les épidémies de suicide: de l'effet werther à l'effet...

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UNIVERSITÉ D'ANGERS Faculté de Médecine Mémoire pour le DIPLÔME INTER-UNIVERSITAIRE « Étude et prise en charge des conduites suicidaires » Les épidémies de suicide: de l'effet Werther à l'effet Internet Directeur de mémoire: Dr. Bénédicte GOHIER, Praticien hospitalier (CHU Angers) Candidat: Rareş Cosmin MEŞU Interne DES de Psychiatrie 2009

Author: phungnga

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  • UNIVERSIT D'ANGERS

    Facult de Mdecine

    Mmoire pour le DIPLME INTER-UNIVERSITAIRE

    tude et prise en charge des conduites suicidaires

    Les pidmies de suicide:

    de l'effet Werther l'effet Internet

    Directeur de mmoire:

    Dr. Bndicte GOHIER, Praticien hospitalier (CHU Angers)

    Candidat: Rare Cosmin MEU

    Interne DES de Psychiatrie

    2009

  • motto: J'ai rassembl avec soin tout ce que j'ai pu recueillir

    de l'histoire du malheureux Werther, et je vous l'offre ici (Goethe, Les souffrances du jeune Werther, mot au lecteur)

  • Travail ddi la mmoire de tous ceux qui ont mis fin leur vie en prenant l'exemple des autres

  • Table de matires

    Introduction 1

    Premire partie Comprendre 2

    1.1. tymologie et historique du problme. 2

    1.2. Existe-t-il vraiment un effet Werther ? 8

    1.3. Le suicide clbre.9

    1.3.1. Gatan Girouard. 9

    1.3.2 Kurt Cobain. 12

    1.3.3. Marilyn Monroe. 14

    1.4. Suicide commun (ou anonyme)16

    1.4.1. l'hpital psychiatrique.16

    1.4.2. Au travail17

    1.4.3. l'adolescence .. 19

    1.4.4. Agrgation familiale...20

    1.5. Suicide facilit 21

    1.6. Autres comportements caractre pidmique23

    1.6.1 Automutilations... 23

    1.6.2. Comportement htroagressif.24

    1.7. L'informatique et Internet.24

    1.8. Un essai de psychopathologie.. 26

    Deuxime partie Agir... 28

    2.1. Mesures de prvention dj inities. 28

    2.2. Mesures spcifiques l'adolescence.29

    Conclusion...30

    Bibliographie slective 32

    Remerciements 38

  • Introduction

    La suggestion et l'imitation font partie des outils d'apprentissage

    indispensables l'tre humain ainsi qu' d'autres espces animales: tre tmoin et

    pouvoir reproduire les actes des autres.

    Elles permettent, parfois sans recourir au langage, d'acqurir des

    habilets ncessaires la survie, elles renforcent le lien au sein d'un groupe ou de

    la socit et participent au bon fonctionnement dans son ensemble. Les

    personnages clbres (rels ou non), en tant que modles de succs et formateurs

    d'opinion sont les plus susceptibles d'tre imits. Nous pouvons soulever la

    question d'une responsabilit de leurs actes qui s'tend au-del de leur propre

    personne. Mais l'imitation peut aussi se montrer dltre, voire meurtrire dans le

    vrai sens du mot, lorsque le comportement imit est le suicide.

    Ce fait, dj observ avec plus ou moins de rigueur depuis les temps

    anciens, a rcemment attir l'attention des scientifiques (sociologues,

    psychologues, psychiatres, pidmiologues, philosophes...) cause de son intrt

    thorique et de la perspective d'une possible prvention efficace. La logique

    simple veut que si une cause identifie (imitation) produit un effet indsirable

    (suicide), on peut envisager l'arrt de l'effet en supprimant la cause.

    Mais on sait aussi que rien n'est simple quand on parle de suicide.

    J'ai abord ce sujet en raison d'une sympathie pour la littrature en

    gnral (malheureux berceau de "l'effet Werther"), d'une curiosit personnelle

    vis--vis des mcanismes psychologiques impliqus et pour mieux dcouvrir

    (toujours par imitation) les moyens de les combattre.

    Le travail qui suit essaie surtout d'approfondir cette problmatique

    multiples facettes, de ses origines les mieux documentes jusqu' ses formes les

    plus rcentes, et d'ouvrir quelques pistes de rflexion pour le futur.

    1

  • Premire partie Comprendre

    1.1. tymologie et historique du problmeEn 1774, parut au foire du livre de Leipzig la premire dition du roman

    Les Souffrances du jeune Werther , uvre qui a sorti de l'anonymat son auteur,

    Johann Wolfgang von Goethe, g de 25 ans seulement au moment de la

    publication.

    Le retentissement du livre a t colossal, de loin suprieur l'impact

    habituel d'un volume crit l'poque. Il s'agit de la premire fois qu'un roman

    dpasse les frontires allemandes et qui tend son influence non seulement dans

    toute l'Europe, mais dans le monde entier.

    Dj rdit plusieurs fois jusqu'en 1775, il fut pour la premire fois

    traduit et publi l'anne suivante (1776) en France o il a sign le dbut du

    Romantisme et a influenc de nombreux artistes comme Lamartine, Mme de

    Stal, Alfred de Musset ou Victor Hugo.

    Le roman est crit sous une forme pistolaire et particulirement

    susceptible d'influencer le public, fait accentu par le mot au lecteur:

    J'ai rassembl avec soin tout ce que j'ai pu recueillir de l'histoire du malheureux

    Werther, et je vous l'offre ici. Je sais que vous m'en remercierez. Vous ne pouvez refuser votre

    admiration, votre amour son esprit et son caractre, ni vos larmes son sort.

    Et toi, bonne me qui ressens la mme aspiration que lui, puise de la consolation

    dans ses douleurs et fais de ce petit livre un ami, si par le destin ou par ta propre faute tu n'en

    peux trouver de plus proche.

    Cette note contient plusieurs lments rendant le texte encore plus

    sensible, encore plus personnel: le lecteur est adress la deuxime personne du

    singulier comme dans une confession ou une confidence, l'accent est mis sur le

    caractre vridique du rcit et l'auteur impose ("vous ne pouvez refuser") un

    regard positif, voire glorifiant du personnage en employant de mots comme

    "remercier", "admiration", "amour", "esprit" et "caractre", "bonne me",

    2

  • "aspiration", "ami". Les prmisses de l'identification Werther sont dj l, et le

    mode d'expression est charg d'induire une empathie avec beaucoup de valeur

    artistique.

    Une tude amricaine montre que le langage est un potentiel indicateur

    suicidaire dans le cas des potes [27]. Dans les textes manant des futurs suicids,

    les mots utiliss tmoigneraient d'une individualisation et d'une proccupation

    pour soi-mme, au dpit d'une vue intgrant l'auteur dans la socit ou au sein

    d'un groupe (usage des pronoms au pluriel, des mots suggrant la communication

    comme "parler", "partager", etc.). Si la thorie est vraie, on peut imaginer

    galement la rciproque, c'est--dire qu'un texte s'adressant l'individu et non pas

    la collectivit entire sera plus "comprhensible" et plus proche de l'tat d'me

    associ avec la crise suicidaire, comme si le lecteur se sentait mieux compris et

    plus apte comprendre le message crit.

    La vie de Goethe pourrait expliquer aussi une partie de cette charge

    motionnelle, car l'histoire de Werther est d'inspiration autobiographique.

    L'auteur avait lui-mme vcu en 1772 un chagrin d'amour avec une jeune femme

    de 19 ans, Charlotte Buff, son prnom tant repris l'identique dans le roman.

    Werther, lui, ressemble remarquablement au jeune crivain (ils ont le mme ge

    au moment de la publication, le mme anniversaire 28 aot) mais aussi un ami

    proche de Goethe, Karl Wilhelm Jerusalem, qui s'est en effet suicid suite une

    histoire sentimentale.

    Bien sr, en 1774 les recommandations de l'OMS concernant la

    description des suicides dans les mdias n'existaient pas, mais d'un point de vue

    purement exprimental il est possible de les appliquer aux "Souffrances du jeune

    Werther". Cela montre que plusieurs principes aujourd'hui reconnus pour la

    prvention du suicide n'ont pas t respects:

    la mort du personnage n'est pas prsente comme "sensationnelle",

    mais en tant que hros romantique Werther est un modle exceptionnel;

    le vcu et le parcours du jeune suicid, partir de son amour naissant

    3

  • jusqu'au passage l'acte, semblent lgitimes ou "normaux"; il n'y a pas de signe

    identifiable par le lecteur comme une pathologie mentale (ou "folie") mme si le

    spcialiste peut retrouver les symptmes d'une dpression;

    les dtails du suicide (prparation, contenu de la lettre d'adieu, moyen

    utilis, consquences immdiates) sont raconts avec soin;

    le livre ne propose aucune autre alternative au jeune Werther, ainsi

    donnant l'impression que la seule "solution", invitable, a t choisie.

    Aprs le succs artistique initial une autre clbrit, funeste cette fois, a

    t associe au livre. Plusieurs cas de suicide rappelant le modus operandi de

    Werther ont t remarqus: jeunes hommes vtus du mme costume bleu avec

    veste dore, utilisant une arme feu. Dans d'autres situations, l'attention fut attire

    par le fait que le livre avait t trouv sur le lieu du dcs cot des victimes, ou

    bien encore le cas d'une jeune femme, Christine von Laberg, qui en 1778 s'est

    noy Weimar tranant dans sa poche une copie de "Werther", juste derrire la

    maison de Goethe.

    Ce processus d'imitation dans un but autodestructeur fait partie d'un

    autre, appel dj l'poque "Wertherfieber" (la "fivre" Werther), qui consistait

    reproduire le comportement du personnage au sens large: comme lui, on lit

    Homre, on adopte sa faon de parler et de s'habiller, on se promne dans la fort,

    on utilise des tasses "style Werther".

    Trs tt aprs les premiers suicides mis en lien avec le livre, les

    premires ractions ont t de limiter la diffusion de l'ouvrage. Ds 1775 le

    Conseil de la ville de Leipzig avec l'appui de la Facult de Thologie interdit sa

    circulation, dcision qui reste en vigueur pendant cinquante ans. Une interdiction

    similaire frappe l'Italie et au Danemark un dbat national se lance au mme sujet.

    Dans ces mesures on identifie les premires tentatives de prvention primaire.

    Le livre marque aussi un tournant dans la conscience collective face au

    suicide, geste qui jusque l tait explicable par une faillite ou autre souci financier

    majeur, mais tout fait condamnable et inacceptable pour d'autres raisons.

    4

  • L'glise jouait un rle important dans la prservation de cette ide, et Goethe le

    souligne aussi en choisissant un enterrement laque: Il mourut midi. [...] Il fut enterr de nuit, vers les onze heures, dans l'endroit

    qu'il s'tait choisi. [...] Des artisans le portrent. Aucun ecclsiastique ne l'accompagna.

    Aprs Werther, le suicide gagne une certaine lgitimit. Se suicider

    par chagrin d'amour ou par dsillusion philosophique est un choix possible et non

    plus un sujet tabou. Penser la mort et se donner la mort devient dsormais

    l'apanage de l'esprit romantique.

    Plus d'un sicle plus tard, le premier qui parle de "imitation" et qui a

    essay de faire une synthse du phnomne tait Durkheim. Il conclut que l'effet

    de la mdiatisation d'un suicide particulier se limitait la prcipitation du passage

    l'acte chez des sujets qui, statistiquement, l'aurait invitablement fait plus tard.

    Des nouveaux cas ne seraient pas ajouts. Selon son avis, seulement la

    distribution dans le temps serait influence et il n'y aurait pas d'augmentation au

    long terme du nombre de vies perdues.

    Durkheim parle aussi d'une thorie selon laquelle le suicide serait un

    "mal ncessaire" pour la socit. Le rle des suicids et suicidants serait

    d'exprimer le pessimisme dans la forme la plus radicale (renoncer la vie qui rend

    mcontent), fait qui assure la prennit de cette forme de pense pour quilibrer la

    balance de la conscience collective. Cette thorie expliquerait pourquoi le taux de

    suicide ne peut pas baisser sous un certain seuil et ce taux "irrductible" serait

    normal pour une socit saine.

    Gabriel Tarde, sociologue et statisticien judiciaire l'poque, publie

    "Contre Durkheim propos de son Suicide" la mme anne que l'ouvrage de son

    adversaire idologique. Avec cette tude, ainsi que dans des articles ultrieurs, il

    affirme que, au contraire, il n'y a aucun lien entre le modle d'un suicide et des cas

    observs. Les arguments qu'il apporte ne suffiront pas pour renverser ceux de

    Durkheim, et c'est la pense de ce dernier qui va prvaloir pour les prochaines

    dcennies.

    5

  • Les investigations menes au XIXme sicle peuvent tre critiques car

    la fiabilit des donnes recueillies peut tre moindre que de nos jours. Une

    comparaison est nanmoins possible. Selon les chiffres vhiculs l'poque, le

    gradient nord-sud n'existait pas et le taux de suicide tait au moins comparable

    celui d'aujourd'hui. Selon les cartes de Durkheim, l'incidence la plus importante

    tait concentre dans la capitale et les rgions avoisinantes. Par exemple, en 1827

    on avait calcul une incidence de presque 50 pour 100.000 habitants dans la ville

    de Paris et le dpartement de Seine-et-Oise (Tarde, 1897). Dans la priode

    moderne, le taux dpartemental le plus lev est de 44,7 (Ctes d'Armor, 1987).

    Dans l'hypothse d'une moyenne plus leve, toute augmentation

    ponctuelle due un effet d'imitation risque d'tre plus discrte, et le rapport

    suivant serait rapproch de zro:

    Cet aspect peut expliquer pourquoi on aurait eu des difficults

    dpister un impact important du processus d'imitation avec des donnes plus

    anciennes.

    "L'effet Werther" est dfini aujourd'hui comme un phnomne de

    contagion interhumaine (pidmie) par suggestion et imitation d'un comportement

    suicidaire partir de un (ou quelques) cas initial (initiaux) mdiatiss.

    En 1974, David Phillips a baptis d'aprs le personnage de Goethe cet

    effet dont il a tent de vrifier l'existence ou l'absence. Il a appliqu une mthode

    de comparaison du nombre de suicides dans le mois aprs des suicides clbres

    avec un "tmoin" (mme priode dans l'anne prcdente et/ou suivante). Pour

    qu'un suicide puisse tre considr comme significatif, le critre-seuil choisi a t

    la parution d'articles le concernant sur la premire page des journaux de grand

    tirage (par exemple, New York Times).

    Outre la croissance absolue observe des cas de suicide, l'auteur apporte

    aussi des arguments indirects en sa faveur:

    6

    Nombre de suicides en excs du l ' effetWertherNombre total de suicides obervs

  • la chronologie des faits montre que les suicides en surnombre se

    trouvent strictement aprs le dcs mdiatis; l'aide de cette preuve, l'auteur

    carte une autre cause possible de l'effet Werther: la prexistence de conditions

    sociales aboutissant aussi bien au suicide clbre qu'au suicide des concitoyens

    inconnus, sans lien direct entre eux;

    il semble exister un lien de proportionnalit ou un continuum entre le

    degr de clbrit de la personne, la "publicit" faite au suicide et l'ampleur

    observe de l'effet;

    si le nombre total de suicides ne serait pas touch par l'effet Werther

    (hypothse de Durkheim), l'accumulation des gestes suicidaires prcipites par la

    suggestion devrait tre suivie d'une priode de baisse pour prserver un taux

    moyen stable; or cette "valle" suivant le "pic" initial n'a pas t dpiste.

    Une autre thorie, trs intressante du point de vue thorique, est celle

    de la classification de la cause du dcs. Selon elle, les suicides en excs constats

    aprs un cas de rfrence pourraient s'expliquer par un biais involontaire

    d'interprtation. Le diagnostic de suicide comme cause de dcs est tabli par le

    mdecin qui le constate. Mais le fait d'avoir appris dans les journaux la noyade de

    Virginia Woolf (par exemple), peut favoriser la classification des noyades

    accidentelles comme suicides.

    Dans cette optique, l'effet Werther ne s'exerce pas dans la conscience

    des victimes, mais des mdecins, et l'augmentation du taux serait artificielle.

    Simultanment, le nombre de dcs par autres causes devrait baisser (quelques

    cas tant "reclasss" comme suicides).

    Le phnomne n'est pas sans prcdent. Un effet apparent "de halo" est

    familier aux jeunes tudiants en mdecine qui auront tendance diagnostiquer

    avec plus de facilit les maladies qu'ils viennent d'apprendre rcemment, voire

    s'auto-diagnostiquer au fur mesure qu'ils gagnent d'exprience clinique mais tant

    qu'ils n'ont pas suffisamment d'objectivit.

    7

  • 1.2. Existe-t-il vraiment un effet Werther ?Malgr le raisonnement et les donnes statistiques minutieuses des

    critiques ont t apportes l'tude de Phillips, notamment en matire de

    mthodologie.

    En effet, plusieurs constatations ne sont pas concordantes avec

    l'existence de l'effet. titre d'exemple, une grve des journalistes devrait

    influencer ngativement le taux du suicide, car elle limiterait la "publicit" du

    suicide auprs du large public. Pourtant, cette hypothse se montre invalide aprs

    observation de tels mouvements sociaux dans la ville de Detroit (JA Motto,

    1970). Ensuite, dans certains cas de personnes publiques dcdes le nombre de

    suicide diminue au lieu d'augmenter selon les prdictions (cas de Brooks, Lang,

    Soule, Norman, dans [19], tableau 1). La mdiatisation peut-elle donc avoir un

    effet protecteur?

    L'tude de quelques sries tlvises qui taient susceptibles de

    suggrer un passage l'acte a donn des rsultats contradictoires. Aprs un

    pisode qui montrait une intoxication par paractamol, Hawton et al. avaient

    dpist une consquence significative dans les deux semaines suivantes sur le

    nombre d'intoxications mdicamenteuses volontaires (major de 9 17 %). Le

    paractamol a t la molcule de choix deux fois plus souvent parmi ceux qui

    avaient regard le programme tlvis [11]. En 1987, Platt n'a pas trouv de

    diffrence globale entre la priode exprimentale et le tmoin [20]. En plus, pour

    ce dernier, dans un groupe plus spcifique o un effet a pu exister, il tait

    paradoxalement moins vident dans les rgions forte audience du programme

    diffus.

    Toutes ces contradictions mettent en vidence qu'il est difficile

    d'envisager la mise en route d'une tude ayant comme seule variable la

    suggestion. Comme nous le savons, le suicide est un phnomne faible

    prvalence. Il est d'autant plus difficile de faire une slection rigoureuse qui prend

    en compte l'objectivit de l'information, son taux de diffusion, le profil du public,

    8

  • la personnalit et le degr de clbrit du cas-index, l'accessibilit du moyen, sa

    ltalit, les rfrences des victimes aux articles ou reportages...

    1.3. Le suicide clbreLes personnes clbres suscitent la curiosit du grand public et les

    informations les concernant font partie habituellement du paysage mdiatique

    contemporain. Une partie de consommateurs des mdias ont tendance emprunter

    des lments de l'image de leurs idoles, imiter leur faon de s'habiller, de parler,

    de se comporter. Il s'agit l d'un aspect bien connu de la psychologie humaine,

    qu'on peut vrifier facilement: prenons le cas de la publicit qui vise vendre un

    produit en lui associant l'image d'une acteur ou d'un sportif de succs.

    Ce processus plus ou moins conscient et volontaire, qui est en gnral

    accept et qualifi de normal, peut se montrer trs dangereux si le comportement

    pris en tant que modle est celui d'un suicide, comme on faisait autrefois durant la

    Wertherfieber.

    1.3.1. Gatan Girouard

    Le 14 janvier 1999 Gatan Girouard, un journaliste qubcois de

    presque 34 ans, se donne la mort par pendaison. Une longue lettre d'adieu est

    trouve son ct. Il tait mari et avait deux filles.

    Son image publique tait celle d'un citoyen engag dans la dfense des

    plus dmunis, un professionnel avec une trs bonne thique qui luttait lui-mme

    contre le suicide, moralement intgre et en gnral une personne heureuse qui

    avait toutes les raisons de vivre.

    La vrit tait en quelque sort diffrente. Le journaliste souffrait d'une

    surcharge au travail, des attentes trs hautes que son succs lui demandait et il

    avait dvelopp une dpression quelque temps avant son geste. Son pre a dclar

    avoir senti un changement dans son comportement quelques jours avant. Vu sous

    cet angle-l, le passage l'acte semble moins paradoxal.

    9

  • Dans la presse, c'tait surtout le l'image publique de Gatan Girouard

    qui s'tait suicide. Presque une centaine d'articles (98) ont comment

    l'vnement dans la presse rgionale, dont un tiers dans les deux jours suivant les

    faits. La tendance tait de prserver l'image d'un hros, la fois pour rcompenser

    titre posthume ses mrites et pour accentuer le contraste entre son style apparent

    de vie et son choix de mort.

    La tragdie a t prsente la plupart des fois sans respecter les

    consignes habituelles adaptes au sujet. Elle tait accompagne par une

    iconographie suggestive dans un quart des articles, racontant en dtail le moyen

    employ (14 articles) et le droulement. L'motion de ceux impliqus s'appuyait

    sur les mots des proches, de la famille, des collgues et des lecteurs, dont les

    extraits montraient une image positive ou acceptable de son suicide 15

    occasions.

    Six ans plus tard, Tousignant et ses collaborateurs ont analys l'impact

    que ce suicide et sa mdiatisation ont eu dans le Qubec et ont montr qu'il y a

    bien eu un "effet Gatan Girouard".

    Utilisant une mthode similaire celle de Phillips (1974), une

    augmentation de 50 cas de suicide a t observe pour la priode janvier-fvrier

    1999, par rapport au mme intervalle des annes 1998 et 2000 (majoration de

    presque 50 %). Au del d'un mois aprs l'incident initial, l'influence tait plus

    difficile mettre en vidence. Il s'est probablement manifest avec une moindre

    intensit, comme le tmoigne le nombre annuel de suicids (195 cas et 14,2 % de

    plus qu'en 1998) et le "virage" des chiffres concernant le moyen utilis, au profit

    de la pendaison (3% de plus) face aux autres moyens confondus (3 % de moins).

    Notamment dans la municipalit de Sainte-Foy, o le journaliste s'est

    donn la mort, la distribution chronologique des suicides par pendaison

    tmoignait d'un pic dans les 38 jours aprs le 14 janvier 1999. La concentration

    (clustering) tait prs de dix fois suprieure la moyenne sur les trois ans (1998-

    2000) exceptant cette mme priode de 38 jours.

    10

  • remarquer aussi qu'au sein du ce malheureux groupe la ceinture (un

    moyen assez inhabituel dans le pass de la rgion) a t employe par une

    proportion significative. C'tait le mme modus operandi pour le cas-index.

    Comme dans le cas de "Werther", d'autres indices ont pu montrer le lien

    direct avec le modle initial. Dans les suites immdiates, pour 10 dcds on a

    trouv leur ct soit des dcoupages d'articles concernant M. Girouard, soit des

    photos ou des rfrences directes son nom dans les lettres d'adieu. Pour d'autres,

    l'entourage a pu reconnatre qu'ils avaient parl du journaliste, souvent avec

    empathie son gard, ou qu'ils avaient suivi avec beaucoup d'intrt les

    informations lies sa mort.

    Les auteurs avaient aussi tudi l'activit des centres tlphoniques de

    prvention du suicide comme mesure de l'impact dans la population. Dans les

    quatre premiers jours (priode concidant l'inondation d'information dans la

    presse), les appels ont t presque trois fois plus nombreux et les chiffres sont

    rests augments encore les jours suivants (15 % de plus au mois de mars 1999).

    Examine avec un il critique, cette augmentation peut avoir plusieurs

    causes:

    majoration globale des tendances suicidaires suite la faon de

    prsenter les faits dans les mdias ("effet Werther" proprement dit);

    plus grande susceptibilit des tiers alerter les secours devant une

    situation qui aurait t interprte comme moins inquitante un autre moment

    (l'lvation des pourcentages concernait plutt les appels de l'entourage que les

    appels "primaires", c'est--dire manant directement des personnes en dtresse);

    diffusion plus importante des coordonnes des centres d'appel, suite

    leur publication accompagnant les articles ou les reportages.

    Probablement elles sont intriques et une seule ne peut pas justifier

    entirement le phnomne. Par exemple, la courbe du nombre d'appels (leve

    pendant environ deux mois) n'est pas parallle la diffusion des numros de

    tlphone (limite quelques jours seulement).

    11

  • Selon une des thories expliquant la contagion, la mdiatisation d'un

    cas s'ajoute une vulnrabilit prexistante pour aboutir au geste ltal. Cette

    thorie a trouv plusieurs arguments en sa faveur dans l'tude qubcoise.

    Par dfinition, la mdiatisation s'adresse la population entire, et

    toutes les catgories semblent avoir reu l'empreinte psychologique de la tragdie.

    Mais une partie seulement est passe l'acte.

    Le portrait d'un homme idalis qui malgr ses bonnes capacits

    psychiques apparentes finit par "choisir de prendre sa vie" a pu bouleverser

    l'quilibre fragile des personnes dj en dtresse et ayant les facteurs de risque

    habituels: trouble psychiatrique, antcdents de tentative, perte rcente ou

    sparation, difficult sociale ou isolement. Le stress supplmentaire a induit un

    sentiment d'impuissance et dsespoir, ainsi qu'aggraver les symptmes dpressifs

    dj patents.

    Cette consquence dltre s'est manifeste dans un sens rtrograde,

    c'est--dire pour les personnes qui avaient un trouble prexistant, ainsi que

    antrograde (ou "sleeper effect"), c'est--dire des personnes qui sont restes sous

    l'influence des vnements de janvier, mais qui sont passes l'acte plus tard,

    suite des vnements de vie ou des troubles apparus ultrieurement.

    Conscientes du potentiel nfaste, les autorits ont demand

    expressment aux mdias de ne plus adresser le sujet, sans effet notable sur les

    diteurs.

    1.3.2. Kurt Cobain

    Le corps de Kurt Cobain, chanteur du groupe rock Nirvana et g de 27

    ans sa mort, a t trouv par un employ le matin du 8 avril 1994 son domicile

    de Seattle, mais la date exacte du dcs reste toujours un sujet de dbat. Le

    rapport officiel a conclu un suicide par arme feu survenu le 5 avril. Un seul

    projectile tir au niveau cphalique l'aide de son fusil aurait entran la mort et

    une lettre a t trouve proximit.

    12

  • L'hypothse d'un meurtre a t adopte par quelques-uns, qui ont essay

    d'argumenter que la lettre exprimait son mal-tre et sa souffrance, mais n'tait pas

    le manifeste d'un suicidant.

    Pourtant il avait dj subi une intoxication mdicamenteuse volontaire

    un mois plus tt, en associant une surdose de flunitrazepam avec du champagne

    dans sa chambre d'htel Rome. ce moment-l, sa partenaire (Courtney Love)

    a alert les secours et a interprt son geste comme suicidaire, mme s'il n'y avait

    pas de consensus dans son entourage. Le mdecin ayant soign Cobain (Dr.

    Galetta) a infirm l'hypothse d'une tentative de suicide.

    Il reste dans le coma presque vingt-quatre heures et il sort de l'hpital

    au 5me jour. Suite cet incident et au comportement autodestructeur qui a

    continu aprs, ses amis et sa femme l'ont convaincu de s'inscrire une cure de

    dsintoxication en Californie. Il est admis dans l'tablissement fin mars, mais il

    fugue le lendemain et il rentre Seattle, o il s'isole au cours de prochains jours

    avant de mettre fin sa vie.

    Dans ses antcdents, le star rock comptait un lourd pass d'addiction

    jamais soign et un trouble d'hyperactivit avec dficit de l'attention dans son

    enfance, pour lequel il avait reu du mthylphnidate (Ritaline). Ses parents

    avaient divorc quand il avait peine huit ans.

    La presse rpond en publiant des messages qui dcrivent la vie et les

    derniers jours de l'artiste. L'accent a t mis plutt sur sa carrire et l'inutilit de

    son passage l'acte, que sur l'aspect dramatique et motionnel.

    cause de sa clbrit, ce matriel deviendra une source d'inquitude,

    car il risque d'amorcer des suicides par imitation, surtout parmi les nombreux fans

    du groupe Nirvana. En anticipant ce phnomne, la communaut avait dclench

    plusieurs interventions visant le combattre: la mise en place d'un centre de crise

    et redirection des appels d'urgence vers celui-ci ou d'autres centres nationaux;

    l'organisation d'une messe publique qui a rassembl quelques milliers de

    sympathisants et sa veuve, etc.

    13

  • Comme pour les statistiques dans le cas de Gatan Girouard, le nombre

    de suicides accomplis et la sollicitation des centres de crise ont t recenss

    distance de la priode initiale. L'tude a de nouveau mis en vidence la rceptivit

    de la population face une histoire tragique.

    Les lignes tlphoniques d'aide psychologique ont montre leur utilit et

    leur qualit de tmoins de dtresse mais il n'y a pas eu des preuves suffisantes

    pour conclure l'apparition d'un "effet Werther" cette occasion. Un cas seulement

    a pu tre mis en lien direct. Il s'agit d'un jeune homme au profil proche du

    chanteur, qui avait 28 ans et antcdents de dpression et addiction aux

    substances psychoactives. Son pre s'tait suicid galement l'aide d'un fusil.

    En plus, un grand nombre des appels enregistrs n'taient que des

    demandes d'informations et non pas de vraies demandes d'intervention pour crise

    suicidaire.

    Plusieurs hypothses ont t avances pour expliquer l'absence d'une

    morbidit par imitation:

    la qualit plus approprie de la mdiatisation;

    l'efficacit des autres mesures de prvention dployes pour rpondre

    aux consquences prvisibles;

    le moyen utilis, assez peu habituel et moins accessible;

    l'image publique dj dtriore de la victime cause de son style de

    vie et des nombreux abus;

    cela nous pourrions ajouter aussi la suspicion de meurtre. Pour tous

    ceux qui y ont adhr, cette ide a logiquement eu l'effet d'inhiber une tendance

    suicidaire par imitation, puisque dans leur conscience il n'y avait pas le modle

    d'un suicide suivre.

    1.3.3. Marilyn Monroe

    L'actrice avait 36 ans lorsqu'elle meurt le 5 aot 1962 Los Angeles.

    Comme dans le cas dj cit de Kurt Cobain ou le dcs d'autres figures

    14

  • publiques, par exemple celui plus rcent de Michael Jackson, beaucoup de

    donnes restent encore incertaines ce jour. L'hypothse officielle et reconnue au

    moment des faits (et donc qui a eu le plus d'influence sur le grand public) est celle

    d'un suicide par ingestion volontaire de barbituriques. Elle avait dj fait quatre

    autres tentatives de suicide par des moyens similaires.

    Il s'agit l encore de la mort brutale d'une personnalit qui tait l'acm

    de sa carrire grce ses apparitions de grand succs, vnement trait

    copieusement dans les journaux pendant longtemps. Dans son tude rtrospective

    de 1974, Phillips avait document l'apparition des rfrences Marilyn Monroe

    sur la premire page du New York Daily News pour un nombre record de quatre

    jours de suite.

    Des informations dtailles concernant l'impact de ce suicide sont

    moins performantes que dans les deux cas prcdemment cits, moins d'articles y

    tant ddies. Pourtant l'auteur a russi pointer la croissance vidente du nombre

    de suicides par rapport celui attendu: presque deux cents (197,5) et 12 % de

    plus. Plusieurs avait laiss des messages qui tmoignaient explicitement une

    imitation [1].

    Ces chiffres font rfrence au pays entier (tats-Unis), mais les rsultats

    inquitants ne se sont pas limits aux frontires. En Angleterre, territoire ou

    l'histoire de la jeune diva amricaine parut aussi dans les journaux, on a observ

    une augmentation de 9,83 % des suicides annuels. Il est difficile de mettre en

    relation directe de cause-effet ces vnements. Il est toutefois notable que la

    probabilit de l'association des deux due au hasard n'est que 2,5 %, et qu'un

    phnomne similaire n'a pas pu tre tabli pour d'autres suicides clbres aux

    tats-Unis, mais non mdiatiss en Angleterre.

    Cet "effet Werther" secondaire au suicide de Marilyn Monroe semble le

    plus significatif parmi tous ceux dpists jusqu' maintenant, peut-tre cause de

    l'immense popularit de l'actrice et de l'accessibilit du moyen utilis.

    15

  • 1.4. Suicide commun (ou anonyme)L'effet Werther amorc par un dcs clbre est inquitant surtout par

    son ampleur et le nombre lev de potentielles victimes. Il en existe un quivalent

    moindre chelle pour des petites communauts au sein desquelles un suicide

    (mme en absence d'une notorit quelconque) peut dclencher un mcanisme de

    mimtisme parmi les autres membres.

    On parlait dans l'antiquit des "vierges de Mlitus". Dans cette ville

    ionienne plusieurs jeunes filles se suicidrent par pendaison. La vague s'est

    arrte seulement grce une loi bien prcise: le cadavre de la suicide serait

    port au cimetire dshabill et avec la corde toujours attache au cou.

    Des exemples existent encore l'poque contemporaine, que nous

    avons choisi de regrouper dans quelques catgories prcises.

    1.4.1. l'hpital psychiatrique

    Le taux de suicide en milieu hospitalier psychiatrique est d'environ dix

    fois suprieur la population gnrale. Cela s'explique par la forte comorbidit

    entre le suicide et les maladies mentales, ainsi que par la gravit moyenne des

    troubles chez les patients hospitaliss. Cette dernire a t en croissance depuis

    l'ouverture vers l'extrieur et le dveloppement des structures ambulatoires, qui

    font que seulement les cas les plus lourds (et donc les plus risque) sont admis

    temps plein.

    Heureusement, la contagion n'est que occasionnelle (Taiminen et

    Helenius, 1994; Zemishlany et al, 1987; Small et Rosenbaum, 1984). Nous

    dtaillerons l'exprience d'un hpital finlandais (Turku) [29].

    En 1985, huit suicides avaient t recenss sur une priode de presque

    trois mois. Six d'entre eux ont t regroups cause des liens existants entre les

    patients et dans quatre cas le moyen utilis tait identique (dfenestration).

    Compte tenu de la fragilit prexistante des patients, qui souffraient des maladies

    psychiatriques graves (dpression, psychose, alcoolisme), l'impact de chaque

    16

  • suicide tait suffisamment important pour aggraver leur tat.

    Chaque patient avaient des rencontres frquentes avec les autres grce

    un club qui promouvait la vie sociale et o les informations concernant les

    suicids ont certainement circul. En plus, des rapports d'amiti proche taient

    dcelables pour quatre pairs, tout suicidant confondu.

    Le premier passage l'acte (saut d'un balcon) a eu lieu devant le

    personnel et d'autres patients. Une des futures victimes tait aussi tmoin de la

    scne, fait qui a ajout un stress aigu.

    En analysant chaque cas et les liens les unissant, les auteurs ont conclu

    une accumulation progressive des informations et de la suggestibilit dans le

    cercle restreint de l'hpital, qui expliquait la chronologie des faits.

    1.4.2. Au travail

    Dans le livre publi par la Fdration Franaise de Psychiatrie suite sa

    confrence de consensus de 2000, Pr. Soubrier a contribu avec un article qui

    dcrit une micro-pidmie de suicides survenue en 1982 [36]. Il s'agit de quatre

    cas au sein d'une mme entreprise, toutes tant des femmes assez jeunes et qui

    avaient utilis comme moyen la dfenestration (deux cas), l'intoxication

    mdicamenteuse (un cas) et l'intoxication par cyanure. Les trois premiers gestes

    ont eu lieu dans l'intervalle d'un mois, et le dernier quelques semaines plus tard.

    Le contexte tait celui de difficults au travail dans tous les cas et une

    croissance du rythme de production venait d'tre prcdemment impose.

    Nanmoins, la notion de contagion est voquer, mme dans l'absence d'un cho

    mdiatique important, car les premiers trois concernaient des employes du mme

    secteur (chane de conditionnement). Le processus de suggestion avait

    certainement jou un rle (difficile quantifier), mais il semble peu probable qu'il

    soit le seul facteur prcipitant.

    C'est seulement aprs les quatre suicides et devant le mutisme

    qu'affichait l'administration leurs gards, que des mouvements de protestation et

    17

  • de mdiatisation ont fait surface. Par la suite, des indicateurs d'alerte et des

    dfauts de prvention et avait t dvoils:

    augmentation de l'absentisme au travail prcdant l'pidmie (qui

    atteignait 30 50 % dans certains secteurs de l'entreprise et qui ne

    faisait qu'aggraver les conditions pour ceux encore en fonction);

    soutien social et mdical insuffisant (nombre de consultations et

    disponibilit par rapport au nombre d'employs);

    raction minimisante de la part de l'entreprise;

    De nos jours une autre entreprise, France Telecom, est le centre

    d'attention, un sujet de dbat social et conomique tant lanc suite une vague

    de passage l'acte suicidaire. Au moins une partie des suicidants ont fait

    rfrence directe au conditions de travail prcaires (mutations, pression

    hirarchique, horaires...) et, au total, les chiffres officielles indiquent 24 cas de

    suicide abouti sur une priode de 18 mois.

    Aprs restructuration, environ cent mille salaris sont encore employs

    dans le pays et pour cet effectif un calcul simple ramne le taux moyen 16 par

    anne. cause du temps de latence dans la centralisation des donnes, le taux

    moyen national pour la mme priode ne sera disponible que dans un deux ans,

    et le chiffre le plus rcent (de 2006 17,1 pour 100.000 habitants) y reste

    suprieur.

    Plus qu'une simple dgradation de la qualit de vie du personnel, ces

    vnements ont bnfici aussi d'une couverture mdiatique, probablement utile

    pour la prise de conscience des dirigeants et pour faire changer les conditions

    pralables. La plupart des articles ont mis l'accent sur les dfauts de management

    et sur les situations pnibles des employs, mais ce stade on ignore combien des

    suicides aurait eu lieu en l'absence de toute mdiatisation et donc de toute risque

    de suggestion par ce moyen.

    Il s'agit d'un sujet qui mriterait une tude future plus approfondie.

    18

  • 1.4.3. l'adolescence

    La recherche identitaire, les changements de statut social, les angoisses

    et les conflits, la recherche d'exprimentations, coupls un dficit de

    conceptualisation amnent plus facilement le jeune agir qu' raisonner. Il suit un

    modle extrieur immdiat plutt que formuler des comportements issus d'une

    rflexion personnelle. Plusieurs types de conduite sont touchs et l'autolyse ne fait

    pas exception. De plus, les conduites addictives (facteur de risque) est aussi plus

    frquent.

    L'apparition de plusieurs suicides au sein d'un mme groupe est un

    phnomne qui touche avec prdilection des victimes jeunes, puisque des

    situations de ce genre sont retrouvs deux quatre fois plus souvent l'ge de

    l'adolescence (Gould et al 1990, Pelkonen et Marttunen, 2003).

    La suggestibilit et les phnomnes d'imitation sont des facteurs qui

    peuvent participer la formation de clusters (groupements), mais ils ne sont pas

    indispensables. Il convient de faire la diffrence entre deux catgories de

    groupements [13]:

    a) statistiques, dfinies seulement par le nombre de cas et la

    concentration gographique et/ou temporelle; soit il n'y a pas de ressemblances

    entre les cas selon les critres habituelles d'imitation, soit elles sont purement

    dues au hasard;

    b) par contagion, lorsqu'il y a communication pralable (par quel

    moyen que se soit) entre au moins trois cas et qu'il s'agit d'un change de

    convictions qui prcipite le passage l'acte pour les victimes suivantes.

    Le simple contact entre deux ou plusieurs personnes qui ont des ides

    suicidaires va induire une amplification et une aggravation pour tous ceux

    impliqus, par un mcanisme assimilable la rsonance. Un suicide abouti sera

    d'autant plus catastrophique, car devant le stress secondaire au deuil, les

    survivants manquent souvent de capacits pour y faire face.

    L'entourage cet ge est form, en dehors de la famille, pour la plupart

    19

  • de personnes avec le mme profil que la victime. Une des thories qui ont t

    avances pour carter l'hypothse de la suggestion dans les pidmies de suicide

    tait que les personnes suicidaires ont tendance choisir des amis suicidaires.

    Donc ce ne serait pas l'imitation, mais cette prdisposition antrieure qui

    produirait l'accumulation des cas d'autolyse.

    Une constatation analogue est possible dans les cas familiaux.

    1.4.4. Agrgation familiale

    Il est bien connu que parmi les facteurs de risque de suicide (abouti ou

    tentative) se trouvent les antcdents familiaux de suicide.

    Un fait bien tabli est le lien avec la gntique familiale, des tudes

    d'adoption et de jumeaux mettant en vidence une prdisposition inn pour

    l'idation suicidaire et pour les passages l'acte graves (Roy et al 1995, 2001;

    Statham et al 1998).

    Plusieurs gnes ont t incrimins, principalement ceux qui rgularisent

    les rcepteurs des neurotransmetteurs et les enzymes impliques dans leur

    synthse (par exemple: dopamine, srotonine, TPH, MAO) [22]. Mais ct des

    aspects neurobiologiques l'effet de l'imitation ne peut pas tre nglig.

    Margaux Hemingway, actrice amricaine et petite-fille de l'crivain

    mythique qui fut Ernest Hemingway, dcde le 1er juillet 1996 suite une

    intoxication volontaire par phnobarbital. Il s'agit du cinquime suicide sur quatre

    gnrations dans cette famille. Son grand-pre s'est donn la mort le 2 juillet,

    trente-cinq annes plus tt un jour prs. Concidence?

    C'est dans ce genre de contexte que la notion de "modle familial" est

    fortement souponn de jouer un rle important, soit dans le passage l'acte

    proprement dit, soit dans le choix du moment, du lieu, ou de la mthode. En effet,

    pour pouvoir parler d'imitation (ajoute ou non un trait gntique) il faut qu'au

    moins un point commun soit retrouv avec le ou les suicide(s) pass(s). Il est

    pourtant difficile d'estimer quelle est la part de l'imitation et quelle est la part du

    20

  • comportement ayant comme seule source l'engagement personnel.

    1.5. Suicide facilit Jusqu'ici le primum movens des pidmies mentionnes tait un cas

    initial, rel ou non, qui n'avait pas l'intention de provoquer ou de favoriser une

    raction mimtique, mais que les victimes tentaient plus ou moins d'imiter. Dans

    l'histoire rcente du sujet, on rencontre aussi un facteur initial diffrent: des livres

    destins favoriser le suicide, au nom de la libert de l'individu et du droit de

    savoir comment procder.

    Il convient d'utiliser le terme de "suicide facilit" car il s'agit ici de la

    reproduction du geste seulement, suite des conseils dispenss ce mme but et

    pour faire la diffrence avec les modles rels, involontaires.

    Ce fut, en France, le cas de "Suicide: mode d'emploi", ouvrage paru en

    1982 et interdit la publication cinq ans plus tard. Il contient dix chapitres, dont

    le dernier traite de quelques mthodes juges efficaces. Traduit en plusieurs

    langues, il fut la source d'un vif dbat et a t vis directement par l'Assemble

    Nationale.

    La France fait aujourd'hui partie des rares pays au monde qui ont fix

    des textes de loi pour punir la provocation, la propagande et la publicit du

    suicide. Il s'agit de la loi n 87-1133, en vigueur depuis fin 1987, et des articles

    223-13 223-15 du Code Pnal.

    En 1991, aux Etats-Unis, Derek Humphry publia "Final exit", avec le

    mme profil que le prcdent, mais qui est encore rdit de nos jours. Il discute

    les avantages et dsavantages de moyens de se suicider. Toujours aux Etats-Unis,

    deux mdecins australiens font paratre "The Peaceful Pill Handbook" en 2006,

    livre qui essaie de classifier des procdures selon un indice de "reliability-

    peacefulness" ("fiabilit-tranquillit"), initialement interdit en Australie et en

    Nouvelle-Zlande.

    Au Japon, Wataru Tsurumi crit "Kanzen Jisatsu Manyuaru" (ou "Le

    21

  • manuel complet du suicide", 1993) qui prend en compte le degr de souffrance et

    essaie d'estimer la ltalit de plusieurs moyens violents. Encore disponible de nos

    jours, ce livre a t jug "nuisible pour les jeunes" uniquement dans quelques

    territoires nippons.

    Bien que certains suicides ont pu tre lis aux textes cits (par la

    mthode employe ou par des rfrences directes sur le lieu du dcs), et que leur

    caractre suggestible est vident, il n'y a pas d'tude spcifique pour quantifier le

    nombre de victimes consquentes leur publication.

    Analysant la variation du taux de suicide en France avant, pendant et

    aprs la parution de "Suicide: mode d'emploi" (Figure 1), on constate une

    augmentation remarquable dans l'anne de la publication (20,8 versus 19,5), qui

    s'est prolonge jusqu'en 1985. Une discrte dcroissance (22,6 22,5) est not en

    1986, mais le dclin ne commence vraiment que l'anne suivante (1987), anne de

    la loi interdisant l'instigation au suicide, et se poursuit jusqu' un nouvel "tat

    d'quilibre" presque gal aux chiffres d'avant 1982.

    Figure 1. Taux annuel de suicide en France par 100.000 habitants (1980-1990)

    (d'aprs Inserm CpiDC)

    22

    1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 199017

    18

    19

    20

    21

    22

    23

  • Cet argument n'est pas suffisant pour affirmer un lien de causalit entre

    le livre et la majoration transitoire du nombre de suicidants, car il y a beaucoup

    d'autres facteurs prendre en compte, mais qui ne font pas l'objet de ce mmoire.

    Toutefois la loi cite ci-dessus n'apparat au Journal Officiel le 31 dcembre 1987

    donc il est impossible qu'elle ait eu une incidence directe sur le nombre de

    suicides de la mme anne. Par contre, le dbat public prcdant l'arrive de la loi

    aurait pu jouer un rle.

    1.6. Autres comportements caractre pidmique 1.6.1 Automutilations

    Le suicide est la forme la plus grave d'auto-agression, mais il existe

    aussi, diffrents degrs, des gestes intermdiaires comme les automutilations,

    qui elles aussi peuvent survenir par pidmies.

    La littrature mdicale n'est pas riche ce sujet, mais l'agrgation des

    cas est bien connue pour les jeunes en difficult psychologique (Rosen et Walsh,

    1989) ou chez les personnes incarcres. Au moins dans la premire situation, il

    semble que certains individus sont l'origine de la contagion et qu'ils agiraient

    comme modle pour les autres. Dj en 1897, on citait des pidmies de

    traumatismes oculaires auto-infligs puis d'auto-amputations, survenues en

    Nouvelle Caldonie dans un camp disciplinaire aprs qu'un des occupants avait

    lanc l'ide de protester ainsi contre les conditions de travail (P. Mimande).

    Un cas plus particulier est celui d'une pidmie d'automutilations qui a

    dur de 1994 1995 dans le centre amricain de dtention de Guantanamo Bay. Il

    s'agit d'un foyer de contagion provoqu par des dcisions politiques regrettables.

    Suite un changement brutal dans le rapport entre les deux pays, plusieurs

    milliers de rfugis cubains qui cherchaient atteindre le sol amricain ont t

    arrts et transports vers Guantanamo. L ils se retrouvaient dans un vide

    juridique qui prennisait la restriction de leur libert. Le deux moyens pour y

    chapper taient l'vasion et la procuration d'une maladie ncessitant des soins

    23

  • l'extrieur.

    La dcision d'aggraver volontairement une maladie somatique

    prexistante (non-observance du traitement), de lacrer des tendons ou induire des

    brlures n'avait rien en commun avec des troubles psychiatriques classiques. La

    suggestion et l'imitation n'taient qu'une expression de l'intensit de la frustration

    des dtenus. Nous pouvons parler de la recherche consciente d'un "bnfice

    secondaire", sans pour autant utiliser la notion dans son sens habituel.

    L'pidmie n'a pris fin que quand la cause a t supprime, les autorits

    amricaines acceptant d'accueillir les rfugis (Eisenberg, 1997).

    1.6.2. Comportement htroagressif

    Enfin, l'effet de suggestion-imitation est exerc aussi pour les actes

    htroagressifs, des vagues d'homicide ou homicide-suicide n'tant pas tout fait

    exceptionnels. Jack l'ventreur en est l'exemple le plus connu. DP Phillips a

    trouv qu'aprs mdiatisation des accidents et pour des courtes dures (une

    semaine) il peut y avoir une croissance des dcs suite des incidents similaires,

    impliquant les vhicules terrestres (1977) et avions (1978), et assimilables des

    homicide-suicides.

    1.7. L'informatique et InternetMoyen de circulation de l'information par excellence, l'Internet est un

    "endroit" o les utilisateurs qui ctoient l'ide du suicide peuvent trouver des sites

    de prvention et de soutien, mais aussi des informations sur comment organiser

    un passage l'acte et s'assurer de son aboutissement. Le comportement suicidaire

    devient encore plus complexe, et enrichit son polymorphisme.

    L'aide que la Toile peut apporter aux individus en difficult existentielle

    est trs difficile estimer, mais quelques auteurs ont dj trouv des traces des

    phnomnes de contagion assimilables un "effet Werther" (Lee et al. 2002,

    2005; Becker et al. 2004).

    24

  • Une autre association se prsente sous la forme des "pactes suicidaires

    Internet" (net suicide), c'est--dire l'organisation de suicides en groupe par des

    personnes qui se sont connues via Internet. Ce genre de comportement est surtout

    connu en Asie (au Japon une soixantaine de cas sont rapports en 2004) mais au

    moins un cas fut aussi signal en Angleterre (Naito, 2007).

    Une forme particulirement inquitante de l'usage d'Internet est celle du

    "suicide en direct". Les tmoins se comptent par milliers et il est impossible de

    savoir concrtement quelles sont les consquences sur le public, ainsi que de les

    prendre correctement en charge avec les moyens actuellement disposition.

    Nous dtaillerons le cas d'un jeune homme de Floride, Abraham Biggs,

    qui est dcd aprs une intoxication volontaire par mdicaments. Il a commis son

    geste pendant qu'il communiquait avec d'autres personnes sur un forum de

    discussion. L'ambivalence de l'Internet cite plus haut tait vidente dans les

    ractions de ses interlocuteurs. Une partie essayait de le soutenir et lui

    demandaient d'alerter les secours, tandis que d'autres exprimaient une curiosit

    morbide (demandaient si la dose prise tait ltale) ou mme l'encourageaient

    s'intoxiquer davantage. La victime, elle, tait visiblement dans un tat de dtresse

    et avait nonc l'ide que "l'Internet tait sa famille". Cette opinion fait penser

    une svre manque de soutien et l'anomie durkheimienne.

    Comme nous avons dj vu au chapitre 1.4.3 (suicide l'adolescence),

    les personnes jeunes sont les plus vulnrables aux phnomnes de mimtisme et

    cette influence est d'autant plus dltre que l'Internet est trs populaire cet ge.

    Dans la littrature mdicale, la place qu'occupe Internet dans la vie de la

    population n'est mesure que par des moyens indirects. Une tude japonaise a

    conclu que l'usage Internet tait un facteur prdictif du comportement suicidaire

    pour les hommes [10], possiblement par l'accessibilit aux informations facilitant

    le passage l'acte, mais l'utilisation du rseau Internet, ou l'utilisation des

    ordinateurs en gnral, pourrait tre en soi un facteur de risque pour le suicide, si

    cela amne un isolement social dans le sens traditionnel du terme (le "soutien"

    25

  • apport par les interlocuteurs virtuel n'est pas en gnral reconnu comme aussi

    bnfique). Tant qu'il n'y a pas d'tudes pour des sites et des pages spcifiques,

    aucune conclusion en ce sens ne peut tre formule.

    Dans les cas "conventionnels" de contagion il existait une limitation

    dans l'espace lie la diffusion de la presse, mais la communication par voie

    lectronique ne tient pas compte des barrires gographiques. La carte est plutt

    corrle la proportion de connectivit au rseau. En plus, contrairement la

    presse crite o les articles sont disponibles pendant une priode relativement

    courte, les sites web peuvent conserver ses pages indfiniment, et elles sont

    accessibles de tout ordinateur.

    L'accessibilit aux substances illicites et aux mdicaments est facilite

    aussi, car l'change entre utilisateurs n'est pas contrl par prescriptions ou

    encadrement lgal suffisant.

    L'usage du rseau Internet dans son ensemble est assez rcent (une

    vingtaine d'annes), et les tudes le concernant ne sont qu'au dbut. Il est probable

    que les dveloppements scientifiques dans ce domaine occuperont une place

    beaucoup plus importante dans le futur, et il est souhaitable que des mesures de

    prvention adaptes soit implmentes pour la pratique.

    1.8. Un essai de psychopathologieLe mcanisme derrire le comportement d'imitation vis--vis du suicide

    implique certainement le processus d'identification la victime initiale. Cela a t

    vrifi plusieurs reprises, et il en rsulte une double signification: l'identification

    n'est pas seulement trouve (reconnatre son image et la mme problmatique, qui

    pousse vers la mort, chez ses prdcesseurs), mais aussi recherche (changements

    et comportements conscients pour ressembler au modle: ces sont les

    "symptmes" de la Wertherfieber). Ce deuxime aspect est probablement celui

    qui prcipite le passage l'acte: si un individu connu (voire admir) a choisi de

    "rsoudre" ces difficults de cette manire, les suivants vont prendre l'exemple.

    26

  • L'existence d'un trouble mental ne fait qu'exacerber la fragilit face aux

    facteurs stressants et la mdiatisation d'un suicide a l'effet de dsinhiber les

    pulsions suicidaires chez des personnes qui jusque l arrivaient les contenir. Elle

    agit aussi en indiquant (dans le cas d'un suicide abouti) que la mthode utilise a

    t efficace et, ventuellement, par la suggestion qu'un suicid peut tre glorifi

    au-del de la mort.

    27

  • Deuxime partie Agir

    Lorsque survient un dcs (suicide ou non), la raction spontane est de

    partager les informations le concernant, dmarche qui fait partie du travail du

    deuil pour les proches et pour la conscience collective. Quand il s'agit d'un suicide

    de notorit publique, les autorits, la presse et dans un sens plus large les

    survivants sont confronts deux questions particulires: faut-il annoncer la cause

    de la mort tant que telle et, le cas chant, comment faut-il prsenter les

    informations?

    2.1. Mesures de prvention dj initiesPour rpondre au questions mentionnes et tenant compte de l'tat

    actuel des connaissances, l'Organisation Mondiale de la Sant a nonc les

    recommandations suivantes (Genve, 2000):

    a) viter l'apparition des articles concernant les suicides sur la premire

    page des journaux; viter l'iconographie; proscrire le sensationnel, surtout s'il

    s'agit de personnes clbres; la couverture mdiatique devrait tre rduite au

    minimum ncessaire;

    b) ne pas donner des dtails sur le moyen utilis pour un suicide abouti;

    c) le suicide ne devrait pas tre prsent de manire simpliste, mais

    comme le rsultat de plusieurs facteurs; toute maladie mentale associ doit tre

    mentionne;

    d) l'image du suicide ne devrait pas tre celle d'une solution aux

    problmes personnels, ni un moyen de glorifier la victime;

    e) commenter les effets du suicide sur l'entourage proche;

    f) expliquer les consquences physiques des tentatives choues;

    Toute reportage sur un suicide devrait tre accompagn de mesures de

    prvention tertiaire tels que:

    a) ressources de lutte contre une crise suicidaire: coordonnes des

    28

  • structures de sant mentale, lignes tlphoniques d'aide et coute;

    b) vulgarisation des signes d'une crise et des comportements suicidaires;

    c) insister sur l'association entre dpression et suicide, et montrer que la

    dpression est un trouble curable;

    d) offrir la sympathie et des modalits d'accompagnement des

    survivants endeuills

    D'une manire gnrale, il faut ddramatiser de faon raisonnable et

    mettre l'accent sur le ct nfaste des faits. Les tudes de linfluence des mdias

    sur les comportements viennent dans cette logique-l. Cest ainsi que, par

    exemple, les tlvisions ne montrent plus de feux de voitures, qui semblaient

    exciter les tlspectateurs, mais des voitures calcines, qui offrent un spectacle de

    dsolation.

    L'implmentation de ce genre de prcautions a fait la preuve de son

    efficacit, notamment dans les suicides du mtro de Vienne, qui avait atteint des

    ctes alarmantes, mais sont revenus au niveau de base aprs application des

    recommandations des experts autrichiens.

    2.2. Mesures spcifiques l'adolescenceOn estime 25 % la proportion d'adolescents qui ont des ides

    suicidaires [13]. Pour empcher la formation de cohortes de nouveaux suicidants

    aprs un geste abouti, les efforts devraient tre dirigs vers l'identification des

    personnes les plus vulnrables, comme ceux les plus proches de la victime;

    l'identification des individus qui ont dj fait des tentatives ou qui souffrent d'un

    trouble psychiatrique (surtout parmi les garons); et la lutte contre la dtresse au

    sein de la communaut (apaiser l'anxit, ouvrir des moyens de communication et

    partage d'informations...).

    29

  • Conclusion

    La complexit du sujet est loin d'tre entirement dchiffre, mais

    l'heure actuelle il semble vident que certains suicides sont des catalyseurs pour

    des comportements d'imitation, la population jeune tant particulirement

    risque. Globalement, l'effet semble limit dans le temps et peu important en ce

    que concerne le nombre total de suicides gnrs. C'est plutt dans le choix du

    moyen que l'influence est plus vidente.

    Les donnes concernant ce phnomne singulier et profondment

    humain ont fait le lit d'un subtil dbat thique entre le droit d'informer et la

    limitation au nom des vies potentiellement pargnes. Faut-il protger les plus

    fragiles devant une nouvelle qui risque d'augmenter leur souffrance de la mme

    faon qu'un mdecin peut refuser de communiquer un diagnostic fatal une

    personne inapte d'y faire face? Est-ce que cela peut autoriser une censure ou

    faut-il accepter les consquences et les prendre pour une fatalit, pour des suicides

    qui font partie du "taux irrductible" et "ncessaire" de Durkheim?

    Pour l'instant peu de pays (dont la France) ont fix des lois contre ceux

    qui instiguent ou favorisent le suicide. Les autres mesures font appel des

    recommandations adresses aux professionnels du journalisme. Quel que soit le

    rapport (indiffrent ou influence dfavorable sur l'incidence du suicide) une

    prcaution dans la prsentation des faits ne peut tre que bnfique, mais le choix

    final reste dans les mains des diteurs. Enfin, il ne faut pas diaboliser la

    mass-media, qui peut tre aussi un outil de prvention si elle est utilise de faon

    raisonnable.

    Beaucoup plus reste dcouvrir propos des mcanismes

    psychologiques sous-jacents. Du point de vue mdical il faudra bnficier de

    statistiques plus dtailles pour pouvoir discerner le profil clinique des suicidants

    par rapport au cas mdiatis, et pour mesurer la circulation de l'information dans

    la population gnrale afin de montrer un ventuel lien de causalit.

    30

  • Parmi les personnages de Dostoevski, dix-sept dcdent avant que

    l'histoire ne s'achve, dont une partie par suicide. Shakespeare avait dj fait vivre

    sur scne des modles d'hrosme et d'amour qui se suicidrent et dont l'image

    s'est prserve jusqu' nos jours, mais il n'y a pas eu d'pidmie londonienne les

    imitant depuis.

    "Les souffrances du jeune Werther" n'est donc pas le seul livre

    raconter un suicide, mais aucun autre n'a entran un effet aussi funeste.

    Pourquoi? Une possible rponse est la rflexion de Goethe mme, dans son

    volume "Posie et vrit": L'effet de ce petit livre fut grand, monstrueux mme,

    mais surtout parce qu'il est arriv au bon moment . Plutt au mauvais moment,

    pour ses victimes.

    31

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    La crise suicidaire. Reconnatre et prendre en charge

    John Libbey Eurotext. Paris, 2001.

    37

  • Remerciements:

    Messieurs les Professeurs J.B. Garr, B. Millet, J.M. Vanelle et M. Walter

    pour l'organisation de l'enseignement.

    Dr. B. Gohier (Praticien Hospitalier CHU d'Angers)

    pour la relecture et ses remarques.

    Dr. S. Richard-Devantoy (Chef de Clinique Assistant CHU d'Angers)

    pour le travail motivationnel.

    38