les mathèmes de lacan

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  • 8/11/2019 Les Mathmes de Lacan

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    Le mathme lacanien: l'criture de la psychanalyse

    Cartel : Herv Castanet, Franoise Fonteneau, Victoria Horne, Pierre Streliski, Guy Briole (plus-un).Rdaction par les membres du cartel

    Comment rendre compte de l'inconscient ? C'est une question laquelle se sont heurts Freud commeLacan. Freud, dans "L'inconscient" propose, pour faire avancer la thorie mtapsychologique, unecriture " qui pourrait s'manciper de l'importance accorde au symptme : fait d'tre conscient

    (Bewusstheit). "1Lacan poussera cette criture jusqu' l'pure ; le mathme.

    Donc, comment transmettre ce que l'on apprend de l'exprience en psychanalyse en en faisant unecriture qui serait " enseignable tout le monde " c'es t--dire scientifique, " puisque la science s'est fray

    la voie de partir de ce pos tulat "2? Le mathme serait cette criture, trouve par Lacan, qui rpondrait lemieux au discours analytique et qui tendrait vers ce point de transmission. Mais, une des limitations se

    trouve dans ce que Lacan indiquait dj concernant ses schmas3et que s ouligne Jacques-Alain Miller :

    " la perception clipse la structure "4comme l'analyse qu'il contient et qui conduit sa cons truction.

    On entre dans l'enseignement de Lacan par ses crits 5, en se souvenant que s on objectif ne fut pas uneobjectivation de l'enseignement, ni son adquation l'Universit. Son objectif tait le mathme, " soit, la

    transmiss ion intgrale " .6

    Cette criture, ces formules de Lacan, n'ont pas non plus une valeur intrinsque univoque. Elles nepeuvent tre lues qu'avec le discours qui les a faites surgir et elles restent rfres au contexte danslesquelles elles furent labores. Du dit dont se soutient l'exprience analytique l'crit s e marque djun serrage du discours de la psychanalyse pour aller vers une logicisation des concepts dont laconcrtion vient se matrialiser de la lettre : a, A, $, (, (, etc. Ces lettres o combinaisons de lettres

    forment autant de mathmes qui, loin d'tre des formulations vides, ne sont pas non plus des express ionsfiges de la thorie. En ce sens, le mathme est " fixion " de ce qui du rel chappe toujours au dire.

    Le mathme est-il un axiome ?

    Pourquoi miser sur cet idal, sur cette intgralit, alors que par ailleurs on sait qu'il n'y a pas demtalangage et que la vrit ne peut que se mi-dire ? C'est que le sujet parle sans le savoir, qu'il dittoujours plus qu'il n'en sait. Il existe une discordance du savoir et de l'tre, une part d'tre qui ne peut pas

    se savoir. Alors pourquoi Lacan est-il attir par ce qu'il nomme " pur mathme " ?7 Il donne, dans"L'tourdit", quatre raisons au mathme : exclure la mtaphore ; admettre que n'importe quoi ne peut tredit ; admettre qu'il est d'abord un dire - celui de Freud, ou le sien et que c'est ensuite transmissible ; enfin,que sa topologie n'est pas thorie mais doit rendre compte des coupures du discours. Ce qui est une

    autre faon de dire qu'il faut rendre compte de l'inconscient.

    Le mathme a-t-il une puissance normative, est-il un axiome ? Lacan explique que son dire ne fait paspour lui mathme et que ce dernier est non-enseignable avant que son dire s'en soit produit. Lesmathmes, formules, algorithmes sont faits " pour permettre vingt et cent lectures diffrentes, multiplicit

    admissible aussi loin que le parl en reste pris son algbre"8. L'objet a, l'invention de Lacan, qui entredans nombre de ses mathmes est l'objet qu'une science analytique peut se donner. Cependant, lemathme n'est pas ce qui produit l'objet a, mais il en es t le gage, le gage inconscient.

    S'il n'est pas un axiome, le mathme lacanien ne doit pas tre confondu non plus avec un " signifiant

    transcendant ".9 Sinon, se profilerait le risque de mtalangage que Lacan tente d'viter. Poser un

    mathme n'est jamais vident ni dfinitif, et n'est que l'amorce d'un travail effectuer dans le va-et-vientde l'observation de la pratique la rflexion thorique. Dans Le Sminaire L'IdentificationLacan parlait

    d'une " logique lastique ".10 Cette lasticit n'est peut-tre que ce qui correspond ce mouvementd'ouverture et de fermeture de l'inconscient, ce clapet imprvu que l'on a tant de mal crire.

    Intrt et limite du mathme

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    Il y a un bilinguisme foncier de la psychanalyse, entre posie et mathmatique. De l, une question : lemathme, qui vise une transmiss ion chiffre, chiffrable, de la psychanalyse, est-il vrai ? La psychanalyseest en fait partage entre les paroles qui se disent - la parole n'a statut que de bavardage, dit Lacan -, etun savoir, pour lequel il ajoute que " c'est bien l'essence de la psychanalyse que de s'apercevoir que rien

    n'y marche "11 . " Dfaut d'unitude "12 , dit-il, qui ne le fait pas renoncer " chercher un mathme, parce

    que le mathme lui n'est pas bilingue. "13

    Le mathme est l'idal de l'enseignement de la psychanalyse14, mais les mathmes " simulent une science

    qu'ils n'accomplissent point "15 car ils sont interprtables de maintes faons : du fait de son s tyle propre,chacun regarde, lit, le mathme - crit pour tous -, travers le filtre du biais de sa singularit.

    On retrouve finalement avec le mathme de Lacan le pont aux nes de l'incompatibilit entre savoir et

    vrit - " Ils compatissent l'un de l'autre. "16 Lors d'une Journe des mathmes de l'cole freudienne deParis, o foisonnrent des contributions embarrasses sur le fait de savoir si les mathmes taient oun'taient pas des mythes, J.-A. Miller s'tait lev une hauteur clinique, en rapprochant cette questionde : qu'est-ce qui est transmissible d'une psychanalyse, de l'enseignement qu'on tirait de la prsentationde malades de Lacan Sainte-Anne ? La pointe en tait que " le dchiffrement fasse nigme son tour

    "17. Et, plus rcemment : " La phrase "Tout le monde est fou" attaque la possibilit mme d'un mathme

    de la psychanalyse. "18

    Pourquoi la formulation logico-mathmatique pour la psychanalyse ?

    Le Sminaire R.S.I. apporte, en 1974, une rponse cette question. Poser cette question c'est sedemander comment tre bte avec Lacan ? Les jeux signifiants , dans cette optique, ne sont pas btes . Aucontraire, ils sont la sophistication incarne. Le signifiant est diffrentiel par dfinition et toujoursquivoque, du registre de l'-peu-prs. Avec le signifiant, ce n'est jamais a ! Ce dernier ouvre d'autressignifiants, l'infini. L'analysant, en fin de cure, en fait l'preuve : il a lcher cet amour pour le signifianto s'ternise son amour de transfert. Comment sait-on y faire avec la btise pour ne pas louper le pointde finitude de la cure ?

    Dans sa seconde leon de R.S.I., Lacan crit le minimum, comme il dit. " Ce minimum est assez pour que

    vous y reconnaissiez le nud borromen. Il me semble que j'ai justifi en quoi le nud borromen peuts'crire, puisque c'est une criture, une criture qui supporte un rel. " 19 Le nud n'est pas unemtaphore, une image ou une reprsentation du rel. Le nud est le rel. Le nud, s'il n'est pas unereprsentation, une ide de la structure, effectivement n'a pas tre pens mais manipul : " [...] pouroprer avec ce nud d'une faon qui convienne, il faut que vous vous fondiez sur un peu de btise. Le

    mieux est encore d'en user btement, ce qui veut dire d'en tre dupe. " 20 Qu'est-ce que manipuler unecriture, un trait d'crit ? C'est, comme pour l'criture mathmatique faite de lettres ou de " signes "algorithmiques, en inventorier les proprits et en dduire les consquences logiques. La consistance dunud est une consistance logique - nullement ontologique. C'est de l'exprience analytique qu'il rendcompte et c'est en cela qu'est son prix. Le nud ne permet aucun dpassement, il n'inaugure aucun au-del. L'usage du nud objecte l'hypothse, l'ide, au chipotage obsessionnel. Choisir la btise, sans

    rejeter videmment la rigueur de la mthode scientifique, pour justement tirer les consquences dumatriel donn voil ce que Lacan s 'efforce de livrer ses auditeurs.

    Le mathme et la singularit du cas

    Qu'en est-il de l'utilisation du mathme en ce qui concerne la clinique? Dans la singularit de chaque cas ,pour accomplir ce trajet, il faut traverser une cure analytique. Le terme d'une analyse, la passe,supposerait d'arriver savoir ce que veulent dire ces mathmes pour soi, dans la singularit de son

    propre cas . En effet, par exemple, la formule du fantasme est la relation qu'entretien le terme $ et l'objet a,mais cela ne dit pas quels sont les valeurs ni l'articulation singulire de ces termes pour chacun. La passe

    permettrait donc, pour celui qui est arriv la fin de son analyse, de rendre compte, de la faonparticulire dont le rel en jeu s 'est fait prsent pour lui, la faon dont il a cern, de manire singulire, le

    savoir vid de sens et de jouissance, pour atteindre un point de rel.

    Dans s on cours s ur " La nature des semblants " J.-A. Miller fait valoir, " la parent entre le nom propre et

    le mathme : l'un dans l'criture, l'autre dans la langue, ils permettent une transmission intgrale. " 21

    Mais, le nom propre est avant tout un signifiant pur, qui ne signifie rien et peut alors venir la place dumanque de s ignifiant dans l'Autre. Le nom propre peut se trouver alors en place de s ignifiant du mathme

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    S(A barr). C'est dans ce sens, qu' la fin de l'analyse nous trouvons souvent, un signifiant, un nom dejouissance, un nom d'objet qui, comme le mathme, es t la rduction minimale, l'lment de st ructure quicrit et condense le rel de l'tre de jouissance du sujet dans sa singularit. La formulation logico-mathmatique aura cette fonction : rpudier les hypothses , consentir la btise du rel, pour justementne pas rduire la cure une pure et unique logique signifiante. La psychanalyse pas sans rel est laconsquence du choix du mathme.

    Notes et repres bibliographiques

    1. Freud S., "L'inconscient",Mtapsychologie, Paris, Gallimard, col. Ides , 1977, p. 115.2. Lacan J., "Tlvision",Autres crits, Paris, Seuil, 2001, p. 537.3. Lacan J., "D'une question prliminaire tout traitement de la psychos e",crits, Paris, Seuil, 1966,

    p. 574.4. Miller J.-A., Table commente des reprsentations graphiques ,crits, Paris, Seuil, 1966, p. 903.5. Miller J.-A., "Entretien surLe Sminaire", Le bloc-notes de la psychanalyse. Genve, 1984, n4,

    p. 21.6. Ibid.,p. 24.7. Lacan J., "L'tourdit",Autres crits,Paris, Seuil, 2001, p. 472.8. Lacan J., "Subvers ion du sujet et dialectique du dsir",crits, Paris, Seuil, 1966, p. 816.9. Ibid.

    10. Lacan J., Le Sminaire "L'identification", Leon du 21 fvrier 1962. Indit.

    11. Lacan J., " Clture des Journes " . Journes de l'cole freudienne de Paris, Les mathmes de lapsychanalyse, 31 octobre - 2 novembre 1976, Paris, Maison de la chimie, Lettres de l'colefreudienne, Bulletin intrieur de l'cole freudienne de Paris, n 21, aot 1977, p. 506.

    12. Ibid,p. 507.13. Ibid,p. 508.14. Miller J.-A., " Prologue de Guitrancourt ", prface la brochure de la section clinique de

    Barcelone, 15 aot 1988. Cf. galement Klotz J.-P., " Ta pathmama, mathmata ",Actes de l 'colede la Cause freudienne, n 8, Bordeaux, 1985, p. 7.

    15. Miller J.-A., " Algorithmes de la psychanalyse ", Ornicar ? n 16, Paris, dition Lyse, 1978, p. 22.16. Lacan J., " Radiophonie ",Autres crits, Paris, Seuil, 2001, p. 440.17. Miller J.-A., " Enseignements de la prsentation de malades ", Ornicar ? n 10, 1977, p. 15. Texte

    rdit inLa conversation d'Arcachon , Agalma, Paris, Seuil, Coll. Le Paon, 1997, pp. 285 - 304.18. Miller J.-A., "Tout le monde es t fou" , cours du 11 juin 2008, indit.19. Lacan J., Le Sminaire, "R.S.I.", Leon du 17 dcembre 1974. Indit20. Ibid.21. Miller J.-A., " Sur la nature des semblants ", cours du 27 novembre 1991. Indit.

    Ecole de la Cause freudienne (ECF)