les misérables tome ii cosette by hugo, victor, 1802-1885

Upload: gutenbergorg

Post on 31-May-2018

238 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    1/192

    Les Misrables

    Les Misrables 1

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    2/192

    Victor Hugo

    Tome IICosette

    (1862)

    TABLE DES MATIRES

    Livre premierWaterloo

    Chapitre I--Cequ'on rencontre en venant de NivellesChapitre II--Hougomont

    Chapitre III--Le 18 juin 1815Chapitre IV--AChapitre V--Lequid obscurum des bataillesChapitre VI--Quatre heures de l'aprs-midiChapitre VII--Napolon de belle humeurChapitre VIII--L'empereur fait une question au guide LacosteChapitre IX--L'inattenduChapitre X--Leplateau de Mont Saint-JeanChapitre XI--Mauvais guide Napolon, bon guide BlowChapitre XII--La gardeChapitre XIII--La catastrophe

    Chapitre XIV--Le dernier carrChapitre XV--CambronneChapitre XVI--Quot libras in duce?Chapitre XVII--Faut-il trouver bon Waterloo?Chapitre XVIII--Recrudescence du droit divinChapitre XIX--Le champ de bataille la nuit

    Livre deuxime Le vaisseau L'Orion

    Chapitre I--Lenumro 24601 devient le numro 9430Chapitre II--O on lira deux vers qui sont peut-tre du diableChapitre III--Qu'il fallait que la chane de la manille eut subitun certain travail prparatoire pour tre ainsi brise d'un coupde marteau

    Livre troisime Accomplissement de la promesse faite la morte

    Victor Hugo 2

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    3/192

    Chapitre I--Laquestion de l'eau MontfermeilChapitre II--Deux portraits compltsChapitre III--Ilfaut du vin aux hommes et de l'eau aux chevauxChapitre IV--Entre en scne d'une poupeChapitre V--Lapetite toute seule

    Chapitre VI--Qui peut-tre prouve l'intelligence de BoulatruelleChapitre VII--Cosette cte cte dans l'ombre avec l'inconnuChapitre VIII--Dsagrment de recevoir chez soi un pauvre qui est peut-tre un richeChapitre IX--Thnardier la manuvreChapitre X--Qui cherche le mieux peut trouver le pireChapitre XI--Le numro 9430 reparat et Cosette le gagne la loterie

    Livre quatrime La masure Gorbeau

    Chapitre I--Ma tre GorbeauChapitre II--Nid pour hibou et fauvetteChapitre III--Deux malheurs mls font du bonheurChapitre IV--Les remarques de la principale locataireChapitre V--Une pice de cinq francs qui tombe terre fait du bruit

    Livre cinquime chasse noire, meute muette

    Chapitre I--Leszigzags de la stratgieChapitre II--Ilest heureux que le pont d'Austerlitz porte voituresChapitre III--Voir le plan de Paris de 1727Chapitre IV--Les ttonnements de l'vasionChapitre V--Qui serait impossible avec l'clairageau gazChapitre VI--Commencement d'une nigmeChapitre VII--Suite de l'nigmeChapitre VIII--L'nigme redoubleChapitre IX--L'homme au grelot

    Chapitre X--O il est expliqu comment Javert a fait buisson creux

    Livre sixime Le Petit-Picpus

    Chapitre I--Petite rue Picpus, numro 62Chapitre II--L'obdience de Martin VergaChapitre III--Svrits

    The Project Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    TABLE DES MATIRES 3

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    4/192

    Chapitre IV--GatsChapitre V--DistractionsChapitre VI--Le petit couventChapitre VII--Quelques silhouettes de cette ombreChapitre VIII-- Post corda lapidesChapitre IX--Un sicle sous une guimpe

    Chapitre X--Origine de l'Adoration PerptuelleChapitre XI--Fin du Petit-Picpus

    Livre septime Parenthse

    Chapitre I--Lecouvent, ide abstraiteChapitre II--Lecouvent, fait historiqueChapitre III--quelle condition on peut respecter le passChapitre IV--Le couvent au point de vue des principesChapitre V--LaprireChapitre VI--Bont absolue de la prireChapitre VII--Prcautions prendre dans le blmeChapitre VIII--Foi, loi

    Livre huitime Les cimetires prennent ce qu'on leur donne

    Chapitre I--Oil est trait de la manire d'entrer au couventChapitre II--Fauchelevent en prsence de la difficultChapitre III--Mre InnocenteChapitre IV--O Jean Valjean a tout fait l'air d'avoir lu Austin CastillejoChapitre V--Ilne suffit pas d'tre ivrogne pour treimmortelChapitre VI--Entre quatre planchesChapitre VII--O l'on trouvera l'origine du mot: ne pas perdre la carteChapitre VIII--Interrogatoire russiChapitre IX--Clture

    Livre premier WaterlooChapitre I

    Ce qu'on rencontre en venant de Nivelles

    L'an dernier (1861), par une belle matine de mai, un passant, celui qui raconte cette histoire, arrivait dNivelles et se dirigeait vers La Hulpe. Il allait pied. Il suivait, entre deux ranges d'arbres, une largechausse pave ondulant sur des collines qui viennent l'une aprs l'autre, soulvent la route et la laissen

    The Project Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    Livre premierWaterloo 4

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    5/192

    retomber, et font l comme des vagues normes. Il avait dpass Lillois et Bois-Seigneur-Isaac. Il aper l'ouest, le clocher d'ardoise de Braine-l'Alleud qui a la forme d'un vase renvers. Il venait de laisser dlui un bois sur une hauteur, et, l'angle d'un chemin de traverse, ct d'une espce de potence vermouportant l'inscription:Ancienne barrire no 4, un cabaret ayant sur sa faade cet criteau:Au quatre vents.chabeau, caf de particulier .

    Un demi-quart de lieue plus loin que ce cabaret, il arriva au fond d'un petit vallon o il y a de l'eau qui sous une arche pratique dans le remblai de la route. Le bouquet d'arbres, clairsem mais trs vert, qui le vallon d'un ct de la chausse, s'parpille de l'autre dans les prairies et s'en va avec grce et comme dsordre vers Braine-l'Alleud.

    Il y avait l, droite, au bord de la route, une auberge, une charrette quatre roues devant la porte, un gfaisceau de perches houblon, une charrue, un tas de broussailles sches prs d'une haie vive, de la chafumait dans un trou carr, une chelle le long d'un vieux hangar cloisons de paille. Une jeune fille sardans un champ o une grande affiche jaune, probablement du spectacle forain de quelque kermesse, vovent. l'angle de l'auberge, ct d'une mare o naviguait une flottille de canards, un sentier mal pavs'enfonait dans les broussailles. Ce passant y entra.

    Au bout d'une centaine de pas, aprs avoir long un mur du quinzime sicle surmont d'un pignon aigbriques contraries, il se trouva en prsence d'une grande porte de pierre cintre, avec imposte rectilignle grave style de Louis XIV, accoste de deux mdaillons planes. Une faade svre dominait cette pormur perpendiculaire la faade venait presque toucher la porte et la flanquait d'un brusque angle droit.pr devant la porte gisaient trois herses travers lesquelles poussaient ple-mle toutes les fleurs de maporte tait ferme. Elle avait pour clture deux battants dcrpits orns d'un vieux marteau rouill.

    Le soleil tait charmant; les branches avaient ce doux frmissement de mai qui semble venir des nids pencore que du vent. Un brave petit oiseau, probablement amoureux, vocalisait perdument dans un graarbre.

    Le passant se courba et considra dans la pierre gauche, au bas du pied-droit de la porte, une assez larexcavation circulaire ressemblant l'alvole d'une sphre. En ce moment les battants s'cartrent et unepaysanne sortit.

    Elle vit le passant et aperut ce qu'il regardait.

    C'est un boulet franais qui a fait a, lui dit-elle. Et elle ajouta:

    Ce que vous voyez l, plus haut, dans la porte, prs d'un clou, c'est le trou d'un gros biscayen. Le biscn'a pas travers le bois.

    Comment s'appelle cet endroit-ci? demanda le passant.Hougomont, dit la paysanne.

    Le passant se redressa. Il fit quelques pas et s'en alla regarder au-dessus des haies. Il aperut l'horizontravers les arbres une espce de monticule et sur ce monticule quelque chose qui, de loin, ressemblait lion.

    Il tait dans le champ de bataille de Waterloo.

    The Project Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    Ce qu'on rencontre en venant de Nivelles

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    6/192

    Chapitre II

    Hougomont

    Hougomont, ce fut l un lieu funbre, le commencement de l'obstacle, la premire rsistance que renco

    Waterloo ce grand bcheron de l'Europe qu'on appelait Napolon; le premier nud sous le coup de hacC'tait un chteau, ce n'est plus qu'une ferme. Hougomont, pour l'antiquaire, c'estHugomons. Ce manoir futbti par Hugo, sire de Somerel, le mme qui dota la sixime chapellenie de l'abbaye de Villers.

    Le passant poussa la porte, coudoya sous un porche une vieille calche, et entra dans la cour.

    La premire chose qui le frappa dans ce prau, ce fut une porte du seizime sicle qui y simule une arcatout tant tomb autour d'elle. L'aspect monumental nat souvent de la ruine. Auprs de l'arcade s'ouvreun mur une autre porte avec claveaux du temps de Henri IV, laissant voir les arbres d'un verger. ct cette porte un trou fumier, des pioches et des pelles, quelques charrettes, un vieux puits avec sa dalle tourniquet de fer, un poulain qui saute, un dindon qui fait la roue, une chapelle que surmonte un petit clun poirier en fleur en espalier sur le mur de la chapelle, voil cette cour dont la conqute fut un rve deNapolon. Ce coin de terre, s'il et pu le prendre, lui et peut-tre donn le monde. Des poules y parpidu bec la poussire. On entend un grondement; c'est un gros chien qui montre les dents et qui remplaceAnglais.

    Les Anglais l ont t admirables. Les quatre compagnies des gardes de Cooke y ont tenu tte pendant heures l'achar-nement d'une arme.

    Hougomont, vu sur la carte, en plan gomtral, btiments et enclos compris, prsente une espce de recirrgulier dont un angle aurait t entaill. C'est cet angle qu'est la porte mridionale, garde par ce mla fusille bout portant. Hougomont a deux portes: la porte mridionale, celle du chteau, et la porteseptentrionale, celle de la ferme. Napolon envoya contre Hougomont son frre Jrme; les divisionsGuilleminot, Foy et Bachelu s'y heurtrent, presque tout le corps de Reille y fut employ et y choua, lboulets de Kellermann s'puisrent sur cet hroque pan de mur. Ce ne fut pas trop de la brigade Bauduforcer Hougomont au nord, et la brigade Soye ne put que l'entamer au sud, sans le prendre.

    Les btiments de la ferme bordent la cour au sud. Un morceau de la porte nord, brise par les Franais,accroch au mur. Ce sont quatre planches cloues sur deux traverses, et o l'on distingue les balafres del'attaque.

    La porte septentrionale, enfonce par les Franais, et laquelle on a mis une pice pour remplacer le pasuspendu la muraille, s'entre-bille au fond du prau; elle est coupe carrment dans un mur, de pierre

    bas, de brique en haut, qui ferme la cour au nord. C'est une simple porte charretire comme il y en a datoutes les mtairies, deux larges battants faits de planches rustiques; au del, des prairies. La dispute deentre a t furieuse. On a longtemps vu sur le montant de la porte toutes sortes d'empreintes de mainssanglantes. C'est l que Bauduin fut tu.

    L'orage du combat est encore dans cette cour; l'horreur y est visible; le bouleversement de la mle s'y ptrifi; cela vit, cela meurt; c'tait hier. Les murs agonisent, les pierres tombent, les brches crient; lessont des plaies; les arbres penchs et frissonnants semblent faire effort pour s'enfuir.

    Cette cour, en 1815, tait plus btie qu'elle ne l'est aujourd'hui. Des constructions qu'on a depuis jetes faisaient des redans, des angles et des coudes d'querre.

    The Project Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    Chapitre II 6

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    7/192

    Les Anglais s'y taient barricads; les Franais y pntrrent, mais ne purent s'y maintenir. ct de lachapelle, une aile du chteau, le seul dbris qui reste du manoir d'Hougomont, se dresse croule, on podire ventre. Le chteau servit de donjon, la chapelle servit de blockhaus. On s'y extermina. Les Franarquebuses de toutes parts, de derrire les murailles, du haut des greniers, du fond des caves, par toutescroises, par tous les soupiraux, par toutes les fentes des pierres, apportrent des fascines et mirent le femurs et aux hommes; la mitraille eut pour rplique l'incendie.

    On entrevoit dans l'aile ruine, travers des fentres garnies de barreaux de fer, les chambres dmanteld'un corps de logis en brique; les gardes anglaises taient embusques dans ces chambres; la spirale del'escalier, crevass du rez-de-chausse jusqu'au toit, apparat comme l'intrieur d'un coquillage bris.L'escalier a deux tages; les Anglais, assigs dans l'escalier, et masss sur les marches suprieures, avcoup les marches infrieures. Ce sont de larges dalles de pierre bleue qui font un monceau dans les ortUne dizaine de marches tiennent encore au mur; sur la premire est entaille l'image d'un trident. Ces dinaccessibles sont solides dans leurs alvoles. Tout le reste ressemble une mchoire dente. Deux viarbres sont l; l'un est mort, l'autre est bless au pied, et reverdit en avril. Depuis 1815, il s'est mis poutravers l'escalier.

    On s'est massacr dans la chapelle. Le dedans, redevenu calme, est trange. On n'y a plus dit la messe dle carnage. Pourtant l'autel y est rest, un autel de bois grossier adoss un fond de pierre brute. Quatrelavs au lait de chaux, une porte vis--vis l'autel, deux petites fentres cintres, sur la porte un grand crde bois, au-dessus du crucifix un soupirail carr bouch d'une botte de foin, dans un coin, terre, un vichssis vitr tout cass, telle est cette chapelle. Prs de l'autel est cloue une statue en bois de sainte Anquinzime sicle; la tte de l'enfant Jsus a t emporte par un biscayen. Les Franais, matres un momla chapelle, puis dlogs, l'ont incendie. Les flammes ont rempli cette masure; elle a t fournaise; la pbrl, le plancher a brl, le Christ en bois n'a pas brl. Le feu lui a rong les pieds dont on ne voit plules moignons noircis, puis s'est arrt. Miracle, au dire des gens du pays. L'enfant Jsus, dcapit, n'a paussi heureux que le Christ.

    Les murs sont couverts d'inscriptions. Prs des pieds du Christ on lit ce nom:Henquinez. Puis ces autres:Conde de Rio Maor. Marques y Marquesa de Almagro (Habana). Il y a des noms franais avec des pointsd'exclamation, signes de colre. On a reblanchi le mur en 1849. Les nations s'y insultaient.

    C'est la porte de cette chapelle qu'a t ramass un cadavre qui tenait une hache la main. Ce cadavrele sous-lieutenant Legros.

    On sort de la chapelle, et gauche, on voit un puits. Il y en a deux dans cette cour. On demande: pourqua-t-il pas de seau et de poulie celui-ci? C'est qu'on n'y puise plus d'eau. Pourquoi n'y puise-t-on plus dParce qu'il est plein de squelettes.

    Le dernier qui ait tir de l'eau de ce puits se nommait Guillaume Van Kylsom. C'tait un paysan qui hab

    Hougomont et y tait jardinier. Le 18 juin 1815, sa famille prit la fuite et s'alla cacher dans les bois.La fort autour de l'abbaye de Villers abrita pendant plusieurs jours et plusieurs nuits toutes ces malheupopulations disperses. Aujourd'hui encore de certains vestiges reconnaissables, tels que de vieux troncd'arbres brls, mar-quent la place de ces pauvres bivouacs tremblants au fond des halliers.

    Guillaume Van Kylsom demeura Hougomont pour garder le chteau et se blottit dans une cave. LeAnglais l'y dcouvrirent. On l'arracha de sa cachette, et, coups de plat de sabre, les combattants se firservir par cet homme effray. Ils avaient soif; ce Guillaume leur portait boire. C'est ce puits qu'il pul'eau. Beaucoup burent l leur dernire gorge. Ce puits, o burent tant de morts, devait mourir lui auss

    The Project Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    Hougomont 7

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    8/192

    Aprs l'action, on eut une hte, enterrer les cadavres. La mort a une faon elle de harceler la victoire, fait suivre la gloire par la peste. Le typhus est une annexe du triomphe. Ce puits tait profond, on en fitspulcre. On y jeta trois cents morts. Peut-tre avec trop d'empressement. Tous taient-ils morts? la lgdit non. Il parait que, la nuit qui suivit l'ensevelissement, on entendit sortir du puits des voix faibles quiappelaient.

    Ce puits est isol au milieu de la cour. Trois murs mi-partis pierre et brique, replis comme les feuilles paravent et simulant une tourelle carre, l'entourent de trois cts. Le quatrime ct est ouvert. C'est pqu'on puisait l'eau. Le mur du fond a une faon d' il-de-b uf informe, peut-tre un trou d'obus. Cette toavait un plafond dont il ne reste que les poutres. La ferrure de soutnement du mur de droite dessine unOn se penche, et l' il se perd dans un profond cylindre de brique qu'emplit un entassement de tnbresautour du puits, le bas des murs disparat dans les orties.

    Ce puits n'a point pour devanture la large dalle bleue qui sert de tablier tous les puits de Belgique. Lableue y est remplace par une traverse laquelle s'appuient cinq ou six difformes tronons de bois noueankyloss qui ressemblent de grands ossements. Il n'a plus ni seau, ni chane, ni poulie; mais il a encocuvette de pierre qui servait de dversoir. L'eau des pluies s'y amasse, et de temps en temps un oiseau dforts voisines vient y boire et s'envole.

    Une maison dans cette ruine, la maison de la ferme, est encore habite. La porte de cette maison donnecour. ct d'une jolie plaque de serrure gothique il y a sur cette porte une poigne de fer trfles, posbiais. Au moment o le lieutenant hanovrien Wilda saisissait cette poigne pour se rfugier dans la fermsapeur franais lui abattit la main d'un coup de hache.

    La famille qui occupe la maison a pour grand-pre l'ancien jardinier Van Kylsom, mort depuis longtemUne femme en cheveux gris vous dit: J'tais l. J'avais trois ans. Ma s ur, plus grande, avait peur et plOn nous a emportes dans les bois. J'tais dans les bras de ma mre. On se collait l'oreille terre pour Moi, j'imitais le canon, et je faisaisboum, boum.

    Une porte de la cour, gauche, nous l'avons dit, donne dans le verger.

    Le verger est terrible.

    Il est en trois parties, on pourrait presque dire en trois actes. La premire partie est un jardin, la deuximle verger, la troisime est un bois. Ces trois parties ont une enceinte commune, du ct de l'entre lesbtiments du chteau et de la ferme, gauche une haie, droite un mur, au fond un mur. Le mur de droen brique, le mur du fond est en pierre. On entre dans le jardin d'abord. Il est en contrebas, plant degroseilliers, encombr de vgtations sauvages, ferm d'un terrassement monumental en pierre de taillebalustres double renflement. C'tait un jardin seigneurial dans ce premier style franais qui a prcdLentre; ruine et ronce aujourd'hui. Les pilastres sont surmonts de globes qui semblent des boulets de

    On compte encore quarante-trois balustres sur leurs ds; les autres sont couchs dans l'herbe. Presque tdes raflures de mousqueterie. Un balustre bris est pos sur l'trave comme une jambe casse.

    C'est dans ce jardin, plus bas que le verger, que six voltigeurs du 1er lger, ayant pntr l et n'en pouvplus sortir, pris et traqus comme des ours dans leur fosse, acceptrent le combat avec deux compagniehanovriennes, dont une tait arme de carabines. Les hanovriens bordaient ces balustres et tiraient d'enCes voltigeurs, ripostant d'en bas, six contre deux cents, intrpides, n'ayant pour abri que les groseilliermirent un quart d'heure mourir.

    On monte quelques marches, et du jardin on passe dans le verger proprement dit. L, dans ces quelquescarres, quinze cents hommes tombrent en moins d'une heure. Le mur semble prt recommencer le c

    The Project Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    Hougomont 8

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    9/192

    Les trente-huit meurtrires perces par les Anglais des hauteurs irrgulires, y sont encore. Devant laseizime sont couches deux tombes anglaises en granit. Il n'y a de meurtrires qu'au mur sud; l'attaqueprincipale venait de l. Ce mur est cach au dehors par une grande haie vive; les Franais arrivrent, crn'avoir affaire qu' la haie, la franchirent, et trouvrent ce mur, obstacle et embuscade, les gardes angladerrire, les trente-huit meurtrires faisant feu la fois, un orage de mitraille et de balles; et la brigade s'y brisa. Waterloo commena ainsi.

    Le verger pourtant fut pris. On n'avait pas d'chelles, les Franais grimprent avec les ongles. On se bacorps corps sous les arbres. Toute cette herbe a t mouille de sang. Un bataillon de Nassau, sept cenhommes, fut foudroy l. Au dehors le mur, contre lequel furent braques les deux batteries de Kellermest rong par la mitraille.

    Ce verger est sensible comme un autre au mois de mai. Il a ses boutons d'or et ses pquerettes, l'herbe yhaute, des chevaux de charrue y paissent, des cordes de crin o sche du linge traversent les intervallesarbres et font baisser la tte aux passants, on marche dans cette friche et le pied enfonce dans les trous dtaupes. Au milieu de l'herbe on remarque un tronc dracin, gisant, verdissant. Le major Blackman s'y adoss pour expirer. Sous un grand arbre voisin est tomb le gnral allemand Duplat, d'une famille frarfugie la rvocation de l'dit de Nantes. Tout ct se penche un vieux pommier malade pans avebandage de paille et de terre glaise. Presque tous les pommiers tombent de vieillesse. Il n'y en a pas un n'ait sa balle ou son biscaen. Les squelettes d'arbres morts abondent dans ce verger. Les corbeaux voleles branches, au fond il y a un bois plein de violettes.

    Bauduin tu, Foy bless, l'incendie, le massacre, le carnage, un ruisseau fait de sang anglais, de sang alet de sang franais, furieusement mls, un puits combl de cadavres, le rgiment de Nassau et le rgimBrunswick dtruits, Duplat tu, Blackman tu, les gardes anglaises mutiles, vingt bataillons franais, squarante du corps de Reille, dcims, trois mille hommes, dans cette seule masure de Hougomont, sabrcharps, gorgs, fusills, brls; et tout cela pour qu'aujourd'hui un paysan dise un voyageur:Monsieur,donnez-moi trois francs; si vous aimez, je vous expliquerai la chose de Waterloo!

    Chapitre III

    Le 18 juin 1815

    Retournons en arrire, c'est un des droits du narrateur, et replaons-nous en l'anne 1815, et mme un pavant l'poque o commence l'action raconte dans la premire partie de ce livre.

    S'il n'avait pas plu dans la nuit du 17 au 18 juin 1815, l'avenir de l'Europe tait chang. Quelques gouttde plus ou de moins ont fait pencher Napolon. Pour que Waterloo ft la fin d'Austerlitz, la providencebesoin que d'un peu de pluie, et un nuage traversant le ciel contre-sens de la saison a suffi pour l'croud'un monde.

    La bataille de Waterloo, et ceci a donn Blcher le temps d'arriver, n'a pu commencer qu' onze heuredemie. Pourquoi? Parce que la terre tait mouille. Il a fallu attendre un peu de raffermissement pour ql'artillerie pt man uvrer.

    Napolon tait officier d'artillerie, et il s'en ressentait. Le fond de ce prodigieux capitaine, c'tait l'hommdans le rapport au Directoire sur Aboukir, disait:Tel de nos boulets a tu six hommes. Tous ses plans debataille sont faits pour le projectile. Faire converger l'artillerie sur un point donn, c'tait l sa clef de vIl traitait la stratgie du gnral ennemi comme une citadelle, et il la battait en brche. Il accablait le pofaible de mitraille; il nouait et dnouait les batailles avec le canon. Il y avait du tir dans son gnie. Enfo

    The Project Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    Chapitre III 9

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    10/192

    les carrs, pulvriser les rgiments, rompre les lignes, broyer et disperser les masses, tout pour lui tait frapper, frapper, frapper sans cesse, et il confiait cette besogne au boulet. Mthode redoutable, et qui, jognie, a fait invincible pendant quinze ans ce sombre athlte du pugilat de la guerre.

    Le 18 juin 1815, il comptait d'autant plus sur l'artillerie qu'il avait pour lui le nombre. Wellington n'avacent cinquante-neuf bouches feu; Napolon en avait deux cent quarante.

    Supposez la terre sche, l'artillerie pouvant rouler, l'action commenait six heures du matin. La batailgagne et finie deux heures, trois heures avant la priptie prussienne.

    Quelle quantit de faute y a-t-il de la part de Napolon dans la perte de cette bataille? le naufrage est-ilimputable au pilote?

    Le dclin physique vident de Napolon se compliquait-il cette poque d'une certaine diminution intles vingt ans de guerre avaient-ils us la lame comme le fourreau, l'me comme le corps? le vtran sefaisait-il fcheusement sentir dans le capitaine? en un mot, ce gnie, comme beaucoup d'historiensconsidrables l'ont cru, s'clipsait-il? entrait-il en frnsie pour se dguiser lui-mme son affaiblissemcommenait-il osciller sous l'garement d'un souffle d'aventure? devenait-il, chose grave dans un gninconscient du pril? dans cette classe de grands hommes matriels qu'on peut appeler les gants de l'aca-t-il un ge pour la myopie du gnie? La vieillesse n'a pas de prise sur les gnies de l'idal; pour les Dles Michel-Anges, vieillir, c'est crotre; pour les Annibals et les Bonapartes, est-ce dcrotre? Napolonavait-il perdu le sens direct de la victoire? en tait-il ne plus reconnatre l'cueil, ne plus deviner le pne plus discerner le bord croulant des abmes? manquait-il du flair des catastrophes? lui qui jadis savaitles routes du triomphe et qui, du haut de son char d'clairs, les indiquait d'un doigt souverain, avait-ilmaintenant cet ahurissement sinistre de mener aux prcipices son tumultueux attelage de lgions? tait quarante-six ans, d'une folie suprme? ce cocher titanique du destin n'tait-il plus qu'un immense cas

    Nous ne le pensons point. Son plan de bataille tait, de l'aveu de tous, un chef-d' uvre. Aller droit au cde la ligne allie, faire un trou dans l'ennemi, le couper en deux, pousser la moiti britannique sur Hal emoiti prussienne sur Tongres, faire de Wellington et de Blcher deux tronons; enlever Mont-Saint-Jesaisir Bruxelles, jeter l'Allemand dans le Rhin et l'Anglais dans la mer. Tout cela, pour Napolon, tait cette bataille. Ensuite on verrait.

    Il va sans dire que nous ne prtendons pas faire ici l'histoire de Waterloo; une des scnes gnratrices ddrame que nous racontons se rattache cette bataille; mais cette histoire n'est pas notre sujet; cette histod'ailleurs est faite, et faite magistralement, un point de vue par Napolon, l'autre point de vue par topliade d'historiens. Quant nous, nous laissons les historiens aux prises, nous ne sommes qu'un tmoidistance, un passant dans la plaine, un chercheur pench sur cette terre ptrie de chair humaine, prenanpeut-tre des apparences pour des ralits; nous n'avons pas le droit de tenir tte, au nom de la science,ensemble de faits o il y a sans doute du mirage, nous n'avons ni la pratique militaire ni la comptence

    stratgique qui autorisent un systme; selon nous, un enchanement de hasards domine Waterloo les deucapitaines; et quand il s'agit du destin, ce mystrieux accus, nous jugeons comme le peuple, ce juge na

    Chapitre IV

    A

    Ceux qui veulent se figurer nettement la bataille de Waterloo n'ont qu' coucher sur le sol par la pensemajuscule. Le jambage gauche de l'A est la route de Nivelles, le jambage droit est la route de Genappe,corde de l'A est le chemin creux d'Ohain Braine-l'Alleud. Le sommet de l'A est Mont-Saint-Jean, l e

    The Project Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    Le 18 juin 1815 10

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    11/192

    Wellington; la pointe gauche infrieure est Hougomont, l est Reille avec Jrme Bonaparte; la pointe infrieure est la Belle-Alliance, l est Napolon. Un peu au-dessous du point o la corde de l'A rencontcoupe le jambage droit est la Haie-Sainte. Au milieu de cette corde est le point prcis o s'est dit le motde la bataille. C'est l qu'on a plac le lion, symbole involontaire du suprme hrosme de la garde imp

    Le triangle compris au sommet de l'A, entre les deux jambages et la corde, est le plateau de Mont-Saint

    La dispute de ce plateau fut toute la bataille.Les ailes des deux armes s'tendent droite et gauche des deux routes de Genappe et de Nivelles; d'faisant face Picton, Reille faisant face Hill.

    Derrire la pointe de l'A, derrire le plateau de Mont-Saint-Jean, est la fort de Soignes.

    Quant la plaine en elle-mme, qu'on se reprsente un vaste terrain ondulant; chaque pli domine le plisuivant, et toutes les ondulations montent vers Mont-Saint-Jean, et y aboutissent la fort.

    Deux troupes ennemies sur un champ de bataille sont deux lutteurs. C'est un bras-le-corps. L'une chercfaire glisser l'autre. On se cramponne tout; un buisson est un point d'appui; un angle de mur est unpaulement; faute d'une bicoque o s'adosser, un rgiment lche pied; un ravalement de la plaine, unmouvement de terrain, un sentier transversal propos, un bois, un ravin, peuvent arrter le talon de ce cqu'on appelle une arme et l'empcher de reculer. Qui sort du champ est battu. De l, pour le chef respola ncessit d'examiner la moindre touffe d'arbres, et d'approfondir le moindre relief.

    Les deux gnraux avaient attentivement tudi la plaine de Mont-Saint-Jean, dite aujourd'hui plaine dWaterloo. Ds l'anne prcdente, Wellington, avec une sagacit prvoyante, l'avait examine comme uen-cas de grande bataille. Sur ce terrain et pour ce duel, le 18 juin, Wellington avait le bon ct, Napolmauvais. L'arme anglaise tait en haut, l'arme franaise en bas.

    Esquisser ici l'aspect de Napolon, cheval, sa lunette la main, sur la hauteur de Rossomme, l'aube juin 1815, cela est presque de trop. Avant qu'on le montre, tout le monde l'a vu. Ce profil calme sous lechapeau de l'cole de Brienne, cet uniforme vert, le revers blanc cachant la plaque, la redingote grise cales paulettes, l'angle du cordon rouge sous le gilet, la culotte de peau, le cheval blanc avec sa housse dvelours pourpre ayant aux coins des N couronnes et des aigles, les bottes l'cuyre sur des bas de soiperons d'argent, l'pe de Marengo, toute cette figure du dernier csar est debout dans les imaginationacclame des uns, svrement regarde par les autres.

    Cette figure a t longtemps toute dans la lumire; cela tenait un certain obscurcissement lgendaire qplupart des hros dgagent et qui voile toujours plus ou moins longtemps la vrit; mais aujourd'hui l'het le jour se font.

    Cette clart, l'histoire, est impitoyable; elle a cela d'trange et de divin que, toute lumire qu'elle est, etprcisment parce qu'elle est lumire, elle met souvent de l'ombre l o l'on voyait des rayons; du mmhomme elle fait deux fantmes diffrents, et l'un attaque l'autre, et en fait justice, et les tnbres du desluttent avec l'blouissement du capitaine. De l une mesure plus vraie dans l'apprciation dfinitive despeuples. Babylone viole diminue Alexandre; Rome enchane diminue Csar; Jrusalem tue diminueLa tyrannie suit le tyran. C'est un malheur pour un homme de laisser derrire lui de la nuit qui a sa form

    The Project Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    A 11

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    12/192

    Chapitre V

    Le quid obscurum des batailles

    Tout le monde connat la premire phase de cette bataille; dbut trouble, incertain, hsitant, menaant p

    deux armes, mais pour les Anglais plus encore que pour les Franais.Il avait plu toute la nuit; la terre tait dfonce par l'averse; l'eau s'tait et l amasse dans les creux plaine comme dans des cuvettes; sur de certains points les quipages du train en avaient jusqu' l'essieusous-ventrires des attelages dgouttaient de boue liquide; si les bls et les seigles couchs par cette cocharrois en masse n'eussent combl les ornires et fait litire sous les roues, tout mouvement, particulidans les vallons du ct de Papelotte, et t impossible.

    L'affaire commena tard; Napolon, nous l'avons expliqu, avait l'habitude de tenir toute l'artillerie danmain comme un pistolet, visant tantt tel point, tantt tel autre de la bataille, et il avait voulu attendre qbatteries atteles pussent rouler et galoper librement; il fallait pour cela que le soleil part et scht le sMais le soleil ne parut pas. Ce n'tait plus le rendez-vous d'Austerlitz. Quand le premier coup de canontir, le gnral anglais Colville regarda sa montre et constata qu'il tait onze heures trente-cinq minut

    L'action s'engagea avec furie, plus de furie peut-tre que l'empereur n'et voulu, par l'aile gauche franHougomont. En mme temps Napolon attaqua le centre en prcipitant la brigade Quiot sur la Haie-SaNey poussa l'aile droite franaise contre l'aile gauche anglaise qui s'appuyait sur Papelotte.

    L'attaque sur Hougomont avait quelque simulation: attirer l Wellington, le faire pencher gauche, tel plan. Ce plan et russi, si les quatre compagnies des gardes anglaises et les braves Belges de la divisioPerponcher n'eussent solidement gard la position, et Wellington, au lieu de s'y masser, put se borner envoyer pour tout renfort quatre autres compagnies de gardes et un bataillon de Brunswick.

    L'attaque de l'aile droite franaise sur Papelotte tait fond; culbuter la gauche anglaise, couper la routBruxelles, barrer le passage aux Prussiens possibles, forcer Mont-Saint-Jean, refouler Wellington surHougomont, de l sur Braine-l'Alleud, de l sur Hal, rien de plus net. part quelques incidents, cette arussit. Papelotte fut pris; la Haie-Sainte fut enleve.

    Dtail noter. Il y avait dans l'infanterie anglaise, particulirement dans la brigade de Kempt, force recCes jeunes soldats, devant nos redoutables fantassins, furent vaillants; leur inexprience se tira intrpidd'affaire; ils firent surtout un excellent service de tirailleurs; le soldat en tirailleur, un peu livr lui-mdevient pour ainsi dire son propre gnral; ces recrues montrrent quelque chose de l'invention et de la franaises. Cette infanterie novice eut de la verve. Ceci dplut Wellington.

    Aprs la prise de la Haie-Sainte, la bataille vacilla.Il y a dans cette journe, de midi quatre heures, un intervalle obscur; le milieu de cette bataille est preindistinct et participe du sombre de la mle. Le crpuscule s'y fait. On aperoit de vastes fluctuations dcette brume, un mirage vertigineux, l'attirail de guerre d'alors presque inconnu aujourd'hui, les colbackflamme, les sabretaches flottantes, les buffleteries croises, les gibernes grenade, les dolmans des husles bottes rouges mille plis, les lourds shakos enguirlands de torsades, l'infanterie presque noire deBrunswick mle l'infanterie carlate d'Angleterre, les soldats anglais ayant aux entournures pour pade gros bourrelets blancs circulaires, les chevau-lgers hanovriens avec leur casque de cuir oblong bacuivre et crinires de crins rouges, les cossais aux genoux nus et aux plaids quadrills, les grandes gblanches de nos grenadiers, des tableaux, non des lignes stratgiques, ce qu'il faut Salvator Rosa, non

    The Project Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    Chapitre V 12

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    13/192

    qu'il faut Gribeauval.

    Une certaine quantit de tempte se mle toujours une bataille.Quid obscurum, quid divinum. Chaquehistorien trace un peu le linament qui lui plat dans ces ple-mle. Quelle que soit la combinaison desgnraux, le choc des masses armes a d'incalculables reflux; dans l'action, les deux plans des deux cheentrent l'un dans l'autre et se dforment l'un par l'autre. Tel point du champ de bataille dvore plus de

    combattants que tel autre, comme ces sols plus ou moins spongieux qui boivent plus ou moins vite l'eauy jette. On est oblig de reverser l plus de soldats qu'on ne voudrait. Dpenses qui sont l'imprvu. La lbataille flotte et serpente comme un fil, les tranes de sang ruissellent illogiquement, les fronts des armondoient, les rgiments entrant ou sortant font des caps ou des golfes, tous ces cueils remuentcontinuellement les uns devant les autres; o tait l'infanterie, l'artillerie arrive; o tait l'artillerie, accocavalerie; les bataillons sont des fumes. Il y avait l quelque chose, cherchez, c'est disparu; les claircdplacent; les plis sombres avancent et reculent; une sorte de vent du spulcre pousse, refoule, enfle etdisperse ces multitudes tragiques. Qu'est-ce qu'une mle? une oscillation. L'immobilit d'un planmathmatique exprime une minute et non une journe. Pour peindre une bataille, il faut de ces puissantpeintres qui aient du chaos dans le pinceau; Rembrandt vaut mieux que Van Der Meulen. Van der Meulexact midi, ment trois heures. La gomtrie trompe; l'ouragan seul est vrai. C'est ce qui donne Foldroit de contredire Polybe. Ajoutons qu'il y a toujours un certain instant o la bataille dgnre en comparticularise, et s'parpille en d'innombrables faits de dtails qui, pour emprunter l'expression de Napollui-mme, appartiennent plutt la biographie des rgiments qu' l'histoire de l'arme. L'historien, ecas, a le droit vident de rsum. Il ne peut que saisir les contours principaux de la lutte, et il n'est donnaucun narra-teur, si consciencieux qu'il soit, de fixer absolument la forme de ce nuage horrible, qu'on aune bataille.

    Ceci, qui est vrai de tous les grands chocs arms, est particulirement applicable Waterloo.

    Toutefois, dans l'aprs-midi, un certain moment, la bataille se prcisa.

    Chapitre VI

    Quatre heures de l'aprs-midi

    Vers quatre heures, la situation de l'arme anglaise tait grave. Le prince d'Orange commandait le centrl'aile droite, Picton l'aile gauche. Le prince d'Orange, perdu et intrpide, criait aux Hollando-Belges:Nassau! Brunswick! jamais en arrire!Hill, affaibli, venait s'adosser Wellington, Picton tait mort. Dans la mmminute o les Anglais avaient enlev aux Franais le drapeau du 105me de ligne, les Franais avaient Anglais le gnral Picton, d'une balle travers la tte. La bataille, pour Wellington, avait deux points dHougomont et la Hale-Sainte; Hougomont tenait encore, mais brlait; la Haie-Sainte tait prise. Du batallemand qui la dfendait, quarante-deux hommes seulement survivaient; tous les officiers, moins cinqmorts ou pris. Trois mille combattants s'taient massacrs dans cette grange. Un sergent des gardes angle premier boxeur de l'Angleterre, rput par ses compagnons invulnrable, y avait t tu par un petittambour franais. Baring tait dlog. Alten tait sabr. Plusieurs drapeaux taient perdus, dont un de ldivision Alten, et un du bataillon de Lunebourg port par un prince de la famille de Deux-Ponts. Les gris n'existaient plus; les gros dragons de Ponsonby taient hachs. Cette vaillante cavalerie avait pli slanciers de Bro et sous les cuirassiers de Travers; de douze cents chevaux il en restait six cents; des troilieutenants-colonels, deux taient terre, Hamilton bless, Mater tu. Ponsonby tait tomb, trou de scoups de lance. Gordon tait mort, Marsh tait mort. Deux divisions, la cinquime et la sixime, taiendtruites.

    The Project Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    Le quid obscurum des batailles 13

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    14/192

    Hougomont entam, la Haie-Sainte prise, il n'y avait plus qu'un n ud, le centre. Ce n ud-l tenait toujoWellington le renfora. Il y appela Hill qui tait Merbe-Braine, il y appela Chass qui tait Braine-l

    Le centre de l'arme anglaise, un peu concave, trs dense et trs compact, tait fortement situ. Il occupplateau de Mont-Saint-Jean, ayant derrire lui le village et devant lui la pente, assez pre alors. Il s'adocette forte maison de pierre, qui tait cette poque un bien domanial de Nivelles et qui marque l'inters

    des routes, masse du seizime sicle si robuste que les boulets y ricochaient sans l'entamer. Tout autourplateau, les Anglais avaient taill et l les haies, fait des embrasures dans les aubpines, mis une guecanon entre deux branches, crnel les buissons. Leur artillerie tait en embuscade sous les broussaillestravail punique, incontestablement autoris par la guerre qui admet le pige, tait si bien fait que Haxo,envoy par l'empereur neuf heures du matin pour reconnatre les batteries ennemies, n'en avait rien vutait revenu dire Napolon qu'il n'y avait pas d'obstacle, hors les deux barricades barrant les routes deNivelles et de Genappe. C'tait le moment o la moisson est haute; sur la lisire du plateau, un bataillonbrigade de Kempt, le 951, arm de carabines, tait couch dans les grands bls.

    Ainsi assur et contre-but, le centre de l'arme anglo-hollandaise tait en bonne posture.

    Le pril de cette position tait la fort de Soignes, alors contigu au champ de bataille et coupe par lesde Groe-nendael et de Boitsfort. Une arme n'et pu y reculer sans se dissoudre; les rgiments s'y fussede suite dsagrgs. L'artillerie s'y ft perdue dans les marais. La retraite, selon l'opinion de plusieurs hdu mtier, conteste par d'autres, il est vrai, et t l un sauve-qui-peut.

    Wellington ajouta ce centre une brigade de Chass, te l'aile droite, et une brigade de Wincke, tegauche, plus la division Clinton. ses Anglais, aux rgiments de Halkett, la brigade de Mitchell, auxde Maitland, il donna comme paulements et contreforts l'infanterie de Brunswick, le contingent de Nales Hanovriens de Kielmansegge et les Allemands d'Ompteda. Cela lui mit sous la main vingt-six batai L'aile droite, comme dit Charras,fut rabattue derrire le centre. Une batterie norme tait masque par dessacs terre l'endroit o est aujourd'hui ce qu'on appelle le muse de Waterloo. Wellington avait en dans un pli de terrain les dragons-gardes de Somerset, quatorze cents chevaux. C'tait l'autre moiti de cavalerie anglaise, si justement clbre. Ponsonby dtruit, restait Somerset.

    La batterie, qui, acheve, et t presque une redoute, tait dispose derrire un mur de jardin trs bas, la hte d'une chemise de sacs de sable et d'un large talus de terre. Cet ouvrage n'tait pas fini; on n'avaeu le temps de le palissader.

    Wellington, inquiet, mais impassible, tait cheval, et y demeura toute la journe dans la mme attitudpeu en avant du vieux moulin de Mont-Saint-Jean, qui existe encore, sous un orme qu'un Anglais, depuvandale enthousiaste, a achet deux cents francs, sci et emport. Wellington fut l froidement hroquboulets pleuvaient. L'aide de camp Gordon venait de tomber ct de lui. Lord Hill, lui montrant un obclatait, lui dit: Mylord, quelles sont vos instructions, et quels ordres nous laissez-vous si vous vous fa

    tuer? De faire comme moi, rpondit Wellington. Clinton, il dit laconiquement:Tenir ici jusqu'au dernier homme. La journe visiblement tournait mal. Wellington criait ses anciens compagnons de Talavera, Vitoria et de Salamanque: Boys(garons)!est-ce qu'on peut songer lcher pied? pensez la vieille Angleterre!

    Vers quatre heures, la ligne anglaise s'branla en arrire. Tout coup on ne vit plus sur la crte du platel'artillerie et les tirailleurs, le reste disparut; les rgiments, chasss par les obus et les boulets franais, replirent dans le fond que coupe encore aujourd'hui le sentier de service de la ferme de Mont-Saint-Jemouvement rtrograde se fit, le front de bataille anglais se droba, Wellington recula. Commencemenretraite! cria Napolon.

    The Project Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    Quatre heures de l'aprs-midi 14

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    15/192

    Chapitre VII

    Napolon de belle humeur

    L'empereur, quoique malade et gn cheval par une souffrance locale, n'avait jamais t de si bonne h

    que ce jour-l. Depuis le matin, son impntrabilit souriait. Le 18 juin 1815, cette me profonde, masqmarbre, rayonnait aveuglment. L'homme qui avait t sombre Austerlitz fut gai Waterloo. Les plusprdestins font de ces contre-sens. Nos joies sont de l'ombre. Le suprme sourire est Dieu.

    Ridet Caesar, Pompeius flebit , disaient les lgionnaires de la lgion Fulminatrix. Pompe cette fois ne devpas pleurer, mais il est certain que Csar riait.

    Ds la veille, la nuit, une heure, explorant cheval, sous l'orage et sous la pluie, avec Bertrand, les coqui avoisinent Rossomme, satisfait de voir la longue ligne des feux anglais illuminant tout l'horizon deFrischemont Braine-l'Alleud, il lui avait sembl que le destin, assign par lui jour fixe sur ce champWaterloo, tait exact; il avait arrt son cheval, et tait demeur quelque temps immobile, regardant lesclairs, coutant le tonnerre, et on avait entendu ce fataliste jeter dans l'ombre cette parole mystrieusesommes d'accord. Napolon se trompait. Ils n'taient plus d'accord.

    Il n'avait pas pris une minute de sommeil, tous les instants de cette nuit-l avaient t marqus pour lui joie. Il avait parcouru toute la ligne des grand'gardes, en s'arrtent et l pour parler aux vedettes. dheures et demie, prs du bois d'Hougomont, il avait entendu le pas d'une colonne en marche; il avait crumoment la reculade de Wellington. Il avait dit Bertrand:C'est l'arrire-garde anglaise qui s'branle pour dcamper. Je ferai prisonniers les six mille Anglais qui viennent d'arriver Ostende. Il causait avecexpansion; il avait retrouv cette verve du dbarquement du 1er mars, quand il montrait au grand-marpaysan enthousiaste du golfe Juan, en s'criant:Eh bien, Bertrand, voil dj du renfort!La nuit du 17 au 18 juin, il raillait Wellington.Ce petit Anglais a besoin d'une leon, disait Napolon. La pluie redoublait, iltonnait pendant que l'empereur parlait.

    trois heures et demie du matin, il avait perdu une illusion; des officiers envoys en reconnaissance luavaient annonc que l'ennemi ne faisait aucun mouvement. Rien ne bougeait; pas un feu de bivouac n'teint. L'arme anglaise dormait. Le silence tait profond sur la terre; il n'y avait de bruit que dans le ciquatre heures, un paysan lui avait t amen par les coureurs; ce paysan avait servi de guide une brigacavalerie anglaise, probablement la brigade Vivian, qui allait prendre position au village d'Ohain, l'exgauche. cinq heures, deux dserteurs belges lui avaient rapport qu'ils venaient de quitter leur rgimeque l'arme anglaise attendait la bataille.Tant mieux!s'tait cri Napolon.J'aime encore mieux les culbuter que les refouler .

    Le matin, sur la berge qui fait l'angle du chemin de Plancenoit, il avait mis pied terre dans la boue, s'

    apporter de la ferme de Rossomme une table de cuisine et une chaise de paysan, s'tait assis, avec une bpaille pour tapis, et avait dploy sur la table la carte du champ de bataille, en disant Soult:Joli chiquier !

    Par suite des pluies de la nuit, les convois de vivres, emptrs dans des routes dfonces, n'avaient pu ale matin, le soldat n'avait pas dormi, tait mouill, et tait jeun; cela n'avait pas empch Napolon deallgrement Ney:Nous avons quatre-vingt-dix chances sur cent . huit heures, on avait apport le djeunerde l'empereur. Il y avait invit plusieurs gnraux. Tout en djeunant, on avait racont que Wellington l'avant-veille au bal Bruxelles, chez la duchesse de Richmond, et Soult, rude homme de guerre avec ufigure d'archevque, avait dit:Le bal, c'est aujourd'hui. L'empereur avait plaisant Ney qui disait:Wellingtonne sera pas assez simple pour attendre Votre Majest . C'tait l d'ailleurs sa manire. Il badinait volontiers, Fleury de Chaboulon.Le fond de son caractre tait une humeur enjoue, dit Gourgaud.Il abondait en

    The Project Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    Chapitre VII 15

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    16/192

    plaisanteries, plutt bizarres que spirituelles, dit Benjamin Constant. Ces gats de gant valent la peine quy insiste. C'est lui qui avait appel ses grenadiers les grognards; il leur pinait l'oreille, il leur tirait lamoustache.L'empereur ne faisait que nous faire des niches;ceci est un mot de l'un d'eux. Pendant lemystrieux trajet de l'le d'Elbe en France, le 27 fvrier, en pleine mer, le brick de guerre franais leZphir ayant rencontr le brick l' Inconstant o Napolon tait cach et ayant demand l' Inconstant des nouvelles deNapolon, l'empereur, qui avait encore en ce moment-l son chapeau la cocarde blanche et amarante

    d'abeilles, adopte par lui l'le d'Elbe, avait pris en riant le porte-voix et avait rpondu lui-mme:L'empereur se porte bien. Qui rit de la sorte est en familiarit avec les vnements. Napolon avait eu plusieurs accce rire pendant le djeuner de Waterloo. Aprs le djeuner il s'tait recueilli un quart d'heure, puis deuxgnraux s'taient assis sur la botte de paille, une plume la main, une feuille de papier sur le genou, etl'empereur leur avait dict l'ordre de bataille.

    neuf heures, l'instant o l'arme franaise, chelonne et mise en mouvement sur cinq colonnes, s'dploye, les divisions sur deux lignes, l'artillerie entre les brigades, musique en tte, battant aux chamavec les roulements des tambours et les sonneries des trompettes, puissante, vaste, joyeuse, mer de casqsabres et de bayonnettes sur l'ho-rizon, l'empereur, mu, s'tait cri deux reprises:Magnifique! magnifique!

    De neuf heures dix heures et demie, toute l'arme, ce qui semble incroyable, avait pris position et s'trange sur six lignes, formant, pour rpter l'expression de l'empereur, la figure de six V. Quelques iaprs la formation du front de bataille, au milieu de ce profond silence de commencement d'orage qui ples mles, voyant dfiler les trois batteries de douze, dtaches sur son ordre des trois corps de d'ErlonReille et de Lobau, et destines commencer l'action en battant Mont-Saint-Jean o est l'intersection droutes de Nivelles et de Genappe, l'empereur avait frapp sur l'paule de Haxo en lui disant:Voilvingt-quatre belles filles, gnral.

    Sr de l'issue, il avait encourag d'un sourire, son passage devant lui, la compagnie de sapeurs du precorps, dsigne par lui pour se barricader dans Mont-Saint-Jean, sitt le village enlev. Toute cette srn'avait t traverse que par un mot de piti hautaine; en voyant sa gauche, un endroit o il y a aujoune grande tombe, se masser avec leurs chevaux superbes ces admirables cossais gris, il avait dit:C'est dommage.

    Puis il tait mont cheval, s'tait port en avant de Rossomme, et avait choisi pour observatoire une croupe de gazon droite de la route de Genappe Bruxelles, qui fut sa seconde station pendant la bataitroisime station, celle de sept heures du soir, entre la Belle-Alliance et la Haie-Sainte, est redoutable; ctertre assez lev qui existe encore et derrire lequel la garde tait masse dans une dclivit de la plainAutour de ce tertre, les boulets ricochaient sur le pav de la chausse jusqu' Napolon. Comme Brieavait sur sa tte le sifflement des balles et des biscayens. On a ramass, presque l'endroit o taient lede son cheval, des boulets vermoulus, de vieilles lames de sabre et des projectiles informes, mangs deScabra rubigine. Il y a quelques annes, on y a dterr un obus de soixante, encore charg, dont la fuse brise au ras de la bombe. C'est cette dernire station que l'empereur disait son guide Lacoste, paysa

    hostile, effar, attach la selle d'un hussard, se retournant chaque paquet de mitraille, et tchant de scacher derrire lui: Imbcile! c'est honteux, tu vas te faire tuer dans le dos. Celui qui crit ces lignes,a trouv lui-mme dans le talus friable de ce tertre, en creusant le sable, les restes du col d'une bombedsagrgs par l'oxyde de quarante-six annes, et de vieux tronons de fer qui cassaient comme des btsureau entre ses doigts.

    Les ondulations des plaines diversement inclines o eut lieu la rencontre de Napolon et de Wellingtosont plus, personne ne l'ignore, ce qu'elles taient le 18 juin 1815. En prenant ce champ funbre de qufaire un monument, on lui a t son relief rel, et l'histoire, dconcerte, ne s'y reconnat plus. Pour leglorifier, on l'a dfigur. Wellington, deux ans aprs, revoyant Waterloo, s'est cri:On m'a chang monchamp de bataille. L o est aujourd'hui la grosse pyramide de terre surmonte du lion, il y avait une cr

    The Project Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    Napolon de belle humeur 16

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    17/192

    qui, vers la route de Nivelles, s'abaissait en rampe praticable, mais qui, du ct de la chausse de Genaptait presque un escarpement. L'lvation de cet escarpement peut encore tre mesure aujourd'hui par hauteur des deux tertres des deux grandes spultures qui encaissent la route de Genappe Bruxelles; l'utombeau anglais, gauche; l'autre, le tombeau allemand, droite. Il n'y a point de tombeau franais. PoFrance, toute cette plaine est spulcre. Grce aux mille et mille charretes de terre employes la buttecent cinquante pieds de haut et d'un demi-mille de circuit, le plateau de Mont-Saint-Jean est aujourd'hu

    accessible en pente douce; le jour de la bataille, surtout du ct de la Haie-Sainte, il tait d'un abord prabrupt. Le versant l tait si inclin que les canons anglais ne voyaient pas au-dessous d'eux la ferme sifond du vallon, centre du combat. Le 18 juin 1815, les pluies avaient encore ravin cette roideur, la fancompliquait la monte, et non seulement on gravissait, mais on s'embourbait. Le long de la crte du placourait une sorte de foss impossible deviner pour un observateur lointain.

    Qu'tait-ce que ce foss? Disons-le. Braine-l'Alleud est un village de Belgique, Ohain en est un autre. Cvillages, cachs tous les deux dans des courbes de terrain, sont joints par un chemin d'une lieue et demienviron qui traverse une plaine niveau ondulant, et souvent entre et s'enfonce dans des collines commsillon, ce qui fait que sur divers points cette route est un ravin. En 1815, comme aujourd'hui, cette routecoupait la crte du plateau de Mont-Saint-Jean entre les deux chausses de Genappe et de Nivelles; seuelle est aujourd'hui de plain-pied avec la plaine; elle tait alors chemin creux. On lui a pris ses deux talula butte-monument. Cette route tait et est encore une tranche dans la plus grande partie de son parcoutranche creuse quelquefois d'une douzaine de pieds et dont les talus trop escarps s'croulaient et lsurtout en hiver, sous les averses. Des accidents y arrivaient. La route tait si troite l'entre deBraine-l'Alleud qu'un passant y avait t broy par un chariot, comme le constate une croix de pierre deprs du cimetire qui donne le nom du mort,Monsieur Bernard Debrye, marchand Bruxelles, et la date del'accident,fvrier 1637 . Elle tait si profonde sur le plateau du Mont-Saint-Jean qu'un paysan, MathieuNicaise, y avait t cras en 1783 par un boulement du talus, comme le constatait une autre croix de dont le fate a disparu dans les dfrichements, mais dont le pidestal renvers est encore visible aujourdsur la pente du gazon gauche de la chausse entre la Haie-Sainte et la ferme de Mont-Saint-Jean.

    Un jour de bataille, ce chemincreux dont rien n'avertissait, bordant la crte de Mont-Saint-Jean, foss ausommet de l'es-carpement, ornire cache dans les terres, tait invisible, c'est--dire terrible.

    Chapitre VIII

    L'empereur fait une question au guide Lacoste

    Donc, le matin de Waterloo, Napolon tait content.

    Il avait raison; le plan de bataille conu par lui, nous l'avons constat, tait en effet admirable.

    Une fois la bataille engage, ses pripties trs diverses, la rsistance d'Hougomont, la tnacit de laHaie-Sainte, Bauduin tu, Foy mis hors de combat, la muraille inattendue o s'tait brise la brigade Sol'tourderie fatale de Guilleminot n'ayant ni ptards ni sacs poudre, l'embourbement des batteries, les pices sans escorte culbutes par Uxbridge dans un chemin creux, le peu d'effet des bombes tombant dlignes anglaises, s'y enfouissant dans le sol dtremp par les pluies et ne russissant qu' y faire des volboue, de sorte que la mitraille se changeait en claboussure, l'inutilit de la dmonstration de Pir surBraine-l'Alleud, toute cette cavalerie, quinze escadrons, peu prs annule, l'aile droite anglaise malinquite, l'aile gauche mal entame, l'trange malentendu de Ney massant, au lieu de les chelonner, lquatre divisions du premier corps, des paisseurs de vingt-sept rangs et des fronts de deux cents hommlivrs de la sorte la mitraille, l'effrayante troue des boulets dans ces masses, les colonnes d'attaque dla batterie d'charpe brusquement dmasque sur leur flanc Bourgeois, Donzelot et Durutte compromis

    The Project Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    Chapitre VIII 17

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    18/192

    repouss, le lieutenant Vieux, cet hercule sorti de l'cole polytechnique, bless au moment o il enfoncoups de hache la porte de la Haie-Sainte sous le feu plongeant de la barricade anglaise barrant le coudroute de Genappe Bruxelles, la division Marcognet, prise entre l'infanterie et la cavalerie, fusille bportant dans les bls par Best et Pack, sabre par Ponsonby, sa batterie de sept pices encloue, le princSaxe-Weimar tenant et gardant, malgr le comte d'Erlon, Frischemont et Smohain, le drapeau du 105mle drapeau du 45me pris, ce hussard noir prussien arrt par les coureurs de la colonne volante de trois

    chasseurs battant l'estrade entre Wavre et Plancenoit, les choses inquitantes que ce prisonnier avait ditretard de Grouchy, les quinze cents hommes tus en moins d'une heure dans le verger d'Hougomont, ledix-huit cents hommes couchs en moins de temps encore autour de la Haie-Sainte, tous ces incidentsorageux, passant comme les nues de la bataille devant Napolon, avaient peine troubl son regard etn'avaient point assombri cette face impriale de la certitude. Napolon tait habitu regarder la guerrefixement; il ne faisait jamais chiffre chiffre l'addition poignante du dtail; les chiffres lui importaient pourvu qu'ils donnassent ce total: victoire; que les commencements s'garassent, il ne s'en alarmait poiqui se croyait matre et possesseur de la fin; il savait attendre, se supposant hors de question, et il traitadestin d'gal gal. Il paraissait dire au sort:tu n'oserais pas.

    Mi-parti lumire et ombre, Napolon se sentait protg dans le bien et tolr dans le mal. Il avait, ou cravoir pour lui, une connivence, on pourrait presque dire une complicit des vnements, quivalente l'antique invulnrabilit.

    Pourtant, quand on a derrire soi la Brsina, Leipsick et Fontainebleau, il semble qu'on pourrait se dfWaterloo. Un mystrieux froncement de sourcil devient visible au fond du ciel.

    Au moment o Wellington rtrograda, Napolon tressaillit. Il vit subitement le plateau de Mont-Saint-Jdgarnir et le front de l'arme anglaise disparatre. Elle se ralliait, mais se drobait. L'empereur se souledemi sur ses triers. L'clair de la victoire passa dans ses yeux.

    Wellington accul la fort de Soignes et dtruit, c'tait le terrassement dfinitif de l'Angleterre par la Fc'tait Crcy, Poitiers, Malplaquet et Ramillies vengs. L'homme de Marengo raturait Azincourt.

    L'empereur alors, mditant la priptie terrible, promena une dernire fois sa lunette sur tous les pointschamp de bataille. Sa garde, l'arme au pied derrire lui, l'observait d'en bas avec une sorte de religion. Isongeait; il examinait les versants, notait les pentes, scrutait le bouquet d'arbres, le carr de seigles, le sil semblait compter chaque buisson. Il regarda avec quelque fixit les barricades anglaises des deux chadeux larges abatis d'arbres, celle de la chausse de Genappe au-dessus de la Haie-Sainte, arme de deuxcanons, les seuls de toute l'artillerie anglaise qui vissent le fond du champ de bataille, et celle de la chaude Nivelles o tincelaient les bayonnettes hollandaises de la brigade Chass. Il remarqua prs de cettebarricade la vieille chapelle de Saint-Nicolas peinte en blanc qui est l'angle de la traverse versBraine-l'Alleud. Il se pencha et parla demi-voix au guide Lacoste. Le guide fit un signe de tte ngatiprobablement perfide.

    L'empereur se redressa et se recueillit.

    Wellington avait recul. Il ne restait plus qu' achever ce recul par un crasement. Napolon, se retournbrusquement, expdia une estafette franc trier Paris pour y annoncer que la bataille tait gagne.

    Napolon tait un de ces gnies d'o sort le tonnerre.

    Il venait de trouver son coup de foudre.

    Il donna l'ordre aux cuirassiers de Milhaud d'enlever le plateau de Mont-Saint-Jean.

    The Project Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    L'empereur fait une question au guide Lacoste 1

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    19/192

    Chapitre IX

    L'inattendu

    Ils taient trois mille cinq cents. Ils faisaient un front d'un quart de lieue. C'taient des hommes gants chevaux colosses. Ils taient vingt-six escadrons; et ils avaient derrire eux, pour les appuyer, la divisioLefebvre-Desnouettes, les cent six gendarmes d'lite, les chasseurs de la garde, onze centquatre-vingt-dix-sept hommes, et les lanciers de la garde, huit cent quatre-vingts lances. Ils portaient lesans crins et la cuirasse de fer battu, avec les pistolets d'aron dans les fontes et le long sabre-pe. Le mtoute l'arme les avait admirs quand, neuf heures, les clairons sonnant, toutes les musiques chantantVeillons au salut de l'empire, ils taient venus, colonne paisse, une de leurs batteries leur flanc, l'autre leur centre, se dployer sur deux rangs entre la chausse de Genappe et Frischemont, et prendre leur plbataille dans cette puissante deuxime ligne, si savamment compose par Napolon, laquelle, ayant sextrmit de gauche les cuirassiers de Kellermann et son extrmit de droite les cuirassiers de Milhauavait, pour ainsi dire, deux ailes de fer.

    L'aide de camp Bernard leur porta l'ordre de l'empereur. Ney tira son pe et prit la tte. Les escadronsnormes s'branlrent.

    Alors on vit un spectacle formidable.

    Toute cette cavalerie, sabres levs, tendards et trompettes au vent, forme en colonne par division, desd'un mme mouvement et comme un seul homme, avec la prcision d'un blier de bronze qui ouvre unbrche, la colline de la Belle-Alliance, s'enfona dans le fond redoutable o tant d'hommes dj taienttombs, y disparut dans la fume, puis, sortant de cette ombre, reparut de l'autre ct du vallon, toujourcompacte et serre, montant au grand trot, travers un nuage de mitraille crevant sur elle, l'pouvantabpente de boue du plateau de Mont-Saint-Jean. Ils montaient, graves, menaants, imperturbables; dans lintervalles de la mousqueterie et de l'artillerie, on entendait ce pitinement colossal. tant deux divisiotaient deux colonnes; la division Wathier avait la droite, la division Delord avait la gauche. On croyaitde loin s'allonger vers la crte du plateau deux immenses couleuvres d'acier. Cela traversa la bataille coun prodige.

    Rien de semblable ne s'tait vu depuis la prise de la grande redoute de la Moskowa par la grosse cavaleMurat y manquait, mais Ney s'y retrouvait. Il semblait que cette masse tait devenue monstre et n'et qme. Chaque escadron ondulait et se gonflait comme un anneau du polype. On les apercevait travers vaste fume dchire et l. Ple-mle de casques, de cris, de sabres, bondissement orageux des croupchevaux dans le canon et la fanfare, tumulte disciplin et terrible; l-dessus les cuirasses, comme les csur l'hydre.

    Ces rcits semblent d'un autre ge. Quelque chose de pareil cette vision apparaissait sans doute dans lvieilles popes orphiques racontant les hommes-chevaux, les antiques hippanthropes, ces titans facehumaine et poitrail questre dont le galop escalada l'Olympe, horribles, invulnrables, sublimes; dieubtes.

    Bizarre concidence numrique, vingt-six bataillons allaient recevoir ces vingt-six escadrons. Derrire du plateau, l'ombre de la batterie masque, l'infanterie anglaise, forme en treize carrs, deux bataillocarr, et sur deux lignes, sept sur la premire, six sur la seconde, la crosse l'paule, couchant en joue callait venir, calme, muette, immobile, attendait. Elle ne voyait pas les cuirassiers et les cuirassiers ne lavoyaient pas. Elle coutait monter cette mare d'hommes. Elle entendait le grossissement du bruit des t

    The Pro ject Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    Chapitre IX 19

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    20/192

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    21/192

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    22/192

    autour de lui, baissant dans une inattention profonde son il mlancolique plein du reflet des fordes lacs, assis sur un tambour, sonpibrochsous le bras, jouait les airs de la montagne. Ces cossais mouraien pensant au Ben Lothian, comme les Grecs en se souvenant d'Argos. Le sabre d'un cuirassier, abattan pibrochet le bras qui le portait, fit cesser le chant en tuant le chanteur.

    Les cuirassiers, relativement peu nombreux, amoindris par la catastrophe du ravin, avaient l contre eu

    presque toute l'arme anglaise, mais ils se multipliaient, chaque homme valant dix. Cependant quelquebataillons hanovriens plirent. Wellington le vit, et songea sa cavalerie. Si Napolon, en ce moment-lmme, et song son infanterie, il et gagn la bataille. Cet oubli fut sa grande faute fatale. Tout coucuirassiers, assaillants, se sentirent assaillis. La cavalerie anglaise tait sur leur dos. Devant eux les carderrire eux Somerset; Somerset, c'taient les quatorze cents dragons-gardes. Somerset avait sa droiteDornberg avec les chevau-lgers allemands, et sa gauche Trip avec les carabiniers belges; les cuirassiattaqus en flanc et en tte, en avant et en arrire, par l'infanterie et par la cavalerie, durent faire face deles cts. Que leur importait? ils taient tourbillon. La bravoure devint inexprimable.

    En outre, ils avaient derrire eux la batterie toujours tonnante. Il fallait cela pour que ces hommes fusseblesss dans le dos. Une de leurs cuirasses, troue l'omoplate gauche d'un biscayen, est dans la collecdite muse de Waterloo.

    Pour de tels Franais, il ne fallait pas moins que de tels Anglais.

    Ce ne fut plus une mle, ce fut une ombre, une furie, un vertigineux emportement d'mes et de couragouragan d'pes clairs. En un instant les quatorze cents dragons-gardes ne furent plus que huit cents; Fleur lieutenant-colonel, tomba mort. Ney accourut avec les lanciers et les chasseurs de Lefebvre-DesnoLe plateau de Mont-Saint-Jean fut pris, repris, pris encore. Les cuirassiers quittaient la cavalerie pourretourner l'infanterie, ou, pour mieux dire, toute cette cohue formidable se colletait sans que l'un lchl'autre. Les carrs tenaient toujours. Il y eut douze assauts. Ney eut quatre chevaux tus sous lui. La mocuirassiers resta sur le plateau. Cette lutte dura deux heures.

    L'arme anglaise en fut profondment branle. Nul doute que, s'ils n'eussent t affaiblis dans leur prechoc par le dsastre du chemin creux, les cuirassiers n'eussent culbut le centre et dcid la victoire. Cecavalerie extraordinaire ptrifia Clinton qui avait vu Talavera et Badajoz. Wellington, aux trois quarts vadmirait hroquement. Il disait demi-voix:sublime!

    Les cuirassiers anantirent sept carrs sur treize, prirent ou enclourent soixante pices de canon, et enlaux rgiments anglais six drapeaux, que trois cuirassiers et trois chasseurs de la garde allrent porter l'empereur devant la ferme de la Belle-Alliance.

    La situation de Wellington avait empir. Cette trange bataille tait comme un duel entre deux blesssacharns qui, chacun de leur ct, tout en combattant et en se rsistant toujours, perdent tout leur sang.

    des deux tombera le premier?La lutte du plateau continuait.

    Jusqu'o sont alls les cuirassiers? personne ne saurait le dire. Ce qui est certain, c'est que, le lendemaibataille, un cuirassier et son cheval furent trouvs morts dans la charpente de la bascule du pesage des v Mont-Saint-Jean, au point mme o s'entrecoupent et se rencontrent les quatre routes de Nivelles, deGenappe, de La Hulpe et de Bruxelles. Ce cavalier avait perc les lignes anglaises. Un des hommes quirelev ce cadavre vit encore Mont-Saint-Jean. Il se nomme Dehaze. Il avait alors dix-huit ans.

    Wellington se sentait pencher. La crise tait proche.

    The Project Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    Le plateau de Mont Saint-Jean 22

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    23/192

    Les cuirassiers n'avaient point russi, en ce sens que le centre n'tait pas enfonc. Tout le monde ayant plateau, personne ne l'avait, et en somme il restait pour la plus grande part aux Anglais. Wellington avavillage et la plaine culminante; Ney n'avait que la crte et la pente. Des deux cts on semblait enracince sol funbre.

    Mais l'affaiblissement des Anglais paraissait irrmdiable. L'hmorragie de cette arme tait horrible. K

    l'aile gauche, rclamait du renfort. Il n'y en a pas, rpondait Wellington,qu'il se fassetuer !Presque la mme minute, rapprochement singulier qui peint l'puisement des deux armNey demandait de l'infanterie Napolon, et Napolon s'criait:De l'infanterie! o veut-il que j'en prenne?Veut-il que j'en fasse?

    Pourtant l'arme anglaise tait la plus malade. Les pousses furieuses de ces grands escadrons cuirassfer et poitrines d'acier avaient broy l'infanterie. Quelques hommes autour d'un drapeau marquaient lad'un rgiment, tel bataillon n'tait plus command que par un capitaine ou par un lieutenant; la divisiondj si maltraite la Haie-Sainte, tait presque dtruite; les intrpides Belges de la brigade Van Kluze jonchaient les seigles le long de la route de Nivelles; il ne restait presque rien de ces grenadiers hollanden 1811, mls en Espagne nos rangs, combattaient Wellington, et qui, en 1815, rallis aux Anglais,combattaient Napolon. La perte en officiers tait considrable. Lord Uxbridge, qui le lendemain fit ensa jambe, avait le genou fracass. Si, du ct des Franais, dans cette lutte des cuirassiers, Delord, LhrColbert, Dnop, Travers et Blancard taient hors de combat, du ct des Anglais, Alten tait bless, Barbless, Delancey tait tu, Van Merlen tait tu, Ompteda tait tu, tout l'tat-major de Wellington taitdcim, et l'Angleterre avait le pire partage dans ce sanglant quilibre. Le 2me rgiment des gardes avait perdu cinq lieutenants-colonels, quatre capitaines et trois enseignes; le premier bataillon du 30md'infanterie avait perdu vingt-quatre officiers et cent douze soldats; le 79me montagnards avait vingt-qofficiers blesss, dix-huit officiers morts, quatre cent cinquante soldats tus. Les hussards hanovriens dCumberland, un rgiment tout entier, ayant sa tte son colonel Hacke, qui devait plus tard tre jug etavaient tourn bride devant la mle et taient en fuite dans la fort de Soignes, semant la droute jusquBruxelles. Les charrois, les prolonges, les bagages, les fourgons pleins de blesss, voyant les Franais gdu terrain et s'approcher de la fort, s'y prcipitaient; les Hollandais, sabrs par la cavalerie franaise, calarme! De Vert-Coucou jusqu' Groenendael, sur une longueur de prs de deux lieues dans la directionBruxelles, il y avait, au dire des tmoins qui existent encore, un encombrement de fuyards. Cette paniqtelle qu'elle gagna le prince de Cond Malines et Louis XVIII Gand. l'exception de la faible rserchelonne derrire l'ambulance tablie dans la ferme de Mont-Saint-Jean et des brigades Vivian et Vanqui flanquaient l'aile gauche, Wellington n'avait plus de cavalerie. Nombre de batteries gisaient dmontCes faits sont avous par Siborne; et Pringle, exagrant le dsastre, va jusqu' dire que l'armeanglo-hollandaise tait rduite trente-quatre mille hommes. Le duc-de-fer demeurait calme, mais ses avaient blmi. Le commissaire autrichien Vincent, le commissaire espagnol Alava, prsents la batailll'tat-major anglais, croyaient le duc perdu. cinq heures, Wellington tira sa montre, et on l'entenditmurmurer ce mot sombre:Blcher, ou la nuit!

    Ce fut vers ce moment-l qu'une ligne lointaine de bayonnettes tincela sur les hauteurs du ct deFrischemont.

    Ici est la priptie de ce drame gant.

    The Project Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    Le plateau de Mont Saint-Jean 23

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    24/192

    Chapitre XI

    Mauvais guide Napolon, bon guide Blow

    On connat la poignante mprise de Napolon: Grouchy espr, Blcher survenant, la mort au lieu de l

    La destine a de ces tournants; on s'attendait au trne du monde; on aperoit Sainte-Hlne. Si le petit pqui servait de guide Blow, lieutenant de Blcher, lui et conseill de dboucher de la fort au-dessusFrischemont plutt qu'au dessous de Plancenoit, la forme du dix-neuvime sicle et peut-tre t diffNapolon et gagn la bataille de Waterloo. Par tout autre chemin qu'au-dessous de Plancenoit, l'armeprussienne aboutissait un ravin infranchissable l'artillerie, et Blow n'arrivait pas.

    Or, une heure de retard, c'est le gnral prussien Muffling qui le dclare, et Blcher n'aurait plus trouvWellington debout; la bataille tait perdue.

    Il tait temps, on le voit, que Blow arrivt. Il avait du reste t fort retard. Il avait bivouaqu Dion-let tait parti ds l'aube. Mais les chemins taient impraticables et ses divisions s'taient embourbes. Lornires venaient au moyeu des canons. En outre, il avait fallu passer la Dyle sur l'troit pont de Wavremenant au pont avait t incendie par les Franais; les caissons et les fourgons de l'artillerie, ne pouvapasser entre deux rangs de maisons en feu, avaient d attendre que l'incendie ft teint. Il tait midi quel'avant-garde de Blow n'avait pu encore atteindre Chapelle-Saint-Lambert.

    L'action, commence deux heures plus tt, et t finie quatre heures, et Blcher serait tomb sur la bgagne par Napolon. Tels sont ces immenses hasards, proportionns un infini qui nous chappe. Dsl'empereur, le premier, avec sa longue-vue, avait aperu l'extrme horizon quelque chose qui avait fixattention. Il avait dit:Je vois l-bas un nuage qui me parat tre des troupes. Puis il avait demaduc de Dalmatie:Soult, que voyez-vous vers Chapelle-Saint-Lambert?Le marchal bsa lunette avait rpondu:Quatre ou cinq mille hommes, sire. videmmentGrouchy.Cependant cela restait immobile dans la brume. Toutes les lunettes de l'tat-major avtudi le nuage signal par l'empereur. Quelques-uns avaient dit:Ce sont des colonnes qui font halte. Laplupart avaient dit:Ce sont des arbres. La vrit est que le nuage ne remuait pas. L'empereur avait dtachreconnaissance vers ce point obscur la division de cavalerie lgre de Domon.

    Blow en effet n'avait pas boug. Son avant-garde tait trs faible, et ne pouvait rien. Il devait attendredu corps d'arme, et il avait l'ordre de se concentrer avant d'entrer en ligne; mais cinq heures, voyant de Wellington, Blcher ordonna Blow d'attaquer et dit ce mot remarquable: Il faut donner de l'air l'arme anglaise.

    Peu aprs, les divisions Losthin, Hiller, Hacke et Ryssel se dployaient devant le corps de Lobau, la cav

    du prince Guillaume de Prussedbouchait du bois de Paris, Plancenoit tait en flammes, et les bouletsprussiens commenaient pleuvoir jusque dans les rangs de la garde en rserve derrire Napolon.

    Chapitre XII

    La garde

    On sait le reste: l'irruption d'une troisime arme, la bataille disloque, quatre-vingt-six bouches feu ttout coup, Pirch Ier survenant avec Blow, la cavalerie de Zieten mene par Blcher en personne, lesFranais refouls, Marcognet balay du plateau d'Ohain, Durutte dlog de Papelotte, Donzelot et Quio

    The Project Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    Chapitre XI 24

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    25/192

    reculant, Lobau pris en charpe, une nouvelle bataille se prcipitant la nuit tombante sur nos rgimendmantels, toute la ligne anglaise reprenant l'offensive et pousse en avant, la gigantesque troue faitel'arme franaise, la mitraille anglaise et la mitraille prussienne s'entr'aidant, l'extermination, le dsastrfront, le dsastre en flanc, la garde entrant en ligne sous cet pouvantable croulement.

    Comme elle sentait qu'elle allait mourir, elle cria:vive l'empereur ! L'histoire n'a rien de plus mouvant que

    cette agonie clatant en acclamations.Le ciel avait t couvert toute la journe. Tout coup, en ce moment-l mme, il tait huit heures du sonuages de l'horizon s'cartrent et laissrent passer, travers les ormes de la route de Nivelles, la grandrougeur sinistre du soleil qui se couchait. On l'avait vu se lever Austerlitz.

    Chaque bataillon de la garde, pour ce dnouement, tait command par un gnral. Friant, Michel, RogHarlet, Mallet, Poret de Morvan, taient l. Quand les hauts bonnets des grenadiers de la garde avec la plaque l'aigle apparurent, symtriques, aligns, tranquilles, superbes, dans la brume de cette mle, l'esentit le respect de la France; on crut voir vingt victoires entrer sur le champ de bataille, ailes dployeceux qui taient vainqueurs, s'estimant vaincus, reculrent; mais Wellington cria:Debout, gardes, et visez juste!le rgiment rouge des gardes anglaises, couch derrire les haies, se leva, une nue de mitraille crdrapeau tricolore frissonnant autour de nos aigles, tous se rurent, et le suprme carnage commena. Laimpriale sentit dans l'ombre l'arme lchant pied autour d'elle, et le vaste branlement de la droute, eentendit lesauve-qui-peut ! qui avait remplac levive l'empereur ! et, avec la fuite derrire elle, elle continuad'avancer, de plus en plus foudroye et mourant davantage chaque pas qu'elle faisait. Il n'y eut pointd'hsitants ni de timides. Le soldat dans cette troupe tait aussi hros que le gnral. Pas un homme nemanqua au suicide.

    Ney, perdu, grand de toute la hauteur de la mort accepte, s'offrait tous les coups dans cette tourmeneut l son cinquime cheval tu sous lui. En sueur, la flamme aux yeux, l'cume aux lvres, l'uniformedboutonn, une de ses paulettes demi coupe par le coup de sabre d'un horse-guard, sa plaque degrand-aigle bossele par une balle, sanglant, fangeux, magnifique, une pe casse la main, il disait:Venezvoir comment meurt un marchal de France sur le champ de bataille!Mais en vain; il ne mourut pas. Il taithagard et indign. Il jetait Drouet d'Erlon cette question:Est-ce que tu ne te fais pas tuer, toi?Il criait aumilieu de toute cette artillerie crasant une poigne d'hommes: Il n'y a donc rien pour moi! Oh! jevoudrais que tous ces boulets anglais m'entrassent dans le ventre!Tu tais rserv des balles franaises,infortun!

    Chapitre XIII

    La catastrophe

    La droute derrire la garde fut lugubre.

    L'arme plia brusquement de tous les cts la fois, de Hougomont, de la Haie-Sainte, de Papelotte, dePlancenoit. Le criTrahison! fut suivi du criSauve-qui-peut ! Une arme qui se dbande, c'est un dgel. Toutflchit, se fle, craque, flotte, roule, tombe, se heurte, se hte, se prcipite. Dsagrgation inoue. Neyemprunte un cheval, saute dessus, et, sans chapeau, sans cravate, sans pe, se met en travers de la chaude Bruxelles, arrtant la fois les Anglais et les Franais. Il tche de retenir l'arme, il la rappelle, il l'inil se cramponne la droute. Il est dbord. Les soldats le fuient, en criant:Vive le marchal Ney!Deuxrgiments de Durutte vont et viennent effars et comme ballotts entre le sabre des uhlans et la fusilladbrigades de Kempt, de Best, de Pack et de Rylandt; la pire des mles, c'est la droute, les amis s'entre-pour fuir; les escadrons et les bataillons se brisent et se dispersent les uns contre les autres, norme cu

    The Project Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    La garde 25

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    26/192

    la bataille. Lobau une extrmit comme Reille l'autre sont rouls dans le flot. En vain Napolon faitmurailles avec ce qui lui reste de la garde; en vain il dpense un dernier effort ses escadrons de servicQuiot recule devant Vivian, Kellermann devant Vandeleur, Lobau devant Blow, Morand devant PirchDomon et Subervic devant le prince Guillaume de Prusse. Guyot, qui a men la charge les escadrons l'empereur, tombe sous les pieds des dragons anglais. Napolon court au galop le long des fuyards, lesharangue, presse, menace, supplie. Toutes ces bouches qui criaient le matinvive l'empereur , restent bantes;

    c'est peine si on le connat. La cavalerie prussienne, frache venue, s'lance, vole, sabre, taille, hache,extermine. Les attelages se ruent, les canons se sauvent; les soldats du train dtellent les caissons et enprennent les chevaux pour s'chapper; des fourgons culbuts les quatre roues en l'air entravent la route des occasions de massacre. On s'crase, on se foule, on marche sur les morts et sur les vivants. Les brasperdus. Une multitude vertigineuse emplit les routes, les sentiers, les ponts, les plaines, les collines, levalles, les bois, encombrs par cette vasion de quarante mille hommes. Cris, dsespoir, sacs et fusils dans les seigles, passages frays coups d'pe, plus de camarades, plus d'officiers, plus de gnraux, uinexprimable pouvante. Zieten sabrant la France son aise. Les lions devenus chevreuils. Telle fut cetfuite.

    Genappe, on essaya de se retourner, de faire front, d'enrayer. Lobau rallia trois cents hommes. On bal'entre du village; mais la premire vole de la mitraille prussienne, tout se remit fuir, et Lobau fut On voit encore aujourd'hui cette vole de mitraille empreinte sur le vieux pignon d'une masure en briqudroite de la route, quelques minutes avant d'entrer Genappe. Les Prussiens s'lancrent dans Genappefurieux sans doute d'tre si peu vainqueurs. La poursuite fut monstrueuse. Blcher ordonna l'exterminaRoguet avait donn ce lugubre exemple de menacer de mort tout grenadier franais qui lui amnerait uprisonnier prussien. Blcher dpassa Roguet. Le gnral de la jeune garde, Ducesme, accul sur la portauberge de Genappe, rendit son pe un hussard de la mort qui prit l'pe et tua le prisonnier. La victos'acheva par l'assassinat des vaincus. Punissons, puisque nous sommes l'histoire: le vieux Blcher sedshonora. Cette frocit mit le comble au dsastre. La droute dsespre traversa Genappe, traversa lQuatre-Bras, traversa Gosselies, traversa Frasnes, traversa Charleroi, traversa Thuin, et ne s'arrta qu'frontire. Hlas! et qui donc fuyait de la sorte? la grande arme.

    Ce vertige, cette terreur, cette chute en ruine de la plus haute bravoure qui ait jamais tonn l'histoire, eque cela est sans cause? Non. L'ombre d'une droite norme se projette sur Waterloo. C'est la journe duLa force au-dessus de l'homme a donn ce jour-l. De l le pli pouvant des ttes; de l toutes ces granmes rendant leur pe. Ceux qui avaient vaincu l'Europe sont tombs terrasss, n'ayant plus rien direfaire, sentant dans l'ombre une prsence terrible.Hoc erat in fatis. Ce jour-l, la perspective du genre humaina chang. Waterloo, c'est le gond du dix-neuvime sicle. La disparition du grand homme tait ncessal'avnement du grand sicle. Quelqu'un qui on ne rplique pas s'en est charg. La panique des hross'explique. Dans la bataille de Waterloo, il y a plus du nuage, il y a du mtore. Dieu a pass.

    la nuit tombante, dans un champ prs de Genappe, Bernard et Bertrand saisirent par un pan de sa redet arrtrent un homme hagard, pensif, sinistre, qui, entran jusque-l par le courant de la droute, ven

    mettre pied terre, avait passsous son bras la bride de son cheval, et, l'il gar, s'en retournait seuvers Waterloo. C'tait Napolon essayant encore d'aller en avant, immense somnambule de ce rve cro

    Chapitre XIV

    Le dernier carr

    Quelques carrs de la garde, immobiles dans le ruissellement de la droute comme des rochers dans dequi coule, tinrent jusqu' la nuit. La nuit venant, la mort aussi, ils attendirent cette ombre double, et,inbranlables, s'en laissrent envelopper. Chaque rgiment, isol des autres et n'ayant plus de lien avec

    The Project Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    La catastrophe 26

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    27/192

    rompue de toutes parts, mourait pour son compte. Ils avaient pris position, pour faire cette dernire actiuns sur les hauteurs de Rossomme, les autres dans la plaine de Mont-Saint-Jean. L, abandonns, vaincterribles, ces carrs sombres agonisaient formidablement. Ulm, Wagram, Ina, Friedland, mouraient en

    Au crpuscule, vers neuf heures du soir, au bas du plateau de Mont-Saint-Jean, il en restait un. Dans cefuneste, au pied de cette pente gravie par les cuirassiers, inonde maintenant par les masses anglaises, s

    feux convergents de l'artillerie ennemie victorieuse, sous une effroyable densit de projectiles, ce carrIl tait command par un officier obscur nomm Cambronne. chaque dcharge, le carr diminuait, etripostait. Il rpliquait la mitraille par la fusillade, rtrcissant continuellement ses quatre murs. De loifuyards s'arrtaient par moment, essouffls, coutant dans les tnbres ce sombre tonnerre dcroissant.

    Quand cette lgion ne fut plus qu'une poigne, quand leur drapeau ne fut plus qu'une loque, quand leurpuiss de balles ne furent plus que des btons, quand le tas de cadavres fut plus grand que le groupe vy eut parmi les vainqueurs une sorte de terreur sacre autour de ces mourants sublimes, et l'artillerie anreprenant haleine, fit silence. Ce fut une espce de rpit. Ces combattants avaient autour d'eux comme fourmillement de spectres, des silhouettes d'hommes cheval, le profil noir des canons, le ciel blanc aptravers les roues et les affts; la colossale tte de mort que les hros entrevoient toujours dans la fumefond de la bataille, s'avanait sur eux et les regardait. Ils purent entendre dans l'ombre crpusculaire quchargeait les pices, les mches allumes pareilles des yeux de tigre dans la nuit firent un cercle autouleurs ttes, tous les boute-feu des batteries anglaises s'approchrent des canons, et alors, mu, tenant la suprme suspendue au-dessusde ces hommes, un gnral anglais, Colville selon les uns, Maitland selon leautres, leur cria:Braves Franais, rendez-vous!Cambronne rpondit:Merde!

    Chapitre XV

    Cambronne

    Le lecteur franais voulant tre respect, le plus beau mot peut-tre qu'un Franais ait jamais dit ne peutre rpt. Dfense de dposer du sublime dans l'histoire.

    nos risques et prils, nous enfreignons cette dfense.

    Donc, parmi tous ces gants, il y eut un titan, Cambronne.

    Dire ce mot, et mourir ensuite. Quoi de plus grand! car c'est mourir que de le vouloir, et ce n'est pas la de cet homme, si, mitraill, il a survcu.

    L'homme qui a gagn la bataille de Waterloo, ce n'est pas Napolon en droute, ce n'est pas Wellington quatre heures, dsespr cinq, ce n'est pas Blcher qui ne s'est point battu; l'homme qui a gagn la bde Waterloo, c'est Cambronne.

    Foudroyer d'un tel mot le tonnerre qui vous tue, c'est vaincre.

    Faire cette rponse la catastrophe, dire cela au destin, donner cette base au lion futur, jeter cette rpliqpluie de la nuit, au mur tratre de Hougomont, au chemin creux d'Ohain, au retard de Grouchy, l'arrivBlcher, tre l'ironie dans le spulcre, faire en sorte de rester debout aprs qu'on sera tomb, noyer dansyllabes la coalition europenne, offrir aux rois ces latrines dj connues des csars, faire du dernier dele premier en y mlant l'clair de la France, clore insolemment Waterloo par le mardi gras, complterLonidas par Rabelais, rsumer cette victoire dans une parole suprme impossible prononcer, perdre terrain et garder l'histoire, aprs ce carnage avoir pour soi les rieurs, c'est immense. C'est l'insulte la f

    The Project Gutenberg eBook of Les Misrables, par Victor Hugo.

    Le dernier carr 27

  • 8/14/2019 Les misrables Tome II Cosette by Hugo, Victor, 1802-1885

    28/192

    Cela atteint la grandeur eschylienne.

    Le mot de Cambronne fait l'effet d'une fracture. C'est la fracture d'une poitrine par le ddain; c'est le trode l'agonie qui fait explosion. Qui a vaincu? Est-ce Wellington? Non. Sans Blcher il tait perdu. Est-cBlcher? Non. Si Wellington n'et pas commenc, Blcher n'aurait pu finir. Ce Cambronne, ce passantdernire heure, ce soldat ignor, cet infiniment petit de la guerre, sent qu'il y a l un mensonge, un men

    dans une catastrophe, redoublement poignant, et, au moment o il en clate de rage, on lui offre cette dla vie! Comment ne pas bondir? Ils sont l, tous les rois de l'Europe, les gnraux heureux, les Jupiterstonnants, ils ont cent mille soldats victorieux, et derrire les cent mille, un million, leurs canons, mcheallume, sont bants, ils ont sous leurs talons la garde impriale et la grande arme, ils viennent d'crasNapolon, et il ne reste plus que Cambronne; il n'y a plus pour protester que ce ver de terre. Il protesterAlors il cherche un mot comme on cherche une pe. Il lui vient de l'cume, et cette cume, c'est le moDevant cette victoire prodigieuse et mdiocre, devant cette victoire sans victorieux, ce dsespr se redil en subit l'normit, mais il en constate le nant; et il fait plus que cracher sur elle; et sous l'accablemenombre, de la force et de la matire, il trouve l'me une expression, l'excrment. Nous le rptons. Difaire cela, trouver cela, c'est tre le vai