les médecins généralistes français face aux champs électromagnétiques

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Les médecins généralistes français face aux champs électromagnétiques Jacques Lambrozo 1 , Martine Souques 1 , Fabrice Bourg 2 , Xavier Guillaume 2 , Anne Perrin 3 1. Service des études médicales, EDF - DRH Groupe, 45, rue Kléber, 92309 Levallois-Perret cedex, France 2. Kantar Health, 138, avenue Marx-Dormoy, 92120 Montrouge, France 3. Institut de recherche biomédicale des armées antenne CRSSA, département « Effets biologiques des rayonnements », BP 87, 38702 La Tronche cedex, France Correspondance : Martine Souques, Service des études médicales, EDF - DRH Groupe, 45, rue Kléber, 92309 Levallois-Perret cedex, France. [email protected] Disponible sur internet le : 16 février 2013 Reçu le 11 mai 2012 Accepté le 17 septembre 2012 Presse Med. 2013; 42: e133e143 ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com e133 Article original Summary French general practitioners and electromagnetic fields Objective > To assess the perception of risk of general practi- tioners (GPs) about electromagnetic fields (EMF), their sources of information, as well as their patients’ level of concern. Methods > Six hundred French GPs were selected according to the quotas method. They were asked to answer 24 items via an electronic questionnaire using the Computer-Assisted Web Interviewing (CAWI) method. Results > The GPs know the main EMF sources: cell phone towers, cell phones, power-lines, microwave ovens and WiFi networks. Patients mostly complain or worry about the first three sources and ask their GP for information about these. GPs themselves search for information in the mainstream media rather than in the usual scientific and medical press. As a consequence, their knowledge about potential risks of EMF is deemed rather crude. Discussion and conclusion > The GPs are sensitive to environ- mental concerns, particularly regarding EMF exposure. However, according to the results analysis, they do not have the same approach because of an obvious lack of mastery in a complex and poorly informed situation. A serious educational effort is essen- tial and would be welcomed by practitioners, who are aware of their responsibilities in terms of counseling, diagnosis and care. Résumé Objectif > Connaître chez les médecins généralistes français, leur perception du risque sur les champs électromagnétiques (CEM) et la santé, leurs sources d’information ainsi que le niveau de préoccupation de leurs patients. Méthodologie > Six cents généralistes français, recrutés (sélec- tionnés) selon la méthode des quotas, ont répondu à 24 ques- tions administrées via Internet selon la méthode Computer- Assisted Web Interviewing (CAWI). Résultats > Les principales sources de CEM étaient connues : antennes relais, téléphones portables, lignes à haute tension, fours à micro-ondes et le réseau WiFi. Les trois premières étaient le plus souvent à l’origine d’interrogations ou de plaintes chez les patients. L’information des médecins prove- nait plutôt des médias grand public que des sources médico- scientifiques classiques. Leur connaissance sur les risques éven- tuels a été jugée insuffisante. Discussion et conclusion > Nous n’avons pas observé une atti- tude homogène des médecins par manque évident de maîtrise d’une situation complexe et mal renseignée. Un réel effort d’information est indispensable et serait parfaitement reçu par les médecins conscients de leur responsabilité en matière de conseil, de diagnostic et de soin. tome 42 > n85 > mai 2013 http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2012.09.026

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Page 1: Les médecins généralistes français face aux champs électromagnétiques

Presse Med. 2013; 42: e133–e143� 2013 Elsevier Masson SAS.Tous droits réservés.

en ligne sur / on line onwww.em-consulte.com/revue/lpmwww.sciencedirect.com

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Summary

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Objective > To assess the perceptioners (GPs) about electromagnof information, as well as their

Methods > Six hundred French Gthe quotas method. They were aselectronic questionnaire using

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tome 42 > n85 > mai 2013http://dx.doi.org/10.1016/j.lpm.2012.09.026

Les médecins généralistes français face auxchamps électromagnétiques

Jacques Lambrozo1, Martine Souques1, Fabrice Bourg2, Xavier Guillaume2, Anne Perrin3

1. Service des études médicales, EDF - DRH Groupe, 45, rue Kléber,92309 Levallois-Perret cedex, France

2. Kantar Health, 138, avenue Marx-Dormoy, 92120 Montrouge, France3. Institut de recherche biomédicale des armées – antenne CRSSA, département

« Effets biologiques des rayonnements », BP 87, 38702 La Tronche cedex, France

Correspondance :Martine Souques, Service des études médicales, EDF - DRH Groupe, 45, rue Kléber,92309 Levallois-Perret cedex, [email protected]

Disponible sur internet le :16 février 2013

Reçu le 11 mai 2012Accepté le 17 septembre 2012

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tion of risk of general practi-etic fields (EMF), their sourcespatients’ level of concern.Ps were selected according toked to answer 24 items via anthe Computer-Assisted Web

MF sources: cell phone towers,ave ovens and WiFi networks.y about the first three sources

about these. GPs themselvesinstream media rather than inpress. As a consequence, theirf EMF is deemed rather crude.

GPs are sensitive to environ-rding EMF exposure. However,, they do not have the sameck of mastery in a complex andus educational effort is essen-ractitioners, who are aware ofounseling, diagnosis and care.

Résumé

Objectif > Connaître chez les médecins généralistes français,leur perception du risque sur les champs électromagnétiques(CEM) et la santé, leurs sources d’information ainsi que leniveau de préoccupation de leurs patients.Méthodologie > Six cents généralistes français, recrutés (sélec-tionnés) selon la méthode des quotas, ont répondu à 24 ques-tions administrées via Internet selon la méthode Computer-Assisted Web Interviewing (CAWI).Résultats > Les principales sources de CEM étaient connues :antennes relais, téléphones portables, lignes à haute tension,fours à micro-ondes et le réseau WiFi. Les trois premièresétaient le plus souvent à l’origine d’interrogations ou deplaintes chez les patients. L’information des médecins prove-nait plutôt des médias grand public que des sources médico-scientifiques classiques. Leur connaissance sur les risques éven-tuels a été jugée insuffisante.Discussion et conclusion > Nous n’avons pas observé une atti-tude homogène des médecins par manque évident de maîtrised’une situation complexe et mal renseignée. Un réel effortd’information est indispensable et serait parfaitement reçu parles médecins conscients de leur responsabilité en matière deconseil, de diagnostic et de soin.

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J Lambrozo, M Souques, F Bourg, X Guillaume, A Perrin

Les médecins généralistes assurent une fonction de conseilet d’information sur les risques sanitaires, notamment ceuxpour lesquels les données disponibles sont insuffisantes,contradictoires ou difficilement accessibles. Leurs patients lesquestionnent sur l’influence de l’environnement sur leur santé.Par exemple, les sources d’information du public sont diverseset de qualité très inégale sur les organismes génétiquementmodifiés, les nanotechnologies ou les champs électromagné-tiques (CEM). Les craintes face à des nouvelles technologies,associées à des antécédents de mauvaise gestion des risques,expliquent ces préoccupations [1,2].Suite aux crises de santé publique, la confiance accordée auxexperts scientifiques et aux pouvoirs publics s’est dégradée, etla perception des risques résulte plutôt de l’influence desmédias que d’une analyse objective et raisonnée des connais-sances.Nous avons étudié la perception des risques pour la santé desCEM, qu’il s’agisse des champs produits par le courant élec-trique (de fréquence 50 Hertz en Europe), ou des radio-fréquences émises notamment par les antennes relais detéléphonie mobile et les téléphones portables. L’objectif étaitde mieux connaître leur perception sur ces sujets, leurs princi-pales sources d’information ainsi que le niveau de préoccupa-tion des patients.

MéthodesNotre sondage a été initié par la section Rayonnements nonionisants (RNI) de la Société française de radioprotection (SFRP)à l’occasion de la parution de l’ouvrage « Champs électro-magnétique, environnement et santé » [3].Le questionnaire comportait 22 questions : six sur les donnéespersonnelles (sexe, âge, région d’exercice, etc.) et profession-nelles (mode d’exercice particulier) et 16 réparties en quatregroupes : deux sur les risques environnementaux et les sourcesde CEM, quatre sur la possibilité de percevoir les CEM, six surl’expérience pratique du médecin, quatre sur les sources d’in-formation et leur crédibilité.Après appel d’offre, un institut de sondage compétent dans lessujets relatifs à la santé a été sélectionné (Kantar Health, ex TNSSofres Santé). Les données ont été recueillies du 27 septembreau 7 octobre 2010 auprès de 600 médecins généralistesfrançais recrutés selon la méthode des quotas, dans le butd’éviter les pièges liés à des taux de réponses faibles [4].Le questionnaire a été administré via Internet selon la méthodeComputer-Assisted Web Interviewing (CAWI) qui permet degérer les filtres et les logiques de réponse. Afin de disposer d’unéchantillon représentatif des médecins généralistes français,les données ont été redressées en termes de :� régions IDREM (Institut européen de documentation et de

recherche sur la maladie) : dans les études de très gros

volumes (plus de à 5000 sujets), les 22 régions adminis-tratives sont utilisées (régions INSEE). Avec des échantillonsclassiques, de 400 et 2000 individus, divers regroupementsde départements sont utilisés, dont les régions IDREM,spécifiques aux études médicales, au nombre de huit (Île-de-France, Nord, Nord-est, Centre-est, Sud-est, Sud-ouest,Centre, Ouest) ;

� sexe et âge : l’échantillon a été séparé en deux tranchesd’âges : moins de 50 ans, et 50 ans et plus. Les données decadrage utilisées ont été celles du système national inter-régimes (SNIR) 2007. Il s’agit d’un système d’informationétabli par la Caisse nationale d’assurance maladie destravailleurs salariés (Cnamts) en 1977. Il recueille pourchaque praticien et pour chaque auxiliaire ses caractéristiquessociodémographiques (âge, sexe, mode d’activité, secteurconventionnel, lieu d’exercice), le nombre d’actes ou lescoefficients effectués, les prescriptions et les honoraires.

Pour les questions dont les réponses proposées étaient sousforme de liste, les items apparaissaient de manière aléatoire defaçon à éviter un biais de réponse. Dans l’analyse des réponses,nous avons tenu compte des données personnelles et desmodes d’exercice particuliers (homéopathie, acupuncture,etc.). Les données ont été croisées en fonctions des groupesde répondants pour affiner les résultats.Les résultats fournis sont ceux pour lesquels il existait unedifférence statistiquement significative à 10 % analysés avecun test du Chi2 pour les proportions et le t-test (Student) pourles moyennes.

Résultats

Caractéristiques sociodémographiquesL’âge moyen était de 50 ans, l’ancienneté moyenne dansl’exercice de 21 ans, les femmes-médecins représentaient27 % de l’échantillon (tableau I). Les médecins se répartissaientde façon proportionnelle à la densité de population de la zoned’exercice, 14 % exerçaient en milieu rural, 31 % dans desagglomérations de moins de 20 000 habitants, 22 % dans lesvilles de 20 000 à 100 000 habitants, 23 % dans les villes deplus de 100 000 habitants et 10 % dans l’agglomérationparisienne. Tous les répondants exerçaient la médecinegénérale, 37 % avaient un mode d’exercice particulier :15 % l’homéopathie, 7 % l’acupuncture, 6 % l’ostéopathie,5 % la mésothérapie, 1 % se déclarent naturopathes et 1 %nutritionnistes.

Risques environnementaux et sources de CEM

La première question visait à apprécier les perceptions relativesdes médecins vis-à-vis d’un ensemble de situations environ-nementales jugées à risque. Il était demandé de classer de 1 à5 les situations jugées les plus dangereuses à partir d’une listede 11 propositions (figure 1). Les premières citées ont été :côtoyer des fumeurs (tabagisme passif ; 86 %), boire de l’eau

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Tableau I

Répartition des caractéristiques sociodémographiques des médecins généralistes de l’échantillon étudié comparée aux données duConseil de l’Ordre national des médecins (CNOM) et de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques(DREES)

Échantillon étudié (%)n = 600

CNOM (%)n = 54 403

DREES (%)n = 62 488

Sexe

Homme 73 70 68

Femme 27 30 32

Âge (ans)

< 35 4 7

35–44 20 20

� 45 76 73

< 40 14 13

40–44 10 10

45–49 19 15

50–54 26 22

55–59 22 21

60–64 9 19

Région IDREM d’exercice

Île-de-France 17 Information non disponible via le CNOM 19

Nord 10 9

Nord-Est 9 9

Centre-Est 12 12

Sud-Est 16 16

Sud-Ouest 12 12

Centre 8 8

Ouest 16 15

Ancienneté d’exercice (ans)

< 15 24 Information non disponible via le CNOM Information non disponible via la DREES

15–20 26

21–29 30

� 30 20

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distribuée par des canalisations en plomb (82 %), habiter àproximité d’une ligne de transport d’électricité à haute tension(72 %) et habiter à proximité d’une centrale nucléaire (65 %).Les médecins habitant un département avec centrale nucléaireétaient moins nombreux à citer dans les trois premièresplaces le fait de vivre à côté d’une centrale nucléaire (28 %vs 40 %, p < 0,01). Habiter à proximité d’une antenne relais

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était considéré comme une situation dangereuse par 48 % desmédecins, mais guère plus que le fait d’habiter près d’uneautoroute (44 %). Les autres propositions citées ont été : le faitd’utiliser un téléphone portable (39 %), manger du maïstransgénique (24 %), travailler plusieurs heures devant unordinateur (21 %), utiliser un four à micro-ondes (11 %) etboire un verre de vin par jour (7 %).

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Côtoy er des fumeurs (tabagisme pass if)

Boire de l'eau prov enant de tuy aux en plomb

Habiter près d’un e ce ntrale nu cléa ire

Habiter à côté d'un e lign e élec triqu e à h aute-tension

Habiter à p rox imité d 'un e antenn e relais de téléphon ie mobil e

Habiter à p rox imité d’un e autorou te

Utili ser régu lièrement un téléph one portable

Mang er du maïs transgénique (OG M)

Travaill er plusieurs heures d evant son ordinateur

Utili ser régu lièrement un fou r à micro-on des

Boire un verr e de vin par jour

En 1erEn 2èmeEn 3èmeEn 4èmeEn 5èmeNon cité

Figure 1

Réponses à la question « Parmi les comportements ou situations suivants, veuillez indiquer les 5 que vous considérez comme les plusdangereux pour la santé ». Base : ensemble des médecins généralistes (n = 600)

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Certains facteurs tels que l’âge, le fait de se déclarer suffisam-ment informé ou de penser que les pouvoirs publics étaientattentifs aux préoccupations des français influençaient la per-ception des risques environnementaux (tableau II). Les méde-cins qui se considéraient suffisamment informés sur lesCEM étaient moins nombreux à considérer la proximité d’une

Tableau II

Situations et comportements dont la perception en tant que risque venvers les pouvoirs publics

Échantillonglobal (%)

n = 600

35–44 ans (%)n = 115

Habiter près d’une centrale nucléaire 65 –

Habiter près d’une antenne relais 48 –

Habiter près d’une autoroute 44 –

Utiliser régulièrement untéléphone portable

39 –

Travailler plusieurs heuresdevant son ordinateur

21 13*

Manger du maïs transgénique 24 –

Les résultats sont exprimés en pourcentage. * : p < 0,5 ; ** : p < 0,01.

centrale nucléaire ou d’une antenne relais comme un dangerpotentiel (respectivement 54 % [p < 0,01] et 36 % [p < 0,05]).En revanche, ils étaient plus nombreux à citer le fait d’habiter àproximité d’une autoroute (66 %, p < 0,01).Une question visait à apprécier les connaissances de base desmédecins sur les sources de CEM à partir d’une liste de 22 items

arie avec l’âge, le niveau d’information ressenti et/ou la confiance

55–64 ans (%)n = 193

« Suffisammentinformés » (%)

n = 65

« Les pouvoirs publics sontattentifs aux préoccupations

des français » (%)n = 167

73** 54* –

36* 33**

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Réponses (%) à la question « Selon vous, dans la liste d’appareils ou d’installations suivante, quels sont ceux qui émettent des champsélectromagnétiques ? ». Base : ensemble des médecins généralistes (n = 600)

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incluant des leurres (GPS, boussole, détecteurs de fumée). Enmoyenne dix items ont été cités (figure 2). Les trois quarts desmédecins savaient que les antennes relais (90 %), lestéléphones portables (86 %), les lignes à haute tension(85 %), le four à micro-ondes (79 %) et le réseau WiFi(75 %) émettaient des CEM. Cependant, peu d’entre euxsavaient que les appareils électrodomestiques émettaientdes CEM : 16 % citaient le rasoir électrique, 17 % l’automobileet 23 % le radioréveil. Un leurre a été considéré au moins unefois comme émetteur de CEM par 44 % des généralistes,essentiellement le GPS.Une différence significative existait entre les hommes et lesfemmes-médecin dans la connaissance des équipementsémettant un CEM. Les femmes-médecin étaient 77 % àconsidérer que les lignes de transport d’électricité émettaientun CEM contre 85 % de l’ensemble des médecins (p < 0,01). Il enétait de même des transformateurs (47 % vs 55 %, p < 0,05),des plaques de cuisson par induction (35 % vs 45 %, p < 0,01),des lignes de TGV (28 % vs 38 %, p < 0,01). D’une manièregénérale, cette différence liée au sexe était d’environ dix pointspour les lampes basses consommation, les automobiles, le rasoirélectrique et le sèche-cheveux.

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Le CEM est-il perçu par les sujets se plaignant d’uneffet ?

Dans la première question, il était demandé si certains sujetspouvaient percevoir ou non le CEM émis par les lignes élec-triques, les antennes relais, les téléphones portables ou le WiFi.Les réponses se répartissaient en trois groupes : 29 % pensaientque cette perception était effectivement possible, 40 % (32 %des femmes-médecin, p < 0,05) pensaient que les patients seplaignant d’effets dus aux CEM n’étaient pas en mesure de lespercevoir, tandis que près d’un tiers des médecins ne savaientqu’en penser.Pour 33 % des médecins, l’impact défavorable sur la santé liéà la résidence à proximité de lignes de transport d’électricitéétait scientifiquement acquis, mais ils étaient 54 % à jugerque les effets étaient pressentis mais non démontrés et 13 %considéraient qu’aucune preuve de dangerosité n’avait étéétablie. Cette répartition était de 22 %, 64 % et 14 % pourl’utilisation plusieurs heures par jour d’un téléphone portableet de 17 %, 65 % et 18 % pour la proximité d’une antennerelais de téléphonie mobile sur le toit, similaire au fait d’avoirun téléphone portable en veille sur soi. Les femmes-méde-cins étaient plus nombreuses à considérer que les effets du

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téléphone portable étaient scientifiquement démontrés(31 % vs 22 %, p < 0,01). Aucune preuve de dangerositéliée à l’utilisation du réseau WiFi n’était établie pour 41 %des répondants, mais les femmes-médecin n’étaient que29 % à partager cet avis (p < 0,01).Si pour 58 % des médecins interrogés, il n’était pas prouvé quetravailler quotidiennement devant l’ordinateur soit dangereux,les médecins homéopathes (n = 91) n’étaient que 45 % àpartager cet avis (p < 0,05). Il en était de même de l’utilisationquotidienne des applications électrodomestiques telles querasoir électrique, sèche-cheveux, four à micro-ondes,radioréveil : 68 % des médecins considéraient qu’aucunepreuve scientifique de dangerosité n’avait été apportée ; làencore, les médecins homéopathes se situaient différemment(52 %, p < 0,01).Pour 79 % des médecins, habiter à proximité d’une lignehaute tension ou d’une antenne relais de téléphonie mobile,ou utiliser régulièrement un téléphone portable augmentaitle risque de développer une maladie. Les praticiens ayant unmode d’exercice particulier étaient plus nombreux à partagercet avis (85 %, p < 0,01). Les pathologies le plus souventcitées étaient les tumeurs (53 % des réponses positives), puisles migraines et les céphalées (25 %), suivies des troublesneurologiques (19 %) et des troubles du sommeil (9 %). Ànoter : 28 % des médecins homéopathes citaient les troublesneurologiques (p < 0,05). D’autres symptômes étaientmentionnés : acouphènes et vertiges (9 %), troubles del’humeur et irritabilité (6 %), maladie du sang autre que laleucémie (6 %), dépression (5 %), fatigue (4 %), anxiété etangoisse (3 %), troubles de la fertilité et retentissement sur lagrossesse (3 %).

Figure 3

Analyse des sources d’information utilisées par les 600 médecins (%

Les sources d’information et leur crédibilitéQuatre-vingt-neuf pour cent des 600 médecins généralistes sedéclaraient insuffisamment informés. Ce pourcentage était de96 % chez les femmes-médecins et chez les médecins ayantmoins de 15 ans d’installation (p < 0,01). L’information desmédecins généralistes sur ce sujet provenait pour 74 % desmédias « grand public », dont 43 % de la presse écrite nationaleou régionale, 32 % de la télévision, 30 % d’Internet et 22 % dela radio. La presse médicale et les sites internet médicauxparticipaient à l’information pour 55 % des médecins, lesouvrages scientifiques pour 26 % (figure 3). Ces résultatsdoivent être nuancés car les médecins se déclarant suffisam-ment informés se fiaient plus à la presse médicale (69 %,p < 0,05) et aux ouvrages scientifiques (45 %, p < 0,01) qu’àla télévision (14 %, p < 0,01) ou la radio (10 %, p < 0,05). Demême, les médecins ayant plus de 30 ans d’ancienneté s’in-formaient plus par le biais de la presse médicale (64 %,p < 0,05), alors que c’était le contraire pour les femmes-médecin et les médecins de moins de 50 ans (respectivement42 % et 48 %, p < 0,01).En matière de sources d’information, 92 % des médecinsfaisaient confiance à la communauté scientifique (84 % pourles 91 homéopathes, p < 0,01). Les Académies étaientconsidérées comme une source scientifique crédible par91 % des médecins, les Agences sanitaires gouvernementalespar 75 % (57 % pour les homéopathes, p < 0,01), l’Organisa-tion mondiale de la santé (OMS) par 69 %. Les associations deconsommateurs étaient des sources d’information crédibles pour54 % des médecins (65 % des homéopathes, p < 0,05). Les ONG,les associations de malades et les associations écologistes étai-ent jugées moins crédibles (respectivement 37 %, 31 % et 24 %),

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mais les homéopathes étaient plus nombreux à leur faire con-fiance que l’ensemble des médecins : 49 vs 31 % (p < 0,01) pourles associations de malades, 36 vs 24 % (p < 0,01) pour lesassociations écologistes. Les médecins ne faisaient pas confianceaux industriels comme source d’information (4 % pour lesindustriels des télécommunications, 7 % pour les industrielsde l’énergie).Pour 72 % des 600 médecins généralistes, les pouvoirs publicsn’étaient pas suffisamment attentifs aux préoccupations desFrançais liées aux CEM. De fait, 61 % répondaient « plutôt pas »

et 11 % « pas du tout ». Ils étaient 28 % à penser le contraire(1 % « tout à fait » et 27 % « oui, plutôt »), mais les femmes-médecins étaient moins nombreuses à partager cet avis (16 %,p < 0,01). Cette proportion d’opinion positive augmentait chezles médecins qui se considéraient suffisamment informés(54 %, p < 0,01) et chez ceux qui étaient confiants dans lesinstitutions (42 %, p < 0,01).

L’expérience pratique du médecin

Les médecins ont été interrogés par leurs patients sur lesrisques éventuels liés aux CEM dans 74 % des cas : 3 % souventinterrogés, 28 % de temps en temps et 43 % rarement. Leshoméopathes étaient plus souvent interrogés que l’ensembledes médecins (44 % souvent ou de temps en temps vs 31 %,p < 0,01). Environ un quart des médecins n’ont jamais étéinterrogés sur l’éventualité d’un risque d’origine électromagné-tique. Les interrogations portaient principalement sur les

Figure 4

Réponses (%) à la question « Parmi les symptômes listés ci-dessous, qplaignant de symptômes liés à une exposition à des champs électrod’hypersensibilité au cours des 12 derniers mois (n = 181)

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téléphones portables (79 %) et sur les antennes relais detéléphonie mobile (69 %), les lignes de transport d’électricité(53 %), les fours à micro-ondes (31 %), le réseau WiFi (30 %),les antennes relais de télévision (24 %) et l’utilisation del’ordinateur (17 %) et le GPS (4 %).Plusieurs questions concernaient plus spécifiquement l’électro-hypersensibilité (EHS). De fait, 70 % des médecins n’ont pas étéconsultés pour des symptômes reliés à l’EHS dans les 12 der-niers mois précédant l’enquête. Parmi ceux qui l’ont été, lafréquence était pour 28 % entre une et cinq fois dans l’année,1 % entre six et dix fois et 1 % plus de dix fois dans l’année.Dans 69 % des cas, les symptômes émanaient de patientes.Les symptômes les plus fréquemment rapportés par lespatient(e)s étaient les maux de tête (38 %), les troubles dusommeil (19 %) et la fatigue (17 %). La nervosité (6 %), lesvertiges (5 %), les acouphènes (4 %), la sensation de chaleurcutanée (3 %), les difficultés de concentration et l’anxiété (2 %)étaient moins souvent évoqués (figure 4). La base de cesréponses porte sur les 181 médecins qui ont déclaré avoirrencontré des patients se plaignant d’EHS.

DiscussionLes préoccupations environnementales, concernant les exposi-tions aux CEM en particulier, ne laissaient pas les médecinsgénéralistes indifférents. Nous n’avons pas observé une atti-tude homogène des médecins par manque évident de maîtrised’une situation complexe et mal renseignée. Un réel effort

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uels sont les 3 les plus fréquemment rapportés par les patients semagnétiques ? ». Base : MG ayant vu des patients se plaignant

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d’information est indispensable et serait parfaitement reçu parles médecins conscients de leur responsabilité en matière deconseil, de diagnostic et de soin.Au plan méthodologique, nous avons utilisé la méthode desquotas mieux adaptée aux échantillons de faibles effectifs(n < 2000) [4]. Cette méthode est préférable à la méthodealéatoire dans la mesure où la déstructuration de l’échantillonliée à la non-réponse peut conduire à des effectifs très faibles,donc une surreprésentation pour certaines catégories de lapopulation, ce qui s’avère contrôlé avec les quotas [5]. Lesvariables retenues comme quotas étaient le sexe, l’âge, larégion d’exercice. Au regard du rapport sur la démographiemédicale en 2010 du Conseil national de l’ordre des médecins(CNOM) [6], le profil de notre échantillon était sensiblementcomparable à celui des médecins exerçant en France métro-politaine avec une surdensité médicale dans la région Sud et enÎle-de-France, sauf pour la proportion des médecins ayant unmode d’exercice particulier (MEP) qui étaient plus nombreux(37 %). Les MEP représentaient 14 % des médecins généralistesen 2002 (dernières données disponibles sur cette populationselon les données du CNOM, source Eco Santé France, www.e-cosante.fr). Outre le fait que la date d’évaluation n’était pas lamême, il s’agissait de modes d’exercice auto-déclarés par lesrépondants et non pré- ou post-renseignés selon des registresofficiels, ce qui peut contribuer à cette différence.Ce travail est le premier de ce type à avoir recruté les sujets parla méthode des quotas qui, sans être parfaite, assure unemeilleure représentativité de l’échantillon interrogé. Ainsi, ladistribution des 600 généralistes français inclus dans l’étudeest bien justifiée par rapport aux données de la démographiemédicale française fournies par le CNOM et la DREES(tableau I). De plus, ce nombre est plus élevé que 196 sur400 contactés pour l’étude suisse [7], 342 sur 1328 contactéspour l’étude autrichienne [8] et 435 sur 2785 contactés pourl’étude allemande [9,10]. L’administration du questionnairepar Internet a permis un meilleur contrôle de la fiabilité desréponses que les questionnaires adressés et retournés par voiepostale ou administrés par téléphone.Nous avions restreint la liste de risques proposés à desrisques liés à des faibles doses ou des risques environnemen-taux sans proposer de facteurs de risque avérés bien connus.Dans l’étude allemande [9], le tabagisme, la consommationexcessive d’alcool et celle de viande d’origine inconnue occu-paient les trois premiers rangs dans l’échelle des risques. Lesantennes relais de téléphonie mobile, les lignes de transportde l’électricité et l’utilisation du téléphone portable étaientrespectivement en sixième, septième et 12e position alorsqu’elles étaient en troisième, quatrième et cinquième positiondans notre enquête.Dans la classification des facteurs de risques sur l’échantillonfrançais, les situations jugées les plus dangereuses pour lasanté et classées en premier correspondaient à des risques

subis, tandis que les risques maîtrisables par les personnesétaient estimés, comme cela est désormais classique, à undegré moindre de dangerosité.La comparaison de nos résultats avec les résultats d’une étuderéalisée à l’automne 2010 auprès de la population générale(n = 1000 personnes âgées de 15 ans et plus) donc dans unmême contexte sociétal, indique que les médecins généra-listes français ont globalement la même perception que lapopulation générale sur les risques sanitaires liés aux rayon-nements [11]. La différence n’est que de 4 % pour les lignes àhaute tension (68 vs 72 %) et 1 % pour les antennes relais(49 vs 48 %). Dans les deux enquêtes, 65 % des personnesinterrogées considéraient que vivre à proximité d’une centralenucléaire était à risque ; mais pour les médecins exerçant dansun département où une centrale nucléaire était en activité,ce pourcentage était de 20 % reflétant une perception dif-férente du risque. Notre sondage a été réalisé avant l’accidentde Fukushima et le classement pourrait être différent en 2013.Ceci peut être le résultat d’une meilleure information surle risque dispensée dans ces régions et/ou d’une plusgrande confiance du fait de cette expérience de proximitéquotidienne avec l’installation et ceux qui y travaillent. Ce-pendant, ce différentiel pourrait aussi résulter au contraired’une baisse de vigilance et d’une habituation au risque.Le fait de se sentir suffisamment informés sur les CEM coïncideavec une moindre perception de la proximité d’une antennerelais comme un risque, mais n’a pas d’influence sur la percep-tion du risque concernant l’usage du téléphone portable, ou laproximité d’une ligne de transport de l’électricité. La questiondu téléphone portable est apparemment plus complexe àcerner car la perception des médecins reste inchangée qu’ilsse sentent informés ou pas. Ceci pourrait indiquer que l’in-formation sur ce point est insuffisante, inaudible ou plus difficileà apporter et/ou à recevoir dans un contexte controversé. Il estdifficile de savoir a priori que le niveau d’exposition dû auxantennes relais est très nettement inférieur à celui engendrépar le téléphone portable dans la mesure où une grande partdes revendications relayées par les médias portent sur lesantennes [3]. À part le niveau d’information dans certainscas, il ne ressort pas un paramètre particulier qui change lerapport au risque de manière générale.En France, tout comme en Suisse [7], en Allemagne [10] ou enAutriche [8], les modes d’exercice particulier, ainsi que leniveau d’information, la classe d’âge et le sexe des médecinsinfluent significativement sur la perception spécifique durisque CEM. Ceci rend le panorama des médecins généralistesplus hétérogène qu’il n’y paraît au premier abord. Les méde-cins généralistes autrichiens considéraient, comme leursconfrères français, que les CEM avaient une influence sur lasanté (77 vs 79 %). Ils étaient moins nombreux en Suisse(61,4 %) et encore moins en Allemagne (30 %). En Suisse,les femmes-médecins étaient plus nombreuses à leur attribuer

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la responsabilité de symptômes (76,1 %), indiquant unedifférence de perception entre femmes et hommes médecinsdu même ordre que celle observée en France.Pour la plupart des médecins, un impact défavorable sur lasanté des CEM était pressenti mais non démontré. Un tierspensaient que cet effet délétère était démontré pour leslignes de transport de l’électricité, ce qui est contraire à laposition de l’OMS [12]. Ils étaient 18 % à considérer que lesantennes relais de téléphonie mobile n’avaient aucun risquepour la santé, à l’opposé des expertises nationales et inter-nationales [13–16]. Cela peut tenir au fait que leurs avis nesont pas toujours fidèlement repris, sinon par la pressemédicale, du moins par les media, qui constituent pourbon nombre de praticiens leur source essentielle d’informa-tion sur ce sujet. Sur ces points, les femmes-médecin étaientplus nombreuses à penser que les CEM des téléphonesportables ou du WiFi peuvent être néfastes pour la santé,résultat que l’on peut relier au fait qu’elles se déclaraientmoins informées.Pour Boy, les femmes auraient dans leur ensemble à la foisune sensibilité plus marquée pour les effets possibles d’unrisque et moins confiance que les hommes dans les structuresscientifiques et étatiques ou en charge d’évaluer, de préveniret de gérer le risque. Les hommes s’exposent plus volontiersà des activités à risque et le nombre de victimes d’accidentsde la route en témoigne, d’une part parce que nombre dekilomètres parcourus est plus important, mais aussi parcequ’ils adoptent des conduites plus à risque. Il n’y a pasd’explication univoque à cette situation mais les processusde socialisation différents pour les deux sexes peuvent rendreen partie compte de cette perception différente des risques.Les femmes-médecins partagent les mêmes connaissances etle même rôle social que leurs confrères et pourtant leursréponses diffèrent significativement. Les femmes « tous mili-eux sociaux confondus, quelles que soient leurs formations etindépendamment de leurs professions, tendent, plus que leshommes, à affirmer leurs craintes devant la perspective deréalisation de risques induits par le développement scienti-fique et la technique » [1].Les médecins homéopathes représentaient une population àpart au sein de l’échantillon : ils étaient plus nombreux à penserque des effets nocifs pour la santé étaient démontrés en cas detravail quotidien sur ordinateur ou d’usage des appareils élec-trodomestiques.Les tumeurs ont été citées plus d’une fois sur deux par lesmédecins français comme pathologie en rapport avec les CEM(53 %). La possibilité que l’exposition aux CEM puissefavoriser l’apparition de cancers a été, et est encore, unsujet de préoccupation majeure, tant pour les chercheurs quepour la société, se traduisant en termes de communicationsmédiatiques. En 2002, le Centre de recherche internationalsur le cancer (CIRC) a classé les champs magnétiques de très

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basses fréquences en catégorie 2B [17]. Il en est de mêmepour les radiofréquences depuis mai 2011 [18] notammenten raison des résultats de l’étude épidémiologique, trèsmédiatisée, INTERPHONE qui portait sur l’usage du téléphoneportable [19]. Cette catégorie 2B, « cancérogène possible »,signifie qu’après analyse de l’ensemble de la littérature leséléments de preuve sont jugés limités et peuvent avoir étéobtenus par hasard, chance ou à cause de biais, ne permet-tant pas de conclure sur la cancérogénicité de l’agent étudié[20].La plupart des médecins généralistes français déclaraientmanquer d’information, notamment les femmes-médecinset les médecins ayant le moins de pratique. C’est aussi lecas de 73 % des médecins suisses et de 68 % des médecinsayant répondu à la version longue du questionnaire en Alle-magne (52,6 % pour la version courte). Plus de la moitié desmédecins autrichiens tirent leur information de la presse et20 % de la radio. En France, cette information est surtouttrouvée dans les médias grand public (74 %) plutôt que dansles sources scientifiques, régulièrement mises à jour. La santéenvironnementale ne fait pas l’objet d’un enseignementspécifique dans le cursus des études médicales. Le praticiendoit faire l’effort de s’informer en prenant soin du choix de sessources, en plus de ses autres tâches. L’accès aux médiastoujours plus aisé permet d’obtenir rapidement une informa-tion abondante, mais sans garantie de fiabilité.Néanmoins, les médecins accordent un degré de confiancevariable à ces différentes sources d’informations. Les méde-cins homéopathes se distinguent de leurs confrères enfaisant moins confiance aux agences sanitaires gouverne-mentales et plus aux associations. Cependant, la commu-nauté scientifique et les Académies (médecine, sciences,technologies) restent pour la plupart des médecins lessources les plus crédibles.Les sources d’information jugées fiables sont perçues différem-ment en France où 69 % des médecins considèrent l’OMScomme une référence, alors qu’ils ne sont que 40 % à adoptercette position Outre-Rhin.Les médecins estimaient que les pouvoirs publics ne sont passuffisamment attentifs aux préoccupations des français en ma-tière de CEMet de santé,et ce, malgré l’organisation du « Grenelledes ondes » mis en place au printemps 2010 par le gouverne-ment et des expertises scientifiques collectives répétées.Concernant le rôle des pouvoirs publics face aux préoccupa-tions des français liées aux CEM, il apparaît que plus desdeux tiers des médecins généralistes trouvent que ceux-ci nesont pas suffisamment attentifs. Néanmoins, les médecinsqui font le plus confiance aux institutions sanitaires et auxscientifiques comme sources d’information et qui utilisent lapresse médicale et les ouvrages scientifiques pour s’informersont plus enclins à être satisfaits de l’attention des pouvoirspublics vis-à-vis des préoccupations des français.

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Lorsqu’il est question des CEM, les personnes ayant dessymptômes attribués au syndrome d’hypersensibilité auxCEM ou EHS sont souvent mises en avant, voire mises en scènedans la communication à destination du grand public. Cela peutconduire à une surreprésentation de la population concernée.Dans ce contexte, les praticiens sont consultés par leurs patientsperplexes ou inquiets. De nombreuses études ont été conduitessur les personnes EHS pour examiner si leur perception des CEMest différente de celles d’individus témoins (non EHS). L’analysede la littérature montre que ces personnes souffrent effective-ment lorsqu’elles se savent exposées ou pensent l’être [21].Cependant, aucun lien causal entre les symptômes décrits etl’exposition effective aux ondes électromagnétique n’a été misen évidence [13,22–25].Les études réalisées en Autriche, en Suisse et en Allemagneprécisent aussi l’importance du syndrome EHS dans la pratiquequotidienne des médecins généralistes et sur leur approche durisque lié aux CEM.Près de trois quarts des médecins généralistes français (74 %)sont interrogés par leurs patients sur les situations d’expositionaux CEM et sur les risques éventuels. Les homéopathes sontplus souvent interrogés que l’ensemble des médecins (44 % vs31 %), ce qui peut indiquer une sensibilité différente de leurspatients à leur environnement électromagnétique, ou uneécoute différente.Pour l’essentiel, les questions portent sur les téléphonesportables (79 %), des antennes relais de téléphonie mobile(69 %) et des lignes de transport d’électricité (53 %). Cetterépartition est différente dans l’étude suisse [7] où lessources les plus souvent incriminées sont en premier lieules antennes relais de téléphonie mobile (33 % des cas),puis les lignes de transport d’électricité (14 % des cas) etenfin l’utilisation de téléphones portables (9 % des cas). Lefait que ces chiffres soient beaucoup plus bas en Suissequ’en France peut résulter de la manière dont la questionétait posée car, dans notre étude, plusieurs réponses étaientpossibles. Les données de l’étude autrichienne [8] ontmontré une autre répartition : les lignes haute tensionétaient citées en premier (80 %), puis les téléphones por-tables (78 %), suivis des antennes relais (71 %) et destéléphones DECT (60 %).Les consultations pour des symptômes attribués à l’EHS n’étai-ent pas fréquentes puisque 70 % des médecins n’en avaientpas eu au cours des 12 derniers mois. Cette situation estdifférente de celle des praticiens autrichiens dont 85 % décla-raient avoir été confrontés à des plaintes relevant de l’EHS. En

Suisse également, ce syndrome fait l’objet de consultations enmédecine générale puisque 69 % des praticiens ont déclaré aumoins une consultation en rapport avec les CEM au cours del’année. Ils étaient plus nombreux en cas de mode exerciceparticulier complémentaire, avec un nombre médian deconsultation de trois par an. Cependant, 54 % des médecinssuisses [7] jugeaient « plausibles » que les symptômes signaléspar les patients soient en liaison avec l’exposition aux CEM,alors qu’ils étaient 68 % à avoir été interrogés en consultation.En Allemagne, alors que 61 % des médecins avaient eu unediscussion sur le sujet avec leurs patients, 21 % considéraientque l’association avec les CEM est plausible.Comme le soulignent les auteurs de l’enquête de l’INPES surla perception des Français vis-à-vis des CEM : « Le sentimentd’être informé est une variable complexe qui relève desconnaissances autant que du contexte social et de la per-sonnalité d’un individu » [2]. Ainsi, bien que les modalitésméthodologiques aient été différentes dans les études au-trichienne, suisse et allemande, notamment quant au tauxde réponse, nous partageons leurs conclusions. Les résultatsde cette enquête montrent que les croyances et les convic-tions de la grande majorité des médecins généralistes sonten contradiction avec les connaissances établies. « Dans lescas de troubles de la santé le plus souvent rapportés (commedes perturbations de sommeil, des céphalées, de la fatigue)il y a peu de preuve scientifique que les CEM en soient lacause [. . .]. Nos résultats apportent la preuve qu’enAllemagne une proportion considérable de médecins généra-listes attribuent des symptômes aux CEM, même quand il y apeu de preuve scientifique » [10]. « Il y a des indicationsmontrant que le médecin généraliste ne s’est pas senticonfiant en conseillant des patients avec des symptômesattribués aux CEM » [7].Retenons cependant une perspective encourageante : laconfiance dans la validité des informations fournies par dessources scientifiques autorisées telles que les Académies et lesAgences sanitaires gouvernementales. Ainsi, un réel effortd’information en santé environnementale qui concernetout un chacun dans sa vie quotidienne – notamment enmatière de CEM – est indispensable et serait parfaitementreçu par les praticiens conscients d’être à la fois conseillers deleurs patients et preneurs de décisions en matière de diag-nostics et d’investigations complémentaires.

Déclaration d’intérêts : Jacques Lambrozo et Martine Souques sont salariésdu service des études médicales d’EDF. Les autres auteurs déclarent ne pasavoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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