les épidémies de suicide: de l'effet werther à l'effet...
Embed Size (px)
TRANSCRIPT
-
UNIVERSIT D'ANGERS
Facult de Mdecine
Mmoire pour le DIPLME INTER-UNIVERSITAIRE
tude et prise en charge des conduites suicidaires
Les pidmies de suicide:
de l'effet Werther l'effet Internet
Directeur de mmoire:
Dr. Bndicte GOHIER, Praticien hospitalier (CHU Angers)
Candidat: Rare Cosmin MEU
Interne DES de Psychiatrie
2009
-
motto: J'ai rassembl avec soin tout ce que j'ai pu recueillir
de l'histoire du malheureux Werther, et je vous l'offre ici (Goethe, Les souffrances du jeune Werther, mot au lecteur)
-
Travail ddi la mmoire de tous ceux qui ont mis fin leur vie en prenant l'exemple des autres
-
Table de matires
Introduction 1
Premire partie Comprendre 2
1.1. tymologie et historique du problme. 2
1.2. Existe-t-il vraiment un effet Werther ? 8
1.3. Le suicide clbre.9
1.3.1. Gatan Girouard. 9
1.3.2 Kurt Cobain. 12
1.3.3. Marilyn Monroe. 14
1.4. Suicide commun (ou anonyme)16
1.4.1. l'hpital psychiatrique.16
1.4.2. Au travail17
1.4.3. l'adolescence .. 19
1.4.4. Agrgation familiale...20
1.5. Suicide facilit 21
1.6. Autres comportements caractre pidmique23
1.6.1 Automutilations... 23
1.6.2. Comportement htroagressif.24
1.7. L'informatique et Internet.24
1.8. Un essai de psychopathologie.. 26
Deuxime partie Agir... 28
2.1. Mesures de prvention dj inities. 28
2.2. Mesures spcifiques l'adolescence.29
Conclusion...30
Bibliographie slective 32
Remerciements 38
-
Introduction
La suggestion et l'imitation font partie des outils d'apprentissage
indispensables l'tre humain ainsi qu' d'autres espces animales: tre tmoin et
pouvoir reproduire les actes des autres.
Elles permettent, parfois sans recourir au langage, d'acqurir des
habilets ncessaires la survie, elles renforcent le lien au sein d'un groupe ou de
la socit et participent au bon fonctionnement dans son ensemble. Les
personnages clbres (rels ou non), en tant que modles de succs et formateurs
d'opinion sont les plus susceptibles d'tre imits. Nous pouvons soulever la
question d'une responsabilit de leurs actes qui s'tend au-del de leur propre
personne. Mais l'imitation peut aussi se montrer dltre, voire meurtrire dans le
vrai sens du mot, lorsque le comportement imit est le suicide.
Ce fait, dj observ avec plus ou moins de rigueur depuis les temps
anciens, a rcemment attir l'attention des scientifiques (sociologues,
psychologues, psychiatres, pidmiologues, philosophes...) cause de son intrt
thorique et de la perspective d'une possible prvention efficace. La logique
simple veut que si une cause identifie (imitation) produit un effet indsirable
(suicide), on peut envisager l'arrt de l'effet en supprimant la cause.
Mais on sait aussi que rien n'est simple quand on parle de suicide.
J'ai abord ce sujet en raison d'une sympathie pour la littrature en
gnral (malheureux berceau de "l'effet Werther"), d'une curiosit personnelle
vis--vis des mcanismes psychologiques impliqus et pour mieux dcouvrir
(toujours par imitation) les moyens de les combattre.
Le travail qui suit essaie surtout d'approfondir cette problmatique
multiples facettes, de ses origines les mieux documentes jusqu' ses formes les
plus rcentes, et d'ouvrir quelques pistes de rflexion pour le futur.
1
-
Premire partie Comprendre
1.1. tymologie et historique du problmeEn 1774, parut au foire du livre de Leipzig la premire dition du roman
Les Souffrances du jeune Werther , uvre qui a sorti de l'anonymat son auteur,
Johann Wolfgang von Goethe, g de 25 ans seulement au moment de la
publication.
Le retentissement du livre a t colossal, de loin suprieur l'impact
habituel d'un volume crit l'poque. Il s'agit de la premire fois qu'un roman
dpasse les frontires allemandes et qui tend son influence non seulement dans
toute l'Europe, mais dans le monde entier.
Dj rdit plusieurs fois jusqu'en 1775, il fut pour la premire fois
traduit et publi l'anne suivante (1776) en France o il a sign le dbut du
Romantisme et a influenc de nombreux artistes comme Lamartine, Mme de
Stal, Alfred de Musset ou Victor Hugo.
Le roman est crit sous une forme pistolaire et particulirement
susceptible d'influencer le public, fait accentu par le mot au lecteur:
J'ai rassembl avec soin tout ce que j'ai pu recueillir de l'histoire du malheureux
Werther, et je vous l'offre ici. Je sais que vous m'en remercierez. Vous ne pouvez refuser votre
admiration, votre amour son esprit et son caractre, ni vos larmes son sort.
Et toi, bonne me qui ressens la mme aspiration que lui, puise de la consolation
dans ses douleurs et fais de ce petit livre un ami, si par le destin ou par ta propre faute tu n'en
peux trouver de plus proche.
Cette note contient plusieurs lments rendant le texte encore plus
sensible, encore plus personnel: le lecteur est adress la deuxime personne du
singulier comme dans une confession ou une confidence, l'accent est mis sur le
caractre vridique du rcit et l'auteur impose ("vous ne pouvez refuser") un
regard positif, voire glorifiant du personnage en employant de mots comme
"remercier", "admiration", "amour", "esprit" et "caractre", "bonne me",
2
-
"aspiration", "ami". Les prmisses de l'identification Werther sont dj l, et le
mode d'expression est charg d'induire une empathie avec beaucoup de valeur
artistique.
Une tude amricaine montre que le langage est un potentiel indicateur
suicidaire dans le cas des potes [27]. Dans les textes manant des futurs suicids,
les mots utiliss tmoigneraient d'une individualisation et d'une proccupation
pour soi-mme, au dpit d'une vue intgrant l'auteur dans la socit ou au sein
d'un groupe (usage des pronoms au pluriel, des mots suggrant la communication
comme "parler", "partager", etc.). Si la thorie est vraie, on peut imaginer
galement la rciproque, c'est--dire qu'un texte s'adressant l'individu et non pas
la collectivit entire sera plus "comprhensible" et plus proche de l'tat d'me
associ avec la crise suicidaire, comme si le lecteur se sentait mieux compris et
plus apte comprendre le message crit.
La vie de Goethe pourrait expliquer aussi une partie de cette charge
motionnelle, car l'histoire de Werther est d'inspiration autobiographique.
L'auteur avait lui-mme vcu en 1772 un chagrin d'amour avec une jeune femme
de 19 ans, Charlotte Buff, son prnom tant repris l'identique dans le roman.
Werther, lui, ressemble remarquablement au jeune crivain (ils ont le mme ge
au moment de la publication, le mme anniversaire 28 aot) mais aussi un ami
proche de Goethe, Karl Wilhelm Jerusalem, qui s'est en effet suicid suite une
histoire sentimentale.
Bien sr, en 1774 les recommandations de l'OMS concernant la
description des suicides dans les mdias n'existaient pas, mais d'un point de vue
purement exprimental il est possible de les appliquer aux "Souffrances du jeune
Werther". Cela montre que plusieurs principes aujourd'hui reconnus pour la
prvention du suicide n'ont pas t respects:
la mort du personnage n'est pas prsente comme "sensationnelle",
mais en tant que hros romantique Werther est un modle exceptionnel;
le vcu et le parcours du jeune suicid, partir de son amour naissant
3
-
jusqu'au passage l'acte, semblent lgitimes ou "normaux"; il n'y a pas de signe
identifiable par le lecteur comme une pathologie mentale (ou "folie") mme si le
spcialiste peut retrouver les symptmes d'une dpression;
les dtails du suicide (prparation, contenu de la lettre d'adieu, moyen
utilis, consquences immdiates) sont raconts avec soin;
le livre ne propose aucune autre alternative au jeune Werther, ainsi
donnant l'impression que la seule "solution", invitable, a t choisie.
Aprs le succs artistique initial une autre clbrit, funeste cette fois, a
t associe au livre. Plusieurs cas de suicide rappelant le modus operandi de
Werther ont t remarqus: jeunes hommes vtus du mme costume bleu avec
veste dore, utilisant une arme feu. Dans d'autres situations, l'attention fut attire
par le fait que le livre avait t trouv sur le lieu du dcs cot des victimes, ou
bien encore le cas d'une jeune femme, Christine von Laberg, qui en 1778 s'est
noy Weimar tranant dans sa poche une copie de "Werther", juste derrire la
maison de Goethe.
Ce processus d'imitation dans un but autodestructeur fait partie d'un
autre, appel dj l'poque "Wertherfieber" (la "fivre" Werther), qui consistait
reproduire le comportement du personnage au sens large: comme lui, on lit
Homre, on adopte sa faon de parler et de s'habiller, on se promne dans la fort,
on utilise des tasses "style Werther".
Trs tt aprs les premiers suicides mis en lien avec le livre, les
premires ractions ont t de limiter la diffusion de l'ouvrage. Ds 1775 le
Conseil de la ville de Leipzig avec l'appui de la Facult de Thologie interdit sa
circulation, dcision qui reste en vigueur pendant cinquante ans. Une interdiction
similaire frappe l'Italie et au Danemark un dbat national se lance au mme sujet.
Dans ces mesures on identifie les premires tentatives de prvention primaire.
Le livre marque aussi un tournant dans la conscience collective face au
suicide, geste qui jusque l tait explicable par une faillite ou autre souci financier
majeur, mais tout fait condamnable et inacceptable pour d'autres raisons.
4
-
L'glise jouait un rle important dans la prservation de cette ide, et Goethe le
souligne aussi en choisissant un enterrement laque: Il mourut midi. [...] Il fut enterr de nuit, vers les onze heures, dans l'endroit
qu'il s'tait choisi. [...] Des artisans le portrent. Aucun ecclsiastique ne l'accompagna.
Aprs Werther, le suicide gagne une certaine lgitimit. Se suicider
par chagrin d'amour ou par dsillusion philosophique est un choix possible et non
plus un sujet tabou. Penser la mort et se donner la mort devient dsormais
l'apanage de l'esprit romantique.
Plus d'un sicle plus tard, le premier qui parle de "imitation" et qui a
essay de faire une synthse du phnomne tait Durkheim. Il conclut que l'effet
de la mdiatisation d'un suicide particulier se limitait la prcipitation du passage
l'acte chez des sujets qui, statistiquement, l'aurait invitablement fait plus tard.
Des nouveaux cas ne seraient pas ajouts. Selon son avis, seulement la
distribution dans le temps serait influence et il n'y aurait pas d'augmentation au
long terme du nombre de vies perdues.
Durkheim parle aussi d'une thorie selon laquelle le suicide serait un
"mal ncessaire" pour la socit. Le rle des suicids et suicidants serait
d'exprimer le pessimisme dans la forme la plus radicale (renoncer la vie qui rend
mcontent), fait qui assure la prennit de cette forme de pense pour quilibrer la
balance de la conscience collective. Cette thorie expliquerait pourquoi le taux de
suicide ne peut pas baisser sous un certain seuil et ce taux "irrductible" serait
normal pour une socit saine.
Gabriel Tarde, sociologue et statisticien judiciaire l'poque, publie
"Contre Durkheim propos de son Suicide" la mme anne que l'ouvrage de son
adversaire idologique. Avec cette tude, ainsi que dans des articles ultrieurs, il
affirme que, au contraire, il n'y a aucun lien entre le modle d'un suicide et des cas
observs. Les arguments qu'il apporte ne suffiront pas pour renverser ceux de
Durkheim, et c'est la pense de ce dernier qui va prvaloir pour les prochaines
dcennies.
5
-
Les investigations menes au XIXme sicle peuvent tre critiques car
la fiabilit des donnes recueillies peut tre moindre que de nos jours. Une
comparaison est nanmoins possible. Selon les chiffres vhiculs l'poque, le
gradient nord-sud n'existait pas et le taux de suicide tait au moins comparable
celui d'aujourd'hui. Selon les cartes de Durkheim, l'incidence la plus importante
tait concentre dans la capitale et les rgions avoisinantes. Par exemple, en 1827
on avait calcul une incidence de presque 50 pour 100.000 habitants dans la ville
de Paris et le dpartement de Seine-et-Oise (Tarde, 1897). Dans la priode
moderne, le taux dpartemental le plus lev est de 44,7 (Ctes d'Armor, 1987).
Dans l'hypothse d'une moyenne plus leve, toute augmentation
ponctuelle due un effet d'imitation risque d'tre plus discrte, et le rapport
suivant serait rapproch de zro:
Cet aspect peut expliquer pourquoi on aurait eu des difficults
dpister un impact important du processus d'imitation avec des donnes plus
anciennes.
"L'effet Werther" est dfini aujourd'hui comme un phnomne de
contagion interhumaine (pidmie) par suggestion et imitation d'un comportement
suicidaire partir de un (ou quelques) cas initial (initiaux) mdiatiss.
En 1974, David Phillips a baptis d'aprs le personnage de Goethe cet
effet dont il a tent de vrifier l'existence ou l'absence. Il a appliqu une mthode
de comparaison du nombre de suicides dans le mois aprs des suicides clbres
avec un "tmoin" (mme priode dans l'anne prcdente et/ou suivante). Pour
qu'un suicide puisse tre considr comme significatif, le critre-seuil choisi a t
la parution d'articles le concernant sur la premire page des journaux de grand
tirage (par exemple, New York Times).
Outre la croissance absolue observe des cas de suicide, l'auteur apporte
aussi des arguments indirects en sa faveur:
6
Nombre de suicides en excs du l ' effetWertherNombre total de suicides obervs
-
la chronologie des faits montre que les suicides en surnombre se
trouvent strictement aprs le dcs mdiatis; l'aide de cette preuve, l'auteur
carte une autre cause possible de l'effet Werther: la prexistence de conditions
sociales aboutissant aussi bien au suicide clbre qu'au suicide des concitoyens
inconnus, sans lien direct entre eux;
il semble exister un lien de proportionnalit ou un continuum entre le
degr de clbrit de la personne, la "publicit" faite au suicide et l'ampleur
observe de l'effet;
si le nombre total de suicides ne serait pas touch par l'effet Werther
(hypothse de Durkheim), l'accumulation des gestes suicidaires prcipites par la
suggestion devrait tre suivie d'une priode de baisse pour prserver un taux
moyen stable; or cette "valle" suivant le "pic" initial n'a pas t dpiste.
Une autre thorie, trs intressante du point de vue thorique, est celle
de la classification de la cause du dcs. Selon elle, les suicides en excs constats
aprs un cas de rfrence pourraient s'expliquer par un biais involontaire
d'interprtation. Le diagnostic de suicide comme cause de dcs est tabli par le
mdecin qui le constate. Mais le fait d'avoir appris dans les journaux la noyade de
Virginia Woolf (par exemple), peut favoriser la classification des noyades
accidentelles comme suicides.
Dans cette optique, l'effet Werther ne s'exerce pas dans la conscience
des victimes, mais des mdecins, et l'augmentation du taux serait artificielle.
Simultanment, le nombre de dcs par autres causes devrait baisser (quelques
cas tant "reclasss" comme suicides).
Le phnomne n'est pas sans prcdent. Un effet apparent "de halo" est
familier aux jeunes tudiants en mdecine qui auront tendance diagnostiquer
avec plus de facilit les maladies qu'ils viennent d'apprendre rcemment, voire
s'auto-diagnostiquer au fur mesure qu'ils gagnent d'exprience clinique mais tant
qu'ils n'ont pas suffisamment d'objectivit.
7
-
1.2. Existe-t-il vraiment un effet Werther ?Malgr le raisonnement et les donnes statistiques minutieuses des
critiques ont t apportes l'tude de Phillips, notamment en matire de
mthodologie.
En effet, plusieurs constatations ne sont pas concordantes avec
l'existence de l'effet. titre d'exemple, une grve des journalistes devrait
influencer ngativement le taux du suicide, car elle limiterait la "publicit" du
suicide auprs du large public. Pourtant, cette hypothse se montre invalide aprs
observation de tels mouvements sociaux dans la ville de Detroit (JA Motto,
1970). Ensuite, dans certains cas de personnes publiques dcdes le nombre de
suicide diminue au lieu d'augmenter selon les prdictions (cas de Brooks, Lang,
Soule, Norman, dans [19], tableau 1). La mdiatisation peut-elle donc avoir un
effet protecteur?
L'tude de quelques sries tlvises qui taient susceptibles de
suggrer un passage l'acte a donn des rsultats contradictoires. Aprs un
pisode qui montrait une intoxication par paractamol, Hawton et al. avaient
dpist une consquence significative dans les deux semaines suivantes sur le
nombre d'intoxications mdicamenteuses volontaires (major de 9 17 %). Le
paractamol a t la molcule de choix deux fois plus souvent parmi ceux qui
avaient regard le programme tlvis [11]. En 1987, Platt n'a pas trouv de
diffrence globale entre la priode exprimentale et le tmoin [20]. En plus, pour
ce dernier, dans un groupe plus spcifique o un effet a pu exister, il tait
paradoxalement moins vident dans les rgions forte audience du programme
diffus.
Toutes ces contradictions mettent en vidence qu'il est difficile
d'envisager la mise en route d'une tude ayant comme seule variable la
suggestion. Comme nous le savons, le suicide est un phnomne faible
prvalence. Il est d'autant plus difficile de faire une slection rigoureuse qui prend
en compte l'objectivit de l'information, son taux de diffusion, le profil du public,
8
-
la personnalit et le degr de clbrit du cas-index, l'accessibilit du moyen, sa
ltalit, les rfrences des victimes aux articles ou reportages...
1.3. Le suicide clbreLes personnes clbres suscitent la curiosit du grand public et les
informations les concernant font partie habituellement du paysage mdiatique
contemporain. Une partie de consommateurs des mdias ont tendance emprunter
des lments de l'image de leurs idoles, imiter leur faon de s'habiller, de parler,
de se comporter. Il s'agit l d'un aspect bien connu de la psychologie humaine,
qu'on peut vrifier facilement: prenons le cas de la publicit qui vise vendre un
produit en lui associant l'image d'une acteur ou d'un sportif de succs.
Ce processus plus ou moins conscient et volontaire, qui est en gnral
accept et qualifi de normal, peut se montrer trs dangereux si le comportement
pris en tant que modle est celui d'un suicide, comme on faisait autrefois durant la
Wertherfieber.
1.3.1. Gatan Girouard
Le 14 janvier 1999 Gatan Girouard, un journaliste qubcois de
presque 34 ans, se donne la mort par pendaison. Une longue lettre d'adieu est
trouve son ct. Il tait mari et avait deux filles.
Son image publique tait celle d'un citoyen engag dans la dfense des
plus dmunis, un professionnel avec une trs bonne thique qui luttait lui-mme
contre le suicide, moralement intgre et en gnral une personne heureuse qui
avait toutes les raisons de vivre.
La vrit tait en quelque sort diffrente. Le journaliste souffrait d'une
surcharge au travail, des attentes trs hautes que son succs lui demandait et il
avait dvelopp une dpression quelque temps avant son geste. Son pre a dclar
avoir senti un changement dans son comportement quelques jours avant. Vu sous
cet angle-l, le passage l'acte semble moins paradoxal.
9
-
Dans la presse, c'tait surtout le l'image publique de Gatan Girouard
qui s'tait suicide. Presque une centaine d'articles (98) ont comment
l'vnement dans la presse rgionale, dont un tiers dans les deux jours suivant les
faits. La tendance tait de prserver l'image d'un hros, la fois pour rcompenser
titre posthume ses mrites et pour accentuer le contraste entre son style apparent
de vie et son choix de mort.
La tragdie a t prsente la plupart des fois sans respecter les
consignes habituelles adaptes au sujet. Elle tait accompagne par une
iconographie suggestive dans un quart des articles, racontant en dtail le moyen
employ (14 articles) et le droulement. L'motion de ceux impliqus s'appuyait
sur les mots des proches, de la famille, des collgues et des lecteurs, dont les
extraits montraient une image positive ou acceptable de son suicide 15
occasions.
Six ans plus tard, Tousignant et ses collaborateurs ont analys l'impact
que ce suicide et sa mdiatisation ont eu dans le Qubec et ont montr qu'il y a
bien eu un "effet Gatan Girouard".
Utilisant une mthode similaire celle de Phillips (1974), une
augmentation de 50 cas de suicide a t observe pour la priode janvier-fvrier
1999, par rapport au mme intervalle des annes 1998 et 2000 (majoration de
presque 50 %). Au del d'un mois aprs l'incident initial, l'influence tait plus
difficile mettre en vidence. Il s'est probablement manifest avec une moindre
intensit, comme le tmoigne le nombre annuel de suicids (195 cas et 14,2 % de
plus qu'en 1998) et le "virage" des chiffres concernant le moyen utilis, au profit
de la pendaison (3% de plus) face aux autres moyens confondus (3 % de moins).
Notamment dans la municipalit de Sainte-Foy, o le journaliste s'est
donn la mort, la distribution chronologique des suicides par pendaison
tmoignait d'un pic dans les 38 jours aprs le 14 janvier 1999. La concentration
(clustering) tait prs de dix fois suprieure la moyenne sur les trois ans (1998-
2000) exceptant cette mme priode de 38 jours.
10
-
remarquer aussi qu'au sein du ce malheureux groupe la ceinture (un
moyen assez inhabituel dans le pass de la rgion) a t employe par une
proportion significative. C'tait le mme modus operandi pour le cas-index.
Comme dans le cas de "Werther", d'autres indices ont pu montrer le lien
direct avec le modle initial. Dans les suites immdiates, pour 10 dcds on a
trouv leur ct soit des dcoupages d'articles concernant M. Girouard, soit des
photos ou des rfrences directes son nom dans les lettres d'adieu. Pour d'autres,
l'entourage a pu reconnatre qu'ils avaient parl du journaliste, souvent avec
empathie son gard, ou qu'ils avaient suivi avec beaucoup d'intrt les
informations lies sa mort.
Les auteurs avaient aussi tudi l'activit des centres tlphoniques de
prvention du suicide comme mesure de l'impact dans la population. Dans les
quatre premiers jours (priode concidant l'inondation d'information dans la
presse), les appels ont t presque trois fois plus nombreux et les chiffres sont
rests augments encore les jours suivants (15 % de plus au mois de mars 1999).
Examine avec un il critique, cette augmentation peut avoir plusieurs
causes:
majoration globale des tendances suicidaires suite la faon de
prsenter les faits dans les mdias ("effet Werther" proprement dit);
plus grande susceptibilit des tiers alerter les secours devant une
situation qui aurait t interprte comme moins inquitante un autre moment
(l'lvation des pourcentages concernait plutt les appels de l'entourage que les
appels "primaires", c'est--dire manant directement des personnes en dtresse);
diffusion plus importante des coordonnes des centres d'appel, suite
leur publication accompagnant les articles ou les reportages.
Probablement elles sont intriques et une seule ne peut pas justifier
entirement le phnomne. Par exemple, la courbe du nombre d'appels (leve
pendant environ deux mois) n'est pas parallle la diffusion des numros de
tlphone (limite quelques jours seulement).
11
-
Selon une des thories expliquant la contagion, la mdiatisation d'un
cas s'ajoute une vulnrabilit prexistante pour aboutir au geste ltal. Cette
thorie a trouv plusieurs arguments en sa faveur dans l'tude qubcoise.
Par dfinition, la mdiatisation s'adresse la population entire, et
toutes les catgories semblent avoir reu l'empreinte psychologique de la tragdie.
Mais une partie seulement est passe l'acte.
Le portrait d'un homme idalis qui malgr ses bonnes capacits
psychiques apparentes finit par "choisir de prendre sa vie" a pu bouleverser
l'quilibre fragile des personnes dj en dtresse et ayant les facteurs de risque
habituels: trouble psychiatrique, antcdents de tentative, perte rcente ou
sparation, difficult sociale ou isolement. Le stress supplmentaire a induit un
sentiment d'impuissance et dsespoir, ainsi qu'aggraver les symptmes dpressifs
dj patents.
Cette consquence dltre s'est manifeste dans un sens rtrograde,
c'est--dire pour les personnes qui avaient un trouble prexistant, ainsi que
antrograde (ou "sleeper effect"), c'est--dire des personnes qui sont restes sous
l'influence des vnements de janvier, mais qui sont passes l'acte plus tard,
suite des vnements de vie ou des troubles apparus ultrieurement.
Conscientes du potentiel nfaste, les autorits ont demand
expressment aux mdias de ne plus adresser le sujet, sans effet notable sur les
diteurs.
1.3.2. Kurt Cobain
Le corps de Kurt Cobain, chanteur du groupe rock Nirvana et g de 27
ans sa mort, a t trouv par un employ le matin du 8 avril 1994 son domicile
de Seattle, mais la date exacte du dcs reste toujours un sujet de dbat. Le
rapport officiel a conclu un suicide par arme feu survenu le 5 avril. Un seul
projectile tir au niveau cphalique l'aide de son fusil aurait entran la mort et
une lettre a t trouve proximit.
12
-
L'hypothse d'un meurtre a t adopte par quelques-uns, qui ont essay
d'argumenter que la lettre exprimait son mal-tre et sa souffrance, mais n'tait pas
le manifeste d'un suicidant.
Pourtant il avait dj subi une intoxication mdicamenteuse volontaire
un mois plus tt, en associant une surdose de flunitrazepam avec du champagne
dans sa chambre d'htel Rome. ce moment-l, sa partenaire (Courtney Love)
a alert les secours et a interprt son geste comme suicidaire, mme s'il n'y avait
pas de consensus dans son entourage. Le mdecin ayant soign Cobain (Dr.
Galetta) a infirm l'hypothse d'une tentative de suicide.
Il reste dans le coma presque vingt-quatre heures et il sort de l'hpital
au 5me jour. Suite cet incident et au comportement autodestructeur qui a
continu aprs, ses amis et sa femme l'ont convaincu de s'inscrire une cure de
dsintoxication en Californie. Il est admis dans l'tablissement fin mars, mais il
fugue le lendemain et il rentre Seattle, o il s'isole au cours de prochains jours
avant de mettre fin sa vie.
Dans ses antcdents, le star rock comptait un lourd pass d'addiction
jamais soign et un trouble d'hyperactivit avec dficit de l'attention dans son
enfance, pour lequel il avait reu du mthylphnidate (Ritaline). Ses parents
avaient divorc quand il avait peine huit ans.
La presse rpond en publiant des messages qui dcrivent la vie et les
derniers jours de l'artiste. L'accent a t mis plutt sur sa carrire et l'inutilit de
son passage l'acte, que sur l'aspect dramatique et motionnel.
cause de sa clbrit, ce matriel deviendra une source d'inquitude,
car il risque d'amorcer des suicides par imitation, surtout parmi les nombreux fans
du groupe Nirvana. En anticipant ce phnomne, la communaut avait dclench
plusieurs interventions visant le combattre: la mise en place d'un centre de crise
et redirection des appels d'urgence vers celui-ci ou d'autres centres nationaux;
l'organisation d'une messe publique qui a rassembl quelques milliers de
sympathisants et sa veuve, etc.
13
-
Comme pour les statistiques dans le cas de Gatan Girouard, le nombre
de suicides accomplis et la sollicitation des centres de crise ont t recenss
distance de la priode initiale. L'tude a de nouveau mis en vidence la rceptivit
de la population face une histoire tragique.
Les lignes tlphoniques d'aide psychologique ont montre leur utilit et
leur qualit de tmoins de dtresse mais il n'y a pas eu des preuves suffisantes
pour conclure l'apparition d'un "effet Werther" cette occasion. Un cas seulement
a pu tre mis en lien direct. Il s'agit d'un jeune homme au profil proche du
chanteur, qui avait 28 ans et antcdents de dpression et addiction aux
substances psychoactives. Son pre s'tait suicid galement l'aide d'un fusil.
En plus, un grand nombre des appels enregistrs n'taient que des
demandes d'informations et non pas de vraies demandes d'intervention pour crise
suicidaire.
Plusieurs hypothses ont t avances pour expliquer l'absence d'une
morbidit par imitation:
la qualit plus approprie de la mdiatisation;
l'efficacit des autres mesures de prvention dployes pour rpondre
aux consquences prvisibles;
le moyen utilis, assez peu habituel et moins accessible;
l'image publique dj dtriore de la victime cause de son style de
vie et des nombreux abus;
cela nous pourrions ajouter aussi la suspicion de meurtre. Pour tous
ceux qui y ont adhr, cette ide a logiquement eu l'effet d'inhiber une tendance
suicidaire par imitation, puisque dans leur conscience il n'y avait pas le modle
d'un suicide suivre.
1.3.3. Marilyn Monroe
L'actrice avait 36 ans lorsqu'elle meurt le 5 aot 1962 Los Angeles.
Comme dans le cas dj cit de Kurt Cobain ou le dcs d'autres figures
14
-
publiques, par exemple celui plus rcent de Michael Jackson, beaucoup de
donnes restent encore incertaines ce jour. L'hypothse officielle et reconnue au
moment des faits (et donc qui a eu le plus d'influence sur le grand public) est celle
d'un suicide par ingestion volontaire de barbituriques. Elle avait dj fait quatre
autres tentatives de suicide par des moyens similaires.
Il s'agit l encore de la mort brutale d'une personnalit qui tait l'acm
de sa carrire grce ses apparitions de grand succs, vnement trait
copieusement dans les journaux pendant longtemps. Dans son tude rtrospective
de 1974, Phillips avait document l'apparition des rfrences Marilyn Monroe
sur la premire page du New York Daily News pour un nombre record de quatre
jours de suite.
Des informations dtailles concernant l'impact de ce suicide sont
moins performantes que dans les deux cas prcdemment cits, moins d'articles y
tant ddies. Pourtant l'auteur a russi pointer la croissance vidente du nombre
de suicides par rapport celui attendu: presque deux cents (197,5) et 12 % de
plus. Plusieurs avait laiss des messages qui tmoignaient explicitement une
imitation [1].
Ces chiffres font rfrence au pays entier (tats-Unis), mais les rsultats
inquitants ne se sont pas limits aux frontires. En Angleterre, territoire ou
l'histoire de la jeune diva amricaine parut aussi dans les journaux, on a observ
une augmentation de 9,83 % des suicides annuels. Il est difficile de mettre en
relation directe de cause-effet ces vnements. Il est toutefois notable que la
probabilit de l'association des deux due au hasard n'est que 2,5 %, et qu'un
phnomne similaire n'a pas pu tre tabli pour d'autres suicides clbres aux
tats-Unis, mais non mdiatiss en Angleterre.
Cet "effet Werther" secondaire au suicide de Marilyn Monroe semble le
plus significatif parmi tous ceux dpists jusqu' maintenant, peut-tre cause de
l'immense popularit de l'actrice et de l'accessibilit du moyen utilis.
15
-
1.4. Suicide commun (ou anonyme)L'effet Werther amorc par un dcs clbre est inquitant surtout par
son ampleur et le nombre lev de potentielles victimes. Il en existe un quivalent
moindre chelle pour des petites communauts au sein desquelles un suicide
(mme en absence d'une notorit quelconque) peut dclencher un mcanisme de
mimtisme parmi les autres membres.
On parlait dans l'antiquit des "vierges de Mlitus". Dans cette ville
ionienne plusieurs jeunes filles se suicidrent par pendaison. La vague s'est
arrte seulement grce une loi bien prcise: le cadavre de la suicide serait
port au cimetire dshabill et avec la corde toujours attache au cou.
Des exemples existent encore l'poque contemporaine, que nous
avons choisi de regrouper dans quelques catgories prcises.
1.4.1. l'hpital psychiatrique
Le taux de suicide en milieu hospitalier psychiatrique est d'environ dix
fois suprieur la population gnrale. Cela s'explique par la forte comorbidit
entre le suicide et les maladies mentales, ainsi que par la gravit moyenne des
troubles chez les patients hospitaliss. Cette dernire a t en croissance depuis
l'ouverture vers l'extrieur et le dveloppement des structures ambulatoires, qui
font que seulement les cas les plus lourds (et donc les plus risque) sont admis
temps plein.
Heureusement, la contagion n'est que occasionnelle (Taiminen et
Helenius, 1994; Zemishlany et al, 1987; Small et Rosenbaum, 1984). Nous
dtaillerons l'exprience d'un hpital finlandais (Turku) [29].
En 1985, huit suicides avaient t recenss sur une priode de presque
trois mois. Six d'entre eux ont t regroups cause des liens existants entre les
patients et dans quatre cas le moyen utilis tait identique (dfenestration).
Compte tenu de la fragilit prexistante des patients, qui souffraient des maladies
psychiatriques graves (dpression, psychose, alcoolisme), l'impact de chaque
16
-
suicide tait suffisamment important pour aggraver leur tat.
Chaque patient avaient des rencontres frquentes avec les autres grce
un club qui promouvait la vie sociale et o les informations concernant les
suicids ont certainement circul. En plus, des rapports d'amiti proche taient
dcelables pour quatre pairs, tout suicidant confondu.
Le premier passage l'acte (saut d'un balcon) a eu lieu devant le
personnel et d'autres patients. Une des futures victimes tait aussi tmoin de la
scne, fait qui a ajout un stress aigu.
En analysant chaque cas et les liens les unissant, les auteurs ont conclu
une accumulation progressive des informations et de la suggestibilit dans le
cercle restreint de l'hpital, qui expliquait la chronologie des faits.
1.4.2. Au travail
Dans le livre publi par la Fdration Franaise de Psychiatrie suite sa
confrence de consensus de 2000, Pr. Soubrier a contribu avec un article qui
dcrit une micro-pidmie de suicides survenue en 1982 [36]. Il s'agit de quatre
cas au sein d'une mme entreprise, toutes tant des femmes assez jeunes et qui
avaient utilis comme moyen la dfenestration (deux cas), l'intoxication
mdicamenteuse (un cas) et l'intoxication par cyanure. Les trois premiers gestes
ont eu lieu dans l'intervalle d'un mois, et le dernier quelques semaines plus tard.
Le contexte tait celui de difficults au travail dans tous les cas et une
croissance du rythme de production venait d'tre prcdemment impose.
Nanmoins, la notion de contagion est voquer, mme dans l'absence d'un cho
mdiatique important, car les premiers trois concernaient des employes du mme
secteur (chane de conditionnement). Le processus de suggestion avait
certainement jou un rle (difficile quantifier), mais il semble peu probable qu'il
soit le seul facteur prcipitant.
C'est seulement aprs les quatre suicides et devant le mutisme
qu'affichait l'administration leurs gards, que des mouvements de protestation et
17
-
de mdiatisation ont fait surface. Par la suite, des indicateurs d'alerte et des
dfauts de prvention et avait t dvoils:
augmentation de l'absentisme au travail prcdant l'pidmie (qui
atteignait 30 50 % dans certains secteurs de l'entreprise et qui ne
faisait qu'aggraver les conditions pour ceux encore en fonction);
soutien social et mdical insuffisant (nombre de consultations et
disponibilit par rapport au nombre d'employs);
raction minimisante de la part de l'entreprise;
De nos jours une autre entreprise, France Telecom, est le centre
d'attention, un sujet de dbat social et conomique tant lanc suite une vague
de passage l'acte suicidaire. Au moins une partie des suicidants ont fait
rfrence directe au conditions de travail prcaires (mutations, pression
hirarchique, horaires...) et, au total, les chiffres officielles indiquent 24 cas de
suicide abouti sur une priode de 18 mois.
Aprs restructuration, environ cent mille salaris sont encore employs
dans le pays et pour cet effectif un calcul simple ramne le taux moyen 16 par
anne. cause du temps de latence dans la centralisation des donnes, le taux
moyen national pour la mme priode ne sera disponible que dans un deux ans,
et le chiffre le plus rcent (de 2006 17,1 pour 100.000 habitants) y reste
suprieur.
Plus qu'une simple dgradation de la qualit de vie du personnel, ces
vnements ont bnfici aussi d'une couverture mdiatique, probablement utile
pour la prise de conscience des dirigeants et pour faire changer les conditions
pralables. La plupart des articles ont mis l'accent sur les dfauts de management
et sur les situations pnibles des employs, mais ce stade on ignore combien des
suicides aurait eu lieu en l'absence de toute mdiatisation et donc de toute risque
de suggestion par ce moyen.
Il s'agit d'un sujet qui mriterait une tude future plus approfondie.
18
-
1.4.3. l'adolescence
La recherche identitaire, les changements de statut social, les angoisses
et les conflits, la recherche d'exprimentations, coupls un dficit de
conceptualisation amnent plus facilement le jeune agir qu' raisonner. Il suit un
modle extrieur immdiat plutt que formuler des comportements issus d'une
rflexion personnelle. Plusieurs types de conduite sont touchs et l'autolyse ne fait
pas exception. De plus, les conduites addictives (facteur de risque) est aussi plus
frquent.
L'apparition de plusieurs suicides au sein d'un mme groupe est un
phnomne qui touche avec prdilection des victimes jeunes, puisque des
situations de ce genre sont retrouvs deux quatre fois plus souvent l'ge de
l'adolescence (Gould et al 1990, Pelkonen et Marttunen, 2003).
La suggestibilit et les phnomnes d'imitation sont des facteurs qui
peuvent participer la formation de clusters (groupements), mais ils ne sont pas
indispensables. Il convient de faire la diffrence entre deux catgories de
groupements [13]:
a) statistiques, dfinies seulement par le nombre de cas et la
concentration gographique et/ou temporelle; soit il n'y a pas de ressemblances
entre les cas selon les critres habituelles d'imitation, soit elles sont purement
dues au hasard;
b) par contagion, lorsqu'il y a communication pralable (par quel
moyen que se soit) entre au moins trois cas et qu'il s'agit d'un change de
convictions qui prcipite le passage l'acte pour les victimes suivantes.
Le simple contact entre deux ou plusieurs personnes qui ont des ides
suicidaires va induire une amplification et une aggravation pour tous ceux
impliqus, par un mcanisme assimilable la rsonance. Un suicide abouti sera
d'autant plus catastrophique, car devant le stress secondaire au deuil, les
survivants manquent souvent de capacits pour y faire face.
L'entourage cet ge est form, en dehors de la famille, pour la plupart
19
-
de personnes avec le mme profil que la victime. Une des thories qui ont t
avances pour carter l'hypothse de la suggestion dans les pidmies de suicide
tait que les personnes suicidaires ont tendance choisir des amis suicidaires.
Donc ce ne serait pas l'imitation, mais cette prdisposition antrieure qui
produirait l'accumulation des cas d'autolyse.
Une constatation analogue est possible dans les cas familiaux.
1.4.4. Agrgation familiale
Il est bien connu que parmi les facteurs de risque de suicide (abouti ou
tentative) se trouvent les antcdents familiaux de suicide.
Un fait bien tabli est le lien avec la gntique familiale, des tudes
d'adoption et de jumeaux mettant en vidence une prdisposition inn pour
l'idation suicidaire et pour les passages l'acte graves (Roy et al 1995, 2001;
Statham et al 1998).
Plusieurs gnes ont t incrimins, principalement ceux qui rgularisent
les rcepteurs des neurotransmetteurs et les enzymes impliques dans leur
synthse (par exemple: dopamine, srotonine, TPH, MAO) [22]. Mais ct des
aspects neurobiologiques l'effet de l'imitation ne peut pas tre nglig.
Margaux Hemingway, actrice amricaine et petite-fille de l'crivain
mythique qui fut Ernest Hemingway, dcde le 1er juillet 1996 suite une
intoxication volontaire par phnobarbital. Il s'agit du cinquime suicide sur quatre
gnrations dans cette famille. Son grand-pre s'est donn la mort le 2 juillet,
trente-cinq annes plus tt un jour prs. Concidence?
C'est dans ce genre de contexte que la notion de "modle familial" est
fortement souponn de jouer un rle important, soit dans le passage l'acte
proprement dit, soit dans le choix du moment, du lieu, ou de la mthode. En effet,
pour pouvoir parler d'imitation (ajoute ou non un trait gntique) il faut qu'au
moins un point commun soit retrouv avec le ou les suicide(s) pass(s). Il est
pourtant difficile d'estimer quelle est la part de l'imitation et quelle est la part du
20
-
comportement ayant comme seule source l'engagement personnel.
1.5. Suicide facilit Jusqu'ici le primum movens des pidmies mentionnes tait un cas
initial, rel ou non, qui n'avait pas l'intention de provoquer ou de favoriser une
raction mimtique, mais que les victimes tentaient plus ou moins d'imiter. Dans
l'histoire rcente du sujet, on rencontre aussi un facteur initial diffrent: des livres
destins favoriser le suicide, au nom de la libert de l'individu et du droit de
savoir comment procder.
Il convient d'utiliser le terme de "suicide facilit" car il s'agit ici de la
reproduction du geste seulement, suite des conseils dispenss ce mme but et
pour faire la diffrence avec les modles rels, involontaires.
Ce fut, en France, le cas de "Suicide: mode d'emploi", ouvrage paru en
1982 et interdit la publication cinq ans plus tard. Il contient dix chapitres, dont
le dernier traite de quelques mthodes juges efficaces. Traduit en plusieurs
langues, il fut la source d'un vif dbat et a t vis directement par l'Assemble
Nationale.
La France fait aujourd'hui partie des rares pays au monde qui ont fix
des textes de loi pour punir la provocation, la propagande et la publicit du
suicide. Il s'agit de la loi n 87-1133, en vigueur depuis fin 1987, et des articles
223-13 223-15 du Code Pnal.
En 1991, aux Etats-Unis, Derek Humphry publia "Final exit", avec le
mme profil que le prcdent, mais qui est encore rdit de nos jours. Il discute
les avantages et dsavantages de moyens de se suicider. Toujours aux Etats-Unis,
deux mdecins australiens font paratre "The Peaceful Pill Handbook" en 2006,
livre qui essaie de classifier des procdures selon un indice de "reliability-
peacefulness" ("fiabilit-tranquillit"), initialement interdit en Australie et en
Nouvelle-Zlande.
Au Japon, Wataru Tsurumi crit "Kanzen Jisatsu Manyuaru" (ou "Le
21
-
manuel complet du suicide", 1993) qui prend en compte le degr de souffrance et
essaie d'estimer la ltalit de plusieurs moyens violents. Encore disponible de nos
jours, ce livre a t jug "nuisible pour les jeunes" uniquement dans quelques
territoires nippons.
Bien que certains suicides ont pu tre lis aux textes cits (par la
mthode employe ou par des rfrences directes sur le lieu du dcs), et que leur
caractre suggestible est vident, il n'y a pas d'tude spcifique pour quantifier le
nombre de victimes consquentes leur publication.
Analysant la variation du taux de suicide en France avant, pendant et
aprs la parution de "Suicide: mode d'emploi" (Figure 1), on constate une
augmentation remarquable dans l'anne de la publication (20,8 versus 19,5), qui
s'est prolonge jusqu'en 1985. Une discrte dcroissance (22,6 22,5) est not en
1986, mais le dclin ne commence vraiment que l'anne suivante (1987), anne de
la loi interdisant l'instigation au suicide, et se poursuit jusqu' un nouvel "tat
d'quilibre" presque gal aux chiffres d'avant 1982.
Figure 1. Taux annuel de suicide en France par 100.000 habitants (1980-1990)
(d'aprs Inserm CpiDC)
22
1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986 1987 1988 1989 199017
18
19
20
21
22
23
-
Cet argument n'est pas suffisant pour affirmer un lien de causalit entre
le livre et la majoration transitoire du nombre de suicidants, car il y a beaucoup
d'autres facteurs prendre en compte, mais qui ne font pas l'objet de ce mmoire.
Toutefois la loi cite ci-dessus n'apparat au Journal Officiel le 31 dcembre 1987
donc il est impossible qu'elle ait eu une incidence directe sur le nombre de
suicides de la mme anne. Par contre, le dbat public prcdant l'arrive de la loi
aurait pu jouer un rle.
1.6. Autres comportements caractre pidmique 1.6.1 Automutilations
Le suicide est la forme la plus grave d'auto-agression, mais il existe
aussi, diffrents degrs, des gestes intermdiaires comme les automutilations,
qui elles aussi peuvent survenir par pidmies.
La littrature mdicale n'est pas riche ce sujet, mais l'agrgation des
cas est bien connue pour les jeunes en difficult psychologique (Rosen et Walsh,
1989) ou chez les personnes incarcres. Au moins dans la premire situation, il
semble que certains individus sont l'origine de la contagion et qu'ils agiraient
comme modle pour les autres. Dj en 1897, on citait des pidmies de
traumatismes oculaires auto-infligs puis d'auto-amputations, survenues en
Nouvelle Caldonie dans un camp disciplinaire aprs qu'un des occupants avait
lanc l'ide de protester ainsi contre les conditions de travail (P. Mimande).
Un cas plus particulier est celui d'une pidmie d'automutilations qui a
dur de 1994 1995 dans le centre amricain de dtention de Guantanamo Bay. Il
s'agit d'un foyer de contagion provoqu par des dcisions politiques regrettables.
Suite un changement brutal dans le rapport entre les deux pays, plusieurs
milliers de rfugis cubains qui cherchaient atteindre le sol amricain ont t
arrts et transports vers Guantanamo. L ils se retrouvaient dans un vide
juridique qui prennisait la restriction de leur libert. Le deux moyens pour y
chapper taient l'vasion et la procuration d'une maladie ncessitant des soins
23
-
l'extrieur.
La dcision d'aggraver volontairement une maladie somatique
prexistante (non-observance du traitement), de lacrer des tendons ou induire des
brlures n'avait rien en commun avec des troubles psychiatriques classiques. La
suggestion et l'imitation n'taient qu'une expression de l'intensit de la frustration
des dtenus. Nous pouvons parler de la recherche consciente d'un "bnfice
secondaire", sans pour autant utiliser la notion dans son sens habituel.
L'pidmie n'a pris fin que quand la cause a t supprime, les autorits
amricaines acceptant d'accueillir les rfugis (Eisenberg, 1997).
1.6.2. Comportement htroagressif
Enfin, l'effet de suggestion-imitation est exerc aussi pour les actes
htroagressifs, des vagues d'homicide ou homicide-suicide n'tant pas tout fait
exceptionnels. Jack l'ventreur en est l'exemple le plus connu. DP Phillips a
trouv qu'aprs mdiatisation des accidents et pour des courtes dures (une
semaine) il peut y avoir une croissance des dcs suite des incidents similaires,
impliquant les vhicules terrestres (1977) et avions (1978), et assimilables des
homicide-suicides.
1.7. L'informatique et InternetMoyen de circulation de l'information par excellence, l'Internet est un
"endroit" o les utilisateurs qui ctoient l'ide du suicide peuvent trouver des sites
de prvention et de soutien, mais aussi des informations sur comment organiser
un passage l'acte et s'assurer de son aboutissement. Le comportement suicidaire
devient encore plus complexe, et enrichit son polymorphisme.
L'aide que la Toile peut apporter aux individus en difficult existentielle
est trs difficile estimer, mais quelques auteurs ont dj trouv des traces des
phnomnes de contagion assimilables un "effet Werther" (Lee et al. 2002,
2005; Becker et al. 2004).
24
-
Une autre association se prsente sous la forme des "pactes suicidaires
Internet" (net suicide), c'est--dire l'organisation de suicides en groupe par des
personnes qui se sont connues via Internet. Ce genre de comportement est surtout
connu en Asie (au Japon une soixantaine de cas sont rapports en 2004) mais au
moins un cas fut aussi signal en Angleterre (Naito, 2007).
Une forme particulirement inquitante de l'usage d'Internet est celle du
"suicide en direct". Les tmoins se comptent par milliers et il est impossible de
savoir concrtement quelles sont les consquences sur le public, ainsi que de les
prendre correctement en charge avec les moyens actuellement disposition.
Nous dtaillerons le cas d'un jeune homme de Floride, Abraham Biggs,
qui est dcd aprs une intoxication volontaire par mdicaments. Il a commis son
geste pendant qu'il communiquait avec d'autres personnes sur un forum de
discussion. L'ambivalence de l'Internet cite plus haut tait vidente dans les
ractions de ses interlocuteurs. Une partie essayait de le soutenir et lui
demandaient d'alerter les secours, tandis que d'autres exprimaient une curiosit
morbide (demandaient si la dose prise tait ltale) ou mme l'encourageaient
s'intoxiquer davantage. La victime, elle, tait visiblement dans un tat de dtresse
et avait nonc l'ide que "l'Internet tait sa famille". Cette opinion fait penser
une svre manque de soutien et l'anomie durkheimienne.
Comme nous avons dj vu au chapitre 1.4.3 (suicide l'adolescence),
les personnes jeunes sont les plus vulnrables aux phnomnes de mimtisme et
cette influence est d'autant plus dltre que l'Internet est trs populaire cet ge.
Dans la littrature mdicale, la place qu'occupe Internet dans la vie de la
population n'est mesure que par des moyens indirects. Une tude japonaise a
conclu que l'usage Internet tait un facteur prdictif du comportement suicidaire
pour les hommes [10], possiblement par l'accessibilit aux informations facilitant
le passage l'acte, mais l'utilisation du rseau Internet, ou l'utilisation des
ordinateurs en gnral, pourrait tre en soi un facteur de risque pour le suicide, si
cela amne un isolement social dans le sens traditionnel du terme (le "soutien"
25
-
apport par les interlocuteurs virtuel n'est pas en gnral reconnu comme aussi
bnfique). Tant qu'il n'y a pas d'tudes pour des sites et des pages spcifiques,
aucune conclusion en ce sens ne peut tre formule.
Dans les cas "conventionnels" de contagion il existait une limitation
dans l'espace lie la diffusion de la presse, mais la communication par voie
lectronique ne tient pas compte des barrires gographiques. La carte est plutt
corrle la proportion de connectivit au rseau. En plus, contrairement la
presse crite o les articles sont disponibles pendant une priode relativement
courte, les sites web peuvent conserver ses pages indfiniment, et elles sont
accessibles de tout ordinateur.
L'accessibilit aux substances illicites et aux mdicaments est facilite
aussi, car l'change entre utilisateurs n'est pas contrl par prescriptions ou
encadrement lgal suffisant.
L'usage du rseau Internet dans son ensemble est assez rcent (une
vingtaine d'annes), et les tudes le concernant ne sont qu'au dbut. Il est probable
que les dveloppements scientifiques dans ce domaine occuperont une place
beaucoup plus importante dans le futur, et il est souhaitable que des mesures de
prvention adaptes soit implmentes pour la pratique.
1.8. Un essai de psychopathologieLe mcanisme derrire le comportement d'imitation vis--vis du suicide
implique certainement le processus d'identification la victime initiale. Cela a t
vrifi plusieurs reprises, et il en rsulte une double signification: l'identification
n'est pas seulement trouve (reconnatre son image et la mme problmatique, qui
pousse vers la mort, chez ses prdcesseurs), mais aussi recherche (changements
et comportements conscients pour ressembler au modle: ces sont les
"symptmes" de la Wertherfieber). Ce deuxime aspect est probablement celui
qui prcipite le passage l'acte: si un individu connu (voire admir) a choisi de
"rsoudre" ces difficults de cette manire, les suivants vont prendre l'exemple.
26
-
L'existence d'un trouble mental ne fait qu'exacerber la fragilit face aux
facteurs stressants et la mdiatisation d'un suicide a l'effet de dsinhiber les
pulsions suicidaires chez des personnes qui jusque l arrivaient les contenir. Elle
agit aussi en indiquant (dans le cas d'un suicide abouti) que la mthode utilise a
t efficace et, ventuellement, par la suggestion qu'un suicid peut tre glorifi
au-del de la mort.
27
-
Deuxime partie Agir
Lorsque survient un dcs (suicide ou non), la raction spontane est de
partager les informations le concernant, dmarche qui fait partie du travail du
deuil pour les proches et pour la conscience collective. Quand il s'agit d'un suicide
de notorit publique, les autorits, la presse et dans un sens plus large les
survivants sont confronts deux questions particulires: faut-il annoncer la cause
de la mort tant que telle et, le cas chant, comment faut-il prsenter les
informations?
2.1. Mesures de prvention dj initiesPour rpondre au questions mentionnes et tenant compte de l'tat
actuel des connaissances, l'Organisation Mondiale de la Sant a nonc les
recommandations suivantes (Genve, 2000):
a) viter l'apparition des articles concernant les suicides sur la premire
page des journaux; viter l'iconographie; proscrire le sensationnel, surtout s'il
s'agit de personnes clbres; la couverture mdiatique devrait tre rduite au
minimum ncessaire;
b) ne pas donner des dtails sur le moyen utilis pour un suicide abouti;
c) le suicide ne devrait pas tre prsent de manire simpliste, mais
comme le rsultat de plusieurs facteurs; toute maladie mentale associ doit tre
mentionne;
d) l'image du suicide ne devrait pas tre celle d'une solution aux
problmes personnels, ni un moyen de glorifier la victime;
e) commenter les effets du suicide sur l'entourage proche;
f) expliquer les consquences physiques des tentatives choues;
Toute reportage sur un suicide devrait tre accompagn de mesures de
prvention tertiaire tels que:
a) ressources de lutte contre une crise suicidaire: coordonnes des
28
-
structures de sant mentale, lignes tlphoniques d'aide et coute;
b) vulgarisation des signes d'une crise et des comportements suicidaires;
c) insister sur l'association entre dpression et suicide, et montrer que la
dpression est un trouble curable;
d) offrir la sympathie et des modalits d'accompagnement des
survivants endeuills
D'une manire gnrale, il faut ddramatiser de faon raisonnable et
mettre l'accent sur le ct nfaste des faits. Les tudes de linfluence des mdias
sur les comportements viennent dans cette logique-l. Cest ainsi que, par
exemple, les tlvisions ne montrent plus de feux de voitures, qui semblaient
exciter les tlspectateurs, mais des voitures calcines, qui offrent un spectacle de
dsolation.
L'implmentation de ce genre de prcautions a fait la preuve de son
efficacit, notamment dans les suicides du mtro de Vienne, qui avait atteint des
ctes alarmantes, mais sont revenus au niveau de base aprs application des
recommandations des experts autrichiens.
2.2. Mesures spcifiques l'adolescenceOn estime 25 % la proportion d'adolescents qui ont des ides
suicidaires [13]. Pour empcher la formation de cohortes de nouveaux suicidants
aprs un geste abouti, les efforts devraient tre dirigs vers l'identification des
personnes les plus vulnrables, comme ceux les plus proches de la victime;
l'identification des individus qui ont dj fait des tentatives ou qui souffrent d'un
trouble psychiatrique (surtout parmi les garons); et la lutte contre la dtresse au
sein de la communaut (apaiser l'anxit, ouvrir des moyens de communication et
partage d'informations...).
29
-
Conclusion
La complexit du sujet est loin d'tre entirement dchiffre, mais
l'heure actuelle il semble vident que certains suicides sont des catalyseurs pour
des comportements d'imitation, la population jeune tant particulirement
risque. Globalement, l'effet semble limit dans le temps et peu important en ce
que concerne le nombre total de suicides gnrs. C'est plutt dans le choix du
moyen que l'influence est plus vidente.
Les donnes concernant ce phnomne singulier et profondment
humain ont fait le lit d'un subtil dbat thique entre le droit d'informer et la
limitation au nom des vies potentiellement pargnes. Faut-il protger les plus
fragiles devant une nouvelle qui risque d'augmenter leur souffrance de la mme
faon qu'un mdecin peut refuser de communiquer un diagnostic fatal une
personne inapte d'y faire face? Est-ce que cela peut autoriser une censure ou
faut-il accepter les consquences et les prendre pour une fatalit, pour des suicides
qui font partie du "taux irrductible" et "ncessaire" de Durkheim?
Pour l'instant peu de pays (dont la France) ont fix des lois contre ceux
qui instiguent ou favorisent le suicide. Les autres mesures font appel des
recommandations adresses aux professionnels du journalisme. Quel que soit le
rapport (indiffrent ou influence dfavorable sur l'incidence du suicide) une
prcaution dans la prsentation des faits ne peut tre que bnfique, mais le choix
final reste dans les mains des diteurs. Enfin, il ne faut pas diaboliser la
mass-media, qui peut tre aussi un outil de prvention si elle est utilise de faon
raisonnable.
Beaucoup plus reste dcouvrir propos des mcanismes
psychologiques sous-jacents. Du point de vue mdical il faudra bnficier de
statistiques plus dtailles pour pouvoir discerner le profil clinique des suicidants
par rapport au cas mdiatis, et pour mesurer la circulation de l'information dans
la population gnrale afin de montrer un ventuel lien de causalit.
30
-
Parmi les personnages de Dostoevski, dix-sept dcdent avant que
l'histoire ne s'achve, dont une partie par suicide. Shakespeare avait dj fait vivre
sur scne des modles d'hrosme et d'amour qui se suicidrent et dont l'image
s'est prserve jusqu' nos jours, mais il n'y a pas eu d'pidmie londonienne les
imitant depuis.
"Les souffrances du jeune Werther" n'est donc pas le seul livre
raconter un suicide, mais aucun autre n'a entran un effet aussi funeste.
Pourquoi? Une possible rponse est la rflexion de Goethe mme, dans son
volume "Posie et vrit": L'effet de ce petit livre fut grand, monstrueux mme,
mais surtout parce qu'il est arriv au bon moment . Plutt au mauvais moment,
pour ses victimes.
31
-
Bibliographie slective
1. Arehart-Treichel J
"Experts Advise Media on Responsible Suicide Reporting"
Psychiatric News. 2001; 36 (18):2.
2. Camidge DR, Wood RJ, Bateman DN
The epidemiology of self-poisoning in the UK
Br J Clin Pharmacology. 2003; 56:613-9.
3. Cheng AT et al.
The influence of media reporting of a celebrity suicide on suicidal behaviour in
patients with a history of depressive disorder
J Affect Disord. 2007 Nov; 103 (1-3): 69-75. Epub 2007 Feb 20.
4. Cooper B
Sylvia Plath and the depression continuum
J R Soc Med 2003; 96:296301.
5. Durkheim E
Le Suicide (1897)
http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.due.sui2 (consult le 02.09.2009)
6. Ghanizadeh Ahmad
Copycat suicidal attempt by a 7 year old boy after watching homicidal behavior
in media: a case report
Cases Journal 2009, 2:43.
32
-
7. Goethe, J W
Les Souffrances du jeune Werther.
Librairie Gnrale Franaise, 1999.
8. Gross C et al.
Suicide Tourism in Manhattan, New York City, 19902004
Journal of Urban Health: Bulletin of the New York Academy of Medicine 2007;
84(6): 755-765.
9. Gunnell D
"Reporting suicide"BMJ. 1994; 308: 1446-7.
10. Hagihara A et al.
Media suicide-reports, Internet use and the occurrence of suicides between 1987
and 2005 in Japan
BMC Public Health. 2007; 7:321.
11. Hawton K et al.
Effects of a drug overdose in a television drama on presentations to hospital for
self poisoning: time series and questionnaire study
BMJ. 1999; 318: 972-977.
12. Hawton K, Williams K
Influences of the media on suicide
BMJ. 2002;325:13745
13. Johansson L et al.
Teenage suicide cluster formation and contagion: implications for primary care
BMC Family Practice. 2006, 7:32.
33
-
14. Jonas K
Modelling and suicide: A test of the Werther effect
British Journal of Social Psychology. 1992; 31: 295-306.
15. Niederkrotenthaler T et al.
Der Werther-Effekt: Mythos oder Realitt ?
Neuropsychiatrie. 2001; 21(4): 284-290.
16. Pearce JMS
"Thomas Addison (1793-1860)"
J R Soc Med. 2004; 97:297-300.
17. Phern Chern Tor et al.
"The Media and suicide"
Ann Acad Med Singapore. 2008; 37: 797-9.
18. Phillips DP
"The influence of suggestion on suicide: substantive and theoretical implications
of the Werther effect."
Am Soc Rev.1974; 39: 340354.
19. Phillips DP et al.
A Comparison of Injury Date and Death Date in 42,698 Suicides
AJPH. May 1988;78(5):541-543.
20. Platt S
The aftermath of Angie's overdose: is soap (opera) damaging to your health?
BMJ 1987; 294: 954-957.
34
-
21. Rosen PM, Walsh BW
Patterns of contagion in self-mutilation epidemics
Am J Psychiatry. 1989 May; 146(5):656-8.
22. Roy A.
Genetic influences on suicide risk
Clinical Neuroscience Research. 2001; 1: 324-330.
23. Schmidtke A, Hfner H
"The Werther effect after television films: new evidence for an old hypothesis"
Psychol Med. 1988 Aug; 18(3):665-76.
24. Sisask M, Vrnik A, Wasserman D
"Internet comments on media reporting of two adolescents' collective suicide
attempt"
Arch Suicide Res. 2005; 9(1):87-98.
25. Smith GD
"Death in Hollywood"
BMJ. 2001; 323:1442.
26. Soucy LMR
"Semaine de prvention du suicide L'effet Gatan Girouard"
Le Devoir. (Publi le 02.02.2005, consult le 08.09.2009 l'adresse:
http://www.ledevoir.com/2005/02/02/73943.html).
27. Stirman SW, Pannebaker JW
"Word Use in the Poetry of Suicidal and Nonsuicidal Poets"
Psychosomatic Medicine 63:517522 (2001).
35
-
28. Taiminen TJ, Helenius H
Suicide clustering in a psychiatric hospital with a history of a suicide epidemic: a
quantitative study
Am J Psychiatry. 1994 Jul; 151(7):1087-8.
29. Taiminen T, Salmenper T, Lehtinen K
"A suicide epidemic in a psychiatric hospital"
Suicide Life Threat Behav. 1992 Fall; 22(3):350-63.
30. Tarde G
Contre Durkheim propos de son Suicide (1897)
http://dx.doi.org/doi:10.1522/cla.tag.con
31. Tousignant M et al.
The impact of media coverage of the suicide of a well-known Quebec reporter:
the case of Gatan Girouard
Social Science and Medecine. May 2005; 60(9):1919-1926"
doi:10.1016/j.socscimed.2004.08.054
32. Waldron G et al.
"Copycat overdoses coincidental"
BMJ. 1993; 306:1416.
33. Walton S
"A Natural History of Emotions"
Grove Press. New York, 2004.
34. Wilmotte J
Le Suicide: psychothrapies et conduites suicidaires
36
-
Editions Mardaga, 1995.
35. Ziegler W, Hegerl U.
Der Werther-Effekt
Nervenarzt. 2002; 73:4149.
36. *** Fdration Franaise de Psychiatrie
La crise suicidaire. Reconnatre et prendre en charge
John Libbey Eurotext. Paris, 2001.
37
-
Remerciements:
Messieurs les Professeurs J.B. Garr, B. Millet, J.M. Vanelle et M. Walter
pour l'organisation de l'enseignement.
Dr. B. Gohier (Praticien Hospitalier CHU d'Angers)
pour la relecture et ses remarques.
Dr. S. Richard-Devantoy (Chef de Clinique Assistant CHU d'Angers)
pour le travail motivationnel.
38