les quatrains de pibrac ; suivis de ses autres poésies

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Les quatrains de Pibrac ; suivis de ses autres poésies / avec une notice par Jules Claretie

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Page 1: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

Les quatrains de Pibrac; suivis de ses autrespoésies / avec une

notice par Jules Claretie

Page 2: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

Pibrac, Guy Du Faur (1529-1584 ; seigneur de). Les quatrains de Pibrac ; suivis de ses autres poésies / avec une notice par Jules Claretie. 1874.

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Page 3: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

LES QUATRAINS

DE PIBRAC

Page 4: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

Il a été tiré de ce livre

20 exemplairessur papier de Chine.

Ces exemplairessont numérotés et

paraphés

par l'éditeur.

Page 5: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

LES QUATRAINS

DE

P i b r a cSUIVIS DE SES od UTH.ES POÉSIES

Avec une Notice

.•uJMHrNJULESCLARET1E

'.> i n.'

PARIS

ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR

27-29,PASSAGE CHOISEUL, 27-29

M DCCC LXXIV

Page 6: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

a

AVERTISSEMENT

Les Quatrains dont nous offrons aujourd'hui

la réimpression aux bibliophiles n'ont pas eu

moins de cinquante éditions. Il était donc juste

que le titre du livre auquel Pibrac doit la meil-

leure partie de sa gloire figurât seul en tête de

notre volume. A la suite de ce catéchisme d'hon-

neur, on trouvera les Sonnets des Dames illustres

et les Plaisirs de la Vie rustique. Pour cette pre-

mière partie de l'œuvre de Pibrac, l'édition don-

née par Fédéric Morel, en f)8^. a servi de

guide, parce qu'elle est la plus correcte, la plus

Page 7: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

II AVERTISSEMENT.

complète et la dernièrepubliée

du vivant de

l'auteur.

Unappendice

auxpoésies

dePibrac, formant

la secondepartie

de cette édition, comprendra

les sonnetsempruntés

à l'Entrée de Charles IX

dans Paris, par Simon Bouquet, ainsi queles

pièces tirées du Parnasse des plusexcellens

Poëtes de cetemps (Paris,

Mathieu Guille-

mot, iSoj.in-tï).Ainsi V œuvre du moraliste

seracomplétée par

despoésies d'une inspiration

plus. intzine.

Parmi les éclaircissements historiqueset

bibliographiques placésà la fin de ce

volume,il

en est un bon nombre dont noùs sommes rede-

vables à M. le comte dePibrac, qui

a bien voulu

nous communiquer ses notes sur l'auteur des

quatrains,et nous donner, sur les éditions rares

dont il estl'unique possesseur,

desrenseigne-

ments particulzèrs. En lui offrant ici nos remer-

Page 8: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

AVERTISSEMENT. III

ciments les plus empressés pourla bienveillance

aveclaquelle il a accueilli notre publication,

nous croyons devoir luiexprimer

ainsiqu'à

nos

lecteurs leregret

de n'avoir pu donner uneplus

large place à ses précieuses zizdications.

E. C.

Page 9: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies
Page 10: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

1

NOTICE.

I.

E temps où nous vivons a cette qua-

lité, entre bien desdéfauts,

de s'atta-

cher faire revivre ce qu'il y a de bon

et de beau dans notre vieille littéra-

ture nationale, de remettre en lumière les auteurs

français dignes d'admiration ou d'estime et de

travailler, en quelque sorte, à un soigneux inven-

taire de l'héritage du passé. Il y a un symptôme

excellent dans le goût du public pour ces réédi-

tions, ces restitutions de nos auteurs anciens. Ce

retour sympathique vers notre vieux fonds gaulois

est comme un bain de Jouvence rafraîchissant et

salutaire. On en rapporte une impression de santé

morale, je ne sais quel sentiment fortifiantet viril.

Page 11: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

2 NOTICE.

A bien prendre, il y aurait assez de sève, d'ardeur

généreuse, une veine assez puissante encore dans

nos vieux auteurs pour révivifier, si on les étudiait

de plus près,notre littérature actuelle. Ces poëtes

inspirés, ces moralistes sans dureté mais sans fai-

blesse, ces conteurs aux paroles exquises, ces

bonnes gens du vieux temps, sincères et pro-

fonds, et aussi ces fiers esprits, libres de

joug et impatients de tout frein, les Etienne

Pasquier, les Ronsard, les Agrippa d'Aubigné^

les Montaigne, les La Boétie, les Amyot, les

Estienne, pour les citer au hasard, sont les aïeux

véritables de notre France, et c'est à eux qu'il

faut demander, avec raison, le secret de cette

régénération intellectuelle et morale qui sera

l'œuvre glorieuse ou le rêve déçu des années à

venir.

Mais, parmi tous les grands noms d'autrefois,

parmi tous les poëtes illustres, il est des renom-

mées à demi effacées aujourd'hui, des gloires

qu'on nechôme plus guère, comme dirait Regnier,

et qui pourtant méritent et notre attention et

notre respect. De ces lettrés presque oubliés,

Guy du Faur de Pibrac, ou, pour dire comme la

postérité, Pibrac, est un de ceux qu'il n'est point

permis de laisser dans l'ombre et dont l'œuvre

et l'existence méritent à la fois le plein soleil. Il

Page 12: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. 3

ne nous a point légué un héritage considérable^

à peine une centaine de quatrains et quelques

pièces de vers encore, mais la morale la plus

mâle donne à ces préceptes, qui remplacèrent pour

nos aïeux les Distiques du vieux Caton, un prix

inestimable, et ces pages suffisent à assurer à

leur auteur, dans le groupe des hommes du

xvie siècle,une place choisie.

Pibrac, il est vrai,est moins un poëte épris

de la forme qu'un penseur absorbé par l'idée, et

nous verrons tout à l'heure que, s'il attira sur

son nom les éloges unanimes de ses contempo-

rains, il fut loin de séduire quelques-uns des

poëtes de notre temps, Théophile Gautier entre

autres. Mais la raison la plus ferme, le sens le

plus droit, la fierté la plus mâle, qui sont la

force même de cettepoésie, ne sont point, ce

semble, vertus à dédaigner, et Pibrac a pour

lui le suffrage le plus enviable de tous, celui de

Molière. Ennemi de toute affectation, de toute

fantaisie débilitante; ami, au contraire, des

choses saines, droites et justes, Molière con-

seille à tous, dans Sganarelle, par la bouche du

bonhomme Gorgibus haranguant sa fille, de jeter

au feu tous les romans qui troublent les cer-

velles et de s'en tenir aux livres honnêtes, vrais,

et pleins de moelle

Page 13: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

4 NOTICE.

au lieu de

Les Quatrains de Pibrac, & les doftes Tablettes

Dit Coufcillcr Matthieu, ouvrage de valeur,

Et plein de beaux dic7ans àrecÍIer par coeur.

Molière allait un peu loin, à notre avis, en

rapprochant des Quatrains de Pibrac les Ta-

blettes de la vie &• de la mort de Pierre Matthieu

qui fut historiographe de Henri IV et de Louis XIII,

et dont les vers sont loin de valoir ceux du poëte

gasconi mais il faut entendre par un tel rappro-

chement que ce génie fait de clarté et de raison,

Molière, eût voulu, en quelque sorte, meubler

les intelligences humaines de ces maximes sages

et hautes que les lèvres répètent d'abord, et

dont, si je puis dire, le cœur et l'âme finissent

peu à peu par s'imprégner 1.

i. Molière eût pu citer,avec Pibrac et le conseiller

Matthieu,le président Favre, qui fut le père du grammai-

rien Vaugelas et qui, lui aussi, composa des quatrains:

cent Quatrains moraux dédiés il Marguerite de Savoie. Ces

Quatrains, comme les Tablettes du conseillerMatthieu,

sans valoir la peine peut-être d'êtreréimprimés, sont

dignes pourtant d'attention et pleins de ces beaux dictons

que chérissait Molière. Il est du conseiller Matthieu ce

quatrain La Mort ejl comme vn tijferand

La vie cjl vnc toile, aux vus elle cjl d'epoupe,

Aux autres de fin lill, & dure plus ou moins

La mort fur la coupe,

Et l'heur & le mal'beur comme les fils font ioints.

Page 14: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. y

Pibrac mérite donc les honneurs d'une réédi-

tion, et sa vie, encore un coup, est de celles qui

font aimer l'humanité. Ils n'étaient point rares, au

surplus, dans les temps troublés du xvie siècle,

ces types d'honnêteté solide et de ferme sagesse.

Il semble qu'à de certaines heures de déchire-

ments et de chutes, les caractères d'exception,

les âmes élevées, les grands côurages soient plus

nombreux qu'à d'autres époques. Lorsque les

Dans un autre quatrain, Pierre Matthieu fait le Portrait

de la Chicane:

La chicaneauiourd'huy,met le peuple cetcbcmifeLa rtife cjl fon bouclier,fon Idole l'argentLe tan perce la toile, & la mouchey eflprife,Le coulpableon abfoulpour punir l'innocent.

Je ne citerai qu'un quatrain du président Favre

Ne faire aultre chofe que ce qu'on doit.

Ce n'eJi le toutde brouiller mainte affaire,Pour n'eflre dit iujlemcntparejfcuxLe principal, c'ejln'ejlre point de ceux

Le/quelsfout tout, fors ceqrc'ilr doiucnlfaire.

Tous ces quatrains sont loin, on le voit, d'égaler les

Quatrains de Pibrac, mais ils n'en ont pas moins leur

valeur.

Page 15: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

6 NOTICE.

foules se pervertissent dans l'ardeur de la lutte,

au-dessus d'elles surgissent de fiers visages qui

semblent rayonner de l'antique éclat de la na-

tion tout entière, et des êtres privilégiés qui

gardent intact le dépôt du vieil honneur. Tel fut

le grand chancelier de l'Hospital dont la barbe

blanche faisait dire « Lorsque cette neige sera

fondue, il n'y aura plus parmi nous que de la

boue. » Tel fut cet Étienne de la Boétie, dou-

blement dévoré, dans son ombre, du feu de la

passion et de la flamme du patriotisme. Tel fut,

avec une physionomie moins austère peut-être,

ce magistrat et ce poëte, Guy du Faur, seigneur

de Pibrac, dont nous publions aujourd'hui une

édition nouvelle.

Ce grand personnage comme l'appelle Guillaume

Colletet,était Toulousain. L'année même où

naissait à Paris Etienne Pasquier, qui devait être

son ami, Pibrac naissait à Toulouse (1J29). Nulle

part nous n'avons trouvé noté le jour même de

cette naissance que Grainville et Sepher, dans leur

Mémoire sur la vie de Pibrac} placent en 1J28. La

famille de Guy du Faur de Pibrac était une des

plus anciennes et des plus nobles de la province.

Ses aïeuxavaient, avec valeur, manié l'épée,

avec honneur porté la robe. Plusieurs de ses

ascendants avaient été présidents du Parlement

Page 16: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. 7

de Toulouse.. On cite son bisaïeul, Gratien du

Faur, d'abord chancelier du comted'Armagnac,

puis ambassadeur de Louis XI enAllemagne,

nommé ensuite, par le roi, président à mortier.

Gratien du Faur avait eu deux fils l'aîné devait

être président aux enquêtes du Parlement de

Toulouse et évêque de Lectoure; l'autre, procu-

reur général du roi. Celui-ci fut le grand-père

de Pibrac. L'aîné de ses enfants (il en laissatrois),

président à mortier, comme Gratien du Faur>

allait avoir pour fils Guy du Faur dePibrac,

l'auteur des Quatrains.

Jeune, Pibrac était déjà solidement instruit,

et Pierre Bunel, son précepteur, lui avait donné

tout d'abord une de ces fortes instructions qui

rendaient accessibles à la fois, à de tels hommes,

leur langue maternelle et les « trésors de la

Grèce et de Rome. » « Bientôt, dit un éloge

inédit de Pibrac 1, les langues d'Homère et de

Démosthènes, de Cicéron et de Virgile lui de-

vinrent aussi familières que la sienne propre. »

Le docte Cujas, qui étudia l'antiquité au point

de vue de la loi comme d'autres à la même

i. Eloge de Gtty du Faur de Pibrac par Louis-Pierre

Martin, avocat au Parlement de Paris (Mss.). Ce travail,

que nous possédons, est daté de la rue Sa int-Nicaise,à côté de l'hôtel de Longueville, à Paris.

Page 17: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

8 NOTICE.

heure le faisaient au point de vue des vers, et

qui, contribuant lui aussi à la Renaissance fran-

çaise, renouvela les études juridiques, Cujas

allait enseigner le droit au futur magistrat et,

pour achever cette éducation, Pibrac quittait

bientôt Toulouse et se rendait à Padoue où en-

seignait Alciat, François Alciat, le prédécesseur

deCujas lui-même, celui qui, selon le mot de

Joseph Scaliger, avait commencé ce que Cujas

devait accomplir. Studieux et acharné dans son

labeur, Pibrac allait beaucoup apprendre aux

leçons de ce socinien d'Alciat que Calvin et

Théodore de Bèze regardaient absolument comme

un fou. Mais, à tout prendre, c'était encore son

premier maître, son précepteur domestique Pierre

Bunel, qu'il aimait le mieux et auquel il se vantait

de devoir le plus. On trouve dans les vers de

Pibrac la preuve de cette affection que conser-

vait le disciple devenu vieux au maître mort

ce âoete Bunel, vray honneur denojlre âge

Qui iadisefcrivatit Ciceron effaçait.

PierreBunel, qui rendait une pareille affection à

son élève, l'eûtaccompagné sans nul doute à

Padoue. La mort lefrappa au moment du dé-

part,et Pibrac fit seul un

voyage quidura

plu-

sieurs années. A cetteépoque,

le futur auteur

Page 18: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. 9

2 1

des Quatrains s'attachait déjà à rimer, tout en

suivant les leçons d'Alciat, et nous voyons Paul

Manuce lui écrire une épître latine « pour le

féliciter de joindre le culte des muses à l'appren-

tissage des lois. »

Pibrac avait alors vingt ans. Il revint à Tou-

louse et, déjà grave à cet âge, on le vit, débu-

tant au barreau, se placer, dès son début et selon

le mot de Du Vair, au premier rang d'honneur. En

même temps qu'il plaidait, avec une éloquence

vraie et puissante (celle qui substitue aux vaines

déclamations des raisonnements justes et précis,

à l'aplomb hautain de l'ignorance la modestie

sincère de lascience), Pibrac, déjà désintéressé,

ami du bien, jaloux d'être utile, faisait aussi sur

la jurisprudence des lectures publiques qui atti-

raient une foule sympathique autour de sa chaire.

Les premiers rayons de la gloire, ces rayons plus

doux que les premiers feux du jour, comme di-

sait d'une façon si touchante le pauvre Vauve-

nargues, entouraient ce jeune front et le nom de

Pibrac était déjà célèbre. Aussi bien passa-t-il

rapidement, malgré sa jeunesse, de la chaire du

professeur à la place du conseiller, et bientôt

fut-il nommé prévôt ou, pour écrire son titre,

juge mage de la cité de Toulouse. Il devait, peu

d'annéesaprès, marquer sa place à Paris même,

Page 19: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

10 NOTICE.

et parmi les premiers personnages du royaume.

A peinetu auois de la barbe au menton,

Que Thouloufe le vit vn troifieme Caton,

Exemple de vertus, patrou de fainfle vie,

Magajîn de fçauoir & plus grand que l'enuie 1.

Intègre et bon, tout dévoué à la justice et aux

droites actions, Pibrac allait se signaler bientôt

par deux actes également louables que l'histoire

a pu enregistrer. En1559, au moment où le Par-

lement deParis, protestant contre un arrêté de

la Grand'Chambre qui venait d'acquitter en

appel des gens coupables d'avoir assassiné des

luthériens, cassa trois condamnations à mort

prononcées contre des réformés, il y eut entre la

Cour catholique et le Parlement une sorte de

duel moral. La Cour, poussée par le cardinal de

Lorraine et Diane de Poitiers, voulut faire sen-

tir aux membres du Parlement combien ce der-

nier arrêt lui paraissait audacieux, et les prési-

dents et gens du roi, mandés par Henri Il, furent

« sommés d'aviser à rétablir l'unité de jurispru-

dence entre les chambres du Parlement ainsi que

la stricte exécution des édits du roi 2. » Cette

1 Tombeau de bf. drt Faur, sieur de Pibrac, par A. D. T.

(1584, Paris.)

2. Voy. Henri Martin, Histoire de France, tomes VIII

et IX.

Page 20: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. II

question fut posée, dès la fin d'avril 15J9, par

le procureur général du Parlement à la mercuriale

ou séance disciplinaire qui se tenait une fois par

trimestre, un mercredi. Là, chaque membre du

Parlement, à son tour, fit connaître son opinion

sur la sommation du roi. Le président Arnauld

du Ferrier, Toulousain comme Pibrac, répondit

qu'il fallait demander au roi la convocation d'un

libre concile et, en attendant, faire cesser les

peines capitales ordonnées pour le fait de la reli-

gion.

Peu de jours après, le roi, instruit par quelque

traître des velléités de résistance ou plutôt de

l'énergique attitude du Parlement, se rendait en

personne au couvent des Grands-Augustins où

.se tenait alors provisoirement la mercuriale, et,

entrant là, suivi des princes et du cardinal de

Lorraine, des Montpensier et LaRoche-sur-Yon,

du connétable deMontmorenci, du garde des

sceaux et de plusieurs de ses conseillers, Henri II

ordonna que le Parlement achevât la mercuriale

en sa présence.

Qu'on se figure cette scène imposante les ma-

gistrats assis, calmes et graves dans leurs longues

robes, le roi et les Guises, altiers, la tête haute

et attendant avec des airs de menace toute parole

de liberté qu'ils devaient regarder comme une

Page 21: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

12 NOTICE.

parole de rébellion. Les conseillers n'en furent

point troublés. Anne du Bourg, que ne devait

point faire pâlir le supplice, fut particulièrement

courageux et prit noblement la défense de ceux

qui, en présence de la turpitude romaine, deman-

daient, disait-il, une salutaire réformation. Puis

un autre parla après lui, un homme jeune et

énergique, du Faur de Pibrac, le conseiller tou-

lousain, le disciple de Cujas et d'Alciat, qui, après

avoir énuméré les abus de l'Église romaine « Il

faut bien, s'écria-t-il, entendre ceux qui troublent

l'Eglise, de peur qu'il n'advienne ce que Hélie

dit au roi Achab C'est toi qui troubles Israël n

Le roi s'était senti pris de colère en entendant

les paroles hardies d'Anne du Bourg et de du

Faur il ordonna à Montmorenci de saisir l'un

et l'autre sur leur banc de magistrat, pour servir

d'exemple, et le connétable remit les conseillers à

un capitaine des gardes qui les conduisit à la

Bastille. Six conseillers encore, « l'élite du Par-

lement, » devaient être arrêtés. Trois s'échappè-

rent trois autres, Antoine Fumée, La Porte et

Paul de Foix, furent embastillés comme Pibrac.

«Je le verrai brûler de mes deux yeux! » répétait

Henri Il, en parlant d'Anne du Bourg. Le coup

de lance de Montgomeri vint l'empêcher d'as-

sister à ce supplice, mais la Grève attendait du

Page 22: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. 13

Bourg et il y devait expirer en martyr. Il fallut

les revirements étonnants d'une politique aussi

troublée que celle d'un pareil temps, pour empê-

cher les autres conseillers de subir le supplice

d'Anne du Bourg. Du Faur et Paul de Foix furent

seulement condamnés à la suppression de leurs

offices, mais l'assemblée des chambres, à laquelle

ils en appelèrent, cassa l'arrêt; et, de cette façon, le

loyal Pibrac ne supporta point la peine qu'avaient

encourue sa droiture et son courage.

N'allait-il.pas, du moins, être rendu plus pru-

dent par le danger qu'il venait d'éviter? N'é-

tait-ce point là une leçon dont allait profiter sa

sagesse? Non. Pour de telles âmes, une certaine

prudence n'est que de la lâcheté, et Pibracétait,

certes, incapable de transiger avec sa conscience.

A Henri II avait succédé François Il, et après le

débile époux de Marie Stuart, Charles IX était

monté sur le trône. Les rois mouraient et cepen-

dant la lutte était toujours aussi violente dans

leur royaume. A cette heure, la France subissait

une crise terrible, décisive. Le papisme et le

calvinisme, l'épée aupoing, allaient se disputer

le pays et, enattendant, ils se disputaient les

esprits. D'un bout à l'autre de la France, la ques-

tionreligieuse, cette question primordiale si sou-

vent traitée d'une façon tragique et qui semble

Page 23: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

14 NOTICE.

dominer encore aujourd'hui les questions poli-

tiques, cette question vitale était posée. Pou-

vait-on la résoudre pacifiquement? La cour de

Rome s'opposait avec une indomptable énergie

à toute concession. Plus intelligents des besoins

del'Europe,

laFrance, l'empereur Charles-Quint

et l'électeur de Bavière demandaient que des ré-

formes fussent introduites dans l'Église, par

exemple qu'on autorisât les laïques à communier

sous les deuxespèces, qu'on abolît le célibat

ecclésiastique, qu'on supprimât l'interdiction de

manger certains aliments, qu'on déclarât enfin,

ce qui était plus grave, que la dignité et les

droits des évêques viennent de Dieu et non du

pape. Le nombre des prélats italiens envoyés à

Trente pour régler le différend, et l'attitude du

cardinal de Lorraine, allaient rendre toute conci-

liation impossible, et le concile de Trente devait

finir par le terrible cri d'anathème a tous les héré-

tiques poussé par le cardinal lorrain. Ce concile,

où naquit la Ligue et dont les arrêts allaient, on

l'a dit avec raison, prendre aux yeux des catho-

liques l'autorité d'un livre symbolique, devait

donc consommer à jamais la rupture des pro-

testants avec l'Église romaine. Et que de sang,

hélas, allaient faire couler ses décretsl

Mais, du moins, avant qu'ils eussent été signés,

Page 24: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. is

les représentants du roi de France, Arnould du

Ferrier et Pibrac, deux de ces conseillers en-

fermés naguère à la Bastille, deux compatriotes,

deux enfants de Toulouse, avaient da faire,

en plaidant pour l'Église gallicane, respecter à la

fois et la liberté de la pensée et la dignité de

leur pays. Ces deux ambassadeurs de Charles IX

au concile de Trente (1562) y arrivaient précédés

d'une réputation d'indépendance qui éveillait déjà

les soupçons de la cour de Rome. Du Ferrier, qui

devait plus tard se faire calviniste, etPibrac,

célèbre par l'attitude qu'il avait eue au Parlement

deParis, trois ans auparavant, furent reçus assez

froidement au concile, mais leur fermeté devait

peu s'en inquiéter. Pibrac, d'accord avec du Fer-

rier et Saint-Gelais, seigneur de Lansac, rédigea

une allocution qui devait faire connaître aux

Pères réunis en concile la mission qui motivait

l'arrivée à Trente des ambassadeurs de Charles IX.

Le roi espérait, disait-il, que la vraie religion,

affligée depuis cinquante ans de tant d'hérésies,

sortirait enfin rétablie du concile de Trente.

« Après avoir, dit un historienrécent', tracé le

1. Voy. le très-intéressant Essai sur les diplomates du

temps de la Ligue, d'après les documents nottveaux et iné-

dits, par M. Édouard Frémy (in-ie, 1873)..

Page 25: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

16 NOTICE.

tableau des tentations auxquelles des influences

funestes pouvaient faire succomber les prélats,

Pibrac dépeignit la terrible responsabilité et le

mépris qu'encourrait l'assemblée, si son œuvre

n'aboutissait à aucun résultat. Il rappela l'inef-

ficacité de plusieurs synodes, tenus antérieu-

rement en Allemagne et enItalie^" ainsi que

la pureté de mœurs et d'intention nécessaire à

des hommes qui tenaient en leurs mains la cause

sacrée. »

« De plufieurs Conciles, ajoutait Pibrac, qui ont

efté tenus, de noftre temps & auparauant, tant

en Allemagne qu'en Italie, la Chreftienté n'a fenty

que peu ou point de fruift, & font les chofes tous-

iours demeurées en vn mefme, c'eft-à-dire en vn

pauure & miferable eftat. Mais la caufe de ce

malheur ceffe auiourd'huy, & n'a point de lieu,

en celle prefente affemblée car les iugements

n'cLloyent pas libres,&

y auoit, à l'endroit de

plufieurs, plus de fubieëtion aux vouloirs des

grands Seigneurs que de liberté de confcience

ce qui eft, en telle chofe, fort à craindre. Mais

vous, Meffieurs qui eftes icy affemblez au nom

de Dieu, vous ne recognoi1fez autre Supérieur

que l'honneur de Dieu & la tranquillité de fon

Eglife. » « Si, concluait l'orateur, nous nous

voulons accommoder à la volonté d'autruy, quel-

Page 26: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. 17

3

que Prince ou autre que cefoit, & fi, par ces

moyens, nous aimons mieux mecognoiftre la

verité qu'embraffer noflre falut & le vray gouuer-

nement de toutes chofes, il ne faut point douter

que l'oubliance de noftre deuoir nous priue de la

gloire celefte, &,s'il aduenoit qu'en cefte partie

y euft de voftre faute,combien que vos vertus

nous affeurent du contraire, les affaires de la

religion feroient deplorées detelle forte que

nous

demeurerions fans efperance d'aucun remede. »

« Cette harangue comminatoire, dit M. Frémy,

surprit le concile à tel point que, contre toutes

les règles de l'étiquette en pareil cas, lorsque

Pibrac l'eut achevée, on se leva silencieuse-

ment et aucune réponse ne lui fut faite. »

Il faut demander à Fra Paolo Sarpi (Histoire du

concile de Trente 1) des renseignements précis sur

l'attitude vraiment digne et ferme de nos ambas-

sadeurs, Lansac, du Ferrier etPibrac, en cette

redoutable entreprise. Le discours de Pibrac lui

avait valu, d'un cardinal trop fougueux, le sur-

nom de hâbleur de palais. Mais la douceur résolue

du conseiller toulousain devait montrer ce que

i, Hijloria del concilio Tridentino, traduite en fran-

çais par Amelot de la Houssaye (168)) et par Le Cou-

rayer (1736) qui y ajouta des notes.

Page 27: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

18 NOTICE.

peut, pour l'honneur de son pays, un homme qui

comprend ce que vaut la dignité de sa patrie.

A cette heure même, le mot de patrie était-il

connu? Savait-on bien tout ce qu'il contenait de

fierté, de dévouement et d'amour'? Savait-on

tout ce qu'il fait palpiter de noblesse et de vail-

lance au cœur de l'homme? Toujours est-il que

Pibrac nous offre, à cette heure même, un bel et

fier caractère de patriote, pour parler comme

Saint-Simon, l'auteur des Mémoires, qui, le pre-

mier, écrivit le mot. Plût à Dieu que tous les

ambassadeurs qui ont représenté la France devant

l'étranger eussent déployé la moitié seulement

de l'intelligence, de la décision, du courage, que

déployèrent Pibrac et ses compagnons au concile

de Trente!

M. Éd. Frémy en donne encore un exemple où

le cardinal de Lorraine, ce Pape d'au-delri des

monts; comme on l'appelait, joua son r6le aussi,

i. Le mot de patrie était alors un mot nouveau, fait

remarquer M. Édouard Fourniert. C'est Joachim du

Bellay qui l'avait employé le premier dans son Traité de

la défense et illustration de la languefranfaise. En 1576"

on le regardait encore comme un néologisme. « Le nom de

Patrie, disait alors Ch. Fontaine, eft obliquement entré

& venu en France nouuellement. (Quintil cenfeur.)

r. Variétés historiques et littéraires, t. IX.

Page 28: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE.19

par orgueil personnel plut6c que par patrio-

tisme

« La fête de saint Pierre allait bientôt avoir

lieu, et tous les ambassadeurs présents au concile

devaient assister à l'office solennel qui se célé-

brerait à Trente, à cette occasion on con-

vint de faire sortir,en même temps, de la

sacristie « plufieurs clercs qui deuoient regler

« leur marche de telle forte que, contrairement

« aux anciens priuileges de nos reprefentants, la

« paix & l'encens fuffent prefeutez dans le mefme

« moment aux Ambaffadeurs de France & d'Efpa-

« gne. » M. de Lansac1, informé, pendant la messe,

de la présence du comte de Luna dansl'église,

ayant su qu'on lui préparait « vn fiege au-def-

fous de celuy des Legats, » fit aussitôt mander le

maître des cérémonies et le questionna au sujet

de l'ordre qu'on devait observer, ainsi que sur

la place qu'on réservait à l'Ambassadeur espa-

gnol. Notre représentant, apprenant qu'on avait

résolu de rendre à M. de Luna les mêmes hon-

neurs qu'aux ambassadeurs de France, se leva

indigné tous les Français firent demême, et le

trouble devint tel dansl'église, que le prélat

qui officiait dut s'interrompre.

x. L'ambassadeur de France.

z. C'était M6r d'Aoste, ambassadeur de Savoie.

Page 29: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

20 NOTICE.

« Le cardinal de Lorraine, prenant la parole,

en présence des prélats qui s'étaientretirés, ainsi

que lui, dans la sacristie, s'éleva, avec une éner-

gie inattendue, contre cette violation des droits

traditionnels de nos ambassadeurs. Contraire-

ment à la politique ultramontaine qui avait été,

jusqu'alors, la règle de sa conduite au concile, il

déclara « que les Ambaffadeurs, en pareille occur-

« rence, auoient ordre formel de protefler publi-

« quement, non contre les Legats, qui depen-

« doient abfolument du Pape dont ils executoient

« les commandements, ni contre le Concile, qui

« n'eftoit point libre, ni contre leRoyd'Efpagne,

« qui, mal renfeigné fur l'incident, pourfuiuoit

« fes prétentions, mais contre tous ceux qui

« auoient ofé attenter à des priuileges auffi an-

« ciens que la couronne de France. »

« Ces paroles, prononcées dans une église,le

jour de la fête de saint Pierre, soutenues par l'é-

clat de l'éloquence du prélat et la puissance de

la maison de Lorraine, firent trembler les légats.

Ils tinrent une conférence où, pour apaiser, du

moins provisoirement, les Français, eu égard à la

sainteté dulieu,

ils décidèrent que l'encens et la

paix ne seraient, ce jour-là, présentés à personne.

Grâce à ce tempérament, MGr d'Aoste put remon-

ter à l'autel, et la cérémonie se termina sans

Page 30: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. 21

appareil, il est vrai, mais du moins sans trouble,

le comte de Luna étant parti pour éviter les vio-

lences qu'on craignait de voir serenouveler, lors

de sa sortie 1. »

Pibrac et du Ferrier n'en avaient pas moins

vivement protesté, dès l'abord, contre l'oubli du

saint-siége. Ils ne laissaient rien passer de ce qui

pouvait porter atteinte à la dignité du roi de

France. On lit dans leur mémoire, rempli de

leurs plaintes, que Pie IV, a en lieu de pain, don-

noit des fcorpions àfon Fils aîné (Charles IX); qu'on

deuoit reietter fur luy la coulpe de tout ce qui est

faiû leur Prince, qu'on priue de l'honneur qui luy

eft deu. » Le pape devait au surplus, par la

bouche du cardinal de Lorraine, se plaindre de

ces ambassadeurs qui refusaient de contre-signer

les arrêts du concile.

Le cardinal s'adressa à Charles IX, et, protes-

tant contre Pibrac et son compagnon « qui avaient,

selon lui, fait preuve d'un emportement au moins

inopportun, il conjurait le roi de leur ordonner

de revenir au concile pour assister à sa conclu-

sion et pour apposer leur signature sur les rôles

réservés aux ambassadeurs. De leur côté, du Fer-

rier et Pibrac écrivaient à Paris afin de justifier

i. Diplomates du temps de la Ligue.

Page 31: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

22 NOTICE.

leur conduite, basée, d'après eux, sur leurs instruc-

tions.

« Le roi s'empressa de leur donner raison, s'ap-

puyant sur ce que le cardinal n'avait pas assez

approfondi la question. Il aurait été de leur avis,

ajoutait-il, s'il avait entendu les propositions des

légats qui avaient .provoqué cette protestation.

« Pour ce que, écrit Charles IX aux ambassadeurs,

« il me femble, par tout ce que mondit coufin

« m'en a mandé &écrit, qu'il n'a pas veu le con-

a tenu defdits articles, ne entendu aucune chofe

(c des raifons qui vous ont contraint à ladite

« oppofition, i'ay fait dreffer vn memoire de tout

a ce qui s'eft paffé, en cette affaire, que luy porte

« le fleur de Maune prefent porteur, pour luy iufti-

« fier & mouftrer que ce que ie vous ay mandé

« & ce que vous auez fait, en ladite opposition,

« n'a pas efté fans grande & meure deliberation

« & jufle occafion. Et vous enuoyant auffi vne

« copie, ie ne vous diray rien là-deffus dauantage,

« fiiion que i'ay bien agreable ce que vous en auez

« fait, & mefme que vous en foyez venus à

« Venife, d'où vous ne partirez (i'entends quant

« à vous, du Ferrier, car, quant au fleur de

Pibrac, ie luy ay accordé le congé qu'il m'a

« fait demander d'aller faire vn tour en fa mai-

« fon) que vous n'ayez autre commandement

Page 32: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE.23

« de moy, qui fera, ainfi que ie le mande à mon-

« dit coufin, lors qu'il m'afleurera que les Legats

« auront reformé les articles qui concernent mes

« droits, vfages, priuileges &authorités,

& ceux

« de l'Eglife Gallicane, pour n'en eftre plus parlé ny

« mis aucune chofe en controuerfe ou difpute 1. »

Certes, Pibrac avait bien mérité de pouvoir

aller faire un tour en samaison car il avait

dignement soutenu les intérêts de son pays et de

son roi et il avait tenu au sacré concile la con-

duite généreuse d'un Français, d'un franc Gau-

lois. Combien, même aujourd'hui, qui n'auraient

pas le même dévouement et la même hardiesse

Deux ans plus tard, le chancelier de l'Hospital,

qui l'aimait fort et l'estimait entre tous, fit

accorder à Pibrac la place d'avocat général au

Parlement deParis, « dans ce fuprefme Parlement

de Paris où, ditColletet, il fit bien paroiftre par

fa fageffe & par fon bien dire que iamais homme

n'auoit auparauant luy plus dignement remply

vne fi grande charge. »

« Combien de fois, ajoute le même auteur, nos

peres l'ont-ils ouy dans ce facré temple de la

iuftice deffendre puiffamment le party de la iuf-

tice mefme, fouftenir l'authorité du Prince & des

i. Instructions et Lettres des Rois Très-Chrétieits, etc.,citées par M. Frémy.

Page 33: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

24 NOTICE.

loix, parler courageufement du debuoir des iuges

& des magiftrats faire efclatter la maieilé de

leur tribunal, propofer l'idée & le modele d'vn

excellent aduocat des parties, corriger les abus

des greffes & des procédures, & finalement dif-

tinguer les debuoirs de chaque officier de la iuf-

tice,ce qu'il faifoit d'vn langage puiffaut &

fleury, fouftenu des plus beaux paffages de l'an-

tiquité, & animé des raifonnements tirez du fein

de la nature & de fexperience qu'il s'eftoit

acquife des chofes. Belles & rares qualitez qu'il

fit encore depuis efclatter dans le priué ConfeiJ

du Roy oà il fut admis au nombre d'vn de ces

nobles Confeillers d'Eftat qui n'ont là pour con-

freres que les Princes & les premiers magiftrats

du Royaume. Ce fut là que le feréniffime Duc-

d'Aniou, frere du Roy, ayant recognu la force de

fon efprit & fa grande probité, l'obligea par fes

prieres de prendre le foin de fes affaires qui

efloient extremement embrouillées, d'efclaircir

les biens de fon patrimoine que fes agens & fes

folliciteurs auoient confondus, & de remettre le

tout dans vn bon ordre, ce qu'il fit au contente-

ment de ce Prince auffi bien que les defpendances

meflées de la Comté de Lauraguais dont la Reine,

Mere du Roy, Catherine de Medicis, luy donna

l'entière adminiftration. »

Page 34: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. 25

4

Pibrac, en dépit des occupations que lui don-

naient ses charges et dignités, n'avait garde

d'oublier la poésie. Il lui était fidèle et lui réser-

vait ses meilleurs moments, ces heures de re-

cueillement et d'intime joie où l'on ne travaille

que pour soi, pour sa propre satisfaction, parce

qu'on s'est épris d'un homme ou d'une idée. Et

qu'importe alors le succès ou la renommée! On

se trace un devoir comme on s'accorderait un

plaisir. Pibrac, qui avait déjà rimé des sonnets

lors de l'entrée de Charles IX, devenu majeur,

dans Paris, publia, en 1574, cinquante quatrains,

les premiers, qu'il dit imités de Phocylide et

d'Épicharme et qu'il devait faire suivre de qua-

trains nouveaux jusqu'à atteindre le nombre de

cent vingt-six. Il avait commencé aussi, chez lui

et pour lui, un poëme, Les plaisirs de la vie rus-

tique, qu'il rimait à ses heures, en son logis,

auprès de Jeanne de Custos 1, dame de Tarabel,

i. L'éditeur de la Vie de Pibrac par Guillaume Colle-

tet, M. Philippe Tamizey deLarroque,

nous donne, dans

une des notes si savantes et si curieuses qu'il a mises au

bas de cetravail, les détails suivans sur la famille de Pibrac

Guy du Faur avait épousé Jeanne deCustos,

dame

deTarabel, qui mourut

longtemps après lui (en 1Û12).

OutrePierre, mort en bas

âge,il en eut deux fils et une

fille. Un desfils, Michel, qui prit Je titre de

seigneurde

Page 35: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

26 NOTICE.

safemme, et de son premier-né, lorsque l'enfant

mourut, etPibrac, accablé, laissa son œuvre ina-

chevée

l'eujfe cncor pourfuiuy ler biens dulabourage,

Mair la mort de mon fils m'en ojle le courage

Et trouble tellement de douleur mon efprit

Que i'eu laifje imparfait pour iamais cet efcril 1.

Pibrac,embrassa la profession des armes et fut tué au

siège deMontauban,

étant alors mestre de camp d'un

régiment de cavalerie. L'autrefils, Henri, seigneur de

Tarabel,fut d'abord conseiller au Parlement de Toulouse

et mourut premier président du Parlement de Pau. Enfin

Olympe fut mariée à un petit-fils du chancelier de l'Hos-

pital, Michel Hurault, seigneur deEelesbat, qui fut chan-

celier du roi de Navarre. Rappelons ici qu'après la mort

du chancelier de l'Hospital (13 mars 1573), Pibrac s'était

chargé,avec Jacques-Aug, de Thou et Scévole de Sainte-

Marthe,de recueillir ses papiers et de publier ses poésies

latines. Les manuscrits confiés à Pibrac passèrent, à sa

mort,entre les mains de son

gendre,et ce fut ce dernier

qui, aidé de Pierre Pithou et de Nicolas Lefèvre,les

publia en 1585. Paris, in-folio. n Le travail de M. de

Larroque, publié dans la Revue deGascogne,

a été mis

en brochure (Aug. Aubry, 1871).

i. M. Léon Feugère (Caractèreset Portraits du

xvie siècle) fait remarquer que, plus tard,Pibrac songe

pourtant à reprendre son travail

Mon ardeur me reprend tY ma première enuie

De chanter les plnifirr de la rujlique vie.

Mais il s'en tint là.

Page 36: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. 27

La vie militante de Pibrac était loin cependant

d'être achevée. Depuis 1570,il était conseiller

d'État; et le 9 mai 1573, le duc d'Anjou, frère de

Charles IX, le futur Henri III de France, avait

été élu roi de Pologne, le dernier des Jagellons,

Sigismond, étant mort sans descendant. Le duc

d'Anjou, avant de partir pour la Pologne, voulut

se composer une cour toute française, choisissant

pour capitaine des gardes ce Larchant qui joua

plus tard un r6le si terrible dans la tragédie de

Blois, et emmenant aussi Quélus, Saint-Luc,

Schomberg, les mignons et les raffinés, Annibal

de Coconnas, le brave Crillon, puis un Roche-

fort, un Dampierre, etc. i. C'était là, avec Vil-

lequier, le vicomte de la Guierche etd'autres,

la maison militaire. Pour sonchancelier, le duc

d'Anjou tint à ce docte Pibrac. Il lui adjoignit

Sarred pour secrétaired'Etat, Pomponne de Bel-

lièvre, et dans cette chancellerie nous rencon-

trons encore un autrelettré,

le poëte Philippe

des Portes, qui chantait déjà sa « volage Rosette.»

Le grand prieur de Guise se trouvait aussi du

voyage. On se figure ce cortège élégant traver-

1. Voyez le Catalogue des princes, seigneurs, gentils-hommes et autres qu'accompaig neut le Roy de Pologne.

(Tome IX des Variétés littéraires de M. Fournier.)

Page 37: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

28 NOTICE.

sant l'Europe pour se rendre au lointainpays

de

Pologne. Comme onallait,

au delà duRhin,

se

trouver en pays protestants etque

la Saint-Bar-

thélemydatait d'un an à

peine,le duc

d'Anjou

ne se sentait pas fort rassuré. La présence d'un

Guise dans latroupe

n'était point faite,on

l'avouera, pour inspirer beaucoup desympathies

auxpopulations luthériennes. Et Pibraè lui-même

n'avait-il point composé, hélas,une

ffpologiede

cetépouvantable

crimequ'un sceptique du

XIX" siècle 1 allait déclarer tout aussi peu cou-

pableou tout aussi

explicable que le massacre

des Janissaires

On raconteque, lorsque le duc

d'Anjoufut reçu

i, Prosper Mérimée.

2. Cette Apologiede la

Saint-Barthélemy setrouve,

sous la forme d'une Lettre sur les affaires deFrance,

recueillie par Aignan au tome Ier de sa Bibliothèque étran-

gère. Ajoutons bien vite que Pibrac, pendant que le sang

coulait, que les arquebusades retentissaient, lugubres,

avait demandé à Charles IX si son intention n'était pas

d'en finir avec tant de meurtres et que ce fut de cette

sorte que les capitaines cinquanteniers et dizainiers purent

mettre en sûreté les huguenots survivants et arrêter les

pillages et les massacres. Il ne composa cette malheu-

reuse Apolog ie d'un odieux massacre que pour en dimi-

nuer l'horreur aux yeux des étrangers. L'histoire n'en doit

pas moins se montrer, sur ce seulpoint,

sévère pour

lui.

Page 38: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE.29

par l'électeur Palatin, le premier objet qui frappa

la vue du frère de Charles IX fut le portrait de

l'amiral Coligni, lâchement égorgé. En l'aper-

cevant, le futur Henri III devint pâle, et son

troubleredoubla lorsque l'électeur lui dit froide-

ment, en le lui montrant « C'était la, Sire, le

plus grand capitaine de la chrétienté! L'anecdote

est-elle apocryphe? Je ne sais. Elle a tout l'ac-

cent de la vérité, et je dirais volontiers à la façon

d'Étienne Pasquier Je crois que cette histoire

est très-vraie, parce que je la souhaite telle, »

Pibrac, pendant tout ce voyage de France en

Pologne, eut l'occasion de déployer et son zèle

et sa science. Ce fut lui qui répliqua, enlatin,

sans y avoir été préparé, à la harangue de l'évêque

de Breslau. « il s'exprima, dit un de ses bio-

graphes, avec tant de bonheur, d'élégance et de

présence d'esprit, qu'il remplit les députés d'ad-

miration.

Nous n'avons pas l'intention deraconter, dans

ses détails, cette aventure de Pologne qui peut

passer pour la plus étrange de l'histoire. Le récit

en a été fait et bien fait par un écrivain de notre

temps 1. Henri de Valois 'devait rapidement se

1. Voy. l'ouvrage de M. le marquis de Noailles

Henri de Valois et la Pologne.

Page 39: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

30NOTICE.

repentir d'avoir accepté ce trône, et la mort de

son frère Charles IX allait l'attirer bientôt du c6té

de la France. Mais comment pouvait-on quitter

ces nouveaux sujets qui surveillaient leur roi avec

un soin jaloux? Il faut ici, je crois, citer textuel-

lement le curieux récit donné par Guillaume

Colletet dans sa Vie de Guy du Faur de Pibrac 1.

Ce travail, qui était conservé à l'état de manu-

scrit à la Bibliothèque du Louvre, a été consumé

dans l'incendie du mois de mai 1871 qui a détruit,

avec les Yies des poëtes gascons de Colletet, bien

d'autres richesses littéraires. On sera donc curieux

de retrouver dans notre livre les pages que la

publication de M. Tamizey de Larroque nous a

seule conservées.

Le récit de Colletet a d'ailleurs tout l'attrait

d'un chapitre de roman

« Pendant cela, dit Colletet, la mort inopinée

du Roy Charles IX eftant paruenue iufques en

Polongne, il fut queftion de prendre de nouueaux

confeils en de nouuelles affaires. C'eft pourquoy

Pybrac 2, dans celle noble & genereufe affeftiou

qu'il auoit pour fa patrie, considérant le deplo-

1. Publiée par Ph. Tamizey de Larroque.

2. G. Colletet donne au nom de Pibrac un y, mais les

lettres autographes qu'on a conservées de Pibrac n'ad-

mettent pas cette orthographe.

Page 40: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. 31

rable eftat où eftoit alors le Royaume de France

eftant par les diuerfes fanions des Grands que

par les differentes inclinations des peuples qui

eftoient miferablement confumez d'vne flamme

inteftine, & combien la prefence de fon Roy

legitime luy eftoit neceffaire; il fut celluy qui

prena fon maigre de quitter la Polongne où il

eftoit détenu prefque captif depuis la nouuelle

de la mort du Roy fon frere & d'aller prendre pof-

feffion du nouueau fceptre qui l'attendoit, & luy

en ouurit les moyens les plus prompts & les

plus commodes. Mais comme le Roy fe fut par

fes aduis defrobé de la Court, de nuit, & de la

ville deCracouie, accompagné de fort peu de

gens, il aduint que Pybrac qui, felon l'ordre

donné, s'eftoit auparauant rendu aupres d'vne

certaine chappelle ruinée qui n'efloit pas fort efloi-

gnée du grand chemin, ayant prefté l'oreille fur

la terre parmy le filence de la nuit fort obfcure,

ouit vn bruit de cheuaux qui etloit en effeâ: la

marche du Roy, fon maiftre. Il fe refolut de le

fuiure mais d'aflez loin pour ne point augmenter

par fa prefence, & par vn trop grand nombre de

gens, le foupçon que l'on pouuoit auoir de l'eua-

fion du Roy. Et ce d'autant plus qu'à l'inflant il

fe vid enuironné de quelques Polonois bien

montez qui couroient à toute bride apres ce

Page 41: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

3a NOTICE.

prince fugitif & creut que par fon entretien & fes

amufements il luy donneroit plus de temps

pour fe fauuer, ce qui arriua effeftiuement puis

que des le lendemain ce Prince fe rendit heureu-

fement & fans aucun obftacle iufque fur les con-

fins de la Morauie cependant que Pybrac,

s'eftant malheureufement fouruoyé du droit che-

min, fe rencontra dans des bois, dans des marais

& dans des folitudes affreufes & parmy des

hommes fauuages & ruftiques, qui à la veuë de

Pybrac, cet illuftreefgaré, commencèrent à

crier & à hurler effroyablement & à faire affem-

bler par leurs cris tous ceux de leur voifinage.

qui, eftant aduertiz defia de feuafion du Roy,

creurent que luy & tous les François s'efloient

fauuez dans ces lieux folitaires, & dans cefle

penfée quelques-vns d'entre eux, pouffez de def-

pit & de rage, vindrent à main armée fondre fur

la perfonne d'vng de la fuitte de Pybrac, lequel

apres l'auoir veu affommé deuant fes yeux fans

le pouuoir deffendre, defcendit doucement de fon

cheual, qui d'ailleurs luy eftoit inutile parmy des

hayes & ces ronces & ces bruyères, & les tra-

uerfant à pied & tout feul le plus fecrettement

qu'il put, fe cacha parmy les ioncs & les rofeaux

d'vn effroyable fleuue que dans cefte haute per-

fecution fon bon genie luy fit heureufement ren-

Page 42: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE.33

5

contrer. le dy fon bon genie puis que fans cela

il eut courru la mefme fortune de celluy qu'il

auoit veu cruellement maffacré deuant fes yeux,

car ces barbares l'ayant cherché par tout inutile-

ment le pourfuiuirent à coups de fronde, de traits

& de flefches iufques fur les bords de ce lac

effroyable, & ou ne fçachant ce qu'il efloit de-

uenu, ils fe retirèrent. Pour efuiter l'atteinte de

leurs traits & de leurs pierres, il eftoit contraint

à toute heure de plonger la tefte dans l'eau, où

il demeura miferablement ainfy l'efpace de plus

de quinze heures durant, apres quoy ces lafches

perfecuteurs s'ennuyant de le chercher & ne

fçachant au vray ce qu'il eftoit deuenu, fe reti-

rerent la confuflon fur le front & le defplaifir

dans l'ame de ne l'auoir peu rencontrer.

a Apres leur retraitte tant defirée cet illuftre

perfecuté, voyant que tout eftoit calme fur le

riuage fortit le plus fecrettement qu'il put

de ce lieu aquatique &fangeux, où il laiffa

iufques à fon chappeau & à fes bottes mefmes

dans la boue & dans le limon, & en ce deplo-

rableeftat, ie veux dire nud tefle, nud iambes

& nud pieds, mouillé iufques à lapeau, & tout

couuert delimon, il fe traifna feul par les bois

& par des routtesefpineufes, obliques & inco-

gnues parmy les obfcuritez de la nuit dont les

Page 43: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

34NOTICE.

efpeffes tenebres offroient encore à fes yeux de

nouueaux fpeftacles de crainte &d'horreur,

& luy faifoient d'autant plus apprehender la ren-

contre des beftes farouches à la mercy defquelles

il efloit cruellement expofé; & fi bien qu'apres

mille deftours incertains il fe rencontra fur la

pointe du iour aux bords d'vn fleuue rapide

qui n'eftoit nullement gueable; neantmoins en

cefte extremité prenant vn nouueau courage,

& mettant toute fa confiance en Dieu qui n'aban-

donne iamais les fiens, il mit les genoux en

terre &, leuant les mains vers le Ciel, les larmes

aux yeux, il implora le fecours de la toute-puif-

fance tellement que remply d'vn nouueau cou-

rage, il arracha vne groffe branche d'vn vieux

arbre, & fe mit fur elle en debuoir de trauerfer

ce fleuue, dont le traient, felon la cognoiffance

qu'il auoit de la carte, le pouuoit mettre en lieu

de feureté. Mais, helas! comme ce fleuue eftoit

bordé d'vne infinité de rochers mouffus qui fem-

bloient en deffendre le riuage, & qui brifoient

fuperbement l'impetuofité des flots, cet illuftre

nageur fe vid par deux fois rudement repouffé

& prefque enfeuely dans les abyfmes de ce

fleuueimpitoyable, lors que s'attachant courageu-

fement à fon arbre & faifant vn nouuel effort

autant que fes forces affoiblies le pouuoient per-

Page 44: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. 35

mettre, il fit tant qu'aydé du Tout-Puiffant il

arriua miraculeufement à bon port, d'où apres

s'eftre feiché au foleil, il trauerfa vne grande

& ville campagne qui luy fut d'autant plus en-

nuyeufe qu'il n'y rencontra iamais vne feulle

ame. Enfin, ayant apperçeu de loin vne certaine

petite chaumière, il s'y en alla tout droift

croyant y rencontrer quelque foulagement &quel-

ques viures. Ce lieu affreux eftoit la demeure

ordinaire de certains bouuiers lefquels, comme

ils efloient durs & fauuages au poffible, voyant

cet illuftre malheureux vagabond à demy nud

qui ne pouuoit refpondre aux interrogations qu'ils'

luy faifoient en leur langue polonoife, iugerent

incontinent que c'eftoit quelque François fugitif

qui tafchoit de fefauuer, & dans cefte penfée il

n'eft pas croyable combien ils infulterent lafche-

ment à fa mifere, foit par leurs paroles railleufes

& picquantes, foit par des outrages plus felifibles

puis qu'ils eurent bien la hardieffe de luy tor-

dre le nez & de luy donner des coups de poing

& des foufflets, & d'autant plus qu'il fouffroit le

tout patiemment & fans rien dire, d'autant plus

leur iniulle colere s'allumoit contre luy. Et il

eltoit bien à craindre qu'ils eufifent encore paffé

plus auant, fi vne pauure vieille femme, toute

ruftique qu'elle eftoit, prenant pitié de luy, ne

Page 45: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

36NOTICE.

l'euft tiré d'entre leurs cruelles mains & ne l'euft

mis dans vn pauure grenier, où elle eut encore

la bonté de luy porter du pain & de la bierre

efpailfe dont il appaifa pour lors fa faim & fa

foif merueilleufes 1.

a Cela faift, apres s'eftre repofé quelque temps

& voyant que tous ces ruftiques eftoient endor-

mis, il fort fecrettement de cefte fatale cabane,

& à la faueur des tenebres de la nuit, il prend la

première route qui s'offrit fortuitement à luy. Et

comme au fortir d'vne grande foreft, il eut ap-

perçeu dans vne plaine aux premiers rayons du

iour nailrant vn carrofle qui alloit affez lente-

ment, il fe mit à courir apres iufques à perte

d'haleine. Ce qu'eftant apperçeu du maiftre il fit

arrefter ce carroffe tout court pour fçauoir qui

i. Tous ces détails sont empruntés à Ch.Faschal,

et ce

sont ces mêmes détails qui ont fait dire à La Faille

(Annalesde

Toulouse, t. II, p. 385) que la Vie de

Pibrac, par Paschal, « eft remplie d'avantures furpre-

nantes,& qui femblenttenir du Roman, quoique tres-véri-

tables. De Thou a résumé le récit de la fuite de Pibrac

(p. 73 et 7+ du tomeVII). Ce récit a été résumé de nou"

veau (p. 468 du tome VI des Pièces itttéressantes et peu

connues pour servir à l'histoire et à la littérature) par

La Place Particularités historiques concernant Guydu

Faur, seigneur de Pibrac. (Note de M. Tamizey de Lar-

roque.)

Page 46: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. 37

efloit celluy qui fe mettoit tant en debuoir de l'ap-

procher. Mais, 6 Dieu! de quel eftonnement ne

fut-il point faify lors qu'il apperçeut l'illuftre de

Pybrac en vn eftat fi deplorable & fi changé, luy

qui l'auoit veu à la Cour en vn fi haut eftat de

gloire! A l'abord d'vn fi grand homme, mais fi

mal mené de la fortune, celuy-cy qui fe nom-

moit Staniflas Sandiuoge, grand referendaire du

royaume de Polongne, qui eftoit homme cour-

tois & affable au poffible, & au refte, intime

de Pybrac met auffytoft pied à terre pour l'em-

braffer, Se. apres quelques petits mais affectionnez

compliments, le faiâ monter dans fon carro1fe

& l'accommoder de toutes les chofes qui furent

alors en fon pouuoir, & le conduifit ainfy iufque

fur les confins de la Pologne où il s'en alloit

mefme donner ordre à quelques affaires impor-

tantes à cet eftat. Et ce fut là qu'apres y auoir

ouy dire que le Roy fon maiftre eftoit arriué en

pleine fanté iufque dans laMorauie comme.fi

cefte heureufe nouuelle euft efté l'adouciffement

de tous fes maux, il ne put s'empefcher d'en

pleurer de ioye & d'oublier alors fes trauerfes

panées.

Colletet raconte encore de quelle façon Pibrac,

menacé de mort par des sénateurs polonais venus

au-devant du référendaire et indignés de la fuite

Page 47: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

38NOTICE.

du roi, les désarma par sa résolution et son

« incroyable constance. » Le conseiller put enfin

rejoindre Henri III à Vienne en Autriche; et

même, en 1575, il osa retourner une fois encore

en Pologne, essayant vainement de conserver

au roi de France un trône dont les Polonais

déclarèrent déchu Henri de Valois.

De retour en France, Pibrac, toujours en-

flammé du bien public, poussait la Cour à traiter

de la paix avec les protestants. Ce frarrc Gaulois

gémissait de voir la patrie livrée à ces plaies

effroyables la guerre civile et l'ennemi. Aussi

bien, en 1576, dut-il éprouver une immense joie

lorsqu'il négocia cette paix tant désirée et,

chose singulière, qui marque bien l'état des na-

tions à de certaines heures douloureuses de leur

histoire, lorsqu'il la négocia avec son propre

frère, Louis du Faur, seigneur deGratens, chan-

celier du roi de Navarre et chargé des intérêts

du parti huguenoti.

L'année suivante, Pibrac était nommé prési-

dent à mortier surnuméraire; mais comme il

avait jadis demandé la suppression de pareilles

i. Une note de M. L. Feugère nous apprend que ces

traités, signés de la main des deux frères, sont conservés

à la Bibliothèque nationale (Voy. les Caractères et Por-

traits du xvic siècle).

Page 48: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. 39

charges, il n'accepta celle-ci que sur un ordre du

roi. Faut-il insister sur la beauté et l'unité d'un

tel caractère, fait de douceur résolue et de bonté

mâle ? Pibrac nous apparaît ainsi comme le modèle

de l'intégrité et de la mansuétude qu'on demande

à l'homme investi d'une telle magistrature.

Cet honneur que recevait Pibrac n'était point

d'ailleurs le dernier. La reine Marguerite de

Navarre, femme de Henri IV, le choisit pour son

chancelier, et c'est ici que se place l'épisode le

plus romanesque et le moins facile à éclaircir de

la vie de Pibrac. Quoique très-voisin de la cin-

quantaine, épris encore de sa femme, qui devait

luisurvivre, aimant fort ses enfants, Pibrac ne

se laissa-t-ilpoint, aux c6tés de la séduisante

Marguerite, atteindre par les feux de ce qu'on

a appelé l'été de la Saint-Martin? Il était fort joli

homme, le frontvaste, le teint pâle, et, à cin-

quante ans, conservé par sa noble vie de devoir.

Et d'ailleurs, le bois sec brûle mieux que le vert,

a dit Ronsard 1. Il est bien probable que Pibrac

s'était laissé prendre aux attraits, à la grâce ca-

piteuse de cette galante et corrompue reine de

i. On peut voir le portrait de Pibrac dans les galeries

hautes du Musée de Versailles, près de celui de M. de

Bellegarde.

Page 49: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

40 NOTICE.

Navarre. Il l'avait accompagnée à Pau il avait

été séduit par sa parole, peut-être aussi par ses

éloquentes lettres qui faisaient rire Brantôme de

celles du pauvre Cicéron. Le Béarnais, fort peu

puritain en ses propos, ne se cachait point pour

déclarer que Pibrac, ce vieux ruffian de Pibrac,

avait été amoureux de sa femme. Chateaubriand

rapporte crûment ces paroles de Henri IV, d'après

l'auteur du Divorce satyrique a De quelques-uns

de ses amants elle se moquait, comme vous diriez

de ce « vieux ruffian de Pibrac, que l'amour

avait fait devenir sonchancelier, duquel pour

s'en moquer elle me montrait les lettres. » Que

si les paroles de Henri IV sontauthentiques, le

roi, il faut l'avouer, avait la mémoire courte et

ce n'était point l'amour qui avait fait devenir

Pibrac chancelier deMarguerite c'était bien elle,

tout au contraire, qui avait demandé le concours

de Pibrac. Pibrac rendait même de signalés ser-

vices à Henri, puisqu'il administrait les biens que

le roi de Navarre possédait en Flandre.

Toujours est-il que la passion de Pibrac pour

la reine était connue, puisque l'annaliste Lafaille

avait entendu répéter ces vers composés du vivant

même de l'auteur des Quatrains:

l'eflois Prefident,

Rcytic Margot, Marruerïle,

Page 50: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. 41

6

l'ejlois Prcjtdent,

Eu la Cour du Parlementle m'en fuis dcsfdil,

Reyne Margot, Marguerite,le m'en fuis desfait,

Pour rjlre à vous tout à fait.

La séduisante Marguerite devait, au surplus,

se montrer assez ingrate et cruelle envers ce

fidèle serviteur qu'elle a accusé dans ses

Mémoires « de jouer au'double'.

L'histoire a conservé, à ce propos, deux lettres

importantes que la reine de Navarre adressa à

Pibrac, qu'elle osa accuser de trahison. Elles four-

nirent au chancelier l'occasion d'une réponse fière

et superbe dans sa tristesse.

a Monfieur, écrivait Marguerite au sieur de

Pibrac, ie m'eftonne infiniment que foubs vne

fi doulce apparence, il y puiffe auoir tant d'in-

1. « M. de Pibrac qui iouoit au double; me difant à

moy, que ie ne debuois fouffrir d'eure brauce d'vn homme

de peu comme cettuy-là (un certain duPin), &, quoy que

cefuit, qu'il falloit que

ie le fiffe chaffer; & difant au

Roymon

mary, qu'il n'y auoit apparence que ie le priuaffe

du feruice d'vn homme qui luyeftoit fi neceffaire; ce

que M. de Pibrac faifoit pour me conuier à force de def-

plaifir de retourner enFrance,

oit il efioit attaché à fon

ejlat de Prefider:t 6 de Confeiller au Confeil du Roy.»

(Mémoires de Marguerite de Valois, publiés par Ch. Ca-

boche, p. 115.)

Page 51: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

42 NOTICE.

gratitude & de mauuais naturel. le fçay le

bruift que vous auez faift courir, que ie voulois

retourner à la Cour ce que penfant que ie pour-

rois defcouurir & fçauoir à quelle intention

c'eftoit, vous l'auez voulu preuenir par vne

lettre, m'efcriuant que le Roy s'en eftoit enquis

de vous, & que vous luy auiez refpondu que,

s'il luy plaifoit me donner les frais de mon

voyage, que cela feroit qui eftoit pour me

rendre moins defirée & plus odieufe. Mais pour

ce coup vous ferez trompé, penfant me rompre

mon deffein car vous en auez eflé fort mal

aduerty. Il paroi$ trop combien vous voulez

vous oppofer à tout ce que vous penfez que ie

defire, ou en quoy vous cuydez que ie puiffe

auoir de l'vtilité car lors que M. de Gratens

eftoit là1, vous luy fifles efcrire au Roy mon mary

« qu'il fe gardai bien de me laiffer aller, qu'il

« ne fçauroit rien faire qui luy fuft plus preiudi-

« ciable; a & à moy, vous ne m'auez rien efcrit

ni mandé qui ne fuft pour me defefperer de la

bonne grace du Roy & pour m'ofter toute

attente que ie pouuois auoir de recepuoir aucun

bien de luy m'efcriuant fouuent qu'il n'y auoit

i. Gratens était, nous l'avons vu, le frère de Pibrac.

Page 52: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE.43

de l'argent que pour trois ou quatre mignons

que tout ce qu'on demandoit de ma part eftoit

refufé, & que ie ne deuois faire nul eftat de luy,

que pour en auoir tout le pis qu'il fe pourroit.

Ces paroles m'a diftes Fredeuille de voftre part.

Par Cambronne vous me mandafles que le Roy

ne vouloit ouïr feulement nommer mon nom

& qu'il auoit defendu de me feruir. Non feule-

ment à cefte heure, mais, la Royne eflant en ce

pays 1, vous me difiez demefme, interprétant

tout ce que vous pouuiez apprendre d'elle à ce

fens, difant qu'ils ne m'aimoient point tant.

Mais ce n'eft que defiriez auffi que ie fois auec

le Roy mon mary car vous n'auez moins pris

de peine de me defefperer de fonamitié, & de

me mettre mal auec luy, m'ayant à Pau, pour

la difpute que nous eufmes pour la religion

catholique, rapporté qu'il vous auoit dift des

paroles qu'il m'a iuré n'y auoir iamaispenfé

lefquelles fi elles eujfent eflé véritables^ ie n'eujfe reçeu

le traitement que i'ay toufiours depuis refen de luy.

Elle continue

« Tous ces mauuais oifices font la recompenfe

de la fiance que i'auois de vous, m'y repofant de

i. Le voyage de Catherine était de l'année 1578, et même

de 1S79. (Note de M. Caboche.)

Page 53: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

44 NOTICE.

toutes mes affaires, & ne vous ayant iam'ais

recherché que bien & contentement ce que

pour mon peu demoyen, ie n'ay pu vous tefmoi-

gner comme ie l'euflè defiré; mais ie ne penfe y

auoir rien obmis de ce i'ay pu. Il n'eft vacqué

benefice, depuis que i'ay mesterres, que ie ne

vous l'aye donné. Vous ne les auez voulu dif-

puter, pour ne m'en auoir obligation, & auez

mieux aimé vous en accommoder auec ceux qui

y pretendoient, pour me faire perdre mes droits.

Ce font d'eftranges traiets pour vn homme

d'honneur tel que vous eftes & qui feroient peu

à voftre aduantage, venants à la cognoiffance

d'vn chafcun ce que ie ne voudrois, encore que

ie ne puiffe auoir honte de m'eftre trompée en

vos doulces & belles paroles, n'eilant feule au

monde qui fuis tombée en tel accident; lequel

me pefe de fi longtemps fur le cœur -(que i'ay

trop contraire à toute infidélité pour le pouuoir

fupporter), que ie ne me fuis pu plus longtemps

empefcher de m'en plaindre à vous-mefme, où

ie ne veux aultre tefmoin que voftre confcience

pour iuger, felon voftre profeffion &eftat, le

tort que vous auez d'auoir vecu auec tant d'in-

gratitude & infidelité.

« le prie Dieu, monfieur de Pibrac, qu'il vous

rende l'aduenir plus confiant à vos amis.

Page 54: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. 4J

« I'oubliois à vous dire que i'ay fçeu qu'auez

dift à plufieurs que, lors que m'enuoiaftes ce bel

aduertiffement du mois de mars, ie vous auois

efcrit que i'auois faift va fonge que l'on me

tuoit, & que ie m'en eftois efueillée en apprehen-

flou & effroy. le m'eftonne comment vous auez

pu inuenter cela,car vous fçauez qu'il n'eft

point, & cependant vous l'auez faidt courre. le

vous prie, laffez-vous de ces offices; car ie me

laffe fort de les endurer. Voftre meilleure & moins

obligée amye.

« M. »

« Pibrac, dit M. Caboche, à qui nous emprun-

tons ces documents, n'essayera pas de lui répon-

dre légèrement et à la hâte, car il est malade

« quand il fera retabli, c'eft-à-dire dans fix ou

« fept iours, il entrera en plus longue confidera-

« tion & difpute des crimes & accufations dont fa

« lettre le charge. » Dans sa première douleur, il

ne veut lui dire que deux choses. Il la remercie

de lui avoir déclaré les occasions qu'elle avait de

le haïr; et il veut qu'elle tienne pour assuré

que, si en tant d'accusations « il recognoifjoit vn

«feul poinft

de faute en fon coeur.,il

fedonneroit

« luy-mefme d'vn poignard dans la gorge. » Elle

lui répond avec plus de calme et de sang-froid

Page 55: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

46 NOTICE.

elle n'oublie pas qu'elle est lamaîtresse, elle

garde sesavantages, et lui dit avec une dédai-

gneuse sécheresse « Vne iuftification feroit im-

« poffible. » Elle a voulu lui montrer quelle a été

sa conduite « Elle efpere que le fouuenir luy en

« eft tres-defagreable. » Puisqu'il est si souffrant,

qu'il n'a pu lui écrire sans faire tort à sa santé,

« ie ne doubte point que cefte maladie & l'impor-

« tunité du continuel exercice de mes fceaux ne

« fift beaucoup de tort à voftre faute, de laquelle

« n'eftant moins foigneufe que vous l'auez efté de

« mon repos, ie vous prie me renuoyer mes fceaux.» »

Et elle termine par le même souhait que Pibrac

avait placé à la fin de sa lettre « le prie Dieu,

« monfieur de Pibrac, qu'il vous donne ce qu'il

« cognoit vous eftre neceffaire. Voftre moins obli-

a gée amye.

« M. »

« Ce dur congé est daté du 25 septembre 158 1.

La réponse partit de Paris le ier octobre elle

reprend mot à mot toute l'accusation, se promet-

tant de n'apporter aucun artifice de langage, ni

ornement de paroles pour ne faire tort à la vé-

rité. Elle suit chaque reproche, souligne, partage

tous les griefs pour n'en pas oublier un seul, et

les suit pied à pied, s'efforçant de trouver expli-

Page 56: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. 47

cation et justification â tout. La pièce est longue,

on le comprend tien mais il y a une certaine

éloquence simple et soutenue, point trop labo-

rieuse, quoiqu'elle reprenne pas à pas la marche

d'un autre. Etd'abord,

la princesse n'a pas craint

de montrer au roi de Navarre l'accusation dont

il lui a plu l'accabler elle l'a montrée encore à

beaucoup d'autres. Il pourrait demander qu'une

pareille publicité fût donnée à ses lettres. Son

respect est tel qu'il n'en fera pas de même pour

ne point communiquer à personne les torts qu'il

va réfuter. Si elle veut continuer à le haïr, ce

sera par un jugement de Dieu qu'il n'est donné

ni à elle ni à lui de comprendre 1.

« Elle lui reproche d'avoir rapporté des paroles

comme ayant été tenues par le roi son mari, et

que ce prince a niées depuis. Pour lui, il a la

mémoire bonne « Il n'eft befoin de vous ramen-

« teuoir l'occafîon du dift propos, laquelle ie

o defire eftre enfeuelie d'vn éternel oubli mais

« ie puis dire auec honneur que lors Pau,

quand Marguerite voulait faire éloigner du Pin

qui prétendait lui retrancher la messe) « le

i. Voy. l'édition de M. Ch. Caboche. Il faut aussi con-

sulter l'édition des Mémoires et Lettres de Marguerite de

Valois, publiés par M. Guessard dans la collection de la

Société de l'Histoire de France.

Page 57: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

48 NOTICE.

« Roy voftre mary & vous, efiiez merueilleufe-

« ment paffionnés, vous, d'vne iufle colère

a luy, d'vn ennuy & fafcherie non petite; l'vn

« & l'aultre ne cognoffiez pas fi bien voftre mal

« que ceux qui eiloient pres de vous, & qui

<cescient tres-marris. Il n'y a rien auffi qui

« nous efloigne tant de nous-mefmes que ces fu-

« rieux bouillons de l'ame que nous appelons paf-

« fions; mais fi lors que l'orage fut paffé & le

<r temps deuenu calme,il fembla bon au Roy de

« Nauarre de ne recognoiftre point pour fiens,

« certains mots, que ie penfois auoir entendus

« & reçeus de fa bouche pour vous les redire ie

« n'en fçaurois eftre marry; ains fuis tres-aife

« d'en auoir eftédefaduoué, puis que le fruift

« de ce defaueu eftoit de vous vnir de plus en

« plus en l'amitié. »

a Voici un autre passage où il met assez bien

l'accusation en contradiction avec elle-même

« La contrarieté & répugnance des chofes, que

« vous m'imputez, monftre qu'il vous fuflît de

« me haïr, fans prendre ferme pied & fans fça-

e uoir à quoy vous arrêter. Choififièz l'vne ou

« l'aultre de ces deux accufations, s'il vous plaift;

« encore vous montreray-ie qu'il n'y en a pas

« vne, qui ne me foit honorable; car, s'il m'eft

« arriué de vouloir que vous demeuriez en Gaf-

Page 58: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. 49

7

<tcogne, de quoy pouuez-vous vous plaindre de

« moy en cela, puis que c'eft le moyen de ne

« vous point diftraire d'vne compagnie tant

« agreable à vous que celle du Roy, voftre mary?

« Si, au contraire, i'ay defiré de vous voir arri-

« uer en cefte Cour, comme ie confefie l'auoir

« faift, vous ne m'en deuez ni pouuez blafmer,

« puis que ie vous ay fouhaité pour quelque

« temps en vn lieu où les plus grandes affaires

« du monde fe defmeffent,' où voftre prudence

« peut plus reluire qu'ailleurs, où vous pouuez

« eftre plus vtile au Roy voftre mary qu'en

« quelque aultre part que ce foit & où vous eftes

« recognue pour digne inftrument d'entretenir

« l'amitié de vos freres, & par confequent procu-

« rer le bien & falut du Royaume. »

« Enfin, Pibrac se relève avec fermeté du dé-

dain de Marguerite. Il lui rappelle qu'il l'a bien

servie, qu'il n'a pas eu plus de dévouement pour

sesenfants qu'elle lui a un jour parlé comme à

un père. « C'eft, dit-il fièrement, ce qui m'at-

n trilte leplus, voyant le traitement que vous

« me faites car, fi ie feuffe entré en voftre fer-

« uice auec l'intention de la plus part de ceux qui

« feruent les Roys & lesPrinces, il ne me chau-

a. droit gueres de vous voir changer de volonté

« en mon endroit & receurois ce traift comme

Page 59: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

JONOTICE.

et chofe ordinaire, de laquelle on doit faire eftat

« des le premier iour du feruice. » Voici encore

un dernier sentiment qu'on regrette que Pibrac

n'ait pas plus t6t consulté et suivi <t Mon bien

« & mon honneur eftoit, Madame,de demeurer

« continuellement pres du Roy, puis qu'il luy plaift

« me faire celte grace de me voir de bonœil,

« comme vous fçauez qu'il faifoit lors que ie par-

« tis pour vous fuiure en Guyenne. L'occupation

t digne de mon aage ©* de ma profejjîon eftoit d'af-

« fifter ajjiduement au Confeil d'Eftat de Sa Ma-

« lifté) ou en fon Parlement, & noa de quitter fvn

« Or l'aultre exercice pour ouïr les plaintes de voftre

c pouruoyeur O* m'occuper en chofes beaucoup moin-

aares, lefquelles

neanmoins ien'ay iamais defdai-

c gnées pour voftre feruice. »

Il y a une grande amertume et une mélancolie

résignée dans le regret que Pibrac exprime de

s'être occupé a de choses moindres 0 que celles

qui devaient solliciter son intelligence. L'âme ai-

mante de Pibrac s'était sentie profondément

atteinte et blessée par l'ingratitude de Margue-

rite. Le président de Thou et Pierre Pithou, les

hôtes de Pibrac en son château, purent même

recevoir les amères confidences de ce cœur ulcéré.

On peut dire que le malheureux Pibrac, ainsi

soupçonné, injurié dans ses sentiments, attristé

Page 60: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. 51

par la façon dont Marguerite lui avait réclamé

ses sceaux, reçut là une première atteinte du mal

qui devait l'emporter. Dès lors, pris d'une sorte

de mélancolie sombre, ou plut6t d'une maladie

de langueur, après avoir essayé de suivre en qua-

lité de chancelier le duc d'Alençon enFlandre,

il revint à son château, à ses coteaux vineux et à

ses clairs ruisseaux de Pibrac, et, brisé par le

spectacle que lui donnait la patrie déchirée, il

semblait, le cœur broyé, désintéressé à jamais

des affaires publiques au point que son ami

Étienne Pasquier était forcé de lui conseiller de

rentrer aux affaires et de se résoudre 1 à viure

& mourir comme bon citoyen auec noftre Eftat. »

La tristesse de Pibrac en ces heures suprêmes se

fait jour dans une lettre datée de Cambrai (13 oc-

tobre 1583) et qu'il écrivait à l'ambassadeur du

duc d'Alençon dans les Pays-Bas, M. des Pru-

neaux 1. Les désillusions du conseiller lui dictent

d'assez cruels aveux a On promet auez, dit

Pibrac, mais quand il vient que les occafions

s'offrent & les moyens pour executer & accom-

plir ce que l'on apromis, il y a icy de fy bons

ouuriers d'excufes & de remifes de iour à autre,

que ie pers quafy efperance de tout, que l'on

i. Publiée par M. T. de Larroque.

Page 61: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

52 NOTICE.

obtienne aucung effed tant que vous ferez ab-

fent. C'eft grande pitié, Monfieur, & grand

creue-cœur de ferttir fy bien que vous faites,

& eftre fy mal recongneu. le ne vouldrois, Mon-

lieur, vous defcourager de demeurer encores au

lieu où vous eftes, & où ie fçay bien que vous prof-

fitez & feruez à fauuer noftre honneur, & excu-

fer nosfaultes, mais ie fçay bien auffy qu'il eft

impoffible d'y durer fans eftre aultrement affifté

& fecouru que vous n'auez efté iufques icy & que

ie n'efpere que vous ferez. Croyez, Monfieur,

que i'en reçois beaucoup de defplaifir & faites

moy ce bien de croire que ie vous feray toutjours

de bien bon cueur feruice, me recommandant

fur ce à voz bonnes graces. »

Mais c'est dans les Lettres éloquentes de Pas-

quier qu'il faut chercher la trace de ces mélanco-

lies patriotiques et l'écho des gémissements que

faisaient pousser à des hommes tels que l'Hos-

pital, Pasquier, Pibrac, les malheurs et les dis-

sensions de la patrie. « Il y a deux grands camps

par la France^ s'écriait douloureusement Pas-

quier. Et il voyait là le commeacement d'une tra-

gédie qu'il devinait profondément douloureuse.

Pibrac pensait de même, à coup sur, et cette

pensée lui tenait à l'âme. A l'apparence, il sem-

blait oublierà la vérité, il mourait de ses sou-

Page 62: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE.53

venirs. Le scepticisme aimable et tendre d'un

Montaigne peut faire prendre patience en des

temps pareils. La tristesse mâle et l'accablement

d'un Pibrac courbent lentement ceuxqui

en sont

attaqués.

Ainsi la santé de Pibrac s'était altérée d'une

façon irrémédiable. Acinquante-cinq

ans àpeine,

le27

mai1584,

cet homme probe et fier rendait

le derniersoupir, par

la violence defièvre,

dit un

contemporain 1,la même année

quePierre de

Foix;et l'auteur des Essais pouvait dire alors

« le nefçay

s'il refte à la Francedequoy

fub-

ftituer vne autre coupple pareille à ces deux Gaf-

cons2. »

i. F. PierrePain-et-Vin, docteur en théologie.

2. Il faut citer tout entier cet éloge de Pibrac par Mon-

taigne (Essais, 159$,1. III, ch. ix) « Ainsi en parloit

le bon monfieur dePibrac, que nous venons de perdre

vn efprit figentil,

les opinions fi faines, les mœurs fi

douces. Cetteperte,

& celle qu'en mefme temps nous

auons faifte de Monfieur deFoix,

font pertes importantes

à noftre couronne. le no fçay s'il refle à la France de-

quoy fubltituer vne autre coupple, pareille à ces deux

Gafcons,en fyncerité, & en

fuffifance, pour le confeil de

nos Roys. C'eftoycnt âmes diuerfementbelles,

& certes

felon lefiecle, rares &

belles,chacune en fa forme.

Mais qui les auoit logees en cet aage, fi defconuenables

& fi difproportionnees à noftre corruption, & à nos tem-

peftes ? n

Page 63: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

54 NOTICE.

IL

Nous avons, je crois, suffisamment fait con-

naître l'homme politique dans Pibrac; il nous

reste à parler du littérateur, c'est-à-dire de l'ora-

teur et du poëte. C'est peu de chose que l'élo-

quence pour la postérité. L'avenir ne peut tou-

jours comprendre ce qui a fait, aux yeux des

contemporains, le prix d'une harangue, l'irrésis-

tible force d'un discours. Le geste, le débit, la

voix, tout ce qui séduit et enflamme manque.

lafois, et l'on peut dire que, devant l'œuvre de

toutorateur, on devrait répéter le mot du rival

de Démosthènes parlant de l'orateur grec « Il

eût fallu entendre la bête féroce elle-même! »

Chez Pibrac, la a bête féroce », au dire des con-

temporains, était singulièrement attirante et

sympathique. L'orateur plaisait en lui par un mé-

lange de douceur et de conviction qui pénétrait,

seglissait, en quelque sorte, dans l'âme des au-

diteurs. C'est précisément à Démosthènes lui-

même, dont il n'eut jamais les foudres superbes,

qu'on le comparait le plus souvent, quelquefois

Page 64: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE.J5

pour lui donner le premier rang. Sainte-Marthe,

en ses Éloges des hommes illustres^ le regarde

comme le plus remarquable des orateurs de son

temps Omnem christianum orbem eloquentus sue

fama implevit. Du Vair lui reproche, il est vrai,

avec quelque raison, l'emploi trop fréquent, dans

ses harangues,des citations latines ou grecques,

qui alourdissent le discours et lui donnent je ne

sais quelle allure pédantesque mais ce défaut

n'était point particulier àPibrac; le XVIe siècle

tout entier le partagea avec lui, et non-seulement

les orateurs, mais les poëtes. Il semble, en effet,

que l'hellénisme qui emplit les cœurs au moment

de la Renaissance remonte aux lèvres sous la

forme de citations ou d'imitations. Il n'en est pas

moins vrai que le plus grand nombre des hommes

illustres du temps où vivait Pibrac se sont atta-

chés à célébrer son éloquence et sa séduction.

Du Bartas, dans la dédicace du poëme Le

Triomphe de la Foy (p. 128 des OEuvres complètes,

édition de 16 14), s'adresse ainsi au conseiller

du roi et célèbre à la fois en lui l'orateur et le

poëte

Miracle de nos iours, quand ta langue affinéePar l'vJage & k fens, parle au nom de nos Rois

Au Concile, au Tudefque, au fourré Polonnois,

Tu fair revoir le iour dl'eloquent Cynte.

Page 65: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

$6 NOTICE.

TufemblesvnNejïor,quandlafageparoleDansleConfeilpriuédenosmalheursdifcourtEtquanddugrandParisla fouueramcCourtT'oitdifputerdudroit?,titfemblesvnSceuole.

PuistaprofRomaineefgaleledouxJîyleDemouliméSalujle.EtquanddesdoflesSœursSurtoitpapierlijfétuverfeslu douceurs,Tumefaisfouuenirdugrauc-doiixVirgile.

Il y a bien là quelque exagération, mais du

Bartas n'est point le seul qui rende un tel hom-

mage à Pibrac, et ce grand et renommépoëte des

François, Pierre de Ronsard, comme l'appelle

Colletet, pour remercier Pibrac de son poëme de

la Vierustiquequ'il lui avait dédié par un sonnet,lui dédia à son tour le Tombeaude Margueritede

France, duchesse de Savoie.

Pibrac,grandornementdela bandepourprée,Encoresqu'auPalaisenlaChambredoréeDeuantlesSénateursluaisfaitefbranlerLecoeurdesauditeurspartondo3eparler,Sanst'efbranlertoy-mefme,ejïonnantl'ajfiftanceDesfoudresquitomboientdelaviueeloquanceEncoresquetavoixaitfaitplierfoustoyLesSarmatesfélonsharanguantpourtonRoy,Sansjamaist'tfmouuoirdetrifiejfeoudeioyeTuneliraspourtantcesversqueiet'enuoye,Sanst'efmouuoir,Pibrac,&peutefirepleurer,QuandlitverrasdesGrandsl'eflatfipeudurer:Vnvent,vnfonge,vitrien,&quetoutefortuneSoitdericheoudepauure,àchacuneflcommune.

Page 66: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. 57

8

Il lui adressa encore son Hymne des Eftoiles

qu'il finit ainsi

Pibrac, de la belle Garonne

Le dode éloquent nourriffon,

Dont an Ciel vole la Chanfon

Qnattd il nous chante fa Boconne.

Ce n'était pas tout, et, à dire vrai, Pibrac se-

rait le véritable fondateur de l'Académie fran-

çaise, ou du moins d'un essai d'Académie qui pré-

céda la fondation de l'Académie actuelle. Agrippa

d'Aubigné parle, dans son Histoire Universelle,

d'une assemblée que le roi faisait deux fois la

semaine en son cabinet (1576) pour « ouïr les plus

doftes hommes qu'il pouuoit, » et cette assemblée

qui ressemble si fort à une Académie, c'était Pibrac

qui s'était chargé de l'organiser. « Henri III

lui-même savait par cœur des vers de Ronsard,

dit un éditeur du poëte vendômois; et comme

il se piquait d'être un des orateurs les plus élo-

quents de sonroyaume, ayant voulu établir au

Louvre une assemblée qu'on appela l'Académie du

palais le premier qu'il choisit, après Pibrac auteur

de cetteentreprise^ fut Ronsard. Ceux qui y furent

ensuite appelés, furent le maître- des requêtes

Doron, Ponthus de Tyard évêque de Châlons,

Antoine de Baïf, Des Portes abbé deTyron, dont

Page 67: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

j8NOTICE.

la renommée commençait, Du Perron qui aspi-

rait au cardinalat, tout en composant des vers

amoureux,et enfin quelques dames qui avaient

étudié 1. » On s'imagine ce, qui devait s'échanger

de jolies choses dans cette assemblée qui fait

songer aux entretiens florentins de Boccace ou

aux promenades des poëtes sous les oliviers des

jardins de Boboli

Pibrac étaitdonc,

on le voit, fort apprécié de

ses plus illustres contemporains. L'Hospital, dont

il devait plus tard publier les poésies latines et

les écrits posthumes (la fille de Pibrac épousa

même l'un des petits-fils du chancelier), Ron-

sard, l'historien de Thou,combien d'autres,

appréciaient en lui la séduction du talent et la

droiture du caractère2.

x. Prosper Blanchemain, Vie de Ronsard. Bibliothèque

el\évirienne. Pp. 38-39 du t. VIII desŒuvres de Ronsard

(lib. A.Franck, 1867).

a. Il ne faut pas juger sans doute les hommes par les

pompeuses épitaphes de leurs tombes. Cependant on peut

retrouver sur ces monuments funèbres trace des senti-

ments professés pour les morts. Dans la Description histo-

rique etchronologique des monuments de

sculpture réunis

au Musée desMonuments français, par Alexandre Lenoir

(8 vol.in-8°,- Paris, an IX

1800), figure t.IV, p. 181,

parmi les monuments du xviesiècle,

le tombeau dePibrac,

transporté des Grands-Augustins an nouveau Musée des

Page 68: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. 59

Ce grand homme, comme on l'appelait, était

en même temps, comme la plupart des lettrés

Petits-Augustins. On nous saura peut-être gré de fixer

ici ce souvenir. L'épitaphe en latin donne des détails

exacts sur la vie et les mérites de notre auteur.

JV° r6o. Monument érigé à Gui duFaur, seigneur

de

Pibrac, président à mortier du parlement deParis,

« mort en1586, âgé de soixante ans,

avec un marbre

« sur lequel est gravé l'abrégé de sa vie en latin et de

a ses quatrains en vers français.

TUMULU9

VIDI FABRI PIBRACHII

Hàc teg untur cineres tantum, et ossa Vidi Fabri Pibra-

chü nomen ejus, virtusque spirat in ore et admiratione

populorum omnium, quosnon solùm orbis christianus, sed

oriens, et intima Scytharum ora vidit genus illi a

stirpe veterum Fabronum, quœ neminem habuit, in tàm

longa serie annorum plus quàm trecentorum, qui non aut

ex ordine senatoria in tog illustris, aut interfortes

rei militaris ac bellicae glorid famâque insignis fuerit;

ipse qui nasci abillis fortuitam neque ultrà duxit, cùln

per omnes iret dignitatum et honorum gradus, tribunal

emptum nummario pretio, nec insedit, nec appetivit

unquam; virtute non censu, meritorum astimatione, non

divitiarummagnitudine ratus censeri munus et religio-

nem judicantium. Sub Carolo IXprimum exprœtwra Tolo-

sana accitus in urbem et missus Tridentum (quo turn sa-

nandisformandisque rebus Ecclesics adversùs furentem

impietatem sectariorum convenerant secta Regnorum et

Provinciarum nominis christiani lumina) sic renuntidvit

summam imperatce legationis, sic Gallici nominis prœ-

Page 69: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

60 NOTICE.

ses voisins, un boa ltomme.Et cette double qua-lité de l'élévation de l'âme et de la tendresse

du cœur se retrouve dans ses vers, plus chargés

rogativam,Regisguesui jus, ac dignitatemfandi pru-dentiâet ubertateasseruit, ut cumgraticecausânihildiceret,omniatamenessentillic omnibusgrata quœdi-ceret illincreversum,non in priorisprovincialprœturaet magistratuotium,sedaltior honosad negotiatraxit,evectumad regiœadvocatiouismunusin altgustioreetprimario Galliœ totius senatu, ubi citmauctiorfamavirtutum in diescresceretet trioncpharetejus oratio,raptusest velutin selectioremet sanctioremillorumor-dinern,qui arcana regni et tacitas principis medita-tionescoguoscitac régit, et moxdeindèHenricoIII quemlune Poloni publico,solemni,comitiorumordinumqueregni sui decretoregemsibi renuntiarant,datus om-niumauctoracprincepsconsiliofum,quœsic temperavitarte,judicio,sapientiâqlte,ut breviprœterspemomnium,in tanta rerumdifflcultateavito eum Galliarumregnotuendorursùs incolumemet salvumreddiderit et quœ-rentesnihilominuspersecessionemPoloniceproceres,citi

se, regniquejura permutèrent aliquandiu interimin

prioris sacramentifide, et regis obsequiocontinuentfitmhisperfunctum,et redditumsibi, excepitrursumse-

natus, sed inter prœsidessuos, otiumquefecit, in quopatriis verbistetrasticisnumerisea suis vittsprœceplacomposuit,queeproptereximiamvitn sapientiœpopulo-rum omuiumsermonsversa teruntur,nonsineprœcipuaautorissteiapud Turcas,etiamet Barbarosveneratione.AdextremumquoqueFranciscoHenriciregis fratri mi-

nori, queminferiorisGermant populiducetn,ac prin-cipemsibi dixerant, a rege queestorsacri palatii, et

Page 70: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. 61

d'idées que de mots et sur lesquels, disait en-

core un contemporain; la rouille ni le temps ne

trouveroientquemordre. Il y a, en effet, une sève

toute particulière, une grâce piquante de lan-

gage unie à une pensée robuste, dans ces Qua-trains qui firent partie, durant un si long temps,de toute éducation solide. Cela est concis, ferme

et clair. On sent, à travers ces préceptes, la réso-

lution inébranlable de la vertu. Point de morgue,

point de puritanisme hautain tout au contraire,une morale accessible et humaine, mais sans fai-

blesse et sans compromis. On sent passer sou-

vent, à travers cesmâles enseignements, après la

douceur souriante d'un Horace, le souffle vigou-

cancellariussero missus(quie rebusjam desperatisacpenèeversis)cuminderedisset,morbodiemsuumgloriœplenusfelicilerclausitan. JSS4. 2 maii.

Aprèscette longueépitaphe,véritablebiographiedePibrac,on lisait, gravéssur le marbre,quatre de sesQuatrains,ceuxquicommencentainsi

Dieutoutpremier,puisPere&Merehonore.

HeureuxquimetenDieufouefpcrance

Il cjlpermisfouhaitervubonPrince.

Songelougtempsauantquedepromettre.

Page 71: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

62 NOTICE.

reux d'un Agrippa d'Aubigné ou l'accent amer et

profond de fAlceste de Molière. Ils ont surtout,

cesQuatrains^ une qualité inappréciable, une

vertu toute nationale. Ils sont francs et gaulois,

c'est-à-dire aussi éloignés de l'hypocrisie offi-

cielle inventée par notre temps que de la gouail-

lerie malsaine qui corrompt et déforme notre

tempérament français. L'horreur des atténuations

et le mépris de la plaisanterie vulgaire sont les

vertus maîtresses de ces hommes du xvie siècle,

résolus et convaincus comme Pibrac.

Il fut un temps, ai-je dit, où les Quatrains de

Pibrac étaient le complément obligé de toute

bonne éducation. Nos aïeux en faisaient leur

livre d'habitude et, comme ils disaient, leur épée

de chevet. Et non-seulement les hommes, mais

les femmes puisaient d'utiles enseignements dans

ces pages viriles. Madame de Maintenon nous

apprend qu'on lui enseignait la morale en prenant

Pibrac pour guide « On nous piaquoit, dit-elle,

un mafque fur notre nez, car on avoit peur que

nous ne nous balafrons, on nous mettoit au bras

un petit panier où étoit notre déjeuner avec un

petit livret des Quatrains de Pibrac, dont on nous

donnoit quelques pages à apprendre par jour avec

cela on nous mettoit une grande gaule dans la

main, & on nous chargeoit d'empêcher que les

Page 72: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE. 63

dindons n'allaitent où ils ne devoient point

aller 1. »

Je souhaiterais volontiers qu'on donnât encore

aux générations nouvelles de semblables précep-

teurs. Le libre esprit d'un Pibrac exhausserait,

en y pénétrant, les jeunes âmes. Les Quatrains

ont l'éloquence entraînante que donnent les fortes

convictions. Ce sont les enseignements d'un cœur

fier, d'une intelligence éveillée et loyale, qui a

beaucoup vu, profondément observé, et qui lègue

à ses descendants, sous une forme brève, le ré-

sultat de ses réflexions sur l'homme et sa destinée.

Et telle est la puissance de la droiture de la

pensée, que ces quatrains sont presque toujours

frappés à la bonne marque et solides parfois

comme l'airain. Quoi de plus fier et de plus

élevé que certains de ces préceptes

Les biens du corps, & ceux de la fortune,

Nefont pas biens, proprement:

Ils font fubieSs au moindrechangement

Mais la vertu demeure toufiours vne.

Voilà le précepte. Croyez-vous pourtant que

Pibrac mette son idéal dans un puritanisme im-

placable et dans une vertu surhumaine? Cette

vertu, il laveut, au contraire, accessible et pos-

1. Conseils et instructions aux Demoiselles, pour leurconduite dans le monde. (T. I, p. 98; édition Th. Lavallée.)

Page 73: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

64 NOTICE.

sible, praticable, en un mot, et telle que peut la

souhaiter un sage qui fait la part des faiblesses

humaines. Pibrac n'est pas pour rien un disciple

de Sénèque et la vertu qu'il demande à ses pro-

ches « giftj dit-il, entre les deux extrêmes. »

Entre le plusle moins

qu'il ne fault.

Non pas qu'il conseille ou qu'il accepte, je le

répète,la moindre concession. Pibrac estl'homme

qui écrit

Ayme l'honneur plus que la propre vie.

Et cet honneur, il sait bien en quels lieux on

peut le garder' intact; le conseiller des rois a

même sur la cour des opinions qui semblent se

rapprocher parfois de celles de cet amant de la

République, Etienne de la Boétie

le ne veis one prudence auec ieunejfe,Bien commander jans aaoir obey,

Ejlre fort craint, & n'ejlre point hay,

EJlre Tyran, & mourir de viellejfe.

Et encore

Ne voife au bal, qui n'aymera la danfe,

Nyau

banquet qui ne voudra manger,

Ny fur la filer qui craindrale danger,

Ny d la Courqui

dirrt cequ'il penfe

Tel est Pibrac un homme libre jugeant en

i Le grand Condé répétait souvent, nous apprend Dide-

Page 74: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE.6j

9

liberté les hommes et les rois, patriote d'ailleurs,

je le répète, soumis aux lois, aimant la France

et la voulant unie et grande, animé enfin, comme

tous ceux de son temps, d'une tendresse pieuse1

pour notre pays, tendresse qu'il fait passer dans

ses vers comme dans ses discours.

J'ai dit que cette poésie de Pibrac, où M. Feu-

gère trouvait à louer, avant tout, le souffle de

l'homme de bien; a rencontré, dans notre temps,

des critiques plus sévères qu'à l'heure de Ronsard

et de Du Bartas. A plusieurs reprises, par exemple,

Théophile Gautier, dans ses feuilletons et ses

livres, revient sur Pibrac, qu'il n'aime guère, et

parle avec ironie du ton sentencieux du conseiller

Mathieu, de Pibrac et de Publius Syrus. Une fois

même 2 il le compare à Hogarth qui, dit-il, « avec

rot, le quatrain de Pibrac sur la calomnie et ses cordil-

Ions

Quand vue fois cemonjlre

nous altache.

Beaumarchais n'a fait que développer, par la bouche de

Basile, la pensée de Pibrac.

i. C'est l'expression dont se sert un professeur et un

poëte, M. Emmanuel desEssarts, dans son éloquent dis-

coursd'ouverture, prononcé à la Faculté de Dijon (Cours

de littératurefrançaise), sur les

Origines de la poésie

lyrique en France au xvie siècle.(Dijon, in-8°, 1872.)

2. Voy. son livre deMélanges Caprices et ZigZags.

Page 75: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

66 NOTICE.

beaucoupde

talent fzt dela

peintureabominable. »

Puis, décrivant les tableaux si curieux d'Hogarth

qu'on voit à Londres, au National Gallery « On

y apprend, ajoute Théophile Gautier, tous les

inconvénients des ménages mal assortis, de la

mauvaise conduite et de l'ivrognerie, et autres

excellentes choses qui n'ont aucun rapport ni

avec le dessin ni avec la couleur; c'est de l'art

comme lesquatrains

de Pibrac sont de lapoésie.

»

Voilà ce que je nie, et je ne comprends point

même qu'il soit venu à l'idée de comparer les

compositions ironiques d'Hogarth, ce satirique

en peinture, cet amer et étonnant faiseur de

caricatures au pinceau, avec les Quatrains de

Pibrac, si fermes, si nets, si droits, et qui font

songer,si je puis dire, à quelque mâle leçon de

morale débitée par un ancêtre encore recouvert

de son armure. Ces Quatrains, oh le génie fran-

çais ce génie de la clarté et de la raison

parle un langage si simple et pourtant si

altier, ne sont point les seules poésies que nous

ait laissées Pibrac. De fort beaux sonnets sur

les Damesromaines, son poëme inachevé des

Plaisirs de la. Vierustique, ses quatrains presque

introuvables de la Manière de se comporter pour

entrer en mariage avec une demoiselle composent un

livre assez mince, mais un livre précieux et plein

Page 76: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE.67

de sève 1. On regrettera avec nousque Pibrac

n'aitpas

achevé son curieux poëme rustique,si

intéressant pourses indications sur la vie rurale

au XVI" siècle et siattrayant

de ton et decou-

leur. Rien deplus

savoureux que ce tableau d'in-

térieur sicomplet

et si vrai. C'est la mise en

scène du labeur honnête etrécompensé. La

Bruyère, plus tard,nous peindra les

paysansaux

champs,écrasés de

fatigue,abrutis sous la tâche

quotidienne.Pibrac nous les montre quasi joyeux

de leur travail ets'asseyant,

heureux etpleins

d'appétit,bravement affamés,

autour de latable,

aprèsla

journéebien remplie.

>

L'art rustique était fort à la mode alors. Ces

gensaltérés de

guerres, préoccupésde

politique,

le cerveau chargéde

pensées sombres,souhai-

taient presque tous,aux heures de rêves et de

i. aBouchet, Sérée i6, semble attribuer à Pibrac un

ouvrage intitulé Banquet, où celui qui donne le repas a

nom Colin,et sa femme Marion. Il Cette indication que

reproduitM.

Tamizey deLarroque à la fin de sa publi-

cation de la Vie dePibrac, par Colletet, n'a aucune rai-

son d'être maintenue. LeBanquet où figurent ce Colin et

cette Marion n'est en effet autre chose qu'un fragment du

poëme sur la Vierustique. On remarquera qu'un autre

personnage de cepoëme,

lepaysan patriote, s'appelle

Michaut, comme le héros de la Partie de chasse de

HenriIV,

de Collé.

Page 77: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

68 NOTICE.

désirs, quelque coin de forêt, une maisonnette, un

peu d'ombre, un abri lointain où rêver en ou-

bliant. Ils avaient soif de repos, de verdure, de la

bonne odeur des foins coupés ou de la terre fraîche

retournée. Philippe des Portes, Claude Binet, Nico-

las Rapin lui-même, le faiseur de satires, rimaient

des vers champêtres. Ils se reposaient d'Amadis

et de Pétrarque, autant que des huguenots et des

Guises, avec Colin et Marion. Et qui peut se vanter

ensuite d'avoir inventé le sentiment de la na-

ture et ce qu'on a appelé le réalisme? Voilà com-

ment, avec quel soin, Pibrac décrit ses humbles

héros c'est Marion qui, levée

Au poind du iour s'en va dans fort iardin cueillir

Des choux ou des porreaux pour les mettre bouillir:

Apres dans fon mortier vn peu de fafran broye,

Et tire du chertzier vn petit moruau d'Oye,

lette tout daru qu'elle met fur le feu,

Du vent de fon poulmon allumant peud

peu

Les buchettes qu'elle a es taillis amajjfees.

Ce n'est rien et c'est un tableau charmant que

le profil de cette paysanne soufflant le feu « du

vent de son poumon » et enflant ses joues comme

une ménagère de Téniers. Je ne sais, mais il me

semble voir là quelque rustique et robuste scène

comme en peignaient, non-seulement les Fla-

mands, mais quelques-uns de nos peintres fran-

Page 78: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE.69

çais, les frères Le Nain, par exemple. Cette poésie

pittoresque de Pibrac me donne exactement l'im-

pression de leur peinture.

Pibrac ne se contente point, d'ailleurs, de re-

tracer ces détails de mœurs rustiques. Tout à

coup son langage s'élève et il place sur les lèvres

d'un de ces paysans les paroles mêmes que ses

propres préoccupations lui dictent à toute heure.

C'est Michaut, qui, de bien loin l'avenir connaissant,

interrompt tout à coup les plaisirs champêtres 1, et

spudain s'écrie, alarmé et plaintif

Ne verrons nous iamais ce pays en repos

Mes amis, ce dit-il, hdlas qu'efi devenue

De nos premiers ayeuls la prudence cognuë;

Faut-ilque

nousfoyons encores en danger

De voir nos champs couuerts du foldat eflranger.

Douze ans y a & plus que par no/Ire folie

Nour fommes le iouet d'Efpagne & d'Italie,

Et le butin certain du reiRre empiflolé;

Qui non encores faoül des biens qu'il a volé

A peine en fa maifon des chariotsdefcharge

Qu'il s'apprête à venir faire nouvelle charge

Va Collinprouigner tes

vignes maintenant,

Pour malgré toy feruird'enyurer l'Alemand,

Sois foigneux du trouppeau et du labeurchampejlres,

Tes moutons 6 guérets changeront bien demaifires,

1 Il serait curieux de rapprocher ce poëme de Pibrac

de la Pernette de M. Victor deLaprade, qui commence

à peu près demême,

et du poëme d'un ton si pénétrant

de M. Joseph Autran, La Vie rurale.

Page 79: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

7° NOTICE.

Car Dieu efl contre nous iujlement irritl

Et pir que nous aurons, nous auons mérité!

Ne reconnaît-on pas, dans ces amères et fortes

paroles, qui font songer aux Tragiques de d'Au-

bigné, l'accent intime, le cri de détresse person-

nelle de ce même Pibrac qui, mourant, languis-

sant, pouvait, lui aussi, s'écrier comme Pierre

Pithou sur son lit de mort « 0 pauvre patrie,

que de nouveaux maux je prévois pour toi »

On le voit, la lecture de telles œuvres est sou-

verainement saine et fortifiante. Une semblable

nourriture intellectuelle serait la viande noire qui

referait une santé à notre France. Des hommes

comme Pibrac sont nos contemporains par toutes

les pensées qui les agitent; ils sont nos supé-

rieurs par la bonté et le caractère. Les problèmes

redoutables de la religion et de la politique, ils

les ont étudiés comme nous comme nous ils ont

essayé de les résoudre, mais plus que nous ils

ont compris que l'avenir était à ceux qui savent

se dévouer, se sacrifier et obéir. Indomptables

dans leur foi, ils avaient su établir la discipline

dans leur vie. Ce furent là les grands Français,

les dignes et vaillants ancêtres des hommes

du xvme siècle. Ce qu'ils souffrirent à la vue de

leur patrie misérable, ils nous l'apprennent dans

leurs écrits, dans leurs poésies, dans leurs lettres

Page 80: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTICE.71

privées, et nous retrouvons là l'expression même

de notre propre souffrance. Aussi comme nous

les aimons dès que nous les étudions d'un peu

près! Ce sont nos compagnons, nos vrais con-

seillers, et la morale qu'ils enseignent est à la

fois simple et droite elle tient dans quelques

mots, les plus fiers du monde patrie, honneur et

devoir.

Il y avait donc un double intérêt à rééditer au-

jourd'hui les œuvres de Guy du Faur de Pibrac.

Poëte, il mérite notre éloge; citoyen, il a con-

quis pour toujours notre admiration. Un tel

homme serait encore populaire tout autre part

que chez nous mais nous avons semblé trop long-

temps dédaigneux de nos gloires et il a fallu les

plus dures épreuves pour nous rappeler combien,

dans le passé de notre France, nous négligions de

richesses littéraires et nous méconnaissions de

grandeurs morales. Désormais Pibrac sera remis

au jour, et puisse la lecture de ces Quatrains pro-

duire sur ceux qui ne les connaissaient point

l'effet des Psaumes de David sur Pibrac lui-même

qui, au dire d'un de ses biographes, en tira

« tout le suc et la moelle » pour en nourrir son

âme, où ils étaient gravés.

La partie bibliographique de l'édition présente

Page 81: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

72 NOTICE.

est l'œuvre de M. E. Courbet, à l'érudition du-

quel nous devons déjà une bonne édition de

Régnier et la réédition des Dialogues de Tahureau

et des Gayetés d'Olivier de Magny. M. Courbet

a revu les Quatrains de Pibrac sur l'édition prin-

ceps que nous possédons, et il a ajouté à cette

réimpression des observations et des notes qui la

complètent. C'est un monument de choix que nous

avons voulu élever à Pibrac, et c'est une de nos

satisfactions personnelles d'avoir travaillé à re-

mettre en lumière un homme que nous aimions

depuis si longtemps.

JULES CLARETIE.

Juillet 1873.

Page 82: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

LES

QVATRAINS DV

SEIGNEVR DE PYBRAC,

CONSEILLER Dv Roy EN

fon Confeil priué:

Contenans preceptes C enfeignemens vtiles pour lz

vie del'homme

de nouueati mis en leur ordre &

augmente^ parledicl

Seigneur.

APARIS,

De l'Imprimerie de Federic Morel

Imprimeur ordinaire du Roy.

M. D. LXXXIIII.

AuecPriuilege dudill

Seigneur.

Page 83: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

C4V LECTEVTl.

le n'ay tafchécet œuurefaconnerD'vnftyle doux, à fin qu'il puiffeplaireCar auffibienn'entens-iele donner

Qu'à ceux qui n'ont foucyque de bienfaire.

Page 84: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

Quatrains du Seigneur de Pybrac

Confeiller du Roy en fon

Confeil priué.

D IEV tout premier}puisPere O"Merehonore:Sois iufte & droia & en toutefaifonDe l'inngcentpren en main la raifonCar Dieu te doit la haut itiger encore,

II.

Si en iugeant la faueur te commande,Si corrompupar or oupar prefens.Tu fais iufticeau gré des CourtifansNe doutepoint queDieu ne te le rende.

III.

Auecle iour commenceta iournee,De l'Eternel le faina nombenijfantLe foir auffi ton labeurfinijant,Louë-leencor'j & paffe ainfi l'annee.

Page 85: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

76 QVATRAINS.

IIII.

Adoreajjls}commele Grecordonne,Dieu en courant ne veulteftrehonoréD'vn ferme cœuril veulteftre adoreMais ce cueurlà il fault qu'il nous le donne.

v.

Ne va difant; ma main a-faift ceftœuure}Ou ma vertu ce bel auure a parfaittMais dis ainf; Dieupar moy l'œuurea faitt,Dieu eft Vautheurdupeu de bienquei'œuure.

VI.

Tout l'vniuersn'eft qu'vnecité rondeChacuna droia de s'en dire bourgeois,Le ScytheC More autant que le GrégeoisLeplus petit que leplus grand du monde.

VII.

Dans lepourpris de ceftecité belleDieu a logé l'hommecommeen lieufain£l}Commeen vn Temple;ou luy mefmess'eftpeinaEn mil endroiûsde couleurimmortelle.

VIII.

Il n'y a coingfi petit dans ce templeOu la grandeur n'apparoiiJede DieuL'hommeeftplanté iuftemeritau milieu}A fin quemieuxpar tout il la contemple.

Page 86: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

QVATRAINS. 77

IX.

Il nefçauroit

ailleurs mieux la cognoiftre

Quededans

foy,où comme en vn miroir

La terre ilpeut

© le ciel mefme voir,

Car tout le mondeeft compris

en fon eftre.

x.

Quia de

foy parfaiéle cognoijfance,

N'ignorerien de ce

qu'il fault fçauoir

Mais le moyen ajfeuréde

l'auoir,

Eft fe mirer dedansla fapience.

X

Ceque

tri vois de l'hommen'eft pas l'homme,

C'eftla

prifonoù il

eft enferré

C'eftle tombeau où il

eft enterré,

Le lia branlant où il dort vn courtfomme.

XII.

Cecorps moi-tel,

où l'œil rauy contemple

Mufcles &nerfs,

lachair,

lefang}

lapeau,

Cen'eft pas l'homme,

ileft beaucoup plus beau,

AuffiDieu l'a

referué pour fon temple.

XIII.

A bienparler,

ceque l'homme on

appelle,

C'eft va rayon de la diuinité

C'eft va atomeefclos de l'vnitè

C'eft vndegout de la fource eternelle.

Page 87: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

78 QVATRAINS.

XIIII.

Recognoydonc, homme,ton origine,Et braueSr haut dedaigneces bas lieux,Puis quefleurir tu dois la-haut és cieux,Et quetu es vneplante diuine.

xv.

Il t'eftpermist'orgueillir dela race,Non deta mère,ou tonpere mortel,Mais biendeDieu ton vray pere immortel,Qui t'a mouléau mouledefa face.

XVI.

Au cieln'y a nombreinfiny d'Idees;Platon s'eft trop encelamefconté:De noftre Dieu lapure volonté

Eft lefeul mouleà toutes chofesnees.

XVII.

Il veut, c'ejlfaiêl fans trauail Orfans peineTousanimaux, iufqu'au moindrequi vit,Il a creé,lesfouftient, lesnourrit,Et les deffaiëldu ventdefon haleine.

XVIII.

Haujfe tesyeux la voutefufpendue,Cebeaulambris de la couleurdeseaux,Cerondparfaicl de deux globesiumeaux,Cefirmament efloignéde la veuë

Page 88: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

QVATRAINS. 79

XIX.

Bref cequi eft, qui fut,

&•qui petit eftre,

Enterre;

enmer,

auplus caché.des cieux,

Sitoft que

Dieu l'a voulu pourle

mieux,

Toutauffi toft

il a receu fon eftre.

x x.

Ne vafuiuiznt

letroupeau d'Epicure,

Troupeau vilain, qui blafphemeen tout

lieu,

Et mefcroyant ne cognoift autre Dieu

Quele fatal ordre de la Nature.

XXI.

Et cependant

il fe veautre &patouille

Dans vnbourbier puant

de touscofteç,

Et dit limon des fales volupté^

Ilfe repaijl,

comme vne ordegrenouille.

XXII.

Heureuxqui

met en Dieufon efperance,

Etqui l'inuoque

enfa profperité

Autant ouplus qu'en fon aduerfité,

Etnefefie

en humaineajfeurance.

XXIII.

Voudrois tu bien mettreefperance feure

En ce qui eftimbecille & mortel?

Leplus grand Roy du monde

n'eft que tel,

Et abefoin plus que toy qu'on l'ajfeure.

Page 89: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

80 QVATRAINS.

XXIIII.

De l'hommedroitt Dieu eft la fauaegardeLors quede tous il eft abandonné,C'eft lorsquemoinsil fe trouue eftonné,Car il fçait bienqueDieu lors plus le garde.

xxv.

Les biensdu corps; }&ceux de la fortune.Nefont pas biens, à parler proprementIls font fubieâls au moindrechangementMais la vertudemeuretoufioursvne.

XXVI.

Vertuqui gift entre les deux extrêmes,Entre le plus &"le moinsqu'il nefault.,N'excedeen rien; &"rien ne luy default,D'autruy n'emprunte;& fuffit à foymefmes.

XXVII.

Qui te pourroit, Vertu, voir toute nue,0 qu'ardemmentdetoyferoit efprisPuis qu'en tout tempslesplus rares efpritsT'ont failïl l'amour au trauers d'vnenue!

XXVIII.

Le fagefils eftdu pere la ioyeOr j tu veuxcefage fils auoir,Dreffe le ieuneau chemindu deuoirMais ton exempleejl laplus courtevoye.

Page 90: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

QVATRAINS. 81

XXIX.

Si tu es né, enfant, d'vn fage pere,Quenejuis tu le cheminia battu?

S'il n'eftpas tel, quene t'esforces tu,En bienfaifant, couurir ce vÎtupere?

xxx.

Cen'eftpas peu, naiffant d'vn tige illuftre,Eftre efclairépar fes anteceffeursMais c'eft bienplus luire fes fuccejfeursQuedes ayeuxfeulementprendre luftre.

XXXI.

Iufqu'au cercueil,monfils, vueillesapprendre,Et tienperdu le iour qui s'eftpaffé,Si tu n'y as quelquechofeamaffé,Pour plusfçauant & plus fage te rendre.

XXXII.

Le voyageurqui hors du cheminerre,Et, efgaré, fe perd dedansles bois,AudroiÛcheminremettretu le dois

Et, s'il eft cheu,le relmer de terre.

XXXIII.

Aymel'honneurplus queta proprevieI'entens l'honneur, qui confifteau deuoir;Querendreon doit, felon l'humainpouuoir,A DIEV,au Roy, aux Loix, fa Patrie.

11

Page 91: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

82 QVATRAINS.

XXXIIII.

Ceque tu peux maintenant nediffereAu lendemaincommelespareffeuxEt garde aujfi quetu ne fois de ceux

Quipar autruy font ce qu'ilspourroientfaire.

xxxv.

Hante les bons,des mefchansne t'acointe.Et mefmementen la ieunefaifon}Quel'appetitpour forcer la raifonArmenosfens d'vnebrutalepointe.

XXXVI.

Quandau cheminfowchu de cesdeux DamesTu te verrascommeAlcidefemond}Suy cellela quipar vn afpre montTe guideau ciel, loing desplaifirs infâmes.

XXXVII.

Ne mets ton pied au trauers de la voyeDu panureaueugle}&"d'vn piquant proposDe l'hommemort ne troublele reposEt du malheurd'autruy nefay ta ioye.

XXXVIII.

En ton parler fois toufioursveritable;Soit qu'il te faille en tefmoignageouyr}Soit quepar fois tu veuillesrefiouirD'vn gay propos tes hoflesà la table.

Page 92: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

QVATRAINS. 83

XXXIX.

La Veritéd'vn Cubedroifl fe forme,Cubecontraireau leger mouuementSonplan quarré iamaisnefe démentjEt entout fens a toufioursmefmeforme.

XL.

L'oyfeleur catitfe fert du doulx ramageDes oyfillons,f2' contrefait leur chant

Au.Si, pour mieuxdeceuoir,le mefchantDes gens de bienimite le langage.

vXLl.

Cequ'enfecret Ion t'a dit ne reueleDes fai6ls d'autruy nefois trop enquerant.Le curieuxvolontierstoujours mentL'autre meriteeftredia infidele.

XLII.

Fay pois efgal, & loyalemefure,Quandtu deuroisde nul eftreapperceuMais leplaifir quetu auras receu,Ren le toufiours auecquesquelquevfure.

XLIII.

Garde, foigneux, le depoftà toute heureEt quandon veult de toy le recouurer}Ne va fubtil desmoyenscontrouuerDans vnpalais à fin qu'il te demeure.

Page 93: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

84 QVATRAINS.

XLIIII.

L'hommedefang tefoit toufioursenhayne;Huefur luy}commefait le bergerNumidienfur le Tygre leger;Quivoit de loing enfanglanter la plaine.

XLV.

Cen'eftpas tout nefaire cinul outrage,Il fault deplus s'oppofer à l'effortDu malheureux,quipourchaffela mort,Ouduprochain la honte C le dommage.

XLVI.

Qui a defird'exploiterfa prouejfe,Domtefon ire} & fon ventre, &"ce feuQuidans nos cueurss'allumepeuà peu;Soufflédu vent d'erreur & depareffe.

XLVII.

Vaincrefoymefmeeft la grandeviBoireChacuncherfoy logefes ennemis;Quipar l'effort dela raifon foubmis,Ouurentlepas à l'eternellegloire.

XLVIII.

Si ton amy a commisquelqueoffenfe;Ne va foudaln contre luy t'irriterAins doucement,pour ne le defpiter,Fay luy ta plainte, & reçoyfa defenfe.

Page 94: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

QVATRAINS. 85

XLIX.

L'hommeeft fautif nul viuant nepeut dire

N'atloir failly és hommesplus parfaiCls.Examinant & leursdicls & leursfaiÛs,Tu trouueras fi tu veux, à redire.

L.

Voyl'hypocriteauecfa trifle mine,Tu leprendroispour l'aifné des Catons,Et ce pendanttoutenuiâ à taftonsIl court, il vapour tromperfa voyfine.

Ll.

Cacherfon viceefl vnepeineextrême,Et peineen vain fay ce quetu voudras,A toy au moinscacherne te pourrasCar nul nepeult fe cacherà foy mefme.

LU.

Ayede toyplus que des autres honte,Nul plus quetoy par toy n'eft offenféTu doispremier,fi bieny as penfé,Rendredetoy à toy mefmele compte.

LIII.

Point ne te chaïlle eftrebon d'apparence,Mais biende Veftreà preuue & par effeûContrevn faulx bruit que le vulgairefaift.Il n'eftrampart tel quela confcience.

Page 95: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

86QVATRAINS.

LIIII,

Al'indigent monjlre toy fecourable,

Luy faifant partde tes biens à

foifon

Car Dieu benit &" accroit la maifon

Qui apitié

dupauure miferable.

LV.

Làs!que te fert tant d'or dedans ta

lourfe}

Au cabinet maint richeveftement,

Dans tesgreniers tant

d'orge& de

froment,

Et de bon vin dans ta caue vne fource

LVI.

Si cependant

lepauure

nudfriffonne

Deuant tonhuys}

&"languiffant

defaim,

Pour touten fin

n'aqu'vn

morceau depain,

Ou s'en relia fans querien on luy donne?

LVII.

Astu} cruel,

le cœur de t-elleforte)

Demefprifer

lepauure infortuné)

Qui,comme

toy} eften ce monde

né,

Et,comme

toy,de Dieu

l'image porte?

LVIII.

Le malheurejl

commun à tous leshommes,

Et mefmement aux Princes & aux Roys

Le fage fml eft exemptde ces loix

Mais oueft-il, làs, au jecle

ou nous fommes?

Page 96: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

QVATRAINS. 87

LIX.

Le fage eft libreenferrédecentchaînes,Il eftfml riche, & ia.ma.iseftrangerSeulaffeuréau milieudu danger,Et le vray Roy desfortunes humaines.

LX.

Le menafferdu Tyran ne l'eftonaePlus fe roidit quandplus eft agité:Il cognoiftfeul cequ'il a merité,Et ne l'attend hors defoy deperfonne.

LXI.

Vertuésmœursne s'acquiertpar l'eilude,Ne par argent, nepar faueur des Roys,Ne par vn acle,ou par deux, oupar trois,Ainspar confiante& par longuehabitude.

LXII.

Quilit beaucoup,& iamais nemedite,Sembleà celuyqui mangeauidement,Et de tous metsfurclrarge tellementSon efiomach,querien ne luyprofite.

LXIII.

Maint vn pouuoitpar tempsdeuenirfage,S'il n'euflcuidél'eftreia tout à faitt,Quelartifant fut onc maiftreparfaift,Du premieriour de fonapprentis-age?

Page 97: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

88 QVATRAINS.

LXIIII.

Petite fource ont les groffesriuieres

Qui bruitfi haut à fon commencementN'a pas long cours nonplus quele torrent)Quiperdfon nomésprochainesfondrieres.

LXV.

Maudit celuyqui fraude la femence;Ouqui retient lefalaire promisAu mercenaire ou qui defes amisNe fe fouuient jnon en leurprefence.

lxvi.

Ne te pariure en aucunemanièreEt fi tu es contraintefaire ferment,Le cielne iure}ou l'homme ou l'element,Ainspar le nom de la caufepremiere

LXVII.

Car Dieu qui hait lepariure exécrable^Et lepunit commeil a mériteNeveult que Ion tefmoigneveritéPar ce qui eftmenfongerou muable.

LXVIII.

Vnart fans plus, en luyfeul t'exercite.Et du metierd'autruy ne t'empefchant,Va dans le tien le parfaiEtrecherchantCar excellern'eft pasgloirepetite.

Page 98: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

QVATRAINS. 89

12

LXIX.

Plus n'embrajfer queIon ne peut eftraindre

Auxgrands

honneurs conuoiteuxn'afpirer

Vferdes

biens,} & ne les defirer:

Ne fouhaiterla

mort}C ne la craindre.

LXX.

Il ne fault pasaux

plaijrsde la couche

Dechafleté reflreindre

le beau don

Et cependant

liurer à l'abandon

Sesyeux, fes mains }f on

oreille& fa

bouche.

LXXI.

Hâ le durcoup qu'eft celuy de l'oreille!

On en deuientquelquefois forcené

Mefmesalors

qu'ilnous

eft ajfené

D'vnbeau parler plein

de doulce merueille.

LXICII.

Mieulx nous vaudroit des aureillettesprendre)

Pour nous fauuerde ces

coups dangereux

Par là s'armoient lesPugils valeureux,

Quand furl'arene il leur falloit defcendre.

LXXIII.

Cequi

en nouspar

l'oreillepénètre,

Dans le cerueau coulefoudainement,

Et nefçaurions y pouruoir autrement,

Que tenantclofe

au malcefte feneftre.

Page 99: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

90 QVATRAINS.

LXXIIII.

Parler beaucoupon nepeut fans menfonge,Oupour le moinsfans quelquevanitéLeparler brief conuientIl vérité.Et l'autre eftpropre Il la fable C au fonge.

LXXV.

Du Memphienla graue contenance,Lors quefa boucheil ferre auec le doigt,Mieulx quePlaton enfeignecommeon doitReueremmenthonorerlefilence.

LXXVI.

CommeIon voit, Il Vouurirde la porteD'vn cabinetRoyal, maint beautableau,Mainte antiquaille, & tout ce quede beauLe Portugais desIndes nous apporte

LXXVII.

Ainfideflorsque l'hommequi médite,Et eftfçauant; commencede s'ouunr,Fn grand threfor vient Ilfe defcouurirjThrefor caché au puis de Democrite.

LXXVIII.

On diElfoudain, voila qui fut de Grece,Cecyde Rome, & cela d'vn tel lieu,Et le derniereft tiré de l'Hebrieu,Mais tout enfommeeft remplydefageffe.

Page 100: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

QVATRAINS. 91

LXXIX.

Noftreheur,pour grand qu'ilfoit nousfemblemoindreLes cepsd'autruy portent plus de raifinsMais quant aux maulxquefouffrentnosvoyfins,C'eftmoinsquerien;ils ont tort des'enplaindre.

LXXX.

A l'enuieuxnul tourmentie n'ordonne,Il ej?defoy le iuge le bourreauEt nefut onc deDENISle Toreau

Supplicetel, queceluyqu'il fe donne.

LXXXI.

Pour bienau vif peindrela Calomnie,Il la faudroit peindrequand on la fentQuipar bon heur d'elle nefe rejfent,Croirenepeult quelleeft ceftefurie.

LXXXII.

Elle nefaifl en l'air fa refidence,Ny foubs les eaux, ny au profond desboisSa maifon eft aux oreillesdes Roys;D'où ellebraue&Jleftrit l'innocence.

LXXXIII.

Quandvnefois ce monftrenous attache}Il fçait fi fort fes cordillonsnouerQuebienqu'onpuiffe en fin les defnouër,Reftenttoufiourslesmarquesdel'attache.

Page 101: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

92 QVATRAINS.

LXXXIIII.

luge ne donneenta caufefentence:Chacunfe trompeenfon faiEhaisémentNojire intereftforce le iugement;Et d'vn coftéfait! pancher la balance.

LXXXV.

Deffus la loy tes iugemensarrefie}Et nonfur l'homme ell'fans affedion}L'hommeau contraire efipleindepafjlonL'vn tient deDieu, l'autre tient de la befte.

LXXXVI.

Le nombrefaintl fe iugepar fa preuuc}Toufioursegal}entierou defpartyLe droi6laufji enAtomesparty}Semblableà foy toufioursegal fe treuue.

LXXXVII.

NouueauVlyjfeapprendu long voyageA gouuernerIthaque en equitéMaint vn a Scylle & Charybdeeuité,Quiheurteau port; & cherfoy faiSi natifrage.

LXXXVIII.

Songelong tempsauant quedepromettreMais fi tu as quelquechofepromis;Quoyquecefoit, & fuft-ce aux ennemisDe l'accompliren deuoirtefaut mettre.

Page 102: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

QVATRAINS. 93

LXXXIX.

La loy foubs qui l'eftat fa force a prife,

Garde labien, pour goffe qu'elle foit

Le bon heur vient d'où Ion nes'apperçoit,

Et bien fouuentde ce

queIon

mefprife.

LXXXX.

Fuyierme vieil de Circe le

bruuage:

N'efcoute aujjldes Serenes les

chants,

Car enchanté tu courroispar

leschamps,

Plus abruty qu'vne befle fauuage.

LXXXXI.

Vouloir ne fault chofe queIon ne

puiffe}

Etne pouuoir que

celaque

Iondoit,

Mefurant l'vn & l'autre parle

droit;

Sur l'eternel moule de laIufiice.

LXXXXII.

Changerà

coupde loy &

d'ordonnance,

En failt d'eflat eftvn

pointi dangereux

Etfi Lycurgue en ce

poinSt fut heureux;

Il ne fault pas en faire confequence.

LXXXXIII.

Ie hay cesmots,

Depuiffance abfoluë,

Deplein pouuoir De propre mouuement

AuxfainEls Decrets ils

ont premièrement,

Puis à nosloix, lapuiffance

tolue.

Page 103: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

94 QVATRAINS.

LXXXXIIII.

Croire leger, & foudain fe refoudre,

Ne difcerner les amis des flateurs

Ieune confeil, C nouueaux fer tuteurs

Ont mis fouuent les hauts eftats en poudre.

LXXXXV.

Difflmuler eft vn vice feruile,

Vice fuiuy de la deJ1oyauté:

D'où fourd és cueurs des grands la cruauté,

Qui aboutit à la guerre ciuile.

LXXXXVI.

Donner beaucoup fied bien à vn grand Prince,

Pourueu qu'il donne à qui l'a merité)

Par proportion) non par equalité,

Et que ce foit fans fouler fa prouince.

LXXXXVII.

Plus que Sylla c'eft ignorer leslettres,

D'auoir induit les peuples à s'armer

On trouuera les voulant defarmer;

Que de fubieEls ils font deuenus maijîres.

LXXXXVIII.

Ry fi tu veux vn ris de Democrite,

Puis que le monde eft pure vanité

Mais quelquefois touché d'humanité.

Pleure not maux des larmes d'Heraclite.

Page 104: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

QVATRAINS. 95

LXXXXIX.

A l'eftranger fois humain &1 propice.

Et s'il fe plainél incline à fa raifon

Mais luy donner les biens de la maifon,

C'eft faire aux tiens & honte & iniuftice.

c.

Je t'apprendray, fi tu veux, en peu d'heure,

Le beau fecret du breuuage amoureux

Ayme les tiens, tu feras aymé d'eux:

Il n'y a point de recepte meilleure.

CI.

Crainte qui vient d'amour &reuerence,

Eft vn appuy ferme de Royauté

Mais qui fe faiCl craindre par cruauté,

Luy mefme craint, & vit en deffience.

Cil.

Qui fçauroit bien que c'eft qu'vn Diadéme,

Il choifiroit aujji toft le tombeau,

Que d'affeubler fon chef de ce bandeau

Car aujji bien il meurt lors à foymefme.

CIII.

De iour, de nuiêt, faire lafentinelle,

Pour le falut d'autruy toufiours veiller,

Pour le public fans nul gré trauailler,

C'eft en vn mot ce qu'Empire i'appelle.

Page 105: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

96 QVATRAINS.

CIIII.

le ne veis onc prudence auec ieuneffe,Bien commander fans auoir obey,

Eftre fort cràint, & n'eftre point hay,

Eftre Tyran, C mourir de vielleffe.

cv.

Ne voife au bal, qui n'aymera la danfe,

Ny au banquet qui ne voudra manger,

Ny fur la mer qui craindra le danger,

Ny à la Cour qui dira ce qu'il penfe.

CVI.

Du mefdifant la langue venimeufe,Et du Jlateur les propos emmieleç,Et du moqueur les brocards enfieleç,Et du malin la pourfuitte animeufe

CVII.

Hayr le vray, fe feindre en toutes chofes,

Sonder le fimple à fin de l'attraper,Brauer le foible, & fur l'abfent draper)Sont de la Cour les oeillets & les rofes.

CVIII.

Aduerfitè, desfaueur, &"querelle,

Sont trois effais pour fonder fon amy

Tel a ce nom qui ne l'eft qu'à demy,

Et ne fçauroit endurer la coupelle.

Page 106: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

QVATRAINS. 97

13

CIX.

Ayme l'eflat tel que tu le vois eftre

S'il eft royal) ayme la Royauté)

S'il eft de peu, ou bien communauté,

Ayme l'auffiy quand Dieu t'y a faiû naiftre.

ex.

Il eft permis fouhaiter vn bon Prince,

Mais tel qu'il eft, il le conuient porter

Car il vaut mieux vn tyran fupporter,

Que de troubler la paix de fa prouince.

CXI.

A ton Seigneur & ton Roy ne te iotië,

Et s'il t'en prie, il t'en faut excufer

Qui des faneurs des Roys cuide abufer)

Bien toft) froijfé, choit au bas de la roué.

CXII.

Qui de bas lieu (miracle de fortune

En vn matin t'es haulfé fi auant,

Penfes tu point que ce n'eft que du vent,

Qui calmera, peut eftre fur la brune?

CXIII.

L'eflat moyen eftji^ftat^lus durable

On voitdjiS eaux'

14 plafy&ys noyé,

Etles liailhs

monts

ont'fyt\hef

foudroyé

Vn petit tertre eftfeur Çrc^reable.

Page 107: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

98 QVATRAINS.

CXIIII.

De peu de biens nature fe contente,Et peut Juffit pour viure honneftemencL'homme ennemy de fon contentementPlus a C plus pour auoir fe tourmente.

CXV.

Quand tu verras que Dieu au ciel retire

A coup à coup les hommes vertueux,

Dy hardiment, l'orage impetueux

Viendra bien toft efbranler ceft Empire.

CXVI.

Les gens de bien ce font comme gros termes.Ou forts piliers) qui feruent d 'arcs-boutansPour appuyer contre l'effort du tempsLes haults eftats} & les maintenir fermes.

CXVII.

L'homme fe plaint de fa trop courte vie,

Et ce pendant n'employe ou il deuroit

Le temps qu'il a) qui fuffir luy pourroit,

Si pour bien viure auoit de viure enuie.

CXVIII.

Tu ne fçaurois d'affe^ ample falaire

Recompenfer celuy qui t'a foigné

En ton enfance, &1 qui t'a enfeigné

A bien parler) & fur tout à bien faire,

Page 108: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

QVATRAINS. 99

CXIX.

Es ieux publics au theatre) à la table,

Cede ta place au vieillard & chenu

Quand tu feras à fon aage venu,

Tu trouueras qui fera le femblable.

CXX,

Cil qui ingrat entiers toy fe demonftre,

Va augmentant le lot de ton bienfait

Le reprocher maint homme ingrat a faiSl

C'eft fe payer, que du bien faire monftre.

cxxi.

Boire, & manger, s'exercer par mefure,

Sont de fanté les outils plus certains

L'excer en l'vn de ces trois, aux humains

Hafte la mort, & force la nature.

CXXII.

Si quelquefois le mefchant te blafonne,

Que t'en chault il? helas, c'eft ton honneur:

Le blafme prend la force du donneur:

Le lot eft bon, quand vn bon nous le donne.

CXXIII.

Nous mejlons tout) le vray parler fe changeSouuent le vice eft du nom reueftuDe la prochaine oppofite vertu

Le lot eft blafme', & le blafme eft louange.

Page 109: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

100 QVATRAINS.

CXXIIII.

En bonne part ce qu'on dit tu dois prendreEt l'imparfaiél du prochain fupporter,Couurir fa faulte} & ne la rapporter,

Prompt -à louer, & tardif à reprendre.

cxxv.

Cil qui fe penfe 0* fe dit eftre fage,Tien le pour fol, celuy quifçauant

Sefai6t nommer, fonde le bien auant,Tu trouueras que ce n'efi que langage.

CXXVI.

Plus on eft doéle, tS" plus on fe deffie

D'eftre fçauant & l'homme vertueux

Iamais n'eft veu eftre prefomptueux.

Voila des fruiûs de ma philofophie.

Page 110: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

CINQ SONETS

DVDICT

Sr DE PYBRAC

Page 111: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies
Page 112: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

CINQ SONETS DVDICT

Sr DE PYBRAC

LVCRECE ROMAINE.

Sous l'effort malheureux de l'impudique force

Mon corps refta vaincu, &1 mon efprit vainqueur.Le fang du coup mortel, dont ie nauray mon coeur,

Expia le plaifir de la charnelle amorce.

le fis voir au Romain que la Dame qu'on force,

(Bien qu'il femble qu'entier luy demeure l'honneur)

Excufer Ion ne doit, fi fon forcé malheur,

Eflaindre par fa mort de fa main ne s'efforce.

Ainfi donc i'effaçay l'effort qu'on m'auoit faiû}

Et vengeant de ma main en moy l'autruy forfaifà,le me donnay la mort pour preuue d'innocence.

Nulle par mon exemple impudique viura,

Et nulle à fon honneur honteufe furuiura

Qui furuit fon honneur, il a part à l'offenfe.

Page 113: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

IO4 SONETS.

VIRGINIE ROMAINE.

Pour fauuer mon honneur contre vn Iuge execrable,

Qui, feignant de doubter de macondition

Adiugeoit cependant vne prouifion

Dejfus machafteté, non iamais

reparable

Enlajleur

de mes ans mon pere miferable)

Forcé de mon defir, & de lapajjlon

De mon chafte vouloir) pleinde

compajjion,

M'oâtroya de fa main vn mourir honorable.

Lucrèce fut rallie)O"

viergeie moureus

Nous auons bien cela de commun toutesdeux,

Que nos morts ont changé l'eftat de la patrie

Mais la mienne ckajfa hors de Rome dixRois,

Et la fienne vn feul Roy. Donques Rome}tu dois

Dix fois plus qu'à Lucrece)à moy ta

Virginie.

Page 114: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

SONETS.105

PORCIE FEMME DE BRVTVS.

Lucrèce non dufaiA, ains de la coulpe exempteSe tua de fa main. Virginie tendit

A fon pere le col, fi toft qu'elle entendit

Du paillard Magiftrat l'ordonnance mefchante.

De l'amour coniugal la flamme efiincellante

Qui viuant mon efpoux, illuftre me rendit,

Luy mourant^ embrata le charbon qui ardit

Mon coeur demy-brulé de l'ardeur precedente.

Lucrece & Virginie eurent la mort heureufe

Mais non pas comme moy) qui mourus amou,reufe}Sans qu'on vift mon honneur affailly ny vaincu.

Quelle autre aujfi que moy eut vn Caton pour pere}Vn Brut us pour mary) vn Cœfar aduerfaire,Et pour champ de l'honneur va fiecle corrompu?

Page 115: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

io6 SONETS.

CORNELIE ROMAINE.

Ces deux freres Tribuns) qui par la vehemence

D'vn parler mef tiré ,& parnombreus efcripts,

Des plusdoéles Romains

captiuoientles efprits,

Et les faifoient mouuoir au fon de leur cadence

Ces deux Gracchesfameux) } furent en leur enfance,

Non d'vn Grec affranchy enseignant pourle

pris,

Ainspar moy Cornelie heureujement appris,

Moy-mefme leur feruant d'exemple d'eloquence.

le fus mere desdeux)

tous les deuxi'ejleuay,

Et du laiû dePitlio, enfans,

lesabreuay,

Verfant ce doux Nectar deffus leur bouche tendre.

Que nous fert d'enfanter desfils pour

les laiffer

A vn vilmercenaire)

àfin

de lésdreffer?

Qui enfeigne fes fils, doublement lesengendre.

Page 116: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

SONETS. 107

DIDO ROYNE DE CARTHAGE.

Couurir du fangdes miens le Libyque riuage)

Embrarer nos autels& rauirfans raifon

La Sicile & Sardaigne à ceux de mamaifon,

Et rendre iniufiementtributaire Carthage:

Cela deuoit fuffir à ta cruelle rage,

Rome, fansme liurer par

mortelleachoifon,

Soubs le miel d'vne fable vne amerepoifon,

Quijleftrit ci iamais l'honneur de mon veufuage.

le ne vis oncchef moy ton fugitif jUnee

Ma ieuneffe paffa foubs vn faincl hymenee,

Et veufue i'ay vefcu chajte iufqu'au tombeau.

Tutelairelunon, permettras tu que Rome,

Pour vn traiftre honnorer impudique menomme,

Elle qui d'vne Louue eft nee en vn bord'-d'eau?

Pardonnerà Dido fi l'ire la

furmonte,

Il s'enfaut prendre au tort

que Rome luy a failt.

La Dame à qui ne chault du blafme d'vn telfaicl,

Meurtrière de l'honneur faiél gloirede fa honte.

FIN.

Page 117: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies
Page 118: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

LES

VERS FRANCOIS

DV SIEVR DE PYBRAC,

SVR LES PLAISIRS DE

la vie Ruftique

Auec lacontinuation

} &"augmentation

du mefme autheur.

A PARIS,

De l'Imprimerie de Federic MOREL

Imprimeur ordinaire du Roy.

M. D. LXXXIIII.

AuecPriuilege dudict

Seigneur.

Page 119: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

A M. DE RONSARD

SONNET.

Si ores eloigné de l'importune prejfe

Du penible Barreau, des versparfois i'e/cris

l'imite encefaifant les plus rares efpris

Des vieux peres Romains, & de l'antique Grece.

Ce grand Caton François encor en fa vieilleffe

De la faincle fureur desneuf Mu/es épris,

Graua l'iniufte exil daus fes nombreux efcris,

D'vn burin acéré de profonde fageffe.

Par là te ne pretens à ces ouuriersparfaits

M'egaler, ny aux vers, Ronfard, que tu as faifts,

Guidant lefils

d'Hedor fur laGauloife

riue.

S'efforce qui voudra le laurier mériter,

Quant àmoy,

ie r:'efcris finon pour euiter

Les trompeufes douceurs d'vne lang ueur oiftue.

Page 120: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

Les vers François du Sieur de

Pybrac, fur les plaifirs de

la vie Ruftique.

Pybrac, ie tefalu'é, & toy Bocconne Jaincle,

Et vous couftaiix vieux) qui d'vne double ençeinte

Emmure^le

terroir)où d'vn cours eternel

Deux ruiffelets roulons par mon champ maternel,

Non gueres loin de là fe vont perdre dansl'onde;

Et dans le large fein de Garonne profonde.

le vous faluë aujji} ô Nymphes de celieu,

Et de ce mien chafieau} ô tutelaire Dieu,

Qui feul as conferuê par ta foigneiife garde

Tout ce qu'en ce pourpris maintenant ieregarde,

Soit arbres ou maifon) que les feux ennemis

Sans toy dernierement eiiffent en cendre mis

Lors que Garonne on veit couuerte defumée

Et du brandon ciuil la Gafcongne allumée,

Et lors que l'Alemand la Francetrauerfa,

Yure de noftre fang, que Difcord luy verfa

Page 121: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

112 LES PLAISIRS

Au gré de l'Efpagnol, qui ne prend affeurance

Que fur l'aftre fatal du difcord de la France.

Dieu, deftourne de nous ce malheur &mechef}

Ne permets, s'il te plaift, que Francederechef,

Pour garantir l'Eftat du voyfin, diuifee,

En fes tragiques pleurs luy ferue de rifee

Ains donne à noflre Roy la force & le vouloir

De renger par douceur fes fitjets ait deuoir.

Affifte luy, Seigneur fay, Seigneur, qu'il prof père

Comme faifoyent iadis fes ayeulx &fon pere)

Allant que le difcord ciuil euft de fes mains

Couuert le champ François de meurtres inhumains.

le fuis ores art lieu, où enfant ie me vey

Par les mains de Pitho dans le berceau rauy

Pitho fille du ciel, Deeffe d'Eloquence,

Qui; fiere} mefprifant le jargon de la France,

Ne daignoit careffer d'vn feul regard humain,

Que l'Attique barreau) ou celuy du Romain.

Elle efprife de moy, fe panchant fur ma couche,

Yn ruijfelet de miel me verfa dans la bouche

De fes riches threfors en baifant la doua,

Et deflors à iamais au public lavoüa)

Luy faifant part du fuc, mefme au veu de Mercure,

Dont de Maie le fils prenoit fa nourriture

A fin que comme luy d'vn parler gracieux,

le peuffe quelquesfois Jlechir mefme les Dieux,

Ou meffager Royal en eftrange prouince,

D'vn difcours attrayant profiter à mon Prince.

I'ouy qu'elle dif oit, ayant trois fois iuré,

Cejl enfant quelque iour d'vn parler mefuré,

Des plus doEles François charmera les oreilles

Page 122: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

DE LA VIE RVSTIQVE. II3

ij

Soit qu'il vueille conter les antiques merueillesDes vieux Grecs (S1 Romains, ou d'vn accent plus bas

Demejler dextrement les procejtfs debas,

Accouplant comme il faut l'hon/iefte auecl'vtile,

Et la douce equité auec la loy ciuile

Ou que pour foulager par vn plaifir nouueau,

Le iournalier trauail du penible Barreau,Il guide de fa voix les Mufes à la danfe,

Et les face mouuoir au fon de fa cadance:

Ou foit que commandé, pour la Francevanger,

Il vueille s'oppofer à l'efcrit eftranger,

Et défiant le temps d'vne plume immortelle

Soutenir, courageux,de fan Roy la querelle.

Pitho difoit ainfi) &* mon pere l'oyant,

Les yeux ficheç au ciel, de ioye larmoyant,

Humblesgraces, deuôt, rendit à la Deejfe,

Et pour moy volontiers accepta la promeffe.

Or fi tel ie ne fuis, comme elle auoit promis,

Si puis-ie depofer au fein de mes amis,

Que i'ay veu mille fois le Senat de la France

Honorer mes difcours d'vn eftonné filence

Et que par vn fentier de peu d'hommes frayé)

le me fuis des premiers de mon ordre effayi

Faire voir au Barreau la Romaine richejfe,

Et le champ plantureux de la feconde Grece)

Me feruant des outils, que iadis affembloit

Celuy qui foudroyer en Athenes fembloit

Soit qu'il fe prefentaft au milieu de la place

Pour s'oppofer aux grands, ou pour rompre l'audace

Du peuple mutiné, ou pour faire ranger

Tous les Grecs d'vn accord encontre l'eJtranger.

Page 123: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

114 LES PLAISIRS

Mais, helas! qu'ay-ie dit ? il faut que ie confeffe

Que ce n'eft ne Phebus, ne Pitho laDeeffe,

Ne Minerue aux yeux verds, ne ces trompeurs Efprits,Dont la menteufe Grece a rempli fes efcrits,

Ny des flambeaux du ciell'innumerabletroupe,

Ny le doux fommeiller fur la iumellecroupe)

Ny le furjon de l'eau iadis tant renommé

Bref) tout ce que Ion a du nom de Dieu nommé

Es prophanes efcrits, ne m'a iamais fait eftre

Ce peu qu'ores ie fuis Du vray Dieu i'ay mon eftreDe luy feul la raifon, le parler) le fçauoir}

Le difcoitrs, l'intelleél, la force) le vouloir.

Ces faux Dieux menfongers, de Satan la femence,

OU Vaueugle Payen mettoit fon efperatice,

Leur dreffant des autels des prieres Cvœux,

N'ont pouuoir de changer vn poil de nos cheueux

Mais le Dieu que ie fers, eft celuy d'où procede

Tout ce que le mortel en ce monde poffede,

Hormis vice & peché qui d'vn foin paternel

Nous guide par fon fils au repos eternel.

.lux piés de la grandeur de fa Majefté haute)

le luy offre ce Fils pour rançon de ma faute

L'efpoir de mon falilt eft en Chrift attaché:

Car nul autre que luy fait grace du peché.

Arrière donc de moy ces fables ja moifies,

Et le feint ornement des vieilles poëfies

On ne m'orra pour Diert Iupiter reclamer)

Ne fon frere Nepttine és perils de la mer

Du feul Dieu des Chrefliens humble ferf ie m'alloue,

Et tout autre à Seignerrr que luy ie defauouë.

Il m'a dés le berceau heureufement guidé,

Page 124: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

DE LA VIE RVSTIQVE. 115

Et pouffé plus auant que ie n'euffe cuidé

Lors que ie veux parler la langue il me deJ1ie,

Et m'apprend mot à mot comme il faut que ie die.

Il m'a les yeux ouuerts pour du harrt firmament

Contempler à fon los le reiglé mouuement>

Et des Aftres roulons la plaifante carole,

Et l'immobile poincl de l'vn C l'autre Pole.

Le Ciel eft de fa main vn chef-à'ceuure parfait,

Pour à l'homme feruir toutesfois il l'a faicl

Le Ciel eft fait pour nous, le Soleil pour nous torne,Et la Lune pour nous efclaire de fa corne,

Quand fon frere a conduit dans l'humide feiour

Ses chenaux harajfeç de la courfe du iour.

Les Eftoiles aufjl & fixes Gf errantes,Et de tant d'animaux les formes différentes,

Qu'au cercle du Soleil les doues peuuent voir,Sont autant de tefmoins du peu foigneux deuoir

Que nous rendons à Dieu) qui fan image faincle

(Sans l'auoir merité) a dedans nous emprainte.

Mais, ma Mufe, repren le propos auancé,Et m'aide à falüer comme i'ay commencé.

le te faluè donc, Toy voifin heritageDe ce doéle Bunel, vray honneur de noftre âge)

Qui iadis efcriuant Ciceron effaçoit,

Quand à l'enuy de luy quelque epiftre traçoitEt comme vn Socrates) par fa doéle ignoranceDes Sophiftes bauards confondoit l'arrogance.

Le premier & plus grand de mes heurs) eft d'auoir

Ioüy prefque trois ans du fruicl de fon fçauoir,Lors que par amitié la peine il daigna prendreDe m'ouurir les fecrets du maiftre d'Alexandre

Page 125: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

Il6 LES PLAISIRS

Et fur le moule vieux de l'Orateur Romain

Dreffa les ieunes traits de ma jloùete main

Que fi mort il ne fuftfi toft, i'euffe (peult eftre)

Merité d'eftre dicl difciple d'vn tel maiftre.

le te faluë aujjl} Iardin, le feul plaifir

De mon pere & feigneur, lors qu'il print le loifir

Sur la fin de fes ans de cultiuer les plantes,

Et peupler les vergers de mille fortes d'antes

Comme faifoit iadis ce DictateurRomain,

Qui d'honneurs affouuy labouroit de fa main

Le champ depeu.d'arpens, & en maifon petite

Refufoit, liberal, les threfors du Samnite.

0 bien-heureux celuy, qui loin des Courtifans,

Et des palais dorer) pleins de foucis cuifans}

Sous quelque pauure toiél, deliuré deVenuie}

Iou'ift des doux plaifirs de la ruftique vie!

La trompette au matin ne l'eueille en furfaut,

Pour, hardy) des premiers fe trouuer à l'ajfaut

Ou guindé fur le maft d'vn vaijfeau, n'importune

Par prieres & vieux le courroucé Neptune.

Il ne luy chault d'auoir la faneur des grands Rois,

Ny les premiers honneurs des iouftes &tournois

Les couronnes de prix richement ejlofees,

Ny les chars entailler de fuperbes trophees,

Ou l'immortel laurier qu'à Pife Ion donnoit

Aux enfans d'Apollo quand on les couronnoit.

Se contente de peu) cultiue l'heritage,

Qui fans fraude eft efcheu au lot de fon partage

Les bornes de fon champ ne voudroit aduancer,

Ny prendre fur l'autruy fans le recompenfer

Simple & droiél en fon coeur, detejle la malice)

Page 126: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

DE LA VIE RVSTIQVE. ivf

Et fans auoir procer honore la Iufiice.

Hors de crainte & danger, au long des clairs rtdjfeaux

EJlaguede fa main les toffus arbriffeaux,

Dreffe dans fon verger des petites allees:

Mene paifire fes bœufs fur le foir auxvallées

Au matin les conduit fur les tertres hoffus}

Et au plus chauld du iour dans les antres moffus

Pour fentinelle il a vn chien qui tout iour gronde)

Et autour du troupeau nuicl & iour faiâl la ronde.

Quelquesfois fe haulfant d'vn long bras eftendu

Va cueillir le Certeau ou bien le Capendu,

La noix fur le chemin par fon ayeul plantee)

Ou la groffe griotte en efciiffon entee

Parfois aujjl couché au pied des f aides verds,

Sur leur efcorce tendre efcrit deux ou trois vers,

De ceux-là que Damon auec la chalemie

Entonnoit gayement pour Syle fon amie,

(Syle, dont la beauté entre les filles luit,

Comme la Lune au plein fur les feux de la nuiâi

Syle, l'honneur des champs, des Nymphes l'outrepajfe,Des Mufes la dixiefme, & la quatriefme Grâce )

Ou de ceux que Perot d'vn flyle douloureux,

Compofa lors qu'il fut de Thoinonamoureux,

Thoinon qui dedaignoit les vers & leur cadance,

Et n'aimoit que les dons & l'or en abondance.

Bref, en l'homme des champs on ne fçauroit choifir

Vn iour, heure ou moment fans honnefte plaifir

Car les plaifirs paffer toufiours nouueauxretournent,

Selon que les faifons dans leur cercle fe tournent.

Mufe, tu le fçais bien dy moy donc la raifon

Des plaifirs qu'il reçoit en chacune faifon.

Page 127: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

ri8 LES PLAISIRS

Quand le Toreau du ciel le beau printemps JLecouure

Et le fein de la terre auec fes cornes ouure,

Pour déclorre des fleurs l'efcadron efmaillé,

Et que ja dans les eaux le poiffon efcaillé

Commence de frayer &" la iument d'Efpagne

Souç vn effrange Hymen de Zephir s'accompagne,

Et conçoit de ce vent le cheual, qui retient

La viteffe en courant du pere dont il vient:

Adonc l'homme des champs par l'herbe defia nee

luge peu pres peu moins quelle fera l'annee.

Car le verd brun du blé, qui d'vn efclat obfcur

Brille dedans les yeux, luy donne vn efpoir feur

Que de gerbe C de grain il comblera fes granges

Et du bourgeon naiffant fait eftat des vendanges.

Les Roffignols tandis degoifent leurs fredons)

Les Agnelets bêlans foulent à petits bons

L'herbette dans les preç la Genice lamente

Du Toreau dedaigneux l'amour qui la tourmente)

Fuit les paftis aimer, n'a cure de manger)

Es efpineux halliers feule fe va ranger

S'efcarte des troupeaux, des prq des faulees,

Et mugit au plus creux des profondes vallées,

Portant le traiél au flanc du Toreau indomté,

Qui plus fe voit requis, moins a de volonté.

Mais, ôDieu) quel plaifir des Moufches ménageres

Appaifer doucement les coleres legeres

Par le fon d'vn bajjin, quanddeux Rois ennemis

En bataille fe font auec leurs troupes mis,

Pour departir les fleurs du prochain heritage,

Ou vanger des Frejlons& des Guefpes 1'outrage!

Las, petits animaux, en vous chacun peult voir

Page 128: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

DE LA VIE RVSTIQVE. 1 19

Des Roys s &"des fujets le naturel deuoir!

Voflre police aujjî, quand bien on lacontemple,

Au legitime Roy fert de moule & d'exemple.

ladis le Muntuan d'vn accent doucereux

Sur le Mince chanta de voftre eflat heureux

Les ediEls ©• les loix. la force; la luftice,

De la cire & du miel l'ordinaire exercice,

Et tout ce que Ion peut en voftre eftat vanter

le ne fuis fi hardi apres luy vous chanter.

Il faudrait que le miel qui des ruches diftile

D'Hymette) comme à luy, euft adouci mon flyle.

Ce lOt foit referué au chantre Vandomois,

Qui peult, quand il luy plaift) egaler de fa voix

Les accords plus hautains de Virgile & d'Homère,

Et les fredons mignards qu'à Thebes on reuere.

Sans doncques plus allant du propos m'égarer,

le dy que lors qu'on voit les champs fe bigarrer

De boutons Gr de fleurs, adonc l'homme champefire

Reçoit mille plaifirs Soit qu'il regarde paijlre

Ses vaches C fes bœufs, & le troupeau menu

Ou qu'il voife nombrer) quand le foir eft venu)

Les agnelets au parc pour en fçauoir leconte,

Et du beurre vendu, & à quoy le laitl monte

Ou foit qu'au poinél du iour d'vn bouton nouuelel

De quelque franc rofier il face vn chapelet

Aux Faunes, citoyens de la foreft voifine,

Ou à la Terremère, honorant fa gefine.

Mais en l'autre faifon, que le champ verdiffant

A de l'or emprunté le beau teint iauniffant,

Et que proche de nous le Soleil nous regarde,

Et par l'œil du Lyon fes chauds rayons nous darde:

Page 129: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

120 LES PLAISIRS

Adonc fur le matin quand il entend pafferSes voyfins qui s'en vont la iauelle amaffer

Dedans le champ coupé au liél point ne s'amufe}

Ains d'vn fault fe leuant fa pareffe il accufe}

Efueille Marion, qui ronflant repofoit,

Et voudroit bien encor dormir fi elle ofoit

Il la hafte d'aller elle en fin prend courage,

Et d'vn defir egal fe met à fon ouurage

Se coiffe fans miroir ne luy chault fe parer)

Ne par art les laideurs de fon corps reparer

L'Arfénic calciné, le Talc, & la Cerufe,

Et ce dont l'Efpagnol enfes pomades vfe,

Que les Dames de Court ont fi bien retenu,

Pour defguifer leur teint C leur poil ia chenu

EJtpar elle ignoré) } &ne voudroit pas eftre

Que telle qu'il a pieu à Dieu la faire naifire.

Frifotter fes cheueux en mille-tortillons

De fon front labouré applanir les filions

Rehaulfer les tetins} Cf fes mains tauelees

Les faire deuenir blanches & potelees

N'a cure ne foucy, ne de biendeuifer,

Ne de lire Amadis) ou de Petrarquifer

Des humides baifers ne fçait les mignardifes

Ne des muguets tranfis les rufes C feintifes.

Au poincl du iour s'en va dans fon iardin cueillir

Des choux ou des porreaux pourles mettre bouillir

Apres dans fon mortier vn peu de fafran broye)

Et tire du charnier vn petit morceau d'Ûye}

lette tour dans le pot, qu'elle met fur le feu.,

Du vent de fon poulmon allumant peu à peu

Les bûchettes qu'elle a és taillis amajfees}

Page 130: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

DE LA VIE RVSTIQVE. 121

16

Et pour mieux les porter en faifceaux entaffees.

Mais auant que vouloir couper de fon coufieau

Le pain defia raffis) ou le tendre tourteau}

Ioignant fes noires mains à deux genoux fe iette,

Fait fa priere à Dieu, qui point ne la reiette

Car du panure affligé la clameur il entend,

Luy donne ce qu'il faut, & mieux qu'il ne pretend,

D'vn efpoir affeuré humblement luy demande,

Non ia que fon mari,deuenu Roy, commande

Au More basané, au Perfe & au Gelon,

Au Cantabre indomté, & au Scythe félon,

Ou que Monarque vray preffe fous fa couronne

Tout ce que l'Ocean de fes bras enuironne

Mais bien que fa bonté daigne en toute faifon

En douce paix tenir fa petite maifon

Qu'il luy plaife efcarter hors de la fantafie

D'elle &" de fon mari la folle Ialoiqie

Que leurs enfans communs les tauernes hanter

Ne vueillent, ne iamais les truans frequenter

Que la fille, qui ja prefte à mari fe montre,

Auec petite dot par heureufe rencontre,

En honnefte maifon ils puijfent heberger

Cher quelque laboureur, oucher vn bon berger

Que l'vfurier méchant, qui dés long temps aguigneEt hume de fes yeux le clofeau de leur

vigne)En fes papiers iournaux ne les puiffe accrocher)Ne de leur pauure toiEl le gendarme approcher,Ou le foldat larron) qui pille &" qui faccage

Iufques au moindre outil feruant aulabourage,

Et ofe bien fouuent en plein iour s'efforcer

De meurtrir k mari pour la femme forcer.

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122 LES PLAISIRS

Ayant ainfi prié) de deux mains ellecoupe

Des tranches de pain bis pour en faire lafoupe,

Y mejlant quelque peu d'vn fromage moifi)

Qu'elle a dedans la paille entre plufieurs choift,

Propre pour au brouët donner faueur &pointe,

Ou pour renouueller la foif defia efleintePuis prend le pot en

main, le reinfe de claire eau,Par va degré tremblant deuale en fon caueau,D'vn muid prefque failli, qui à peine degoutte)En fin fon petit pot elle emplit goutte à goutte.

Hafliue s'en reua là haut ou fur vn ais

De ce fobre difner dreffe l'vnique mets,Le charge fur fon chef, & courant d'allègreffe

Fa trouuer fon mari que la faim defia preffeCar depuis le matin qu'à l'œuure il s'ejî rangé,Sans ceffe trauaillant il n'a beu ne mangé.

Tous deux art coin du champ fe couchent deffus l'herbe,Et pour table buffet n'ont qu'vn faifceau de gerbe:

Là mangent gayemendeur potage &" leur chair,Et boiuent à l'enui fans rien fe reprocher.

Le Mercure broyé, & la froide Cicuë,

Et l'Aconitenoir) qui plus promptement taë,

Et les gouttes de l'eau de ce lacbitumeux)

Et le fang diftillé d'vn Toreau efcumeux,

Et le prefent que fit Deianire à Hercule,

Et le Veratre pris dejfous la Canicule,

Et ce fang caillotè, qui prend deffus le front

Du poulain frais naiffant, dont les marâtres font

Les philtres veneneux) pour attacher la rage

Des amoureux bouillons en vn chafie courage

En fomme O* Canidie, &Medee, & leur art,

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DE LA VIE RVSTIQVE.. 123

Et tout ce qu'a depuis inuenté le Lombard,

Et du fin Calabrois l'auarice & l'enuie,

Pour abreger les iours trop cours de noftre vie,

N'a oncque de ceux-cy le courage efmayé,

Et mangeant 0" beuuant l'vn ou l'autre effrayé

Car bien que defireux ils foyent tous deux de viure,

Ils ne voudroyent pourtant l'vn à l'autre furuiure.

Ayant donc ainfi pris enfemble leur repas,

La femme s'en reua au logis pas à pas,

Et laiffe le mari, qui courbé tefte nuë,

Affublé feulement du ciel 0" de la nuë,

La faucille en la main ne ceffe de couperLe blé, iufques à tant qu'il faille aller fouper.

Phebus eft lors couché, & defia la nuiE1 fombre

Tout ce que noftre oeil voit embrunit de fon ombre:

Les hurlemens des loups defia de toutes parts

Effroyent les moutons au milieu de leurs parcsLes maftins courageux aboyans leur refpondent,Etrodansles troupeaux,entr'eux-mefmes fegrondent:Les bergeres au bruit des maftins efueillees

L'vne à l'autre crians tefmoignent leurs veillées

On n'y voit du tout rien Car le ciel efloilé,D'vn orage efpejp. de tous coftei voilé,De fes menus flambeaux la lumiere refufe)Et pres de fon amy qui dort, Phebe s'amufe.Il n'en chault à Colin car fans fe foruoyerIl iroit à yeux clos iufques dans fon foyer.

Du champ à l'heure il part, fes outils il emporte,.Et trouue Marion qui l'attend fur la porteSe mettent à fouper d'vn appetit pareil.Mais apres le repas pour frauder le fommeil,

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124 LES PLAISIRS

Content des temps heureux de leur chafte hymenee,Ou deuifent des grains qu'ils auront cefte annee,

Ou des feps fe courbans au poix de leurs raifins,

Sanuiecrafteriamais de Vhonneur des voyjîns.

Le mary plus laffé le premier fe defpouille,

Elle chiche du temps met au flanc fa quenouille,

Et remouillsnt fes doigts acheue fon fufeau,

Ou deuide au rouet vn entier efcheueau

Puis fans faire nul bruit pres du mari fe couche,

Defrobant doucement vn baifer de fa bouche:

Le rejie par honneur ie ne veux publier,

Mais ie ne puis aufji bonnement oublier

A dire que la nuiSl leurs amoureujes fiâmes

Efgalentbien fouuent les faueurs des grand's Dames:

Si leurs lifls eftoffeç ne font fi richement,

Pour le moins on n'y gronde, on n'y iure, on n'y ment:

Si elles n'ont l'attrait de tant de mignardifes,

Leurs cœurs auffi ne font pleins de tant de feintifes

Si de mufc parfumé ou d'ambre n'eft leur fein)

Pour le moins on fe peut affeurer qu'il eft fain,

Et qu'au partir de là on ne prend medecine,

Ou le breuuage faict de Gaiac, ou d'Efquine.

On dit que Chafteté en tous lieux habitoit,

Et les villes &r bourgs fans nul choix fréquentait,

Iadis és iours premiers de la faifon doree,

Quand la terre de foy fans eftre labourée,

Plantureufe, donnoit en tout temps aux humains

Toutes fortes de fleurs) & de fruiéls,& de grains.

Les Pins lors fur les monts pendoyent par la racine,

Et voifinans le ciel dedaignoient la marine

Les Loups, & les Lyons, &" les Tigres legers;

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DE LA VIE RVSTIQVE. 125

Compagnons des Moutons careffoyent les Bergers

AuJJl l'homme n'auoit adonc fon ame attainte

De vice & de pechéj de douleur &" de crainte

L'homicide metal encores non foüillé,

N'auoit de fang humain la campagne fouillé.

Mais dejlors que Saturne au hatard de fa vie,

De la Crete fuyant, furgit en Italie,

Et illec fe mujfa pour la rage euiter

De l'aifné de fes fils, qu'on nommoit Iupiter

Adonc l'Impieté, la Fraude, la Malice,

Et tout ce que Ion peult nommer du nom de vice,

Coula furtiuement en l'efprit des mortels,

Et deflors aux Dieux faux on dreffa des autels.

La Chafteté quittant adonc cefte contree,

S'en-uoloit dans le ciel auec la vierge Aftree,

Sans le dueil efploré, &" les foufpirs trenchans

De ceux-là, qui pour lors habitoyent dans les champs:

Auec eux s'arrejla, & encor à cefte heure

Loin des grandes cités fait aux champs fa demeure.

Mais fa femme & Colin pourroient bien fommeiller

Vn peu trop longuement, il les faut efueiller:

Or fus donc, leuer-vous, chacun de vous s'apprefte:

Vousoublier qu'il eft auiourd'huy voftre fefte,

Que vous auq prié à difner vos amis,

Qui ia pour n'y faillir en chemin fe font mis.

Marion s'eueillant, du liEt premiere faute,

Et au Soleil ia hauts'apperçoit de fa faute:

Toutesfois elle efpere en peu d'heure auancer

Si bien, que fon mari n'aura'dequoy tancer.

Met deux buches aufeu, le feu foudain s'allume

Son Oyfon eftouffé à l'inftant elle plume,

Page 135: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

126 LES ^PLAISIRS

Le trempe dans l'eau chaude) & du bout du coufieau

Arrache le duuet qui tient contre la peau,

Luy croife les deux pies, & puis foudain l'efuentre,

Et d'vn fars bien menu luy fait vn autre ventre.

Tandis en grommelant le Cochon de laiEl court

Apres fa mere truye és paftis de la court

Elle leprend, le tué, & le pelle)

& l'embroche,

Et le fait compagnon de l'Oyfon en la broche.

De ces meurtres fanglans le Chapon effrayé)

Se fauuer fur le toi(i en vain s'eft effayè,

Car Colin d'vn bafton l'affene fur la tefte

Il tombe mort dutoicl,

&" foudain on l'apprefte.

Ne voyla pas dequoy fes amis feftoyer}

Sans qu'il faille au marché de la ville enuoyer?

Le difner eftoit prefi, la nappe defia mife,

Quand Colin tout à coup, bien fage, fe rauife,

(Afin que cy apres n'en puifje efire repris,

Et blafmé iuftement d'erreur ou de mefpris)

Qu'il ne faut ja paffer) quelque affaire qui preffe}

Le matin d'vn tel iour fans auoir ouy Meffe.

Pour doncques n'y faillir, va tirer viftement

Du coin de fon eftable va cheual, ou iument:

Lebride, &" fait feruir fon paletoc de houffe,

Monte leger deffus,&" prend fa femme en trouffe.

Le cheual talonné commence ci galoper,

Sans faire vnfeul faux pas) & fans iamais choper:

Toutesfois Marion fait femblant de fe craindre

Pour embraffer Colin, 0" plus ferme l'eftraindre.

A bonne heure arriueç, chacun d'eux fe depart

Le mary d'vn cofté, la femme en autre part

Ils oyent attentifs ce qu'au profne lon mande,

Page 136: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

DE LA VIE RVSTIQVE. 127

Et chacun à fon tour va porter fon offrande:

Es myfteres de foy captiuans leur raifon,

En toute humilité font à Dieu l'oraifon

Que luy mefme a daigné par fon fils nous apprendre,

Pour nos necejjlteç en peu de mots comprendre.

Le feraice acheué, s'en reuont viftement

D'où ils eft oyent partis, monter comme deuant.

Des amis conuier la bande ia venue,

Fait du petit logis ce pendant la reueuë,

Meftire à pas conter le verger ef carré,

Et s'ébahit de voir encores bigarré

De fleurs le iardinet, veu l'ardeur violante,

Et du celefle Chien la flamme eflincelante.

Mais Colin du paruis s'efcriant dit ainfi)

Mes amis, vous foyer. les bien venus ici,

Il me defplaift par trop vous auoir faiEl attendre

Noftre Curé eft long, il s'en faut à luy prendre,

Ioint qu'il a bien voulu ce iourd'huy faire voir

Que s'il vouloit prefcher, il en a le fçauoir:

C'eft mejjire René, qu'à tort on foufpeçonne

De ce que vous fçaueç il eft bonne perfonne.

Or fus encore vn coup, Vousfoyer bien venus,

Et Marion & moy vous fommes trop tenus,•

D'auoir daigné venir vn mauuais difner prendre

En ce pauure ca^ot, & encore l'attendre.

Lauons & nous feons, le cochon fe morfont,Ne faifons entre nous comme nos femmes font,

Qui permettent fouuent la nuiêt qu'on les conuie

De ce dont elles ont en leur coeur bonne enuie.

Voyla comment Colin fes hoftes femonnoit,

Et la place & le rang à chacun d'eux donnoit.

Page 137: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

128 LES PLAISIRS

A la peau du cochon la brigade s'empongne,

Et ja tout defpouillé il fait piteufe trongne

Quand Colin qui ne peut de caufer fe tenir)

le voudrois) mes amis (dit-il) me Jouuenir

Du moyen que Catau nous contoit par merueilles,Pour faire reuenir aux cochons les aureilies,

Et la peau) quand ils font du tout mis en pourpoint

Croyq que maintenant vous n'en chômeriez point.

Le difner fe paffa à caufer &1 cirire,

Hors mis que fur la fin Michau fe print à dire,

Michau qui de bien loing l'aduenir cognoiffoit

Et tout ce dont le Ciel la France menaçoit

Michau l'oracle vray de toute la contree,

Qui des malheurs du temps ayant fon ame outree,

Par vn profond foufpir entama ce propos

Ne verrons-nous iamais ce païs en repos,

Mes amis, ce dit-il: helas, qu'eft deuenuë

De nos premiers ayeulx la prudence cogneuë?

Fault-il que nous foyons à tous coups en danger

De voir nos champs couuerts du foldat eji ranger?

Doute ans y a & plus que par noftre folie

Nous fommes le ioüet d'Efpagne d'Italie,

Et le butin certain du Reiftre empiflolé,

Qui non encores faoul des biens qu'il a volé,

A peine en fa maifon fes chariots dej charge,

Qu'il s'apprefte à venir faire nouuelle charge.

Va. Colin, prouigner tes vignes maintenant,

Pour, malgré toy, feruir d'enyurer l'Alemand:

Sois foigneux du troupeau, du labeur champeftre

Tes moutons &" guerets changeront bien de maiftre.

CarDieu eft contre nous iuftement irrité,

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DE LA VIE RVSTIQVE. 129

X7

Et pis que nous n'aurons, nous allons merité.

Ainfi difoit Micliau d'vne voix eflancee,

Defcouurant le fecret de fa trifie penfee)

Lors proche de fa fin car peu de iours apres

Laiffant à fes amis les larmes & regrets,

Et vn mortel effroy des cinqlliefmes orages

Profondement grau¿ en l'efprit des plus fagesj

S'en-tiola dans le ciel: où maintenant heureux

A fon gré fe repaiji de l'obieCt amoureux

De ce Pere benin, qui l'ame rajfafjie,

Et eft fon vray Nectar & fa feule Ambrofie.

Quand Michau eut parlé, chacun fe regardoit,

Et de tous les prefens nul ne fe ha^ardoit

D'ouurir autre propos il fallut que luy mefme

Colorant d'vn fous-ris vn peu fa face blefme,

Et méfiant la douceur auec fa grauiti,

Commença derechef I'ay tort enverité,

Mes amis (ce dit-il) de tenir à la table

Yn fi graue propos & fi peu délectable

Laijfons ces hauts deuis aux Rois& Empereurs,

Et parlons entre nous comme bons laboureurs.

I'ay veu venant icy tout contre cefte ormoye

Qu'on laiffe à la main gauche, ail deffous de la voye

Des champs frais-labourer, où Ion pretend femer

Quelques grains que Ion dit qui viennent d'outre-mer

Comme fi nos terroirs eftoyent de mefme forte

Que ceux-là des païs d'où ces grains Ion apporte.

En tous lieux C endroits Nature ne produit

(Quoy qu'on puiffe foigner) toute forte de fruit.

Les pays font douéç de graces différentes

L'vn eft propre au beftail, l'autre eft bon pour les plantes.

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130LES PLAISIRS

Tours a les beaux fruitiers de Brie l'ornement

Sont les preç & taillis, de Beaulfe le froment

Le païs d'Albigeois que le Tar rouge bagne,

Voit iaunir fous la Libre & dorer fa campagne

Du fafran cordial, qui par mefure pris

Efiouit des mortels les coeurs & les efpris.

La Bretagne fournit d'Aulonnes pour lesvoiles,

La Neuftrie desdraps,

des citres & des toiles,

Que le hardi Nocher maugré les Portugois

Va troquer à Maroque, ou fur le bord Indois.

On dia que la Gafcongne en bon vins eft feconde,

Qu'Anjou la fuit de près, qu'Orleans lafeconde,

Que le petit Ay és tertres Champenois)

Quand il peult rencontrer, les egale tous trois.

D'orangers &" citrons la Protience foifonne,

Es couftaux Ltuiraguois le paftel on moiffonne,

Et le bas Languedoc desfie fes voifins

En laines, oliuiers, en myrtes C raifins.

Mais s'il falloit fortir hors des bornes de France,

Qui pourroit, ô bon Dieu, nombrer la differance

De tant de régions, O* leur diuerfiter,

Et de chafque païs les fingularitei ?

Suffife que le noftre, heureux, maints biens poffede,

Et qu'à le prendre en gros, à nul autre il ne cede.

Car fi l'vn de fes coins refufe quelque fruit,

A fin qu'il ne nous manque, vn autre le produit

C'eft pourquoy nous deuons bien fonder & cognoitre

Le naturel des champs,auant que d'y rien mettre.

Ils ne font tous pareils,C mefmes en bonté

Qui les cuide égaler fe trouue mefconté

Et l'Autonne venu, en lieu de tas de gerbe,

Page 140: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

DE LA VIE RVSTIQVE. 131

Ne moiffonne, chetif, bien fouuent que de l'herbe

En vain offre à Cerés, qui reiettant fes vœus

Et l'annuel trauail de luy C de fes bœus,Se bande &• fe roidit contre l'art C l'iniure

De ces outrecuider, qui forcent la nature.

Les hommes de ce temps, ie dis entre nous vieux,

(le pardonne aux garçons) fommes trop curieux

De toutes nouueautq dés lors qu'il fe prefente

Quelque cas de nouueau} foudain cela nous tente

Et fans confiderer les pertes ou dangers,Tout eft receu pour bon qui vient des eftrangers.

Que pleuft à Dieu, Colin, que Ion nous laijfaft faire

Hardiment bien ou mal, nojlre petit affaire!

Si nous n'auons l'efprit fi propre à inuenter,Comme eux, fi fçauons-nous & femer & planter,Et cueillir, & ferrer, & tenir vne ferme,Et prefter aux amis fans profit à long terme:

Et preffurer le laiél, & guider le troupeau,Et tondre nos moutons fans efcorcher la peau.Leurs Clercs, comme i'entens, n'ont pas plus defcience

Que les noftres en ont, ny tant de confcience.

Quoy que foit, l'eftranger ne pourroit fe vanter

Que nous foyons meilleurs pour cher nous le hanter

Ains fommes empire^ de tous poinfts, ce me femble,

Depuis que nous mejlons nos affaires enfemble.

l'en oy plaindre fouuent les bourgeois des citerEt quant à nos terroirs, ils s'en font defpiteç.Car depuis quelque temps és terres moins legeresNe naiffent que pauots, que chardons, fif feugeres,Et la foudre en nos bois va toufiours choififfantLe chefne le plus droit & le plus verdiffant.

Page 141: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

132LES PLAISIRS

Tu m'entens bien) Colin. Ouy (dit-il) ?en pleure,

Et voudrois eftre mort, tant ie crains à toute heure

Que par l'effort du vent ne nous foit enleué

Ce beau Pin que tu vois iufqu'au ciel ejleué,

Qui du plus bas du pied iuf 'qu'au fommet des branches

Eft couuert de Lis d'or auec les Aigles blanches.

Mais puiffé ie pluftofi en l'arriere faifon

De mon. âge, me voir banny de ma maifon,

Mendier d'huis en huis, qu'vn tel mechef aduienne!

Ce pendant ie te pry, Michau) qu'il te fouuienne

Du propos commencé, il le faut acheuer.

Maintenant, s'il teplaift, auant que nous leuer.

Lors Michau: le difois qu'en vain l'homme s'efforce

La Nature forcer foit par art, ou par force

Car bien qu'il femble vn temps qu'ej "cloue fous les lois

De l'homme outrecuidé elle ait perdu f es droiêls.

Si la voit on en fin, reiettant en arriere

Tous liens, recouurer fa liberté premiere

Et comme vn preux guerrier porter fur fon efcu

Empreinte à tout iamais la honte du veincu.

C'eft à dire) Colin, que Nature retourne

Aifément d'où le foin de l'homme la defiowne

Et que mieux il nous vaut nos champs enfemencer

De grains à nous cogneus, que non pas les preffer

D'en porter d'eftrangers fur tout qu'il faut cognoitre

Le champ, comme i'ay dit, auant que d'y rien mettre.

Encor n'efi-cepas tout car lafterilité

Ne vient des feuls terroirs, ny la fertilité,

Ains de l'alme Soleil, qui l'influence darde

Et les rend plantureux felon qu'il les regarde.

Son pouuoir eft tres grand il eft comme le Roy

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DE LA VIE RVSTIQVE. 133

Qui fouuerain commande, & qui donne la loy

A tout le labourage au pris qu'il fe remue,

Le bon homme des champs fait branjler fa charrue.

Et comme il entre ou fort de fes doute maifons,

Le Laboureur conduit fes œuures és faifons,

Rapportant fon bonheur ou fa mefauanture

Au Soleil, principal outil de la Nature

Ioint que le Tout-puijfant en fa diuinité,

A de chafque terroir le rapport limité.

Car apres le peché, pour marque de l'offenfe,Diert condemna la terre, ©" fit la difference

Des lieux & des pais la Terre auant eftoit

Toute pareille en foy, &1 de fon gré portoitLe viure des humains, egalement feconde

Par tout ce qu'Amphitrite entoure de fon onde.

Sans le péché, l'Anglois, l'Alarbe, le Grifon,

Bref chacun euft cueilli autour de fa maifon,Hors de peine & trauail, des fruits de mefme forteEt de mefme bonté que l'Orient en porte

Et les fablons menus des plus proches deferts

De l'Equateur bouillant, euffent efté cortuers

D'autant de beaux froments feruans à noftre vfage,

Qu'à Rome on en fouloit conduire du riuageDu Nil Egyptien, ou du contraire bord

Qui bruit encor d'Elire & l'amour & la mort.

La Cyprej la Chios, la Crete, la Sicile

N'euffent en rienpaffé la Nouerge & la Thyle

Thyle, l'vne des fept dont noftre Ourfe accoucha,

Neuf mois entiers apres qu'Aquilon la toucha

Thyle fille du Nort, qui par fois dedaigneufePour fuir la lueur de la flamme amoureufe

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134 LES PLAISIRS

DePhebus, (Sf le iour eternel qui le fuit,

S'en va cacher fix mois aux antres de la Nui6l

Puis les autres fix mois plus douce deuenuè

Se met dans le gyron de Phebus toute nuë)Et de fes bras charnus fçait fi bien l'accrocher,

Qu'en vain Tethys l'attend à l'heure du coucher.

Pardonne moy, Michau,dit Colin ce

langage,

Et les mots que tu dis, ne font à noftre vfage

le croy qu'il te fouuient de quelque vieil rebus,

Quand tu nommes ton Ourfe, & Tethys, & Phebus

Et l'Equateur bouillant, & les amours d'Elire,

Et les Orcades fœurs, les filles de la Bite.

Tu nous en veux conter, qu'vne Ourfe ait le pouuoir

D'vn vent,& d'vn vent froid des filles conceuoir.

le ne dy pas cecy à fin de te reprendre,

Car ir/fques au cercueil ie defire d'apprendre

Si enfant, comme toy, mon pere m'euft infiruit

En ce que les Romans ont laiffé par efcrit,

Capable ie ferois (mais moins heureux peut efire)

D'entendre ce parler ejloignèdu champeftre.

Ne te fafche Colin) dit Michau tout exprés

l'ay vfé de ces mots, fçachant que cy après

Quelqu'vn de nos amis, pour faire toufiours viure

Le banquet de ce iour, le mettra dans vn liure,

Liure qui ne fera feulement recité

Es cajtnes & bourgs, ains en maintecité,

Ou les hommes fçauans auront plaifir de lire

Ces mots non auparler,

ains propres à l'efcrire.

Chacun adonc fe teut luy d'vn inegal cours

Et d'vn ton varié pourfuiuit fes difcours

Quelquesfois fe haulfant fur lapoin£le des nuës)

Page 144: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

DE LA VIE RVSTIQVE. 135

Et quelquesfois rampant fous les herbes menues

Selon que la fureur diuine l'incitoit}

Ou que plus ou que moins le propos meritoit.

Bien-heureux font (dit il) les hommes qui cognoiffent

Les caufes) dont çà bas les effets apparoiffent

Pourueu que retenus fous vn humble deuoir

Ils referent à Dieu le but de leur fçauoir.

Ces vers ie compofois au lieu de ma naiffance,

Plein d'honnejie loifir) lors que Henry deFrance)

Fils &1 frere de Roy, l'honneur des Valois,

De cent canons battoit les murs des Rochelois

Et euffe pourfuiui les biens dulabourage,

Mais la mort de mon fils m'en ofte le courage)

Et trouble tellement de douleur mon efprit,

Que i'en laiffe imparfait pour iamais ceft efcrit.

Page 145: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

Continuation des Vers

fur les Plaifirs de la

Vie Ruftique.

Mon ardeur me reprend O* ma premiere enuie

De chanter les plaifirs de la ruftique vie,

Plaifirs purs, innocens & conter aux neueux

Quels font des Laboureurs les ordinaires vaux,Leurs courtils, leurs troupeaux, leurs feftes, leurs iournees

Et felon les faifons leurs ceuures ordonnees.

0 Pan, Dieu d'Arcadie, à qui de toutes parts

Les Bergers vont offrant les primices des parcs:

Et toy pere Syluain, O" vous belles Naïadeir,

Vous les Nymphes des bois, clair-brunettes Dryades

Vous Satyres cornus) C autres Déiter,

Qui l'horreur des forefts fainftement habite^,

Ou le chef des hauts monts, ou le creux des riuieres,

D'où propices oyer les ruftiques prières

Si iadis il vous pleut tant vous humilier,

Que de vouloir aux Grecs vos fecrets publier,

Page 146: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

LES PLAISIRS DE LAVIE,

ETC. 137

18

Par le ftyle doré & par la voix facree

Qui encore s'entend du citoyen d'Afcree,

Et fi c'eft vous aujji qui d'vn immortel fon

Du Mantuan avec animé la chanfon

Chanfon qui auiourd'hui eft encore aujfl viue)

Que lors qu'il la chanta fur la fuperbe riue

Du Tibre blondiffant, ou fous les Orangers

Dont Parthenope belle emmure fes vergers

Infpirei mefme ardeur) ô Dieux) dans mon courage

le chante à nos François dans ces vers voftre ouurage,

Qu'à la mort de mon fils) de la douleur prejfé

I'auois pour tout iamais imparfaiél delaiffé.

Et or'loin deCirrha,

de Permejfe, & leur fource}

Es Sarmates glacés, pref qu'au deffous de l'Ourfe,

l'entreprens d'acheuer (fi par vous m'efi permis)

Pour fatisfaire au vueil de mes doélesamis,

Et fuiet obeïr au commandement iufte

Que fouuent i'ay receu de Henry mon Augufte.

Alors que le Soleil entrant dans la maifon

Du celefie Belier) ramene la faifon

Du printemps eniouè, & les Alpes cornues

Crollans leurs chefs hautains qui voifinent lés nues,Font contre bas rouller à gros tas & monceaux

Lesneges, dont on voit deborder les ruiffeaux

Et lors que les Zephyrs de leurs douces haleines

Fecondent l'amarry des plus fteriles plaines

Que l'ingrate Progné raude autour du plancher

Où fans le gré de l'hofie elle pretend nicher

Et que tous animaux au creux de leur poitrine

Commencent de fentir les ardeurs de Cyprine:

Adonc l'homme des champs quittant le dur feiour

Page 147: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

138LES PLAISIRS DE LA

VIE,ETC.

De fon liél atterré) vne heure allant le iour

E alle fes outils, drejfe fon equipage)

Coultre, charrue & foc) & le menu cordage.

L'autheur eftant apres à continuer ceft

œuure à heure perdue, il fut contraint

de le laifler, à caufe du depart

foudain de Pologne, pour la

nouuelle de la mort du Roy-

Charles neu-

fiefme.

Page 148: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

SONNET

A fon fils, apres qu'il eut gaigné la fleur

d'Aiglantine, qui fe donne par vn des

principaux Magiftrats en l'hoftel

de ville à Toulouze, à celuy

des enfans qui en public a

mieux recité des vers.

Mon fils) tu as gaigné cefte petite fleur)Dont ie vey mon enfance à ton âge eftrenee:Mais comme elle me fut par mon pere donnee)

I'eujfe aujji defiré en eftre le donneur.

Si le ciel m'a nié O* à toy ce bonheur,Si ne veux-ie paffer cefte fatale annee

Sans voir dedans ta main la fleurette gaignee,Pour t'apprendre, mon fils, d'en louër le Seigneur.

C'eft luy quifait germer) croiftre} fleurir enfemlle,Et meurir tout coup nos ans quand bon luy femblePuis change nos hyuers en eternel printemps.

Ail iargon des oifeaux és forefts il fait bruire

Le los de fa grandeur aux enfans il fait dire

Les merueilles du ciel} quand il benit leurs ans.

Page 149: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

Epitaphe de médire MICHEL DE l'hospital

Chancellier de France.

Cy gift DE L'HOSPITAL, le Caton de noftre âge,

L'Ariftide François, & le huiétiefme fage.

Page 150: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

APPENDICE

Page 151: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies
Page 152: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

SONNETS

ARTEMISE

De fainéle pieté en vn Roial veufuage

Quoy que l'honneur premier iadis m'enfaft donné,La mere des trois dieux fur fon chef coronné

Emporte iuftement au iourd'huy l'aduantage.

le luy cede lelot

de l'immortelouurage

Qu'à monefpoux i'auois pour fepulchre ordonné

Dont le Romain iadis de le veoir eftonné

Dans ces vers le nomma miracle de fon aage.

Autant que mon Maufol en Roialle bonté

Fru vaincu deHenry)

d'autant eft furmonté

Son tombeau par celluy que la chafte Cybelle

Pour défier l'oubly des frecles aduenir}

Deuote a confacré au trifte fouuenir

De Henry fon efpoux qui vit toufioursen elle.

Page 153: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

144 SONNETS.

CAMILLE

Lehaçart

descombat^

en mainte &" mainteforte

l'allais cherchant partout vierge&

fillede

Roy,

Lecamp

Troien i'auois lors mis endefarroy

Quand Arons defon

dard me feit trébucher morte

La mort nemepriua

de l'honneurque

Ionporte

Aux braues combatansqui

meurent comme moy:

Turnus,ce

preux guerrierhonora mon conuoy

Appuiantmon cercueil fur fon efpaule forte.

Vnelance

vnbouclier)

vn coutelastrenchant,

Vn efcadron carré en bataillemarchant,

Sont lesplaifirs que i'ay fuiuis

des mon enfance.

CefleRoine a

plus fait carfans effort

de bras

Par villoire &1mercy

a misfin

auxcombatt

Et vni. lesFrançois fous vneobeijfance.

CLOELIE

En làfleur

de mes anspar

le fort inhumain

Au Roy Tufcan ie fus enoftage liurée)

Mais à l'ail de Jan oflie m'enfuis deliurée

Paffant fur vn courfierle creux Tybre Romain.

Page 154: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

SONNETS. I45

''9

L'obiecl de ce hault fai£l rendit ce Roy humain

Car lors que par nos loix ie luy fus reliurée

Guerdonant ma vertu d'vne riche liurée,

Les oftages rendit qu'il tenoit foubs fa main.

Si pour auoir paffè fur vn cheual à nage

Le Tybre, on va louant mon belliqueux courage

Et Rome me reçoit en fi pompeux arroy}

Que pourra meriter celle qui defarmée

A d'vn coeur indompté) trouer fé mainte armée

Pour le falut commun de la France &" du Roy?

SONLVET

(En l'honneur du Roi, du duc d'Anjou

& du duc d'Alençon.)

Le Premier eft mon Roy, duquel moins le n'efpere

Que de ces preux aietilx, qui par illuftres faiB^

D'Heroïque vertu, feux diuins fe font faiEï^Et vont ores roulant au plus hault de la Sphere

Le Second eft va duc que Fortune prof père

A faiEf vaincre & dompter les guerriers plus parfaict^Lors que mal confeille^ nous nous fommes deffaiflçPour affeurer l'eflat du voifin aduerfaire:

Page 155: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

146 DIALOGUE SUR LA MORT

Le Tiers vn iour n'aura moins degrace

& bonheur

Quede

grauerau ciel les

traiflçde

fon honneur,

Par la vertu qu'ila dedans

Jan coeuremprainte

France,ie ne te

puis Jouhaiter plusde bien

Que veoir festrois vnis

pareternel lien

SousVhonnefte

debuoir d'vne amitié non fainte.

L'Efpritde

Lyfisdifant le dernier

adieu à faFlore, dialogue

fur la mort de Bûffi

d'Amboife.

FLORE.

Surlepoinll que

la nuiElpliant fon

noir manteau

Pour faire placeau iour

r'appelle fes lumières.

Etqu'vn profond fommeil arrofé de fon eau)

Charme de nos ennuis les humainespaupières,

l'entendspres

de mon liât vne dolentevoix,

Elle eftoità la voix de mon

Lyfis pareille

le fens vn bras plus froid quemarbre mille fois

Dont l'vn en mepouffant,

l'autre en criant m'efueille.

Page 156: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

DE BUSSI D'AMBOISE. 147

Vn ieunehommecouuertdeplayes O"defangSeprofterneà mespieds mapoittrinefe glace,Mon cccurfaifid'effroypantelle dans monJlanc,Et à ce trifte obieclie tombefur la face.

Madame,ce dit il, affeureçvoflrepeurle fuis voftreLyfis, quipremierquedefcendreDans le val tenebreuxplein d'eternellehorreur,Le funebre dcuoirie vousfuis venurendre.

le recogneusfa voix, O°ouurant mesdeuxyeuxle remarquaymaint trait defa beautépremiereLyfis di-ie enpleurant, quellefureur desDieux

T'afaiâljî toft quitter du Soleil la lumiere?

LYSIS.

Les Dieux nefont autheurs'du maffacreinhumain

Qu'vnperfideajfajjln attiltré par fon maiftre,En fa propre maifon a commisdefa main,Auecplufieursvoleurscompagnonsde ce traiftre.

FLORE.

Quoy?tant de richesdons dont le cielt'honoroitjTaforce j ta valeur, ta grace, ta facondeEt tant d'exploits guerriersque la France admirait)Ne te deuoient-ilspas rendreami tout le monde?

LYSIS.

Flore, vousvous trompe^,Pefclat de ma vertu

Eft l'vniqueveninqui m'a priué devie,

Page 157: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

148 DIALOGUE SUR LA MORT

C'eftlefoudre crueldont iefuis abata,Le rocher de ma nef, la butte de l'enuie.

Ceuxqu'auiourd'huyl'on voit lespremiersrangs tenir,Rodomonsdepiaffe }&garces encourage,Ne pouuansde monlos le renomfouftenir,Ont acheptémamortpour affouuir leurrage.

FLORE.

0 deteflablesmoeurs 1fieclerigoureuxForgedetrahifort, efcholed'iniuftice,Desfiecles le dernier,ôfieclemalheureux!Tu efleintsla vertupour auancer le vice.

Lyfis montout) monbien)mille f2' milletrefpasMeferont chacuniour voir d'Acheronla riue)Si d'vn coupfeulementton ombrefuit la bas

La gloirede tesfaits refiera toufroursviue.

LYSIS.

I'euffefort deJré mourirau liât d'honneur,Mettant vn campenrouteouforçant vneplace,Mais ce quipltrs hélas! augmentema douleur,

C'eftquemourant ieperds lesrais de voftreface.

FLORE.

Le genrede ta mort tefmoigneta valeurEt de tes ennemisla couardifeinfameTant qu'enmoyrefterade vie & de chaleur)

Toufiours,moncherLyfis, tu viuras en moname.

Page 158: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

DE BUSSI D'AMBOISE. T49

LYSIS.

Toufiours iegarderay dejfous l'obfcur

tombeau

Tagrace)

ta vertu dansma poiélrine emprainSte,

Et le Lethe oublieux m'abreuant deJan eau,

Ne fera que i'oublie vne amitié fi fainéle.

FLORE.

L'excelfiuedouleur ne me

permettra pas

Defuruiure apres toy

les mauxqu'amour

me liure

Sontbeaucoup plus

cruelsque

le crueltrefpas,

Tum'emportes

le coeur fans quoyl'on ne

peutviure.

LYSIS.

Quiconque veut guerir eft ià fain àdemi,

Madame au moinstenq voftre douleur

couuerte,

Que fi vous nepouuq

oubliervoftre ami)

Songerau bien

pajjë& non

pasà la

perte,

FLORE.

Puifque la vertu feule en aimantiepourfuis}

Peu me chautque

chacun fondre en larmes me voye:

Me fouuenir del'vnfans l'autre ie

ne puis

Le deuil entre en nos coeursplus

auantque

la ioye.

LYSIS.

Adieu) Madame, adieu)le

mejfagerdes dieux

Pour pafferle noir

fleuue importunme

?appelle

Adieu)beaux

yeux, plusclairs

que les fiâmesdes

cieux,

D'vn eterneladieu)

adieu Flore la belle.

Page 159: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

IJO STANCES.

FLORE.

Lors iefaute

du liélpour fa fuitte arrefter}

Maispenfant l'embraffer

rienque

vent ien'embrajfe

Adieudoncques) Lyfis,

l'eternelIupiter

Guerdonnant tes vertus terefoiue

en fa grace.

0nuitt;

cruellenui£l}

tu meferas toufiours

Triftej mal-encontreufe}& des nuiEls la

plus noire}

Tu m'as raid montout)

les traits au Dieud'amour

Les attraits âVenus,

Bellone la gloire.

STANCES

D'où vient qued'autant

plus queie

fuis enflammé

Quemon malheur confent que

ie fois moinsaymé)

Et flattantmon malheur contre moy ie

m'obJtine?

Vousdiriq que

les feux de ma trifte langueur

Allument à l'enuy les feux de fa rigueur)

Si bien que vous aymer c'eft aymer fa ruine.

La Nature & le Cieltemperent l'Vniuers

D'eau enfemble Sf defeu)

deux elemensdiuers,

Qui departent au monde vne forme nouuelle)

Mes larmes &" mon feu font les deuxelemens

Qui temperentma

peineen diuers

mouuemens,

Mais le mondeeft mortel,

& mapeine

immortelle.

Siquelqu'vn

d'entrevous peint l'Amourauiourd'huy

Page 160: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

STANCES. 151

Qu'ilpeignela Fortune ajjlfe aupresde luyLa Fortune C l'Amourfont demefmenature)Cen'eftpas le meriteauiourd'huyqui departLe bon-heuren amour) ce n'eft quele harartVnaueugle,vn enfant font tout à l'aduenture.

A quelprix derigueurs, depeines,detourmens}De fiâmes defureurs, d'enfers, d'embrafemens,Metteç vousen amour le biende mapourfuite?S'il ne tient qu'à fouffrir, ie vouspry d'inuenter

Quelquetourmentnouueaupour mebientourmenter,Qu'à l'egal de mesmaux egal foit monmerite.

le merefoulsfouuent dechajfer demoncoeurL'amour & les defirs,brafiersde ma langueurL'amour tout mutinéJe plainél à l'efperance,L'esperanceaujji toft fe va plaindre à vos yeuxSi toft queie vous voy i2 deuiensfurieux,Contrefi doux Tyrans ay-ie affq depuiffance?

C'eftvn dif coursd'Amour,s'il vaut mieuxqu'vn AmantN'efpererien du tout pour fon contentement,Oufi pour efpereril a quelqueaduantageL'vn eftpleinde defirsd'va bienimaginé,L'autre plein defureur) erzfon mal obfiinéQuieftde cesdeux-la leplus pres du riuage.

L'amant defefperés'il n'attaint à ce bienOufon propremal-heurveultqu'il n'efpererien,S'il n'a bienefperé,qu'eft ce qui le tourmente?Mais fi quelquebon-heurfans y auoir penfé,Le conduità cepoinâi, qu'ilfoit recompenfé,Le plaifir eftplus cherqui nous vientfans attendre.

Orceluyqui s'attend d'eftrevn iour recogneu,Le plaifir eftpafféauant qu'il foit venu,

Page 161: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

153 STANCES.

Et afansfruicl lefruiEldefa peinefouprte,Mais s'il aduientaujji qu'il Je trouue abuféDe l'effeElduplaifir qu'il s'eftoitpropoféL'efpoir d'vn bienaccroiftle regret defa perte,

Quei'ay donc de regretd'auoir tant pourfaiuy,Soubsvnefpoir trompeurle bienqui m'eftrauy}Apresauoir porté tant de longuestrauerfes!Or ie veux déformaisfçauoir fi ie feréPlus heureuxen amour eftant defefperé}Les effeélsfont diuersdedeuxcaufes diuerfes.

Ne vous laffeç iamais de mefaire endurer,Penfeç vous queiefois las deperfeuerer?Quede milledefdains maflame foit fuyrtie?La valeur d'vn guerrierfe cognoiftau dangerCentmillecruauteçne meferont changer,La fin demonAmourc'eft la fin de ma vie.

L'on ditt qu'entoute chofe y a perfettion,Quis'appellelà haut ImaginationDu parfaiél fans effedqueles dieux ont gardée}le n'ay pas feulementen monamourparfaiclL'imagination, mais au.fi, i'ay l'effetl,Si bienquemonamour eft l'effeStde l'Idée..

La vieilleAftréevn iour s'enuoladans lescieux,Abandonnantla terre & le mondeodieuxQuiplein d'impietéluy vouloitfaire guerreLes amans ont banny la Conftance& laFoy}Elles pour fe fauuer s'envolerentdans moy,le feray doncle Ciel &"lesautres la Terre.

Liens).flammes)fureurs croijfeçde iour en iour

Croiffansvous nepouuq defcroiftremonAmour,Croiffeçdonclesmeurtriersde monamepunie

Page 162: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

STANCES. 153

20

Beauté^miroir du ciel, qui mefaites tranfi,Pourquoynepouueçvouscroifirede mefmeaiis,t ?Mais quipeut adioufterà la chofe infinie?

Auant quel'on vous veift qu'eftoitcequebeauté

C'eftoità monaduis quelquenomempruntéVnfonge qu'vn amantpeignoit enfon courage,Ou biendescoupsd'effay &"quelquepetit traictDu ciel,pour mieuxapres tirer vojlreportraitl.Cen'eftoientquedeffeins&*vous eftesl'ouurage.

Digne ouuragedu ciel, ie metiens bienheureux,Puifque ie fenspour voustant de maux langoureux:Tourne^au moinsvos yeux trop pleins deviolenceDe dire qu'vnepeur vous aille retardantLa defenceen amourrendvn feu plus ardant,Vousne le voulq pas voyla voftredefence.

Les beauxrais du Soleil quand ils font renfermerEn vn miroir ardent, ils font plus allume^,Et lefeu plus ardent enclosen la fournaifeQuandl'Amoureft contraint, &"qu'il fent quelqueeffortIl s'anime& fe rendplus violent O*fort

C'eftvfer vn peud'eaufur vnegrande braife.Ouc'eftmalfait d'aimer,ouc'eftbienfait d'aimer:

Si c'eftbienfait d'aimer,qui vous enpeut blafmer?Qui croira queiamais la vertufe defende?Si c'eft mal fait d'aimer, qui a doncoffencé?Eft-ce vous ou l'Amour qui vousy a forcé?Pechén'eftplus péchéquand vnDieu le commande.

Le voulq vous ou non? Si vousne le vouleç,Et queie perdeen vain tant depleurs efcouleç,Diéles lefranchement, quevousfert delefeindre?Maisfi vousle vouleç,qui vous le defendra?

Page 163: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

IJ4 STANCES.

Vueilleile feulement,Gfchafcun le voudra.VneDiuinité fe peut ellecontraindre?

Mais qui eft l'indifcret qui voudroit engarderQuele Soleildu Cielne nous vint regarder?Quipourroit empefcherla courJe defa Jlame?Le Soleileft l'Amour) l'Amoureft le Soleil,Tous deux ont mefmeeffence& vn effeBpareil,L'vn eftl'Aftre du monde l'autre de noftre ame.

Iupiter indignétenoit l'Amour enclosDedans l'obfcuritédu tenebreuxchaosMais quepeut contreAmourl'effroyd'vne menace?Cet enfant à la fin de colerefortitPlein d'audaceO°de coeur,& le Mondebaftit,Cemondeeftauiourd'huy lefruit defon audace.

S'il vousplaift defçauoir ce qui eft entendu

Soubscechaos, ce n'eft qu'vn amourdéfendu

Iupiter eftla peur qui vous tient afferuie,Cemondeœuured'Amourque baftit cet enfant,C'eft l'effet de l'Amouralors qu'on le defend,La defenceen Amoureftmerede l'enuie.

Qui vous defendd'aimerd'vne honnefteamitié,Vousrend fansyeux, fansame,ingrate &fanspitiéIngrate) en refufant lefruit demonferuice,Sans yeux, en mevoyant cruellementmourir,Sans ame & fans pitié ne m'ofant fecourir.

Qui defenddoncd'aimervouscommandecevice.

Quicraint vnedefenceen amourn'aimepoint,Ous'il aime)l'Amourdont il fe fait ef point,Cen'eft tant feulementqu'vnfeu qu'il imagine,Vn arbrequin'a misfes racines auant,Vousvoyer quedepeur il trembleau premiervent,

Page 164: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

STANCES.IJJ

Aimerpeu qu'eft

ce doncqu'vn

arbrefans

racine.

D'où vientqu'on feint Amour

filsde la Liberté?

Comme libre ilne peut

iamaiseftre arrefté,

Comme volant &rnud, par

où lepeut

onprendre ?

Commeenfant, que peut

on aux enfans demander?

CommeDieu, c'eft à faire aux Dieux de commander.

Dieu) enfant) libre)& nud

que luy peuton defendre?

Etbien, fi

vousm'aimer, m'aimant qu' ojfenfeç

vous?

Cen'eft

aupis

allerqu'irriter

vn courroux

Humaineeft la deffence C la vengeance humaine

Mais vous rendant Amour C les dieuxennemis,

C'eft vn fi grand péché, qu'il n'eftiamais remis

Les Dieux font éternels,eternelle

eftleur

peine.

L'Amour bandefes yeux afin

de ne rienvoir,

Pour monfirer queles coeurs

qu'iltient en fon pouuoir

Doutent fermer les yeux aurefpeft

d'vne crainte.

Que fert vne defence ou ledeftin

a lieu?

DeftinGr Dieu

n'eft qu'vn fil'Amour

eftvn

Dieu)

le conclusque

l'amoureft

donc hors de contrainte.

La beauté fans amourc'eft un feu fans ardeur,

C'eft vn arbre fans fruit, c'eft vnpré fans verdeur,

Vn printemps quin'a

point aucune fleur efclofe,

C'eft va del fans Soleil, c'eft vn Soleil fans iour)

C'eft vncorps fans efprit,

vn Amour fans Amour,

L'Amour & la Beautéc'eft vne mefme chofe.

Quandvn Amour

eft ferme &"fur pied affeuré

Que le Ciel ou l'Enfer fa perteait coniuré

Malgrétant de

rigueurs fa confiance eft cognue.

Si l'Amour a desloix, c'eft pour affubiettir

Lesyeux,

nonpas

le coeurque

l'onpeut diuertir)

Que i'ay doncvoftre

cœur & les autres lavffiï.

Page 165: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

156STANCES.

Amour, fitu es donc le

granddieu des mortels

Qui vois &qui reçois

l'honneur de tantd'autels,

Quite

plaisen nos maux

te paisen nos larmes

le t'adiure &1coniure) Amour) par

tes attraits

Tapuiffance,

tesfeus,

tes redoutablestraits,

De faire en ma faueur qu'elle efprouuetes armes.

Si tu es cegrand

Dieupar qui

touteft donté,

Craint là haut dans leCiel,

aux enfers redouté,

Qui renjlamme Neptuneau milieu de Jan onde

Decoche tous testrais)

darde dedansfon cœur,

Toncarquois

&" ton feu pourt'en rendre

vainqueur,

Etdy apres

cela l'ay vaincu tout le monde.

Page 166: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTES

Les Quatrains de Pibrac ont été publiés par parties, et

ce n'estqu'à compter de 1576 que Fédéric Morel les a

réimprimés dans l'ordre où ils se trouvent aujourd'hui.

La première édition a paru in-8° (13 p. rit. comp., plus

1 feuillet1/2 blanc) avec l'intitulé suivant

Cinquante Quatrains, contenantpreceptes

& enfeigne-

mens vtiles pour la vie de l'homme, compofe\à l'imita-

tion de Phocylides, d'Epicharmus & autres anciens Poêtes

Grecs, par le S. de Pib.

A Priris, che\ Gilles Gorbin, à l'Enfeigne de l'Efpe-

rance, rué St-Jean de Latran deuant le College de

Cambray. i5j4.

Au verso du titre onlit,

avec sadédicace,

la pièce

ci-dessous

D. VIDOFABRO, REGIO

CONSI, FISCIPATRONO,

ET

PATRICIO.

Seu patrie torques vihrantia fulmina lingue e

Pibrace, facundo maximtts ort ruent

Seu qijalis Aufonijs trcpidanliapcâora verbis

Sauromatlun, inque tno Tullius ort fluit,

IlHnenojira fttitm le Gallia iaftat ahintnum,

Page 167: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

158 NOTES.

HinccontraiuratRomulaferrafuum.MagnusMceonidesproquofeptemvrbibusolim

Certatummiiîtotemporefamarefert,Maxlmusillequident,aiquantotuvtaiorHomcro,

Quempropterbellummaximarégnagerttut.P. DELATaNERIE

Tholofan.I. C.

Lesquatrainspubliésen 1574,par GillesGorbin,sont,dansl'ordresuivant,ceuxde notreédition,n"81et 2, 88,34, 94, 37, 3°, 42, 32, 38, 43, «S,44à 46, si et 52,66 et 67,48 à 50, 54à 60, Il à 21, 118,il, 121,119,109,110,53, 47, 125et 121Î.

La suite des quatrainsde Pibrac a été donnéein-40(15pp. tit. comp.),par FédéricMorel,en 1575,sousletitre de Continuationdes Quatraittsdu SeigneurdePybrac, contenantpreceptes6 enfeignemenstres-vtilespour la viede l'homme,compofeà̂ l'imitationdesan-ciensPoëtesGrecs,par le diét Sieurde Pyb.

Cevolumecontientcinquanteet un quatrains.Lesquatrainsdontla réunionformecettecontinuation

de l'oeuvredePibraccorrespondentà ceuxde notre réim-

pression,rangésdansl'ordre ci-dessous3 à 8,22 et 23, 25à 29,3t, 33, 63et 64, 35, 90, 70à

75739, 9i, 86769,96,120,97, 101,98, 92, iij, 87)89,8s,99et 100,fii, 108,117(cesdeuxquatrainsportentlen° +3), 102et 103,79, 8o; 62, ios, 2+.

Auversodu titre se trouvele quatrain

le 71'aylafchécesQuatrainsfaçonnerD'vnjlyledoulxafinqu'ilspeujfentplaireCaraitjjibiennelesveulxiedonnerQu'Aceuxquin'oeilfoucyquedebienfaire.

Suivantprivilégedu 25e jour d'août 157S, FédéricMorelayantobtenule droit d'imprimer,faire imprimer

Page 168: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTES. 159

et vendreles quatrainsde Pibrac, durant le termedesix ans, a publiécet ouvrageen 1576, 1578; i583 et

1584.Cesdiverseséditionsprésententdansun ordredéfinitif

vingt-cinqnouveauxquatrains,tous ceuxqui avaientétéréimprimésantérieurementet lescinqsonnetsdes Damesillustres.

LesonnetdeLucrèceRomainea parupourla premièrefoisdansle livrede SimonBouquet,intitulé

Brefb SommaireRecueildecequifiétéfa'tcl&del'ordreteuueà laioyeufe&trtumphanleEntréedetrespmffant,tresmagnanime&treschrejliettPrinceCharlesIX decenomRoydeFranceenfabonneville&citédePariscapitaledefouroyaume,lemardiJîxiefmeiourdemars

atiecLeCouronnementdetreshaute,Iruillufire&tresexcellentePriu-

ceffeMadameElifabethd'Autrichefortefpoufele Dimancheviugt-cinquiefme

Entréedeladicledameenicellevillele IeudixxixdudiétmoisdeMarsmDLXXI.

AParisDe l'Imprimeriede Denisdu Pré,pourOliuierCodorérue

Guillaumelojfe,auHérautd'armes,presdelaruedesLombars

AuecpriuilegeduRoy.

In-4"des+ff.,tit, comp.,pour l'EntréedeCharlesIX,io ff. id. pour le Couronnement,et 26 pour l'Entréed'Élisabeth.

Le sonnet de Lucrèce,traductiond'une inscriptionlatineen l'honneurde Catherinede Médicis,se terminepar lesverssuivants

Honlcufinevoulusàmonhonneurfuruiure.Maistoyquiireveisonctonefpritaffaillir

Device,rtylecorpsfiprochedefaillir,TudoibsRointvouloiricylonguementviure.

Page 169: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

160 NOTES.

Avantd'êtrepubliédans la premièreéditioncollectivedesquatrainsde t576, le sonnetde LucrèceparutavecceluidePorciedans la réimpressiondes cinquantepre-miersquatrainsdonnésen IS7J, in-8°,par GillesGorbinet in-4Ppar FédéricMorel.La continuationporte à sadernièrepagelesonnetdeCornélie.

P. 77. Quatr.13.

Vndegoutdelafourceeternelle.

Regniera dit dansun sensanalogue,Sat.X, in fine

Et duhautdesmaifonstomboitvnteldegout.

P. 89. Quatr. 72.

Desaureillettesprendre.

Allusionauxoreillettesdont les athlètesse couvraientlesoreillesafind'éviterdesmeurtrissures.V. le Thesaurusd'Eftienneau motA'iaçmti;.

P. 91, Quatr. 80.

DeDenisle taureau.

Confusioncommisepar Pibracquia ici en vuele tau-reaudePhalaris,devenul'instrumentdesupplicedePerilleson inventeur.

P. 92. Quatr.86.

Lenombrefainâ.

Le nombre4 et ses multiples.V. Agripp.,De occull.

philosophia,liv. II, chap.vu.

P. 94. Quatr.97.

PlusqueSylla.

Page 170: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTES. 161

21

L'ignorancede Syllaest unelégendesuspectedontontrouvenéanmoinsdestracesdansSuétoneViede César,et dansAgrippa chap.i, Devanit. scient.

Onne connaîtquequatreéditionsdesversfrançaissurlesPlaisirs de la vierustique,publiéesà Parisduvivantde Pibrac.La première,de1576,in-8°de8 ff. y comprisun titre avecencadrementniellé,est de FédéricMorel.Lasecondea étédonnéeà la suitedesquatrains,pourlaVefueLucasBreyer,en 1583,in-12 de 29 if. Ces deux

éditionSjjdont:a plusancienneestde touterareté,necom-prennentni lescentquarante-quatrevers qui formentledébutdupoëmedePibrac,ni ceuxqui,aunombredecent

quatre-vingt-deux,prennentplaceavantl'épilogue

Cesvers aulieudema

Ontrouvece complémentdes Plaisirs dans les deuxréimpressionsdonnéesen1584,par FédéricMorelet parMamertPatisson.Cettedernièreéditionin-40,de 16 ff.,se distinguede la précédentepar plusieurssingularités.Le titre est ainsiconçu Les Vers.Franco; dit S'' dePibrac,ConfeillerduRoyen/on Confeild'EJlatôpriué,Presidentenfa Cour de Parlement & ChancelierdeMoufeigueurFreredu Roy.

La continuationdesVersfurlesPlaisirs de la Vierus-tigacefinitle volumef. 15,v°, faisantsuiteà l'Épitaphede L'Hôpital.Enfincetteéditionestornéed'unegravurereprésentantPibracavecl'exergue

Gaboraétusin orbem. r

Au-dessouson lit

GuidoFaurusfineFaber.

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162 NOTES.

Et cedistique

InqueforoinqueaularébusconfultusagendisDuxiladufquepoîumRegemJaluumquereduxii.

I$86. 1.AVRATVS.

P. 110,V.5.

CegrandCatonFrançois.

Michelde l'Hospital.Il tomba en disgraceen 1568aprèsavoiroccupéhuit ans le poste de chancelierdeFrancequ'il abandonnasansy laisserrien de son hon-neur.Sesœuvres,recueilliespar Pibrac,ont étépubliéesen deuxvol. pet. in-fol.chezMamertPatissonen 1585;les Lettreset Discourspar les soinsde Pibrac,de Thouet Scevolede SlcMarthe,et lespoésiespar MichelHu-rault,seigneurde Belesbat,petit-filsde l'auteuretgendredeGuydu Faur. P. Pithouet Nie.Lefèvreontpris partà cettedernièreédition.

P. III.

Et toyBocconnefainâe.

Boisvoisindu châteaude Pibrac.

P.123.

LesmaJHnscourageux.

Ce vers et le suivant ne sont pas dans l'éditionde

1583,où, encet endroit,l'ordredes rimesmasculinesetfémininesest régulier.

Page 172: Les Quatrains de Pibrac ; Suivis de Ses Autres Poésies

NOTES. 163

P. 125.

Sonoyfonefîouffé.

On lit efgorgédans1583.

P. 126.

Afinquecyaprèsn'enpuiffeejlrereprisEtblafméiujlemetttd'erreuroudemefpris.

Cesdeuxversmanquentdansl'éditionde 15S].

P. 128.

DumoyenqueCalaunous.

1583donneici

DumoyenqueVautrehieron.

Aprèslevers

Croyezquemaintenantvousn'enchômeriezpoint,

on lit dans1570",1583et 1584(MamertPatisson)

Maisattendantquei'ayeefchauffémamemoirele m'envaydeboitcoeurvousdeffieràboire.QuoiilfembledefiaquelecœurvousdeffautQuandvousvoyezColinquihardivousaffaut.

P. 129,v. 6.

Pumorteleffroydescinquiefmesorages.

DepuislemassacredeVassy(1562),quiâevintle signaldela luttedescatholiquesetdesprotestants,jusqu'ausiègede la Rochelle(i$73)jon comptequatre guerresciviles

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164 NOTES.

terminéespar l'éditd'Amboise(1563),les paixde Long-jumeau(15Û8),de Saint-Germain(1570),et de la Ro-chelle,Onpeutdoncsupposerque,parcinquiesmesorages,Pibracaenvuelesconséquencesde la mortdeCharlesIX,et la formationde la ligue,qui de 1575à IS9S,sousleprétextede querellesreligieuses,livrala Franceauxriva-litésdespartispolitiques.

P. 130,v. 3.

Quele Tarrougtbague.

Tar pourTarn,conformémentà laprononciationencoreusitéeaujourd'huidans le Languedoc.Pareillementonécrivaitet l'ondisaitBearpourBearn.

P. 13s.

Cesversiecompofois.

Commeon le voitparcepassage,lesPlaisirs de la vierustiqueont été écritsau châteaude Pibracau commen-cementde 1573,pendantle siègede la Rochellepar leducd'Anjou.Le filsdontla mort interrompitce poëmeparaitêtre le premierenfantquePibracaiteudeJeannedeCustosaveclaquelleil semariale25juillet15S2-En 1573,ce fils,sur lequelnousn'avonsaucuneinformation,comp-tait doncau plusvingtet unans.

P. 185.Lesquatresonnetssuivantssont tirésde l'En-tréede CharlesIX,dontle titre exacta été donnéplushaut.Lestrois premiers,auxquelsil faut joindreceluide

Lucrèce,étaientla traductionde petites pièces latines

inscritesauxquatrecôtésd'unefontainetriomphaleélevée

prèsde la porte Saint-Denisà la fontainedu Ponceau.Voicile textedecespiècesplacéesauxpiedsdesstatues

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NOTES. 165

d'Arthémise,de Camille,Lucrèceet Clélie,quesurmon-tait l'imagede Catherinede Médicis.

Artu emisi

NonapudantiquasviduasfuitalleramaiorConiugisinciuerespielasatqueoffafepuîtiQudmmea lefialurquodnobilemaufohum.Tutamendviduismefolapujjimavincis.

CAMILLA.

AufaegofumhtvenuinienlarelaboremScutafudèmquetenensb ntartiabellafréquentantFortiteroccubuituafcdnuncgloriamaiorQuafeniormédiasacierproRegefubifli.

Lvcretia.

NullapudicitîœfamamefceminavincitJutermatronasveleresquamortepiauiNonmeaprobramedfedtenuncvincorabvna,Quafinemorteprobasfuerisquàmfidamartto.

CLOBLI

ObfespropatrîaRegidata,mafculavirgoTranfnauiruptisTyheriniflunsinavinclisSeruatRamafidemRexme,foluiiquepuellas,AtUtnonTiberim,totaagminarumpisivermis.

P. m, L'Adieude Lysisa été publiépar M. Tricoteldansses Variétésbibliographiques,Paris,Gay,1863,oùl'on trouveégalementl'indicationdes Stances,quenousdonnonsplusparticulièrement,d'aprèslesFleursdesplusexcellensPoëtesde ce temps,Paris, Nicolaset PierreBonfons,1599et 1601.

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166 NOTES.

Ce mêmerecueil contienthuit piècesaux initialesP. L. S. D. P. qui sembleraientpouvoir s'appliqueràPibrac.Onrencontreégalementdansle ParnaJJedesplusexcellensPoëtesdecetemps,Paris,Math.Guillemot,1618,cinqautrespiècesavecdes indicationsidentiques.Aucunede ces poésiesne doitêtreattribuéeà l'auteurdesqua-trains. Les piècescontenuesdans les Fleurs des plusexcellensPoëtessont de Du Perron,et parmicellesquifontpartiedu Parnaffede 1618,il y ena troisdumêmeauteur.Lesdeuxdernières,la ProfopopéedeMarsinfor-tunéet lesStancesau Roypour la Paix (t. II, p. 25),ontpourauteursde L'Espineet Porchères.

Indépendammentdespoésiesrassembléesdansnotreédi-

tion, Pibraca laissésur cesujet De la manièreciviledefe comporterpourentreren mariageavecunedemoifelle,plusieursquatrainsqui ont étépubliésà la suitede l'édi-tion de VanderHagen.Amsterdam,in-80.Cesquatrains,au nombredesix, formentun opusculeen trois folioscomprenantun premiertitreen caractèresdecivilité,unsecondtitreencapitalesromaineset le textedontle pre-mierverscommencepar cesmots

Pourpratiquerl'honnejleté.

Suivantunelettreadresséeau Ducdela Vallièrepar laComtessede Conillac,Eulaliede Pibrac,sousla dateduao octobre 1757,cet exemplairedes Quatrainsétait leseulqui restât. NéanmoinslapetiteniècedeGuydu Faurs'est dessaisiede cetteraretéen faveurdu célèbrebiblio-phile.(VoirBrunet,Manueldu Libraire.)

Malheureusementpour les curieux,le volumedontleDucde la Vallièredevintainsi possesseura été vendupar de Bureavecles livresdu premiercataloguerédigépar ce libraireen 1783,et il estdevenuintrouvable.L'ou-vragede Pibrac,qui portele numéro3KÏ0,étaitreliéen

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NOTES. 167

maroquinrouge,doubléde tabis,et, bienqu'incompletde48pp., il contenait(pp. 49à 69 inclus.)les 126 qua-trainsconnuset l'opusculedont nous sommesréduitsàdéplorerlaperte.

Une dernièreindicationcompléterace quivientd'êtreénoncéau sujet du singuliervolume en question.Sur

l'exemplairedu cataloguede de Burequi se trouveau-jourd'huià la Bibliothèquenationale,onlit, en regarddun° del'ouvragedePibrac,lesmentionssuivantes

17 1. ig s. Mran. nel.Ceschiffresindiquentle prixde vente,et les fractions

de mots qui suiventsont probablementdestinéesà rap-pelerau librairele nomde l'acquéreur.

Aprèsavoirvainementcherchéà notretouroù pouvaitse rencontrerun opusculeque n'ontpas découvertlesinvestigateursles plus perspicaces,MM.Rathery,Gus-tave Brunet, Tamizeyde Larroque,Tricotelet M. leComtede Pibrac,qui a consacréprès de quaranteansd'unevied'érudità formerun mugécaes(Eavjesde sonillustreaïeul,il nenous reste f; voeuxpourlesuccèsd'unbibliophilsfplusheurenx"quéi%o{$s.

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