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Ce document provient du site internet du CREDA : http://www. creda.ccip.fr Les droits de reproduction sont réservés et strictement limités LES PME FACE AU DROIT DE LA CONCURRENCE Colloque sous le haut patronage et avec la participation de Jean-Paul Delevoye Président du Conseil économique, social et environnemental Selon une idée largement répandue, pour les petites et moyennes entreprises la concurrence s’avèrerait plus destructrice que bénéfique. Les PME la subiraient plutôt qu’elles n’en tireraient parti. Dès lors, ne faudrait-il pas chercher à les protéger des effets de la concurrence en utilisant les outils offerts par le droit de la concurrence ? Se trouve ainsi posée la question de la nécessité économique d'une adaptation de ce droit à la spécificité des PME. La concurrence constitue-t-elle un frein au développement des PME ? Les effets de la concurrence diffèrent-ils selon la taille des entreprises, de sorte que le droit de la concurrence devrait s’appliquer différemment aux grandes firmes et aux PME ? Serait-il inconcevable d’assister ces dernières dans la mise en œuvre du droit de la concurrence et spécialement dans la lutte contre les abus de position dominante, notamment en cherchant à réduire l’asymétrie d’information qui les entrave pour faire utilement valoir leur défense ? C’est à ces questions, cruciales pour le développement des petites et moyennes entreprises, que le CREDA a tenté de répondre dans une étude, « LES PME ET LE DROIT DE LA CONCURRENCE - Analyse critique, comparative et prospective » (LITEC 2009), réalisée par une équipe pluridisciplinaire de spécialistes français et étrangers, et qu’il a soumis au débat dans le cadre de ce colloque organisé le 22 juin 2011 réunissant experts et praticiens d’horizons variés autour de deux thèmes : La PME, « auteur » de pratiques anti-concurrentielles ; La PME, « victime » de pratiques anticoncurrentielles.

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LES PME FACE

AU DROIT DE LA CONCURRENCE

Colloque sous le haut patronage et avec la participation de Jean-Paul Delevoye

Président du Conseil économique, social et environnemental

Selon une idée largement répandue, pour les petites et moyennes entreprises la concurrence s’avèrerait plus destructrice que bénéfique. Les PME la subiraient plutôt qu’elles n’en tireraient parti. Dès lors, ne faudrait-il pas chercher à les protéger des effets de la concurrence en utilisant les outils offerts par le droit de la concurrence ? Se trouve ainsi posée la question de la nécessité économique d'une adaptation de ce droit à la spécificité des PME. La concurrence constitue-t-elle un frein au développement des PME ? Les effets de la concurrence diffèrent-ils selon la taille des entreprises, de sorte que le droit de la concurrence devrait s’appliquer différemment aux grandes firmes et aux PME ? Serait-il inconcevable d’assister ces dernières dans la mise en œuvre du droit de la concurrence et spécialement dans la lutte contre les abus de position dominante, notamment en cherchant à réduire l’asymétrie d’information qui les entrave pour faire utilement valoir leur défense ? C’est à ces questions, cruciales pour le développement des petites et moyennes entreprises, que le CREDA a tenté de répondre dans une étude, « LES PME ET LE DROIT DE LA CONCURRENCE - Analyse critique, comparative et prospective » (LITEC 2009), réalisée par une équipe pluridisciplinaire de spécialistes français et étrangers, et qu’il a soumis au débat dans le cadre de ce colloque organisé le 22 juin 2011 réunissant experts et praticiens d’horizons variés autour de deux thèmes : La PME, « auteur » de pratiques anti-concurrentielles ; La PME, « victime » de pratiques anticoncurrentielles.

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Sommaire

Pages

Allocution d’ouverture

Pierre-Antoine GAILLY, Président de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris.................. 3

Propos introductifs

Bruno LASSERRE, Président de l’Autorité de la concurrence ........................................................... 7

LA PME, « AUTEUR » DE PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES Table ronde introduite par Daniel FASQUELLE, Député, Professeur des Facultés de droit ................ 18

avec la participation de :

Sandrine DELARUE, Team Leader, Office of Fair Trading (Royaume-Uni)

Jean-Patrice de LA LAURENCIE, Avocat à la Cour (White & Case)

Claude LUCAS de LEYSSAC, Professeur émérite à l’École de droit de la Sorbonne, Université Paris I

Stanislas MARTIN, Chef du service de la régulation et de la sécurité à la DGCCRF

Kurt STOCKMANN, Ancien Vice-président du BundesKartellamt, ancien Président du Comité de la concurrence de l’OCDE

Débat ........................................................................................................................................................ 42

LA PME, « VICTIME » DE PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES Table ronde introduite par Yves CHAPUT, Directeur scientifique du CREDA, Professeur à l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne) ............................................................................ 45

avec la participation de :

Rainer BECKER, Policy Officer, Private enforcement, DG Concurrence, Commission européenne

Pierre GACHES, Président-Directeur général de Gaches Chimie Spécialités

Étienne PFISTER, Économiste, Rapporteur général adjoint à l’Autorité de la concurrence

Catherine PRIETO, Professeur à l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Jacqueline RIFFAULT-SILK, Conseiller à la Cour de cassation

Philippe RINCAZAUX, Avocat à la Cour (Orrick Rambaud Martel)

Débat ........................................................................................................................................................ 72

Réflexions conclusives

Jean-Paul DELEVOYE, Président du Conseil économique, social et environnemental .................... 75

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Allocution d’ouverture

Pierre-Antoine GAILLY Président de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris

Messieurs les Députés, Monsieur le Président de l’Autorité de la concurrence, Mesdames et Messieurs les Hauts magistrats, Messieurs les Bâtonniers, Mesdames et Messieurs les Présidents, Mesdames, Messieurs,

C’est pour moi un grand honneur, mais aussi un grand bonheur, de vous accueillir aujourd’hui à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris pour ce colloque, au programme tout à fait prometteur, que nous devons à la fructueuse complicité du CREDA – notre Centre de recherche sur le droit des affaires – et de l’Autorité de la concurrence.

Cette manifestation se flatte de bénéficier du haut patronage du Président du Conseil économique, social et environnemental, Monsieur Jean-Paul Delevoye, qui nous rejoindra un peu plus tard pour présenter, à l’issue de nos échanges, les réflexions que lui inspire le thème qui nous réunit cet après-midi.

Je ne peux manquer de rappeler qu’en 2003 – millésime important pour notre maison, puisqu’il marquait le 200ème anniversaire de sa création –, le CREDA avait organisé, en partenariat avec l’ESCP, un colloque de grande portée, intitulé « NOS PETITES ENTREPRISES AU SEUIL DU XXIEME SIÈCLE : QUELLES NOUVELLES RÉPONSES JURIDIQUES AUX DÉFIS SOCIO-ÉCONOMIQUES ? » (Gaz. Pal., 5-6 décembre 2004, n° 339 à 340). Ce colloque, où les PME se trouvaient donc déjà « sous les projecteurs », était honoré de la participation du Président du CES de l’époque, Monsieur Jacques Dermagne. Voilà le signe d’une belle constance…

* * *

Sans plus attendre, je souhaite saluer la présence à cette tribune de Monsieur Bruno Lasserre, Président de l’Autorité de la concurrence. Je salue votre présence, Monsieur le Président, avec d’autant plus de chaleur que les relations qu’entretiennent notre compagnie et son Centre de recherche sur le droit des affaires avec l’Autorité, et avant elle avec le Conseil de la concurrence, sont à la fois anciennes et fécondes.

Si la CCIP est au premier chef une institution qui a pour vocation de représenter les entreprises auprès des pouvoirs publics, elle est aussi, ce que l’on ignore souvent, un opérateur important sur certains marchés. C’est le cas des marchés de la gestion de sites de congrès-

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expositions et de l’organisation de foires et salons. C’est du reste à ce titre que vos services, Monsieur le Président, ont eu à connaître en 2007 du rapprochement entre la CCIP et la société Unibail. Cet examen en phase 2, dont nous gardons le souvenir d’une expérience fructueuse, a ouvert la voie à une décision d’autorisation accompagnée de lourds engagements, décision qui, par son audace, continue de faire référence.

J’ai plaisir à rappeler aussi que des événements importants, qui ont jalonné la vie de l’institution que vous présidez, se sont tenus, ici même, dans les salons de notre hôtel consulaire. Voilà presque dix ans – le 13 février 2002 –, la Chambre de commerce et d’industrie de Paris avait eu l’honneur d’accueillir un colloque international célébrant avec éclat le 15e anniversaire du Conseil de la concurrence (Gaz. Pal., 29-30 janvier 2003, n° 29 à 30). Cette manifestation, le Conseil l’avait judicieusement placée sous le signe de l’efficacité de la politique de la concurrence, dont nous reparlerons certainement cet après-midi, s’agissant, cette fois, de ses implications pour les PME.

Plus récemment, le 13 janvier 2009, c’est encore ici que s’est tenue la cérémonie – présidée par notre ministre de l’économie, Madame Christine Lagarde – qui a porté sur les fonts baptismaux la nouvelle Autorité de la concurrence, en présence de nombreuses personnalités, dont l'ancien commissaire européen en charge de la concurrence, Mario Monti.

* * *

Mais permettez-moi, Monsieur le Président, de voir aussi dans la présence de l’Autorité de la concurrence aux côtés du CREDA pour ce nouveau colloque une marque de considération à l’égard de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris et de son action dans les divers secteurs du droit, et tout particulièrement du droit de la concurrence.

À cet égard, je souhaiterais revenir sur l’adoption, le 16 mai dernier, au terme d’une consultation publique inédite, du communiqué de l’Autorité de la concurrence relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires. Je ne peux que me réjouir des avancées significatives opérées au fil de ce processus. Certes, quelques points continuent de susciter de notre part des réserves. Mais un certain nombre d’observations et de recommandations formulées par la CCIP dans le cadre du rapport de mon collègue Michel Clair ont bien été entendues. Je tiens aujourd’hui à saluer les progrès accomplis sur trois questions à nos yeux essentielles :

– S’agissant, en premier lieu, du nécessaire renforcement du principe du contradictoire, nous voyons, avec grande satisfaction, figurer dans le texte du communiqué des mesures visant à stimuler la discussion contradictoire. D’abord, au cours de la phase d’instruction, sur les éléments susceptibles d’être pris en compte par le collège pour la fixation du montant de la sanction, ensuite dans la prise en considération des études économiques introduites dans le débat par les entreprises.

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– En deuxième lieu – et c’était là une de nos propositions –, nous nous félicitons que l’application du plafond légal ne vienne plus perturber la prise en compte de la clémence et de la non-contestation des griefs.

– Enfin, nous approuvons la clarification opérée concernant la prise en compte de la situation individuelle des entreprises – aussi bien à la hausse qu’à la baisse –, de sorte que les entreprises mono-produits ne se trouvent pas désavantagées, par rapport aux entreprises présentes sur de nombreux marchés ou par rapport aux groupes. Or, parmi ces entreprises se trouvent beaucoup de PME.

* * *

Permettez-moi encore, Monsieur le Président, de voir, dans votre présence aujourd’hui, le signe de l’attention que vous prêtez, depuis longtemps, aux activités du CREDA, spécialement en ce qui touche la mise en œuvre des règles de concurrence.

Je fais notamment allusion à une importante étude qu’il a publiée en 2000 sous le titre « CLIENTÈLE ET CONCURRENCE – Approche juridique du marché » (Litec), ainsi qu’aux colloques pionniers consacrés à la procédure de clémence (Gaz. Pal., 14-15 oct. 2005, n° 287 à 288) ou au contentieux économique en Europe (Gaz. Pal., 20-21 août 2008, n° 233 à 234 et Gaz. Pal., 22-26 août 2008, n° 235 à 239).

Je fais également, bien sûr, allusion à sa lettre électronique d’information quasi quotidienne, « creda-concurrence », bien connue de la communauté des spécialistes, et qui fait désormais figure d’institution, forte de ces quelque 4000 abonnés.

Grâce à cette lettre, les PME peuvent s’ouvrir à la culture de concurrence.

* * *

Pour qu’une véritable « compétition par les mérites » s’instaure entre les opérateurs économiques, il est indispensable que soient posées des règles du jeu et que des autorités de concurrence efficaces les fassent respecter. Accéder au marché, prendre part à la compétition et faire cesser, le cas échéant, les pratiques d’opérateurs déloyaux ou prédateurs est essentiel pour nos entreprises et surtout pour les plus petites d’entre elles.

Or, comme le rappelle opportunément le programme de ce colloque, selon une idée largement répandue, pour les petites et moyennes entreprises, la concurrence s’avèrerait plus destructrice que positive. Les PME la subiraient plutôt qu’elles n’en tireraient parti. Dès lors, ne faudrait-il pas chercher à les protéger des effets de la compétition en utilisant les outils offerts par le droit de la concurrence ?

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La concurrence constitue-t-elle un frein au développement des PME ? Ses effets diffèrent-ils selon la taille des entreprises, de sorte que le droit devrait s’appliquer différemment aux grandes firmes et aux PME ? Serait-il inconcevable d’assister ces dernières dans la mise en œuvre du droit de la concurrence et spécialement dans la lutte contre les abus de position dominante, notamment en cherchant à réduire l’asymétrie d’information qui les entrave pour faire utilement valoir leur défense ?

C’est à ces questions, cruciales pour le développement des petites et moyennes entreprises et bien sûr pour notre économie, que le CREDA a tenté de répondre dans une récente étude, dont je ne saurais trop vous recommander la lecture, « LES PME ET LE DROIT DE LA CONCURRENCE – Analyse critique, comparative et prospective » (Litec, 2009), réalisée par une équipe pluridisciplinaire de spécialistes français et étrangers, dont certains vont prendre part à nos échanges de ce jour.

* * *

En traitant aujourd’hui des « PME face au droit de la concurrence », les organisateurs de cette journée ont entendu poursuivre dans la même voie, en retenant toutefois une double perspective, celle de la PME, auteur de pratiques anticoncurrentielles et celle de la PME, victime de pratiques anticoncurrentielles.

Quel sort réserve le droit de la concurrence aux PME ? Auteurs de pratiques anticoncurrentielles, bénéficient-elles d’une forme de discrimination positive en raison de leur faible pouvoir de marché ? Comment sont-elles sanctionnées et quel sort leur est réservé, depuis le 16 mai 2011, par le communiqué « sanction » de l’Autorité de la concurrence ? À l’inverse, si elles sont des victimes, comment corriger le tropisme qui affecte les PME, tenant à la difficulté, voire l’incapacité, de la plupart d’entre elles, pénalisées par une asymétrie d’informations et, souvent, d’une absence de culture de concurrence, à prendre part utilement aux procédures devant les autorités de concurrence ? Enfin, comment leur permettre d’obtenir réparation du dommage concurrentiel, lorsque, en tant que clientes, elles subissent les agissements d’un cartel ou les abus d’une firme en position dominante ? Dans cette perspective, faut-il introduire l’action de groupe ? Le recours à des modes alternatifs de réparation, et notamment à la médiation – mécanisme qui nous est particulièrement cher –, ne saurait-elle suffire à améliorer le sort des victimes ? Quelles sont les conditions de la réussite d’une médiation ?

* * *

Ces questions représentent des enjeux souvent considérables pour nos entreprises. Nul doute que le présent colloque contribuera à les éclairer, voire à amorcer des solutions. Nous serons donc particulièrement attentifs aux propos qui seront tenus lors des tables rondes qui

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vont suivre. Elles seront conduites sous la houlette successive de deux orfèvres : Monsieur le Député – et également Professeur – Daniel Fasquelle, que nous sommes particulièrement honorés et heureux d’accueillir, et Monsieur le Professeur Chaput, qui est ici chez lui puisqu’il est le Directeur scientifique du CREDA.

À chacun d’eux, je tiens à exprimer ma très vive reconnaissance ainsi, bien sûr, qu’à tous les virtuoses du droit de la concurrence que nous allons entendre et, tout particulièrement, à ceux qui nous apporteront le point de vue de l’Allemagne et du Royaume-Uni, comme celui de l’Union européenne.

Ces échanges vont être introduits par le Président Lasserre, auquel j’ai maintenant le privilège de donner la parole.

PROPOS INTRODUCTIFS

Bruno LASSERRE Président de l’Autorité de la concurrence

Monsieur le président, cher Pierre-Antoine Gailly, je voulais tout d’abord vous remercier très chaleureusement de votre accueil. Votre accueil me touche en effet car, dans cette belle maison que vous présidez, je n’ai que de bons souvenirs. Vous avez souligné que cet hôtel Potocki a été le lieu de fête, en quelque sorte, du Conseil puis de l’Autorité de la concurrence, à l’occasion du 15ème anniversaire du Conseil, de l’installation de la nouvelle Autorité – je m’y sentais du reste un peu seul car ceux qui devaient m’accompagner dans cette aventure n’étaient pas encore nommés – mais nous l’avons fêtée dans la bonne humeur grâce, encore une fois, à vos merveilleux talents d’accueil. Je voudrais également citer Monsieur Pierre Simon qui vous a précédé et qui a toujours été un hôte attentif et intéressé par nos affaires. Je me souviens de déjeuners au cours desquels nous avons pu dialoguer en toute confiance, et bien sûr des colloques du CREDA, qui se sont régulièrement tenus ici sur des sujets stimulants et d’actualité. Je me souviens notamment de celui de novembre 2005 car c’était le jour où le Conseil avait rendu sa décision maintenant célèbre sur l’entente dans les mobiles dont on parlait beaucoup, et dont on continue de parler. Venir ici est donc toujours un plaisir pour moi.

Je voulais également signaler combien nous sommes effectivement attachés à l’activité de recherche et de diffusion du CREDA. C’est une institution que je voudrais saluer parce que c’est un lieu d’expertise reconnu et indépendant – et nous savons combien, dans le domaine du droit de la concurrence, nous avons besoin de gens qui pensent en tout indépendance. Je veux parler notamment de la lettre « creda-concurrence » – que vous avez évoquée – qui tisse un lien très fort entre tous ceux qui s’intéressent au droit de la concurrence. Cette institution a publié un certain nombre d’études passionnantes, dont la dernière – où l’une des dernières – est cet ouvrage piloté notamment sous la responsabilité du professeur Lucas de Leyssac « LES

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PME ET LE DROIT DE LA CONCURRENCE – Analyse critique, comparative et prospective ». Il fait tellement autorité et traite ce sujet d’une manière si approfondie que je n’ai plus grand-chose à dire si ce n’est peut-être reprendre un certain nombre de choses dites déjà avec conviction dans cette étude. J’essaierai donc finalement, après avoir posé le sujet, de rebondir sur un certain nombre de sujets d’actualité qui ne sont pas sans lien avec ce thème des PME et du droit de la concurrence.

Le « fait PME » est incontestable et, lorsque l’on regarde la façon dont est structurée notre économie – mais nous pourrions en dire de même des économies européennes proche de la nôtre – un fait s’impose, dont je crois qu’il est absolument capital. Il y a en France environ 2,4 millions de PME au sens de la définition qu’en donne la Commission européenne – moins de 250 salariés et un chiffre d’affaire inférieur à 50 millions d’euros. C’est – le chiffre est énorme – 99,8 % des entreprises françaises et, à l’intérieur de ce chiffre, il faut relever que l’essentiel de ces entreprises sont des micro-entreprises – 2,2 millions sur 2,4 – qui font moins de 2 millions de chiffre d’affaires par an et emploient moins de 10 salariés. Quant aux autres, elles sont souvent plus petites que moyennes. Je ne vais pas vous accabler de chiffres mais ils sont impressionnants et, par ailleurs, cohérents avec ceux des économies européennes mitoyennes.

Comment parler du droit de la concurrence, qui est un droit qui évidemment s’intéresse à l’économie et au fonctionnement concurrentiel des marchés, si on laisse de côté 99,8 % des acteurs de cette économie ? La question interpelle ! Ce fait est tellement saillant et prégnant que, finalement, il a été reconnu comme un point de départ légitime de toute une série de politiques économiques. Songeons à l’accès au capital avec la question de l’accès des PME au crédit, à l’emprunt, avec la médiation qui a été créée pour faciliter l’accès au crédit. Je pense aussi à l’accès au travail et aux mesures qui favorisent l’embauche et aménagent les charges sociales pour alléger le poids qui pèse sur les PME ; je pense encore à l’accès à la commande publique qui vise à faciliter la candidature des PME aux marchés publics, au point que beaucoup ont plaidé pour un Small business Act à l’européenne ou à la française qui opérerait une discrimination positive en faveur des PME pour leur donner une place que leur taille ne leur permet pas d’acquérir seules.

Une première question donc : le droit de la concurrence doit-il rester à l’écart ? Le droit de la concurrence, qui est toujours en tension entre les préoccupations de protection du marché, de protection de la concurrence sur les marchés, et auquel on veut parfois faire jouer un rôle d’organisateur du marché, doit-il ou non prendre en compte le « fait PME » ? La première réponse – elle est classique, mais j’y tiens beaucoup – est la suivante : entre la protection et l’organisation du marché, l’Autorité de la concurrence est résolument du côté du premier versant. C’est la différence entre le paysagiste qui crée le jardin et le jardinier qui l’entretient. Nous sommes, je le crois, du côté des jardiniers et pas des paysagistes. Ce n’est pas nous qui choisissons les arbustes ou les fleurs et les massifs. Nous veillons à ce que, s’ils grandissent, ils ne fassent pas de l’ombre aux fleurs et que l’harmonie règne. Mais nous ne sommes pas

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ceux qui conçoivent le marché et qui choisissent ceux qui vont l’animer. Si nous n’avons pas, clairement, dans notre mission la défense d’une catégorie d’acteurs contre d’autres acteurs, notre vocation est bien de protéger et de veiller à ce que chaque marché voit une concurrence fonctionner au bénéfice de tous les acteurs, qu’il s’agisse des entreprises ou des consommateurs intermédiaires ou finaux. Nous sommes donc tentés – et pardonnez-moi si je provoque un peu, au début de ce colloque qui s’annonce très prometteur, en forçant le trait – de dire que le droit de la concurrence est, en quelque sorte, fondé à ignorer les PME en tant que catégorie. Mais en réalité, et c’est ce que je voudrais développer avec vous cet après-midi, il s’agit d’un droit pragmatique, d’un droit en quelque sorte plastique, d’un droit réaliste fondé sur l’analyse économique et organisé de manière à tenir compte avec pragmatisme de la position réelle des PME sur les marchés où elles opèrent.

Je voudrais maintenant m’intéresser à trois sujets d’actualité. Je ne reprendrai pas le plan des tables rondes qui est effectivement très tentant – les PME, auteurs d’infraction et les PME, victimes de pratiques anticoncurrentielles. Ce que je voudrais, c’est finalement, partant de ce « fait PME » et de sa prise en compte par le droit de la concurrence, m’intéresser à trois sujets : les PME et l’infraction, les PME et la sanction – vous en avez parlé, Monsieur le président – et les PME et la réparation. Je crois qu’en prenant cette triple entrée, je pourrai rebondir sur tout une série de débats actuels et intéressants.

I – La prise en compte par le droit de la concurrence du rapport de force entre acteurs économiques : la qualification des infractions

Premièrement, comment prendre en compte, dans le droit de la concurrence, le rapport de force entre acteurs économiques, et plus particulièrement dans la qualification des infractions. La première chose sur laquelle, je crois, tout le monde est d’accord, c’est que le droit de la concurrence ne prend pas en compte, et n’a pas à prendre en compte, la taille de l’entreprise – qui est indifférente en tant que telle – mais la position relative de l’entreprise sur le marché. En quelque sorte, ce qui irrigue l’entier droit de la concurrence, qu’il s’intéresse d’ailleurs aux aides d’État, aux contrôles des concentrations ou encore aux pratiques anticoncurrentielles, c’est finalement qu’il approche le rapport de force entre les acteurs économiques par la notion de pouvoir de marchés détenus par chacun, que l’on mesure bien sûr grâce à cet indicateur commode qu’est la part de marché mais qui, de l’aveu général, ne suffit pas à épuiser le sujet et que l’on combine avec toute une série de facteurs qualitatifs qui vont permettre de mesurer le pouvoir de marché relatif de telle ou telle entité sur le marché considéré.

Et donc, dans cette prise en compte des PME dans la qualification de l’infraction, dans cette nécessité finalement d’apprécier la taille de l’entreprise non pas en tant que telle mais en tant qu’elle reflète ou pas un pouvoir de marché relatif, le droit de la concurrence peut emprunter trois avenues.

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La première, c’est la question de l’opportunité des poursuites. Un certain nombre d’autorités se sont vu reconnaître une grande discrétion pour choisir les cas qu’elles vont poursuivre. Par ce biais, on peut finalement tenir compte du pouvoir de marché en s’intéressant aux cas des infractions commises par les entreprises à fort pouvoir de marché, plutôt que par celles qui n’en disposent que d’un faible. La deuxième voie, qui est l’approche plus classique, consiste en quelque sorte à définir des zones de sécurité en deçà desquelles les entreprises sont protégées de l’intervention de l’autorité de concurrence, qu’il s’agisse des exemptions par catégories – qui généralement manient des seuils de part de marché – où qu’il s’agisse de la règle de minimis. Enfin, il y a une approche plus inédite en France – sur laquelle nous devons dire un mot – qui a été mise en place lors de la réforme de 2008 – et plus particulièrement par l’ordonnance de novembre 2008 – qui tient aux fameuses micro-pratiques qui ont fait couler beaucoup d’encre à l’époque, même si, aujourd’hui, le constat général est celui d’une pacification du débat.

1. L’opportunité des poursuites

C’est bien sûr un moyen, pour les autorités de concurrence, de s’intéresser au pouvoir de marché, de hiérarchiser leurs interventions en fonction du pouvoir de marché des entreprises et de l’atteinte que telle ou telle infraction peut apporter à l’ordre public économique. C’est aussi un moyen d’allouer des ressources qui, étant rares, doivent être affectées aux missions prioritaires. Vous savez que l’Autorité française, à la différence de beaucoup d’autres autorités, qu’il s’agisse de la Commission européenne, de l’OFT britannique, du NMA néerlandais, ou d’autres encore, ne dispose pas de l’opportunité des poursuites. Cela avait été une proposition faite par la Commission Attali. Elle a soulevé des interrogations, des critiques, des résistances et, de ce point de vue, le droit n’a pas changé. Je suis, à titre personnel, convaincu qu’une plus grande liberté et une certaine opportunité des poursuites sont, à terme, nécessaires, même si une plus grande opportunité des poursuites suppose de définir quelle serait l’alternative pour les entreprises dont le cas ne serait pas jugé suffisamment intéressant par l’Autorité de la concurrence. De ce point de vue là, mes convictions n’ont pas changé.

Étant d’un tempérament optimiste, je vois aussi les bénéfices de l’approche française, laquelle ne permet pas de discriminer entre les cas qui lui sont soumis. Le premier bénéfice est que, très souvent, des cas qui paraissaient, de prime abord, peu intéressants se sont révélés passionnants d’un point de vue juridique ou économique parce qu’ils nous ont permis d’avancer, d’apporter un éclairage et de définir la limite entre le licite et l’illicite dans des cas qui avaient, a priori, peu d’intérêt. Cet intérêt qui s’est dévoilé au fur et à mesure de l’instruction de l’affaire concourt finalement, d’une certaine manière, à la construction du droit de la concurrence.

Le second point qui me paraît très important est que, l’Autorité devant traiter toutes les affaires qui sont portées devant elle, elle a l’habitude – et c’est peu fréquent en Europe – de prendre des décisions négatives, par lesquelles elle constate que l’entreprise mise en cause n’a

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finalement pas commis d’infraction. Ces décisions négatives, qu’on ne trouve pas à la Commission européenne, au Royaume-Uni, en Allemagne, et même dans d’autres pays, sont une source très précieuse de construction du droit de la concurrence, essentiellement d’ailleurs dans les cas où nous statuons sur des pratiques unilatérales reprochées aux entreprises. Dire que, dans tel cas, l’entreprise n’a pas été à l’origine de prix prédateurs, n’a pas mis en place une stratégie d’éviction, que le couplage entre deux produits est plus pro-concurrentiel qu’anticoncurrentiel, conduit à des décisions précieuses car elles apportent aux entreprises un éclairage – une guidance en anglais – qui leur permet de comprendre, encore une fois, les limites entre ce qui est autorisé et ce qui est interdit.

Il faut conserver cette possibilité de publier des décisions négatives qui soient motivées, qui soient pédagogiques. Beaucoup de décisions rendues par le Conseil ou l’Autorité ont finalement plus aidé à la construction d’un droit moderne des pratiques unilatérales que les décisions qui condamnaient – je pense par exemple en matière de prédation à la décision rendue sur la plainte de British Airways à propos des tarifs d’Eurostar. Cette décision est tout aussi intéressante pour comprendre le standard au regard duquel l’Autorité appréciera l’existence des faits prédateurs que des cas dans lesquels l’Autorité a constaté une infraction.

Le récent arrêt Télé 2 Polska rendu par la Cour de justice de l’Union européenne a posé la question de savoir si cette tradition serait toujours compatible avec la jurisprudence communautaire. Je le crois et, en tout cas, il faut faire en sorte que cela soit le cas. Il me semble que cet arrêt ne nous interdit pas de continuer à publier des décisions négatives. Il faudra simplement, dans la rédaction du dispositif, prendre garde effectivement à ne pas attester de manière absolue que l’infraction n’a pas été commise. Ce ne sera pas seulement dans le cas où – comme récemment à propos de pratiques reprochées à RTE et EDF – nous sommes au stade de l’examen prima facie de la saisine, que nous rejetons pour défaut d’éléments probants, mais y compris dans le cas où les services d’instruction ont adressé par exemple une proposition de non-lieu après débat contradictoire.

2. « Safe harbours » : exemptions par catégorie et règle de minimis

La deuxième voie possible pour hiérarchiser nos interventions en fonction du pouvoir de marché, ce sont les zones de sécurité – ce que les Anglais appellent les safe harbours – et qui sont importantes, encore une fois, notamment pour les PME. Cette avenue des zones de sécurité prend deux voies.

La première, ce sont les exemptions par catégorie qui, généralement, dépendent de seuils de part de marché en deçà desquels les entreprises sont généralement protégées, qu’il s’agisse du règlement d’exemption sur les accords verticaux, du règlement récent sur la coopération horizontale, qu’il s’agisse aussi des règlements d’exemption par catégorie – je pense à l’automobile, ou à bien d’autres secteurs.

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Il est important que ces présomptions, ces zones de sécurité en-deçà des pouvoirs de marché, identifiées par les auteurs de ces règlements, soient maintenues car elles offrent la sécurité qui est nécessaire aussi à la prise de risque. Je constate qu’une telle approche à propos des pratiques anticoncurrentielles est cohérente avec ce que nous faisons tous en matière de contrôle des concentrations, où le contrôle dépend aussi de seuils et des montants des chiffres d’affaires réalisés, ou également en matière de contrôle des aides d’État où, là encore, la Commission européenne se concentre sur les affaires supposées d’importance significative. Il est donc important que ces seuils soient maintenus, harmonisés, et que l’on ait une réflexion les concernant, car ils ne sont pas toujours cohérents les uns avec les autres.

La seconde voie tient à ce qu’il faut aussi – je crois que c’est important et que ce n’est pas contradictoire – penser à la règle de minimis, c'est-à-dire au choix volontaire que fait une autorité de concurrence, que cela soit encadré par le législateur ou pas, de se concentrer sur un certain nombre d’affaires en indiquant, à l’avance, qu’elle n’entend pas poursuivre les accords jugés d’importance insuffisante pour affecter de manière sensible la concurrence. Le droit européen et le droit français sont à peu près convergents de ce point de vue. Nous le savons, la Commission européenne a publié en 2001 une communication sur les accords d’importance mineure – notion qui est du reste issue de la jurisprudence de la Cour de justice. En-deçà d’un seuil fixé au regard de parts de marché cumulées des entreprises concernées (15 % pour les accords verticaux, 10 % pour les accords horizontaux), la Commission a posé une présomption de défaut d’incidence sensible de la pratique, au vu de laquelle elle s’est engagée à ne pas poursuivre, sauf restriction grave qui fait tomber le bénéfice de cette exonération. En France, le législateur s’en est inspiré : c’est l’article, du reste assez peu employé, L. 464-6-1 et -2 du Code de commerce qui permet – le législateur français a utilisé le verbe « peut » – à l’Autorité de conclure à l’absence d’incidence sensible sur la concurrence, en-deçà des seuils qu’il a énoncés. C’est important car cette règle de minimis profite de fait aux petits opérateurs, non pas au titre de leur taille ou de la valeur absolue de leur activité, mais en raison de leur modeste taille relative par rapport aux autres acteurs présents sur le même marché. Les bénéfices sont tangibles dans la mesure où cela permet aux entreprises de comprendre la frontière du permis et de l’interdit, et cela permet aussi à l’Autorité de la concurrence d’optimiser l’allocation de ses ressources en choisissant de se concentrer sur les pratiques qui perturbent le plus gravement l’ordre public concurrentiel.

Il y a sur ce sujet un débat en cours – il ne faut pas se le cacher. La communication de 2001 de la Commission remonte à une époque antérieure à la modernisation des règles de la concurrence et à la décentralisation du pouvoir vers les autorités nationales qu’a opérées le règlement 1/2003. Elle a été conçue lorsque les trois acteurs qui menaient le jeu étaient la Commission, le Tribunal et la Cour de justice, avant que les autorités nationales et les juridictions de contrôle nationales fassent irruption dans la cour du droit communautaire. Ce texte intéresse aujourd’hui de nombreux autres acteurs de la régulation concurrentielle – les ANC et leurs juridictions de contrôle. Par contraste avec tous les autres textes ou communications de fond susceptibles d’intéresser ces nouveaux acteurs nationaux, qui ont tous

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été revisités, qu’il s’agisse du règlement sur les restrictions verticales, sur la distribution automobile, sur les accords de coopération, sur le paquet « communications » lié à l’entrée en vigueur du règlement 1/2003, sur la coopération entre les autorités nationales et la Commission, sur l’affectation des échanges, etc., la communication de minimis est la seule survivante de la période pré-modernisation. Elle a peut-être vieilli et mériterait un toilettage ou une clarification sur plusieurs points : faut-il rehausser les seuils ? Aujourd’hui, ces seuils ne sont pas cohérents avec les règlements dont j’ai parlé. Faut-il vérifier que les restrictions par objet, qui échappent au de minimis, sont bien les mêmes que celles qui figurent dans les dits règlements ? Comment cette communication de minimis peut-elle impacter la pratique décisionnelle des autorités nationales et donc des juridictions qui les contrôlent ? Ce travail devra être fait par la Cour de justice de l’Union européenne puisque la Cour de cassation lui a renvoyé très récemment une question préjudicielle sur la portée de la communication de minimis dans le cadre d’une affaire où la société Expédia, qui n’est pas précisément une PME, avait invoqué le bénéfice de cette règle. Par cette question préjudicielle, la Cour de cassation s’interroge sur l’étendue de la liberté d’investigation que conserve une autorité nationale de concurrence dans la zone franche en-deçà des seuils de parts de marché prévus par la communication communautaire.

3. Les micro-PAC

La troisième avenue prise par le législateur français – et Stanislas Martin vous en parlera tout à l’heure – ce sont les « micro-PAC » ou PAC locales introduites par l’ordonnance de novembre 2008. Je me souviens combien cette innovation a suscité de formidables débats auxquels le Conseil de la concurrence avait pris part en partageant un certain nombre de craintes qu’avaient émises les praticiens. Allait-on vers un droit de la concurrence à deux vitesses, un droit du pauvre en quelque sorte à côté d’un droit du riche ? Allait-on vers une régression de la procédure contradictoire, au détriment des PME ? Le Conseil avait émis certaines réserves dans son avis. Force est de constater que le climat s’est apaisé aujourd’hui parce que le pouvoir règlementaire a mis en place des garanties contradictoires. Pacification aussi grâce à l’assemblée générale du Conseil d’État, qui a permis une meilleure articulation entre la possibilité pour le ministre, et donc la DGCCRF, de recourir à la transaction, et la possibilité pour l’Autorité de se saisir de ces cas, soit au stade de l’enquête, soit une fois l’enquête réalisée par les services de la DGCCRF. S’autosaisir lui permet de traiter elle-même les cas.

Ce dispositif de transaction mis en œuvre au regard d’un seuil de CA des entreprises en cause, et de la dimension locale des pratiques litigieuses, qui concerne donc par hypothèse les PME, a porté sur un nombre modeste de cas – neuf à ma connaissance – qui ont été réglés par injonction ou transaction. Trois affaires sont en cours. Le débat de principe se réduit à peu de choses quand on voit l’ampleur concrète qu’a prise cette innovation. Aujourd’hui, l’Autorité vit bien avec ce système.

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II – « Face au droit de la concurrence », les PME sont des entreprises comme les autres : la sanction des infractions

J’ai parlé de l’infraction, il faut à présent – et le président Gailly en a parlé – aborder la question de la sanction. Le fait que l’auteur de la pratique anticoncurrentielle est une PME nécessite-t-il d’adapter le montant de la sanction à cette situation ? Oui et non. Il ne le requiert pas en tant que tel, car la norme doit être générale et impersonnelle, surtout la norme qui sanctionne. Le communiqué de l’Autorité du 16 mai 2011, qui, comme vous le savez, a été enrichi à la suite du débat public que nous avons organisé et auquel la Chambre de commerce et d’industrie de Paris a pris sa juste part, dissipe tous les doutes qui avaient pu naître du projet qu’avait soumis l’Autorité à cette consultation publique. Nous revendiquons le fait que, dans le projet, nous avions, au titre des possibilités de corriger à la baisse la sanction résultant de l’application d’un forfait de base et des circonstances personnelles, envisagé le cas où l’auteur de l’infraction serait une PME. Des critiques convergentes nous ont été adressées, expliquant que la catégorie PME n’appelait pas un sort particulier, seule la taille relative de l’entreprise étant pertinente pour la fixation de la sanction. Nous avons entendu ce message en faisant disparaître cette dimension dans le projet publié le 16 mai 2011.

Ce communiqué repose sur l’idée simple que les règles doivent être les mêmes pour toutes les entreprises et que l’individualisation de la sanction, qui en est l’un des principes directeurs, doit prendre en compte la taille et les ressources de l’entreprise, pour pouvoir être dissuasive et proportionnée. Finalement, le montant de base que nous utilisons pour calculer la sanction, qui est la proportion de la valeur des ventes affectées par l’infraction, traduit bien cette place relative de l’entreprise sur le marché. Ce forfait de base est corrigé par la prise en compte de circonstances aggravantes ou atténuantes – et de facto certaines circonstances atténuantes bénéficieront plus souvent aux PME, par exemple : la qualité de franc-tireur. À l’inverse, certaines circonstances aggravantes sont généralement le fait d’entreprises puissantes, par exemple l’exercice d’une contrainte sur les plus faibles qu’elles. Ensuite, le montant de base adapté en fonction de ces circonstances aggravantes ou atténuantes pourra, à la différence des lignes directrices communautaires de 2006, être corrigé à la hausse pour refléter la taille et les ressources importantes de l’entreprise ou du groupe auquel elle appartient, mais aussi à la baisse, dans le cas d’une entreprise mono-produit qui se concentre sur des produits ou des services spécifiques, ou lorsqu’elle connaît de manière conjoncturelle des difficultés financières liées, par exemple, à la crise économique.

Les critères de détermination de la sanction ne sont donc pas insensibles à la taille et à la puissance de l’entreprise, afin de respecter le principe de proportionnalité. Mais au-delà de l’indifférence formelle à l’égard de la catégorie PME qui pourrait résulter de la lecture du communiqué, les règles auxquelles l’Autorité est soumise fournissent les outils de l’égalité réelle des entreprises face à la sanction. Avant même que le communiqué soit publié, nous avons fait preuve de pragmatisme dans une décision de décembre 2010 aux termes de laquelle l’Autorité a significativement modéré les sanctions pour tenir compte des graves difficultés

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financières et du pouvoir de marché très faible d’entreprises de la sous-traitance automobile qui étaient des PME.

III – L’appréhension du droit de la concurrence par les PME : la réparation

Je terminerai par un sujet d’avenir : les PME et la réparation. La Commission européenne a lancé une consultation publique, à laquelle l’Autorité de la concurrence a répondu. Je voulais faire quelques commentaires à ce propos.

1 Les PME et la régulation publique de la concurrence

Je pense que l’on ne peut pas parler de réparation sans parler aussi de la participation des PME à la régulation publique. Il faut que les PME mettent un pied dans la porte et participent à la régulation publique, c’est la première condition. À l’Autorité de la concurrence, nous considérons que le fait que des PME nous saisissent est quelque chose à valoriser, que nous pensons utile à la progression du droit de la concurrence. Ceci est facilité en France par le fait que le plaignant dispose des mêmes droits que les parties mises en cause, et donc a un accès complet à la procédure. Et je suis frappé, en lisant l’ouvrage publié par le CREDA, de l’importance relative des affaires traitées en France qui mettent en cause des PME. L’analyse des décisions du Conseil de la concurrence publiée sous la responsabilité du professeur Lucas de Leyssac s’intéressait à la période 1997-2006. Nous avons essayé de prolonger l’étude sur les années suivantes, de 2006 à 2010, qui n’infirme pas cette tendance. Les PME sont présentes dans 1/3 des dossiers de fond sur saisine directes, au cours de cette période, et dans la moitié des dossiers en 2010. Dans ces affaires, les PME étaient saisissantes, parfois plusieurs pour une même affaire, et dans la moitié des sanctions prononcées au cours de ces quatre dernières années, une PME au moins figurait parmi les auteurs d’infractions sanctionnés. Il est important que les PME voient dans la régulation publique de la concurrence, menée sous la responsabilité de l’autorité spécialisée, un levier d’action. Il faut qu’elles n’hésitent pas à saisir le régulateur, et nous les accueillons avec plaisir. Je me souviens d’une affaire dans laquelle un boulanger industriel de la Nièvre était venu seul sans avocat, devant le Conseil, expliquer quelle avait été sa stratégie tarifaire. Je n’ai jamais eu démonstration plus lumineuse de la prédation que celle faite en séance par ce boulanger, qui n’a employé aucun des termes techniques des spécialistes de la concurrence, mais dont la démonstration était limpide. J’aurais voulu la retrouver dans les meilleurs économistes et avocats que nous entendons dans nos locaux.

Statut de plaignant, accès à la procédure, faculté pour l’Autorité de s’autosaisir, sont autant de garanties. Nous savons combien les PME – les faibles – hésitent à nous saisir par peur des représailles face à des partenaires ou à des entreprises puissantes. La faculté pour l’Autorité de se saisir d’un cas de sa propre initiative est une garantie importante, même si, devant les juridictions de contrôle, l’absence de plaignant affaiblit le statut de la décision, faute d’une partie privée pour la défendre. Enfin, dans la procédure d’engagements, l’habitude que nous avons

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prise, en nous calquant sur le modèle communautaire, de lancer des tests de marché à destination de l’ensemble des tiers intéressés, a souvent permis aux PME, sans formalisme aucun, d’apporter leur pierre à la construction pragmatique de telle ou telle décision d’engagements. Ceci s’explique par le fait que nous avons une conception très libérale de la notion de tiers intéressé, et parce que nous n’avons imposé aucun formalisme dans la production d’observations. Du point de vue de l’accès des PME à la régulation publique, les problèmes ne sont pas dans la procédure de l’Autorité de la concurrence mais dans l’asymétrie et la peur des représailles qui inhibe la volonté des PME de porter leur cas jusque chez nous. Je ne crois pas que ce soit la réforme de procédure de l’Autorité qui permettra de lever ces obstacles. Ce problème ne nous est pas imputable.

2. Les PME et le « private enforcement »

Deuxième sujet : la réparation. Il faut que les PME, en nous saisissant, participent à la régulation publique, mais il faut qu’elles embrassent aussi l’étendue complète de leurs droits en étant des acteurs du « private enforcement », la mise en œuvre par des acteurs privés des règles de la concurrence devant les juridictions en charge de la réparation des dommages causées par les pratiques anticoncurrentielles. L’Autorité a répondu à la consultation publique lancée par la Commission européenne en reprenant l’avis qu’elle avait rendu en septembre 2006 et en le complétant par d’autres observations.

Nous constatons que le domaine du « private enforcement » en France est plus actif qu’on ne le dit. S’il n’apparait guère devant les tribunaux, les choses se passent sous la forme de transactions confidentielles par lesquelles des entreprises négocient avec d’autres l’indemnisation de leurs préjudices liés à des ententes ou à des abus de position dominante. Par exemple, lorsque nous sanctionnons les trois opérateurs du travail temporaire pour une entente qui a porté atteinte aux prix payés par les « grands comptes », ces grands clients demandent des comptes à l’auteur de l’infraction – et parce que ce sont des clients qui disposent d’un fort pouvoir de marché, d’un fort pouvoir de négociation, l’entreprise auteur de l’infraction ne peut pas échapper à l’indemnisation. Ceci se fait sous la forme de transactions confidentielles dont nous ne connaissons pas les montants. Il y a ainsi une sorte de « private enforcement » en France, mais il est réservé aux entreprises puissantes qui savent, parce qu’elles sont des clients incontournables, qu’elles obtiendront ce qu’elles veulent car elles ont un pouvoir de conviction. Mais les PME, les consommateurs individuels, n’ont pas ce pouvoir de conviction, et n’ont donc pas la possibilité concrète d’obtenir de l’entreprise fautive une indemnisation. Il s’agit là d’une considération d’équité. Pourquoi selon que l’on est puissant ou misérable, devrait-on avoir accès à la réparation, ou pas ? C’est aussi un enjeu de confiance dans l’économie de marché. Comment espérer que les Français, qu’il s’agisse des dirigeants de PME ou de consommateurs individuels, croient aux bénéfices de l’économie de marché si on les tient à la lisière de cette économie en leur disant : « ne craignez rien, le régulateur veille sur vous ». Il faut qu’ils soient aussi des acteurs de la politique de la concurrence en mobilisant

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les voies de droit qui leurs sont ouvertes pour lutter eux-mêmes contre les dérives ou les abus de l’économie de marché.

Nous pensons – et je sais que ce point de vue n’est pas unanime – qu’il faudrait que la France prenne l’initiative de faire quelque chose plutôt que de se voir imposer de l’extérieur des règles qu’elle n’aurait pas choisies. Comment l’organiser ? Nous n’avons pas fait part, sur ces questions techniques, de préférence pour l’« opt-in » ou pour l’« opt-out ». Nous avons préféré insister sur les bénéfices d’une organisation consécutive de la régulation publique et de la mise en œuvre privée en privilégiant le « follow-on », c’est-à-dire l’ouverture du droit à la réparation une fois le constat de l’infraction dressé par l’autorité spécialisée, sous le contrôle du juge quant à la validité de ce constat d’infraction. Si l’on organise les choses de façon consécutive, l’action en réparation n’est ouverte qu’une fois le constat d’infraction réalisé sous le contrôle du juge, et l’on prévient alors les risques de dérive, d’abus que l’on a pu voir, notamment, aux États-Unis.

Parallèlement à cette obligation pour les victimes d’attendre le constat d’infraction et son examen par le juge de contrôle, il faudrait donner aux autorités de concurrence la possibilité de bénéficier de l’autorité de chose décidée sur ce constat d’infraction, de manière à ce que le débat devant le juge de la réparation se concentre d’une part sur l’existence d’un lien de causalité direct entre la faute et le préjudice, et d’autre part sur l’évaluation du préjudice, qui est une tâche difficile, une opération compliquée.

Il faut par ailleurs bien organiser la régulation publique et la mise en œuvre du droit à réparation de manière à ce qu’elles se renforcent mutuellement, au lieu de s’affaiblir respectivement. Plusieurs sujets doivent être traités : celui de la clémence et de l’accès aux documents remis par les entreprises qui choisissent cette voie ; celui de la coopération qui peut s’établir entre l’autorité en charge de la régulation publique et le juge de la réparation. Il existe en France des demandes d’avis juridictionnels qui permettent aux tribunaux de commerce, aux tribunaux civils, de requérir l’expertise de l’Autorité de la concurrence sur des sujets importants. L’avantage du système français est que ces avis doivent être précédés d’une procédure contradictoire devant l’Autorité qui garantit l’accès de toutes les parties au débat.

Ce sujet des PME est si foisonnant qu’il nous permet de traiter tous les débats actuels, prometteurs et stimulants, que connait le droit de la concurrence. Le message que je voudrais faire passer est qu’au-delà du terme « PME », désignant la taille absolue de l’entreprise, laquelle n’est pas reconnue en tant que critère pertinent du droit de la concurrence, les PME sont bel et bien, derrière l’apparence des mots, une préoccupation constante de l’Autorité. Comment tenir compte avec subtilité du pouvoir de marché pour doser nos interventions ? Comment sanctionner de manière juste et pragmatique tout en étant dissuasif ? Comment articuler un droit à la réparation qui soit efficace, à côté de la régulation publique ? Ce sont tous les sujets qui vont être débattus cet après-midi. Et je suis impatient d’entendre ces débats sous la présidence respective de Daniel Fasquelle, que je voyais ce matin pour d’autres raisons, et

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que je suis heureux de retrouver cet après-midi, et du professeur Chaput qui, on le sait joue un rôle considérable dans la direction scientifique du CREDA. Merci de votre attention.

Didier KLING, Vice-Président trésorier de la CCIP, Président du Comité technique du CREDA.– Merci cher Président d’avoir bien voulu introduire ce débat en fournissant à cette occasion quelques indications précieuses pour celles et ceux qui sont dans cette salle et qui vous ont écouté avec beaucoup d’attention. Vous avez notamment posé la question de savoir si le droit de la concurrence, par pragmatisme, pouvait et devait s’intéresser aux PME. J’ai cru comprendre que la réponse était positive. Nous sommes rassurés. À défaut, nous aurions dû arrêter notre colloque ici, ce qui eût été dommage eu égard à la qualité des intervenants que nous avons réunis. Nous allons aborder à présent la première question, nécessairement un peu provocante, qui est celle de savoir si les PME peuvent être « auteur » de pratiques anticoncurrentielles. Pour mener à bien ce débat, j’appelle à la présidence de cette table ronde, Daniel Fasquelle, qui est député et professeur des universités.

LA PME, « AUTEUR » DE PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES

Table ronde animée par Daniel FASQUELLE, Député, Professeur des Facultés de droit

Daniel FASQUELLE.– Bonjour à tous. Je voudrais tout d’abord remercier la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, son président et son vice-président de m’avoir proposé d’animer cette table ronde et de participer à ce colloque sur un sujet particulièrement intéressant et sous un angle auquel nous ne sommes pas nécessairement habitués mais qui est aussi un angle tout à fait pertinent. Et je salue mon collègue Yves Chaput qui anime le CREDA avec beaucoup de talent et qui m’a déjà à plusieurs reprises associé à ses travaux et je l’en remercie. Il a autour de lui une très bonne équipe. J’en profite également pour saluer Aristide Lévi, que je suis content de retrouver et Alain Ronzano avec qui j’ai l’habitude de travailler.

Deux mots d’introduction. Nous avions prévu de poser deux questions et d’y répondre successivement, à la faveur de deux tours de table. Comme nous sommes déjà en retard sur le programme, je vais donc poser les deux questions tout de suite et demander à chacun de répondre aussi brièvement que possible de façon à ce que nous puissions aussi avoir un échange avec la salle. Vous êtes venus nombreux cette après-midi et j’ai vu des visages connus de spécialistes du droit de la concurrence dont je suis certain qu’ils seront heureux de pouvoir participer également à nos débats.

* * *

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La première question est simple, il s’agit de savoir si, dans le droit positif, aujourd’hui, le fait pour une entreprise d’être une PME est ou non pris en compte. Cette question est très simple et nous allons essayer d’y répondre à l’occasion de cette table ronde. A priori, nous sommes tentés d’y répondre positivement. Est-ce que le droit de la concurrence tient compte du fait qu’il s’agit d’une PME et non pas d’une entreprise de taille plus importante ? Oui, parce qu’une PME, on peut le penser sans trop y réfléchir, a forcément, parce qu’elle est petite, un effet limité sur le marché. Elle va donc passer en dessous d’un certain nombre de seuils. Elle n’est pas capable à elle seule de perturber le marché. Mais, en même temps, si l’on y réfléchit, on se dit que tout dépend de la définition du marché pertinent et qu’une petite entreprise, à l’échelle des entreprises françaises peut être une très grosse entreprise à l’échelle d’un tout petit marché. Il faut donc poursuivre un peu plus la démarche.

Du point de vue de la mise en œuvre des règles substantielles, le fait d’être une petite entreprise permet-il d’échapper ou non au droit de la concurrence ? Cette situation est-elle prise en compte ou non par le droit français ? par le droit européen ? mais aussi par les droits des pays voisins, puisque nous aurons la chance d’avoir l’éclairage à la fois du droit allemand et du droit anglais ? S’agissant des règles substantielles, la Cour de cassation a posé une question préjudicielle à la Cour de l’Union européenne très récemment, nous aborderons très certainement ce sujet cet après-midi.

Du point de vue de la sanction, doit-on, Monsieur le président Lasserre, être aussi sévère à l’égard d’une PME qu’à l’égard d’une grande entreprise ? Faut-il adapter les sanctions – et le régime des sanctions – au fait que l’on est en présence d’une petite entreprise qui peut être plus durement touchée et plus facilement déstabilisée qu’une grande entreprise ? Ne faudrait-il pas moduler la sanction en prenant en considération le fait que cette entreprise n’a pas les reins aussi solides qu’une grande ? À cet égard, une communication de l’Autorité de la concurrence vient d’être publiée et il serait peut-être intéressant d’avoir l’avis de Bruno Lasserre sur ces questions en plus de ce qu’il a dit dans le cadre de son propos introductif.

Il y a ensuite la question de la procédure. Cela a été dit d’ailleurs il y a quelques instants, les PME ne sont pas aussi bien armées que les grandes entreprises. Il n’y a pas, le plus souvent, de juriste en interne et elles n’ont pas la chance d’avoir les excellents avocats qui sont présents dans cette salle pour les entourer, les conseiller, les guider, les alerter, les éduquer et les former au droit de la concurrence, les piloter aussi quand elles font face à une procédure un peu compliquée. Est-ce que, dans le droit positif, nous tenons compte du fait que les PME sont plus démunies que les grandes entreprises face aux procédures de droit de la concurrence ?

Première question donc : dans le droit positif, tient-on compte ou non du fait qu’une entreprise est une PME. A priori, nous sommes tentés de dire oui mais si l’on regarde les choses de plus près, c’est peut-être moins évident. Je demanderai donc à chacun de bien vouloir donner son sentiment sur ce point.

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Deuxième question – c’est là tout l’intérêt d’un colloque, faire non seulement une photographie du droit positif mais essayer aussi de tracer des perspectives d’évolution du droit. Si vous avez invité un professeur de droit qui est aussi parlementaire – qui donc a mal tourné – pour présider cette table ronde, c’est peut-être aussi parce que vous avez dans l’idée de faire évoluer le droit…

Si l’on veut tracer des perspectives, la question que je vous pose ici est la suivante : êtes-vous satisfait du droit positif actuel ? Si vous pensez que le droit positif est très satisfaisant, vous pourrez laisser votre temps de parole à l’intervenant suivant... Par contre, si vous pensez qu’il ne l’est pas, alors comment peut-on le faire évoluer et comment peut-on mieux prendre en compte, d’après vous, les spécificités des PME ? Est-ce que cela passe par une réforme de la communication sur les accords d’importance mineure ? Est-ce qu’il faut adopter une approche de type rules of reason pour mieux prendre en compte les PME ? Ceux qui me connaissent bien comprendront pourquoi je pose cette dernière question.

Un autre sujet est de savoir s’il ne faudrait pas, pour rétablir les rapports de force, permettre parfois aux PME de se regrouper. Nous voyons bien, ce qui se passe actuellement avec la grande distribution… Nous avons débat à l’Assemblée nationale afin de chercher les voies et moyens qui permettraient à certains producteurs, PME démunies face à la puissance des centrales d’achat, de pouvoir être plus forts. L’un des moyens d’être plus fort est de se regrouper. Sauf que, dès que l’on parle de regroupement, Monsieur Lasserre nous dit « Attention, interdiction des ententes. Vous ne pouvez pas faire tout ce que vous voulez ! ». Ne faudrait-il donc pas faire évoluer le droit pour permettre, dans certains cas, aux PME de se rassembler. Je sais que, en même temps, c’est extrêmement dangereux et donc, du coup, jusqu’où peut-on aller et comment peut-on encadrer cette évolution possible du droit ? Il y a aussi la question, bien évidement, des PAC locales sur laquelle nous reviendrons ; et puis il y a enfin la question de l’accompagnement des PME dans les procédures de concurrence. C’est une question majeure, qui n’est pas aujourd’hui réglée et pour laquelle nous pouvons également être force de proposition.

Voilà, s’agissant des PME auteurs, les deux questions posées dans cette table ronde. Le droit positif prend-il en compte les PME et est-il satisfaisant ou non ? Et enfin, peut-on faire évoluer le droit positif pour faire en sorte que les PME soient mieux prises en compte ? Nous allons commencer par le professeur Lucas de Leyssac, qui est un spécialiste du droit de la concurrence et du droit du marché. Il en profitera pour planter le décor mieux encore que je n’ai pu le faire…

Claude LUCAS de LEYSSAC, Professeur émérite à l’École de droit de la Sorbonne, Université Paris I.– Merci monsieur le président, monsieur le député, chers collègues, mesdames, messieurs.

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L’idée est assez répandue que les PME bénéficient en droit de la concurrence, plus précisément en droit antitrust, ou plutôt en droit des pratiques anticoncurrentielles pour parler le français, d’un traitement particulier, et même d’un traitement de faveur. Mais si l’idée est répandue, on ne peut pour autant la qualifier d’idée reçue car pour être reçue, une idée doit au préalable avoir été émise.

Or celle-là n’a jamais été émise de façon formelle parce qu’elle n’a jamais été examinée, établie, démontrée. Elle s’est plutôt répandue de façon insensible, sournoise presque, en s’insinuant dans les esprits par de nombreux canaux. J’en mentionnerai trois.

Le premier rappelle que le droit des pratiques anticoncurrentielles est né aux États-Unis pour protéger les petits opérateurs contre ceux qui exercent un pouvoir de marché. Les PME sont les bénéficiaires du droit antitrust en ce qu’il leur permet de continuer à exister malgré la tentation que pourrait avoir les gros de les faire disparaître. Elles ne peuvent donc être visées par le droit des pratiques anticoncurrentielles.

Le deuxième canal part du constat que la PME est par définition de petite taille ; elle ne peut donc pas exercer sur le marché une influence suffisante pour en altérer le fonctionnement ; par conséquent, elle ne peut se rendre coupable de pratiques anticoncurrentielles. C’est oublier qu’en absolu la petite taille n’exclut pas la position dominante : il suffit que le marché pertinent soit très étroit. Mais, le plus souvent, le constat est fondé et c’est pourquoi l’idée se retrouve dans plusieurs mécanismes que l’on appelle effet sensible, règle de minimis ou règle de raison.

Enfin, le troisième canal trouve sa source dans la volonté de défendre et même de promouvoir les PME à raison de leur contribution essentielle à la vie économique et sociale. Ce choix de politique économique justifierait que l’on permette à des PME ce qui est interdit à des entreprises plus importantes. On pense, par exemple, à des ententes entre PME destinées à leur permettre de rivaliser avec des opérateurs puissants. Il s’agirait, en somme, de permettre aux petits de se donner les moyens de lutter contres les gros. Partant de là, certains, comme emportés par leur élan, vont même jusqu’à avancer que c’est le rôle du droit de protéger le faible contre le fort et que cela justifierait une discrimination positive en faveur des PME.

Ce sont ces idées, de valeur inégale, et même franchement hétérodoxes pour certaines, qui ont répandu, dans l’» opinio communis » des juristes, l’idée d’un traitement de faveur des PME en droit des pratiques anticoncurrentielles.

Incontestable, le constat est étrange car les économistes entretiennent un a priori radicalement contraire. Pour les économistes, la taille de l’entreprise – au moins exprimée en valeur absolue – n’est pas un critère pertinent pour la mise en œuvre du droit des pratiques anticoncurrentielles, et souvent même ils considèrent les PME avec méfiance car ils les suspectent d’être sous productives et incapables d’optimiser le surplus du consommateur.

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Il était donc très intéressant d’entreprendre une étude destinée à essayer d’y voir un peu plus clair, surtout à un moment où l’on n’entendait de plus en plus souvent parler de « Small Business Act », que ce soit à l’échelle européenne ou à la française. L’un des grands mérites du CREDA est d’être parvenu à réunir pour son étude (Les PME et le droit de la concurrence, préc.) toutes les compétences nécessaires pour examiner les questions posées sous tous leurs aspects.

Le jeu en valait la chandelle car la moisson est abondante, et les constats parfois surprenants.

Ainsi, pour ce qui nous intéresse, il ressort de l’étude que l’idée répandue chez les juristes d’un traitement de faveur des PME par le droit des pratiques anticoncurrentielles est fausse.

Ce sont plutôt les économistes qui ont raison quand ils soulignent la quasi-neutralité de la taille de l’entreprise dans la mise en œuvre du droit antitrust. En somme, le droit substantiel des pratiques anticoncurrentielles ne diffère pas substantiellement de la multinationale à la PME (1.).

Mais il n’y a pas que le droit substantiel, c’est pourquoi on s’est aussi demandé si la qualité de PME exerçait une influence sur le niveau des sanctions pécuniaires (2.). Cela n’a pas été établi malgré le dépouillement, effectué dans le cadre de cette étude, de la totalité des décisions du Conseil de la concurrence jusqu’en 2006. La seule influence incontestable de la qualité de PME sur la mise en œuvre du droit des pratiques anticoncurrentielles est la possibilité de recourir à une procédure de transaction avec l’administration (3.). Reste à savoir si ce traitement particulier constitue pour les PME un traitement de faveur. Beaucoup en ont douté, et en doutent encore.

1. le droit substantiel des ententes, qu’il soit communautaire ou interne (depuis l’ordonnance du 25 mars 2004), semble marqué par l’exigence d’un effet sensible de la pratique. Cela se traduit à la fois par les diverses règles de minimis, et par les règlements d’exemption, communautaires pour la plupart.

On pourrait estimer que ces mécanismes conduisent effectivement à ce que les Britanniques appellent des « safe harbour » pour signifier que les opérateurs qui satisfont aux conditions d’entrée dans le port se trouvent à l’abri des règles de concurrence. Et que les PME satisfont le plus souvent aux conditions d’entrée dans les ports.

C’est en principe exact ; mais l’observation détaillée à la fois des textes des règlements et de la pratique démontre que ces dispositifs de protection ne couvrent pas les accords qui ont une influence manifeste sur la concurrence, qui comportent des restrictions caractérisées ou qui ont un objet anticoncurrentiel. De sorte que, finalement, les PME ne bénéficient d’une immunité que lorsque leur « comportement se situe dans la zone grise où il n’est pas certain que ses effets anticoncurrentiels l’emportent sur ses effets pro-concurrentiels » (A. Ronzano, in

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Les PME et le droit de la concurrence, préc., n° 571), et cette immunité très restreinte n’existe que parce que les autorités de concurrence ne disposent pas des moyens matériels suffisants pour poursuivre tous les comportements prohibés.

On est bien loin d’une discrimination positive fondée sur la qualité de PME.

Faut-il déplorer cette situation ? Certainement pas car il serait impossible de justifier une immunité qui permettrait à une catégorie d’entreprises d’échapper à la règle commune qui protège le marché dans l’intérêt général, et particulièrement dans l’intérêt du consommateur.

Les seules immunités imaginables seraient celles qui contribueraient au meilleur fonctionnement du marché. Cela n’est pas inimaginable, et nous verrons si les droits étrangers nous fournissent des exemples de tels cas de figure, mais on devine que, s’ils existent, ils ne peuvent qu’être exceptionnels, et dus à une configuration très particulière de certains marchés. Le plus souvent, la qualité de PME ne protège pas de l’application du droit des pratiques anticoncurrentielles.

Doit-on pour autant constater que le droit du marché ne tient pas compte de la qualité de PME ? Certainement pas, car le droit du marché ne se réduit pas au droit des pratiques anticoncurrentielles. À côté des mécanismes de protection du marché que constituent les pratiques anticoncurrentielles, il comporte de nombreuses règles d’organisation des marchés ; et ces règles d’organisation peuvent, elles, favoriser une catégorie d’entreprises à la condition que cette faveur ne soit pas telle que la concurrence s’en trouverait faussée. Un bon exemple de cette dialectique peut être tiré des règles gouvernant les marchés publics.

2. Un autre domaine dans lequel on pouvait imaginer déceler une influence de la taille de l’entreprise sur la mise en œuvre du droit des pratiques anticoncurrentielles est celui de la sanction.

Le CREDA a donc demandé au directeur de M2R affaires de Paris 1 si des étudiants seraient intéressés par le dépouillement des décisions du Conseil de la concurrence à la recherche de la PME. Sous la houlette de Mathilde Baillat, une douzaine d’étudiants de la promotion 2006/2007 a accepté de se livrer au travail de bénédictin consistant à rechercher dans chaque décision la trace d’éventuelles PME, et l’éventuelle influence de cette qualité sur le montant des sanctions.

Cette recherche très approfondie s’est avérée extrêmement décevante, d’abord parce qu’il n’était pas souvent possible de déterminer si les entreprises en cause répondaient à la définition de la PME, et ensuite parce qu’il n’a pas été trouvé trace d’une prise en compte univoque de la taille de l’entreprise dans la détermination du montant de la sanction. Les rares décisions dans lesquelles cette question était abordée énoncent aussi bien que la petite taille de l’entreprise n’est pas de nature à exercer une influence que le contraire.

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Je ne crois pas qu’il soit possible de tirer quelque conclusion que ce soit de cette absence de visibilité du paysage, ne serait-ce que parce que les décisions du Conseil de la concurrence n’ont jamais été des modèles de motivation. Il se peut que le facteur PME ait été pris en compte, sans que cela ait été exposé.

Le Président Lasserre vient de nous exposer la position actuelle de l’Autorité. Elle a publié, le 17 mai 2011, le communiqué du 16 mai concernant le processus de fixation des sanctions, et on notera avec intérêt que les points 26 et 48 prévoient une adaptation à la baisse de la sanction en considération du critère de gravité ou pour les entreprises mono-produit que sont généralement les PME. Mais on notera aussi qu’il n’est pas fait mention de la PME en tant que telle parce que cela aurait semblé constituer une atteinte au principe d’égalité. Dont acte !

Qu’il me soit toutefois permis une observation. Nul ne contestera qu’une sanction pécuniaire, par principe proportionnée à la taille de l’entreprise parce qu’elle est exprimée en pourcentage, peut néanmoins avoir des effets beaucoup plus infirmants pour une PME que pour une entreprise importante. Contrairement à une entreprise plus importante, la PME ne dispose généralement pas de réserves dans lesquelles puiser pour payer la sanction ; elle doit donc la prélever sur les sommes indispensables à son développement ou même à sa survie. Dans ces conditions c’est l’égalité de traitement qui constitue une atteinte au principe d’égalité : traiter également des choses inégales.

Tout se passe au fond comme si les euros de PME n’étaient pas égaux aux euros d’entreprises importantes. J’ai déjà eu l’occasion d’avancer ici – sans aucun succès, je dois l’admettre – que les euros de particuliers ne me paraissaient pas fongibles avec les euros d’entreprises. Mille euros de notre poche ne sont pas égaux à 1 Keuro d’entreprise, pour beaucoup de raisons. Il en irait de même des euros de PME par rapport aux euros de grande entreprise. Voilà pourquoi il me semblerait un peu expéditif de fermer le dossier de l’adaptation de la sanction à la taille de l’entreprise, à la PME.

3. Le dernier aspect dans lequel a été recherchée l’influence de la qualité de PME est celui des procédures.

Il est évident que la plupart des PME qui sont attraites dans une procédure devant les autorités de concurrence sont dans une situation très inconfortable car elles n’ont ni les connaissances nécessaires pour défendre leurs intérêts, ni généralement les moyens d’en charger des professionnels compétents. Et ce qui est vrai dans le cadre d’une procédure normale, l’est plus encore pour les autres procédures (clémence, non-contestation des griefs, engagements, transaction).

C’est pour éviter aux PME les dangers d’aventures en « terra incognita » qu’est apparue dans l’ordonnance du 13 novembre 2008 la procédure de PAC locale (ex « micro PAC ») qui permet, au terme d’une discussion avec l’administration, de se mettre d’accord sur une

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transaction discrète fondée sur des bases intéressantes puisque les sanctions maximales sont considérablement réduites.

Un point sera fait tout à l’heure sur les applications actuelles de cette procédure, et Monsieur le président Lasserre a estimé que l’émotion soulevée dans la doctrine par la procédure de « micro PAC » s’était apaisée. La rareté de son utilisation est peut-être la cause de cet apaisement, comme la rareté du recours à la procédure dite de flagrance avait mis fin aux controverses nées d’une rédaction très maladroite du texte.

Mais même si la procédure devait n’être plus utilisée du tout, une question demeurerait, et vous me permettrez de la poser pour conclure. Lorsque l’ordonnance du 1er décembre 1986 a mis fin au pouvoir de transaction de l’administration en matière de concurrence, tous les juristes s’étaient félicités du progrès décisif que cela constituait vers la démocratie économique.

Qu’a-t-il pu se passer en 22 ans, quel bouleversement du paysage juridico économique a pu survenir pour qu’en 2008, une marche arrière conduise néanmoins dans la même direction qu’en 1986, vers la démocratie économique ? Je n’ai pas trouvé la réponse. Pas plus d’ailleurs que tous ceux qui ont examiné cette procédure et qui tous, à commencer par le Conseil de la concurrence, l’ont trouvée dangereuse.

Alors, pensant au cheval de Troie, je ne puis m’empêcher de reprendre le vers bien connu de Virgile : « Timeo danaos et dona ferentes », que je traduirai très librement par : « Je crains les grecs, surtout lorsqu’ils apportent des cadeaux ».

Daniel FASQUELLE.– Merci beaucoup pour ce tableau que vous venez de tracer et qui remet bien les choses en perspective. C’est un débat qui est tout à fait passionnant et c’est vrai que l’on peut renvoyer à l'ouvrage très intéressant du CREDA pour ceux qui souhaiteraient aller plus loin. En vous écoutant, j’ai deux ou trois remarques à faire avant de donner la parole à Monsieur Martin.

On peut se demander si, concernant notre sujet, il n’y a pas des cycles. J’ai été amené à m’intéresser au droit américain de la concurrence quand je rédigeais ma thèse et j’ai remarqué qu’il y avait des cycles pendant lesquels on considère qu’il faut faire des économies d’échelle, qu’il faut aller plutôt vers les grandes entreprises, que celles-ci sont plus efficaces. Et puis on s‘aperçoit que, finalement, les grandes entreprises présentent aussi des inconvénients ; qu’elles deviennent des administrations parfois un peu compliquées, lourdes et difficiles à gérer. Et alors, on entame un nouveau cycle : finalement, « Small is Beautiful » et du coup, on se dirige de nouveau vers les petites entreprises, les PME. Je pense qu’il faut relativiser le débat que nous avons et du coup se demander si nous ne sommes pas nous aussi, en Europe, dans des cycles vis-à-vis de ce qui est grand et petit.

Deuxième remarque, et j’aurais dû en parler dans mon introduction, on parle ici de pratiques anticoncurrentielles. Or, nous devrions un jour nous poser la même question

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concernant les pratiques restrictives. On voit bien que, pour protéger à la fois les commerces de détail et les fournisseurs face aux grandes surfaces, nous avons fait évoluer le droit des pratiques restrictives, nous l’avons même un peu tordu pour essayer de protéger les PME. La volonté est manifeste, le résultat n’est pas vraiment probant.

S’agissant des plafonds, il y a encore la question des amendes civiles. Quand nous avons adopté la loi LME, nous sommes revenus sur cette question et nous avons maintenu un plafond à 2 millions d’euros dans le code de commerce. J’ai, en ce qui me concerne, toujours trouvé qu’un plafond en valeur absolue n’avait pas de sens, sachant qu’un plafond de 2 millions d’euros était énorme pour une PME mais pas pour une très grosse entreprise. Je ne vais pas dire que c’est une paille, mais c’est supportable.

Et, puis vous avez abordé la question des PAC locales. Toute la question est de savoir si ces PAC locales sont une bonne ou mauvaise chose, une bonne ou une mauvaise nouvelle pour les PME. Peut-être tout cela dépend-il de la façon dont on va manipuler cet instrument ? Pour répondre aux nombreuses interrogations concernant ce régime des PAC locales, je donne tout de suite la parole à Monsieur Stanislas Martin qui, du même coup, nous proposera le regard de l’administration.

Stanislas MARTIN, Chef du service de la régulation et de la sécurité à la DGCCRF.– Merci beaucoup. Pour répondre aux deux questions posées par Monsieur Fasquelle – y a-t-il un traitement particulier pour les PME et quelles sont les perspectives liées à ce traitement ? –, je vous propose d’aborder ces problématiques sous l’angle des « pratiques anticoncurrentielles locales » ou « PAC locales ». Tout d’abord, y a-t-il un traitement particulier des PME ? La réponse, affirmative, est certaine, pour la simple raison qu’il y a un régime particulier pour les pratiques anticoncurrentielles commises par les PME. La question de savoir s’il s’agit d’un traitement de faveur est une vraie question, laquelle appelle une réponse assez nuancée. J’essayerai d’y répondre au fil de mon propos, mais je ne suis pas sûr que l’on arrive à quelque chose de complètement tranché.

S’agissant de la résurgence de ces transactions qui avaient disparues en 1986, il faut voir que le régime des PAC locales, tel qu’il a été conçu par la réforme de 2008, est parfaitement cohérent avec l’ensemble de l’économie de la réforme de 2008 dont l’idée était de mettre fin, sinon à une rivalité, du moins à une déperdition d’énergie entre le Conseil de la concurrence, d’une part et le ministère de l’économie, d’autre part. L’idée était de mettre fin à cette concurrence relativement stérile pour la remplacer par une complémentarité entre les deux institutions. La DGCCRF collecte sur le terrain des indices qu’elle va envoyer à l’Autorité de la concurrence, à charge pour cette dernière de décider ce qu’elle va en faire. On se complète sur ce point. L’Autorité de la concurrence, sur la base de ces indices, décide des enquêtes dont elle va prendre la direction et laisse à la DGCCRF les enquêtes qu’elle considère comme moins structurantes. Là aussi, il y a complémentarité. En outre, on a un rôle complémentaire dans la diffusion de la culture de concurrence : l’Autorité de la concurrence le fait, par ses décisions,

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par sa communication ; le ministère le fait soit localement (sur le terrain) soit au niveau interne au gouvernement, où la DGCCRF joue le rôle d’avocat de la concurrence dans la définition des politiques publiques. Il y a une logique de complémentarité qui est transverse à la loi LME de 2008.

Et cette logique de complémentarité, on la retrouve dans le traitement des PAC locales. Avec trois critères, outre les critères en chiffres d’affaires. D’abord, le régime des PAC locales concerne des affaires dont l’Autorité de la concurrence ne s’est pas saisie, donc des affaires dont l’Autorité de la concurrence considère qu’elles ne représentent pas d’enjeu économique ou d’intérêt jurisprudentiel suffisant pour que cela mérite un traitement par ses services. Il n’y a donc pas de course à l’échalote entre les deux institutions. Il s’agit des affaires que l’Autorité de la concurrence n’a pas jugées prioritaires de traiter. Ce sont par ailleurs des affaires qui affectent un marché de dimension locale et qui n’affectent pas de manière sensible le commerce entre États membres, et donc pour lesquelles le droit européen ne s’applique pas. Il s’agit enfin des affaires qui ne franchissent pas certains seuils en chiffre d’affaires, de sorte que ne se trouvent visées que les PME.

Quels étaient les objectifs de la réforme ? En premier lieu, il s’agissait de parvenir à un règlement effectif et accéléré des pratiques anticoncurrentielles locales, et donc de mettre en place un processus moins coûteux, moins lourd pour les PME, et, par suite de limiter les frais d’avocats, la durée de la procédure, et l’implication des services juridiques que les PME ne peuvent pas, le plus souvent, mobiliser.

Le deuxième objectif était de permettre à l’Autorité de la concurrence de se décharger, si elle le souhaite, d’affaires mineures ou ne présentant pas de difficultés particulières pour se concentrer sur de plus grosses affaires.

Est-ce que l’objectif était aussi de pouvoir traiter des affaires qu’on ne couvrait pas auparavant, parce qu’on les considérait comme mineures ? Le recul dont on dispose aujourd’hui ne permet pas encore de répondre à cette question. Les premières affaires traitées dans le cadre du régime des PAC locales sont des affaires qui, par le passé, auraient pu être traitées par le Conseil de la concurrence. En fin de compte, ce sont des affaires assez classiques. Les critiques de la doctrine ou ses commentaires sur la mise en place du régime des PAC locales ont été résumés par Claude Lucas de Leyssac dans l’ouvrage publié par le CREDA. La doctrine a formulé trois critiques principales : en premier lieu, comment vont être respectées les règles du contradictoire, le procès équitable ? Ne s’agit-il pas là d’un retour en arrière par rapport aux droits de la défense ? Deuxième critique, la tentation de passer en transaction des cas limites, un peu à l’intimidation, et finalement de parvenir à une pratique décisionnelle un peu bancale et en tout cas peu cohérente avec celle de l’Autorité de la concurrence.

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Au plan des avantages – je reviendrai plus tard sur la troisième critique – le régime des PAC locales allait permettre une réduction de la sanction, la transaction étant moins coûteuse qu’une sanction de l’Autorité de la concurrence, mais aussi une procédure plus simple et moins longue. Et puis, autre avantage, celui de la discrétion. De fait, en l’absence de toute mesure de publicité, le régime des PAC locales est une boîte noire. Nul ne sait pas ce qui se passe et, finalement, ceci n’est pas plus mal pour les entreprises. Le revers de la médaille est que, comme cette procédure est discrète, pour les entreprises, et notamment les PME, victimes de ces pratiques, il est plus difficile d’engager des actions en réparation. Donc, trois avantages et trois critiques.

Quel premier bilan peut-on dresser avec le recul ? Le président Lasserre l’a relevé tout à l’heure, nous ne disposons pas d’une masse énorme de décisions. Suffisante toutefois pour commencer à se faire une première idée. Neuf transactions ont déjà été conclues, trois sont en cours (assez avancées), et d’autres sont en préparation. Cela fournit une première occasion de savoir si les critiques étaient fondées et d’observer si les avantages attendus sont au rendez-vous et, enfin de voir si les objectifs poursuivis ont été atteints. S’agissant des affaires closes, je ne rentrerai pas dans le détail. Il s’agit, dans l’ensemble, d’affaires assez classiques dont l’impact économique individuel est assez limité : il y a des cas d’abus de position dominante avec des affaires de pompes funèbres qui ressemblent trait pour trait aux nombreuses affaires traitées dans le passé par le Conseil de la concurrence ; il y a des affaires de répartition de marchés, comme celle entre des agents immobiliers nantais qui avaient mis en œuvre un système de pénalités pour les membres de l’entente qui viendraient à vendre un bien qui ne se situe pas dans leur zone ; il y a aussi l’affaire des plombiers rennais qui s’étaient mis d’accord sur le prix de l’intervention de nuit ; on a encore l’affaire du ravalement de façades à Grenoble avec huit entreprises qui s’organisaient très classiquement avec des offres de couverture ; il y a enfin l’affaire du GIE des taxis de Nice qui s’est montré particulièrement innovant en parvenant à inventer une nouvelle pratique dans ce secteur (on ne pensait pas que cela était possible, l’abondante pratique décisionnelle dans le secteur des taxis contenant déjà un florilège…). Il s’agit donc d’une série d’affaires assez classiques que le Conseil de la concurrence aurait fort bien pu traiter par le passé. En tout cas, la pratique décisionnelle du Conseil permettait parfaitement de les traiter. Au vu de ces premières affaires, il est possible de voir comment les choses ont fonctionné et de commencer à répondre aux critiques.

La première question qui se pose est celle du contradictoire. Est-ce que l’on respecte le contradictoire ? Le pouvoir règlementaire est venu organiser la procédure. La procédure est menée dans les régions par les DIRECCTE, les directions régionales : on envoie une lettre recommandée à l’entreprise ; on lui rappelle les faits ; un rapport administratif d’enquête est établi avec les faits, la qualification juridique des faits, l’imputation, une évaluation du dommage à l’économie. Ceci ressemble peu ou prou à une notification de griefs telle que peut la faire l’Autorité de la concurrence, avec un document expurgé des secrets d’affaires. Se passe ensuite un délai de deux mois, éventuellement prolongé de deux mois, au terme duquel l’entreprise répond aux griefs. Et enfin, la décision est notifiée à l’entreprise avec un délai d’un

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mois pour accepter ou pour refuser la transaction. Un contradictoire est organisé, avec moins de formalisme qu’à l’Autorité de la concurrence puisqu’il n’y a qu’un seul tour de contradictoire – comme en cas de procédure simplifiée devant l’Autorité de la concurrence notamment lorsque les entreprises ont un chiffre d’affaires relativement bas. Le contradictoire est bien respecté et les droits de la défense sont correctement respectés.

Le deuxième point est la tentation de pousser le bouchon, d’y aller au bluff, la tentation du cas limite, tentation qui existe et qui constitue un vrai risque. Lorsque les agents s’investissent dans une affaire, il peut y avoir la tentation de la pousser un peu au-delà des limites. Nous avons pleinement conscience de ce danger et nous essayons de le parer grâce à un contrôle étroit opéré par l’administration centrale. Autrement dit, si la procédure est pilotée par les directions régionales ou par les brigades interrégionales d’enquête, c’est dans le cadre d’un dialogue permanent avec l’administration centrale, afin de vérifier que le standard de preuve est bien respecté, que la pratique ministérielle est cohérente avec la pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence, que le contradictoire est bien respecté et qu’il existe une pratique décisionnelle cohérente sur l’ensemble du territoire, bref que des pratiques complètement hétéroclites n’apparaissent pas selon les régions.

Le troisième avantage évoqué est la limitation de la sanction. Accepter une transaction, c’est être moins sanctionné qu’à l’Autorité de la concurrence. Dans l’affaire des façades grenobloises, qui n’est rien d’autre qu’un cartel classique avec offre de couverture, on se situe, suivant le degré d’implication de l’entreprise, à un niveau de transaction entre 0,1 % et 0,8% du chiffre d’affaires, c’est-à-dire deux à trois fois moins que ce qu’aurait vraisemblablement été le tarif de l’Autorité de la concurrence en pareil cas. Pour des pratiques identiques dans les pompes funèbres, l’Autorité de la concurrence est plutôt à 0,4 % du chiffre d’affaires. Nous nous situons plutôt à 0,2 %. Il y a donc effectivement – ce qui est logique – une incitation financière à entrer dans la voie de la transaction. S’il n’y avait pas cette incitation, la procédure serait moins attractive. Toutefois, on est parfois un peu bas en termes de dissuasion : dans l’affaire des taxis de Nice, la transaction est de l’ordre de 5 000 euros, ce qui est en dessous du surprofit. Sans doute ne faut-il aller trop loin dans l’attractivité. Il y a parfois des difficultés pour trouver le bon niveau de la transaction. De plus, les transactions pécuniaires ne sont pas systématiques. Il y a beaucoup de cas dans lesquels on se borne à une injonction qui est une sorte de rappel à la loi, avec la conséquence, en cas de non-respect de l’injonction, de la saisine automatique de l’Autorité de la concurrence. Sur ce point, le ministre n’a pas de marge de manœuvre. On se limite à l’injonction car, dans beaucoup de cas, on est en présence d’entreprises – et c’est là qu’on constate que beaucoup de travail reste à faire pour insuffler une véritable culture de concurrence au sein des PME – qui ne se rendent même pas compte que ce qu’elles font est interdit.

Je ne résiste pas au plaisir de vous narrer un cas assez réjouissant : une personne s’est présentée à la Direction départementale dont elle dépend pour porter plainte pour concurrence déloyale. Elle trouvait tout à fait scandaleux, alors que, depuis des années, les entreprises du

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secteur étaient toutes d’accord pour fixer les prix en commun, qu’un nouvel opérateur ait refusé de jouer le jeu et ait entendu pratiquer ses propres prix – plus bas – et refuse d’entendre raison en alignant ses prix sur ceux de ses concurrents. « Mais très bien, cher Monsieur, asseyez-vous, on va inscrire tout cela sur procès-verbal ». Ce cas, un peu caricatural – mais authentique – illustre le fait qu’il y a encore beaucoup de progrès à accomplir pour diffuser la culture de concurrence auprès des PME. C’est là l‘enjeu central du régime de PAC locales mis en place par loi de 2008.

Donc, jusque-là, le contradictoire est respecté et les transactions sont cohérentes avec la pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence. Sauf que je vous demande de me croire sur parole puisque, pour l’instant, le régime des PAC locales est une boîte noire, complètement opaque. La question qui se pose à nous est désormais de savoir si ce que l’on fait est efficace. Je n’en suis pas convaincu. Nous avons investi beaucoup de temps et d’efforts pour le respect du contradictoire, etc., et tout cela pour dissuader une petite entreprise qui, probablement, ne récidivera pas. Mais, pendant ce temps, bien d’autres entreprises continuent à ignorer totalement le droit de la concurrence, considérant que ces règles ne les concernent pas, qu’elles concernent seulement les grandes entreprises. Si elles ne sont pas informées que, justement, ce droit s’applique à tout le monde, y compris à elles, les pratiques continueront de se répandre. Or, le cumul de ces pratiques, toutes strictement locales mais vraisemblablement assez répandues, par habitude ou par ignorance, peut être au bout du compte extrêmement coûteux pour la collectivité. Le régime des PAC locales répond à un enjeu économique important.

Sommes-nous à la hauteur de cet enjeu ? À ce stade, il y a des motifs de satisfaction – les procédures et les analyses sont rigoureuses, respectueuses des droits de la défense et cohérentes avec la pratique de l’Autorité. Mais nous considérons que nous ne sommes pas encore pleinement efficaces. Pour être plus efficaces, nous allons nous engager dans une politique de publication des décisions. J’espère que la première décision sera rendue publique au courant du mois de juillet. Nous allons donc nous orienter vers une publication systématique, d’abord dans le but de garantir l’effet dissuasif de nos décisions. Il s’agit en outre de leur conférer un effet pédagogique. Il s’agit enfin de se soumettre à la critique c’est-à-dire de se placer sous le contrôle de la doctrine : que chacun puisse voir ce que l’on fait, si l’on respecte le contradictoire, si notre pratique est cohérente avec celle de l’Autorité de la concurrence, etc., ce qui aura pour effet de nous contraindre nous-mêmes à plus de rigueur et à éviter les tentations des cas limites. Pour l’ensemble de ces raisons, il nous a semblé vertueux de passer à la publication, ce qui rendra peut-être la procédure un peu moins attractive pour les entreprises, auteurs des pratiques, mais qui est indispensable à l’efficacité du système et à son objet essentiel : la diffusion de la culture de concurrence auprès des PME, qui représentent 99 % des entreprises et 55 % des emplois.

Daniel FASQUELLE.– Merci beaucoup. Je ne sais pas si c’est, là aussi, une affaire de balancier, mais je constate un retour vers l’administration. Dans le projet de loi renforçant les

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droits, la protection et l'information des consommateurs, dont je suis rapporteur à l’Assemblée nationale, et pour lequel j’ai auditionné Monsieur Lasserre ce matin-même, plus de pouvoirs sont donnés à l’administration, ce qui suscite de nouveaux questionnements : lorsque l’administration inflige des sanctions administratives en matière de droit de la consommation, et qu’on les conteste, devant quelle juridiction doit-on aller ? Devant le juge administratif ou devant le juge judiciaire ?

Il y a aussi, dans ce projet de loi, une première partie – qui nous a été soufflée par l’Autorité de la concurrence. Il s’agit justement de permettre aux PME du secteur de la distribution alimentaire de changer plus facilement d’enseigne grâce à la création d'un contrat d’affiliation unique. Nous en avons discuté ce matin. Le texte est intéressant, même s’il mérite, sans aucun doute, d’être amélioré.

J’ai eu la chance de voir l’intervention de Jean-Patrice de La Laurencie et je sais donc ce qu’il va dire avant vous. Je sais que, sur le constat, nous sommes en grande partie d’accord et tout à été dit ou presque. Par contre, il a des propositions très intéressantes à formuler et je lui donne donc immédiatement la parole pour nous en faire part.

Jean-Patrice de LA LAURENCIE, Avocat à la Cour (consultant auprès de White & Case).– Merci, Monsieur le Président. Sur l’état des lieux, je ne peux que confirmer ce qui se dégage des propos du Président Lasserre et de Monsieur Claude Lucas de Leyssac : il n’y a donc pas vraiment de traitement spécifique aujourd’hui en faveur des PME. Mais il y a bien une sensibilité particulière à exprimer. Faut-il le faire sur la procédure ou sur le fond ? Je vais essayer de vous apporter quelques éléments de réponse.

À titre préliminaire, permettez-moi seulement d'apporter un témoignage personnel : j’ai déjà eu l’occasion de défendre une PME contre une grande entreprise, mais aussi contre une autre PME. Eh oui, les avocats peuvent aussi défendre des PME ! Ils peuvent du reste également les attaquer.

Je suis aussi conscient que, la plupart du temps, le droit de la concurrence peut s’appliquer normalement aux PME, qui peuvent avoir aussi un pouvoir de marché et une capacité de nuisance dont leurs clients/consommateurs ou concurrents peuvent être victimes. Après tout, dans la fameuse affaire des Vedettes vendéennes, la Régie départementale, accusée d’abus de position dominante, relève des critères de la PME, au vu de son chiffre d’affaires. Des PME peuvent faire du mal à d’autres PME !

Je considère donc que les PME elles-mêmes peuvent avoir besoin du droit de la concurrence comme se le voir appliquer.

Il faut donc effectivement traiter ce type de cas.

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Mais il faut aussi pouvoir traiter la PME dans son fait spécifique parce qu’elle manque de moyens. Heureusement, des avocats interviennent aux côtés des PME mais beaucoup de PME ne pensent même pas qu’il puisse y avoir des avocats spécialisés en la matière – c’en est à ce point là ! Heureusement aussi, on peut être témoin – je l’ai été – d’un comportement extraordinaire de la part d’un juge en faveur d'une PME. Monsieur Pierre Drai, lorsqu’il était Premier président de la Cour d’appel de Paris, avait décidé, en présence du dirigeant d’une petite entreprise qui avait perdu ses moyens et qui n’arrivait plus à parler sous les ors et les pompes de la Première Chambre, de prononcer une interruption de séance. Il ne l’aurait jamais fait pour un avocat spécialisé ou encore pour un grand chef d’entreprise.

On sent donc quelque part qu’il faut effectivement un traitement spécifique face à la faiblesse intrinsèque des PME. J’ai essayé, dans une trentaine de pages de l’ouvrage de référence que vous avez déjà cité, « Les PME et le droit de la concurrence », de proposer un certain nombre de solutions (1). Je vais vous en citer quelques unes, très brièvement.

Je vois deux séries d’améliorations possibles : celles qui visent à prendre davantage en compte les effets économiques de l’absence de pouvoir de marché, favorables à tous mais principalement aux PME, et des mesures spécifiques aux PME.

1. Des améliorations dont les PME seront les principales bénéficiaires, même si elles ne sont pas les seules :

L’essentiel des réformes possibles se situe largement en faveur des PME mais pas seulement. C’est une approche économique qui a été recommandée depuis longtemps par les économistes et qui est davantage mise en œuvre aux États-Unis qu’elle ne l’est en France. Cette approche tient compte de la réalité économique la plus concrète possible. En droit communautaire comme en droit national, Claude Lucas de Leyssac nous l'a rappelé, cela a conduit à concentrer la poursuite des pratiques anticoncurrentielles sur les entreprises qui ont un pouvoir de marché et en tenant compte de l'état de la concurrence sur le marché pertinent concerné. Ceci s'est traduit par la reconnaissance d'une « zone de sécurité » (« safe harbour ») dans les règlements et communications communautaires avec des seuils en parts de marché en deçà desquels les entreprises ne risquent pas de poursuites. Or, cette approche va jouer à 90 % en faveur des PME.

Mais il y a un obstacle sérieux à cette approche en Europe, rappelé par Claude Lucas de Leyssac : on ne peut pas bénéficier de la « zone de sécurité » à partir du moment où il s'agit de la fixation de prix, de restrictions territoriales ou de restrictions à l’accès au marché... ce sont des « restrictions caractérisées » condamnables en elles-mêmes. C'est un problème majeur pour les PME auteures de pratiques entrant dans ces catégories, réellement ou – encore pire ! – apparemment puisqu'elles sont alors privées de « safe harbour » qui leur est fondamentalement favorable.

(1) J.-P. de La Laurencie, op. cit., chap. 7, p. 211 sq.

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Il m’est arrivé, encore récemment – je ne citerai pas l’affaire même si le président Lasserre la connaît – de me retrouver à assumer la défense d’une entreprise modeste qui faisait 3 % de parts de marché et qui s’est vue opposer le fait qu’elle mettait en œuvre une « restriction caractérisée » parce que l’interprétation qu’elle faisait de l’engagement de son cocontractant et de l’application de la clause de non-concurrence qu’elle avait signée conduisait à une forme de répartition de clientèle entre elle et sa filiale commune. Dans un secteur où 97 % du marché est occupé par de très grandes entreprises qui fournissent toutes les alternatives possibles sur le marché pertinent , on pouvait regretter – ce n’est que mon avis, bien entendu – que l’approche « restriction caractérisée », qui n’est utilisée par l’OCDE que pour les grands cartels internationaux, soit appliquée en l’espèce à une petite entreprise pour refuser de faire application de la règle de minimis.

Ma proposition consiste donc à abandonner ce qui relève encore d’une approche « per se », à savoir la condamnation des « restrictions caractérisées », en matière d’accords horizontaux et verticaux, pour l’application des règles de « safe harbour » ou de minimis : je plaide ici pour l’application d’une « règle de raison » à l’européenne, inspirée de ce qui se passe aujourd’hui aux États-Unis.

Aux États-Unis, depuis l’arrêt Leegin de la Cour suprême du 28 juin 2007, l’approche « au cas par cas » en fonction de la situation économique réelle a été étendue aux « restrictions caractérisées » en matière de relations verticales (prix imposés par les fournisseurs à leurs distributeurs). Cette approche pourrait être adoptée par la jurisprudence en Europe, en commençant par les PME – ne pas l’appliquer aux grandes entreprises lèverait d’ailleurs la seule objection entendue jusqu’ici au niveau des industriels (selon laquelle un assouplissement de l’interdiction des prix imposés les obligerait à faire la police des prix à la demande des grands distributeurs).

Je ne plaide pas pour un changement de texte – ce n'est pas nécessaire – mais pour un assouplissement de l’interprétation de la règle de minimis en faveur d’entreprises qui n’ont pas de pouvoir de marché et, dans 90 % des cas, il s’agira de PME.

Je tiens toutefois à signaler qu’il existe déjà des ouvertures en ce sens – mais il faut vraiment aller les chercher dans les coins – qui pourraient servir de base à cette nouvelle orientation jurisprudentielle que j’appelle de mes vœux. Le premier élément se trouve, au niveau européen, dans les lignes directrices sur les accords de coopération horizontale du 6 janvier 2001 (point 156). Ce texte prend l’exemple d’un accord de commercialisation entre PME ayant ensemble une part de marché inférieure à 5 % et adoptant, vis-à-vis de leurs clients de la grande distribution, ce qui est spécifié, une politique commune de prix qui, par ailleurs, est constitutive d’une restriction caractérisée normalement interdite. Pratique anticoncurrentielle ! Pourtant, dans l’exemple pris par la Commission, cette pratique est jugée exemptable au titre des efficiences économiques reconnues à l’accord. Cela dit, il ne semble pas qu’il y ait eu la moindre application pratique de cet exemple théorique.

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Quant à la France, j’ai cherché un précédent, Monsieur le Président, et je l’ai trouvé. Il existe un précédent favorable aux petites entreprises qui peuvent invoquer l’efficience de l’organisation de leur accord, de leur « entente », y compris au niveau de la fixation des prix en commun par les producteurs – horrible restriction caractérisée pourtant. Il s’agit de l’affaire des volailles sous label dans laquelle le Conseil de la concurrence, à l’époque, en 1994, n’a pas condamné cette pratique. Il a dit que ce n'était pas condamnable car il y avait effectivement des efficiences économiques telles dans l’organisation de la promotion de ces volailles sous label, dans la politique de qualité des produits, qu'elles justifiaient une politique de prix commune, sachant bien sûr que les entreprises en question n’avaient pas un pouvoir de marché qui aurait conduit à appliquer l’approche restrictive habituelle.

On pourrait enfin – cela irait dans le sens de la simplification et serait un autre moteur d’amélioration du droit de la concurrence, qui jouerait principalement en faveur des PME – réduire le nombre des seuils en parts de marché des différents règlements et communications d'exemption au niveau européen. Il y en a trop. J’ai compté plus d’une dizaine de seuils différents, dits de minimis, d’exemption, etc. Il est impossible, pour une PME, de s’y retrouver. Je préconise de les ramener à deux : un seuil « général » fixé à 30 % de parts de marché et un seuil « subsidiaire » à 15 % pour ce qui concerne le droit européen. Au niveau français, il n’existe que deux seuils de minimis, ce qui est relativement simple – dans mon esprit, on pourrait même n'en avoir qu'un seul. Bruxelles a commencé à les réduire mais on est passé de treize à onze seulement. C’est bien, mais il faudrait continuer le travail de simplification.

2. Des améliorations spécifiques aux PME, il peut y en avoir aussi.

Elles vont se situer principalement au niveau de l’approche procédurale.

Nous préconisons – je dis nous car je ne suis pas le seul à le faire – la rédaction et la publication d’un vademecum à destination des PME comme cela existe en matière d’aides d’État. La complexité des règles, des exceptions et de la jurisprudence est telle que ce vademecum, qui pourrait, par exemple, être diffusé auprès de leurs ressortissants par toutes les chambres de commerce de France comme par l'Autorité de la concurrence et les services départementaux de la DGCCRF, constituerait un support fondamental dans le travail de prise de conscience à destination des PME qu’il est nécessaire de développer pour qu’elles acquièrent une culture en matière de concurrence.

Cela permettrait au surplus d’éviter des catastrophes – que l’on a pu voir en termes de procédure. Par exemple, des PME ont été lourdement sanctionnées au terme d’une procédure de clémence lancée par une grande entreprise et sont mortes des sanctions qui leur ont été infligées – notamment parce qu’elles n’ont pas pensé qu’elles pouvaient demander une clémence de second rang. Elles ne connaissaient pas la procédure et cela a été mortel pour elles. Il est donc très important de véhiculer cette connaissance des règles de concurrence.

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Ces règles sont un moyen de se positionner sur le marché et servent aussi bien à l’attaque qu’à la défense. Il n’y a pas de raison que ceux qui savent ne les aident pas.

Pourquoi ne pas instaurer également un guichet PME, ou un « Monsieur PME » ? Et là, je m’adresse aux autorités de concurrence françaises – l’Autorité de la concurrence et la DGCCRF – car je pense que ça pourrait marcher assez bien au niveau local et départemental comme au niveau national. Au sein de l’Autorité de la concurrence, le conseiller-auditeur ne pourrait-il pas jouer ce rôle de Monsieur PME ? Un tel guichet réservé aux PME contribuerait à compenser ce déséquilibre signalé très justement par Claude Lucas de Leyssac.

On pourrait enfin, à l'instar du Royaume-Uni, adopter un seuil spécifique – exprimé en chiffre d'affaires et se cumulant à un seuil en parts de marché – pour instaurer un « safe harbour » en matière de sanctions, qui vise ainsi uniquement les PME.

Voilà, en ce qui me concerne, les quelques exemples de réforme possible que je voulais donner. Vous en trouverez d'autres dans l’ouvrage du CREDA auquel je me permets de vous renvoyer.

Daniel FASQUELLE.– Je vous remercie. Je pense qu’effectivement il y a un travail de pédagogie à faire et c’est très bien que la CCIP se soit emparée de ce sujet. Nous savons les Français fâchés avec l’économie et en particulier avec la concurrence et le droit de la concurrence. Plus nous en parlerons et plus nous ferons de la pédagogie et mieux ce sera… Merci donc à la CCIP et aux chefs d’entreprise présents dans cette salle d’avoir eu l'idée de ce colloque.

En écoutant Jean-Patrice de La Laurencie, je pensais à l’Italie, pays avec lequel il a des liens, et aussi aux branches du droit voisines du droit de la concurrence qui peuvent être tentées parfois de faire une place aux PME mais qui peuvent être aussi parfois contrariées par le droit de la concurrence. Je pense en particulier au droit de la faillite en Italie – c’est Laurence Idot qui en avait parlé dans une de ces chroniques. L’Italie pratiquait un traitement à part entre PME d’un coté et grandes entreprises de l’autre. Les grandes entreprises, étant le fleuron du pays, étaient particulièrement protégées. C’est à ce moment-là que le droit européen est intervenu avec l’interdiction des aides d’État. L’Italie a été condamnée et à dû revoir son droit… Au cas d’espèce, il s’agissait plutôt de favoriser les grands champions nationaux avec un droit de la faillite adapté. Le droit de la concurrence a empêché l’Italie de poursuivre dans cette voie.

Cela nous amène à nous intéresser à nos pays voisins. On ne fait jamais suffisamment de droit comparé et il est intéressant de voir ce que d‘autres pays ont à proposer. S’agissant des questions qui sont les nôtres, nous allons tout d’abord donner la parole à Monsieur Kurt Stockmann sur le droit de la concurrence en Allemagne.

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Kurt STOCKMANN, Ancien Vice-président du BundesKartellamt, ancien Président du Comité de la concurrence de l’OCDE.– En ce qui concerne les règles substantielles du droit allemand de la concurrence, je m’associe pleinement à ce qu’a dit le président Lasserre : « Nous ne distinguons pas du tout sur ce plan entre grand et petit ». Je suis tout à fait satisfait de cette situation et je m’en tiens là sur le droit substantiel, malgré la tentation de réagir aux observations faites par les précédents participants.

Ce qui me préoccupe est plutôt la procédure qui rend la vie plus difficile aux PME. D’autant plus que les procédures deviennent de plus en plus complexes, non seulement sur le plan européen mais aussi sur le plan national allemand. Je songe plus particulièrement aux programmes de clémence et à la procédure d’engagements dans la mise en œuvre desquels les grandes entreprises bénéficient d’avantages. Elles peuvent se payer des avocats spécialisés, toutes choses que les petites entreprises ne sont pas en mesure de faire. Sur le plan fédéral ainsi que dans les Länder, nous essayons de faciliter l’approche des PME. Nous les accueillons volontiers et nous ne faisons pas preuve d’un formalisme trop rigoureux. Le rôle de ces procédures de clémence et d’engagements devient de plus en plus important en Allemagne, de sorte que dans les faits, les problèmes que rencontrent les PME dans ce contexte vont s’aggravant.

Second point, ce qui me trouble aussi, c’est que la tendance est à sanctionner les PME en Allemagne et les gros cartels à Bruxelles, ce qui est une bonne chose. En Allemagne, les petites ententes se terminent régulièrement par des amendes infligées aux entreprises et à leurs dirigeants en tant que personnes physiques. En Europe, ceci n’est pas possible. Ce que nous pouvons faire en principe en vertu du droit allemand, c’est engager des procédures contre les dirigeants des grandes entreprises. La loi le permet mais cela n’a jamais été mis en œuvre jusqu’à maintenant. Il y a donc un privilège de fait pour les dirigeants des grandes entreprises si on les compare aux dirigeants des petites entreprises. Il ne s’agit pas directement de droit ; il s’agit de pratique.

Daniel FASQUELLE.– Je remercie Monsieur Stockmann qui, je le rappelle, est ancien vice-président du BundesKartellamt et ancien président du Comité de la concurrence de l’OCDE. Nous sommes très heureux qui vous ayez participé à cette table ronde. Je donne maintenant la parole à Sandrine Delarue de l’Office of Fair Trading du Royaume-Uni.

Sandrine DELARUE, Team Leader, Office of Fair Trading (Royaume-Uni).– Je vais vous apporter un éclairage sur le droit britannique de la concurrence et tout particulièrement sur le traitement réservé aux PME, auteurs de pratiques anticoncurrentielles (2).

Existe-t-il en Grande-Bretagne un régime plus favorable à l’égard des PME que celui qui est réservé aux entreprises de taille plus importante ?

(2) Mes propos sont émis à titre personnel et n’engagent pas l’Office of Fair Trading.

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Pour répondre à cette question, je vais me concentrer sur trois thèmes : les PME et les safeharbour ou exemptions, les PME et les sanctions, et les PME et la culture de concurrence ou la connaissance du droit de la concurrence.

Ce que l’on peut dire pour commencer, c’est que, en général, les PME sont soumises aux mêmes dispositions que les entreprises de taille plus importante. Il existe, toutefois, quelques dispositions éparses qui prennent en compte la taille et les ressources de l’entreprise, auteur de la pratique.

Les PME et les « safeharbour » ou exemptions

Je vais parler de deux choses : le régime de minimis et l’opportunité des poursuites.

– Tout d’abord, et je ne vais pas m’étendre davantage, la communication de minimis est prise en compte par l’Office of Fair Trading (OFT) dans le cadre de l’exercice de ses pouvoirs lors de l’application de l’article 101 TFUE, mais aussi lors de la mise en œuvre du Chapitre 1 du Competition Act 1998 (3).

– Il me semble en revanche utile de m’arrêter sur la question de l’opportunité des poursuites. C’est d’abord une vraie différence entre la France et la Grande-Bretagne. Ensuite, l’opportunité des poursuites est l’expression d’un choix par une autorité de concurrence quant aux domaines qu’elle va investir, choix justifié par les ressources limitées dont elle dispose et qu’elle essaiera d’utiliser au mieux afin d’assurer l’efficacité de son action (4).

La question qui se pose est celle de savoir si ce choix prend en compte la taille de l’entreprise, et si, ce faisant, les PME se trouvent de facto « exemptées » du droit de la concurrence. Une telle approche pourrait se justifier par les ressources mobilisées par l’instruction, qui ne seront pas si différentes que les entreprises en cause soient des PME ou des multinationales, alors que l’impact de l’action de l’Office sur le bien-être des consommateurs peut être plus faible lorsque l’auteur de la pratique est une PME.

En Grande-Bretagne, l’opportunité des poursuites signifie que l’OFT décide d’intervenir ou de ne pas intervenir au terme d’une analyse reposant sur la prise en compte de quatre critères prédéfinis. L’existence de ces critères n’autorise pas une exclusion a priori des PME du champ de l’intervention de l’OFT. Ces critères sont :

1) l’impact de l’action de l’OFT sur le bien-être des consommateurs sur le marché ou dans le secteur où l’intervention de l’OFT devrait prendre place,

(3) Lignes directrices de l’OFT, 2004, Agreements and concerted practices, paragraphes 2.16 à 2.21,

http://www.oft.gov.uk/shared_oft/business_leaflets/ca98_guidelines/oft401.pdf. (4) Une autorité de concurrence peut décider de ne pas déclencher de poursuites pour un comportement qui pourrait

présenter les caractéristiques d’une pratique anticoncurrentielle, et donc de ne pas ouvrir une enquête formelle à l’égard d’une ou de plusieurs entreprise(s).

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2) l’importance stratégique du dossier pour l’OFT par rapport à son plan annuel et/ou à ses autres objectifs,

3) les risques de ne pas obtenir une issue favorable au terme de l’enquête menée par l’OFT,

4) les ressources nécessaires pour mener à bien le projet.

On voit bien que, dans le cas des PME, le premier critère, à savoir l’impact de l’action de l’OFT sur le bien-être des consommateurs, peut être difficile à remplir. Les PME sont en effet souvent actives sur de petits marchés, des marchés locaux ; l’impact de la pratique en cause peut donc être très limité.

Pour autant, comme cela a été dit précédemment, les ressources nécessaires pour mener l’enquête peuvent être importantes. L’intervention de l’OFT peut, dans ces cas-là, être plus difficile à justifier.

Mais l’action de l’OFT repose aussi sur les deux autres critères mentionnés précédemment. Et l’importance stratégique d’un cas peut faire que l’OFT va ouvrir une procédure formelle. Par exemple, il peut être stratégiquement important de s’intéresser à une industrie en particulier ou à un comportement que l’on sait être généralisé. Ce sont donc bien les quatre critères ensemble qui comptent, et non pas le fait que les entreprises en cause soient des PME ou des multinationales.

Il faut bien garder à l’esprit que l’action de l’OFT repose sur un portefeuille équilibré de cas différents, certains concernent des PME, d’autres concernent des entreprises de taille plus importante. Il existe plusieurs exemples récents d’intervention de l’OFT à l’égard de PME (5), dans le secteur de la construction et dans l’affaire Cardiff Bus pour n’en citer que deux. L’affaire Cardiff Bus, par exemple, concerne une petite entreprise (son chiffre d’affaire était d’environ 25 millions de Livres Sterling à l’époque des faits), auteur d’une pratique généralisée de prix prédateurs. L’intervention de l’OFT a permis de mieux comprendre le secteur du transport en bus, lequel a ensuite fait l’objet d’une marketstudy.

(5) CA98: Shaping the future of Competition Act cases”,discours de Philip Collins, 2 mars 2011: “One of our main

innovations was the publication and embedding of our prioritisation principles in October 2008. As a result, we have become very focused on ensuring that we open the right cases, and when we have opened a case, that it remains the right case, having regard to the bigger picture of our portfolio and our mission. These cases are not only high impact but also cover the broad waterfront of both the Chapter I and Chapter II prohibitions in large and smaller markets. Whilst some may have misunderstood the Principles to mean the OFT was categorically not interested in smaller cases, in fact, outcomes with wider deterrent impact in small markets and/or that set precedents remain a priority for us – the Cardiff Bus decision on predation in local markets is a good example of this. And the publication of our Flybe 'no grounds for action' decision shows our willingness to set out our thinking, where possible, in order to guide practitioners and business, even when we are not making an infringement decision. ”http://www.oft.gov.uk/shared_oft/speeches/2011/speech0411.pdf.

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À l’instar de ce qui se passe dans d’autres pays européens, les PME sont susceptibles de bénéficier d’un safeharbour au titre de la communication de minimis. L’opportunité des poursuites n’est, quant à elle, pas un outil d’exemption bénéficiant aux PME.

Les PME et les sanctions

En Grande-Bretagne, il existe un régime d’immunité de sanctions pécuniaires applicable aux PME. Le calcul des amendes, les sanctions individuelles et les procédures de dommages et intérêts ne comportent quant à eux aucun aménagement particulier au bénéfice des PME.

– Immunité de sanctions pécuniaires

Les Sections 39 et 40 du Competition Act 1998 prévoient une immunité de sanctions pécuniaires qui s’applique aux accords et aux comportements d’importance mineure (6). L’OFT a le pouvoir de retirer le bénéfice de l’immunité ; ce pouvoir n’a toutefois jamais été exercé.

L’immunité applicable aux accords d’importance mineure (à l’exception des accords de fixation de prix) s’applique lorsque les parties à l’accord ont, ensemble, un chiffre d’affaires de 20 millions de Livres Sterling maximum [au cours de l’année qui précède la fin de la pratique]. Dans ce cas, même si l’OFT conclut que l’accord en cause est anticoncurrentiel, il ne pourra pas imposer d’amende.

L’immunité applicable aux comportements d’importance mineure (on vise ici le Chapitre II, abus de position dominante) concerne quant à elle les comportements d’entreprises dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas 50 millions de Livres Sterling. Cette disposition a été appliquée dans l’affaire Cardiff Bus où le chiffre d’affaires de l’entreprise dominante était de 25 millions de Livres Sterling.

– Le calcul des amendes

Comme dans d’autres pays, le montant maximal de l’amende encourue s’exprime en pourcentage du chiffre d’affaires de l’entreprise en cause (7), ce qui permet dans une certaine mesure une prise en compte de la taille de l’entreprise.

Dans ses lignes directrices sur le calcul des amendes, l’OFT explique la méthode qu’elle entend appliquer pour établir le montant de l’amende. Cette méthode n’implique pas la prise en

(6) Section 39 et Section 40 du Competition Act 1998. (7) Section 36 du Competition Act 1998.OFT’s Guidance as to the appropriate amount of a penalty, Competition Law

2004.http://www.oft.gov.uk/shared_oft/business_leaflets/ca98_guidelines/oft423.pdf.

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compte particulière de la situation des PME (8). En pratique, la situation « PME » de l’auteur de l’infraction peut dans certains cas permettre une réduction de l’amende encourue. Cela présuppose que la PME justifie d’abord de l’existence d’une situation que l’OFT identifie dans ses lignes directrices comme étant de nature à permettre une diminution du montant de l’amende encourue (par exemple, des difficultés financières ou l’existence d’un système de conformité au droit de la concurrence). Dans sa décision dans le secteur du travail temporaire (CRF), l’OFT a ainsi pris en compte (indirectement) la taille de l’entreprise pour décider si le programme de conformité mis en place par l’entreprise en cause était suffisant pour justifier une réduction d’amende (« positive steps to introduce a formal compliance policy appropriate for its size and to ensure that all appropriate staff have been made properly aware of their competition law ») (9).

Il convient de noter enfin que, suite aux jugements récents CRF et Construction, l’OFT a annoncé vouloir entreprendre une révision de sa politique de sanctions (10).

– Les sanctions individuelles et les actions en dommages et intérêts

Le « cartel offence », la disqualification des directeurs et les actions en dommages et intérêts ne prévoient pas une prise en compte particulière des PME (11). Le régime de disqualification des directeurs peut être problématique pour les PME puisque, du fait d’une structure assez concentrée, les directeurs de PME sont plus fortement impliqués dans les

(8) La méthode exposée dans les lignes directrices repose sur cinq étapes : 1. Détermination du point de départ sur la base de la gravité du comportement et du chiffre d’affaires pertinent. Le

chiffre d’affaires pertinent correspond au chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise sur le marché pertinent affecté par le comportement anticoncurrentiel. Le point de départ sera au maximum de 10 % du chiffre d’affaires pertinent.

2. Prise en compte de la durée du comportement anticoncurrentiel. 3. L’amende théorique obtenue à l’issue de la deuxième étape est revisitée pour prendre en compte les objectifs de

politique de concurrence, en particulier la gravité du comportement en cause et la politique de dissuasion crédible (deterrence).C’est aussi à ce stade que la taille de l’entreprise et sa situation financière sont prises en compte. Par exemple, dans la décision CRF, l’OFT a pris en compte la situation financière de l’entreprise.

4. Prise en compte de facteurs d’aggravation ou d’atténuation (par exemple, l’existence d’un programme de conformité).

5. Ajustement de l’amende théorique obtenue à l’issue de la quatrième étape au montant maximal de l’amende encourue.

(9) http://www.oft.gov.uk/news-and-updates/press/2009/119-09. (10) http://www.oft.gov.uk/news-and-updates/press/2011/61-11. Dans le jugement du Competition Appeal Tribunal

dans le secteur de la construction, le juge invite l’OFT à ne pas s’en tenir au chiffre d’affaires mondial, et en particulier à prendre en compte les cash flow et profits des entreprises. Cela permet aux entreprises, et notamment aux PME, d’indiquer qu’une amende fondée sur leur chiffre d’affaires est beaucoup trop importante par rapport à leur cash flow ou profits.

(11) Il convient toutefois de noter que le régime de disqualification des directeurs ne s’applique pas aux acteurs économiques qui n’ont pas la structure juridique de companies ou limited liability partnerships. Par exemple, le régime ne s’applique pas aux « sole traders ».

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activités et transactions quotidiennes de l’entreprise, et sont dès lors davantage susceptibles d’être au courant d’infractions actuelles ou potentielles au droit de la concurrence (12).

Les PME et la culture de concurrence ou la connaissance du droit de la concurrence

L’OFT a publié de nombreux guides et lignes directrices qui expliquent son action mais aussi qui exposent les règles de concurrence et leur implication sur les activités des entreprises. Ces guides et lignes directrices sont particulièrement utiles aux PME qui ne disposent pas, en général, de spécialistes du droit de la concurrence.

Il existe, par exemple, des lignes directrices sur les accords entre entreprises, sur la procédure suivie par l’OFT lorsqu’elle enquête sur de possibles infractions au Competition Act 1998, sur les concentrations entre entreprises, ou bien encore sur les associations d’entreprises.

La publication de ces documents présente plusieurs avantages.

C’est tout d’abord l’occasion d’échanges entre l’OFT et l’industrie. L’OFT consulte les PME au travers de leurs associations professionnelles lorsqu’elle élabore ses lignes directrices et guides. Les PME ont donc la possibilité de faire valoir leurs intérêts. Ensuite, ces documents ont un rôle pédagogique évident, et comportent souvent des propositions concrètes pour aider les entreprises à mettre en place des outils visant à faciliter leur conformité au droit de la concurrence.

À cet égard, l’OFT vient de publier deux guides, l’un sur les programmes de conformité (13), et l’autre sur les directeurs d’entreprises et le droit de la concurrence (14). Ces guides comportent des questions que les entreprises et leurs directeurs pourraient se poser pour faciliter la mise en place d’une culture de concurrence au sein de l’entreprise. Ces guides définissent aussi ce qu’il est raisonnable d’attendre de tout directeur, y compris de PME, quant à sa connaissance du droit de la concurrence. Selon ces guides, il est par exemple raisonnable d’attendre de tout directeur qu’il comprenne que se conformer au droit de la concurrence est important et que le non-respect de ces règles peut avoir des conséquences graves pour l’entreprise et les individus. Il est aussi dit dans ces documents que tout directeur doit au moins comprendre en quoi consistent les infractions les plus sérieuses. S’agissant des PME en

(12) Section 9A du Company Directors Disqualification Act 1986 (the CDDA). L’OFT ainsi que certains régulateurs

sectoriels ont le pouvoir de demander à un juge de prononcer la disqualification d’un directeur (appelé CDO). Si le directeur est disqualifié, il ne pourra plus être impliqué dans le management de l’entreprise. Le juge accorde un CDO s’il est convaincu que : 1) il y a eu une infraction au droit de la concurrence anglais ou européen impliquant l’entreprise dont il est un directeur ; et 2) le comportement du directeur qui est lié à l’infraction de concurrence le rend « unfit » pour être impliqué dans le management de l’entreprise.

(13) « How your Business can achieve compliance with competition law », OFT 1278 June 2011. (14) « Company directors and competition law », OFT 1277 June 2011.

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particulier, on notera que la position de l’OFT est que les entreprises les plus petites ne doivent pas ignorer le droit de la concurrence et devraient adopter des mesures de conformité proportionnelles à leur degré de risque, et plus généralement que toute entreprise, petite ou grande, doit évaluer ses risques en matière de cartels.

Enfin, l’OFT a produit en juin dernier un guide pratique qui vise à aider les entreprises dans leur mise en place de programme de culture de conformité au droit de la concurrence (15).Ce guide définit une approche facilitant l’identification des risques encourus, leur analyse, puis des mesures à mettre en place pour réduire ces risques.

Pour conclure, il n’existe pas en Grande-Bretagne un régime de « faveur » à l’égard des PME qui leur permettrait « d’échapper » à l’application du droit de la concurrence. En revanche, la publication de nombreux guides pédagogiques destinés aux entreprises est sans aucun doute utile aux PME, y compris pour faire valoir leurs intérêts lors de la préparation de ces documents.

Dans un discours récent sur la réforme du droit de la concurrence et de la consommation en Grande-Bretagne, John Fingleton, le président de l’OFT, a indiqué que les associations représentatives des PME interagissaient déjà de manière effective avec l’OFT, et que, si le régime des « super-complaint » devait être modifié, il émettait des réserves sur le fait d’étendre ce régime aux groupes représentant les PME au motif que cela risquerait de privilégier la voix des producteurs sur celle des consommateurs (16).

Daniel FASQUELLE.– Merci. Il y a au moins un point d’accord pour chacun d’entre vous, c’est la nécessité de publier des décisions et des guides et de faire de la pédagogie. Je passe la maintenant la parole à la salle.

Débat

Jacqueline RIFFAULT-SILK, Conseiller à la Cour de cassation.– Nous étions réunis à Dublin il y a très peu de temps dans le cadre de l’Association des juges européens en droit de la concurrence et nous avons parlé du communiqué « sanctions » de l’Autorité de la concurrence du 16 mai 2011. Nous avons appris à cette occasion que l’OFT avait élaboré des lignes directrices sur les sanctions. La question sur laquelle nous avons débattu était de savoir comment les juges pouvaient recevoir un tel document ? Du côté anglais, les représentants du

(15) Quick Guide to Competition Law, Compliance Protecting businesses and consumers from anti-competitive

behaviour. http://www.oft.gov.uk/shared_oft/ca-and-cartels/competition-awareness-compliance/quick-guide.pdf. (16) The future of the competition regime:increasing consumer welfare and economic growth, John Fingleton,

discourse présenté à l’occasion de la conférence annuelle de la Law Society Competition Section, 25 mai 2011, http://www.oft.gov.uk/shared_oft/speeches/2011/1011.pdf : « If super-complaints are to be modified, our preference would be to do so in a way that enhances the voice of groups of consumers that are currently less well-represented or articulated, particularly vulnerable groups in society. We are concerned that extending it to SME groups risks enhancing the voice of producers over consumers when many SME groups already engage effectively with the OFT. ».

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Competition Appeal Tribunal (CAT) nous ont dit qu’ils ne pouvaient pas le considérer comme ayant force contraignante et ils ont insisté sur le fait que ces lignes directrices avaient un peu vieilli, dans la mesure où le montant de base demeure plafonné à un maximum de 10 % du chiffre des ventes, ce qui entraîne une prise en considération, parfois importante, d’autres éléments dans les phases ultérieures de détermination de la sanction. Cela a amené le Competition Appeal Tribunal à modifier et interpréter ces lignes directrices dans plusieurs décisions n’ayant pas fait l’objet d’appel. Pourriez-vous commenter ceci ?

Sandrine DELARUE.– C’est effectivement un sujet d’actualité en Angleterre. Le CAT a critiqué l’application des lignes directrices sur le calcul des amendes. La première étape prévoit un montant maximal de 10 %, ce qui est faible. Au niveau de la troisième étape, il y a un mécanisme qui permet de remonter substantiellement le niveau de l’amende. C’est ce mécanisme qui a été critiqué. Le juge note qu’il serait utile de prendre en compte les profits des entreprises, les cash flows, etc. Il appelle donc probablement à une révision de ces lignes directrices. Un communiqué de presse de l’OFT fait état d’une réflexion sur le sujet.

Bruno LASSERRE.– Le communiqué « sanctions » de l’Autorité de la concurrence est un jeune bébé qui a un mois et nous l’avons fait en tenant compte de tout ce qui est disponible dans les expériences étrangères, notamment le communiqué britannique. J’ai rencontré le président de l’OFT il y a peu de temps, il est clair que l’OFT s’oriente vers une révision en profondeur de son communiqué « sanctions » et vers la prise d’un forfait de base au départ de 0 à 30 %, comme cela existe au niveau communautaire ou dans toutes les autres autorités nationales de concurrence qui ont publié des lignes directrices. L’OFT avait contribué au débat public que nous avions lancé en nous adressant une contribution et peut-être allons-nous contribuer à la consultation publique britannique lorsqu’elle sera ouverte. C’est aussi cela le réseau des autorités de concurrence en Europe.

Joël MONÉGER, Professeur à l’Université Paris-Dauphine.– Je voudrais faire deux observations. D’abord, j’ai eu quelque peine à savoir de quelle entreprise on parlait, car quand on évoque les PME, le flou est grand. Il y en a qui sont très petites, qui sont vraiment « P », et il y en a d’autres qui sont tellement moyennes qu’il est permis de se demander si elles ne sont pas déjà grandes. Cela pose problème à chaque fois que l’on observe cette question, il y a des définitions mais est-ce qu’elles correspondent vraiment à la réalité ?

Ensuite, j’ai été assez étonné que n’ait pas été évoquée, au titre des sanctions, celle très lourde de conséquences pour une entreprise de trouver son nom dans la presse à propos d’une pratique critiquée. Je me demande si celle-ci n’est pas plus coûteuse que l’amende administrative qui peut être infligée. Cela rejoint ce que disait Stanislas Martin : faut-il publier les dossiers de transaction ? Si, dans Nice-Matin, le consommateur se trouve informé de ce qu’il a vécu, il y a peut-être un élément de réprobation et de prévention qui peut être très important et dont l’efficacité doit être mesurée.

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Daniel FASQUELLE.– La prise en compte des gains réalisés par l’entreprise est un sujet bien connu en droit français puisque l’on peut déplorer l'existence de fautes lucratives. Vous avez des entreprises qui après avoir été condamnées à réparer le dommage qu’elles ont causé ont finalement gagné de l’argent, comme dans l’affaire Champagne, comme dans les affaires d’atteinte à la vie privée. En droit de la concurrence aussi, ceci est courant mais on n’a toujours pas vraiment trouvé la solution.

Jean-Bertrand DRUMMEN, Président de la Conférence générale des juges consulaires de France, ancien Président du Tribunal de commerce de Nanterre.– Ce que j’ai entendu suscite quelques observations de ma part. Tout d’abord, on a fait observer à juste titre que pour les PME le coût de la défense est surdimensionné, et elles ne peuvent pas toujours y faire face. Mais, en amont, il me semble qu’il y a une déficience du droit dans notre pays. Le droit est souvent absent dans la culture des managers et je pense au rapport de Michel Prada qui met l’accent sur cet aspect.

La prise en considération des PME, je crois que la capacité contributive est toujours prise en compte par l’Autorité de la concurrence lorsqu’il s’agit de sanctionner. Il y a une autre observation concernant les PME, dont on n’a pas parlé, qui sont des PME mais qui appartiennent à un groupe, et qui reçoivent un traitement particulier parce que, lors du calcul de la sanction, on prendra en compte leur appartenance. La dernière observation porte sur le problème des transactions, des négociations. Je pense que c’est un problème très actuel, très porteur, très pédagogique, et cela peut avoir beaucoup d’effet et de mérite si on peut traiter par la voie de transactions une entorse à la loi.

Daniel FASQUELLE.– Je vais demander à chacun des intervenants de nous livrer en deux phrases leurs conclusions.

Jean-Patrice de LA LAURENCIE.– C’est un message très simple : un peu d’humanité dans l’application du droit suffit à régler beaucoup de problèmes.

Sandrine DELARUE.– J’ai l’impression que l’interaction avec les entreprises et la publication de guides sont particulièrement utiles.

Stanislas MARTIN.– On se dit qu’individuellement la PME ne pèse pas grand chose et que tout cela n’est pas bien grave. Le problème est que, parfois par ignorance, il y a une multiplication de petites pratiques anticoncurrentielles qui, à la fin, coûtent extrêmement cher à l’économie du pays.

Claude LUCAS de LEYSSAC.– Je me demande si beaucoup de PME qui commettent des actes objectivement et gravement anticoncurrentiels ont conscience de ce qu’elles font. Dans ces conditions, un peu d’éducation, un peu de culture de concurrence pourrait déjà améliorer considérablement les choses.

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LA PME, « VICTIME » DE PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLES

Table ronde animée par Yves Chaput, Directeur scientifique du CREDA, Professeur à l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Didier KLING, Vice-Président trésorier de la CCIP, Président du Comité technique du CREDA.– Chacun et chacune dans cette salle connaît le professeur Yves Chaput. Vous savez qu’il est à la fois professeur d’Université et directeur scientifique du CREDA, c’est-à-dire qu’il nous fait bénéficier de sa science et de sa compétence qui sont aussi grandes l’une que l’autre. Il va animer la deuxième table ronde de l’après-midi qui porte toujours sur les PME, mais non plus en tant qu’auteurs, mais en tant que victimes de pratiques anticoncurrentielles. Monsieur le professeur, je vous laisse le soin de présenter les personnes qui vont intervenir lors de cette table ronde.

YVES CHAPUT.– Monsieur le président, je vous remercie pour votre indulgence. Les intervenants vont répondre à des questions qui pourraient paraître voisines de celles qui ont été étudiées lors de la première table ronde sur la PME, auteur de pratiques anticoncurrentielles, parce qu’après tout, on pourrait se dire que le droit de la concurrence, vu du côté de l’auteur de l’infraction ou vu du côté de la victime, tourne toujours autour du même sujet, des mêmes textes et des mêmes institutions. Or, il est probable que, s’agissant de la victime, les perspectives ne sont plus les mêmes. D’abord, quand il s’agit des PME, leur accès même au droit, leur accès à la culture de concurrence est rendu plus difficile que pour l’auteur de l’infraction. Je m’explique tout de suite. L’auteur de l’infraction n’y peut mais s’il est poursuivi devant l’Autorité de la concurrence. Ça n’est pas lui qui a pris l’initiative, sauf cas exceptionnel évidemment, comme en présence d’une procédure de clémence. La plupart du temps, l’auteur a la désagréable surprise d’être poursuivi devant l’Autorité de la concurrence. Et c’est l’Autorité de la concurrence qui va lui expliquer toutes les subtilités de ce droit. On comprend bien qu’à ce moment-là, l’auteur est obligé de se pencher par lui-même ou avec des conseils éprouvés sur ces subtilités. A-t-il besoin d’un guide, cela n’est même pas certain ?

Si l’on se place à présent du côté de la victime, et tout particulièrement du côté d’une PME qui est victime d’une entente ou d’un abus de position dominante, la situation n’est pas la même. La victime doit prendre, si elle le souhaite, des initiatives. Or, a-t-elle avantage à déclencher les procédures ? Bien entendu, serait-on enclin à répondre, puisque la victime veut obtenir la cessation d’agissements illégaux et la réparation de son préjudice et donc l’allocation de dommages-intérêts, voire, le cas échéant, l’annulation des contrats constitutifs d’une entente. Certes, mais si l’on aborde la question sous cet angle, le centre de gravité se déplace. Vous pouvez encore parler de l’Autorité de la concurrence, mais celle-ci ne va pas allouer des dommages-intérêts à la victime, non plus qu’elle ne va annuler les contrats. On peut alors se poser la question – et je le fais avec les plus grandes précautions devant le

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président Lasserre – de savoir à quoi sert l’Autorité de la concurrence. Elle est très utile, personne n’en doute. Mais elle sert évidemment à sanctionner les mauvais comportements et à restaurer à tout le moins la concurrence sur les marchés, puisque nous sommes dans une économie de concurrence. Et remercions les victimes qui vont informer l’Autorité de la concurrence de tels agissements, puisque les victimes vont agir dans l’intérêt général.

La victime, ensuite, son juge naturel, c’est le juge de droit commun. Or, devant le juge de droit commun, il faut rapporter la preuve de la faute. Dès lors, on peut penser que si une sanction a été prononcée par l’Autorité de la concurrence, il y a une faute. Et on sait très bien que la preuve d’une faute n’est pas suffisante : il faut également démontrer le dommage et le lien de causalité. Or, la preuve du dommage et du lien de causalité relève d’un autre ordre. Ce n’est plus une autorité administrative qui peut en connaître, c’est le juge judiciaire. Dans cette approche, à la différence de la première table ronde où l’auteur de l’infraction relève bien de la compétence des autorités de concurrence, se pose la question, pour la victime, de savoir si elle a intérêt à engager une action – question d’opportunité – et comment elle pourra obtenir une réparation qui dépasse très largement la restauration de la concurrence sur le marché et qui concerne, un peu comme en matière de concurrence déloyale, l’article 1382 du code civil quand ça n’est pas les articles 1134 ou 1147 du code civil pour obtenir l’annulation d’un contrat. C’est la raison pour laquelle cette seconde table ronde n’est pas composée de la même façon que la première.

Nous entendrons d’abord à cette tribune une victime ou prétendue telle – présomption d’innocence des entreprises mises en cause oblige – en la personne de Monsieur Pierre Gaches, qui est président-directeur général de Gaches Chimie. Une fois que la victime aura présenté sa cause, nous donnerons la parole aux représentants des autorités de la concurrence. D’abord à l’Autorité de la concurrence, en la personne d’Étienne Pfister, qui est économiste et rapporteur général adjoint à l’Autorité de la concurrence, puis à la Commission européenne, en la personne de Rainer Becker, qui est Policy Officer, chargé du Private enforcement à la DG concurrence. Et on verra très vite que se posera la question de la représentation des victimes, à travers une question d’actualité qui est celle des actions collectives ou celle des recours collectifs. C’est la raison pour laquelle, madame la professeure Prieto abordera la question de la défense des victimes, de la défense des consommateurs à propos des recours collectifs. Puis, Maître Philippe Rincazaux, qui est avocat à la Cour, pourra poursuivre cette réflexion. Il est normal, en effet, que des avocats interviennent pour défendre les victimes et non pas seulement pour défendre les auteurs des infractions. Nous observerons ainsi un véritable glissement du contentieux pour arriver ensuite au cœur de la question de la PME victime, c’est-à-dire le judiciaire, et Madame le haut-conseiller Riffault-Silk pourra nous exposer quelle devrait être une véritable politique de concurrence alliant l’approche administrative à l’approche judiciaire. Et comment notamment peut-on, par le biais du référé, faire cesser les infractions ? Comment la victime elle-même peut-elle, grâce aux autorités de concurrence, constituer un dossier ? Et comment peut-elle ensuite faire comprendre aux tribunaux de commerce quel est le préjudice qu’elle a subi et pourquoi ce préjudice se rattache

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à des atteintes sur des marchés pertinents, ce qui n’est pas toujours facile à démontrer pour une victime ? Comment finalement doit se faire une coordination entre l’administratif et le judiciaire ? Et on sait très bien que le juge des libertés reste le juge judiciaire. Il est donc tout à fait normal que nous disposions de cette vision judiciaire de la question, qui est d’ailleurs renforcée quand il s’agit de la Cour d’appel, puisque certains recours contre les décisions de l’Autorité de la concurrence, comme les recours contre les jugements des tribunaux de commerce, sont portés devant non pas les cours d’appel, mais devant la seule Cour d’appel de Paris. D’où une autre question pour les victimes qui est celle de l’accès à la justice, lorsqu’elles sont très éloignées de la Cour d’appel de Paris. J’ai trop parlé. Je donne donc immédiatement à la parole au plaignant qui n’est autre que Monsieur Pierre Gaches.

Pierre GACHES, Président-directeur général de Gaches Chimie.– Merci. Je viens vous faire partager une expérience de dix ans dans le domaine du droit de la concurrence. Je suis actuellement une présumée victime et rien de plus… J’entamerai également mon propos en vous faisant partager mon expérience du rugby, sport reposant sur le rapport de force, s’il en est, et qui présente beaucoup d’analogie avec le droit de la concurrence, y compris celle de ne pas pouvoir jouer lorsque l’arbitre ne siffle pas les en-avant et les hors-jeu de l’équipe adverse. Deuxième caractéristique essentielle du rugby, plus le match avance plus les erreurs d’arbitrage et les mauvaises interprétations de la règle pèsent sur l’équipe la plus faible.

À titre de propos liminaires, je voudrais proposer une première explication concernant l’augmentation qui semble devoir être constatée du nombre d’infractions au droit de la concurrence. Celle-ci tient, de mon point de vue, à la financiarisation de l’économie et en particulier à la mise en place de valorisations excessives d’entreprises et de LBO successifs qui conduisent les dirigeants à adopter des comportements infractionnels afin obtenir des résultats financiers hors norme.

Les PME en matière de droit de la concurrence sont assez apathiques, car elles ne disposent pas d’une culture de concurrence suffisante et ne sont pas en mesure de percevoir l’intérêt stratégique que peut revêtir pour elles le droit de la concurrence. Dans mon cas, c’est la DGGCCRF, que j’avais contactée, qui m’a ouvert aux possibilités que donne ce droit. À cette occasion, je me suis aperçu que l’intérêt des PME rejoignait l’intérêt général. Tout cela dans un contexte où les intervenants traditionnels – les syndicats professionnels – sont totalement absents de ces informations et de ces débats et où le MEDEF se trouve particulièrement gêné dans la mesure où il a, à la fois, des ouailles qui sont victimes et des ouailles qui sont auteurs. Je souhaiterais donc vous exposer les pesanteurs qui accablent les PME dans ce contexte.

La première pesanteur, c’est la solitude. Un homme seul, une entreprise seule, appelés très souvent le « mouton noir ». La présomption d’innocence qui, en règle générale, est très favorable, me paraît être un problème en cette matière dans la mesure où elle est incompatible avec la notion de preuve et d’obtention de la preuve. Cette présomption d’innocence justifie que tous les acteurs restent silencieux et hors de la procédure et n’exercent pas le statut de tiers

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intéressé. La clémence est perçue dans le milieu économique comme une délation. Cela conduit à remuer le passé, à rompre des équilibres et à rompre des habitudes. Tout ceci dérange fortement et contribue à renforcer la solitude.

La deuxième pesanteur, c’est un environnement qui est très orienté. Ainsi, le fonds de commerce des avocats, c’est essentiellement la défense des auteurs et très peu celle des victimes. Regardez les articles dans les journaux, c’est toujours pour expliquer que les entreprises qui ont fauté, si elles l’ont fait, trouvent des explications économiques et d’autres justifications pour leur attitude ou limitations de responsabilités. Les formations en droit de la concurrence sont très légères, aussi bien dans le cursus universitaire que dans la vie professionnelle.

Troisième pesanteur, l’étonnante discrétion, la loi du silence. Lorsque la procédure devant l’Autorité de la concurrence avance, la partie plaignante est le plus souvent tenue complètement à l’écart de l’instruction, notamment lorsqu’il y a demande de clémence, initiée par un des acteurs, et ce, malgré une plainte. Les victimes sont donc ignorantes à tous les stades de ce qui se passe dans la procédure jusqu’à l’adoption de la décision par l’Autorité. L’action de l’Autorité est au profit de l’État et au profit de l’économie, pas au profit de la victime. Mais qu’est-ce que l’économie, si ce n’est pas les entreprises et les consommateurs. À titre personnel, je me sens partie prenante d’une toute petite partie de l’économie. Il n’y a donc pas de statut de la victime qui donne droit certain à réparation et qui donne droit d’accès à la procédure. L’étonnante discrétion continue car les acteurs eux-mêmes n’interviennent pas par crainte, par peur de modifier les équilibres établis, les habitudes, le confort et de créer de l’incertitude.

Autre pesanteur, la quatrième, c’est la preuve. Elle est par nature extrêmement difficile à rapporter. Il faut des études économiques, il faut un pouvoir d’enquête dont seules les autorités de concurrence disposent. Les ententes sont difficiles à détecter et les abus de position dominante sont difficiles à cerner. Le standard de la preuve, comme me l’a dit mon avocat, la première fois que je suis allé le voir, est extrêmement élevé. C’est très encourageant quand on souhaite engager une action… Les droits de la défense sont très bien organisés, très bien structurés, avec des professionnels qui passent beaucoup plus de temps à penser aux droits de la défense qu’à la défense des victimes. Par ailleurs, il existe en cette matière des débats sans fin, comme la délimitation du marché pertinent, la répercussion des coûts, etc. J’ajouterais même que les inexactitudes et les mensonges ne sont pas réprimés. Enfin, le temps qui passe crée des confusions qui sont toujours favorables aux fraudeurs. Le temps qui passe est une stratégie de défense et le temps qui passe efface, complique la réparation du dommage de la victime.

Cinquième pesanteur, les déséquilibres. Tout au long de la procédure, comme c’est le cas sur le marché, de façon très parallèle, dans la procédure, les dominants restent les dominants. La défense utilise pour limiter les montants des amendes encourues le chantage à l’emploi,

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l’incapacité à payer. Le temps économique pour les entreprises n’est pas le même que le temps juridique, et il se crée au fur et à mesure des déséquilibres croissants et exponentiels. Il en va ainsi des moyens financiers et humains – avocats, lobbyistes. Par ailleurs, les abus de procédure sont multiples. Des déséquilibres en moyens humains existent à l’intérieur des entreprises. Des effets de masse et de levier : quand quelqu’un fraude à hauteur de dix millions d’euros, dix ans après, ces dix millions d’euros, bien utilisés, en font cent. Si vous avez fraudé et que vous avez gagné 50 000 euros, vous aurez à peu près 70 000 ou 80 000 euros à l’arrivée. Dans le premier cas, le comportement a une influence sur la structuration définitive du marché, dans le second, il n’a pratiquement pas d’influence. La clémence est utilisée par les grandes entreprises – je suis intimement persuadé que plus de 90 % des demandes de clémence sont présentées par les grandes entreprises. Pourquoi ? Parce que ça rentre dans une stratégie de faute lucrative. Les victimes n’ont pas accès à la procédure. En revanche, le fraudeur a accès au dossier, et, par suite, connaît l’identité de la personne qui a mis en évidence la fraude, et peut, à partir de là, organiser des représailles, directes et indirectes, avec tout le savoir-faire que cela suppose. Et souvent les décisions de l’Autorité de la concurrence ne remettent pas en cause la structure du marché comme elles le font en matière de concentration.

Sixième pesanteur, après les sanctions, la crainte de non-indemnisation se traduit de la manière suivante : une entreprise qui a été victime ne va pas demander réparation parce qu’elle est obligée de continuer à vivre avec le dominant qui a fraudé et qui peut par la suite la mettre en échec. En témoigne le très faible nombre de demandes d’indemnités en réparation du dommage concurrentiel. J’ai eu l’occasion de le vérifier dans le cartel du négoce de l’acier. Enfin, s’agissant des transactions secrètes, je ne sais pas s’il y a en beaucoup, en tout cas elles n’ont aucune vertu pédagogique et ne sont absolument pas dissuasives. En fait, le péché originel des atteintes au droit de la concurrence vient du fait que toutes ces actions ne sont pas brutales, ne sont pas visuelles et ne sont pas médiatiques. Pour synthétiser mon propos, je vais vous livrer une question à laquelle j’ai été obligé de répondre qui est la suivante : « Comment, Monsieur, après dix ans de prédation, êtes-vous encore en vie ? » Alors là, je me suis dit, si jamais quelqu’un se fait rosser par des voyous dans le rue, qu’il va voir les gendarmes et que ceux-ci lui disent : « Très bien, vous avez été rossé, mais comment se fait-il que vous soyez toujours en vie ? » Alors, Mesdames et Messieurs les spécialistes, comment rendre ce droit plus opérationnel, surtout plus rapide, plus accessible et comment le rééquilibrer au profit des victimes qui sont souvent des PME ? Merci.

Yves CHAPUT.– Merci beaucoup. Je n’ai plus rien à ajouter puisque vous avez posé les questions. Et si je comprends bien, vous posez d’abord ces questions aux autorités de concurrence et au premier chef à l’autorité nationale de la concurrence ici représentée par Monsieur Étienne Pfister.

Étienne PFISTER, Économiste, Rapporteur général adjoint à l’Autorité de la concurrence.– Merci, Monsieur le professeur. Avant de répondre à certaines des observations qui viennent

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d’être formulées, il est important, vu l’intitulé de notre table ronde, de souligner, comme le fait l’ouvrage du CREDA « Les PME et le droit de la concurrence », l’hétérogénéité de la population des PME.

En effet, lorsque les services d’instruction de l’Autorité de la concurrence sont saisis par une PME victime de pratiques que celle-ci juge anticoncurrentielles, le rapporteur en charge du dossier est naturellement sensible à l’éventuelle fragilité financière de l’entreprise mise en cause tout comme à l’asymétrie de moyens qui peut exister entre l’entreprise saisissante et le mis en cause. Toutefois, les PME ne se résument pas à cette seule variable.

Il faut aussi garder à l’esprit que, dans de nombreux secteurs, les PME, qui représentent 97 % du parc des entreprises, peuvent, du fait de leur taille, être moins efficaces – économiquement j’entends – que leurs concurrents de grande taille et donc moins à même de faire face à une concurrence intense. Je vous renvoie à l’un des premiers chapitres de l’ouvrage du CREDA qui décrit très bien ce déficit de performance. De fait, les plaintes émanant de PME visent parfois, non pas le comportement de tel ou tel concurrent plus important, mais l’intensité de la concurrence à laquelle elles sont soumises. Or, l’objectif du droit de la concurrence n’est pas de protéger le concurrent moins efficace, mais de laisser s’opérer une sélection loyale, par les mérites, des opérateurs les plus efficaces par leurs clients. Cette sélection concurrentielle est un processus économiquement efficace car, d’une part, elle incite les opérateurs à devenir plus performants, d’autre part, elle permet une réallocation des ressources vers les opérateurs les plus performants.

Cela étant dit, les PME souffrent aussi de désavantages qui n’ont rien à voir avec leur capacité à être un opérateur efficace sur le marché. Elles peuvent avoir des difficultés à surmonter des barrières à l’entrée. Elles peuvent, par exemple, rencontrer des difficultés à obtenir des financements de montants suffisants. De façon générale, comme elles produisent moins, elles ont plus de difficultés à rentabiliser des coûts fixes. L’environnement réglementaire tente déjà de prendre ces particularités en compte : circuit de financements adapté, dispositions du droit du travail spécifiques aux PME, etc.

Il y a un autre aspect des PME auquel le droit de la concurrence est sensible : dans de nombreux secteurs, celles-ci sont aussi un facteur de changement, un facteur d’évolution, qui peut jouer un rôle primordial pour la concurrence. C’est donc à ce facteur d’évolution que l’Autorité est plus particulièrement attentive.

Le droit de la concurrence doit donc arbitrer entre ces deux objectifs : d’une part, laisser s’opérer le jeu de la concurrence afin que le processus de sélection naturelle que je décrivais puisse s’effectuer, d’autre part, être attentif à ce que les pratiques des opérateurs les plus puissants ne conduisent pas à évincer des PME qui, tout en ayant à surmonter des obstacles spécifiques, sont également des moteurs de changement et d’évolution des industries.

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Comment le droit de la concurrence prend-il en compte ces différentes dimensions ?

Il convient en premier lieu de relever que l’un des objectifs du droit de la concurrence est de corriger des asymétries entre entreprises qui, sinon, pourraient distordre le jeu de la concurrence. Ainsi, la qualification d’un abus de position dominante vise précisément à exiger de l’entreprise dominante qu’elle s’abstienne de mettre en œuvre certains comportements qui, du fait de l’asymétrie constatée avec ses concurrents, conduiraient à l’éviction des entreprises moins bien implantées sur le marché. Il en va de même des pratiques d’ententes verticales, comme les exclusivités d’approvisionnement ou de fourniture, qui peuvent, dans certains contextes de marché, conduire à l’éviction de concurrents et notamment de PME. Dans une certaine mesure, la qualification de l’abus de position dominante et certaines qualifications d’ententes verticales prennent donc d’emblée en compte l’asymétrie qui peut exister entre des PME et des grands groupes dès lors que ces derniers détiennent un pouvoir de marché significatif.

Nous pourrions alors nous demander si, dans certains cas, plutôt que de réduire les possibilités d’action du dominant, il ne serait pas plus efficace d’accroître la protection des « dominés » : par exemple, protéger les PME, par une discrimination positive à leur égard, parce qu’elles seraient supposées dominées. Deux limites immédiates à cette solution. Premièrement, il peut être beaucoup plus facile d’identifier un dominant que d’identifier des « dominés ». Un exemple concret de ces difficultés, c’est toute la législation commerciale sur les pratiques restrictives, dont l’objectif est bien de protéger les entreprises « dominées », notamment celles qui doivent négocier avec les centrales d’achat du secteur de la grande distribution. Mais identifier les entreprises « dominées » s’est finalement avéré difficile, et, très rapidement, le législateur a choisi de protéger tous les fournisseurs, y compris les plus importants d’entre eux. Deuxièmement, en protégeant les « dominés », le législateur risque en fin de compte de réduire la concurrence qu’ils se livrent entre eux. En protégeant les PME, le régulateur réduirait également la concurrence qui pourrait s’exercer entre les PME. Or, la concurrence est bénéfique également pour les PME. De nombreuses études économiques le montrent : des PME soumises à un environnement plus concurrentiel deviennent plus productives.

Néanmoins, le droit de la concurrence permet de recourir à d’autres dispositifs ou qualifications qui peuvent être de nature à mieux prendre en compte, dans des circonstances bien particulières, la situation des entreprises « dominées » et des PME en particulier.

La qualification de l’abus de dépendance économique se situe précisément dans cette logique d’accroissement des droits de l’entreprise dominée. Quatre conditions doivent cumulativement être réunies pour que soit constatée une situation de dépendance : 1) la notoriété du partenaire dont le saisissant s’estime dépendant, 2) la part de marché importante de ce partenaire, 3) la part importante du partenaire dans le chiffre d’affaires du dépendant et 4) l’absence de solutions alternatives. La situation de dépendance caractérise ainsi la situation

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d’une entreprise qui, sans être dominante sur l’ensemble du marché, est néanmoins dominante vis-à-vis de l’un de ses partenaires commerciaux. Si cette situation de dépendance est établie, des pratiques telles qu’une discrimination, un refus de vente, ou une modification brutale des conditions de vente ou d’achat, et qui sont de nature à affecter la situation de la concurrence sur le marché, sont susceptibles de constituer des pratiques abusives et ce, sans qu’il soit nécessaire de démontrer la position dominante de leur auteur. Il s’agit là d’un dispositif législatif spécifique, permettant, lorsque les circonstances de marché l’exigent, de rehausser les droits d’une entreprise dominée, et notamment d’une PME à l’égard d’un groupe plus important. Le dispositif est proportionné : d’une part, il repose sur des critères clairs, définis et précisés par la jurisprudence, qui permettent d’identifier et de circonscrire la situation de dépendance et, d’autre part, les droits du dépendant ne sont accrus que vis-à-vis de l’entreprise dont il est dépendant. Le risque que ce surcroît de protection ne contribue à une atténuation du jeu concurrentiel est donc très faible.

Un second dispositif permet également, en droit de la concurrence, de prendre en compte la situation spécifique dans laquelle peuvent se trouver des PME. Il s’agit de la procédure de mesures conservatoires. On sait bien, vous l’avez souligné Monsieur Gaches, qu’une instruction prend du temps. Or, si le temps juridique est nécessairement long, le temps de l’économie et des entreprises est parfois compté, notamment lorsque les pratiques anticoncurrentielles alléguées ont pour cible(s) une ou plusieurs PME. Lorsque les pratiques alléguées sont si graves qu’elles peuvent produire des conséquences qui soient à la fois immédiates et néfastes, irréversibles, tant sur la concurrence, le secteur, ou les consommateurs que sur l’entreprise plaignante, l’Autorité de la concurrence peut alors, sitôt que les pratiques en cause sont susceptibles d’être qualifiées d’anticoncurrentielles, y mettre fin par le prononcé de mesures conservatoires. A nouveau, il s’agit là d’un dispositif pragmatique et efficace, notamment au vu des secteurs dans lesquels des mesures conservatoires ont été prononcées. Il s’agit en effet de secteurs émergents ou nouvellement libéralisés dans lesquels les PME, en tant que nouveaux entrants, contribuent de façon importante à l’évolution du secteur et à la dynamisation du jeu concurrentiel.

D’aucuns regretteront peut-être que ces dispositifs spécifiques ne soient pas plus utilisés, notamment pour protéger les PME et accroître ainsi leurs droits et leur protection. Mais à nouveau – et je vous renvoie à l’introduction de mon exposé –, la situation des PME est très hétérogène et il faut donc être très prudent dans l’application de ces dispositions afin de ne pas décourager des pratiques qui, bien que pénalisantes pour certaines PME, relèveraient néanmoins d’une concurrence par les mérites.

Pour conclure, le droit de la concurrence présente donc des dispositifs spécifiques qui permettent de prendre en compte la situation très particulière des PME. Plus généralement, le droit de la concurrence s’attache à prendre en compte l’asymétrie entre les opérateurs dès lors que celle-ci pourrait empêcher l’exercice d’une concurrence par les mérites. Dès lors, les PME, même si elles ne sont pas expressément nommées dans les dispositions du droit de la

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concurrence, bénéficient naturellement d’une très grande attention de la part des autorités de concurrence.

À présent, quelques réponses aux différentes remarques formulées par M. Gaches. Comme vous l’avez indiqué, l’instruction est parfois longue au regard des contraintes auxquelles sont soumis les opérateurs. Mais la procédure de mesures conservatoires permet, lorsque la pratique risque de causer un dommage immédiat, de raccourcir ce temps juridique. Je rajouterai en outre que l’Autorité de la concurrence a considérablement réduit les délais d’instruction dans un contexte où les standards de preuve ont plutôt eu tendance à devenir plus exigeants, comme le montrent les débats relatifs à la détermination des sanctions.

Effectivement, le droit des pratiques anticoncurrentielles ne permet pas d’intervenir sur la structure des marchés car, à nouveau, l’intervention du droit de la concurrence dans le champ économique se doit d’être proportionnée. Or, la structure des marchés découle des circonstances économiques du secteur. La présence d’économies d’échelles permet ainsi aux opérateurs les plus importants de réduire leurs coûts et d’accroître des parts de marché, parfois au détriment de PME. Il s’ensuit naturellement une plus grande concentration du marché mais aussi une plus grande efficacité productive. C’est là également le jeu et les bénéfices de la concurrence, et le régulateur ne doit donc s’y immiscer qu’avec une très grande prudence. Cet équilibre entre efficacité productive et atteinte à la concurrence est en revanche pris en compte par le droit de la concurrence à travers le contrôle des concentrations qui intervient sur la structure du marché.

Enfin, le droit de la concurrence impose effectivement des standards de preuve élevés. Ils sont néanmoins justifiés car la constatation d’infractions au droit de la concurrence remet en cause la liberté économique des opérateurs, dont dépend également l’intensité de la concurrence. Je vous remercie.

Yves CHAPUT.– Merci beaucoup d’avoir clarifié le débat et d’avoir replacé les différents domaines en perspective. En vous écoutant, je pensais d’ailleurs aussi au droit pénal. Il y a toujours cette idée de sanction et de constitution de partie civile devant les juridictions répressives. Le droit pénal en tant que tel n’est pas fait pour défendre une victime particulière. Il est fait pour défendre l’intérêt général et l’ordre public. Dès lors, la constitution de partie civile est une exception mais qui présente un avantage, celui de permettre d’accéder au dossier. Il y a un inconvénient actuellement, c’est qu’il y a un mélange des genres dans le projet de réforme devant l’Assemblée nationale qui permettra, s’il est adopté en l’état, à la partie civile de faire appel d’une décision qui est une décision purement pénale de sanction. Et là on voit le danger de confondre deux choses, la défense de l’ordre public et la défense d’intérêts privés. Dans les explications que vous nous avez données, on voit très bien comment est défendu l’intérêt général quand il s’agit de la concurrence puisque c’est un choix économique qui a été fait et c’est une défense de la concurrence et non pas du consommateur, non plus que de tel agent économique. Simplement, mais un peu comme le secret de l’instruction ou le secret des

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affaires, on se demande ce qu’il en est de la victime, qui, elle, veut invoquer autre chose. La victime, en réalité, n’invoque pas une atteinte à la concurrence. La victime invoque une faute, en quelque sorte un préjudice qui découle directement de l’infraction. C’est pour cela que je pensais au domaine pénal. La constitution de partie civile, c’est pour obtenir réparation d’un préjudice qui découle directement de l’infraction. La victime a aussi cette problématique. Elle pense qu’une infraction a été commise – c’est la concurrence, c’est l’intérêt général, c’est l’ordre public. Elle n’est donc pas directement concernée, mais en même temps, cette faute qui porte atteinte à des valeurs essentielles pour une société a des conséquences pour ses intérêts particuliers. Et là, on voit que les choses ne sont pas aussi bien organisées qu’elles ne le sont en droit pénal. La victime n’a pas d’accès au dossier. On va lui opposer un secret de l’instruction et un secret des affaires. Et c’est là probablement que le temps va jouer un rôle. Il y a une durée de procédure et il n’y a pas de concordance, d’harmonie dans cette juridicité entre la poursuite des infractions et la réparation d’un dommage. Là, il y a quand même un mur, alors que l’on sent bien qu’il y a un lien. C’est une question que l’on peut se poser, mais que l’on peut se poser également sur le plan européen, puisque l’on voit bien que la Commission et les autorités européennes veulent faciliter les recours, et ceux des entreprises qui éventuellement pourraient se regrouper, et on parle beaucoup actuellement de recours collectifs. Je me retourne donc vers le représentant de la Commission. Que vous inspire ce que vous avez entendu de la part de la victime comme de l’autorité de concurrence nationale ?

Rainer BECKER, Policy Officer, Private enforcement, DG Concurrence, Commission européenne.– Je souhaiterais répondre aux interrogations formulées et plus particulièrement en mettant l’accent sur les actions privées. Tout d’abord, permettez-moi de vous remercier pour cette invitation. J’étais ravi lorsque j’ai lu le programme de notre manifestation. Tout d’abord, en raison de la double approche retenue, celle de la PME, auteur de pratiques anticoncurrentielles, et celle de la PME, victime, que l’on pourrait même remplacer par la qualification d’« acteur de la concurrence ». Ensuite, lorsque j’ai vu le temps qui était prévu pour parler de ce dernier sujet. En effet, j’ai la profonde conviction – même si je ne dispose d’aucune statistique pour le démontrer – que, lorsque les PME sont en contact, conscient ou inconscient, avec le droit de la concurrence, c’est beaucoup plus souvent en tant que victime qu’en tant qu’auteur de pratiques anticoncurrentielles.

Il est très difficile de répondre aux préoccupations dont s’est fait l’écho Monsieur Gaches. Les difficultés qu’il a évoquées sont bien réelles mais difficiles à résoudre. Quand on s’intéresse aux différents groupes de victimes, c’est incontestablement le groupe des PME, ainsi que celui des consommateurs finals, qui sont les moins protégés. J’ai parcouru avant de venir quelques décisions que la Commission a adopté récemment en matière de cartels et je les ai comparées aux affaires d’actions privées relatées dans la presse. Par exemple, dans le cartel du verre pour automobile, il y a bien eu des actions privées et d’autres se préparent si l’on en croit la presse. Mais qui est à l’origine de ces actions privées ? Ce sont les constructeurs automobiles, ce sont des assureurs, bref de grandes entreprises. Où sont les garagistes qui ont acheté des pare-brises ? Pour eux, le dommage pourrait s’avérer bien plus important. Aucune de ces actions n’a

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été préparée et portée devant le juge pour le moment. Autre cas plus ancien, l’affaire du cartel du graphite. Une action en réparation du dommage a été entamée à Londres par Bosch, Emerson, Valeo, etc., qui poursuivent en tant que consommateurs de masse les producteurs de graphite qui ont pris part au cartel. Et pourtant, aucune PME n’est présente dans cette action, alors que des PME figuraient aussi parmi les clients des membres du cartel. Même remarque à propos de l’affaire récente du cartel du fret aérien. On constate la présence de beaucoup de grands comptes dans les actions privées en réparation du dommage concurrentiel, aux États-Unis, mais aussi en Europe, et notamment aux Pays-Bas où Philips et Ericsson ont introduit une action privée dans cette affaire. Et l’on pourrait poursuivre le constat à l’infini. Pourquoi ? Le premier constat est assez simple : les coûts d’une action individuelle en réparation du dommage concurrentiel sont trop importants pour être supportés par une PME, et même les plus importantes d’entre elles. Les toutes petites entreprises n’ont simplement aucune chance, étant donné les coûts assez complexes d’une action en droit de la concurrence. Par exemple, lorsque l’on passe à la quantification du préjudice, on atteint un niveau de complexité qui peut décourager la PME victime. La Commission a récemment publié, aux fins de consultation publique, un projet de document d'orientation adressé aux tribunaux nationaux pour faciliter la lourde tâche de quantifier le préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l'article 101 ou 102 du Traité de fonctionnement de l’Union européenne (voir http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/). Toutefois, même avec un tel guide, les coûts d’une action individuelle resteront tout simplement prohibitifs. Par conséquent, d’une façon ou d’une autre, il faudra envisager des modalités permettant de regrouper ces actions individuelles.

Monsieur Gaches, vous avez mentionné la vengeance. C’était dans le contexte de la procédure publique. Si l’on regarde les actions privées, la meilleure protection contre les représailles est encore de se regrouper parce que si tous les clients d’un gros fournisseur se rassemblent pour demander la réparation de leur préjudice causé par le comportement infractionnel du fournisseur, la vengeance sera plus difficile à mettre en œuvre.

À présent, une remarque à propos de la confidentialité que vous avez également mentionnée. Au moins pour les personnes physiques, il y a une règle établie par la Cour de justice dans l’affaire Adams (Aff. 145/83, Rec. 1985, 3539) selon laquelle une personne physique qui informe la Commission européenne de l’existence d’un cartel peut demander la confidentialité de son identité dans la procédure administrative. Je ne veux certainement pas suggérer que n’importe quelle entreprise qui présente des informations pertinentes à une autorité de concurrence devrait avoir les mêmes droits que les personnes physiques. Mais il y a peut-être une petite piste.

Je ne veux pas vous ennuyer avec le forum shopping, mais l’on peut tout de même se demander pourquoi les grandes entreprises introduisent souvent leurs actions privées à Londres, telles que Michelin ou Valeo, pour donner des exemples français dans l’affaire du cartel du caoutchouc synthétique et celui du graphite. Apparemment, lorsqu’il y a des

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problèmes d’accès aux éléments de preuve, la traversée de la Manche constitue une option intéressante. Il va sans dire que ce luxe d’une telle recherche d’un fore avantageux, qui implique, entre autres, de se payer des avocats à Londres et de se soumettre à une procédure civile différente, n’est pas aussi accessible aux PME qu’aux grandes entreprises, sauf à ce qu’elles se regroupent afin d’avoir un accès à la justice plus réaliste.

Pour toutes ces raisons, et je ne vous apprendrai rien de nouveau, la Commission a envisagé en matière de concurrence, dans son livre blanc de 2008, de favoriser le développement des actions représentatives confiées à des organismes agréés sur le modèle nordique de l’Ombudsman ou encore des associations de consommateurs ou d’entreprises.

C’est pourquoi nous avons introduit un deuxième volet en plus de ce que l’on a proposé pour le recours collectif dans le livre blanc en matière de concurrence. Il s’agissait justement des actions représentatives par des organismes qui représentent les intérêts des entreprises. Bien entendu, on a d’abord pensé aux PME, mais pas seulement. J’entends bien l’objection concernant d’éventuels conflits d’intérêts au sein de ces organisations professionnelles, telles que le MEDEF, dont les membres peuvent être indifféremment des auteurs et des victimes de pratiques anticoncurrentielles et dans lesquels les conflits d’intérêt sont en quelque sorte programmés. Cela dit, il existe aussi des organisations professionnelles dont l’objet est suffisamment restreint pour éviter la plupart des conflits d’intérêts. C’était le cas, par exemple, dans le cartel de la cire, secteur dans lequel il existe un syndicat européen des fabricants de bougies. Autre possibilité prévue dans le livre blanc pour les PME, en cas de conflits d’intérêt au sein de leurs associations professionnelles, celle d’agir en se tournant vers des organismes représentatifs agréés ad hoc, ce qui permet de sortir des problèmes de conflits d’intérêts.

Évidemment, les dommages de masse ne concernent pas que le droit de la concurrence. Il n’y a pas que là que les actions individuelles en réparation sont inefficaces. C’est dans cette optique que nous avons conduit, au début de cette année, une autre consultation publique. Nous sommes à la recherche de principes conducteurs qui pourraient assurer la cohérence dans une approche européenne des recours collectifs. Cette approche pourrait être soit générale soit sectorielle, par exemple en matière de concurrence. Des principes conducteurs permettront de s’assurer que l’on parviendra à un dispositif qui non seulement soit efficace mais qui en outre comporte des garanties solides contre les dérives potentielles de ce type de recours. La Commission est en train de réfléchir très sérieusement à ces risques d’abus. Nous analysons en ce moment les milliers de pages des 300 contributions – c’est du jamais vu ! – que nous avons reçues dans le cadre de notre dernière consultation. Et je ne suis pas encore en mesure de vous donner des éléments de réponses précis. Vers la fin de l’année, la Commission compte adopter une communication qui prendra position sur l’approche à suivre au niveau européen en matière de recours collectifs.

Yves CHAPUT.– Merci beaucoup. Vous posez une question qui rejoint ce que disait Monsieur Gaches : « des recours collectifs pourquoi pas, mais avec qui ? » Car Monsieur

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Gaches se plaint d’être seul dans son combat. On comprend très bien que, pour les consommateurs, il y ait des préjudices de masse. Mais, s’agissant des PME et des actions qui pourraient être menées en matière de concurrence pour la réparation des préjudices, je le vois moins nettement que pour les consommateurs. Peut-être la professeure Catherine Prieto pourrait-elle à présent approfondir ces thèmes.

Catherine PRIETO, Professeure à l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne).– Merci de me poser directement cette question pour organiser notre débat. L’intérêt stratégique du droit des pratiques anticoncurrentielles pour les PME est resté jusqu’à présent dans l’ombre, à la différence du droit de la concurrence déloyale. Il faut donc se féliciter de l’initiative du CREDA, menée à son terme sous la houlette d’Yves Chaput et d’Aristide Lévi, avec la précieuse assistance d’Alain Ronzano. Le point de départ de nos rencontres était d’examiner le sort des PME confrontées à une application rigoureuse du droit des pratiques anticoncurrentielles par le Conseil de la concurrence. Dans le cadre de la réflexion générale confrontant PME et droit de la concurrence, il m’est apparu opportun d’orienter ma contribution sur un aspect en contrepoint : les PME ne sont pas seulement susceptibles être poursuivies en tant qu’auteurs de pratiques anticoncurrentielles ; elles peuvent également en tirer une protection. Monsieur Gaches, en tant que président-directeur général d’une PME, témoigne qu’une prise de conscience est en train de s’opérer. Elle revêt un enjeu important non seulement pour les PME, mais aussi pour l’intérêt général. La raison d’être du droit des pratiques anticoncurrentielles est de préserver une structure concurrentielle des marchés pour que les challengers et innovants aient toute leur place et que triomphe en définitive le bien-être général que les économistes appellent « le bien-être du consommateur ». On voit bien que c’est précisément dans l’intérêt des PME que les marchés demeurent ouverts pour qu’elles puissent faire valoir leur mérite sur le plan des prix, mais aussi et surtout sur le plan de la qualité et de l’innovation.

Il convient donc de diffuser cette culture de concurrence auprès des PME en les sensibilisant aux problématiques des pratiques anticoncurrentielles. Mais, comme pour toute branche du droit, elles doivent avant tout se reposer sur une assistance juridique solide. Or, les conseils spécialisés dans ce domaine sont encore trop peu nombreux et le savoir-faire existant est soutenu et réservé à la défense des grandes entreprises, comme l’a fort bien souligné Monsieur Gaches.

Pour cerner un peu mieux les besoins des PME, il convient de distinguer les PME victimes évincées du marché et les PME victimes en tant que consommateurs intermédiaires. La problématique des recours collectifs, sur laquelle je suis invitée à me prononcer lors de cette table ronde, ne présente pas le même intérêt selon qu’il s’agit de la première ou de la seconde catégorie.

Les victimes évincées sont parfaitement conscientes de leur préjudice – l’éviction d’un marché – et celui-ci est d’un montant très important. Leur survie est parfois en jeu. L’éviction

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résulte d’un abus de position dominante ou d’une entente contractuelle dans le cadre de restrictions verticales ou de transfert de technologie. À l’instar de Monsieur Gaches, leur difficulté est de deux ordres : établir l’existence de la pratique et celle de leur préjudice. Ces deux types de preuve reposent sur des analyses économiques souvent complexes et coûteuses. On retiendra ici que l’éviction d’un marché occasionne, par définition, un préjudice individuel ou subi par un petit nombre d’opérateurs économiques. Le développement des recours collectifs n’est donc pas véritablement utile pour elles.

Les victimes consommateurs intermédiaires connaissent, quant à elles, d’autres types de problèmes. Le plus souvent, ces victimes ignorent leur état et leur préjudice. C’est à l’issue d’une condamnation par la Commission européenne ou par une autorité nationale de concurrence que l’ampleur et les répercussions d’une pratique anticoncurrentielle sont connues. L’affaire du cartel de la téléphonie mobile en est un bon exemple, qu’il s’agisse du consommateur final ou de l’entreprise en tant que consommateur intermédiaire. Or, malgré toute la publicité donnée par les autorités, ces condamnations n’ont guère de suite. Il est vrai que la condamnation règle en elle-même une partie du problème, puisqu’elle emporte la cessation de la pratique en cause. Cependant, la réparation ne peut être prononcée que par le juge judiciaire. Elle nécessite une action des victimes. Il s’avère que la plupart d’entre elles restent inertes. C’est un paradoxe puisque la réalité de la pratique anticoncurrentielle est d’ores et déjà reconnue. L’explication tient au fait que le préjudice est perçu comme étant relativement faible au regard du coût en temps et en argent que requiert une action en justice. Le phénomène d’apathie rationnelle explique cette situation. C’est donc pour cette seconde catégorie de victimes – les consommateurs intermédiaires – que les recours collectifs présentent un intérêt.

À cet égard, il y a tout lieu de considérer que les entreprises consommateurs intermédiaires doivent être traitées de la même manière que les consommateurs finals. C’est d’ailleurs un point très positif à relever dans la consultation publique ouverte en février dernier par la Commission européenne. La solution n’était pas acquise. Certes, les travaux de la Direction générale de la concurrence intégraient le sort des PME dès le livre vert de 2005 relatif aux actions en dommages et intérêts en réparation de la violation des articles 101 et 102 TFUE. Mais ce n’était pas l’approche de la Direction générale de la santé et de la consommation qui, dans son livre vert de 2007, réservait les recours collectifs aux consommateurs au sens du droit civil. En conformité avec l’approche économique intégrant les entreprises dans la catégorie des consommateurs lorsqu’elles consomment à des fins de production, la Direction générale de la concurrence a maintenu son intérêt pour les PME dans le livre blanc de 2008. Après ce document, on pouvait escompter, comme la Commissaire Neelie Kroes l’avait laissé espérer, une directive présentant un cadre minimal pour le développement des actions privées dans les États membres. Les conditions posées au renouvellement du Président Barroso ont été telles que ce projet de directive, diabolisé en tant que prétendu vecteur de « class actions », a été reporté sine die. En tant que nouveau Commissaire en charge de la concurrence, Joaquín Almunia a repris avec conviction l’axe général du développement du private

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enforcement dans la politique européenne de concurrence, dans lequel figuraient en bonne place les recours collectifs. Mais il n’a pu le faire que dans une démarche transversale du fait de la création de la Direction générale de la Justice, car cette dernière ne pouvait pas rester à l’écart d’un projet d’une telle dimension pour les juges. La Commissaire Viviane Reding a donc voulu s’assurer de solides principes communs transversaux. Ainsi s’explique la consultation lancée conjointement par les trois Directions générales en février dernier. Il faut se féliciter que le Commissaire Almunia ait pu convaincre les deux autres Commissaires pour que soit présentée à la consultation la nécessité d’élargir aux PME le champ des personnes recevables à former des recours collectifs. Dès l’introduction, les PME sont mentionnées, au même titre que les citoyens, pour exploiter en pratique toutes les possibilités offertes par le marché unique conformément au programme de Stockholm.

Est ensuite posée la question de savoir si un certain particularisme doit être envisagé pour l’efficacité des recours collectifs formés par les PME. Cette question générale se décline sur le plan de la représentation et sur celui du financement.

En premier lieu, Il s’agit de préciser si et comment le droit de recours doit être réservé à certaines entités. De manière générale, la Commission européenne défend l’idée que les recours collectifs pourraient se développer de manière efficace mais raisonnable s’ils étaient portés par des entités dites qualifiées qui seraient spécialement habilitées dans chaque État membre. Les modalités et les critères de ces habilitations seraient définis par chacun d’entre eux. Néanmoins, la consultation publique de février dernier permettait d’approfondir l’analyse.

Il est certainement nécessaire de faire une distinction entre les associations représentant les intérêts des consommateurs et celles représentant les intérêts des entreprises. Les premières peuvent être constituées de manière permanente et faire l’objet d’une habilitation générale. C’est d’ailleurs le cas à l’heure actuelle et on peut imaginer que ces actions de consommateurs seraient parfaitement opérationnelles en France dès lors que serait supprimée, dans le régime de l’action en représentation conjointe, l’aberrante interdiction de toute forme de publicité qui en a fait une action mort-née. L’affaire du cartel de la téléphonie mobile en a donné une démonstration supplémentaire, s’il en était besoin, avec l’annulation par la Cour d’appel de Paris de l’action engagée par l’association UFC Que choisir. Cette seule suppression changerait la donne. En revanche, le profil des associations représentant les entreprises pose difficulté. Là encore, l’affaire du cartel de la téléphonie est révélatrice. Aucune action en réparation ne fut engagée au nom d’entreprises consommateurs intermédiaires alors que la réalité de leurs préjudices est aussi indéniable que ceux subis par le consommateur final. La première explication de cette inertie réside dans l’hypothèse de conflits d’intérêts. Plus l’association couvre des secteurs différents, plus elle s’expose à des conflits d’intérêts, ce qui la rend inapte à porter une demande en réparation pour un préjudice de masse. Dans certains cas de figure, une association d’un secteur donné pourra subir un préjudice collectif homogène et porter à elle seule une action en réparation. Demeure malgré tout un risque de conflit d’intérêts lorsque les associations professionnelles ont l’habitude d’œuvrer ensemble pour défendre un

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même secteur. En tout état de cause, il est opportun de ne pas figer la situation de la représentation en justice des entreprises par des habilitations générales et de laisser la faculté de constituer des associations ad hoc, dont l’habilitation sera décidée au cas par cas par le juge sur des critères généraux fixés par le législateur.

En second lieu, l’interrogation porte sur un financement spécifique aux recours collectifs qui seraient exercés par les PME. De ce point de vue, il est permis de raisonner à nouveau de manière transversale en envisageant à la fois les actions des consommateurs intermédiaires et finals. Dans sa réponse à la consultation publique de février dernier, le réseau Trans Europe Experts propose que soit constitué un organisme public habilité à exercer des actions confiscatoires de gains illicites de telle sorte à pouvoir ensuite répondre aux demandes de financement des associations habilitées pour les recours collectifs. Ce mécanisme pourrait profiter à toutes les entités qualifiées, qu’elles représentent les consommateurs finals ou les consommateurs intermédiaires. Il existe aussi une voie de financement spécifique aux entreprises avec les expériences menées en Allemagne à la suite de la condamnation du cartel des vitamines et du cartel du ciment. Il s’agit d’exploiter toutes les possibilités offertes par le mécanisme juridique de la cession de créances dans les modalités imaginées par l’entreprise Cartel Damage Claims. L’activité sociale de cette entreprise porte exclusivement sur le développement du private enforcement (voir carteldamageclaims.com pour des illustrations des affaires engagées). Sur ce point, il serait intéressant de connaître l’appréciation de Monsieur Becker.

Rainer BECKER.– C’est exactement cela. Voilà l’état des lieux de cette approche : cela fait maintenant trois ou quatre ans que la question a été portée devant les tribunaux, jusqu’à la Cour suprême. À présent, on sait que l’action est recevable. Et l’on commence peu à peu à examiner la substance de la question. Si l’on regarde la somme totale qui est demandée dans l’affaire du ciment, si l’on regarde l’armada des conseils – la crème de la crème des avocats et des économistes en Allemagne –, c’est une affaire qui risque d’aller très loin et qui ne se règlera pas en trois mois. Et je crois que, dans ce cas, les questions de quantification des dommages-intérêts ne se résoudront pas sans de grandes expertises, sans bataille entre experts. Partant, cette procédure risque d’être très chère et ne semble pas a priori s’adresser aux PME, sauf bien entendu, si le dommage subi par la PME est considérable, car c’est bien, en cette matière, l’importance du dommage qui rend le recours à cette procédure intéressante pour une société comme CDC. Vous l’avez déjà souligné, il est clair que pour les entreprises comme CDC il faut un retour sur investissements. Cela semble difficile, au vu des coûts de procédure et de transaction, quand la valeur des créances cédées n’est pas suffisamment élevée. Le modèle des cessions (tel que pratiqué par CDC) semble donc uniquement être une option parmi d’autres et il ne remplace absolument pas les recours collectifs pour les PME et les consommateurs dont la valeur des créances risque souvent d’être moins élevée en termes absolus. Dans notre livre blanc de 2008, nous avions envisagé deux types d’actions : d’une part l’action de groupe lorsque les dommages sont élevés et lorsque les entreprises font preuve d’un certain activisme ; d’autre part les actions en représentation dans les autres situations.

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C’est pour les actions de groupe que le modèle de CDC pourrait constituer une alternative, mais il ne saurait remplacer les actions en représentation.

Philippe RINCAZAUX, Avocat à la Cour (Orrick, Rambaud, Martel).– Je voudrais apporter cet après-midi un regard de praticien et sortir des sentiers battus pour vous donner le fruit de certaines expériences auxquelles j’ai été confronté et qui montrent que les choses peuvent marcher un peu mieux qu’on ne le croit ou peuvent marcher moins bien qu’on ne peut l’espérer. Je le ferai avec l’objectif non pas de dire comment faire, mais de soulever des questions, susciter le débat, le « provoquer » peut-être…

Mon premier commentaire portera sur le constat que, s’il est une chose sur laquelle on doit être tous d’accord, c’est que, si une PME est victime de pratiques anticoncurrentielles, elle a droit à réparation et qu’il faut que le système permette de lui apporter réparation de manière effective. Une réparation qui n’est pas apportée de manière effective, ce n’est pas une réparation. Une victime doit pouvoir obtenir réparation de son préjudice.

Le deuxième point que je voudrais aborder prend la forme d’une question : de quoi a-t-on besoin quand on est victime et que l’on demande réparation ? On a besoin de quatre choses. On a d’abord besoin de faits, qui sont à l’origine du préjudice que l’on a subi. On a besoin d’une preuve. On a besoin d’un juge et on a besoin de ressources. Les faits existent par eux-mêmes et on les subit. La preuve, là se pose une question tout à fait majeure que nous allons aborder. Le juge, vous verrez que c’est pour moi la clé de tout ou presque. Et les ressources. Finalement, si l’on arrive à un système, en ce qui concerne la preuve et le juge, qui peut fonctionner de manière efficace, le sujet des ressources deviendra moins important que ce que l’on peut croire aujourd’hui.

Il faut aussi tenir compte d’un élément qui est la logique de notre système et notre culture. Et je voudrais prendre deux exemples pour bien montrer que ce dont on parle aujourd’hui, ce n’est pas quelque chose de complètement abstrait et de strictement spécifique à la concurrence, mais c’est quelque chose auquel nous sommes confrontés depuis longtemps. En France, nous n’avons pas de système de discovery. Nous avons en France un problème d’accès à la preuve. Comment l’a-t-on réglé ? Dans de nombreuses affaires – et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons ce système –, on utilise le juge d’instruction. Pourquoi y a-t-il autant de recours au pénal en France ? Parce qu’on a besoin d’un juge qui enquête, parce que l’on a besoin de quelqu’un qui va chercher les preuves et qui dispose des pouvoirs et des moyens pour le faire. On dispose de la constitution de partie civile, on a le procureur et le juge d’instruction, on a les expertises dont le plaignant ne supporte le coût que très partiellement. On a le pour et le contre qui est recherché par le procureur et le juge d’instruction, par quelqu’un qui est expert, par quelqu’un qui a des moyens, peut-être pas assez, mais qui a des pouvoirs et des moyens, qui transmet un dossier à un tribunal devant lequel – Yves Chaput l’a rappelé tout à l’heure et c’est l’une des meilleures expressions qui pourra résumer notre discussion – il n’y a pas le « mur ». Parce que vous allez devant le même juge en lui disant que Monsieur X est

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coupable de… et que vous êtes victime et vous pouvez lui demander la réparation du préjudice que vous avez subi. Alors ensuite, le cas échéant, on va devant la Cour d’appel et puis devant la Cour de cassation, et tout cela de manière synchrone. On ne dispose pas en concurrence de la même unité de temps et de lieu. En concurrence, on rencontre des problèmes qui sont à peu près les mêmes. Et on voit qu’on a élaboré une construction singulière en donnant au ministre le pouvoir, en matière de pratiques restrictives, d’agir devant un tribunal. Pourquoi ? Ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de préjudice, c’est parce qu’il n’y a pas d’action. Donc, on a délégué au ministre le soin de le faire, de manière un peu étonnante, mais le Conseil constitutionnel l’a validé. Le législateur a dit au ministre : « Faites le travail à la place de la victime, parce qu’elle ne peut pas le faire, elle ne peut pas demander réparation, parce que c’est son fournisseur ou son client ». En matière de concurrence, on est confrontés à de nombreuses questions. L’Autorité de la concurrence suggère de recourir à la procédure de follow-on. Je dirai tout à l’heure pourquoi il me semble que c’est une bonne idée, mais que la mise en œuvre d’un tel schéma susciterait des difficultés importantes, en tout cas dans de nombreuses situations. On en a un exemple très récent qui permet d’illustrer ces réticences. Mais je voudrais tout d’abord me concentrer sur la preuve et le juge.

Comment a-t-on accès à la preuve dans une matière aussi complexe que la concurrence ? Il ne faut pas croire que cela n’est pas possible. Il y a un certain nombre de moyens qui sont peu utilisés, mais qui existent, même s’ils comportent des obstacles tout à fait importants, qui pourraient être atténués. Le premier moyen de preuve, auquel il est usuel d’avoir recours en droit des affaires, c’est le recours aux expertises de l’article 145 du code de procédure civile. Bien utilisé, ce texte permet d’obtenir des éléments de preuve. Ça n’est pas forcément très facile, mais c’est un outil qui est à disposition et qui peut être efficace. Il y a un autre moyen ou un double moyen qui consiste à déposer une plainte puis de se constituer partie civile ensuite, le cas échéant, puisqu’il y a un texte en droit français qui sanctionne pénalement le fait de prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en œuvre de pratiques d’entente ou d’abus de position dominante (C. com., art. L. 420-6). La procédure peut ne pas aboutir à un renvoi ou une condamnation, mais la plainte peut avoir pour effet de déclencher une enquête, il peut y avoir un juge… Et puis il y a la saisine de l’Autorité de la concurrence avec une vraie difficulté, c’est qu’on n’a pas accès au dossier pendant toute la période d’instruction. On ne sait pas ce qu’il y a dans le dossier et on ne peut donc pas l’utiliser.

Est-ce à dire que l’on ne peut rien faire ? Non ! On peut faire quelque chose, mais c’est un autre moyen de procédure qui recèle une difficulté elle aussi tout à fait importante : il s’agit alors de saisir un tribunal – et on n’a pas besoin d’attendre que l’Autorité de la concurrence se soit prononcée – et de solliciter ce tribunal afin qu’il demande à l’Autorité de la concurrence de lui communiquer une partie de son dossier. C’est quelque chose que j’ai pratiqué ; c’est quelque chose qui marche. Avec une difficulté majeure cependant, c’est que, au regard de notre droit de la procédure civile, il faut que le demandeur liste les pièces dont il demande au juge de demander la communication. Évidemment, si vous n’avez pas accès au dossier, vous ne savez

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pas si c’est une lettre en date de 12 décembre ou un compte rendu de réunion en date du 14 mars. Dans ce cas-là, vous ne pouvez pas le faire efficacement. En revanche, si vous avez connaissance du dossier, vous pouvez demander un certain nombre d’éléments. Aurait-on alors la possibilité de demander au juge de solliciter la communication par l’Autorité de la concurrence de l’intégralité du dossier ? Cela n’irait pas sans poser de difficulté procédurale. En outre, l’Autorité ne serait sans doute pas favorable à la communication de l’intégralité de son dossier, d’autant que ça pourrait être un moyen pour avoir connaissance de pièces dans un dossier encore en cours d’instruction. Cela poserait un certain nombre de questions. C’est un moyen tout à fait intéressant. Il pourrait être efficace, mais il est confronté à une difficulté procédurale. Y a-t-il d’autres obstacles ? Il y a une difficulté face au juge. Et il ne s’agit pas là de dire que le juge ne fait pas bien son travail, bien au contraire. Je veux dire deux choses sur ce thème.

La première concerne la spécialisation. On a spécialisé huit tribunaux de commerce et huit tribunaux de grande instance, ainsi qu’une seule cour d’appel, la Cour d’appel de Paris. Au niveau de la Cour d’appel, il me semble que c’était le meilleur schéma que l’on pouvait avoir en France actuellement, d’autant que la Cour d’appel de Paris dispose de la même compétence exclusive pour les pratiques restrictives. Au niveau des juridictions de première instance, la question ne concerne pas les juges eux-mêmes. La question est de savoir s’il y a un volume de dossiers suffisant pour développer une véritable expertise et une pratique régulière pour chacun de ces tribunaux. Si chacun de ces seize tribunaux avait, ne serait-ce qui dix ou douze affaires par an – une affaire par mois – ils acquerraient une véritable pratique ; il y aurait des juges qui seraient confrontés de manière régulière à ces problématiques de réparation du dommage concurrentiel. Mais les dossiers ne sont, semble-t-il, pas aussi nombreux. Donc, même si le législateur les a spécialisés, on est en présence de juges qui, eux, ne sont pas confrontés à la matière de manière régulière et qui donc ne peuvent pas acquérir les automatismes, les réflexes, ni disposer d’experts rodés dans leur ressort, auxquels ils peuvent faire appel, et donc qui ne peuvent bénéficier de tout le système qui permet d’avancer de manière efficace. Pourrait-on aller, au moins de manière transitoire, vers une juridiction unique en France, c’est-à-dire un tribunal de grande instance et un tribunal de commerce, voire une juridiction « ad hoc » et une cour d’appel pour traiter de ces questions ? Il me semble que c’est une question à explorer, et pas par défiance. J’avais soutenu l’idée de spécialiser la spécialisation des juridictions, sachant que la contrepartie de la spécialisation est de limiter la « capillarité » du système. Et c’est tout à fait vrai ! Mais le problème, c’est que la capillarité nécessite une masse d’affaires suffisante. Je ne soutiens pas que la spécialisation est le meilleur des systèmes – je préférerais que toutes les juridictions soient confrontées à l’application des règles de concurrence –, mais j’estime que c’est une piste à explorer.

Ensuite – et là, permettez-moi de tenir ce discours, parce que c’est un des lieux où il faut le tenir –, il me semble que la France doit doter la Cour d’appel de Paris des ressources nécessaires, du nombre suffisant de magistrats dédiés aux questions de régulation que sont la concurrence et la bourse, sans leur affecter au surplus d’autres domaines, et de les doter de

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référendaires qui pourraient travailler sur les dossiers et à la préparation des décisions. Et je répète que la France devrait affecter les ressources suffisantes pour doter ses magistrats des moyens nécessaires pour traiter ces dossiers, ce qui n’est pas le cas. Ce serait utile à notre économie et aussi aux PME victimes de pratiques anticoncurrentielles. Il serait alors possible de dire qu’il y a des juges accessibles qui traitent ces questions, qui ont le savoir-faire, qui disposent des experts nécessaires et qui ont les moyens de traiter les dossiers. C’est quelque chose qui pourrait permettre de résoudre un certain nombre de difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Après cela – et c’est l’un des travaux que les avocats ont à faire –, si on va demander 5 000 euros d’« article 700 » devant un tribunal sans le justifier et encore plus en lui demandant 50 000 euros sans les justifier, on ne pourra pas obtenir ce que l’on demande. Apprenons-donc à justifier les « article 700 » et à faire en sorte que les juridictions puissent appréhender le travail qu’a nécessité la défense d’une entreprise et l’indemniser justement.

En conclusion, je voudrais revenir sur la question du temps et indiquer pourquoi je suis réservé sur l’option du follow-on. Il ne faut pas prendre l’exemple des moutons à cinq pattes pour en déduire que les moutons sont tous des animaux bizarres. Mais, si on prend l’exemple d’une procédure toute récente – c’est un cas extrême, et rare –, qui porte sur des faits de 1988, avec une décision du Conseil de la concurrence de 1996, qui vient de faire l’objet d’un nouvel arrêt de cassation, nous sommes donc vingt-trois ans après les faits et il n’y a toujours pas de décision définitive. Combien de temps est-il raisonnable d’attendre avant de pouvoir demander et d’obtenir réparation ? On parle de PME, d’entreprises souvent familiales, personnelles. Entre-temps, l’entreprise victime aura été vendue, le chef d’entreprise aura pris sa retraite ou sera peut-être même décédé, on ne sait pas ce qui se passera, mais en tout cas, dix, vingt ou trente ans pour obtenir réparation d’un préjudice, ça n’a plus beaucoup de sens. Vous preniez l’exemple des matches de rugby, il est clair que si vous avez joué quinze saisons avant qu’on vous ait dit comment vous auriez dû jouer lors de la saison initiale, vous ne serez plus joueur de rugby le jour où, vous, vous le saurez. Et qu’est-ce que l’on va faire ? Eh bien, on ne va pas refaire votre vie. Je pense que, sur le terrain du temps, il y a une difficulté et que la procédure de follow-on proposée par l’Autorité de la concurrence est confrontée à un obstacle pratique important, parce que, de toutes façons, on parle souvent au minimum de dix ans. Une fois qu’on a cumulé les deux délais, même si les procédures se sont déroulées dans les meilleurs délais, les deux procédures n’aboutiront souvent pas à une décision définitive avant dix ou quinze ans. On parle donc d’un délai incompatible avec les nécessités économiques et il faudrait trouver un moyen pour que l’examen de la demande de réparation du dommage se fasse plus en parallèle avec l’examen des pratiques anticoncurrentielles par l’Autorité de concurrence, que de manière successive. Merci.

Yves CHAPUT.– Merci beaucoup. On voit bien, de proche en proche, que notre débat se déplace. Nous sommes partis des autorités de concurrence et nous arrivons tout naturellement au judiciaire, car lorsque l’on parle des recours collectifs, que ce soit sur le plan européen ou que ce soit sur le plan national, ce ne sont pas tellement des recours collectifs pour s’attaquer, devant les autorités de concurrence, à un adversaire. C’est en réalité pour aller devant les

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tribunaux et les juridictions judiciaires. Et c’est pourquoi, nous allons demander, en apothéose, à Madame le haut conseiller Riffault-Silk de rechercher s’il peut exister, s’il existe déjà, une sorte de politique de la concurrence qui soit harmonieuse entre les autorités de la concurrence et le judiciaire. La tâche est difficile. Il est heureux que ce soit vous qui soyez chargée de cette conclusion.

Jacqueline RIFFAULT-SILK, Conseiller à la Cour de cassation.– Merci Monsieur le Président. Après toutes ces interventions, j’ai l’impression que tout a été dit et qu’il conviendrait à présent de répondre à tout cela. Parce que le juge se trouve, après toutes ces interventions, un peu accablé de bien des maux, de bien des impuissances, voire d’un manque de compétence et même d’impossibilité d’en acquérir puisqu’il ne travaillerait pas assez sur ces dossiers particuliers, à la fois difficiles et complexes. Par où commencer ? Il faut revenir d’abord sur un acteur qui est plus important que le juge, parce que c’est lui qui le saisit : cet acteur, c’est la PME, car c’est bien elle qui décide d’aller vers le juge, et qui définit les termes du litige. C’est en cela que l’intervention du juge en dépend. En effet, le juge civil ou commercial n’a pas le pouvoir d’une autorité de concurrence de prendre une affaire de sa propre initiative. Donc, la première réalité, c’est que c’est à l’entreprise d’aller vers le juge.

Alors, s’agissant de la réparation du dommage concurrentiel, pourquoi les PME ne saisissent-elles pas le juge ou le saisissent si peu ? Il y a un certain nombre de raisons à cet état de fait. On a souligné déjà, lors de nos débats, l’importance stratégique des PME. Elles sont une force d’innovation, elles sont un soutien à l’exportation. Mais elles se distinguent aussi d’autres acteurs économiques par des caractères spécifiques. D’abord, comme l’a dit Madame le professeur Prieto, sauf dans l’hypothèse où elles ont déjà été évincées du marché – et n’ont plus rien à perdre –, les PME se trouvent dans une situation tout à fait différente de celle des consommateurs. Elles, elles ont à craindre d’une action en justice et des représailles qui peuvent s’ensuivre, tel un déréférencement qui les condamnerait à mort, tout simplement. Ensuite, le facteur temps est terrible pour une entreprise et plus encore sans doute pour une PME. Tout à l’heure, il a été question d’efficience. Sur ce point, j’avais en tête les arrêts rendus par la Cour européenne de Strasbourg, le 21 décembre 2010, dans les affaires Canal + et Primagaz. Saisie de la validité, au regard de la Convention européenne des droits de l’homme, du régime français transitoire des autorisations par le juge de visites domiciliaires en matière de concurrence, la Cour insiste sur le fait que l’efficience – et cela pèse – c’est d’abord et avant tout de répondre vite et, serait-on tenté d’ajouter dans ce domaine différent du dommage concurrentiel, de faire en sorte que l’entreprise victime de pratiques anticoncurrentielles obtienne, concrètement, une réparation rapide.

Dès lors, la question se pose de savoir comment assurer l’efficience d’une réparation rapide pour les PME. Et ceci d’autant plus que les intérêts des PME sont en conflit avec d’autres intérêts reconnus prioritaires. On l’a dit, le fait que l’on privilégie l’efficience des marchés a pour conséquence que l’on hésite à contrarier le développement de l’acteur économique le plus efficace, même si cela se fait aux dépens d’un plus petit ou d’un moins

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habile, voire de celui qui entre sur le marché et qui aurait peut-être besoin d’être soutenu, au moins un temps. Et puis il y a cette autre tendance lourde, à la fois européenne et nationale, qui se traduit par le délaissement – l’abandon aurait dit Portalis – des pratiques moins graves par les autorités de concurrence au profit de la lutte contre les comportements les plus néfastes, tels que les cartels, au nom de la politique économique. C’est du reste ce que souligne le préambule du règlement 1/2003 du Conseil entré en vigueur le 1er mai 2004. Mais les PME sont-elles en mesure de remplir l’espace laissé vacant ? Sont-elles incitées à le faire par le biais d’incentives analogues à ceux que prévoit le droit américain, en particulier ? On ne trouve pas de semblables incitations en Europe ou en France. Et les micro-PAC, sont-elles aptes à remplir au moins partiellement ce vide ? Rien n’est moins sûr. Et même dans les procédures concernant les comportements les plus graves, la priorité donnée aux impératifs de régulation du marché – le public enforcement – fait que lorsque cet objectif se trouve en conflit avec celui de la réparation des préjudices, le choix est vite fait. Le choix, c’est celui de protéger les procédures alternatives, c’est de donner toute leur dimension aux programmes de clémence, et à nouveau, à l’inverse de choix américains, en sacrifiant l’impératif de la réparation. Je rappelle tout de même qu’aux États-Unis, un demandeur à la clémence s’engage aussi à faciliter l’indemnisation des victimes. Pas en France. Pas en Europe.

Et il faut y ajouter des tentations bien françaises auxquelles sont sensibles les régulateurs et les pouvoirs publics : reprendre la main, ou la conserver, malgré une dépénalisation quasi généralisée. Ainsi, les litiges devraient se porter vers les juridictions. Pourtant, ils ne s’y portent pas tellement. Et, finalement, c’est l’autorité publique qui gère directement ces contradictions – et là, je pense plus particulièrement aux pratiques restrictives de concurrence dont Monsieur Pfister a parlé à juste raison. Le droit des pratiques restrictives offre en effet un exemple tout à fait topique de cette problématique. Malgré la dépénalisation de pratiques reconnues illicites, le pouvoir a été donné à l’autorité publique – le ministre de l’économie – de mener des actions civiles en annulation des clauses contraires à la loi et en réparation des préjudices subis par les entreprises. Ces dispositions ont été reconnues pleinement conformes à la Constitution ainsi qu’aux principes fondamentaux de notre droit et aux dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, puisqu’il s’agit de la protection de l’intérêt général et de l’ordre public économique, a dit le Conseil constitutionnel le 13 mai 2011, et que cette action est une action autonome de protection du marché, a dit la Cour de cassation le 8 juillet 2008. Les réformes intervenues ces dernières années illustrent ces tensions, et ces tentations, mais elles illustrent aussi les points de contact que l’on peut trouver, en France et en Europe, entre ces différents objectifs.

Quelques mots sur la spécialisation des juridictions, d’autant qu’elle a été quelque peu remise en cause. Du moins, si Philippe Rincazaux l’encourage de ses vœux, il la perçoit de façon quelque peu monolithique, avec une seule juridiction en première instance et une seule juridiction en appel comme bien sûr en cassation… On pourrait presque faire l’économie des deux premières. Est-ce bien raisonnable ? Est-ce qu’il n’est pas important, réellement, dans une démocratie, d’avoir un débat d’une certaine richesse, à plusieurs niveaux. Qu’il y ait un

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débat en première instance puis devant la cour d’appel sur le fond est important, et il est important que ces débats ne soient pas toujours portés devant les mêmes juges. Cela dit, il est tout à fait exact que nos huit juridictions consulaires seront plus occupées en droit de la concurrence stricto sensu que les huit tribunaux de grande instance. C’est indiscutable. Mais n’oubliez pas qu’il y a aussi la propriété intellectuelle qui est un correctif à cette concentration plus grande devant les juridictions consulaires.

Et puis, quels sont les pouvoirs du juge ? Ils sont loin d’être inexistants. Certes, nous n’avons pas de Discovery devant les juridictions françaises, pas plus du reste que devant les juridictions britanniques. Il me semble que la procédure de Disclosure britannique doit être soigneusement distinguée de la Discovery américaine : le juge britannique dispose de pouvoirs importants pour limiter les demandes des parties en matière de communication de pièces et pour résoudre les conflits qui peuvent surgir au stade de l’instruction du litige porté devant lui. En France, nous ne sommes pas parvenus à élaborer un nouveau principe directeur de la procédure civile – le principe de loyauté des parties vis-à-vis du juge que l’on trouve en droit anglo-saxon. C’est bien dommage ! Mais le juge français a tout de même des pouvoirs incontestables, donnés au juge civil, comme, par exemple, le pouvoir d’ordonner la communication de pièces au besoin sous astreinte, celui d’ordonner des enquêtes et des expertises, ou encore d’ordonner la comparution personnelle des parties et, lorsqu’elles n’obtempèrent pas, le code de procédure civile permet au juge de tirer toute conséquence de ce refus. Tout ceci fournit aux parties une forte incitation à jouer le jeu.

En droit de la concurrence plus spécialement, cette question de la recherche des preuves, et celle, qui en est le corollaire, du droit d’accès à la procédure menée devant l’autorité de concurrence, sont vraiment cruciales. Nous sommes tous d’accord là-dessus. Et il est sûr aussi que dans les procédures négociées menées par les autorités de concurrence, nous sommes loin du compte.

Fait exception la procédure d’engagements, sur laquelle la Cour de cassation a pris le 4 novembre 2008 (pourvoi n° 07-21275, Bull. 188), et à nouveau le 2 février 2010 (pourvoi n° 08-70449, Bull. 26), une position très ferme en décidant, au visa du principe du contradictoire, que toutes les parties à une procédure d’engagement, y compris le plaignant, doivent avoir accès à l’intégralité des documents sur lesquels s’est fondé le rapporteur pour établir l’évaluation préliminaire, et à l’intégralité de ceux soumis à l’autorité pour statuer sur les engagements. En revanche, lorsqu’il s’agit de clémence, les victimes n’ont strictement aucun accès à la procédure, ni pendant, ni après. Elles sont hors la procédure. Il est même interdit au demandeur de clémence de leur communiquer des informations ! Les raisons de cette rigueur viennent d’être données de façon très claire par la Cour de l’Union européenne dans son arrêt du 15 juin 2011 rendu dans l’affaire Pfleiderer (http://curia.europa.eu/jurisp/cgi-bin/form.pl?lang=FR&Submit=rechercher&numaff=C-360/09) : la Cour a constaté que l’efficacité des programmes de clémence pour la protection du marché, et l’effectivité du droit à réparation des victimes de pratiques anticoncurrentielles, sont deux intérêts également

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protégés par le droit communautaire, et qu’ils sont en conflit, de sorte qu’en l’absence d’une règlementation contraignante du droit de l’Union en matière de clémence, on ne peut établir une hiérarchie entre les deux, ni même opérer une distinction en fonction de la nature des informations détenues par l’autorité de concurrence. Elle a considéré qu’il revenait aux autorités nationales et aux juridictions nationales de dire, au cas par cas, ce qui devait prévaloir, de l’intérêt du marché entendu comme un impératif d’ordre public économique, ou bien de l’impératif de réparation des préjudices et donc des victimes du dommage concurrentiel.

On peut rapprocher cette décision des dispositions de notre code de commerce concernant la communication de pièces lorsqu’est en jeu le secret des affaires – c’est l’article L. 463-4. Ces dispositions ménagent certes une consultation ou une communication de ces pièces lorsqu’elle est nécessaire, mais en citant seulement l’auteur de la pratique et le respect des droits de la défense. À nouveau, il n’est pas fait mention de la victime. La Cour de cassation a rappelé, le 19 janvier 2010 (pourvoi n° 08-19761, Bull. 8), au visa de l’article L. 463-6 du code de commerce, que le secret de l’instruction devant l’Autorité de la concurrence ne cédait devant le principe du respect des droits de la défense, que si la divulgation des informations en cause était nécessaire à l’exercice de ces droits. Mais de la victime, il n’est pas question !

Les dispositions de procédure concernant les pratiques anticoncurrentielles locales (les micro-PAC), qui pourtant concernent directement les PME, sont en parfaite cohérence avec ce refus « de principe » de donner à l’entreprise plaignante un accès au dossier, instruit dans ce cas par les services de la DGCCRF. La transaction prévue par l’article L. 464-9 du code de commerce, entre l’entreprise en cause et le ministre, fait suite à l’établissement d’un rapport administratif d’enquête établi par les services de la DGCCRF ainsi qu’à une « communication des faits constatés » par le ministre, l’un et l’autre visés par l’article R. 464-9-1 du Code de commerce. Si l’entreprise en cause refuse la transaction proposée, le dossier est transmis à l’Autorité de la concurrence. Mais dans le cas d’une transaction acceptée, la procédure s’achève et, là encore, aucun accès au dossier n’est ouvert à la victime, alors qu’il y a bien évidemment – c’est l’article R. 464-9-1 du code de commerce précité qui le prévoit – un droit de communication pour l’entreprise en cause, à laquelle il est proposé de signer la transaction.

Cela signifie-t-il que nous sommes décidément incorrigibles ? Est-ce à dire que l’on ne peut traiter ces problèmes que par le biais de la défense de l’intérêt général et par l’adoption de décisions prises par les autorités publiques ? Cela, nous savons effectivement très bien le faire. Seulement, le paysage a changé. L’Europe a fait le choix d’une économie de marché, soumise au libre jeu de la concurrence. Tout cela suppose que les entreprises prennent en charge leur destin. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on ne les aide pas beaucoup.

Il faudrait dire un mot, également, de l’amicus curiae prévu par le règlement 1/2003 et introduit dans nos législations internes. C’est une expression de l’obligation de coopération prévue par le Traité, entre la Commission européenne, et les juridictions nationales. Y fait écho la coopération mise en œuvre en droit interne entre l’autorité nationale de concurrence, et le

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juge. Quelle portée lui donner ? On ne peut que constater la rigueur de la position adoptée par la Commission européenne, dans la réponse qu’elle a apportée, notamment, à la demande de la Cour suprême suédoise le 1er mars 2007 (aff. T-2808-05): l’amicus curiae doit se limiter à la délivrance d’une information factuelle, d’un avis juridique ou économique, sans que le bien-fondé de l’affaire portée devant le juge puisse être apprécié, sans qu’une mesure d’enquête puisse être envisagée.

N’y a-t-il pas une contradiction entre le choix affiché des autorités de concurrence de se concentrer sur la répression des infractions les plus graves et de s’appuyer sur le rôle complémentaire des juridictions nationales, comme le déclarent les points 5 et 7 du préambule du règlement 1/2003, alors que ces mêmes juridictions – et les entreprises qui les saisissent – restent privées d’un soutien effectif dans l’instruction de procédures particulièrement complexes, de sorte que seules les procédures engagées postérieurement à une décision administrative de sanction – procédures dites de « follow-on » – ont une chance raisonnable d’aboutir ?

Mais ceci pose une nouvelle question, celle de l’articulation entre public et private enforcement. D’une manière générale, la décision sur la réparation suppose la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre les deux. Toute la difficulté est de savoir comment articuler ces procédures en follow-on, c’est-à-dire des procédures aux fins de réparation civile, portées devant les juges, avec la décision de sanction déjà prononcée par une autorité de concurrence. En effet, pour l’heure, en France, il n’existe pas, en droit, d’autorité de la chose décidée. Les Allemands, en revanche, l’ont admise. La réforme allemande entrée en vigueur le 1er juillet 2005 a introduit dans les textes cette autorité de la chose décidée, laquelle est accordée de par la loi non seulement aux décisions de l’autorité de concurrence allemande, mais également à celles des autorités de concurrence des autres États membres, considérées comme équivalentes dans leur compétence et dans le bien-fondé de leur appréciation.

En Grande-Bretagne, on est allé encore plus loin. Certes, l’autorité de la chose décidée n’est accordée qu’à l’autorité de concurrence britannique, l’Office of Fair Trading (OFT), mais cette prérogative est accompagnée d’une autre disposition extrêmement importante et tout-à-fait remarquable : le Competition Appeal Tribunal (CAT), juridiction composée notamment de juges de la High Court, et juridiction d’appel des décisions de l’OFT, peut connaître au premier degré des demandes en réparation fondées sur les décisions de sanction prononcées ou confirmées contre les entreprises auteurs de pratiques anticoncurrentielles dès lors qu’elles sont définitives. Mettant en œuvre cette prérogative, le CAT a élaboré une jurisprudence d’une grande efficience : il a ainsi considéré, dans une décision du 15 novembre 2006 (Healthcare at home c/ Genzyme Ltd, aff. n° 1060/5/7/06), qu’il pouvait prononcer des réparations provisionnelles pouvant aller jusqu’à 80 % du montant estimé du préjudice, dès lors qu’il était saisi d’une demande en réparation et que la décision sur l’infraction avait un caractère définitif. Il a également retenu (28 avril 2008, Emerson Electric Co c/ Morgan Crucible plc, aff. n° 1077/5/7/07), s’agissant d’une action en réparation engagée devant lui alors qu’un appel

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était pendant contre une décision prononcée par la Commission, qu’il lui était impossible de se prononcer sur la réparation dès lors que l’appel ne portait pas seulement sur la sanction, mais aussi sur le fond de l’affaire, autrement dit sur le principe de la faute, laissant entendre qu’une action en réparation pourrait être déclarée recevable dans le cas d’un recours contre la décision sur l’infraction limité à la sanction. Peut-être cela pourrait-il apaiser les craintes évoquées tout à l’heure. Cela démontre en tout cas qu’il est possible de créer un système plus efficient.

Je souhaiterais enfin évoquer les mesures provisoires. Elles peuvent être prononcées par l’Autorité de la concurrence, ce qui est le plus souvent le cas. Il est non moins vrai qu’elles peuvent être demandées au juge de droit commun et prononcées par lui. Ces procédures d’urgence, portées directement devant le juge, se sont révélées particulièrement efficaces dans le cas de pratiques affectant un marché émergent, ou concernant de nouvelles technologies. Plusieurs exemples le confirment en France et en Grande-Bretagne, qui concernent les marchés de l’accès à l’internet (Cour d’appel de Paris, 13 juillet 2000, Wappup.com c/ Itineris et SFR, confirmant la décision du 30 mai 2000 du tribunal de commerce de Paris faisant injonction aux opérateurs dominants de modifier le paramétrage des mobiles mis en vente pour permettre aux consommateurs de choisir le nouveau fournisseur d’accès à l’internet Wappup) ou encore le marché du trafic voix sur internet (High court, Chancery division, 17 juillet 2007, Truphone software cellular network c/ T-Mobile UK Ltd, aff. HC07C, faisant injonction à l’opérateur dominant sur T-mobile UK de contracter avec la société Truphone pour lui permettre d’exercer son activité). Ces procédures ont donné lieu – au moins en France – à une demande d’avis adressée à l’autorité de concurrence, et une procédure a été engagée parallèlement devant l’autorité de concurrence. Ainsi, le juge a fait face à l’urgence, a prononcé des injonctions et rétabli les conditions d’une concurrence acceptable sur le marché, en attendant que l’autorité de concurrence examine l’affaire de façon plus approfondie.

À présent, que proposer ? Une première suggestion est de réfléchir aux raisons pour lesquelles, à Bruxelles comme en France, comme ailleurs en Europe, puisque c’est la Commission européenne qui conduit la politique de clémence, on persiste à écarter tout engagement des demandeurs de clémence, de faciliter l’indemnisation des victimes. Il pourrait être intéressant de rechercher, concrètement, comment les règles américaines, inverses des nôtres sur ce point, sont appliquées en pratique.

Une autre suggestion concerne les class actions. D’autres viennent d’en parler, je n’y reviens pas.

Ma seconde proposition concerne l’instauration d’une autorité de chose décidée, par le législateur. Une telle réforme est importante, parce qu’elle seule permet de concentrer la réparation du préjudice devant la même juridiction, composée des mêmes juges que celle qui a statué sur l’infraction. Sans cette autorité légale de chose décidée, une telle concentration est impossible puisqu’il y aurait violation du principe d’impartialité inscrit à la Convention

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européenne des droits de l’homme. Nous sommes donc contraints à une duplication de procès avec toutes les conséquences qui en découlent, en termes de durée du procès et de coût. Je conclurai sur cette proposition, d’instaurer cette autorité de chose décidée comme nos principaux partenaires l’ont déjà prévu, et de construire sur cela, comme d’autres l’ont fait.

Yves CHAPUT.– Merci beaucoup Madame le haut conseiller. Monsieur Pierre Gaches souhaite apporter quelques précisions à titre de conclusion.

Pierre GACHES, Président-directeur général de Gaches Chimie.– Merci. Effectivement, suite aux différents propos échangés, je souhaite en conclusion pouvoir préciser quelques idées essentielles.

J’aimerais tout d’abord couper court à l’idée dominante formatée à dessein, celle de la supériorité systématique de l’efficience économique des grandes entreprises sur les PME. Il y a, dans toutes les catégories, des entreprises bien gérées et d’avenir et des moins bonnes. Il n’y a qu’à observer le renouvellement en vingt ans des cent premières entreprises pays par pays pour s’en convaincre. La défense des PME n’est pas la défense du conservatisme et de l’ordre établi et celle des grandes entreprises la défense de l’intérêt général. Les PME sont des animateurs irremplaçables du jeu concurrentiel et de l’innovation.

Le deuxième point est celui de l’absolue nécessité d’avoir accès en défense au contenu des dossiers sur un mode contradictoire à tous étages et à tous moments, même dans le cas de procédures de clémence, car, sinon, les victimes n’ont pas la possibilité de s’identifier et n’ont pas la capacité d’évaluer et d’établir leur préjudice.

Enfin, bien que la conscience de la difficulté des victimes a existé et le souci de rééquilibre entre les acteurs ait été largement partagé par les intervenants, force est de remarquer que, d’un point de vue stratégique, le froid constat actuel m’emmènerait, si j’intervenais en tant que conseil, à le faire de façon amorale de la manière suivante.

Pour une PME, afin d’éviter de disparaître en présence d’une entente (mais le raisonnement est le même pour un abus de position dominante) : 1) soit elle y participe ; 2) soit elle se prépare à dix à quinze ans de bataille juridique et 200 K€/an de dépenses ; 3) soit elle doit se vendre.

Pour un grand groupe guidé par des objectifs de développement et de gains hors du raisonnable : 1) organiser et participer à des ententes en incluant des PME ; 2) faire en sorte qu’elles durent le plus possible (le risque qu’une PME fasse une procédure de clémence ou que l’entente soit mise au jour est très faible) ; 3) intégrer la clémence dans le timing de votre stratégie. Les gains illicites obtenus par tous types d’ententes vous permettront par effet de masse plus effet de levier d’être dans tous les cas très largement gagnant de 1 à 10.

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Pour les abus de position dominante, le mécanisme est le même. De plus, le risque de la clémence n’existe pas. L’analyse de risque est déséquilibrée par la durée et l’absence en pratique d’indemnisation des victimes. Merci.

Yves CHAPUT.– Merci beaucoup. Je pense que le programme que nous nous étions fixé en préparant cette table ronde a été rempli. Reste à savoir ce qu’en pense la salle.

Débat

Philippe MIGEOT, Expert judiciaire agréé par la Cour de cassation.– Une des épreuves les plus flagrantes pour une PME est de voir un brevet, un modèle contrefait. Et, lorsque la PME victime est bien informée, elle a la tentation de demander à son avocat-conseil ou à un expert s’il est envisageable de cumuler l’action en réparation du préjudice dû à la contrefaçon – ce qui est de plus en plus aisé grâce à la loi de 2007 – et, en même temps, l’action en réparation de l’atteinte à la concurrence déloyale. Je reconnais que l’avocat et l’expert sont confrontés à cette double question : « Ai-je la possibilité, l’intérêt de demander à la fois réparation du préjudice de la contrefaçon et une atteinte à la concurrence déloyale ». Et ceci est rendu d’autant plus difficile que, par la spécialisation de notre structure judiciaire, en principe la propriété intellectuelle et, a fortiori, industrielle, est confiée à la juridiction du TGI de Paris alors que le recours le plus habituel en matière de réparation d’une concurrence déloyale est, à juste titre, le tribunal de commerce. Mais évidemment, il n’est pas question pour l’avocat, ni même pour l’expert, de saisir les deux juridictions.

Yves CHAPUT.– Merci beaucoup. La question que vous posez, qui est analogue à celles sur lesquelles nous avons eu à travailler tient quand même à la spécificité du droit de la propriété intellectuelle et au fait, effectivement, que la jurisprudence considère qu’il ne peut pas y avoir de cumul entre l’action en concurrence déloyale et l’action en réparation de la contrefaçon. Vous posez donc un problème général de compétence des juridictions qui relèverait davantage de l’IRPI, l’Institut de recherche en propriété intellectuelle de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, que du CREDA. Mais vous signalez là encore une faiblesse, mais qui ne tient pas à l’organisation judiciaire, mais qui tient au droit substantiel, c’est-à-dire au fait que la règle spéciale – specialia generalibus derogant – du droit de la contrefaçon déroge au droit commun de la concurrence déloyale. De la même façon, on pourrait s’interroger sur concurrence déloyale et atteinte à la concurrence. On pourrait raisonner par analogie.

Jacqueline RIFFAULT-SILK.– Je peux ajouter que la Cour de cassation a rendu récemment, le 9 novembre 2010, un arrêt sur la question de la portée de la compétence donnée aux juridictions spécialisées. On se demandait s’il fallait restreindre cette compétence obligatoire aux demandes fondées sur les dispositions du droit de la concurrence. En pratique, la situation est la suivante : un contentieux se noue au sein d’un réseau de distribution sélective ou exclusive autour de l’inapplication alléguée d’une stipulation contractuelle. Le partenaire mis

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en cause rétorque alors en évoquant l’application du droit de la concurrence. La Cour de cassation vient de dire qu’il y avait lieu d’appliquer les dispositions relatives à la spécialisation des huit tribunaux de commerce et des huit TGI, aussi bien lorsque le droit de la concurrence est invoqué en demande qu’en défense. À présent, les choses sont tout à fait claires.

Jean-Bertrand DRUMMEN, Président de la Conférence générale des juges consulaires de France, ancien Président du Tribunal de commerce de Nanterre.– Une première observation, les victimes ne demandent pas toujours réparation parce que, tout simplement, elles ont peur. Elles ont peur des représailles, notamment dans leurs rapports avec la grande distribution, qui se traduisent par le déréférencement. C’est pourquoi, à l’époque, l’action du ministre avait été couronnée de succès en dépit de l’absence de toutes les victimes. En deux mots, le Galec, le centre de référencement du groupe Leclerc, avait observé qu’un autre grand distributeur avait bénéficié d’un certain nombre d’avantages de la part d’une vingtaine de fournisseurs. Qu’à cela ne tienne. Il s’est retourné vers la vingtaine de fournisseurs en question et a exigé d’eux, puisque il était en mesure de leur fournir les mêmes services que l’autre grand distributeur, la réparation de son « préjudice », puisque il estimait n’avoir pas été en mesure de recevoir la rémunération qu’il pouvait raisonnablement attendre. Le Galec a alors imposé la conclusion d’une vingtaine de transactions pour compenser son « manque à gagner ». Et c’est à ce moment-là que le ministre de l’économie a engagé cette action devant le Tribunal de commerce de Nanterre en demandant la restitution de l’indu pour le compte de la vingtaine de fournisseurs. Il y a alors eu un très grand débat. Le Tribunal de commerce de Nanterre a donné raison au ministre. Il a été infirmé par la Cour de Versailles. Mais il y a eu un pourvoi en cassation. La Cour de cassation a cassé l’arrêt de la Cour de Versailles et a renvoyé devant cette même Cour, autrement composée, qui a finalement donné raison au Tribunal de commerce de Nanterre. C’est un excellent exemple de la force que représente l’ordre public économique, car c’est au nom de l’ordre public économique que la Cour de cassation a finalement considéré que le ministre disposait d’un droit autonome qui lui permettait d’agir en l’absence des victimes.

Deuxième observation. Il n’est pas interdit non plus au juge d’avoir une jurisprudence créative. Dans un autre domaine, qui opposait les cafés Legal à un grand distributeur à la suite d’une rupture abusive et d’un déréférencement immédiat. Action en référé. Et le juge – le Tribunal de commerce de Nanterre, en l’occurrence – a ordonné, en référé, la poursuite de l’activité, le temps de souffler, ce qui n’est pas négligeable.

Quant à la spécialisation, c’est un très vaste sujet. Il faut le traiter avec beaucoup de modération, de mesure, de discernement. Je me souviens des paroles d’un garde des sceaux qui avait dit lors du congrès annuel des tribunaux de commerce qui se tenait à Versailles en 2009, en s’adressant donc aux juges consulaires, que la spécialisation a ses mérites mais qu’il convient également de cultiver une certaine proximité. C’est presque un couple. S’opposer frontalement à la spécialisation, ça n’a peut-être pas beaucoup de sens, mais de l’autre côté, il faut la mettre en œuvre avec beaucoup de mesure pour ne pas casser cette proximité qui est

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très importante. C’est un sujet extrêmement délicat. Pour l’instant, on en parle un peu moins. La spécialisation peut induire une modification de la carte judiciaire. La spécialisation a des effets d’ordre psychologique sur les juges composant la juridiction. Nous sommes très sensibles à l’évolution de ce débat.

Philippe RINCAZAUX.– La raison pour laquelle je plaide pour une spécialisation plus importante, c’est pour une raison de volume. S’il y avait plus d’affaires, ce serait très bien que les juridictions ne soient pas spécialisées. Qu’il n’y ait pas de malentendu là-dessus. S’il y avait plus d’affaires, il faudrait qu’il y ait plus de juridictions compétentes.

Catherine PRIETO.– Je voudrais réagir aux propos de Madame Riffault-Silk sur le conflit entre la clémence et la réparation du préjudice et souligner la prudence « constructive » de la Cour de justice dans l’arrêt rendu le 14 juin 2011 dans l’affaire Pfleiderer. Les faits de l’espèce correspondent précisément au schéma que j’ai préalablement décrit pour les entreprises victimes en tant que consommateurs intermédiaires. Le Bundeskartellamt a condamné sur le fondement de l’article 101 TFUE trois fabricants européens de papier peint à une forte amende. Pfleiderer est producteur de bois d’ingénierie et acheteur de papiers peints spéciaux. En tant que client des entreprises, il comprend qu’il a subi un préjudice et s’adresse au Bundeskartellamt pour avoir accès à toutes les pièces du dossier, ce que refuse cette autorité en faisant valoir le bénéfice de la confidentialité due à la clémence. Saisie d’un recours contre cette décision, l’Amtsgericht de Bonn pose une question préjudicielle sur la portée des articles 11 et 12 du règlement n° 1/2003 : doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils font obstacle aux informations volontairement communiquées dans le contexte d’un programme de clémence ? La Cour de justice répond en posant un principe de conciliation entre les règles relatives à la clémence et celles relatives au private enforcement. En effet, la clémence et les actions en réparation servent tout autant le principe d’efficacité de l’article 101 TFUE (points 25 à 29). On peut observer que la recherche d’une hiérarchisation au regard de l’effectivité n’a pas été envisagée tant elle semble d’emblée périlleuse. La conciliation semble donc la seule issue viable. Au surplus, la Cour de justice n’envisage pas une conciliation sur un plan général. Elle se prononce pour une appréciation au cas par cas. Elle recommande donc au juge national de mettre en balance les besoins de l’action en réparation et la protection des informations communiquées dans le cadre d’un programme de clémence. C’est sous réserve de cette condition qu’elle conclut que le règlement n° 1/2003 ne s’oppose pas à cette communication (points 30 à 32).

Il faut donc concrètement procéder à l’appréciation des besoins de la victime agissante. Si l’on revient au cas d’espèce Pfleiderer, on peut relever que le Bundeskartellamt avait proposé une liste des éléments de preuve constatés lors de la perquisition et avait limité son rejet aux informations couvertes par le programme de clémence. Mais Pfleiderer s’était obstiné et a formé un recours pour obtenir l’accès à l’intégralité du dossier. La question se pose donc au juge national de savoir si la liste des pièces fournie par le Bundeskartellamt était ou non suffisante pour mener sérieusement l’action en réparation. Les actions en réparation sont utiles

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en ce sens qu’elles renforcent les possibilités de confisquer les gains illicites et, par là-même, elles renforcent la dissuasion. Il en va de l’intérêt bien compris des ANC de faciliter ces actions en réparation. Le Bundeskartellamt ne semble pas avoir adopté une attitude hostile à la victime. S’agissant de l’Autorité de la concurrence, on peut noter également un état d’esprit d’ouverture à l’égard des victimes. Ceci est particulièrement clair dans sa réponse à la consultation de février dernier sur les recours collectifs. Elle insiste sur le fait qu’elle s’efforce – et le fera encore davantage à l’avenir – de donner des indications factuelles importantes dans sa motivation de sorte à ce que les victimes puissent ensuite orienter efficacement leurs investigations.

En dernier lieu, il faut insister sur les trois preuves requises pour une action en responsabilité civile : la faute, le préjudice et le lien de causalité. S’agissant de la preuve de la faute, il faut rappeler avec l’Avocat général, dans ses conclusions sur l’affaire Pfleiderer, que les victimes peuvent s’appuyer sur la décision définitive de l’autorité nationale de concurrence : le législateur allemand l’a expressément prévu et, dans l’attente que le législateur français suive cet exemple, le juge français peut aisément tirer toutes les conséquences d’une condamnation par l’Autorité française. Ne peut-on considérer que les informations recueillies dans le cadre d’un programme de clémence intéressent plus la preuve de la faute que la preuve du préjudice ? Finalement, c’est bien la seule preuve du préjudice qui pèse sur les victimes (celle du lien de causalité en découlera). De ce point de vue, il faut compter sur la sagacité – et l’intérêt bien compris – de l’Autorité française pour orienter les victimes vers des faits ou des données aisés à cibler, sans qu’il soit besoin de forcer la protection offerte dans les programmes de clémence.

Jacqueline RIFFAULT-SILK.– Il n’y a pas présomption de lien de causalité. Il me semble que ça n’est pas possible. La procédure suivie devant l’Autorité porte sur des pratiques qui constituent une infraction au droit de la concurrence en portant atteinte à un marché entendu comme une entité globale. Et c’est cette infraction qui fait l’objet éventuellement de la demande de clémence. Mais sur le lien de causalité entre ces faits, ces pratiques avec un préjudice individuel subi par une entreprise dans l’exercice de sa propre activité, il ne peut y avoir de présomption. Tout au plus un renversement de la charge de la preuve, comme l’a décidé la Cour de cassation italienne (15 décembre 2006, Fondiaria societa Assicuratrice industtriale c Nigriello).

RÉFLEXIONS CONCLUSIVES

Jean-Paul DELEVOYE Président du Conseil économique, social et environnemental

Merci Monsieur le président. Je regrette presque d’intervenir tellement j’ai trouvé le débat passionnant. J’aurais même été plutôt intéressé pour qu’il se poursuive… Et j’en profite donc pour remercier les différents intervenants.

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Je ne suis pas forcément le mieux placé pour intervenir sur ce sujet. Je voudrais néanmoins faire deux ou trois remarques. Nous sommes dans une période extrêmement particulière qui suscite chez les décideurs politiques et même quelque fois chez les décideurs syndicaux beaucoup d’interrogations. Notre rôle est d’être attentifs à ce que les questions posées soient pertinentes et qu’elles ne soient pas posées en fonction d’arrière-pensées électorales ou d’émotions. Il faut éviter de prendre aujourd’hui des décisions complètement suicidaires pour notre avenir en fonction de raisonnements justifiés par une complaisance vis-à-vis d’une partie du corps électoral. Nous sommes donc dans un de ces moments où la raison n’est pas forcément au cœur d’un certain nombre de décisions potentielles. Nous voyons bien, sur le droit de la concurrence par exemple, tout le débat qui se profile en fonction de la météo économique internationale oscillant entre un retour au protectionnisme et, au contraire, le culte du libéralisme. S’il faut à tout prix se prémunir contre un débat entre « le marché règle tout » et « le marché est absolument abominable », on pressent immédiatement que ce débat risque de dégénérer en « il faut sortir de l’euro ». Ceux et celles qui voudront avoir un discours charpenté, raisonnable et raisonné risquent d’être balayés par des discours populistes, voire extrémistes, qui risquent de mettre à mal l’organisation du marché.

Deuxième élément. On s’aperçoit aujourd’hui – je l’ai vécu en tant que Médiateur de la République et je l’ai relevé dans les propos d’une ou deux magistrates – qu’il convient de favoriser un accès à la justice apaisé et clarifié. J’ai été très frappé par ce qui constitue une des plus grandes injustices : la difficulté d’accès au droit quand un justiciable rencontre des problèmes. Et là, celui qui a des relations, celui qui a du temps, celui qui a des connaissances, sait quel est le chemin, quelle est la procédure à suivre, ce que ne sait pas celui qui est complètement aveuglé par son quotidien, qui a pourtant une cause légitime à défendre, mais qui n’a pas forcément la faculté de savoir comment le faire ou même qui n’imagine pas ce qu’il est possible de faire. Ceci est extrêmement important car il y a une perception dans l’opinion – que l’on voit apparaître dans les rapports de la médiature et que l’on ressent chez les petits artisans, les petits commerçants – que la loi, qui a été faite pour protéger le faible, tout compte fait est en train, par le poids et la complexité des procédures et par les difficultés d’accès au juge, de protéger le fort, celui qui a de l’argent. Ceci est extrêmement préoccupant. Nous devrions être attentifs au fait qu’aujourd’hui, un certain nombre d’acteurs qui se sentent fragiles, faibles, n’ont pas seulement besoin de disposer d’un guide pour leur dire « Vous avez le droit de… », mais ont besoin d’être accompagnés pour défendre leurs droits.

Troisième élément. L’unanimité s’est faite lors de vos débats pour dire qu’il fallait se garder d’un droit de la concurrence à deux vitesses et par conséquent que vous ne souhaitiez pas que l’on instaure un droit de la concurrence spécifique aux PME. Je suis assez enclin à partager ce sentiment. En revanche, nous devons réfléchir au fait que la France a le culte du puissant : « Big is beautiful ». Ce qui est important, c’est d’être puissant. Or, on sait qu’aujourd’hui, l’innovation, la créativité passent souvent par le petit. Une des questions que nous sommes en train de travailler au CESE est la suivante : est-ce que les puissants ne sont pas en train de tuer l’innovation ou est-ce qu’au contraire ils sont en train de la fertiliser, de la valoriser ? Dans

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un certain nombre de procédures et de commissions nationales, on s’aperçoit que la présence des grands groupes est un facteur qui crée un tel lobbying et une telle puissance de normalisation qu’en réalité, ils stérilisent l’innovation que l’on trouve dans certaines PME. Il va falloir regarder cette dépendance de plus près. Les capacités d’innovation et de créativité des PME sont aujourd’hui plus nécessaires que jamais, et, paradoxalement, c’est au moment où on en a le plus besoin que ces capacités d’innovation sont les plus fragiles avec le risque que des puissants cherchent à acheter la PME créative pour tuer l’innovation, et, partant, pour tuer même la concurrence. On sait que, dans un certain nombre de grands groupes, le meilleur moyen de gérer la concurrence est encore d’acheter l’entreprise qui peut éventuellement les mettre en concurrence. Sur ce sujet-là, nous devons aussi avoir une autre réflexion.

Quatrième réflexion. Nous entrons dans une société de l’immatériel qui pose le problème de la sous-capitalisation des PME. Quand on démarrait une entreprise dans le passé, il était concevable, avec une mise de départ, d’avoir des déficits de quelques centaines de milliers d’euros les premières années. Aujourd’hui, toute entreprise qui veut acquérir une dimension internationale est obligée de tabler sur des déficits de l’ordre de plusieurs dizaines de millions d’euros sur les cinq années. Et elles ne peuvent pas imaginer de faire ce développement seules : elles dépendent soit de fonds souverains, soit de grandes entreprises, d’investisseurs. Cette dépendance capitalistique pose la question de savoir si notre système juridique est adapté à cette recherche de capitalisation et à cette fragilité des PME par rapport aux dépendances capitalistiques. La France a un vrai problème de relation avec le capital et nous devons nous poser la question de la sous-capitalisation financière et de la dépendance des PME.

Enfin, il y a un sujet qui a été évoqué et qui m’intéresse beaucoup, c’est la problématique de la sous-traitance. Quand les marchés se raréfient, notamment les marchés de caractère public, les grands groupes externalisent toutes les forces d’exécution pour ne garder en leur sein que les dépenses valorisables. Elles remportent des marchés à n’importe quel prix et ensuite elles se font leurs marges sur l’exploitation des sous-traitants, qui n’en peuvent mais, puisque, de toute façon, leur activité dépend étroitement de cela. Nous devons avoir une réflexion adaptée – c’est la problématique de la grande distribution et des petits fournisseurs, c’est la problématique des grandes entreprises de BTP et des sous-traitants. Paradoxalement, un grand groupe fragile mais qui fragilise tous les sous-traitants et tous les chefs de sous-traitance, fragilise toute l’économie. Sommes-nous capables d’élaborer des règles permettant, en s’appuyant sur le juge, d’apporter des équilibres que l’on méconnait trop souvent ? Les sous-traitants se trouvent dans une situation particulière où leur survie passe par le fait qu’ils ont davantage intérêt à survivre qu’à essayer d’avoir raison en allant au tribunal pour mettre en cause le donneur d’ordres qui l’a placé dans cette situation de fragilité. À quoi cela sert-il d’avoir une loi si les contraintes liées à la survie de la victime nous interdisent de l’appliquer ? À quoi cela sert-il d’expliquer que l’on a le droit au juge si, tout compte fait, on n’a pas intérêt à porter sa cause devant lui ou qu’on estime qu’on n’a pas intérêt à le faire ? La question est alors de savoir s’il doit y avoir un tiers qui doit prendre en compte les intérêts des victimes. C’est la

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question des actions de groupe que vous avez évoquée lors de vos débats. Ce sont des sujets compliqués car ils mettent en cause tout le modèle économique et structurel de notre pays. C’est aussi la problématique de la mise en réseau des entreprises afin de pouvoir mieux défendre leurs droits. Or c’est cette approche qui est peut-être contraire à la culture française, qui permettra peut-être de trouver un juste équilibre entre le fort et le faible, équilibre qui, aujourd’hui, se fait essentiellement au détriment du faible. Ceci pose un certain nombre de problèmes, notamment pour les PME. On sent bien que l’on risque d’avoir des campagnes électorales assez faciles marquées par la recherche de l’équité, qui constitue un moteur extrêmement fort sur le plan électoral en France. On devrait donc voir fleurir les plus beaux discours en faveur de la défense des petits, de la défense des PME. Ce sera à celui qui va défendre le bébé entreprise, la petite entreprise, le malheureux entrepreneur. Ce qui n’est pas vrai parce qu’il y a des PME qui sont absolument extraordinaires.

La seule vraie question n’est pas de savoir s’il faut défendre la PME ou la grande entreprise mais celle de savoir quelles sont les règles de base pour garantir une bonne organisation du marché qui favorise la compétitivité nécessaire à notre pays. Je suis très attentif à cela car je crains d’avoir à constater un affaiblissement des PME, non pas parce qu’elles ne seraient pas dynamiques et performantes sur le marché mais, paradoxalement, parce qu’elles sont de formidables acteurs sur le marché, au point d’intéresser les grands groupes qui cherchent à les vampiriser. C’est quelque chose qui devient totalement contradictoire. À la limite quand vous n’êtes pas bon, on vous laisse disparaître, on vous laisse tomber, mais quand vous êtes bon, on vous exploite. On est presque dans un système d’exploitation de la réussite. La relation avec le juge est tout à fait importante. Or, le regard qui l’on porte en France sur la justice est totalement faussé. On a un vrai problème de dimension par rapport au risque. Je suis très frappé par la déstabilisation d’entreprises très performantes – on voit bien ce qui s’est passé sur le steak haché, les concombres, etc., avec la crise liée à la bactérie Escherichia coli. Ce sont là des problèmes énormes. Auprès de qui faut-il demander réparation ? Au niveau européen ou à l’égard des experts, qui, brutalement, mettent au pilori une série d’entreprises qui vivent sur un créneau sur lequel elles sont très performantes ? Cela pose le problème de la parole et de la crédibilité de l’expert. Ainsi, il est très facile d’accuser le juge, mais si le juge n’a pas à sa disposition une expertise crédible, il peut très bien adopter une mauvaise décision sur la base d’une mauvaise expertise. Il y a toute une série de choses sur lesquelles nous devons absolument avoir un regard d’évaluation, d’expertise. Ce n’est pas forcément en changeant les lois qu’on va améliorer le système. C’est sans doute en changeant les comportements. Pour changer les comportements, je crois que la peur de la presse peut être le commencement de la sagesse, par la transparence qu’elle permet sur un certain nombre d’attitudes. Et, à cet égard, le poids des consommateurs risque d’être un élément très intéressant. Il est également un certain nombre de jurisprudences dont il serait bon de faire la publicité parce que la peur du juge peut aussi être le commencement de la sagesse. En outre, la diffusion de cette jurisprudence permettrait, par la connaissance qu’en auront les PME, de pouvoir aménager des règles un peu plus strictes. Le politique, de son côté, devra être moins sensible à certains

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lobbyings et plus sensible à certains équilibres pour l’organisation du marché. Chacun des acteurs a besoin d’être défendu s’il est performant sur le marché.

Votre idée de la diffusion d’un guide de bonnes pratiques à destination des PME me semble intéressante, mais soyez attentifs à ce que les choses ne s’arrêtent pas là. Cela me fait penser au guide du patient dans les hôpitaux. Si on demande aux directeurs d’hôpitaux : « Avez-vous le guide du patient ? », ils vous répondent : « Oui, le guide du patient se trouve ici ». Mais le problème est que le patient a besoin du guide quand il y a un problème. On a beau soulager sa conscience en se disant le guide existe, qu’il est là à disposition, cela ne règle pas le problème. La vrai question est : « Quel est le numéro de téléphone, quel est le lieu où je peux entendre l’expression de mes droits et la façon de les mettre en avant ? ». L’accès à l’information contenue dans le guide me paraît encore plus important.

En ce qui concerne la spécialisation des juridictions, c’est un débat très compliqué. Je suis très favorable à la protection des faibles, et donc pour la protection des PME. J’étais favorable, par exemple, à ce qu’il y ait des tribunaux spécialisés pour les tutelles, pour les personnes vulnérables. En France, on critique facilement la justice. Mais à force de lui confier de multiples tâches sans lui offrir les moyens pour les assumer, on est en train de créer l’illusion de la Justice. Notre République a besoin de repères solides. Si l’on tombe dans l’illusion de la loi ou l’illusion de ceux et celles qui ont autorité pour faire respecter la loi, mais qui n’y parviennent pas parce qu’ils ne disposent pas des moyens suffisants, on risque d’avoir des retours de manivelle assez redoutables. Je suis tout à fait disposé à ce qu’avec la CCIP et le CESE, on puisse, à partir d’un certain nombre de questions, approfondir, au travers de la saisine de sections du CESE, la possibilité d’interpeller le décideur politique pour faire changer les choses. Nous sommes confrontés à un enjeu très clair aujourd’hui. Nous sommes très faibles dans les PME intermédiaires. Nous faisons face à une sous-capitalisation notoire, à une très grande fragilité de nos PME et à une trop grande dépendance des PME par rapport à certains donneurs d’ordres, laquelle dépendance se traduit par l’impossibilité pratique des PME de critiquer leurs donneurs d’ordres parce que c’est d’eux dont dépend leur survie. Il faudra donc que la puissance publique serve la préservation des intérêts des PME.

Merci et bonne continuation.

Didier KLING.– Merci infiniment, Monsieur le président, de ces propos conclusifs. J’ai bien compris qu’il nous reste encore quelques chantiers mais vous savez que nous suivons avec beaucoup d’intérêt les travaux qui sont menés par le Conseil économique, social et environnemental. Je voulais vous remercier toutes et tous d’avoir participé à ce colloque.

Un mot particulier pour Aristide Lévi qui était l’organisateur, comme toujours, de cette manifestation.