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Les mouvements de protestation et de résistance au 21e siècle Les rapports des médias sur le printemps arabe et les mouvements de protestations tels que la récente campagne récent de désobéissance civile Occupy Central de Hong Kong ont créé l’impression, au cours des dernières années, d’une tendance mondiale vers l’augmentation d’opposition politique contre le despotisme et la dictature. Cette impression est renforcée par l’intensité avec laquelle les rapports sur les mouvements de protestation sont « aimés » et partagés via les médias sociaux comme Facebook et Twitter. Cependant, les mouvements de protestation n’apparaissent pas seulement dans les états autocratiques ; ils sont également une caractéristique des démocraties capitalistes, bien qu’avec des motivations et objectifs différents. La tendance mondiale de protestation peut être décrite en termes de dynamique des vagues, avec des fluctuations entre les périodes de haut et basse intensité. La fréquence actuelle de protestation est extraordinairement élevée mais n’est pas sans précédent : une fréquence plus élevée a aussi été observée dans les années 1980 avec les mouvements pacifistes et anti-nucléaires et aux courses de la démocratisation de l’Europe de l’Est. Cependant, au cours des dernières années, deux nouveaux développements ont eu lieu, à savoir la « transnationalisation » et la numérisation des mouvements de protestation. Ces technologies de communication numérique (TCN) encouragent les effets de contagion à travers les frontières nationales et facilitent la coordination mondiale de protestation et de résistance.

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Page 1: Les mouvements de protestation et de résistance au 21e siècle · avec succès, des manifestations contre les inégalités sociales à l’échelle mondiale et même a inspiré un

Les mouvements de protestation et de résistance au 21e siècle

Les rapports des médias sur le printemps arabe et les mouvements de protestations tels que la

récente campagne récent de désobéissance civile Occupy Central de Hong Kong ont créé

l’impression, au cours des dernières années, d’une tendance mondiale vers l’augmentation

d’opposition politique contre le despotisme et la dictature. Cette impression est renforcée par

l’intensité avec laquelle les rapports sur les mouvements de protestation sont « aimés » et

partagés via les médias sociaux comme Facebook et Twitter. Cependant, les mouvements de

protestation n’apparaissent pas seulement dans les états autocratiques ; ils sont également une

caractéristique des démocraties capitalistes, bien qu’avec des motivations et objectifs différents.

La tendance mondiale de protestation peut être décrite en termes de dynamique des vagues, avec

des fluctuations entre les périodes de haut et basse intensité. La fréquence actuelle de protestation

est extraordinairement élevée mais n’est pas sans précédent : une fréquence plus élevée a aussi

été observée dans les années 1980 avec les mouvements pacifistes et anti-nucléaires et aux

courses de la démocratisation de l’Europe de l’Est. Cependant, au cours des dernières années,

deux nouveaux développements ont eu lieu, à savoir la « transnationalisation » et la numérisation

des mouvements de protestation. Ces technologies de communication numérique (TCN)

encouragent les effets de contagion à travers les frontières nationales et facilitent la coordination

mondiale de protestation et de résistance.

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Les vagues de protestations : l'intensité mondiale et la fréquence des

mouvements de protestation– une perspective historique

Le printemps arabe et les mouvements de

protestation tels que Euromaidan en Ukraine

encombrent un espace considérable dans les

rapports des médias et sont « aimés » et

partagés via les médias sociaux comme

Facebook et Twitter (Hanrath / Leggewie

2012). La Coupe du monde de la FIFA 2014

a aussi été ponctuée de protestations, avec

les Brésiliens manifestant contre la

corruption et les réductions de sécurité

Validité des données d'événement de protestation

Habituellement, les données utilisées pour analyser les mouvements de protestation sont fondées

sur les rapports des agences de presse, (par ex. Reuters ou Agence France-Presse). Les

événements décrits dans les rapports d’information – les manifestations, les grèves, les sit-ins, etc.

– sont marqués comme des événements de protestation. Les rapports sont également utilisés

comme une source d’information supplémentaire, tels que l’ampleur de la protestation (= nombre

de participants), l’endroit et la durée. Toutefois, dans ce processus, il y a un certain nombre de

sources potentielles d’erreurs, mettant un point d’interrogation sur la validité des données.

Tout d’abord, il faut garder à l’esprit que dans leur couverture internationale, les agences de

presse elles-mêmes décident quels événements valent reportages. Les études systématiques sur la

couverture des agences de presse montrent que les agences sont plus susceptibles de faire des

reportages sur les événements qui ont lieu dans leur voisinage (Mueller, 1997) et / ou les

événements impliquant un élément de violence (Barranco / Wisler 1999).

Deuxièmement, en analysant les tendances historiques, il est important de concevoir que

l’ampleur des reportages a augmenté dans une façon exponentielle au cours des dernières

décennies ; en d’autres termes, le nombre d’agences de presse couvrant les événements du monde

a augmenté au fil du temps, de même que la fréquence des reportages (Boyd-Barrett / Rantanen

1998). Pour cette raison, la figure 1 montre la couverture des manifestations en pourcentage du

reportage totale d’une année donnée, et pas la fréquence des reportages sur les événements de

protestation.

Troisièmement, il existe un risque que les parties prenantes – à savoir les manifestants et les

groupes de protestation, mais aussi les acteurs étatiques – influenceront délibérément les

reportages. Cela s’applique particulièrement à l’ampleur de manifestants signalés (à savoir le

nombre de participants) : il y a souvent une divergence considérable entre les chiffres des

organisateurs et les estimations fournies par les autorités gouvernementales. Les organisateurs de

protestations ont généralement une motivation stratégique de gonfler les chiffres, alors que les

autorités gouvernementales peuvent avoir intérêt à les sous-estimer. Des conflits d’intérêts

similaires surviennent les évaluations de l’ampleur de la violence impliquant les forces de

sécurité / manifestants.

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sociale. Dans de nombreux pays d’Europe

du Sud, le public avait protesté durant des

années contre les programmes d’austérités,

avec plusieurs gouvernements contraints à

démissionner. Et le mouvement d’Occupy

qui a commencé aux États-Unis a organisé,

avec succès, des manifestations contre les

inégalités sociales à l’échelle mondiale et

même a inspiré un mouvement similaire –

Occupy Central – qui a fait campagne pour

les élections libres et la démocratie à Hong-

Kong. Ce n’est pas seulement les

journalistes qui donc parlent de nouvelles

révolutions mondiales (Mason 2012). Les

sociologues font également référence à un

niveau d’intensité sans précédent dans les

protestations mondiales (Tejerina et al.

2013).

Si on regarde l’intensité de la couverture

médiatique des événements de protestation

et son développement au cours des 30

dernières années [voir la figure 1], il est clair

que même si les manifestations se produisent

très fréquemment partout dans le monde

pour l’instant, la situation ne peut pas, en

fait, être décrit comme unique dans

l’histoire. Dans les années précoces et

tardives de 1980, les protestations et les

résistances ont eu lieu avec une intensité

égale ou même supérieure (Leetaru 2014).

En général, les chiffres soutiennent

l’hypothèse – très répandue dans la

recherche de protestation – que les

manifestations se produisent par vagues

(Della Porta 2013). « Vagues de

protestations » fait référence à la hausse et la

chute cyclique de l’activité de protestation.

Par exemple, pour les États-Unis, les

chercheurs ont identifié trois vagues de

protestations qui ont considérablement

influencé les politiques, les valeurs et les

objectifs des États-Unis ; le premier était le

mouvement abolitionniste (anti-esclavagiste)

au début du 19ème

siècle ; le deuxième était

le mouvement ouvrier à la fin du 19ième

/

début du 20ième

siècle ; et le troisième était le

mouvement des droits civiques dans les

années 1960 (Freeman / Johnson 1999). Le

mouvement d’Occupy, qui a fait campagne

contre les inégalités et l’influence des

entreprises dans la politique, a le potentiel

d’atteindre un statut similaire aux États-

Unis. Trois vagues de protestations peuvent

également être identifiées pour l’Allemagne

d’après-guerre : en premier, les

manifestations étudiantes à la fin des années

1960 ; deuxièmement, les campagnes contre

le déploiement de missiles à moyenne portée

et l’expansion de l’énergie nucléaire au

début des années 1980 ; et troisièmement, les

manifestations contre le racisme au début

des années 1990 (Hutter / Teune 2012).

Le modèle de la dynamique des vagues peut

être appliqué aussi à l’intensité globale de

protestations – à savoir la fréquence des

manifestations à traverse le monde – avec les

fluctuations entre des périodes d’intensité

haute et basse [voir la figure 1]. La première

vague de l’intensité globale de protestations

en hausse a eu lieu au début des années 1980

et impliquait principalement les mouvements

de paix et anti-nucléaire, qui n’étaient actifs

pas seulement en Allemagne, mais dans

toute l’Europe occidentale et aux États-Unis

(Rochon 1988). La deuxième vague à la fin

des années 1980 / début des années 1990

peut être attribuée à la fin de la guerre froide

et la démocratisation de nombreux pays

d’Europe de l’Est (Beissinger 2002). Le

printemps arabe peut être considéré comme

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le déclencheur d’une troisième vague de

protestation d’une intensité comparable,

mais il faut garder à l’esprit que, après la

montée rapide des activités de protestations

en 2011, il a ensuite progressivement

diminué en 2012 et 2013. Il convent

également de noter que l’intensité des

rapports sur les événements mondiaux de

protestation, décrit ci-dessus, capte

seulement indirectement le phénomène. Les

données d’événement en général et les

données d’événements de protestation en

particulier sont particulièrement sensibles

aux erreurs de mesure et de polarisation

(Earl et al. 2004) [voir encadré].

Gandhi et Castro dans le même bateau ? La diversité de mouvements de

résistance et protestation

La protestation, définie comme une

résistance collective et organisée contre des

conditions prédominantes, prend plusieurs

formes et inclut une multitude de groupes et

d’alliances des parties prenantes. Lors de

l’évaluation des tendances mondiales du

mouvement de protestation, il est crucial de

déterminer quels phénomènes en particulier

sont spécifiés comme des événements de

protestation. Dans la figure 1, la catégorie de

« protestation » englobe les types

événements suivants : les manifestations, les

marches, les grèves, les boycotts, les

constructions des barricades et des barrages

routiers et les émeutes. Cette série de types

d’événement reflète la diversité de

protestation elle-même. Mouvements de

protestation ou de résistance, comme une

forme collective et organisée de protestation,

entrent également dans une variété de

catégories. Mouvements de protestation

actuelle, tels qu’Occupy Central à Hong

Kong, le mouvement Tea Party aux États-

Unis et les mouvements séparatistes de

Basque et de Catalans en Espagne, différent

en fonction de leur profil des participants,

leur agenda politique et les ressources

financières à leur disposition. Ils poursuivent

également les stratégies différentes afin

d’atteindre leurs objectifs. Le groupe dit

« État islamique » (IS / Daesh), qui combat

en Irak et Syrie, est également considéré

comme un mouvement de résistance par ses

membres et les sympathisants. Les

mouvements de protestation ne sont pas un

phénomène nouveau ; au contraire, ils sont

intimement liés à la genèse de l’état-nation

moderne et peuvent être remontés aux

événements qui ont eu lieu au 18ième

siècle,

comme la Révolution française et la Boston

Tea Party. La marche du sel de Mahatma

Gandhi en 1930 est souvent présentée

comme la première grande campagne de

désobéissance civile, alors que la Révolution

Cubaine est née du mouvement de Fidel

Castro le 16 juillet et peut aussi être

considérée comme un mouvement de

résistance.

Une meilleure compréhension de cette

diversité peut être acquise en classifiant les

mouvements en fonction de leurs objectifs et

méthodes déclarées (Chenoweth / Lewis

2013). En ce qui concerne leurs objectifs,

une distinction est faite entre 1) un

changement de régime, 2) un changement de

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politique, et 3) une sécession / indépendance.

Les mouvements de protestation et

résistance différent aussi dans les méthodes

qu’ils utilisent pour atteindre leurs objectifs.

Ceux-ci peuvent être principalement non

violents, comme les démonstrations, les

boycotts et les sit-ins ; alternativement, un

mouvement peut tenter d’atteindre ses

objectifs par des moyens principalement

violents [voir le tableau 1].

L’objet d’un changement de régime est de

remplacer un système de gouvernement avec

un autre ; en règle générale, cela signifie

l’éviction d’un régime autocratique et

l’établissement d’une démocratie. Ce

implique le renvoi du chef politique et du

gouvernement, (nouvelles) élections,

nouvelles nominations à des institutions

publiques telles que le mécanisme judiciaire

et administratif, si nécessaire, et l’adoption

d’une nouvelle constitution. Tous les

mouvements du printemps arabe ont

poursuivi l’objectif de changement de

régime, mais avec les degrés d’intensité et

les niveaux de succès différents. Cependant,

les mouvements différaient clairement dans

la mesure où ils ont utilisé la violence

comme un moyen d’atteindre leurs objectifs.

La révolution de jasmin en Tunisie était

essentiellement pacifique, alors que

l’insurrection contre le président syrien

Bachar al-Assad a largement pris la forme

d’un combat armé (Erickson Nepstad 2011).

Les mouvements de protestation dont l’objet

est un changement de politique vise à

promouvoir les réformes politiques

substantielles, sont cependant, limités à des

domaines politiques spécifiques. Le système

politique dans l’ensemble n’est pas remis en

cause. Par exemple, le mouvement Occupy

Wall Street dans les campagnes américaines

luttait contre les inégalités sociales, en se

concentrant uniquement sur la politique

économique et financière de l’État, et pas

contre le système politique des États-Unis

dans l’ensemble. D’autres mouvements

poursuivent des objectifs encore plus

spécifiques : par exemple le seul objet du

mouvement de protestation contre « Stuttgart

21 » était d’arrêter la rénovation de la gare

centrale de Stuttgart. Une distinction doit

être faite entre les mouvements de

protestations pacifiques et violentes dans ce

contexte aussi. Tandis que les manifestations

d’Occupy Wall Street et Stuttgart 21 étaient

majoritairement pacifiques, quelques

mouvements qui poursuivent un programme

environnemental radical, par exemple, sont

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prêts à utiliser la violence pour amener des

réformes politiques. Depuis les années 1990,

le Front de libération de la Terre a mené des

actes de sabotage contre les grandes

entreprises, principalement aux États-Unis et

en Europe, afin de forcer les décideurs

politique à prendre des mesures pour

préserver l’environnement (Leader / Probst

2003).

Et enfin, la sécession / l’indépendance est un

autre objectif important poursuivi par les

mouvements de protestation et résistance.

Dans ce cas, l’objet est de faire sécession du

territoire d’un état existant par la création

d’un nouvel état souverain. Les mouvements

sécessionnistes peuvent poursuivre cet

agenda pacifiquement ou violemment. IS /

Daesh est un exemple actuel d’un

mouvement sécessionniste qui poursuit son

objectif d’établir un califat (une théocratie

islamique) sur le territoire de l’Irak et de la

Syrie et ailleurs au Moyen-Orient

uniquement par les moyens violents [voir

The Rise of "Islamic State"]. Par contre, le

mouvement séparatiste catalan, soutenant

l’indépendance de la Catalogne de

l’Espagne, est non-violent et respecte les

règles de la constitution espagnole.

Il existe des variations considérables dans la

fréquence des mouvements de résistance

violente et pacifique de 1945 à 2006 [voir la

figure 2], bien que la liste ne comprenne que

de plus grands mouvements ; des

manifestations plus petites telles que

Stuttgart 21 ne sont pas envisagées. D’une

manière générale, excepté dans les années

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1980 et les premières années du nouveau

millénaire, les mouvements de résistance

violents prédominent clairement : dans la

période examinée, 100 mouvements de

résistance pacifique et 150 mouvements de

résistance violents sont nées. Le nombre de

nouveaux mouvements violents – 31 – était

le plus élevé dans les années 1970, en raison

des nombreuses guerres par procuration

pendant la guerre froide. Le nombre

extrêmement élevé de mouvements de

résistance pacifique dans les années 1980

peut être expliqué par l’effondrement de

l’Union soviétique – le résultat de l’activité

de protestation principalement pacifique en

Europe orientale. Les années 1990 ont

ensuite été dominées par une série de

conflits violents qui ont été décrits comme

les « nouvelles guerres » (Kaldor, 1999). La

fréquence des mouvements de résistance

pacifiques dans les premières années du

nouveau millénaire peut être attribuée aux

« révolutions de couleur » en Géorgie, en

Ukraine, au Liban et au Kirghizistan, qui

étaient généralement non-violents

(Chenoweth / Lewis 2013, 419f.)

Si on envisage l’efficacité des méthodes

déployées, il est clair que les mouvements

pacifistes sont généralement plus efficaces

que ceux qui utilisent la violence,

particulièrement si l’objectif est un

changement de régime : dans ce cas, les

méthodes pacifiques ont un taux de

réussite beaucoup plus élevé que la

résistance violente [voir la figure 3].

Cela est du principalement au fait que la

non-violence augmente l’attrait des

mouvements pour les publics

potentiellement sympathiques, augmentant

son ampleur et sa légitimité. En outre, si

l’objectif est un changement de régime, la

résistance non violente est plus propice à

encourager les membres des forces de

sécurité de l’état de rejoindre les

manifestants (Chenoweth / Stephan 2011).

Toutefois, en ce qui concerne à la fois les

objectifs poursuivis et les méthodes

déployées par les mouvements de résistance,

il faut garder à l’esprit que ceci est une

description très simplifiée et ne reflète pas

pleinement la complexité de la situation. Il

est possible de trouver des exemples de

mouvements de protestation qui ont changé

leurs objectifs ou ont inclu dans leurs

membres plusieurs factions avec les agendas

divergents. En outre, la dynamique

d’escalade peut souvent être observée dans

la volonté d’utiliser la violence : les

mouvements qui commencent pacifiquement

peuvent recourir à la violence en réponse à

l’utilisation de la force par l’État.

« Transnationalisation » et numérisation des mouvements de résistance et

protestation

Dans l’ère de médias sociaux tels que

Facebook et Twitter, comment est-ce que les

techniques modernes de communication

influent sur la fréquence et la forme de

protestation ? Au début du 21e siècle,

l’augmentation de la mondialisation des

mouvements de protestation pouvait être

observée, alors que les manifestations qui

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avaient été initialement confinées à des

zones géographiques spécifiques se sont

répandues à travers les frontières nationales

(Della Porta / Tarrow 2005). Deux formes

distinctes de transnationalisation peuvent

être identifiés : Premièrement, les effets de

contagion, ce qui signifie que les

mouvements de protestation nationaux

inspirent les imitateurs dans d’autres pays ;

et deuxièmement, la coordination en ligne

des activités de protestation. Les deux

formes ont été facilitées par les avancées des

techniques de communication.

Les effets de contagion

Le terme « les effets de contagion » implique

que les mouvements nationaux de

protestation sont communiqués de plus en

plus au niveau mondial et donc trouvent des

imitateurs plus rapidement que par le passé.

Cela a généralement été possible de part la

diffusion mondiale directe de nouvelles sur

Internet et en particulier grâce à l’utilisation

accrue des réseaux sociaux en ligne. Le

printemps arabe est un exemple de cette

dynamique en action [voir la figure 4].

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Après la naissance du mouvement de

protestation tunisien le 17 décembre 2010,

les manifestations ont commencé en Algérie

voisins le même mois. Dans les quatre mois

de décembre 2010 à mars 2011, les

mouvements de protestation sont apparus

dans 17 pays d’Afrique du Nord et

du Moyen-Orient. Les chercheurs et

journalistes soulignent, dans ce contexte, que

les médias sociaux tels que Twitter et

Facebook, la vidéo-site du partage comme

Youtube et les chaînes de télévision

panarabes comme Al Jazeera et Al Arabiya

ont jouée un rôle clé dans la propagation des

manifestations à d’autres pays (AlSayyad /

Guvenc 2013; Hanrath / Leggewie 2012).

Par exemple, l’auto-immolation de

Mohamed Bouaziz – généralement considéré

comme l’événement qui avait déclenché les

soulèvements en Tunisie – a trouvé des

imitateurs en Algérie, Egypte, Mauritanie et

Maroc. Le jour même où Mohamed Bouaziz

s’est immolé, sa famille a téléchargé une

vidéo sur Facebook montrant sa mère

menant une marche de protestation. La vidéo

a été diffusée à la télévision par Al Jazeera le

soir même. La réaction internationale a

commencé le jour suivant, avec les posts sur

Facebook et les retweets des images de

l’auto-immolation de Bouaziz et les

manifestations qui s’ensuivirent.

(AlSayyad/Guvenc 2013, p. 7f.). En

conséquence de la couverture en ligne et de

la télévision, les mouvements de protestation

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ont gagné une visibilité mondiale. L’effet

était d’encourager les manifestants, élevant

leurs attentes subjectives de succès. En effet,

le succès du mouvement de protestation en

Tunisie a fait beaucoup pour renforcer la

croyance que les manifestants sont

véritablement capables de renverser des

régimes autocratiques.

Le mouvement d’Occupy aux États-Unis

s’est propagé avec un élan similaire. Les

manifestations – initialement sous l’étendard

Occupy Wall Street – ont commencé le 17

septembre 2011 avec un campement en Parc

Zuccotti au quartier financier de New York,

suivant un appel mondial de l’action sur

l’Internet, avec des organisateurs et des

participants faisant souvent les références

aux soulèvements du printemps arabe et les

protestations plus tôt par le mouvement 15-

M en Espagne. Les objectifs du mouvement

Occupy – de réduire les inégalités sociales et

l’influence des entreprises dans la politique –

ont été définis dès le début comme des

problèmes mondiaux et ont été

communiqués à l’échelle mondiale par les

réseaux sociaux. En conséquence, le

mouvement se propageait très rapidement,

d’abord aux États-Unis et puis dans d’autres

pays [voir la figure 5]. Un mois après les

premières manifestations en septembre 2011,

des groupes similaires se sont formés dans

d’autres villes à travers le monde. Un an plus

tard, le mouvement avait encore une

présence la plus forte aux États-Unis, mais

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un mouvement mondial d’Occupy s’est

développé à travers l’Europe, l’Amérique

latine et certaines régions d’Asie.

Les effets de contagion pourraient également

être observés dans les mouvements sociaux

antérieurs, tels que les mouvements de la

paix et anti-nucléaires, mais le

développement et la diffusion des TCNs

semblent d’avoir renforcé et accéléré cette

dynamique. Par le passé, il aurait fallu des

mois ou des années pour obtenir la

mobilisation de masse dans plusieurs états-

nations : aujourd’hui, il prend quelques

jours.

Coordination des manifestations

mondiales

En plus de renforcer les effets de contagion,

les médias numériques et les réseaux sociaux

tels que Facebook et Twitter permettent aux

mouvements de protestation d’être

coordonnés au niveau mondial, avec des

manifestations sur le même sujet soit ayant

lieu simultanément dans les différents pays

soit les groupes de protestation de différents

pays lancement une campagne conjointe à

partir d’un endroit. Les protestations contre

la réunion de l’Organisation mondial du

commerce (OMC) à Seattle (États-Unis) à la

fin des années 1990 sont généralement

considérées comme la première tentative des

mouvements antimondialisation d’organiser

une campagne transnationale par courriel.

Les manifestations suivantes pendant le

sommet du Groupe de 20 (G20) à Londres

en avril 2009 ont été coordonnées dans une

large mesure par les médias sociaux.

Commençant par les blogs, pages de

Facebook et tweets, un réseau

d’organisations et d’individuels de

différentes origines a très rapidement

mobilisé et a coordonné les manifestations

(Bennett / Segerberg 2011). Le mouvement

mondial Occupy a parfait l’utilisation des

médias numériques dans les relations

publiques, la communication avec les

membres et l’organisation de manifestations.

Les manifestations mondiales qui ont eu lieu

dans 950 villes en 80 pays le 15 octobre

2011 étaient coordonnées via les plateformes

en ligne différentes (Roth 2012, p. 37). Le

sociologue espagnol Manuel Castells fait

référence dans ce contexte à des nouvelles

formes de mouvement social à l’ère de

l’Internet.

Conclusion et recommandations politiques

En résumé, il est clair que dans le contexte

de mouvements de protestation et résistance,

la tendance globale peut être décrite en

termes de dynamique des vagues, avec des

fluctuations entre les périodes de haute et

basse intensité. La fréquence et l’intensité

des protestations actuelles sont

extraordinairement élevées, mais pas sans

précédent. En outre, les avancements des

techniques modernes de communication et

surtout la portée mondiale des réseaux

sociaux ont conduit à la mondialisation et la

numérisation des mouvements de

protestation. Les TCNs promeuvent les

effets de contagion et facilitent la

coordination transnationale de protestation et

de résistance. Cependant, il est important de

traiter avec prudence les interprétations des

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tendances mondiales de protestation, car les

données disponibles sont souvent inexactes

et les parties prenantes ont des motivations

stratégiques pour dépeindre les

manifestations et les mouvements de

résistance d’une manière qui convient à leurs

ambitions spécifiques.

Pour les décideurs politiques, cela soulève

un certain nombre de questions

problématiques en ce qui concerne la

question de savoir comment répondre aux

mouvements de protestation. Tout d’abord,

l’intensité actuelle de protestation et de

résistance doit être prise au sérieux. La

baisse générale de la participation électorale

dans nombreux pays occidentaux

industrialisés a été accompagnée par une

augmentation des protestations, soulignant

son importance. Cependant, en raison de la

diversité des mouvements de protestation,

décrits ci-dessus, les décideurs politiques

devraient résister à la tentation d’adopter une

trousse à outils standard ou modèle pour leur

réponse. Les réponses politiques aux

mouvements de protestation doivent être

adaptées aux conditions spécifiques de l’ère

du numérique. La transnationalisation, des

mouvements de protestation politique, en

particulier via les plateformes en lignes,

nécessite une réponse mondiale des

décideurs politiques, au-delà des intérêts

nationaux. A l’heure de la mondialisation

économique, aussi, une réponse globale aux

protestations sociales contre les inégalités et

injustices sociales est essentielle. L’approche

participative des Nations unies dans le cadre

de l’agenda de développement post-2015 est

un pas dans la bonne direction [voir les

consultations post-2015] et devrait servir de

modèle, en particulier pour les institutions

financières internationales telles que le Fond

monétaire international et la Banque

mondiale.

Etude de : Felix S. Bethke

Traduction : Rachel Long, pour Le Mouvement de la Paix (2016)

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