les quatre nobles vérités : le dhamma de la forêt

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1 Le Dhamma de la Forêt Les Quatre Nobles Vérités Ajahn Sumedho Publication réservée à la distribution gratuite. Les publications d'Amaravati sont éditées en vue d'une distribution gratuite. Dans la plupart des cas, cette gratuité intervient grâce aux dons de personnes ou de groupes qui offrent spécialement pour la publication des enseignements Bouddhistes. Sabbadanam dhammadanam jinati - Le don du Dhamma surpasse tous les autres dons © Amaravati Publications 1992. ISBN 1 870205 10 3 (pour le livre) Traduction française réalisée par Tan Savako et Elisabeth Martin. Pour obtenir de plus amples informations, veuillez écrire à l'adresse suivante. Amaravati Publications. AMARAVATI BUDDHIST MONASTERY, Great Gaddesden, Hemel Hempstead, Hertfordshire, HPI 3BZ, Angleterre Dédicace : L'impression de l'ouvrage original a été offerte pour une distribution libre par G.S.A. et H.M.Gamage à la mémoire de leur parent.

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Boudhisme

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    Le Dhamma de la Fort

    Les Quatre Nobles Vrits Ajahn Sumedho

    Publication rserve la distribution gratuite. Les publications d'Amaravati sont dites en vue d'une distribution gratuite. Dans la plupart des cas, cette gratuit

    intervient grce aux dons de personnes ou de groupes qui offrent spcialement pour la publication des enseignements Bouddhistes.

    Sabbadanam dhammadanam jinati - Le don du Dhamma surpasse tous les autres dons

    Amaravati Publications 1992. ISBN 1 870205 10 3 (pour le livre) Traduction franaise ralise par Tan Savako et Elisabeth Martin.

    Pour obtenir de plus amples informations, veuillez crire l'adresse suivante. Amaravati Publications. AMARAVATI BUDDHIST MONASTERY, Great Gaddesden, Hemel Hempstead, Hertfordshire, HPI 3BZ, Angleterre

    Ddicace : L'impression de l'ouvrage original a t offerte pour une distribution libre par G.S.A. et H.M.Gamage la mmoire de leur parent.

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    Sommaire :

    Une poigne de feuilles Prface Introduction LA PREMIERE NOBLE VERITE

    o Souffrance et image de soi o Ngation de la souffrance o Moralit et compassion o Etudier la souffrance o Plaisir et dsagrment o Ralisations en situation

    LA DEUXIEME NOBLE VERITE o Trois catgories de dsirs o L'attachement est souffrance o Lcher prise o Ralisation

    LA TROISIEME NOBLE VERITE o La vrit de l'impermanence o Le phnomne de la mort et l'exprience de la cessation o Permettre aux choses de se manifester o Ralisation

    LA QUATRIEME NOBLE VERITE o La Comprhension Juste o Aspiration Juste o Parole Juste, Moyen dExistence Juste o Effort Juste, Attention Juste, Concentration Juste o Aspects de la mditation o Rationalit et motion o Les choses telles qu'elles sont o Harmonie o Le chemin octuple comme moyen de contempler

    Glossaire

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    Une poigne de feuilles

    Un jour, alors quil rsidait Kosambi dans une fort de simsapas, le Bienheureux, ramassa une poigne de feuilles. Il demanda alors aux Bhikkhus : Selon vous Bhikkhus, les feuilles que je tiens dans la main sont-elles plus nombreuses que celles des arbres de ces bois ? - Les feuilles que le Bienheureux a ramasses ne sont quune poigne, Seigneur; celles des arbres sont bien plus nombreuses. - Ainsi Bhikkhus, il en est de mme pour les connaissances que jai accumules au cours de mon exprience, qui sont bien plus nombreuses que les choses que je vous ai enseignes, dont le nombre est restreint.

    Pourquoi ai-je omis de vous parler de tant de choses ? Parce que ces connaissances ne sont pas source de dveloppement, de progrs dans la Vie Sainte et parce quelles ne conduisent pas lextinction de la passion, sa diminution, la cessation, la srnit, la comprhension directe, lveil, Nibbana. Voil pourquoi je ne vous en ai pas parl. Et que vous ai-je enseign ?

    Ceci est la souffrance Ceci est lorigine de la souffrance Ceci est la cessation de la souffrance Ceci est la voie qui mne la cessation de la souffrance.

    Voil ce que je vous ai enseign. Pourquoi vous lai-je enseign ? Parce que cet enseignement est source de dveloppement, de progrs dans la Vie Sainte et parce quil mne lextinction de la passion, sa diminution, sa cessation, au repos, la comprhension directe, lveil, Nibbana.

    Ainsi Bhikkhus, que votre tche soit comme suit :

    Ceci est la souffrance Ceci est lorigine de la souffrance Ceci est la cessation de la souffrance Ceci est la voie qui mne la cessation de la souffrance .

    [ SAMYUTTA NIKAYA - LVI 31 ]

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    PREFACE Ce livret a t labor et dit partir de discours donns par le Vnrable Ajahn Sumedho propos de lenseignement central du Bouddha, savoir que la souffrance de lhumanit peut tre vaincue laide de moyens spirituels. Lenseignement est transmis travers les Quatre Nobles Vrits du Bouddha, exposes pour la premire fois en 528 avant J.C. dans le Parc aux Cerfs Sarnath, prs de Varanasi, et a perdur depuis dans le monde Bouddhiste.

    Le Vnrable Ajahn Sumedho est un bhikkhu (moine mendiant) de la tradition du Bouddhisme Theravada. Son ordination eut lieu en Thalande en 1966, o il fut instruit pendant dix ans. Il est prsent lAbb du Centre Bouddhiste dAmaravati ainsi que lenseignant et le guide spirituel tant de nombreux moines et nonnes Bouddhistes que de lacs.

    Ce livret a t mis disposition grce lengagement de nombreuses personnes pour le bien dautrui.

    Notes sur le texte :

    Le premier expos des Quatre Nobles Vrits tait un discours (sutta) appel Dhammacakkappavattana Sutta littralement le discours qui met le vhicule de lenseignement en mouvement . Des extraits de celui-ci sont rapports en tte de chapitre de chacune des Quatre Vrits. La rfrence cote est celle de la section du livre des critures o le discours peut tre trouv. Cependant, le thme des Quatre Nobles Vrits se retrouve de nombreuses fois, par exemple dans la cotation qui apparat au dbut de lintroduction.

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    INTRODUCTION

    Que nous devions, toi et moi, voyager et peiner au cours de ce long priple, provient de notre incapacit dcouvrir, pntrer quatre vrits. Quelles sont-elles ? Ce sont :

    - La Noble Vrit de la Souffrance - La Noble Vrit de lOrigine de la Souffrance

    - La Noble Vrit de la Cessation de la Souffrance - La Noble Vrit de la Voie qui mne la Cessation de la Souffrance.

    [ DIGHA NIKAYA - SUTTA 16 ]

    Le Dhammacakkappavattana Sutta, lEnseignement du Bouddha sur les quatre Nobles Vrits, a t la rfrence principale que jai utilise pour ma pratique depuis des annes. Cest cet enseignement que nous utilisions dans notre monastre en Thalande. L'cole du bouddhisme theravada considre ce Sutta comme la quintessence de lenseignement du Bouddha. Il contient tout ce qui est ncessaire la comprhension du Dhamma et la ralisation de lveil.

    Bien que le Dhammacakkappavattana Sutta soit considr comme le premier enseignement transmis par le Bouddha aprs son illumination, il me plat dimaginer quelquefois que son premier sermon fut donn un ascte quil croisa sur le chemin de Varanasi. Aprs son veil Bodh Gaya, le Bouddha estima cet enseignement trop subtil pour lui permettre dexprimer sa dcouverte par les mots et dcida quil sabstiendrait donc denseigner, se contentant de rester assis sous larbre Bodhi pour le restant de ses jours.

    En ce qui me concerne, je trouve trs sduisante cette ide de se retirer dans la solitude et de ne plus avoir tre confront aux problmes de la socit. Cependant, alors que le Bouddha entretenait de telles penses, Brahma Sahampati, le dieu crateur dans la mythologie de lhindouisme, lui apparut et russit le convaincre de se mettre en route pour enseigner. Brahma Sahampati fut en mesure de persuader le Bouddha quil existait des individus capables de comprendre, des gens nayant que peu de poussire dans les yeux. Lenseignement du Bouddha tait donc dirig vers ceux dont la vue est peu obscurcie. Je suis convaincu quil nimaginait pas le voir devenir un mouvement religieux suivi par les foules.

    Aprs la visite de Brahma Sahampati, le Bouddha faisait route de Bodh Gaya vers Varanasi, quand il rencontra un ascte qui fut impressionn par son apparence rayonnante. Lascte linterrogea sur ce quil avait dcouvert, ce quoi le Bouddha rpondit : Je suis celui qui est parfaitement veill, lArahant, le Bouddha ! .

    Jaime penser que ce fut l son premier sermon. Ce fut un chec, car son interlocuteur pensa que le Bouddha perdait lesprit et tombait dans lorgueil par excs de pratique. Je suis persuad que nous ragirions de la mme faon si quelquun nous disait une chose pareille. Quelle serait votre raction si je vous affirmais : Je suis parfaitement veill ?

    En fait, le discours du Bouddha tait un enseignement juste, trs prcis. Ctait lenseignement parfait, mais nous ne sommes pas capables de le comprendre, car nous avons tendance

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    linterprter de travers et penser que cette affirmation mane dun ego : les gens interprtent toute chose du point de vue de leur propre ego. Bien quelle puisse sembler une affirmation gotiste, la dclaration Je suis celui qui est parfaitement veill nest-elle pas, en fait, purement transcendante ? Ce discours Je suis le Bouddha, celui qui est parfaitement veill , est intressant contempler, car il utilise les mots je suis avec des attributs en termes de ralisations, de russites superlatives. En tout cas, ce premier enseignement du Bouddha neut gure de rsultats. Son interlocuteur ne fut pas en mesure de le comprendre et passa son chemin.

    Plus tard, le Bouddha retrouva ses cinq anciens compagnons dans le Parc aux Cerfs Varanasi. Tous les cinq taient trs sincrement ddis un asctisme des plus stricts. Ils avaient t auparavant dus par le Bouddha, car ils avaient cru le voir perdre toute sincrit dans sa recherche. En fait, avant quil ne ralise lveil, le Bouddha tait arriv la conclusion quun asctisme rigoureux ne pouvait conduire daucune manire un tat de libration. En consquence, il avait cess ces pratiques extrmes et ses cinq amis avaient pens quil ntait plus srieux. Peut-tre lavaient-ils vu manger du riz au lait, ce qui reviendrait aujourdhui consommer une glace. Si, en tant quascte, vous surpreniez un moine dguster une glace, vous ne le prendriez probablement plus au srieux, car vous estimez que les moines doivent se nourrir de soupe aux orties ! Si vous tes convaincu des vertus de lasctisme et que vous me voyez savourer une coupe de glace, vous naurez plus confiance en Ajahn Sumedho. Cest la faon dont fonctionne lesprit humain : nous avons tendance admirer les actes hroques de mortification et de renoncement. Ayant perdu leur foi en lui, ses cinq amis ou disciples avaient dlaiss le Bouddha. Celui-ci avait alors commenc, sous larbre Bodhi, une priode de mditation qui culmina par sa libration.

    Donc, quand ils rencontrrent nouveau le Bouddha dans le Parc aux Cerfs, Varanasi, les cinq asctes pensrent tout dabord : Nous le connaissons bien celui-l, a ne vaut pas la peine de nous en occuper . Mais comme le Bouddha approchait, ils sentirent tous en lui quelque chose de spcial. Ils se levrent pour lui faire une place afin quil puisse sasseoir. Le Bouddha offrit alors son sermon sur les Quatre Nobles Vrits.

    Cette fois-ci, au lieu de dire : Je suis celui qui est parfaitement illumin , il proclama : Il y a la souffrance. Il y a lorigine de la souffrance. Il y a la cessation de la souffrance. Il y a la voie qui mne la cessation de la souffrance . Prsent de cette faon, son enseignement ne requiert ni accord ni rejet. Sil avait dit : Je suis celui qui est compltement veill , nous serions obligs dtre daccord ou de ne pas ltre ou bien de rester tout simplement perplexes. Nous ne saurions pas trs bien comment interprter cette affirmation. Par contre, en dclarant Il y a la souffrance, il y a une origine, il y a une fin et il y a une voie qui mne la fin de la souffrance , il nous a offert matire rflexion : quest-ce quil veut dire par l ? Que veut-il dire par souffrance, sa cause, sa cessation et la voie ?

    En consquence, nous commenons contempler cela, y rflchir. Quant la dclaration Je suis celui qui est parfaitement veill , nous aurions tt fait de la contester : Est-il rellement libr ? Non, je ne le crois pas. Nous ne ferions quargumenter ; nous ne sommes pas prts pour un enseignement si direct. De toute vidence, le premier sermon du Bouddha tait adress quelquun qui avait encore trop de poussire dans les yeux et ce fut un chec. Mais, la seconde occasion, il prsenta lenseignement des Quatre Nobles Vrits.

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    Les Quatre Nobles Vrits sont donc les suivantes : il y a la souffrance, il y a une cause, une origine la souffrance, il y a une fin la souffrance et il y a une issue la souffrance qui est le Noble Chemin Octuple. Chacune de ces vrits possde trois aspects, donc au total douze rvlations. Dans lcole Theravada, un Arahant, un tre perfectionn, est quelquun qui a vu clairement les Quatre Nobles Vrits ainsi que leurs trois aspects, cest--dire les douze rvlations. Le mot Arahant dcrit un tre humain qui comprend la vrit, en particulier au sujet de lenseignement des Quatre Nobles Vrits.

    Il y a la souffrance constitue le premier aspect de la Premire Noble Vrit. Quel est-il ? Il n'est pas utile de compliquer les choses : il sagit simplement du fait de reconnatre que Ceci est souffrance, dukkha . Cest une dclaration fondamentale. Une personne ignorante pense : Je souffre, je ne veux pas souffrir. Je mdite et prend part des retraites pour ne plus souffrir, mais je continue souffrir et je ne veux pas souffrir... Comment faire pour chapper la souffrance ? Que puis-je faire pour men dbarrasser ? . Mais ceci nest pas la Premire Noble Vrit qui ne dit pas Je souffre et je veux que a sarrte , mais Il y a la souffrance : cest cela, la rvlation.

    Ds lors, vous considrez la douleur ou langoisse que vous ressentez non plus comme tant la mienne, celle qui mappartient , mais plutt en tant que matire rflexion : Ceci est souffrance, dukkha . Cette perspective est lattitude de rflexion du Bouddha observant le Dhamma. La rvlation est simplement : admettre la prsence de la souffrance sans en faire une question personnelle. Ceci est une communication importante : considrer simplement langoisse mentale ou la douleur physique et la voir en termes de dukkha plutt quen termes de misre personnelle, la voir simplement comme tant dukkha et ne pas ragir selon son habitude.

    La seconde perspective de la Premire Noble Vrit est : La souffrance doit tre comprise . La deuxime rvlation ou facette de chacune des Quatre Nobles Vrits contient le mot doit : Cela doit tre compris . Ce second aspect est donc que dukkha reprsente quelque chose quil sagit de comprendre. Il faut comprendre dukkha et non simplement essayer de sen dbarrasser.

    On pourrait considrer le mot comprendre comme prendre avec soi . Cest un mot assez banal, mais qui, en Pali, possde un sens plus fort comme accepter vritablement la souffrance , lembrasser totalement plutt que de simplement y ragir. Quelle que soit sa forme, physique ou mentale, nous avons tendance seulement rpondre la douleur, mais, en usant de comprhension, nous pouvons vraiment observer la souffrance, laccepter, la saisir et lembrasser vritablement. Voil donc la seconde rvlation : nous devons comprendre la souffrance.

    Le troisime aspect de la Premire Noble Vrit est : La souffrance a t comprise . Quand vous avez vraiment pratiqu avec la souffrance en lobservant, en lacceptant et en arrivant ainsi une comprhension profonde de sa nature vous abordez la troisime facette : La souffrance a t comprise , ou dukkha a t comprise . Les trois aspects de la Premire Noble Vrit sont donc : Il y a dukkha, dukkha doit tre comprise et dukkha a t comprise! .

    Ceci est le schma pour les trois aspects de chaque Noble Vrit. Il y a dabord le diagnostic, puis la prescription et ensuite le rsultat de la pratique. On peut galement utiliser les termes palis : pariyatti , patipatti et pativedha . Pariyatti est le diagnostic, la thorie ou la dclaration

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    Il y a souffrance , patipatti dcrit la prescription, la pratique, laction mme de pratiquer avec la souffrance et pativedha est le rsultat de la pratique. Cest ce quon peut appeler un modle de rflexion ; en lappliquant, vous dveloppez votre capacit mentale rflchir, contempler avec sagesse. Lesprit du Bouddha est un esprit rflchissant, qui voit les choses telles quelles sont.

    Les Quatre Nobles Vrits sont utiliser pour notre dveloppement. Nous pouvons les appliquer aux situations banales de notre vie, nos inclinations et obsessions ordinaires. A laide de ces vrits, nous pouvons analyser, tudier nos attachements, ce qui conduit aux rvlations successives. En utilisant la Troisime Noble Vrit, nous sommes en mesure de raliser la cessation, la fin de la souffrance et de mettre en pratique le Noble Chemin Octuple de manire dvelopper la comprhension. Lorsquun disciple a totalement dvelopp la Voie, celui-ci est alors un Arahant, il a atteint le but. Bien que cela puisse sembler compliqu quatre vrits, trois aspects, douze rvlations cest en fait plutt simple. Cest un outil pour nous aider comprendre la souffrance et labsence de souffrance.

    Dans les pays bouddhistes, ceux qui utilisent les Quatre Nobles Vrits ne sont plus trs nombreux, mme en Thalande. Beaucoup de gens disent : Ah oui, les Quatre Nobles Vrits ! cest pour les dbutants ! Ils utilisent alors toutes sortes de techniques de mditations Vipassana et deviennent obsds par les tapes successives avant den arriver aux Nobles Vrits. Je trouve cela tout fait trange que, dans les pays bouddhistes, un enseignement aussi profond ait t rejet, mis lcart sous ltiquette bouddhisme primitif : quelque chose de rserv aux enfants, aux dbutants. La pratique, pour les plus accomplis, consiste alors partir dans des thories et des ides compliques et ils perdent de vue lenseignement le plus profond.

    Les Quatre Nobles Vrits offrent matire rflexion pour toute notre vie. Il ne sagit pas seulement de raliser les Quatre Nobles Vrits, les trois aspects et les douze tapes et devenir un Arahant au terme dune retraite, pour ensuite passer autre chose de plus avanc. Les Quatre Nobles Vrits ne sont pas aussi faciles comprendre. Pntrer leur signification demande une attitude de vigilance continue, soutenue. Elles procurent alors le contexte adapt toute une vie dintrospection.

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    LA PREMIERE NOBLE VERITE

    Quelle est la Noble Vrit de la Souffrance ?

    La naissance est souffrance, la vieillesse est souffrance et la mort est souffrance. Etre spar de ce quon aime est souffrance, ne pas obtenir ce que lon dsire est souffrance : en rsum, les cinq catgories dattachements sont sources de souffrance.

    Il y a la Noble Vrit de la Souffrance : telle fut la vision, rvlation, sagesse, connaissance et lumire qui sleva en moi au sujet de choses jusqualors non exprimes.

    Cette Noble Vrit doit tre pntre par une comprhension complte de la souffrance : telle fut la vision, rvlation, sagesse, connaissance et lumire qui apparut en moi au sujet de choses jusqualors inexprimes.

    Cette Noble Vrit a t pntre par une comprhension complte de la souffrance : telle fut la vision, rvlation, sagesse, connaissance et lumire qui apparut en moi au sujet de choses jusqualors inexprimes.

    [ SAMYUTTA NIKAYA - LVI 11 ]

    La Premire Noble Vrit et ses trois aspects est la suivante : Il y a souffrance, dukkha. Dukkha doit tre comprise. Dukkha a t comprise.

    Cest un enseignement trs habile, car il est exprim au moyen dune formule simple, facile mmoriser ; il est galement applicable tout ce quil est possible dexprimenter, de faire ou de penser, en matire de pass, de prsent ou de futur.

    La souffrance, dukkha, est une exprience que nous partageons tous. Nimporte lequel dentre nous souffre, o quil soit. Les tres humains souffraient par le pass dans lInde antique, ceux de lactuelle Grande Bretagne souffrent aussi et tous, dans le futur, continueront souffrir Quavons-nous en commun avec la reine Elizabeth ? nous souffrons. Que partageons-nous avec un clochard de Charing Cross ? la souffrance. Tous les niveaux sociaux sont concerns, des plus privilgis aux plus dmunis. Nimporte lequel dentre nous, o quil soit, fait lexprience de la souffrance. Cest un lien qui nous relie tous les uns aux autres, quelque chose qui est familier chacun dentre nous.

    Lorsque nous voquons la souffrance humaine, cela veille notre inclination la bont. Mais, si nous parlons de nos opinions de ce que je pense ou de ce que vous pensez en matire de politique ou de religion alors nous sommes capables de partir en guerre. Je me souviens avoir vu un film Londres, il y a une vingtaine dannes, qui prsentait les Russes sous un jour humain. Il montrait des femmes et leurs bbs, ainsi que des hommes qui jouaient avec leurs enfants. A l'poque, cette prsentation des Russes tait inhabituelle car la propagande occidentale les dpeignait comme des tres froids, sans cur de vritables reptiles de sorte quil tait impossible de les considrer comme des tres humains. Si vous voulez tuer des gens, il vaut mieux les percevoir ainsi ; vous devez inventer ce genre dimages. Il vous devient bien plus difficile, voire impossible, de tuer quelquun si vous ralisez quil souffre des mmes souffrances que vous. Vous devez vous imaginer une horrible crapule sans cur ni sens moral dont il vaut mieux se dbarrasser. Vous devez vous convaincre que ces gens sont des tres fondamentalement mauvais et quil est juste dradiquer le mal. Dans cette optique, les bombarder ou les mitrailler devient justifiable. Si vous

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    gardez lesprit notre lien commun quest la souffrance humaine, vous devenez bien incapable de commettre ce genre datrocit.

    La Premire Noble Vrit nest pas une doctrine mtaphysique pessimiste qui affirme que tout est souffrance. Notez bien la diffrence qui existe entre une doctrine mtaphysique constituant une prise de position en ce qui concerne lAbsolu et une Noble Vrit prsente comme moyen de rflexion. Une Noble Vrit est une vrit que nous utilisons pour rflchir ; ce nest pas un absolu, ce nest pas LAbsolu. Cest sur ce point que beaucoup doccidentaux sont dsorients, car ils interprtent cette Noble Vrit comme une espce de dogme mtaphysique bouddhiste mais ceci est une erreur dinterprtation.

    On voit clairement que la Premire Noble Vrit nest pas une prise de position absolue, du fait de la Quatrime Noble Vrit qui est lissue la souffrance. Il ne peut pas y avoir la souffrance absolue de mme quune voie qui permet de sen chapper, nest-ce pas ? a nest pas logique. Pourtant, certains, se rfrant la Premire Noble Vrit, soutiennent que le Bouddha enseignait que tout est souffrance.

    Le mot Pali dukkha signifie incapable de satisfaire ou incapable de soutenir quoi que ce soit , toujours changeant , incapable de vritablement nous donner satisfaction ou de nous rendre heureux . Le monde sensuel est ainsi : une vibration naturelle. En fait, ce serait dsastreux si nous trouvions satisfaction dans le monde des sens, car nous ne chercherions pas au-del ; nous en serions compltement prisonniers. Cependant, lorsque nous nous veillons cette exprience de dukkha, nous sommes en mesure de trouver une issue ; de ce fait, nous ne sommes plus constamment prisonniers de la conscience sensorielle.

    SOUFFRANCE ET IMAGE DE SOI

    Il est important de contempler la faon dont est formule la Premire Noble Vrit. Celle-ci est exprime trs clairement par Il y a la souffrance plutt que par Je souffre . Du point de vue psychologique, cette rflexion est beaucoup plus habile. Nous avons tendance interprter notre souffrance en termes de Je souffre vraiment, je souffre beaucoup et je ne veux pas souffrir . Cest ainsi que notre intellect est conditionn.

    Je souffre a toujours le sens de Je suis quelquun qui souffre normment. Cette souffrance est la mienne, jai tant souffert dans la vie ! . De ce fait, tout un processus dassociation se met en route, entre l'image que vous avez de vous-mme et les souvenirs et suppositions qui confirment cette perception. Vous vous souvenez de ce qui sest produit alors que vous ntiez quun enfant et ainsi de suite

    Mais, remarquez bien, notre propos nest pas de dire quil y a quelquun qui souffre. Ds que nous la voyons en termes de Il y a souffrance , la douleur nest plus perue comme quelque chose de personnel. Cest tout fait diffrent de Oh, pauvre de moi, pourquoi dois-je autant souffrir ? Quest-ce que jai fait pour mriter a ? Pourquoi suis-je oblig de vieillir ? Pourquoi est-ce que je dois faire lexprience du chagrin, de la douleur, de la peine et du dsespoir ? Ce nest pas juste ! Je

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    ne veux pas ! Je ne dsire que bonheur et scurit ! Cette faon de penser a pour origine lignorance qui complique tout et dgnre en problmes de personnalit.

    Pour permettre la souffrance de disparatre, il faut dabord en admettre consciemment la prsence. Mais, dans la mditation bouddhiste, cette acceptation nest pas faite depuis une position telle que Je souffre , mais plutt partir de celle de Il y a prsence de souffrance . Ainsi, nous ne sommes pas en train dessayer de nous identifier au problme, mais de simplement reconnatre son existence. Il nest pas habile de penser en termes de Je suis quelquun dirritable ; je me mets si facilement en colre ; comment puis-je y remdier ? . Ce type de pense dclenche toutes les suppositions renforant l'ide d'une personnalit fixe, qui ne peut tre change et il devient trs difficile de voir les choses en perspective. Tout devient trs confus, car le sentiment que ces problmes et ces penses sont les ntres nous conduit facilement vouloir nous en dbarrasser ou porter des jugements critiques sur nous-mmes. Nous avons tendance nous attacher et nous identifier plutt que dobserver, dtre tmoin et de comprendre les choses telles quelles sont. Par contre, si nous admettons simplement la prsence dun sentiment de confusion, de convoitise ou de colre, notre attitude constitue une rflexion honnte sur la nature des choses, rflexion qui nest pas base ou du moins pas aussi fortement sur toutes sortes de suppositions sous-jacentes.

    Essayez de ne pas considrer ces phnomnes comme des fautes personnelles. Observez plutt leur nature conditionne, impersonnelle, phmre et incapable de donner satisfaction. Continuez les regarder tels quils sont, sans interfrer. Nous avons tendance interprter la vie en nous plaant du point de vue que Ce sont mes problmes et considrer que nous faisons preuve dhonntet et dintgrit en ragissant de la sorte. Ainsi, notre vie ne fait que confirmer ces interprtations, puisque nous continuons fonctionner sur la base de cette hypothse errone. Mais cette faon dinterprter la vie est elle-mme phmre, insatisfaisante et vide de substance.

    Il y a souffrance est la constatation trs claire et prcise quexiste cet instant un certain sentiment dinsatisfaction. Cela peut aller dune lgre irritation langoisse ou au dsespoir le plus profond : dukkha ne veut pas ncessairement dire souffrance considrable . Il nest pas ncessaire dtre brutalis, davoir t intern Auschwitz ou Belsen pour reconnatre lexistence de la souffrance. Mme la reine Elizabeth est en mesure de dire que la souffrance existe. Je suis sr quil lui arrive de connatre aussi langoisse et le dsespoir, ou du moins dtre irrite.

    Le monde sensoriel est une exprience sensible. En dautres termes, nous sommes constamment sujets au plaisir et la douleur, la dualit du samsara. Ceci est la consquence du fait que nous possdons une forme trs vulnrable et de ressentir tout ce qui entre en contact avec notre corps et ses sens. Cest ainsi. Cest le rsultat dtre n.

    NEGATION DE LA SOUFFRANCE

    La souffrance est une exprience que nous ne souhaitons pas connatre ; nous voulons simplement nous en dbarrasser. La raction habituelle dun individu ordinaire, ds quune chose le drange ou lennuie, est de vouloir sen dfaire ou de la supprimer. On comprend ainsi pourquoi la socit moderne est autant implique dans la recherche de plaisirs et dexcitations au travers de tout ce qui est nouveau, surprenant ou romantique. Nous avons tendance placer en avant la beaut et les joies

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    de la jeunesse, tandis que nous mettons lcart tout ce que la vie offre de laideur la vieillesse, la maladie, la mort, lennui, le dsespoir et la dpression. Lorsque nous rencontrons quoi que ce soit de dsagrable, nous essayons de nous en dbarrasser et de la remplacer par quelque chose dagrable. Si nous ressentons de lennui, nous recherchons quelque chose dintressant. Si nous avons peur, nous essayons de trouver un moyen de nous rassurer. Cest parfaitement normal de ragir ainsi. Nous fonctionnons selon ce principe plaisir-douleur qui consiste tre attir ou repouss. Par consquent, si lesprit nest pas entier et rceptif, il procde par slection, il choisit ce quil aime et tente dliminer ce quil naime pas. Une grande partie de notre exprience doit donc tre supprime, car il est impossible de vivre sans tre associ des choses dsagrables.

    Si nous rencontrons quelque chose de dplaisant, notre raction est de penser Sauve qui peut ! . Si quelquun se met en travers de notre route, Je vais le tuer ! nous vient lesprit. Cette tendance est souvent manifeste dans le comportement de nos gouvernants. Effrayant, nest-ce pas, de raliser que les gens qui dirigent nos nations sont encore trs ignorants et dnus de sagesse ? ! Cest ainsi, lesprit ignorant ne songe qu exterminer : Ce moustique me drange, tuons-le ! , Ces fourmis envahissent la pice, vite, linsecticide ! . Une socit anglaise a choisi le nom de Rent. O. Kill , qui signifie Lou pour tuer . Je ne pense pas quil sagisse dune sorte de mafia britannique ou autre : cette socit est spcialise dans la destruction des tres nuisibles le mot nuisible tant livr votre libre apprciation.

    MORALITE ET COMPASSION

    Cest parce que notre nature instinctive est dexterminer Si quelque chose nous barre la route, tuons-le! que nous avons des prceptes moraux tels que sengager ne pas tuer intentionnellement . Nous pouvons voir cela dans le monde animal. Ltre humain est lui-mme un prdateur ; nous nous estimons civiliss, mais notre histoire est pleine de sang et a nest pas une simple figure de style. Elle est vraiment compose dune longue succession de massacres, de tentatives de justification pour toutes sortes dinjustices commises lencontre dautres tres humains sans parler des animaux. Tout cela provient de cette ignorance de base, de cette impulsivit de lesprit humain qui nous impose danantir sans rflchir tout ce qui nous drange.

    Cependant, par la rflexion, nous pouvons changer cela ; nous sommes en mesure de transcender ce conditionnement instinctif et animal et de faire mieux que de nous comporter comme de simples pantins soumis aux lois de la socit, vitant la violence seulement par peur des reprsailles. Nous pouvons vraiment assumer notre responsabilit et vivre en respectant lexistence des autres cratures, mme celle dinsectes et autres nuisibles . Nous sommes tous incapables daimer les moustiques ou les fourmis, mais nous pouvons contempler le fait quils ont le droit de vivre. Ceci est une rflexion de lesprit ; ce nest pas seulement une raction comme Vite, linsecticide ! . Ainsi, grce notre capacit de rflexion, nous sommes capables de voir que, mme si elles nous drangent et que nous prfrerions les voir partir, ces cratures ont le droit dexister. Cest un exemple dobservation dont est capable lesprit humain.

    La mme attitude peut tre dveloppe en ce qui concerne les tats mentaux dplaisants. Ainsi, lorsque vous tes en proie lexaspration, plutt que de vous dire : a y est, je recommence memporter ! , vous pouvez penser : Ceci est la colre . Il en va de mme avec la peur : si vous

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    la voyez en termes personnels comme la peur dont souffre ma mre ou bien mon pre, ou encore la mienne tout devient alors un imbroglio confus de diffrents personnages tantt relis entre eux et tantt spars. Il devient trs difficile davoir aucune comprhension relle ; et cependant la peur dont je fais lexprience est la mme que celle ressentie par ce pauvre chien, Ceci est la peur ! . Cest seulement cela. La peur que jai prouve nest pas diffrente de la peur vcue par les autres. Si nous voyons cela, nous sommes en mesure dprouver de la compassion, mme pour un vieux chien galeux. Nous comprenons quavoir peur est une exprience aussi horrible pour lui que pour nous. Quun chien reoive un bon coup de pied ou que vous le receviez vous-mme, la douleur est identique. La douleur est la douleur, le froid est le froid, la colre est la colre ; ce nest pas La mienne une faon de voir qui renforce l'image que nous avons de nous-mme mais plutt Ceci est la douleur une manire habile de penser qui nous aide discerner les choses plus clairement. Reconnatre cette exprience de la souffrance ceci est souffrance conduit ensuite la seconde rvlation de la Premire Noble Vrit : Elle doit tre comprise . Cette souffrance doit tre examine.

    ETUDIER LA SOUFFRANCE

    Je vous encourage tous comprendre dukkha, vraiment ltudier, recevoir et accepter votre souffrance. Essayez de la comprendre dans la sensation de douleur physique comme dans le dsespoir et langoisse, dans la haine et laversion quelque forme quelle prenne, quelle quen soit la qualit, quelle soit terrible ou insignifiante. Cet enseignement ne requiert pas que vous soyez compltement misrable avant de raliser lveil. Il nimplique pas dtre dpouill de tous vos biens ou tortur dans votre chair, mais dtre capable de regarder la souffrance, mme sil ne sagit que dun lger sentiment de mcontentement, la regarder et la comprendre.

    Cest facile de trouver quelquun qui faire porter la responsabilit de nos problmes : Si ma mre mavait vraiment aim , ou Si tout mon entourage avait fait preuve de sagesse et stait totalement dvou moffrir un environnement parfait, je ne connatrais pas les problmes motionnels dont je souffre prsent . Cest tout fait stupide, nest-ce pas ! ? Pourtant, cest ainsi que beaucoup dentre nous voient la vie, persuads quils sont perdus et misrables parce qu'ils n'ont pas reu une juste chance. Mais, avec cette formule de la Premire Noble Vrit, mme si notre existence a t plutt misrable, ce que nous regardons nest pas cette souffrance venue de lextrieur, mais celle que nous crons dans notre propre esprit. Ceci constitue un veil chez un individu un veil la Vrit de la souffrance. Et il sagit dune Noble Vrit, car nous ne cherchons plus accuser les autres pour la souffrance dont nous faisons lexprience. Aussi, lapproche bouddhiste est-elle tout fait originale et distincte des autres religions par laccent quelle met sur la sagesse, l'affranchissement de toute illusion comme moyen d'chapper la souffrance plutt que sur lobtention de quelque tat de batitude ou dunion avec lAbsolu.

    Notez bien, mon propos nest pas de dire que les autres ne sont jamais source de frustration ou dirritation ; mais, ce que cet enseignement nous demande dtudier est notre propre faon de ragir lexprience dexister. En supposant quune personne vous traite avec mchancet ou essaie de vous nuire de faon dlibre et machiavlique, si vous pensez que cest cette personne-l qui constitue la vritable cause de votre souffrance, vous navez pas encore saisi la Premire Noble Vrit. Mme si elle est en train de vous arracher les ongles ou de vous faire subir je ne sais quelle

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    atrocit, tant que vous tes convaincu que vous souffrez cause delle, vous navez pas saisi la Premire Noble Vrit. Comprendre la souffrance, cest voir clairement que cest notre raction lencontre de cette personne Je te dteste qui constitue la vritable souffrance. Se faire arracher les ongles est douloureux, mais la souffrance implique : Je te hais , Comment peux-tu me faire a et Je ne te pardonnerai jamais .

    Cela dit, nattendez pas que quelquun vous arrache les ongles pour mettre en pratique la Premire Noble Vrit. Mettez-l lpreuve dans le cadre de petites contrarits : par exemple, si quelquun fait preuve dinsensibilit votre gard ou se montre impoli, mprisant. Si vous souffrez parce que cette personne vous a tromp ou offens de quelque manire que ce soit, vous pouvez vous en servir pour votre travail de contemplation. Dans la vie quotidienne, nous avons maintes occasions dtre blesss ou offenss. Nous pouvons nous sentir drangs ou mme irrits par la simple dmarche de quelquun ou par sa seule apparence, en tout cas, a marrive. Parfois, vous pouvez vous surprendre ressentir de laversion pour une personne simplement cause de sa faon de marcher ou parce quelle nagit pas comme elle devrait. On peut se mettre franchement en colre pour des futilits de ce genre. La personne en question ne vous a fait aucun mal, mais vous souffrez quand mme. Si vous ne russissez pas contempler votre souffrance dans ce type de situation ordinaire, vous ne serez jamais capable de faire preuve de lhrosme ncessaire dans le cas extrme o quelquun vous arrache les ongles !

    La pratique consiste travailler avec toutes les petites contrarits de la vie quotidienne. Il suffit dobserver la faon dont nous pouvons tre blesss, vexs, drangs ou irrits par les voisins, par Mr Blair, par la faon dont vont les choses ou par nous-mmes. Nous savons que la souffrance doit tre comprise. Nous passons la pratique en contemplant profondment la souffrance en tant quobjet, en comprenant Ceci est souffrance . Cest ainsi que nous ralisons la comprhension profonde de la souffrance.

    PLAISIR ET DESAGREMENT

    Nous pouvons nous demander o nous a conduit cette recherche hdonistique du plaisir prsente comme une fin en soi. Cela fait maintenant plusieurs dcennies que cela dure, mais lhumanit est-elle plus heureuse pour autant ? Il semble que, de nos jours, nous ayons le droit et la libert de faire plus ou moins ce qui nous chante : voyages, sexe, drogues et ainsi de suite, il ny a que lembarras du choix. Tout est autoris, rien nest interdit. Il faut faire quelque chose de vraiment obscne, de vraiment violent avant tre mis au banc de la socit. Mais, le fait dtre autoriss suivre nos pulsions nous a-t-il rendus plus heureux, plus satisfaits et moins stresss ? En fait, cela eu plutt pour effet de nous rendre trs gostes ; nous ne rflchissons pas sur la manire dont nos actes affectent les autres. Nous avons tendance ne penser qu nous : moi et mon bonheur, ma libert et mes droits. En adoptant ce genre dattitude, nous devenons une vritable source de contrarit, de frustration, dirritation et de misre pour les gens qui nous entourent. Si je suis convaincu davoir le droit de faire ou dire ce que je veux, mme au dtriment dautrui, dans ce cas, je ne suis rien dautre quune source de problmes pour la socit.

    Quand apparat un sentiment tel que Ce que je veux ou comme Ce que je pense devrait ou ne devrait pas et que nous dsirons profiter de tous les plaisirs de la vie, nous sommes

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    invitablement contraris, parce que lexistence nous semble alors difficile, dnue despoir et que tout nous parat aller de travers. Nous sommes alors pris dans le tourbillon de la vie, ballotts entre le dsir et la peur. Et mme lorsque toutes nos envies sont satisfaites, nous prouvons encore un sentiment de manque, une impression dincompltude. Mme quand tout va pour le mieux, il y a toujours un sentiment danxit, dinsatisfaction comme sil y avait encore quelque chose faire une sorte de doute ou dangoisse qui nous hante.

    Par exemple, jai toujours aim les beaux paysages. A loccasion dune retraite que je dirigeais en Suisse, quelquun me conduisit au pied de montagnes magnifiques. Alors que jadmirais le panorama, je pris conscience dun lger sentiment dangoisse. Il y avait tant de beaut, un flot continu de paysages magnifiques, et javais un tel dsir de tout retenir, de ne pas en perdre une miette, que jtais oblig de rester tout le temps sur le qui-vive afin de pouvoir tout consommer du regard. Cest un exemple de dukkha, nest-ce pas ?

    Je maperois que, lorsque jagis de faon distraite, mme pour quelque chose de tout fait anodin tel quadmirer un paysage de montagne, si je me projette et essaye de retenir, de maccrocher quelque chose, cela gnre toujours un sentiment dsagrable. Comment peut-on sapproprier la Jungfrau ou le mont Eiger ? Au mieux, nous pouvons les prendre en photo, essayer de tout fixer sur un morceau de papier. a aussi, cest dukkha ; vouloir saisir la beaut par refus den tre spar : cela mme est souffrance.

    Devoir exprimenter des situations qui nous sont dsagrables est galement souffrance. Par exemple, je nai jamais aim prendre le mtro Londres. Javais tendance me plaindre ce sujet : Je ne veux pas prendre le mtro ; je naime pas ces stations mal claires et les publicits de mauvais got qui tapissent les murs ; je ne veux pas me retrouver sous terre dans un de ces petits trains bonds comme une sardine en bote . Je trouvais cette exprience tout fait dplaisante. Ma pratique consistait alors couter cette voix qui se plaignait, qui se lamentait la souffrance de ne pas vouloir tre associ ce qui est dsagrable. Aprs lavoir contemple, jarrtais den faire un problme et jtais ainsi en mesure dtre associ quelque chose de dplaisant sans en souffrir. Javais ralis que tel tait ltat des choses et que a ntait pas un problme. Nous navons pas besoin de crer de difficults, que ce soit parce que nous sommes dans une station de mtro mal claire ou parce que nous admirons un paysage magnifique. Les choses sont telles quelles sont et cest ainsi que nous pouvons les reconnatre et les apprcier, quelle que soit leur apparence toujours changeante et ce, sans nous attacher. Sattacher, cest vouloir retenir quelque chose que lon aime, vouloir se dbarrasser de quelque chose que lon dteste, ou vouloir quelque chose que lon na pas.

    Nous pouvons galement beaucoup souffrir propos des autres. Je me souviens quen Thalande, je nourrissais du ressentiment et des penses ngatives vis--vis dun des moines. Quoi quil fasse ou quoi quil dise, je trouvais toujours redire : Il ne devrait pas faire ceci, il ne devrait pas dire cela ! . Ce moine obsdait mes penses et mme lorsquil marrivait de quitter le monastre, son souvenir me poursuivait ; ds que son image me venait lesprit, javais toujours la mme raction : Tu te souviens quand il a dit ceci et quand il a fait cela ! et Il naurait pas d dire ceci et il naurait pas d faire cela ! .

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    Ayant eu la chance de rencontrer un matre de la stature dAjahn Chah, je me souviens que je voulais quil soit parfait. Je pensais : Cet homme est un enseignant exceptionnel, extraordinaire ! , mais quand il lui arrivait de faire quelque chose qui me drangeait, je pensais : Je ne veux pas quil fasse des choses qui me dplaisent, en contradiction avec limage dhomme merveilleux que jai de lui ! . Cela quivalait penser : Ajahn Chah, soyez prodigieux pour moi tout le temps, ne faites jamais rien qui puisse me contrarier ! . Ainsi, mme si vous rencontrez quelquun que vous respectez et aimez vraiment, il y a encore la souffrance dtre attach. Tt ou tard, invitablement, il arrivera quil dise quelque chose que vous naimez ou napprouvez pas, provoquant ainsi toutes sortes de doutes, et vous souffrirez.

    Un jour, plusieurs moines amricains vinrent visiter Wat Pah Pong, notre monastre dans le nord-est de la Thalande. Ils taient trs critiques et semblaient ne voir que ce qui nallait pas. Ils navaient pas une trs bonne opinion de lenseignement dAjahn Chah et ils naimaient pas le monastre. Je sentais la colre et laversion monter car ils critiquaient quelque chose que jaimais de tout mon cur. Jtais rvolt : Eh bien, si a vous dplat, allez-vous en ! Cest le plus grand Matre bouddhiste du monde et si vous ntes pas capables de vous en rendre compte, alors fichez le camp ! Ce genre dattachement tre amoureux, ou aduler engendre la souffrance car, si quelque chose ou quelquun que vous aimez est critiqu, vous prouvez colre et indignation.

    REALISATIONS EN SITUATION

    Il se peut, parfois, que des ralisations surviennent des moments les plus inattendus. Cela marriva tandis que je sjournais Wat Pah Pong. Le nord-est de la Thalande nest pas lendroit le plus beau ni le plus agrable au monde, avec ses forts clairsemes et ses plaines monotones ; de surcrot, les tempratures y sont extrmes pendant la saison chaude. Tous les quinze jours, la veille de la journe dObservance, nous devions affronter la pleine chaleur du milieu de laprs-midi pour balayer les feuilles des alles du monastre. Les surfaces nettoyer taient immenses. Nous passions tout laprs-midi en plein soleil, suant grosses gouttes pour faire des tas de feuilles mortes au moyen de balais rudimentaires ; ctait lun de nos devoirs. Je naimais pas ce travail. Je me plaignais intrieurement : Je ne veux pas faire cela, je ne suis pas venu ici pour dblayer des feuilles ; je suis venu ici pour raliser lveil et, au lieu de cela, on me fait balayer pendant des heures. De plus, il fait trop chaud et jai la peau fragile ; il est fort possible que jattrape un cancer mexposer ainsi ! .

    Jen tais l, un de ces aprs-midi, me sentant particulirement dprim, ruminer Quest-ce que je fais ici ? Pourquoi y suis-je venu ? Pourquoi est-ce que jy reste ? . Jtais donc en train de balayer, totalement dnu dnergie, mapitoyant sur mon sort et dtestant tout. Japerus alors Ajahn Chah qui sapprochait ; il me sourit et dit simplement avant de sen aller : Il y a beaucoup de souffrance Wat Pah Pong, nest-ce pas ? . Je me mis penser : Pourquoi a-t-il dit ? et puis : Tout bien rflchi, cela nest pas si mal ! . Sa remarque m'avait conduit contempler ma situation : Est-ce vraiment pnible de balayer ? non pas vraiment ! Cest plutt une activit neutre ; je balaie les feuilles, a nest pas stressant, pas compliqu

    Est-ce vraiment aussi insupportable que je veux bien le croire ? Non, transpirer ne fait pas de mal, cest tout fait naturel. Je nai pas de cancer de la peau et les membres de la communaut

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    Wat Pah Pong sont vraiment gentils. Le Matre est une homme trs doux et sage. Les moines mont bien trait. Je suis nourri grce la gnrosit des laques qui apportent manger et de quoi suis-je en train de me plaindre ?

    En contemplant de faon plus raliste lexprience dtre l, je me rendis compte : Je vais bien. Les gens me respectent, je suis bien trait. Je suis accueilli dans un beau pays par des gens charmants qui prennent la peine de menseigner.

    En fait, il ny a rien qui aille de travers, part moi ; je suis en train de faire des histoires parce que je ne veux pas transpirer balayer les alles ! . A ce moment, une rvlation trs claire mapparut. Je perus soudain cet aspect de ma personnalit qui se plaignait et critiquait sans cesse, et qui mempchait de vraiment minvestir avec gnrosit dans quoi que ce soit, dans quelque situation que ce soit.

    Une autre exprience, riche en enseignement, fut la coutume de laver les pieds des moines suprieurs leur retour de la qute pour le repas quotidien. Aprs avoir march pieds nus travers les villages et les rizires, ils avaient les pieds couverts de boue. Les bains utiliss pour se nettoyer les pieds se trouvaient prs du rfectoire. Quand Ajahn Chah arrivait, environ vingt trente moines se prcipitaient pour lui laver les pieds. Lorsque jassistai cette scne pour la premire fois, je me dis : Je ne vais pas faire a, pas moi ! . Le lendemain, peine Ajahn Chah tait-il de retour que trente moines se prcipitaient nouveau pour lui baigner les pieds. Je me dis Quelle ineptie ! Trente personnes pour nettoyer les pieds dun seul homme, cest ridicule ! Pas question que je me joigne eux ! . Le jour suivant, la raction fut encore plus forte ; trente moines se prcipitrent pour lui laver les pieds, et cette fois, a me mit vraiment en colre : Jen ai ras le bol de tout ce cinma ! Cest vraiment le spectacle le plus stupide quil mait t donn de voir, trente hommes qui se bousculent pour laver les pieds dun seul ! Il pense probablement quil le mrite, vous savez, a doit vraiment gonfler son ego ! Son ego est probablement norme ce stade, avec tous ces gens qui lui baignent les pieds tous les jours. Jamais je ne ferai a ! .

    Je commenais dvelopper une raction forte, disproportionne. Assis par terre, totalement dprim et en colre, je regardais les moines en pensant : Ils ont vraiment tous lair idiot, je me demande ce que je fais ici ! .

    Mais, ce moment, je prtai attention mes penses et ralisai que ctait vraiment un tat desprit excrable : Est-ce que a vaut la peine de se mettre dans un tel tat ? Ils ne mont pas oblig me joindre eux. Il ny a pas de problme, en fait, rien de mal ce que trente hommes lavent les pieds de quelquun. a nest pas immoral, ni rprhensible et peut-tre que a leur plat ! peut-tre quils souhaitent le faire, peut-tre que a nest pas dsagrable ! Pourquoi ne pas essayer ? . Le lendemain matin, donc, trente et un moines se prcipitrent pour laver les pieds dAjahn Chah. Aprs a, ce ne fut plus un problme. Ctait un soulagement ; cette raction ngative stait arrte.

    Nous pouvons contempler les choses qui provoquent notre indignation et notre colre : sont-elles intrinsquement mauvaises ou est-ce nous qui fabriquons ce dukkha leur sujet ? Ainsi, nous

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    commenons comprendre comment nous crons tant de problmes dans nos propres vies et dans celles de ceux qui nous entourent.

    Cette habilet tre tout fait conscients nous permet de supporter lexistence dans sa totalit, que ce soit lexcitation ou lennui, lespoir ou le dsespoir, le plaisir ou la douleur, la fascination ou le dgot, le dbut ou la fin, la naissance ou la mort. Nous sommes capables de laccepter tout entire dans notre conscience au lieu de simplement nous absorber dans lagrable et liminer le dsagrable. Le processus de rvlation est daller vers dukkha, de contempler dukkha, dadmettre dukkha, de reconnatre dukkha sous toutes ses formes. Ainsi, on ne ragit plus seulement de la faon habituelle qui consiste se complaire ou supprimer. Pour cette raison, vous tes mieux mme de supporter la souffrance, vous pouvez tre plus patients lorsquelle apparat.

    De tels enseignements ne se situent pas au-del de notre vcu. Ce ne sont, en fait, que des rflexions sur nos propres expriences et non des considrations intellectuelles complexes. Aussi, efforcez-vous de dvelopper cette comprhension plutt que de vous enfoncer dans lornire de vos habitudes. Combien de temps devrez-vous culpabiliser propos de votre avortement ou de nimporte quelle autre de vos erreurs passes ? Est-il rellement ncessaire de rgurgiter les vnements de votre vie et de vous fourvoyer dans des spculations et analyses sans fin. Certains se confectionnent des personnalits tellement compliques ! Si vous vous perdez constamment dans vos souvenirs, ainsi que dans vos vues et opinions, vous resterez prisonniers de ce monde et ne serez jamais en mesure de le transcender de quelque manire que ce soit.

    Vous pouvez dposer ce fardeau si vous prenez la dcision dutiliser habilement les enseignements. Dites-vous : Je vais arrter de me laisser prendre ; je refuse de participer ce jeu ; je ne vais pas cder cet tat desprit ngatif ! . Adoptez lattitude de celui qui comprend : Je sais que cest dukkha . Cest vraiment trs important de prendre cette rsolution daller vers la souffrance et de demeurer en sa compagnie. Cest seulement en faisant face et en examinant la souffrance de cette manire que nous pouvons esprer avoir la rvlation extraordinaire : Cette souffrance a t comprise .

    Voici donc les trois aspects de la Premire Noble Vrit. Cest la formule que nous devons utiliser et appliquer nos vies, au moyen de la rflexion. Ds que vous souffrez, pensez dabord consciemment Ceci est souffrance , puis La souffrance doit tre comprise et enfin Elle a t comprise . Cette comprhension de dukkha est la rvlation de la Premire Noble Vrit.

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    LA DEUXIEME NOBLE VERITE

    Quelle est la Noble Vrit au sujet de lorigine de la souffrance ?

    Cest lavidit qui renouvelle lexistence, accompagne du plaisir et de la convoitise, qui trouve toujours par ci par l de nouvelles jouissances : en dautres termes, la soif pour les dsirs sensuels, la soif dexistence, la soif de non-existence. Mais quel est le terreau

    de cette avidit qui lui permet dapparatre et de spanouir ? Partout o il y a une apparence de plaisir et de satisfaction, cest l quelle surgit et prospre.

    Voici quelle est la Noble Vrit de lOrigine de la Souffrance : telle fut la vision, rvlation, sagesse, connaissance et lumire qui sleva en moi au sujet de choses jusqualors inexprimes.

    Cette Noble Vrit doit tre pntre par labandon de lOrigine de la Souffrance : telle fut la vision, rvlation, sagesse, connaissance et lumire qui sleva en moi au sujet de choses jusqualors inexprimes.

    Cette Noble Vrit a t pntre par labandon de lOrigine de la Souffrance : telle fut la vision, rvlation, sagesse, connaissance et lumire qui sleva en moi au sujet de choses jusqualors inexprimes.

    [ SAMYUTTA NIKAYA LVI 11 ]

    Voici donc la Deuxime Noble Vrit et ses trois aspects : Il y a lorigine de la souffrance, qui est lattachement au dsir. Le dsir doit tre abandonn. Le dsir a t abandonn.

    La Deuxime Noble Vrit tablit quil existe une origine la souffrance et que cette origine est lattachement trois espces de dsirs : la soif pour les plaisirs sensuels kama tanha, la soif de devenir bhava tanha et celle dliminer vibhava tanha. Ceci constitue la formulation de la deuxime Noble Vrit, la thse pariyatti. Cest lobjet de votre contemplation : lorigine de la souffrance est lattachement au dsir.

    TROIS CATEGORIES DE DESIRS

    Il est important de comprendre ce que signifie le dsir dans le sens du mot pali tanha. En quoi consiste tanha ? Kama tanha est trs facile comprendre : il sagit de lapptit pour les plaisirs expriments par lintermdiaire des sens, de la recherche continuelle de ce qui les excite ou les stimule agrablement ; cest a kama tanha. Contemplez srieusement ceci : En tant quexprience, quen est-il dprouver du dsir pour les plaisirs sensuels ? Par exemple, lorsque vous mangez, si vous avez faim et que la nourriture est excellente, vous pouvez constater lenvie den reprendre. Observez cette sensation quand vous gotez un met dlicieux ; examinez ensuite ce dsir pour une autre bouche. Ne vous contentez pas de le croire, essayez. Ne vous imaginez pas que vous savez dj parce que cela ressemble votre exprience passe. Regardez ce qui se produit quand vous mangez : le dsir pour prolonger lexprience apparat. Cest cel kama tanha.

    Nous pouvons galement contempler le processus intrieur qui consiste vouloir devenir. Si nous faisons preuve dignorance, lorsque nous ne sommes pas la recherche de quelque met dlicieux au palais, ni de quelque belle musique agrable l'oreille, nous pouvons nous perdre dans un monde dambition et de profit : le dsir de devenir. Nous sommes pris dans ce mouvement defforts vers le bonheur, vers la richesse ; nous pouvons aussi nous efforcer de confrer de limportance notre vie en nous vertuant corriger les imperfections de ce monde. Observez donc cette exprience de vouloir devenir autre chose que ce que vous tes, cet instant.

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    Soyez attentif au bhava tanha de votre existence : Je veux mditer pour tre libr de mes angoisses Je veux atteindre lveil Je veux devenir moine ou bien nonne Je veux raliser la libration sans avoir prendre les ordres Je veux avoir une femme et des enfants, ainsi quun emploi Je veux profiter des plaisirs des sens, ne pas devoir renoncer quoi que ce soit mais devenir aussi un Arahant totalement libr .

    Lorsque nous sommes dsenchants dessayer de devenir, le souhait de se dbarrasser des choses apparat. Nous pouvons ainsi contempler vibhava tanha le dsir d'liminer : Je veux me dbarrasser de ma souffrance Je dsire me librer de ma colre Jai tendance memporter et je veux que cela cesse Je souhaite me dlivrer de la jalousie, de la peur, de lanxit . Observez toutes ces manifestations de vibhava tanha. En fait, nous contemplons ce qui, en nous-mmes, veux se dfaire des choses ; il ne sagit pas dliminer vibhava tanha. Nous ne prenons pas parti contre le dsir de se dbarrasser , pas plus que nous ne lencourageons. Au lieu de cela, nous contemplons que cest ainsi, cest ce que lon ressent quand on veut se dbarrasser de quelque chose : Je dois vaincre ma colre ; je dois anantir le mal et me dbarrasser de ma convoitise alors je deviendrai . Une telle association de penses nous permet de voir que devenir et se dbarrasser vont trs souvent de pair.

    Gardez lesprit, nanmoins, que ces trois catgories kama tanha, bhava tanha et vibhava tanha ne reprsentent que des classifications pratiques pour contempler le dsir. Ce ne sont pas des formes de dsir compltement spares, mais plutt diffrents aspects du dsir.

    La seconde rvlation de la Deuxime Noble Vrit est la suivante : le dsir doit tre abandonn. Cest ainsi que la pratique de lcher prise apparat. Vous prenez conscience que le dsir doit tre laiss de ct, mais cette ralisation ne constitue pas une envie dabandonner quoi que ce soit. Si lon manque de sagesse et que lon ne contemple pas vraiment ce qui apparat dans notre esprit, la tendance est de suivre limpulsion : Je veux abandonner, radiquer tous mes dsirs ! mais il ne sagit l que dun autre dsir. Nous sommes pourtant capables de contempler vritablement et dobserver lenvie de se dbarrasser, celle de devenir ainsi que celle de profiter des plaisirs sensuels. En comprenant ces trois types de dsirs, nous sommes en mesure de les abandonner, de les laisser de ct.

    La Deuxime Noble Vrit ne nous demande pas dentretenir des penses telles que : Jai tant dapptit pour les plaisirs des sens Je suis vraiment ambitieux Je suis vraiment obsd par bhava tanha Je suis vraiment nihiliste. Mon seul dsir est lanantissement. Cest tout fait moi ! . Cela nest pas la Deuxime Noble Vrit. Il ne sagit en aucune faon de sidentifier aux dsirs, mais de reconnatre le dsir.

    Jai pass beaucoup de temps observer quel point ma pratique tait motive par la soif de devenir. Jai pu constater, par exemple, combien la bonne volont que jinvestissais dans lexercice de la mditation ntait rien dautre que le besoin dtre apprci, combien mes relations avec les autres moines, les nonnes ou encore les lacs taient conditionnes par lenvie dtre aim, approuv. Cest cela aussi, bhava tanha : le besoin de louanges et de succs. Un moine fait galement lexprience de ce type de dsir : vouloir que les gens comprennent et apprcient le Dhamma. Mme ces aspirations subtiles, presque nobles, ne sont que bhava tanha.

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    Dans la recherche spirituelle, il existe aussi vibhava tanha, qui peut tre trs idaliste et intolrant : Je veux me dbarrasser de toutes ces tendances ngatives, les exterminer, les dtruire . Jcoutais trs attentivement ces penses : Je veux me librer du dsir Je veux me dfaire de ma colre Je ne veux plus ressentir la peur ou la jalousie Je veux tre courageux, avoir le cur lger et joyeux ! .

    La pratique du Dhamma nest pas de se dtester pour avoir de telles penses, mais, plutt, de rellement voir que celles-ci ne sont que des phnomnes mentaux conditionns. Elles sont phmres. Le dsir nest pas ce que nous sommes, mais la faon dont nous ragissons, par habitude et par ignorance, parce que nous navons pas ralis ces Quatre Nobles Vrits et chacun de leurs trois aspects. Nous tendons ragir ainsi en toute circonstance. Ce sont des ractions habituelles, conditionnes par lignorance.

    Mais, continuer souffrir nest pas la seule issue. Nous sommes capables de permettre au dsir dexister selon sa nature et de commencer ainsi le laisser de ct, sans le poursuivre ni le rprimer. Le dsir na le pouvoir de duper que dans la mesure o lon sen empare, o lon y croit et o lon ragit sa prsence.

    LATTACHEMENT EST SOUFFRANCE

    Nous avons tendance considrer que la souffrance est un sentiment, mais sentiment et souffrance sont deux choses diffrentes. Cest lattachement au dsir qui est souffrance. Le dsir nest pas, en soi, la cause de la souffrance ; ce qui suscite la souffrance est l'action qui consiste se saisir du dsir et le refus de sen dessaisir. Ce discours est utiliser comme outil de rflexion et de contemplation au regard de votre propre exprience.

    Il est ncessaire dexaminer vraiment le dsir et de le connatre parfaitement. Vous devez distinguer ce qui est naturel et ncessaire pour la survie de ce qui ne lest pas. Il peut nous arriver dtre trs idalistes et de croire que mme le besoin de nourriture est une forme de dsir que nous ne devrions pas ressentir. On peut se rendre tout fait ridicule ce sujet. Mais le Bouddha ntait ni un idaliste, ni un moraliste. Il ne cherchait pas condamner quoi que ce soit. Il tentait de nous veiller la vrit pour nous permettre de voir clairement les choses.

    Une fois que cette clart est prsente et que lon voit les choses telles quelles sont, alors il ny a pas de souffrance. Cela ne veut pas dire que lon ne ressent plus la douleur ou la faim, mais que lon peut ressentir le besoin de nourriture sans que cela devienne un dsir. Le corps nest pas lego : si on ne le nourrit pas, il saffaiblira et finira par mourir. Cest la nature du corps, ce nest ni bien, ni mal. Si nous adoptons une attitude trs moraliste et trs idaliste et que nous nous identifions notre corps, la faim devient un problme personnel. Nous pouvons alors mme en arriver croire que nous ne devrions pas manger. Ce comportement est dnu de sagesse. Cest stupide.

    Lorsque vous voyez vraiment lorigine de la souffrance, vous ralisez que le problme est lattachement au dsir et non le dsir lui-mme. Sattacher veut dire tre dupe, penser quil sagit vritablement de moi et de ma proprit : Ces dsirs sont miens et pour que je ressente de tels dsirs, il doit y avoir en moi quelque chose qui ne va pas Je naime pas ce que je suis maintenant.

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    Il me faut devenir autre chose Je dois me dbarrasser de quelque chose afin de devenir la personne que je souhaite tre. Ce sont l diffrentes expressions du dsir. Lattitude adopter est dy prter toute notre attention, den prendre pleinement conscience sans pour autant les juger sans ajouter la notion de bien ou de mal, de reconnatre simplement le dsir pour ce quil est.

    LCHER PRISE

    Quand nous prtons vraiment attention aux dsirs, que nous les contemplons rellement, nous cessons de nous y attacher, nous leur permettons tout simplement dexister tels quils sont. Nous pouvons alors raliser que lorigine de la souffrance peut tre laisse de ct, abandonne.

    Comment pouvons-nous procder pour laisser les choses de ct ? Il suffit de les laisser simplement suivre leur cours, telles quelles sont, ce qui nest pas du tout pareil que de vouloir les annihiler ou les rejeter. Cela revient plutt les dposer et les laisser tre. Par cette pratique de lcher prise, il devient clair quil y a une origine la souffrance, qui consiste en lattachement, le non abandon du dsir et que, pour notre bien-tre, il convient de dlaisser ces trois types de dsirs. Lorsque nous avons trs clairement vu cela, nous ralisons que nous les avons abandonn : il ny a plus dattachement ces dsirs.

    Quand vous vous rendez compte quil y a attachement, souvenez-vous que lcher prise ne veut pas dire se dbarrasser , ni rejeter . Si jai cette montre en main et que vous me dites lche-la , vous ne me demandez pas de la jeter. Je peux penser que je devrais le faire cause de lattachement que je lui porte, mais cela ne serait que le dsir de men dbarrasser. Nous avons tendance penser que se dfaire de lobjet constitue une faon de se dfaire de lattachement. Mais si je suis capable de contempler lattachement cette montre, je maperois quil ny a pas lieu de sen dbarrasser : cest une bonne montre, elle donne lheure exacte. Cette montre nest pas le problme. Le problme est lattachement la montre. Alors que puis-je faire ? Lcher prise, la laisser de ct la poser doucement, sans aucune aversion. Plus tard, si ncessaire, je pourrai la reprendre, lire lheure et la reposer.

    Vous pouvez adopter la mme attitude de laisser de ct en ce qui concerne les plaisirs des sens. Peut-tre avez-vous lenvie de prendre du bon temps, de vous amuser. Comment abandonner ce dsir sans aucune aversion ? Reconnaissez-le simplement, sans le juger. Vous pouvez observer la volont de vous en dfaire parce que vous vous sentez coupable davoir ce genre de dsir futile mais mettez tout simplement cela de ct. A cet instant, voyant ce dsir tel quil est et le reconnaissant comme seulement du dsir, vous ny tes plus attach.

    La pratique consiste donc cultiver cette attitude chaque moment de la vie quotidienne. Quand vous vous sentez dprim et ngatif, le moment mme o vous refusez de vous complaire dans ce sentiment est une exprience de libration. Lorsque vous tes vraiment conscient de a, vous savez quil nest ni ncessaire, ni invitable de sombrer dans un ocan de dpression et de dsespoir. En fait, vous pouvez y mettre un terme en apprenant ne pas y accorder une seconde pense.

    Il sagit de dcouvrir cela travers la pratique afin de savoir, pour vous-mme, comment abandonner lorigine de la souffrance. Peut-on dlaisser le dsir par un acte de volont ? Y-a-t-il

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    vritablement quelquun ou quelque chose qui lche un moment donn ? Vous devez contempler cette exprience qui consiste lcher prise, puis lexaminer srieusement, ltudier jusqu ce que la ralisation se produise. Continuez jusqu ce que vous compreniez Ah, lcher prise, cest a, maintenant je vois ! A cet instant, le dsir a t abandonn, mis de ct. a ne veut pas dire que vous allez en finir et abandonner une fois pour toute le dsir. Mais cet instant prcis, vous avez relch votre emprise et cette exprience a eu lieu tout fait consciemment. A ce moment, il y a ralisation. Cest ce quon appelle connaissance profonde . Le terme utilis en pali pour dcrire ce type de comprhension profonde, fruit de lexprience vcue, est ana-dassana.

    Ce fut durant ma premire anne de mditation que je compris vraiment ce que lcher prise signifie en tant quexprience. Je savais, au niveau intellectuel, que je devais dlaisser tout attachement et je me demandais comment my prendre. Il me semblait impossible de me dfaire de quelque attachement que ce fut. Nanmoins, je persvrais contempler : Comment donc abandonner le dsir ? Vas-y, fais-le ! . Je continuais ainsi, en proie une frustration grandissante. Mais, finalement, je compris clairement ce qui tait en train de se passer. Lorsquon essaye danalyser en dtail le processus dabandon du dsir, on finit par rendre la chose trs complique. Il ne sagit pas de quelque chose que lon peut formuler, exprimer par les mots : cest quelque chose que lon fait. Cest alors ce que je fis, juste lespace dun instant, tout simplement.

    De mme, lcher prise, se librer de nos obsessions et problmes personnels nest pas plus compliqu que a. Il ne sagit pas danalyser ternellement et daggraver ainsi le problme, mais de cultiver la pratique de laisser les choses suivre leur cours, de ne pas sen saisir, de les laisser de ct. Au dbut, vous le faites, mais, linstant daprs, vous vous en saisissez nouveau parce que lhabitude est plus forte. Mais, au moins, vous avez une ide de ce dont il sagit. Ainsi, quand je fis lexprience du lcher prise propos du dsir, je ralisai ce moment que ctait a abandonner le dsir , mais tout de suite, je me suis mis douter : Je ne suis pas capable de le faire, jai trop de mauvaises habitudes ! Ne laissez pas ce genre de penses vous dcourager, ne suivez pas cette tendance quont beaucoup dentre nous se rabaisser. Ncoutez pas cette voix. Il importe seulement de persvrer dans la pratique de lcher prise, et plus vous prendrez confiance en votre habilet le faire, plus vous serez en mesure de raliser ltat de non attachement.

    REALISATION

    Il est important davoir conscience que vous avez abandonn le dsir : quand vous ne portez plus de jugement ou nessayez plus d'liminer quoi que ce soit, quand vous reconnaissez le dsir pour ce quil est Lorsque vous tes vraiment calme et serein, vous vous apercevez quil ny a pas dattachement quoi que ce soit. Vous ntes pas pris au pige, essayer dobtenir ou de rejeter quelque chose. La dfinition du bien-tre est simplement celle-ci : connatre les choses telles quelles sont sans ressentir la ncessit de les juger.

    Nous avons tendance penser des choses comme : Cela ne devrait pas tre comme ci Je ne devrais pas tre comme a Tu ne devrais pas tre comme ceci ou te comporter comme cela, et ainsi de suite Je suis convaincu que je suis en mesure de vous dire ce que vous devriez tre : vous devriez tre bon, gentil, gnreux, travailleur, diligent, courageux et faire preuve de compassion. Je nai pas besoin de vous connatre pour vous dire tout cela ! Par contre, pour

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    vraiment vous connatre, je dois vous accepter tel que vous tes, au lieu de me rfrer un idal de ce quune femme ou un homme devrait tre, ce quun bouddhiste ou un chrtien devrait tre. Cela ne veut pas dire que nous ne savons pas ce que nous devrions tre.

    Notre souffrance vient de notre attachement des ides concernant laspect idal des choses, ainsi que de notre tendance les rendre plus compliques quelles ne sont. Nous conformer nos idaux les plus levs est une tche impossible. La vie, les autres, le pays et le monde dans lequel nous vivons : rien ne semble jamais aller comme il faudrait. Nous devenons trs critiques propos de tout comme de nous-mmes : Je sais, je devrais tre plus patient, mais je nen suis pas capable ! Ecoutez ces devrait , ces ne devrait pas et tous ces dsirs : avoir envie de ce qui est agrable, souhaiter devenir ou vouloir se dbarrasser de ce qui est laid ou bien pnible. Cest comme si lon coutait quelquun se lamenter de lautre ct d'une palissade : Je veux ci et je naime pas a. a devrait tre comme ci et pas comme a, etc . Prenez vraiment le temps dcouter cette voix qui se plaint, prtez-lui toute votre attention.

    Je pratiquais beaucoup de cette faon quand jtais dhumeur morose ou contestataire. Je fermais les yeux et me mettais penser : Je naime pas ci et je ne veux pas de a Cette personne ne devrait pas tre comme ci Le monde ne devrait pas tre comme a ! . Je continuais couter cette espce de dmon qui nen finissait pas de tout critiquer : le monde, vous, moi. Ensuite, je changeais de registre : Je dsire le bonheur et le bien-tre Je veux me sentir en scurit Jai besoin dtre aim ! . Je pensais ainsi dlibrment, tout fait consciemment et jcoutais ces penses afin de les connatre, simplement pour ce quelles sont : des phnomnes mentaux qui apparaissent selon leur nature conditionne. Faites-en donc une exprience rflchie, formulez tous vos espoirs, vos dsirs et vos critiques. Soyez-en pleinement conscients. Ainsi, vous serez en mesure de connatre le dsir et de labandonner.

    Plus vous contemplerez et examinerez lattachement, plus claire se fera pour vous la ralisation Le dsir doit tre abandonn . Ensuite, par la pratique et la comprhension de ce que lcher prise signifie, le troisime aspect de la seconde Noble Vrit est rvl : Le dsir t abandonn . Nous comprenons vraiment cette exprience. Ce nest pas une comprhension thorique, mais une ralisation directe. Nous sommes conscients que le dsir a t abandonn. Cest a la pratique.

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    LA TROISIEME NOBLE VERITE

    Quelle est la Noble Vrit de la Cessation de la Souffrance ?

    Cest la disparition totale, la cessation de cette mme convoitise ; cest la rejeter, labandonner, y renoncer. Mais quels sont les prmices de cette convoitise qui doit tre abandonne et amene sa cessation ? Partout o se trouve ce qui parat agrable et source

    de plaisir, sur ces prmices, la convoitise doit tre abandonne et mene sa cessation.

    Il y a cette Noble Vrit de la Cessation de la Souffrance : telle fut la vision, rvlation, sagesse, connaissance et lumire qui sleva en moi au sujet de choses jusqualors inexprimes.

    Cette Noble Vrit doit tre pntre par la ralisation de la Cessation de la Souffrance ; telle fut la vision, rvlation, sagesse, connaissance et lumire qui sleva en moi au sujet de choses jusqualors inexprimes.

    Cette Noble Vrit a t pntre par la ralisation de la Cessation de la Souffrance : telle fut la vision, rvlation, sagesse, connaissance et lumire qui sleva en moi au sujet de choses jusqualors inexprimes.

    [ SAMYUTTA NIKAYA LVI 11 ]

    La Troisime Noble Vrit, sous ses trois aspects est la suivante : Il y a la cessation de la souffrance, de dukkha, la cessation de dukkha doit tre ralise, la cessation de dukkha t ralise.

    Lobjectif mme de lenseignement bouddhiste est de dvelopper notre capacit mentale contempler notre exprience dans le but dabandonner nos vues errones. Les Quatre Nobles Vrits nous enseignent comment y parvenir par le biais dune forme denqute, dune tude introspective il sagit de contempler nos ractions. Pourquoi est-ce ainsi ? Quelle est la cause de ceci? Il est utile de chercher comprendre, par exemple, la raison pour laquelle les moines se rasent le crne, ou dcouvrir la signification des diffrentes apparences des effigies du Bouddha. Nous pratiquons la contemplation Notre esprit ne cherche pas prendre parti, dcider si ces choses sont bonnes ou mauvaises, utiles ou inutiles. La contemplation est plutt une forme douverture mentale qui nous permet de considrer, de nous interroger : Quest-ce que cela signifie ? Pourquoi choisit-on dtre moine ou nonne ? Pourquoi ceux-ci doivent-ils recevoir leur nourriture dans un bol ? Pourquoi donc renoncent-ils largent ? Pourquoi ne peuvent-ils pas produire leur nourriture ? Nous arrivons ainsi une apprciation de ce mode de vie qui a permis de sauvegarder cette tradition de gnration en gnration, depuis le temps de son fondateur, Gotama le Bouddha, jusqu nos jours.

    Nous contemplons lorsque nous constatons la souffrance, lorsque nous voyons la nature du dsir, lorsque nous reconnaissons que lattachement ce dsir est souffrance. Nous avons alors la rvlation de labandon du dsir et la ralisation de la non souffrance, la cessation de la souffrance. Ce nest que par la contemplation que lon peut faire lexprience de ces rvlations. Il ne sagit pas l de croyances ni dopinions. On ne peut pas se forcer croire, ou arriver cette connaissance par un acte purement volontaire. Ces ralisations ne sont en fait possibles que si lesprit est ouvert, rceptif lenseignement. La croyance aveugle nest certainement pas ce qui est demand, ni conseill. Au contraire, lesprit doit tre dispos contempler, apprcier et considrer.

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    Cette attitude mentale est trs importante car cest de cette faon que lon peut chapper la souffrance. Or, cela savre impossible pour un esprit attach des positions fixes et des prjugs, qui croit tout savoir ou, linverse, qui tient pour vrai tout ce que disent les autres. Seul lesprit rceptif ces Quatre Nobles Vrits, capable de contempler les choses en particulier ses propres ractions se voit offrir une telle possibilit.

    Peu dentre nous ralisent labsence de souffrance parce que cela ncessite une forme de volont hors du commun pour rflchir et chercher comprendre au-del de ce qui simpose comme lvidence. Il faut possder la motivation et le courage de vraiment observer nos propres ractions, de contempler cette exprience mentale que constitue lattachement, dexaminer quelle en est la qualit, la coloration.

    Vous sentez-vous heureux ou libre lorsque vous tes ainsi attach un dsir ? Est-ce une exprience qui vous rend confiant ou plutt dprim ? Cest vous de rpondre ces questions. Si vous arrivez la conclusion que lattachement vos dsirs vous mne plus de libert, dans ce cas, poursuivez cette voie. Attachez-vous systmatiquement vos dsirs et observez le rsultat de cette attitude.

    Par la pratique, jai pu me rendre compte que lattachement aux dsirs est synonyme de souffrance, dinsatisfaction. Il ny a pas de doute dans mon esprit. Je vois clairement que la souffrance dont jai fait lexprience au cours de mon existence tait le rsultat dattachements des objets matriels, des ides, des attitudes ou des phobies. Je vois combien je me suis inflig de misres inutiles par ma seule incapacit abandonner ces attachements, et ce pour la simple raison que je ne connaissais pas dautre faon de vivre. Jai grandi aux Etats-Unis, le pays de la libert. Le bonheur y est une chose promise, mais en ralit, ce qui vous est offert, cest le droit de vous attacher tout ce qui se prsente. Le mode de vie amricain vous encourage essayer demmagasiner le bonheur en accumulant une multitude de choses. A loppos, si vous faites une bonne utilisation des Quatre Nobles Vrits, lattachement devient alors un objet de contemplation, une exprience quil sagit de vraiment comprendre ; ainsi, la rvlation, lapprciation du non attachement se produit. Encore une fois, il ne sagit pas dune position philosophique, ni dun ordre donn par votre intellect vous interdisant dtre attach, mais simplement de la ralisation, de lacceptation dun tat de paix, se manifestant tout naturellement en labsence dattachement ; cet tat est galement libre de souffrance.

    LA VERITE DE LIMPERMANENCE

    Ici, Amaravati, nous chantons le Dhammacakkappavattana Sutta dans sa version traditionnelle. Quand le Bouddha dlivra son sermon sur les Quatre Nobles Vrits, un seul des cinq disciples prsents comprit vraiment, rien quun seul eut une ralisation profonde. Les quatre autres furent impressionns et pensrent quil sagissait l dun enseignement trs intressant, mais seulement lun dentre eux, Kondaa, fut en mesure de comprendre exactement ce que le Bouddha leur exposait.

    Des Devas taient galement prsents qui coutaient le sermon. Les Devas sont des cratures clestes appartenant dautres plans dexistence, de beaucoup suprieur celui des humains. Leurs

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    corps ne sont pas matriels et grossiers comme les ntres, mais immatriels ; ils sont beaux, raffins et intelligents. Eux aussi furent enchants dentendre un tel sermon, mais aucun ne fut libr pour autant.

    Les Ecritures nous disent quils furent ravis lorsque le Bouddha ralisa lEveil et que leurs cris dallgresse slevrent dans les cieux quand ils entendirent lenseignement. Ceux dun premier niveau cleste lentendirent et communiqurent leur bonheur au niveau suprieur et, bientt, tous les Devas exprimaient leur joie, jusquau niveau le plus lev : le royaume de Brahma. La joie rsultant de la mise en mouvement de la Roue du Dhamma rsonnait dans ces multiples dimensions de lunivers et les Devas et Brahmas se rjouissaient de la nouvelle. Cependant, seul Kondaa, un des cinq disciples, ralisa lillumination en coutant le discours. A la fin du Sutta, le Bouddha pronona les mots Aa Kondaa . Aa ayant le sens de connaissance profonde , aa Kondaa signifie donc : Kondaa, celui qui comprend.

    Quest-ce que Kondaa avait donc compris ? Quelle tait cette connaissance profonde dont le Bouddha fit lloge la conclusion de son discours ? Ctait que toute chose qui est apparue doit galement disparatre. Au premier abord, cela ne semble pas tre une connaissance particulirement hors du commun, mais pourtant, cela implique en ralit la comprhension dune loi universelle : tout ce qui a pour nature dapparatre a pour nature de disparatre en dautres termes, on parle de quelque chose d'impermanent et dnu de substance Par consquent, ne vous y attachez pas, ne vous laissez pas duper par ce qui survient et passe. Ne cherchez pas prendre refuge refuge que vous voulez fiable et durable dans quoi que ce soit qui a pour nature dapparatre car cela est galement de nature disparatre.

    Si vous voulez souffrir et gaspiller votre vie, investissez votre temps et votre nergie poursuivre des choses qui possdent un dbut, un commencement. Elles vous conduiront immanquablement la fin, la cessation et vous ne serez pas plus sages au bout du compte. Vous continuerez tourner en rond, esclave des mmes vieilles habitudes et quand viendra le terme de votre existence, vous naurez rien appris de vraiment important.

    Plutt que de vous contenter dy penser, contemplez profondment la loi qui suit : Toute chose dont la nature est dapparatre est galement de nature disparatre. Cherchez comprendre comment cela peut sappliquer la vie en gnral, votre exprience vcue et vous commencerez voir. Contentez-vous de noter : commencement fin. Contemplez la nature des choses. Cest seulement a, le monde des sens : des choses qui commencent et qui cessent, qui ont un dbut et une fin. La comprhension juste, samma ditthi, est possible au cours de cette vie mme. Je ne sais pas combien de temps Kondaa vcut aprs ce premier enseignement du Bouddha, mais, ce moment du discours, il ralisa lEveil. A cet instant prcis, il eut la comprhension profonde.

    Jaimerais mettre laccent sur le fait quil est important de dvelopper cette faon de contempler. Plutt que de vous contenter de perfectionner une mthode visant apaiser votre esprit ce qui reprsente indubitablement un aspect de la pratique cherchez percevoir la mditation correcte comme un engagement explorer, enquter avec sagesse. Cela demande leffort courageux de regarder les choses en profondeur, sans verser dans lauto-analyse ni tablir de jugement au niveau personnel sur les raisons de votre souffrance, mais en vous engageant vraiment cultiver la voie

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    jusqu ce que vienne la comprhension profonde. Cette connaissance parfaite rsulte de lapprciation de ce schma universel du dbut et de la fin. Une fois que cette loi est comprise en profondeur, on voit que toute chose lui est assujettie.

    Tout ce qui est de nature apparatre est de nature disparatre : il ne sagit pas l dun enseignement mtaphysique. Cela na pas pour but de dcrire la ralit ultime la ralit au-del de la mort. Mais, si vous comprenez en profondeur et tes compltement conscient que toute chose dote dun dbut possde une fin, alors vous raliserez la ralit ultime, la vrit ternelle, immortelle. Ce dont nous parlons, donc, constitue un moyen habile pour arriver cette ralisation ultime. Notez bien la diffrence, ce nest pas une formule mtaphysique, mais une formule qui peut vous guider jusqu la ralisation mtaphysique.

    LE PHENOMENE DE LA MORT ET LEXPERIENCE DE LA CESSATION

    Par la contemplation des Nobles Vrits, nous prenons conscience du cur du problme de lexistence humaine. Nous tudions ce sens dalination et dattachement aveugle la conscience sensorielle discriminative qui rsulte de lattachement ce qui semble spar et isol dans notre exprience consciente. Nous sommes attachs aux plaisirs des sens par ignorance. Lorsque nous nous identifions ce qui est mortel, donc condamn disparatre, et qui, par consquent, ne peut tre vritablement satisfaisant, cet attachement mme est souffrance.

    Les plaisirs des sens sont tous des plaisirs phmres. Tout ce que nous pouvons voir, entendre, toucher, goter, penser ou ressentir a pour nature de mourir, est condamn disparatre. Par consquent, si nous nous attachons aux sens, nous nous attachons la mort. Si nous navons pas fait ce travail de contemplation et que nous navons pas vraiment compris cela, nous continuons nous attacher ce qui est mortel avec lespoir de repousser lchance pour quelque temps. Nous faisons semblant de croire que nous serons vraiment heureux avec les choses auxquelles nous sommes attachs, pour faire, en fin de compte, lexprience de la dception, de la dsillusion et du dsespoir. Il se peut que nous russissions devenir ce que nous avons entrepris de devenir, mais cela aussi devra sachever car nous nous attachons une autre condition voue la dissolution. A ce point, avec le dsir de mourir, il se peut que lide du suicide ou de lannihilation semble une solution, mais la mort elle-mme est une condition qui nest pas au-del de la mort. Quel que soit le dsir, quelle que soit la catgorie laquelle il appartient, si nous nous y attachons, nous nous attachons la mort. Ce qui suivra, par consquent, cest lexprience de la dception et du dsespoir.

    La dpression est une forme dexprience de la mort au niveau mental. Tout comme le corps meurt dune mort physique, lesprit meurt aussi. Des tats mentaux, qui ne sont que des tats conditionns, meurent et disparaissent : nous appelons ces expriences tristesse, dgot de la vie, angoisse ou dsespoir. Lorsque lattachement est prsent, si nous faisons lexprience de lennui, du chagrin, de langoisse ou du dsespoir, nous avons tendance ragir en cherchant une autre condition phmre qui puisse se manifester. Par exemple, si vous vous sentez dprim, que lenvie de manger une part de gteau au chocolat vous vient lesprit et que vous passez lacte, lespace dun instant, vous pouvez vous oublier, vous absorber dans le got dlicieux et sucr du chocolat. A cet instant, il y a devenir. En fait, ce que vous tes devenu est ce plaisir conditionn par le got

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    du chocolat que vous trouvez dlicieux. Mais vous ne pouvez pas maintenir, continuer cette exprience trs longtemps. Vous avalez et que reste-t-il ? A ce moment, il vous faut trouver autre chose. Cest a devenir !

    Nous sommes aveugls, enferms dans ce processus de devenir conditionn par les sens. Mais, par la comprhension du dsir comprhension dpourvue de jugement sur la beaut ou la laideur du monde sensuel nous sommes en mesure de le voir tel quil est. La comprhension est prsente. De cette faon, en mettant ces dsirs de ct au lieu de nous en saisir, nous faisons lexprience de la cessation de la souffrance, nirodha cest--dire de la Troisime Noble Vrit qui doit tre ralise au niveau individuel. Nous contemplons la cessation. Nous prenons note Ceci est la cessation et nous savons que quelque chose a pris fin.

    PERMETTRE AUX CHOSES DE SE MANIFESTER

    Avant de pouvoir vraiment lcher prise et mettre les choses de ct, il faut en prendre pleinement conscience. La mditation est un moyen de permettre au subconscient de se manifester consciemment. Toutes les dceptions, les peurs et les angoisses, tous les dsirs inavous et les ressentiments ont la possibilit de devenir conscients. Beaucoup de gens aspirent un idal trs lev et, par consquent, sont parfois trs dus de leur incapacit dtre la hauteur de ne pas se mettre en colre, par exemple tout ce que lon devrait ou bien ne devrait pas tre. Dans ces conditions, nous pouvons aisment crer le dsir et nous y attacher de nous dbarrasser de ces choses ngatives qui ne correspondent pas notre idal. Ce type de dsir peut sembler juste au niveau moral. Vouloir se dbarrasser de penses cruelles, de ressentiments et de jalousie parat bon, puisquune personne respectable ne devrait pas les ressentir. Cest ainsi que lon cre un complexe de culpabilit.

    Si nous contemplons cela, nous prenons pleinement conscience du dsir d'tre la hauteur de cet idal et de nous dbarrasser de ces tendances ngatives. Nous pouvons ainsi lcher prise : plutt que de travailler devenir cet individu parfait, nous laissons de ct ce dsir. Ne reste quun esprit clair et serein. Il nest pas ncessaire de devenir cet individu parfait, ce genre didal ntant quune cration mentale apparaissant, puis disparaissant ; lesprit originel reste le mme.

    Lide de cessation est facile comprendre au niveau intellectuel, mais raliser lexprience que constitue la cessation peut savrer trs difficile, car cela ncessite de bien vouloir cohabiter avec ce que lon pense ne pas pouvoir supporter. Par exemple, quand jai commenc pratiquer la mditation, je mattendais ce que cela me rende plus gentil, plus heureux et me conduise faire lexprience dtats mditatifs trs agrables. Mais, jamais auparavant, je navais connu autant de haine et de colre quau cours de ces deux premiers mois. Je me disais : Cest affreux, la mditation ma rendu pire quavant ! . Mais je russis contempler pourquoi tant de colre et daversion remontaient la surface. Jai ralis quen grande partie, ma vie consistait prcisment fuir tout cela. Lorsque jtais un lac, la lecture tait une obsession. O que jaille, javais besoin davoir des livres en ma possession. Lorsque la peur ou la colre commenaient se manifester, je prenais refuge dans un bouquin ou alors, jallumais une cigarette ou bien encore je mangeais quelque chose, convaincu dtre quelquun de gentil, incapable de har les autres. Le moindre signe daversion ou de haine tait rprim.

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    Cest la raison pour laquelle, durant les premiers mois de ma vie monastique, javais dsesprment besoin de trouver diffrentes activits. Je cherchais les moyens de me distraire parce que la pratique de la mditation ramenait ma mmoire toutes sortes de choses que javais essay doublier. Des souvenirs denfance, mais aussi de mon adolescence, refaisaient surface continuellement, accompagns dun sentiment de colre et de haine si fort quil devint presque intolrable. Mais je commenais voir quil me faudrait supporter ces motions : jai donc fait preuve de patience. Cest ainsi que toute la haine et la colre que javais rprime en trente ans dexistence fit irruption, pour ainsi dire, et put se consumer et steindre grce la mditation. Ctait un processus de purification.

    Pour permettre ce processus de cessation de prendre place, nous devons tre prts souffrir. Cest pourquoi jinsiste sur limportance de la patience. Nous devons faire de la souffrance une exprience pleinement consciente car cest seulement en laccueillant que la souffrance peut prendre fin. Quand nous prenons conscience que nous souffrons physiquement ou mentalement, il convient alors de faire face cette douleur qui est prsente. Nous lacceptons compltement, laccueillons et la prenons comme objet d