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Tous droits réservés © Santé mentale au Québec, 1985 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 6 jan. 2021 12:09 Santé mentale au Québec Les parents d’un enfant handicapé (Revue de la littérature américaine) Parents of a handicapped child (review of American literature) Constance Lamarche Parents et enfants Volume 10, numéro 1, juin 1985 URI : https://id.erudit.org/iderudit/030266ar DOI : https://doi.org/10.7202/030266ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Revue Santé mentale au Québec ISSN 0383-6320 (imprimé) 1708-3923 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Lamarche, C. (1985). Les parents d’un enfant handicapé (Revue de la littérature américaine). Santé mentale au Québec, 10 (1), 36–45. https://doi.org/10.7202/030266ar Résumé de l'article La présence d'un enfant handicapé provoque des changements profonds dans une famille et peut être une source de tensions et de stress. Pour les parents, la situation se traduit soit par une croissance personnelle, soit par une insatisfaction ou une inadaptation, pouvant influencer leur vie personnelle, conjugale, familiale et sociale. La naissance de l'enfant handicapé déclenche chez les parents toute une série d'émotions, de sentiments, de comportements et d'attitudes. Les parents sont placés dans une situation complexe et irrévocable. Ils doivent s'y adapter, s'organiser pour offrir des conditions favorables au développement de l'enfant, tout en tentant de préserver leur intégrité personnelle et familiale. Cet article présente les différentes étapes du cheminement des parents. Il décrit également les sentiments éprouvés et les besoins ressentis par les frères et les soeurs de l'enfant handicapé; il souligne le rôle déterminant des parents à leur égard. Dans de telles situations, les professionnels doivent saisir adéquatement la dynamique familiale pour aider les parents à offrir à l'enfant handicapé un milieu stimulant. Chaque année, quelques milliers d'enfants québécois voient le jour avec un handicap mental ou physique. Environ 5,5% des enfants naissent avec différents degrés de déficiences, de malformations ou souffrent de maladies congénitales. Il ne s'agit là que d'une estimation sommaire car aucune étude épidémiologique n'est actuellement en mesure de nous offrir des données précises à ce sujet pour le Québec et le Canada. Ces enfants sont à la fois semblables et différents des autres enfants. Leur naissance soulève des questions existentielles. Elle donne lieu à des controverses telles: l'euthanasie, l'acharnement thérapeutique. Elle entraîne des débats sur la stimulation précoce, la responsabilité et la participation parentales, l'intégration familiale, scolaire ou sociale. Dans notre société, ces enfants ont été longtemps cachés. Souvent, leur famille avait honte d'eux et refusait d'en parler. Dans bien des cas, on les plaçait en institution et on les oubliait même, parfois... Au cours des quinze dernières années, un mouvement valorisant le respect des droits des personnes handicapées et leur intégration maximale à la famille et à la société, a contribué à changer les mentalités, les attitudes et les comportements à leur endroit. Au début des années 70, on assiste à un virage: on tente de favoriser au maximum le maintien en milieu familial plutôt que le recours aux ressources institutionnelles. Selon les tenants de la nouvelle politique, tout jeune enfant handicapé ou non, a besoin de ses parents pour l'aimer, le valoriser et le guider.

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Tous droits réservés © Santé mentale au Québec, 1985 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 6 jan. 2021 12:09

Santé mentale au Québec

Les parents d’un enfant handicapé (Revue de la littératureaméricaine)Parents of a handicapped child (review of American literature)Constance Lamarche

Parents et enfantsVolume 10, numéro 1, juin 1985

URI : https://id.erudit.org/iderudit/030266arDOI : https://doi.org/10.7202/030266ar

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)Revue Santé mentale au Québec

ISSN0383-6320 (imprimé)1708-3923 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articleLamarche, C. (1985). Les parents d’un enfant handicapé (Revue de la littératureaméricaine). Santé mentale au Québec, 10 (1), 36–45.https://doi.org/10.7202/030266ar

Résumé de l'articleLa présence d'un enfant handicapé provoque des changements profonds dansune famille et peut être une source de tensions et de stress. Pour les parents, lasituation se traduit soit par une croissance personnelle, soit par uneinsatisfaction ou une inadaptation, pouvant influencer leur vie personnelle,conjugale, familiale et sociale. La naissance de l'enfant handicapé déclenchechez les parents toute une série d'émotions, de sentiments, de comportementset d'attitudes. Les parents sont placés dans une situation complexe etirrévocable. Ils doivent s'y adapter, s'organiser pour offrir des conditionsfavorables au développement de l'enfant, tout en tentant de préserver leurintégrité personnelle et familiale.Cet article présente les différentes étapes du cheminement des parents. Ildécrit également les sentiments éprouvés et les besoins ressentis par les frèreset les soeurs de l'enfant handicapé; il souligne le rôle déterminant des parentsà leur égard. Dans de telles situations, les professionnels doivent saisiradéquatement la dynamique familiale pour aider les parents à offrir à l'enfanthandicapé un milieu stimulant. Chaque année, quelques milliers d'enfantsquébécois voient le jour avec un handicap mental ou physique. Environ 5,5%des enfants naissent avec différents degrés de déficiences, de malformationsou souffrent de maladies congénitales. Il ne s'agit là que d'une estimationsommaire car aucune étude épidémiologique n'est actuellement en mesure denous offrir des données précises à ce sujet pour le Québec et le Canada. Cesenfants sont à la fois semblables et différents des autres enfants. Leurnaissance soulève des questions existentielles. Elle donne lieu à descontroverses telles: l'euthanasie, l'acharnement thérapeutique. Elle entraînedes débats sur la stimulation précoce, la responsabilité et la participationparentales, l'intégration familiale, scolaire ou sociale. Dans notre société, cesenfants ont été longtemps cachés. Souvent, leur famille avait honte d'eux etrefusait d'en parler. Dans bien des cas, on les plaçait en institution et on lesoubliait même, parfois... Au cours des quinze dernières années, un mouvementvalorisant le respect des droits des personnes handicapées et leur intégrationmaximale à la famille et à la société, a contribué à changer les mentalités, lesattitudes et les comportements à leur endroit. Au début des années 70, onassiste à un virage: on tente de favoriser au maximum le maintien en milieufamilial plutôt que le recours aux ressources institutionnelles. Selon les tenantsde la nouvelle politique, tout jeune enfant handicapé ou non, a besoin de sesparents pour l'aimer, le valoriser et le guider.

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Santé mentale au Québec, 1985, X, 1, 36-45.

Les parents d'un enfant handicapé

(Revue de littérature américaine)

Constance Lamarche*La présence d'un enfant handicapé provoque des changements profonds dans une famille et peut être une source detensions et de stress. Pour les parents, la situation se traduit soit par une croissance personnelle, soit par une insatisfac-tion ou une inadaptation, pouvant influencer leur vie personnelle, conjugale, familiale et sociale. La naissance de l'enfanthandicapé déclenche chez les parents toute une série d'émotions, de sentiments, de comportements et d'attitudes.

Les parents sont placés dans une situation complexe et irrévocable. Ils doivent s'y adapter, s'organiser pour offrir desconditions favorables au développement de l'enfant, tout en tentant de préserver leur intégrité personnelle et familiale.

Cet article présente les différentes étapes du cheminement des parents. Il décrit également les sentiments éprouvés etles besoins ressentis par les frères et les soeurs de l'enfant handicapé; il souligne le rôle déterminant des parents à leur égard.

Dans de telles situations, les professionnels doivent saisir adéquatement la dynamique familiale pour aider les parentsà offrir à l'enfant handicapé un milieu stimulant.

Chaque année, quelques milliers d'enfants québécois voient le jour avec un handicap mental ou physique. Environ 5,5%des enfants naissent avec différents degrés de déficiences, de malformations ou souffrent de maladies congénitales.Il ne s'agit là que d'une estimation sommaire car aucune étude épidémiologique n'est actuellement en mesure de nousoffrir des données précises à ce sujet pour le Québec et le Canada.

Ces enfants sont à la fois semblables et différents des autres enfants. Leur naissance soulève des questions existentiel-les. Elle donne lieu à des controverses telles: l'euthanasie, l'acharnement thérapeutique. Elle entraîne des débats surla stimulation précoce, la responsabilité et la participation parentales, l'intégration familiale, scolaire ou sociale.

Dans notre société, ces enfants ont été longtemps cachés. Souvent, leur famille avait honte d'eux et refusait d'en parler.Dans bien des cas, on les plaçait en institution et on les oubliait même, parfois... Au cours des quinze dernières années,un mouvement valorisant le respect des droits des personnes handicapées et leur intégration maximale à la famille età la société, a contribué à changer les mentalités, les attitudes et les comportements à leur endroit. Au début des années70, on assiste à un virage: on tente de favoriser au maximum le maintien en milieu familial plutôt que le recours auxressources institutionnelles. Selon les tenants de la nouvelle politique, tout jeune enfant handicapé ou non, a besoinde ses parents pour l'aimer, le valoriser et le guider.

INTRODUCTION

La famille est essentielle au développement del'enfant: elle est à l'origine des actions à initier enfaveur de ce dernier et, assurer ce qu'on pourraitappeler «une permanence éducative».

Après dix années d'une politique d'accueil del'enfant handicapé par sa famille, nous avons puconstater que ses parents peuvent faire beaucouppour lui, voire beaucoup plus qu'on croyait. Nouspouvons même affirmer que plus la famille s'engage

tôt dans un programme adapté aux besoins del'enfant, plus il a de chances d'acquérir de l'auto-nomie, de se développer et de s'intéger socialement.

Beaucoup d'espoirs sont permis. Mais, même sion dispose aujourd'hui de moyens qui nous permet-tent de repousser très loin les limites du handicap,il n'en faut pas moins rester conscient des limitesde l'enfant et demeurer réaliste. Apprendre à vivreavec un enfant handicapé, faire en sorte qu'il sedéveloppe au maximum et trouve sa place dans lasociété constitue tout un défi en soi. Nul n'est besoind'insister sur le fait que les familles ont grand besoinde support, à la fois pour elles-mêmes et pour lesseconder dans l'éducation de leur enfant.

Si les services à l'enfant handicapé ont connu unprogrès incontestable, les services de soutien à safamille sont moins bien développés. Malgré une

L'auteure, conseillère en orientation, travaille au PavillonSt-Charles de Limoilou comme directrice des Services Com-munautaires. Elle remercie Lorraine Boyer et Diane Batkopour leur participation au chapitre sur les frères et les soeursde l'enfant handicapé.

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volonté politique indéniable, les ressources médi-cales, psychosociales et éducatives mises à la dis-position des parents restent en effet trop rares, peustructurées et souvent mal adaptées.

Les réactions initiales des parentslors de l'annonce du diagnostic

Comment réagissent les parents lorsqu'ils appren-nent que leur enfant est handicapé? Quels sentimentsles animent?

L'arrivée d'un enfant handicapé provoque l'effon-drement des rêves de perfection tissés au fil des moiset bouleverse considérablement les projets d'ave-nir. Cet enfant ne sera jamais l'enfant dont ils aurontrêvé. L'anxiété et la douleur ressenties remplacent lesjoies normalement associées à la naissance. Lesparents vivent une pénible confrontation entre leursdésirs et la réalité. Ils sont, en général, sous le coupd'un choc qui se manifeste par des émotions trèsvives et des réactions parfois extrêmes. Quelle qu'ensoit l'ampleur, ces réactions sont normales et saines.

Les réactions sont diverses, imprévisibles et trèscomplexes. De façon générale, les parents cherchentd'abord des moyens de fuir la réalité. Ainsi, lorsde l'annonce du diagnostic, les parents ont du malà comprendre ou à seulement entendre ce qui estdit, certains semblent même perdre momentanémenttout contact avec la réalité. D'autres se réfugientdans le vague espoir d'un miracle médical. Certainsnient l'identité de l'enfant, souhaitent sa mort ouenvisagent comme solution un placement en insti-tution.

Progressivement, les parents développent des atti-tudes plus positives et plus nuancées. Ds veulent parexemple connaître les causes du handicap; ilss'interrogent sur leur capacité à l'assumer. Ils crai-gnent leur éventuel attachement, ou le décès del'enfant, tout en désirant connaître ce dernier.Endéfinitive, leurs sentiments sont extrêmement ambi-valents. Ils peuvent manifester de l'agressivitéenvers le personnel hospitalier; ils se demandent enoutre comment faire face à la famille et aux amis.

Quoique parfois violentes, déroutantes ou décon-certantes, les réactions des parents dénotent une cer-taine prise de conscience de la réalité, une capacitéà se protéger et à exprimer leur souffrance. D'oreset déjà, le processus d'adaptation s'amorce.

Les réactions initiales des professionnelsLes professionnels ne sont pas insensibles à la réa-

lité vécue par les parents. Ils sont confrontés faceà cette situation brutale et éprouvent des sentimentsd'impuissance, d'échec, de déception, de confusion,voire même d'incompétence. Comme eux, ils refu-sent d'abord de se rendre à l'évidence et espèrentpar la suite qu'il s'agit d'une erreur. Parfois, ilsdésirent le décès de l'enfant, souhaitant voir lesparents libérés de leur souffrance. Ils remettent enquestion leur capacité à affronter une telle situationet peuvent avoir du mal à accepter l'enfant tel qu'ilest.

Les professionnels doivent cependant apprendreà maîtriser rapidement leurs émotions pour appor-ter aux parents le support dont ils ont besoin. Enpériode de crise, ces derniers sont particulièrementvulnérables aux réactions de leur entourage.

Pour être en mesure d'apporter une aide adéquate,les professionnels doivent eux-mêmes avoir réfléchià la situation que provoque la naissance d'un enfanthandicapé et pris conscience de leurs propres réac-tions, de leurs faiblesses et de leurs préjugés. Ilsdoivent comprendre la dynamique familiale etaccepter les différentes réactions des parents et leurintensité. Bref, les professionnels doivent savoirévaluer les situations et poser les actions appro-priées; percevoir les signaux émis par les parents,respecter leur rythme et garder un contact cha-leureux.

Ils seront alors en mesure de susciter un climatde confiance, d'établir avec les parents des relationspermettant des échanges positifs. Ceci devrait favo-riser l'accueil de l'enfant au sein de sa famille eten conséquence, son développement optimal, touten maintenant l'harmonie familiale.

LE PROCESSUS D'ADAPTATIONDES PARENTS

Le cheminement complexe que les parents doi-vent traverser avant de s'adapter de façon satisfai-sante à leur situation a été décrit par plusieursauteurs. Faber (1959) décrit les facteurs qui influen-cent l'adaptation des parents. Selon Evans (1976) etDrotar et al (1975), le cheminement des parents peutêtre divisé en cinq étapes: le choc, la contestationou la négation, le désespoir, le détachement oul'adaptation et l'acceptation ou la réorganisation.

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Pour sa part, Egg (1964) présente le cheminementdes parents en trois phases progressives d'abordcentré sur le moi, puis sur l'enfant et enfin sur lacommunauté. Wolfensberger (1967) parle quant àlui de phénomène de crise reliée au choix, au bou-leversement des valeurs personnelles et à la réalité.Par ailleurs, Olshansky (1966), Wickler, Wasow etHatfield (1981) ainsi que Young (1977) insistentsur le chagrin chronique vécu par les parents.

Le processus d'adaptation ou de chagrin chroniquetel que décrit par différents auteurs s'amorce en faitaussitôt que le diagnostic est posé, la nature du han-dicap connue et le pronostic établi. L'état de l'enfantest généralement porté à l'attention des parents selonquatre modalités, c'est-à-dire durant la grossesse, àl'occasion d'examens et de tests à caractère préven-tif, à la naissance, au cours du développement del'enfant, ou soudainement à la suite d'une maladie oud'un accident. Mais quelles que soient les circonstan-ces, les parents vivent, selon Evans (1976), sensible-ment les mêmes sentiments au cours des différentesétapes du cheminement menant à une certaine réor-ganisation ou adaptation. Et, bien que les réactionsvarient d'un parent à l'autre, Roos (1963) prétendqu'une certaine constante se dessine et permet degénéraliser, voire même de dégager un profil-type.

Les facteurs d'influence du processusd'adaptation des parents

Faber (1959) regroupe les facteurs d'influenceselon qu'ils concernent l'enfant, les parents oul'environnement. Les deux premiers sont les moinsmalléables. L'enfant est handicapé, les parents n'ontpas le choix: ils doivent composer avec cette réa-lité en faisant appel à leurs propres ressources. Parcontre, les facteurs liés à l'environnement sont plusmalléables, tant par l'action individuelle que com-munautaire: ils jouent donc un rôle déterminant dansle processus d'adaptation des parents. Mentionnonsen particulier l'importance attribuée à l'opinion età l'attitude des médecins, des infirmières ou des pro-fessionnels en général. De plus, les personnes signi-ficatives pour les parents (parents, amis) exercentsur eux une influence considérable.

Le cheminement des parents décritselon cinq étapes

Le chemineftient-type vécu par les parents secaractérise par un enchaînement d'émotions et de

réactions qui traduit le chagrin qui afflige les pa-rents. Ce chagrin est un processus déclenché parune vive émotion et un sentiment intense de nostal-gie à l'égard de l'enfant imaginé, attendu et désiré.

Le choc

Selon Evans (1976), une personne est en état dechoc lorsque, placée devant un fait inattendu, elleest contrainte de se réorienter et d'intégrer cette nou-velle réalité. Les parents attendent un enfant nor-mal et la naissance d'un enfant handicapé signifiela perte de l'enfant normal. Butani (1974), à l'ins-tar de plusieurs autres auteurs, affirme que lesparents vivent un processus de deuil de l'enfantdésiré. La prise de conscience de l'écart entre ledésir et la réalité se solde par une crise importante.

L'état de choc peut se manifester par une explo-sion émotive ou par une indifférence apparente.Mais les parents éprouvent toujours des sentimentsd'affolement, d'égarement et de confusion et seposent une foule de questions.

Selon Cohen (1962), le choc ressenti par lesparents est tel qu'ils deviennent inaccessibles. Cetteréaction émotive de non-réceptivité s'explique parla brutalité de l'événement et par l'impossibilitépour les parents de se soustraire à la prise en chargeimmédiate de l'enfant. La situation est irréversible.

La négation

Pendant cette période, les parents désirent que laréalité se transforme et que leur chagrin disparaissepar magie. Certains parents résistent à la réalité endevenant superactifs et en refusant d'entendre touteinformation sur l'état de leur enfant. D'autres rejet-tent le diagnostic et recherchent une opinion médi-cale favorable. D'autres encore affichent unecertaine indifférence. Bref, les parents tentent dese soustraire momentanément à l'inévitable ens'accordant un sursis.

Parfois, certains parents souffrent au point de nierla condition de l'enfant en devenant trop ou pasassez optimistes à l'égard de son potentiel de déve-loppement. Cohen 1962) reconnaît que ce compor-tement risque de nuire à l'enfant mais il croîtnécessaire de respecter cette démarche. En effet,l'étape de négation est essentielle au processusd'adaptation et constitue un mécanisme de défensecontre la trop grande brutalité du choc.

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Le professionnel doit être attentif à ces réactionstout en évitant une intervention prématurée visantà confronter les parents à la situation réelle. Il ris-querait ainsi de les plonger dans le désespoir ou ladépression chroniques. Lorsque la déficience oul'incapacité de l'enfant ne se manifeste qu'au coursde son développement, Butani (1974) précise quele refus de la réalité est plus grand et le processusde deuil, plus long.

Durant cette étape, les réactions démontrent uncertain refus de la condition de l'enfant. L'oscilla-tion entre le refus, la négation, l'espoir et l'optimis-me aide les parents à affronter la dure réalité quoti-dienne. Pour Butani (1974), ces réactions sont nor-males de la part d'une personne qui subit une perteimportante et s'accroche à l'espoir. Dans la plupartdes cas, le processus de négation maintient l'équi-libre de la personnalité jusqu'au moment où leparent devient capable d'accepter la réalité. Cettepériode mène inévitablement les parents à éprou-ver des sentiments de solitude, de souffrance et decolère.

Le désespoir, la colère, l'anxiété et la tristesse

Le désespoir et la colère succèdent à la négation.C'est alors que les parents se rendent compte del'incapacité réelle ou de la déficience de l'enfant.Les problèmes occasionnés par la présence del'enfant passent au premier plan. Les parents sedemandent: «Pourquoi cela arrive-t-il à nous plutôtqu'à d'autres?». La colère qui se manifeste durantcette troisième étape est dirigée vers soi-même, versle conjoint, vers l'enfant, vers les professionnels ouvers l'entourage.

Les parents se sentent inadéquats et coupables,ils doutent d'eux-mêmes. L'intensité de la culpabi-lité varie selon le degré d'équilibre atteint avant lanaissance de l'enfant. Les individus et les couplesmieux équilibrés au départ tendent à réagir de façonplus saine. Lorsque l'équilibre est déjà précaire, lasituation vient souvent concrétiser des conflits refou-lés. L'enfant peut alors devenir un bouc émissairequi polarise toutes les difficultés affectives dugroupe familial.

Un tel climat de discordance provoque souventchez les conjoints des sentiments de méfiance, desoupçon, d'hostilité ou de peur, tout en accroissantla culpabilité ressentie. C'est un engrenage qui peutdevenir malsain. Selon certains auteurs, les parents

doivent jouir déjà d'une bonne santé mentale pourréussir à affronter une situation aussi pénible.

D'autres réactions se manifestent durant cetteétape. Les parents commencent à reconnaître la réa-lité du handicap tout en refusant le diagnostic. Ilsconstatent les symptômes tout en émettant des dou-tes sur leur cause. Ils contestent ou rejettent lesmesures proposées pour favoriser le développementde l'enfant. Ils espèrent un progrès mais craignentque le traitement ne donne pas les résultats escomp-tés. Leurs sentiments sont extrêmement ambiva-lents. Es s'interrogent sur leur capacité de vivre touten assumant le handicap de leur enfant.

La lenteur du développement de leur enfant pro-voque chez eux du ressentiment, de la colère et del'hostilité et peut les porter parfois au rejet de leurenfant ou au désir de son décès. Cela ne va pas sansengendrer un sentiment de culpabilité qu'ils com-battent parfois en surprotégeant l'enfant. Il est rareque les parents dirigent leur colère vers l'enfant carils jugent ce comportement inacceptable. Chez plu-sieurs, l'incapacité de trouver une solution à le irproblème se traduit par des sentiments négatifs. Cessentiments sont souvent détournés sur les profes-sionnels, sur l'entourage ou sur toute personne sus-ceptible d'être responsable de près ou de loin del'état de l'enfant. En canalisant leur agressivité, lesparents réduisent ainsi leur colère à l'égard del'enfant.

Lorsqu'il devient évident que la situation est iné-vitable, la révolte devant l'injustice du sorts'exprime de différentes façons: l'apitoiement sursoi, un sentiment d'échec ou de honte, l'anticipa-tion d'un rejet social, la crainte de faire pitié oud'être ridicule. Certains parents craignent même uneperte de prestige.

En conséquence, ils réagissent parfois par leretrait ou l'isolement, par crainte de ne pouvoirmaîtriser leur agressivité envers les autres. Cetteagressivité s'alimente à plusieurs sources: la com-préhension manifestée par les autres, leur pitié nonexprimée, leur évitement de l'enfant ou encore leurscommentaires ou conseils désobligeants.

Le détachement et l'adaptation

Même si la phase de détachement se caractérisepar une acceptation apparente des limites de l'en-fant, une étude plus approfondie de la dynamiquefamiliale montre la persistance de certains conflits

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émotionnels. Une certaine routine s'est installée et cha-cun des membres de la famille assume ses respon-sabilités. Mais on évite quand même de communi-quer ou de partager ses sentiments envers l'enfant.

À ce moment, les parents commencent à s'orga-niser en fonction de la réalité, mais ils ne sont pasencore capables de comprendre et de maîtriser tousleurs sentiments et leurs émotions. On pourraitcroire qu'il s'agit d'une phase transitoire, une sortede répit entre l'étape de désespoir et la réorganisa-tion. Drotar étal. (1975) soulignent une diminutionprogressive de l'anxiété et de l'intensité des réac-tions émotives. Ils remarquent de plus que lesparents s'adaptent progressivement à la situation,qu'ils sont davantage confiants en leur capacité deprendre en charge leur enfant.

Au cours de cette période, les parents reprennentgoût à la vie, ils retrouvent des intérêts et des occu-pations qu'ils avaient délaissés. Ils s'aperçoivent queleurs autres enfants (s'il y a lieu) requièrent leur pré-sence et leur attention. Ils voient qu'ils ne sont pasles seuls à traverser des moments difficiles. Leurssentiments négatifs s'atténuent donc progressive-ment. En somme, ils réalisent que la vie continue.

L'acceptation, la réorganisation

La phase d'acceptation ou de réorganisation semanifeste par une reconnaissance des limites et dupotentiel de l'enfant. Les parents admettent égale-ment les contraintes et les limites des profession-nels et des programmes; ils y participent et prennentmême l'initiative d'actions éducatives. De façongénérale, la perception de l'enfant par les parentsdevient claire et cohérente. Ce dernier prend saplace et est traité selon ses besoins au même titreque les autres membres de la famille.

Evans (1976) signale que la reconnaissance deslimites et des capacités de l'enfant survient au mêmemoment que la prise de conscience par les parentsde leurs propres sentiments envers leur enfant. Celapermet en fait de réduire une tension jusqu'alorsretenue. La situation de l'enfant est maintenant envi-sagée sous un angle plus positif et les attitudes àson égard changent. À la résignation succède unevolonté de donner à l'enfant toutes les chances d'undéveloppement harmonieux. À cette étape, la rela-tion avec l'erîfant devient gratifiante pour lesparents.

Drotar et al., (1975) constatent que les conjointscommencent à se soutenir mutuellement et en attri-buent la cause à l'apprivoisement de l'enfant.

Le phénomène de criseselon Wolfensberger (1969)

L'approche développée par Wolfensberger (1969)est centrée sur les crises vécues par les parents. Ilen dénombre trois types. D'abord, une «crise reliéeau choc» éprouvé par les parents devant une situa-tion inattendue et l'écroulement de leur espoir d'unenfant parfait. Une seconde crise est reliée «au bou-leversement des valeurs» des parents qui réalisentque leur enfant ne comblera pas leurs attentes et nerépondra pas davantage aux normes de la société.Le troisième type de crise est occasionné par la«prise de conscience de la réalité». Les parents seretrouvent devant les difficultés concrètes de la viequotidienne. Ils doivent rechercher les servicesappropriés, voire à organiser les soins, trouverl'équipement requis, donc faire face à de nouveauxbesoins. De plus, ils ont parfois à affronter unerésistance de l'entourage à l'égard de l'enfant.

Les phases progressives de Egg (1964)Pour sa part, Egg (1964) envisage le chemine-

ment des parents selon trois étapes. Une premièrephase, «centrée sur le moi», se caractérise par unepériode de deuil ou par la consternation des parents.

À la seconde phase, les parents sont davantage«centrés sur leur enfant». Ils cherchent alors del'aide et des solutions à ses problèmes. Ils se deman-dent ce qu'ils peuvent faire pour leur enfant, com-ment le faire et à quelle porte aller frapper.

Si les parents sont relativement satisfaits des ser-vices et programmes offerts à leur enfant, ils viventsouvent une troisième phase «centrée sur la com-munauté». Es se regroupent pour aider d'autresparents, ils participent à différents mouvements etils prennent une part active dans l'éducation de leurenfant.

Le chagrin chroniqueOlshansky (1962) explique les réactions des

parents par un chagrin chronique. Selon lui, pres-que tous les parents d'un enfant handicapé éprou-vent un chagrin profond tout au long de leur vie,que l'enfant soit placé ou non en institution.

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Young (1977) mène une analyse semblable touten situant le chagrin chronique dans un processus.Selon lui, les parents prennent conscience progres-sivement de la situation pour en arriver à une étapede compensation où ils réagissent de façon adaptéeou non.

On remarque, par exemple, une meilleure adap-tation chez les parents renouant des relations avecdes personnes significatives et chez ceux travaillantde concert avec les professionnels, au développe-ment de leur enfant. Les parents éprouvent alors desjoies, des peines ou des déceptions et reçoivent desgratifications au contact de leur enfant. Ils s'iden-tifient aux parents qui vivent une situation similaireet acceptent l'aide dont ils ont besoin.

L'inadaptation se manifeste par une incapacité desparents à faire face aux problèmes occasionnés parle handicap de l'enfant. Leurs sentiments de culpa-bilité et de désespoir sont excessifs, de même queleurs comportements. Certains parents accordentpar exemple une attention démesurée à l'enfant han-dicapé et négligent leur conjoint et leurs autresenfants. D'autres ne tolèrent pas du tout la situa-tion et nient l'existence de l'enfant en le laissant auxsoins de parents, d'un hôpital ou d'une autre insti-tution. L'inadaptation peut se traduire également pardes difficultés conjugales. Certains parents enfindeviennent incapables de fonctionner normalementà leur travail ou témoignent continuellement de lacolère et de l'hostilité envers eux-mêmes, enversles professionnels et tout le monde en général.

Selon Young (1977), ces comportements mani-festent différents degrés d'inadaptation. Mais il pré-cise que les réactions des parents doivent être con-sidérées dans le cadre d'un processus évolutif etqu'il n'existe pas de ligne de démarcation préciseentre des réactions adaptées ou inadaptées. Uneautre étude, menée par Wickler, Wasow et Hatfield(1981), souligne en effet que la plupart des parentsaffirment connaître des périodes de stress ou de tris-tesse tout au long de leur vie. Les auteurs ontrecensé plusieurs périodes susceptibles de provo-quer une crise: 1) lors de l'annonce du diagnostic;T) pendant l'apprentissage à la marche et au lan-gage (24-30 mois); 3) lorsque les parents réalisentque des enfants plus jeunes affichent des habiletéssupérieures à celles de l'enfant handicapé; 4) lorsde discussions concernant le placement de l'enfantou son entrée à l'école; 5) lors d'une crise ou d'un

problème spécifique lié à l'enfant handicapé; 6) lorsde la puberté ou de l'âge adulte et enfin, 7) lors dediscussions sur la prise en charge après le décès desparents.

Lorsque les parents constatent des écarts de déve-loppement chez leur enfant en le comparant àd'autres enfants, le handicap prend des proportionsplus importantes à leurs yeux. Ils ressentent alorsles mêmes sentiments de choc, de confusion, dedéception qu'à l'annonce du diagnostic.

Reconnaître alors qu'une famille qui a un enfanthandicapé risque de vivre des moments de crise épi-sodiques durant la vie de l'enfant, implique l'orga-nisation de divers services qui supporteront lafamille. Ces services aideraient les parents à mieuxcomposer avec ces moments de crise prévisibles.

Ainsi, l'état de chagrin chronique constitue unetoile de fond sur laquelle s'inscrivent différentes éta-pes. Chaque étape est marquée par des réactionsinfluencées par divers facteurs dont, en particulier,l'aide reçue de la part de l'entourage et des profes-sionnels.

En somme, le cheminement des parents se fait àtravers une gamme variée de sentiments et d'émo-tions. Ainsi, leur processus d'adaptation ressemblebeaucoup à celui vécu par tout individu confrontéà une situaion brutale et inattendue.

Young (1977) résume bien la situation en décla-rant que le degré de vulnérabilité des parents sereflète dans leur capacité individuelle de résister austress et de réagir en situation de crise. Ainsi, lagamme de stratégies dont disposent les parents,c'est-à-dire les mécanismes à l'aide desquels ilsaffrontent les menaces à leur intégrité, et leur per-sonnalité particulière déterminent de façon impor-tante le succès de leur adaptation à la situation.

LES FRÈRES ET LES SOEURSDE L'ENFANT HANDICAPÉ

Si l'enfant handicapé a le droit de vivre dans safamille et de bénéficier de toutes les interactions quis'y déroulent, il faut aussi s'intéresser au sort deses frères et soeurs. Un bref tour d'horizon nouspermettra de voir à quelles conditions et avec quelsoutien la vie familiale avec un enfant handicapépeut s'avérer positive et profitable pour tous.

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42 Santé mentale au Québec

Les sentiments éprouvésPlusieurs auteurs, dont Wentworth (1974), Chinn,

Drew et Logan (1979), Flatman (1970), S. Paster-nack Chinitz (1981) et Wolfensberger (1975), ontmis en lumière les sentiments négatifs fréquemmentéprouvés par les frères et les soeurs d'un enfant han-dicapé. Tout comme leurs parents, ils vivent desétapes d'adaptation et peuvent nécessiter du supportpour faire face adéquatement à leur réalité familiale.

Le ressentiment s'avère le sentiment le plusrépandu et le plus persistant. En fait, les frères etles soeurs ont du mal à accepter que l'enfant han-dicapé reçoive une plus grande attention de la partde leur mère et que sa présence leur impose des con-traintes sociales. Ils comprennent mal ce qu'onattend d'eux et assument difficilement les respon-sabilités supplémentaires exigées par leurs parents.Le ressentiment engendre parfois la colère au pointde souhaiter le départ ou la disparition de l'enfanthandicapé. Les frères et soeurs sont jaloux del'enfant handicapé car ils ont peur de perdre leurplace dans la famille et l'affection de leurs parents:il est alors perçu comme un rival. Mais l'amourvient s'opposer au ressentiment et à la jalousie etprovoque une grande ambivalence.

Les enfants ont parfois tendance à considérer leurfrère ou soeur handicapé comme la source de tousleurs problèmes. L'hostilité qui en découles'exprime par des paroles ou des gestes pouvantblesser l'enfant handicapé, ou encore elle se mani-feste par la désobéissance, l'insolence ou des réac-tions agressives envers les parents.

Ces sentiments négatifs entraînent une réactionde culpabilité.

Les frères ou soeurs se sentent parfois coupablesd'être normaux ou de ne pas s'intéresser suffisam-ment à l'enfant handicapé.

Ils ont parfois peur de devenir eux-mêmes han-dicapés ou d'avoir des enfants qui le seront. L'éven-tualité du placement de l'enfant handicapé ou cellede leur propre responsabilité à la mort de leursparents leur font également peur. Ils éprouvent enoutre de la pitié et de la tristesse. L'embarras oula honte, selon Wentworth (1974), vient au secondrang des émotions ressenties face à l'enfant handi-capé. L'intensité de la honte dépend notamment del'âge des frères et soeurs et de l'apparence et ducomportement de l'enfant handicapé.

Selon Wentworth (1974), le sentiment de rejetenvers l'enfant, éprouvé par les frères et soeurs,reflète souvent celui des parents. Il peut se mani-fester par un refus de lui donner des marques d'af-fection ou d'accepter des responsabilités envers lui.

Les besoinsPlusieurs auteurs, dont Chinn, Drew et Logan

(1979) et Wentworth (1974), croient que les frèreset soeurs éprouvent d'importants besoins de com-munication pour dénouer tous ces sentiments con-tradictoires et lourds à porter. Ils ont besoin d'in-formations et d'échanges à propos du handicap,de ses causes, des traitements et interventions pos-sibles, des comportements de l'enfant handicapé etdes décisions prises à son sujet. Il est essentiel queles parents fassent preuve d'une grande honnêtetéen ces matières.

Wentworth (1974) rappelle que tout enfantéprouve un besoin primordial de sécurité affective.Il a besoin de savoir qu'on l'aime, qu'il a sa place,qu'il est un membre important de la famille. Si lavie familiale est trop centrée sur l'enfant handicapé,les frères ou soeurs tenteront d'obtenir l'attentionqui leur est dérobée par des moyens socialementinacceptables.

Les frères et soeurs ont besoin d'admettre qu'ilséprouvent des sentiments négatifs envers l'enfanthandicapé. On doit les aider à percevoir ces réac-tions comme normales et leur donner la possibilitéd'exprimer leurs inquiétudes et leurs sentimentsdans un climat de confiance et de compréhension.

Wentworth (1974) ajoute que les parents doiventêtre très attentifs aux droits et privilèges des autresenfants dans la famille. Ils ont le droit d'être desenfants et de se comporter comme tels.

Chinn, Drew et Logan (1979) prétendent que lesinquiétudes des frères et soeurs à l'égard de l'enfanthandicapé proviennent d'un manque d'informationset d'échanges avec les parents.

Lambert et Rondal (1979) pensent que les parentsont une influence déterminante sur les réactions desfrères et soeurs et sur leur capacité d'adaptation àla situation.

Grossman (1972) prétend que l'aide fournie auxparents pour faire face adéquatement au handicapde leur enfant influencera positivement les enfantsnormaux.

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En somme, le risque de déséquilibre varie d'unefamille à l'autre. Chez les familles à risque, un évé-nement perturbateur majeur comme la présenced'un enfant handicapé déclenche un déséquilibre.Les frères et soeurs normaux seront menacés parce déséquilibre et ces familles auront besoin d'aidepour minimiser l'impact de l'événement perturba-teur. Ainsi, la présence d'un handicap chez l'un desenfants de la famille peut déclencher un déséquili-bre au même titre que la mort d'un des enfants, laperte ou la maladie d'un des parents, de sérieusesdifficultés économiques ou encore une profondeincompatibilité entre les parents, etc.

Certaines familles feront face à ces événementsavec une aide minimale et vivront cette expériencede façon positive et enrichissante. D'autres, par con-tre, seront sérieusement ébranlées et auront besoind'un soutien plus important.

Selon Karlin (1980) les interventions doivent nonseulement s'adresser à l'enfant handicapé et à sesparents, mais aussi à toute sa famille. Elles doiventête centrées sur l'expression des sentiments, l'iden-tification des besoins, la clarification des rôles,l'apprentissage d'habiletés, l'amélioration de lacommunication à l'intérieur et à l'extérieur du cer-cle familial.

SYNTHÈSE SUR LES CONSÉQUENCESDE LA NAISSANCE D'UN ENFANTHANDICAPÉ

Tel que démontré, la naissance d'un enfant han-dicapé entraîne des changements importants dansla vie de l'individu, du couple, de la famille et mêmede l'environnement social. Cela modifie inévitable-ment, de manière négative ou positive, la façon dese percevoir, de voir l'enfant, l'avenir, la commu-nication au sein du couple, la vie de famille, lesvaleurs et la conscience sociale.

Ainsi, la présence d'un enfant handicapé peutdevenir pour les parents une occasion de croissancepersonnelle ou peut entraîner leur marginalisationou provoquer un profond sentiment d'amertume.

Sur le plan personnelLe parent souffre d'avoir créé un enfant handi-

capé. Les sentiments de déception intense et dedévalorisation qu'il éprouve entraînent une diminu-tion de l'estime de soi. De plus, cette situation dé-

clenche chez le parent une véritable remise en ques-tion. Il s'interroge sur le sens de la vie, sur sesvaleurs, sur sa façon de vivre. Par ailleurs, cetteexpérience de vie provoque souvent un réaména-gement de ses priorités, un désir de relever le défi,une fierté et une volonté d'offrir à l'enfant toutesles chances de se développer harmonieusement.

Sur le plan conjugalLe stress provoqué par la naissance d'un enfant

handicapé entraîne parfois des conflits dans le cou-ple qui se traduisent par des sentiments de confu-sion, de doute, de culpabilité, d'incompétence etd'incompréhension. Le couple s'interroge sur lapossibilité d'avoir un autre enfant, sur l'attentionportée par chacun à l'enfant handicapé et sur sonéducation future. Tel que mentionné, chez les cou-ples dont l'équilibre est relativement précaire, cetraumatisme servira de prétexte à l'émergence deconflits latents.

Par contre, beaucoup de couples puiseront desforces dans cette expérience de vie exceptionnelleen y trouvant une occasion de partager des respon-sabilités, d'élargir leur communication.

Sur le plan familialL'attitude des parents influencera de façon déter-

minante la réaction des autres enfants et de l'entou-rage. Si le parent, par exemple reporte toute sonattention sur l'enfant handicapé et exclut à toutesfins pratiques son conjoint et les autres enfants, desconflits naîtront au sein de la famille. Cela peut pro-voquer chez les autres enfants une crainte d'aban-don et parfois même une régression. L'enfanthandicapé est parfois utilisé comme bouc émissaireet comme prétexte à une réorganisation conjugaleou familiale, peut-être déjà amorcée avant sanaissance.

Par ailleurs, le système familial peut se réorga-niser graduellement en fonction d'un nouveau par-tage des responsabilités et d'un réaménagement dumode de vie respectant tous les membres de lafamille, rendant ainsi possible une vie plus harmo-nieuse.

Sur le plan socialLorsque les parents réalisent que leur enfant ne

comblera ni leurs attentes, ni leurs aspirations etqu'il ne répondra pas davantage aux normes de la

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société, ils ont tendance à s'isoler pendant une cer-taine période. D'autres deviennent agressifs enversleur entourage.

Puis, les parents se «réintègrent» progressive-ment, développent une conscience communautaireplus aiguë, reconnaissent leurs droits et ceux del'enfant handicapé; participent à divers mouvementssociaux et à la vie communautaire en général.

CONCLUSION

La description des différentes étapes du proces-sus d'adaptation des parents révèle toute la com-plexité de la diversité de leurs réactions et démontrel'importance du respect de leur démarche vers unecertaine sérénité.

En fait, l'issue de la crise dépend de la façon dontles parents arrivent à faire face aux obstacles et àtirer profit de la force puisée dans le dépassementde soi.

Les parents sont les premiers artisans des progrèsde leur enfant et la qualité de la relation qu'ils entre-tiennent avec lui est importante pour favoriser sondéveloppement optimal et pour préserver l'harmo-nie familiale.

Une intervention parentale judicieuse favoriserale développement de l'enfant mais si elle est défi-ciente, elle aura plutôt tendance à le retarder. Nousdevons nous rappeler que le développement est laréponse de l'enfant à une somme équilibrée de sol-licitations. Le mot sollicitation suggère un proces-sus impliquant une réponse active et non passive.Aussi, la notion d'équilibre indique que les sollici-tations doivent s'exercer dans tous les champs del'existence et en fonction des capacités de l'enfant.Si nos exigences à l'égard de l'enfant dépassent sescapacités, il est inévitablement condamné à vivredes échecs, à se sentir découragé et frustré. Par con-tre, si on ne le confronte pas à des activités diffici-les, il risque de tomber dans l'ennui et la stagnation.

Il importe donc de lui faire vivre des expérien-ces et des activités graduées, de sorte que certaineslui apportent satisfaction et confiance alors qued'autres lui procurent le goût de découvrir, d'attein-dre des buts, de se dépasser.

L'enfant apprend en expérimentant. Il apprend àmarcher, à s'alimenter, à contrôler ses fonctionsorganiques, à comprendre et à parler, à se situerdans l'espace et le temps, à développer une certaine

conscience du danger, à vivre avec les autres et àaccomplir différentes activités de la vie quotidienne.Il explore selon les capacités et les faiblesses impo-sées par son handicap. Il apprend en observant, enécoutant, en imitant, en entreprenant des tâches sim-ples, en jouant seul ou avec d'autres.

Le milieu normal où doit se dérouler cette édu-cation naturelle est le milieu familial et les éduca-teurs naturels sont les parents, les frères et les soeursde l'enfant ainsi que son entourage. Selon la naturedu handicap, l'attitude requise ne sera pas acquisefacilement ou automatiquement par tous les parents.Ils ont besoin d'un point de repère, de réassuranceet d'encouragements. La famille aura égalementbesoin de quelques indications sur l'orientation àprendre. L'erreur la plus courante chez les parentsest sans doute la surprotection et l'interdiction decertaines activités, de crainte que l'enfant ne seblesse. La seconde erreur, fort compréhensible,consiste à faire à sa place certaines choses qu'ildevrait apprendre à exécuter lui-même.

Arrive inévitablement un moment où la famillene peut plus donner à elle seule toutes les stimula-tions nécessaires au développement de l'enfant; unapport extérieur devient alors nécessaire. Ce pro-blème peut être résolu de nombreuses façons. Ilimporte cependant de discuter de toutes les alter-natives avec les parents pour arriver à une décisionéclairée et favorable pour eux et leur enfant. ^

Les professionnels ont également un défi à rele-ver. Le fait de reconnaître la souffrance des parentset la capacité des êtres humains à s'adapter peut sansdoute les conduire à identifier les gestes et les paro-les susceptibles d'aider et de réduire la distance quisépare encore trop souvent les parents des profes-sionnels, les parents d'enfants handicapés des autresparents, les aidés des aidants et, oserais-je dire, lesdominés des dominants...

En outre, il faut dire qu'un aspect de notre cul-ture complique singulièrement la situation desparents d'enfant handicapé. Notre société encouragela tendance à croire que tous les problèmes peuventêtre solutionnés rapidement.

Dans la vie, on rencontre en réalité toutes sortesde problèmes, certains ne sont pas aisément solu-bles et d'autres, pas solubles du tout. La situationdes enfants handicapés et de leur famille est parti-culièrement délicate et complexe. On ne peut espé-rer une guérison éventuelle de l'enfant. Pour les

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professionnels, le handicap résulte de causes mul-tiples et confronte les gens à une situation difficile;pour les parents, c'est initialement le symbole d'unéchec, d'une mort, d'une sombre perspective de lavie. Nous devons dans cette perspective essayer decomprendre les réactions des parents d'un enfanthandicapé et réfléchir sur nos attitudes et compor-tements à leur égard.

Dans quelle mesure sommes-nous capables desusciter un climat de confiance et d'établir avec lesparents un échange constructif? Il nous faut à la foisrespecter les droits de l'enfant, reconnaître la capa-cité d'adaptation des parents et leur responsabilité;demeurer réalistes et honnêtes, tout en gardant notreoptimisme. Voilà sans doute une sage perspectivemais parsemée d'embûches et de pièges. Le défipour les professionnels ne réside-t-il pas dans letemps qu'il faut pour apprendre à vivre, à écouteret à respecter les autres, à s'informer et à informer,à accompagner, à orienter plutôt que diriger?

L'intervention auprès des familles doit débuter leplus tôt possible afin de favoriser le développementde l'enfant et lui offrir les meilleures chances de s'épa-nouir, en plus de seconder les parents dans leur action.

Ainsi, les différents services doivent être orga-nisés de façon à ce que les parents puissent s'adap-ter à Ia réalité de leur enfant. Des services d'aide

--^éducative et de consultation individuelle, des grou-pes de parents, des services de répit et d'entraidedoivent être disponibles.

On doit fournir aux enfants des programmes adap-tés à leurs besoins, favoriser leur autonomie et leurintégration maximale dans la communauté.

NOTE1. Plusieurs auteurs ont étudié le processus d'adaptation des

parents, nous n'en citons ici que quelques-uns.

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SUMMARY

The presence of an handicapped child is a cause of major stressin a family and the source of serious upheavals. For the parents,this occurence can promote personal growth or lead to dissatis-faction or an inadaptive process that will influence their life onmany levels: personal, conjugal, familial and social. The han-dicapped child's birth itself affects the parents and triggers manyemotions, feelings behaviors and attitudes.

The parents find themselves in a complex and irreversible situa-tion to which they have to adapt. They have to organize theirlife in order to provide favorable conditions for the developmentof the child while preserving their own and their family'sintegrity.

This article presents the different stages the parents have togo through to achieve a certain peace of mind. It also describesthe reactions of the handicapped children's siblings in terms oftheir feelings and needs and underlines the determining role ofthe parents towards them.

The professionals involved in those situations have to under-stand the underlying family dynamics. Their objective is to helpthe parents provide a stimulating environment to the handicap-ped child while preserving harmony in their family.