les mouvements de protestation et de résistance au 21e siècle · avec succès, des manifestations...
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Les mouvements de protestation et de résistance au 21e siècle
Les rapports des médias sur le printemps arabe et les mouvements de protestations tels que la
récente campagne récent de désobéissance civile Occupy Central de Hong Kong ont créé
l’impression, au cours des dernières années, d’une tendance mondiale vers l’augmentation
d’opposition politique contre le despotisme et la dictature. Cette impression est renforcée par
l’intensité avec laquelle les rapports sur les mouvements de protestation sont « aimés » et
partagés via les médias sociaux comme Facebook et Twitter. Cependant, les mouvements de
protestation n’apparaissent pas seulement dans les états autocratiques ; ils sont également une
caractéristique des démocraties capitalistes, bien qu’avec des motivations et objectifs différents.
La tendance mondiale de protestation peut être décrite en termes de dynamique des vagues, avec
des fluctuations entre les périodes de haut et basse intensité. La fréquence actuelle de protestation
est extraordinairement élevée mais n’est pas sans précédent : une fréquence plus élevée a aussi
été observée dans les années 1980 avec les mouvements pacifistes et anti-nucléaires et aux
courses de la démocratisation de l’Europe de l’Est. Cependant, au cours des dernières années,
deux nouveaux développements ont eu lieu, à savoir la « transnationalisation » et la numérisation
des mouvements de protestation. Ces technologies de communication numérique (TCN)
encouragent les effets de contagion à travers les frontières nationales et facilitent la coordination
mondiale de protestation et de résistance.
Les vagues de protestations : l'intensité mondiale et la fréquence des
mouvements de protestation– une perspective historique
Le printemps arabe et les mouvements de
protestation tels que Euromaidan en Ukraine
encombrent un espace considérable dans les
rapports des médias et sont « aimés » et
partagés via les médias sociaux comme
Facebook et Twitter (Hanrath / Leggewie
2012). La Coupe du monde de la FIFA 2014
a aussi été ponctuée de protestations, avec
les Brésiliens manifestant contre la
corruption et les réductions de sécurité
Validité des données d'événement de protestation
Habituellement, les données utilisées pour analyser les mouvements de protestation sont fondées
sur les rapports des agences de presse, (par ex. Reuters ou Agence France-Presse). Les
événements décrits dans les rapports d’information – les manifestations, les grèves, les sit-ins, etc.
– sont marqués comme des événements de protestation. Les rapports sont également utilisés
comme une source d’information supplémentaire, tels que l’ampleur de la protestation (= nombre
de participants), l’endroit et la durée. Toutefois, dans ce processus, il y a un certain nombre de
sources potentielles d’erreurs, mettant un point d’interrogation sur la validité des données.
Tout d’abord, il faut garder à l’esprit que dans leur couverture internationale, les agences de
presse elles-mêmes décident quels événements valent reportages. Les études systématiques sur la
couverture des agences de presse montrent que les agences sont plus susceptibles de faire des
reportages sur les événements qui ont lieu dans leur voisinage (Mueller, 1997) et / ou les
événements impliquant un élément de violence (Barranco / Wisler 1999).
Deuxièmement, en analysant les tendances historiques, il est important de concevoir que
l’ampleur des reportages a augmenté dans une façon exponentielle au cours des dernières
décennies ; en d’autres termes, le nombre d’agences de presse couvrant les événements du monde
a augmenté au fil du temps, de même que la fréquence des reportages (Boyd-Barrett / Rantanen
1998). Pour cette raison, la figure 1 montre la couverture des manifestations en pourcentage du
reportage totale d’une année donnée, et pas la fréquence des reportages sur les événements de
protestation.
Troisièmement, il existe un risque que les parties prenantes – à savoir les manifestants et les
groupes de protestation, mais aussi les acteurs étatiques – influenceront délibérément les
reportages. Cela s’applique particulièrement à l’ampleur de manifestants signalés (à savoir le
nombre de participants) : il y a souvent une divergence considérable entre les chiffres des
organisateurs et les estimations fournies par les autorités gouvernementales. Les organisateurs de
protestations ont généralement une motivation stratégique de gonfler les chiffres, alors que les
autorités gouvernementales peuvent avoir intérêt à les sous-estimer. Des conflits d’intérêts
similaires surviennent les évaluations de l’ampleur de la violence impliquant les forces de
sécurité / manifestants.
sociale. Dans de nombreux pays d’Europe
du Sud, le public avait protesté durant des
années contre les programmes d’austérités,
avec plusieurs gouvernements contraints à
démissionner. Et le mouvement d’Occupy
qui a commencé aux États-Unis a organisé,
avec succès, des manifestations contre les
inégalités sociales à l’échelle mondiale et
même a inspiré un mouvement similaire –
Occupy Central – qui a fait campagne pour
les élections libres et la démocratie à Hong-
Kong. Ce n’est pas seulement les
journalistes qui donc parlent de nouvelles
révolutions mondiales (Mason 2012). Les
sociologues font également référence à un
niveau d’intensité sans précédent dans les
protestations mondiales (Tejerina et al.
2013).
Si on regarde l’intensité de la couverture
médiatique des événements de protestation
et son développement au cours des 30
dernières années [voir la figure 1], il est clair
que même si les manifestations se produisent
très fréquemment partout dans le monde
pour l’instant, la situation ne peut pas, en
fait, être décrit comme unique dans
l’histoire. Dans les années précoces et
tardives de 1980, les protestations et les
résistances ont eu lieu avec une intensité
égale ou même supérieure (Leetaru 2014).
En général, les chiffres soutiennent
l’hypothèse – très répandue dans la
recherche de protestation – que les
manifestations se produisent par vagues
(Della Porta 2013). « Vagues de
protestations » fait référence à la hausse et la
chute cyclique de l’activité de protestation.
Par exemple, pour les États-Unis, les
chercheurs ont identifié trois vagues de
protestations qui ont considérablement
influencé les politiques, les valeurs et les
objectifs des États-Unis ; le premier était le
mouvement abolitionniste (anti-esclavagiste)
au début du 19ème
siècle ; le deuxième était
le mouvement ouvrier à la fin du 19ième
/
début du 20ième
siècle ; et le troisième était le
mouvement des droits civiques dans les
années 1960 (Freeman / Johnson 1999). Le
mouvement d’Occupy, qui a fait campagne
contre les inégalités et l’influence des
entreprises dans la politique, a le potentiel
d’atteindre un statut similaire aux États-
Unis. Trois vagues de protestations peuvent
également être identifiées pour l’Allemagne
d’après-guerre : en premier, les
manifestations étudiantes à la fin des années
1960 ; deuxièmement, les campagnes contre
le déploiement de missiles à moyenne portée
et l’expansion de l’énergie nucléaire au
début des années 1980 ; et troisièmement, les
manifestations contre le racisme au début
des années 1990 (Hutter / Teune 2012).
Le modèle de la dynamique des vagues peut
être appliqué aussi à l’intensité globale de
protestations – à savoir la fréquence des
manifestations à traverse le monde – avec les
fluctuations entre des périodes d’intensité
haute et basse [voir la figure 1]. La première
vague de l’intensité globale de protestations
en hausse a eu lieu au début des années 1980
et impliquait principalement les mouvements
de paix et anti-nucléaire, qui n’étaient actifs
pas seulement en Allemagne, mais dans
toute l’Europe occidentale et aux États-Unis
(Rochon 1988). La deuxième vague à la fin
des années 1980 / début des années 1990
peut être attribuée à la fin de la guerre froide
et la démocratisation de nombreux pays
d’Europe de l’Est (Beissinger 2002). Le
printemps arabe peut être considéré comme
le déclencheur d’une troisième vague de
protestation d’une intensité comparable,
mais il faut garder à l’esprit que, après la
montée rapide des activités de protestations
en 2011, il a ensuite progressivement
diminué en 2012 et 2013. Il convent
également de noter que l’intensité des
rapports sur les événements mondiaux de
protestation, décrit ci-dessus, capte
seulement indirectement le phénomène. Les
données d’événement en général et les
données d’événements de protestation en
particulier sont particulièrement sensibles
aux erreurs de mesure et de polarisation
(Earl et al. 2004) [voir encadré].
Gandhi et Castro dans le même bateau ? La diversité de mouvements de
résistance et protestation
La protestation, définie comme une
résistance collective et organisée contre des
conditions prédominantes, prend plusieurs
formes et inclut une multitude de groupes et
d’alliances des parties prenantes. Lors de
l’évaluation des tendances mondiales du
mouvement de protestation, il est crucial de
déterminer quels phénomènes en particulier
sont spécifiés comme des événements de
protestation. Dans la figure 1, la catégorie de
« protestation » englobe les types
événements suivants : les manifestations, les
marches, les grèves, les boycotts, les
constructions des barricades et des barrages
routiers et les émeutes. Cette série de types
d’événement reflète la diversité de
protestation elle-même. Mouvements de
protestation ou de résistance, comme une
forme collective et organisée de protestation,
entrent également dans une variété de
catégories. Mouvements de protestation
actuelle, tels qu’Occupy Central à Hong
Kong, le mouvement Tea Party aux États-
Unis et les mouvements séparatistes de
Basque et de Catalans en Espagne, différent
en fonction de leur profil des participants,
leur agenda politique et les ressources
financières à leur disposition. Ils poursuivent
également les stratégies différentes afin
d’atteindre leurs objectifs. Le groupe dit
« État islamique » (IS / Daesh), qui combat
en Irak et Syrie, est également considéré
comme un mouvement de résistance par ses
membres et les sympathisants. Les
mouvements de protestation ne sont pas un
phénomène nouveau ; au contraire, ils sont
intimement liés à la genèse de l’état-nation
moderne et peuvent être remontés aux
événements qui ont eu lieu au 18ième
siècle,
comme la Révolution française et la Boston
Tea Party. La marche du sel de Mahatma
Gandhi en 1930 est souvent présentée
comme la première grande campagne de
désobéissance civile, alors que la Révolution
Cubaine est née du mouvement de Fidel
Castro le 16 juillet et peut aussi être
considérée comme un mouvement de
résistance.
Une meilleure compréhension de cette
diversité peut être acquise en classifiant les
mouvements en fonction de leurs objectifs et
méthodes déclarées (Chenoweth / Lewis
2013). En ce qui concerne leurs objectifs,
une distinction est faite entre 1) un
changement de régime, 2) un changement de
politique, et 3) une sécession / indépendance.
Les mouvements de protestation et
résistance différent aussi dans les méthodes
qu’ils utilisent pour atteindre leurs objectifs.
Ceux-ci peuvent être principalement non
violents, comme les démonstrations, les
boycotts et les sit-ins ; alternativement, un
mouvement peut tenter d’atteindre ses
objectifs par des moyens principalement
violents [voir le tableau 1].
L’objet d’un changement de régime est de
remplacer un système de gouvernement avec
un autre ; en règle générale, cela signifie
l’éviction d’un régime autocratique et
l’établissement d’une démocratie. Ce
implique le renvoi du chef politique et du
gouvernement, (nouvelles) élections,
nouvelles nominations à des institutions
publiques telles que le mécanisme judiciaire
et administratif, si nécessaire, et l’adoption
d’une nouvelle constitution. Tous les
mouvements du printemps arabe ont
poursuivi l’objectif de changement de
régime, mais avec les degrés d’intensité et
les niveaux de succès différents. Cependant,
les mouvements différaient clairement dans
la mesure où ils ont utilisé la violence
comme un moyen d’atteindre leurs objectifs.
La révolution de jasmin en Tunisie était
essentiellement pacifique, alors que
l’insurrection contre le président syrien
Bachar al-Assad a largement pris la forme
d’un combat armé (Erickson Nepstad 2011).
Les mouvements de protestation dont l’objet
est un changement de politique vise à
promouvoir les réformes politiques
substantielles, sont cependant, limités à des
domaines politiques spécifiques. Le système
politique dans l’ensemble n’est pas remis en
cause. Par exemple, le mouvement Occupy
Wall Street dans les campagnes américaines
luttait contre les inégalités sociales, en se
concentrant uniquement sur la politique
économique et financière de l’État, et pas
contre le système politique des États-Unis
dans l’ensemble. D’autres mouvements
poursuivent des objectifs encore plus
spécifiques : par exemple le seul objet du
mouvement de protestation contre « Stuttgart
21 » était d’arrêter la rénovation de la gare
centrale de Stuttgart. Une distinction doit
être faite entre les mouvements de
protestations pacifiques et violentes dans ce
contexte aussi. Tandis que les manifestations
d’Occupy Wall Street et Stuttgart 21 étaient
majoritairement pacifiques, quelques
mouvements qui poursuivent un programme
environnemental radical, par exemple, sont
prêts à utiliser la violence pour amener des
réformes politiques. Depuis les années 1990,
le Front de libération de la Terre a mené des
actes de sabotage contre les grandes
entreprises, principalement aux États-Unis et
en Europe, afin de forcer les décideurs
politique à prendre des mesures pour
préserver l’environnement (Leader / Probst
2003).
Et enfin, la sécession / l’indépendance est un
autre objectif important poursuivi par les
mouvements de protestation et résistance.
Dans ce cas, l’objet est de faire sécession du
territoire d’un état existant par la création
d’un nouvel état souverain. Les mouvements
sécessionnistes peuvent poursuivre cet
agenda pacifiquement ou violemment. IS /
Daesh est un exemple actuel d’un
mouvement sécessionniste qui poursuit son
objectif d’établir un califat (une théocratie
islamique) sur le territoire de l’Irak et de la
Syrie et ailleurs au Moyen-Orient
uniquement par les moyens violents [voir
The Rise of "Islamic State"]. Par contre, le
mouvement séparatiste catalan, soutenant
l’indépendance de la Catalogne de
l’Espagne, est non-violent et respecte les
règles de la constitution espagnole.
Il existe des variations considérables dans la
fréquence des mouvements de résistance
violente et pacifique de 1945 à 2006 [voir la
figure 2], bien que la liste ne comprenne que
de plus grands mouvements ; des
manifestations plus petites telles que
Stuttgart 21 ne sont pas envisagées. D’une
manière générale, excepté dans les années
1980 et les premières années du nouveau
millénaire, les mouvements de résistance
violents prédominent clairement : dans la
période examinée, 100 mouvements de
résistance pacifique et 150 mouvements de
résistance violents sont nées. Le nombre de
nouveaux mouvements violents – 31 – était
le plus élevé dans les années 1970, en raison
des nombreuses guerres par procuration
pendant la guerre froide. Le nombre
extrêmement élevé de mouvements de
résistance pacifique dans les années 1980
peut être expliqué par l’effondrement de
l’Union soviétique – le résultat de l’activité
de protestation principalement pacifique en
Europe orientale. Les années 1990 ont
ensuite été dominées par une série de
conflits violents qui ont été décrits comme
les « nouvelles guerres » (Kaldor, 1999). La
fréquence des mouvements de résistance
pacifiques dans les premières années du
nouveau millénaire peut être attribuée aux
« révolutions de couleur » en Géorgie, en
Ukraine, au Liban et au Kirghizistan, qui
étaient généralement non-violents
(Chenoweth / Lewis 2013, 419f.)
Si on envisage l’efficacité des méthodes
déployées, il est clair que les mouvements
pacifistes sont généralement plus efficaces
que ceux qui utilisent la violence,
particulièrement si l’objectif est un
changement de régime : dans ce cas, les
méthodes pacifiques ont un taux de
réussite beaucoup plus élevé que la
résistance violente [voir la figure 3].
Cela est du principalement au fait que la
non-violence augmente l’attrait des
mouvements pour les publics
potentiellement sympathiques, augmentant
son ampleur et sa légitimité. En outre, si
l’objectif est un changement de régime, la
résistance non violente est plus propice à
encourager les membres des forces de
sécurité de l’état de rejoindre les
manifestants (Chenoweth / Stephan 2011).
Toutefois, en ce qui concerne à la fois les
objectifs poursuivis et les méthodes
déployées par les mouvements de résistance,
il faut garder à l’esprit que ceci est une
description très simplifiée et ne reflète pas
pleinement la complexité de la situation. Il
est possible de trouver des exemples de
mouvements de protestation qui ont changé
leurs objectifs ou ont inclu dans leurs
membres plusieurs factions avec les agendas
divergents. En outre, la dynamique
d’escalade peut souvent être observée dans
la volonté d’utiliser la violence : les
mouvements qui commencent pacifiquement
peuvent recourir à la violence en réponse à
l’utilisation de la force par l’État.
« Transnationalisation » et numérisation des mouvements de résistance et
protestation
Dans l’ère de médias sociaux tels que
Facebook et Twitter, comment est-ce que les
techniques modernes de communication
influent sur la fréquence et la forme de
protestation ? Au début du 21e siècle,
l’augmentation de la mondialisation des
mouvements de protestation pouvait être
observée, alors que les manifestations qui
avaient été initialement confinées à des
zones géographiques spécifiques se sont
répandues à travers les frontières nationales
(Della Porta / Tarrow 2005). Deux formes
distinctes de transnationalisation peuvent
être identifiés : Premièrement, les effets de
contagion, ce qui signifie que les
mouvements de protestation nationaux
inspirent les imitateurs dans d’autres pays ;
et deuxièmement, la coordination en ligne
des activités de protestation. Les deux
formes ont été facilitées par les avancées des
techniques de communication.
Les effets de contagion
Le terme « les effets de contagion » implique
que les mouvements nationaux de
protestation sont communiqués de plus en
plus au niveau mondial et donc trouvent des
imitateurs plus rapidement que par le passé.
Cela a généralement été possible de part la
diffusion mondiale directe de nouvelles sur
Internet et en particulier grâce à l’utilisation
accrue des réseaux sociaux en ligne. Le
printemps arabe est un exemple de cette
dynamique en action [voir la figure 4].
Après la naissance du mouvement de
protestation tunisien le 17 décembre 2010,
les manifestations ont commencé en Algérie
voisins le même mois. Dans les quatre mois
de décembre 2010 à mars 2011, les
mouvements de protestation sont apparus
dans 17 pays d’Afrique du Nord et
du Moyen-Orient. Les chercheurs et
journalistes soulignent, dans ce contexte, que
les médias sociaux tels que Twitter et
Facebook, la vidéo-site du partage comme
Youtube et les chaînes de télévision
panarabes comme Al Jazeera et Al Arabiya
ont jouée un rôle clé dans la propagation des
manifestations à d’autres pays (AlSayyad /
Guvenc 2013; Hanrath / Leggewie 2012).
Par exemple, l’auto-immolation de
Mohamed Bouaziz – généralement considéré
comme l’événement qui avait déclenché les
soulèvements en Tunisie – a trouvé des
imitateurs en Algérie, Egypte, Mauritanie et
Maroc. Le jour même où Mohamed Bouaziz
s’est immolé, sa famille a téléchargé une
vidéo sur Facebook montrant sa mère
menant une marche de protestation. La vidéo
a été diffusée à la télévision par Al Jazeera le
soir même. La réaction internationale a
commencé le jour suivant, avec les posts sur
Facebook et les retweets des images de
l’auto-immolation de Bouaziz et les
manifestations qui s’ensuivirent.
(AlSayyad/Guvenc 2013, p. 7f.). En
conséquence de la couverture en ligne et de
la télévision, les mouvements de protestation
ont gagné une visibilité mondiale. L’effet
était d’encourager les manifestants, élevant
leurs attentes subjectives de succès. En effet,
le succès du mouvement de protestation en
Tunisie a fait beaucoup pour renforcer la
croyance que les manifestants sont
véritablement capables de renverser des
régimes autocratiques.
Le mouvement d’Occupy aux États-Unis
s’est propagé avec un élan similaire. Les
manifestations – initialement sous l’étendard
Occupy Wall Street – ont commencé le 17
septembre 2011 avec un campement en Parc
Zuccotti au quartier financier de New York,
suivant un appel mondial de l’action sur
l’Internet, avec des organisateurs et des
participants faisant souvent les références
aux soulèvements du printemps arabe et les
protestations plus tôt par le mouvement 15-
M en Espagne. Les objectifs du mouvement
Occupy – de réduire les inégalités sociales et
l’influence des entreprises dans la politique –
ont été définis dès le début comme des
problèmes mondiaux et ont été
communiqués à l’échelle mondiale par les
réseaux sociaux. En conséquence, le
mouvement se propageait très rapidement,
d’abord aux États-Unis et puis dans d’autres
pays [voir la figure 5]. Un mois après les
premières manifestations en septembre 2011,
des groupes similaires se sont formés dans
d’autres villes à travers le monde. Un an plus
tard, le mouvement avait encore une
présence la plus forte aux États-Unis, mais
un mouvement mondial d’Occupy s’est
développé à travers l’Europe, l’Amérique
latine et certaines régions d’Asie.
Les effets de contagion pourraient également
être observés dans les mouvements sociaux
antérieurs, tels que les mouvements de la
paix et anti-nucléaires, mais le
développement et la diffusion des TCNs
semblent d’avoir renforcé et accéléré cette
dynamique. Par le passé, il aurait fallu des
mois ou des années pour obtenir la
mobilisation de masse dans plusieurs états-
nations : aujourd’hui, il prend quelques
jours.
Coordination des manifestations
mondiales
En plus de renforcer les effets de contagion,
les médias numériques et les réseaux sociaux
tels que Facebook et Twitter permettent aux
mouvements de protestation d’être
coordonnés au niveau mondial, avec des
manifestations sur le même sujet soit ayant
lieu simultanément dans les différents pays
soit les groupes de protestation de différents
pays lancement une campagne conjointe à
partir d’un endroit. Les protestations contre
la réunion de l’Organisation mondial du
commerce (OMC) à Seattle (États-Unis) à la
fin des années 1990 sont généralement
considérées comme la première tentative des
mouvements antimondialisation d’organiser
une campagne transnationale par courriel.
Les manifestations suivantes pendant le
sommet du Groupe de 20 (G20) à Londres
en avril 2009 ont été coordonnées dans une
large mesure par les médias sociaux.
Commençant par les blogs, pages de
Facebook et tweets, un réseau
d’organisations et d’individuels de
différentes origines a très rapidement
mobilisé et a coordonné les manifestations
(Bennett / Segerberg 2011). Le mouvement
mondial Occupy a parfait l’utilisation des
médias numériques dans les relations
publiques, la communication avec les
membres et l’organisation de manifestations.
Les manifestations mondiales qui ont eu lieu
dans 950 villes en 80 pays le 15 octobre
2011 étaient coordonnées via les plateformes
en ligne différentes (Roth 2012, p. 37). Le
sociologue espagnol Manuel Castells fait
référence dans ce contexte à des nouvelles
formes de mouvement social à l’ère de
l’Internet.
Conclusion et recommandations politiques
En résumé, il est clair que dans le contexte
de mouvements de protestation et résistance,
la tendance globale peut être décrite en
termes de dynamique des vagues, avec des
fluctuations entre les périodes de haute et
basse intensité. La fréquence et l’intensité
des protestations actuelles sont
extraordinairement élevées, mais pas sans
précédent. En outre, les avancements des
techniques modernes de communication et
surtout la portée mondiale des réseaux
sociaux ont conduit à la mondialisation et la
numérisation des mouvements de
protestation. Les TCNs promeuvent les
effets de contagion et facilitent la
coordination transnationale de protestation et
de résistance. Cependant, il est important de
traiter avec prudence les interprétations des
tendances mondiales de protestation, car les
données disponibles sont souvent inexactes
et les parties prenantes ont des motivations
stratégiques pour dépeindre les
manifestations et les mouvements de
résistance d’une manière qui convient à leurs
ambitions spécifiques.
Pour les décideurs politiques, cela soulève
un certain nombre de questions
problématiques en ce qui concerne la
question de savoir comment répondre aux
mouvements de protestation. Tout d’abord,
l’intensité actuelle de protestation et de
résistance doit être prise au sérieux. La
baisse générale de la participation électorale
dans nombreux pays occidentaux
industrialisés a été accompagnée par une
augmentation des protestations, soulignant
son importance. Cependant, en raison de la
diversité des mouvements de protestation,
décrits ci-dessus, les décideurs politiques
devraient résister à la tentation d’adopter une
trousse à outils standard ou modèle pour leur
réponse. Les réponses politiques aux
mouvements de protestation doivent être
adaptées aux conditions spécifiques de l’ère
du numérique. La transnationalisation, des
mouvements de protestation politique, en
particulier via les plateformes en lignes,
nécessite une réponse mondiale des
décideurs politiques, au-delà des intérêts
nationaux. A l’heure de la mondialisation
économique, aussi, une réponse globale aux
protestations sociales contre les inégalités et
injustices sociales est essentielle. L’approche
participative des Nations unies dans le cadre
de l’agenda de développement post-2015 est
un pas dans la bonne direction [voir les
consultations post-2015] et devrait servir de
modèle, en particulier pour les institutions
financières internationales telles que le Fond
monétaire international et la Banque
mondiale.
Etude de : Felix S. Bethke
Traduction : Rachel Long, pour Le Mouvement de la Paix (2016)
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