Marc Van Gyseghem.

LES LETTRES IRANIENNES.

A la manière de Montesquieu, (magistrat, 1689-1755)

Editeur responsable : Van Gyseghem,10/153, quai Van Beneden, 4020-Liège.

A Monsieur Desmette, magistrat au tribunal de première instance de Nivelles.

Pour louer ses qualités d'écoute.

« La puissance des méchants se nourrit de la lâcheté des bons. »

Saint Jean Bosco.

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INTRODUCTION.

Mon « Usbek » et mon « Ibben » ne parlent pas la langue de... Montesquieu ni celle de Voltaire. Usbek s'est mis en tête de découvrir l'occident et... il le découvre en visitant Liège.

A force de vouloir faire savoir qu'on ne méprise personne - parce que tout le monde doit être respecté - on tombe dans le ridicule : une femme d'ouvrage est, de nos jours, une technicienne de surface.

J'ai, comme toujours, pointé mon ironie vers les magistrats choucroute.

Lisez et... riez.

Montesquieu était baron... comme Eddy Merkx.

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LETTRE I.

Le 4 de la lune de Rebiab.

Mon cher Usbek,

II y a à peine trois jours que j'ai quitté Téhéran et déjà tume manques. Je suis arrivé hier à Liège ; je suisdescendu dans un superbe hôtel appelé l'hôtel de laCouronne.Le réceptionniste de l'hôtel, qu'on appelle le technicien del'accueil, a regardé mon passeport d'un œil soupçonneux :

- Ah ! Ah ! Monsieur est Iranien !

et se tournant vers le balayeur, qu'on appelle ici le technicien de surface, a dit :

- Comment peut-on être Iranien ?

J'ai pris possession de ma chambre et j'ai fait mes ablutions selon les règles de notre saint alcoran.

Je suis allé prendre le thé dans un établissement qui s'appelle « Le Prince-Evêque ».

- Qu'est-ce donc que cela, Monsieur, un évêque ?

J'ai appris qu'un évêque était un chef spirituel... le mollahdes chrétiens, si tu veux.Le serveur m'a dit avec une fierté qui est bien légitime :

- Ici, Monsieur, vous êtes dans la principauté épiscopalede Liège.

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Après avoir pris mon thé, je suis allé me promener et j'ai vu le palais du prince-évêque. Oh ! Usbek, que c'est beau !

J'ai demandé à un passant :

- Le prince-évêque est-il dans son palais ?

- Non, Monsieur. Il est parti depuis longtemps.

J'ai pensé que le prince-évêque était en voyage. Qui sait, Usbek, peut-être visite-t-il l'Iran... comme moi qui visite Liège.

- Et, Monsieur, qui remplace le prince pendant sonabsence ?

- C'est Monsieur le Gouverneur Bolland.

- Ce doit être un homme de grand pouvoir.

- En principe, non, Monsieur. Il doit contrôler lesadministrations des villes et des villages, mais en fait,il fait des traités de commerce avec le Maroc, il reçoitle consul général de France et il donne de grandsdîners arrosés des meilleurs vins du Bordelais.

- Vous n'avez point de ministre du commerce extérieurpour faire des traités et de ministre des affairesétrangères pour recevoir le consul général ?

- Bien sûr que si, Monsieur, mais dans ce pays-ci, il n'ya rien qui amuse le plus les gens que de se mêlerdes affaires des autres.

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- Et... Monsieur le Gouverneur Bolland est dans sonpalais ?

- Non, Monsieur. Il est allé acheter des tapis (sic) enIran pour garnir les salons du palais.

J'étais, mon cher Usbek, assez étonné et amusé de cettecoïncidence.Tu pourrais dire à Ali qu'il essaye de vendre quelquestapis à Monsieur le Gouverneur.

J'ai terminé ma promenade en regardant les cartes exposées aux devantures des restaurants de la place du marché : l'Eureye, Amon nos aut', As Ouhes... Le soir, pour dîner, j'ai demandé au serveur :

- Pouvez-vous me donner une potée liégeoise ?

mais le serveur m'a toisé mi fâché, mi méprisant :

- Nous ne servons pas ça, ici, Monsieur.

Mais le lendemain, j'ai compris pourquoi il m'avait dit cela : dans la potée liégeoise, il y a des « crètons » de lard.

Tu vois, Usbek, que les chrétiens ne mangent pas non plus du porc.Je me demande si nos saints mollahs ne nous racontent pas des balivernes au sujet des chrétiens.

Sois persuadé que je t'aimerai toujours.

Ibben.

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LETTRE II.

Le 12 de la lune de Rebiab.

Mon cher Ibben,

J'ai bien reçu ta chère lettre datée du 4 de la lune de Rebiab et je t'en suis reconnaissant.

J'ai transmis ton conseil à Ali : il a vendu cinq tapis à Monsieur le Gouverneur Bolland dont un de douze mètres sur quatre... qu'il a roulé selon la plus petite dimension. Il a roulé aussi Monsieur le Gouverneur, mais notre saint alcoran nous enseigne que ce n'est pas un péché de rouler un chrétien.

Monsieur le Gouverneur a quitté Téhéran ce matin... avec les cinq tapis sur le toit de sa voiture.

Au fond, Liège n'est pas très différente de Téhéran puisque le prince-évêque cumule les pouvoirs spirituels et temporels comme nos grands et saints ayatollahs.

Hier, on a pendu un homme de vingt-cinq ans qui avait enlevé trois jeunes femmes, qui les avait violées et tuées à coup de barre.Il y a eu une grande émotion dans les rues de Téhéran, mais le peuple disait que c'était un juste châtiment. L'ambassadeur des U.S.A. a dit que c'était inhumain de pendre un homme et que nous ferions mieux d'utiliser une chaise électrique.C'est drôle, Ibben, que les autres voudraient toujours qu'on fasse comme eux. Est-ce que nous disons aux américains qu'ils ne doivent pas divorcer cinq ou six fois au cours de leur vie ?

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N'est-ce pas mieux d'avoir cinq femmes que de n’en garder qu'une et de jeter les quatre plus vieilles à la rue ?

J'espère que tu n'as pas oublié de dire merci au technicien du service de table qui t'avait empêché de manger de la potée aux « crètons » de lard.

Je t'informe que cette année, il y a trois cents étudiants de plus en première candidature en médecine à Téhéran. Voilà qui nous réjouit.

Je t'embrasse.

Usbek.

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LETTRE III.

Le 2 de la lune de Chalval.

Mon cher Usbek,

Catastrophe ! Monsieur le Gouverneur Bolland est arrivé à Liège avec ses tapis, mais... il a plu dessus (sic). La compagnie d'assurance refuse d'indemniser pour le motif que le gouverneur n'était pas assuré pour ça. J'ai rencontré un avocat qui s'appelle Ohamal - mais ce n'est pas un musulman comme tu pourrais le penser au nom qu'il porte - qui m'a dit qu'il allait faire un procès à la compagnie d'assurance. C'est un procès qui va coûter très cher en frais et honoraires parce qu'on pense qu'il va durer dix ans.J'espère que le demandeur - le gouvernement provincial - ne perdra pas et qu'il payera, sans ronchonner, les honoraires de Maître Ohamal qui est bien joli.

Notre saint alcoran nous dit ce que nous pouvons faire et ce que nous ne pouvons pas faire. Les chrétiens ont aussi un alcoran qu'ils appellent le Larcier. Le principe est un peu différent du nôtre : on peut tout faire sauf ce qui est défendu. Le Larcier est bien étrange pour nous qui sommes musulmans. Nos femmes ne peuvent pas avoir de relations sexuelles en dehors du mariage. Les chrétiens considèrent que les femmes peuvent, dès l'âge de seize ans, faire ce qu'elles veulent de leur corps. Cela te paraîtra bien étrange et tu trouveras très extraordinaire que la barre ait été placée à seize ans. Pourtant, beaucoup de chrétiens estiment que la barre est encore placée trop haut. Ceux qui vivent à l'est de Liège ont fixé la limite à quatorze ans. Les filles d'une

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école chrétienne de treize à seize ans ont formé uncollectif pour obtenir ce « droit ».Ici, il y a beaucoup de pédophiles et les tribunauxcondamnent à tour de bras... à tour de bras si l'on peutdire. Il y a, à dix kilomètres de Liège, un homme qui n'apas fait un seul jour de prison alors qu'il avait violé,pendant trois ans, ses deux petits garçons.Ne jette pas les bras au ciel en invoquant le Prophète caron a « collé au c. » de ce monsieur trois assistantessociales, un médecin psychiatre et un psychologue pourl'aider... le rôle du psychologue consiste surtout à essayerde le « comprendre ».On a dressé la liste de tous les aliments qu'il n'aimait paslorsqu'il était enfant et on a transmis la liste à un groupede chercheurs de l'Université de la principauté de Liègeafin qu'ils déterminent les raisons de sa pédophilie.Comme tu le vois, les pays occidentaux sont beaucoupplus « avancés » que nous.On compte ici qu'il faut dix personnes spécialisées pours'occuper d'un jeune délinquant laissé en liberté.La ministre des droits des jeunes estime que cela feracent mille emplois nouveaux d'ici trois ans... sans compterles cinq mille professeurs qui seront chargés de formerces « éducateurs ».Le ministre de l'intérieur - que tout le monde appelle Tony- envisage de demander aux agents pénitentiaires desuivre une formation poussée en « psychologie de ladélinquance ». Il paraît que ce sont les jésuites - ce sont,si tu veux, nos dervis - qui sont les plus aptes à former lesagents pénitentiaires.Notre ambassadeur à Bruxelles a été informé qu'il pouvaitenvoyer dix agents pénitentiaires de Téhéran pour suivre,aux frais de l'Etat belge, ces cours de psychologie de ladélinquance.Comme Madame de Staël le disait si bien :

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Si l'on pouvait tout comprendre, on voudrait tout pardonner.

Sois assuré de mon affection.

Ibben.

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LETTRE IV.

Le 5 de la lune de Rhamazan.

Après avoir reçu ta lettre du 2 de la lune de Chalval, j'aiété très malade. Notre grand et divin Mollah Rhézi attribue ma maladie au« tracas ». Je me suis en effet beaucoup tracassé parceque j'avais grondé « trop fort » mon fils Ali qui avait voléune voiture et avait donné un coup de couteau au propriétaire du véhicule.Je me suis dit que je ne comprenais pas assez les jeunes de notre époque.Crois-tu que je pourrais obtenir de l'Etat belge de m'envoyer - gratuitement s'entend - deux psychologues : un pour comprendre mon fils et le second pour m'aider à comprendre mon fils Ali ?J'espère pouvoir compter sur ton aide... ce n'est pas pour tout de suite parce que... Ali a ramassé neuf ans de prison pour cette bête histoire de voiture volée.

Mirza a vingt et un an. Elle rêve d'aller vivre à Liège depuis qu'elle a appris qu'elle pourrait y jouir de la liberté sexuelle, mais ce qui me tracasse le plus, c'est qu'elle ne veut plus cacher ses cheveux.

Je suis tout perdu et je te prie de me donner tes meilleurs conseils. Je t'embrasse.

Usbek.

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LETTRE V.

Le 13 de la lune de Saphar.

Mon cher Usbek,

J'ai été très peiné d'apprendre que j'avais jeté l'angoisse dans ton cœur de père. Ce n'était évidemment pas mon intention. Je te parle des coutumes liégeoises, mais ça ne veut pas dire que je les trouve meilleures que les nôtres.

Les principes d'éducation que tu as suivis pendant quarante ans ne doivent pas être si mauvais que cela puisque ton fils Zahar est médecin et que ton fils Rhédi est professeur de mathématiques. Naturellement, ton « petit dernier » Ali ne te donne pas la même satisfaction, mais n'as-tu pas été trop laxiste avec lui?

On m'a raconté qu'un professeur de Liège avait été mis à la porte de son école parce qu'il n'avait pas su comprendre un de ses élèves qui lui avait donné un coup de couteau. Je ne crois pas qu'il faille que ta compréhension aille jusque là.

Veux-tu réfléchir à cela ?

Notre saint alcoran interdit aux femmes de devenir magistrat. A Liège, il y a beaucoup de femmes magistrats. On dit que les hommes hésitent à embrasser cette noble profession parce qu'ils y sont trop mal payés. Ils doivent attendre d'avoir cinquante ans avant de recevoir un traitement décent.

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Quant aux femmes magistrats, le problème n'est pas le même puisque leur traitement est un salaire d'appoint. Je connais un jeune magistrat qui a dû attendre, pour pouvoir se marier, que sa fiancée ait trouvé du travail. Quant aux greffiers, n'en parlons pas.

Le président du tribunal de première instance de Liège est... une femme. On dit qu'elle est très, très gentille et que ses magistrats l'adorent... ils l'appellent maman Lovens. Je me demande si un chef qui est adoré de tous ses subordonnés peut être un... chef. On dit que ses magistrats la roulent dans la farine. Cela ne te surprendra pas. Rappelle-toi ce que ton père t'a dit lorsqu'il t'a confié les trois puits de pétrole et les soixante ouvriers qui « allaient avec ».

Tu te doutes bien que les femmes magistrats ne couvrent pas leurs cheveux, mais tu ignores qu'il y en a plusieurs qui portent des jupes ras du c...Naturellement, elles sont encouragées par maman Lovens... dont les jambes te raviraient. Garde-toi cependant de laisser courir ton imagination et d'avoir des idées impures qui sont, tu le sais, interdites par notre saint et divin Prophète.

Si ta nature parlait trop fort, chasse ces idées impures en pensant à quelque chose que tu n'aimes pas... par exemple des mamelles pleines de cicatrices. On m'a parlé d'un - d'une - juge d'instruction qui a été opérée à la mamelle. Tu seras sans doute stupéfait d'apprendre qu'on étale les misères physiques d'un juge d'instruction, mais il faut bien te dire qu'ici, ce n'est pas, du tout, du tout, comme en orient.

J'ai d'ailleurs entendu le slogan typiquement occidental : «Pudeur, connais pas ! ».

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Ne tire pas de conclusions hâtives quant à la tenue vestimentaire des magistrats. J'ai vu - de mes yeux vu -Madame Rentjens, Madame Delnoy, Madame Vieujean (dont le mari est ministre des eaux et forêts), Madame Fumal... dont les vêtements sont absolument corrects et parfaitement adaptés à leur fonction. J'ai même vu un conseiller de la Cour qui portait, comme chez nous en orient, un gilet de couleur changeante avec des fils d'or et d'argent1.

Je t'embrasse mille fois.

Ibben.

1 C’est Monsieur Gorlé.

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LETTRE VI.

Le 12 de la lune de Chahban.

Mon cher Ibben,

Je crois que je vais « revoir » ma psychologie de l'éducation et, lorsque mon petit Ali sortira de prison, il va m'entendre. Après trois mois d'incarcération, il a été autorisé à m'écrire. Il me dit que les agents pénitentiaires sont très, très gentils et que la nourriture est très, très bonne. Je ne sais pas si je dois comprendre que cela est loin de la réalité...

Il me dit qu'il s'amuse bien parce qu'ils sont vingt-six dans la cellule... qui est spacieuse et claire : 80 x 60 mètres... mais je crois que je dois supprimer les zéros. Il me dit qu'il n'a pas de poux, mais qu'on a rasé le crâne de tous les détenus. Il ne me parle pas des assistantes sociales et des psychologues attachés à l'établissement. Penses-tu, Ibben, qu'il n'y en a pas ?

Je suis allé à la prison pour lui porter un gros panier de nourriture. Comme on m'avait dit que l'agent de l'accueil était particulièrement gentil, je lui ai glissé dans la main trois pièces d'or. Le saint alcoran nous enseigne qu'il faut toujours marquer notre reconnaissance.

Tu me parles beaucoup des magistrats, mais, lorsque tu m'en parles, englobes-tu les magistrats du parquet ?

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Notre saint et juste Mollah Razeth est procureur auprès de notre saint tribunal.

Je dois t'avouer qu'il m'a glacé le sang... C'est lui qui a requis contre Ali... il avait demandé une peine de 12 ans ferme.

Je trouve qu'il y est allé un peu fort et je loue la sagesse et la modération de notre saint Tribunal qui ne l'a condamné qu'à neuf ans de prison.

Je suis étonné, voire ébahi, lorsque tu me parles des salaires de misère des magistrats liégeois. Le Mollah Fatmi est juge au tribunal de Téhéran... il habite une villa de vingt-deux pièces, il a huit serviteurs et deux Mercédès et... il n'a que trente ans. Le président du Tribunal de Téhéran serait outré si quelqu'un lui disait qu'il doit être le « camarade » de ses magistrats.

Sois gentil, ne me parle plus des jambes et des cuisses de maman Lovens. Cela me donne des idées et me tourmente... je suis resté trois nuits sans pourvoir trouver le sommeil.

Je vais fermer l'usine de rahat-loukoum. Je n'arrive plus à écouler ma production... ou, alors, je devrais investir beaucoup d'argent.

Sois assuré de mon affection.

Usbek.

Les trois puits de pétrole me rapportent un argent fou.

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LETTRE VIL

Le 2 de la lune de Zilhagé.

Mon cher Usbek,

J'ai raconté à un Liégeois que tu allais fermer ton usine deloukoum.Il m'a dit :

- Pourquoi votre ami ne demande-t-il pas un subside à son gouvernement ? Que va-t-il faire de ses ouvriers ?

Je dois te dire que ses questions m'ont surpris et que je n'ai su quoi lui répondre.

Les magistrats du parquet? Le chef du parquet est aussi... une femme et - crois-moi - c'est beaucoup mieux comme ça. C'est une fonction où il n'y a « rien » à faire. Un homme s'y ennuierait. Nous appelons cela une sinécure. Ici, cela s'appelle une planque... je ne sais pas pourquoi.

Cette dame arrive au palais de justice entre dix heures et dix heures trente. Elle joint immédiatement son cabinet ; elle donne à manger à son chien. Pendant que le chien mange, elle va remplir le bol d'eau du chien. Ensuite, elle joue avec le chien, puis, elle lui soigne la patte ( le chien s'est blessé sur un vieux clou tout rouillé ).

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Après cette opération délicate, elle va chercher un gobelet de café qu'elle boit en mangeant deux biscuits « minceur ».

Ensuite, elle va dire bonjour à ses substituts en prenant soin de leur dire de bien régler les problèmes. Elleéchange quelques mots avec l'un ou l'autre juge d'instruction, un avocat, un greffier... Treize heures sonnent : elle va au restaurant ( sans son chien ).

Elle revient à son cabinet vers quinze heures... elle rejoue avec son chien qui lui fait « la fête » puisqu'il ne l’a plus vue depuis longtemps.A seize heures, un greffier lui apporte un énorme signataire ; elle lit et signe le courrier et... la journée est finie.Deux fois par semaine, au lieu d'aller au restaurant, elle va faire du body building. Evidemment, elle a une «ligne» superbe.« Avant », la fonction était occupée par un homme. On m'a dit qu'il était mort neurasthénique.

C'est dommage qu'Ali ne soit pas incarcéré à Liège. Au lieu de rester neuf ans en prison, il serait libéré après trois ans.Par curiosité, je suis allé assister à une audience de la Cour. Le président est... une femme, mais elle parle l'allemand. Elle a cru que j'étais un Allemand - un ancien nazi sans doute - et que j'étais sourd. Elle m'a hurlé un mot que je n'ai évidemment pas compris.

Je t'embrasse.

Ibben.

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LETTRE VIII.

Le 12 de la lune de Zilhagé.

Mon cher Ibben,

Ca me fait mal au cœur de savoir qu'Ali restera en prison neuf années au lieu de trois pour la seule raison qu'il est Iranien... comme tous ses frères Iraniens incarcérés. J'appelle cela un crime contre l'humanité. Ne pourrais-tu déposer une plainte dans les mains d'un juge d'instruction liégeois dont la compétence est, m'a-t-on dit, universelle ? Merci d'avance pour ton aide !

Savais-tu, cher Ibben, que la fille de notre ci-devant Chah, la ci-devant princesse Chanaaz, avait fait ses études au Lycée de Waha avec Mamine Pirotte ? (sic) J'ai vu Mamine sur internet avant la nouvelle lune (www .RTBF.Mamine.be).Elle va faire un grand reportage sur sa compatriote qui vend des pralines Godiva à Téhéran. Il paraît que les Liégeois sont las des émissions de T.V. sur les problèmes d'injustice et qu'ils s'intéressent beaucoup plus au chocolat.La dame qui vend des pralines à Téhéran a proposé à Mamine de faire un reportage sur son cousin Van Gyseghem, mais Mamine a répondu que tout le monde s'en foutait... qu'elle en avait parlé à Monsieur Vrébos qui... qui lui avait répondu qu'il préférait inviter Carine Gérard et le procureur de Namur Visart de Bocarmé qui venaient dire à la T.V. qu'il n'y avait QUE de bons magistrats... qui manquaient

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cruellement de moyens... et que tout ce qui n'allait pas, c'était la faute du Gouvernement.Sois assuré, cher Ibben, de ma tendre affection.

Usbek.Pourrais-tu m’envoyer, par T.N.T., des chocolats Godiva… Ici, ils coûtent dix fois…

LETTRE IX.

Le 9 de la lune de Chalval.

Mon cher Usbek,

Quel enfant tu es !Monsieur Visart de Bocarmé a raison. Il n'y a que de bons magistrats.Crois-tu que ce soit sans raison que l'on surnomme :Madame Wilwerth,Madame Loyale,Monsieur Fontaine, Roger l'Equité,Madame Gillet, Madame Grande vitesse,Monsieur Coumanne, Œil d'aigle,Madame Lovens, Madame Parole donnée,Madame Ancia, Madame la Pudeur,Madame Delnoy, Docte doctores ?Il n'y a plus que de bons magistrats. Les deux derniers mauvais s'en vont le 31 décembre 2002 (le 4 de la lune de Rebiab).Et Carine Gérard a tout aussi raison. Sais-tu qu'elle a consacré, avec son « équipe » du Conseil supérieur de la justice, 130 séances de travail - 650 heures - pour mettre au point le « système » de cotation des magistrats ? Avec ce système, tous les magistrats seront - ou plutôt deviendront - très bons. D'ailleurs, le système a été testé en 2001 : 99,9% sont très, très bons,0,1% sont très bons.

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Même Madame Rusinowski a : « +6 » en formation continue et Monsieur Lamoureux a : « +6 » en impartialité, mais il aurait quand même été « très, très bon » même s'il n'avait eu que : « -2 ».

Le « système » va être adopté par toute l'Europe, sauf l'Angleterre... où l'on se propose d'en faire des chars d'assaut.

Donne-moi des nouvelles de l'ancien premier président de laCour de Téhéran Lourouth.

Je t’assure de mon affection.

Ibben.

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LETTRE X.

Le 16 de la lune de Chalval.

Mon cher Ibben,

Je suis très heureux de savoir que tu séjournes dans un pays où il n'y a que de bons magistrats, Les nôtres sont, pour la plupart, excellents, mais nous n'oserions pas « hurler » contre les mauvais.Imagines-tu un quidam iranien qui irait « beugler » son mécontentement au palais de justice de Téhéran ?

Je suis quand même très étonné de savoir qu'on peut être, à Liège, un bon magistrat si l'on a une cote négative en impartialité. Je me dis toutefois que chaque pays a ses coutumes et... je regarde, ainsi que le Prophète nous le commande, dans mon jardin.

Le premier président honoraire de la Cour Lourouth est un homme très intelligent et très respecté. Il a quatre-vingts ans et il a pris femme le 3 de la lune de Rebiab (c'est, tu ne l'as pas oublié, un jour saint).

Tout le monde pensait qu'il épouserait Mirzah Louqueh qui a vingt ans, mais qui, dans un an, sera aussi volumineuse que sa mère et... qui est illettrée.

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L'honorable Lourouth a surpris tout le monde : il a épousé une superbe femme de cinquante ans, droite comme un i, dont le corps est plus beau que celui de Claudia Schiffer... et qui est, par dessus le marché, très intelligente.

Tu me diras - si je ne te le dis pas - où est-il allé pêchercette perle rare ? C'est à mon tour de te dire : quel enfanttu es !C'est la plus douce, la plus aimable, la plus convoitéed'Europe : Madame le Premier avocat général près laCour d'appel de Paris Andrée Spriesteret.Tu me diras que Rhéza Lourouth a de la chance, certes,mais Andrée aussi : elle va dormir sur un monceau d'or...et de diamants.

Je t'embrasse tendrement.Usbek.

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LETTRE XI.

Le 2 de la lune de Chahban.

Mon cher Usbek,

Comme c'est « marrant »! Il y a, à Liège, un premier avocat général - féminin - qui a, l'année dernière, convolé en justes noces. Elle s'appelle Dédée Zinzin. Toutefois, elle était plus âgée que Madame le Premier avocat général de Paris : elle avait cinquante-neuf ans. Il existe ici un slogan - inconnu des Iraniens - qui dit bien ce qu'il veut dire : on fait des bêtises à tout âge. Personne ne sait me dire qui elle a épousé. Le mariage fut, non seulement discret, mais secret. Je n'ai pas cherché à en savoir plus.

Figure-toi, cher Usbek, qu'il y a, à Liège - où serait-ce ? -un quidam qui fait enrager « le bazar ». Il a proposé à un conseiller de la Cour d'appel de chanter avec lui une chanson d'étudiant. Je crois que le titre de cette chanson est : la salopette.J'ai demandé à un passant ce que signifiait le mot «salopette». Il m'a répondu que c'était une tenue de motocycliste.

On m'a dit qu'un magistrat avait parlé, dans un arrêt, de ce que Onan faisait quand il était « tout seul », mais j'ai peine à

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le croire. Ce magistrat serait allé jusqu'à parler de la «semence» d'Onan.

Imagines-tu, cher Usbek, un de nos Mollahs magistrats qui écrirait une chose pareille ?

Je suis sûr qu'il n'irait pas au paradis. Naturellement, le magistrat qui a écrit cela ne risque pas grand-chose

puisque c'est... une femme et que... notre divin Prophète nous a dit que les femmes ne pouvaient aller au paradis. La principauté, toute épiscopale qu'elle est, est un pays bien étrange.

Je t’assure de mon affection.

Ibben.

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LETTRE XII.

Le 12 de la lune de Chalval.

Mon cher Usbek,

Les chrétiens, ils sont « marrants », ils appellent le 12 de la lune de Chalval, le 20 octobre 2002. Aujourd'hui, j'ai regardé l'émission de télé « Controverse » : L'intégration des immigrés. Il y avait, sur le plateau, Joëlle Milquet (qui parle avec ses doigts), Philippe Moureau (qui parle avec son cerveau), Daniel Ducarme (qui parle avec sa langue)... Monsieur Vrébos a demandé trente-sept fois - ou trente-huit, je ne me rappelle plus :

- Pour vous, c'est quoi l'intégration ?

Il y en a qui ont répondu :

- Pour moi, c'est donner du travail aux immigrés...

- Pour moi, c'est donner des logements aux immigrés...

- Pour moi, c'est, premièrement, résoudre laproblématique de la politique d'immigration ;

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deuxièmement, résoudre la problématique del'immigration sur le plan politique...

J'aurais tant voulu, cher Usbek, qu'un musulman dise :

- Sacré Dieu, comme les Liégeois sont sympa !

Et qu'un Liégeois dise :

- Sacré Allah, comme ce Marocain est sympa !

Il y a quarante ans, on disait - m'a-t-on dit - que les Italiens étaient des macaroni. Aujourd'hui - on est quand même plus évolué - on ne dirait pas d'un Marocain qu'il est un « couscous ».

Sur le plateau, il y avait un mollah et beaucoup d'autres gens « très bien », mais il n'y avait pas un « simple citoyen » marocain ou turc « intégré ». Je me suis dit : pourquoi n'a-t-on pas invité la fille - psychologue, responsable du Service d'Information sur les Etudes et les Professions de Liège - de ce vieux con de Van Gyseghem, qui a épousé un Turc ? Je sais très bien qu'un Turc est beaucoup moins bien qu'un Iranien, mais, enfin, la femme belge d'un Turc aurait tout aussi bien fait l'affaire que la femme d'un Marocain ou... Il ne faut pas vouloir, mon cher Usbek, le beurre et le prix du beurre : le mari de la fille de Van Gyseghem – un Turc, te dis-je - est naturalisé belge.

- Gna, gna, gna, disait un des invités de MonsieurVrébos, il faut résoudre la problématique du travail àconfier aux immigrés.

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Sais-tu, cher Usbek, que Dogan Bayrak, le mari de Catherine Van Gyseghem, est manager chez T.N.T. ? Evidemment, s'il était Iranien, il serait « Director » au lieu d'être manager, mais, enfin, ne nous gonflons pas comme la grenouille de La Fontaine : il y a bien des « Garzanetti » qui sont magistrats. Je te l'ai dit cent fois : je n'épouserais pas une noire... parce que je ne saurais pas faire l'amour avec une noire, mais... je donnerais ma vie pour empêcher qu'une noire soit condamnée parce qu'elle est... «noire ». Racisme ?

Voudrais-tu épouser une femme qui mesure un mètrequatre-vingt dix-neuf ?Quelle différence y a-t-i1 entre la taille et la couleur de lapeau ?J'espère que tu me haïrais si je te reprochais que TON filsa été condamné.Je t'aime d'un amour que nous sommes peut-être lesdeux seuls à comprendre.

Ibben.

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LETTRE XIII.

Le 4 de la lune de Chalval.

Mon cher Usbeck,

Heureux anniversaire ! Bonne nouvelle : les écolos viennent d’être battus à plate couture. C’est un parti politique qui est contre le pétrole et contre l’énergie électrique produite par le nucléaire. Tu peux donc t’attendre à ce que tes puits de pétrole te rapportent encore davantage. Pour fêter la défaite des écolos, Didier Reynders a donné une grande réception. Sa femme nous avait préparé un immense et succulent couscous.C’est une superbe femme, très élégante, mais elle se tient toujours un peu courbée comme si elle avait mal au ventre. Le ministre m’a expliqué que sa femme – qui s’appelle Bernadette, mais qu’il appelle chou – avait mal à sa cicatrice depuis son premier accouchement.Devant mon air ébahi, le ministre m’a dit :

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- Je suppose que vous pensez que ma femme a eu une césarienne.

Alors, pour ne pas paraître trop bête, j’ai dit : « oui », alors que je ne sais pas ce qu’est une césarienne.Mais, le ministre m’a dit :

- Je vous rassure tout de suite... ma femme n’a pas de cicatrice sur le ventre. Elle a une cicatrice sur la vulve.

Mais, moi, Usbeck, j’étais gêné. Alors, je me suis dirigé vers un monsieur qui est président à la Cour d’appel et je lui ai dit : votre collègue, Madame Prignon, est charmante.Le président à la Cour, qui s’appelle Henri-Pol Godin, m’a dit : oui, elle est charmante et elle a beaucoup de mérite. Elle sourit toujours alors qu’elle souffre horriblement de sa cicatrice à la vulve.

Ici, cher Usbeck, on est fort nature.

Je t’embrasse.

Ibben.

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REMERCIEMENTS.

Je remercie « les étrangers » - intégrés ou non - qui nous apportent une chose essentielle : savoir se remettre en question.

Je hais le mot « tolérance ». Pour qui nous prenons-nous si... nous nous permettons de «tolérer» le port du foulard ?

« Aimez-vous les uns les autres » (Jésus-Christ).

Cheratte, le 25 octobre 2002.

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