les origines du gnosticisme, étude d'histoire religieuse : thèse pour le baccalauréat en...

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  • 8/3/2019 Les origines du gnosticisme, tude d'histoire religieuse : thse pour le baccalaurat en thologie

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    Maury, Lon (pasteur). Les origines du gnosticisme, tude d'histoire religieuse : thse pour le baccalaurat en thologie... soutenue devant la Facult de thologie protestante de

    Montauban.... 1884.

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    LES

    ORIGINES DU GNOSTICISME

    TUDE D'HISTOIRE RELIGIEUSE

    PAR

    LON M AURY

    iv dd xx fxuaTipta navra, /.o r.daav zr,v yvtciv, rj.%r,vdk [rii /w, oSveip.i.

    I CORINTHIENS,XIII,2.

    MONTAUBAN

    IMPRIMERIE ADMINISTRATIVEET COMMERCIALEJ. GRANI

    Boulevard de la Citadelle

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    LES ORIGINES DU GNOSTICISME

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    LES

    ORIGINES DU GNOSTICISME

    TUDE D'HISTOIRE RELIGIEUSE

    THSE

    POUR LE BACCALAURATEN THOLOGIE

    PUBLIQUEMENTSOUTENUE

    DEVANTLA FACULTDE THOLOGIEPROTESTANTEDE MONTAUBAN

    EN JUILLET 1884PAR

    LON MAURY

    DENIMESLICENCIES LETTRES

    MONTAUBAN

    IMPRIMERIE ADMINISTRATIVEET COMMERCIALEJ. GRANI

    Boulevard de la Citadelle

    1834

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    REPUBLIQUEFRANAISE

    UNIVERSIT DE FRANGE

    Acadmie de Toulouse

    FACULT DE THOLOGIE PROTESTANTE DE MONTAUBAN

    PROFESSEURS

    MM.

    BOYS, *, Doyen, Morale et loquence sacre.

    NICOLAS,*, Philosophie.PDZERT, *, Littrature grecque et latine.

    MONOD,*, Dogmatique.BRUSTON, Hbreu et critique de l'A.-T.

    WABNITZ, Exgse et critique du N.-T.

    DOUMERGUE, Histoire ecclsiastique.LEENHARDT,charg d'un cours de Sciences naturelles.

    SAYOUS,charg d'un cours d'Histoire et de Littrature.

    EXAMINATEURS

    MM. PDZERT, *, Prsident de la soutenance.BRUSTON.WABNITZ.DOUMERGUE.

    La Facult ne prtend approuver ni dsapprouver les opinionsparticulires du Candidat.

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    LES ORIGINES DU GNOSTICISME

    TUDE D'HISTOIRE RELIGIEUSE

    iv eJw x y.vaxr,pix iraVra,

    %cdR.aa.vXYJVyvwatv, aymw' pii yjra, ovQvripi.I CORINTHIENS,XIII,2.

    INTRODUCTION

    Tout ce qui touche aux origines du christianisme, est

    l'ordre du jour. Nous n'avons pas besoin d'insister sur

    l'intrt qui ss'attache ce sujet ; chacun sait quel pointles esprits s'en sont passionns, tant en France qu'en

    Allemagne et en Angleterre. Revenir sur ces problmes

    seraitbien

    tmrairedans

    une modeste tude comme lantre ; mais il y a des questions secondaires dont l'examen

    pourra jeter quelque lumire sur la question capitale, et

    qui, bien qu'elles ne viennent pas en premire ligne, ont

    cependant une certaine importance : parmi celles-l, la

    recherche des origines du gnosticisme nous semble avoir

    une place lgitime.

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    Dterminer, d'une faon prcise, quelles sont les sourcesde cette philosophie trange, qu'un historien a qualifiede cauchemar de l'humanit (1), et qui a eu cepen-dant un si grand renom, savoir d'o elle vient, quelleinfluence l'a produite, dans quelle mesure les ides chr-

    tiennes ont concouru sa formation, toutes ces questionsne manquent pas d'intrt, et leur solution est peut-tre

    plus grave qu'on ne le croirait au premier abord.Plusieurs hypothses sont, en effet, en prsence : d'aprs

    les unes, le gnosticisme est le produit d'une importationdans le sein du christianisme de la plupart des tho-

    sophies et des cosmogonies de l'antiquit : On suppose

    qu'il se trouva, dans l'Eglise primitive, des hommes d'un

    esprit naturellement spculatif qui, vivement excits par

    l'enseignement chrtien la recherche des choses spiri-tuelles, essayrent de dcouvrir au fond de la religionnouvelle une mtaphysique subtile, et qui, s'aidant pour

    accomplir ce travail des principes des systmes philoso-

    phiques ou religieux rpandus cette poque, donnrent

    naissance une science thosophique qui, par opposition la foi du simple fidle, fut appele l gnose. Ou bien

    encore, on admet que des hommes, imbus dj avant

    d'entrer dans l'Eglise des opinions thosophiques quiavaient cours en ce moment Alexandrie et dans l'Asie

    Mineure, comprirent la doctrine chrtienne travers leurs

    conceptions religieuses antrieures, et, les mlant la foi

    (1) De Pressens, Histoire des trois premiers siclesde l'Eglise chr-tienne, vol. II, p. 441.

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    nouvelle, produisirent une sorte de thosophie, qui, touten conservant une apparence extrieure de christianisme,

    diffra cependant de l'enseignement des aptres, autant parsa tendance gnrale que par de nombreux dtails (1).

    Baur et Hilgenfeld soutiennent que le gnosticisme est

    un dveloppement naturel du christianisme : Celui-ci

    ne doit plus tre considr ds lors comme le principe du

    salut,mais comme le

    principedu monde

    (2).Le chris-

    tianisme va se transformer en une cosmogonie, mais il ne

    cessera pas pour cela d'tre le christianisme; en d'autres

    termes, le gnosticisme est simplement une phase de l'vo-

    lution ncessaire du principe chrtien (3). On comprendde quelle importance est une pareille affirmation et quelles

    consquences elle entrane : transformer le christianisme

    en une thosophie aussi nuageuse,' aussi fantaisiste que la

    thosophie gnostique, c'est abandonner compltement latradition vanglique et quitter le domaine de la rvlation

    divine pour celui de la spculation purement humaine.

    Il s'agit donc de savoir exactement ce qui en est : il faut

    chercher les premires traces des ides que les thosophesdu IIe sicle ont systmatises et professes sous le nom

    spcieux de la Connaissance (yi/wai) et voir si c'est en

    ralit le christianismequi

    les leur a fournies.

    (1) MichelNicolas, Les origines du gnosticisme (Nouvelle Revuede Thologie.Strasbourg, 1860, vol. V, p. 324).

    (2) Baur, Das Christenthum der drei ersten lahrhunderte. DritterAbschnitt, p. 159

    (3) Voir Ersch u. Gruber Encyclopoedie,article Gnosticismus

    (Lipsius), p. 228-231.

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    Il est certain qu' un moment donn il y a eu des em-prunts. Les gnostiques, Valentin et Marcion surtout, n'ont

    pas pris une position hostile la religion chrtienne ; loin

    de l, puisqu'ils ont mme eu la prtention d'en tre les

    vrais reprsentants (1). L-dessus peu prs tous les

    critiques sont d'accord. Mais, avant que les diffrents

    systmes se soient forms, o taient les lments qui les

    ont constitus? Au fond, les diverseshypothses que

    nous

    venons de rappeler se rduisent cette alternative :

    Ou le gnosticisme est une thosophie trangre au

    christianisme, qu'on a voulu mettre en accord avec la

    nouvelle religion ; ou c'est, au contraire, un produit na-

    turel, logique, ncessaire, de la doctrine chrtienne.

    Voil la question que nous nous proposons d'examiner.

    Un coup d'oeil, mme superficiel, jet sur les diverssystmes gnostiques, montre tout de suite que, malgrleur varit, ils ont tous un fonds commun. La gnoseoffre une remarquable unit. Ses nombreuses coles ne

    se distinguent les unes des autres que dans des points de

    dtail, ou, pour mieux dire, que dans les termes moyens.

    L'esprit est essentiellement le mme dans toutes, et les

    diffrences secondaires ne sontpas

    denature

    en altrer

    (1) " Le gnosticismese donne constamment pour une science chr-tienne, ou, pour mieux dire, comme la seule vritable science chr-tienne. Nicolas, Origines du gnosticisme (Nouvelle Revue deThologie,vol. v, p. 324). Les gnostiques disaient en parlant de l'en-seignement de Jsus-Christ : Personne n'entend les mystres que lesseuls parfaits gnostiques. (Philosophoumena, v, 8, p. 160.)

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    le caractre gnral. Elles ne sont, en dfinitive, que desvariations d'un thme commun ou que des explicationsdiverses d'un mme systme (1). Il est vident que des

    philosophies aussi singulirement composes que celles-l

    n'apparaissent pas un moment prcis de l'histoire sans

    antcdents qui les prparant et sans influences diverses

    qui les mrissent. La mthode historique est la seule

    rationnellequand

    ils'agit

    de chercher lagense

    d'un

    systme, moins qu'il ne soit tellement nouveau et telle-

    ment un qu'on y voie immdiatement l'empreinte d'un

    gnie unique et tout fait original. Ce n'est pas le cas du

    gnosticisme et l'existence de ce fonds, commun des

    doctrines diverses sans tre exclusivement rclam par

    aucune, prouve que cette thosophie n'a pas t cre de

    toutes pices et qu'on peut, au contraire, lui trouver des

    origines historiques et psychologiques.O et quand doit-on les chercher? Si, au IIe sicle, les

    systmes sont dj constitus et s'ils ont dj une si grande

    renomme, c'est que leur laboration successive date de

    loin : La gnose n'a pas atteint sa maturit en un clin

    d'oeil, et, quand on la voit rpandue sur toute la surface

    de l'Empire romain, divise en coles nombreuses, pro-fessant des

    systmesnettement formuls

    et parfaits dansleur genre, on est forc d'admettre qu'elle a dj pass parune priode plus ou moins longue de formation, et de

    chercher son origine pour le moins au commencement de

    (1) Nicolas,NouvelleRevuede Thologie,art. cit, p. 333.

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    l're chrtienne (1). Mais nous ne pouvons pas nousattendre rencontrer au Ier sicle des thories aussi nettes,

    aussi prcises qu'au IIe ; la pense humaine progresse ;

    les gnrations, en se succdant, accroissent le patrimoineintellectuel que leur transmettent les gnrations prc-

    dentes; elles dveloppent ces ides, les tendent, les

    gnralisent, les formulent. A cette marche naturelle

    s'ajoute l'influence du milieu, qui donne une certaine

    direction au travail de la pense, influence et direction

    qui sont mises en vidence par le dveloppement parallledes systmes contemporains et qu'on ne peut ngliger. Le dveloppement de la philosophie, dit M. Ritter,

    dpend sous bien des rapports du dveloppement des

    autres sciences, de celui du sentiment religieux dans toute

    l'humanit, des relations des peuples entre eux... La

    philosophie n'est pas moins soumise l'influence de lavie intrieure des peuples au sein desquels elle se dve-

    loppe, dans la famille, dans l'Etat, dans l'art, celle enfin

    des circonstances o ont vcu les hommes qui ont con-

    tribu son progrs (2).Nous serons donc amens prciser aussi exactement

    (1) Nicolas, NouvelleRevuede thologie,art. cit, p. 326.(2) H. Ritter, Histoire de la philosophie ancienne, introd., p. 10.

    On sait combien, dans notre sicle, l'cole de Tubingue a insist surcette ncessitde tenir compte de l'volution naturelle de la pense;aussi Lipsius, dans son article Gnosticismus (Ersch u. Grber En-

    cyclopoedie),placa-t-il la gnose dans le milieu historique et psycholo-gique o elle est ne. Il la regarde comme un produit logique des ideschrtiennes, qui, d'aprs lui, en renferment le principe.

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    que possible les thories fondamentales du gnosticisme, dterminer le milieu dans lequel elles sont nes, me-

    surer l'influence qu'il a pu avoir sur elles, rechercher

    les traces de leur dveloppement dans les documents de

    l'poque, et enfin dcouvrir leur vritable source dans

    les systmes antrieurs.

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    PREMIRE PARTIE

    LES IDESGNOSTIQUESPENDANTLE PREMIERSICLE

    L'axiome fondamental de tous les systmes gnostiques

    peut s'noncer ainsi : Le bien rside dans la connais-

    sance. La gnose, le mot lui-mme l'indique, c'est larecherche de la connaissance : tout est l ; le systme en

    entier se dduit logiquement de cette premire affirma-

    tion (1). Or, parler du bien, c'est faire supposer qu'il

    s'agit d'une thorie morale sur le bien et le mal ; dire de

    plus que ce bien nous est donn par la connaissance, c'est

    impliquer qu' cette thorie morale doivent se joindre des

    spculations mtaphysiques. C'est l, en effet, le double ca-

    ractre du gnosticisme.

    (1) Baur pense, au contraire, que la caractristique du gnosticismeest le dualisme. Hilgenfeldla voit dans la distinction des deux dieuxet la thorie de Dmiurge. Lipsius ramne tout la recherche de laconnaissance. (Voir Ersch u. GrberEncyplopoedie, art. cit, p. 234-235.)

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    Examinons d'abord la thorie morale : elle roule toutentire sur la question de l'origine du mal. Dieu, tant le

    bien absolu, a-t-il pu crer le mal? Evidemment non; il

    faut imaginer alors un principe indpendant de Dieu par

    lequel la force cratrice a t contrarie et mme limite.

    Ce principe oppos, ce royaume du mal, c'est le monde

    matriel; a-t-il entrav l'oeuvre de la cration en prsen-tant une rsistance inerte, ou bien, au contraire, en boule-

    versant et en troublant un ordre primitif? Sur ce point,les ides diffrent suivant les systmes ; mais il y a unani-

    mit dans cette conception fondamentale : la matire est

    la source et le sige du mal. C'est le dualisme, et au dua-

    lisme thorique correspondent ncessairement deux sortes

    de morale pratique. Si la matire est la source du mal, il

    faut nous en dlivrer et rduire autant que possible les

    rapports que nous aurons avec elle ; de l, l'asctisme, etcet asctisme a t pratiqu avec la plus extrme rigueur

    par plusieurs sectes. Ou bien, et voici l'autre terme de l'al-

    ternative, puisque la matire est par elle-mme mauvaise,il n'y a pas s'occuper du monde sensible : on ne doit

    songer qu'aux choses suprieures et, pour le reste, suivre

    les impulsions naturelles. Le principe asctique donne en-

    coretrop d'importance

    la matire ; il faut n'avoirpourelle que l'indiffrence la plus complte : de l une licence

    sans frein (1). Comme exemple de l'un de ces extrmes,

    l'asctisme, on peut citer les Encratites ; et, comme exem-

    (1) Voir Lightfoot, St Paul Epistles to the Colossians and Phi-lemon, p. 78-81.

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    ple de l'autre, l'immoralit, les Carpocratiens et les Ca-

    nites (1).En mtaphysique, le dualisme entre la matire et l'esprit

    se retrouve et donne naissance la cosmogonie suivante :

    si la matire est la source du mal, ce monde ne peut tre

    que l'oeuvre d'un Dieu imparfait ; ce n'est pas une puis-sance toute intelligente, toute bonne et, par consquent,

    toute spirituelle qui l'a cr; donc, cration du monde parune divinit infrieure, le Dmiurge. Entre ce monde et

    le principe absolu, le principe du bien par excellence, le

    vrai Dieu, une communication directe ne peut s'tablir,

    puisque l'un est la source du bien et l'autre la source

    du mal. Il y a entre eux un certain nombre d'tres in-

    termdiaires, d'manations successives, les ons, orga-niss en hirarchie, runis par paires ou syzygies, et dont

    la srie descendante mnage la transition entre Dieu et le

    monde, entre l'absolu et le relatif (2).Voil les ides qui se retrouvent dans tous les systmes

    gnostiques, et, en ralit, elles sont troitement lies,

    puisque c'est toujours le dualisme de l'esprit et de

    la matire, de l'esprit par lequel on connat, et de la

    (1)VoirClment

    d'Alexandrie, Stromates, III, p. 428, d. de Paris,1641. Irne (Adversus hoereses,liv. I, xxv) refuse de croire l'im-moralit des Carpocratiens, mais Thodoret (Hoereticcefabuloe, I, 5)l'affirme.Pour les Canites, voir Irne (Adversushoereses,liv. I, XXI);pour les Encratites, voir Philosophoumena,liv. VIII, 20.

    (2) Se donnant pour les reprsentants de la vraie religion rvle,les gnostiques employaient de plus une exgseallgorique absolumentarbitraire pour accommoder leurs thories les donnes de l'AncienTestament et plus tard les discours de Jsus-Christ.

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    matire obstacle la connaissance. Connatre les relationsdes ons, connatre le mcanisme du monde, connatre le

    mal, voil le bien suprme, le salut : Pour eux, con-

    natre est tout, le reste n'est rien (1). Or, comme tous

    les hommes ne sont pas capables de cette connaissance

    suprieure, pour les uns la foi seule sufft, mais ceux-l

    sont les faibles, les hommes matriels (vXmo,

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    spculations et des vaines recherches sur l'absolu allie un asctisme souvent trs exagr ou une immoralit

    parfois inoue. Certainement l'atmosphre morale et in-

    tellectuelle n'tait pas dfavorable la croissance d'une

    telle plante : la mme contre qui avait produit dans la

    philosophie spculative un Thaes et un Hraclite a vu

    se dvelopper, dans une religion populaire, l'adoration

    de la Cyble phrygienne et de la Diane d'Ephse. Les

    spculations cosmologiques, les thosophies mystiques,le fanatisme religieux avaient l leur foyer (leur home) (1).

    Alexandrie, ce somptueux carrefour de toutes les

    ides du temps, o l'Orient et. l'Occident s'amalga-

    maient (2), devait tre la patrie de ces philosophiesmoiti orientales, moiti occidentales, rveries inutiles

    d'un ct, lgalisme purement formaliste de l'autre. C'est

    l'influence qui pse sur tous les systmes de l'poqueet que chacun a ressentie en quelque mesure. Le rsultat

    en tait que tout ce qui pouvait se prter l'une ou l'au-

    tre de ces tendances tait dvelopp, augment et enfin

    formul dans le langage de l'cole. C'est ce qui arriva pourle gnosticisme, et il faut convenir que nul pays et nulle

    poque n'et t plus propice pour aider l'apparition,au dveloppement et la vogue de pareilles ides.

    Aussi de bonne heure sont-elles en faveur. Nous avons

    peu de dtails sur leur existence au Ier sicle, mais nous

    en possdons pourtant assez pour juger du crdit dont

    (1) Lightfoot,ouv, cit, p. 97.(2) De Pressens, ouv. cit, vol. I, p. 299.

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    elles jouissaient et de la position qu'occupaient leurs repr-sentants vis vis des premiers chrtiens. Nous trouvons en

    effet ces dtails dans les livres du Nouveau Testament (1).

    Tous les historiens peu prs s'accordent voir dans

    ce Simon le Magicien dont nous parle le livre des Actes un

    des premiers reprsentants du gnosticisme (2). C'est environ

    sept ans (3) aprs l'ascension de Jsus-Christ que Philippedescendit dans une ville de la Samarie et y prcha le Christ.

    Il y avait auparavant dans la ville un homme nomm

    Simon qui, se donnant pour un personnage important,

    (1) Les renseignements que nous donnent les Pres de l'Eglise sonttirs pour la plupart des textes mme des aptres. Nous indiqueronsen passant leur opinion, quand elle aura une importance spciale.

    Pour ce qui concerne les crits du NouveauTestament, nous ne pou-vons pas entrer dans la discussion de leur authenticit. Nous feronsseulement observer que les critiques qui se fondentjustement sur lestextes o il est fait allusion au gnosticisme pour renvoyer la rdactionde cescrits au IIe sicle font une ptition de principe, puisqu'ils sup-posent a priori que lesides gnostiquesn'apparaissent pas au Ier sicle;c'est l prcisment ce qu'il faut dmontrer. (Voir Hilgenfeld, DasGnosticismus und das Neue Testament . Zeitschrift fr wissen-schaftliche Theologie,1870.)Nous nous appuyons pour admettre leurauthenticit sur des raisons internes, et nous remarquons particuli-rement que, si ces crits taient l'oeuvre de quelque faussaire duIIe sicle, les allusions aux thories gnostiques seraient autrementprcises et dtailles que ce quelles sont, tant donn la place que cesthories occupent alors dans l'Eglise et l'importance que leur accor-dent les Pres de cette poque.

    (2) Irne l'appelle le pre de toutes les hrsies.(3) Mansel, The gnostic heresies of the first and second centuries,

    p. 79.

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    exerait la magie et provoquait l'tonnement du peuplede la Samarie. Tous, depuis le plus petit jusqu'au plus

    grand, l'coutaient attentivement et disaient : Celui-ci

    est la puissance de Dieu, celle qui s'appelle la grande.

    Ils I coutaient attentivement parce qu'il les avait long-

    temps tonns par ses actes de magie. Mais, quand ils

    eurent cru Philippe, qui leur annonait les choses

    concernant leroyaume

    de Dieu et le nom de Jsus-Christ,

    hommes et femmes se firent baptiser. Simon lui-mme

    crut, et, aprs avoir t baptis, il ne quittait plus Philippe,

    et il voyait avec tonnement les miracles et les grands

    prodiges qui s'opraient Lorsque Simon vit que le

    Saint-Esprit tait donn par l'imposition des mains des

    aptres (Pierre et Jean), il leur offrit de l'argent en disant :

    Accordez-moi aussi ce pouvoir afin que celui qui j'impo-

    serai les mains reoive le Saint-Esprit. Mais Pierre lui dit :

    Que ton argent prisse avec toi, puisque tu as cru que le

    don de Dieu s'acqurait prix d'argent ! Il n'y a pour toi

    ni part, ni lot dans cette affaire, car ton coeur n'est pas

    droit devant Dieu. Repens-toi donc de ta mchancet, et

    prie le Seigneur pour que la pense de ton coeur te soit

    pardonne, s'il est possible, car je vois que tu es dans

    un fiel amer et dans les liens de l'iniquit. Simon rpon-dit : Priez vous-mmes le Seigneur pour moi, afin qu'il

    ne m'arrive rien de ce que vous avez dit (1).Tel est le rcit des Actes. Simon y est appel la grande

    puissance de Dieu, et, d'aprs le texte, h dwa/xi? TOGSO

    (1) Actes,VIII.

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    f>'mkw[ihm pyAY], on peut impliquer que le magicienenseignait l'existence de diverses puissances de Dieu, les-

    quelles lui taient infrieures. Qu'il ait emprunt ces

    termes la philosophie alexandrine et Philon, qu'il ait

    voulu s'attribuer l'galit avec Dieu en se posant comme

    le Xyo,que, par l, il ait t conduit au doctisme, qu'il

    ait eu l'ambition d'tre un messie samaritain, rival du mes-

    sie juif (1), tout cela ne repose et ne peut reposer quesur

    des hypothses, puisque nous manquons de textes certains.

    Cependant, les dtails abondent sur son histoire;

    malheureusement, on ne peut leur accorder qu'uneconfiance trs-limite. Il serait n Gitten ou Gitta selon

    les uns (2), Chypre selon d'autres (3). Il se prsentaitaux hommes comme le Xyo: Ego sum sermo Dei,

    disait-il, ego sum speciosus, ego paracletus, ego omnia

    Dei (4). Sa doctrine est d'ailleurs expose tout au long

    par Irne (5). Il aurait, parat-il, achet Tyr une pros-

    titue, Hlne, qu'il tranait partout aprs lui en disant

    qu'elle tait la premire conception (woia) de sa pense,la mre de toutes choses ; procdant de lui et connaissant

    les dsirs de son pre, elle tait descendue dans un monde

    infrieur, y avait produit les anges et les puissances; mais

    comme ceux-ci ne voulurent pas lui permettre de retournerauprs de son pre, sans cesse en butte leurs moqueries et

    (1) Mansel, ouv. cit, p. 80 ss.(2) Justin Martyr, Apolog.,I, 26; II, 16. Phihsophoumena, VI,7.(3) Josphe,Antiquit., XX,7, 2.(4) Saint-Jrme, In Matth., XXIV,5.(5) Irne, Adv. hcer., I, XXIII.

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    leurs insultes, elle demeura sur la terre pendant plusieurssicles, habitant des corps de femme ; ce fut cause de

    cette mme Hlne que la guerre de Troie fut faite. De

    vicissitudes en vicissitudes, elle arriva l'tat plus que

    misrable d'o Simon dut venir lui-mme la dlivrer;

    il apporta en mme temps le salut au monde en se faisantconnatre lui-mme (1). Les anges, auteurs du monde, l'a-

    vaient, en effet, mal gouvern, cause de leurs ambitions ri-

    vales, et il fallait tout rtablir en les rabaissant leur vraie

    place et en les rendant tous gaux. C'est pourquoi il vint

    semblable un homme au milieu des hommes, mais pour-tant il n'tait pas rellement homme, et il souffrit en Jude

    en apparence sans souffrir en ralit. Il ajoutait encore

    quelques spculations sur les prophties qui, d'aprs lui,

    avaient t inspires par les anges, gouverneurs du monde.

    Les Philosophoumena (livre VI) lui prtent aussi unsystme d'aprs lequel tout serait sorti du Feu ou du

    Silence ; le premier principe aurait produit six racines

    (pt't), allant deux par deux, qui elles-mmes auraient

    produit le monde. Quoi qu'il en soit et quelle que soit la

    part de vrit contenue dans ces rcits, il est certain queSimon a t considr par tous ces auteurs comme le predu

    gnosticisme.On trouve en

    germechez lui les

    syzygksles ons (Simon et Hlne, vo et woia), la cration du

    monde par l'intermdiaire d'une puissance infrieure et

    les spculations sur les anges. Le dtail seul qui est contenu

    dans les Actes nous indique clairement qu' cette poque

    (1) Per suam agnitionem. Irne, Adv. hoer.,I, XXIII.

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    des thories assez accrdites sur les anges ou les puissancesclestes commenaient se rpandre ; les arts magiquestaient passablement cultivs, comme nous le prouventaussi les livres de magie brls Ephse et l'existence

    d'exorcistes juifs (1).En somme, des thosophies plus ou moins compltes

    s'laboraient et prparaient l'avnement de la grandesecte.

    Quant Simon lui-mme, la fin de sa vie a t le sujetd'anecdotes lgendaires. Justin Martyr, Hgsippe, Ar-

    nobe et bien d'autres parlent de lui et placent le lieu de

    sa mort Rome o, voulant confondre les aptres

    Pierre et Paul devant l'empereur Claude, il aurait t lui -

    mme victime de sa fourberie. Mais plusieurs de ces rcits

    sont probablement apocryphes, tmoin celui de Justin

    Martyr qui prit une statue du dieu Semo Sancus pour unestatue leve au magicien de Samarie (2).

    Avant la fin du premier sicle, la doctrine ou les

    doctrines se constituent avec une nettet de plusen plus grande (3), et leurs adeptes deviennent assez

    (1) Actes,XIX,13-19.(2) Voir Mansel, ouv. cit, p. 91-94.(3) Voir aussi, pour les rapports du gnosticismeet du christianisme

    primitif, Hilgenfeld,Zeitschrift fr wissent. Thol., 1870, art. cit.Malheureusement, tout son systme pche par la base, puisqu'il nie a

    priori qu'il y ait eu des gnostiquesau Ier sicle. Il soutient d'ailleursdans cet article la thse que nous avons mentionne plus haut, c'est--dire que le gnosticismeest un produit du christianisme.

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    remuants. Les ptres de saint Paul nous fournissentdes dtails prcieux sur cette volution. Nous les trouvons

    dans les lettres adresses soit des Eglises qui taient

    particulirement en rapport avec l'Orient et Alexandrie,

    soit aux communauts mmes de l'Asie-Mineure.

    Corinthe, grce son commerce, avait des relations

    permanentes avec l'Egypte et pouvait subir facilement

    l'influence des ides alexandrines. Dans la premire ptre

    aux Corinthiens, nous trouvons le mot de 'yvois employ

    dans un sens dfavorable : yvaii cfuciot, i $ ydLvn oo-

    O[L(1). La circonstance dans laquelle ces mots sont

    employs nous autorise d'autant plus y voir une allu-

    sion aux hrsies naissantes ; il s'agit des viandes sacri-

    fies aux idoles : est-il permis d'en manger ? Or, nous

    savons que Simon le Magicien permettait ses disci-

    ples de participer aux sacrifices idoltres (2).Il est probable qu'il fondait cette libert sur la sup-

    riorit que donne la connaissance, la yvwat; l'homme qui

    possde cette suprme science n'a que faire de semblables

    scrupules (3). Le contexte justifie d'ailleurs parfaitement

    cette hypothse : e TI doxe iyvmxivou xi, OVTKvyut

    (1) I Cor.,VIII, 1.(2) Origne, Contra Celsum, VI, 11 : xalxot yi VTtkpxov i:'kdova$

    rcayaysaSai o 2,1pw xov TOpt TOQCCVXXOVxt'vdvyoy, w /piff-xiy.vnl cripita^xi kiidccyQriascv,7rspte)exwu px%x>v ey^iaope/KVTOVoYiaHtf7rpXVJewXoXa-rptav.

    (3) Nous avons remarqu plus haut que certains gnostiques se sontabandonns la licencela plus effrneen s'excusant par un raison-nement analogue.

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    xaw Jet yvwvat

    d $ ti dtyxnA xov Qtv,ouro yv

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    de Laodice, ou qu'elle ait t une lettre circulaire, peunous importe pour notre sujet, car il est un fait toujours

    incontestable, c'est qu'elle tait destine des lecteurs

    asiatiques. Or, ici nous sommes dans la patrie par excel-

    lence des spculations mtaphysiques, et le terrain tait

    plus que favorable pour le dveloppement de la thoso-

    phie gnostique : on tait enclin accepter ce genre de

    thories,et la tournure

    gnralede

    l'espritse

    prtaitais-

    ment toutes ces nuageuses et mystrieuses innovations.

    C'est Ephse, en effet, que furent brls les livres de

    magie, et, puisque la somme ainsi sacrifie quivalait cin-

    quante mille pices d'argent, on peut supposer que ces ou-

    vrages taient assez nombreux, ou, au contraire, rares, mais

    alors trs apprcis. C'est Ephse aussi que les exorcistes

    juifs se livraient l'exercice de leur profession (1). Il y

    avait donc des magiciens dans le genre sans doute deSimon, et les allusions que fait saint Paul leur enseigne-ment ne nous laissent gure d'incertitude sur ce qu'ils de-

    vaient tre. Quand il prie Dieu que les Ephsiens

    comprennent l'amour de Christ qui surpasse toute'

    intelligence, yvwou xriv vmpSHovaxv XYHyvcoewayairwTOOXptaro (2), il semble avoir une intention analogue

    celle de ICorinthiens, VIII,

    6 : La connaissanceenfle,mais l'amour difie. Ces communauts (3) devaient

    tre travailles par un dsir de connaissance trs entretenu

    par de faux docteurs; leur horizon leur paraissait trop

    (1) Actes, XIX.(2) Ephsiens, III, 19.(3) Voir d'ailleurs, pour les hrtiques d'Ephse, p. 35;

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    born et elles aspiraient quelque science suprieuredes choses. Or, nous avons vu que c'est prcisment ce

    dsir de connatre qui est la base de tous les systmes

    gnostiques (1).

    L'ptre aux Colossiens, crite en mme temps que celle

    aux Ephsiens, est encore plus explicite. D'abord nous

    sommes certains, cette fois, qu'il y a de faux docteurs dans

    la communaut, et,d'aprs

    lelangage

    del'aptre,

    voici les

    ides qu'on peut leur attribuer : se dcorant du nom pom-

    peux de philosophes, ils prtendaient possder une con-

    naissance suprieure des choses spirituelles, connaissance

    que le simple enseignement vanglique ne pouvait

    donner; ils croyaient que le mond tait l'oeuvre d'un dieu

    infrieur; ils s'attribuaient de plus la facult de contem-

    pler le monde invisible et ils se livraient des spculations

    sur les diverses classes d'anges et sur l'adoration qu'onleur devait. Enfin, ils pratiquaient un asctisme exagr

    qui fait supposer qu'ils regardaient la matire comme la

    source du mal. Tous ces caractres se dduisent aisment

    de la polmique de l'ptre (2), et nous avons peine be-

    soin d'indiquer combien ils se rapprochent de ce que

    pouvait tre le gnosticisme cette poque : le dsir de la

    (1) Quant aux textes o le mot irXipc/ixaest employ, nous nechercheronspas y voir des allusions au gnosticisme,car la chronologiedu langage gnostique est trop obscure pour nous permettre d'affirmerque Paul s'est servi ici d'un terme gnostique et que, au contraire, cene sont pas les faux docteurs qui ont plus tard fait des emprunts la

    langue du NouveauTestament.(2) Col., I, 12-20; II, 3, 4, 8, 16-23.

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    connaissance, la cration du monde par un intermdiaireinfrieur Dieu, les thories sur les anges; les macra-

    tions et les dfenses nous amnent voir dans ces faux

    docteurs des prcurseurs de Valentin et de Basilide (1).Dans les ptres Timothe et Tite, nous recueillons

    encore quelques mots qui signalent l'existence de ces

    doctrines Ephse et Crte. Quant Paul parle de ces

    gnalogies sans fin qui produisent des discussions plutt

    qu'elles n'avancent l'oeuvre de Dieu dans la foi, (yevexXoyi'ai

    nepxvxoi,, t'nve xirviaet TtapiyjiVGivpwcXXovrj otxovoLiiav

    0eoxr,v v TTi'orsi)(2), il s'agit probablement des discussions

    interminables sur la hirarchie et les classes des anges.

    Puis, plus loin, la tyeufwpio, yvwci (3), qui disputesans doute encore sur ces gnalogies, semble indiquer le

    gnosticisme dans sa forme lmentaire, mais assez accrdit

    dj pour s'attribuer avec ostentation ce nom de yvui quirestera sa dsignation dfinitive (4).

    (1) Nous renvoyons la remarque faite plus haut pour l'argumentqu'on pourrait tirer de l'emploi du terme rrXript>')pidans Colos-siens, I, 19 et II, 9.

    (2) 1Tim., 1, 4.(3) I Tim., VI,20.

    (4) M. Mansel (ouv. cit, p. 57) s'efforcede prouver que Hymneet Philte (II Tim., II, 16-18) sont des gnostiques, et que cette foi une rsurrection dj arrive est une consquencede la thorie surl'origine du mal; la rsurrection, purement apparente d'ailleurs, deChrist, serait un symbole de notre propre rsurrection, c'est--dire denotre passaged'un tat infrieur un tat suprieur ; cet tat suprieur,c'est la connaissance; quand nous la possdons,nous sommesvraimentressuscits.C'tait l'opinion de Carpocrate (Irne, Adv. hoer., II, XXXI).

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    Quelques critiques ont aussi appliqu I Timothe, IV, 1-5 ;II Timothe, m, 1-10 ; II Pierre, n, 1-4, aux gnostiques.Clment d'Alexandrie (1) et Tertullien (2) ont vu express-ment la ralisation de cette prophtie dans les systmes

    gnostiques du IIe sicle (3).Les hrtiques de l'ptre de Jude (4) et les Nicolates

    de l'Apocalypse (5) pourraient bien se rapprocher aussi des

    gnostiques. De mme encore, dans Apocalypse, n, 24, ces

    profondeurs de Satan qu'on ne peut sonder (x S9a

    TOVaa.xa.va) font penser involontairement au gnosticismedont aucune expression, d'aprs M. Ritter (6), ne pouvaitmieux au point de vue chrtien dsigner le caractre (7).

    L'vangile de Jean est, d'aprs le tmoignage catgorique

    d'Irne, dirig contre l'hrsie de Crinthe (8). Ce Crinthe,

    dans lequel on s'accorde reconnatre un gnostique,

    enseignait que le monde n'avait pas t cr par le Dieusuprme, mais par une puissance distincte, et qui ne

    connat pas Dieu. Jsus n'est pas n d'une vierge, mais

    Celase concilierait d'ailleurs assez bien avec l'exgse allgorique desgnostiques laquelle semble faire allusion II Pierre, III, 16.

    (1) Clment d'Alexandrie, ouv. cit, III, p. 447.(2) Tertullien, De Proescr. Hoer., c. 33.(3) Voir Mansel, ouv. cit, p. 65.(4) Jude, 4.(5) Apoc, II, 6, 14-15.(6) Ritter, ouv. cit, t. I, p, 98, 99.(7) Nous renvoyons encore, pour l'emploi du mot aiwv dans cer-

    tains textes du Nouveau Testament, la remarque faite propos de

    7rXy)p&>pta,page, 34, note 1.(8) Irne, Adv. hoer., III, 11.

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    il est le fils de Joseph et de Marie, et sa naissance a ten tout semblable celle des autres hommes ; seulement,

    il fut ensuite plus juste et plus sage. Aprs son baptme,le Christ vint sur lui sous la forme d'une colombe, et il

    annona alors son pre qu'auparavant on ne connaissait

    pas : la fin de son ministre, Christ se spara de Jsus ;

    Jsus souffrit et ressuscita, mais Christ fut l'abri de

    toutesouffrance, puisqu'il

    taitspirituel

    (1).Le prologue du quatrime vangile semble bien avoir t

    crit pour rfuter ces erreurs, tmoin le texte : Toutes

    choses ont t faites par la Parole et rien de ce qui a t fait

    n'a t fait sans elle (2). Celui-ci : La Parole a t faite

    chair (3), serait oppos l'ide que Jsus et le Christ

    taient deux tres spars, unis seulement pour un temps.Irne (4) dclare que Crinthe a t un contemporain de

    saint Jean. Quoique professant en Asie, il avait du em-prunter quelques-unes de ses ides Philon, notamment

    sa conception du Xyo crateur ; ce mot de Xyo, em-

    ploy par saint Jean sans doute dans un sens polmique,s'adresse aussi bien Philon qu' Crinthe.

    Les ptres de Jean paraissent viser une autre thorie

    gnostique, le doctisme (5), quand elles parlent de Jsus

    manifest enchair;

    ou encorel'hrsie

    deCrinthe,

    (1) Philosophoumena.vu, 32. Irne, Adv. hoer., I, XXVI.(2) Jean, I, 3.(3) Jean, I, 14.(4) Irne, m, 3.(5) Jsus-Christ n'aurait eu,d'aprs lesdoctes,qu'un corps apparent.

    3 F

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    34

    puisque Crinthe niait l'indentit parfaite de Jsus et duChrist (1).

    Telles sont les indications que nous donnent les livres

    du Nouveau Testament ; on peut en infrer qu'il existait

    au Ier sicle une ou plusieurs thories se rapprochant

    beaucoup de celles qui devinrent plus tard le gnosticisme ;

    le dsir de connatre commenait se faire sentir ; les

    spculations sur les tres intermdiaires, le dualisme entre

    la matire et l'esprit, l'asctisme qui en est la consquence,

    la croyance en un Dieu suprme distinct du crateur et du

    dieu des Juifs, toutes ces ides se rpandaient et avaient

    suffisamment de crdit. Dans les ptres aux Colossiens et

    les. Pastorales, ce ne sont mme dj plus des penseurs,

    des thosophes philosophant pour eux-mmes qui les for-

    mulent, ce sont des sectaires turbulents et dont la propa-gande proccupe srieusement l'aptre : la fausse doctrine

    avait un certain retentissement et russissait se concilier

    des partisans. On peut donc en conjecturer que ce ne sont

    pas prcisment des nouveauts qui viennent de natre. Nous

    constatons leur existence, mais nous ne saisissons pas leur

    origine: il faut remonter plus haut. Cet examen des textes

    du Nouveau Testament nous a confirm dans l'opinion que

    la gnose s'est forme lentement, s'est labore peu peu, a

    suivi le courant naturel des ides du temps ; nous avons

    pu reconnatre les divers degrs de cette volution.

    (1) Voir, pour l'hrsie de Crinthe, Mansel, ouv. cit, p. 74-78;Lightfoot, ouv. cit, p. 107-113,

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    Mais, mme abstraction faite de cette circonstance queles ides gnostiques paraissent remonter plus haut queles temps apostoliques, puisqu'elles ont dj des repr-sentants si ardents (1), peut-on trouver dans le christia-

    nisme les germes du gnosticisme ? Les principes chrtiens

    sont-ils conciliables avec les principes gnostiques ? Prenons

    les trois grandes ides du gnosticisme, la connaissance,

    l'origine du mal et la cosmogonie, en d'autres termes, le

    principe formel et le principe matriel de la nouvelle

    thosophie : ces principes sont-ils ceux du christianisme ?

    Evidemment, saint Paul recommande souvent la recherche

    de la connaissance, mais il n'en a jamais fait le fondement

    de sa prdication, puisque toute sa thologie s'appuie sur

    la justification par la foi. D'ailleurs, la connaissance qu'il

    approuve n'a rien de commun avec les vaines recherches

    des faux docteurs : c'est la connaissance de Dieu etde l'amour de Christ (2).

    Le dualisme ne se trouve pas davantage dans les doc-

    trines chrtiennes, puisque l'origine du mal est dans la

    volont mauvaise et dans la rbellion de l'homme contre

    Dieu.

    Enfin les spculations mtaphysiques sur l'origine du

    monde et sur la crationpar

    des tres intermdiaires in-

    frieurs Dieu est en contradiction avec la thorie van-

    glique expose dans le prologue du quatrime vangile

    (1) D'ailleurs, Simon le Magiciena bien prcd aussi l'apparitiondu christianisme. (VoirLightfoot, ouv. cit, p. 80.)

    (2) Eph., III, 19.

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    ou avec l'enseignement de saint Paul dvelopp dans

    Colossiens, I, 12-20.

    D'ailleurs, l'attitude que prennent les aptres vis vis

    des docteurs qui professent les ides gnostiques est trs

    significative, puisqu'elle est constamment hostile.

    Simon le Magicien n'est au fond qu'un vulgaire ambi-

    tieux ; ayant une foi complte dans la thurgie, il n'avait

    vu dans le christianisme qu'une thosophie de mmenature que celle qu'il enseignait lui-mme, et, en ralit,son apparente profession de chrtien n'avait d'autre but

    que celui d'acqurir les pouvoirs miraculeux des aptres.Plus tard, si nous donnons quelque crdit aux lgendes

    rappeles plus haut, il devint ouvertement l'ennemi

    du christianisme ; or, comme il est difficile d'admettre

    qu'on ait form tout d'une pice la biographie de cet

    homme singulier sans qu'il y et le moindre fonds de

    vrit, il est probable que quelque fait authentique a servi

    de thme primitif de larges amplifications. Quoi qu'il en

    soit, mme dans le rcit des Actes, la position qu'il prendvis vis du christianisme montre suffisamment qu'iln'en a pas pntr le vritable esprit et qu'il ne peut re-

    vendiquer le nom de chrtien.

    Toute la polmique de saint Paul et de saint Jean contrela fausse connaissance, l'asctisme outr, les spculations

    inutiles, indique un antagonisme profond entre la nou-

    velle doctrine et la religion chrtienne; et, non seulement

    ces erreurs sont opposes au principe chrtien, mais en-

    core elles viennent du dehors et ne sont pas des dviations

    intrieures de ce principe. Ceux des aptres qui eurent

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    occasion de se prononcer contre le gnosticisme le regardent,non comme une erreur ne dans le sein de l'Eglise, mais

    comme une philosophie trangre qui porte le trouble au

    milieu des fidles en cherchant les gagner elle et les

    dtourner de la foi... Ce sont des thosophes qui ont trouv

    dans la loi chrtienne quelques rapports lointains avec

    avec leurs propres ides, et qui, accommodant leur langage

    aux croyances chrtiennes, se prtendent les vritablesinterprtes de la doctrine du Matre, et c'est l un des

    caractres les plus marqus du gnosticisme (1).Saint Jean, il est vrai, dans sa premire ptre (II, 9), par-

    lant des hommes qui nient le Pre et le Fils et dans lesquelsil serait difficile de ne pas reconnatre des gnostiques, les

    reprsente comme des membres infidles de l'Eglise. Mais

    dans ces paroles rien ne prouve que ces hommes fussent

    les auteurs des erreurs qui leur sont attribues ; ilsavaient pu, pendant qu'ils faisaient partie de l'Eglise, tre

    sduits par une doctrine trangre; peut-tre encore ne

    s'taient-ils joints aux chrtiens que pour rpandre plusfacilement parmi eux des opinions qui leur taient parti-culires (2).

    On peut donc conclure que le gnosticisme a t con-

    sidr par les aptres comme oppos au principe chrtien.Que les gnostiques aient dsir se faire passer pour chr-

    tiens afin de sduire la multitude, c'est trs possible, mais

    leur christianisme ne devait pas tre de meilleur aloi que

    (1) Nicolas, Nouvelle Revuede thologie,art. cit, p. 329-330,(2) Ibid., p. 331.

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    celui de Simon le Magicien. N'est-ce pas d'ailleurs la tac-

    tique de toute hrsie de prtendre la possession de la

    vritable doctrine et de ne garder pour les autres que du

    ddain?

    Si donc le gnosticisme n'est pas n du christianisme, s'il

    lui est antrieur, recherchons plus haut sa vraie source.

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    DEUXIME PARTIE

    LESIDESGNOSTIQUESAVANTLE PREMIERSICLE

    Si nous considrons ce qu'tait, dans le sicle qui pr-

    cda l're chrtienne, le milieu o le gnosticisme se dve-

    loppa, c'est- -dire l'Asie Mineure et l'Egypte, nous noustrouvons en prsence de trois tendances diffrentes, la

    tendance grecque, la tendance orientale et. la tendance

    juive. Alexandrie surtout est le centre o elles se ren-

    contrent et se mlent en produisant des systmes qui

    portent la trace de cette triple influence.

    Le paganisme grec y est reprsent par le platonisme et

    le pythagorisme, mais bien dnaturs et dont la courterestauration dans les coles noplatoniciennes et nopytha-

    goriciennes ne sera que l'clat affaibli et passager d'une

    lampe qui s'teint; on s'efforce de revenir eux, de faire

    revivre leurs thories, mais une influence plus forte

    s'exerce invinciblement sur les esprits, et la forme grecquene fait que recouvrir une pense orientale.

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    Les ides mazdennes et bouddhistes apparaissent eneffet et leur faveur s'accrot rapidement. Au del des sys-tmes grecs, on recherche une philosophie plus ancienne

    dont ceux-ci n'taient qu'un cho plus ou moins lointain ;

    Platon et Pythagore ne sont regards que comme les

    disciples de la sagesse orientale. Faut-il voir l'origine de

    cette prfrence dans la tourne que firent, dit-on, en

    Egyptedes missionnaires bouddhistes? Faut-il

    simplementadmettre que le grand commerce auquel se livraient les

    Alexandrins en les faisant entrer en rapports avec l'Orient

    facilita l'importation de ces nouvelles thories ? C'est

    l'hypothse la plus probable; dans tous les cas,. ces rela-

    tions permanentes durent favoriser cet change d'ides et

    introduire auprs du paganisme grec si vieilli et surtout

    si analys, si creus, si us, des spculations aussi an-

    ciennes sans doute, mais ayant pour elles l'attrait del'inconnu et de la nouveaut. Quoi qu'il en soit, elles furent

    vite en vogue: leur mysticisme plaisait ces esprits d-

    gots du doute universel qui fut la fin dernire de la

    philosophie grecque. Quand le vide qui se faisait peu

    peu dans les sentiments, les croyances et les ides fut de-

    venu tel qu'il ne resta plus rien l'me, il s'opra une

    profonderaction dans les

    espritset l 'on vit s'lever un

    besoin de plus en plus grand de croyance (1 ). De l'Orient

    arrivrent des systmes tout faits, tout nouveaux, qui

    pouvaient prter largement la spculation philosophique,

    (1) Nicolas, Introduction l'histoire de la philosophie,t. II, p. 229.(Voir p. 220-241.)

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    on les accueillit avec empressement et on leur donna vo-lontiers droit de cit ct des systmes grecs, dont la

    dfaveur allait croissant.

    Mais ce besoin de croyance devait trouver ailleurs encore

    sa satisfaction, et il semble que dans cette ville unique les

    trois grandes philosophies de l'antiquit devaient se ren-

    contrer pour y mourir ensemble et pour lguer en mourant

    cequ'elles

    avaient eu debon,

    de durable, de divin la

    grande philosophie nouvelle, le christianisme, qui allait

    lever sur leurs ruines la brillante cole d'Alexandrie.

    Les Juifs, venus Alexandrie pour y faire le commerce,

    entrrent de plus en relations avec les Grecs et les Orien-

    taux : la langue grecque leur devint d'un usage courant,

    la version des Septante mit la connaissance de la loi la

    porte des paens ou mme des Isralites ignorants par-

    fois de leur propre langue (1). Les traditions nationalesn'taient pas abandonnes, mais l'exclusivisme perdait un

    peu de sa rigueur, aussi bien dans le domaine de la pense

    que dans celui de la vie pratique; il tait pourtant sau-

    vegard en apparence, car tous les Juifs qui acquirent

    quelque connaissance de la littrature et de la philosophie

    des Grecs, non-seulement Alexandrie, mais encore dans

    tout autre milieu o dominait la population grecque,n'eurent, partir de ce moment, d'autre pense, ne se

    proposrent d'autre but, que d'affirmer, que de prouver,bien entendu leur manire, que la culture des Grecs

    (1) Voir Nicolas, Des doctrines religieuses des Juifs pendant lesdeux siclesantrieurs l're chrtienne, p. 109,

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    tout entire, en particulier que leur philosophie drivait

    uniquement des livres saints de la famille d'Isral (1).

    Quoi qu'il en soit, le judasme ne se droba pas aux in-

    fluences trangres, et il est juste de remarquer qu'il

    exera aussi la sienne, en faisant plus ou moins prvaloirses ides, ses croyances et ses traditions (2).

    Telles sont les trois tendances que l'on trouve

    Alexandrie quelques annes avant l're chrtienne, ten-dances bien diverses qui proviennent de pays et de peuplesbien diffrents et qui vont s'unir toutefois et produiredeux systmes principaux, le philonisme et le gnosticisme.

    Philon, en effet, a subi cette triple influence ; il fut juif de

    naissance et de conviction (il voulait prouver que Platon

    tait un disciple des patriarches), platonicien par got et

    surtout par la forme qu'il donna sa pense, si bien qu'ondisait : Aut Philo platonizat aut Plato philonizat ,

    oriental par les ides (3). On l'a regard quelquefoiscomme un des prcurseurs du gnosticisme (4). C'est

    tort, car, si son systme contient des ides analogues aux

    ides gnostiques, c'est qu'elles sont puises aux mmes

    (1) Nicolas, Etudes sur Philon d'Alexandrie (Revuede l'histoire

    des Religions, 1882, mai-juin, p. 320.)(2) Notre examen porte sur tout le judasme, sans distinction dujudasme palestinien, du judasme alexandrin et mme des sectes.Nous verrons plus tard s'il y a lieu d'tablir des diffrencesentre lesdiverses fractions d'un mme peuple, et s'il y a ct des traditionsmosaques des ides nouvelles dues des influences trangres.

    (3) Voir Ritter, cuv. cit, t. IV, p. 341 ; Franck, la Kabbale,p. 293.

    (4) Nander, cit par Baur, Die Christliche Gnosis, p. 12.

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    sources : les deux thosophies se dvelopprent parallle-ment.

    En recherchant maintenant leur commune origine, nous

    conserverons la division que nous avons adopte, et nous

    considrerons d'abord le principe formel, puis le principe

    matriel.

    Le principe formel

    Le principe formel du gnocticisme consiste dans le besoin

    de spculation et le dsir de la connaissance, et entrane

    avec lui deux consquences invitables, la division en

    castes (car la connaissance ne peut pas tre le partage de

    tous) et l'exgse aligorique (car il faut trouver dans lesrcits et les mythes nationaux et populaires le point de

    dpart de la spculation philosophique). Ce principe, pour

    un systme tel que le gnosticisme, est plutt une tendance

    gnrale qu'un point de doctrine spcial: il dnote l'tat

    des esprits au moment o cette philosophie s'est forme

    et une certaine obscurit rgne sur son origine. Ce sera

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    plutt une rsultante des influences diverses qui s'exer-

    aient alors, qu'une direction unique et particulire

    telle ou telle philosophie et tel ou tel peuple.

    Il est certain qu'il ne faut pas chercher dans le plato-nisme la thorie de la connaissance telle que l'entendent

    les gnostiques : le nom est le mme, mais la chose diffre

    compltement. A la fin du cinquime livre de la Rpubli-que Platon distingue entre la connaissance yvci, et

    l'opinion &>; l'une a pour objet la ralit des choses et

    l'autre l'apparence. En rapprochant de cette distinction la

    fameuse thorie des Ides, nous pouvons conclure que la

    yvwoi est la connaissance du monde intelligible et la Ma

    celle du monde sensible. L'Ide est le principe de la con-

    naissance. Connatre, c'est apercevoir l'unit dans la va-

    rit mme, c'est ramener les phnomnes aux lois, les

    lois moins gnrales aux lois plus gnrales, les lois les

    plus gnrales aux ralits universelles et ternelles dont

    elles ne sont que l'expression. Connatre, c'est voir toutes

    choses dans leur unit, dans leur puret, dans leur per-

    fection, dans leur Ide (1). Au premier abord, cette con-

    naissance semble bien analogue celle des gnostiques :

    elle a pour objet un monde suprasensible et s'ob-tient en dtachant ses regards des grossires apparen-ces qui nous environnent. Seulement ce qui ta-

    blit entre les deux thories une diffrence capitale,c'est que pour le philosophe grec la connaissance

    (1) Alfred Fouille, Histoire de la philosophie,p. 91.

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    est entirement discursive.

    Platon, distinguant la con-naissance de l'opinion, c'est--dire de la connaissance .

    ordinaire et commune qui ne cherche pas s'appuyer sur

    des raisons ni se rendre compte d'elle-mme, la pr-

    senta, l'exemple de Socrate, comme le savoir raisonn,

    le savoir qui se sait lui-mme et peut expliquer pourquoiet comment il est le savoir. Mais il montra en mme temps

    que cette connaissance raisonne n'est qu'une transfor-

    mation de la connaissance non raisonne, transformation

    opre par la raison, qui, s'efforant de s'assurer de

    son propre savoir, le soumet une analyse dialectique. La

    science est ainsi une tendance remonter sans cesse des

    faits leurs causes, des ides infrieures aux ides sup-rieures... (1). Les gnostiques n'entendaient pas la con-

    naissance de cette manire, et, la regardant comme un don,

    une rvlation, une illumination, ils n'taient, en somme,que les jouets de leur imagination et de leur sentiment.

    La spculation tant soumise, pour Platon, aux rgles de

    la dialectique, un enseignement double, exotrique et so-

    trique, ne devait pas trouver place dans son systme. Les

    enseignements secrets sont, en effet, la consquence des

    thories fondes sur l'illumination, mais non d'un savoir

    purement humain. Platon, en effet, n'a eu qu'une seule

    doctrine, parfaitement accessible tous et que nous pos-sdons tout entire dans ses divers ouvrages (2).

    (1) Nicolas, Introd. l'histoire de la philosophie, t. II, p. 195, 196.(2) Cette opinion a t conteste cause de certains passages des

    Lettres de Platon qui semblent faire allusion une doctrine secrte ;seulement, ces lettres sont apocryphes, et on ne peut pas tenir compte

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    La secondeconsquence, l'interprtation allgorique, qui est un des meilleurs moyens de mettre les ides et

    les rcits des superstitions populaires d'accord avec les

    conceptions philosophiques (1), se rencontre un peuchez Platon, mais surtout chez les stociens ; et principa-lement quand les divers panthons se furent mlangs,cette interprtation devint d'un usage commun pour ra-

    mener l'unit cette varit infinie de puissances sup-

    rieures et pour considrer les spculations sur les dieuxd'Hsiode aussi bien que celles sur Mithra ou Isis, comme

    les enveloppes diverses d'une seule et mme ide. A ce

    point de vue, l'exgse allgorique n'est pas trangre au

    paganisme grec.

    des renseignements qu'elles renferment. Mais il y a, en outre, une

    citation d'Aristote qui parle, dans sa Physique (liv. IV, ch. II, p. 209),d'opinions non crites de Platon : v rot Xeyo^svoi ypaipoi$ypnxaiv, dit-il. Sont-ce des doctrines secrtes? C'est possible; seule-ment, il est plus probable que ce sont des ides exposes oralementet non dveloppes dans ses Dialogues, parce qu'elles taient de peud'importance. En lisant les Dialoguesqui sont parvenus jusqu' nous,on se demande ce que Platon a pu cacher, ce qu'il avait encore dire.

    Dans le pythagorisme, au contraire, il y avait des divisions en castes"et des initiations pour passer d'une caste une autre. Il devait certai-nement y exister une doctrine secrte. (Pour toute cette question, voir

    Ritter, ouv. cit, t. II, p. 140, et le Dictionnaire des sciencesphiloso-phiques, article Esotrique , p. 466.

    Nous trouvons aussi ces initiations et ces mystres dans les supers-titions populaires, les mystres orphiques, les mystres d'Eleusis, etc.Seulement, on peut difficilement mesurer l'influence que ces reli-gions du vulgaire ont eu sur le gnosticisme, thosophie surtout aristo-cratique.

    (1) Ersch u. Grber Encyclopoedie,art. cit, p. 236.

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    Si de l'Occident nouspassons

    l'Orient, nous nous

    trouvons en prsence d'une tendance spculative bien plus

    dfinie. Le bouddhisme et le mazdisme sont rests les

    types par excellence des religions mystiques : les recher-

    ches sans fin sur l'absolu, sur l'essence des tres, sur la

    cration et la cosmogonie tiennent une grande place dans

    leur philosophie religieuse ; nous y trouvons de plus l'ide

    trs nettement exprime des rvlations surnaturelles.

    Les brahmanes et Cakya-Mouni dans l'Inde, aussi bien queZoroastre en Perse, se prsentent comme les interprtes de

    la Divinit avec laquelle ils sont en communication directe.

    Les initiations et les mystres se retrouvent galement

    dans ces systmes; les castes y sont rigoureusement d-

    limites, surtout dans le brahmanisme o les prtres for-

    ment une aristocratie hrditaire d'institution divine et

    marque d'un caractre indlbile.Quant l'interprtation allgorique, elle fut aussi en

    usage dans les collges de Brahmanes afin de mettre en

    accord les vieilles traditions aryennes avec une thologienouvelle et de transformer les anciens dieux secondaires

    en autant de manifestations ou d'attributs diffrents du

    Dieu unique : le panthisme remplaait le polythisme (1).

    Examinons, en troisime lieu, les tendances juives. Le

    judasme de cette poque ne laissait pas d'avoir dans son

    sein quelques efforts vers la spculation. Le systme de

    (1) Voir Lenormant, Manuel d'histoire ancienne de l'Orient, t. III,p. 561.

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    Philon nous prouverait, lui seul, qu'on acceptait assezbien ce genre de recherches. Jsus, fils de Sirach, faisait

    sans doute aussi allusion des spculations mystiques

    quand il recommandait ses lecteurs de ne pas recher-

    cher avec trop de curiosit les choses caches, inutiles

    la bonne direction de la vie, et de s'attacher princi-

    palement aux rvlations bibliques qui sont dj assez

    difficiles et au-dessus de l'intelligence du commun des

    hommes (1). Nous avons d'ailleurs trois manisfestations

    irrcusables de ce besoin spculatif : la kabbale, la tho-

    sophie essnienne et le dosthanisme.

    Quel que soit le peu de crdit qu'on donne aux l-

    gendes qui voudraient faire remonter la kabbale

    une trs haute antiquit, on doit cependant admettre

    qu'au IIe sicle avant notre re, l'cole kabbalistique

    commenait se constituer srieusement. Or, il estcertain que ce fait dnote une tendance relle la

    spculation : Les kabbalistes, dit M. Franck, n'ont obi

    qu' l'impulsion de leur propre intelligence : les ides

    qu'ils ont introduites dans les livres saints, pour se donner

    ensuite l'apparence de les y avoir trouves, leur appartien-nent entirement (2). Et d'un autre ct ces spculationsn'ont d'autre fondement que l'intuition : Les partisansenthousiastes de la kabbale la font descendre du ciel,

    apporte par des anges, pour enseigner au premier homme,

    aprs sa dsobissance, le moyen de reconqurir sa noblese

    (1) Eccl., III, 21 et 22.(2) Franck, la Kabbale, introd., p. 48.

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    et sa flicit premires (1). Voil la direction gnraledfinie, nous verrons plus loin si dans les ides elles-

    mmes il y a quelque analogie remarquer.A ct de la kabbale nous avons nomm la thosophie

    essnienne : ce qu'elle tait au juste, il serait difficile de

    le savoir; nous connaissons leur opinion sur quelques

    points spciaux : l'ensemble de la doctrine ne nous a pas

    t transmis. Les seuls renseignements que nous ayonsse trouvent dans Philon et Josphe, et, d'aprs certaines

    phrases de ces auteurs, nous pouvons conclure que les

    essniens se livraient des spculations sur l'origine du

    mal, les anges, etc.. (2).Enfin une troisime secte, le dosthanisme, existait en Sa-

    marie : nous avons dit que Simon le Magicien tait de Gitta,

    suivant quelques auteurs (3); c'est en tous cas dans la

    Samarie qu'il exerait la thurgie. Mnandre, son disciple,tait Samaritain comme lui. Or, d'aprs la Chronique sama-

    ritaine et le tmoignage de deux historiens arabes, une

    secte de dosithens existait en Samarie bien avant l're

    chrtienne. Ils s'occupaient de thories sur l'essence de

    Dieu, qu'ils disaient tre #yvwo-ro et appwo ; les angestaient aussi les objets de leur recherches. Ici encore nous

    constatons sur le solpalestinien

    un besoin despculationtrs dtermin.

    Le principe amenait sa consquence : l'enseignement

    (1) Franck, ouv. cit, p. 51.(2) Voir Hilgenfeld, Diejudische Apokalyptik, p. 272.(3) Nicolas, Nouvelle Revuede Thologie,1861, p. 72.

    4 F

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    secret et les initiations se retrouvent dans ces trois thoso-phies. Chez les kabbalistes, la science suprme est entoure

    du plus grand mystre : les Juifs n'ignoraient pas l'exis-

    tence de cette redoutable connaissance, mais ils n'osaient

    en approcher. On trouve dans la Mishna ce passage remar-

    quable : Il est dfendu d'expliquer deux personnesl'histoire de la Gense, mme une seule, l'histoire de la

    la Merkabah ou du Char-Cleste. Si cependant c'est un

    homme sage et intelligent par lui-mme, il est permis delui en confier les sommaires des chapitres (1). Voici un

    autre passage o le mme fait nous apparat d'une ma-

    nire non moins vidente : Rabbi Jochanan dit un jour

    rabbi Elizer : Viens que je t'enseigne l'histoire de la

    Merkabah. Alors ce dernier rpondt : Je ne suis pas encore

    assez vieux pour cela. Quand il fut devenu vieux, rabbi

    Jochanan mourut et quelque temps aprs, rabbi Assi tantvenu lui dire son tour : Viens que je t'enseigne l'histoire

    de la Merkabah ; il rpliqua : Si je m'en tais cru digne,

    je l'aurai dj apprise de rabbi Jochanan, ton matre (2).

    On voit donc que, pour tre initi cette science myst-

    rieuse de la Merkabah, il ne suffisait pas de se distinguer

    par l'intelligence ou par une minente position, il fallait

    encore avoir atteint un ge assez avanc, et mme quand

    on remplissait cette condition on ne se croyait pas toujours

    (1) Trait de Chagiga, 2e proposition, cit par Franck, ouv. cit,p. 53.

    (2) Trait de Chagiga,Gumara de la 2e proposition, cit par Franck,ouv. cit, p. 56,

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    assez sr ou de son intelligence ou de sa force morale

    pour accepter le poids de ces secrets redouts.

    L'essnisme avait galement sa doctrine esotrique. Cette

    secte formait une socit secrte en ce sens que ses prin-

    cipes taient cachs aux profanes qui taient galementexclus de ses crmonies. Les adeptes n'taient initis

    qu'aprs un double noviciat. Ils ne passaient dans les

    grades suprieurs que lentement et dans la mesure dede leur pit et de leurs connaissances. Ils s'engageaient

    par un serment solennel ne faire connatre aucun

    profane, ni mme un initi d'un degr infrieur, les

    doctrines qui leur taient communiques. Josphe nous a

    transmis une partie du serment qu'on exigeait des

    nophytes : ovvxypriov oftoico; xi xe T5aiploeu iXt'a v.a.1

    x. TWVyyXcovv^ara (1).Dans le dosthanisme enfin, nous trouvons encore les

    mmes procds mystrieux. Les dosithens tenaient pourdes tres impurs tous ceux qui ne faisaient pas partie de

    leur secte, et se regardaient eux-mmes comme les purset les lus. Cette opinion est nettement exprime dans les

    Posies Samaritaines, entr'autres dans la onzime, o il est

    parl du petit nombre de ceux qui connaissent le mystre

    de l'amour de Dieu et qui participent cet amour. Cedouble privilge les distingue du commun des mortels. On

    n'tait admis dans cette secte que par le moyen d'initia-

    tions. L'auteur des Posies Samaritaines, dit Gsnius,

    n'ose point se compter parmi les hommes d'lite qui ont

    (1) Josphe, Bel.jud., II, 12.

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    pntr tous les mystres de l'amour de Dieu ; il espre

    cependant tre initi cette doctrine secrte par quelqu'unde ceux qui l'ont reue (1).

    Il nous reste examiner le troisime lment du principe

    formel, l'exgse allgorique. Dans le judasme nous la

    trouvons avec toute sa faveur. L'allgorie juive est reste

    clbre. Les Juifs d'Alexandrie, Aristobule, par exemple,

    trouvaient un sens cach sous le sens littral : Ceux dontl'esprit a peu d'intelligence, disait-il, en s'arrtant la

    lettre, ne voient pas ce qu'il y a de grand dans ce qui est

    expos (2).La kabbale allgorise outrance : elle s'efforce ou se

    donne l'air de tirer sa doctrine de l'Ecriture-Sainte; et,

    comme l'Ecriture ne se prte en aucune manire ce

    dessein les kabbalistes prennent avec elle les plus tranges

    liberts. Ne tenant pas le moindre compte de la valeur

    des mots et des lois du langage, ils substituent partout au

    sens naturel un sens allgorique qui, ainsi que l'on doit

    s'y attendre, est l'expression de leurs opinions prconues...

    Les vnements de l'Ancien Testament, les crmonies qu'il

    prescrit ne sont leurs yeux que des symboles, ou, pourtraduire leurs propres paroles, qu'un vtement souvent

    grossier sous lequel se cachent le corps et l'me de la loi .Par le corps, ils entendent le sens moral des livres rvls,

    et par l'me, le sens mystique. Mais il y a aussi une me

    pour cette me ou un degr suprieur de sagesse et de

    (1) Voir Nicolas, NouvelleRevuede Thologie,art. cit, 1861,p. 76.(2) Voir Nicolas, Desdoctrines religieusesdesJuifs, etc., p. 132.

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    perfection auquel n'arrivent qu'un trs petit nombred'lus (1). Ils vont mme plus loin et ont tout un systmedans lequel ils substituent les lettres les unes aux autres,

    ou encore avec la Gamatria, ils remplacent les caractres

    par leur valeur numrique. Bien entendu, ce sont les kab-

    balistes seuls qui peuvent connatre les procds de cette

    exgse: c'est l une consquence naturelle de l'sotrisme :

    le sens apparent est pour la multitude, le sens cach pour

    les initis.

    Telle tait aussi la thorie des essniens. Ils pensaient

    que les Ecritures renfermaient un sens cach qu'ils sa-

    vaient dcouvrir; c'tait surtout sur les prophties que

    s'exerait leur mthode allgorique, et il est rare, ajoute

    Josphe qui nous donne ces dtails, que ces prdictions ne

    se ralisent pas (2).

    Quant au dosthanisme, nous n'avons pas de dtails surl'exgse qu'il faisait des livres sacrs, mais il est probable

    qu'elle devait tre aussi allgorique, car le mme fait qui

    se retrouve dans cette secte, l'existence de deux enseigne-

    ments, la rend ncessaire pour avoir sa raison d'tre.

    Ainsi dans le judasme nous constatons bien avant l're

    chrtienne un besoin de spculation trs marqu; nous

    en aurions encore d'autres preuves dans les livres apocry-

    phes et les pseudpigraphes de l'poque maccabenne, tels

    que le livre d'Hnoch, certains passages du troisime livre

    des Oracula Sibyllina, le livre de la Sapience, etc. etc ; nous

    (1) VoirDictionnaire dessciencesphilosophiques,article " Kabbale"

    (2) Josphe, Bel. jud., II, 8, 12.

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    avons simplement cit ces trois thosophies pour montrer quel point en tait venu cette aspiration et combien peuil faut y voir un dsir plus ou moins vague et qui ne

    cherchait pas se satisfaire ; au contraire, des systmes

    spculatifs se forment de toutes pices ; ct de l'en-

    seignement pratique et moral de la loi, il y a autre chose,

    il y a une vritable connaissance, une yvwai.En rsum, tendance spculative, thorie de l'enseigne-

    ment secret, interprtation allgorique, ces trois lments

    du principe formel devaient se trouver Alexandrie et

    dans l'Asie Mineure ; apports, soit de l'Occident soit de

    l'Orient, ils devenaient des ides courantes : le gnosticismen'eut qu' se les approprier.

    11

    Le Principe matriel

    O trouvons-nous les sources des ides gnostiques sur

    l'origine du mal, l'asctisme, la cosmogonie et les tres

    intermdiaires ?

    Le platonisme n'a pas, vrai dire, de thorie sur l'ori-

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    gine du mal. Dans la Rpublique, Platon dit, il est vrai,

    que Dieu n'est pas cause de tout, mais simplement de ce

    qui est bon, f7 TtxvxtuvaXxiovxov 9sov, XX TWVaya9

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    le nions pas, car l'ide de la matire entrane toujoursl'ide de la limitation de l'infini dans le fini : Tant que

    rgne la pense que les oeuvres de Dieu doivent porteren elles-mmes une privation dans la nature matrielle,

    que, comme oeuvres d'art, elles doivent rester au-dessous

    de l'artiste, qu'elles sont par consquent soumises une

    limitation ncessaire qui ne permet pas leur perfection,on est oblig de reconnatre une

    consquencedu dua-

    lisme (1).

    Mais, entre ce dualisme si rduit et le dualisme catgo-

    rique des coles gnostiques, il y a une profonde diffrence,et l'influence platonicienne pour ce point spcial a d tre

    bien insignifiante (2).

    tion au bien, dont il est le contraire. Or, le contraire du bien, et parconsquent le principe du mal, c'est la matire indtermine, le pos-sible, le contingent, ce qui n'est rien, mais peut tout devenir. C'estDieu, c'est le bien qui fonde cette possibilit du possible. Lemal absoluserait le nant absolu, il n'existe donc pas. Ce qui existe, c'est lemoindre bien, la borne du bien. Fouille, ouv. cit, p. 105.

    (1) Ritter, Considrations gnrales sur l'ide et le dveloppementhistorique de la philosophiechrtienne, p. 123, note 4.

    (2) Dans le pythagorisme, il y a bien quelques traces de dualisme,mais trs incertaines; c'en est plutt le pressentiment que la con-science. L'me est dans le corps commedans une prison. Elle est

    ap-pele lutter sans cesse contre le principe du mal, sans avoir le droitde quitter son poste par le suicide. De l nos devoirs moraux. Tout biena sa source dans l'unit et dans l'ordre; tout mal prend son originedans la division et la dissonance. L'homme vertueux est celui qui seconforme aux lois de la raison et qui rgle sa vie l'imitation deDieu. " Fouille, ouv. cit, p. 47. Ainsi le mal est considr encorecommeune privation de bien plutt que comme une puissance direc-tement oppose au bien.

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    De mme qu'il y a peu de dualisme dans la philosophieplatonicienne, de mme il y a peu d'asctisme ou

    peu d'immoralit. Ces deux conduites pratiques sup-

    posent, en effet, nous l'avons vu, la croyance thorique

    la matire source et sige du mal. La morale que prescrit

    Platon est pure, bienfaisante, juste, naturelle. Elle re-

    commande la vertu, qui est la conformit de l'me humaine

    aux ides ; l'oeil fix sur l'Ide suprme, l'homme de bien

    s'efforce de l'imiter. La vertu est une oeuvre d'art et la

    sagesse ressemble Phidias : la matire qu'elle faonne

    c'est l'me humaine, et le modle qu'elle imite, c'est Dieu.

    Tous ces prceptes n'ont rien de rude et quelquefois

    mme on peut les enfreindre sans dchoir.

    L'cole pythagoricienne est peut-tre un peu plus

    ascte. Respectant jusque dans les animaux le principe de

    la vie, elle imposait ses adeptes l'abstention d la chairet mme des vgtaux lorsque, par leur forme, ils rappe-

    laient l'imagination quelque tre vivant. Elle demandait,

    en outre, le sacrifice de la volont par l'obissance, et son

    silence proverbial devait tre la fois le rsultat et la

    condition de la vie contemplative; seulement cet asctisme,

    htons-nous de le remarquer, n'a pas sa source dans le

    dualisme, mais au contraire dans une sorte de panthisme.

    Il en est de mme de l'asctisme des stociens, qui con-

    sistait plus dans le mpris de toutes les oeuvres extrieures

    que dans la mortification continuelle de la chair. Ici encore

    nous sommes loin des thories gnostiques, et l'esprit grec,

    qui tait avant tout ami de l'esthtique, ne devait pas

    se plaire aux exagrations dans un sens ou dans l'au-

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    tre. Il y et videmment aussi des gens immoraux enGrce comme ailleurs, mais aucun philosophe, Epicuremme pas plus qu'un autre, n'a jamais conseill ou sim-

    plement permis les licencieux excs auxquels se livrrent

    leurs prtendus disciplas.Arrivons la cosmogonie platonicienne : c'est l sur-

    tout qu'on a voulu voir une influence des ides grecques sur

    la thoriegnostique. Rappelons

    celle-ci enquelques

    mots :

    . Le monde matriel est cr par un Dmiurge im-

    parfait ; entre ce monde et le Dieu suprme, il ne saurait

    y avoir aucun rapport direct, car l'un est la source

    et le principe du mal et l'autre la source et le principedu bien. Il y a donc entre eux une srie descen-

    dante d'manations, les ons, organiss en hirarchies et

    runis deux deux pour former les syzygies.

    Voyons maintenant la thorie platonicienne. Avant laproduction des tres contingents et prissables qui devaient

    peupler notre terre, Dieu commena par former le monde

    qu'il anima en plaant en lui une me faite de trois es-

    sences, l'une indivisible, appartenant au divin, une autre

    divisible, provenant de la matire dsordonne, et une

    troisime, tire de la fusion des deux prcdentes. Le

    monde vivant et anim constitue l'ensemble des corps

    clestes, des astres qui suivent une marche rgulire,famille cleste de dieux et de fils de dieux. C'est ce monde

    un et rgi par une me unique, quoique formant diverses

    parties (les astres), qui fut charg par Dieu, son auteur et

    son pre, de produire les tres prissables et la partie

    mortelle de l'homme en imitant l'action par laquelle la

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    Puissance divine et souveraine, l'avait produit lui-mme : Quand tous les dieux et ceux qui font leur rvo-

    lution nos yeux et ceux qui n'apparaissent qu'autant

    qu'il leur plat, eurent reu la naissance, l'auteur de cet

    univers leur parla en ces termes : Dieux, issus de

    dieux, ouvrages dont je suis l'artisan et le pre, vous tes

    indissolubles parce que vous avez t forms par moi et

    que je le veux... Ecoutez maintenant ce que j'ai vous

    dclarer. Il reste encore trois espces mortelles pro-duire : si elles ne reoivent pas l'existence, le ciel sera

    imparfait, car il ne renfermera pas toutes les espcesd'tres anims, et il le faut cependant pour qu'il soit

    parfait. Si ces animaux recevaient de moi la naissance et

    la vie ils galeraient les dieux. Afin, qu'il y ait donc des

    races mortelles et que cet univers soit rellement achev,

    occupez-vous, selon votre nature, produire ces animauxen imitant la puissance que j'ai manifeste dans votre

    production. Je vous fournirai la semence et le principe de

    la partie qui doit porter le nom des immortels, partie,

    appele divine... ; et vous, unissant la partie mortelle la

    partie immortelle, formez-en des animaux, produisez-

    les, faites-les crotre en leur donnant la nourriture

    et, leur mort, recevez-les de nouveau dans votre sein.

    Celui qui avait ordonn toutes ces choses demeura

    dans son tat ordinaire et, pendant qu'il y restait, ses

    enfants mditrent sur ses dispositions et les excut-

    rent (1). Voil l'ide platonicienne.

    (1) Platon, le Time, trad. Schwalb, p. 507-509.

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    Le philosophe grec voulait expliquer comment destres prissables drivaient de l'Etre ternel ; des cra-

    tures faibles, sujettes au mal et l'erreur de Celui quiest parfaitement sage, souverainement bon, possdantune puissance infinie ; des choses imparfaites, rebelles

    sous plusieurs rapports une rgle fixe, d'un pre quiest la perfection mme et le reprsentant de l'ordre

    et de l'harmonie. Il crut rsoudre la question par la sup-

    position d'un tre intermdiaire, espce de mdiateur

    plastique, participant la fois et dans une certaine me-

    sure de la nature divine et de la nature chaotique de la

    matire, cause du bien et de l 'ordre en tant que tenantau divin, mais cause imparfaite en tant que tenant la

    matire dsordonne. Le mal, l'erreur et le dsordre

    s'arrtaient cet Etre qui n'avait pu donner son oeuvre

    une perfection qu'il n'avait pas lui-mme ; ils ne remon-taient pas jusqu' Dieu, qui n'tait plus du moins la

    cause directe de la dfectuosit des choses et des tres

    prissables (1).En somme, cette thorie d'tres intermdiaires entre

    Dieu et le monde, cette ide du Dmiurge imparfait se

    rapproche assez de la thorie gnostique. Mais Platon ne

    nous dit rien sur la faon dont ces tres sont arrivs l'existence; est-ce par manation ou par cration?

    On ne le sait ; il manque donc encore l'analogieun lment, et qui n'est pas le moins important (2).

    (1) Nicolas, Desdoctrines religieuses des Juifs, etc., p. 202.(2) On pourrait voir aussi dans l'importance accorde par les gnos-

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    Laissons l'Occident etvoyons

    l'Orient. D'abord le maz-

    disme : nous y trouvons, pour expliquer l'origine du mal,

    un dualisme trs prononc. C'est le plus connu et le plus

    caractristique de ses dogmes. A la tte de l'univers sont

    deux principss, Ormuzd et Ahriman : en face du prin-

    cipe bon le principe mauvais ; c'est ce dernier qui a cr

    le mal moral et matriel et la mort. La cration tait

    sortie des mains d'Ormuzd pure et parfaite ; c'est Ahri-

    man qui la pervertit par son action funeste et quis'efforce chaque jour d'accomplir son oeuvre de destruc-

    tion, car il est le destructeur. Il est ternel dans le

    pass comme Ormuzd (1) : J'ai cr, dit Ahura Mazda

    (Ormuzd) un lieu de nature agrable o tout pourtantn'tait pas joie...; une terre, lieu d'agrment, quin'avait point tous les charmes de la fertilit fut la

    premirecration; il

    yen eut une seconde

    oppose la

    premire, produite par l'esprit homicide et essentielle-

    ment destructrice... (2). A chaque bonne cration, Ah-

    riman en oppose une mauvaise. Mais ce dualisme n'est

    pas irrductible, et un jour viendra, la fin des sicles,

    o trois prophtes issus de Zoroastre apporteront au

    monde les trois derniers livres du Zend-Avesta et conver-

    tiront tous les hommes au mazdisme : alors le mal sera

    dfinitivement vaincu et ananti, la cration redeviendra

    tiques aux nombres des ons, les Ogdoades, les Dcades, etc., uneinfluencesdesides pythagoriciennes. Voir ce sujet : Ersch u. Gruber

    Encyclopoedie,art. cit, p. 239.(1) Voir Lenormant, ouv. cit, t. II, p. 315.

    (2) Zend-Avesta, Vendidad. Fargard I, trad. de Harlez.

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    aussi pure qu'au premier jour et Ahriman disparatra

    pour jamais. Il y a ainsi pour Zoroastre un principe et un

    principe mauvais ; mais le mal n'a pas sa source nces-