super-héros
bidons : « C’est la crise pour les vengeurs masqués aussi. Une nouvelle génération de super-héros bidons
émerge alors que le réalisateur de Kick-Ass a déclaré que le genre serait bientôt mort. »102 L’article Les super-
héros sont morts, vive les super-losers! revient sur la sortie (prévue cette année) du film Super réalisé par James
Gunn103: « Super, c’est un trentenaire un peu paumé, Franck, qui s’est fait dérober sa femme par un dealer du
101
Traduction : « je ne peux pas lire dans tes pensées mais je peux te botter les fesses »
102 Extrait de l’article « Les super-héros sont morts, vive les super-losers ! », Romain Blondeau sur le site
www.lesinrocks.com, 20 septembre 2010, consulté le 5 avril 2011.
103 Cf annexe 33 : Super, réalisé par James Gunn, 2010
42
quartier. Sans autre pouvoir que sa motivation et sa jalousie féroce, Franck s’invente donc un personnage de
super-héros, sorte de croisement improbable entre Flash Gordon et Pacman. »104 Auparavant les comics de
super-héros étaient une échappatoire pour leurs lecteurs, aujourd’hui ces derniers n’hésitent pas à revêtir le
costume et devenir à leur tour des héros, c’est ainsi que l’on peut définir le phénomène d’héroïsation qui
envahit la société.
2. Les Real-Life Super-Heroes
Avant d’entrer dans l’explication du phénomène, il est indispensable d’identifier correctement ces personnages
que l’on appelle les Real Life Super Heroes. Voici comment Romain Blondeau les introduit sur Lesinrocks.com :
« On connaissait déjà la passion toute américaine pour la justice personnelle, les petits shérifs qui rejouent le
mythe vigilante à chaque coin de rue. Il faudra compter désormais sur une nouvelle race de justiciers,
ascendants nerds biberonnés aux Marvel et convaincus par Kick Ass de Matthew Vaughn, baptisés par la presse
américaine les "real-life superheroes". Soit une dizaine de paumés découverts dans les rues de Lynwood
(Seattle) dans l’état de Washington, ni flics ni chasseurs de primes, mais qui font –très sérieusement- régner la
loi habillés dans des costumes de super-héros de fiction. Un phénomène aussi génial qu’inquiétant… »105
Les Real Life Super Heroes (RLSH) représentent la démocratisation de la figure mythique du super-héros : tout le
monde peut devenir un héros, même s’il n’a pas de pouvoir, tant qu’il porte un costume. En s’emparant du
signifiant, c’est-à-dire le costume, ces héros du quotidien se sont accaparés le mythe : « Les Real Life Super
Heroes se ressentent comme les représentants d’une société jugée trop individualiste et égoïste. Ces gens
cultivent une idée fixe, à savoir la promotion de l’homme à travers ses performances, ses exploits et son
héroïsme. Il n’en reste pas moins que leur métamorphose a aussi forcément à voir avec un certain désir, ou désir
certain, de se faire aimer. »106 La tendance à l’héroïsation de personnes communes dans une société
individualiste semble logique, mais ces personnages masqués ne cherchent pas forcément la gloire et la
notoriété, ils défendent des valeurs de partage et de solidarité : « A chaque fois, ce qui rend semblable un RLSH
à un autre super héros est le combat contre la pauvreté, la violence gratuite, la petite délinquance mais aussi
104
Extrait de l’article « Les super-héros sont morts, vive les super-losers ! », Romain Blondeau sur Lesinrocks.com, 20 septembre 2010, consulté le 5 avril 2011.
105 Extrait de l’article « Inspirés par "Kick-Ass", des justiciers masqués veulent faire régner la loi », Romain Blondeau sur le
site www.lesinrocks.com le 6 janvier 2011, consulté le 3 mars 2011.
106 Texte de présentation de l’exposition photo Real Life Super-Heroes de Pierre-Elie de Pibrac dans le cadre de MAP 11,
Festival de la Photographie de Toulouse, mai 2011
43
l’incivilité et l’inculture. ». Le mouvement des Real Life Super Heroes s’est développé à la suite des évènements
tragiques du 11 septembre, les guerres en Afghanistan et en Irak, et la crise financière et sociale qui a touché les
Etats-Unis (et le reste du monde). « A l’heure d’Internet, en 20 ans, les RLSH y sont passés d’une petite dizaine à
plus de 130. Le phénomène s’est même propagé dans le monde, au Canada, en Australie et partiellement en
Europe (Italie, Angleterre, Irlande) »107, le processus d’héroïsation touche donc le monde entier, pas seulement
les Etats-Unis, pays où est né le mouvement. Même s’il n’existe aucun Real Life Super Hero français, nous
verrons que la France a aussi été touchée par le phénomène d’héroïsation à travers la publicité. Nous pouvons
définir le processus d’héroïsation comme la transformation de citoyens normaux en super-héros, par
l’intermédiaire de la création d’une double identité et d’un costume. Voici comment Pierre-Elie de Pibrac
présente Zetaman, l’un des Real-Life Super Hero les plus célèbres : « Zetaman a 31 ans, habite Portland et
patrouille les rues et ruelles de sa ville la nuit en compagnie de sa femme, Apocalypse Meow, RLSH également.
De son vrai nom Illya King, il transporte avec lui une panoplie de gadgets comme un pistolet Taser, une
matraque de police, une bombe au poivre et un sac à dos remplis de nourriture pour les sans-abris et
déshérités. »108 Mais en intégrant le mythe du super-héros à la société réelle, les Real Life Super Heroes le
dénature. Lorsque Phoenix Jones, super-héros de Seattle, est présenté en sauveur par les médias américains
parce qu’il est intervenu avant la police pour empêcher un cambriolage, on se rend compte de la détresse d’une
société où la réalité a véritablement dépassé la fiction. Alors que les comics ont toujours intégré le réel et reflété
les travers de la société américaine, permettant ainsi aux lecteurs de s’identifier à leurs héros, c’est au tour des
personnages fictifs d’intégrer la réalité. La démocratisation des Real Life Super Heroes rend le mythe accessible,
en tout cas l’image du mythe, car ce n’est pas en portant un costume que l’on devient un super-héros. Comme
le prévoyait le scénario de Kick-Ass, ces super-héros du quotidien ne sont d’ailleurs pas à l’abri d’être corrigés
par les délinquants qu’ils tentent d’arrêter. Dernièrement, Phoenix Jones s’est même fait agressé alors qu’ils
tentaient d’empêcher une bagarre : « contrairement à ce qu'ils semblaient croire, ces jeunes gens n'ont pas de
super pouvoir, et ce qui devait arriver arriva. Samedi soir, Phoenix Jones est tombé sur plus fort que lui et s'est
fait agresser. Résultat: un nez cassé. »109
107
Texte de présentation de l’exposition photo Real Life Super-Heroes de Pierre-Elie de Pibrac dans le cadre de MAP 11, Festival de la Photographie de Toulouse, mai 2011
108 Description de Zetaman par Pierre-Elie de Pibrac sur le site www.rlsh.fr, consulté le 10 mai 2011.
109 Extrait de l’article « Le justicier masqué préféré de l'Amérique se fait casser le nez » sur le site www.lesinrocks.com,
posté le 12 janvier 2011, consulté le 3 mars 2011.
44
Le mythe n’est donc pas devenu réalité mais le phénomène d’héroïsation du citoyen normal existe bien. La
représentation symbolique des super-héros a donc évolué, on parle aujourd’hui de super-héros du quotidien,
plus proches de la réalité et moins fantasmatiques.
B) Quand les consommateurs deviennent les nouveaux héros
En conclusion de son ouvrage De Superman au Surhomme, Umberto Eco revient sur un évènement que nous
avons déjà évoqué, la mort de Superman : « A l’heure où j’écris ces lignes, Superman est mort - du moins est-ce
ce que raconte la dernière de ses histoires parue en Amérique, même s’il n’est pas difficile d’imaginer que, à
l’instar de Rocambole, il réapparaîtra d’une manière ou d’une autre. »110 (NDLR Superman est mort dans le
numéro 75 de Superman en 1993 avant de réapparaître l’année suivante). Umberto Eco voyait donc juste,
Superman réapparaîtra mais il avait déjà perdu de sa superbe et l’auteur l’analyse très justement en établissant
le même constat que dans ce mémoire, le super-héros a été banalisé, ce qui a dénaturé le mythe : « Héros de
cinéma, Superman était devenu trop visible et trop important pour continuer à mener la curieuse vie d’être
omnipotent caché au fin fond d’une bourgade de province. »111 Superman est donc sorti de l’univers dans lequel
il évoluait en honnête citoyen (Smallville aux Etats-Unis) et même du cadre des comics où il apparaissait chaque
mois. Il est revenu différent et plus nuancé, alors que c’était au tour d’un autre de prendre la place du super-
héros, celui de Monsieur Tout le Monde. C’est ce qu’il s’est passé avec la démocratisation du mythe des super-
héros et le phénomène d’héroïsation qui a vu émergé des « super-héros » voulant faire régner la loi dans de
nombreuses villes aux Etats-Unis alors que ce ne sont que des citoyens ordinaires, pour la plupart fans de
comics. Selon Umberto Eco, le mythe du super-héros a été remplacé par un autre modèle dans les médias : le
surhomme de masse112.
1. La transformation de Monsieur Tout le Monde en surhomme
L’expression « le surhomme de masse » est une autre manière de dire que le surhomme est maintenant
commun, quotidien, banal. Les super-héros font partie de la culture mainstream (que nous avons défini plus
haut) ce qui les rapproche du surhomme de masse : « Mais le plus important c’est qu’entre-temps, entre les
110
Conclusion 1993, De Superman au Surhomme, Umberto Eco (Grasset, 1993)
111 Conclusion 1993, De Superman au Surhomme, Umberto Eco (Grasset, 1993)
112 Titre original du livre d’Umberto Eco De Superman au Surhomme : Il Superuomo di Massa
45
années 30 où naissait Superman et nos jours, la télévision s’est installée. En guise de Superman, elle a élu
l’Everyman, c’est-à-dire qu’elle a offert comme modèle d’homme exceptionnel l’homme de tous les jours, celui
auquel n’importe qui peut s’identifier »113 Umberto Eco prédisait ainsi bien à l’avance le phénomène
d’héroïsation qui allait se produire quelques années plus tard, relancé par le succès de Kick-Ass notamment.
L’hypermédiatisation et la banalisation des super-héros ont changé la représentation du mythe, mais c’est
aujourd’hui Monsieur Tout le Monde qui joue le rôle du surhomme. Par Monsieur Tout le Monde, on entend ici
le citoyen normal, commun, qui devient le surhomme du quotidien. L’effet des médias sur ce phénomène
d’héroïsation est indéniable, et nous verrons par la suite qu’il s’agit de flatter l’égo du consommateur que de
l’ériger en super-héros dans la publicité. Mais alors, comment devient-on un surhomme lorsque l’on est un
citoyen normal ? Ce sont les médias et leur pouvoir de diffusion et d’influence qui vont transformer une
personne commune en surhomme par le processus d’héroïsation.
2. Les consommateurs, nouveaux héros de la publicité
Les super-héros ont perdu de leur pouvoir mythique dans leur déchéance, nous l’avons vu, ils sont maintenant
constamment moqués et détournés dans la publicité tellement ils ont été hyper-médiatisés et banalisés. Ils ont
envahi le paysage publicitaire mondial de ces 20 dernières années, au point de lasser le consommateur qui ne
croit plus ou n’a plus besoin de croire au rêve proposé par ces personnages fantastiques. La tendance actuelle
est toute autre, les marques ne font plus appel aux super-héros de comics pour promouvoir leurs produits, elles
vont faire appel à des héros plus communs, les consommateurs.
Les Héros de pub que Michel Jouve définissait comme des personnages inventés par les marques pour les
représenter, portent aujourd’hui les traits des consommateurs, des personnes bien réelles devenues des héros
ou héroïnes du quotidien. Les marques placent donc de plus en plus le consommateur en héros publicitaire, ce
qui est lié en partie au désenchantement qui a eu lieu dans la publicité et à la banalisation des super-héros. Le
phénomène d’héroïsation, après avoir touché le citoyen lambda en le transformant en surhomme de masse,
surhomme du quotidien, est donc réapparu par voie de conséquence dans la publicité.
Comme le soulignait Cécile Cloulas dans le chapitre « Parlez-moi d’moi » de Ces Marques qui nous gouvernent,
l’égo du consommateur a besoin d’être flatté. Il a besoin de se sentir aimé, de se faire désirer, et le mettre en
avant dans la publicité semble indispensable au moment où le phénomène d’héroïsation envahit le monde de
113
Conclusion 1993, De Superman au Surhomme, Umberto Eco (Grasset, 1993)
46
l’art ou du cinéma et reflète une tendance forte de la société de consommation sur laquelle nous reviendrons en
dernière partie.
Afin de mieux comprendre le phénomène d’héroïsation des consommateurs, nous allons analyser la campagne
publicitaire Héros d’aujourd’hui de Volkswagen qui a placé le consommateur au centre de sa stratégie de
communication afin de le transformer en véritable héros.
Dans son spot publicitaire « Les héroïnes d’aujourd’hui »114 Volkswagen nous montre une femme en tenue
sportive, mélange de James Bond et Lara Croft115, qui arrive à s’échapper d’un bâtiment alors qu’elle est
pourchassée avant de tout faire exploser. C’est là qu’intervient une coupure dans le spot : « C’est facile d’être
une héroïne quand on a que ça à faire. ». Le film se poursuit avec des images de cette même héroïne au
quotidien : étendre le linge, faire des courses avec ses enfants, veiller sur eux en permanence. L’accroche finale
conclut « Nouveau Touran, pour les vrais héros d’aujourd’hui. » La marque s’adresse donc ici aux mères de
famille, qu’elle considère que de vraies héroïnes contrairement au personnage au début du spot, trop éloigné de
la réalité. Etre une bonne mère c’est être une vraie héroïne du quotidien, c’est aussi ce que dit l’affiche116 de
cette campagne. On retrouve l’opposition exposée dans le spot publicitaire : la première partie de l’affiche
illustre une héroïne (sans famille) qui tient à portée de bras un homme suspendu dans le vide, et une deuxième
partie où cette même héroïne (avec famille) tient son enfant par le pantalon dans la même position afin de le
faire rentrer dans son Volkswagen Touran. En héroïsant la mère de famille, la marque la valorise, elle flatte son
égo et la récompense de ses efforts en lui proposant sa nouvelle voiture. Mais la campagne ne s’arrête pas là,
elle est déclinée sur Internet avec le site herosdaujourdhui.com. Ce site permet notamment aux internautes de
« s’héroïser » par l’intermédiaire d’un photomontage en couverture d’un faux magazine qu’il est possible de
diffuser ensuite dans la galerie photo du site. L’onglet « Devenez un super-héros » incite l’internaute à franchir
le pas, il est explicite et montre bien la démocratisation de la figure mythique du super-héros que nous avons
décrit précédemment : Tout le monde peut devenir un super-héros (du quotidien). L’outil est simple, il permet
de rajouter une cape, un masque ou d’autres attributs sur une photo de profil. La photo figure en couverture
d’une revue semblable à un comics avec un titre reprenant la même typographie classique et illustrations. Le
logo Volkswagen est situé en haut à gauche de la couverture, et la voiture choisie en bas à droite, alors qu’en
page intérieure figure une description du personnage (rédigée par l’internaute qui a posté l’image bien sûr).
114
Film publicitaire Les héroïnes d’aujourd’hui, Volkswagen (Agence V, 2010), visible sur le site www.strategies.fr
115 Héroïne du jeu-vidéo Tomb Raider
116 Cf annexe 34 : Affiche Héroïne d’aujourd’hui, Volkswagen (Agence V, 2010)
47
L’internaute présenté sur la couverture est donc « super-héroïsé », il reprend trait pour trait les éléments
signifiants du mythe du super-héros, c’est-à-dire le costume. Voici donc comment est présente la figure
mythique aujourd’hui dans la publicité, c’est à travers le consommateur.
En utilisant cet outil participatif, la marque ne se contente pas de transformer le consommateur en héros, elle le
place au cœur de sa communication, illustrant ainsi la nouvelle phase de la société de consommation : celle du
consommateur-entrepreneur.
C) Le consommateur au cœur de la sphère communicationnelle et
participative
La société de consommation est passée d’un modèle hyper-individualiste à un modèle de la rassurance durant
les années 1990. En termes de marketing, l’immatériel de la rassurance s’est illustré (et s’illustre encore
aujourd’hui) par un développement des thèmes de la santé, de l’écologie, de la famille et de la solidarité. Les
super-héros ont joué un rôle déterminant dans la publicité à partir des années 1990 puisqu’ils permettaient de
répondre à une besoin de confiance des consommateurs. Ce phénomène s’est poursuivi jusque dans les années
2000 où les super-héros ont effectué un retour en grâce après le 11 septembre dans une société mondialisée,
sous le choc des images. Les guerres en Afghanistan puis en Irak, ainsi que la crise financière ont également
participé à la continuité de la logique de rassurance, alors que naissait progressivement ce que Robert Rochefort
décrit comme la prochaine étape de la société de consommation, celle du consommateur-entrepreneur. Cette
nouvelle étape explique en partie la volonté des marques d’héroïser le consommateur : il interagit de plus en
plus avec les autres individus par l’intermédiaire d’Internet, partage, participe, communique à travers de
nouveaux outils, ce qui lui permet d’être plus indépendant et actif. Le consommateur est devenu un héros car il
est entrepreneur, et les marques flattent son égo pour mieux le récompenser. Il communique avec les autres
individus et ressent un besoin de communiquer. Le développement des réseaux sociaux ainsi que la blogosphère
ont modifié les interactions sociales mais aussi les relations entre les marques et les consommateurs. Elles vont
alors tout mettre en œuvre afin de les placer au cœur de leur stratégie de communication dans une logique de
communication participative où les consommateurs pourront être érigés en tant que héros du quotidien.
48
1. Le consommateur-entrepreneur
Robert Rochefort présente le consommateur-entrepreneur117 dans son livre homonyme comme une évolution
majeure de la société de consommation à l’aube des années 2000. Elle provient notamment de l’émancipation
des employés face à l’entreprise et du développement des métiers freelance grâce à Internet et le travail à
domicile. L’entrepreneur est à la mode : c’est ce qui va inspirer la consommation et donc par voie de
conséquence, l’immatériel qui lui est rattaché. Voici ce qu’annonçait l’auteur en 1997, alors même que la société
de la rassurance était toujours d’actualité : « Le nouveau mode d’organisation du travail fait émerger un nouvel
imaginaire de la consommation. Je propose de l’appeler « l’imaginaire du consommateur-entrepreneur ». Il se
construit à la fois dans la continuité et en rupture avec la rassurance. Progressivement, il viendra organiser
autrement la consommation et la dynamiser. »118
Mais l’avènement de la société du consommateur-entrepreneur fut finalement retardé par un évènement
majeur, les attentats du 11 septembre 2001, dont les répercussions médiatiques eurent un impact inattendu sur
la consommation. Robert Rochefort au début de cette même année anticipait une « combinaison des
immatériels de rassurance et du consommateur-entrepreneur »119, mais c’est finalement le thème de la
rassurance qui resta l’immatériel dominant pendant que se développait en parallèle, celui du consommateur-
entrepreneur. Cet immatériel suit l’évolution des technologies et des outils de communication, notamment
Internet, c’est pourquoi Robert Rochefort évoque un « besoin de reliance » : « Ces nouveaux objets phares de
cette nouvelle consommation *…+ sont au service de la communication, de l’échange interpersonnel ou avec un
plus grand nombre d’interlocuteurs. L’individu isolé et solitaire est une impasse. La responsabilité et l’autonomie
vont de pair avec la capacité de rester relié aux autres en permanence. C’est le besoin de reliance. L’individu
apeuré des années 1990 avait besoin de rassurance. Le consommateur-entrepreneur aurait besoin de reliance,
l’un n’excluant pas l’autre. »120 Le consommateur veut participer, échanger et communiquer de plus en plus
alors que l’innovation booste la consommation de produits techniques.
La société de l’information et de la communication actuelle semble en effet provoquer un besoin constant d’être
« connecté » à d’autres individus. Le consommateur-entrepreneur peut travailler chez lui grâce au
117
Le consommateur Entrepreneur, Les nouveaux modes de vie, Robert Rochefort (Editions Odile Jacob, 1997)
118 Le consommateur Entrepreneur, Les nouveaux modes de vie, Robert Rochefort (Editions Odile Jacob, 1997)
119 La Société des Consommateurs, Robert Rochefort (Editions Odile Jacob, 2001)
120 Le consommateur Entrepreneur, Les nouveaux modes de vie, Robert Rochefort (Editions Odile Jacob, 1997)
49
développement des réseaux de télécommunications. La généralisation du mobile et de l’ordinateur personnels
(comme professionnels) à la fin des années 1990 - début des années 2000, ainsi que la révolution d’Internet ont
permis l’évolution de la société de consommation. Car c’est véritablement ce qui a permis au consommateur de
sortir progressivement de l’imaginaire de la rassurance, afin d’entrer dans celui de l’entrepreneur, illustré par le
marketing participatif.
2. Le marketing participatif
En s’appuyant sur l’ouvrage homonyme de Ronan Dinard121, voici une définition du marketing participatif : Le
marketing participatif est un processus visant à impliquer les consommateurs dans la définition de l’offre de
l’entreprise, afin de créer de manière collaborative de nouveaux produits ou services. La marque peut
également permettre au consommateur de participer activement à sa communication, au design de ses produits
ou même de son logo. Le marketing participatif s’est développé grâce au web 2.0, cet outil collaboratif
permettant à chacun de contribuer au contenu disponible sur Internet par l’intermédiaire de plateformes de
partage de contenu, les blogs, ou les réseaux sociaux (comme Facebook et Twitter).
« [Les clients de l’entreprise+ sont invités à devenir concepteurs de produits nouveaux, designers, publicitaires
ou même vendeurs... remettant ainsi en cause les frontières traditionnelles entre producteurs et
consommateurs. »122
Le marketing participatif permet de fidéliser le consommateur qui entreprend la démarche (volontaire et
consentie) de participer à la création de valeur de la marque. Il change de rôle dans la relation qui le lie avec la
marque et devient actif. Cette relation évolue également, elle n’est plus verticale mais horizontale, elle n’est
plus à sens unique, il y a un échange. Le marketing participatif fidélise mais il redonne aussi confiance au
consommateur, car il devient plus responsable, plus entreprenant, ce qui lui permet de mieux consommer.
Ainsi, l’héroïsation des consommateurs s’inscrit dans une logique de marketing participatif où ces derniers sont
placés au cœur du processus de consommation. Afin de confirmer notre hypothèse, reprenons l’exemple de la
campagne Héros d’aujourd’hui de Volkswagen, dont nous n’avons pas tout à fait dévoilé tout le dispositif. En
effet, outre le spot publicitaire de 30 secondes et l’affiche que nous avons analysé précédemment, la campagne
est complétée par :
121 Le marketing participatif Ronan Divard, (Dunod, 2010)
122 Le marketing participatif Ronan Divard, (Dunod, 2010)
50
- des vidéos virales diffusées sur Internet
- des vidéos display sur les grands portails nationaux (espaces publicitaires classiques sur le web)
- un dispositif de community management avec une page fan sur Facebook
- un jeu concours sur le site herosdaujourdhui.com pour gagner un Volkswagen Touran
Le jeu concours propose à trois familles sélectionnées (parmi plus de 1000 participants) de réaliser des missions
dont les exploits étaient diffusés chaque semaine sur YouTube et le site dédié à la campagne, où les internautes
pouvaient voter pour élire le « héros d’aujourd’hui ». Dans les vidéos de présentation mises en ligne sur le
site, chaque membre de la famille est transformé en super-héros par l’intermédiaire d’un costume, les
effets et la typographie utilisés dans la vidéo rappellent également ceux des comics de super-héros. Sur
le site de la campagne, on retrouve aujourd’hui le gagnant de ce jeu concours, le père de la famille
Labretesche dont le parcours est décrit de la manière suivante en page d’accueil : « Pour être sacré Héros
d’Aujourd’hui, Benjamin a dû faire face à toutes sortes d’épreuves avec l’aide de sa famille : entre la recherche
des clés du Nouveau Touran, l’organisation d’un super safari photo et la réalisation d’un parcours digne d’un
super héros… Il a brillamment relevé tous les défis ! »123 Elu par les internautes, Benjamin Labretesche est
présenté comme « le héros d’aujourd’hui » par Volkswagen.
Avec plus de 1000 fans sur la page Facebook de la campagne, et plus de 50 000 vidéos (partagées par les
participants) vues sur YouTube ou Dailymotion, la campagne Héros d’aujourd’hui déployée en septembre 2010
connu un grand succès sur Internet. Cela a permis à la marque de renforcer sa relation avec ses clients de
manière ludique et collaborative, puisque ce sont les internautes qui ont diffusé la campagne sur le web par
l’intermédiaire de leurs vidéos sur les plateformes de partage. Volkswagen répond donc complètement aux
attentes de la société de consommation actuelle en héroïsant le consommateur et en le plaçant au centre de sa
stratégie de communication. Le consommateur a remplacé le héros de pub classique que nous présentait Michel
Jouve, il est devenu le personnage publicitaire de la marque. Dans notre exemple, Benjamin Labretesche, père
de famille et gagnant du Volkswagen Touran, a été élu par les internautes pour devenir le héros d’aujourd’hui, et
le héros de cette campagne publicitaire en somme124.
123
Page d’accueil du site herosdaujourdhui.com, consulté le 15 mai 2011
124 A noter que d’un point de vue budgétaire, le marketing participatif permet à la marque de réaliser des économies car
son héros publicitaire est un internaute. Cela lui évite donc de dépenser des sommes folles dans des acteurs renommés ou des franchises de super-héros. De plus le marketing participatif fait travailler le consommateur, ce qui lui évite bien des dépenses pour créer un nouveau produit, un nouveau design de packaging ou de logo, ou encore pour communiquer en publicité.
51
Le consommateur est donc le nouveau héros de la consommation. En relation directe avec les marques, il peut
créer les produits qu’il va consommer et être érigé en super-héros de manière symbolique dans la publicité. Les
diverses techniques permettant à l’internaute de devenir contributeur d’un projet de marque sont par exemple
le Contenu Généré par l’Utilisateur (CGU)125 où il pourra par exemple proposer des idées de logo ou de publicité.
Ces techniques ont pour but de rapprocher les marques du consommateur, de créer une relation de proximité à
part entière, mais aussi une relation de confiance. Elles mettent en valeur le consommateur à travers ce qu’il
réalise, ce qu’il produit, et lui donne confiance en la marque. La marque montre à ses clients qu’elle croit en eux,
et qu’elle est prête à utiliser leur travail comme si c’était le sien. La campagne publicitaire SEPas du Ciné de
l’Unisep126 que nous avons évoqué brièvement plus tôt (montrant Wonder Woman ou Superman incapables
d’utiliser leurs pouvoirs), s’inscrit ironiquement dans cette logique de CGU puisqu’elle était produite par les
internautes-réalisateurs amateurs : Le héros ce n’est plus Superman mais l’internaute !
Avec l’avènement de la génération des digital natives, ces jeunes utilisateurs d’Internet et des mobiles de 15-25
ans qui représentent les consommateurs de demain (et d’aujourd’hui), les marques ne peuvent plus éviter de les
faire participer à leur car c’est aussi le seul moyen de toucher une cible publicitaire qui consomme très peu la
télévision et les médias classiques comme la presse (en tout cas beaucoup moins que ses aînés) et qui est donc
plus difficile à atteindre. Le marketing participatif n’est donc pas une éventualité mais une obligation pour les
marques qui s’adressent à une population plutôt jeune.
Enfin, le marketing participatif n’a été possible que grâce au web 2.0 et au développement des réseaux sociaux
où l’on voit régulièrement que les marques qui n’ont pas une stratégie de communication et donc de
management communautaire127 bien définie, peuvent perdre toute crédibilité aux yeux des consommateurs.
Des marques comme Domino’s Pizza qui a vu des vidéos de ses employés en cuisine diffusés sur YouTube ; Kit-
Kat attaqué par Greenpeace pour l’utilisation d’huile de palme dans ses recettes ; Gap a tenté de changer de
logo avant de se rétracter sous les critiques des internautes ; ou encore Malabar s’est débarrassé de son logo et
héros publicitaire Monsieur Malabar pour le chat Mabulle ce qui a été vivement critiqué sur sa page Facebook et
sur Twitter. Quoi qu’il en soit, les marques ont tout intérêt à faire participer les consommateurs dans leur
communication et à prendre en compte leur avis sur Internet, car ce sont bien eux les nouveaux héros de la
consommation.
125
User Generated Content (UGC) en anglais
126 Campagne SEPas du Ciné, UNISEP visible sur le site www.sepasducine.org
127 Community management en anglais
52
Conclusion Les super-héros sont nés dans une période de crise aux Etats-Unis pour suivre par la suite l’évolution de la
société américaine jusque dans ses moments les plus sombres. Le mythe du super-héros a été construit durant
l’âge d’or des comics dans les années 1940, en période de guerre alors que les jeunes lecteurs étaient en
manque de repères, à la recherche d’un modèle alors que l’Oncle Sam de James Montgomery Flagg128 fait figure
de symbole propagandiste. Les super-héros rassurent et font rêver les lecteurs : ils sont dotés de tels super-
pouvoirs (pour la plupart), qu’ils pourraient dominer le monde mais ils ont fort heureusement un code moral,
des valeurs et n’hésitent pas à se sacrifier pour faire triompher le Bien. Ils sont courageux, intelligents et
charismatiques avec leurs costumes qui leurs permettent d’être identifiés comme super-héros tout en gardant
leur identité secrète.
Le succès commercial des comics de super-héros leur permet de faire rapidement partie de la culture populaire.
Ils seront même utilisés pour diffuser l’idéologie dominante américaine durant la Seconde guerre mondiale puis
la guerre froide, ce qui leur vaudra quelques critiques par ailleurs. Le premier film de super-héros populaire paru
en 1978 dans les salles de cinéma : Superman, incarné de manière incroyable par Christopher Reeve129, connut
un succès mondial et fit définitivement entrer les super-héros dans la culture mainstream. S’ensuit une
médiatisation excessive des super-héros à partir des années 1990 et surtout 2000 avec l’apparition de nombreux
blockbusters. Devenus des marques à part entière, les super-héros sont alors sur tous les écrans, en publicité
comme dans les salles de cinéma. Nous avons ainsi expliqué leur omniprésence et confirmé l’hypothèse selon
laquelle l’hypermédiatisation des super-héros a conduit à leur banalisation.
Nous avons tâché ensuite d’expliquer la présence de super-héros dans la publicité, et l’emploi de leur figure
mythique évoqué plus haut. La plupart du temps identifié de manière la plus simple, c’est-à-dire par leur
costume, les super-héros ont dans un premier temps répondu à un besoin de rassurance des consommateurs
dans une société marquée par les événements tragiques du 11 septembre 2001 et les guerres d’Afghanistan et
d’Irak. Les super-héros protecteurs et sauveurs de l’humanité font un retour en grâce dans les années 2000 pour
rassurer et redonner confiance aux consommateurs dans une société en crise, ce qui confirme notre deuxième
hypothèse.
128
Cf annexe 35 : Affiche Uncle Sam wants you for U.S Army, James Montgomery Flagg, 1917
129 Cf annexe 36 : Affiche Superman, réalisé par Richard Donner, avec Christopher Reeve, 1978. A noter que les traits de
Christopher Reeve sont régulièrement repris dans les comics en forme d’hommage pour représenter le visage de Superman.
53
Leur évolution semble paradoxale mais elle est finalement pertinente puisque si leur hypermédiatisation a
banalisé les super-héros, pourquoi ne serait-ce pas au tour de personnes banales de devenir des super-héros ?
Avec l’exemple des Real Life Super-Heroes inspirés de comics, nous avons démontré que la figure mythique du
super-héros s’exprimait d’une nouvelle manière, à travers les héros du quotidien. Ce sont ainsi les
consommateurs qui sont devenus les super-héros de la publicité, ce qui correspond tout à fait à l’imaginaire
actuel de la consommation : celui du participatif. L’héroïsation du consommateur s’est inscrite dans le contexte
d’une société de rassurance où il fallait lui redonner confiance et flatter son égo, tout en répondant également à
la logique du consommateur-entrepreneur largement développée au cours des années 2000. L’avènement
d’Internet place l’utilisateur en position de force par rapport aux marques, le web véhicule des valeurs de
partage et de communauté. L’intégrer à une stratégie de marketing participatif est donc devenu une obligation
car ce héros du quotidien est au cœur du processus de consommation.
Nos trois hypothèses sont donc confirmées, ce qui nous permet de répondre à notre problématique : Dans
quelle mesure l’omniprésence de super-héros dans la publicité répond-elle à un besoin de confiance des
consommateurs et comment cela a-t-il entraîné une héroïsation de ces derniers dans une logique de marketing
participatif ?
L’omniprésence des super-héros dans la publicité s’explique par un besoin de confiance des consommateurs en
période de crise. Tout comme les comics ont connu un succès populaire durant la Seconde Guerre mondiale, les
super-héros rassurent les consommateurs dans les périodes les plus difficiles, car ils constituent un mythe. Celui
du surhomme en costume doté de super-pouvoirs, courageux, intelligent et plein de vertu morale, capable de
protéger la population en danger et de sauver l’humanité. Le mythe du super-héros joue un rôle clé car il est
d’abord représenté de manière fidèle dans la publicité avant d’être dégradé progressivement par les marques
qui ne voit plus en lui qu’un ancien modèle. L’omniprésence des super-héros a donc fini par les desservir, car
leur hypermédiatisation a fini par lasser le consommateur, qui voulait être à son tour sous le feu des projecteurs.
Superman et ses acolytes sont entrés dans la culture populaire et dominante dite mainstream, ce qui leur
permet d’être repris dans la publicité de manière détournée par un changement de paradigme : les
consommateurs sont les nouveaux super-héros de la pub. Ce mouvement s’inscrit aujourd’hui dans une logique
de marketing participatif où le consommateur est impliqué dans le processus de communication mais aussi et
surtout de consommation puisqu’il peut lui-même prendre part à la création de packaging, de logo ou de
produits qu’il va consommer. Son héroïsation illustre donc la place qu’il occupe dans la société de
consommation à l’heure où le fonctionnel tente de reprendre progressivement le dessus sur l’immatériel.
54
La tendance du « Do It Yourself » reflète une société de consommation qui n’est plus dicté par l’immatériel de la
publicité ou la volonté des marques mais par celle des consommateurs de créer leur propre produit de
consommation. Les produits ménagers, les médicaments, les logiciels libres, les vêtements, ou encore la
musique, en pleine crise de l’industrie du disque. Le DIY représente une forme d’émancipation des
consommateurs face à la société de consommation et les marques industrielles.
L’un des exemples les plus probants est certainement celui de My Major Company : ce site web participatif
permettant aux internautes de devenir producteurs d’artistes qui ne sont pas sous contrat avec les « majors »,
ces labels musicaux qui dominent l’industrie du disque. Le site propose ainsi aux internautes de choisir eux-
mêmes l’artiste qu’ils veulent produire, et ensuite de participer au choix de la pochette de l’album, ainsi que sa
promotion. L’internaute peut non seulement donner son avis et communiquer directement avec les artistes par
l’intermédiaire de la plateforme My Major Company, mais il peut aussi et surtout décider de ce qu’il va écouter
par la suite si l’album est produit et qu’il est diffusé à la radio par la suite. De nombreux artistes comme
Grégoire, Joyce Jonathan ou encore Irma ont connu le succès grâce aux internautes-producteurs. En sortant de
l’industrie musicale classique, My Major Company illustre parfaitement la tendance au marketing participatif qui
implique les consommateurs dans le processus de communication. Ce qui peut nous interroger sur le futur
modèle de la société de consommation, lorsque l’on regarde son évolution décrite par Robert Rochefort dans La
Société des Consommateurs. L’individu va-t-il continuer à jouer un rôle prépondérant face aux grands groupes
que représentent les marques industrielles ? Le consommateur est-il prêt à s’impliquer autant dans le processus
de consommation ou ne s’agit-il que d’un mouvement éphémère lié aux excès du marketing ? Et ce débat pose
une autre question concernant la valeur des marques, car en faisant participer le consommateur, certaines
risquent de perdre en cohérence voire de ne plus pouvoir dominer le rapport de force établi entre elles et leurs
clients. Internet a participé à la démocratisation du marketing et donc à l’héroïsation du consommateur, mais
difficile de cerner quelle sera la prochaine étape de la société de consommation tellement son évolution s’est
accélérée ces dernières années. Les thèmes de la mondialisation (et donc de l’artisanal, du local), du durable ou
encore de la jeunesse ont peu à peu fait leur apparition, ce qui nous indique que nous sommes toujours dans
une société de la rassurance.
Revenons enfin aux super-héros de comics qui nous ont permis d’introduire en quelque sorte le sujet de ce
mémoire, l’héroïsation des consommateurs. L’hypermédiatisation provoquée par la sortie de nombreux
blockbusters a permis dans un premier temps de booster les ventes de comics avant de les desservir tellement
ces films étaient parfois éloignés de l’œuvre originale ou mélangeaient régulièrement les univers ou les
scénarios au nom du spectacle cinématographique. D’une part les fans se sont lassés des adaptations
55
incessantes de comics que soit au cinéma, à la télévision ou en jeu-vidéo. D’autre part ces lecteurs sont
habituellement plutôt jeunes, ils font partie de la génération des « digital natives », habitués à la culture du
numérique (téléphones portables, ordinateurs, tablettes numériques), ou la « culture de l’écran » évoquée par
Josiane Jouët et Dominique Pasquier130. Les comics au format tel que nous les connaissons, c’est-à-dire des
revues papier mensuelles d’une cinquantaine de pages, ne sont donc pas forcément adaptés à ce type de
lecteurs. Les auteurs cherchent donc régulièrement à faire sensation ou à créer la polémique à travers des
événements scénaristiques qui seront à coup sûr relayés dans les médias. Nous avons vu par exemple dans
l’introduction de ce mémoire le cas un peu trop réaliste de Batman et Nightrunner, le super-héros musulman
français d’origine algérienne. Récemment Superman a suggéré le fait qu’il renonce à la nationalité américaine131
alors qu’il était intervenu de manière pacifique lors d’une manifestation en Iran : « Truth, justice and the
American way »… it’s not enough anymore »132. Enfin le dernier numéro d’Ultimate Comics Spiderman133 a
révélé un sort tragique à son héros puisque que Spiderman est tué par son ennemi de toujours, Le Bouffon Vert.
La mort de Spiderman s’inscrit une nouvelle fois dans une période de crise des comics et dévoile l’impuissance
des scénaristes. Ces trois événements participent à la déchéance des super-héros car en ajoutant le thème de la
religion, de la perte de la nationalité et la mort d’un super-héros, ils renient le mythe fondateur. Le thème de la
religion n’a jamais été évoqué durant l’âge d’or des comics, Superman a toujours été un patriote émérite, et
tous semblaient invincibles. On peut donc s’interroger sur l’avenir des super-héros tellement ils semblent perdre
leur pouvoir au fil du temps.
Nous étions partis d’une observation simple : la présence de super-héros dans la publicité s’est quelque peu
transformée puisque de super-héros, ils sont passés à « super-loser » : pertes de pouvoir et de leur musculature,
costume ridicule, ou encore démotivation totale, les super-héros tant aimés par les marques il y a quelques
années sont aujourd’hui moqués et critiqués. Aujourd’hui les Real-Life Super Heroes ne cessent de faire parler
d’eux dans les médias. L’art et la publicité se sont inspirés ironiquement de ces personnages à part entière c’est
pourquoi une question nous semble maintenant pertinente :
Après avoir diffusée l’image mythique des super-héros durant des années, pourquoi la publicité a-t-elle jugé
cette image dépassée ? Sans doute car elle ne correspondait plus aux attentes de la société de consommation. Il
130
Les jeunes et la culture de l’écran, Josiane Jouët et Dominique Pasquier, CNET/Hermès Science Publications, 1999
131 The Incident in Action Comics #900, DC Comics, juin 2011
132 Traduction : « Vérité, justice et American way… cela ne suffit plus. »
133 Cf annexe 37 : The Death of Spiderman, Ultimate Comics Spiderman #160, Marvel, juin 2011
56
s’agit en réalité d’une sorte de mise en abyme de la publicité, un travail de réflexion sur elle-même. Les super-
héros ne sont plus à la mode dans la publicité alors qu’ils l’ont longtemps été donc nous pouvons nous en
moquer, montrer des personnages ridicules, alors qu’auparavant ils étaient érigés en modèles ! Quelle ironie !
C’est une sorte d’autocritique de la publicité qui par la même fait preuve de recul. Le mythe des super-héros
représenterait ainsi la nécessité de la publicité de se réinventer sans cesse autour d’un imaginaire collectif afin
de stimuler la consommation.
57
Bibliographie Roland Barthes, Mythologies (Editions du Seuil, 1957)
Joseph Campbell, Puissance du Mythe (Oxus, 2009)
Cécile Cloulas, Ces Marques qui nous gouvernent… Comment se servent-elles de notre psychologie pour nous
faire céder ? (Ellipses, 2010)
Ronan Divard, Le Marketing Participatif (Dunod, 2010)
Umberto Eco, De Superman au Surhomme (Grasset, 1993)
Josiane Jouët et Dominique Pasquier, Les jeunes et la culture de l’écran (CNET/Hermès Science Publications,
1999)
Michel Jouve, Héros de Pub, Quand les marques s’inventent un visage (Editions Chronique, 2009)
Georges Lewi, Branding Management, (Pearson, 2007)
Georges Lewi, Mythologie des marques, Quand les marques font leur storytelling (Pearson, 2009)
Frédéric Martel, Mainstream, Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde (Flammarion, 2010)
Joseph Nye, Bound to Lead, The Changing Nature of American Power (1990)
Robert Rochefort, La Société des Consommateurs (Editions Odile Jacob, 2001)
Robert Rochefort, Le Consommateur Entrepreneur, Les nouveaux modes de vie (Editions Odile Jacob, 1997)
Christian Salmon, Storytelling la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits (La Découverte, 2007)
Presse
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Beaux-Arts Magazine, Hors-série : Un siècle de BD Américaine (TTM Editions, 2010)
Geek le mag : Spécial Super-héros (Editions Dinausor Cyborg & Fish Consulting, S03E02, avril-mai 2011)
Webographie
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58
www.evene.fr - « Les super-héros ont 70 ans : Une histoire américaine » posté en septembre 2008 (consulté le
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www.boxofficemojo.com (consulté le 4 avril 2011).
www.lefigaro.fr - « BD et art contemporain : histoire d’une rencontre » posté le 3 août 2009 (consulté le 5 avril
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www.craveonline.com - Interview de Mark Millar par Ahmad T. Childress posté le 5 avril 2010 (consulté le 10 mai
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www.lesinrocks.com – « Les super-héros sont morts, vive les super-losers ! » posté le 20 septembre 2010
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www.lesinrocks.com - « Le justicier masqué préféré de l'Amérique se fait casser le nez » posté le 12 janvier 2011
(consulté le 10 mars 2011).
www.lesinrocks.com - « Inspirés par "Kick-Ass", des justiciers masqués veulent faire régner la loi » posté le 6
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www.rlsh.fr (consulté le 10 mai 2011).
www.strategies.fr
adsoftheworld.com
www.herosdaujourdhui.com (consulté le 15 mai 2011)
59
Annexes Annexe 1 : Batman Annual #28 Annexe 2 : Captain America #1
Annexe 3 : Kick Ass #1 Annexe 4 : The Adventures of Obadiah Oldbuck
60
Annexe 5 : Action Comics #1 Annexe 6 : Superman contre Hitler
Annexe 7 : Seduction of The Innocent de Fredric Wertham Annexe 8 : The Fantastic Four #1
61
Annexe 9 : The Incredible Hulk #1 Annexe 10 : Journey Into Mystery #83
Annexe 11 : Amazing Fantasy #15 Annexe 12 : The X-Men #1
A
62
Annexe 13 : Black Panther in The Fantastic Four #52 Annexe 14 : The Amazing Spider-Man #68
Annexe 15 : La mort de Gwen Stacy Annexe 16 : Watchmen
63
Annexe 17 : Batman The Dark Knight Returns Annexe 18 : The Death of Superman
Annexe 19 : Spiderman #32 : Spécial 11 Septembre Annexe 20 : Logo de Superman
64
Annexe 21 : Dr Manhattan in Watchmen Annexe 22 : Logo de Flash
Annexe 23 : Liste des films de super-héros
X-Men (Bryan Singer, 2000), Spiderman (Sam Raimi, 2002), Hulk (Ang Lee, 2003), Daredevil (Mark Steven
Johnson, 2003), X-Men 2 (Bryan Singer, 2003), Spiderman 2 (Sam Raimi, 2004), Catwoman (Pitof, 2004),
The Punisher (Jonathan Hensleigh, 2004), Batman Begins (Christopher Nolan, 2005), Elektra (Rob
Bowman, 2005), Les Quatre Fantastiques (Tim Story, 2005), Superman Returns (Bryan Singer, 2006), X-
Men : L’Affrontement Final (Brett Ratner, 2006), Spiderman 3 (Sam Raimi, 2007), Ghost Rider (Mark
Steven Johnson, 2007), Les Quatre Fantastiques et le Surfeur d’Argent (Tim Story, 2007),the Incredible
Hulk (Louis Leterrier, 2008), Iron Man (Jon Favreau, 2008), The Dark Knight (Christopher Nolan, 2008),
Punisher: War Zone (Lexi Alexander, 2008), X-Men Origins : Wolverine (Gavin Hood, 2009), Watchmen
(Zach Snyder, 2009), Iron Man 2 (Jon Favreau, 2010), Kick-Ass (Matthew Vaughn, 2010) Thor (Kenneth
Branagh, 2011), Captain America : The First Avenger (Joe Johnston, 2011), X-Men : Le Commencement
(Matthew Vaughn, 2011), Green Lantern (Martin Campbell, 2011), The Dark Knight Rises (Chritopher
Nolan, 2012), Man of Steel (Zach Snyder, 2012), The Avengers (Joss Whedon, 2012), The Amazing
Spiderman (Marc Webb, 2012), Ghost Rider: Spirit of Vengeance (Mark Neveldine et Brian Taylor, 2012)
65
Annexe 24 : Publicité Superman de Volkswagen Annexe 25 : Affiches publicitaires AIDES
Annexe 26 : Publicité Budweiser Annexe 27 : Pepsiman
66
Annexe 28 : Silver Surfer in The Fanstastic Four Annexe 29 : Affiches publicitaires
Fresh and Bright Superheroes Diesel
67
Annexe 30 : Analyse sémiotique du spot publicitaire Super Fruit Innocent - Publicité créée en
2011 par Damon Collins (Directeur de création de RKCR/Y&R)
Mise à plat
1. Message iconique
Scène 1 : Deux femmes attendent à un arrêt de bus pour ce qui ressemble à une scène matinale
quotidienne sur le chemin du travail. L’une d’entre elles mange un croissant et attire le regard de l’autre,
bien embêtée de ne rien avoir à manger. Surgit alors au coin d’une rue, une bouteille de smoothie
Innocent vêtue d’une cape rouge et tirée par un fil, pour donner l’impression qu’elle vole. Sur une
musique inspirée de la chanson « Flash » de Queen qui sera reprise pour chaque scène, la bouteille
emporte tout sur son passage et fait s’envoler les journaux, entraînant l’admiration des passants qui ont
l’air subjugués. Visiblement attachée à la caméra par une baguette, la bouteille d’Innocent s’approche à
toute vitesse de la victime toujours à l’arrêt de bus. La bouteille apparaît ensuite fièrement au-dessus de
l’abribus, sous le regard stupéfait de notre victime. On découvre en détails son packaging : la bouteille
transparente est entourée d’une étiquette blanche illustrée d’une pomme ronde avec deux yeux et une
auréole, le tout rappelle un visage dessiné par un enfant. La femme regarde la bouteille avec
soulagement avant que celle-ci ne s’envole…
Scène 2 : La bouteille repart à l’assaut, toujours attachée au bout d’un fil, elle semble traverser la ville.
Au bureau de travail, une femme regarde l’heure, il est 11h alors que son collègue dévore un biscuit
trempé dans son café. Elle le regarde tout en se mordant les lèvres au moment où surgit la bouteille
Innocent, brisant la vitre de la verrière pour atterrir sur un bureau. Sa cape dans le vent, elle part à la
recherche de notre victime et traverse l’open-space pour la retrouver pleine de satisfaction.
Scène 3 : Un voyageur en train vient de terminer son repas et ne semble pas rassasier alors que dans le
même temps le smoothie Innocent survole ce qui ressemble à une maquette de paysage, toujours
attachée à la caméra. Elle apparaît ensuite à la fenêtre aux yeux du voyageur surpris puis aussitôt à
l’intérieur du train, le faisant même sursauter avant qu’il ne lui fasse un regard complice.
68
Scène 4 : La bouteille survole enfin les étales d’un marché accrochée par deux fils, et force l’admiration
des fruits sur les étalages, qui vont même jusqu’à se retourner et crier en cœur à son passage. Elle longe
les bords d’un fleuve avant de rejoindre une femme qui regardait avec gourmandise une vitrine de
pâtisseries. La bouteille vient stopper net son envie mais la femme semble combler. L’écran final
présente alors la bouteille « Super Fruit » d’Innocent avec sa cape rouge au milieu d’autres smoothies et
de fruits dans l’herbe (dont elle sort comme si elle l’avait perforée). La signature conclut alors « Here to
save the peckish ».
2. Message linguistique
La signature « Here to save the peckish» sous-entend que c’est la bouteille Innocent qui est là pour
sauver le petit-creux des consommateurs. C’est elle le super-héros qui vient vous secourir au moment du
petit-creux. Une autre mention interpelle sur l’écran final « Nothing but fruit » (rien que des fruits)
apparaît comme une certification du produit à la fin du spot publicitaire. Il n’y a rien que des fruits dans
ce smoothie, tout comme dans ce film il n’y a pas d’effets spéciaux. Tout est vrai. Rappelons également
le nom du spot : Super Fruit, principal ingrédient de ce produit.
3. Message scénique
Le film publicitaire Super Fruit fait référence aux films de super-héros par sa mise en scène, notamment
l’arrivée de Super Fruit au début du spot qui rappelle celle de Superman dans le film de Richard Donner
avec Christopher Reeve : les journaux s’envolent dans un courant d’air et les passants regardent le super-
héros avec étonnement et admiration. La description de la vidéo postée sur YouTube rappelle d’ailleurs
ironiquement la célèbre scène du film : « Is it a bird ? Is it a plane? Is it a bottle of mushed up
strawberries? » Les nombreux effets de caméra ainsi que les plans utilisés pour présenter la bouteille
Innocent font référence aux films de super-héros en général. La musique joue également un rôle
important dans le spot Innocent car elle est inspirée du célèbre générique de la série « Flash » composée
par le groupe anglais Queen. Cette reprise modifie quelque peu les paroles de la musique originale
puisque le mot « Flash » est remplacé par « Fruit » tout au long du spot.
Analyse
1. Le mythe du super-héros
Le nom du spot publicitaire ne laisse aucune ambiguïté quant à la nature du personnage principal, il
s’agit bien d’un super-héros. Mais un super-héros un peu à part puisque « Super Fruit » est une bouteille
de smoothie Innocent. Comme nous allons le voir, la publicité reprend chaque élément du mythe super-
héroïque afin de mieux le détourner.
Le mythe du super-héros est tout d’abord représenté par l’intermédiaire de la cape rouge que porte la
bouteille Innocent. Super Fruit possède donc bien une double identité : bouteille de smoothie dans la
vraie vie, super-héros au service des personnes qui ne résistent pas au petit-creux lorsqu’il revêt sa cape.
Par une figure métonymique, cette cape symbolise le costume de super-héros dans son ensemble. On
69
pourrait d’ailleurs acter que le packaging de la bouteille complète ce costume. La cape rouge fait bien sûr
penser à celle de Superman, personnage fondateur du mythe, qui s’envole lui aussi avec sa cape dans le
vent.
Le pouvoir de voler, voici un autre point qu’il est intéressant d’aborder puisqu’il s’agit du second élément
du mythe : les super-pouvoirs. La bouteille Innocent est omnisciente puisqu’elle sait toujours quand
quelqu’un a besoin d’aide pour arriver au bon moment. Super Fruit est également capable de venir en
aide aux victimes du petit-creux grâce à sa potion composée uniquement de fruits, ce qui la rend
bénéfique.
Concernant la mise en scène, il faut noter que la reprise de « Flash » de Queen fait bien sûr référence à la
série télévisée sur le super-héros du même nom, doué d’une vitesse incroyable, tout comme Super Fruit.
Le ton utilisé de manière générale dans tout le spot et les effets de mise en scène rappelle ironiquement
ceux des films de super-héros avec l’héroïsation du personnage que rien ne peut entraver, qui surgit de
nulle part pour sauver la population en danger, toujours là lorsqu’on a besoin de lui.
Enfin la signature « Here to save the peckish » sonne comme une devise tellement la mise en scène
présente dans un premier temps le personnage et ses exploits avant de conclure sur son utilité : Super
Fruit est là pour vous sauver. La description de la vidéo nous apporte d’ailleurs en détail la mission de ce
super-héros : « Innocent smoothies are here to save the peckish from evil snacks. » Voilà qui complète le
mythe du super-héros, la morale, dont ne manque pas cette marque de smoothie apparemment.
2. La transparence
Afin de prouver qu’elle tient ses promesses et respecte sa devise, la marque Innocent a joué sur un
critère qu’elle connaît bien : la transparence. Tout d’abord la présence de câbles pour faire voler Super
Fruit, ou encore la perche accrochée à la caméra, tous sont révélés à chaque scène de manière évidente
au téléspectateur. Les effets spéciaux ne sont pas cachés, tout est fait en sorte afin que le film soit
artisanal et qu’il fasse « vrai », authentique.
La maquette avec le petit train ou le bord de l’eau participent à travers ce film au sentiment de proximité
avec la marque. Le spot n’est pas filmé d’une manière spectaculaire, il est tourné de manière simple, et
raconte l’histoire d’une bouteille de smoothie qui vient à la rencontre des consommateurs en détresse. Il
cherche donc à créer une relation de proximité et de connivence entre les spectateurs et Innocent, que
ce soit par les effets spéciaux grossiers ou le rapprochement des objets filmés.
Enfin le packaging de la bouteille Innocent avec son visage en forme de pomme et surtout son auréole,
évoque non seulement l’innocence, mais surtout la pûreté. D’autant plus que la bouteille est
transparente et n’a rien à cacher. Le fait que le dessin sur la bouteille semble dessiné par un enfant n’est
pas un hasard, il participe à la notion de vérité qui entoure la marque. L’écran final où l’on retrouve
notre smoothie au milieu de fruits et d’autres bouteilles dans l’herbe finit de nous convaincre : la marque
se veut naturelle, et authentique.
70
3. L’héroïsation du consommateur sous-couvert d’un super-héros
Super Fruit est un héros de pub un peu original car il possède une double identité sémiotique : il est
d’une part le héros publicitaire de la marque Innocent, et d’autre part il révèle l’héroïsation d’un autre
personnage de la publicité : le consommateur.
En effet, le héros de cette publicité semble être Super Fruit, la bouteille de smoothie Innocent devenue
un super-héros. Mais au final, si la marque a choisi de nous montrer les câbles et les perches qui guident
la bouteille jusqu’au consommateur, c’est qu’elle veut faire passer le message suivant : « la bouteille de
smoothie Innocent ne va pas venir toute seule à vous ». D’une part, parce que Super Fruit n’a donc pas
de super-pouvoir pour arriver jusqu’à vous. D’autre part c’est au consommateur de faire un effort et de
choisir Innocent s’il veut sauver son petit-creux. Le véritable héros de cette publicité, c’est donc bien le
consommateur qui est d’ailleurs présenté dans quatre situations différentes pour faire croire au super-
héros de la marque Innocent. Mais c’est bel et bien lui qui va être mis en avant, ce héros du quotidien
qui vient remplacer le super-héros tout en se moquant du mythe en contre-partie.
71
Annexe 31 : Photographie de l’exposition Hospice de Gilles Barbier
Annexe 32 : Photographie de Noe Reyes, issue de la collection Superheroes de Dulce Pinzon
72
Annexe 33 : Affiches du film Super de James Gunn
Annexe 34 : Affiche publicitaire « Héroïne d’aujourd’hui » de Volkswagen
73
Annexe 35 : Affiche « I Want You for U.S. Army »
de James Montgomery Flagg
Annexe 36 : Christopher Reeve dans le rôle de
Superman
Annexe 37 : The Death of Spider-Man,
Utimate Comics Spider-Man #160
Annexe 38 : Extrait du film publicitaire Super
Crapule vs Super Hadopi
74
Annexe 39 : Extrait du mythe de Superman, De Superman au Surhomme, Umberto Eco (Grasset, 1993)
« Superman est le mythe typique d'un tel genre de lecteurs : Superman n'est pas un terrien, mais il arriva
sur la terre, encore enfant, de la planète Krypton. Krypton allait être détruite par une catastrophe
cosmique et le père de Superman, homme de science expérimenté, sauva son fils en le confiant à un
véhicule spatial. Superman, qui a grandi sur la terre, est doué de pouvoirs surhumains. Sa force est
presque sans limite, il peut voler dans l'espace à une vitesse égale à celle de la lumière, et quand il
voyage à une vitesse supérieure à celle-ci il brise la barrière du temps et peut se transporter en d'autres
époques. Par la simple pression de ses mains, Superman peut porter le charbon à une telle température
qu'il le change en diamant; il peut, en quelques secondes, abattre une forêt entière à vitesse
supersonique, et faire de son bois un village ou un bateau ; il peut percer les montagnes, soulever les
transatlantiques, abattre ou édifier des digues; sa vue lui permet de voir aux rayons X, à travers tous les
corps, à distance illimitée, et de son regard il peut fondre les objets de métal; sa super ouïe lui permet
d'écouter les discours de quelque lieu qu'ils viennent. Superman est beau, humble, bon et serviable : sa
vie est dédiée à la lutte contre les forces du Mal et il est un collaborateur infatigable de la police. »
Annexe 40 : Article « Comic books et délinquance juvénile » de Philippe Nassif dans Beaux-Arts
magazine.
« Publié en 1954 par le psychiatre Fredric Wertham, Seduction of the Innocent fut à l'origine du Comics
Code Authority, une instance qui dressait une liste de sujets tabous inabordables au sein de la bande
dessinée. Il s'agissait en réalité d'un essai assez basique, qui concentrait ses attaques sur les comics
d'horreur et les polars, censés corrompre la jeunesse. La même année, on brûla des comics dans le
Nebraska. Sorte d'équivalent à la loi de 1949 en France, le Comics Code Authority donnait son avis sur
toutes les bandes dessinées qui passaient entre ses mains, autorisant ou non leur publication. »
Annexe 41: Extrait de l’article « Les super-héros ont 70 ans : Une histoire américaine » de Mikaël
Demets sur le site www.evene.fr
Le caractère de Superman, savant mélange de Zorro (pour la double identité), des héros mythologiques
(Hercule) et des hommes forts du cirque capables de tordre des barres d'acier ou de briser des chaînes
(et accessoirement vêtus de tenues moulantes et colorées…), possède une forte dimension biblique.
Comme Moïse, il est caché dans un berceau pour survivre, et dérive dans l'espace avant d'être adopté
par un peuple étranger. Et tel le légendaire Golem, créé au XVIe siècle par le rabbin Loew pour défendre
75
les juifs de Prague, Superman use de ses capacités hors normes pour défendre son peuple. Son nom
kryptonien, Kal-El, signifie en hébreu « semblable à Dieu ».
Annexe 42 : Extrait du mythe de Superman, De Superman au Surhomme, Umberto Eco (Grasset, 1993)
« L'image de Superman peut être identifiée par le lecteur. En effet, Superman vit parmi les hommes sous
les fausses apparences du journaliste Clark Kent; et comme tel il est apparemment craintif, timide,
médiocrement intelligent, un peu gauche, myope et soumis à sa collègue Lois Lane, matriarcale et
libidineuse, qui le méprise, étant follement amoureuse de Superman. La double identité de Superman a
une raison d'être dans la narration parce qu'elle permet d'articuler de manière assez variée le récit des
aventures de notre héros, les équivoques, les rebondissements, un certain suspens de roman policier. La
trouvaille est excellente du point de vue mythopoïétique : Clark Lent personnifie typiquement le lecteur
moyen qui est obsédé par ses complexes et méprisé par ses semblables; le moindre employé de
commerce en Amérique, par un évident processus d'identification, nourrit en secret l'espoir qu'un jour,
des dépouilles de sa personnalité, puisse fleurir un surhomme, capable de racheter des années de
médiocrité. »
Annexe 43 : Extrait de l’article « BD et art contemporain : histoire d’une rencontre », Aurélia Vertaldi
et Olivier Delcroix sur lefigaro.fr
« Les super-héros ont alimenté plusieurs générations d'artistes américains et français depuis les années
60, animés plus ou moins de bonnes intentions. Ici Gilles Barbier tourne en dérision le mythe de nos
héros de jeunesse, détournant les codes des personnages de cet univers manichéen et fantasmatique,
s'amusant ainsi à désacraliser les super-héros. Relégués à un état d'être de chair et de sang, ceux-ci
vieillissent, oubliés et grabataires au fin fond d'un hospice. »
76
Annexe 44 : Fiche de lecture De Superman au Surhomme, Umberto Eco, Grasset, 1993
Cet ouvrage qui a pour titre original « Il Superuomo di Massa », traduisez le surhomme de
masse, a pour but de définir le mythe du surhomme et son évolution d’un point de vue littéraire
et romanesque. Partant de l’hypothèse que le Comte de Monte-Cristo est le modèle de la
surhumanité, l’auteur va tenter les différentes figures du mythe à travers divers essais, écrits à
des périodes différentes. Il va notamment s’attarder sur le surhomme le plus populaire dans
notre société occidentale : Superman.
Le chapitre « Le mythe de Superman » écrit en 1962 m’a donc beaucoup aidé dans mon analyse
et ma description du mythe du super-héros car elle reprend la figure mythique originale, celle
de l’âge d’or des comics fondateur de ces personnages emblématiques que sont les super-
héros. Umberto Eco y décrit en détail celui qu’il définit comme le surhomme le plus abouti, tant
par ses pouvoirs que par sa vertu héroïque, mais il fait surtout un constat édifiant expliquant
l’existence de super-héros : « Dans une société particulièrement nivelée, où les troubles
psychologiques, les frustrations, les complexes d’infériorité sont à l’ordre du jour, dans une
société industrielle où l’homme devient un numéro à l’intérieur d’une organisation qui décide
pour lui, où la force individuelle *…+ est humiliée face à la force de la machine qui agit pour
l’homme et va jusqu’à déterminer ses mouvements, *…+ le héros positif doit incarner, au-delà du
concevable, les exigences de puissances que le citoyen commun nourrit sans pouvoir les
satisfaire. »134
Superman représente ainsi tout ce que le lecteur de comics rêve d’être : fort, intelligent,
courageux, et charismatique. Il admet néanmoins un point faible, puisqu’il est dépossédé de
tout pouvoir face à la kryptonite, une roche imaginaire qui provient de Krypton, sa planète
d’origine. Car en effet, Superman n’est pas humain, c’est un extra-terrestre recueilli par une
famille américaine dans la ville de Smallville aux Etats-Unis où il va grandir et apprendre à
maîtriser ses pouvoirs.
134
Le mythe de Superma, in De Superman au Surhomme, p.113
77
La trame scénaristique est faite de telle manière que Superman ne se consume pas dans le
temps. Au fil des histoires, il pourrait logiquement évoluer à chaque fois qu’une action se
termine, mais cela voudrait dire qu’il fait un pas vers la mort. Ce qui est impossible puisque
comme le précise l’auteur « un mythe est inusable ». Cette affirmation a rythmé mon
raisonnement dans le but de prouver que la figure mythique des super-héros existe toujours
même si les super-héros classiques ne sont plus à la mode dans la publicité. Le schéma
scénaristique des comics est par ailleurs très ironique précise Umberto Eco, les auteurs ont bien
conscience de contribuer à l’écriture d’une comédie plutôt qu’un drame. Comme nous l’avons
vu, cette ironie est reprise constamment dans la publicité et explique en partie le détournement
du mythe du super-héros.
Dans la conclusion de l’ouvrage, Umberto Eco revient sur un évènement marquant : la mort de
Superman. Et il établit le même constat que dans ce mémoire : Superman était devenu trop
visible, trop médiatisé il ne pouvait pas rester dans le cadre étroit de Smallville. Et le surhomme
a évolué, c’est aujourd’hui un surhomme de masse, un surhomme du quotidien plus banal qui a
remplacé le super-héros, ce qui me semble toujours d’actualité !
78
Annexe 45 : Fiche de lecture La société des Consommateurs, Robert Rochefort, Editions Odile
Jacob, 2001
Cet ouvrage de Robert Rochefort, directeur du CREDOC135, décrypte pour nous l’évolution de la
société de consommation depuis son apparition au début des années 1950 en France dans une
situation de pénurie, à la société de rassurance dans les années 2000 qui m’intéresse tout
particulièrement pour mon mémoire.
Il part tout d’abord d’un constat (chiffré) : la consommation se porte bien au début des années
2000. Et malgré ce que certains analystes peuvent penser, la société de consommation reste le
modèle majeur de notre société. Les sociétés de l’information et de la communication ne se
substituent pas à celle de la consommation, elles en font partie, ce sont des évolutions de la
société de consommation.
L’auteur nous interroge ensuite sur ce qui nous est indispensable de comprendre dès le départ :
qu’est-ce-que consommer ? Ce qui va donc nous permettre de définir la société de
consommation : « Consommer dans un pays riche, c’est à la fois satisfaire un besoin et
s’accorder un plaisir qui va au-delà de ce strict besoin. » Il y a tout à la fois les notions de besoin,
de plaisir et de désir dans l’acte de consommation qui sont satisfaits par deux caractéristiques
du produit ou d’une marque : le fonctionnel (valeur intrinsèque du produit) et l’immatériel
(imaginaire fabriqué par la marque). Mais attention Robert Rochefort nuance son propos : la
société de consommation ne mène pas au bonheur.
Une histoire de la société de consommation
La société de consommation débute dans les années 1950 après la Seconde Guerre Mondiale
alors que la France est en situation de pénurie et qu’il faut relancer la croissance économique,
reconstruire le pays. La grande distribution va alors se développer sous l’impulsion d’Edouard
Leclerc, relayée par la croissance elle va permettre à la société de consommation d’accéder à
l’abondance. Cette abondance sera contestée à partir de 1968 : « elle n’est plus perçue comme
135
Centre de Recherche pour l'Etude et l'Observation des Conditions de vie
79
une libération mais une aliénation. » puis vient la consommation individualiste à partir des
années 1970 jusque dans les années 1990 où elle marque un coup d’arrêt. La société de
consommation va par la suite adopter l’imaginaire de la « rassurance » au milieu des années
1990 où prennent place logiquement les thèmes de la famille, de l’écologie, de la santé ou
encore de la solidarité. Face à la mondialisation, la logique du « consommer local » fait
également son apparition, la consommation doit rassurer, elle est en opposition totale à celle
des années 1980, individualiste et éphémère.
La société de la rassurance va se poursuivre jusque dans les années 2000 où elle sera mêlée à la
société du consommateur-entrepreneur, plus responsable et plus actif. Cette combinaison s’est
développée ces dernières années et explique en partie l’omniprésence des super-héros dans la
publicité évoquée dans ce mémoire. Elle est aussi une prémisse de la société de consommation
d’aujourd’hui tournée sur l’imaginaire du participatif où Internet tient une grande place.
80
Résumé
Partie 1
Les super-héros de comics sont apparus juste avant la Seconde Guerre Mondiale pendant une période de
crise aux Etats-Unis et ont connu l’âge d’or durant les années 1940-50. Ils ont ensuite suivi l’évolution de
la société américaine, tout en rentrant dans la culture populaire dominante. Les super-héros sont
devenus un mythe grâce à leurs costumes, leurs super-pouvoirs et leur morale, avant d’être hyper-
médiatisés en tant que marques. Leur apparition dans de nombreux blockbusters va renforcer leur place
dans la culture mainstream avant que les spectateurs ne se lassent de ses personnages issus de comics.
Partie 2
L’omniprésence des super-héros dans la publicité ces dernières années, sous diverses représentations,
répond à un besoin de rassurance des consommateurs. Mais cette omniprésence a entraîné la
déchéance des super-héros et la perte de leur pouvoir mythique. Aujourd’hui ils sont régulièrement
moqués et critiqués dans la publicité, et les marques n’hésitent pas à créer leurs personnages
publicitaires inspirés des super-héros comme Innocent avec Super Fruit.
Partie 3
Progressivement les super-héros ont laissé la place à d’autres héros plus communs, des héros du
quotidien nommés les consommateurs. Le processus d’héroïsation des consommateurs a souvent été
mis en scène dans la publicité, il s’inspire en partie du mythe super-héroïque de manière plus ou moins
ironique. Ce phénomène s’inscrit dans la logique de la société du consommateur-entrepreneur mêlée à
celle de rassurance. C’est dans cet imaginaire que s’illustre le marketing participatif qui tend à impliquer
le consommateur dans la démarche de communication mais aussi de création de produits qu’il va
ensuite lui-même pouvoir acheter. Tout cela afin de placer ce nouveau héros au cœur du processus de
consommation.
Mots-clefs Super-héros, mythe, publicité, hypermédiatisation, mainstream, héroïsation, rassurance,
consommateur, participatif.