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LES

VÉGÉTAUX MERVEILLEUX

INTRODUCTION

Le but de ce petit livre est de mettre en évi-dence, par des exemples et des caractères sensibles,l'un des aspects de la puissance merveilleuse de lanature. Elle n'est pas encore assez connue, pas assezaimée, cette belle nature, dont nos goûts eperlicielssemblent nous éloigner de plus en plus ; elle nousdevient chaque Pur plus étrangère, comme si. lascience, dont le but véritable est d'en approfondirles secrets, n'avait de valeur réelle que dans ses ap-plications à l'industrie ou à l'agrément,de la curio-

/Sité humaine. Cependant c'est de notrj*communi-cation plus intime avec . la nature que dépendent les

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l) LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

progrès de notre intelligence, et peut-être aussi ceux

de notre coeur ; c'est de la connaissance de son ac-tion universelle que dépend l'élévation scientifiquede notre esprit : plus nous nous éloignerons d'elle,plus nous nous en isolerons, et plus aussi nous per-drons en valeur intellectuelle ; plus nous nous en

rapprocherons, mieux nous la comprendrons, etplus nous grandirons dans le savoir et dans la

valeur.La grandeur et la beauté de la nature peuvent

être étudiées dans toutes ses oeuvres, car elles se ma-nifestent jusque dans ses productions en apparenceles plus insignifiantes. Sans doute, le spectacle impo-sant des révolutions célestes et des forces formida-

bles qui sont en action dans le gouvernement desmondes nous étonne par son étendue et par la puis-sance des actions qu'il nous révèle ; mais la surprisequi nait en nous à la vue des grandeurs célestes tientplutôt à la supériorité comparative de celles-ci sur lespensées habituelles de notre esprit. L'Auteur de lanature n'est pas plus grand dans la direction d'unsoleil à travers les campagnes étoilées que dans lagermination d'une plante ou dans la générationd'un être vivant ; pour lui, semer des étoiles par mil-liers dans les sillons du ciel ou répandre les semen-ces légères des fleurs terrestres sur le sol humide,sont des oeuvres également dignes d'attention, et

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• INTRODUCTION. 5

qui révèlent égaleMent l'action d'une intelligenceinfinie; soustraire un globe rayonnant de vie au volembrasé des comètes échevelées, ou fermer la corolletremblante. à l'approche 'de la bise ou du brouil-lard; épanouir dans l'espace une nébuleuse riche desoleils ou décorer dans nos jardins nos arbres auxfleurs purpurines ; présider à la formation des cou-ches successives de l'écorce protozoïque d'un mondeou présider à celle (l'un fruit mûrissant : ce sont làdes oeuvres divines, et ce titre ne connaît pas de de-grés en plus ou en moins.

Contempler la nature dans ses fleurs ou dans sesétoiles, c'est donc s'élever à la notion du vrai pardes voies diverses, c'est s'initier aux mystères del'infini par des expressions différentes, c'est étudierle monde sous des aspects variés, c'est s'instruiredans la science de la nature par deux maîtres dis-tincts, mais de la même école.

SQ proposer de décrire complétement et indiffé-remment les Végétaux. merveilleux serait encores'engager dans un vaste programme, car, d'après ceque nous venons de dire sur l'égalité des oeuvres dela puissance infinie, tout est merveilleux dans l'actionde la nature, et les merveilles de la végétationembrassent la végétation entière. Sachons-le bien,la plus modeste d'entre les plantes, la fleur deschamps qui se cache sous l'herbe épaisse, et celles,

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4 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

plus inconnues encore, qui appartiennent au mondemicroscopique, sont tout aussi merveilleuses queles splendides orchidées, les cèdres séculaires, lestremblantes sensitives , les arbres empoisonnés.Mais ici comme en toutes choses, notre qualifica-tion se rapporte à nos impressions particulières.Par un effet de l'inertie de notre esprit, l'habi-tude a le don d'émousser notre sensibilité et derendre moins vives les impressions qui se renouvel-lent fréquemment, de sorte que les objets qui, aupremier abord, captivent le plus vivement notre at-tention et nous jettent dans la surprise la plus pro-fonde, parviennent à la longue à passer inaperçus etne réveillent plus notre attention endormie. C'est cequi constitue pour nous le degré apparent du mer-veilleux. L'inconnu, le nouveau, nous frappera tou-

jours et nous attirera sans cesse ; à mesure que leschoses deviennent plus connues, plus familières,elles perdent le don de nous émerveiller. Cepen-dant, au point de vue de l'absolu, deux objets d'é-gale valeur ne sauraient évidemment subir de mo-di►cation réelle, suivant qu'ils deviennent plus oumoins accessibles à l'observation humaine.

Si l'un de nous arrivait aujourd'hui pour la pre-mière fois sur la terre, revenant d'un monde étran-ger au nôtre, quelle ne serait pas sa surprise, à

son réveil, de voir se manifester autour de lui toutes

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INTRODUCTION. 5

ces actions nombreuses qui constituent l'ensemble del'oeuvre naturelle ! A l'aurore de l'année comme àl'aurore d'un beau jour, le printemps joyeux réveilleles forces latentes et décore d'une nouvelle parure lemonde dépouillé par la main de l'hiver ; le ciel re-naît, son azur baigne au loin l'horizon transparent,la brise aérienne caresse les bourgeons naissants desplantes, le soleil verse du haut du ciel son rayonne-ment fécond, la verdure renaît, arbres et fleurs tres-saillent sous le frémissement de la vie nouvelle, etdepuis les dernières zones de la végétation sur lesmontagnes, jusqu'aux plaines verdoyantes, la joie etla lumière célèbrent en tous lieux la renaissance dela vie. Quelle merveilleuse transformation s'est opé-rée ! Ces arbres de nos vergers, ces forêts entières,qui n'offraient, il y a quelques mois à peine, que destroncs décharnés, des tiges dénudées, des objetsimmobiles et inertes que la mort semblait avoir exi-lés pour jamais du cercle de la vie, les voilà qui re-verdissent, se revêtent de feuilles nouvelles, et bien-tôt répandent leur onde et leur paix sur l'asileprofond des retraites champêtres. L'habitude de voirchaque année se renouveler la même merveille nousempêche de l'apprécier dans sa grandeur et de re-connaître en elle la manifestation de forces prodi-gieuses , mais songeons un instant à l'aspect de l'hiver et à celui de la saison qui lui succède, et nous

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6 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

nous étonnerons de voir ces choses chaque jour sansles honorer d'un regard d'attention, d'une pensée

observatrice.Que serait-ce, si à la contemplation générale du

grand mouvement printanier et estival, nous faisions

succéder l'observation spéciale de chaque espèce devégétaux? que serait-ce si nous nous appliquions àsuivre dans son mouvement individuel chacune deces plantes si diverses qui embellissent la surface duglobe ? Deux espèces différentes n'agissent pas de lamême manière, et depuis la naissance des premièresfeuilles jusqu'à la maturité de leurs fruits, elles of-frent chacune un spectacle différent. Telles plantesportent humblement leurs fleurs cachées à tous lesregards et semblent oser à peine laisser voir leur

tige et leurs feuilles ; d'autres au contraire ne parais-sent nées que pour l'éclat et la lumière, et déploientaux regards éblouis la parure étincelante de leur ri-chesse et de leur magnificence ; d'autres encore sem-blent posséder un caractère plus sérieux et, dédai-

gneuses de la frivolité de leurs compagnes, ne révè-lent leur existence qu'à l'époque où les fruits mûrsconsacrent leur utilité. Ici l'oeil s'étonne de la vi-gueur séculaire d'un chêne immortel qui, du temps

de nos pères, a vu passer le collége des druides sous

l'avenue sombre des forêts et méconnaît le nombredes hivers; les vents et les tempêtes ne sauraient

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INTRODUCTION. 7

ébranler le colosse aux racines profondes. Là, c'està peine si la main peut se permettre de légères ca-resses, et le baiser d'un petit oiseau brillant sur lefront de la sensitive trouble sa timidité offensée.Mais nous n'avons pas encore ouvert le inonde mer-

. veilleux des couleurs ! Quel pinceau reproduira cesnuances variées qui sont la parure des fleurs splen-dides? Quoi ! nous foulons aux pieds dans les prairiesles petites fleurs qui se cachent dans l'herbe ; surles bords du ruisseau dont le murmure nous attire,les corolles purpurines se penchent ; au pied desgrands arbres protecteurs se cachent ces petites vio-lettes au parfum si doux ; mais toutes les beautés dumonde des plantes restent inaperçues ; nous passonsauprès de la blancheur du lis superbe sans détour-ner le regard, et les charmants petits boutons derose qui vont s'entr'ouvrir, s'éveilleront à la vie sansqu'un regard humain soit là pour les contempler !Cependant les oeuvres des hommes, dans leur expres -

sion la plus glorieuse, offriront-elles jamais desbeautés comparables aux plus modestes beautés de lanature?

Mais les jeux splendides de la lumière solaire surle tissu des plantes, qui constituent leurs couleurs etleurs nuances harmonieuses, ne sont-ils pas surpas-sés encore par la richesse des parfums dont les fleursbardent en leur sein les riches trésors ? ne semble-

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8 1ES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

t-il pas ici que les fleurs sont les plus opulentes descréatures, que la nature s'est plu à les enrichir deses dons les plus admirables, et qu'elle les aime avec

prédilection? Brises embaumées du soir, qui des-cendez des coteaux en fleurs, souffles parfumés

qui tombez des bois, de quelles propriétés êtes-vousdonc dépositaires, et quelle est votre influence surl'àme agitée par les troubles du monde ? I1 sembleque vous n'appartenez plus à la matière et qu'il y aen vous certaine vertu spirituelle qui nous fait son-ger au ciel. N'êtes-vous pas inaccessibles, en effet,aux grossières observations de notre industrie? Quelspoids et quelles mesures pourrait-on appliquer à vo-tre essence, et de quelle façon nos sens pourraient-ils reconnaître votre nature ?

Il est donc vrai de dire que tout est merveilleuxdans le monde végétal, et qu'en décrire les merveil-

les, c'est se proposer une description entière. Maispuisqu'il est également vrai, comme nous l'avonsrappelé plus haut, que notre attention s'émousse ets'attiédit sur les objets offerts habituellement à nos

regards, puisqu'il est vrai que le merveilleux appa-rent est constitué pour nous par l'inconnu, par lenouveau, c'est dans cet ordre que nous choisironsnos exemples pour .réveiller notre curiosité oublieuse.Nous irons au delà du cercle de notre observation dechaque jour, et les faits que nous remarquerons pos-

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INTRODUCTION. 9

séderont peut-être l'attrait de la nouveauté — dumoins . relativement à nos pensées habituelles — et

• si nous n'avons pas la faculté de nous intéresser aux •

choses qui nous entourent, allons plus loin. Levoyage est un bon maître, suivons-le.

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Le pin de montagnes.

PREMIÈRE PARTIE

CHÂPITRE IIDÉE GÉNÉRALE DE LA DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE DES PLANTES

A LA SURFACE DU GLOBE

La parure végétale qui enveloppe le , globe. terres-tre n'offre pas dans son ensemble une unité de ca-ractère indépendante des diverses contrées au con-traire, chaque climat possède sa physionomie proprede végétation, certaines espèces sont spécialementaffectées à certaines contrées ; les unes se plaisentsur le sol brûlant des tropiques ou développent à

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12 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

profusion leurs richesses dans les forêts chaudes ethumides de 11:-',quateur; d'autres craignent l'ardeurdu soleil et choisissent les régions tempérées ou lesterres du nord. C'est ce qui donne à chaque pays saphysionomie caractéristique. Des trois règnes de lanature, le végétal est celui qui caractérise le mieuxune contrée. Les roches et les montagnes gardentune même forme de l'équateur aux pôles, et leur as-pect ne saurait donner à aucun pays une physiono-mie particulière. Les espèces animales, malgré leursvariétés, offrent un aspect trop mobile et trop insai-sissable pour arriver au même effet. C'est la distribu-tion géographique des plantes qui influe le pluspuissamment sur notre esprit, en traçant en lui l'i-mage des localités qu'elle favorise; les arbres et lesfleurs, la physionomie des champs et des prairies,des coteaux et des plaines, les formes et les nuancesdes feuilles, la grandeur des végétaux, constituent.une mise eri scène au milieu de laquelle nous noustrouvons, et à laquelle nous appartenons comme sinous en faisions partie intégrante. Aussi c'est en celasurtout que consiste le paysage, c'est là surtout l'as-pect de notre pays, et bien souvent au milieu deslongs voyages dans la nature tropicale si riche et siféconde, le voyageur cherche les formes regrettéesdes arbres de son pays, sentant palpiter son coeurlorsqu'une plante, une fleur de la patrie, naît sousses pas et lui rappelle de lointaines images.

La principale cause qui préside à la géographie

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DISTRIBUTION GÉOGRÂPIIIQUE. 13

botanique, à la distribution variée des plantes sui-vant les contrées du globe, c'est la température. Icicomme dans le concert tout entier de l'harmonie dela vie terrestre, c'est le soleil qui règne en souve-rain ; c'est lui qui dirige l'orchestre, marquant unemesure tantôt lente et solennelle, tantôt légère etbrillante. Deux cent mille espèces. végétales se parta-gent la surface terrestre, une grande loi préside àce partage, la loi de la température; et nous allonsreconnaître que nulle autre force ne saurait rivaliseravec celle. là.

Si nous considérons un instant la terre commeune sphère tournant sur elle-même, autour d'uneligne idéale passant par son centre, nous appelleronspôles les deux points du globe où cette ligne abou-tit : à ces deux points le mouvement est presque in-sensible ; et nous donnerons le nom d'équateur augrand cercle perpendiculaire à la ligne précédente,et qui coupe la sphère en deux hémisphères du côtéde chaque pôle. Or, comme les rayons du soleil sontd'autant plus obliques qu'ils s'éloignent davantagede l'équateur, il s'ensuit que la chaleur est au maxi-mum à l'équateur, et décroît jusqu'aux pôles, où elleest minimum'. A cette décroissance correspond ladistribution géographique des plantes. A l'équateuret dans les régions tropicales qui l'avoisinent, on ren-

POUT l'explication des causes de ces variations de températuresuivant la latitude, voyez la division astronomique du globe dans levolume de cette collection intitulé : les Merveilles célestes (p. 305)

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24 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

contre les hautes formes des végétaux immenses, telsque les baobabs, les mangliers, les palmiers, les élé-gantes fougères arborescentes, les aloès, les bruyè-res, les plantes riches et rayonnantes qui aiment etcherchent l'influence de l'astre radieux. En nouséloignant des climats brûlants, nous rencontrons lesoliviers, les lauriers, les mimosas, les bambous. Con-tinuons notre route vers le pèle ; voici les magno-lias, les châtaigniers, les cotonniers, les charmes.Marchons encore ; parvenus aux latitudes de la Franceet de l'Europe moyenne, nous trouverons le chêne,le hêtre, le bouleau, l'orme, nos arbres fruitiers, noscéréales. Si nous poursuivons nos observations versles contrées septentrionales, nous rencontrons auxlimites de la végétation, le sorbier, le frêne, le sapin, le pin, les conifères ; les végétaux précédents sesont arrêtés à diverses latitudes : le chêne, le noise-tier, le peuplier à 60°, le hêtre, le tilleul à 65° ; lesconifères eux-mêmes ne dépassent pas le 67e degré.Au-delà du 70°, quelques saules rabougris se rencon-trent çà et là. Plus loin, au Spitzberg, au delà du75 e degré, il n'y a plus un seul arbre : les ar-bustes et les plantes ont eux-mêmes disparu ; le bléest mort, l'orge et l'avoine ne dépassent pas le 70"parallèle.

La physionomie locale de la géopraphie des plan-tes dépend, comme on voit, de la température nor-male de chaque climat ; nous allons étendre ce prin-cipe à un autre mode de distribution végétale, et

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DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE. 15

ce double point de vue sera suffisant pour nous faireconnaître dans son ensemble la flore terrestre.

Au lieu de voyager de l'équateur aux pôles, nousallons simplement gravir une haute montagne, et,chose digne d'attention, la distribution des plantesva nous apparaître dans le même ordre, suivant l'é-chelle thermométrique des altitudes. On sait queplus on s'élève dans l'atmosphère et plus la tempé-rature s'abaisse, et cet abaissement est si rapide,qu'une ascension de quelques minutes en ballon oude quelques heures sur une montagne, suffit pourfaire passer par tous les degrés de température dé-croissante, depuis 20 ou 50 degrés de chaleur, à laplaine, jusqu'à 10 ou 20 degrés au-dessous de zérodans les hauteurs de l'atmosphère. Par suite de cettedécroissance toutes les montagnes du globe ont unetempérature plus basse à leur sommet qu'à leurbase, et l'on peut compter dans leurs productionsvégétales toutes les zones caractéristiques que l'oncompte en allant de l'équateur aux pôles. On pour-rait donc, par exemple, comparer les deux hémi,sphères terrestres à deux montagnes appuy ees l'unecontre l'autre par leur base au cercle de l'équateur;leurs sommets sont couverts de neiges éternelles, desespèces végétales spéciales se succèdent depuis la li-mite tropicale jusqu'à la limite polaire.

Nous donnerons une idée juste de cette successiondes espèces végétales, en rapportant l'une des ascen-sions de M. Ch. Martius (de Montpellier), qui partage

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96 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

avec Humboldt, Ilooker et quelques botanistes célè-'bres, la gloire des progrès réalisés dans la géogra-phie végétale, science née au commencement de cesiècle. Voici les observations faites dans l'ascensiondu mont Ventoux, en Provence. Nous choisissons cetexemple parce qu'il appartient à notre pays.

« Élevons-nous sur le versant sud, dit le profes-seur de Montpellier, celui qui se confond à sa baseavec la plaine du Rhône : toutes les plantes de laplaine appartiennent à la région la plus basse ; elle secaractérise très-bien par deux arbres, le pin d'Alep etl'olivier. Le premier ne dépasse pas 450 mètres au-dessus du niveau de 1a mer, le second monte plushaut, mais ne dépasse pas 500 mètres. Sous ces ar-bres on rencontre toutes les espèces méridionalesqui caractérisent la végétation de la Provence : lechêne kermès, le romarin, le genêt d'Espagne. Unezone étroite succède à celle-ci : elle est caractériséepar le chêne vert, qui ne dépasse guère 56 mètres.Au milieu des taillis, on trouve la dentelaire d'Eu-rope, le genévrier cade, etc.

« Une région dépourvue de végétaux arborescentsvient immédiatement après les deux premières Lesol est nu, pierreux, généralement inculte ; cepen-dant çà et là on remarque des champs de pois chi-ches, d'avoine ou de seigle, dont les derniers sont à1,050 mètres au-dessus de la Méditerranée. Mais unarbrisseau, le buis, deux sous-arbrisseaux, le thymet les lavandes, une autre lobiée herbacée, le nepeta

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DISTRIBUTION GÉOGRAPHIQUE. 17

graveolens, dominent pour la taille et le nombre.Les hètres montent jusqu'à I ,660 mètres. A cette,hauteur, les dépressions sont peu profondes et lesarbres exposés à l'action déprimante du vent qui lescouche sur le sol ne sont plus que d'humbles buis-sons.

« A la hauteur de 1,700 mètres le froid est trop vif,l'été trop court, et le vent trop violent pour -que lehêtre puisse encore subsister. Aussi, sur le Ventoux,comme dans les Alpes et les Pyrénées, un arbre dela famille des conifères est le dernier représentant de

. la végétation arborescente. C'est une espèCe de pinassez basse, appelée pin de montagne. Ces pins s'é-

. lèvent à plusieurs mètres de hauteur dans les en-droits abrités, et deviennent des buissons touffusdans les endroits exposés au vent ; ils montent jus-qu'a la hauteur de 1,810 mètres, et forment la li-mite extrême de la végétation arborescente.

« La flore nous enseigne donc, au défaut du baro-mètre, que nous touchons à la région où cette végé-tation a disparu, niais où le botaniste retrouve avecravissement les plantes de la Laponie, de l'Islande etdu Spitzberg. Dans les Alpes, cette région s'étendjusqu'à la limite des neiges perpétuelles, séjour d'unéternel. hiver; niais le Ventoux ne s'élevant qu'à1,911 mètres, son sommet appartient à la partie in-férieure de la région alpine des Alpes et des Pyré-nées. A cette hauteur, tout arbre a disparu, maisune foule de petites plantes viennent épanouir leurs

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LES VÉGÉTAUX. MERVEILLEUX.

corolles à la surface des pierres ou des rochers. Cesont les pavots à fleurs orangées, la violette du mont.Cenis, l'astragale à fleurs bleues et, tout à fait ausommet, le paturin des Alpes, l'euphorbe de Gérardet la vulgaire ortie, qui apparaît partout où l'hommeconstruit un édifice. C'est dans les escarpements dunord que l'on retrouve la saxifrage, qui habite lessommets alpestres à la limite des neiges perpétuelles,et couvre les rivages glacés du Spitzberg. »

Ainsi, que l'on voyage des chaudes contrées de:l'é-quateur aux climats rigoureux du pôle, ou que l'ons'élève des plaines tempérées aux sommets neigeuxdes montagnes, on reconnaît pour loi distributivedes espèces végétales la force calorifique qui vientdu soleil. A chaque espèce son degré de chaleurpréféré. Le bouleau nain résiste à des froids; de— 40°, les orchidées sont glacées à -F10°.1D'unautre côté, chaque espèce réclame pour entreren végétation une somme de chaleur spéciale ; de -plus, une fois en végétation, il lui faut une provi-sion de chaleur pour fleurir et mûrir. Pour Muenotre précieuse céréale, le blé, nous donne ses lourdsépis d'or qui font la richesse des moissons, il luifaut une provision de '2,000 degrés accumulés à lalongue, de jour en jour,depuis les premiers rayonsdu soleil printanier. A la grappe brunissante dontles vendanges joyeuses dépouillent l'automne, il fautplus encore : près de 3,000 degrés de chaleur. C'estpourquoi chaque végétal montre une préférence

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GÉOGRAPHIE DES PLANTES. 49

pour telle localité, telle température, pourquoi lesannées modifient le rapport moyen des espècessuivant l'abondance de la chaleur, pourquoi chaquerégion du globe offre une physionomie végétale spé-cifique selon la moyenne thermométrique qui lacaractérise.

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Végétation sous les tropiques.

CIIKPITRE II

TABLEAU DE LA NATURE VÉGÉTALE SOUS LES TROPIQUES

Pour se faire une idée approchée de la valeur etde la magnificence de la nature végétale, ce n'estpas en nos contrées tempérées ou sous le ciel boréalque l'observateur doit s'établir, mais bien aux paysaimés du soleil, où la nature vit encore dans toute saséve et rayonne dans tout son éclat, où la terregarde comme un musée vivant des richesses dispa-rues pendant l'immense succession des âges primi-tifs. Nous suivrons à cet effet quelques voyageurs,que lascience et la poésie ont à la fois inspirés dansleur contemplation du monde.

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VÉGÉTATION TROPICALE. 2l

« La végétation déploie ses formes les plus majes-tueuses sous les feux brûlants qui rayonnent du ciel

des tropiques, dit A. de Humboldt, dans son grandouvrage sur les .« Tableauk de la nature. » Dans lepays des palmiers, à la place des tristes lichens oudes mousses qui, vers les régions glaciales, recou-vrent l'écorce des arbres, le cymbidium et la vanilleodoriférante se suspendent aux troncs des anacardeset des figuiers gigantesques. La fraîche verdure dudracontium et les feuilles profondément découpéesdu pothos contrastent avec les couleurs dont brillentles fleurs des orchidées. Les bauhinia grimpants, lespassiflores, les banistères dorés enlacent les arbresde la forêt et s'élancent au loin dans les airs. Desfleurs délicates sortent des racines du théobroma etde l'écorce rude des crescentia et des gustavia. Aumilieu de cette végétation luxuriante, dans la confu-sion de ces plantes grimpantes, l'observateur a sou-vent peine à reconnaître à quelle tige appartiennentles feuilles et les fleurs. Un seul arbre entrelacé depaullinia, de bignonia et de denclrotium, forme migroupe de plantes qui, - séparées les unes des autres.suffiraient à couvrir un espace considérable deterrain.

Les plantes des tropiques sont. plus abon-dantes en sucs, leur verdure est plus fraîche, leursfeuilles sont plus grandes et plus brillantes que dansles pays du Nord. Les plantes sociales, qui rendentsi uniforme la végétation européenne, manquent

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22 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

complètement aux régions équinoxiales. Des arbres.près de deux fois aussi hauts que nos chênes, portentdes fleurs qui égalent nos lis en grandeur et en éclat.Sur les rives ombragées du Rio-Magdalena, dans.l'Amérique du Sud, croît une aristoloche grimpante,dont les fleurs ont 4 pieds de circonférence: les en-fants s'amusent à s'en faire une coiffure. La fleur durafflesia a près d'un mètre de diamètre, et pèse plusde 6 kilogrammes et demi '.

« La hauteur extraordinaire à laquelle s'élèvent,près de l'équateur, non-seulement des montagnesisolées, mais des contrées tout entières, et l'abaisse-ment de la température qui est la conséquence decette élévation, procurent à l'habitant de la zonetorride un spectacle extraordinaire. En même tempsqu'il contemple des buissons de palmiers et de bana-niers, il est entouré de formes végétales qui ne sem-blent appartenir qu'aux contrées du Nord. Des cy-près, des sapins et des chênes, des épines-vinettes etdes aunes très-semblables aux nôtres, couvrent lesplateaux du Mexique méridional et la partie des An-des qui traversent. l'équateur. Ainsi, la nature permetà l'habitant de la zone torride de voir réunies, sansquitter le pays où il est né, toutes les formes végé-tales de la terre; de même que d'un pôle à l'autre lavoûte du ciel déploie à ses regards tous ses mondeslumineux. Ces jouissances et beaucoup d'autres sont

Voy., dans la seconde partie du livre, la description du RafflesiaArnoldi.

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VÉGÉTAUX DES TROPIQUES. 23

encore refusées aux peuples septentrionaux. Un grandnombre d'étoiles et de formes végétales, les plus bellesprécisément, telles que les palmiers, les Fougères àhautes tiges, les bananiers, les graminées arbores-centes et les mimoses aux feuilles délicates et Pen-n ées, leur restent éternellement inconnues. Lesplantes maladives qui sont enfermées dans nos serresne représentent que très-imparfaitement la majestéde la végétation tropicale ; mais dans la perfectiondu langage, dans la fantaisie brillante du poète, dansl'art imitateur du peintre, sont des sources abondan-tes de dédommagements où notre imagination peutpuiser les vivantes images de la nature exotique.Sous les climats glacés du Nord, au milieu des landesstériles, l'homme peut s'approprier tout ce que levoyageur va demander aux zones les plus lointaines,et se créer au dedans de lui-même un monde,ouvrage de son intelligence, libre et impérissablecomme elle. »

A cette esquisse due au grand fondateur (le la géo-graphie des plantes, nous ajouterons des impressionsnon moins poétiques, non moins élevées, dues au la-borieux auteur des « Scènes de la nature sous les tro-piques. » Elles continuent dignement les perspec-tives ouvertes par Humboldt. « Sur les bords des lacset des fictives, dit Ferdinand Denis, la chaleur dusoleil mettant en action l'humidité bienfaisante deces vastes réservoirs, donne des formes gigantesquesà la végétation. Les arbres qui s'élèvent à peine en

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24 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX..

d'autres endroits à la surface de la terre, prenantmajestueusement leur essor, embellissent bientôt lesrivages dont ils attestent la fertilité. L'Amazone, leGange, le Meschacebé, le Niger, roulent leurs eauxan milieu de vastes forêts qui, se succédant d'âge enfige, ont toujours résisté aux efforts des hommes,parce que la nature n'a point connu de bornes danstout ce qui pouvait perpétuer sa grandeur. Il sembleen effet qu'elle ait choisi les rives de ces fleuves im-menses pour y déployer une magnificence inconnueen d'autres lieux. J'ai remarqué dans l'Amériqueméridionale que les arbres, en prenant un plusgrand accroissement près des rivières, donnent unaspect particulier aux forêts : ce n'est plus la naturedans un désordre absolu ; il semble que sa force et sagrandeur lui aient permis de répandre une sorte (lerégularité imposante dans la végétation. Les arbres,en s'élevant à une hauteur dont les regards sont fati-gués, ne permettent plus aux faibles arbrisseaux decroître. Mais la voùte des forêts s'agrandit ; les troncsénormes qui la supportent forment d'immenses por-tiques en étalant majestueusement leurs branches;elles sont chargées à leur sommet d'une foule deplantes parasites dont l'air paraît être le domaine,et qui viennent mêler orgueilleusement leurs fleursaux feuillages les plus élevés. Ici souvent, près del'humble fougère, une liane flexible entoure en ser-pentant l'arbre immense, le couvre de ses guirlan-des, et semble braver l'éclat du jour avant d'em-

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LES TROPIQUES. 25

bellir la mystérieuse obscurité des lieux qui l'ontvue naître.

Dans les forêts moins majestueuses où les rayonsdu soleil pénètrent aisément, l'on découvre dans lavégétation une variété extrême, qui se montre à unedistance bien moins considérable. Parmi tous lesvoyageurs qui ont décrit les forêts dans leurs détails,il n'en existe peut-être point de plus exact que leprince de Neuwied.

« La vie, la végétation la plus abondante, dit-il,sont répandues partout, on n'aperçoit pas le pluspetit espace dépourvu de plantes. Le long de tous lestroncs d'arbres, on voit fleurir, grimper, s'entortil-ler, s'attacher les grenadilles, les cala`dium, les poi-vres, les vanilles, etc. Quelques-unes des tiges gigan-tesques chargées de fleurs paraissent de loin blan-ches, jaune foncé, rouge éclatant, roses, violettes,bleu de ciel. Dans les endroits marécageux, s'élèventen groupes serrés sur de longs pétioles les grandeset belles feuilles elliptiques des heliconia, qui ontquelquefois de 8 à 10 pieds de haut, et sont ornéesde fleurs bizarres, rouge foncé et couleur de feu.Des tiges énormes de bromelia, à fleurs en épis, cou-vrent les arbres jusqu'à ce qu'elles meurent, aprèsbien des années d'existence, et déracinées par levent, tombent à terre avec grand bruit. Des milliersde plantes griinpantes de toutes les dimensions, de-puis la plus mince jusqu'à la grosseur de la cuissed'un - homme, et dont le bois est dur et compacte,

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26 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

s'entrelacent autour des arbres, s'élèvent jusqu'àleurs cimes, où elles fleurissent et portent leursfruits sans que l'homme puisse les y apercevoir.Quelques-uns de ces végétaux ont une forme si sin-gulière, par exemple certains banisteria, qu'on nepeut pas les regarder sans étonnement. Quelquefoisle tronc autour duquel ces plantes se sont entortil-lées, meurt et tombe en poussière. L'on voit alors destiges colossales entrelacées les unes les autres en setenant debout, et l'on devine aisément la cause de cephénomène. 11 serait bien difficile de présenter fi-dèlement le tableau des forêts, car l'art restera tou-jours en arrière pour le dépeindre. »

Il y a dans les forêts du nouveau monde une har-monie parfaitement d'accord avec ce qui frappe lesregards ; comme tout est grand, imposant et majes-tueux, le chant des oiseaux ou le cri des divers ani-maux a quelque chose de sauvage et de mélancolique.Ces cadences brillantes et soutenues, ce gazouille-ment léger, ces modulations si vives et si gaies sefont entendre moins fréquemment que dans nos cli-mats ; ils sont remplacés par des chants plus graveset sùrtout plus mesurés. Tantôt c'est une voix quiimite le coup retentissant du marteau sur l'enclume,quelquefois les oreilles sont frappées d'un son quiressemble à ce bruit que font en se brisant les cordesd'un violon. Enfin, il existe dans les forêts des sonsétranges qui vous font tomber dans un profond éton-nement. Mais, souvent au coutelier du soleil, quand

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HARMONIES DES TROPIQUES. 29

les oiseaux ent cessé leurs chants, on entend auSommet des arbres les plus élevés un bruit quiremplirait d'épouvante si l'on ignorait ce qui lecause. Des murmures semblables à la voix humaineannoncent que les guaribas ' tiennent une de ces as-semblées qui ont lieu pour saluer l'astre du jour.Leurs accents prolongés de la manière la plus funè-bre ont fait croire à quelques hommes peu accoutu-més à réfléchir, que ces animaux rendaient un hom-mage à Satan et lui payaient un tribut qu'il exigeait.Ce chant a quelque chose d'imposant à l'heure où lejour finit, il agrandit la scène en la remplissant detristesse. Si le jaguar et le tigre noir poussent leursrugissements, ils remplissent la forêt d'un bruit ma-jestueux, mais qui fait naître l'inquiétude. Les ani-maux paisibles, en les entendant, se taisent tout àcoup, comme s'ils craignaient de mêler leurs voix àces accents de domination . Si le vent vient alors àsouffler avec plus de violence, qu'il agite la cime éle-vée des arbres, qu'il courbe en mugissant les pal-miers, qu'il mêle avec bruit leurs festons de lianes,qu'il s'engouffre dans les sombres profondeurs de cesforêts primitives, il en sort un murmure si funèbre,que l'admiration disparaît pour faire place à laterreur.

Parmi les grands végétaux qui sollicitent l'atten-tion du voyageur et qui font de la nature tropicale

i Simia Beelzebut.

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50 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

un spectacle tout à fait étrange pour l'Européen,nous choisirons les plus remarquables, soit au point.de vue de leur beauté et de leur grandeur. soit aupoint de vue des services que les indigènes saventinstinctivement leur demander. Ce dernier aspect.surtout sera d'une utilité profonde pour nous ; ilnous donnera une idée de la puissance et de la faci-lité avec lesquelles la nature procède dans ses oeu-vres, et par lesquelles elle sait varier les effets et lescauses, suppléer à toutes choses, renouveler sanscesse la face de la vie. Pour n'en présenter qu'unexemple en rapport direct avec les descriptions quisuivent, nous rappellerons que, si la plante et l'ani-mal sont l'alimentation de l'homme, cette alimenta-tion varie nécessairement suivant les contrées ; lors-qu'un certain mode de vie n'est plus possible à causedes climats et du sol, ce mode de vie change, et lavie n'est pas suspendue pour cci> : elle est le butsuprême des forces de la nature, et sa loi est de semanifester sous toutes les formes possibles. EnFrance, par exemple, et dans l'Europe septentrionale,les céréales, et les blés en particulier, sont notre painde chaque jour, l'orge et le maïs étendent son règne.Le vin, la bière, le cidre servent de boissons selonles contrées. Mais pour que le blé germe en épis, ilfaut qu'il gèle pendant l'hiver; sans cela il monte enherbe et reste infécond. Or, dans les pays chauds,il n'y a pas d'hiver ; les saisons, très-marquées auxlatitudes lointaines, s'effacent à mesure qu'on s'ap-

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LA PLANTE ET LÀ VIE. ' 35

proche . de l'équateur, et sous les tropiques, le blé, niaucune céréale ne saurait geler. Croirait-on que pourcela, ces régions seront inhabitables? Point du tout.Là où le blé ne germe plus, d'autres espèces végéta-les viennent le remplacer; le pain et le vin de chaquejour seront donnés par les fruits des arbres ; le laitdescendra d'une sévelactifère; les fruits de nos con-trées sel-Ont suppléés par les ,fruits d'un nouveauclimat. Clioisisons les types essentiels de ces végé--taux précieux, et si nous ne pouvons les visiter dansleur patrie, faisons-les du moins comparaître devantnous afin qu'ils nous racontent leur histoire.

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Arbre à pain à Tahiti.

CHAPITRE III

ARBRE A PAIN

Nous inaugurerons cette histoire en représentantcertains végétaux curieux qui remplissent, dans despays essentiellement différents du nôtre par leursol et leur climat, le rôle que remplissent chez nouscertaines espèces animales domestiques, ou cer-tains arts d'application quotidienne. Tels sont, parexemple, les arbres à lait, les arbres à pain, et ceuxqui gardent pour le voyageur une eau limpide ouquelque boisson fortifiante.

Le pain étant le premier aliment de chaque jour,

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ARBRES A PAIN.. •35.

nous parlerons d'abord d'une certaine espèce defiguier qui sert à la fois d'agriculteur, de moisson .-neur, de meunier et de boulanger pour nos anti- epodes de l'Océanie.

Les anciens aimaient à considérer la nature commeun être personnel distinct du monde, doué de raisonet de volonté, et parmi les titres dont ils la quali-fiaient, le nom de Mère universelle est celui que lespoètes ont le plus souvent et le plus chèrement célé-bré. Ce beau nom, sans doute, est justifié par l'ac-tion même de la nature sur tous les êtres vivants,bienveillance maternelle dont elle couvre tendre-ment ses enfants sans nombre auxquels incessam-ment elle ouvre les portes de l'existence. Sans doute,les rayons fécondants du soleil sur les coteaux bru-nis, la pluie bienfaisante sur les sillons et les prai-ries, le chaud tapis de neige que l'hiver étend surla terre glacée, la rosée du matin et la brume vapo-reuse du soir, ce sont là autant de formes de factionpermanente de la nature, disons même de l'atten-tion de l'universelle Providence. Mais outre cetteaction impartiale et sans préférence qui se rapporteindistinctement à toutes choses existantes, le voya-geur philosophe remarque parfois des exemples spé-ciaux qui peuvent mettre ce caractère mieux enévidence que l'examen général des lois abstraites dela nature.

Parmi ces exemples qui révèlent plus spéciale-ment cette face heureuse du grand Être, nous pré-

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LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

senterons l'arbre à pain découvert dans les îles del'Océanie. Cet arbre précieux est classé dans legenre des jaquiers (artocarpi), de la famille des fi-guiers; ses feuilles sont simples, entières ou décou-pées, et les fleurs très-petites, incomplètes; les unesmanquent (le corolle, les autres de calice. Toutesse développent sur le même arbre, à l'extrémité desrameaux.

Le véritable arbre à pain est le jaquier à feuillesdécoupées. Nous disons le véritable, car ce genrerenferme plusieurs autres espèces qui, malgré leurorganisation remarquable, ne jouissent pas des pro-priétés de la première. Ainsi, il y a le jaquier hélé-rophylle ses feuilles et ses fleurs sont plus petitesque dans les autres espèces, mais ses fruits sontpeut-ètre les plus gros qu'un arbre puisse porter ;ils sont quelquefois d'un tel poids, qu'un hommepeut à peine les soulever; ils sont couverts de tu-bercules courts, taillés en pointe de diamants ; ons'en nourrit et l'on en fait griller les noyaux comme(les châtaignes, mais la digestion en est difficile. Ily a encore le jaquier des hales, dont le tronc esttrès-gros, dont la cime rameuse est couverte d'unépais feuillage, et dont les fruits mesurent jusqu'à18 pouces de longueur sur 15 de large. Les voya-geurs ne sont pas d'accord sur ces qualités. Bheedeleur attribue une odeur et une saveur agréables.Commerson, au contraire, ne put se résoudre à enmettre un seul morceau dans sa bouche. « Des goûts

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• ARBRES A PAIN. 57

et des couleurs on rie dispute pas, » dit un pro-verbe fort souvent cité ; cependant on ne peut guèreexpliquer ces opinions extrêmes, à moins de croireque lesdits voyageurs, comme tant d'autres, hélas!ont parlé de choses qu'ils ne connaissaient pas. Unetroisième espèce, c'est le jaquier velu, le plus élevéde ceux de son genre. Son bois sert à la menuiserieet aux constructions navales. Les Indiens en creusentle tronc pour en faire des pirogues, dont quelques-unes mesurent 80 pieds de longueur sur 9 de lar-geur et servent à de longs yi4ages en mer.

Revenons à notre véritable arbre à pain. Les voya-ges dans l'Océanie l'ont rendu célèbre, et des expé-ditions furent entreprises, qui n'avaient d'autre butque l'acquisition de quelques pieds de ce végétal pré-cieux, pour en doter l'ancien et le nouveau monde.Nous rapporterons tout à l'heure la plus remarquablede ces expéditions. Voici les caractères distinctifs decetarbre

Le tronc est droit, de la grosseur du corps, ets'élève en décrivant quelques sinuosités à une hau-teur de 40 pieds environ ; sa cime, ample et arron-die, couvre de son ombre une étendue de 50 piedsde diamètre. Le bois est jaunâtre, mou et léger.Les feuilles, grandes, sont découpées en sept ouneuf lobes ; &est là un des caractères distinctifs del'espèce. Le même rameau porte les deux espèces defleurs.

Le fruit, ou le pain porté par cet arbre, est glo-

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38 LES VÉGÉTAUX ))IERVEILLEUX.

buleux, plus gros que les deux poings, raboteux àl'extérieur; ces rugosités affectent des formes géo-métriques ; ce sont ordinairement des hexagones etdes pentagones juxtaposés, et formant de petits trian-glà par leurs interstices. Sous la peau, qui estépaiSse, on trouve une pulpe qui, pendant le moisqui précède la maturité, est blanche, farineuse etun peu fibreuse; elle change, étant mûre, de cou-leur et de consistance, devient jaunâtre, succulenteou gélatineuse. L'île d'Otahiti, la plus fertile enarbres à pain, porte des arbres dont les fruitssont sans noyau; les autres îles de l'Océanie pro-duisent des variétés plus agreStes qUi contiennentdes noyaux anguleux presque aussi gros que deschâtaignes.. La vue dessinée en tête de ce chapire représente,sur le plan de droite, l'aspect de l'arbre à pain et deses fruits.

On récolte les fruits de cet arbre pendant huitmois consécutifs. Les insulaires s'en nourrissentcomme nous faisons de notre pain fabriqué, c'estleur aliment journalier, et la nature le leur fournit,comme on voit, sans qu'il leur soit nécessaire delabourer, de semer, de moissonner, de battre, demoudre, de pétrir. Pour manger leur pain frais, ilschoisissent le degré de maturité où la pulpe est fari•rieuse, ce que l'on reconnaît par la couleur de l'é-corce. La préparation qu'on leur fait subir consisteà les couper en tranches épaisses que l'on fait cuire

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sur un feu de charbon. — On se rappelle que leurgrosseur égale à peu près celle de deux poings : ilsressemblent un peu aux pains anglais d'une livre,qu'affectionnent particulièrement nos voisins d'ou-tre-Manche. Au lieu de les faire cuire sur le char-bon, on les met aussi au four chauffé comme nous lefaisons pour notre pâte, et on les y laisse jusqu'à ccque l'écorce commence à noircir. On racle ensuite lapartie charbonnée : c'est du pain trop grillé dont onenlève l'excédant. L'intérieur est blanc, prêt à l'ali-mentation, tendre comme de la mie de pain frais,d'un goût peu différent de celui du pain de froment,avec un léger mélange de celui du coeur d'artichaut.Comme il leur faut naturellement du pain pour tousles jours, et que l'arbre n'en produit que pour lesdeux tiers de l'année, les Océaniens profitent de l'é-poque où les fruits sont pluS abondants qu'il nefaut pour la consommation journalière, et de l'excé-dant ils préparent une pâte qui fermente et qui peutêtre conservée très-longtemps sans subir d'altérationacide. Pendant les quatre mois du repos des arbres,on se nourrit de cette pâte que l'on fait cuire aufour.

Nous donnerons maintenant la relation de l'expé-dition anglaise commandée par le capitaine Bligh,destinée à aller chercher l'arbre à pain d'Otahitipour en planter les colonies tropicales de la Grande --Bretagne et servir à la nourriture des esclaves. Cevoyage mérite ici une mention particulière

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LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

Les récits de Bougainville, de Cook et d'autresexplorateurs, avaient donné la plus haute opiniondes avantages qui résulteraient de la culture del'arbre à pain. Les colons anglais demandèrent àleur gouvernement cet arbre merveilleux ; celui-ciaccéda, et prépara un excellent vaisseau de '250tonneaux, sous le commandement de M. Bligh, alorssimple lieutenant, et qui devint plus tard amiralde la Grande-Bretagne. Le commandant était bienchoisi, ayant accompagné Cook dans ses voyageset donné preuve, maintes fois, de talents et de bra-voure. Partie en 1787, dix mois après son départl'expédition abordait à Otahiti. Les insulaires l'ac-cueillirent avec empressement ; plus de mille piedsd'arbres à pain furent mis dans des pots et descaisses, et embarqués avec une provision d'eau suf-fisante pour les arroser. Cinq mois plus tard onvoguait en pleine mer pour le retour. Mais malgréles plus heureux auspices dont l'expédition jusqu'a-lors avait paru protégée, elle devait avoir un dénoù-ment fatal. C'est là un de ces exemples heureusementrares de la révolte d'un équipage et de la positiondésespérée d'un capitaine livré à la merci d'unpeuple d'aventuriers au milieu des flots muets.Vingt-deux jours après le départ, la majeure partiede l'équipage ayant tramé contre le commandant lecomplot le plus Melle, s'emparèrent de Bligh pen-dant son sommeil, ainsi que de dix-huit amis quilui étaient restés fidèles. Ils les mirent dans une

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ARBRES A PAIN. 41

.chaloupe avec quelques vivres et - des instruments,les laissèrent isolés au milieu de l'Océan et montè-rent sur le vaisseau, qui bientôt se perdit hors devue à l'horizon inaccessible. Bligh et ses compagnonsfirent preuve, au milieu de leurs fatigues et de leurssouffrances, d'un courage surhumain. Un seul suc-comba à la fatigue. Ils abordèrent Ceupan, dans l'îlede Timor, après douze cents lieues de navigation enchaloupe. Le gouverneur hollandais les reçut avecintérêt, et bientôt douze d'entre eux furent en étatde se rendre en Europe. Bligh obtint justice enAngleterre, fut bientôt promu au grade de capitaineet chargé d'une nouvelle expédition plus considé-rable. Celle-ci réussit à souhait, et deux ans aprèsles deux vaisseaux de l'expédition jetaient l'ancre,ayant à bord 1 ,200 pieds d'arbres à pain et sansavoir perdu un seul homme de leurs équipages.

Les esclaves ne se montrèrent pas aussi bien dis-posés qu'on le supposait à accepter ce fruit commenourriture ; les Européens diffèrent des nègres ; etceux-ci préfèrent toujours la banane. Ir faut direqu'ils se nourrissent de ce fruit sans lui faire subirgrande préparation, tandis que les colons anglaispréparent le.pain du jaquier de diverses manières,suivant les savants préceptes de la cuisine an-glaise.

Les vieillards de Tahiti attribuent l'origine de l'ar-bre à pain à une légende touchante.

Dans un moment de grande disette, un père mena

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LES YEGETAI 7 X MERVEILLEUX.

sur les montagnes ses nombreux enfants et leur dit :« Vous allez m'enterrer à cette place, puis vousviendrez me retrouver demain. »

Les enfants obéirent, puis étant revenus le lende-main ainsi que cela leur avait été commandé, ils fu-rent très-surpris de voir que le corps de leur pères'était métamorphosé en un grand arbre. Ses doigtsde pieds s'étaient allongés pour former des racines :son corps, fort et robuste jadis, constituait le tronc :ses bras tendus s'étaient changés en branches et sesmains en feuilles. Sa tête chauve enfin était rem-placée par un fruit succulent.

Cette légende nous rappelle le septième cercle del'Enfer de Dante, où les àmes qui furent violentessur la terre se voient sous la forme d'arbres vivantsdont les membres se tordent comme les branchesd'arbres desséchés. Mais peut-être préférons-nous lalégende naïve des lies primitives à ces imaginationsd'outre-tombe. Là c'est le règne des vivants, tandisqu'ici c'est le règne des mort*

LES ARBRES A LAIT

Dès la découverte du nouveau monde par Colomb,les explorateurs s'empressèrent de faire intime con-naissance avec les nouveaux pays qui s'ouvrirent de-vant eux, et ne tardèrent pas à rapporter en Europe

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ARBRES A LAIT. 43

la description des espèces vivantes, animales ou vé-gétales. Si l'on voulait ajouter foi aux relations mer-veilleuses de ces premiers temps, depuis Marco Polojusqu'à Magellan, on pourrait, avec le Livre des merveilles, trouver des hommes à tète de chien et dessapins parlants ; mais ce n'est pas de ces merveillesfabuleuses que nous devons nous entretenir ici. Ils'agit des espèces naturelles décrites dès ces pre-miers voyages. Dès 1505, on entend déjà parler dessarigues, des picaris, singes à queue prenante; dumaïs et du manioc, plantes précieuses pour l'alimen-tation, du mancenillier, plante perfide, des bambouset des palmiers, arbres majestueux et pleins d'élé-gance, des cactus-raquettes et des cierges épineux,végétaux à la forme bizarre.

Cependant quelques espèces, et des plus rares, fu-rent longtemps oubliées, quoiqu'elles appartinssentaux premières contrées découvertes et quoiqu'elleseussent dù attirer rattention par les caractères spé-ciaux qui les distinguent. De ce nombre est l'arbreà lait, dont nous donnons un petit dessin (page 44).

Cet arbre, nommé par les voyageurs halo (le vaca,arbre de la vache, est l'un des plus remarquables del'Amérique équinoxiale, et cependant l'Europe igno-rait encore son existence au commencement de notresiècle. C'est le 1" mars 1800 que MM. de Hum-boldt et Bonpland eurent occasion de l'observer à laferme de Bàrbula, dans leur expédition aux valléesd'Aragua.

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44 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

Un ancien écrivain, Lad, en avait dit quelquesmots dans son Nards orbis : « Dans la province deCumana, avait-il écrit, il y a des arbres qui, lorsqu'onentame leur écorce, laissent couler une résine aro-matique, d'autres un suc qui ressemble à du lait coa-gulé, qui peut être pris comme aliment. » Cetteindication unique était, comme on voit, fort incom-

Arbre de la vache.

piète, jusqu'au jour où M. de Humboldt donna lesrelations que nous allons résumer.

« En revenant de Porto Cabello, nous nous arrê-tàmes de nouveau à la plantation de Barbula. Nousavions entendu parler depuis plusieurs semaines d'unarbre dont le stic est un lait nourrissant. On Pap-pelle palo de vaca, et on nous assurait que les nègresde la ferme, qui boivent abondamment de ce lait vé-gétal, le regardent comme un aliment salutaire.

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ARBRES A LAIT. 45

Tous les sucs laiteux des plantes étant âcres, amers etplus ou moins vénéneux, cette assertion nous paruttrès-extraordinaire. L'expérience . nous a prouvé qu'onne nous avait point exagéré les vertus du halo de vaca.Lorsqu'on fait des incisions dans le tronc de cet ar-bre, il donne un lait gluant, assez épais, dépourvude toute àcreté, et qui exhale une odeur de baumetrès-agréable. On nous en présenta dans des cale-basses; nous en bûmes (les quantités considérables,le soir avant de nous coucher, et de grand matin,sans éprouver aucun effet nuisible. La viscosité dece lait le rend seul un peu désagréable. Les nègreset les gens libres qui travaillent dans les plantationsle boivent en y trempant des gâteaux de maïs et dela cassave. Le majordome de la ferme nous assuraque les esclaves engraissent sensiblement pendant lasaison où le halo de vaca leur fournit le plus delait.

« Parmi le grand nombre de phénomènes curieuxqui se sont présentés à moi dans mon voyage, ajoutele savant voyageur, il y en a peu dont mon imagina-tion ait été si vivement frappée que de l'aspect del'arbre de la vache. Tout ce qui a rapport au lait,tout ce qui regarde les céréales, nous inspire un in-térèt qui n'est pas uniquement celui de la connais-sance physique des choses, mais qui se lie à un au-tre ordre d'idées et de sentiments. Nous avons dela peine à croire que l'espèce humaine puisse existersans substances farineuses, sans le suc nourricier que

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46 LES VEGÉTAUX MERVEILLEUX.

renferme le sein de la mère, et qui est approprié àla longue faiblesse de l'enfant. La matière farineusese trouve non-seulement répandue dans la graine,mais déposée dans beaucoup de racines', et mêmedispersée entre les fibres ligneuses de certainsfronce.. Quant au lait, nous sommes portés à le con-sidérer comme exclusivement produit par l'organisa-tion animale. Telles sont les impressions que nousavons reçues dès notre première enfance, telle estaussi la source de l'étonnement qui nous saisit à l'as-pect de l'arbre dont nous parlons.

« Sur le flanc aride d'un rocher, croît un arbredont les feuilles sont sèches et coriaces ; ses grossesracines pénètrent à peine dans la terre. Pendant plu-sieurs mois de l'année, pas une ondée n'arrose sonfeuillage; les branches paraissent mortes et dessé-chées; mais lorsqu'on perce le tronc, il en découle unlait doux et nourrissant. C'est au lever du soleil quela source végétale est le plus abondante. On voitalors arriver de toutes parts les noirs et les indigènesmunis de grandes jattes pour recevoir le lait, quijaunit et s'épaissit à la surface. Les uns vident leursjattes sous l'arbre, d'autres les portent à leurs en-fants. On croit voir la famille d'un pâtre qui distri-bue le lait de son troupeau. »

' Surtout dans les rentlemenis ou tubercules, comme dans la pommede terre, de patate, l'igname, le manioc, etc.

2 Dans le tronc de certains palmiers des! Indes qui foUrnissent lesagou, et de quelques palmiers américains qui fournissent un alimentaux tribus sauvages de la Guyane.

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ARBRES A LAIT. 47

Ne trouvez-vous pas un caractère singulier à ce ta-bleau d'une vie lointaine, si différente de la nôtredans ses aspects généraux et par la race des indigè-nes, et qui pourtant offre ce côté de ressemblancedans les usages de la vie domestique?

Les plantes lactescentes appartiennent surtout auxtrois familles des euphorbiacées, des orticées et desapocynées ; mais, dans presque toutes, à l'émulsionlaiteuse se trouvent mêlés des principes âcres ou dé-létères dont le suc du palo de vara est exempt. Ce-pendant, les genres euphorbia et asclépias offraientdéjà des espèces dont le suc est doux et innocent.Ainsi, aux Canaries, se trouve le tabaïba (euphorbebalsamique) dont Pline nous parlait déjà sous le nomde férula, comme donnant, quand on la presse, uneliqueur agréable au goût ; à Ceylan, se trouve l'asclé-pias lactifère, dont le lait est employé à défaut delait de vache. Busman raconte que l'on fait cuireavec ses feuilles les aliments que l'on prépare ordi-nairement avec du lait animal.

Ce lait végétal naturel dont nous parlons offre enoutre d'autres points d'affinité et de ressemblanceavec le lait animal. Ainsi, abandonné à l'air libre, ilne tarde pas à se couvrir d'une membrane résistantesemblable à la pellicule qui recouvre le lait qui vientde bouillir. Cette membrane devient bientôt assezépaisse et on l'écrème pour la garder séparément sousle nom même de fromage, que l'on conserve pendantune semaine.

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48 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

Quoique plusieurs espèces (le végétaux lactifèresfournissent du caoutchouc, ce lait n'en renferme pasde trace, et l'élasticité des fromages dont nous ve-nons (le parler n'est pas différente de l'élasticité denos fromages. L'analyse chimique de ce lait montre enlui une grande analogie avec le lait animal ; le beurrey est remplacé par une cire fort belle et très-abon-dante, car elle forme la moitié en poids du suc, lecaséum, par une substance animalisée qui a beau-coup de rapport avec la fibrine du sang, et le sérum,par un liquide aqueux contenant un peu de sucre etun peu de sel de magnésie.

Sur le feu le lait végétal se comporte comme lelait animal. Une pellicule formée à la surface s'op-pose au dégagement, le lait s'enfle et monte, ten-dant à se répandre au dehors du vase qui le renferme.Si l'on enlève cette pellicule à mesure qu'elle seforme et qu'on maintienne l'action d'une douce cha-leur, le suc prend la consistance de la frangipane ;puis on voit apparaître à la surface des gouttes hui-leuses comme celles qui se montrent à la surface dela crème tenue trop longtemps au feu. 11 arrive à lafin que cette partie grasse baigne entièrement lecaillot fibreux, lequel répand alors exactement l'o-deur du rôti.

Cet arbre se trouve principalement dans la valléede Caucagua, dans les Cordillères du littoral, et auxenvirons de Valence. A Caucagua, les indigènes lenomment cobol de leche (arbre à lait), et prétendent

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ARBRES A LAIT. 49

reconnaître à la couleur et à l'épaisseur du feuillageles troncs qui renferment le plus de séve, comme lepâtre distingue à des signes extérieurs une bonnevache laitière. •

On a classé ces arbres parmi les figuiers urlice's, eton l'a nommé Brosinum galactodetidron. -

En 1829, le voyageur Smith, parcourant les boisde la Guyane, cherchait partout l'arbre dont M. deHumboldt avait donné une si curieuse description,et s'adressait à tous les guides pour avoir des nou-velles d'un arbre à lait quelconque. Il avait bien ren-contré des végétaux lactescents, mais la saveur âprede leur séve n'avait pas grand rapport avec le lait, etla métaphore n'eût pas été fondée. Enfin, se trouvantun'jour dans un petit village indien, situé près despremiers rapides du Demerary, il entendit parlerd'un arbre nommé hya-hya,. dont le lait, disait-on,était agréable au goût et nourrissant. Empressé devérifier le fait, le voyageur envoya un Indien à la re-cherche d'un de ces arbres.

L'Indien s'était non-seulement acquitté de la com-mission de son maître, mais il avait encore abattul'arbre, et celui-ci était tombé au travers d'un ruis-seau, qu'il blanchissait par son lait. Un couteau en-foncé dans l'écorce fit immédiatement jaillir unlarge filet auquel l'Indien colla ses lèvres. M. Smithbut après lui et trouva le lait excellent; il était, dit-il, plus épais et plus riche que le lait de vache,. entiè-rement exempt d'âcreté ; tout ce qu'il avait d'un peu

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•50 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

déplaisant,e' était de laisser les lèvres un peu collantes.— « Comme je passai la nuit dans le village, ajoutele narrateur, je pus le lendemain avoir pour moncafé une tasse de ce lait, qui remplaçait si bien lelait de vache, que personne n'en eùt pu faire la dif-férence, car cette légère viscosité que je lui avaistrouvée en le goûtant ne se faisait plus sentir dansle mélange. »

Le lait coule plus abondamment si on l'entametransversalement ou obliquement que si l'entailleest longitudinale. L'écorce du hya-hya est grisâtre,légèrement rude, et épaisse de G à 7 millimètresil faut la traverser complétement pour faire sortir lelait. Cet arbre est bien différent du pala de vaca,ses feuilles sont elliptiques et disposées par couples.La composition chimique de son lait diffère égale-ment de celle du lait de l'arbre précédent; il estmoins nourrissant.

On a classé cet arbre dans le genre Taberna; mou-!ana, dont une espèce, le Taberna echinata deCayenne, était déjà indiquée comme fournissant unsuc laiteux.

Outre ces deux espèces remarquables d'arbres àlait appartenant à l'Amérique, on a étudié dans leport de Pera, où tant de vaisseaux européens vien-nent jeter l'ancre, un arbre à lait, non moins remar-quable, désigné chez les Indiens sous le nom desaranduba. C'est un des plus grands arbres des forêtsdu Brésil ; il fournit un bois très-recherché par les

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ARBRES A LAIT. 51

constructeurs de navires. Il fleurit en février etdonne un fruit délicieux, dont le goût rappelle ce-lui des fraises assaisonnées à la crème. Une incisiondans le tronc fait jaillir un lait blanc parfaitementliquide, d'un goût agréable et sans odeur. Les indi-gènes s'en nourrissent habituellement. L'état-majorde l'équipage le Chanticleer, dont le chirurgien,Webster, fit le premier connaître le masaranduba,l'employa constamment pendant son séjour, commedu lait ordinaire, dans le thé et le café.

Cet arbre est très-élevé ; son écorce est d'un brunfoncé ; ses feuilles sont grandes et ovales.

L'équipage ayant conservé de ce lait en des bou-teilles bouchées, au bout de deux mois il s'était sé-paré en deux parties, l'une liquide, opaline et d'o-deur légèrement aigre ; l'autre, solide, blanche,insipide , insoluble dans l'eau et dans l'alcool ,fondant à 70°. Cette substance brûle en donnant uneflamme verte et brillante ; elle paraît composée engrande partie de cire et ne pas contenir la matièreanimalisée, qui est si abondante dans le caillot duimbu (le vaca.

L'arbre qui portait le lait, que nous venons de dé-crire, est le Galactodendron dulce, de la famille dufiguier. Mais l'on connaît dans la montagne du lit-toral plusieurs arbres qui donnent un suc laiteux etque l'on confond souvent avec celui-ci. Par exemple,dans les envirous de Macaraïbo, le Clusia galactoden-dron laisse couler avec abondance une séve lactes-

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LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

tente très-agréable ; toutefois, ce lait ne parait pasrenfermer autant de matière animalisée ; du moinsil ne se purifie pas sensiblement, et à la place de lamatière cireuse, on observe une substance moinsfusible, et qui, par sa nature, se rapproche desrésines.

On rencontre dans les mêmes régions du globel'Hura crepitans, dont la séve laiteuse renferme aussiune matière azotée qui est analogue au gluten ; maisce suc contient une base alcaline cristallisable qui larend résineuse ; on s'en sert en Amérique pour pê-cher en empoisonnant les cours d'eau.

Dans un voyage à travers l'Amérique du Sud,terminé en 1860, M. Paul Marcoy s'arrêta près del'un de ces arbres, en visitant l'Ucayali et les In-diens Cocamas. « J'eus une envie irrisistible, dit-il,d'entailler le tronc d'un sandi et de faire couler saséve. J'allai prendre dans la pirogue une hacheet une calebasse , et je choisis le plus robustedes lactifères. L'arbre, frappé au coeur, gémitcomme celui de la forêt du Tasse; la séve apparutaux lèvres de sa blessure, en tomba d'abord goutteà goutte, puis, coulant bientôt sans interruption,s'épancha jusqu'à terre, où sa blancheur contrastavivement avec le rouge brun du sol et le vert ve-louté des mousses. Un instant je m'amusai de cetteopposition de teintes ; puis j'appliquai ma calebasseau bord de la plaie du sandi, et, recueillant sa sévelactée, j'en bus quelques gorgées. •

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Le lait du sandi chez les Indiens Cocaina›.

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ARBRES A LAIT. 55

« Ce lait gras, épais et d'une blancheur de céruseau sortir de l'arbre, jaunit promptement •à l'air etse coagule au bout de quelques heures. D'abordtrès-sucré au goût,'-il ne tarde pas 'à laisser dans labouche une saveur amère et désagréable. Les pré-tendus effets d'ivresse et de sommeil qu'on lui attri-bue n'ont jamais existé que dans l'imagination desgens épris du merveilleux. Plusieurs fois il nous estarrivé d'en boire, mais sans remarquer que notrecerveau fût surexcité, notre raison troublée, et quele besoin de dormir se fît sentir chez nous. Tout ceque nous pouvons dire de ce liquide, qui nous répu- •gna toujours un peu, et dont nous ne bûmes jamaisque pour expérimenter sur nous-mêmes les diverseffets qu'on lui attribue, c'est que sa viscosité sin-gulière, comparable à une forte dissolution degomme arabique, nous obligeait, chaque fois quenous en goûtions, à nous laver immédiatement àgrande eau pour débarrasser nos lèvres d'une gluqui menaçait de les clore à jamais.

« Quant aux qualités nutritives de ce lait végétal,que la nature, comme la vache rousse du poêle, dis-pense de ses généreuses mamelles aux indigènes duVénézuela, si l'on en croit Humboldt et A. de Jus-sieu, nous ne pouvons que féliciter les habitants decette contrée d'avoir toujours à portée de leur boucheun pareil aliment. Si les riverains de la plaine du'Sacrement; moins civilisés que les Vénézualanos,n'usent pas encore de ce lait pour fortifier leur es-

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LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

tomac, ils s'en servent depuis longtemps pour rac-commoder leurs pirogues. A la séve liquide dusandi ils mêlent du noir de fumée et obtiennent parle mélange et la coagulation de ces ingrédients uneespèce de brai qu'ils emploient au calfatage de leursembarcations. La pharmacopée locale, en reconnais-sant au sandi des qualités Ws-astringentes, lui adonné place dans son codex et l'administre avec suc-cès dans les cas de ténesme et de dyssenterie. C'esten souvenir de la chose et par égard pour les savants . -d'Europe et les apothicaires que nous versatiles au-trefois dans le creux d'un bambou, pour le sou-mettre plus tard à leur analyse, un demi-litre de celait végétal, lequel entré dans le tube à l'état li-quide, en sortit quinze jours après à l'état solide, etpareil pour la couleur et la serai-transparence à unbaton de colophane ou de sucre candi.

« Au moment de tourner le dos au sandi blessé,dont la séve coulait toujours en abondance, je mesentis pris de pitié pour le malheureux végétal, et jebouchai sa plaie avec un peu de terre humide, ensouhaitant tout lias qu'elle pût remplacer pour luil'onguent de Saint-Fiacre dont se servent les jardi-niers pour panser les blessures qu'ils font auxarbres. »

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MANNE: 57

ARBRE A MANNE

Au mois d'août, époque des grandes chaleurs, oùla séve est le plus abondante, on tire de cet arbreune substance nutritive et d'un goût un peu âpre,qui, sécrétée naturellement par le végétal, lui a faitdonner le nom qui rappelle l'alimentation miracu-leuse des Hébreux dans le désert. La manne est unesubstance liquide et limpide comme un filet d'eau;elle s'échappe ainsi de l'arbre qui lui donne nais-sance, lorsque, à dater du milieu d'août, on fait uneincision qui en traverse l'écorce. Généralement oncommence au pied de l'arbre, et jour par jour, onfait une nouvelle incision de deux pouces en deuxpouces jusqu'aux branches inférieures ; ces incisions,faites avec une serpette ou un ciseau de menuisier,ont deux pouces de largeur horizontale, et environun demi-pouce de profondeur.

Pendant la première époque, cette séve abondantecoule comme un filet liquide ; au bout d'un mois, onremarque déjà qu'elle devient plus épaisse, pluslente, et sort difficilement. La saison pluvieuse in-terrompt la récolte ; vers la fin de septembre, la dia-'leur du jour n'est déjà plus assez puissante pourfaire monter la séve, qui se refoule au pied de l'ar-bre.

La manne perd peu à peu la saveur un peu amère

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LES VÉGÉTAUX. 31E1IVLILLEUX.

qu'elle possède au moment où on la tire de l'écorce;ses parties aqueuses se sont évaporées ; il lui restemême un goût assez fade qui n'a rien d'appétissant.

Cet arbre est classé parmi les variétés du frênecommun (Fraxinus ornas). Il est originaire de laSicile et du midi de l'Italie. Sa hauteur normale estde 30 pieds ; à première vue, on le prendrait pourun jeune orme, mais l'aspect des feuilles montre bien-tôt son espèce. On compte trois variétés de cet arbre :sur la première les feuilles sont longues et droitescomme celles du pêcher; sur la seconde elles ressem-blent à celles du rosier ; les feuilles de la troisièmeparticipent aux caractères de l'une et de l'autre.

La manne de Calabre est très-estimée, et la plusrenommée du pays est celle que produisent les jar-dins d'CEnotrie. Une tradition populaire raconte queles rois de Naples ayant voulu enclore ces jardins etsoumettre à un impôt la récolte de la manne, celle-citarit tout à coup, comme si les arbres eussent étésoudain frappés (le stérilité, et elle ne revint qu'a-près la suppression de l'impôt injustement établi.

L'ARBRE DU VOYAGEUR

(M'allia speciosa.

C'est surtout à Madagascar que l'on rencontre cetteespèce (le palmier parmi les raffiaS aux feuilles fon-cées, de 5 mètres de long, dont les indigènes font

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L'arbre du voyageur.

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L'ARBRE DU VOYAGEUR. 61

si grand prix. Ils croissent dans .l'intérieur desterres plus favorablement que sur la côte, et leuraspect produit une diversité agréable au milieu desbambous aux touffes délicates.

Les voyageurs se sont généralement accordés dansles témoignages de sympathie qu'ils ont donnés àcet arbre, par suite desquels FUI-allia speciosa vitchanger son nom pour un titre plus amical. Les des-criptions rapportent, en effet., que ce végétal croîtprincipalement dans les régions où l'eau manque, etqu'il est revêtu de la propriété fort utile de garderaux voyageurs une eau limpide et rafraîchissante.Ses grandes et larges feuilles recourbées, adhérantau tronc principal, forment une cavité végétale oùl'eau peut s'amasser et séjourner, et les passantspeuvent s'y désaltérer. Ce fait, pour être fort accep-table, n'a pourtant pas reçu d'unanimes adhésions.Madame Ida Pfeiffe•, qui fit trois fois le tour dumonde, n'a pu vérifier l'exactitude de cette asser-tion ; elle rapporte même que les naturels du paysne sont pas du même avis, et qu'ils prétendent quece palmier ne vient que sur un sol humide. Cetteîle, si vaste et si riche de Madagascar, n'est pas en-core suffisamment explorée pour que les botanistespuissent dire leur dernier mot à l'égard de ses pro-ductions végétalw.

Les palmiers raflas, dont nous parlions tout àl'heure, sont plus élégants que les précédents; leurslongues feuilles se recourbent en ornements et au

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62 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

sommet de ces colonnes végétales, qui ressemblentaux piliers d'un édifice, retombent en arabesquesrecourbées. En observant cet arrangement et en sesouvenant des édifices d'Orient, on est involontaire-ment porté à croire que cette architecture végétalea fourni le type original des colonnes byzantines ;l'harmonie de ce temple naturel semble inviter lespensées au recueillement et à la prière, mieux peut-être que les arceaux de pierre qui viennent se joindrehermétiquement sur nos têtes et arrêter l'essor desâmes sous la voûte des basiliques immobiles.

L'ARBRE SAINT DE L'ILE DE FER

Au plus haut du pays, sont des' arbres qui tou-jours dégouttent eau belle et claire qui chet en fos-settes auprès des arbres, la meilleure pour boirequ'on ne sauroit trouver. » Ainsi s'expriment leshistoriens de la Conquête des Canaries, au sujet del'arbre saint de l'île de Fer.

Cardan l'a mentrônné comme une merveille végé-tale, se plaisant à voir en lui, aussi bien et mieuxqu'en toutes choses, un phénomène quelque peu ma-gique. Le chancelier Bacon s'en est de même occupédans son Novum organum; mais,tie sachant com-ment expliquer le genre de distillation qu'il présen-tait, il prit le parti de tout nier, jusqu'à l'existencemême de cet arbre.

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ARBRES A EAU. 65

Abren-Galindo, qui voulut examiner par lui-mèmecet arbre extraordinaire, en a donné la description.Son tronc a •2 palmes de circonférence, 4 de dia-mètre, et 50 ou 40 pieds de hauteur. La tête, quiest ronde, a '120 pieds de tour. Les branches sonttrès-ouvertes et touffues ; son fruit ressemble à ungland avec son capuchon. Il ne se dépouille jamaisde ses feuilles, c'est-à-dire que la feuille sèche netombe que quand la jeune est formée, et cette feuilleest, comme celle du laurier, dure et luisante, maisplus grande, courbée et assez large. Il y a tout au-tour de .l'arbre une grande ronce qui entoure aussiplusieurs de ses rameaux ; et aux environs sont quel-ques hètres, des landiers et des buissons.

Chaque jour, dans la matinée, des vapeurs et desnuages s'élèvent de la mer. Ils sont portés par levent d'est, qui est le plus fréquent de cet endroit,contre les roches qui les retiennent. Ces vapeurs

. s'amoncellent sur l'arbre, qui les absorbe, et coulenten eau, goutte à goutte, sur ses feuilles polies. Lagrande ronce; les hêtres, les landiers et les arbustesqui sont autour distillent de la même manière. Plusle vent d'est règne, plus la récolte d'eau est abon-dante ; on ramasse alors plus de vingt firts d'eaudouce. Un homme qui garde l'arbre en fait la distri-bution aux habitants.

Cet arbre a plus d'importance encore que de sin-gularité, car sans lui, l'île manquerait à peu prèsd'eau potable. On dit que, faute d'eau, les bestiaux

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y sucent, pour se désaltérer, les racines d'une plantenommée gamone, qui parait être l'asphodèle, etqu'ils boivent même de l'eau de mer. Popper rap-porte que lorsque les Européens se présentèrent pourfaire la conquête de l'ile, les indigènes avaient. en-touré l'arbre , saint d'une barrière de branchages,afin qu'il ne fût pas remarqué des étrangers. LesEuropéens se fussent retirés, si une femme n'avaitrévélé à un soldat ',français le secret de l'arbre et saposition.

L'arbre saint dont ont parlé les historiens de laconquête, n'existe plus aujourd'hui ; un ouragan l'adéraciné au dix-septième siècle, et procès-verbal futdressé de ce malheur public ; mais les indigènesn'eurent pas l'industrie de reproduire l'arbre pré-cieux, soit par graine, soit par bouture. Il appartientà la famille des lauriers. Ilory de Saint-Vincent l'anommé Laures indica, le docteur Roulin, Laures'Cacus. Les indigènes le nomment garvé. Des scep-tiques ont prétendu que cet arbre n'avait pas mêmeexisté ; mais il n'offre, en résumé, rien d'inaccep-table. D'autres végétaux remplissent un rôle ana-logue. On peut même dire qu'en général les arbresagissent comme de véritables alambics, distillant parleur action réfrigérante les vapeurs contenues dansl'atmosphère. C'est là tout le secret de l'arbre mer-veilleux. Aujourd'hui encore, les pàtres se procurentde l'eau potable en creusant au pied des troncs decertains arbres, de même qu'en basse mer il suffit de

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ARBRES A EAU. - 67

creuser un trou dans le sable pour avoir autant d'eau• qu'on en désire; au pied des arbres, une eau distilléedemeure, et lorsqu'on a formé une ouverture, cetteeau provenant de la rosée-et des brouillards ne tardepas à les remplir.

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Le palmier.

CHAPITRE IV

LES PALMIERS, LE DATTIER

Après les arbres qui précèdent, plus curieux queremarquables par leur importance, il est de droitd'ouvrir notre description du monde végétal par l'il-lustre et antique famille des palmiers.

La dynastie des palmiers, pour nous servir d'uneexpression de Linné, règne sur les contrées tropi-cales de la terre et se place au premier rang desvégétaux. Cette suprématie leur est acquise par leurrichesse, leur beauté et leur élégance, et plus encorepar l'importance des services qu'ils rendent aux ha-

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LE DATTIER. 60

bitants des tropiques. Les palmiers se chargent eneffet de subvenir aux besoins de l'existence, fournis-sent le pain, l'huile et le vin, et, par surcroît, lesvètements, les objets usuels et jusqu'aux matériauxde `construction.

Par leur forme, leur aspect, aussi bien que parleur structure, ces végétaux diffèrent essentiellementde ceux de nos contrées. Une seule tige, droite etsvelte, s'élève à la hauteur de 15, 20 et 25 mètresau-dessus du sol ; complétement nue, aucune feuille,aucune branche ne se montre dans toute sa hau-teur; au sommet seulement, un immense panache,formé de longues feuilles composées, que tout lemonde connaît -sens le nom de palme, couronnela colonne végétale; la longueur de cette touffe peutatteindre de. 5 à 4 mètres; c'est à la naissance deces longues feuilles que se montrent les fruits dupalmier. Cette description sommaire se rapporteprincipalement au dattier, que l'on a nommé le princedes palmiers, et, par extension, le prince du règnevégétal. Originaire de l'Arabie et de l'Afrique sep-. tentrionale, le dattier est l'arbre par excellence desoasis. Par son ombrage rafraîchissant, par son fruit,par son lait, par son utilité générale, il s'est assuréla sympathie des voyageurs, aussi bien que l'affectiondes indigènes.

Le dattier, dit M. Ch. Martins, est l'arbre nour-ricier du désert ; c'est là seulement qu'il mûrit sesfruits : sans lui le Sahara serait inhabitable et inha-

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hité. La poésie arabe en a fait un être animé créépar Dieu le sixième jour, eu même temps quel'homme. Pour exprimer à quelles conditions il pro-spère, l'imagination des Sahariens exagère le vraiafin de le rendre plus palpable. « Ce roi des oasis,« disent-ils, doit plonger ses pieds dans l'eau et sa« tète dans le feu du ciel. » La science consacrecette affirmation, car il faut une somme de chaleurde 5100°, accumulée pendant huit mois, pour que ledattier mûrisse parfaitement ses fruits. La somme dechaleur est-elle moindre, les fruits nouent, mais ilsgrossissent à peine, restent âpres au goût et privésde la fécule et du sucre qui en constituent les pro-priétés nutritives.

Le climat du Sahara réalise ces conditions, ajoutele savant botaniste. La température moyenne de l'an-née doit être de 20 à 24", suivant les localités. Leschaleurs commencent en avril et ne cessent qu'en oc-tobre. Pendant l'été, le thermomètre atteint souvent-15° et même 52° à l'ombre ; &est ce que l'on observa,par exemple, le 15 août 1859 et le 17 juillet 1865 àTougourt. L'hiver est relativement froid... Les dat-tiers supportent parfaitement un froid nocturne secet passager de 6° au-dessous de 0, et une chaleurde 50°. Le sable du désert, qui rayonne beaucoup,se refroidit plus que l'air et conserve à quelques dé-cimètres de profondeur une certaine fraîcheur qui secommunique aux racines des arbres. Les pluies sontrares dans le Sahara; elles tombent en hiver et pro-

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LE DATTIER ET SON FRUIT. 71

voguent le réveil de la végétation desséchée par leschaleurs de l'été. Quelquefois elles sont torrentielles,mais de courte durée. A Tougourt et à Ouargla, desannées entières se passent sans qu'il tombe unegoutte d'eau. Comprend-on maintenant la reconnais-sance des Arabes pour l'arbre aux fruits sucrés quiprospère dans le sable, arrosé par des eaux saumàtresmortelles à la plupart des végétaux, restant vertquand tout se torréfie autour de lui sous les rayonsd'un soleil implacable, résistant aux vents qui cour-bent jusqu'à terre sa cime flexible, mais ne sauraientni rompre son stipe, composé de fibres entrelacées, nidéraciner sa souche, retenue par des milliers de raci-nes adventives qui, descendant du tronc vers la terre,le lient invariablement au sol? Aussi peut-on diresans métaphore : « Un seul arbre a peuplé le désert;une civilisation rudimentaire comparée à la nôtre,très-avancée par rapport à l'état de nature, reposesur lui ; ses fruits, recherchés dans le monde entier,suffisent aux échanges, et créent non-seulementsance, mais la richesse. » Dans les trois cent soixanteoasis qui appartiennent à la France, chaque dattieracquitte un droit qui varie de 20 à 60 centimes sui-vant les oasis, et ces cultures prospèrent, le produitmoyen de chaque arbre étant de trois francs en-viron.

Nous savons par le même naturaliste que, pourobtenir le lait du dattier, les Arabes de Tougourtemploient le procédé suivant. On enlève circulaire-

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ment la couronne de feuilles en ne ménageant queles inférieures. La section a la forme d'un cône, oùl'on enfonce un roseau creux par lequel le liquides'écoule dans un vase qui se déverse à son tour dansun autre suspendu aux feuilles de l'arbre. Celui-cine meurt pas toujours après cette mutilation, le -bourgeon terminal se reproduit, et le palmier se ré-tablit peu à peu. L'opération peut être renouveléejusqu'à trois fois. La tète des palmiers s'élève à envi-ron quinze mètres. L'air circule sous le vaste parasolformé par leurs cimes rapprochées, mais le soleil n'ypénètre pas. De l'ombre, de l'air et de l'eau, telssont les trois éléments qui permettent les cultures lesplus variées dans les jardins des palmierS, malgréles chaleurs brûlantes de l'été.

Les oasis de palmiers sont de véritables paradisdans l'immensité brûlante des déserts. Nous ne pou-vons nous refuser à rapporter ici la rencontre for-tuite d'un groupe de ces végétaux sauveurs faite parM. Martins dans sa traversée du Sahara oriental :« Le désert sans limites, dit-il, s'étendait devantmoi. Le soleil, suspendu au-dessus d'un horizoncirculaire comme celui de la mer, semblait seulvivant au milieu de cette nature inanimée. Tout àcoup j'aperçois des cimes de palmiers dont je nevoyois pas les troncs ; je crois à une illusion, à unmirage; nous avançons, les cimes se dessinentmieux, niais les troncs n'apparaissent pas. La cara-vane s'arrête près d'un puits à bascule ; je cours vers

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les palmiers, ils étaient plantés au fond d'un trouconique de huit mètres de profondeur environ. Lesable avait été relevé de tous côtés; les faibles palis-sades en feuilles de palmiers plantées sur la crête leretenaient sur certains points ; sur d'autres, des cris-taux de sulfate de chaux, de toutes les formes et detoutes les grosseurs, alignés comme dans une galeriede minéralogie, contribuaient aussi à fixer un peu lesable mobile. Au fond de ces trous, les dattiersétaient plantés sans ordre ; mais ce n'était plus lepalmier grêle et élancé des oasis , le palmier idéaldes peintres : c'étaient des arbres au tronc cylin-drique, court et gros, portant à quelques mètresdu sol des palmes de trois mètres de long et unecolonne de régimes de dattes, chapiteaux de ces fùtsd'un mètre d'épaisseur. Il me semblait voir les co-lonnes basses et massives d'un temple égyptien oud'une mosquée de style mauresque. Des racines ad-ventives partant de la base du tronc et s'enfonçantdans le sol formaient à ces colonnes un piédestal co-nique, et les grandes.palmes s'entre-croisant en ogive.rappelaient ces colonnades si habituelles dans lesmonuments dont je viens de parler. Le soir, en péné-trant sous ces voûtes sombres, j'étais saisi d'un véri-table sentiment de respect, et ces palmiers majes-tueux et immobiles au fond de leur cratère de sableétaient bien l'emblème de la civilisation africaine,immobile au milieu du monde agité qui l'entoure. »

La famille des palmiers est fort nombreuse, et les

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LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

différentes espèces qui la constituent (on en compteaujourd'hui quatre cent cinquante) offrent un mer-veilleux intérêt, soit au point de vue de leur étrangebeauté, soit au point de vue des services étonnantsque les habitants des régions équatoriales savent leurdemander. Le cadre de cet ouvrage ne nous permetpas d'ouvrir tous ces trésors ; nous choisissons dumoins les plus dignes de l'intérêt et de la curiositéde tous. Parlons maintenant du cocotier.

LE COCOTIER

Comme le dattier, ce végétal élève à la hauteur detrente mètres son stipe droit et isolé, couronné d'unchapiteau de feuilles en formes de plumes, longues desix mètres. On le rencontre sous toute la zone torride,et principalement au voisinage des mers. De sonfruit, de sa graine, de ses feuilles, du végétal toutentier, l'homme a su tirer tous les éléments d'uneexistence champêtre. Le récit suivant, de M. Boni-face Guizot, donnera une excellente idée de l'impor-tance et de la nature de ces services.

« Un voyageur parcourait ces pays situés sous unciel brûlant, où la fraîcheur et l'ombre sont si ra-res, et où l'on ne trouve qu'à des distances considé-rables quelque habitation où l'on puisse goûter unrepos que la fatigue de la route rend si nécessaire.

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LE COCOTIER. 75

Accablé et haletant, ce pauvre voyageur aperçoit unecabane entourée de quelques arbres au tronc droit,élevé et surmonté d'un gros bouquet de feuilles très-grandes, dont les unes relevées et les autres pendan-tes avaient un aspect élégant et agréable. Rien d'ail-leurs, .autour de cette cabane, n'annonçait un terraincultivé. A cette vue qui ranime ses espérances, levoyageur rassemble ses forces épuisées, et bientôt ilest reçu sous ce toit hospitalier. Son hôte lui offre(l'abord une boisson aigrelette, qui le désaltère et lera fraîchit. Lorsque l'étranger eut pris quelque repos,l'Indien l'invita à partager son repas; il servit diversmets contenus dans une vaisselle brune, luisante etpolie ; il servit aussi (lu vin d'une saveur extrême-ment agréable. Vers la fin du repas, il offrit à sonhôte des confitures succulentes, et lui fit goûterd'une fort bonne eau-de-vie. Le voyageur étonné de-manda à l'Indien qui, dans ce pays désert, lui four-nissait toutes ces choses.

« Mes cocotiers, lui répondit-il. L'eau que je vousai offerte à votre arrivée est tirée du fruit avant qu'ilsoit mûr, et il y a quelquefois des noix qui en con-tiennent trois ou quatre livres. Cette amande d'un sibon goût est le fruit de sa maturité ; ce lait, que voustrouvez si agréable, est tiré de cette amande ; ce chousi délicat est le sommet d'un cocotier ; mais on ne sedonne pas souvent ce régal, parce que le cocotierdont on a ainsi coupé le chou meurt bientôt après.Ce vin dont vous êtes si content est aussi fourni par

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7G LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

le cocotier ; on fait pour cela des incisions aux jeunestiges des fleurs, il en découle une liqueur blanche,qu'on recueille dans des vases, et qui est connuesous le nom de vin de palmier. Exposée au soleil, elles'aigrit et donne du vinaigre. Par la distillation, onen obtient cette bonne eau-de-vie que vous avez goû-tée. Ce même suc m'a encore fourni le sucre pources confitures que j'ai faites avec l'amande. Enfintoute cette vaisselle et ces ustensiles qui nous serventà table ont été faits avec la coque des noix de cocos.Ce n'est pas tout : mon habitation elle-même, je ladois tout entière à ces arbres précieux ; leur bois aservi à construire ma cabane ; leurs feuilles sècheset. tressées en forment le toit ; arrangées en parasolelles me garantissent du soleil dans nia promenade;ces vêtements qui me couvrent sont tissus avec lesfilaments de ses feuilles ; ces nattes qui me serventà tant d'usages différents en proviennent aussi. Lestamis que voilà, je les trouve tout faits dans la partiedu cocotier d'où sort le feuillage ; avec ces mêmesfeuilles tressées, on fait des voiles de navires ; l'es-pèce de bourre qui enveloppe la noix est bien préfé-rable à l'étoupe pour calfeutrer les vaisseaux ; ellepourrit moins vite, et se renfle en l'imbibant d'eau.Ou en fait aussi de la ficelle, des ailes et toutes sor-tes de cordages. Enfin, je dois vous dire que l'huiledélicate qui a assaisonné plusieurs de mes mets, etqui brûle dans ma lampe, s'obtient par l'expressionde l'amande fraîche. »

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LES PALMIERS. 77

«L'étranger écoutait avec étonnement et admirationcomment ce pauvre Indien, n'ayant que des cocotiers,avait néanmoins par eux absolument tout ce qui luiétait nécessaire. Lorsque le voyageur se disposait àpartir, son hôte lui dit : « Je vais écrire à un ami quej'ai à la ville ; vous vous chargerez, je vous prie, demon message. — Oui, et sera-ce encore le cocotierqui vous fournira ce qu'il vous faut? —Justement,reprit l'Indien ; avec de la sciure des branches j'ai faitcette encre, et avec les feuilles ce parchemin ; autre-fois on en faisait toujours usage pour les actes pu-blics et les faits mémorables. »

LE LAQBY

A l'époque éù le retour du printemps réveille laséve engourdie, dit M. le baron de hraffti, un hommemonte au haut d'un dattier, dont il gravit le troncsvelte et écaillé sans autre secours que ses pieds nuset une ceinture de corde qui l'unit à l'arbre. Il estarmé d'une hachette bien aiguisée. Arrivé au faîte, àce chapiteau d'où s'élance le panache de palmes quisurmonte la flexible colonne, il taille sans pitié, ilcoupe tous les rameaux, n'en réservant que quatrequi tristement s'allongent en croix, parallèlement à

' Le Tour du monde, t. II, 1, p. 71.

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7S LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

l'horizon, comme pour indiquer les quatre pointscardinaux. Sur l'insertion de l'un d'eux, il fait pas-ser une cordelette dont les deux bouts touchent lesol, et entre deux des palmes épargnées, il blessele pauvre arbre dune incision profonde. Il descendalors. Le tonneau de laqby est mis en perce. Unepetite jarre à large goulot, pouvant contenir troislitres, est hissée au moyen de la corde et va s'ap-pliquer sous l'incision : douze heures après, vouspouvez la descendre et la remplacer par une autre.elle est pleine d'un liquide gris pàle, un peu trou-ble, assez semblable à de l'eau d'orge peu chargée ;c'est le laqby frais, séve presque fade, tant elle estdouce et sucrée, charmant et léger purgatif à pren-dre le matin. Quelques heures après on entend unbruissement dans le vase; le liquide s'éclaircit etsemble bouillir ; d'innombrables bulles d'air vien-nent former à sa surface une mousse sans consis-tance, et si vous goûtez alors le breuvage pétillant,vous songerez sans regret aux meilleurs vins deChampagne. Le laqby pris à ce point n'offre aucuninconvénient, il égaye sans enivrer, la fermentationl'a rendu rafraîchissant tout en lui faisant perdre sespropriétés laxatives. Mais laissez encore passer unedemi-journée, cette boisson devient blanche et épaissecomme du lait, prend une odeur pénétrante, ungoût légèrement aigre, et enivre comme l'eau-de-vie. Le vin de Champagne s'est changé en une bièreblanche d'une force alcoolique remarquable. C'est

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LES PALMIERS. 79

alors que les amateurs l'apprécient : tel bon musul-man, telle musulmane rigide qui se voile la face de-vant un verre de vin, boira sans scrupule et publi 7

quement sa tasse de laqby, qui n'est que de l'eau depalmier. Il faut vider la cruche, car demain on 'netrouverait qu'un liquide nauséabond encombré depetites mouches rougeâtres. C'est la plus éphémèredes boissons; on ne peut la boire qu'à l'ombre del'arbre qui la produit. Tous les essais pour en réglerou en arrêter la fermentation ont été inutiles. C'estun prédicateur éloquent de la philosophie d'Horace :« Jouissez du jour qui passe et ne vous fiez pas aulendemain. »

C'est dans la Tripolitaine (Afrique septentrionale)que les Arabes font du laqby leur consommation ha-bituelle, en fumant sur le bord d'un djébié.

PALMIER AREC

Auprès du palmier au vin de Champagne, il con-vient de placer le svelte palmier arec, tant estimé desIndiens pour ses feuilles et pour ses fruits. La tige,malgré son élévation n'a pas trois centimètres dediamètre, et ne s'élève pas à moins de douze à treizemètres. C'est gràce à ses racines que cet arbre ré-siste au vent des tropiques. Les feuilles longues etdivisées comme celles de tous les palmiers terminent

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élégamment par une sorte de chapiteau végétal cettehaute et légère colonne; à leur plein degré de déve-loppement, elles mesurent cinq mètres de long surmoitié de large ; à leur naissance et avant de sortirde leur bourgeon, elles forment le chou du palmier,aliment recherché par les Indiens et môme par lesblancs.

Une plantation d'arecs donne des fruits en touttemps, et souvent un même palmier porte trois ré-gimes, dont un est encore en fleur tandis que le plusancien est tout à fait mûr. Ces fruits, quand la gros-seur est à peu près celle d'un oeuf, sont réunis engrappes volumineuses, ,et prennent en mûrissant lacouleur de l'orange. On les cueille quelquefois avantleur maturité, parce que leur pulpe intérieure, nom-mée pinang, est alors d'une saveur agréable. Maisgénéralement on attend les six mois nécessaires à lamaturité, parce que le pinang est alors converti enfilasse blanchâtre, dans le genre de notre cerneau,et développe une semence de la grosseur d'une noixmuscade : cette noix d'arec est un des trois ingré-dients qui composent le bétel,' cette substance siconnue, que les Indiens mâchent perpétuellement, etqui donne à leurs dents cette teinte d'ocre et noiresi repoussante pour nous.

Le bétel se compose en effet d'arec, de chaux et dufruit du bétel, sorte de poivre analogue au nôtre. Onse demande comment la réunion de ces trois sub-sauces peut être agréable au goût ; cependant il est

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LES PALMIERS. 81

incontestable que le règne du bétel est de longuedate parmi les Indes orientales et non moins étenduque celui du tabac en Europe. Les femmes l'emploienthabituellement, et son règne date de si longtempsque les indigènes ne se rappellent pas — tradition-nellement même — d'avoir jamais vu de dents blan-ches chez eux, si bien qu'à leurs yeux c'est un signede laideur que d'avoir les dents blanches « commecelles des chiens. » Il ne faudrait pas croire cepen-dant que ce masticatoire n'ait pas quelque avantage :il fortifie l'estomac et donne à l'haleine une odeurfort agréable : les médecins ont établi sa bonne re-nommée en donnant l'exemple à ceux qui craindraientd'en contracter l'habitude. Mais ces avantages n'em-pêchent pas qu'ils ne fassent tomber l'émail desdents et les dents elles-mêmes ; la chaux est très-pro-bablement le principe de cette action.

Le bétel indien ne doit pas être confondu avec ce-lui dont les femmes turques font usage - : ce derniern'a pas les mêmes inconvénients que le précédent,tout en ayant les mêmes avantages. C'est toujoursavec de l'arec et du bétel récemment cueillis quel'on prépare le masticatoire indien ; on le sert ordi-nairement sur des feuilles de cet arbre, et souventon laisse, aux consommateurs le soin de faire eux-mê-mes, suivant leur goût, le mélange des trois substan-ces. La couleur est rougeâtre, c'est ce qui fait que lasalive, devenue plus abondante par la mastication,se colore en rouge et doit être rejetée' jusqu'à ce que

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sa couleur soit disparue ; préliminaire fort déplaisant,et qui cependant n'empêche pas les Indiennes d'enfaire usage.

Les Anglais appellent cet arbre : arbre à noix debétel. Cette dénomination n'a pas de fondement dansla nature, mais dans la cuisine, et on garde à ce vé-gétal son nom Spécifique.

LE PALMIER LAIS

Parmi les plantes précieuses qui croissent dansles forêts brillantes de l'Afrique, au delà du capvert, il est un palmier dont le panache se balance àdix mètres dans les airs et que les nègres appellentleur ami. Ceux-là même qui ont visité les splendidesforêts des tropiques sont ravis à l'aspect de cettevégétation vigoureuse et magnifique qui revêt lespentes inclinées vers la mer, et ne passent pas sansremarquer cet arbre, l'Eldis guineensis, qui récom-pense avec tant de largesse les soins des habitantsdu rivage. Et cette impression n'est pas inférieureà celle qui résulte de l'utilité que l'industrie euro-péenne a reconnue dans cet arbre, et dont l'expor-tation tire si bon parti de Liverpool à New-York.

Parmi ces divers produits, l'huile seule a été rob •jet d'un commerce étendu et de l'exportation.

Non-seulement les indigènes demandent à cet

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LES PALMIERS. 83

arbre le vin et l'huile, mais ils l'utilisent encorepour la confection de leurs lignes de pêche, de leurschapeaux, de leurs paniers, de leurs instruments debois et pour la construction de leurs cabanes. Il estleur compagnon, leur soutien, chargé par la naturede subvenir à leurs besoins de chaque jour.

Autrefois la fabrication était abandonnée aux indi-gènes, mais l'importance qu'elle a prise a donné lieuà de vastes établissements agricoles composés defermes disséminées parmi les forêts de la côte. Al'époque de la maturité, on cueille les graines et onen remplit des auges formées en terre; les nègres,chaussés de sandales de bois, les écrasent en lesfoulant.

L'huile de palmier est une des plus importantes àconsidérer de la côte d'Afrique. L'élaïs ne croit pasdans les mêmes conditions que le sésame. Il est ex-clusivement tropical et africain. On le trouve enfamilles considérables dans les localités abritées etdans les terrains fertiles. L'aspect de ce magnifiquepalmier rappelle celui du dattier des Arabes.

Ce n'est guère qu'à l'état sauvage qu'on l'exploite,et la plus grande partie de l'huile de palmier quis'importe en France est fabriquée dans les contréesoù nous ne possédons que des comptoirs. Du palmierélaïs on tire non-seulement l'huile, que l'on a der-nièrement pu décolorer de son aspect jaunâtre ; maisMarseille en fabrique encore du savon et des bou-gies.

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84 1,Es vÉGÉrAux mEnvEn.t.Eux.

LE PALMIER LATANIER

Linné donnait aux palmiers le titre pompeux dePrincipes regetantium, princes des végétaux. On peutdire, en effet, qu'ils constituent l'aristocratie dumonde des plantes, et que, par leur beauté et leurmajestueuse stature, ils sont dignes du titre dont onles a décorés.

Le latanier, et notamment le latanier rouge, estl'un des plus beaux représentants de la famille despalmiers. Il est originaire des provinces méridionalesde la Chine, et répandu dans l'Inde entière. La fleurest d'un rouge superbe. Les feuilles servent aux natu-rels à couvrir leurs cabanes, et leurs fibres à la con-fection de chapeaux légers, qu'il faut bien se garder,toutefois de confondre avec les chapeaux de Panama.Cet arbre ne fleurit que deux fois par siècle. Notredessin représente le latanier rouge. Ce végétal accli-maté n'est pas moins beau ni moins élevé que ceuxde son espèce qui croissent à l'état sauvage dans sonpays natal.

On voit généralement, au frontispice des manu-scrits hindous, un dessin symbolique représentantla valeur des palmiers dans les . Indes : c'est unhomme lisant, couché à l'ombre de l'un de ces ar-bres. En effet, l'Inde est redevable aux palmiers,

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LES PALMIERS. - 87

non-seulement de l'alimentation de ses enfants, maisencore des choses indispensables à la vie. Trois sur-tout lui rendent d'excellents services, ce sont le sa-gou, le cocotier et le dattier. En fleurissant, le sagoudonne à l'homme une fécule nutritive, en abondance,jusqu'à 200 kilogrammes par chaque arbre. De soncôté, le cocotier peut à lui seul fournir à tous lesbesoins de l'homme dans ces climats.- Nourriture(pain et vin), habillement, maison, instruments d'u-sage quotidien : le cocotier se charge de tout cela.Le dattier ne lui est pas inférieur. On sait quelleressource alimentaire son fruit donne aux Africains.Ces trois espèces de palmiers méritent des habitantsdes tropiques l'intérêt que nous portons dans noscontrées au blé et à la vigne ; les indigènes ne sontpas ingrats. Dans plus d'une religion antique, on atrouvé ces arbres consacrés par l'adoration des peu-plades reconnaissantes.

Le voyageur en Palestine et en Syrie contempleavec un intérêt différent le palmier de ces terres so-lennelles. Le dattier est l'arbre le plus commun dansces parages. Partout, dit un voyageur, on admire sonstipe cylindrique balançant dans les airs un chapi-teau formé de nombreux régimes de dattes et sur-monté d'un panache de grandes feuilles finementdécoupées. Rien n'est plus beau qu'une avenue deces nobles arbres. Sur la baie d'Aboukir, on voitquels aspects variés le palmier peut revêtir, et l'onconçoit l'enthousiasme des prophètes de la Bible et

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,M8 LES VÉGÉTAUX 31EIIVEILLEUX.

des poétes de l'Orient qui l'ont célébré dans leurschants poétiques : tantôt il s'élance verticalement,semblable à une colonne solitaire, ou bien il se cou-c►e et se tord sur le sol comme un serpent; ailleurs,plusieurs arbres réunis s'arrondissent en dôme deverdure ; plus loin, le tronc cassé par le vent a étéremplacé par les innombrables rejetons de la souchequi l'ont transformé en buisson épineux : la vie quicircule en lui se manifeste sur toutes les formes,suivant les circonstances extérieures, de sorte qu'àl'état sauvage son aspect n'est jamais le même ; ruaisune rangée de dattiers plantés et alignés a toute larégularité, la symétrie et la majesté de la colonnadeantique dont elle est le modèle.

LE PALMIER A CIRE

Nous ne saurions quitter la cité des palmiers sansmentionner celui qui donne la cire, le Carnehba,au-quel A. de Humboldt donne comme an Murichi le nomd'arbre de vie. C'est un de ces arbres, dit M. Ferdi-nand Denis dans son beau livre sur le Brésil, aux-quels l'existence entière d'une aldée peut se ratta-cher, surtout dans une contrée aride. Grace à lasolidité de son bois et à la disposition de son feuil-lage, une cabane commode peut être construite avecquelques carnahubas, sans qu'il soit nécessaire d'eni-

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PALMIERS A CIRE. 89

ployer d'autres matériaux qu'un peu de terre pouren former les murailles. Les folioles, disposées enéventail, servent, à fabriquer une foule de menus ou-vrages, tels que des nattes, des chapeaux, des cor-beilles, des paniers ; et, de plus, le gros bétail peuts'en nourrir. Durant les temps de sécheresse extrême,on donne également aux animaux le coeur de l'arbrequand il est jeune, et. ils peuvent s'en contenter à dé-faut d'autre aliment. Parvenu à toute sa croissance,on en tire pour les hommes une sorte de fécule nour-rissante, à laquelle on a recours dans les temps dedisette. Son fruit est agréable et tout le monde peuts'en nourrir. Mais la véritable production du car-nabuba, ce qui en fait un végétal tout à fait à partdans l'économie végétale, c'est la cire qui couvre lasuperficie de ses jeunes feuilles, et qui se présentesous l'aspect d'une poudre glutineuse. Extraite parle moyen du feu, cette poussière prend la consistancede la cire, et elle en a l'odeur : aussi en fait-on dansle pays des cierges de petite dimension. Le carnahubafournit au luxe des cannes que l'on recherche dansle commerce, à cause de leur poli admirable et desmouchetures heureusement disposées qu'elles pré-sentent'.

C'est à la Havane, qu'il faut admirer la belle famille

M. Ferdinand Denis nous a remis un spécimen de la cire pro-duite par le carnahuba, que ce savant voyageur a rapporté lui-mêmedu Brésil; nous remarquons une telle analogie entre cette cire etcelle des abeilles, que l'on peut très-facilement s'y tromper.

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90 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

des palmiers. On rencontre souvent, dans l'île deCuba, des avenues de palmiers, plantés devant lesmaisons blanches qui président aux plantations descannes à sucre. Ici, ce sont des manjos, des oran-gers ; à l'extrémité sont les jardins et les vastes plan-tations où les nègres, hommes, femmes et enfants,renouvellent chaque jour la veine de l'activité indus-trielle.

A Cuba, sans être excessivement chaud, l'air esttransparent, dit le voyageur anglais Richard Dana.Des nuages doux flottent à demi-hauteur dans unciel serein ; le soleil est brillant, et la luxurianteflore d'un été perpétuel couvre tout le pays. Partouts'élèvent ces étranges palmiers 1 Beaucoup d'autresarbres ressemblent aux nôtres ; mais ceux-là consti-tuent l'aspect caractéristique de la contrée tropicale.Le palmier royal a cet air par excellence : il ne peutcroître hors d'une étroite ceinture qui court autourdu globe. Son tronc, long, mince, si droit et si uni,emmaillotté depuis le pied dans le bandage serréd'une toile grise, montre un cou d'un vert foncé, etau-dessus une crète et un plumage de feuilles de lamême couleur. Il ne donne pas d'ombre, et ne portepas de fruits estimés de l'homme. Il n'a aucunebeauté particulière pour faire pardonner son inuti-lité. Pourtant il a quelque chose de plus que labeauté, il exerce surie regard une fascination étrange,et on sent, quand on l'a vu, qu'on ne peut plus l'ou-blier.

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PALMIERS A CIRE. 95

Castel, dans son poème sur les Plantes, célèbreles palmiers à cire, et s'étend sur les facultés dont lanature a doué leurs fleurs de voyager au loin à lasurface des eaux :

On voit sur l'Océan ces flottes végétalesFranchir sans conducteur d'immenses intervalles,Repeupler en passant des rivages désertsEt voguer d'ile en ile au bout de l'univers.Ne craignez pas que Fonde, à travers la nacelle,Porte aux germes éclos une atteinte mortelle ;Tous les ais sont cousus avec un art divin ;Et même la nature a souvent de sa main,Pour fermer toute entrée à la vague orageuse,Enduit l'esquif entier d'une cire onctueuse.Tel flotte le canot du cirier odorant,Des présents de l'abeille aimable supplément;Tels mille végétaux qu'en ses rades profondesL'Américain charmé voit courir sur les ondes.

L'Amérique septentrionale produit deux espècesde ciriers. L'un est originaire de la Louisiane, c'estcelui que Linné a décrit sous le nom de Myrica ceri-fera, et qui s'élève à la hauteur de dix à douze pieds.Il fut le premier connu en Europe. Les graines quel'on apporta en France ne levèrent que dans les ser-res chaudes; sa culture demande des soins et il nefleurit que très-rarement. L'autre est le cirier dePennsylvanie, dont la tige ne monte pas au delà decinq pieds, qui porte des feuilles plus larges et pluscourtes, et dont le fruit est plus gros. Celui-ci n'estpas parfaitement acclimaté. Il végète avec vigueur et

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91 LES VÉGÉTAUX. MERVEILLEUX.

résiste aux froids les plus rigoureux. Les marécages,les bords humides et sablonneux de la mer sont desterrains qui lui conviennent. Un arbrisseau bien fer-tile peut fournir jusqu'à sept livres de baies qui ren-dent près de deux livres de cire. On retire cette cirepar le moyen de l'eau bouillante, en ayant soin, pourla détacher, de remuer et de froisser les grainescontre les parois du vase. Les bougies de cette cirevégétale parfument les appartements; leur lumièreest vive et claire, surtout si dans la manipulation l'onajoute un peu de suif, comme en Amérique. Le cirierrécrée la vue par le vert animé de son feuillage, dontl'hiver même ne le dépouille pas; il flatte l'odorat etpurifie, par ses émanations balsamiques, l'air insa-lubre des marais au milieu desquels il habite.

Nous terminerons nos revues des palmiers en men-tionnant celui des îles Séchelles, dont parle Pyrardde Laval dans la relation de son voyage aux îles Mal-dives. « Au bord de la mer, dit-il, il y a une cer-taine noix que la mer jette quelquefois à bord, quiest grosse comme la tête d'un homme et qu'on pour-rait comparer à deux melons joints ensemble. Ils lanomment tavarcarré, et ils tiennent que cela vient.de quelques arbres qui sont sous la mer. Les Portu-gais les nomment cocos des Maldives : c'est une chosefort médicinale et de grand prix. •Souvent, à l'occa-sion de ce tavarcarré, ou bien de l'ambre gris etnoir, comme il s'en trouve aussi, les gens et les offi-ciers du roi maltraitent de pauvres gens, quand ils

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PALMIERS A CIRE. 95

es soupçonnent d'en avoir trouvé ; et même, quandon veut faire déplaisir à un homme, on lui imputeet on l'accuse de cela, comme on fait ici de la faussemonnaie, afin qu'il en soit recherché; et quandquelqu'un devient riche tout à coup et en peu detemps, on dit communément qu'il a trouvé des ta-varcarrés ou de l'ambre, comme si c'était un tré-sor. »

Le fruit de ce palmier porta pendant longtemps lenom de Nux medica. L'arbre porte le nom de Lodoi-cea . Son fruit volumineux est souvent entraîné par lamer à des distances considérables ; c'est de là quevint l'idée des indigènes d'imaginer qu'il sortaitd'arbres sous-marins.

Voyageurs anciens et modernes, par Édouard Charton, t. VI,p 2'19.. -

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CHAPITRE V

BANANIER. - BAMBOU. BAOBAB

Voici peut-être les trois plus forts ouvriers dumonde végétal; ils ont vaincu les siècles, et aucunêtre n'est capable de rivaliser avec leur puissance.

Certains écrivains ont cherché à démontrer que lebananier était l'arbre placé au centre du paradis ter-restre, dont le fruit défendu, trop convoité par la cu-rieuse mère du genre humain, cr:Isa tant de mal-heurs à notre pauvre race, et que c'ed de ces feuillesque Adam et È‘ e se vêtirent lorsque après leur fauteils furent chassés de l'heureux séjour. La chose est

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LES USAGES DU BANANIER. 97

assez. difficile à déterminer, et ce n'est pas sous cepoint de vue que nous- parlerons ici de cet arbremerveilleux.

Les populations de l'Amérique, de l'Afrique, del'Inde, et les indigènes des îles de l'océan Pacifiqueapprécient à sa haute valeur ce végétal précieux, caril nourrit une grande partie des hommes qui habi-tent les régions tropicales et est répandu avec assezde profusion pour servir à la nourriture journalièrede peuples entiers. C'est un végétal herbacé, dontla hauteur est de quinze pieds environ, et qui secompose d'une tige simple, ronde et droite, vertjaunâtre, terminée par un épanouissement de grandesfeuilles ovales, longues de six pieds sur dix-huit àvingt pouces de large. Une grande et forte nervurecentrale traverse les feuilles, mais celle-ci est si ten-dre, que souvent les vents la déchirent.

Un épi de fleurs de quatre pieds de haut environs'élève du centre des feuilles huit à neuf mois aprèsla naissance du végétal. Aux fleurs succèdent bientôtdes fruits de la longueur de huit pouces sur un de .diamètre, fruits délicieux qui se remplissent d'unechair mûrie à mesure - qu'ils avancent vers la matu-rité. Ces fruits longs, dont le poids s'élève quelque-fois à soixante-dix livres, offrent . l'aspect d'uneénorme grappe, où se serrent un nombre considé 7 .ble de fruits, quelquefois de cent cinquante à centsoixante. Lorsque l'on dépouille l'arbre de ses fruits,on coupe en même temps la tige, qui se dessécherait,

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98 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

et les rejetons s'élèvent rapidement aux pieds, pré-parant une nouvelle récolte pour une demi-annéeplus tard. On entretient la végétation en cultivant detemps en temps le sol au pied des arbres, c'est laculture la plus simple ; et les bananeries, ordinaire-ment établies près des rivières, sont des établisse-ments faciles à entretenir.

La préparation culinaire des bananes est égale-ment des plus simples ; on se contente de faire cuirele fruit, soit à l'eau bouillante, soit au four, soitsous la cendre. On utilise la partie fibreuse des tigespour la fabrication de certaines chemises grossières,et la partie verte pour la nourriture des gros bestiaux.Les habitants des îles Moluques font subir aux feuil-les une préparation qui leur permet de s'en servircomme linge en divers usages.

A poids égal, le bananier est inférieur au fromentcomme substance nutritive, mais il produit bien da-vantage à égale étendue de terrain. Un demi-hectarequi, planté de blé, en Europe, ne suffirait pas à la sub-sistance de deux individus, en entretiendrait cinquantedans les régions tropicales, s'il était planté de bana-niers. On a calculé qu'un terrain de cent mètres car-rés est capable de fournir plus de quatre milles livresde substances nutritives : il en résulte que le produitde ce végétal est à celui du froment semé sur uneégale surface de terrain, comme 155 est à 1, et à ce-lui des pommes de terre, comme 44 est à 1.

On a dans la fécondité naturelle des tropiques un

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LE BANANIER. OU

exemple philosophique de l'état de la nature hu-maine et des conditions de son développement. Cettevérité : que l'homme ne fait guère de progrès quesous la nécessité d'une excitation vive et continue,trouve son application et sa preuvé ici avec plusd'évidence que partout ailleurs. Le bananier nourritles habitants de cette zone sans leur demander detravail ; le pain de chaque jour s'offre de lui-même àleurs besoins physiques et leur suffit sans nécessiterde leur part aucune fatigue. Il s'ensuit qu'ils se repo-sent dans une sécurité permanente et que, sur leurfront mort, le caractère de l'inertie est imprimé encaractères ineffaçables.

On rencontre à Java une zone de bananiers dontl'aspect laisse toujours une grande impression dansl'esprit. Écoutons M. de Molins rapportant son arri-vée dans les forêts de l'île : « Nous arrivâmes, dit-il,dans des pays découverts, et nous atteignîmes aprèsune heure et demie de marche les premières jungles.C'était un fouillis de verdures, où le bananier sau-vage, avec ses feuilles vert pâle d'un côté et de l'autretachée de rouge et de brun, se rencontrait en majo-rité. Nous nagions dans des flots de plantes de toutessortes; nous y admirions surtout les grandes fougèresau tronc solide, aux feuilles si gracieuses et si régu-lières, les grandes fougères qui tiennent à la fois dela fleur par leur forme exquise, de l'oiseau par leurbelle couleur, et de l'arbre par leur taille imposante.

« Tout à coup le mandour qui nous servait de

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100 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

guide, et qui savait le but de notre excursion, s'arrètaen nous disant. : « Voilà ! —Voilà quoi? dis-je. — Le« premier des grands arbres, monsieur, celui que« l'on voit de Maga-Meudouy. »

« Et il m'indiqua du regard une sorte de tourgarnie à son sommet de branches et de feuilles, maisque bien certainement je n'aurais pas pu prendrepour un arbre. « Celui-ci est petit,. me dit-il ; mais,« en montant plus haut, ces messieurs en verront« de bien plus grands. »

« En effet, bien que l'échantillon que nous avionsdevant les yeux dépassât les limites du vraisembla-ble, nous reconnûmes, en arrivant aux lisières del'immense foret, que les arbres devenaient de plusen plus gros. Chose remarquable pourtant, ilsétaient presque tous malades ; plusieurs d'entre eux,noirs dans le haut, étendaient dans les airs leursgrands bras décharnés. L'on m'apprit que le soleilen était la seule cause et que ces vigoureux végétauxne pouvaient pas supporter ses rayons. »

Les voyageurs s'accordent à admirer l'aspect deshauts bananiers et gardent à leur retour l'impressionde recueillement qu'inspire la vue de ces colosses, vé-ritables patriarches de ces forèts, témoins sans doutedes antiques créations et des époques où la natureétait encore dans toute la Fécondité de sa jeunesse,et qui, encore debout aujourd'hui, entrelacent lacolonnade de leurs troncs géants et étendent dans leciel le feuillage de leurs énormes branches.

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BAMBOUS. 101

A. de Humboldt -présente les bananiers (scitami-nées et musacées) comme partout associés aux pal-miers. Les buissons de bananiers, dit-il, font l'orne-ment des contrées humides. Leurs fruits fournissentà la nourriture de presque tous les peuples qui vivent

- sous la zone tropicale. De même que les céréalesfarineuses ont été une ressource constante pour leshabitants du Nord, le bananier n'a jamais fait dé-faut aux populations voisines de l'équateur, depuisl'enfance de leur civilisation. D'après les traditionssémitiques, cette plante nourrissante se développaoriginairement sur les bords de l'Euphrate ; suivantd'autres, elle naquit dans l'Inde, au pied de l'Hima-laya. Les légendes grecques présentent les champsd'Enna en Sicile comme l'heureuse patrie des céréa-les. Mais les fruits de Cérès, répandus par la culturedans toutes les contrées septentionales, n'offrent quedes prairies monotones qui ajoutent peu aux charmesde la nature ; l'habitant des tropiques, qui multiplieles plantations de bananiers, propage au contrairel'une des formes les plus belles et les plus majes-tueuses du règne végétal.

LES BAM BOUS

Nous ne connaissons aucune espèce d'arbres quipuisse servir à des 'usages aussi diversifiés que le

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102 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

bambou. L'Indien en tire une partie de sa nourri-•ture, des ustensiles de ménage, des tiges à la fois lé-gères et capables d'une résistance supérieure à cellede bois très-lourds et de mème volume. Souvent,dans les voyages tropicaux, sous les rayons ardents(l'un soleil vertical, des tronçons de bambous ontservi de barriques pour garder aux équipages uneeau plus pure que celle qui trop longtemps séjournedans des vases imprégnés de matières putrescibles.Sur les côtes occidentales de l'Amérique du Sud,dans les grandes îles de l'Asie, les bambous four-nissent seuls les matériaux pour la construction demaisons à la fois agréables, solides et préférablespour la sécurité aux maisons de pierre que lestremblements de terre renversent sur ceux qui leshabitent.

Les bambous, tels qu'on les rencontre sous lestropiques, se présentent sous l'aspect esquissé en têtede ce chapitre.

On voit qu'en faisant abstraction de la grandeur,ces plantes pourraient être rangées parmi les grami-nées ou parmi les roseaux. L'aspect extérieur offre(le grandes similitudes avec les plantes de cette pre-mière classe, l'organisation de la tige creuse, longue,articulée et à feuilles aiguës, offre avec les secondesdes analogies tout aussi remarquables. L'indécisionest restée dans la classification des botanistes, et au-jourd'hui encore on ne s'accorde pas sur le nom àdonner à ces végétaux exceptionnels.

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BAMBOUS. 103

Mais le nom ne fait rien à la chose, et nous nousgarderons bien d'entrer ici dans les classifications unpeu arbitraires de la botanique. Mieux vaut considé-rer le végétal tel qu'il est, dans ses caractères dis-tinctifs, sans trop nous préoccuper de l'étiquette la-tine ou grecque que l'on pourrait attacher à sacime.

Ces végétaux sont confinés à la Zone tropicale, soitque les conditions de leur développement appartien-nent à la chaleur torride, soit que leurs semencesn'aient pas encore rencontré des dispositions favora-bles dans les régions tempérées. On en distinguecinq ou six espèces.

Le plus élevé des bambous est le Sammot. Il at-teint quelquefois une hauteur de 100 pieds dans lesterrains où il se plaît, et mesure alors dix-huit pou-ces de diamètre à sa base. Son bois n'a pas en toutun pouce d'épaisseur. La capacité du grand vide in-térieur rend ces longues tiges très-propres à fairedes mesures de capacité, des seaux, des coffets, etc.On fabrique même des barques légères avec les plusgrosses tiges, en les bordant de pièces de bois tra-vaillées suivant les formes nécessaires.

Au second rang par la taille se trouve le bambouIlly ; son élévation normale est de 60 à 70 pieds. Sonbois presque aussi mince, sa légèreté et sa solidité lerendent propre aux mèmes usages que celui de l'es-pèce précédente. L'une et l'autre aiment les terreshumides et fertiles.

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104 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

La troisième espèce est la plus employée dans toutel'Asie méridionale, sur le continent et dans les îles.Sa hauteur est de 50 pieds; elle remplace d'abordles deux premières pour les usages mentionnés plushaut, et possède de plus certains caractères d'utilitéqui n'appartiennent pas aux premières. Ainsi les jeu-nes pousses de la tige et de la racine du télin (tel estle nom de cette espèce) sont, il parait, d'excellentessubstances alimentaires que l'on mange à la façondes asperges, soit confites dans le vinaigre, soit à di-vers assaisonnements et avec des viandes: Les colonseuropéens s'en nourrissent par goût aussi bien queles indigènes. Le bois du télin réunit de plus, mieuxque tout autre bois, une grande force à une extrêmelégèreté, et ses poutres, divisées en planches ou sub-divisées en lattes, sont des plus favorables aux con-structions des tropiques.

Une espèce de bambou, plus petite encore que letélin, et non moins précieuse pour l'économie domes-tique, l'industrie et l'agriculture, c'est l'ampel ; ellefournit les leviers, les brancards, les échelles, lesrampes, les objets usuels. L'Indien qui, à la cime deshauts palmiers, fait la cueillette du vin à cent piedsde hauteur, ne craint pas de jeter d'un palmier àl'autre un pont d'ampel pour se rendre sur le pal-mier voisin. Une longue tige de cc bambou forme sonpont suspendu, une autre plus légère, perpendicu-lairement attachée par le côté, lui sert de garde-fou.On se nourrit également des jeunes pousses de cette

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BAMBOUS. 105

espèce. C'est dans ce genre de plantes que l'ontrouve le bois de fer, dans lequel la hache fait jaillirdes étincelles ; bois d'une dureté sans égale et quinéanmoins peut être divisé en filaments d'une telleténuité qu'il remplace l'osier pour de délicats ouvra-ges de vannerie ; on en fabrique même des tissus.

Mentionnons encore le tcho des Chinois, qui leurdonne un papier solide, et dont ils se -servent pourla fabrication des grands parasols. Les peintres sou-vent s'en servent comme de toile. Il y a encore le téba,dont on fait des haies défensives, des retranche-ments protégés par les hérissements redoutables detollam, dont les pointes aiguës percent les chaussuresdes fantassins et les pieds des chevaux. Puis Parundoseriptoria de Linné, nom donné au beesha, parcequ'il est ]a ressource des écrivains de l'Inde, qui entirent leurs plumes.

Ces dernières espèces préfèrent les terrains secs etmaigres et sont plus faciles à acclimater. La matièresucrée de leurs jeunes pousses en fait un alimentagréable pour l'homme aussi bien que pour les ani-maux herbivores. La végétation de ces plantes coïn-cide avec le cours de la lune, d'où l'on a conclu quecet astre la réglait par son influence; — sorte d'illu-sion qui n'est pas particulière aux Indes, et que leshabitants de nos campagnes partagent encore au-jourd'hui. — Les touffes des tiges qui naissent aupied des bambous, issues de la souche souterraine,se développent avec une telle rapidité qu'on les voit

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100 LES VÉGÉTIUX MERVEILLEUX.

littéralement grandir à vue d'oeil : en un seuljour, elles atteignent une hauteur de plusieurspieds, et le microscope peut facilement en suivre ledéveloppement. Le caractère le plus remarquable àsignaler sur les bambous, c'est leur floraison qui,malgré la rapidité de croissance des tiges, n'arrivequ'après cinquante ans. Les bambous ne fleurissentque tous les demi-siècles.

LE BAOBAB

Le plus colossal et le plus ancien des monumentsorganiques de notre planète est ce végétal de grosseurmonstrueuse, aux feuilles cardiformes et lanugineu-ses souvent découpées, aux fleurs pourpres magnifi-ques; arbre énorme qui, parmi les végétaux, sem-ble tenir la place de l'éléphant parmi les animaux,témoin antique des dernières révolutions du globe etdes déluges qui sont venus ensevelir les productionsde l'ancien monde.

Plusieurs baobabs mesurés accusèrent une grosseur(le 70 à 77 pieds de circonférence. A ses branchessont quelquefois suspendus des nids de 3 pieds delong, ressemblant à de grands paniers ovales ouvertspar le bas; ils offrent de loin l'aspect des signauxsuspendus aux cordages des ports. Les oiseaux habi-tant ces nids, dont la taille n'est guère inférieure à

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celle de l'autruche, sont des hôtes en rapport avec lecolosse végétal dans les bras duquel leurs demeuressont bercées.

La hauteur du baobab n'est pas en proportionavec sa grosseur, comme on peut le voir par lafigure qui suit.

Quinze hommes étendant les bras suffiraient àpeine à embrasser ces troncs immenses, qu'au Sé-négal on vénère comme des monuments sacrés. Desbranches énormes s'en détachent à une faible hau-teur et s'étendent horizontalement jusqu'à donner àl'arbre un diamètre de plus de 100 pieds ; chacunede ces branches, a dit A. Danton. ferait un des ar-bres monstrueux de l'Europe, et leur ensemble pa-raît moins former un arbre qu'une forèt.

Ce n'est qu'à l'âge de huit cents ans que les bao-babs cessent de grossir et arrivent à leur taille dé-finitive.

Le fruit de cet arbre est rond ou ovale, selon l'es-pèce; la couleur de la coquille passe en mûrissant duvert au fauve et au brun. On désigne quelquefois cefruit sous le nom de pain de singe. 11 contient unesubstance spongieuse plus pâle que le chdcolat et pé-nétrée d'un liquide abondant. Les feuilles, d'abordlongues, se divisent plus tard en trois parties, et plustard encore en cinq fragments, leur donnant de loinl'apparence d'une main.

L'écorce, gris cendré, d'un pouce d'épaisseur en-viron, est réduite en poudre par les nègres du Séné-

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108 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

gal ; ils assaisonnent leurs aliments de cette poudrepour entretenir le corps dans un état de transpira-tion modérée et pour tempérer l'excessive chaleur in-térieure. lls s'en servent aussi comme antidote pourcertaines fièvres.

Les abeilles prennent pour ruches, en Abyssinie,des troncs de baobabs; ce miel tire (le l'arbre unparfum et une saveur qui le font rechercher par lesindigènes. Comme les abeilles, les poètes et les mu-siciens sont ensevelis par les tribus africaines dansdes troncs de baobabs. Mais ce ne sont pas, aux yeuxde ces tribus, des tombeaux d'honneur; au contraire,croyant ces hommes supérieurs en communicationavec les génies, ils ont de leurs restes une horreursuperstitieuse et ne veulent les confier, ni à la terrequi les nourrit, ni au courant des fleuves. On se ferai tdifficilement une idée de la capacité des cavités deces troncs. Il en est dans lesquels 240 hommespourraient tenir. Outre les sépultures dont nousavons parlé, les nègres se servent de ces troncs pourd'autres usages. Quelquefois ils y campent ;ils les convertissent en écuries.

Adanson a calculé Page des arbres d'après la pro-fondeur des entailles faites au quinzième siècle pardes navigateurs qui y avaient taillé leurs noms enlettres longues de 16 centimètres; en examinant lesnouvelles couches de bois qui ont recouvert ces en-tailles et en comparant leur épaisseur à celle destroncs d'arbres de même espèce dontl'age est connu :

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BAOBAB. 441

« Il a trouvé, dit A. de Humboldt, pour un diamètrede 10 mètres, une durée de 5,150 ans. Il a d'ailleurseu la prudence d'ajouter ces mots : « Le calcul de« l'âge de chaque couche n'a pas d'exactitude géomé-« trique. » Dans le village de Grand-Galarques, situéaussi en Sénégambie, les nègres ont orné l'ouvertured'un baobab creux avec des sculptures qui ont ététaillées dans le bois encore vert. L'espace intérieursert aux assemblées générales dans lesquelles ils dé-battent leurs intérêts. Cette salle rappelle la caverne(specus) formée dans le tronc d'un platane de Lycie,où un personnage consulaire, Licinius Mucianus, fitservir à dîner à dix-neuf convives. Pline accordetrop généreusement peut-ètre à une cavité du mêmegenre une largeur de 80 pieds romains. — Les éva-luations d'Adanson et Perrottet, en attribuant auxAdansonia qu'ils ont mesurés un âge de 5,150 à6,000 ans, les font contemporains des constructeursdes pyramides ou même de Ménès, c'est-à-dire à uneépoque où la Croix du Sud était encore visible dansle nord de l'Allemagne. »

Ces troncs immenses sont couronnés d'un grandnombre de fortes branches et presque horizontales,ce qui leur donne de loin la forme de gigantesquesparasols ; les inférieures, en traînant pour ainsi diresur le sol, donnent à l'ensemble de l'arbre la formed'un hémisphère assez régulier de 50 mètres de hau-teur sur 70 mètres de circuit.

La grande sécheresse et la chaleur du climat pro-

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112 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

luisent sur ces végétaux un effet analogue à celui dufroid sur les nôtres ; ils perdent leurs feuilles et nes'en revêtent que dans la saison des pluies, de dé-cembre à juin.

Outre l'usage que les nègres de la Sénégambiefont du fruit et de l'écorce du baobab, ils ont encorela précaution de faire soigneusement sécher lesfeuilles qui apparaissent à l'époque des fruits, et ilsles réduisent en poudre qu'ils nomment lido. Il pa-raît que cette poudre jouit de certaines propriétés,et que notamment elle préserve des dyssenterieset des fièvres inflammatoires auxquelles sont fré-quemment exposés les Européens qui résident auSénégal.

De tous les arbres connus, le baobab est le doyenpour la grosseur. Il n'y a que le colossal sequoia dela Californie qui l'égale et le surpasse même.

Notre héros fait exception à la loi générale de lavégétation en Australie. Il ne se voit presque jamaisdans la terre à plus de cent milles du rivage ; on letrouve principalement depuis la rivière Clenely jus-qu'aux confins occidentaux d'Arnheim's-Land. Il sepeut qu'il vienne aussi sur le bas Alligator ; maiscertainement il n'en existe pas au centre et au nordd'Arnheim's-Land.

Il se plaît dans les terrains plats et sablonneux ; surles terres pierreuses et dans les terres à peu prèsstériles, il ne s'élève point, mais atteint une grosseurcolossale, et il s'en échappe des branches d'un dia-

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BAOBAB. „. 113

mètre extraordinaire. En Australie, son fruit est• plus petit que celui de l'essence africanis, dont onfait au Sénégal un commerce important. Le fruit desbaobabs d'Australie n'est pas moins recherché desAustraliens que le précédent n'est recherché des nè-gres. La pulpe acidulée de ce fruit est appelée, parles Allemands de la rivière Orange, crème de tartre,et par les colons anglais, pain de singe. Le baobabaustralien n'est pas considéré seulement comme unecuriosité, mais comme un arbre portant une sortede nourriture providentielle, aliment solide et li-quide à la fois, précieux à rencontrer dans les lieuxarides et brûlants

Voy. potr les arbres remarquables au point de vue spécial de lagrosseur, notre chapitre ix : Les doyens et les géants du mondevégétal.

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Les cèdres de l'Atlas.

CHAPITRE VI

LES CÈDRES. - LE LIBAN. - L'AFRIQUE.

Le voyageur qui franchit les antiques montagnesdu Liban ne peut se défendre d'une certaine émotionlorsque, parvenu sur les plateaux élevés qui les cou-ronnent, il remarque sur sa tète le ciel vert des cè-dres. Témoins calmes et silencieux des révolutionsqui bouleversèrent le monde, ils ont assisté aux ter-reurs humaines en ces jours funestes où de partielsdéluges inondaient les contrées. Les hommes vigou-reux des premiers Ages se sont reposés sous leur om-bre, des hordes et des tribus sauvages y ont établileurs tentes, des familles patriarcales s'y sont arrê-

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CÈDRES. 115

tées aux étapes de leur vie nomade. En approchantd'eux, il semble que nous soyons indignes de les tou-cher it notre tour, tant les souvenirs qu'ils renfermentsont fOrmidables à côté de notre histoire actuelle.

Ces arbres sont les monuments naturels les pluscélèbres de l'univers, dit Lamartine, qui les visita en1855 ; la religion, la poésie et l'histoire les ont éga-lement consacrés: L'Écriture les célèbre en plusieursendroits ; ils sont une des images que les poètesemploient de prédilection. Salomon voulut les consa-crer à l'ornement du temple qu'il éleva au Dieu uni-que, sans doute à cause de la renommée de magnifi-cence et de sainteté que ces prodiges de la végétationavaient dès cette époque... Les Arabes de toutes lessectes ont une vénération traditionnelle pour ces ar-bres ; ils leur attribuent non-seulement une force vé-gétative qui les fait vivre éternellement, mais encoreune âme qui leur fait donner des signes de sagesse,de prévision semblables à ceux de l'instinct des ani-maux, de l'intelligence chez l'homme. Ils connais-sent d'avance les saisons, ils remuent leurs vastesrameaux comme des membres, ils étendent ou res-serrent leurs coudes, ils élèvent vers le ciel ou incli-nent vers la terre leurs branches. Ce sont des ètresdivins sous la forme d'arbres. Ils croissent dans ceseul site des groupes du Liban : ils prennent racinebien au-dessus de la région où toute grande végéta-tion expire.

Chaque siècle voit diminuer le nombre de ces ar-

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11G LES VÉGÉTAUX ,31ERVEILLEUX.

bres. En 1550, Bellon en comptait une trentaine.En 1600, on n'en comptait plus que 24; en 1650,25; en 1700, 16; en 1800, 7. Ces sept arbres gigan-tesques sont peut-être aujourd'hui les seuls témoinsdes temps bibliques.

Le mont Liban sépare la terre sainte de la Syrie,dont il domine les montagnes les plus élevées. Il pré-sente dans sa longuour la forme demi-circulaire d'unfer à cheval. Le circuit total ne présente pas moinsde cent lieues. Au sud-est, la Palestine; au nord, l'Ar-ménie; à l'est, l'Arabie ; à l'ouest, la mer de Syrie.De Tripoli à Damas les côtes du Liban ne sont pasfort éloignées de la mer ; elles s'y baignent mêmeen certains points. La partie orientale porte chez lesi:irecs le nom d'Anti-Liban.

Les montagnes s'élèvent les unes sur les autres etprésentent quatre zones distinctes. Les voyageursrapportent que le sol de la première abonde en grains,et porte des arbres fruitiers. La seconde n'est qu'uneceinture de rochers nus et stériles. La troisième, mal-gré son élévation, offre l'aspect d'arbres toujoursverts : la douceur de sa température, ses jardins, sesvergers chargés des plus beaux fruits de Syrie, lesruisseaux qui les arrosent, en font une sorte de pa-radis terrestre. La quatrième zone se voit dans lesnues; les neiges dont elle est couverte sont l'originedu nom Liban (blanc) que l'on a donné à ces mon-tagnes. C'est sur un de ses sommets que se trouventles cèdres dont parle l'Écriture.

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CÈDRES. 117

La petite esquisse dessinée en tête de ce chapitrene vous rappelle-t-elle pas l'exorde de la Chute d'unange? Ne voit-on pas, malgré la pâleur `de la repro-duction, qu'il y a là une terre antique, témoin vé-nérable des âges disparus? Qui n'a relu la belle des-cription dont le « chœur des cèdres du Liban » estprécédé, description qui semble descendre, tantelle est en harmonie avec cette magnifique nature,des âges disparus où fleurissaient ces végétaux gigan-tesques :

Arbres, plantés de Dieu, sublime diadèmeDont le roi des éclairs se couronne lui—même.Leur ombre nous couvrit de celte sainte horreurD'un temple où du Très-Haut habite la terreur.Nous comptâmes leurs troncs qui survivent au inonde.Comme dans ces déserts dont les sables sont l'onde,On mesure de en renversant le front,Des colonnes debout, dont on touche le tronc.De leur immensité le calcul nous écrase ;Nos pas se fatiguaient à contourner leur base,Et de nos bras tendus le vain enlacementN'embrassait pas un pli d'écorce seulement.Debout, l'homme est à peine à ces plantes divinesCe qu'est une fourmi sur leurs vastes racines.

Que de prières n'ont pas résonné sous ces rameaux!dit le poëte, et quel plus beau temple, quel autel plusvoisin du ciel ! quel dais plus majestueux et plusriant que le dernier plateau du Liban, le tronc descèdres, et le dôme de ces rameaux sacrés qui ontombragé et ombragent encore tant de générations

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118 LES VÉGÉTAUX 31ERVEILLEUX.

humaines prononçant le nom (le Dieu différemment,mais le reconnaissant partout dans ses oeuvres, etl'adorant dans ses manifestations naturelles!

Les arbres s'élèvent de 60 à 100 pieds de hauteur.Le plus gros d'aujourd'hui mesure treize pieds dediamètre et couvre une circonférence d'environ centvingt pieds. Les branches toujours vertes, même lors-qu'elles sont couvertes de neige, ce qui arrive unepartie de l'année, sont plates, touffues et horizon-tales. De loin on croirait voir ces nuages chassés parle vent dans les régions du crépuscule.

Longtemps le cèdre fut classé parmi les mélèzes;aujourd'hui on s'accorde à en former un genre dis-tinct et particulier. Les fruits, gros comme ceux despins, sont plus ronds, plus compactes et plus lisses.

Dans la relation de son voyage au Sahara oriental',M. Ch. Martins témoigne la même admiration pources arbres superbes. « Les plus belles forets de cèdres,dit-il, ornent les crêtes et descendent dans les gorgesdu Chellalah, près de Batna ; on en voit égalementdans le Djurjura et autour de Teniet-el-Had, au sudde Mi liana. Quel contraste entre ces magnifiques fo-rêts et les plateaux stériles qui y conduisent! Jeunes,les cèdres de l'Atlas ont une forme pyramidale; maisquand ils s'élèvent au-dessus de leurs voisins ou durocher qui les protége, un coup de vent, un coup defoudre, un insecte qui perce la pousse terminale les

Revue des Deux Mondes, du 15 janvier 1804.

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BEAUTÉ DES CÈDRES. 119

prive de leur flèche; l'arbre est découronné : alorsles branches s'étalent horizontalement et forment desplans de verdure superposés les uns aux autres, dé-robant le ciel aux yeux du voyageur, qui s'avanceclans l'obscurité sous ces voûtes impénétrables auxrayons du soleil. Du haut d'un sommet élevé de lamontagne, le spectacle est encore plus grandiose.Ces surfaces horizontales ressemblent alors à des pe-louses du vert le plus sombre ou d'une couleur glau-que comme celle de l'eau, semées de cônes ovoïdeset viblacés : l'oeil plonge dans un abîme de verdureau fond duquel gronde un torrent invisible. Souventun groupe isolé attire les regards ; on s'approche,et ,au lieu de plusieurs arbres, on se trouve en face d'unseul tronc coupé jadis par les Romains ou les pre-miers conquérants arabes : le tronc a repoussé dupied, des branches énormes sont sorties de la vieillesouche ; chacune de ces branches est un arbre dehaute futaie, et les vastes éventails de verdure étalésautour du tronc mutilé ombragent au loin la terre.Quelques-uns de ces cèdres sont morts debout, leurécorce est tombée, et, squelettes végétaux, ils étendentde tous côtés leurs bras blancs et décharnés. Les cè-dres d'Afrique attendent encore leur peintre. Maril-hat seul nous a fait admirer ceux du Liban ; maisses successeurs, campés à Barbizon, s'acharnent aprèsl'écorce de deux ou trois chênes de la forêt de Fon-tainebleau, toujours les mêmes, que l'amateur saluecomme de vieilles connaissances à chacune de nos

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120 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

expositions. Des artistes éminents dépensent unesomme considérable de talent à reproduire les mêmesformes, tandis que les cèdres séculaires vivent etmeurent ignorés dans les gorges de l'Atlas, où leUrbeauté n'est admirée que par les rares voyageurs quis'aventurent dans ces montagnes. »

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Les caetus. — Le cierge géant. (Voir page 12L)

CHAPITRE VII

LES PANDANÉES

La diversité merveilleuse des productions de lanature selon les climats est si grande, que les voya-geurs eux-mêmes ne peuvent s'empêcher de jeter uncri d'étonnement lorsqu'ils passent d'une partie dumonde à l'autre, parfois même d'une rive à l'autred'un même continent. C'est notamment l'effet qui seprésente aux explorateurs du Sénégal, lorsqu'ils vien-nent de côtoyer les plages désolées du Sahara. Lavégétation la plus riche succède brusquement à laplus complète aridité, et les grands hommes noirs (le

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12 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

l'Afrique remplacent les Arabes à petite stature. Lesarbres conservent éternellement leur fraîcheur, ra-jeunissant avant de vieillir; on les voit penchés versles flots de la mer comme s'ils venaient boire leurseaux tièdes et salées.

Le végétal singulier que nous représentons appar-tient à la famille des pandanées, dont le Sénégal estla patrie favorite, mais que l'on rencontre égalementen Polynésie, dans la Nouvelle-Zélande et dans laGuinée. M. (le Folin, qui l'a dessiné sur nature, donneles détails suivants sur ce végétal, observé dans l'îledu Prince, située à trente heures de la côte de Guinéeet à un degré et demi de latitude.

Un cours d'eau descendu des sommets escarpésde l'île, brisant de roc en roc sa nappe argentée,entretient une humidité constante dans un étroitvallon où se reflète et se concentre la chaleur desrayons dardés tout le long du ,jour sur les flancs dedeux montagnes très-voisines. La tiède atmosphèredue à cette double cause nourrit au fond de cesabîmes la plus vigoureuse végétation. Le pandanées'élève à l'endroit où la gorge s'élargit et où, repo-sées un moment dans un bassin limpide, les eaux dutorrent vont se rencontrer avec la lame que l'Océanroule au-devant d'elle. Le végétal peut avoir environ55 centimètres de diamètre au quart de sa hauteur,qui, à l'île du Prince, atteint de 14 à 16 mètres.En descendant, la tige diminue de volume, et lors-qu'elle touche la surface de l'eau où elle s'enfonce,

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LES PANDANÉES. 125

elle n'a plus que la grosseur d'une mince -racine.Cette tige est annelée, et à partir du point de décrois-sance, chaque anneau donne naissance à plusieursfibres qui s'échappent à angles aigus, décrivant par-fois des courbes ogivales et plongeant dans le litdu ruisseau. Ce faisceau, qui rayonne à l'entour ducentre, supporte l'arbre tout entier. Les fibres, qui sebifurquent elles-mêmes, ont jusqu'à 12 et 15 centi-mètres de circonférence et sont revêtues, comme latige mère, d'une écorce blanchâtre, mais privéesd'anneaux. Au-dessus de.ces supports, l'arbre dressécomme un monstrueux reptile, se partage aux deuxtiers de sa hauteur en cinq ou six rameaux qui pous-sent de petits rejets vers leurs extrémités. Chaquebranche, d'abord resserrée, puis gonflée en cou decygne, arrondie au bout, se couronne d'une gerbede feuilles longues, charnues, aiguës, à bords tran-chants, assez semblables à un trophée de dards.

Cet arbre étrange, avec ses frêles appuis, avec sesbranches nues dont les gracieuses courbes s'inclinentvers l'horizon pour épanouir leur diadème de feuilles,est d'un effet aérien. Des massifs de jeunes rejetonset de plantes aquatiques sont dispersés autour despandanées, et se reflètent sur les eaux dans lesquellesl'arbre se nourrit. Ajoutez au charme du tableau lasolitude qui l'entoure et le profond silence troubléseulement par les soupirs modulés des tritons etautres batraciens qui s'ébattent sur la rive, ou bienpar le cri de l'aigrette perchée sur une roche à demi

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12(3 LES YliGÉTAUX MEEYEILLEUX.

submergée, d'où elle guette l'instant de fondre sursa proie.

Parmi les pandanées, on remarque une espècechère aux insulaires de l'Océanie, qui tressent debelles nattes avec ses feuilles : c'est le pandanée odo-rant, dont les fleurs exhalent une odeur suave etforte à la fois qui parfume de vastes pièces. Un autrepandanée plus remarquable encore, si l'on en croitde Candolle, c'est celui dont la 'leur s'ouvrant lance-rait une sorte d'éclair accompagné de bruit.

On rencontre, à Madagascar, le pandanée merica-tus, mais on chercherait en vain dans cette île lesbeaux arbres que l'on admire clans les forêts viergesde Sumatra, de Bornéo, ou même de l'Amérique.Cependant, les pandanées utiles envahissent le pre-mier plan des arbres de la côte ; ils sont d'un portétrange, gracieux et triste à la fois ; le tronc, couvertd'une écorce lisse, se divise à une hauteur de deuxmètres environ en trois branches égales. Chaquebranche elle-même, trifurquée au sommet, lui com-pose une tète volumineuse d'où pendent, semblablesà une chevelure éplorée, de grandes feuilles charnuesbrisées par le milieu. La hauteur de ces vacoas nedépasse pas trente pieds.

LES CACTUS. - LE CIERGE GÉANT (CEREUS GIGANTEUS)

En Amérique, du Mississipi aux côtes de l'océanPacifique, dans l'État de Sonora, au sud de la Cali-

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CACTUS. 427

fornie, le voyageur rencontre de pas en pas cetteplante simple et singulière à la fois, que l'on a nom-mée cierge géant à cause de sa forme et de sa gran-deur. Elle est la reine des cactus et domine, svelte,au milieu de ses sujets nains et difformes. Quelque-fois sa hauteur atteint 20 mètres et sa grosseur de-vient considérable.

Dans ce pays, dit le voyageur Molhausen, lesanimaux et les végétaux sont bien supérieurs àl'homme ; les hideux sauvages que nous rencon-trâmes habitaient près d'un défilé, auquel les voya-geurs donnèrent le nom de Cactus Pass, à causedes plantes de ce genre qui s'y trouvent en foule.Parmi ces arbres se distingue surtout le Cireus gigan-teus. Ce roi des cactus est connu en Californie etdans le Nouveau-Mexique sous le nom de petahoya.Les missionnaires qui visitèrent, il y a plus d'unsiècle, le Colorado et le Gila, parlent des fruits dupetahoya, dont se nourrissent les indigènes, et s'ex-tasient, comme l'ont fait plus tard les chasseursde pelleteries, sur cette plante merveilleuse qui ades branches et pas de feuilles. La limite septentrio-nale de cette espèce de cactus s'étend au midi pardelà les rives du Gila. Les déserts les plus sauvageset les plus incultes paraissent être la patrie de cetteplante, qui trouve moyen de pousser des racinesentre les pierres et les rochers, là où l'on n'aperçoitqu'un atome de terre, et qui parvient pourtant à unehauteur surprenante.

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128 • LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

La forme de ces cactus varie suivant leur âge. Gé-néralement, les cactus jeunes, de la hauteur de 0m, 64à 2 mètres, ont la forme d'une massue dont la pointeest tournée en bas et dont l'extrémité supérieurea une circonférence double. Mais à mesure que lesplantes acquièrent une plus grande élévation, leursdiamètres tendent à s'égaliser, et vers 8 mètres,elles ne présentent que la forme d'une colonne ré 7

gulière où des rameaux commencent à se montrer.Des branches sphériques sortent du tronc, mais envertu de la tendance naturelle de tous les végétaux,elles se recourbent bientôt en couche, se prolongentvers le ciel et s'élèvent alors à quelque distance dutronc et parallèlement à lui, jusqu'à la hauteur dela tige. A cet état de maturité, le cactus à plusieursrameaux ressemble à un candélabre gigantesque,d'autant mieux que ses branches sont symétriques.Le diamètre du tronc principal atteint quelquefois80 centimètres ; mais le plus ordinairement il n'enmesure que 48.

En voyant ces liantes tiges isolées et découvertesse dresser à la pointe extrême d'un roc, on ne con-f:oit pas qu'elles puissent résister à l'ouragan : ellesdoivent leur solidité à un système de côtes circulairesplacées à l'intérieur de l'enveloppe charnue du hauten bas de la plante, ayant de 0 1'1 ,026 à 0 111 ,050 de dia-mètre, et aussi dures que le bois du cactus. Le troncet la branche sont garnis dans toute leur longueur decannelures régulières, placées à égale distance, ce qui

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• CIERGES. 129.

lui donne une remarquable ."analogie avec des co-lonnes corinthiennes sans chapiteaux ; l'écorce of-fre en même temps une vague ressemblance avec unorgue d'église, parce que les fibres intermédiairesont une direction perpendiculaire aux cannelures.Sur la crête du cereus, on remarque des pointesgrises, épines symétriquement espacées, entre les-quelles brille la teinte vert clair de la plante. En maieten juin, époque de la floraison, l'extrémité des bran-ches et de la tige principale se couronne de grossesfleurs blanches, que le mois de juillet et d'août rem-placent par des fruits savoureux. Ce fruit est un desmets favoris des Indiens ; ils s'en font une sorte desirop. Sur l'arbre, ces fruits sont serrés les uns con-tre les autres, ovales et piriformes : ils sont verts,sauf à la partie supérieure, qui est rouge. La chair,de couleur cramoisie ; ressemble à celle de la figuefraîche, mais elle est loin d'offrir sa succulence.Ces cactus atteignent, comme nous l'avons dit, unehauteur de 60 pieds. Quand la plante meurt, la chairtombe pièce à pièce des fibres du bois, et l'on voitsur le rocher se tenir encore pendant plusieurs an-nées un squelette gigantesque et dénudé..

C'est au nouveau monde, dit M. de -Humboldt,qu'appartient exclusis, ement la forme des cactus,tantôt articulés, tantôt sphériques, et quelquefois se

- dressant comme des tuyaux d'orgue en colonnes can-nelées. Ce groupe forme le contraste le plus frap-pant avec celui des liliacées et des bananiers. Il ap-

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150 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX,

partient aux plantes que Bernardin de Saint-Pierrenomme si heureusement les sources végétales du dé-sert. Dans les plaines arides de l'Amérique méridio-nale, les animaux tourmentés par la soif cherchentà déterrer sous le sable, où ils sont à moitié enfouis,des melocactus dont la moelle aqueuse est défenduepar de redoutables épines. Les cactus qui affectentla forme de colonnes, atteignent jusqu'à 9 à 10 mè-tres de haut. Divisés comme des candélabres et sou-vent recouverts de lichens, ils offrent une physio-nomie analogue à celle de quelques euphorbes d'A-frique. Ces plantes forment de vastes oasis au milieudes déserts dépourvus de végétation.

ASCLEPIAS GIGANÎEA

L'Afrique orientale offre dans l'aspect de ses boisdes formes non moins étranges que les noms donton les décore. Au sud du détroit de Bab-el-Mandeb(le passage des Larmes), près du Gubet-el-Khérah(bassin du Mensonge), petite baie de la partie dugolfe d'Arabie que l'on appelle Bahr- el-Bonatein(mer des Deux-Sceurs), on trouve la petite ville deTanjourra. C'est dans cette localité que l'on rencontreparticulièrement l' aselepias gigantea, l'acacia épi-neux, auxquels s'enlacent et se suspendent des lianesexubérantes. Les bois où croissent ces beaux arbresentrecoupent d'oasis ombreuses les grandes plaines

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OIS -LIÉGE.

et les montagnes qui s'élèvent en demi-cercle en facede la mer. La petite antilope, des oiseaux pêcheurs,des poules d'eau, animent ces ombrages, et l'as-pect agréable et calme de ces sites ne laisseraitdans l'âme aucune impression défavorable si Tan-jourra n'était le centre d'un abominable commerced'esclaves.

LE CHÊNE-LIÉGE

Terminons ce chapitre par un végétal utile, plusconnu par ses produits que par lui-même ; la des-cription de son enveloppe corticale fera occasionnel-lement connaître la structure générale de tous lesarbres , et ce sera bien finir une causerie qued'offrir en dernier lieu les caractères les plus pra-tiques.

La section d'un arbre adulte présente trois partiesfondamentales concentriques : 1° le canal médullaire,où se trouve la moelle ; 2° une couche complexe denature ligneuse, le bois ; 5° une enveloppe extérieure,l'écorce. Dans l'écorce on remarque encore trois sub-stances différentes juxtaposées ; ce sont : le liber,minces feuillets; le parenchyme, ensemble de cel-lules où circule la séve ; l'épiderme, pellicule enve-loppant le tout. C'est la structure générale de tous

moles arbres. Dans l'arbre qui porte le liège, le paren-

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15-1 LES VÉGÉTAUX. MERVEILLEUX.

chyme est la partie qui fournit cette substance.Ce n'est qu'à partir de Page (le quinze ans qu'un

chêne (le cette espèce possède un parenchyme assezconsistant pour servir à la fabrication. A partir decette époque jusqu'à la dernière vieillesse de l'arbre,on peut le dépouiller entièrement de son écorce,à des intervalles (le huit ou dix ans, et chaqueécorçage peut produire de 40 à 50 kilogrammesde liége. En Catalogue, patrie de ces diènes, onrécolte annuellement•de quoi fabriquer cinq centsmillions de bouchons, divisés par ballots de trentemille.

Voici comment s'opère l'extraction : on pratiquedans l'écorce deux incisions longitudinales parallèles,puis deux perpendiculaires, ce qui découpe un carrésur l'arbre; l'incision ne doit pas attaquer le liber.Par une des fentes horizontales on passe avec pré-caution la lame d'un instrument tranchant au-des-sous du parenchyme, et l'on soulève doucement laplaque carrée, dans toute sa longueur. D'autres in-cisions lèvent nécessairement d'autres plaques, etl'on peut arriver de la sorte au dépouillement com-plet de l'arbre porte-liège. Un liquide semblable àde la cire ramollie coule entre le liber et le paren-chyme, et facilite l'opération. Après son dépouille-ment, le chêne s'enveloppe bientôt d'une matièrevisqueuse qui s'échappe par les pores du liber etqui, se répandant à la surface, se durcit., s'organiseet renouvelle l'écorce. Mais: il lui faut près d'une ..

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CHUE-LINGE. 135

dizaine, d'années pour ètre propre à une nouvellé •extraction.

Cet arbre appartient surtout aux pays chauds;L'Algérie en possède des forè,ts,entières en exploi-tation.

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Sauvage lançant des flèches empoisonnées. (Voy. p. 146.)

CHAPITRE Y111

SUCS LAITEUX

LAIT VÉGÉTAL. - CAOUTCHOUC. - ARBRES A POISON

Les arbres à lait, dont les premières pages de celivre ont offert la description, ne sont pas les seulsqui soient remarquables au point de vue de l'a-bondance du suc laiteux ; d'autres, dont les ser-vices sont d'une autre nature ou même, il faut ledire, dont l'action est pernicieuse et perfide, méri-tent d'être classés parmi les végétaux dignes de notreintérêt. Les familles végétales qui renferment leplus grand nombre d'espèces au suc abondant sont

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LE CAOUTCHOUC. 157

les euphorbiacées, les apocynées et les urticées ; ellesse distinguent les unes des autres par une structureanatomique différente. On trouve dans leur écorce,et quelquefois dans la moelle de leurs tiges, ungrand nombre de tubes allongés , anastomosés etplus ou moins flexibles, d'ont la ressemblance avecles veines des animaux a trompé plus d'un théo-ricien et autorisé en apparence l'assimilation du li-quide végétal au sang animal. Cependant, il sembleque le terme de suc vital approprié à ce liquide estimpropre et que celui de suc laiteux est plus directe-ment justifié.

Certains arbres au suc laiteux abondant ont étésurnommés les serpents du règne végétal ; le ca-ractère le plus frappant de cette ressemblance ré-side dans l'organe à l'aide duquel les uns et lesautres émettent le poison. On sait que, chez les ser-pents, le poison réside dans deux dents longues dela mâchoire supérieure traversées dans leur longueurpar un étroit canal. A la racine de ces dents se trouvela glande qui sécrète le venin, laquelle, semblableà une éponge, est comprimée par la pression de ladent. Au moment où l'animal mord et jette sa li-queur dans le canal médullaire de la dent, un orificela verse én même temps dans la blessure. Chez lesvégétaux vénéneux, on remarque une disposition ana-.loque dans les poils des feuilles; on peut facilements'en rendre compte par l'examen des feuilles des or-ties. Le poison de nos orties, comme celui de nos

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138 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

serpents indigènes, -n'est pas dangereux ; mais il ledevient d'autant plus que l'on s'approche davantagede l'équateur ; l'ardeur du soleil tropical augmentela puissance funeste de l'un et de l'autre.

Les trois grandes familles de végétaux qui se fontremarquer par l'abondance et la valeur du suc laiteux se ressemblent par l'analogie de ce suc; il nesera pas sans intérêt de mentionner les espèces lesplus remarquable. Parlons d'abord d'un produitvégétal qui a pris la plus grande extension de nosjours, du caoutchouc.

Cette gomme peut être extraite d'un grand nom-bre d'arbres ; ceux qui la produisent en plus grandeabondance sont. Plierea guyamensis, le Siphonia ca-hucha et le Jatropha elastica. Aux Antilles, on l'ex-trait de l'euphorbe pourprée, de l'urcéale élastique,dont le produit est, aux yeux de plusieurs, supérieurà celui de l'hevea. Malgré ce grand nombre de végé-taux, on serait autorisé à craindre que l'immenseexploitation qui se fait de ce produit ne tranformeles forêts qui les contiennent en forêts d'arbres secs,comme il est arrivé dans la Caroline du Nord, oùles mélèzes et les pins d'où l'on a extrait la téré-benthine couvrent 2 millions d'acres de bois morts,d'arbres dénudés, semblables à une forêt de mâts devaisseaux.

L'extension qui, d'année en année, se manifestedans la plupart des genres d'industrie, est très-re-marquable dans l'exploitation du caoutchouc. Les

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•(aotiainooD) ranulo

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LE CAOUTCHOUC. 141

Anglais surtout en font un usage considérable. En1820, 52,000 livres avaient été introduites enGrande-Bretagne; en 1829, près de 100,000 livres;en 1855, 178,676 livres ont été déclarées à ladouane ; aujourd'hui c'est par 100,000 kilogram-mes que l'on compte.

L'extension s'est manifestée surtout depuis l'in-vention du caoutchouc vulcanisé. La vulcanisationest, comme on sait, une opération chimique par la-quelle on enlève au caoutchouc toute sa souplesse,toute son élasticité, pour en faire une matière inoxy-dable ayant les qualités du bois, de l'écaille, del'ivoire, de la baleine, capable de résister à unechaleur de 150° comme au- froid le plus vif, àl'humidité comme au contact des acides. On obtientcet état en lui incorporant du soufre soit directe-ment, soit au moyen du sulfure de carbone; il suf-fit de combiner cinq parties de soufre avec septparties de carbonate de plomb, et de soumettre cecomposé à une chaleur de 152°. Il n'est personnequi ne sache par expérience quelle quantité etquelle diversité d'objets on fabrique avec le caout-chouc vulcanisé, si léger et si dur à la fois depuisles articles de bijouterie et marqueterie, jusqu'auxinstruments de précision de la physique et aux ob-jets usuels de l'industrie.

C'est en 1756 que la Condamine appela le pre-mier l'attention sur ce produit végétal et sur la ma-nière dont on l'extrait du Siphonia elaslica ; un peu

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142 LES YEGETAUX MEEVEILLEUX.

plus tard, Fremeau découvrit à Cayenne l'Heveaguyanensis, et donna de nouveaux détails sur la pré-paration de son produit. Avec un instrument tran-chant, on pratique des incisions longitudinales ouobliques, qui pénètrent jusque sous l'écorce et quisont disposées les unes sous les autres. On fixe au-dessous, avec de la terre glaise, une feuille assezlarge pour recevoir tout le suc qui découle des inci-sions, et le transmettre à un vase de calebasse placéau pied de l'arbre. Le suc est fluide et ordinaire-ment blanc au moment de l'extraction : la couleurbrune que nous lui connaissons provient des matièresétrangères qui y sont mêlées et que noircit encore lafumée de feux d'herbes allumés sous les arbres pouractiver la solidification ; il offre l'aspect d'un laitépaissi par une longue ébullition ; le caoutchoucse trouve en suspension dans l'albumine, comme lacrème dans le lait ; pour l'en dépouiller on l'étendde trois ou quatre fois son volume d'eau, et commeil se rassemble à la surface, le lendemain on videle vase par un robinet inférieur. Ce produit arrivequelquefois sur le continent coulé en grosses poireset plus généralement étendu en grandes feuillespesant jusqu'à 100 kilogrammes.

Tous les pays qui comptent le caoutchouc parmileurs productions sont situés sous la zone torride :ce sont principalement l'Amérique méridionale, lesIndes orientales, certaines parties de l'Afriquemême. A ce sujet, A. de Humboldt fait observer que le

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MANIOC. - MANCENILLIER. 145

nombre de plantes lactifères augmente à mesurequ'on avance vers l'équateur. La chaleur des tro-piques parait exercer une grande influence sur laformation du caoutchouc, car on a fait la remarqueque les végétaux qui le produisent sous les tropiquesne co.ntiennent, élevés chez nous dans nos terres,qu'une substance qui ressemble à la glu du gui.

EUPHORBIACÉES. -- MANIOC. - MANCENILLIER

Le végétal dont nous venons de parler appar-tient à la famille des euphorbiacées ; d'autres plan-tes appartenant à ce groupe, renferment égalementle caoutchouc, comme certaines espèces de la familledes apocynées, telles que l'U•ceola elastica de Suma-tra, le Yelteagummifera de Madagascar, le Collo-phora litais et l'Haucornia speciosa du Brésil, leWillughbeja Midis des Indes orientales; mais au-cune n'en renferme une quantité aussi considérable.Les plantes dont nous allons parler se distinguentpar d'autres points. Le suc de la Siphonia elasticane possède aucune propriété nuisible ; celui du Ta-hayla dolce (Ettpliorbia balsamifera) ressemble aulait frais. Léopold de Buch raconte que les naturelsen font une gelée qu'ils mangent avec délices ; maistoutes ne sont pas aussi innocentes, quelques-unes contiennent un poison virulent, et, caractèreétrange, que nous remarquerons plus loin encore,

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144 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

ces plantes offrent en même temps un poison délé-tère et une nourriture très-saine.

La culture du manioc représente dans l'Amériquecentrale celle des céréales en Europe. On fait néan-moins une grande différence entre la juca douceet la juca amère; la première peut être mangée sansinconvénient, la seconde renferme un poison mor-tel. Suivons un instant, avec Schleiden, l'auteur dela Plante et sa vie, les naturels du pays dans leurcam p.

Au milieu d'une forêt épaisse de la Guyane, lechef de la tribu, après avoir étendu son hamac entredeux grands magnolias, se repose à l'ombre deslarges feuilles des bananiers; il fume paresseuse-ment et regarde le mouvement que se donne sa fa-mille. Sur ces entrefaites, sa femme écrase le maniocdans le creux d'un arbre à l'aide d'un pilon de bois,enveloppe la pulpe dans un tissu serré, fait de fibresde feuilles, auquel elle attache une grosse pierre;le tout est suspendu à un bâton reposant sur deuxfourches plantées en terre. Le poids de la pierre faitl'effet d'une presse et exprime tout le jus contenudans le manioc. A mesure qu'il s'écoule, on le re-çoit dans une calebasse, et un garçon accroupi à côtéy trempe les flèches du père, pendant que sa mèrearrange le feu destiné à sécher le marc et à le priverde son poison volatil. Le résidu est ensuite pulvériséentre deux pierres, et la farine de cassave est toutepréparée.

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ARBRES EMPOISONNÉS. 145

Pendant ce temps, l'enfant achève sa dangereusebesogne ; le jus a déposé une tendre fécule qu'onsépare du liquide et qui, après avoir été lavée dansde l'eau fraîche, constitue le tapioca. C'est de cettefaçon qu'on prépare partout cette substance nutri-tive.

Le sauvage, après avoir assouvi sa faim, chercheune nouvelle place pour y faire sa sieste, mais mal-heur à lui si, par inadvertance, il se couche sousle redoutable mancenillier ! une pluie soudainetombe de ses feuilles, et éveille le malheureux sousles douleurs atroces qu'elle lui cause ; son corps secouvre presque aussitôt d'ampoules, d'ulcères, et s'ilconserve la vie, il gardera du moins un souveniréternel des propriétés vénéneuses des euphorbiacées.

Le mancenillier passe chez nous pour un arbre fu-neste, à l'ombre duquel il est imprudent de se re-poser, où, selon l'expression d'un poète, « le plai-sir habite avec la mort ; » et l'on craint de s'as-seoir à son ombre. Cette fàcheuse renommée doitprovenir de la séve de cet arbre, qui est vénéneuse,et de son fruit qui, pris à forte doSe, peut causerun empoisonnement. La réputation du mancenil-lier chez nous a son pendant en Amérique dans l'eu-phorbe arborescent. Comme le premier, cet arbreoffre un aspect magnifique, plus singulier encore.Sa lourde silhouette tranche nettement sur tout cequi l'environne ; sa masse impénétrable aux rayonsdu soleil n'offre au regard qui le sonde qu'une

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146 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

sombre profondeur. Par leur position élevée, autantque par l'ombre fraîche qu'entretiennent leurs ra-meaux d'un vert sombre, ils forment des belvédèresnaturels où les nègres aimeraient à se retirer sans lacrainte qui s'attache à ces végétaux; mais ils ont unmoyen naïf d'éviter l'influence de cette ombre, c'estd'établir une toiture horizontale en chaume sous lesbranches inférieures de ces arbres.

M. Trémaux raconte comme il suit son excursionau Soudan oriental, où il eut l'occasion d'observerles euphorbes arborescents.

e En dessinant la vue de Kaçane, j'invitai. un desnègres qui étaient autour de moi à aller s'asseoirprès du pied du grand euphorbe que présente cetteplanche. Il hésita d'abord, puis enfin il se décidaà s'y rendre, non sans lever les yeux à plusieurs re-prises vers les branches de cet arbre. Lorsque j'eusfini, je me mis à gravir sur les roches pour en rom-pre un rameau, que j'ai rapporté en France ; maisle nègre en me voyant approcher, s'enfuit avec ter-reur hors de son ombrage en faisant des signes, engesticulant et en prononçant avec volubilité diversmots d'un idiome que je ne pouvais comprendre.Cependant l'expression de ses signes et quelquesmots arabes que l'un d'eux prononça (Intè ahouzenulat ! Tu veux donc mourir!) me firent compren-dre qu'en touchant à cet arbre, j'allais me fairemourir; mais l'impulsion était donnée, le rameauvenait de se rompre, et immédiatement un suc lai-

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ARBRES A .l'OISON. 147

teux, beaucoup plus abondant que je n'eusse pu m'yattendre, d'après ce que je connaissais de ces plantesdans nos contrées, ruissela sur mes vêtements et pé-nétra même sur mon corps. Les figures et les gestesde ces nègres exprimèrent à divers degrés la crainteou la pitié. Ils me firent comprendre que si le sueblanc atteignait une des nombreuses blessures que.j'avais sur le corps, j'en mourrais, et que, mêmesur la peau, il était dangereux.

« C'est avec ce suc qu'ils empoisonnent leursarmes, afin de rendre leurs blessures mortelles ;le font préalablement concentrer jusqu'à ce qu'il aitacquis une consistance un peu pâteuse; ensuite ilstrempent dans cette matière la pointe ou la lame del'arme qu'ils veulent empoisonner. »

Il n'est pas rare de voir des euphorbes dont la ra-mification mesure plus de S mètres de diamètre, ce.qui donne plus de 24 mètres à sa circonférence. Acette taille, la plus grande hauteur au-dessus dusol est aussi d'à peu près 8 mètres ; son tronc, ainsique les branches qui s'y rattachent, sont formés de.bois dur. Les branches secondaires ou rameaux sont.formées de moelle et de parenchyme soutenus parune faible partie ligneuse.

Ces rameaux forment des côtes ou arêtes ondu-lées, ordinairement au nombre de quatre ; cepen-dant quelques-uns n'en ont que trois, d'autres enont cinq. Sur les branches entièrement ligneuses,attenant au tronc, on reconnaît encore les anciennes

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148 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

côtes qui se sont transformées en écorce, tandis quela branche a passé de la forme primitive à la formecylindrique.

L'Euphorbia mamillaris croit aussi sur les mon-tagnes du Dar-fog, à peu près dans les mêmes con-ditions que l'Euphorbia canariens is, que nous ve-nons de décrire, avec lequel elle a beaucoup d'ana-logie; néanmoins son port est très-différent et ne pa-raît point atteindre d'aussi grandes proportions ; sesbranches et ses rameaux sont cylindriques. Ces der-niers sont entourés de petites mamelles portant desépines. Généralement, dans le sens longitudinal durameau, ces mamelles se présentent suivant une li-gne oblique, et, dans le sens du pourtour, suivantdeux systèmes de spirales. Sur chaque tour de cesspirales, on compte huit intervalles de mamellespour arriver sur la même ligne longitudinale de la-quelle on est parti, et en tournant sur les spiralesqui se présentent dans un sens, on arrive à trois in-tervalles au-dessus et au-dessous du point de départ; -tandis qu'en tournant sur celles qui se présententdans l'autre sens, on arrive à cinq intervalles au-des-sus et au-dessous de ce même point.

Il pousse chaque année, à l'extrémité même desrameaux, un petit jet de fleurs jaunes et de feuillesqui se développent en faisceaux ; à mesure que lerameau s'allonge, les petites feuilleS de quelquescentimètres de long qui accompagnent chaque ma-melle épineuse tombent, et celles-ci restent seules.

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LE CURARE. 149

LES VÉGÉTAUX PERFIDES (SUITE)

Euphorbes. — Apocynées. — Curare.

Le caractère étrange que nous signalions tout àl'heure à propos des plantes perfides, qui sont à lafois un aliment sain et un poison terrible, est appli-cable d'une manière plus frappante encore à cellesdont nous allons nous occuper. Le suc laiteux dequelques genres est riche en caoutchouc, où se trans-forme dans d'autres en un lait doux, sain et d'unesaveur agréable, ou se présente sous la forme despoisons les plus mortels. Nous avons parlé des arbresà lait, de ceux qui produisent en abondance le caout-chouc, des euphorbes arborescents ; plusieurs de lamême famille possèdent des sucs dont l'action estdes plus dangereuses. Les sauvages de l'Amériqueméridionale empoisonnent leurs flèches avec le lait.euphorbia, les Éthiopiens agissent de même ; au Cap,on se sert, comme d'un moyen infaillible pour tuerles hyènes, de morceaux de viande saupoudrée dansla poussière des fruits de l'Hyananche globosa. Uneespèce d'euphorbia, décrite par Martins, offre uneparticularité remarquable, que son lait, quand il s'é-coule pendant les nuits sombres et tièdes de l'été,répand une lumière phosphorescente.

Le woorarei, ourari, urali, etc., n'est autre chose

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LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

que le curare. Dans le temps passé, on croyait cettesubstance formée d'un suc végétal mêlé à du sangde vipère, du venin de crotale, de la bave de serpent,et autres substances aussi vénéneuses. Ces faits ontété démontrés faux par A. de Humboldt, Boussin-gault et (l'autres voyageurs, qui ont eu l'occasion del'étudier dans les végétaux qui le produisent, dans lemode d'extraction qu'en font les Indiens et dans lesmains de ceux qui s'en servent d'une façon si cruelle.C'est une substance purement végétale, produite parune liane appartenant au genre Strychnos, que nousdécrivons ci-après, liane de mavacure, abondante àl'est de la mission de l'Esmaralda, sur la rive gau-die de l'Orénoque, et que l'on recueille aussi sur leversant oriental des Cordillères, dans les forets quetraversent les grands fleuves de l'Amérique équato-riale.

Pour l'obtenir, on commence, dit Humboldt, àfaire une infusion à froid en versant de l'eau sur lamatière filandreuse qui est l'écorce broyée de mava-cure. Une eau jaunâtre filtre pendant plusieursheures goutte à goutte, à travers l'entonnoir de feuil-lage. Cette eau filtrée est la liqueur venimeuse, maiselle n'acquiert de la force que lorsqu'elle est con-centrée par l'évaporation, à la manière des mélasses,dans un grand vase d'argile. L'Indien qui remplissaitlà l'office de maître du poison nous engageait detemps en temps à goûter le liquide; on juge, d'a-près le goût plus ou moins amer, si la concentration

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LES VÉGÉTAUX PEIIFIDES. 1M

par lé feu est poussée assez loin. Il n'y a aucun dan-- ger à en boire,' le curare n'étant délétère que lors-qu'il entre immédiatement en contact avec le sang.

D'au.tres voyageurs, Schoinburgli, Poeppig, ontlaissé d'intéressantes descriptions de cette prépara-tion et des foudroyantes propriétés de ce poison,dont la puissance a pu autoriser les naturels à préfé-rer leurs armes silencieuses au fusil bruyant des Eu-ropéens. Le sauvage s'arme d'un long tube bien ré-gulier : ses flèches, taillées d'un bois dur, longuesd'un pied, ont la pointe trempée dans le curare, tan-dis que le bout opposé est enveloppé d'une quantitéde coton suffisante pour occuper exactement l'entréedu tube. Muni de cette arme terrible, il cherche àsurprendre son ennemi qui se régale tranquillementdu cerf qu'il vient de tuer. Pas le moindre bruit netrahit ses mouvements furtifs; son pied semble glis-ser sur le sol. Mais voilà qu'il s'arrête, il souffle avecforce dans sa sarbacane meurtrière, le trait vole etva atteindre à plus de trente pas de distance la mal-heureuse victime sans défense, qui, à la plus légèreblessure, tombe dans des convulsions atroces et rendl'âme immédiatement.

Schleiden' rapporte qu'une foule de plantes dela même famille possèdent des poisons analogues ; cesont leurs graines surtout qui les distinguent des

La Plante, leçon X.

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•4.7

159 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

plantes précédentes par leurs propriétés tokicolo :

gigues, car on y trouve deux des poisons les plusviolents, la strychnine et la brucine. La fève de Saiiit-Ignace (Ignatia amura) et les noix vomiques (Stry-chnos nux vomica) se trouvent partout - sous lestropiques. Il rapporte à ce propos une coutumesingulière (qui rappelle les jugements • de Dieu„ dumoyen âge, en Europe) qu'ont les Malgaches defaire dépendre la culpabilité ou l'innocence d'un in-dividu de la force de l'estomac. L'hoMme accuséd'un crime est obligé, en présence du peuple etdes prêtres, d'avaler une noix de thangiu ; si sonestomac est assez fort pour pouvoir vomir le terriblepoison, l'accusé est acquitté ; sinon il est considérécomme coupable et ne tarde pas à subir son chàti-ment, car le malheureux meurt presque immédia-tement.

Ce genre de jugement est à peu près aussi ab-surde, aussi injuste et aussi ridicule que le moyenencore en usage de nos jours pour consacrer le droitdes nations. Ou devine que nous voulons parler dela guerre, cette raison du plus fort qui juge les dif-férends des peuples, comme si les canons rayésavaient quelque chose de commun avec les principesde la justice morale !

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LES .VÉGÉTÀUX PERFIDES. 155

ARBRES A POISON DE JAVA

Strychnos Tieuté (Upas).

Un certain nombre d'arbres produisent le poison :tels sent le curare, qui croît sur les bords de l'Oré-noque ; le woorava, qui borde la rivière des Ama-

Le Duho-Upas.

zones ; mais le plus terrible est celui que nous ve .-nons de choisir, le dulio-upas, qui croît dans plu-sieurs contrées de l'Inde, à Java, Bornéo, Sumatra etaux Célèbes.

Rumph, qui en a donné la description, le nommearbor toxicaria. Cet arbre a le tronc gros, les bran-ches étendues . ; son écorce est brune et raboteuse ;

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154 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

son bois dur, d'un jaune pale, et marqué de tachesnoires. Des diverses espèces de strychnos (d'où l'ontire la strychnine), celle-ci est, avec la noix vomique,celle dont le poison est le. plus violent. On a racontésur ce végétal bien des faits merveilleux et des fa-bles extraordinaires dont nous nous garderons biende nous faire l'écho ; les observations réelles faitessur cet arbre sont du reste assez curieuses. Voici,sous réserve encore, ce qu'en dit Thunberg, le bo-taniste d'tipsal.

L'upas se reconnaît à une grande distance : il esttoujours vert. La terre est, autour de lui, stérile etcomme brûlée. Le suc est d'un brun foncé. Il seliquéfie par la chaleur comme les autres résines.On le recueille avec beaucoup de précautions. Ons'enveloppe la tète, les mains et tout le corps, pourse mettre à l'abri des émanations de l'arbre, et sur-tout des gouttes de suc qui en tombent. On évitemème d'en approcher de trop près; pour cela, ona des bambous, terminés par une pointe d'acier,creusés en gouttière ; on enfonce une vingtaine debambous dans le tronc de l'arbre ; le suc coule lelong de la rainure de l'acier, dans le creux des bam-bous, jusqu'au premier noeud. On les y laisse troisou quatre jours, pour que le suc puisse les rempliret se figer : on va les arracher ensuite. On sépare lapartie des bambous qui contient le poison, et onl'enveloppe avec grand soin. Ce poison perd de saforce quand il est gardé un an.

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LES POISONS. 155

Les émanations de l'arbre produisent des spasmeset de l'engourdissement. Si l'on passe au-dessous latête nue, on perd ses cheveux. Une goutte de suc quitombe sur la peau produit une violente inflamma-tion. Les oiseaux volent difficilement au-dessus, etsi quelqu'un se pose s'ur les branches, il tombemort. Le sol est absolument stérile alentour à la dis-tance d'un jet de pierre. Les personnes blessées avecun dard empoisonné éprouvent à l'instant une cha-leur ardente suivie de convulsions, et meurent enmoins d'un quart d'heure. Après la mort la peau secouvre de taches, le visage est livide et enflé, et leblanc des yeux devient jaune.

Foerset rapporte des expériences faites avec la ré-sine de l'upas. « Étant à Soura-Charta, dit-il, j'assis-tai à l'exécution de treize femmes. On les conduisità onze heures du matin sur la place vis-à-vis le pa-lais. Le juge fit passer au-dessus de leur tète la sen-tence qui les condamnait ; on leur présenta ensuitel'Alcoran pour leur faire jurer que cette sentenceétait juste, ce qu'elles firent en mettant une mainsur le livre et l'autre sur la poitrine et levant lesyeux au ciel. Ensuite le bourreau procéda à l'exécu-tion de la manière suivante :

« On avait dressé treize poteaux : on y attacha lescoupables. Elles restèrent dans cette situation, mê-lant leurs prières à celles des assistants, jusqu'à ceque le juge, ayant donné le signal, le bourreau lespiqua au sein avec une lancette trempée dans la ré-

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156 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

sine de l'upas. A l'instant elles éprouvèrent un trem-blement suivi de convulsions, et six minutes aprèsaucune d'elles n'existait. Je vis sur leur peau des ta-ches livides; leur visage était enflé, leur teint bleuâ-tre, leurs yeux jaunes.

« J'eus occasion de voir une autre exécution à Sa-marang. On y fit mourir sept Malais de la mêmemanière, et j'observai les mêmes effets. »

Le descripteur hollandais donne d'autres rela-tions que nous tiendrons pour fabuleuses. Maiscomme il s'agit dans ce qui précède de faits vérifiéspar d'autres voyageurs et expliqués par la violencede ce poison — qui tue par l'inoculation d'une seulepiqûre au doigt — nous avons avec le traducteurde Darwin' admis les observations relatives à l'arbrede Java.

Les forêts de Java offrent peu d'attrait aux voya-geurs européens, du moins un sentiment de craintese mêle-t-il ordinairement à celui de la curiosité.De toutes parts, dit Schleiden, des palmiers hérissésd'épines et d'aiguillons , des roseaux aux feuillestranchantes, coupant comme des couteaux, repous-sent de leurs armes dangereuses celui qui veut y pé-nétrer. Partout dans ce fourré épais se dressentd'un air menaçant de terribles orties ; de grandesfourmis noires tourmentent le voyageur de leurs

Médecin et poète anglais du siècle dernier (1751-1802), auteurdes Amours des plantes et de plusieurs ouvrages de botanique.(Magasin pittoresque, t. 1,1835.)

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LES POISONS. 157

morsures dangereuses, et des essaims d'innombra-bles insectes le poursuivent et le persécutent. Aprèsavoir vaincu ou écarté tous ces obstacles, il arrivedevant les massifs de bambous, élevant leurs tiges,grosses comme le bras, à 50 pieds de hauteur, etprésentant une écorce dure et vitreuse qui résisteaux coups de hache les plus formidables. Enfin,quand ce nouvel obstacle est écarté, il atteint l'en-trée des dômes majestueux de la forèt vierge pro-prement dite. Des troncs gigantesques de l'arbre àpain, du bois de teck dur comme du fer, des légu-mineuses aux touffes brillantes de fleurs, des bar-ringtonia, des figuiers et des lauriers en forment lescolonnades qui supportent la voûte verdoyante etrare. De branche en branche il voit sautiller les sin-ges, qui ne font que l'agacer et lui jeter des fruits.A mesure qu'il s'avance, il voit l'orang-outang, à lamine sévère et mélancolique, s'élancer d'un rochercouvert de mousse, et, soutenu sur son bâton, s'en-foncer dans le fourré. Partout on rencontre des ani-maux; ce qui rend ces forèts bien différentes de lasolitude désolante de plusieurs de celles de l'Amé-rique centrale. On y voit des plantes grimpantesélever en spirales leurs tiges miliaires, et entrelacerà une hauteur de 100 pieds les arbres les plus gi-gantesques, au point qu'elles semblent vouloir lesétouffer. De grandes' feuilles vertes et luisantes al-ternent avec des vrilles qui s'y tamponnent et desombelles odorantes amplement fournies de fleurs

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458 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

blanches à teintes verdâtres. Cette plante, de la fa-mille des apocynées, est le tjettet des indigènes(Strychnos tieuté), dont les racines fournissent le ter-rible upas radja ou poison des princes. A la moin-dre blessure faite au tigre avec une arme trempéedans ce poison, ou avec une petite flèche de boisdur envoyée par le souffle d'une sarbacane, l'animaltremble, reste immobile pendant une minute, tombeensuite foudroyé et expire dans de rapides convul-sions. La partie de cet arbre qui se développe au-dessus de la terre est inoffensive. En continuant samarche, le voyageur ne tarde pas à rencontrer unarbre dont la tige élancée dépasse tous les autresqui l'environnent. Le tronc, parfaitement cylindri-que et glabre, monte à 60 ou 80 pieds et porteune superbe couronne hémisphérique qui dominefièrement les plantes étalées humblement autour delui. Malheur au voyageur si sa peau vient à toucherle suc laiteux que contient en abondance son écorcetrop prompte à s'ouvrir! des ampoules, des ulcèresdouloureux et plus redoutables que ceux produitspar le sumac vénéneux, se déclarent presque aussi-tôt. C'est l'autjar des Javanais, le pohan upas desMalais (l'arbre du poison), l'ypo des habitants desCélèbes et des îles Philippines. Il produit l'upas or-dinaire qui servait à l'empoisonnement des flèches,usage qui paraît avoir été répandu dans toutes les îlesde la • mer du Sud, mais qui diminue de nos joursà mesure que celui des armes à feu devient général.

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VALLÉE DE LA MORT. 159

Rien en même temps n'est plus grandiose, plus su-blime que le caractère des montagnes de ce pays, les-quelles, ainsi que les îles elles-mêmes, doivent le jourà des éruptions volcaniques.

LA VALLÉE EMPOISONNÉE

Nous ne saurions terminer cette courte esquissedes arbres vénéneux, et surtout ;la description desupas javanais, sans dire un mot de cette vallée, dontle caractère funeste est attribué par l'ignorance desindigènes aux exhalaisons de ces végétaux terribles.Suivons ici aussi le récit de Schleiden.

En quittant le fourré de la forêt vierge, si le voya-geur escalade une colline, son regard terrifié aper-çoit soudain l'image de la désolation. Une valléeplate et déserte ne présentant pas le moindre tracede végétation, calcinée par l'ardeur du soleil, se dé-roule devant lui à perte de vue. La mort seule habitecette région parsemée de squelettes et d'ossementsà moitié détruits. Souvent on reconnaît, d'après leurposition, que le tigre a été frappé au moment desaisir sa victime, et que l'oiseau de proie, en des-cendant sur son cadavre, a subi le même sort. Desmonceaux de coléoptères et d'autres insectes se ren-contrent éparpillés çà et là, et témoignent en faveurde la justesse du nom que cette vallée a reçu des na-

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160 LES VÉGÉTAUX 'MERVEILLEUX.

turels. C'est la vallée de la Mort ou la Vallée empoi-sonnée. Cette propriété funeste du terrain est dueaux émanations d'acide carbonique qui, à cause desa pesanteur spécifique, ne se mêle que lentementaux couches supérieures de l'atmosphère, commecela se voit dans la Crotta del Cane (Grotte du Chien)près de Naples et dans la caverne à vapeurs de Pyr-

La Vallée empoisonnée (Java).

mont. Ce gaz donne infailliblement la mort à tousceux qui se baissent vers le sol. L'homme seul, à quiDieu a départi la faculté de marcher debout, traverseimpunément ces endroits dangereux pour les ani-maux d'une stature moins élevée, parce que ces va-peurs asphyxiantes ne peuvent atteindre à la hauteurde sa tète. De même que l'oppression qu'on éprouvesur l'Himalaya à une hauteur de 15,000 à 16,000pieds est a ttribuée par des indigènes aux émana-

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'VALLÉE DE LA MORT. 161

'tions véhéneuses ite certaines herbes, de mème aussiles terribles phénomènes de la -vallée de la, Mort ontété mis sur le compte des,émanationsdu poiion upasdont nous venons de parler, et ce que l'on en ,ra-

fe

conte est d'autant plus effrayant que, jusqu'ici, onne connaît pas encore le contre-poison à opposer àce venin violent, .dont l'effet est instantané.

N'envions pas aux habitants des tropiques le laitde l'arbre à vache, et, contents de l'utile présent ducaoutchouc, renonçons sans regret au reste de la vé-gétation luxuriante de ces contrées qui, avec toutesleurs beautés, présentent toujours aussi quelquechose de funeste. Aucun médicament connu n'estcapable de neutraliser les effets de ces poisons, quisont autant d'énigmes terribles posées au genre bu.-Main. Ils confirment ce dire que la brillante lumière'de la nature tropicale a aussi son côté sombre, etque plus d'un dragon défend l'approche de ces jar-dins des Hespérides.

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CHAPITRE IX

LES DOYENS ET LES GÉANTS DU MONDE VÉGÉTAL

I. LONGÉVITÉ DES ARBRES

De tous les objets dont la nature organique revêtnotre globe, aucun ne laisse une plus vénérable idéedu temps que ces arbres séculaires dont les branchesont étendu leur ombre sur tant de générations. L'ar-bre immense et calme a quelque chose de mysté-rieux et d'attirant pour le regard; pour mitre part,nous avons rarement vu la vie printanière revêtird'une nouvelle parure un arbre que chaque annéeon revoit pareil à lui-même, sans rencontrer au fond

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LONGÉVITÉ DES ARBRES. 103

de notre être une pensée,dominante qui nous expri-mait plus éloquemment que toute autre la brièvetéde notre vie. Les monuments de l'homme vivent pluslongtemps que lui, c'est vrai ; mais ils ne sont pointanimés par la vie de la nature. Les montagnes aussiont assisté aux révolutions séculaires des âges, maisce ne sont point des individualités avec lesquellesnous puissions entrer en confidence. L'arbre, au con-traire, l'arbre comme la `fleur, est un individu quinous regarde et qui se tient devant nous comme letémoin calme de notre existence. Cet arbre existaitlongtemps avant que nous ayons reçu le jour,il a vu les siècles qui nous ont précédés ; bien deshommes ont passé à ses pieds, qui furent nos loin-tains ancêtres durant ces époques pour nous si mys-térieuses de notre existence. Et quand le flambeaude notre vie sera consumé, ce même arbre restera,lui, calme et silencieux comme aujourd'hui, il refleu-rira au printemps et de nouvelles générations vien-dront se jouer comme la nôtre à ses pieds!

Les grands végétaux comptent leur existence parsiècles. Qui ne tonnait le chêne des partisans, dans ledépartement des Vosges, qui domine de sa tête en-core verdoyante le bois de Saint-Ouen au-dessus deSauville? Un jour (c'était le 30 septembre 1866) nouseûmes la curiosité de le mesurer. Sa hauteur est de33 mètres, son envergure de 25, sa circonférenceà hauteur d'homme est de 6' 11 ,65, sa circonférenceaux racines, à 1 pied de hauteur, est de 11°1,50.

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16'4 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

Non loin de là se dresse un autre géant, le chêneHenry, qui mesure 4 1%95 à hauteur d'homme. Lechêne des Partisans peut bien compter 650 prin-temps, et doit avoir connu le temps où les bandesdes cottereaux, carriers ou routiers, dévastaient laFrance sous le règne de Philippe Auguste.

A la base des pentes méridionales du mont Blanc,dans la forêt de Ferri, près du col de ce nom, ontrouve un mélèze qui a 5'",45 de circonférenceau-dessus du collet de la racine, et qui paraît attes-ter 800 ans de vieillesse.

Non loin de lui, entre Dolonne et Pré-Saint-Di-zier, on voit sur les montagnes du Béqué un sapindésigné par les habitants du pays sous le nomd'Écurie des chamois, parce qu'il sert d'abri àces animaux pendant l'hiver. Il mesure 7"',62 decirconférence et 4"',80 encore au premier embran-chement. Malgré sa magnifique végétation et saverdoyante parure; on lui attribue 1,200 ans d'exis-tence.

Aux Dés du Cap-Vert, Adanson a mesuré plusieursbaobabs de 50 mètres de circonférence, lesquels,suivant ses prévisions, devaient compter près de6,000 ans d'existence. Ils eussent été antérieurs audéluge.

On peut au premier abord s'étonner que l'onpuisse par l'aspect d'un arbre déterminer approxi-mativement son âge. L'explication en est cependantfort simple.

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LONGÉVITÉ DES ARBRES. 465

- Chaque année, une nouvelle couche de bois seforme dans l'arbre, et l'on peut voir sur un troncscié qu'en effet le bois montre une suite de zonesconcentriques. Si l'on divise un. arbre par tronçonsen faisant des coupes continues le long de la tigeet au-dessus de chaque embranchement régulier, lenombre de couches ligneuses qu'on comptera surles diverses coupes diminuera successivement d'an-née en année, depuis la première série de branchesjusqu'à la cime. Le nombre d'embranchements ré-guliers disposés le long de la tige coïncide de plusavec le nombre d'années écoulées depuis la nais-sance de l'arbre ,jusqu'à l'instant de sa destruction.Enfin, si l'on coupe transversalement l'une desbranches latérales de chaque série, on s'apercevraque le nombre des couches ligneuses de chaque coupecoïncide avec celui de la partie correspondante de latige, car ces branches se sont développées la mêmeannée. Chaque zone ligneuse concentrique indiquantune année, un arbre qui montre cent zones peutêtre regardé comme comptant un siècle d'existence.C'est par ces observations sur les arbres mêmes ousur ceux de la même espèce, et par d'ingénieuses dé-ductions, que les botanistes sont parvenus à détermi-ner leur âge.

Les végétaux qui, dans tous les pays du monde;acquièrent les dimensions les plus remarquables sontl'if, le châtaignier, plusieurs bambous, les mimosas,les cesalpinia, les figuiers, .les acajous, les courba-

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163 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

rils, les cyprès à feuilles d'acacia, et le platane occi-dental. Nous ne parlons pas d'une race de géants ré-cemment découverte dont nous offrirons ci-aprèsquelques spécimens.

AGES DE QUELQUES ARBRES.

On voit en Écosse, à Fortingall, un if de plus detrois mille ans. En France, à Foullebec (Eure), unif mesuré en 1822 paraissait âgé de onze à douzecents ans.

Adanson a mesuré au cap Vert un baobab dont letronc présentait 29 mètres de circonférence ; la com-paraison de cet arbre avec les plus jeunes de nos es-pèces accuse pour lui cinq mille ans d'âge. Golbergen a observé un autre qui atteignait 54 mètres de pour-tour, et par conséquent, selon toute apparence, étaitplus àgé que le précédent. Mais le plus remarquableencore, au point de vue de l'ancienneté, c'est le pincolossal de Californie, le sequoia, qui s'élève à unehauteur de 100 mètres et présente une épaisseur de10 mètres. Les couches concentriques d'un de cestroncs immenses témoignèrent six mille ans : il étaitdonc contemporain des premières dynasties égyp-tiennes. Nous en parlerons à la fin de ce chapitre.

Nous nous proposons de décrire maintenant lesarbres les plus merveilleux au point de vue de leur

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LONGÉVITÉ DES ARBRES. 167

àge, de leur grosseur, ou de l'intérêt de leur,rôlehistorique.

En Europe, le tilleul paraît l'arbre le plus sus-ceptible de longévité et de proportions gigantesques.Le tilleul de Neustadt en est un exemple remarqua-ble. C'est en Allemagne, dans le royaume de Wurtem-berg, que se trouve cette petite ville. La ramure del'arbre colossal qui porte son nom décrit une cir-conférence de 153 mètres, et ses branches sont sou-tenues par 106 colonnes de pierre. Au milieu duseizième siècle, le duc de Wurtemberg fit peindreses armoiries sur les deux colonnes du devant. Ason sommet, le tilleul de Neustadt se divise en deuxgrosses branches, dont l'une fut brisée par la tem-pête en 1775, tandis que l'autre mesure encore au-jourd'hui une longueur de 55 mètres.

Le tilleul de Fribourg, dont la circonférence estde 5 mètres, en offre un autre exemple. Il présentede plus un intérêt historique, parce qu'il provientd'un rameau planté le jour de la bataille de Morat,à côté du cadavre d'un jeune Fribourgeois mort defatigue en venant annoncer la victoire : glorieuseardeur qui rappelle les jours de la Grèce antique.

Le tilleul (le Villars-en-Moing, près Fribourg, estplus ancien encore, car il était déjà célèbre en 1476,date de la bataille précédente. Sa circonférence nemesure pas moins de 12 mètres ; sa hauteur est de24. Deux branches énormes se divisent à 5 mètresau-dessus du sol, et ces branches se subdivisent elles-

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16S LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

mêmes en cinq nouvelles branches, puissantes ettouffues.

Le chêne est avec le tilleul le végétal de • nos con-trées qui acquiert les plus grandes proportions.

L'Angleterre en possède de fort remarquables parleur vieillesse et leurs dimensions. En voici quel-ques-uns :

Le chêne du parc Clipson, agé de quinze cents ans.Ce parc existait avant la conquête, et il appartient.au duc de Portland.

Le chêne le plus haut de taille, aussi bien que leplus vieux, appartient au même lord. On l'avait sur-nommé la Canne du duc.

Le plus gros chêne d'Angleterre est le chêne de .Calthorpe, dans le Yorkshire il mesure 78 pieds decirconférence à sa base.

Le chêne des Trois-Comtés est ainsi nommé parcequ'il appartient à un domaine situé à la fois dansles comtés de Nottingham, de Derby et • d'York.Cet arbre couvre de son feuillage 777 mètrescarrés.

Le chêne le plus productif était celui de Geb-nos, dans le comté de Montmouth ; il fut abattuen •1810 ; l'écorce seule fut vendue 200 livres ster-ling (5,000 francs) et le bois 670 livres sterling(16,750 francs). Ces chiffres sont extraits de laRevue britannique. Dans le manoir de Tredegar,même comté, une salle de 42 pieds de long sur27 de large a été parquetée et lambrissée avec le

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produit d'un seul chêne tiré du parc de ce do-maine.

Il ne faudrait pas toujours se croire en droit dedécerner un brevet d'antiquité à un végétal à. causede sa grosseur. Nous avons été fort surpris, il y aquelque temps, en visitant le beau chàteau de Fon-taine-llenri (Calvados), (l'entendre dire au jardinierqu'il avait planté lui-même, il n'y a que cinquante-huit ans, un sophora dii Japon mesurant actuelle-ment 5 mètres de diamètre au-dessous des branches,et projetant dans le ciel douze branches énormes ! Apremière vue, nous avions assigné à ce colosse plu-sieurs siècles d'existence.

Voici maintenant les plus remarquables-de notreFrance. On observera qu'ils ne le cèdent en rien auxprécédents.

LES COLO1SES DU RÈGNE VÉGÉTAL

II. CHÊNES - D'AUTRAGE, - DANTEIN, - D'ALLOUVILLE,

DE MONTRAVAIL.

Le chêne d'Autrage, dans L'arrondissement de Bel-fort (Ilaut-Rhin), l'un des plus gros arbres de. noscontrées, fut abattu il y a quelques années. Il avaitprès de 5 mètres de diamètre à la base, et plus de14 de circonférence. La bille seule produisit' 26 stè-res de bois marchand. On faisait remonter l'originede ce chêne aux temps druidiques.

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170 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

Le diène d'Antein, dans la fora de Sénart.

Il n'est pas nécessaire de s'éloigner beaucoup deParis pour voir certains monuments végétaux fortrespectables. Sans aller même jusqu'à la forêt deFontainebleau, et sur la route même, vous pouvezdescendre à la station de Montgeron ou de Brunoy,et faire une longue excursion dans la belle forêt deSénart. Avant d'arriver au petit village de Cham-prosay, à 500 mètres environ au-dessus, il y aune croisée où huit routes viennent aboutir. C'estau milieu de cette croisée que se trouve le vieux chêned'Antein. Les Parisiens qui descendent le dimancheà la station de Villeneuve-Saint-Georges, et qui s'é-loignent dans la campagne arrosée par la petite ri-vière d'Yères, ne perdraient rien à l'intérêt de leurspromenades s'ils regardaient de temps en temps lesarbres et les plantes. avec l'oeil du botaniste et del'historien. Le tronc du chêne dont nous parlons me-sure 5m,20, et son feuillage couvre un espace deplus de 50 mètres.

Plusieurs de ses vieilles branches ont été abattues.Jadis, au bon vieux temps, on y pendait haut etcourt. Au dernier siècle, l'extravagant marquis deBrunoy avait dignement remplacé cet usage en fai-sant servir sous son ombre d'excellents déjeuners dechasse.

Les tilleuls et les chènes que nous venons de dé-

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crire, quelque remarquables qu'ils soient, ne for-ment encore que l'entrée en matière des descriptionsqui vont suivre; ils sont à la lisière des bois géantsque nous devons parcourir. Voici en effet les végé-taux dignes d'être nommés merveilleux pai. leur taillegigantesque et par les années que supportent cespatriarches du monde, auprès desquels les animauxne sont que des ombres éphémères.

Le vieux chêne d'Allouville.

Parmi les arbres antiques et merveilleux qui ex-citent au plus haut degré l'intérêt des voyageurs,nous citerons le chêne immense d'Allouville, prèsd' Yvetot. 11 est du nombre de ceux auxquels lesouvenir reste le plus chèrement attaché. Ce que l'ona écrit de mémoires savants, de discussions scienti-fiques sur cet arbre, ne vaut pas les récits tradi-tionnels des villageois qui se succèdent à sespieds depuis des siècles. Son ombre a couvert desancêtres bien chers, et s'étend sur la dernière de-meure de bien des générations. Planté au milieudu cimetière, souvent les pieux habitants des cam-pagnes sont venus s'agenouiller à ses pieds auxheures d'inquiétude et de souffrance ; peu d'arbres,peu de chênes ravivent avec autant de puissance lepatriotique souvenir qui s'attache, dans l'esprit desfils de la Gaule, au culte primitif de la nature chezles druides.

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172 . LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

Au-dessus du sol, il mesure 50 pieds de::circon-férence, et 24 à hauteur d'homme. Dans l'intérieurdu tronc creux, on a'établi une chapelle. Au-dessus— on pourrait dire au. premier — se voit unechambre rustique. d'anachorète, garnie d'une couchetaillée dans le bois. Plus haut encore, au second, unpetit clocher couronné par une croix surmontel'édifice végétal.

Ce chêne ne compte pas moins de neuf cents ansd'âge. C'est au dix-septième siècle que l'on décorason intérieur en chapelle, et que l'on consacra cettechapelle à la Vierge. Sous la Révolution, des fana-tiques inintelligents, qui font consister leur foià tout détruire, tentèrent à plusieurs reprises d'in-cendier ce vénérable monument historique ; maisles habitants d'Allouville - et des alentours , • quivouent à cet arbre une sorte de culte de famille, ledéfendirent avec amour et le sauvèrent. Bien desgénérations viendront encore s'asseoir sous sonombre immense.

L'aspect de cet arbre, dit un chroniqueur',excite un intérêt encore plus grand , peut-être, quecelui des édifices que nous ont légués les peupleséteints. Il nous semble qu'il y a réellement quelquechose de plus éloquent dans cette végétation . sanscesse renaissante qui a vu tant de fosses se fermer ets'ouvrir, dans cette écorce-vive qui palpite sous le

I Magasin pittoresque, t. I, 1855.

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doigt, que dans les pierres muettes et froides desvieux temples ; et nous ne connaissons pas d'historienqui nous ait plus touché que la tradition humble etpieuse qui raconte aux voyageurs les rois, les guer-riers qui se sont reposés contre ce tronc antique,les troubadours qui l'ont chanté, ou les orages quil'ont frappé sans le consumer jamais. »

Un jour, dans une excursion de touriste, revenantde Caudebec à Yvetot, nous fîmes un détour pourvisiter le vieux chêne. La particularité qui nousfrappa le plus dans ce végétal, c'est qu'il est ré-duit pour ainsi dire à son écorce seule. Il estentièrement creux, de la racine au sommet, et l'in-térieur est plaqué de bois, muré ou plâtré, tapissécomme une cellule ou un oratoire. Cependantl'arbre est aussi vert que ceux de la forêt voisine, etdes milliers de glands décorent chaque été sonfeuillage.

Le chêne de Montravail.

Le vieux chêne-chapelle d'Allouville n'est pourtantqu'un monument fort modeste à côté de celui-ci,qui ne compte pas moins de dix-huit cents ans àdeux mille ans d'existence ; et l'énorme châtaignierde i'Etna ne peut lui être comparé s'il est vrai que sacirconférence soit formée par la réunion de plusieursbranches sortant d'une base commune enfouie sous

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176 •LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

les cendres volcaniques, et rapprochées de manièreà simuler un même tronc.

Ce chêne, qui se trouve dans la vaste cour de laferme de Montravail, près de Saintes, est, sans con-tredit, le doyen des forêts de la Saintonge et de laFrance entière. Il appartient à l'espèce quercus ion-gxva, et sa robuste constitution peut encore .suppor-ter le poids des siècles à venir. Un feuillage vert etabondant vient chaque année le couronner, pour ladeux-millième fois peut-être. Au niveau•du sol, sondiamètre est de S à 9 mètres, sa circonférence deprès de 26. Le développement général des branchesmesure 120 mètres de circuit.

Dans le bois mort de l'intérieur du tronc, ontrouve une salle creusée, de 5 à 4 mètres de dia-mètre sur 5 de hauteur ; un banc circulaire tailléen plein bois et préparé pour les visiteurs , etlorsqu'on place une table au centre , douze convivespeuvent facilement prendre leur collation dans cettesalle à manger rustique. Une tapisserie vivante defougère et de mousse la décore ; elle reçoit le jourpar une fenêtre placée à gauche, et par la porte quiest vitrée.

Il ne reste plus guère de cet arbre qu'une épaisseécorce ; c'est le sort de presque tous les vieux végé-taux, qui perdent leur moelle, leur coeur et leur boiset ne vivent plus que par leur squelette extérieur.Cet aspect se remarque surtout dans les saules. Der-nièrement nous suivions le bord de la Marne, sous

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le magnifique viaduc de Chaumont, lorsque l'un deces saules nous arrêta. Il ne possédait plus qu'uneécorce crevassée entièrement creuse du haut en bas.Cependant il était verdoyant, et de plus mille para-sites, végétaux et animaux, en habitaient les pro-fonds interstices.

III. CHÂTAIGNIERS - DE NEUVE-CELLE, - DE L'ETNA; P-ATANES

DE SMYRNE, - DE COS, - DE GODEFROY DE SOUILLON

Le châtaignier de Neuve-Gelle (Suisse).

La Suisse est remarquable par là diversité de sestrésors naturels. Aux sites délicieux, aux points - devue pittoresques, aux paysages magnifiques, elleajoute encore des beautés particulières non moinsprécieuses. Nous parlerons seulement ici de quel-ques arbres célèbres.

Au bord du lac Léman domine le manoir de Meil-lerie, dont les rochers suspendus ne sont séparés du ,

- lac que par la route du Simplon. De Meillerie on ar-rive, par Talemon (site légendaire) à Maxili et au,château de Neuve-Gelle, auquel appartient le châtai-gnier dont nous parlons. Dès. le quinzième siècle,cet arbre abritait un modeste ermitage, et sansdoute, à cette époque, il était déjà d'un âge respec-table. Aujourd'hui, sa hase mesure une circonférencede 15 - mètres. Sa cime, plusieurs fois frappée parle feu du ciel, s'est arrêtée dans . son développe-

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180 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

ment ; mais l'envergure de ses branches lui donneencore un aspect vénérable, et l'été voit chaqueannée de nombreux touristes venant se reposer àson ombre.

On admirait encore, il y a un demi-siècle, à Ma-ges, sur la rive septentrionale du lac, deux arbresjumeaux à peu près de la même taille. En 1824, leplus grand succomba sous le poids de sa vieillesse,chute dont les habitants ressentirent une douleurréelle, car l'ormeau tombé était depuis bien long-temps le contemporain, le confident de leurs ancê-tres. Cet ormeau mesurait, à la sortie des branchesdu tronc, plus de 11 mètres de circonférence; labranche principale mesurait 5m, 44, plusieurs au-tres, 5 mètres. — Son frère est resté debout etgrossit encore.

A Prilly, près de Lausanne, on rencontre un tilleuldont l'ombre, il y a cinq cents ans, couvrait déjà lajustice du lieu. La municipalité de Lausanne le sur-veille avec soin; son attentive sollicitude préside àsa conservation, chère aux deux communes ; unepetite fontaine entretient la fraîcheur de ses racines.Les dimensions de cet arbre ne sont pas inférieuresà celles du précédent.

L'ormeau de Lutry et le tilleul de Villars sont,comme les précédents, le rendez-vous des voya-geurs, et obtiennent comme eux une admirationméritée.

N'oublions pas les bains d'Évian, où l'on voit, un

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peu au-dessous de la route, deux rosiers de mêmeforme, et presque égaux en grandeur et en grosseur.Ce ne sont pas des monuments gigantesques auprèsdes colosses végétaux dont nous venons de par-ler; mais ils ne causent pas aux voyageurs unemoindre surprise. Ces rosiers sont d'une taille fortremarquable pour le monde des fleurs auquel ils ap-partiennent ; leur tronc mesure près de 0 1%50 decirconférence.

Le châtaignier de l'Etna.

Le châtaignier de Neuve-Gelle est loin d'être com-parable à celui-ci, célèbre, sous le nem Châ-taignier des cent chevaux,à cause de la vaste étenduede son ombrage. La tradition rapporte que Jeanned'Aragon visita l'Etna dans son voyage d'Espagne àNaples, et que toute la noblesse de Catane l'accom-pagna dans son excursion. Un orage étant survenu,la reine et sa suite auraient trouvé un abri sous lefeuillage de cet arbre immense.

« Cet arbre si vanté et d'un diamètre si considé-rable est entièrement creux, dit Jean Houei., le pre-mier voyageur qui en ait donné la description ausiècle dernier, car le châtaignier est comme le saule,il subsiste par son écorce : il perd en vieillissant sesparties intérieures, et ne s'en couronne pas moinsde verdure. La cavité de celui-ci étant immense, des

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182 LES .VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

.gens.du pays y ont construit une maison où est untour pour sécher des châtaignes, des noisettes, desamandes et autres fruits que l'on veut conserver ;c'est un usage général en Sicile. Souvent, quand ilsont besoin de bois, ils prennent une hache et ils encoupent à l'arbre 'même qui entoure leur maison ;aussi ce châtaignier est dans un grand état de des-truction.

« Quelques personnes ont cru que cette masseétait formée de plusieurs châtaigniers qui, pressésles uns contre les autres, et ne conservant plus queleur écorce, n'en paraissent qu'un seul à des yeuxinattentifs. Ils se sont trompés, et c'est pour dissipercette erreur que j'en ai tracé le plan géométral.'foutes les parties mutilées par les ans et la maindes hommes m'ont paru appartenir à 'un seul etmème tronc'. »

On a dit, en effet, comme le rappelle Houei, queplusieurs arbres étaient réunis dans ce végétal gi-gantesque: cependant plusieurs témoignages semble-raient infirmer cette opinion. Brydone, qui le visita en1770, rapporte que ses guides, interprètes des tradi-tions du pays, assuraient qu'à une époque très-an-cienne, une écorce continue et très-saine couvrait en-core ce tronc, dont on ne voit plus malheureusementaujourd'hui que les ruines. Le chanoine Recupero,

Nous tenons de M. Isabeau, horticulteur distingué; que certainsarbres sont particulièrement disposés à se souder lorsqu'ils prennentnaissance autour de la souche paternelle, et que ce fait a été maintesfois observé sur l'olivier.

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LES COLOSSES DU RÈGNE VÉGÉTAL. 185

naturaliste sicilien, attesta en présence du voyageuranglais et de plusieurs autres témoins que la racinede cet arbre colossal était unique. La meilleureobservation à l'appui de l'unité de ce végétal, c'estencore l'exemple fourni par d'autres châtaigniersde l'Etna qui présentent jusqu'à 12 mètres de dia-mètre.

Celui que nous décrivonsa 160 pieds de circon-férence. — On ne saurait, même approximativement,calculer son âge.

Aujourd'hui une ouverture, assez large pour quedeux voitures y passent de front, le traverse de parten part, ce qui n'empêche pas qu'il se couvre annuel-lement de fleurs et de fruits.

Nous devons cependant ajouter, en terminant,que c'était une coutume, chez les horticulteursanciens, de rassembler autour d'une pousse plu-sieurs autres rejetons de' même espèce, de ma-nière à former l'apparence d'un seul arbre. Onécorçait les côtés intérieurs qui se soudaient et bien-tôt une seule écorce enveloppait tout le faisceau.Ce fait se rencontre surtout chez les oliviers.

Le platane de Smyrne.

Vers le milieu de la plaine de Smyrne, en AsieMineure, près de la route qui mène à Bournabat, onvoit le vieux platane que représente notre dessin. Sa

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186 LÉS VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

forme singulière n'est pas moins remarquable queses dimensions.

Bournabat est un village où on montre unegrotte dans laquelle la tradition rapporte qu'llomèreécrivit l'Iliade. Ce lieu pittoresque est le séjourfavori des riches négociants de Smyrne, qui y ontétabli leurs maisons de plaisance. Les piétons, etmème les cavaliers qui se rendent de la ville à lacampagne, aiment à suivre un sentier, parallèle etcontigu à la route, qui traverse la haute portevégétale formée par les divisions du tronc. Ces deuxsouches sont assez fortes pour supporter la niasse duplatane énorme, du haut duquel on domine l'un desplus beaux golfes de la côte asiatique.

De là on aperçoit les cimetières orientaux deSmyrne, les plus mémorables avec ceux de Péra etde Scutari, où s'étend l'ombre silencieuse de cyprèsséculaires. Le regard domine la plaine, depuis leslimites orientales de la grande ville jusqu'aux richescollines qui s'élèvent à l'opposite de la mer.

Le platane de Cos.

Cos, l'ile célèbre des Sporades, dans la mer Égée,qui donna le jour au plus grand des médecins,Hippocrate, au plus grand des peintres de la Grèce,Apelles, nous offre au centre de la place publiqueun platane magnifique que l'on compare souvent auprécédent. Le. développement prodigieux - de ses

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LES VIEILLARDS. •89

branches couvre cette place tout entière. Affaisséessous leur propre poids, elles pourraient se briser,si les habitants ne s'étaient chargés de les- soute-nir par des colonnes de marbre. Ils vouent à cemonument du monde végétal une espèce de cultenon moins sincère, non moins profond que celuique leur inspirent leurs beaux édifices, derniers té-moins de leur ancienne grandeur.

Le platane de Godefroy de Bouillon.

Je serais presque tenté de vous dire, comme l'as-trologue : Ce platane que vousvoyez n'en est pas un;—en effet, c'est une réunion de neuf platanes soudésformant trois groupes très-rapprochés. M. Ch. Mar-tins, qui l'a observé et décrit, le regarde comme levégétal le plus colossal qui existe, et M. Th. Gautierl'appelle non pas un arbre, mais. une forêt. En com-mençant par l'est, dit le premier de ces écrivains, onvoit d'abord deux troncs réunis, ayant, à 1 mètreau-dessus du sol, une circonférence de 10m,80. Lefeu y a creusé une cavité de 5 mètres d'ouverture;puis vient un tronc isolé dont le pourtour est de5',40. Le dernier groupe se compose de six troncsréunis, formant une ellipse courbe dont la circonfé-rence est de 23 mètres ; savoir : 13 mètres pourl'axe extérieur, 10 mètres pour l'intérieur, qui estconcentrique au premier. Cet énorme tronc a étécreusé par le feu, car la barbarie turque n'admire

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190 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. ,

et ne respecte rien. Un cheval était à l'aise danscette cavité, qui lui servait d'écurie.

M. Martins estime à 60 mètres environ la plusgrande hauteur .du massif. La . projection de lacime sur le sol couvre une surface irrégulière de112 mètres de pourtour. Quelques branches mortesdépassent le dôme du feuillage, mais de longuesbranches vivantes retombent de tous côtés, chargéesde feuilles plus découpées que celles dû plataned'Occident. Des tentes que le platane abrite, on dé-couvre la rade de Bujugdéré , village du Bosphoresitué à peu de distance..

IV. IF DE LA MOTTE-FEUILLU; ORME DE BRICrOLES; ÉRABLE

DE TRONS; ARBRE DE POPE; LIERRE DE ROUSSEAU

L'if de la Motte-Feuilly (Indre).

Cet if est à la fois un monument de la nature etun monument de l'histoire . un monument de lanature, car il porte les traces d'un âge séculaire ;son tronc n'offre pas moins de 8 mètres de tour ;l'ombre donnée par ses branches restées vertess'étend sur une étendue de 22 mètres ; un monu-ment de l'histoire, car après avoir vu passer. leslégions romaines, il reçut les pleurs de Charlotted'Albret, l'épouse infortunée de César Borgia, duc deValentinois, et ceux de Jeanne de France, divorcée

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LES VIEILLARDS. 101

d'avec Louis XII , qui vint confondre ses peines aveccelles de sa cousine.

Aujourd'hui, la moitié de cet arbre est morte etne voit plus renaître, au printemps, son feuillagesombre ; mais le tronc principal reste, souvenir per-manent, d'un âge disparu. Cet if se trouve dans l'undes clos du château féodal de la Motte-Feuilly, nonloin de la, route de la Châtre à Châteaumeillant,sur les limites de l'ancienne province du Berry et dela Marche.

L'orme de Brignoles.

Il) a dans le département du Var une petite ri-vière, nominée la rivière de Caranci, qui maintenantcoule hors des murs de Brignoles, et autrefois, sil'on en croit la tradition, passait au milieu. de laplace qui porte son nom, au pied de l'orme sécu-laire. Ce vénérable vieillard était déjà bien connuau quinzième siècle, avait assisté à bien des événe-ments , et donné asile à bien de pauvres arti-sans. Au seizième siècle, Michel de l'Hôpital encélébra les rares proportions , pour occuper sonexil de Provence. Le roi Charles IX assista, le 25octobre •564, au bal champêtre qui fut donné sousl'orme gigantesque. Maintenant un bâton delesse soutient ce patriarche antique; c'est un mo-deste et silencieux vieillard ; il n'a rien d'impo-sant, mais il excite encore l'intérêt par les sou-venirs du bon vieux temps qu'il semble raconter.

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10'2 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

L'orme des Sourds-Muets (Paris). •

Quel Parisien ne connaît ce géant sans égal, quel'on découvre de tous les points élevés de la capitaleet de tous les environs jusqu'à plusieurs lieues à laronde?

Cet arbre magnifique qui se porte à merveille etparait encore en pleine jeunesse se trouve dans lacour de l'Institution des sourds-muets, rue Saint-Jacques, ancien séminaire de Saint-Magloire. Il aété planté sous le règne d'Henri IV. C'est un ormegéant, dont la taille ne mesure pas moins de 52mètres de hauteur.

C'est la hauteur du petit dôme central de la ter-rasse de l'Observatoire. Aussi le distingue-t-on deloin, comme un véritable monument. Sa tète res-semble à un immense dôme de verdure.

L'érable sycomore de Trons (Grisons).

Dans la longue vallée du Varder-Reinthal quiprotège l'enfance du Rhin, on rencontre la petiteville de Trons. C'est à peu de distance que l'on. re-marque l'arbre vénérable dont l'ombrage recouvreune petite chapelle à la romaine. En 1424, les dé-putés des communes de la vallée se réunirent sousses branches pour former la fédération de la ligueGrise supérieure, d'où sortit la république des Gri-sons. Le quatrième jubilé de la formation de la

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ligue, en 1824, inaugura la petite chapelle, dont leportique montre cette inscription : « Vous êtesappelés à la liberté; où est l'esprit de Dieu, là estla délivrance ; nos pères ont espéré en toi, Seigneur,et tu les as faits libres. »

Cet arbre fut longtemps appelé le platane deTrous, et c'est sous cette dénomination qu'on letrouve encore généralement désigné. Cependant cen'est qu'un faux platane, un érable sycomore. Al'altitude où il végète, 865 mètres, le platane netrouverait pas les conditions d'une existence pro-spère.

A un demi-mètre du sol, le tronc mesure 8',60de circonférence.

Dans son voyage à Nuremberg, M. ÉdouardCharton rapporte la visite qu'il fit au vieux chène decette ville, planté, dit-on, par l'impératrice Cuné-gonde. Jadis, dans les grandes fêtes de la cité ger-manique, on venait danser sous son feuillage, quicouvrait de son ombre la cour entière des Païens,au milieu de laquelle il était situé. Le jour mêmeoù, en 1445, le père d'Albert Dürer vint s'établit.à Nuremberg, le praticien Philippe Pirkleirner cé-lébrait sa noce sous le chêne. Quatre statues en-tourent le tronc, ce sont les statues des empereurs,parmi lesquelles on remarque surtout celle de Wen-ceslas.

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lot;

LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

L'arbre de Pope.

L'arbre de Pope, près Binfield, n'a rien de re-marquable au point de vue botanique. C'est unpauvre hêtre, isolé sur un sol étranger, presquesans feuilles et sans rameaux, ridé et épuisé devieillesse, à demi mutilé par la foudre.

Cependant on sent en l'approchant se manifesterau fond de son être l'émotion d'un respect indes-criptible. Puissances mystérieuses de l'associationdes idées, qui faites entrer dans. le cercle de nosamitiés et pour ainsi dire dans notre famille,jusqu'aux choses inanimées !

A sept milles de Windsor on rencontre cet arbreoù Pope enfant vint rêver et recevoir les premièresimpressions du monde extérieur. Sur son . écorce,des inscriptions sont gravées en l'honneur de Pope.Alentour, sur les arbres et sur les pierres, sont desfragments empruntés aux oeuvres principales dece poète, à l'Essai sur l'homme, à la Prière univer-selle, etc.

Voici l'un des plus beaux fragments :« Toutes choses ne sont que les parties d'un en-

semble merveilleux,« Dont la nature est le corps et Dieu l'âme ;« Qui se transforme partout et partout est le

même ;« Grand sur la terre, grand dans l'immensité du

ciel.

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LES -VIEILLARDS. 197

« Sa chaleur rayonne sur nous dans le soleil, sonsouffle nous rafraîchit dans la brise ; -

« Il brille d'une douce lumière dans les étoiles,et il fleurit dans les arbres du printemps ;

« Il existe dans toute existence, il s'étend danstoute étendue;

« Il répand sans se diviser, il donne toujourssans jamais perdre ;

« Il respire dans notre âme, il vit dans notre êtremoi tel ;

« Aussi complet, aussi parfait dans un cil denotre œil que dans un battement de notrecoeur,

« Aussi complet, aussi parfait dans l'homme mi-sérable qui gémit que dans l'éclatant séraphin quiadore en brûlant.

« Pour lui, rien de haut, rien de bas, rien de petit :« Il remplit, il limite, il unit, il égalise tout. ),

• Le lierre de.Jean-Jacques Rousseau à Feuillaueourt.

Peut-être pouvons-nous couronner cette séried'arbres remarquables au point de vue de leurvénérable antiquité, par une tige de lierre dontl'origine historique est digne d'attention. Du passéde Feuillancourt l'industrie n'a respecté qu'unehabitation appartenant à un ancien procureur duChâtelet nommé Usquin. On remarque dans leparc anglais qui entoure la villa italienne de Feuil-

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198 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

lancourt, un peuplie'r gigantesque autour duquels'enroule un plant de lierre qui a pris d'immensesproportions d'année en année. Ce lierre vient d'unebouture mise en terre par Jean Jacques-Rousseau, amide Trochereau, auquel appartenait alors ce terrain.

A ce propos, la manière dont Rousseau mit finbrusquement à son amitié avec le botaniste Troche-reau est assez curieuse. Le duc de Noailles, pro-priétaire d'un très-beau parc à Saint-Germain, dé-sirait voir Jean-Jacques Rousseau et causer aveclui. Comme une invitation directe de celui-ci eût étécertainement suivie d'un refus immédiat, car onconnaît le caractère misanthropique de Rousseauet son aversion pour le monde, le duc pensa em-ployer la ruse, et pria Trochereau de conduire in-sensiblement son ami vers son parc, tout en bota-nisant. Le duc devait l'attendre derrière la grille,se trouver là par hasard, et les inviter à visiterles plantes de sa collection. Tout marcha bien jus-qu'au moment où le philosophe genevois aperçutle duc, mais en ce moment, Trochereau le cherchaen vain : il avait disparu. Le lendemain Rousseauécrivait à son ami qu'il rompait de ce jour toutcommerce avec lui.

Feuillancourt a perdu ses beaux jours. Il est biensolitaire aujourd'hui. Cependant au treizième siècleBlanche de Castille y avait une maison de cam-pagne, et à la fin du dix-septième le pavillon Mon-tespan marqua sa place dans l'histoire.

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Nous nous arrêtons ici. D'autres végétaux cepen-dant mériteraient d'être mentionnés. Nous en cite-rons encore quelques-uns :

Il existe à Paris un vieillard de deux centtrente ans.....Vous avez bien lu, ami lecteur, nousdisons deux cent trente ans, ni plus ni moins.Hâtons-nous d'ajouter que nous parlons d'un arbre,l'Acacia de Robin, du Jardin des Plantes, près de quile cèdre du 'Liban n'est qu'un adolescent, la gloiredu marronnier des Tuileries que de la frimée.

Ce végétal, disait le Moniteur du mois de maidernier, a été le pied - mère d'où sont issusles inriombrables acacias qui peuplent aujour-d'hui nos jardins et nos bois. C'est dans uncarré voisin de la rue de Buffon qu'apparaît sontronc vermoulu, crevassé, soigneusement calfeu-tré avec du plâtre, et protégé par une armatureen fer.

Ainsi qu'on peut le penser, rien n'est négligépour prolonger l'existence de ce doyen d'àge detous les acacias européens, bien connu d3 toutesles personnes qui fréquentent le Jardin des Plantes,et qui chaque année, au printemps, vont inter-roger ses rameaux, désireuses d'y surprendre lessignes d'un reste de sévie. Mais, évidemment, lesderniers ans de l'arbre sont comptés. Cependant,nous avons constaté nous-même, au dernier prin-temps, dés signes de vie chez le vénérable patriarchede la faune parisienne. Son front chauve se cou-

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200 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

vrait d'une chevelure fine; la séve, qui est le sangdes arbres, circulait: dans ses membres rabougris :le vétéran se cramponnait à l'existence.

Relégué à l'extrémité de la galerie de minéra-logie, dans une partie peu fréquentée du Mu-séum, il est loin d'attirer l'attention des visiteurscomme le Cèdre du Liban, situé au labyrinthe ;cependant il serait peut-être plus digne de notreintérêt. Il fut planté en 1655 (un siècle avant le cè-dre apporté par Bernard de Jussieu), dans l'endroitoit on le voit encore aujourd'hui, par VespasienRobin. Le père de ce naturaliste l'avait reçu quel-que temps auparavant de l'Amérique septentrio-nale. C'est en cette année, 1655, que le JardinRoyal fut définitivement institué par un édit deLouis XIII; ret des arbres qui furent contempo-rains de cette fondation, l'acacia dont nous par-lons est le seul qui soit resté. C'est en mêmetemps le premier acacia qui soit venu en Europe.Il a peuplé, non-seulement la France, mais encorel'Europe de l'une des espèces végétales les plusutiles et les plus belles'.

Non loin - de cet acacia, on remarquait ancienne-ment le premier sophora du Japon, et l'un despremiers marronniers d'Inde qui aient été importésen Europe.

La longévité de cet arbre ne doit étonner per-

Ce vétéran vient de dispnraitre, par suite des modifications ap-portées à cette partie du Jardin des Plantes. (Note de la 5' édition.;

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sonne. Les acacias, lorsqu'ils sont en bonne terre,vivent communément de quatre à cinq cents ans.Dans le canton de Zurich, en Suisse, pour ne citerque cet exemple, on en montre un qui, d'après lestraditions locales, doit être âgé de plus de cinqsiècles.

L'Arbre (les sept Frères, dans la forêt de Villers-Cotterets, est remarquable par ses sept branches.colossales que l'on a pu disposer pour soutenir unplancher et une galerie sans nuire à sa riche végé-tation.

L'Arbre de Cracovie, que l'on voyait au Luxem-bourg jusqu'au commencement de ce siècle, aun intérêt historique. Planté, dit-on, par Catherinede Médicis, c'est sous son feuillage que les bour-geois de Paris s'assemblaient pendant la guerrede Sept ans. Ponce lui a consacré une élégie tou-chante, mais dont le sujet n'entre pas dans le cadrede cet opuscule.

Les noyers jouissent d'une grande longévité etacquièrent parfois des proportions gigantesques.L'un des plus merveilleux est celui que nos soldatsont remarqué à Balaklava, en Crimée, qui produitchaque année une récolte de cent mille noix. Cinqfamilles se les partagent.

La table de Saint-Nicolas en Lorraine, mentionnéepar de Candolle, donne une idée non moins sur-prenante de' la grosseur que ces végétaux peuventacquérir. Sa largeur est de S mètres. Inutile

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202 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

d'ajouter qu'elle est d'un seul morceau. Sur ce spé-cimen magnifiqu e, l'empereur Frédéric III donna,en 1472, un repas de cour.

Terminons par le type le plus élégant des végé-taux formés par la main des hommes.

L'érable de Matibo.

Ce végétal, type des arbres belvéders que la mainexercée des horticulteurs sait élever avec tant d'ha-bileté dans les jardins de plaisance, est surtoutremarquable au point de vue de son ornementa-tion architecturale. Ce n'est pas, à vrai dire, unemerveille de la nature, et ce serait une erreur dele classer parmi les végétaux précédents, qui doi-vent à la nature seule le caractère qui les dis-tingue. Cet érable se trouve à Matibo, délicieuxséjour, situé aux environs de Savigliano, près deConi, en Piémont. L'adresse et la patience d'unarchitecte de jardins lui a fait subir une éclatantemétamorphose. C'est un véritable édifice à deuxétages. Chacune des salles est éclairée par huit fe-nêtres et peut contenir aisément vingt personnes.Le plancher, très-solide, est construit par un arran-gement de rameaux tressés avec art ; leurs feuillesen sont le tapis naturel. Les joyeux habitants de l'airvoltigent en chantant dans son vert feuillage, sansêtre effarouchés par les visiteurs qui viennent s'ac-couder au balcon des fenêtres.

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Plus élégant que le chêne d'Allouville, dont nousavons plus haut donné la description, cet érable estloin, cependant, d'offrir le même caractère. Nousle mentionnons ici, surtout comme type des arbresd'art dont la fantaisie des architectes orne les rési-dences champêtres. Les châtaigniers de Robinson,près de Sceaux, donnent une idée des essais quel'on peut faire pour utiliser les ressources de la na-ture; mais ilà n'offrent rien d'a ssez remarquablepour mériter une description ici.

V. LES ARBRES LES PLUS ÉLEVÉS DE LA TERRE

Dragonnier. — Apansonia. — Gommiers.

M. de Humboldt avait une prédilection marquéepour le dragonnier, dàtant des premières annéesde son enfance. Pour clore nos descriptions parles exemples les plus remarquables de la grandeurprodigieuse à laquelle certains végétaux peuventatteindre, nous nommerons en premier lieu ledragonnier d'Orotava.

« Ce dragonnier colossal, dit l'auteur des Ta-bleaux de la nature, se trouvait au milieu des jar-dins de M. Franqui, dans la petite ville d'Orotava,l'un des lieux les plus agréables qui soient au monde.Lorsque nous gravîmes, en juin 1799, le pic de Té-nériffe, nous trouvâmes que le périmètre de ce dra-

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304 LES VÉGÉTAUX 11IERVEILLEUX.

gonnier, mesuré à quelques pieds au-dessus de laracine, était d'environ 15 mètres. Plus près du sol,il n'avait pas moins de 24 mètres de circonférence.La hauteur de l'arbre est de 24 mètres. » La traditionrapporte que ce dragonnier était chez les Gouanchesun objet de vénération comme chez les Athéniensl'olivier, chez les Lydiens le platane que Xerxèschargea d'ornements, et le bananier pour les habi-tants de Ceylan. On raconte aussi que lors de la pre-mière expédition de Béthencourt, dans l'année 1402,le dragonnier d'Orotava était déjà aussi gros et aussicreux qu'aujourd'hui. On peut conjecturer d'aprèscela à quelle époque il remonte, si l'on songe surtoutque le dracœna croit très-lentement. Berthelot dit,dans sa description de Ténériffe : « En comparantles jeunes dragonniers voisins de l'arbre gigan-tesque, les calculs qu'on fait sur Page de ce derniereffrayent l'imagination. » Le dragonnier est cultivédepuis les temps les plus reculés dans les iles Cana-ries, à Madère, à Porto-Santo, et un observateurtrès-exact, Léopold de Buch, l'a vu à l'état sauvageprès d'Ygueste, dans Pile de Ténériffe. Il n'est doncpas originaire, comme on l'a cru longtemps, desIndes orientales, et son existence chez les Gouanchesne renverse pas l'opinion de ceux qui considèrent ce •peuple comme une race atlantique, entièrementisolée, et sans aucun rapport avec les nations del'Afrique et de l'Asie. La forme du draccena se re-trouve au cap de Bonne-Espérance, à l'île Bourbon,

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ARBRES LES PLUS ÉLEVÉS DE LÀ TERRE. 207

en Chine et à la Nouvelle-Zélande. On rencontre dansces contrées lointaines différentes variétés apparte-nant au même genre ; mais il n'en existe aucunedans le nouveau monde, où elles sont remplacéespar le Yucca. Le dracoena borealis d'Aiton n'estautre chose qu'un véritable convallaria, dont il a eneffet tous les caractères. Borda mesura le dragonnierde la villa Franqui, lors de son premier voyage avecPingre, en 1771 , et non dans la seconde expéditionqu'il fit en 1776 avec Varela. On prétend qu'auquinzième siècle, très-peu de temps après lesconquêtes normande et espagnole, on célébraitla messe sur un petit autel élevé dans la cavité dutronc.

Le caractère monumental de ces végétaux gigan-tesques, l'impression de respect qu'ils produisentsur tous les peuples, ont fait naître chez les savantsde nos jours l'idée de déterminer leur âge et demesurer plus exactement leur grosseur. D'après lesrésultats de ces recherches, de Candolle, l'auteur del'important Traité sur la longévité des arbres, Endli-cher, Unger et d'autres botanistes distingués, ne sontpas éloignés d'admettre que l'origine de plusieursarbres existant encore aujourd'hui remonte à l'é-poque des plus anciennes traditions historiques,sinon de la vallée du Nil, du moins de la Grèce et del'Italie. Plusieurs exemples semblent confirmer l'idéequ'il existe encore sur le globe des arbres d'une anti-quité prodigieuse et peut-être témoins de ses der-

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'208 LES vÉGÉTAux. MERVEILLEUX.

nières révolutions physiques... — Notons que lastérilité est pour les plantes une cause de longévité.

A côté des dragonniers qui, malgré le développe-ment gigantesque de leurs « faisceaux vasculairesdéfinis, » doivent, d'après les parties florales, êtrerangéS dans la même famille que l'asperge et lesbignaces des jardins, se place l'adansonia ou arbreà pain de singes, autrement appelé baobab, qui ap-partient sans contredit aux plus grands et aux plusanciens habitants de notre planète... La plus an-cienne description de ces arbres date de l'année1454 ; c'est celle du Vénitien Louis Cadamosto, dontle véritable nom était Moïse de Cada-Mosto. ll trouvaà l'embouchure du Sénégal, où il se joignit à Anto-niotto Usodimare, des troncs dont il évalua le circuità 17 toises, c'est-à-dire environ 55 mètres. Il put lescomparer avec les dragonniers qu'il avait vus aupa-ravant. Perrotet dit avoir trouvé des baobabs de10 mètres de diamètre.

Nous n'insisterons pas sur cet arbre, au sujetduquel nous avons déjà entretenu nos lecteurs, etnous tournerons nos regards du côté des autresgrands végétaux.

Dans son voyage à la Nouvelle-Calédonie, de 1865à 1866, M. J. Garnier a vu des banians (ficus pro-lisca) qui mesuraient jusqu'à 15 mètres de circonfé-rence, et dans l'intérieur desquels habitaient desfamilles entières. C'est, dit-il, un des plus remar-quables monuments naturels que l'on puisse voir.

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ARBRES LES PLUS ÉLEVÉS DE LA TERRE. 209

Il est arc-bouté de tous côtés par de nombreuses ra-cines adventives, rectilignes, d'un diamètre de 10céntimètres : quelques-unes, partant du tronc del'arbre à une hauteur de 4 à 5 mètres, vont s'en-foncer dans la terre à 5 ou 6 mètres de distance dupied de l'énorme tronc, de sorte qu'une troupe nom-breuse pourrait circuler tout alentour en passantsous ses racines. L'écorce de cet arbre sert aux indi-gènes à fabriquer une étoffe à laquelle se rattachentcertaines idées superstitieuses. A l'abri de ses vastesrameaux, leurs prêtres accomplissent des cérémo-nies religieuses.

Au nombre des régions remarquables par l'aspectdes végétaux qu'elles produisent , mentionnons enpassant l'île de Tahiti, la reine de l'Océanie.

Sans garder pour cette heureuse contrée le titrepeut-être trop beau de Nouvelle-Cythère qui luifut donné par Bougainville, et sans représenter la viede ses habitants sous des couleurs aussi riantes queBernardin de Saint-Pierre, nous constaterons qu'aupoint de vue de notre sujet, les régions de la mer duSud méritent le premier rang. Les productions natu-relles qui les enrichissent les placent au-dessus detoute rivalité.

A Tahiti surtout le règne végétal est admirable.Sur toute la côte, dit M. Prat, croissent en abondancel'artocarpus incisa, l'arbre à pain de Forster, le ba-nanier, le cocotier ; l'inocarpus Midis, dont le fruitrappelle la châtaigne : le Spondius cycherea, pomme

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210 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

de Cythère ; le Pandanus odoratissima ; le Brousso-netia papyrifera, mûrier à papier ; le Piper methys-ticum, etc. L'intérieur de File possède des mimosas,des bambous d'une grosseur prodigieuse et des pal-miers. Sur les flancs des montagnes se développentdans toute leur beauté ces grandes fougères arbores-centes, si recherchées par tous les botanistes ; Ta-nanas , la mangue, l'avocat, viennent très-bien à . .Tahiti. La plupart de nos légumes d'Europe ontréussi; on y a même tenté la culture de la vigne eton a obtenu quelques grappes. La vanille y donned'assez beaux résultats. Le caféier et la canne àsucre constitueraient sans contredit pour ce paysdeux branches commerciales très-importantes, ausuccès desquelles s'opposent trois choses inhérentesau pays même, à savoir : Findolence.des indigènes,le prix excessif de la main-d'oeuvre, et l'existencedans presque toute File du goyavier, dont les racinesont envahi les meilleurs terrains.

C'est dans File de Van-Diémen que l'on a trouvéles plus grands arbres du monde. On les nommedans le pays gommiers des marais : ce sont proba-blement des eucalyptus. Un de ces arbres mesurédonna les dimensions suivantes : hauteur, 270 pieds,ç_00 pieds des racines aux premiers embranche-ments; à sa base, 28 pieds de diamètre. Placé contrele Panthéon, cet arbre le dépasserait donc encorede 11 mètres; contre les tours Notre-Dame, il s'élè-verait encore (le 24 mètres an-dessus.

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ARBRESI.ES PLUS ÉLEVÉS DE LA TERRE. 211

Un autre gOmmier accusa 31 mètres de circonfé-rence ; à • un mètre au-dessus du sol, il fallait vingthommes pour l'embrasser.

La quantité de bois fournie par un de ces colossesest prodigieuse. Le premier dont nous venons deparler ne pesait pas moins de 446,886 kilog. C'est lepoids qui résulte du cubage.

Ces arbres sont les colosses du monde végétal ;ilS sont auprès des chênes et des tilleuls ce que lescachalots et les baleines sont auprès des éléphantset des hippopotames.

C'est à l'énormité de leur tête, toute couverted'un feuillage épais et verdoyant, que ces arbres doi-vent leur dénomination. Cette famille de végétauxbalsamiques donne des gommes très-estimées, desbois de teinture, ainsi que des bois d'ébénisterie etde construction recherchés. Parmi les eucalyptus ilest encore une espèce si grande, qu'on l'a nommée lagigantesque.

Ils passaient pour les plus élevés du globe, jus-qu'au jour où les explorations en Californie en révé-lèrent de plus majestueux encore. Les baobabs colos-saux dont nous avons parlé sont merveilleusementdépassés par ceux-ci.

LES ARBRES GÉANTS EN CALIFORNIE

La Californie paraît être la terre des grands végé-tlux comme elle est la terre des grands trésors. A

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9 12 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

quinze milles de French-Gueh , on rencontre lesmammouths du règne végétal. Il y a notamment unelocalité, non loin des canaux qui vont du Stanislasaux mines du comté de Calaverus, où se dressent cescolosses, au nombre de quatre-vingt-douze, sur unesuperficie de 50 hectares. C'est une espèce de cèdresqui s'élèvent droits comme des colonnes. Ils ont 100mètres de haut et 50 de circonférence ; les branchescommencent à environ 40 mètres du sol, elles sontpeu nombreuses, mais le sommet est couvert d'unjoli feuillage. D'après les déductions tirées d'un desplus beaux et des plus rares de ces arbres, abattuen 1855, et dont une branche a été analysée, il n'apas fallu moins de quatre mille ans pour que cesarbres aient atteint un tel développement. Parmi lesarbres abattus à cette époque, on a mesuré l'undes plus remarquables, dont la hauteur fut trouvéede 450 pieds et la circonférence de 42 mètres. Entombant, le géant s'est rompu à 500 pieds, et là ilmesurait encore 18 pieds de diamètre.

Ces cèdres sont entourés de cyprès et de pins quiont plus de 200 pieds de haut et un diamètre de20 à 25 pieds.

Le bois auquel appartiennent ces arbres géants senomme bosquet du Mammouth; il est situé dansune petite vallée, à la source de l'un des tributairesde la rivière Calaverus. En arrivant à Murphy, levoyageur se trouve à quinze milles de ce bois célèbre.En quittant cette localité, si l'on monte 'graduelle-

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ARBRES LES PLUS ÉLUES DE LA TERRE. 215

ment, en serpentant, à travers une splendide forêtde pins, de cèdres, de sapins entremêlés de temps àautre de beaux chênes, on arrive dans la vallée, dis-tante de Sacramento de quatre-vingt-quinze milles,et de Stockton de quatre-vingt-cinq.

Cette vallée vraimentmerveilleuse contient environ160 acres de terre, et l'on estime qu'elle est située4,000 pieds au-dessus du niveau de la mer. Pendantles mois d'été, elle jouit d'un climat délicieux,tout à fait exempt des étouffantes chaleurs desbasses terres; la végétation y est constammentfraîche et verte, tandis que l'eau, pure comme lecristal, est presque aussi froide que la glace. La po-sition respective des arbres a fait donner à chacund'eux des noms particuliers, tels que le Mari et laFemme, parce qu'ils s'appuient l'un sur l'autre ;hercule, arbre tombé, qui pourrait fournir 72,500pieds de charpente ; l'Hermite, à cause de sa posi-tion isolée au milieu des autres ; la Mère et le Fils ;le groupe des Jumeaux Siamois, etc. Ces arbres onttous une circonférence d'au moins 55 à 60 pieds, etune hauteur qui n'est presque jamais moindre de5U0 pieds.

Plusieurs d'entre ces colosses du règne végétalont été trouvés âgés de quarante et cinquante siè-cle. L'un des arbres tombés était si gros, quelorsqu'on en eut transporté l'écorce à San Fran-cisco, on a pu la rétablir dans sa forme circù-laire primitive, et dans le vide qu'elle formait,

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216 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

placer un piano, donner un bal à plus de vingtpersonnes et en installer cinquante sur des siéges.On s'amusa aussi à y disposer un petit bazar.L'un des cèdres géants de la Californie ayant étéintégralement transporté à Londres, parties parparties, on l'a reconstitué au palais de Cristal, oùchacun peut se convaincre (le visu de la taille gi-gantesque de ces végétaux. sous figurons le plusgros de ces cèdres, celui que les Américains ontsurnommé le Père (le la forêt. On l'a représentétel qu'il est, d'après le croquis pris sur la terreaurifère.

Cet arbre gigantesque est encore connu sous lenom significatif d'arbre mammouth. Il fut trouvé,dit le botaniste Müller, par Lobb, sur la •Sierra-Nevada, à une hauteur de 5000 pieds, vers lessources du fleuve Stanislas et Saint-Antoine. Ilappartient à la famille des conifères et atteint unehauteur de 250 à 520 pieds. Des renseignementsplus récents lui donnent même une hauteur de 400pieds. Proportionnellement à celle-ci, son diamètreaurait l'importante dimension de 10 à 20 pieds, etd'après de nouveaux renseignements, de 12 à 51pieds. L'écorce, qui comporte 18 pouces d'épaisseur,est d'une couleur de cannelle, et possède intérieu-rement une contexture fibreuse, tandis que la tigeest au contraire d'un bois rougeâtre, mais mou etléger. Cela nous rappelle que le bois du baobab nonplus n'est pas dur, bien qu'il soit cependant un des

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ARBRES LES PLUS ÉLEVÉS DE LA TERRE. 217

plus anciens colosses du monde. On rencontre en-viron 90 de ces arbres sur une circonférence d'unmille. Pour la plupart, ils sont groupés par deux outrois sur un sol fertile, noir, arrosé par un ruis-seau. Les chercheurs d'or eux-mêmes leur ontaccordé leur attention. Aussi l'un de ces arbres portechez eux le nom de Miners'Cabin, et possède unetige de 500 pieds de hauteur, dans laquelle s'est •pratiquée une excavation de 17 pieds de largeur.Les « Trois-Sceurs » sont des individus issus d'uneseule et même racine. La « Famille » se composed'un couple d'ancêtres et de 24 enfants. « L'Écoled'équitation » est un gros arbre renversé et creusépar le temps, dans la cavité duquel on peut entrer àcheval jusqu'à une distance de 75 pieds. Il est éton-nant que de semblables monuments végétaux aientpu nous demeurer si longtemps inconnus.

Les explorateurs rencontreront-ils un jour desarbres plus volumineux encore ? C'est ce dont ilest permis de douter. Quant à présent, fermonsnotre monographie sur les géants du monde vé-gétal.

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La Mandragore.

INTERMÈDE

LA MANDRAGORE

Les habitants des campagnes connaissent en-core, par tradition, l'effroi que le seul nom decette plante velue produisait chez nos aïeux. C'étaitun végétal tenant à l'être humain par quelques liens,et les ouvrages de magie si nombreux et tant accré-dités au moyen âge professaient unanimement pourelle une sorte de culte. Théophraste l'appelle : an-thropomorphose ; — semi-homo; — El-dal : l'arbre à la face d'homme ; — les traditionspopulaires : petit homme planté, etc. Elle entraitdans la composition des philtres, dans celle desmaléfices et des recettes diverses dues à la sorcelle-

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MANDMGORE. 219

rie. Elle a mètne offert à certains un aspect surna-turel des plus prononcés. Le P. Joseph-François La-fiteau émet l'opinion que les éléphants rencontrentla mandragore sur la route du paradis terrestre.

Elle était précieuse pour celui qui la possédait,et influait heureusement sur sa destinée ; maiscertains maléfices rendaient son extraction pé-rilleuse. Quand on l'arrachait de terre, ce petithomme planté poussait des gémissements. 11 fal-lait la cueillir sous un gibet, avec l'observance derites particuliers ; c'est en de certaines conditionsseulement qu'elle jouissait de toutes ses pro-priétés. Le meilleur procédé, il paraît, était de lafaire arracher par un chien ; on l'enveloppait en-suite dans un linceul. Dès lors, des - vertus mer-veilleuses y étaient attachées : l'une des plus dé-sirées, c'était de doubler les pièces de monnaie quel'on enfermait avec elle.

Cette plante appartient à la famille des solanéeset son nom scientifique est Atropa mandragora.C'est une plante vénéneuse ; elle croit dans les boisombreux, au bord des rivières, dans ces lieux mys-térieux où les rayons du soleil ne pénètrent point.La racine est épaisse, longue, blanchàtre en dehors,quelquefois partagée en deux parties. Des feuillesovales, ondulées, couronnent cette racine et s'éta-lent en rond sur la terre ; ses fleurs blanches sontlégèrement teintes de pourpre; son fruit, semblableà une petite pomme, est d'une odeur fétide, comme

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220 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

la plante tout entière. C'est principalement la bifur-cation de sa racine qui l'a fait comparer à un petitcorps humain.

A l !Ion Ira for d'Europe, nous devons ad-joindre le gin -seng de Tartarie, découvert au Ca-nada en 1616 par le P. Lafiteau, et présenté parlui au duc d'Orléans, alors régent du royaume deFrance. Voici en quels termes il raconte sa dé-couverte :

« Ayant passé près de trois mois à chercher leGinseng inutilement, le hasard me le montra quandj'y pensais le moins, assez près d'une maison que jefaisais bâtir. Il était alors dans sa maturité. La cou-leur vermeille de son fruit arrêta ma vue. Je ne leconsidérai pas longtemps sans soupçonner que cepouvait être la plante que je cherchais. L'ayant ar-rachée avec empressement, je la portai, plein de joie,à'une sauvagesse que j'avais employée pour la cher-cher de son côté. Elle la reconnut d'abord Four l'unde leurs remèdes ordinaires, dont elle me dit sur-le-champ l'usage que les sauvages en faisaient. Sur lerapport que je lui fis de l'estime qu'on en faisait àla Chine, elle se guérit dès le lendemain d'une fièvreintermittente qui la tourmentait depuis quelquesmois. Elle n'y fit point d'autre préparation que deboire l'eau froide où avaient trempé quelques-unesde ces racines brisées entre deux pierres. Elle fitdepuis deux fois la mème chose, et se guérit chaquefois dès le même jour.

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LÀ MANDRAGORE. 221

« Ma surprise fut extrême quand sur la fin de lalettre du P. Jartoux, entendant l'explication dumot chinois qui signifie Ressemblance de l'homme,ou, comme l'explique le traducteur du P. Kircher,Cuisses de l'homme, je m'aperçus que le mot iro-quois Garent-oguen avait la même signification. Eneffet, Garent-oguen est un mot composé d'orenta, quisignifie les cuisses et les jambes, et d'oguen, qui veutdire deux choses séparées. Faisant alors la mêmeréflexion que le P. Jartoux sur la bizarrerie de cenom, qui n'a été donné que sur une ressemblancefort imparfaite qui ne se trouve point dans plusieursplantes de cette espèce, et qui se rencontre. dansplusieurs 'autres d'espèce fort différente, je ne pusm'empêcher de conclure que la même significationn'avait pu être appliquée au mot chinois et ai" motiroquois sans une communication d'idées, et parconséquent de personnes. Par là je fus confirmédans l'opinion que j'avais déjà, et qui est fondée surd'autres préjugés, que l'Amérique ne faisait qu'unméme continent avec l'Asie, à qui elle s'unit par laTartarie au nord de la Chine.

« Quand j'eus découvert le Gin-seng, il me vinten pensée que ce pouvait être une espèce de man-dragore. J'eus le plaisir de voir que je m'étais ren-contré sur cela avec le P. Martini, qui dans l'endroitque j'ai cité, et qui est rapporté par le P. Kircher,parle en ces termes : « Je ne saurais mieux repré-senter cette racine, qu'en disant qu'elle est presque

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LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

semblable à notre mandragore, hormis que celle-làest un peu plus petite, quoiqu'elle soit de quel-qu'unequ'une de ses espèces. Pour moi, ajoute-t-il, je nedoute point du tout qu'elle n'ait les mêmes qualitéset une pareille vertu, puisqu'elle lui ressemblefort et qu'elles ont toutes deux la même figure. »

« Si le P. Martini a eu raison de l'appeler uneespèce de mandragore à cause de sa figure, il a eutort de l'appeler ainsi à cause de ses propriétés. Nosespèces de mandragore sont narcotiques, rafraîchis-santes et stupéfiantes. Ces qualités ne conviennentpoint du tout iu Gin-seng. Cependant l'idée duP. Martini, que j'ai vue justifiée ailleurs, m'a donnéenvie de pousser plus loin ma recherche. En effet,ayant trouvé que notre mandragore d'aujourd'hui,d'un commun sentiment, n'était pas la mandragore desanciens, j'ai cru qu'en cherchant un peu, et qu'encomparant le Gin-seng avec ce que les anciens ontdit de leur mandragore, on pourrait soutenir quec'est P3iv0F.-.7.zw. -4.. de Pythagore et la mandragorede Théophraste. Ce que j'en dis pourtant est moinspour donner mes conjectures pour des certitudes,que pour les soumettre aux savants et leur donnerlieu de pousser plus loin leurs recherches.

« Voici donc comme je raisonne : Théophraste estle premier des auteurs anciens qui ait décrit desplantes. Théophraste nous fait la description d'unemandragore qui ne nous est point connue ; il estévident aussi qu'il ne connaissait point celles que

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LÀ MANDRAGORE. 2'25

nous connaissons aujourd'hui , du moins sous cenom-là : de là on pourrait conclure que celle de-Théophraste s'est perdue et qu'on lui en a substituéune autre.

« Il est facile d'expliquer comment la mandragoredes anciens a pu s'être perdue. Pemièrement : elleaura été sans doute d'une grande recherche dansles premiers temps, à cause de ses effets singuliers,

Racines de Mandragores façonnées.

qui étaient bien connus dans l'antiquité. Seconde-ment, la difficulté que cette plante avait à se multi-plier l'aura rendue rare ; il est probable qu'elle nese trouvait que dans les forêts. Le pays s'étant dansla suite découvert et les racines en ayant été arra.chées avant la maturité de leurs fruits, la planteaura été en peu de temps épuisée.

« La mandragore des anciens étant ainsi perdue,on lui en aura substitué une autre à raison de quel-

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LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

que rapport coinmun à l'une et à l'autre. Nos man-dragores ont des racines qui ont quelque ressem-blance avec le corps de l'homme depuis la ceinturejusqu'en bas ; leurs semences sont blanches et ontla figure d'un petit rein ; c'est sans doute ce qu'elleont de commun avec la mandragore et cela setrouve parfaitement dans le Gin-seng. »

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Nymphéacées.

DEUXIÈME PARTIE

CHAPITRE I

LES FLEURS

Se proposer de décrire les fleurs merveilleuses,c'est se proposer de présenter la flore entière duglobe, car en vérité, les fleurs de toute forme, detoute nuance, de toute grandeur, sont chacune untype merveilleux, soit à un titre, soit à un au-tre. Aussi, pour se tracer un programme réalisable,doit-on se borner d'abord à quelques vues d'ensem-ble, destinées à rassembler sous un méme coupd'oeil les beautés générales du monde de Flore, en-

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q26 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

suite à faire choix de quelques types spéciaux, desti-nés à mettre - en relief certains aspects des•mer-veilles végétales.

La terre est un vaste jardin , disait L.-C. Des-préaux , jardin parsemé de fleurs qui répandentun charme singulier sur tout le domaine del'homme. Par leur succession, suivant l'ordre del'année , elles nous donnent une superbe fête,composée de décorations qui se suivent dans unordre réglé. Vous avez vu d'abord la perce-neigesortir de la terre ; longtemps avant que les arbresse hasardassent . à développer leurs feuilles , elleosa se montrer, et, de toutes les plantes, elle futla première et la seule qui charma les yeux de l'a-mateur empressé. Ensuite parut la fleur de safran,mais timide parce qu'elle était trop faible pour ré-sister à l'impétuosité des vents. Avec elle se mon-trèrent l'aimable violette et la brillante primevère.Ces plantes et quelques autres sur les montagnesfaisaient l'avant-garde de l'armée des fleurs, etleur arrivée, si agréable par elle-même, avait en-core le mérite de nous annoncer la venue pro-chaine d'une multitude de leurs aimables com-pagnes.

En effet, nous voyons après elles se montrer avecordre les autres enfants de la nature ; chaque moisétale les ornements qui lui sont propres. La tulipecommence à développer ses feuilles et ses fleurs.Bientôt la belle anémone formera un dôme en

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LES FLEURS. 927

s'arrondissant ; la renoncule déploiera toute sa ma-gnificence et charmera nos yeux par l'heureuse dis-tribution de ses couleurs. Les couronnes impériales,les narcisses à bouquets, le muguet, le lilas, l'iriset la jonquille , s'empressent à décorer les par-terres. Dans le lointain , les arbres fruitiers mé-langent les couleurs les plus tendres avec la verdurenaissante, et relèvent de toutes parts la beauté desjardins.

J'aperçois en même temps se développer le feuil-lage des rosiers, pour tenir le premier rang parmil'aimable troupe des fleurs leur reine va s'épa-nouir et étaler tous les agréments qui la distin-guent. Il n'est personne qui ne soit touché descharmes qu'elle offre à nos regards. Qui peut, sanséprouver une douce émotion, voir une rose entr'ou-verte aux rayons du soleil levant, toute brillantedes gouttes de rosée dont elle est chargée et molle-ment agitée sur sa tige légère par le vent frais dumatin Les lis, les juliennes, les giroflées , lesthlaspis, les pavots accourent aux ordres de l'été,et l'oeillet se montre avec toutes les grâces qui luisont propres.

L'automne présente ensuite les pyramidales, lesbalsamines, les soleils, les tubéreuses, les amaran-tes, l'oeillet d'Inde, les colchiques et cent autresespèces. La fête continue sans interruption : celuiqui y préside offre sans cesse de nouvelles beautés, et,par d'agréables et perpétuels changements, prévient

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'228 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

l'uniformité. Enfin le triste hiver, ramenant lesfrimas, couvre d'un rideau toute la nature et vousen dérobe le spectacle : mais, en même temps qu'ilnous fait souhaiter le retour de la verdure et desfleurs, il commence le travail intérieur en actiondans la terre.

Arrêtons-nous ici , avec Louis Cousin , et réflé-chissons sur les vues de sagesse et de bienfaisancequi se manifestent dans cette succession... Qu'elles'sont belles, les couleurs qui se réunissent sous nosyeux ! que leur mélange est gracieux et diversifié !quel artifice admirable dans la distribution de cesnuances ! Là, c'est un pinceau léger qui sembleavoir appliqué les couleurs ; ici, elles sont mélangéesselon les règles les plus savantes de l'art. Il sembleque la couleur du fond soit toujours choisie de ma-nière à faire ressortir le dessin qui y est tracé, quele vert qui entoure la fleur, ou l'ombre qu'y répan-dent ses feuilles serve encore à donner à l'ensembleune nouvelle vie, et que les fleurs destinées à'être vues de près aient été peintes avec soin, et,pour ainsi dire, en miniature. La nature en a tra-vaillé d'autres à plus grands traits, ou d'une ma-nière plus simple : ce sont celles des arbrisseaux àfleurs.

Pour faire de la création un théâtre de merveilles,Dieu n'a pas besoin de pénibles préparatifs. Les élé-ments les plus communs prennent, sous sa main,les formes les plus belles et les plus variées. L'eau et

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LES FLEURS. 229>

l'air s'insinuent dans les canaux des plantes : ils sefiltrent par cette suite de canaux transparents, et.cela seul opère, sous l'influence de la lumière, toutes.les beautés qu'on admire dans le règne végétal. Oncontemple avec satisfaction, et on ne se lasse point.d'admirer comme l'effet d'une profonde sagesseun ouvrage qui , avec autant de variété dans sesparties, est cependant si simple eu égard à sacause, et où l'on voit qu'une multitude d'effets dé-pendent d'un seul ressort, qui agit toujours de lamême manière.

C'est là un des effets les plus merveilleux qui dis-tinguent les œuvres de Dieu, où l'empreinte d'unepuissance infinie est toujours visible, des ouvragesfaits de la main des hommes, où l'on remarquetoujours le terme où s'arrête la capacité de l'êtrefini.

« Dans la fleur, écrit F. A. Pouchetl, ce pom-peux et suprême effort de la vie végétale, la poétiqueimagination de Linné ne voyait que le tableau d'unchaste hyménée. Parmi les végétaux qui se décorentde fleurs apparentes, celles-ci nous offrent une infi-nie variété pour la feuille, la forme, la coloration etle parfum. •

« Si quelques plantes, telles que les Valérianes,portent de si petites corolles, qu'on les distingue à.peine, déjà les lis nous en offrent de grandes etmagnifiques, qui séduisent tous les regards; et cer-

L'Univers, II, ch. u.

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250 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX..

tains végétaux exotiques les laissent bien loin d'euxsous ce rapport.La fleur d'une Aristoloche, qui croitsur les bords de la Madeleine, présente la forme d'uncasque à grands rebords. L'ouverture en est telle-ment ample , qu'elle peut admettre la tête d'unhomme ; aussi de Humboldt rapporte-t-il qu'envoyageant le long de cette rivière, il rencontrait par-fois des sauvages coiffés de cette fleur en guise dechapeaù.

« Mais c'est à la surface des fleuves que s'étalenttoutes les pompes de la végétation. La nature nenous offre aucune fleur qui, pour la taille et le gra-cieux coloris, puisse être comparée à celle desNymphéas et des Nélumbos. De tout temps, cesmerveilleuses plantes ont attiré l'attention del'homme, et sont devenues l'objet de son admira-tion. L'art en a fait le plus splendide emploi, et lesmythes anciens en ont tiré leurs plus délicates etleurs plus gracieuses conceptions. Dans la mytholo-gie et l'art égyptien , elles jouent même un rôleimmense. Sur les monuments indous, c'est la fleurdu nélumbo qui sert de siège à Brama lorsqu'il estreprésenté assis et tenant dans ses mains les Vêdassacrés.

« La poésie a épuisé toutes ses ressources en parlantdu parfum et du coloris des fleurs. La nature a dé-bordé l'art ; et la palette d'Apelles et de Rubens nepourrait en reproduire toutes les magnificences. Uneseule coureur fait défaut au milieu de cette mufti-

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LES FLEURS. 251

tude de teintes variées : c'est le noir. Quelques co-rolles sont, il est vrai, d'un pourpre sombre, mais lenoir absolu ne s'observe jamais sur cet organe.

« Il se passe, au sujet de la coloration des fleurs,un phénomène dont on a beaucoup parlé, c'est celuide sa mutabilité. Pallas, en explorant les bords duVolga, remarquait avec étonnement qu'une espèced'anémone, l' anemone patens, portait tantôt des fleursblanches, tantôt des fleurs jaunes et tantôt des fleursrouges. Ce phénomène encore inexpliqué avait parutellement anormal qu'on le mentionnait souvent. Ilest cependant assez commun, et sans affronter un silong voyage, nous poUvons l'observer en France.

« Le mouron des champs, si abondant dans noscampagnes, nous l'offre fréquemment. Ordinaire-ment sa fleur est d'un rouge de vermillon , maissouvent aussi elle est d'un magnifique bleu de ciel,ce qui avait fait croire à certains botanistes quec'étaient deux espèces différentes.

« Une jolie petite plante du genre myosotis, quel'on rencontre dans nos terrains arides, varie encoreplus extraordinairement sa coloration, car c'est surla même tige que l'on trouve à la fois des fleursrouges, des jaunes et des bleues ; particularité à la-quelle cette espèce doit le nom de myosotis diversi-colore qu'on lui a imposé.

« D'autres végétaux présentent encore un phéno-mène beaucoup plus remarquable ; c'est la mêmefleur qui change de couleur à différentes époques

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232 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

de la journée. Tel est l'Hubiscus mutabilis, dont lescorolles sont blanches le matin, deviennent roses -

vers le milieu du jour, et le soir prennent enfin uneteinte d'un beau rouge.

« La mutabilité successive des teintes des corollesse conçoit facilement ; elle peut dépendre de l'actionvitale ou des réactions chimiques ; mais ce qui neS'explique que bien plus difficilement, ce sont lesfleurs qui, après avoir offert une certaine série decolorations durant la journée, reprennent celles-citour à tour le lendemain. Cela s'observe sur le glaïeuldiversicolore, dont la corolle, brune le matin, devientbleue le soir, et le lendemain reprend exactement lasuccession des teintes qu'elle présentait la veille.

« Combien aussi le parfum des fleurs ne possède-t-il pas de variétés ! Et cependant, malgré ses milleet mille nuances, avec des sens exercés , nous re-connaissons celui de chaque espèce. On racontemême, dans quelques ouvrages, qu'une jeune Amé-ricaine, devenue absolument aveugle, en se guidantseulement à l'aide de l'odorat, herborisait au milieudes prairies émaillées d'une végétation luxuriante,et, dans sa moisson, ne commettait jamais aucuneerreur. ». Boufflers a traduit, de madame Helena Williams,un gracieux sonnet sur le Calebassier, qui mérite decouronner un premier chapitre sur les fleurs :

Toi qu'on voit dans les airs suspendre un beau feuillage,Dont le soleil encor rehausse les couleurs,

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LES FLEURS. 235

Tandis qu'aux malheureux couchés sous ton ombrageTon riche fruit présente un suc consolateur!

Quand je porte vers toi mes pas involontaires,Je sens parmi tes fleurs mon chagrin endormi.Ton ombrage invitant et tes fruits salutairesOffrent à mon esprit l'image d'un ami.

Tu me peins l'amitié, qui soigneuse et discret),Travaille à refermer les blessure du coeurEt, d'un mal incurable émoussant la douleur,

Verse un baume secret sur la peine secrète.Je sais trop que le baume est peu sùr; mais hélas !Il adoucit du moins ce qu'il ne guérit pas.

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Orchidée.

CHÀPITRE II

LES ORCHIDÉES

Ce n'est pas aux caprices des amateurs que lesorchidées doivent leur précieuse valeur et leur célé-brité ; elles justifient cette prédilection non-seule-ment par leur beauté et leur singularité, mais en-core par les difficultés que les explorateurs ont àvaincre pour les rapporter des forêts vierges inter-tropicales, et par les soins et le talent qu'elles récla-ment des horticulteurs pour vivre acclimatées.

Et d'abord parlons de leur beauté et de leur sin-gularité. Dans ces plantes bizarres on rencontre eneffet des caractères opposés à ceux de toutes les

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ORCHEDÉES. 235

autres plantes. Elles vivent en parasites , soit surl'écorce des grands arbres des forêts de l'équateur :ce sont les orchidées épiphytes ; soit aux dépens dusol : ce sont les orchidées terrestres. Les premières— et ce sont les plus nombreuses — suspendent auxvoûtes ombreuses formées par les grands arbres destropiques, des guirlandes d'une richesse incompa-rable.

Sous les tropiques, dit A. de Humboldt (Tableaude la nature, livre 1V), les orchidées animent lestroncs d'arbres noircis par les rayons brûlants dusoleil et les fentes des rochers sauvages. Entre cesvégétaux, les vanilliers se distinguent par leursfeuilles charnues, d'un vert clair, par la couleurvariée et la structure singulière de leurs fleurs. Lesfleurs des Orchidées ressemblent tantôt à des in-sectes ailés, tantôt aux oiseaux qu'attire le parfumdes nectaires. La vie d'un peintre ne suffirait paspour reproduire, en se bornant mème à un étroitespace de terre, les magnifiques orchidées qui ornentles vallées profondes des Andes du Pérou.

A l'opposé des parasites ordinaires, elles enrichis-sent leur propriétaire. Des fleurs aux nuances bril-lantes, diversifiées à l'infini, décorent les liantesbranches des arbres, et répandent dans l'atmosphèredes parfums d'une enivrante suavité. Elles poussentde haut en bas, contrairement aux autres fleurs, etsemblent des êtres purement aériens, dont les ra-cines mêmes se nourrissent dans l'atmosphère. La

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236 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

richesse des couleurs et des parfums qu'elles répan-dent dans les forêts est telle, que non-seulement leSEuropéens les admirent et les apprécient, mais en-core les peuplades sauvages, qui revêtent de leursmagnifiques tapis les huttes de leurs villages.

Un autre caractère particulier à ces fleurs singu-lières, et non moins remarquable, c'est que, commeleur patrie originaire , elles ne connaissent pas lemouvement des saisons et ne suivent pas dans leurvie une marche régulière et successive. Elles fleu-rissent capricieusement, sans époque fixe, et peuventconstamment offrir leur coloris et leur parfum. Deplus, leur floraison se prolonge souvent deux outrois fois au delà du temps ordinaire. Le possesseurd'une collection lin peu nombreuse peut donc offrirà toute époque de l'année un certain nombre de cesvégétaux en fleurs. Il va sans dire que si les orchi-dées ne suivent pas le cours des saisons, il importede ne pas le leur faire sentir, et de les tenir constam-ment dans une serre chaude à égale température.Plus que mille autres espèces de plantes, elles récla-ment des soins minutieux, in tel I igents et permanents.

L'orchidée que représente notre dessin est unacinctum, plante nouvellement introduite en France,et fort rare encore dans les serres les plus opulentes.La tige florale est dirigée de haut en bas, commecelle des dendrobium, des serides et des stanhopoea ;la plante vit en parasite sur un arbre et ses fleurspendent en guirlandes le long du tronc. •

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ORCHIDÉES. 237

Ces plantes sont encore d'une telle rareté enEurope, que pour les obtenir, certains riches ama-teurs ont payé des sommes fabuleuses. Il est inutilede dire que lesdits riches étaient des Anglais. Parmices nobles acheteurs on met en première ligne leduc de Devonshire qui, il y a une dizaine d'années,visitant les serres de M. llenderson, fut frappé de labeauté d'une orchidée cattlega. Le duc n'était passeul ; une jeune dame de ses parentes, passionnéepour les fleurs, l'accompagnait, et la contemplationde la belle cattlega la ravissait en extase. Sur lerefus timide mais constant du propriétaire, qui nevoulait à aucun prix se dessaisir d'uneplante uniqueen Europe, le duc lui tendit un portefeuille garni debillets de banque, et l'horticulteur ne put s'opposerà la gracieuseté du duc pour sa compagne. Le por-tefeuille contenait quelques milliers de francs.

SC RO P H U LA RIN É ES

Cette fleur élégante et gracieuse est PA.ntirrhinumgrec de la famille des scrophularinées(quels vilainsnoms pour de si jolies choses!). Peu de plantespourraient rivaliser avec elle pour l'élégance et lalégèreté. Elle est originaire'de la Morée ; il sembleque ce soit une plante de l'air, affranchie de la pe-santeur et de la grossièreté des choses qui appartien-nent à la terre. Elle fleurit en été, et reste épanouiependant plusieurs semaines ; les fleurs, d'un jaune

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258 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

vif, sont très-nombreuses, et disposées en grappes ;ses feuilles, finement découpées, sont alternantes ;ses tiges sont grêles et harmonieusement entre-lacées.

A cette famille riche et variée appartiennentencore de charmantes petites plantes qui font ja,parure de nos jardins, et dont quelques-unes sont.douées de propriétés médicales très -intenses. Tellessont : la véronique, plante amère ; le bouillon blanc ;la gratiole , àcre et astringente ; la digitale , ré-cemment mise en évidence par ses propriétés fu-nestes lorsqu'on ne l'emploie pas à une doseinfiniment petite ; la mélampyre, la pédiculaire,la scrophulaire, le paulownia , fleurs et arbustesremarquables par leur beauté et leur élégance. Sui-vant les espèces, les fleurs sont tantôt solitaires,tantôt réunies en cimes, en grappes ou en épis.

Outre l'antirrhinum grec, que nous représentons,on remarque d'autres espèces non moins dignesd'intérêt, ce sont : la gueule de loup (A. majus), lemuflier des champs (A. arantilon) et l'arbuste d'o-rangerie aux feuilles longues et fines (A. angusti-

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CHAPITRE III

YUCCA FILAMENTOSA. - YUCCA ALOIFOLIA. - YUCCA GLORIOSA

Ces belles plantes, véritables palmiers de nosjardins, sont maintenant au nombre des plus re-cherchées par les amateurs d'horticulture. L'Amé-rique est leur patrie, et l'Europe ne les possède quedepuis fort peu de temps. Parmi les caractères re-marquables qui appartiennent à ces plantes, nousciterons en particulier leurs feuilles papyracées, surlesquelles on peut dèssiner et peindre comme surle papier ordinaire, qui sont plus épaisses, plusfermes et plus veloutées, et dont on peut se serviravec avantage pour certaines oeuvres d'art, pour des

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`2I0 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

ornements légers, pour les corbeilles et les fleursartificielles.

La nature de ces plantes nous rappelle l'une desplus belles pages du journal de l'illustre naufragée:.Marguerite Fuller, où la sensibilité s'unit à l'im,pression vraie qui résulte de l'observation de la nature. Il s'agit d'un homme auquel il était interditde vivre dans la société des autres hommes, et qui,semblable au prisonnier de Fénestrelle, dans latouchante histoire de Picciola, avait donné toute sasympathie à la nature, aux animaux et aux plantes.Nous laisserons parler cet homme lui-même , cau-sant de ses fleurs aimées. Son discours nous ap-prendra plus que des pages de botanique sur cettefleur en particulier et sur les plantes en général.

« J'avais, dit-il, conservé pendant six ou sept ansdeux yucca filamentosa, sans qu'ils eussent jamaisfleuri. Je ne connaissais pas les fleurs de cetteplante, et n'avais nulle idée des sensations qu'elleséveillent. Au mois de juin dernier, je découvris unbouton sur celle qui était le mieux exposée. Une oudeux semaines après, la seconde, plus à l'ombre,se mit aussi à boutonner. Je pensai que je pourraisles étudier et suivre leur floraison l'une aprèsl'autre ; mais non ! celle qui était la plus favoriséeattendit sa compagne, et toutes deux s'épanouirentensemble, juste à l'époque de la pleine lune. Cette'coïncidence me frappa d'abord comme bizarre ;mais dès que je vis la fleur au clair de lune, je com-

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j

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YUCCAS. 243.

pris: Cette plante est créée pour la lune commel'héliotrope pour le soleil. Elle se refuse à touteautre influence, et ne déploie sa beauté à nulleautre lumière. La première nuit que je la vis en)fleur, je ressentis une joie particulière, je puis.même dire un ravissement. Une foule de fleurs.blanches sont beaucoup plus belles au grand jour.Le lis, par exemple, avec ses pétales épais et fermes,d'un blanc mat, a besoin de la grande lumièrepour se manifester dans tout son éclat ; mais lespétales transparents du yucca, d'un blanc ver-dâtre, qui le jour paraissent ternes, se fondent sousle regard de la lune en un argent lumineux, etnon-seulement la plante ne revêt pas de jeur savéritable teinte, mais la fleur qui, comme toutes lesfleurs en cloche, ne peut se refermer tout à fait unefois qu'elle s'est ouverte, se contracte, se resserre àmidi , penche ses petits fleurons, et sa haute tigene semble se dresser que pour trahir une mes-quine insignifiance. Les feuilles aussi, qui de nuit.s'élancent d'un seul jet, et s'écartent, comme lepalmier, en éventail pour faire place à la tige, pa-raissent, de jour, languissantes et incomplètes. Lesbords en sont déchirés, inégaux, comme si la na-ture, impatiente de passer à une tâche plus agréable,n'y eût pas mis la dernière main. Le jour qui suivitla nuit où j'avais trouvé mes yuccas si beaux, ,je nepouvais concevoir ma méprise. Mais le second soir,je retournai au jardin. Là sous le plus suave clair de

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9.44 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

lune, s'épanouissaient mes chères fleurs, plus écla-tantes que jamais. La tige perçait l'air comme uneflèche, toutes les clochettes se groupaient autourd'elle dans l'ordre le plus gracieux, avec des pétalesplus transparents que le cristal, et d'une lumièreplus douce que le diamant ; les contours en étaientnettement dessinés; on les eût crus modelés par lesrayons mêmes de la lune. Ses feuilles qui, de jour,m'avaient paru déchiquetées, semblaient bordéesdes plus fines franges des fils de la Vierge. Je con-templai ma belle plante jusqu'à ce que mon émotiondevint si forte, que j'aspirais à la faire partager. Unepensée me vint alors à l'esprit, c'est que cette fleurde la lune était le plus parfait symbole de la beauté,de la pureté féminine.

« J'ai eu depuis de fréquentes occasions d'étudierle yucca et de vérifier par l'observation ce quim'avait été si poétiquement révélé : c'est que cetteplante ne fleurit qu'à l'époque de la pleine lune etqu'il lui plaît de cacher ses charmes à l'oeil bril-lant du jour, pour ne les révéler qu'à l'oeil divin desnuits. »

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Rafflesia Arnoldi.

CHAPITRE IV

NYMPHÉACÉES. VICTORIA REGINA. - RAFFLESIA ARNOLDI

Le voyageur d'Orbigny, étant en exploration dansla république de Bolivia, à Corrientes, fut frappé derencontrer sur les eaux des fleurs, des feuilles etdes fruits d'un végétal gigantesque. Cette plante,qui est l'une des plus belles de l'Amérique , res-semble un peu aux nénufars. Elle parait appartenirà la famille des nymphéacées. Les Guaranis lui ontdonné le nom de Yrupé, par suite de son séjourhabituel à la surface des eaux et de l'analogie de laforme de ses feuilles avec celle de grands plats.Qu'on se ligure une vaste étendue couverte de feuilles

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246 I ES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

arrondies flottant à la surface des eaux, toutes largesd'un à deux mètres, avec des fleurs tantôt violacées,tantôt jaunes, tantôt blanches, larges de plus d'unpied, répandant un parfum délicieux.

Ces fleurs produisent un fruit sphérique qui,dans sa maturité, est gros comme la moitié de latète, et plein de graines arrondies très-farineuses,— d'où les Espagnols ont appelé cette plante dunom de maïs des eaux. Les patriotiques Anglais,enthousiasmés de la beauté et de la rareté de ce co-losse des [leurs, s'empressèrent de le baptiser du

om de leur souveraine.Nous pouvons nous faire une idée de la nature de

Lette plante qui croît dans les rivières calmes, ennous rappelant notre beau nymphéa, notre lis desétangs ; mais la première est dans des proportionsgigantesques à côté de notre fleur indigène. Leslarges disques des feuilles rondes, de cinq à six piedsde diamètre, sont de vastes plats d'odeurs. Leur pé-tiole est fixé intérieurement au centre. Elles sontlisses et vertes en dessus, avec un bord relevé dedeux pouces tout autour comme celui d'un tamis oud'un large plateau. En dessous, elles sont rougeàtres,gaufrées ou divisées en une foule de compartimentspar les nervures, qui sont très-saillantes et laissententre elles des espaces triangulaires ou quadran-gulaires, dans lesquels une certaine quantité d'airpeut rester englobée, ce qui contribue à maintenirles feuilles à la surface de l'eau. Aussi, voit-on sou-

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VICTORIA REGINA. 249

vent des oiseaux ou des insectes de toutes formesvenir se promener ou poursuivre leur proie sur ceslarges feuilles comme sur une planche solide.

Le pétiole de la racine au fond des eaux est touthérissé d'épines longues de neuf à dix lignes, ainsique les plus fortes nervures du dessous des feuilles,le pédoncule et le calice de la fleur.

M. Schomburgh, qui découvrit cette fleur dansla Guyane anglaise, indépendamment du voyageurdont nous parlions tout à l'heure, s'arrête avec plai-sir à la description de cette belle plante. Le caliceest formé de quatre feuilles d'un rouge brunâtre endehors et blanches en dedans, longues de six à septpouces et larges de trois. Sur ces feuilles du calices'étale circulairement et symétriquement un nombreconsidérable de pétales, blancs d'abord, puis deve-nant de plus en plus rouges à mesure que la fleurapproche de la maturité. Elle prend une cou-leur plus foncée au centre et finit par revêtir lanuance de l'eeillet ; elle offre une grande analogieavec notre nymphéa. Les pétales, dont on compteplus de cent, passent insensiblement à la forme d'é-tamines en se rapprochant du réceptacle central, quiest charnu et contient des graines grosses et fari-neuses à sa surface.

Notre nymphéa indigène offre, à part la gran-deur, un aspect aussi digne d'attention que le nym-phéa exotique ; il petit se comparer aux plus bellesplantes. Il suffira de faire remarquer, avec Castel,

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250 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

qu'il est aussi éclatant et aussi étoffé que le lis. Verssept heures du matin, cette fleur commence à sortir(le l'eau, et à midi elle est élevée de trois poucesau-dessus de la surface. Sur les quatre heures dusoir, elle fait ses préparatifs pour la nuit, se ferme,et rentre peu à peu dans son habitation aquatique,où elle demeure jusqu'au lendemain.

On trouve dans un mémoire de Ribaucourt desobservations curieuses sur le développement desfeuilles de cette plante, et sur les pronostics qu'onen peut tirer. Ce fut sans doute au moyen dequelques observations semblables, que Thalès donnaautrefois une si noble leçon aux habitants de Milet.On lui reprochait que sa science était stérile, puis-qu'elle ne lui produisait ni or ni argent. Pour ré-ponse, le philosophe acheta avant la saison tous lesfruits des oliviers qui étaient autour de la ville. 11avait prédit que l'année serait très-abondante; ellele fut, et Thalès tira de son marché un profit consi-dérable. Mais, content de prouver qu'un sage pou-vait, comme un autre, arriver à la fortune, il dis-tribua aux _marchands de Milet la totalité de sonbénéfice.

La feuille du nénufar sort du collet de sa racinedès les premiers jours d'automne; elle reste très-petite et totalement roulée pendant cette saison et lasuivante ; aux approches 'du printemps, elle com-mence à grandir et à se dérouler, et suit le cours dela saison progressive. Castel raconte que, se prome-

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NYMPHÉACÉES. 251

nant avec un ami dans le courant de septembre 1788,le long d'un étang où se trouvaient beaucoup de né-nufars, il fut surpris de ne plus voir aucune desfeuilles hors de l'eau, ce qui n'a lieu d'ordinaire quevers la fin d'octôbre. Il en augura que les geléescommenceraient incessamment, et que l'hiver pour-rait être long. L'événement justifia cette prédiction.

Certaines formes végétales sont spécialement af-fectées à l'ornementation des différentes régions duglobe terrestre. Les nymphéacées, flottant à la sur-face des eaux douces et tranquilles, charment dansle monde entier les yeux du rêveur et du paysagiste ;en Europe et dans l'Amérique du Nord, ce sont lesnénufars blancs et jaunes ; en Afrique, les espèces àfleurs bleues ; clans les Indes, les euryales et les ne-lumbium.

Il y a en outre des formes végétales qui semblentaffectionner plus spécialement certaines zones mon-tagneuses et certaines expositions, et marquer endiverses contrées la région où elles se plaisent. Telssont les rhododendrons, charmant arbrisseau au feuil-lage toujours vert, qui décore la région moyennedes versants ombreux, et que le touriste rencontresoit dans l'ancien monde, soit dans la moitié septen-trionale du nouveau continent, fleurissant tantôt àla hauteur de 1000, 1500 ou 2000 mètres, commesur les revers abrupts du Faulhorn, tantôt à 700,400, 200 mètres seulement au-dessus du niveau dela mer, comme sur les belles rives du lac Majeur.

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252 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

La belle fleur de cet arbuste vert laisse une im-pression qui fait songer aux montagnes, aux cimesélevées qui se perdent dans les nues. Elle caracté-rise en effet cette zone particulière qui sépare lesbois des dernières prairies alpines, limites de la vé-gétation dominées par la région des neiges éternelles.Le climat plus chaud des plaines ne convient pasà cette belle plante, et moins encore à sa soeur, lerhododendron politicuin, qui redoute les rayons tropardents du soleil.

Rafflesia Arnoldi.

La plus grande de toutes les fleurs connues, laplus extraordinaire par l'importance de ses dimen-sions, est la fleur découverte en 1818 par le docteurJoseph Arnold, et décrite par sir Stamford Raffles,alors gouverneur de l'établissement de la Compagniedes Indes occidentales, à Sumatra.

C'est à la Société linnéenne de Londres que futadressée la première communication relative à cettefleur remarquable, et c'est à cette société que l'ondoit les recherches publiées à son sujet : c'est pour-quoi nous nous adresserons à elle pour les donnéesdont nous avons besoin ici ; nous serons seule-ment l'interprète des Transactions of the LinneanSociety.

Cette fleur extraordinaire, qui surpasse toutesles autres par sa taille gigantesque, fut découverte

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RAFFLESIA ARNOLD'. 255

dans le premier voyage de sir Stamford dans l'in-térieur de la province, voyage dans lequel il futaccompagné de J. Arnold, membre de la Sociétélinnéenne, qui promettait à la science les plus bellesespérances, si la mort n'était venue le frapper dèsle commencement de ses recherches.

Sir Raffles écrivait à ce propos la lettre sui-vante : 4

« Je vous apprends avec regret la mort du doc-teur Arnold... J'avais espéré, au lieu d'un sujetde mélancolie, vous rendre compte de décou-vertes dues à la main de ce savant, et surtoutde celle d'une fleur gigantesque, la plus magni-fique, sans contredit, qui ait été vue jusqu'ici.Voici un extrait d'ùne lettre écrite à bord parlui-même :

« .... Arrivé à Pulo Lebbar, sur la rivière deManna, je me réjouis de vous annoncer que j'ai ren-contré le prodige le plus surprenant qui doit existerdans le monde végétal. Je m'étais un peu éloigné,lorsqu'un de mes esclaves malais revint à moi encourant avec l'étonnement dans le regard et encriant : « Venez, monsieur, venez voir, une fleur,« très-grande, magnifique, extraordinaire! » Je merendis au lieu où me dirigea le Malais....

« Et voilà le docteur Arnold plongé dans la stupé-faction de voir un pareil colosse dans l'empire deFlore ; il la fait couper et transporter à sa résidence ;elle fait l'admiration de tous. On l'examine, on l'étu-

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'251 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

die, on la dessine, et c'est d'après ce dessin que l'ondonne la figure suivante.

« Les cinq magnifiques pétales qui rayonnent ducentre sont d'un beau jaune orange ; au centre de lacouronne, sur un fond violet s'élève un large pistil,donnant l'apparence d'une flamme dans un globe depunch. Cette fleur prodigieuse mesure un mètre (ouyard) de large : les pétales ont douze pouces de labase au sommet ; il y a environ un pied de l'inser-tion d'un pétale à celle du pétale opposé. Le nec-tarium parait d'une capacité suffisante pour contenirdouze pintes ; le poids de la fleur entière a été éva-lué à quinze livres (lifteen pounds) »

' ApK.s le Raffle:da Arnoldi, viennent, par ordre de grosseur :l'Ilelianthus du Mexique, les Aristoloches, les Datura, les 13arrEng,-Ionia, les Gusta•ia, les Corolinea, les Lecythis, les :Nymphes, les Ne-lumhium. les Magnolia, le , Cactus, les Orchidées et les Liliacées.

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CHAPITRE Y

NELUMBIUM. - NÉPENTHÈS

Après les Nymphéacées, nous parlerons des Ne-luinbium, magnifiques plantes herbacées, d'une con-formation générale très-ressemblante aux précé-dentes, qui croissent dans les eaux douces des partieschaudes de l'Asie et de l'Amérique septentrionale.Les fleurs sont très-grandes, blanches, roses oujaunes. Deux espèces surtout méritent notre atten-tion : le nélumbo brillant et le nélumbo jaune.

Les fleurs de la première figurent parmi les plusbelles et les plus grandes du règne végétal ; ellesressemblent aux magnolias , émettent une odeur

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256 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX. . e"

'd'anis et sont portées sur de longs pédoncules quiles élèvent à la surface de l'eau. C'est dans les Indeset en Chine qu'on la rencontre principalement ; elley est aussi cultivée à cause de la vénération qu'ontpour elle les habitants de ces contrées, qui en fontleur plante sacrée et qu'ils considèrent comme lesymbole de la fertilité ; ils représentent leurs divi-nités placées sur une de ses feuilles.

Le nélumbo jaune croît dans l'Amérique septen-trionale, dans la Floride, la Caroline ; il ressembleau précédent, mais . ses fleurs sont plus petites etconstamment jaunes.

C'est sur les pieds de nélumbo cultivés au jardinde Montpellier que M. Delille a fait ses curieusesobservations sur la respiration des plantes. II a vuque, lorsque l'eau séjourne un peu sur le centre dela feuille , il y a fréquemment émission naturelled'air, par des bulles, à travers cette eau, et il a re-connu que cet air qui sort seulement de la tachecentrale blanche, où se trouvent beaucoup de sto-mates, y arrive, du reste, de la face supérieure dela même feuille. A minuit, les feuilles qui avaientexhalé de l'air pendant le jour n'en donnaient plus;à six heures du matin, comme le soleil ne frappaitpas encore sur elles, elles n'étaient point exha-lantes ; elles le redevenaient pendant le reste de lajournée. La conclusion est celle-ci : chaque feuillede la plante est pourvue d'un système respiratoirecomplet, pour lequel le velouté possède la faculté

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LE NÉPENTHÈS 257

-absorbante, et les stomates celle seulement exha-lante, ce qui est sans exemple pour toute autreplante que celle-ci, la seule qui ait pu se prêter auxexpériences qui décident si manifestement l'aspira-tion et l'exhalation.

Le Népenthès.

Ce que dit Homère du népenthès a été interprétéallégoriquement par plusieurs auteurs anciens telsque Plutarque et Athénée, par la raison que lafleur à laquelle on donne ce nom aujourd'hui neparait pas avoir été connue des anciens. On a penséque dans l'esprit du poète il s'agissait de la façonbrillante dont la reine de Sparte faisait passer letemps à ses hâtes par les récits charmants qui fai-saient sa conversation habituelle.

Ni Lamark, ni Brongniart, ni Jussieu n'ont crupouvoir classer le népenthès parmi les. genresconnus ; .le premier l'a rapproché des orchidées, lesecond du rafflesia, le troisième l'a nommé ineertxsedis, comme s'il ne pouvait rentrer dans aucunefamille naturelle. On en a mème fait une famillespéciale, celle des népenthées, représentées dansl'Inde par le nepenthes distillatoria, à Madagascarpar un genre spécial que caractérisent les crêtesfoliacées de ses urnes, en Cochinchine par leN. phyllamphora, à Java par le N. gymnamphora.

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'258 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

On croit communément chez les indiens des mon-tagnes que si l'on coupe les urnes d'un népenthèset qu'on en renverse le contenu ,. la journée ne .se passera pas sans que les nuages et la pluie appa-raissent; aussi , quand ils craignent la pluie, segardent-ils bien de toucher à cette plante. Au con-traire , lorsqu'une sécheresse trop prolongée leurfait demander la pluie, ils se hâtent de renverserles urnes. Ils tiennent cette plante en grande estimecomme l'une des plus précieuses pour le voyageur,quoiqu'il arrive souvent de ne rencontrer les népen-phès qu'au bord des rivières, dont l'eau est préfé-rable à celle de ces urnes végétales où les petits in-sectes viennent parfois déposer leurs oeufs.

La structure des urnes des népenthès avait d'a-bord paru tout à fait inexplicable aux botanistes,dit un correspondant du Magasin. pittoresque, carchez les autres végétaux on ne voit point les véri-tables vrilles se développer d'une manière aussi sin-gulière; mais, en examinant de plus près, on a re-connu que la feuille forme simplement le petitcouvercle de l'urne, et que l'urne elle-même, le filetcontourné qui la supporte, et la partie élargie quel'on prenait pour la feuille, ne sont que des - dépen-dances et des modifications du pétiole ou du sup-port de la feuille. Or on connaît dans une foule devégétaux des modifications du pétiole qui peuventdonner idée de celle des népenthès. Ainsi, dans lamacre ou châtaigne d'eau, qui, poussant ses racines

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OUVIRAND111 FENESTRALIS. 259

dans la vase, vient étaler avec grâce ses rosaces defeuilles .à la surface des étangs, on voit les pétiolesrenflés au milieu en une sorte de vessie creusepleine d'air, qui sert à soutenir la plante; les pé-tioles de l'oranger sont élargis en feuille, ceux desmimosas prennent souvent la place des vraies feuillesqui toutes ont avorté ; ceux des abricotiers, des ce-risiers, etc., portent plusieurs glandes qui donnentune idée de celles qui tapissent l'intérieur desurnes.

OUVIRANDRA FENESTRALIS

Au point de vue de la conformation des feuilles,ouvirandra fenestralis n'est pas moins curieuse que

la précédente ; cette plante malgache est merveil-leuse par la singulière organisation de ses feuillesen forme de fenêtres, où le réseau vasculaire resteseul, dépouillé du parenchyme qui revét les feuillesde toutes les autres plantes de la famille des sauria-nées. C'est une plante vivace, croissant dans l'eau.Sa racine est un gros tubercule oblong, charnu, auxdépens duquel naissent des libres cylindriques. Lesfeuilles sont pétiolées , elliptiques, obtuses, percéesde trous parallélogrammes très-rapprochés ; l'élé-gant réseau les forme entièrement. La hampe estcylindrique, plus grande que les feuilles, renfléedans sa partie moyenne, terminée supérieurementpar deux à cinq épis digités de petites fleurs roses et

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260 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

odorantes ; chaque fleur offre un calice formé de cinqpétales colorés.

Parmi les fleurs merveilleuses nous pourrions en-core citer la vallinseria , dont l'espèce type est laV. spiralis. Les rivières de l'Europe méridionale pos-sèdent des familles nombreuses de cette plante.

Ce qu'il y a de spécialement remarquable dans cevégétal, c'est le tait qui s'accomplit à l'époque de.la

• fécondation des fleurs. Les fleurs fécondantes vien-nent à la surface de l'eau, où elles planent commedans l'attente des lieurs qui doivent être fécondées.Sensibles à cet appel, celles-ci, portées sur le méca-nisme admirable d'une longue spirale, déroulent celong pédoncule et montent jusqu'à ce qu'elles attei-gnent la superficie de l'eau. Lorsque les fleurs sesont touchées, elles rentrent au fond des eaux poury mûrir leurs graines. De Jussieu a décrit ce phéno-mène en un langage latin d'une grande élégance, etCastel en a traduit la description en beaux vers fran-çais dans son poëme sur les plantes.

Le Rhône impétueux, sous son onde écumante,Durant six mois entiers nous dérobe une plantePont la tige s'allonge en la saison d'amour,Monte au-dessus des flots et brille aux yeux du jour.

Avant de nous introduire dans le sanctuaire de lasensibilité végétale, il convient de terminer cetteesquisse du monde des fleurs par la considérationd'un phénomène plus général et plus important quetous les précédents : celui des migrations des plan-

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MIGRATIONS DES PLANTES. 261

tes. C'est à cette grande faculté d'extension et devoyages que nous devons la richesse du verdoyanttapis dont la terre est décorée.

Le savant directeur du muséum de Rouen, M. Pou-chet, sera notre cicérone ici comme dans tous lesfaits d'analyse générale où l'ampleur du sujet ré-clame la présence du praticien. — Rien ne nous ré-vèle avec plus de splendeur les ressources de lanature, dit-il, que la facilité avec laquelle celle-cicouvre de végétation et de vie toute la surface duglobe. Là , elle semble ne se confier qu'à l'immensefécondité qu'elle accorde à l'espèce; Ailleurs, elleemploie les procédés les pluS ingénieux et les plusvariés, pour transporter d'un pôle à l'autre ses fruitset ses semences.

Le nombre considérable de semences que portentcertains végétaux en assure l'incessante reproduc-tion, et sous ce rapport le calcul donne souvent desrésultats inattendus. Ray a compté 53,000 grainessur un pied de pavot, et 36,000 sur une seule tigede tabac. Dodard porte encore beaucoup au-dessusde ces chiffres le nombre de fruits qu'on peut ré-colter sur un orme; selon lui, cet arbre en fournitannuellement plus de 520,000.

Il est évident que si toutes ces semences se déve-loppaient, il ne faudrait que bien peu de généra-tions pour que ces végétaux couvrissent toute lasurface du *globe. Mais une foule de causes arrêtentcette menaçante invasion.

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'26'2 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

La fécondité (le quelques champignons est en-core plus extraordinaire. Fries a compté plus de10,000,000 de corps reproducteurs sur un seul in-dividu du Reticularia maxima. D'autres plantes, dela mème famille , nourrissent une progéniture bienautrement considérable, et son abondance tient telle-ment du prodige, que toutes les ressources de l'in-telligence humaine ne pourraient parvenir à ensupporter le dénombrement.

L'incommensurable fécondité du lycoperde gigan-tesque est telle, que c'est , par millions de milliardsqu'il faut compter ses gràines microscopiques. Or,quoique celles-ci soient invisibles à l'oeil, chacuned'elles peut cependant donner naissance à un volu-mineux champignon qui, en une nuit, acquiert sou-vent le volume d'une citrouille. Et l'on peut dire,sans hyperbole , que si les sémilles de ce végétal setrouvaient miraculeusement dispersés sur tout leglobe, et s'y développaient simultanément, le lende-main sa surface en serait absolument couverte.

C'est assurément l'air qui remplit le rôle le plusimportant dans la dissémination végétale. Unefoule de semences légères ne semblent avoir étédécorées d'aigrettes ou d'ailes membraneuses quepour être plus facilement emportées dans sestourbillons.

A cet effet, le fruit léger de beaucoup de synan-thérées est surmonté d'une aigrette de fibrilles éta-lées, véritable parachute qui s'enlève au moindre

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MIGRATIONS DES HANTES. 463

souffle du zéphyr. Ravie à la plante mère, à l'aidede sa nacelle aérienne , la semence accomplit lesplus longs voyages. La plus faible brise, dU fond desvallées, va l'implanter sur les aiguilles des mon-tagnes. Si la tempête s'élève, le frêle parachute,emporté par ses tourbillons , se mêle aux nuagesorageux, traverse les mers et opère sa descente surun rivage inconnu.

Trop pesants pour ètre enlevés par l'effort desvents, d'autres fruits accomplissent de longs voyagesnautiques, et traversent les mers, emportés par lescourants et les vagues. - Ainsi , protégés par leurboite ligneuse, les cocos des Seychelles, entraînéspar les courants réguliers, viennent joncher lesrivages du Malabar , après avoir accompli sur

. mer un trajet de plus de 400 lieues. Étonnés decette fécondité inattendue, qui se répète chaqueannée, les Induis ne l'expliquent qu'en suppo-sant que les profondeurs de l'Océan nourris-sent les arbres qui produisent ces énormesfruits.

C'est aux cours d'eaux douces, aux fleuves et auxruisseaux que sont dues les plus importantes mi-grations végétales. Si Pascal a dit que les rivièressont des chemins qui marchent, avant lui lesplantes semblent l'avoir deviné. EnlevéeS par leursondes fugitives, les semences franchissent parfoisde grandes distances pour rencontrer une nouvellepatrie.

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26 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

Les animaux concourent amplement aussi à ladissémination végétale. Les marmottes, les loirs etles hamsters approvisionnent de fruits leurs de-meures souterraines, et une partie du butin deleur active prévoyance, souvent oubliée sous lesol, y germe et s'y développe au retour du prin-temps.

D'autres mammifères travaillent à la dissémi-nation par des procédés encore plus simples : lessemences s'accrochent à leurs toisons et sont trans-portées çà et là par eux, dans leurs pérégrina-tions.

Si les animaux consomment, pour leur nourri-ture, une fort notable quantité de graines, par uneheureuse compensation, la Providence trouve dansleurs déprédations une inépuisable source régéné-ratrice.

C'est aux grives qui mangent avec avidité lesfruits du gui que l'on doit la multiplication de laplante si célèbre dans l'ancienne Gaule.

D'autres oiseaux, par des moyens analogues, pro-pagent aussi un grand nombre de plantes. Les voya-geurs rapportent que les Hollandais ayant détruitles muscadiers dans plusieurs îles de l'Inde , afind'en concentrer la 'culture à Ceylan, les colombesmuscadivores, qui sont très-friandes de leurs fruits,repeuplèrent la plante presque p'artout où le vanda-lisme néerlandais l'avait extirpée.

L'homme doit être lui-même considéré comme un

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MIGRATIONS DES PLANTES. 265

des plus grands agents de la dissémination végétale.Ses vaisseaux et ses caravanes, en franchissantl'Océan et le désert, transportent à son insu des se-mences et des plantes, qui viennent envahir descontrées nouvelles.

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L'Antirrhinuin graccum. (Voy. p. 9.1i.)

CHAPITRE YI

SENSIBILITÉ VÉGÉTALE

« .... Descendez, choeurs aériens, sylphes qui vol-tigez sur nos têtes, et de vos doigts délicats touchezvos lyres d'argent. Gnomes, rassemblez-vous surl'herbe, imprimez-y vos anneaux mystiques, et quevos pas cadencés s'accordent avec la musique cé-leste; tandis que sur un chalumeau je. chante, avecune mélodie douce , les espérances riantes et lespeines amoureuses de la prairie.

« .... Sans cesse agitée par la délicatesse de sesorganes et par son exquise sensibilité, la chaste mi-mosa redoute le plus léger attouchement. Elle est

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LA SENSIBILITÉ VÉGÉTALE. •67

alarmée lorsqu'un nuage passager lui dérobe lesrayons du soleil. Au moindre vent, elle frémit ets'enfuit par la crainte de l'orage. A l'approche de lanuit, elle abaisse ses paupières, et lorsqu'un sommeilpaisible a rafraîchi ses charmes, elle s'éveille et sa-lue l'aurore. Fidèle aux moeurs de l'Orient, mêlantla gaieté à la décence et la modestie à la fierté,elle se couvre d'un voile, s'avance vers la mosquée,et s'engage à l'époux qui la reconnaît pour lareine de son sérail. Ainsi s'élève ou s'abaisse auxmoindres variations de l'atmosphère le fluide ar-(T;7.)enté contenu dans un tube de cristal. Ainsivacille continuellement sur son pivot l'aiguille ai-mantée, qui dans tous ses mouvements se dirigevers son pôle chéri. »

Telles sont les paroles de Darwin sur la Sensitive,dans son premier chant des Amours des Plantes.n'est pas un amateur qui n'ait observé ce mouve-ment singulier qui s'opère au moindre contact surles feuilles de la Sensitive. Au choc le plus léger,au simple toucher, ses folioles fléchissent; en uninstant, les branches pétiolaires s'inclinent sur lepétiole commun, et le pétiole commun tombe lui-même sur la tige. Si l'on coupe l'extrémité d'unefoliole, les autres folioles se rapprochent successive-ment. On sait que les feuilles de cette plante sontdigitées, c'est-à-dire formées de rayons disposéscomme les doigts de la main ; ce sont ces feuillesétroites et longues qui à- la moindre secousse s'ap-

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26S LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

Oignent les unes sur les autres en se recouvrantpar leur surface supérieure. Elles se réunissentde même à l'entrée de la nuit ou lorsqu'il survientun froid assez vif pour fatiguer la plante. Ellessont dans un état de parfait épanouissement parun temps calme et chaud. Un nuage qui passedevant le soleil suffit pour changer la situationdes feuilles, dont l'expansion diminue par l'affai-blissement de la lumière. Quoique fermées etdans un état de sommeil pendant la nuit, elles s'a-baissent encore davantage si on les touche. A l'in-sertion du pétiole sur la tige, et à celle de chaquefoliole sur le pétiole, on aperçoit une petite glandequi est le point le plus irritable. Il suffit de la tou-cher avec la pointe d'une épingle pour faire fermerla feuille; si la secousse est vive,- toutes les foliolesfont successivement le même mouvement, deux àdeux, dans un ordre régulier. La feuille elle-mêmene s'abaisse qu'après que toutes les folioles sontabaissées, comme si le membre principal ne s'en-dormait qu'après l'assoupissement de tous sesappendices.

En plaçant avec une grande délicatesse une pe-tite goutte d'eau sur les folioles, de Candolle parve-nait à ne susciter aucun mouvement ; mais si l'eauétait remplacée par une goutte d'aéide sulfurique,les folioles se crispaient et fléchissaient. L'irritationn'est. pas locale, comme nous l'avons dit, elle secommunique de proche en proche. La faculté con-

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LA SENSIBILITÉ VÉGÉTALE. •69

tractile réside en des bourrelets cylindriques placés'aux points d'insertion.

Certaines expériences tendraient à établir queces délicates Sensitives peuvent, jusqu'à un certainpoint, s'habituer au mouvement, et en ressentirles effets avec d'autant moins d'intensité. Desfon-taines a observé ce fait en charriant une de cesplantes. Aux premiers mouvements de la voiture,aux premiers cahotements, elle fermait ses folioleset toutes ses feuilles s'infléchissaient. Mais peu àpeu, à mesure que la voiture roulait, on eût dit quela Sensitive commençait à s'habituer à ce nouvelétat; ses feuilles se relevaient et ses folioles s'épa-nouissaient. Si la voiture était arrêtée pendantquelque temps, au moment où elle se remettait enmarche, la plante délicate subissait comme la pre-mière fois l'influence du mouvement ; mais au boutde quelque temps elle semblait revenir de sa frayeuret reprenait sa beauté.

On connaît quelques autres plantes qui se meu-vent lorsqu'on les touche, mais à un moindre degréque la Sensitive. Telles sont la Dionée, 1'Onalis sen:sitiva, l'Onoclea sensibilis, etc.

Du temps de Pline, on connaissait déjà cette in- .fluence (l'un simple contact. sur les plantes sensi-'hies. Ce naturaliste rapporte qu'aux environs deMemphis se trouve un arbre qui a le port de l'Acacia,.et dont les feuilles, faites comme des plumes, s'a-baissent lorsqu'on touche les rameaux, et se relè-

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270 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

vent ensuite. Il est ici question d'une Sensitive,quoiqu'on ne sache pas précisément à quelle espècese rapporte le récit de Pline, qui du reste n'a faitque copier Théophaste, 1. III, c. ni.

PLANTES A MOUVEMENTS SPONTANÉS

DesInotlie oscillante.

Tous les êtres créés sont vraiment de la mêmefamille ; c'est le même esprit qui ordonna la créa-tion universelle, ce sont les mèmes lois qui la diri-gent, ce sont les mêmes forces qui la soutiennent :tous les enfants de la nature sont frères et tous sontunis par des liens indissolubles. Du minéral àl'homme, la série monte par degrés insensibles; telscaractères appartiennent à la fois aux trois règnes,minéral, végétal et animal, formant en vérité l'unitéla plus parfaite qui puisse être conçue.

Parmi les végétaux, ceux qui paraissent posséderle plus particulièrement des caractères appartenantau règne supérieur, au règne animal, sont encoreles plantes sensibles, dans lesquelles des mouvementsspontanés se manifestent soit dans l'état normalde la plante , soit par des causes occasionnelles.En apparence elles se rapprochent en cela des êtresvivants, qui jouissent exclusivement de cette faculté,digne d'ètre comparée au sens du toucher.

Les feuilles de ces plantes possèdent un mouve-ment que l'on nomme révohtlif , parce qu'il s'exé-

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LA. SENSIBILITÉ VÉGÉTALE. 2114

'ente suivant une courbe fermée, et décrit une,sortede cône dans l'air ; les vrilles de la bryone et ditconcombre cultivé sont douées de ce mouvementperpétuel, dont la durée dépend de la température.Ces mouvements sont peu apparents. Il n'en est pasde même de ceux de la desmodie oscillante, dontnous allons parler.

Dans cette plante, la feuille se compose de troisparties : une grande et large feuille, et deux étroitesplantées à la naissance de celle-ci. Or, pendanttoute la vie de la plante, de jour et de nuit, par lasécheresse et par l'humidité, sous le soleil et dansles ténèbres, les folioles latérales exécutent sanscesse de petites saccades, assez semblables à cellesde l'aiguille d'une montre à secondes. L'une desdeux s'élève et pendant le même temps sa sœurjumelle s'abaisse d'une quantité correspondante ;quand la première descend, celle-ci remonte , etainsi de suite. Ces mouvements sont d'autant plusrapidés que la chaleur et l'humidité sont plusgrandes. On a observé dans l'Inde jusqù'à soixantepetites saccades régulières par minute. Il y avait làen vérité une montre végétale d'un genre particulier.La grande feuille exécute elle-même des mouve-ments analogues , niais beaucoup plus lents. Cetteplante fut découverte au Bengale par madame Mou-son, botaniste distinguée de l'Angleterre, qui mou-rut au milieu de ses excursions scientifiques.

Nous avons dit tout à l'heure que chez ces plantes

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') 7 2 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

sensibles les mouvements se manifestent, soit dansl'état normal, soit par des causes occasionnelles. Ladesmodie est un type du premier genre ; voici untype caractéristique du second.

Dionée it raye-mouches.

Dans son poème sur les plantes, Castel chanteainsi la dionée :

J'admire le réseau, fatal aux moucherons,Qu'un insecte suspend autour de nos maisons;Mais le fil aminci de l'agile araignéeA-t-il jamais atteint l'art de la dionée ?Sa feuille en embuscade au milieu (les maraisCache sous un miel pur la pointe de ses traits ;D'un perfide ressort elle est encore armée :Le piége, au moindre tact de la mouche affamée,Se ferme; plus d'issue, et l'insecte imprudent,Percé des deux côtés, expire en bourdonnant.

Cette plante si singulière, ajoute le même auteur,semble avoir reçu de la nature des facultés très-supérieures à celles des autres végétaux. Avançons,dit William Bartram, près de ce ruisseau qui en estbordé. Voyez s'ouvrir ces lobes vermeils ; leurs res-sorts sont tendus, ils sont prêts à saisir l'insecte sansdéfiance. Voyez comme une des feuilles se repliesur une autre mouche qui fait pour s'échapper devains efforts. Une autre a pris un petit ver; elles'en saisit et ne le lâchera pas. Comment, en voyantcc jeu de la nature, n'être pas tenté de croire qu'elle

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LÀ SENSIBILITÉ VÉGÉTALE. '273

a donné aux végétaux quelque sentiment, quelquesfacultés analogues à celles que nous admirons dansles animaux ? Ils ont comme ceux-ci l'action, la vie,le mouvement spontané Nous trouvons dans cetteplante tout ce qui indique l'intention e la volonté.

Les premiers individus de ce.,genre ont été' com-muniqués à l'Europe par -etohn Bartram, père duprécédent ; cette plante est originaire de l'Amériqueseptentrionale.

Ses feuilles étalées à la surface du sol se terminentpar deux panneaux qu'une nervure en forme de char-nière relie. Sur le pourtour on voit des cils roidesallongés. Une liqueur répandue comme une légèrecouche de miel sur les panneaux attire les insectes ;mais l'irritabilité extrême de la feuille ne peut sup-porter le moindre contact sans que les deux pan-neaux se rapprochent et croisent leurs cils. L'insecteest prisonnier ; les mouvements qu'il fait en se dé-battant ont encore pour effet de fermer davantage lesingulier appareil , dont les serres ne s'ouvrentqu'après la cessation de tout mouvement , c'est-à-dire après la mort du petit insecte.

L'observation de ces faits peut donner beaucoupréfléchir au botaniste philosophe.

« Quelles mystérieuses forces président à la viedes plantes? se demande le naturaliste Pouchet. Cesêtres, d'un aspect si gracieux ou si imposant, parés(le couleurs éblouissantes, embaumant Pair . des plussuaves parfums, ont-ils été déshérités de toutes les

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274 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

facultés qu'on accorde aux plus ignobles animaux?11 y a deux écoles qui, à ce sujet, ont également exa-géré leurs prétentions ": l'une s'est complu à tropélever l'essence intime des végétaux, l'autre à la dé-grader.

L'antiquité avait surtout donné dans le premierexcès. Empédocle n'hésitait pas à accorder auxplantes des facultés d'élite, et quelques-uns des suc-cesseurs du philosophe d'Agrigente l'ont mêmedépassé à cet égard. La merveilleuse mandragorepassait parmi eux pour être douée de la plus exquisesensibilité. A la moindre blessure, la plante auxformes humaines poussait de lamentables gémisse-ments. Et ceux qui avaient l'audace de la cueillir,pour n'en être point terrifiés et braver ses malé-lices, devaient employer certaines précautions. Les hy-pothèses de la crédule antiquité se sont reproduites;on les a même dépassées de notre temps. A danson,savant audacieux s'il en fut, répartit largement les.Mmes parmi les plantes ; une ne lui suffisait paspour chacune d'elles , il leur en accorde plusieurs.liedwig, botaniste profond, Bonnet, plus rhéteurque réellement savant, et surtout Ed. Schmith, ac-cordaient aussi aux végétaux une sensibilité exquise,et mème des sensations assez élevées.

« Ces idées ont encore trouvé de nos jours d'ar-dents défenseurs en deux des plus célèbres savantsde la studieuse Allemagne, von Martius et ThéodoreVechner. Ceux-ci considérèrent la plante comme un

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• LA SENSIBILITÉ VÉGÉTALE. 275

être sentant et doué d'une âme individuelle• et ledernier pousse même la témérité jusqu'à fonder unesorte de psychologie végétale. Dans son charmantpetit livre, Camille Debans fait' au système de cesdeux botanistes une allusion pleine de pcésie et defraîcheur. Il peint une rose tellement affaiblie etlanguissante, que le moindre souffle de l'air , aussiléger que le soupir d'une vierge, en arrache succes-sivement les pétales souffrants et fanés. Et quand sameurtrière haleine a enfin tué la fleur, naguère sibelle et si parfumée, les gnomes tout en larmesemportent son âme en paradis sur leurs ailes dia-phanes.

Le génie de Descartes avait été assez puissant.pour faire admettre aux masses que les animaux nereprésentaient que de simples automates montéspour accomplir un certain nombre d'actes. A plusforte raison beaucoup de savants , en particulier[Euler, dont les belles expériences fondaient la phy-siologie végétale, eurent la plus grande tendance àne considérer les plantes que comme autant d'êtresabsolument sous l'empire des forces matérielles.Mais, ni les témérités des cartésiens , ni les hypo-thèses des animistes, ne trouvent aujourd'hui aucunasile dans le sévère domaine des sciences. On nepeut assimiler les phénomènes de la vie végétale, nià de simples actes physico-chimiques, ni à une su-prême direction intellectuelle. Il est évident queceux-ci sont régis par une force vitale qui enchaîne

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tous les ressorts de l'existence ; elle disparue, rienne préserve l'être de la destruction.

« Tous les savants qui ont traité la question enphysiologistes sérieux professent que les végétauxjouissent d'une vie - tout aussi active que beaucoupd'animaux et qu'ils possèdent des vestiges de sensi-bilité et de contractilité. Le plus illustre des ana-tomistes modernes, Bichat, dans son magnifiqueouvrage sur la Vie et la Mort, l'admet Sans hésita-tion. De nombreuses expériences attestent qu'il y aévidemment, dans les plantes, des vestiges de sensi-bilité analogue à la sensibilité animale. L'électricitéles foudroie, les narcotiques les paralysent ou leStuent. En arrosant des sensitives avec de l'opium, onles a endormies profondément. Dans leurs curieusesrecherches, MM. Goeppers et Macaire Princeps ontreconnu que l'acide prussique empoisonne les plan-tes avec autant de rapidité que les animaux.

« Divorçons avec toutes nos vieilles idées sur lavie végétale, observons simplement les phénomènes,et nous arriverons à des conclusions qui nous éton-neront nous-mêmes. Nous serons tout surpris dereconnaître que l'énergie des actes biologiques desplantes surpasse souvent tout ce que nous présente lerègne animal ; fait qui n'a été méconnu que parceque nous avons, à tort, considéré ses manifesta-tions turbulentes comme en étant la suprême ex-pression.

« Quoique l'existence des nerfs soit encore para-

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LA SENSIBILITÉ VÉGÉTALE. '277

doxale dans les plantes; dit en terminant le mêmeauteur, il n'en est pas moins vrai que l'irritabilitéqu'offre la sensitive semble absolument sous l'em-pire d'organes analogues à ceux-ci, puisqu'elle setrouve impressionnée par les mêmes agents et de lamême manière que le sont les animaux. »

Parmi les plantes aux facultés merveilleuses, nousen citeron's une susceptible de prêter des armes puis-santes aux charlatans, l'Anastatique (plante qui res-suscite), connue des savants sous le nom de Jerorehygrométrique et plus vulgairement appelée Rose (leJéricho. C'est vraiment un spectacle digne d'admi-ration de voir cette plante morte et desséchée re-prendre, aussitôt qu'on plonge sa racine dans l'eau,les couleurs de la vie végétale ; ses boutons se gon-flent, les feuilles de son calice se séparent, ses pétalesse désimbriquent, sa hampe grandit et sa corolle ar-rive à son entier épanouissement.

La rose de Jéricho appartient à la famille desCrucifères ; elle croit dans les régions sablonneusesde l'Arabie, de l'Égypte et de la Syrie. Sa tige seramifie dès la base et porte des épis de jolies fleursblanches qui se transforment en fruits arrondis. A.la maturité de ces fruits, les feuilles tombent, lesrameaux se durcissent, se dessèchent, se courbenten dedans de manière à former une espèce de pelote.Puis viennent les vents d'automne qui déracinent laplante et l'emportent jusqu'à la mer. Là, elle est re-cueillie et apportée en Europe, où elle est recherchée

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278 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

à cause de ses singulières prdpriétés hygrométriques.Il suffit de placer dans l'eau l'extrémité de la racinepour voir la plante renaitre, se développer, et sousle regard charmé faire éclore de nouvelles roses ;l'eau retirée, la - fleur pàlit, se referme, et l'on assisteà l'agonie et à la mort de la plante. Dans certainescontrées, on croit encore que cette rose merveilleuses'épanouit tous les ans au jour et à l'heure de lanaissance du Christ.

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Le Liseron.

CHAPITRE YII

LE SOMMEIL DES PLANTES

Lorsque le soir étend ses voiles sur les jardins etles prairies, les filles aimées de la lumière replientleurs feuilles craintives, comme si elles prévoyaientla période des ténèbres et du froid. Nous avons vu lasensitive fermer ses folioles aussitôt que l'absence dela lumière tant aimée se fait sentir, comme au con-tact d'un corps étranger; cette habitude n'est pasparticulière à cette plante délicate, elle appartient àun grand nombre d'autres plantes, dont la disposi-tion inverse des feuilles pendant la nuit est telle-ment différente de leur disposition normale pendant

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280 LÉS VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

le jour, que leur physionomie est complétementchangée et qu'elles deviennent difficiles à reconnaîtred'après leur port.

C'est ce que Linné a nommé le Sommeil desPlantes, quoique cette expression, empruntée aurègne animal, n'indique pas comme dans celui-ci unétat (le repos, de souplesse et de flaccidité, car laposition nocturne des plantes est aussi roide et aussiferme que la position diurne. Linné, pour constatercette diversité dans l'état des feuilles pendant le jouret pendant la nuit, qu'il avait remarqué sur le Trèfledu Nord, s'arrache . chaque nuit au sommeil et des-cend dans son jardin visiter ses chères plantes. Bien-tôt., il reconnaît que c'est à l'absence de la lumièreet non à l'intensité du froid nocturne que ce phéno-mène doit sa cause principale, ce qui lui sert à éta-blir avec plus d'autorité les rapports intimes quiexistent entre la lumière et l'organisation des plantes.Il en place dans les serres chaudes, à l'abri de touteinfluence étrangère, et constate que comme lesplantes libres, elles subissent l'action négative del'obscurité. Il reconnaît encore que la différence entrel'état diurne et l'état nocturne est beaucoup plussensible dans les jeunes plantes que dans les sujetsplus àgés. L'observation constante lui montre que lebut de la nature dans cette circonstance, c'est demettre les pousses jeunes ou sensibles à l'abri dufroid de la nuit et de l'impression de l'air.

Les positions prises par les feuilles pendant la nuit

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LE SOMMEIL DES PLINTES. 281

diffèrent selon que ces feuilles sont simples ou corn-posées. C'est dans ces dernières que la différence estle plus nettement marquée. Dans les Oxalis auxfeuilles composées, les folioles descendent, s'appli-quent sur le pétiole commun, s'y adossent par leurface inférieure et ne laissent visible que leur face su-périeure, La naissance de la feuille est cachée avecl'extrémité de la tige. Dans le Trèfle incarnat, lesfolioles se redressent en se courbant dans le senslongitudinal, et forment un berceau par la manièredont elles s'approchent par la base et par le sommet.L'OEnothère agit de la même façon. Les Mauves rou-lent leurs feuilles en cornet. On sait que les pois desenteur, les fèves cultivées appliquent leurs feuillesles unes contre les autres, comme si elles s'appuyaientpour dormir. •

Le mouvement est remarquable dans les légumi-neuses. Il s'exécute d'après les lois constantes, etla situation des feuilles pendant le sommeil carac-térise certains genres. Ainsi plusieurs cosses ressem-blent aux Sensitives, mais la manière dont elles plientleurs feuilles les fait reconnaître au premier coupd'oeil.

Si. l'on se promène dans un jardin botanique aprèsle coucher du soleil, on renouvelle l'observation deLinné, en remarquant combien les plantes présententun aspect différent pendant la nuit et pendant lejour. Dans les unes, les feuilles se redressent et re-couvrent les tiges ; dans d'autres, elles s'abaissent et

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382 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

joignent leurs folioles par la surface inférieure ; dansd'autres, les folioles s'élèvent, se rapprochent, etForment une sorte de bateau. Les feuilles simples etarrondies comme celles des Mauves ont la surfacesupérieure concave ou convexe, selon l'heure dujour.

A quelle cause est dù ce phénomène général ? Ilsemble indépendant de l'état thermométrique ouhygrométrique de l'air. AprVs Linné, de Candolle aobservé que la lumière en était la cause la plus di-recte. Il soumit des plantes dont les feuilles se fer-ment pendant la nuit à une lumièré+-artificielle peuinférieure à celle du jour sans soleil. Lorsque j'aiexposé, dit-il, des Sensitives à la clarté, dans la nuit,et à l'obscurité pendant le jour, j'ai vu dans les pre-miers temps les Sensitives ouvrir et fermer leursfeuilles sans règles fixes ; mais au bout de quelques,jours elles se sont soumises à leur nouvelle positionet ont ouvert leurs feuilles le soir, qui était le mo-ment où la clarté commençait pour elles, et les ontFermées le matin, qui était l'heure où leur nuitcommençait. Lorsque j'ai exposé les Sensitives à unelumière continue, elles ont eu, comme dans l'étatordinaire des choses, des alternatives de sommeil etde réveil; mais chacune des périodes était un peuplus courte qu'à l'ordinaire. Lorsqu'on expose desSensitives à l'obscurité continue, elles offrent bienaussi des alternatives de réveil et de sommeil, maistrès-irrégulières.

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LE SOMMEIL DES PLANTES. 2.. 85

La conclusion des faits observés est que cette fa-culté (le mouvement périodique est inhérente auvégétal, et que la lumière en est la cause active,agissant avec des intensités différentes suivant lesespèces. Il est vrai que les expériences de Duhamelet celles de Mairan sont peu favorables à ce juge-ment exclusif sur la lumière, car l'un et l'autreayant gardé une Sensitive dans un lieu obscur, ellea continué de s'ouvrir le jour et de se fermer la nuit.On serait porté à croire qu'il y a un rapport plusintime encore et caché à l'observateur, entre l'orga-nisme végétal et la condition astrale de la Terre.

Écoutons, en terminant, le chant de Delille, biendigne ici de célébrer les merveilles de la nature,mais qui n'a pas toujours puisé ses inspirations àcette source véritable.

Voyez, ainsi que nous, sur leurs tiges baisséesS'assoupir de ces fleurs les tètes affaisséesEt, dormant au lieu mémo où veilleront leurs soeurs,Des nocturnes repos savourer les douceurs.Voyez comment l'instinct qui gouVerne, les plantesAssigne à leur réveil des heures différentes :L'une s'ouvre la nuit, l'autre s'ouvre le jour ;Du soir ou du midi l'autre attend le retour.Je vois avec plaisir cette horloge vivante;Ce n'est plus ce contour cù l'a. iguille mouvanteChemine tristement le long d'un triste mur - ;C'est un cadran semé d'or, de pourpre et d'azurOù d'un air plus riant, en robe diaprée,Les filles du printemps, mesurant la durée,Ou nous marquant les jours, les heures, les instants,Dans un cercle de fleurs ont enchainé le temps.

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CHAPITRE VIII

L'HORLOGE DE FLORE

« L'aimable Lampsane, la belle Nymphiea et labrillante Calendula suivent d'un œil attentif le mou-vement diurne de la Terre sous le Soleil. Elles mar-quent sa situation, son inclinaison, ses divers cli-mats, et par un art imitatif elles indiquent la marchedu Temps. Elles attachent mie chaîne magique *au-tour de son pied léger, comptent les vibrations ra-pides de son aile, et donnent le premier modèle decet instrument merveilleux qui calcule et divisel'année. »

Ainsi s'exprime le poète déjà cité des « Amours

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L'HORLOGE DE FLORE. '285

des Plantes. » Les fleurs de la Lampsane, du Nym-phrea , du Souci et d'un grand nombre d'autresplantes s'épanouissent et se ferment à des heuresfixes. C'est sur cette observation que Linné a . établison horloge: de Flore. Il forma trois divisions : fleursmétéoriques, qui s'ouvrent ou se ferment plus tôt ouplus tard, selon l'état de l'atmosphère ; tropicales,qui s'ouvrent au commencement et se ferment à lafin du jour ; équinoxiales, qui s'ouvrent et se fer-ment à une heure déterminée. C'est cette dernièredivision qui constitue spécialement l'horloge deFlore. Voici vingt-quatre fleurs s'ouvrant successi-vement aux différentes heures du jour et de la nuit.

Minuit. Cactus à grandes fleurs.Une heure. Dutieron de Laponie.Deux heures Salsifis jaune.Trois heures Grande décride.Quatre heures Cripide des toits.Cinq heures Hémérocalle fauve.Six heures.. . Épervière frutiqueuse.Sept heures. L itron.Huit heures Piloselle. Mouron rouge.Neuf heures Souci des champs.Dix heures. Ficoïde napolitaine.Onze heures Ornithogale(Danne-d'Onze-Heures). Ficoïde glaciale.

Une heure. Œillet prolifère.Deux heures Épervière.Trois heures. . Léontodons.Quatre heures. • Alysse alybtoïde.Cinq heures Belle—de—nuit.Six heures. Géranium triste.Sept heures. . Pavot à tige nue.Huit heures Liseron droit.Neuf heures .. Liseron linéaire.

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486 LES VEGÉTAUX MERVEILLEUX.

Dix heures. Ilipoinée pourpre.Onze heures.. . . Silène lieur de nuit.

Parmi les fleurs qui s'épanouissent à heure fixe,plusieurs ne se rouvrent plus après s'être fermées,comme les Keturies; d'autres, comme la plupartdes composées, s'épanouissent de nouveau le lende-main.

Un grand nombre . de fleurs ne s'ouvrent que lanuit. Tel est, parmi les plus remarquables, le Ciergeà grande fleur (Cactus grandi/locus), originaire dela Jamaïque et de la fera-Cruz. Sa fleur magnifique,large de deux centimètres, s'épanouit et répand unparfum délicieux au coucher du soleil ; mais elle nedure que quelques heures , et avant l'aurore elle sefane et se ferme pour ne plus s'ouvrir. Ordinaire-ment il s'en épanouit une nouvelle la nuit suivante,et cela continue de même pendant plusieurs jours.On a vu quatre ans de suite, dit le traducteur del'ouvrage cité plus haut, ce cierge fleurir chez unjardinier du faubourg Saint-Antoine , le '15 juillet à7 heures du soir.

Parmi les autres plantes qui ne s'épanouissent etn'ont d'odeur que la nuit , nous mentionnerons enparticulier : les Nyctantes ou Jasmin d'Arabie, di-verses espèces de Cestrum, d'Onagre, de Lychnis, deSilènes, de Géraniums, de Glaïeuls. Les Belles-de-nuit doivent leur nom à cette propriété.

Le Souci d'Afrique s'ouvre constamment à septheures, et reste ouvert jusqu'à quatre, si le temps

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L'HORLOGE DE FLORE. '287

doit être sec : s'il ne s'ouvre point, ou s'il se fermeavant son heure, on peut être sûr qu'il pleuvra dansla journée. Le laitron de Sibérie reste ouvert toutela nuit, s'il doit faire beau le lendemain.

Les fleurs de Nymplllea se ferment et se plongentdans l'eau au coucher du soleil; elles en sortent ets'épanouissent de nouveau lorsque cet astre repa-raît sur l'horizon. Pline avait déjà remarqué cemouvement. « On rapporte, dit-il (liv. XIII, c. vin),que dans l'Euphrate la fleur du Lotus se plonge lesoir dans l'eau jusqu'à minuit, et si profondémentqu'on ne peut l'atteindre avec la main : passé mi-nuit, elle remonte peu à peu, de sorte qu'au soleillevant elle sort de l'eau, s'épanouit, et s'élève consi-dérablement au-dessus de la surface du fleuve. »Selon plusieurs auteurs, cette observation est l'ori-gine du culte des Égyptiens pour le Nympluea Lo-tus, qu'ils avaient consacré au Soleil. On en voitfréquemment la fleur et le fruit sur les monumentségyptiens et indiens. La fleur orne la tête d'Osiris.Horus ou le Soleil, est souvent représenté assis surla fleur du Lotus. Hancarville a historiquementprouvé qu'ils voient dans cette fleur un emblème dumonde sorti des eaux.

En regard de l'Horloge de Flore, il n'est pas horsde propos de placer le Calendrier où chaque moisest représenté par sa fleur favorite.

Janvier Fllébore noir.Février Daphné bois gentil.

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'288 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

Mirs Soldanelle des Alpes.Avril Tulipe odorante. .Mai. Spirée filipendule.Juin Pavot coquelicot. ..Juillet. Centaurée.Àoùt Scabieuse.Septembre. Cyclame d'Europe.Octobre Millepertuis de Chine.Novembre Xyménésie.Décembre. Lopésie à grappes.

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CHAPITRE IX

LES PLANTES DE LA MER

L'élément liquide occupe à peu près les deuxtiers de la surface du globe terrestre, le rapport de!a surface baignée est de 3, 8 à 1, 2, et sur les5 millions de mXriamètres qui constituent la super-ficie du globe, il y en a 5 millions 800 mille quiappartiennent exclusivemént à la souveraineté del'onde. Cette immense étendue naît-elle privée desbeautés et des richesses de la vie, tandis que la terreferme offre dans sa flore et dans sa faune une sigrande variété et une telle opulence? Les anciensnaturalistes étaient loin de comprendre toute la ri-

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90 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

(liesse des Océans, et Linné lui-même en parlant desvégétaux de la mer n'en embrassait qu'une quantitéinsignifiante.

Aujourd'hui, la science moins incomplète a sondéles profondeurs océaniques , et parmi ces régionscachées elle a trouvé une exubérance de vie non in-férieure à celle qui se manifeste sur les continents.Il y a là tout un monde, un monde vraiment nou-veau dont les classifications relatives aux plantes et.aux animaux aériens ne sauraient nous donner uneidée suffisante. La mer offre à l'observateur desmontagnes et des vallées couvertes d'une végétationmagnifique, un milieu où mille formes animales sejouent, des forêts qui 'abritent des hôtes plus nom-breux et non moins variés que les hôtes des forêtsterrestres.

Cependant nous devons dire que s'il y a incompa-rablement plus d'animaux dans la mer que sur laterre, la vie végétale y est moins largement repré-sentée; niais il semble qu'il y a ici compensation,car le 'monde des polypiers crée pour l'Océan unesérie d'êtres à la fois végétaux et animaux, qui luidonne une vie insolite, bizarre, compliquée, tenantà la fois des trois règnes de la nature.

Oui, la mer est un monde nouveau, dont les pro-ductions riches et variées formeront peut-être unjour les branches les plus merveilleuses de l'his-toire naturelle. Le livre posthume de Moquin-Tandon a révélé la valeur de ce inonde, et pour la

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LES PLANTES DE LA MER.

première fois réuni én un même écrin tontes lesperles cachées de l'élément liquide Nous signale-rons dans ce chapitre ce qu'il dit sur les plantes.

Remarquons d'abord, avec Schleiden, que toute laClore sous-marine comprend presque exclusivementune seule grande classe de végétaux, les algues ou lesfucus ; — ajoutons en même temps que ce sont pré-cisément là les premières plantes créées. — « Cesplantes offrent une diversité de formes telle, qu'unpaysage au fond de la mer n'est ni moins intéressantni moins varié que celui que présente une contrée àlaquelle le soleil aurait imprimé le riche cachet dela végétation des tropiques. Une structure particu-lière, molle, gélatineuse dans toutes ses parties, unensemble d'organes arrondis ou allongés et étalés,auxquels les expressions de tiges et de feuilles ne •sont point applicables comme dans les autres plan-tes; de brillantes couleurs d'un ton vert, olive,jaune, rose et pourpre, parfois bizarrement assortiessur le même organe foliacé, tout cela imprime à cesvégétaux un caractère étrange et féerique. »

Les plantes de l'Océan, dit l'auteur du livre dontnous parlions tout à l'heure, ne ressemblent pasbeaucoup à celles qui ornent nos bois et nos vallons.D'abord elles n'ont pas de racines.

Celles qui flottent sont globuleuses ou ovoïdes,tubulées ou membraneuses, sans apparence aucune

Le Momie de la mer, volume in-4°, orné de 270 planches sui:acier, et de 200 vignettes. Paris, Hachette, 1865.

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992 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

de corps radiculaire. Celles qui adhèrent sont fixéespar une sorte d'empatement superficiel plus ou moinslobé et divisé. La terre n'est pour rien dans leurdéveloppement, car leur point d'origine est toujoursextérieur. Tout se passe dans l'eau, tout vient d'elleet tout retourne à elle (Quatrefages).

Les plantes terrestres choisissent tel ou tel ter-rain ; elles ne prospèrent bien que dans un sol dé-terminé. Les plantes marines sont indifférentes aurocher qui les supporte. Qu'il soit calcaire ou gra-nitique, elles n'en profitent pas ; aussi croissent-elles indistinctement partout, même sur des corauxou sur des coquilles. Ces hydrophytes ne possèdentni vraies tiges ni vraies feuilles ; elles se dilatentsouvent en lames ou lamelles larges ou étroites,d'une seule ou de plusieurs pièces, qui tiennent lieude ces organes. Elles ressemblent tantôt à des la-nières onduleuses, tantôt à des filaments crispés ;celles-ci épaisses et coriaces, cellés-là minces etmembraneuses. Il y en a qu'on prendrait pour depetits ballons transparents, pour des étoffes réguliè-rement gaufrées, pour des lambeaux de gelée trem-blante, pour des rubans de corne blonde, pour desbaudriers de peau tannée ou pour des éventails depapier vert ! Leur surface est tantôt lisse, polie,même luisante, tantôt couverte de papilles, de ver-rues ou de véritables poils. On y trouve un enduitvisqueux, une poussière saline, une efflorescencesucrée et quelquefois un dépôt crétacé. Leur couleur

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LES PLANTES DE LA MER. 293

est olivâtre, fauve, jaunâtre, d'un brun plus oumoins obscur, d'un vert plus ou moins gai, d'unrose plus ou moins tendre ou d'un carmin plus oumoins vif. Quelques auteurs les ont divisées d'aprèsleurs teintes dominantes en trois grandes sections :les brunes ou noires (Mélanospermées), les vertes(Chlorospermées), et les rouges (Rhodospermées).Les premières sont de beaucoup plus nombreuses.Elles s'enfoncent plus ou moins, et semblent occu-per dans l'Océan trois régions plus ou moins dis-tinctes; elles constituent la plus grande partie desforêts sous-marines. Les vertes sont superficielles etsouvent flottantes. Les rouges se rencontrent habi-tuellement à de faibles profondeurs et sur les rocherspeu éloignés des rivages. »

On rencontre souvent dans la mer — et la pre-mière navigation de Christophe Colomb en est unexemple célèbre — des îles herbacées d'une éten-due immense, flottant vers la surface et quelque-fois entraînées par les courants à des distances pro-digieuses. Ces îles, dont les Açores offrent un bancimmense appelé mer des Sargasses, sont formées devarechs nageurs, et ce sont elles qu'Oviédo avaitnommées la prairie des Varechs. Pour les premiersnavigateurs, c'étaient les colonnes d'Hercule de l'O-céan, elles marquaient les limites des eaux navi-gables. Outre les varechs et les fucus, les laitues demer, avec leur ample et mince feuillage, présententsouvent les mêmes oasis ; les algues étendent à la

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291 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

surface des mers leurs fils tortueux et agglomérés.Mais ces prairies flottantes, uniformes et stériles, re-couvrent au fond de l'Océan de riches pelouses àplantes touffues, des buissons où le poisson, véri-table oiseau des mers, bàtit son nid humide, desbosquets et des jardins où se jouent les habitants duroyaume aquatique, des bois et des forêts dont lesretraites cachent aux grands ravisseurs leur proiecraintive et silencieuse.

Un fait digne de remarque, c'est que, comme lavégétation terrestre, les plantes marines se ratta-chent, quant à leur distribution, à des limites géo-graphiques précises (Schleiden). Si Fon considèreque cette répartition est liée en grande partie à desconditions différentes de chaleur et d'humidité ; quela mer est peu susceptible de sentir ces différencesde température, vu qu'à une profondeur relative-ment peu considérable, elle possède sous toutes leslatitudes le même degré de chaleur, nous pouvonsnous étonner avec raison de rencontrer dans la floresous-marine tant de variations, même pour des ré-gions voisines ou situées à de faibles distances l'unede l'autre. On peut dire cependant que les alguesdéploient le plus de richesse dans la zone tempéréeet diminuent graduellement vers les pôles commevers l'équateur.

Mais au fond des niers, plus on s'approche del'équateur et plus luxuriante est la végétation. Quit-tons, dit Schleiden, les forêts aquatiques du Nord et

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LES PLANTES DE LA MER. 295

leurs plantes gigantesques, parmi lesquelles le fucusporte-poire, par exemple, atteint l'énorme longueurde 500 à 1500 pieds ; jetons un dernier regard fu-gitif sur les baleines qui se jouent à leur ombre,sur les troupeaux de chiens de mer, les myriades deharengs, de cabillauds, de saumons et de thons.Tournons-nous vers les régions où le soleil est plusardent, pour voir si dans les mers antarctiques nousretrouvons au fond de l'Océan la même profusionque déploie la flore aérienne. Plongeons dans le cris-tal limpide de la mer des Indes, et aussitôt nous au-rons sous les yeux le spectacle le plus enchanteur,le plus merveilleux. Des massifs d'arbustes au sin-gulier branchage portent des fleurs vivantes ; desmasses compactes de méandrines et d'astrées for-ment un étrange contraste avec les organes palmésou en forme de coupes qu'étalent les explanaires etles tortueux madrépores avec leurs grosses branchesarticulées ou couvertes de rameaux digitiformes. Lecoloris en est au-dessus de toute description ; le vertle plus frais alterne avec le brun ou le jaune ; desnuances dé pourpre se confondent avec le rouge, lebrun pâle et le bleu le plus foncé. Des milliporesd'un rouge pâle, jaunes ou de couleur fleur de pê-cher recouvrent les masses flétries et sont eux-mêmesentremêlés et tapissés de gracieux rétipores couleurde perle et imitant les plus admirables sculpturesd'ivoire. Le sable pur du fond est recouvert par desmilliers de hérissons et d'étoiles de mer aux formes

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'296 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

bizarres et aux couleurs les plus variées.... Autourdes fleurs des coraux jouent et voltigent les colibris .

de mer, de petits poissons aux reflets rouges oubleus, ou d'un feu vert doré et argenté ; semblablesaux esprits de l'abîme, les méduses branlent sansbruit leurs cloches bleuàtres à travers ce monde en-chanté. Ici les isabelles chatoyantes de couleur vio-lette ou d'un vert doré livrent la chasse aux coquettestachetées d'un rouge de feu, de violet et de vermil-lon ; là s'élance la tanaïde comme un serpent, etressemblant à un ruban argenté qui réfléchit desteintes roses et azurées. Viennent ensuite les seichesfabuleuses affectant toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, lesquelles disparaissent et reparaissent tour àtour, • se confondent de la manière la plus fantas-tique ou se recherchent pour se séparer ensuite denouveau. Et tous ces animaux se succèdent avec laplus grande rapidité, formant les plus merveilleuxcontrastes d'ombres et de lumières: Le moindresouffle qui frise la surface de l'eau fait disparaîtrele tout comme par enchantement.

Si maintenant le soleil roule son char vers l'occi-dent, et que les ombres de la nuit descendent dansles abîmes, ce jardin fantastique recommence à bril-ler avec une nouvelle splendeur. Des millions d'étin-c'élles de méduses et de crustacés microscopiquesluisent dans l'obscurité comme autant de vers lui-sants. Plus loin on voit la magnifique plume de mer,rouge pendant le jour, balancer ses lueurs verdâtres ;

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LES PLANTES DE LA MER. 297

partout ce ne sont qu'étincelles lumineuses, que jetsde flamme et de feu brillamment colorés ; ce qui lejour s'efface dans la splendeur générale brille main-tenant avec un éclat empreint de toutes les nuancesde l'arc-en-ciel; et pour compléter les mille et unemerveilles de cette illumination féerique, ajoutonsque les môles, formant des disques argentés de prèsde six pieds de diamètre, nagent avec majesté au mi-lieu des myriades d'étoiles étincelantes. — Ajoutonsun dernier trait. Le voyageur solitaire qui vient d'é-tudier les merveilleuses côtes de Ceylan retourne lesoir dans sa demeure. « Tout à coup, au milieu dela tranquillité d'une nuit sereine, éclairée par lalueur argentine de la lune, une douce musique sem-blable à l'harmonie des harpes d'Éole frappe sonoreille. Ces sons mélancoliques, assez forts pourcouvrir le bruit des brisants, viennent de la plagevoisine et rappellent à l'imagination le chant des si-rènes. Ce sont des moules chantantes qui font en-tendre du rivage une douce et plaintive mélodie. »(Schleiden, la Plante.)

Si nous complétons ce panorama par le tableaud'ensemble du monde végétal pélagien, où l'on nerencontre ni feuilles, ni calices, ni corolles, et celuide ces animaux étoilés qui semblent tenir la placedes fleurs, dans ce bizarre élément « où le règneanimal fleurit, où le règne végétal ne fleurit pas ; »si nous réfléchissons à la formation des coraux, deszoophytes et de leurs îles circulaires; faisant abstrac-

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'298 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

Lion du temps, si nous considérons la perpétuellemutabilité du fond des mers, qui tour à tour enva-hissent et découvrent les régions continentales, nousnous formerons une idée de la puissance, de l'im-portance et de la richesse de l'élément que la poé-sie expressive des Orientaux avait salué comme lasource première et éternelle de toutes choses.

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Fora. de l'époque houillère.

CHAPITRE X

LES VÉGÉTAUX DES TEMPS PRIMITIFS

La parure végétale qui de nos jours embellit lasurface du globe terrestre et nous donne les fruits.et les fleurs, n'a pas toujours existé sous la forme,brillante qu'elle revêt aujourd'hui. Il fut un tempsoù l'aspect de la végétation était essentiellementdifférent de celui-ci ; à qui il serait donné depouvoir comparer ces deux natures croirait admi-rer non un seul monde, mais deux mondes fort di-vers dans leurs conditions d'existence. A. l'époqueprimitive dont nous parlons, aucune des plantesactuellement existantes n'avait pu être vue sur la

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300 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

terre aucun arbre, aucun arbrisseau, aucune fleur;de l'immenSe collection que nous pouvons examineraujourd'hui, n'existait; sans contredit, c'était véri-tablement là le spectacle d'un monde essentielle-ment différent du nôtre.

Il y avait, il est -vrai, des forêts touffues et de pro-fonds ombrages , (les retraites silencieuses et devastes - avenues dans les bois ; comme aujourd'hui levent faisait résonner sous les touffes pressées le tu-multe des tempêtes ; comme aujourd'hui les rayonsdu soleil se jouaient à travers les vapeurs du matinet du soir, la *nature entière rayonnait de vie, derichesse et de mouvement. Mais alors aucune penséehumaine n'était là pour contempler ces splendeurs,comprendre ces harmonies; c'est à peine si les pre-miers représentants de l'animalité étaient éveillésau sein des mers ou sur les rivages marécageux ; lesplantes étendaient sur la terre leur dominationabsolue ; c'était vraiment là le Règne végétal parexcellence.

Néanmoins on s'est fait une idée erronée de lavégétation primitive lorsqu'on en a conclu que cesvégétaux étaient plus grands, plus forts, plus beaux,plus dignes d'admiration que ceux qui revêtent laterre sous le règne de l'homme ; et ce serait encorese tromper que d'imaginer à ces époques reculéesune végétation riche et luxueuse comparable à lanôtre. Non. A la période houillère dont nous parlo' ns,la terre n'avait pas encore vu apparaître une seule

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oo

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AVANT L'HOMME. 305

fleur, un seul fruit ; et quant à la grandeur réputéecolossale de ces végétaux, -voici en quoi consistaitcette supériorité comparative.

Les beaux végétaux dont nous avons parlé, lesgéants de la Californie, les baobabs monstrueux,les palmiers élégants, les chênes gigantesques, lesarbustes charmants et gracieux , les fleurs bril-lantes et odorantes, n'étaient pas encore sortis dumystérieux berceau des ètres. Depuis les derniersâges de la période priMitive, où les algues et lesfilaments avaient inauguré de la façon la plusmodeste le mouvement de la vie végétale, la terren'avait vu naître que des végétaux d'une grandesimplicité, d'une grande pauvreté de formes. Cesvégétaux simples et primitifs n'ont plus aujour-d'hui que des représentants déchus qui restentinaperçus â côté de la richesse des formes moder-nes. Tout le monde connaît ces herbes maréca-geuses, formées d'une unique tige, cylindrique,creuse, ces sortes de joncs que l'on nomme prêles,queues de cheval, etc., nos modestes lycopodes quel'on nomme herbes aux massues, pieds de loup, etc.,et encore nos fougères des coteaux et généralementnos plus humbles cryptogames : tels étaient les re-présentants du règne végétal pendant la périodehouillère, terrains de transition entre l'époque pri-

- mitive et l'époque secondaire, période plus richepar la quantité des végétaux que nulle autre ne lefut jamais, puisque c'est à elle que l'on doit les

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504 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

600,000 kilomètres carrés de houilles que l'On peutexploiter dans les deux continents. Seulement, au .

lieu d'atteindre 1 pied à peine d'élévation , ces.prèles atteignaient 7 à 8 mètres ; ces lycopodes, aulieu de 1 mètre, s'élevaient à 25 et 50, et c'étaientdes lépidodendrons qui peuplaient les forêts. Ainsidans ces forêts la mousse avait les proportions, d'unarbre ; on voyait des asperges de 25 pieds, et deséquisétacées, des queues de rat de 10 mètres ; leschampignons mesuraient 40 pieds de diamètre', etles fougères arborescentes qui, sous les tropiques,s'élèvent à 10 et 12 pieds seulement, portaient leurcouronne touffue à 50 pieds au moins. Mais l'ima-gination se fourvoierait si elle se représentait noschênes agrandis à 200 pieds, nos pins à 400, nostilleuls de 60 pieds de diamètre, etc. La terre nais-sante, dit Zimmermann, dépensait toute sa séve audéveloppement des roseaux et des fougères, des mous-ses et des champignons, et tandis qu'on trouvait desmousses pareilles à des arbres, et peut-être des champi-gnons gros comme des rochers, il n'existait pas: enréalité de plantes plus grandes que celles de nos jours.

On a vu de notre temps des champignons acquérir en des condi-tions particulières des proportions incroyables. L'Illustrated LondonNews de juin 1858 racontait, d'après la Société linnéenne, que dans''le tunnel de Doncaster se trouvait un champignon de douze mois,qui ne semblait pas encore avoir atteint sa dernière phase de crois-sance. Il mesurait alors quinze pieds de diamètre et végétait surune pièce de bois. On le considérait à juste titre comme le plus beauspécimen de champignon qu'on ait jamais observé. Les avis étaientpartagés sur sa classification.

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1' LE MONDE PRIMITIF'. 305

Le merveilleux de la végétation primitive, pournous habitants de la période quaternaire, c'eut étéprécisément la grandeur relative de ces plantes sisimples , l'uniformité de leur aspect , l'immenseétendue des forêts, qui occupaient la terre entièrepartout où les eaux ne dominaient pas, le petitnombre des espèces, et surtout l'unité de la végéta-tion sur toute la terre. Non-seulement la prodi-gieuse variété des deux cent mille espèces actuellesn'existait pas , mais encore la diversité que nousavons esquissée selon les climats, depuis les chaleurstropicales jusqu'aux glaciers polaires, ne se faisaitpas encore sentir, attendu que les climats n'exis-taient pas eux-mêmes. Les saisons, et la tempéra-ture moyenne des lieux, qui dépendent de l'obli-quité des rayons du soleil, ne s'étaiênt pas faitreconnaître ; la chaleur solaire était insignifiante à,côté de l'immense chaleur terrestre. Aussi trouve-t-on au pôle comme à l'équateur les vestiges et lesfossiles des mêmes espèces, tant animales que végé-tales. On pourrait donc dire sans hardiesse qu'uneseule forêt uniforme s'étendait alors sur la terreentière. La chaleur des pôles, dont l'uniqùe sourceétait, comme nous l'avons dit, le foyer intérieur dela terre, était à l'époque dont nous parlons au moinségale aux plus hautes températures actuelles denotre zone torride.

Outre les équisétacées et les fougères, dont leshumbles représentants de l'époque actuelle nous

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506 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

donnent une meilleure idée que ne pourrait le faire'tout dessin, le monde primitif possédait quelquesautres espèces végétales également simples , maisentièrement disparues de la llore terrestre. Tels sontles Sigillaria, ainsi nommés parce que les stigmatesde l'attache des feuilles sur le tronc, qui subsistentlorsque celles-ci sont tombées , ressemblent à des.sceaux. ll n'y a, dit Zimmermann, ni plantes euro-péennes ni autres encore vivantes dont la forme ex-térieure reproduise l'aspect de ces végétaux dispa-rus. En effet, dans ces derniers, le tronc tout entiera dù être couvert de feuilles serrées ; des losangescomposant une sorte d'échiquier dérangé s'ajoutentles uns aux autres du bas jusqu'au haut du tronc, etchacun de ces losanges porte l'empreinte et l'attached'une feuille. Ce pétiole étant triangulaire et letronc présentant des saillies analogues, il a fallu.pour que la feuille fùt portée librement et détachéedu tronc, que l'arbre fùt couvert de pyramidesaplaties et étroitement agencées. Une autre espèce decette famille, très-commune à l'époque de la forma-tion houillère, montre sur le tronc, cannelé commeune colonne, la trace des feuilles alternant de tellesorte, que sur chaque connexité on trouve une sérienon interrompue de facettes ou de stigmates ; seule-ment ces facettes sont disposées en quinconces ,comme les arbres d'une pépinière. D'autres arbresencore sont cuirassés du haut en bas de boucliershexagonaux, qui tous portent en même temps les

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LES VÉGÉTAUX DES TEMPS PRIMITIFS. 307

traces des feuilles , ou bien ces sortes d'écussonssont trois fois plus longs que larges et ne portentles attaches des feuilles qu'à l'angle supérieur.

Tous ces végétaux ont été trouvés pétrifiés dansles terrains de formation houillère. C'est un aspectmerveilleux de voir que la texture, les fibres, lapulpe ont conservé leurs formes sans aucune alté-ration, alors que la substance elle-même a complé-tement disparu. A la simple vue, on ne saurait sou-vent distinguer si le bois est naturel ou pétrifié, etc'est par le toucher seul qu'on reconnaît l'étatpierreux. On peut voir de beaux spécimens de pétri-fications dans les troncs et fragments entassés ausommet du labyrinthe du Jardin des Plantes à Paris.L'hôtel de ville de Nordhausen renferme un escalierde grès, dont chaque fragment indique clairementqu'il a été primitivement de bois. Mais il n'y anul exemple plus remarquable que la forêt d arbrespétrifiés que sir James Ross a visitée sur la terre deVan-Diémen.

Une des curiosités naturelles les plus merveilleusesqui attirent l'attention des géologues visitant la terrede Van-Diémen, dit ce voyageur, est la vallée desarbres pétrifiés, dont un grand nombre se sonttransformés en la plus belle opale. Le comte Strze-lezki raconte, dans sa remarquable description de cepays, que nulle part il n'a vu de plus belle pétrifica-tion de bois que dans la vallée de Derwent, et nullepart la structure originelle du bois ne s'est mieux

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508 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

conservée. Tandis que l'extérieur offre une surfaceluisante et homogène, pareille à celle d'un sapin re-vêtu d'écorce, l'intérieur se compose de couchesconcentriques qui paraissent tout à fait compacteset de même nature, mais se laissent parfaitementfendre dans toute leur longueur. Ces arbres sont ver-ticaux, d'où il semble résulter qu'ils étaient encoreen pleine croissance lorsque la lave ardente les attei-gnit. Quelques fragments de ces bois, ayant été étu-diés, parurent encore si vivaces, qu'il fallut se livrerà un examen très-attentif pour se convaincre qu'onavait sous les yeux de la pierre. Leur degré de pé-trification varie depuis la houille très-combustiblejusqu'au silex capable d'entamer le verre. Une cou-che de schiste de plusieurs pieds d'épaisseur, déposéesur les arbres, paraît en avoir empêché la carbonisa-tion, lors de l'invasion de la lave. Un des caractèresgéologiques les plus curieux de cette île est précisé-ment qu'on y trouve des couches de houille super-posées, depuis plusieurs pouces jusqu'à plusieurspieds d'épaisseur.

La houille est formée, comme on sait, par cetteprodigieuse exubérance de la végétation primitivequi tapissait la terre entière. Tout le monde a puobserver que dans les caves humides qui servent à laconservation di. bois mort, en hiver, on trouve lesol couvert d'une couche ligneuse et molle, d'unesorte d'humus végétal, de même que les plantes denos marais se convertissent avec le temps en tour-

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LES VÉGÉTAUX DES TEMPS PRIMITIFS. 509

bières. C'est par un mode analogue, mais infinimentplus puissant, que les végétaux primitifs ont con-stitué les mines de houille. Ce ne sont pas précisé-ment les grands végétaux dont nous avons parlé quiont amassé ces immenses couches de lignites etd'anthracites, car malgré leurs dimensions, ilsétaient loin de constituer la végétation entière, re-présentée surtout par les herbes et les plantes her-bacées qui recouvraient le sol d'un tapis immense;mais ce sont particulièrement ces dernières plantes,si nombreuses, si répandues, dont les couches ontconservé jusqu'en notre temps les troncs intactsmais transformés des végétaux arborescents.

En même temps que la ••iàgétation préparait àl'homme futur l'alimentation de son industrie, elleemblait appelée à jouer un rôle important dans

l'économie générale de la nature, celui de purifierau profit des animaux aériens, qui bientôt devaientnaître, l'atmosphère surchargée d'acide carbonique(il faut se garder d'appliquer ces remarques à uneinterprétation étroite des caùses finales). L'existencede l'acide carbonique, disons-nous, très-favorable auprogrès du règne végétal, l'était fort peu à celui durègne animal. On ne saurait douter, dit M. Bron-gniart, que la masse immense de carbone accu-mulée dans le sein de la terre à l'état de houille etprovenant de la destruction des végétaux qui crois-saient, à cette époque reculée , sur la surface duglobe, n'ait été puisée par eux dans l'acide carbo-

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310 LES VÉGÉTAUX MERVEILLEUX.

nique de l'atmosphère, seule forme sous laquelle lecarbone, ne provenant pas d'êtres organisés préexis-tants, puisse être absorbé par une plante. Or uneproportion même assez faible d'acide carboniquedans l'atmosphère est généralement un obstacle àl'existence des animaux, et surtout des animaux lesplus parfaits, tels que les mammifères et les oiseaux;cette proportion, au contraire , est très-favorable àl'accroissement des végétaux; et si l'on admet qu'ilexistait une plus grande quantité de ce gaz dansl'atmosphère primitive du globe que dans notreatmosphère naturelle, on peut le considérer commeune des causes principales de la puissante végétationde ces temps reculés.

Écrit it Paris, au mois de juin 1865.

FIS

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

PREMIÈRE PARTIE

CHAP. I. Idée générale de la distribution géographique desplantes à la surface du globe. 11

CHAP. II. Tableau de la 'laque végétale sous les iropiqucs. • 't)CHAP. III. Arbre à pain 54

— Arbre à lait 42— Arbre à manne 57

. Arbre du voyageur. 58— Arbre saint de l'ile de Fer 62

CHAP. IV, LES PALMIERS. — LE DATTIER 68— Le Cocotier. 74— Le Laqby. 77

Le Palmier Arec. 79Le Palmier Elaïs. 82

— Le Palmier Latanier 84— Le Palmier à cire 88

CHAP. V. Bananier. — Bambou. — Baobab. 96— Le Bambou. 101

— Le Baobab. 106

CHAP. VI. Les Cèdres. — Le Liban. — L'Afrique. 114CHAP. VII. LES PANDANÉES, 1211

— Les Cactus. — Le Cierge géant (cercus gigarucus). 126— Asclepias gigantea 130— Le Chène-liége. 135

Cnsr. VIII. Socs LAITEUX. 436— Lait végétal. — Caoutchouc.— Arbres à poison. • 136

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312 TABLE DES MATIÈRES.

CHAP. VIII. Euphorbiacées. — Manioc. — Mancenillier. . . 145

— Les Végétaux perfides. (Euphorbes: — Apocynées.— &rare.). 149

— Arbres à poison de Java. (Strychnos Ticuté,Upas.) 153

CHAP. IX. LES DOYENS ET LES GÉANTS DU MONDE VÉGÉTAL. . 162

— I. Longévité des arbres 162LES COLOSSES DU RÈGNE VÉGÉTAL . 169

— II. Chêne d'Antrage, — d'Antein, — d'Allouville— et de âlontravail 169

— Le Chêne d'Antein dans la forêt de Sénart. 170— — Le Vieux chêne d'Allouville. 171— — Le Chêne de Montravail ..... . . . 175— III. Châtaigniers de Neuve-Gelle, — de l'Etna ;

— — Platanes de Smyrne, — de Cos, — de— Godefroy de Bouillon. . . . . . ." . . . 179— — Le Châtaignier de Neuve-Gelle (Suisse).. . . 119— — Le Châtaignier de l'Etna 181— — Le Platane de Smyrne. 185— — Le Platane de Cos. 186— — Le Platane de Godefroy de Bouillon. . . 189— 1V. If de la Motte-Feuilly. — Orme de Brignoles

— Érable de Trons. — Arbre de Pope. —

Lierre de Rousseau 190— L'If de la Motte-Feuilly (Indre). 190

— — L'Orme de Brignoles 191— L'Érable sycomore de Trons (Grisons).. . . 192— L'Arbre de Pope 196

— —. Le Lierre de J.-J. Rousseau à Feuillancourt. 197— — L'Érable de Matibo 202

V. Les Arbres les plus élevés de terre 203— — Dragonnier. — Adansonia. — Gommier.. . 203

— Les Arbres géants en Californie 211— INTERMÈDE. — La mandragore. 218

DEUXIÈME PARTIE

CHAP. I. Les Fleurs CHAP. Il. Les Orchidées.

— Scrophularinées.

227234237

Y4

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TABLE DES MATIÈRES. 515

CuAr. III. Yucca filamentosa. — Yucca aloïfolia. — Yuccagloriosa. • 259

CHAP. IV. Nymphéacées. — Victoria Regina. — Rafflesia

Arnoldi.. 245- Rafflesia -Arnoldi. 255

CHAP. V. Nelumbium.— Népenthès. 255- Le Népenthès 257- Ouvirandra fenestralis 259

CHAP. VI . Sensibilité végétale. 266- Plantes à mouvements spontanés 270

— Desmodie oscillante 270— Dionée attrape–mouches -272

.CHAP. VIT. Sommeil des plantes. 278CHAP. VIII. L'Horloge de Flore. 284

• — Liste de fleurs s'ouvrant à dilférentes heures. . 285— Calendrier de Flore. 2.87

CHAP. IX Plantes de la mer. 291CHAP. X. Les Végétaux des temps primitif - 298

FIN DE 1.1 TADLE DES MATIÈRES.

K a•

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TABLE DES GRAVURES

PREMIÈRE PARTIE

Le Pin des montagnes. 1tVégétation sous les tropiques. 20Végétation tropicale. 27Forêt au Brésil. 31Arbre à pain à Tahiti. 34Arbre de la vache. 44Le lait du sandi chez les Indiens Cocamas....Arbre du voyageur

. . 5559

Arbre saint de l'île de Fers 63Le Palmier. 67Le Latanier rouge. 85Le Palmier des îles Séchelles. (ii.

Le Bambou 96Le Baobab. 109Les Cèdres de l'Atlas 114Les Cactus. — Le Cierge géant. 121Pandanus 195Asclepias gigantea. 131Chêne-liége • 136Sauvage lançant des flèches empoisonnées. . 136Ficus elastica (caoutchouc). 139Le Duho-Upas 153La Vallée empoisonnée (Java) 160Chênes. 162Le Chêne d'Allouville 173Le Chêne de Montravail, près de Saintes 176

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316 TABLE DES GRAVURES.

Le Châtaignier de l'Etna. . . . • .. . 1$5Le Platane de Smyrne. 187L'Érable sycomore de Trons 193Le Dragonnier •205.Les Arbres géants de la Californie . 212La Mandragore 218Racines de Mandragores façonnées. 22 I

DEUXIÈME PARTIE

Nymphéacée ,, '226Orchidée 255I.es Yuccas 238Le Yucca.. 241Rafllesia Arnoldi. 215La Victoria Regina 247La Népenthès. 255L'Antirrhinnm griecum 268Le Liseron. 279Paysage. 284La Flore de la mer 289Fora de 'poque houillère 299Fougères arborescentes 300

FIN

PARIS. — IMP. SIMON BACON FT COMP., a5E b'ERFLIRTII, I